exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Depuis une quarantaine d'ann�es, les r�publicains se sont fait fort de r�duire le poids de l'Etat f�d�ral. Or l'actuelle lutte contre le terrorisme, men�e par une �quipe r�publicaine qui, pourtant, adh�re totalement aux critiques contre le Big Government, remettrait en cause l'engagement conservateur en faveur de la d�centralisation. Les diff�rentes mesures annonc�es depuis septembre 2001 vont toutes dans le m�me sens, un consid�rable renforcement de la pr�sence de l'Etat f�d�ral. Comme toutes les guerres men�es par les Etats-Unis, celle entam�e contre le terrorisme risquerait, elle aussi, de renforcer la centralisation. Quels sont les aspects de ce retour de l'Etat central ? Comment s'op�re la recentralisation, et avec quelles cons�quences dans l'�quilibre f�d�ral ? Finalement, quelles sont les conclusions � tirer de cette �volution ? En particulier, comment s'articule la lutte contre le terrorisme avec 'engagement conservateur en faveur des Etats f�d�r�s ?
+Selon nous, la lutte contre le terrorisme ne serait pas similaire aux �volutions entra�n�es par les autres conflits. Elle d�bouche en fait sur un activisme tous-azimut, qui concerne aussi bien l'Etat f�d�ral que les Etats f�d�r�s et les autorit�s locales (villes, comt�s). Plut�t que de parler de centralisation, il faudrait �voquer un renforcement des fonctions l�gitimes de chacun des niveaux du gouvernement : la d�fense et la protections des citoyens pour le niveau f�d�ral ; les autorit�s locales, elles, g�rent les moyens de r�ponse imm�diats aux agressions terroristes (police, pompier, sant�). L'essentiel des probl�mes suscit�s par la protection du territoire contre le terrorisme r�side dans la coordination entre les diff�rents organes. L'administration actuelle s'engage r�solument dans cette voie, et entame une r�organisation massive des administrations nationales.
+Dans le mois qui a suivi l'attentat du 11 septembre, l'administration a proc�d� � un certain nombre d'initiatives spectaculaires � plus d'un titre, notamment par l'intrusion massive des autorit�s f�d�rales dans diff�rents domaines o�, jusqu'alors, l'interventionnisme f�d�ral n'�tait pas de mise. A commencer par la s�curit� a�rienne, au vu, bien s�r, du d�roulement des attentats : les attaques contre des objectifs civils semblaient alors �tre l 'objectif de pr�dilection des groupes islamistes. C'est pourquoi, sous la responsabilit� du Secr�taire aux Transports, Norman Y. Mineta, un nouveau texte a �t� adopt� par le Congr�s d�s le 19 novembre, le Aviation and Transportation Security Act (ATSA, Public Law 107 - 71). Ainsi est institu�e la Transportation Security Administration (TSA), qui prend en charge la s�curit� de l'aviation civile, auparavant de la responsabilit� de la Federal Aviation Administration (FAA). A partir de f�vrier 2002, la nouvelle instance a " f�d�ralis� " les points de contr�le des 429 a�roports commerciaux des Etats-Unis, processus, qui, en fin de compte, devrait encore prendre quelques mois. Dor�navant, les compagnies priv�es de s�curit� - jusqu'ici sous-traitantes des compagnies a�riennes - ne sont donc plus responsables du contr�le des passagers ; pr�s de 28000 fonctionnaires f�d�raux doivent maintenant prendre le relais, et leur recrutement devrait se faire avec des crit�res plus exigeants que ceux requis jusqu'alors. Pendant ce temps, les craintes d'attentats contre d'autres types de cibles civiles se multipliaient. Ainsi, un certain nombre d'�lus d�mocrates (dont le S�nateur de New York Hillary R. Clinton) ont appel� en novembre � une prise en charge f�d�rale de la s�curit� des 103 centrales nucl�aires du pays par la Nuclear Regulatory Commission. Mais l'initiative est, pour le moment, rest�e lettre morte au Congr�s : en l'�tat actuel de la situation, la protection des sites nucl�aires est toujours assur�e par les quelques 57000 r�servistes et membres de la Garde Nationale qui ont �t� mobilis�s suite aux attentats. Initialement charg�s aussi de la s�curit� dans les a�roports, ils en ont �t� rapidement relev�s lors de la cr�ation de la TSA ; ils assurent maintenant exclusivement la d�fense des centrales nucl�aires, et l'administration Bush semble s'en satisfaire.
+Ces actions imm�diates ont �t� renforc�es par d'autres mesures, budg�taires, qui vont directement � l'encontre du lib�ralisme �conomique pr�n� par les r�publicains. Ainsi, le Pr�sident a imm�diatement d�cid� des aides d'urgence : 40 milliards de dollars r�partis entre l 'Etat de New York et le FBI, les agences de renseignement et l'arm�e ; � ce montant s'ajoute 15 milliards de dollars pour aider les compagnies a�riennes. Autant dire que le non-interventionnisme �conomique de l'Etat f�d�ral a �t� imm�diatement relegu� au second rang devant l'urgence de la situation. La restriction budg�taire a tout de suite c�d� la place � la n�cessit� de lutter contre le terrorisme.
+Apr�s quatre ann�es d'exc�dents f�d�raux, le budget de 2003 - qui d�bute en octobre 2002 - renoue avec les d�ficits. Sous l'effet conjugu� du ralentissement �conomique et de la lutte contre le terrorisme (les d�mocrates rajouteraient aussi les baisses d'imp�ts parmi les facteurs explicatifs), le budget devrait afficher un d�ficit de l'ordre de 43 milliards de dollars. Les principaux postes budg�taires sont dor�navant la s�curit� du territoire (homeland security) et la d�fense. Dans le premier cas, le budget passe de 15 milliards de dollars � 38 milliards, une part non-n�gligeable (un peu moins de trois milliards) �tant consacr�e � la lutte contre le bioterrorisme. A un niveau institutionnel, et plus seulement fonctionnel, l'administration Bush a d�cid� de renforcer consid�rablement les polices locales, pompiers, et services d'urgence, qui, tous, constituent la premi�re ligne de d�fense vis-�-vis des attaques terroristes. Environ 3,5 milliards de dollars - soit une multiplication par dix des financements ant�rieurs - sont ainsi destin�s aux autorit�s locales, municipales et �tatiques, c'est-�-dire aux �chelons politiques responsables de ces diff�rents corps. En ce qui concerne la d�fense, le Secr�taire, Donald Rumsfeld, se trouve maintenant � la t�te du second poste dans le budget f�d�ral. Le Pr�sident a obtenu une rallonge budg�taire de 48 milliards de dollars, soit une enveloppe qui d�passe le montant du budget militaire annuel de n'importe quel autre pays dans le monde. L'effort ainsi consenti est comparable � celui engag� par Truman lors de la Guerre de Cor�e. Comme il y a cinquante ans, les Etats-Unis sont v�ritablement entr�s dans un budget de guerre : celui-ci devrait atteindre 396 milliards de dollars en 2003, et, si les pr�visions se concr�tisent, se chiffrer � 470 milliards en 2007.
+A priori, l'administration Bush a adopt� des dispositions budg�taires qui la placent en d�calage par rapport aux discours r�publicains en faveur de la modestie budg�taire et de la n�cessaire rigueur dans les d�penses. Dans ce domaine, l'Etat f�d�ral a b�n�fici� d'une nouvelle marge de manoeuvre, inesp�r�e au vu de l'orientation politique de l'�quipe dirigeante. C'est d'autant plus vrai que ces mesures ne sont pas pr�cis�ment des d�cisions sur lesquelles l'administration se serait engag�e � revenir. Au contraire, la Pr�sidence a, dans un second temps de sa lutte contre le terrorisme, �labor� un cadre plus g�n�ral qui cherche � p�renniser les d�cisions prises � l'automne. L'accroissement des pouvoirs de l'Etat f�d�ral ne tient pas de l'accident de parcours. Il s'agit au contraire d'une priorit� des pouvoirs publics.
+Le rapide panorama des mesures d'urgence que nous venons d'�tablir a pris place dans un cadre l�gal �tabli � l'automne 2001, puis compl�t� par une r�organisation institutionnelle des structures de l'Etat f�d�ral au printemps 2002. Ainsi, d'un point de vue l�gislatif cette fois, l'administration Bush a fait pr�senter une loi de lutte contre le terrorisme. Massivement adopt�e par le Congr�s et sign�e par le Pr�sident le 26 octobre, le texte (USA Patriot Act, ou Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism, PL 197 - 56) renforce consid�rablement la loi pr�c�dente, celle adopt�e sous l'�quipe Clinton apr�s l'attentat d'Oklahoma City. A l'�poque, un grand nombre de r�publicains avaient r�ussi � bloquer les principales extensions pr�vues du pouvoir f�d�ral, mettant en avant les incoh�rences des agences " gouvernementales ". Le FBI, charg� de la surveillance du territoire, �tait en effet mis en accusation pour sa mauvaise gestion des confrontations avec une secte texane et diff�rents mouvements " antigouvernementaux ". Dans ces conditions, la loi de mars 1996 avait �t� vid�e de toute extension des possibilit�s de surveillance de l'Etat f�d�ral.
+Rien de tel avec la loi du 26 octobre dernier. Celle-ci repose au contraire sur une extension consid�rable des possibilit�s de surveillance, notamment �lectroniques, et des �coutes t�l�phoniques. Elle donne une d�finition du terrorisme int�rieur qui est extr�mement large. Ainsi, toute personne se d�clarant comme repr�sentant - sans forc�ment �tre membre - d'une organisation terroriste, est consid�r�e comme terroriste. Toute aide, et, a fortiori, tout soutien financier, sont des activit�s terroristes s'ils ont contribu� � faciliter une quelconque attaque. Les membres de la famille d'un terroriste peuvent eux-m�mes �tre consid�r�s comme tels si le Garde des Sceaux le pense. Concr�tement, la liste des activit�s dites terroristes regroupe : toute tentative, menace ou r�alisation d'un d�tournement ou d'un sabotage de n'importe quel moyen de transport ; toute attaque contre une personne prot�g�e par le droit international (ambassadeur, titulaire de fonctions politiques etc.) ; enfin, toute utilisation d'une arme en vu de porter atteinte � la tranquillit� publique ou de d�truire la propri�t� d'autrui, ce qui s'ajoute aux autres crimes (incendie volontaire, explosion, meurtre, tentative de meurtre, etc) d�j� inscrits dans le droit p�nal f�d�ral. L'extension de la d�finition est telle que, pour certains observateurs, n'importe quelle dispute dans un bar pourrait maintenant tomber sous le coup d'une accusation de terrorisme ! Seules les mesures les plus controvers�es - l'extension de la d�tention provisoire - ont une dur�e de validit� de quatre ans.
+Bien loin de vouloir revenir sur ces mesures adopt�es dans l'urgence, l'administration r�publicaine, dans le cadre de sa nouvelle orientation budg�taire, tente de mettre en oeuvre une r�organisation des pouvoirs de l'administration f�d�rale. Un grand nombre de commentateurs y voient m�me une des tentatives les plus ambitieuses depuis la Seconde Guerre Mondiale.
+Le 8 octobre 2001, le Pr�sident a nomm�, par ordonnance, Tom Ridge, jusque l� Gouverneur r�publicain de Pennsylvanie, responsable de la s�curit� int�rieure. Il �tait initialement charg� de coordonner depuis la Maison Blanche les activit�s de d�fense civile de pr�s de 50 organismes f�d�raux dont la CIA et le FBI (m�me si le premier restait rattach� au Pentagone, et le second au Minist�re de la Justice). Les observateurs �taient d'abord sceptiques sur ses chances de s'imposer dans le labyrinthe administratif que constitue la machinerie f�d�rale. Et ce d'autant plus qu'il disposait d'une �quipe de 16 personnes et d'un budget symbolique !
+Mais en juin 2002, le Pr�sident a d�cid� de la cr�ation d'un Minist�re de la S�curit� du Territoire (Department of Homeland Security), initiative approuv�e � plus de 70% par 'opinion publique, et relay�e au Congr�s par le Repr�sentant Marc Thornberry (r�publicain, l Texas), et les S�nateurs Joe Lieberman (d�mocrate, Connecticut) et Arlen Specter (r�publicain, Pennsylvanie). Ce tout nouveau minist�re, dont Tom Ridge est le responsable, va regrouper 22 agences et services d�pendant actuellement de 8 minist�res diff�rents (ainsi des gardes-c�tes, des douanes, et, peut-�tre, des services de l'immigration). Contrairement � la pr�c�dente structure institu�e en octobre 2001, celle-ci ne regroupe ni le FBI ni la CIA. Le nouveau minist�re serait pourtant le 3�me minist�re en nombre de fonctionnaires (selon les formules, entre 170.000 et 200.000 personnes), et, regroupant une vaste palette de comp�tences, serait dot� d'un budget d'environ 38 milliards de dollars.
+Il compl�te le plan de r�organisation du FBI annonc� un mois auparavant. Secou�e par les scandales et plac�e sous pression constante par ses autorit�s de tutelle et les pouvoirs politiques, l'agence est dans une position de plus en plus d�licate. D'o� la n�cessit� pour son r�cent directeur - Robert Mueller a pris ses fonctions une semaine avant les attentats du 11 septembre ! - de reprendre la situation en main. Son plan annonce l'affectation de 600 agents, ordinairement charg�s de la lutte contre la criminalit� classique, � la lutte anti-terroriste (ce qui repr�sente une multiplication par quatre des effectifs anti-terroristes actuels). D'ici septembre 2002, le Bureau devrait au total engager 900 nouveaux agents (qui rejoignent les 7000 existants). Un nouveau bureau de renseignement devra centraliser toutes les informations sur la lutte contre le terrorisme. Il sera dirig� par un membre de la CIA ; et c'est l� d'ailleurs une des grandes nouveaut�s introduites par ce plan, l'association plus �troite de la CIA dans le fonctionnement des activit�s anti-terroristes du FBI. En effet, 25 membres de la CIA sont d'ores et d�j� d�l�gu�s au FBI, et d'autres doivent encore �tre r�partis dans les bureaux les plus importants. Enfin, concernant ses missions, le Bureau a des pouvoirs plus �tendus (d�sormais, il peut par exemple espionner des espaces traditionnels de libert� d'expression, comme les lieux de culte, les biblioth�ques et internet). Ainsi, l'extension de la mission anti-terroriste serait en train de faire profond�ment �voluer le FBI : il quitterait m�me son r�le de police pour devenir une agence de renseignement int�rieure, tout comme la CIA � l'�tranger.
+Ces deux initiatives institutionnelles, comme toutes celles �voqu�es jusqu'� pr�sent, renforcent encore le poids de l'Etat f�d�ral. L'�valuation que nous venons de faire des modalit�s de la lutte contre le terrorisme ne laisse donc que peu de place au doute. Bush Jr. risque de rejoindre son p�re comme un des pr�sidents r�publicains qui a le plus contribu� � la centralisation du pays au cours des derni�res ann�es. Que ce soit pour le budget ou la justice, le poids du pouvoir central se renforce, et ce avec le soutien de l'�crasante majorit� de l 'opinion publique : les sondages font �tat d'un niveau de confiance �lev� dans l'Etat f�d�ral, de l'ordre de ce qu'il �tait au d�but des ann�es soixante. Pendant l'administration Clinton, 20% des sond�s d�claraient faire confiance � l'Etat f�d�ral ; imm�diatement apr�s les attentats, le taux a bondi � 66 %. S'il a un peu baiss� depuis, il reste n�anmoins tr�s �lev�, ce qui facilite grandement les mesures centralisatrices de l'�quipe Bush.
+Ces diff�rents �l�ments plaident tous pour la m�me conclusion : le renforcement de l 'autorit� f�d�rale. Historiquement, pour faire face � des crises - �conomiques ou militaires -l 'Etat f�d�ral a toujours �t� le principal moteur de l'action. Il a �tendu, non seulement sa taille - telle que mesur�e par exemple en nombre de fonctionnaires - mais aussi son champ de comp�tences. Les �volutions du New Deal ou de la Seconde Guerre Mondiale furent, de ce point de vue, exemplaires. Il semblerait en aller de m�me actuellement.
+Or le puissant mouvement de centralisation auquel nous assistons depuis le 11 septembre ne contribue que tr�s modestement � une extension des comp�tences d�volues � l 'Etat f�d�ral. Les mesures de soutien �conomique annonc�es � l'automne prennent principalement la forme d'exemptions fiscales et non pas de transfert mon�taire. De m�me, les autorit�s " gouvernementales " ont, jusqu'� pr�sent, refus� d'attribuer aux centrales nucl�aires la m�me protection f�d�rale que celle dont b�n�ficient dor�navant les a�roports. D'autres exemples sont disponibles. Ainsi, malgr� des sondages indiquant une ouverture de l 'opinion publique sur ce point, les pouvoirs publics f�d�raux se refusent toujours � �tablir une carte d'identit� nationale. Seul le cas de la s�curit� a�rienne est clairement une extension - � la fois en termes de comp�tence et de fonctionnaires - du pouvoir f�d�ral.
+Comment rendre compte de cette relative modestie ? Pour nous, la guerre contre le terrorisme a une sp�cificit� en politique interne. Contrairement � une guerre " traditionnelle ", entre Etats souverains, elle contribue tout autant au renforcement des autorit�s f�d�r�es que des autorit�s f�d�rales. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la gestion du conflit a �t� du ressort de l'Etat f�d�ral, au d�triment des Etats f�d�r�s. Rien de tel dans le cas pr�sent. Le jeu des relations entre niveaux de gouvernement est � somme positive : autrement dit, la lutte contre le terrorisme renforce - un peu - l'Etat f�d�ral, certes, mais aussi les Etats f�d�r�s. Au moment de l'envoi des lettres porteuses du bacille du charbon, une douzaine d'Etats f�d�r�s ont cr�� leur propre structure de d�fense civile, alors que Tommy Thompson, Secr�taire d'Etat � la Sant�, ne semblait pas vraiment en position de mener une campagne d'envergure pour pr�venir la panique naissante.
+Les experts s'entendent pour souligner que l'actuelle lutte anti-terroriste renforce l'Etat f�d�ral avant tout dans ses fonctions l�gitimes, � savoir prot�ger les citoyens, et assurer leur d�fense. En fait, plut�t qu'un renforcement unilat�ral de l'Etat f�d�ral, on assisterait aussi � une participation accrue des Etats, des collectivit�s locales, voire du secteur priv� (dans la mesure o� les usagers devront certainement payer pour des am�liorations de leur s�curit� quotidienne. Dans un territoire aussi vaste que celui des Etats-Unis, le nombre de cibles potentielles est difficilement g�rable par une seule autorit�. Dans ces conditions, la s�curit� du territoire est forc�ment une activit� d�centralis�e ; les fonctions sont dispers�es entre les niveaux de gouvernement et ne peuvent pas �tre rassembl�es sous une seule autorit� : selon l 'Office of Management and Budget, pr�s de 70 agences - nationales ou locales - ont un poste budg�taire consacr� � la lutte contre le terrorisme, et ceci ne tient pas compte des services des D�partements d'Etat et de la D�fense, ni des services secrets. De ce fait, une grande partie du succ�s de la lutte anti-terroriste est due aux autorit�s locales.
+L'Etat f�d�ral, lui, se concentre dans des domaines qui ont toujours �t� les siens : l 'am�lioration des services de s�curit�, la protection des fronti�res et la lutte contre toute puissance ext�rieure qui soutiendrait d'une fa�on ou d'une autre les organisations terroristes. La r�cente r�organisation annonc�e du FBI va dans ce sens. Dor�navant, le Bureau ne devrait plus se pencher autant sur les attaques � main arm�e dans n'importe quelle banque du pays, mais concentrer ses �nergies sur une lutte nationale contre le terrorisme. Les autorit�s locales sont donc plac�es en premi�re ligne, et ressentent d'ailleurs le co�t des nouvelles attentes � leur endroit. En effet, une des cons�quences des attentats du 11 septembre a �t� une forte r�duction des services offerts par les Etats, les villes et les comt�s, � tel point que certains Etats envisageraient maintenant de supprimer toute aide aux villes, renfor�ant par l�-m�me le co�t de la s�curit� pour les gouvernements non-�tatiques. Le transfert des ressources f�d�r�es vers le poste de la protection anti-terroriste a donc �t� massif. Un article du Los Angeles Time soulignait ainsi que " Les autorit�s locales n'avaient pas eu une responsabilit� de cette envergure en mati�re de d�fense depuis l'�poque des Indiens et de la Fronti�re ". Ainsi, lorsque l'Etat f�d�ral a tent�, � l'automne, d'arr�ter pr�s de 5000 personnes pour les interroger, les polices locales ont �t� les premi�res concern�es. D�s les attentats, ce sont bien les forces de s�curit� locales, police et pompiers, qui ont �t� imm�diatement charg�es des op�rations. La suite des �v�nements a encore renforc� le poids des responsabilit�s sur les premiers secours (first responders), principalement du ressort des autorit�s locales.
+Les autorit�s f�d�rales, outre leurs comp�tences propres, doivent en fait coordonner les diff�rents acteurs sub�tatiques � l'oeuvre. C'est l� le r�le essentiel du tout nouveau Secr�tariat � la Protection du Territoire. Le th�me est loin d'�tre neuf : le trafic de drogue ou le crime international avaient d�j� suscit� ce genre de d�bat. Les �changes d'agents entre la CIA et le FBI ont �t� pratiqu�s depuis des ann�es. Mais la lutte contre le terrorisme devrait entra�ner une coordination � un niveau sup�rieur, par exemple celui des Secr�tariats d'Etat. En ce sens, la cr�ation du nouveau minist�re en juin dernier est une �tape essentielle. Elle est compl�t�e par la cr�ation, en avril 2002, d'un Commandement militaire sp�cifique et national (Northern Command) par Donald Rumsfeld. Ce nouvel outil est charg� des r�actions d'urgence en cas d'attaque terroriste, et peut mobiliser � la fois les moyens terrestres, navals, et a�riens des forces arm�es nationales. Il peut aussi, bien entendu, assister les autorit�s locales le cas �ch�ant.
+Ces deux nouvelles structures ne sont pas assimilables � une tentative de centralisation impos�e aux autorit�s subnationales. Au contraire, elles reposent toutes deux sur une pleine et enti�re reconnaissance des comp�tences des Etats et des gouvernements locaux. Les rapports entre les nouvelles institutions nationales et les autres niveaux de gouvernement se d�roulent donc sous le signe de la collaboration intergouvernementale.
+Sur la sc�ne politique am�ricaine, la guerre contre le terrorisme ne remet pas fondamentalement en cause les �quilibres f�d�raux. L'activisme des pouvoirs publics - et aussi du priv� - est certain, mais ne s'effectue pas au d�triment des autorit�s �tatiques et locales. Les probl�mes potentiels r�sident en fait dans le fonctionnement de cette collaboration : le d�bat en cours autour de la formation du D�partement de la S�curit� du Territoire en est la meilleure illustration. Un certain nombre d'experts soulignent que ce futur minist�re est charg� de trop de fonctions et devrait en fait se concentrer sur des objectifs plus pr�cis. L'inclusion de la Federal Emergency Management Agency (FEMA), par exemple, dans les comp�tences de ce nouveau Secr�tariat obligerait ce dernier � intervenir dans des situations bien �loign�es du terrorisme, comme les feux de for�ts ou les inondations.
+N�anmoins, au-del� de ces dispositions techniques, l'�volution en cours reste tout simplement dans le droit fil d'un f�d�ralisme dit " politique ", fait de collaboration entre les niveaux de gouvernement, et que la Cour Supr�me avait reconnu comme le fonctionnement r�gulier des institutions dans l'arr�t Garcia (1985). Si les mesures actuelles de l'�quipe Bush sont certainement en porte-�-faux par rapport � la jurisprudence plus r�cente de la Cour, elles sont par contre en plein accord avec la pratique politique des r�publicains au pouvoir. L'�quipe Bush Jr, comme les pr�c�dentes, n'h�site pas � utiliser les potentialit�s de l'administration f�d�rale lorsque cela est rendu n�cessaire par les circonstances. Ni Reagan, ni Bush Sr, ni Gingrich n'ont fait exception � cette r�gle. Bush Jr renoue, sans h�siter, avec cette pratique.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
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+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
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+Apr�s sa cuisante d�faite dans la guerre du Golfe de 1990 - 1991 et dix ann�es d'embargo qui ont profond�ment isol� le pays, Saddam Hussein n'en a pas moins continu� d'adapter et de perfectionner un dispositif militaire et de s�curit� qui ne repose plus que marginalement sur des capacit�s classiques. Les frappes diverses et autres incursions �trang�res lui ont appris � escamoter ses cibles les plus vitales, � savoir la personne physique des hauts responsables, les missiles sol-air de la D�fense a�rienne et d'�ventuelles armes de destruction massive, ainsi que quantit� d'autres cibles plus ordinaires. Elles lui ont �galement montr� les limites et les failles des m�thodes de surveillance occidentale. Le leader baasiste compte enfin sur la grande dispersion de son personnel militaire et la complexit� de l'organisation s�curitaire qu'il a �difi�e pour le prot�ger, maintenir la population irakienne dans l'inertie, et peut-�tre mener des op�rations de gu�rilla contre les forces, am�ricaines ou autres, qui se risqueraient � l'int�rieur du pays.
+L'Irak, disaient les sp�cialistes � la fin des ann�es 1980, �tait l'un des pays les plus m�connus au monde. Avec l'embargo, les ann�es 1990 ont encore aggrav� cette situation, en isolant ce pays autrefois fr�quentable. En d�pit d'un contexte de guerre annonc�e, l'adversaire irakien de Washington reste insaisissable, si ce n'est par des analyses se focalisant sur les " capacit�s militaires " de Saddam Hussein. Or les guerres, pour reprendre l'expression d'un expert, ne tiennent jamais � des " facteurs tangibles ", c'est-�-dire chiffrables (nombre d'hommes, de chars ou de missiles dans chaque camp). Le r�gime actuel a surv�cu plus de 30 ans � d'innombrables dangers qui ont contribu� � forger un dispositif de s�curit� sophistiqu�, dont le r�le durant le conflit pourrait �tre d�terminant. Ce dispositif, initialement simple, s'est enrichi dans l'�preuve, pragmatiquement. Il est le r�sultat d'une sorte d'apprentissage, fait d'erreurs, de corrections, de perfectionnements. Par sa plasticit�, il offre � Saddam, au-del� des seules capacit�s militaires, un ensemble de ressources qui pourraient se r�v�ler utiles en temps de guerre.
+Le r�gime actuel a pris le pouvoir � l'occasion d'un coup d'Etat militaire, orchestr� par le parti Baas, qui demeure le parti unique en Irak � ce jour. Pour asseoir son autorit�, il a proc�d� au remaniement de l'appareil de s�curit� et au d�veloppement d'institutions propres. Il a h�rit� d'un dispositif de coercition classique, comprenant une arm�e de taille mod�r�e (n�e en 1921 et incluant une force a�rienne, la plus ancienne du monde arabe), un service de renseignement militaire dit Istikhbarat (charg�, depuis le d�but des ann�es 1930, � la fois d'informer l'arm�e et de garantir sa loyaut�) et une police politique connue sous le nom de Amn, ou S�ret� (remontant aux ann�es 1920). A ces v�n�rables anc�tres datant de la Monarchie s'ajoutait une innovation ult�rieure majeure, la Garde r�publicaine, form�e en 1963 � partir d'�l�ments de l'arm�e r�guli�re. Consacr� � la protection de la Pr�sidence et agissant sous son autorit� directe, ce corps d'�lite est l'a�eul des fameuses Gardes r�publicaines de Saddam Hussein.
+De ces quatre structures, l'arm�e est celle qui a connu les transformations les plus spectaculaires. Rassemblant 50 000 hommes en 1968, elle en aurait compt� pr�s de dix fois plus en 1980. Cet �largissement s'est accompagn� de la p�n�tration de l'institution militaire par le Parti. L'admission � l'Acad�mie militaire a �t� restreinte aux seuls membres du Baas. La peine de mort est venue sanctionner toute activit� politique alternative dans l'arm�e. Comme il �tait th�oriquement possible � l'ancienne g�n�ration de demeurer apolitique, les soldats ont �t� encourag�s � d�sob�ir aux ordres d'officiers non baasistes au cas o� ils les jugeraient " suspects ".
+Le recrutement militaire, r�pondant � des crit�res id�ologiques nouveaux, maintenait cependant d'anciens principes de s�gr�gation communautaire. Les Anglais, sous la Monarchie, avaient rapidement institu� une politique discriminatoire d'admission � l'�cole militaire, favorisant les Arabes sunnites au d�triment des Kurdes et des Arabes chiites. En outre, le d�clin �conomique amorc� � cette �poque par la bourgade de Tikrit, patrie de Saddam, avait engendr� de nombreuses vocations militaires. Pr�existait donc au coup d'Etat de 1968 une sorte de corps sur lequel les nouveaux dirigeants politiques, eux-m�mes sunnites et originaires de Tikrit, pouvaient compter. Le r�gime n'a fait qu'accentuer ces tendances sectaires au sein de l'arm�e. Lorsque Saddam Hussein a rev�tu les fonctions de pr�sident de la R�publique, en 1979, des Tikriti occupaient presque tous les postes pr��minents de commandement.
+Parall�lement � ces r�formes, le r�gime a inaugur� des instruments in�dits en mati�re de s�curit�. Deux d'entre eux m�ritent mention. Il s'agit de l'Arm�e populaire et d'un autre service de renseignement, non militaire cette fois, dit Moukhabarat. Issus du Parti et formant d'embl�e des organes relativement s�rs, ils venaient concurrencer l'arm�e r�guli�re et la S�ret�, deux institutions dont la fid�lit� n'�tait pas acquise a priori.
+Mise sur pied au d�but des ann�es 1970, l'Arm�e populaire est l'avatar d'une milice aussi �ph�m�re que redoutable, responsable des quelques mois de terreur post-r�volutionnaire qui ont suivi la premi�re et br�ve accession des baasistes au pouvoir en 1963. Les Moukhabarat, �tablis en tant que tels vers 1973, sont issus d'un organe de s�curit� interne �labor� par le Parti, contraint d'agir, entre 1963 et 1968, dans la clandestinit�. Saddam Hussein, r�put� �tre l'architecte de cet organe implacable, rassemblant un noyau dur de militants des plus engag�s, y a certainement �t� � bonne �cole.
+En 1973, une spectaculaire tentative d'assassinat lui fournit le pr�texte n�cessaire � une v�ritable refonte : pr�par�e par le directeur g�n�ral de la S�ret�, Nadhem Gezar, elle ne visait pas moins que le pr�sident de la R�publique, Ahmed Hassan al-Bakr, et l'homme fort du moment, Saddam Hussein. Seul le ministre de la D�fense y a perdu la vie ; le r�gime, lui, gagnait une excellente occasion d'asseoir son pouvoir. Outre diverses mesures renfor�ant l'autorit� du pr�sident et des hautes instances du r�gime, l'affaire Gezar a justifi� le remaniement et l'expansion soudaine des services de s�curit�. Elle a favoris� l'�tablissement des Moukhabarat comme organe concurrent de la S�ret�. Quant � l'arm�e populaire, encadr�e par le Parti mais plac�e par pr�caution sous le contr�le op�rationnel des Moukhabarat, elle a amorc� une forte progression de fa�on � accompagner la croissance de l'arm�e. Mobilisant 50 000 hommes en 1977, elle en rassemblait 250 000 en 1980.
+Pour verrouiller son emprise sur ce dispositif en pleine croissance, Saddam Hussein a eu recours � deux formes de centralisation de l'autorit�. L'une consistait � nommer des proches � des postes-clefs, tout en veillant � se pr�munir de leurs ambitions personnelles. Taha Yassin Ramadhan, camarade de lutte d'une loyaut� sans faille, commandant de l'arm�e populaire � partir de 1974, �tait ainsi flanqu� d'un second rapportant directement � Saddam. Dans un m�me esprit, celui-ci nommait son demi-fr�re, Barzan Ibrahim al-Hassan, adjoint au directeur g�n�ral des Moukhabarat d�s leur conception. L'autre forme de centralisation, plus institutionnelle, consistait � court-circuiter les hi�rarchies traditionnelles dans certains secteurs sensibles. Ainsi, les escadrons d'attaque de la Force a�rienne sont pass�s d�s 1978 sous la coupe de Saddam Hussein. Plus tard, la S�ret� et les Istikhbarat, soustraits aux minist�res de l'Int�rieur et de la D�fense, respectivement, ont de m�me �t� soumis � la tutelle d'une pr�sidence concentrant toujours plus d'autorit�.
+Tout ce processus sera renforc� par le d�veloppement de l'image de l'ennemi int�rieur, relais des " imp�rialistes " et autres " sionistes ", avant que l'identification des minorit�s irakiennes " complices " soit bient�t doubl�e de celle d'un ennemi ext�rieur autrement important : l'Iran.
+Ayant pris officiellement les commandes du pays, s�r de ses forces, persuad� de pouvoir vaincre l'Iran en quelques op�rations d�cisives, Saddam Hussein a jet� l'Irak dans un conflit inutile et �puisant. L'armistice du 8 ao�t 1988 a arr�t� les comptes, selon les estimations les plus pessimistes, � 500 000 morts dans chaque camp. Pourtant, huit ans de combats acharn�s ont � peine alt�r� le trac� des fronti�res. A l'int�rieur du pays, en revanche, la situation a consid�rablement chang� : � bien des �gards, l'Irak s'est ruin� par son �norme effort de guerre. Mais les forces arm�es et l'appareil de s�curit� se sont �panouis, leur renforcement dans les ann�es 1970 c�dant la place � une formidable explosion.
+L'arm�e, b�n�ficiant d'un programme d'armement massif, a connu � cette �poque une nouvelle inflation, comptant pr�s d'un million d'hommes � la fin de la d�cennie. Ce chiffre �vocateur a aid� � faire de l'Irak, apr�s l'invasion du Kowe�t, cet ennemi terrible requ�rant une coalition de 33 pays, dont les plus puissants au monde. En fait, la croissance num�rique de l'arm�e, autant que son surarmement, servait � compenser de graves d�ficiences. Elle souffrait d'abord d'un style rigide de commandement. Politique et hyper centralis�, celui-ci laissait peu d'initiative aux professionnels de la guerre. Une planification excessive des op�rations aboutissait � un manque fatal de r�activit�. Les plans d'attaque, fixant parfois des objectifs chim�riques, �taient �labor�s sous la supervision personnelle du commandant en chef des Forces arm�es, c'est-�-dire de Saddam. Les unit�s sur le front ne pouvaient ni annuler un assaut, ni frapper des cibles impromptues sans en r�f�rer aux quartiers g�n�raux.
+Le succ�s du concept d'arm�e id�ologique est un second handicap � relever. L'arm�e, plac�e sous la surveillance des Istikhbarat, �tait aussi travers�e d'un maillage de structures du Parti doublant la hi�rarchie militaire et veillant au respect d'une stricte orthodoxie politique. Le " bureau militaire " du Baas et les Istikhbarat examinaient s�par�ment les candidatures aux postes d'officiers. Peu attentif aux aptitudes militaires, ils scrutaient les activit�s civiles des grad�s. Les commandants s�lectionn�s, craignant constamment les accusations de d�loyaut�, se pliaient ensuite � des ordres absurdes pour manifester leur totale soumission. Ces consid�rations politiques ont d'abord promu une norme de m�diocrit� militaire au sein de l'arm�e.
+Il subsistait naturellement des commandants valeureux. Les besoins en personnel avaient d'ailleurs eu le m�rite d'ouvrir plus �quitablement le recrutement des grad�s � la population chiite, qui ne fournissait pas seulement, comme on l'a parfois pr�tendu, la " chair � canon ". Nombre d'officiers chiites comp�tents ont pris la t�te de corps d'arm�e et les h�ros acclam�s parmi eux n'�taient pas l'exception. La guerre, qu'il fallait bien gagner, obligeait le r�gime � ne pas trop s'ali�ner une hi�rarchie frustr�e de ses pr�rogatives et allant jusqu'� donner quelques signes de mutinerie. Confront� � de cuisantes d�faites et � la strat�gie iranienne de " mar�e humaine ", Saddam a d� s'en remettre, finalement, aux conseils de quelques commandants de confiance.
+Ce changement ne signifiait pas la cons�cration publique du talent militaire, au contraire. A ce moment, Saddam Hussein a justement modifi� sa strat�gie m�diatique, rel�guant dans l'ombre les officiers les plus illustres pour se prot�ger de leur popularit�. Une s�rie d'accidents suspects, causant notamment la mort d'Adnan Kheirallah Tulfah, cousin et beau-fr�re du pr�sident, cumulant les postes de commandant en chef adjoint des forces arm�es, de ministre de la D�fense et de vice-Premier ministre, a incit� les h�ros ayant surv�cu au conflit � opter d'eux-m�mes pour la plus grande modestie et la plus parfaite discr�tion.
+Conform�ment � sa vocation de contrepouvoir, l'Arm�e populaire s'est �tendue proportionnellement aux forces r�guli�res. Selon son commandant Taha Yassin Ramadhan, elle d�passait en 1984 les 500 000 conscrits et venait d'�tre dot�e d'armes lourdes. Son r�le sur le front la pla�ait surtout en soutien � l'arm�e. Palliant le vide cr�� par la concentration des forces � l'est, elle assurait aussi des campagnes d'arrestation de d�serteurs et diverses fonctions de logistique et de contr�le dans l'arri�re-pays.
+Dans le courant de la guerre, deux autres formations sont venues peser dans ce jeu de contrepoids. La Garde r�publicaine, initialement pr�torienne, s'est mu�e en une vaste force offensive, s'ajoutant aux arm�es r�guli�re et populaire. Et l'expansion de la force a�rienne a conduit au d�ploiement d'un Corps a�rien de l'arm�e, pourvu essentiellement d'h�licopt�res et ind�pendant du reste de l'aviation. Redoutant ses propres avions, le r�gime a �galement r�duit, par un entra�nement minimal, les capacit�s op�rationnelles des pilotes d'attaque. Autre signe de d�fiance, la Garde r�publicaine et l'Arm�e populaire ont �t� �quip�es d'un arsenal de D.C.A. consid�r� sup�rieur � celui de la D�fense a�rienne, qui relevait de l'arm�e.
+Malgr� une organisation et une doctrine comparables, d'inspiration sovi�tique, la Garde se distinguait de l'arm�e par sa capacit� � mener des op�rations plus complexes et impliquant des blind�s. Recevant l'�quipement le plus moderne gr�ce � un syst�me d'approvisionnement sp�cifique et prioritaire, elle devait son efficacit� � un personnel de qualit�, motiv� par le prestige de ses fonctions et par les avantages qui y �taient attach�s, en terme de soldes, primes, permissions, rations, achats subventionn�s, etc. S'�bauchait ainsi un syst�me de pr�s�ances que le r�gime a syst�matis� par la suite. La Garde inaugurait en outre une forme nouvelle de recrutement, faisant appel aux contingents de quelques grandes tribus arabes et sunnites, alli�es du r�gime. Ainsi, le r�gime d�savouait ouvertement le concept d'arm�e id�ologique, fondement m�me de l'arm�e.
+Les effectifs de la Garde r�publicaine ont �t� particuli�rement renforc�s au cours des deux derni�res ann�es du conflit. Elle d�passait les 100 000 hommes lors de l'armistice et atteignit sa taille maximale de 150 000 hommes � la fin de la d�cennie. Multipliant les succ�s face � un ennemi affaibli, elle a jou� un r�le concluant dans la " victoire " finale de l'Irak contre l'Iran. Performante et loyale, rompue � l'usage des gaz de combats employ�s en coordination avec le Corps a�rien pour endiguer les " mar�es humaines " iraniennes, la Garde r�publicaine s'annon�ait enfin comme une arme de choix en politique int�rieure.
+Deux formations apparues dans la premi�re moiti� des ann�es 1980 restent aujourd'hui encore aussi obscures que d�cisives. Il s'agit de la S�curit� sp�ciale, organe infiltrant et chapeautant l'ensemble de l'appareil militaire et de s�curit�, et de la Garde r�publicaine sp�ciale, force distincte de la Garde r�publicaine, bien qu'elle lui ait succ�d� dans ses fonctions de protection du Palais. Selon les avis, elle serait issue d'unit�s de la Garde stationn�es � Bagdad pendant la guerre ou d'un premier bras arm� de la S�curit� sp�ciale. Quoi qu'il en soit, elle appara�t comme une structure bien d�limit�e par une t�che unique : isoler physiquement les centres n�vralgiques du r�gime de leur environnement mena�ant. Cet objectif simple implique en fait une extr�me polyvalence, pour garder les �difices vitaux du pouvoir, tenir front � une s�dition de blind�s ou couvrir les d�placements furtifs de Saddam Hussein. La Garde r�publicaine sp�ciale a en outre re�u tr�s t�t ses propres armes de D.C.A., ce qui illustre � quel point la notion de redondance est un pr�cepte structurant du dispositif de s�curit� irakien.
+Les origines de la S�curit� sp�ciale, service le plus secret et le plus sensible du r�gime, sont encore plus incertaines. Sa structure pr�cise et l'�tendue exacte de ses affectations ne sont pas accessibles � un observateur ext�rieur au monde du renseignement. Il serait d'ailleurs surprenant que m�me les agents de ce service aient une vision compl�te et d�taill�e de son organisation. N�anmoins, on peut tenter de la d�crire grossi�rement en deux points.
+D'une part, la S�curit� sp�ciale s'est impos�e comme l'instrument de contr�le d'un appareil militaire et de s�curit� en pleine effervescence. La guerre contre l'Iran et le d�veloppement �conomique du pays, impliquant une importante pr�sence �trang�re en Irak, a command� une forte expansion des Istikhbarat et des Moukhabarat, s'ajoutant � celle de l'arm�e, de l'Arm�e populaire et de la Garde r�publicaine. Les effectifs de la S�ret� ont �galement progress� durant les ann�es 1980, bien qu'ils aient �t� purg�s par Ali Hassan al-Majid, cousin de Saddam, et que son importance relative au sein de l'appareil de s�curit� ait eu tendance � diminuer. Charg�e de d�celer toute dissidence, la S�curit� sp�ciale s'est appuy�e dans chacune de ces institutions sur des �l�ments recrut�s discr�tement, coopt�s pour un loyalisme absolu et pr�alablement �prouv�.
+D'autre part, elle s'est affirm�e comme une sorte de pouvoir ex�cutif propre aux int�r�ts sup�rieurs du r�gime. Les ordres �mis ou transmis par ses agents sont indiscutables. Son intervention signifie toujours que l'affaire est d'importance en haut lieu. Ainsi, la Garde r�publicaine, relevant officiellement du Commandement en chef des forces arm�es, lui a �t� fonctionnellement subrdonn�e. Mais c'est surtout dans le domaine dit de l'" industrialisation militaire " que son r�le d'ex�cutif occulte s'est r�v�l�. Hussein Kamel Hassan al-Majid, neveu et gendre de Saddam Hussein, cerveau de l'industrialisation militaire et architecte suppos� de la S�curit� sp�ciale, a mis celle-ci au service du programme ambitieux d'armement et d'approvisionnement militaire, secteur exigeant, sensible et formateur s'il en est. La S�curit� sp�ciale a notamment jou� un r�le-clef dans la mise en place d'un r�seau de fournisseurs via des soci�t�s-�crans, dans le d�tournement d'infrastructures civiles � des fins militaires, dans la coordination des acteurs divers du secteur et dans la protection de l'information, gr�ce � un cloisonnement accru de l'appareil de s�curit� et � la mise en oeuvre des techniques de dissimulation indispensables � ce programme.
+Bref, les ann�es 1980, ponctu�es par une guerre ogresse, par des besoins insatiables en armement et par une terrible op�ration de r�pression (dite Anfal) au Kurdistan, ont �t� les ann�es d'une activit� intense du point de vue de l'appareil de s�curit�. Les horreurs de l'op�ration Anfal, orchestr�e par Ali Hassan al-Majid, ont laiss� comme symbole le gazage de Halabja. Du point de vue de l'appareil de s�curit�, elles ont d�montr� l'efficacit� de petites unit�s paramilitaires, compos�es d'�l�ments tribaux, de militants baasistes et d'agents de l'appareil de s�curit�, milices dont l'usage s'est aujourd'hui syst�matis�.
+La strat�gie adopt�e pour envahir le Kowe�t, en ao�t 1990, signalait le d�clin de l'arm�e. La ma�trise des airs, assur�e par la Force a�rienne, a permis le largage, par des h�licopt�res du Corps a�rien, de commandos de la Garde r�publicaine aux points strat�giques de l'�mirat. L'arm�e n'a servi, plus tard, que de force d'occupation. Pour la petite histoire, c'est par la radio que le ministre de la D�fense et le chef d'�tat-major de l'arm�e auraient pris connaissance de l'invasion. L'humiliation de l'institution militaire ent�rinait la perte progressive, durant les ann�es 1980, de ses fonctions de r�pression interne et de socialisation de la population dans une perspective de construction nationale, etc. Face � la coalition des Alli�s, l'arm�e a d'ailleurs c�d� � une d�bandade quasi g�n�ralis�e. La Garde r�publicaine, au contraire, s'est montr�e digne des espoirs que le r�gime avait plac�s en elle.
+La d�faite patente de l'Irak montrait � l'�vidence la faillite d'une strat�gie d�pass�e. Statique et essentiellement d�fensive, inspir�e des tactiques sovi�tiques et de la guerre contre l'Iran, min�e par des consid�rations s�curitaires et d'incroyables erreurs de jugement, cette strat�gie ignorait surtout qu'aucune guerre classique ne pouvait �tre gagn�e contre les Etats-Unis. L'arm�e irakienne n'avait jamais r�ussi � ma�triser des op�rations coordonn�es complexes. La sup�riorit� technique acquise face aux Iraniens, pr�cis�ment pour compenser de telles d�faillances, devenait d�risoire compar�e � l'avance de l'OTAN.
+Saddam Hussein a vite compris qu'il existait des r�ponses imaginatives et non technologiques � opposer aux armements de l'ennemi. Confront� � la supr�matie a�rienne am�ricaine, le r�gime a ordonn� aux servants de la D�fense a�rienne d'�vacuer leurs positions de tir en moins de trois minutes, initiant la technique des tirs furtifs. Il a diss�min� de nombreux blind�s dans les villes, notamment � Bagdad, o� sont rest�es intactes jusqu'� la fin de la guerre des unit�s enti�res de la Garde r�publicaine. Les avions rescap�s des premi�res nuits de bombardement ont �galement �t� dispers�s, gar�s dans des zones urbaines, int�gr�s � des sites arch�ologiques, abrit�s sur des routes d�tourn�es ou encore dissimul�s dans des hangars d�j� d�truits. Le Corps a�rien, riv� au sol et escamot� d'embl�e, n'a ainsi perdu en tout que six h�licopt�res.
+De m�me, les employ�s de l'appareil de s�curit� ont d�sert� leurs locaux officiels. Certains dormaient dans leurs voitures ou s'invitaient dans des familles qui ne pouvaient gu�re leur refuser l'hospitalit�. D'autres disposaient d�j� de locaux banalis�s. D�s les ann�es 1970, la S�ret� avait install� des antennes locales dans les quartiers, rachetant des pavillons d'habitation � des prix impos�s. Cette politique s'est �tendue apr�s les bombardements massifs de 1991. Il est notoire que Saddam Hussein lui-m�me, pendant les frappes, a eu recours � une mobilit� constante plut�t qu'aux fortifications, quitte � passer lui aussi la nuit " chez l'habitant ", entour� de gardes du corps. Les Etats-Unis, sait-on aujourd'hui, souhaitaient pourtant le localiser pour le tuer d'un missile bien plac�.
+Ces exemples d'esquive convergent vers une doctrine nouvelle et tacite de pr�servation. Trois facteurs majeurs ont contribu� � la survie du r�gime. Tout d'abord, la pr�servation de Bagdad comme sanctuaire, malgr� de nombreux sacrifices, a fait para�tre Saddam Hussein comme difficilement " d�logeable ", � moins d'une invasion hasardeuse de la capitale. Ensuite, la pr�servation au sein des forces arm�es des forces dites " frappantes " (quwat dhareba) a autoris� de surprenantes contre-attaques face � un adversaire enorgueilli par la faible r�sistance de l'arm�e. Plus fid�les et plus motiv�es que les unit�s r�guli�res, ces unit�s d'�lite sp�cialis�es dans les op�rations ponctuelles s'�taient justement �clips�es durant la premi�re phase du conflit, s'abritant dans le tissu urbain de Bagdad. Enfin, la pr�servation de l'appareil de s�curit�, dans ses dimensions pr�emptive et r�pressive, assurait au r�gime, affaibli, de rester ma�tre de sa population.
+Avec les encouragements de Georges Bush, des r�voltes ont �clat� lors du retrait alli� dans presque tout le pays, d'abord dans le sud chiite, puis au Kurdistan. Les soul�vements ont touch� jusqu'� certains secteurs de la capitale. Ce qu'on a appel� une " Intifada " ressemblait beaucoup, � vrai dire, � des �meutes d�sordonn�es. Pillages et carnages y �taient la norme en l'absence de direction politique. Le pouvoir en place a �touff� sans mal ce feu de paille attis� puis d�laiss� par Washington. Les villes, les campagnes et surtout les m�moires portent aujourd'hui encore les marques d'une r�pression dont la Garde r�publicaine et, dans une moindre mesure, le Corps a�rien ont �t� les instruments de pr�dilection. Les Irakiens, dont beaucoup avaient d'abord cru au r�gime, voire adul� Saddam Hussein, n'en �taient certes pas � leurs premiers d�senchantements. N�anmoins, la guerre et l'Intifada ont sign� un divorce plus formel entre le pouvoir et la population. Cette fois, chacun avait irr�m�diablement failli � l'autre. L'embargo a facilit� cette rupture en devenant le responsable d�sign� de la souffrance du peuple et du retard du pays. Dispens� de prodiguer un quelconque bien-�tre social, conscient de l'inanit� de toute relance id�ologique, le r�gime s'est d�s lors consacr� � la seule d�fense de ses int�r�ts vitaux.
+Les transformations de son dispositif militaire apr�s la guerre r�sument bien la r�vision de ses ambitions. Saddam a pris acte de l'ampleur de la d�b�cle et des limitations impos�es par la tutelle internationale � la fabrication et � l'importation d'armements nouveaux. L'arm�e r�guli�re aurait �t� r�duite � 350 000 hommes environ. Au-del� des chiffres, elle souffre surtout de la d�moralisation des soldats, de la d�fiance du r�gime et d'une grave p�nurie de pi�ces de rechanges pour un armement extr�mement diversifi�. Lui a �t� retir� le commandement de la D�fense a�rienne, formation qui s'est distingu�e par sa vaillance et son utilit� durant le conflit. Contrepartie douteuse, un d�partement des Istikhbarat, la S�curit� militaire, en a �t� d�tach� en 1992 pour former un troisi�me organe de surveillance impos� � l'arm�e. S�curit� militaire et D�fense a�rienne sont pass�s sous le contr�le direct de la Pr�sidence, conform�ment � une logique de centralisation toujours renforc�e.
+La Force a�rienne et l'Arm�e populaire ont �galement p�ti des restructurations d'apr�s-guerre. Apr�s une prestation lamentable face aux Alli�s, l'aviation s'est vu couper les ailes par la mise en place d'immenses zones d'exclusion a�rienne, limitant ses capacit�s d'intervention et d'entra�nement. L'Arm�e populaire, r�form�e en tant que telle, s'est r�incarn�e sous diverses formes d�g�n�r�es, dont l'Arm�e de lib�ration de J�rusalem (jeish tahrir al-quds) n'est que la derni�re en date. N� en 1998, ce monstre de 7 millions de soi-disant " volontaires ", burlesques et d�motiv�s, sert des fonctions de propagande et de domination qui n'ont rien de militaire.
+En revanche, le r�gime a patronn� trois formations importantes. Bien qu'il ait r�duit de moiti� les effectifs de la Garde r�publicaine, pass�e de 150 000 � 70 000 hommes, il a veill� � en reconstituer les pr�cieuses unit�s m�canis�es et blind�es. Pour ce faire il a eu recours, outre quelques importations ill�gales, � la cannibalisation des mat�riels rescap�s du pilonnage, souvent au d�triment de l'arm�e. Le r�gime s'est aussi d�tourn� de son aviation au profit d'un Corps a�rien plus op�rationnel. Il en a consolid� les escadrons habitu�s � op�rer en coordination �troite avec la Garde r�publicaine. L'importation de pi�ces de rechange s'est d'ailleurs r�v�l�e plus facile pour les h�licopt�res, qui b�n�ficient d'un double statut civil et militaire. Enfin, les incursions quasi quotidiennes des avions anglo-saxons dans les zones d'exclusion a�rienne et les " frappes " r�guli�res de missiles de croisi�re ont stimul� l'int�r�t port� par Saddam Hussein � la D�fense a�rienne, r�nov�e et amadou�e par des privil�ges semblables � ceux dont b�n�ficie la Garde r�publicaine. On ne saurait souligner assez que c'est l� la principale disposition militaire classique prise par l'Irak contre un adversaire �tranger.
+En somme, le r�gime a remodel� et r�orient� ses forces arm�es pour aller vers un syst�me plus s�r et plus compact, au caract�re r�pressif et d�fensif. Dans cette configuration, il ne repr�sente plus gu�re, en d�pit des accusations des Etats-Unis, une menace pour ses voisins. Saddam Hussein per�oit plut�t l'arm�e, la Garde r�publicaine et le Corps a�rien comme une menace � son encontre, bien qu'ils garantissent son h�g�monie gr�ce au monopole de l'artillerie lourde et des blind�s. Depuis 1988, la Garde r�publicaine est cantonn�e � la p�riph�rie de la capitale, o� elle d�limite � son tour un p�rim�tre d'acc�s interdit � l'arm�e r�guli�re. Dans tout le pays, un r�seau de checkpoints d�tecte le moindre mouvement de troupes. A chacun de ces checkpoints, au moins dix plantons relevant de hi�rarchies diff�rentes incarnent la m�fiance ambiante. Reste � dire que chaque unit� comprend un agent de renseignement officiel, disposant de plus d'autorit� que son commandant effectif, et d'autres rapporteurs plus officieux, pour mesurer � quel point les consid�rations s�curitaires priment sur toutes les autres formes d'efficience, notamment militaire.
+Quant � l'armement non conventionnel du r�gime, qu'il existe ou non, il ne peut avoir d'utilit� sans l'appui de forces conventionnelles, sauf en cas d'agression. Il para�t de toute fa�on exag�r� par les Etats les plus va-t-en-guerre. La r�activation des programmes des ann�es 1980 exigerait l'importation ill�gale mais facilement d�celable de toutes sortes d'�quipements, �tant donn�e l'ampleur du d�mant�lement des infrastructures r�alis� par l'ancienne commission en d�sarmement des Nations unies (UNSCOM). Elle offrirait donc, en toute logique, des pi�ces � conviction abondantes.
+En temps normal, la survie de Saddam Hussein d�coule d'une savante mainmise sur le pays. En politique int�rieure, ses principales sources de contrari�t� ont trouv� des solutions durables au cours des ann�es 1990. Le r�gime a malmen� la communaut� chiite et d�capit� sa hi�rarchie religieuse. Il a men� � bien l'ass�chement des marais, au sud, ancien sanctuaire de d�serteurs et d'opposants. L'autonomie octroy�e aux trois " gouvernorats " du Nord a r�gl� le probl�me que posait l'asile inexpugnable des montagnes du Kurdistan. Dernier refuge naturel, de luxuriantes palmeraies ont �t� d�truites sur des surfaces consid�rables. Quant au tissu urbain, il reste quadrill� par un maillage d'informateurs renseignant efficacement Moukhabarat et S�ret�. Pour parfaire son contr�le du territoire, le r�gime a �largi son dispositif s�curitaire en y int�grant les tribus, jug�es responsables de leurs membres et des r�gions qu'elles occupent.
+Lorsque des troubles localis�s surgissent, le r�gime applique un principe de responsabilit� collective et intervient brutalement. Une technique usuelle consiste � encercler, voire bombarder, le village ou le quartier concern� avant d'y mener des rafles. La S�curit� Sp�ciale, les Moukhabarat, la S�ret� et le Parti disposent tous de leurs bras arm�s paramilitaires, qui op�rent souvent en collaboration avec la Garde r�publicaine et les troupes r�guli�res. L'usage simultan� de plusieurs de ces formations illustre une fois encore la notion de redondance. Pour compliquer ce jeu de contrepoids, le fils a�n� de Saddam Hussein, Oudei, y a ajout� en 1995 sa propre milice, probablement pour contrer l'emprise de son fr�re cadet Qousei sur l'appareil de s�curit�. Form�s de jeunes d�sh�rit�s, tri�s sur le volet, endoctrin�s et soumis � un entra�nement s�v�re, ces " Fedayin de Saddam " n'apportent pourtant rien de nouveau � un appareil amplement suffisant pour ma�triser une population essentiellement inerte.
+Au plan interne, les menaces les plus s�rieuses viendraient donc de l'appareil de s�curit� lui-m�me... s'il n'avait �t� soigneusement verrouill�. A vrai dire, il est impossible de rendre compte de la pl�thore de pr�cautions prises en r�ponse aux tentatives d'assassinat, aux coups d'Etat manqu�s, aux complots ourdis jusqu'au sein de la Garde sp�ciale, aux trahisons de proches tels que Hussein Kamel, ainsi qu'aux moyens dispens�s � l'�tranger pour subvertir le syst�me. Se m�lent recouvrements de comp�tences, concurrence entre services, contr�les crois�s, d�doublement des m�canismes de commandement, redistribution permanente du personnel, fabrication de " conspirations-hame�ons ", etc. Cette complexit� ne doit pas, d'ailleurs, faire illusion. L'appareil de s�curit� n'est pas une machinerie parfaite, rationalis�e. La S�ret� et les Moukhabarat, par exemple, sont min�s par une corruption notoire, non seulement tol�r�e mais int�gr�e et instrumentalis�e par le r�gime. C'est l� le point important : cette architecture est perp�tuellement en mouvement. Or le mouvement est une ressource de ce r�gime qui est tout sauf conservateur.
+La plasticit� du r�gime est un facteur ignor� dans toutes les anticipations de la guerre. Constatant que les " options militaires " de l'Irak sont limit�es, les analystes n'envisagent comme alternative � ces options classiques que le sc�nario catastrophe des " armes de destruction massive ". Ils n'entrevoient rien, semble-t-il, entre une d�bandade assur�e des forces arm�es irakiennes et une sorte d'apocalypse, renvoyant � l'imaginaire du dictateur fou. En Irak, pourtant, on craint moins la possibilit� d'un suicide d�vastateur que celle d'un usage strat�gique et retors de gaz de combat, qui serait �ventuellement attribu� � l'arm�e des Etats-Unis pour galvaniser l'opposition populaire contre " l'agresseur ".
+Saddam Hussein, pragmatique, s'est assur�ment aguerri face aux menaces ext�rieures. Les " frappes " et autres ing�rences �trang�res l'ont pr�par� � cette confrontation ultime. Elles lui ont appris � escamoter ses cibles les plus vitales, � savoir la personne physique des hauts responsables, les missiles sol-air de la D�fense a�rienne et d'�ventuelles armes de destruction massive. Les inspecteurs eux-m�mes lui ont montr� les limites et les failles des m�thodes de surveillance occidentale. Il oblige ainsi ses ennemis � se rabattre sur des cibles offertes, coquilles vides des �difices officiels ou centres de commandements de la D�fense a�rienne, centres dont l'importance au sein du syst�me de d�fense n'est plus n�cessairement cruciale. Le r�gime escamote parfois jusqu'aux cibles les plus ordinaires. Lors des bombardements de 1998, des �coles, ainsi que des installations industrielles et des hangars alimentaires, ont accueilli des d�p�ts de munitions. Ces �coles abritent actuellement les membres du Parti charg�s de maintenir l'ordre dans chaque quartier. Ceux-ci ont quitt� leurs locaux officiels, imitant l'ensemble de l'appareil de s�curit�.
+Le r�gime compte sur la dispersion de son personnel pour maintenir la population dans l'inertie, peut-�tre m�me pour mener des op�rations de gu�rilla contre des forces am�ricaines oblig�es de s'engager dans le pays profond. Toutes les formations paramilitaires cit�es plus haut sont rompues aux combats de rue. Extr�mement mobiles, elles op�rent au besoin en civil et b�n�ficient d'une connaissance intime du terrain. Resterons-elles loyales ? On peut supposer que l'immense majorit� des Irakiens ne combattra volontiers ni pour d�fendre le pouvoir, ni pour le d�fier. Tous redoutent la capacit� de survie fabuleuse de Saddam Hussein, conjugu�e � sa capacit� - non moins fantastique - de r�pression. Ils pourraient ob�ir longtemps, mais sans z�le, aux consignes du r�gime, en attendant la certitude de sa chute. Il suffirait alors que la guerre tra�ne, qu'elle engendre des p�nuries et de nombreuses victimes, pour que Saddam galvanise ses troupes les plus fid�les, maintiennent les plus d�loyales dans l'irr�solution et gagne ainsi du temps. Ceci n'est qu'un des sc�narios possibles, �videmment, aux c�t�s d'une guerre �clair, propre et sans surprise.
+Ce qui est s�r, c'est que les dispositions prises par le r�gime trahissent une sorte de d�saffection pour la guerre classique. Saddam Hussein ne se soucie gu�re, semble-t-il, d'opposer une arm�e cr�dible contre les Etats-Unis. Alors, o� est donc l'adversaire irakien ? Dans l'impr�vu, justement.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les Etats-Unis sont, de tr�s loin, le plus important pays consommateur et importateur de p�trole dans le monde. Leur production est par ailleurs non n�gligeable, m�me si elle baisse maintenant de mani�re inexorable. Dans un contexte d?approfondissement de la � d�pendance � des Etats-Unis, les interventions du gouvernement se sont progressivement d�plac�es de la r�gulation du march� int�rieur � la construction et � la s�curisation du march� p�trolier mondial.
+La naissance et le d�veloppement de l'industrie p�troli�re am�ricaine ne furent pas une " affaire d'Etat " ; pour l'essentiel, cette histoire est une histoire d'entrepreneurs. En cela, les Etats-Unis se distinguent de tous les autres pays, industrialis�s ou non. Nous verrons plus loin qu'il ne fallut pas attendre tr�s longtemps les premi�res interventions publiques dans le secteur, interventions multiformes et de grande ampleur. Mais on ne trouve aux Etats-Unis aucun des attributs quasi-universels de l'industrie p�troli�re, tellement r�pandus qu'ils apparaissent parfois comme naturels : ni entreprise publique ; ni monopole sur l'exploration, la production, le transport ou la distribution ; ni subordination de l'industrie � des objectifs " sup�rieurs ", de politique industrielle ou de politique �trang�re. Les Etats-Unis font m�me exception � la r�gle de la propri�t� publique sur les ressources - exception plus discr�te peut-�tre que les pr�c�dentes, mais qui porte plus loin.
+Les ressources naturelles contenues dans le sous-sol sont en g�n�ral propri�t� publique. Investir en vue de l'exploitation mini�re ou p�troli�re requiert, partout dans le monde ou presque, l'obtention d'un droit aupr�s de la puissance publique, par exemple sous la forme d'une licence. Tel n'est pas le cas aux Etats-Unis, o� la propri�t� de la surface emporte la propri�t� du sous-sol, y compris les ressources qu'il rec�le. Pour forer sur une parcelle donn�e, il faut et il suffit d'obtenir un droit de son propri�taire l�gitime. Le contrat par lequel ce droit est transf�r� s'appelle un lease ; c'est un contrat de droit priv�.
+On ne saurait exag�rer l'importance de cette singularit� juridique ; osons affirmer qu'elle repr�sente un des principaux d�terminants de l'histoire p�troli�re des Etats-Unis. La propri�t� sur la terre �tant tr�s peu concentr�e, m�me � l'�chelle d'une province p�troli�re, le march� des droits d'exploration est n�cessairement concurrentiel. Cette absence de contr�le sur le march� de l'exploration induit � son tour la concurrence sur le march� du p�trole lui-m�me. L'�conomie industrielle a red�couvert, ces trois derni�res d�cennies et sous l'influence de Ronald Coase, le d�terminisme juridique dans l'organisation �conomique. Dans le cas de l'industrie p�troli�re am�ricaine, la r�gle de droit semble induire m�caniquement la concurrence. Et s'il fallait chercher un fil rouge courant tout au long de l'histoire p�troli�re des Etats-Unis, on le trouverait dans l'affrontement permanent entre la dynamique concurrentielle et les forces contraires, puissances " organisatrices " publiques ou priv�es.
+De tr�s nombreux entrepreneurs, souvent des aventuriers risquant leur fortune personnelle, tent�rent leur chance dans l'exploration p�troli�re � partir des ann�es 1860. Acqu�rant des droits sur de minuscules parcelles ou sur des milliers d'hectares, ils furent les acteurs de l'�re h�ro�que de l'histoire p�troli�re am�ricaine. Mais l'amont p�trolier (exploration et production) est une activit� extr�mement risqu�e et pour beaucoup de ces pionniers l'exp�rience tourna court. La plupart ne d�couvrirent rien mais ceux qui eurent la chance d'acc�der au stade de la production affront�rent la dure r�alit� d'un march� libre de mati�re premi�re. Le d�veloppement intensif des premi�res d�couvertes pr�cipita rapidement une chute du prix du p�trole, qui passa de $37 � $7 entre 1870 et 18904. S'ensuivit une vague de faillites et un mouvement de consolidation de l'industrie (s�lection et concentration).
+Dans cet univers de concurrence " sauvage ", la premi�re manifestation des forces organisatrices (ou plus exactement : planificatrices) ne vint pas de l'ext�rieur - de la puissance publique - mais de l'industrie elle-m�me. Un jeune homme de 25 ans, John D. Rockefeller, apr�s avoir bri�vement tent� sa chance dans l'amont, d�laissa ce jeu " o� s'�puisent les pauvres gens " pour se concentrer sur le raffinage, � la t�te de la Standard Oil. Tr�s t�t Rockefeller comprit l'int�r�t de l'int�gration horizontale, c'est-�-dire l'absorption ou les alliances avec les concurrents, et verticale, d'abord dans le transport (en amont et en aval des raffineries), plus tard dans la production. Son ascension fut fulgurante. En 1873, la Standard Oil d�tenait d�j� entre 30 et 40% des capacit�s de raffinage du pays, et jusqu'� 90% en 1878. Au tournant du si�cle, la S.O. exportait 50% de sa production ; les Etats-Unis �taient, de tr�s loin, le premier exportateur de p�trole au monde, et l'huile �tait au second rang des produits d'exportations am�ricains, apr�s le coton.
+L'accession de la Standard Oil a une situation de quasi-monopole sur l'aval p�trolier - et, par l�, au statut de " r�gulateur " de l'industrie dans son ensemble - devait donner lieu au premier grand proc�s antitrust de l'histoire �conomique des Etats-Unis. En cela, l'aventure de Rockefeller rev�t une importance qui d�passe la sph�re p�troli�re. La principale loi antitrust am�ricaine, le Sherman Act de 1890, fut largement r�dig�e en r�f�rence au cas S.O. En 1909, au terme de plusieurs ann�es d'une proc�dure initi�e par le d�partement de la Justice, une cour f�d�rale �tablissait l'existence de pratiques anti-concurrentielles dans les activit�s de la S.O. - en particulier ses " accords " pr�f�rentiels avec les transporteurs ferroviaires - et d�cidait de dissoudre le trust en 35 entit�s ind�pendantes, sur la base du Sherman Act (d�cision confirm�e par la Cour Supr�me en 1911). Plusieurs des grandes compagnies p�troli�res am�ricaines sont issues de ce d�membrement. Cet �v�nement marque un tournant dans l'histoire p�troli�re du pays et symbolise l'entr�e dans l'�re des interventions publiques.
+A partir des ann�es 1920 et jusqu'au d�but des ann�es 1980, le march� p�trolier am�ricain a v�cu sous un r�gime de tr�s forte intervention publique. On distinguera les mesures dites de proration, le contr�le des importations, et le contr�le des prix.
+La mise en place de la politique de proration, entre le d�but des ann�es 1920 et le milieu des ann�es 1930, correspond � un immense effort de la puissance publique - d'abord au niveau des Etats, puis du gouvernement f�d�ral - pour soustraire la coordination des producteurs de p�trole au processus concurrentiel et la soumettre � un tr�s haut degr� de planification centrale. La proration est n�e d'une volont� de limiter le " gaspillage " et la " surproduction " que le r�gime concurrentiel �tait sens� entra�ner. Concr�tement, les grands Etats producteurs (Oklahoma, Texas, Louisiane - � l'exception notable de la Californie, qui ne fut jamais " prorationniste ") d�cid�rent de limiter leur production p�troli�re en attribuant des quotas � chaque champs, puis � chaque puits en activit�, afin de maintenir un prix largement sup�rieur au prix concurrentiel. Ces efforts locaux �taient coordonn�s au sein d'une instance inter-�tatique, l'interstate compact. Plus tard, dans le cadre du New Deal, la puissance f�d�rale pris en charge la coordination et une partie de la mise en oeuvre du r�gime de proration.
+La crise des ann�es 1930, survenant juste apr�s les d�couvertes g�antes de Seminole et de l'East Texas, pr�cipita une chute des prix qui renfor�a la perception du caract�re destructeur de la libre concurrence. En fait, le principal probl�me �tait de nature juridique - le droit, encore. La r�gle dite de " capture ", qu'impos�rent les tribunaux de common law � la fin du XIXe si�cle, autorisait un producteur � forer dans un r�servoir d�j� exploit� par un autre producteur op�rant depuis un terrain voisin. Cette r�gle introduisait des incitations �conomiques perverses et g�n�rait, effectivement, une importante surproduction en m�me temps que nombre de puits inutiles. Mais la proration ne r�glait pas ce probl�me, au contraire : parce que les puits les moins productifs �taient exempt�s de quotas, le syst�me g�n�ra un �norme gaspillage de ressources. Le r�gime de proration, qui surv�cut jusqu'au d�but des ann�es 1970, servait essentiellement les int�r�ts des milliers de petits producteurs les moins performants, et des hommes politiques qui contr�laient un syst�me profond�ment corrompu. L'industrie p�troli�re, qui est certainement un des symboles du capitalisme am�ricain, fut pendant plus d'un demi-si�cle soumise � un r�gime - certes incomplet - de planification centralis�e.
+Le contr�le des importations repr�sentait un compl�ment naturel et indispensable du r�gime de proration. La trop forte p�n�tration du p�trole v�n�zuelien et moyen-oriental e�t r�duit � n�ant les efforts des Etats " prorationnistes " pour d�fendre un prix sup�rieur au prix de concurrence. Plus g�n�ralement, la concurrence du p�trole import� repr�sente une menace permanente pour l'industrie p�troli�re am�ricaine, et ce d�s l'entre-deux-guerres. En cons�quence, la tentation protectionniste traverse toute l'histoire p�troli�re am�ricaine. Les mesures les plus c�l�bres, parmi de nombreuses autres, sont les voluntary oil import quotas de 1949 et les mandatory oil import quotas de 1959.
+Au d�but des ann�es 1970, les objectifs de l'intervention publique sur le march� p�trolier chang�rent brutalement. Du soutien des prix int�rieurs par la r�glementation de l'offre et des importations, on passa � la lutte contre les effets de la hausse des prix. On pourrait dire : de la protection des producteurs � la protection des raffineurs et des consommateurs. Un syst�me complexe de contr�le des prix et de r�glementation de la commercialisation fut mis en place, par strates successives, avec des effets pervers tr�s importants. On citera en particulier les entraves � l'allocation marchande du brut et des produits p�troliers, qui jou�rent un r�le d�cisif dans les p�nuries cons�cutives � l'embargo p�trolier arabe de 1974 et � la r�volution iranienne de 1979 - les fameuses gasoline lines qui traumatis�rent l'Am�rique ; mais aussi, plus structurellement, les " subventions aux importations " introduites par le syst�me des entitlements, par lequel les raffineurs s'approvisionnant en p�trole " domestique " subventionnaient ceux qui recouraient aux importations. A la fin des ann�es 1970, l'administration Carter souhaitait lib�raliser le march� p�trolier mais se heurtait � de fortes r�sistances au Congr�s. Une loi vot�e en 1978 pr�voyait un decontrol progressif �tal� sur 10 ans ; l'administration Reagan le r�alisa en un mois.
+Le premier mandat de Ronald Reagan � la Maison Blanche, et m�me les premiers mois de ce mandat, apparaissent r�trospectivement comme une p�riode charni�re dans l'histoire p�troli�re am�ricaine, o� furent prises des orientations rompant avec le pass� et engageant l'avenir. La politique conduite par l'administration Reagan �tait inspir�e par l'id�e que l'efficacit� et la s�curit� �nerg�tiques ne s'obtiennent pas contre les forces du march�, mais en s'appuyant sur elles.
+Le pr�sident Reagan pronon�a son discours inaugural le 20 janvier 1981 ; le 28 janvier, il signait l'Executive Order n� 12287 (le premier de son mandat) qui lib�ralisait compl�tement le march� du p�trole et prenait effet le jour m�me. Le Congr�s, beaucoup plus interventionniste que l'administration, ne d�sarma pas et en mars 1982 le S�nat vota le Standby Petroleum Allocation Act, qui octroyait au Pr�sident le pouvoir d'instaurer, en cas de crise, un contr�le des prix et des mesures d'allocation administrative du p�trole et des produits. R. Reagan opposa son veto � cette loi le 20 mars 1982, arguant du fait que, face � une rupture d'approvisionnement, c'est au contraire le libre fonctionnement du march� qui est le plus � m�me de r�duire le co�t support� par l'�conomie am�ricaine.
+La d�r�glementation du march� p�trolier am�ricain correspond aussi � une r�int�gration compl�te dans le march� mondial. A partir de 1982, le prix int�rieur est � nouveau strictement align� sur le prix mondial. Au cours des deux mandats de R. Reagan la faible taxe sur les importations n'a pas �t� supprim�e, mais l'administration r�sista, � plusieurs reprises et notamment apr�s le " contre-choc " p�trolier de 1985 - 1986, � de fortes pressions du Congr�s pour l'augmenter de mani�re significative.
+Le decontrol am�ricain eut �galement un effet non anticip� sur les structures du march� p�trolier international : il acc�l�ra la substitution de transactions de court terme aux contrats de long terme et la g�n�ralisation de la r�f�rence au prix " spot ". Pleinement expos�s aux al�as du march� mondial (jusque-l� att�nu�s par le contr�le des prix et les m�canismes de redistribution physique), les raffineurs am�ricains modifi�rent leurs pratiques commerciales ; les activit�s de trading ont explos� aux Etats-Unis au d�but des ann�es quatre-vingt, et le NYMEX a lanc� son march� de contrats � terme sur le p�trole brut en 1983.
+Les gouvernements successifs, r�publicains et d�mocrates, ne sont pas revenus sur la r�forme fondamentale initi�e par l'administration Reagan. Dans les ann�es 1990, la politique p�troli�re de l'administration Clinton (largement " encadr�e ", il est vrai, par un Congr�s r�publicain) fut une politique lib�rale non seulement " passive " - absence de remise en cause de la d�r�glementation -mais active. Parmi les mesures d'inspiration lib�rale prises au cours de cette p�riode, on peut citer la lev�e de l'interdiction d'exporter le brut d'Alaska, l'acc�l�ration du leasing dans l'offshore f�d�ral, les exemptions de royalty sur l'offshore profond (Deep Offshore Royalty Relief Act), ou encore la privatisation partielle des Naval Petroleum Reserves.
+L'option lib�rale prise sous Reagan, et qui structure depuis la politique p�troli�re am�ricaine, ne se limite pas � la d�r�glementation du march� int�rieur ; elle a d'importantes implications internationales. Le primat �conomique dans la formulation de la politique �nerg�tique - plus pr�cis�ment, l'id�e que l'approvisionnement �nerg�tique doit reposer sur le fonctionnement de march�s libres et concurrentiels - a, en mati�re p�troli�re, un corollaire : l'acceptation du recours massif aux importations. Recourir au march�, c'est recourir au march� mondial. Le taux de couverture de la demande par les importations d�pend, sur longue p�riode, de l'�volution relative des co�ts de d�veloppement aux Etats-Unis et dans le reste du monde. L'option fondamentale d'une politique �nerg�tique lib�rale impliquait donc n�cessairement, pour les Etats-Unis, un approfondissement de la " d�pendance " p�troli�re. De fait, le moment Reagan correspond � l'entr�e des Etats-Unis dans une �re de d�pendance accept�e et assum�e.
+C'est en 1949 que les Etats-Unis sont devenus importateurs net, c'est-�-dire que leurs importations ont d�pass� leurs exportations. Entre 1949 et 1970, la part de la demande couverte par le p�trole import� est pass�e de 10% � 23%. Entre 1978 et 1985, les importations ont fortement baiss�, tant en valeur absolue (-3,8 Mb/j) que relative (-16 points de part de march�). Deux facteurs expliquent ce ph�nom�ne : le d�veloppement du champ g�ant de Prudhoe Bay en Alaska, et la chute de la demande p�troli�re li�e au second " choc p�trolier " de 1979 et � la r�cession �conomique. A partir de 1985, la part du p�trole import� dans la couverture de la demande n'a cess� d'augmenter, jusqu'� aujourd'hui.
+Les provinces p�troli�res am�ricaines historiques sont en phase de d�clin certainement irr�versible, partiellement compens� par des provinces o� les compagnies parviennent encore � renouveler les r�serves (en particulier le Golfe du Mexique). Au total, la production des Etats-Unis baisse au rythme de 2 % par an en moyenne ? un peu moins depuis 1990. Les importations ont progress� de plus de 5 % par an en moyenne sur 15 ans, pour atteindre leur maximum historique en 2000. Elles s?�levaient alors � 11 Mb/j, soit 54 % de la consommation totale. En 2020, ces chiffres pourraient passer � 19 Mb/j et 66 %
+D�pendance croissante, donc. Mais d�pendance accept�e et assum�e, disions-nous. L'option lib�rale prise au d�but des ann�es 1980 n'�quivaut pas � une politique de laisser-faire ; elle s'accompagne de politiques publiques ambitieuses relevant de la s�curisation et de la construction du march� p�trolier mondial.
+La s�curisation du march� regroupe des mesures aussi diff�rentes que la mise en place de la Strategic Petroleum Reserve (SPR) d'une part, la cr�ation d'un dispositif militaire d'intervention rapide au Moyen-Orient d'autre part. La SPR fut cr��e dans le cadre de l'Energy Production and Conservation Act � la fin de 1975 mais resta " virtuelle " pendant cinq ans, en raison de dysfonctionnements administratifs et surtout d'un manque de volont� politique. L'administration Reagan fit du remplissage de la SPR une priorit� de sa politique p�troli�re. A la fin du premier mandat de R. Reagan le volume stock� �tait de 450 millions de barils (Mb), et 560 Mb fin 1988 - niveau auquel on est encore aujourd'hui. 80% du p�trole stock� dans la SPR l'a �t� sous Reagan, dont plus de 60% entre 1981 et 1984. La r�serve p�troli�re strat�gique, enti�rement d�tenue et op�r�e par le gouvernement f�d�ral, a une capacit� de " rel�chement " de 4 Mb/j - soit la moiti� de la production saoudienne moyenne en 2002 - pendant 130 jours. Ou encore, la SPR peut suppl�er int�gralement un producteur comme le Kowe�t pendant pr�s de neuf mois.
+La " sanctuarisation " militaire du Moyen-Orient n'est certes pas r�ductible � une politique �nerg�tique. Toutefois, cette dimension �tait certainement pr�sente. La logique, du point de vue p�trolier, est la m�me que pour la SPR, m�me si l'instrument est tr�s diff�rent. Accepter que l'approvisionnement am�ricain repose sur un march� mondialis� domin� par les transactions de court terme, supposait la mise en place d'une s�curisation en amont, ou " par le haut ", dont le co�t s'apparente � la souscription d'une assurance. Lib�ralisation et s�curisation ne s'opposent pas, mais constituent deux faces d'une m�me politique. Tout comme la lib�ralisation, les mesures de s�curisation du march� initi�es sous R. Reagan ont �t� assum�es par tous les gouvernements depuis lors, et demeurent un �l�ment essentiel de la politique p�troli�re am�ricaine.
+L'effort de construction du march� consiste � am�liorer l'accessibilit� des ressources p�troli�res mondiales aux capitaux priv�s d'exploration et production. Il s'agit, pour les Etats-Unis, d'une pr�occupation tr�s ancienne, qui prit notamment la forme, dans l'entre-deux-guerres, de la politique de l'Open Door (porte ouverte) au Moyen-Orient. A partir des ann�es 1980, cette politique fut relanc�e et renouvel�e dans ses objectifs comme dans ses moyens. L'objectif �tait de favoriser la diversification durable de l'offre p�troli�re mondiale, donc d'affaiblir le pouvoir de march� de l'OPEP. L'administration Reagan lan�a, d�s 1981, une politique juridique internationale tr�s ambitieuse, destin�e � r�former le droit applicable aux investissements p�troliers. Cette politique fut relay�e par la Banque Mondiale, dans les ann�es 1980, aupr�s des pays en d�veloppement. Dans les ann�es 1990, les Etats-Unis investirent d'importantes ressources dans les n�gociations sur les instruments multilat�raux sur les investissements (ALENA chap. 11, Trait� sur la Charte de l'Energie, AMI), et dans la signature de trait�s bilat�raux sur les investissements avec les pays riverains de la mer Caspienne.
+En d�pit d'un discours politique r�curent sur la n�cessit� de contenir, voir de r�duire, la d�pendance p�troli�re du pays - discours qui jouit d'une tr�s forte l�gitimit� depuis les attentats du 11 septembre 2001 - l'option lib�rale prise il y a plus de vingt ans n'est pas remise en question, au contraire. Dans ces conditions, l'approfondissement de la d�pendance p�troli�re des Etats-Unis au cours des d�cennies � venir est une quasi-certitude. Apr�s la " crise " de 2000 - 2002 comme apr�s celle de 1990 - 1991, le grand d�bat de politique �nerg�tique initi� par l'administration accouche essentiellement de non-mesures.
+On pourrait invoquer les lourdeurs du processus l�gislatif am�ricain, qui permet aux groupes de pression d'entraver toute action r�formatrice. On pr�f�rera souligner qu'il n'existe pas, aujourd'hui, d'alternative raisonnable aux importations p�troli�res massives. Les �tudes �conomiques montrent que le co�t d'une r�duction significative de la " d�pendance ", tant par la stimulation de l'offre int�rieure que par la ma�trise de la demande, seraient largement sup�rieurs aux b�n�fices attendus en mati�re de s�curit� �nerg�tique. En d'autres termes, il n'existe qu'un potentiel tr�s limit� de r�duction profitable du recours aux importations p�troli�res. Les Etats-Unis devraient donc continuer, dans l'avenir pr�visible et en attendant une r�volution technologique dans les transports, d'investir massivement dans la s�curisation et la construction du march� p�trolier mondial.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
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+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Selon toute vraisemblance, la date du 11 septembre 2001 est entr�e dans l'histoire universelle. Elle est et restera consid�r�e comme dividing, selon le mot am�ricain, c'est-�-dire que l'on distingue et distinguera un "avant" et un "apr�s". Ce n'est pas que le monde ait brusquement chang� avec la r�ussite des attaques contre le World Trade Center - celle qui a le plus frapp� - et contre le Pentagone. Ce qui a chang�, c'est la mani�re d'interpr�ter le pass� et de raisonner sur l'avenir.
+On ne peut pas pr�tendre que pareil �v�nement n'avait pas �t� "pr�vu". En v�rit�, la possibilit� et m�me la probabilit� d'un "hyperterrorisme" font l'objet de d�bats d'experts et m�me d'oeuvres romanesques (Tom Clancy) depuis des ann�es. Pareillement, le jour o� des armes de destruction massive - nucl�aires, chimiques ou bact�riologiques - seraient effectivement utilis�es par une unit� active �tatique ou non �tatique, on ne pourrait pas dire que cela n'avait pas �t� " pr�vu ". Toute la difficult� tient dans ce que les soci�t�s humaines ne prennent les catastrophes au s�rieux que lorsqu'elles se produisent, et, lorsque c'est le cas, elles ont tendance � les oublier : on peut donner entre autres l'exemple du respect des r�gles de s�curit� dans les zones sismiques. S'il en est ainsi, c'est que, pour pr�venir ou limiter les cons�quences d'une catastrophe possible, il faut des mesures qui se heurtent aux int�r�ts tangibles de toutes sortes d'autres unit�s actives, lesquelles s'emploient � les emp�cher ou � les att�nuer. La pr�vention est un art de m�me nature et aussi complexe que la r�forme.
+De ce point de vue, l'autopsie du 11 septembre est ais�e. Ce qui est en cause, c'est d'abord une conception des libert�s. Aux �tats-Unis, il �tait possible de se pr�senter dans une �cole de pilotage sans avoir � justifier de son identit�, et de payer les cours en esp�ces, en pr�cisant que l'on n'avait pas besoin d'apprendre � d�coller ou � atterrir, tout cela sans susciter de r�actions particuli�res. En Grande-Bretagne, des groupes islamistes peuvent avoir pignon sur rue, et les conditions d'extradition sont tellement restrictives que les criminels se sentent prot�g�s, au point que certains vont jusqu'� se demander s'il n'existe pas une sorte d'accord implicite du type : immunit� du territoire britannique contre immunit� des r�seaux qui y sont implant�s. La question du financement du terrorisme se rattache � celle des droits civils. Pour mettre en place et d�velopper un r�seau comme Al-Qaida, il faut beaucoup d'organisation et beaucoup de ressources. La lutte contre le terrorisme passe donc par une surveillance �troite des flux financiers, de leur origine et de leur destination, laquelle se heurte � une conception du secret bancaire que l'on a tendance � rattacher � la question des libert�s. Le m�me genre de remarques peut s'appliquer � la s�curit� du transport a�rien en g�n�ral. L'abaissement de la s�curit� dans les a�roports comme pour le trafic lui-m�me est la cons�quence d'une conception �troite de la comp�titivit�, o� l'on oublie que l'�conomie est au service de l'homme et non l'inverse. On pourrait poursuivre l'exercice.
+L'incapacit� des services am�ricains, la CIA (Central Intelligence Agency) et le FBI (Federal Bureau of Investigation) principalement, � anticiper et � d�jouer les attentats du 11 septembre, qui les ont, en fait, pris au d�pourvu, s'analyse en dernier ressort par l'inadaptation d'agences englu�es dans des routines et par les tr�s classiques conflits bureaucratiques. Dans le m�me ordre d'id�es, comme le ph�nom�ne de la mondialisation concerne les unit�s actives de toute nature, y compris les organisations criminelles, la lutte contre le crime organis� - et en particulier le terrorisme - suppose des formes de coop�ration originales entre les �tats, notamment au niveau de leurs services secrets, de leurs polices et de leurs institutions judiciaires. Il s'agit de domaines o� les traditions coop�ratives sont limit�es et o�, l� encore, l'adaptation se heurte aux habitudes et aux int�r�ts corporatistes ou bureaucratiques.
+Les observations pr�c�dentes n'ont aucune pr�tention � l'exhaustivit�. Elles visent seulement � expliquer ce qui, sur le coup, a pu para�tre incompr�hensible ou aberrant : comment un pays aussi puissant que les �tats-Unis, qui consacre des ressources aussi immenses � sa s�curit�, a-t-il pu se laisser de la sorte agresser par surprise? Apr�s un choc tellement consid�rable, on peut penser que chacun des pays potentiellement menac�s a entrepris de surmonter les obstacles qui s'opposent � une pr�vention efficace. Mais, aux �tats-Unis comme ailleurs, les r�sistances sont �normes. Pour certains Am�ricains et non des moindres (George Soros), la "guerre contre le terrorisme" risque de saper les fondements m�mes de l'unit� du pays. Les r�sistances sont �galement consid�rables sur le plan international, quand il s'agit de coordonner les activit�s de plusieurs �tats, car � l'affrontement des int�r�ts les plus tangibles se superposent les malentendus politiques au sens large, malentendus qui - on le rappellera dans la suite de ce texte - n'ont pas tard� � appara�tre entre Washington et ses alli�s, anciens ou nouveaux, apr�s une br�ve union sacr�e. Ainsi, d�s le mois de d�cembre 2001, le Parlement europ�en s'opposait-il � une coop�ration judiciaire renforc�e avec les �tats-Unis.
+Dans les heures qui ont suivi les attaques, le pr�sident George W.Bush a d'abord donn� l'impression de s'en prendre � l'Islam en adoptant la rh�torique du "choc des civilisations" et en parlant d'une "guerre du Bien contre le Mal". Tr�s rapidement, il a pris conscience du pi�ge et adopt� la formule de la " guerre contre le terrorisme ". Expression ambigu� toutefois, car il n'existe aucune d�finition universellement accept�e du terrorisme, et, dans bien des cas, la fronti�re entre terrorisme et r�sistance est difficile, sinon impossible � tracer. Ephra�m Hal�vy, le chef du Mossad, le service de renseignement isra�lien, avait peu de chances de faire l'unanimit� en d�clarant : "La distinction entre bon et mauvais terrorisme n'a plus lieu d'�tre. Chacun doit choisir son camp : pour ou contre la terreur." De fait, Isra�l, l'Inde, la Russie ou encore la Chine se sont engouffr�s dans le boulevard ouvert par le pr�sident des �tats-Unis en assimilant les Palestiniens, les Pakistanais, les Tch�tch�nes et les Ou�gours aux criminels du 11 septembre. Au d�but de l'ann�e 2002, le pr�sident du Conseil espagnol, Jos� Maria Aznar, d�clarait ne faire "aucune diff�rence" entre ces criminels et l'ETA (Euskadi Ta Askartasuna, "Patrie basque et libert�").
+En pratique, Washington a imm�diatement accus� Al-Qaida et son chef Oussama Ben Laden. En identifiant aussi promptement l'agresseur, la Maison-Blanche a produit un immense soulagement, car rien n'�tait plus angoissant pour les opinions publiques am�ricaine et m�me europ�ennes que cette impression d'un ennemi mortel innommable et invisible. Avec Al-Qaida, on d�signait aussi un �tat, l'Afghanistan. On savait en effet que le milliardaire saoudien, lui aussi � sa mani�re un ap�tre de la guerre du Bien contre le Mal, tirait les ficelles du sinistre r�gime de ce mollah Omar dont les outrances, au fil des mois, avaient de plus en plus attir� l'attention du monde. C'est donc contre l'Afghanistan que les �tats-Unis sont entr�s en guerre d�s le 7octobre, en se donnant pour objectif de renverser l'ordre taliban, de d�truire les bases d'Al-Qaida et de saisir leurs chefs.
+Contrairement � ce qui a �t� si souvent �crit ou dit, cette guerre a �t� des plus classiques, c'est-�-dire d'�tat � �tat. Ses objectifs ont �t� partiellement mais rapidement atteints. Les Talibans ont perdu le pouvoir et les infrastructures d'Al-Qaida ont �t� an�anties. Ces r�sultats furent salutaires pour le moral des Am�ricains, mais aussi pour l'image des �tats-Unis dans le monde. Le nouveau gouvernement mis en place par les vainqueurs, dirig� par le Pachtoune royaliste Hamid Karza�, n'a cependant gu�re les moyens d'instaurer son autorit� sur l'ensemble du territoire afghan, malgr� la Loya Jirga r�unie au mois de juin. Le pays reste largement soumis � la rivalit� des seigneurs de la guerre. L'influence talibane n'a pas disparu, et les r�seaux de Ben Laden ont �t� d'autant moins d�mantel�s qu'ils disposent d'appuis cons�quents au Pakistan occidental. Quant � Ben Laden et au mollah Omar, ils courent toujours. De nombreux indices sugg�rent qu'une partie de ces r�seaux, bien implant�s dans les pays occidentaux, conservent leur capacit� de nuire. Les int�r�ts occidentaux, dans la mesure o� ils constituent les cibles de Ben Laden et de ses �mules, sont toujours menac�s, m�me si des agressions en s�rie, d'ampleur comparable � celles du 11 septembre, paraissent peu probables.
+Pour venir � bout d'Al-Qaida, toute la panoplie des mesures antiterroristes doit �tre mise en oeuvre, et nous avons vu plus haut que les principaux obstacles se situent au sein m�me des unit�s politiques menac�es. Cela dit, il est vraisemblable qu'en affaiblissant les bases territoriales des organisations terroristes, on en a r�duit consid�rablement les capacit�s, et donc le potentiel. A priori, de telles bases ne peuvent �tre localis�es que dans les �tats qualifi�s par les Am�ricains de rogue states, expression que l'on peut traduire par "�tats voyous", ou de failed states, c'est-�-dire les "�tats manqu�s" ou "incomplets". Dans son discours sur l'�tat de l'Union, au d�but de 2002, George W.Bush a d�sign� les principaux rogue states, en les r�unissant dans un "axe du mal". L'Afghanistan �tant maintenant neutralis�, il s'agit principalement de l'Iran, de l'Irak et de la Cor�e du Nord; mais le concept est assez large pour inclure, le cas �ch�ant, des pays tels que la Syrie ou la Libye. Par extension, le chef de l'ex�cutif am�ricain situe les mouvements islamistes dans cet axe du mal. Quant aux failed states - c'est-�-dire les �tats o� le gouvernement n'exerce pas ou mal son autorit� sur l'ensemble de son territoire-, il y en a h�las beaucoup � des degr�s divers, tels la Somalie, le Y�men, les Philippines, mais aussi la Colombie ou le Tadjikistan. Au cours des derniers mois, l'Am�rique s'est efforc�e d'�laborer des strat�gies susceptibles de r�duire les risques provenant de ces divers �tats : strat�gie d'intervention dans les failed states (envoi de forces sp�ciales aux Philippines et au Y�men par exemple, et il semble que la CIA pousse �galement ses pions en Alg�rie) ; strat�gie de pr�vention � l'encontre des rogue states.
+Une doctrine d'action pr�ventive pourrait se heurter � de tr�s s�rieuses objections. En s'arrogeant le droit d'intervenir pr�emptivement et unilat�ralement, c'est-�-dire sans l'accord de la "communaut� internationale" incarn�e par le Conseil de s�curit� des Nations unies, les �tats-Unis prendraient des risques, m�me vis-�-vis de leurs alli�s les plus proches comme la Grande-Bretagne. Le cas de l'Irak est au centre des pr�occupations, car, depuis son �lection, George W.Bush para�t d�termin� � renverser Saddam Hussein. Il ne s'agit pas seulement d'aller jusqu'au bout du processus engag� par son p�re en 1991, � la suite de l'invasion du Kowe�t. En installant � Bagdad un r�gime qui leur serait favorable, les Am�ricains renforceraient la s�curit� d'Isra�l et accro�traient consid�rablement leur marge de manoeuvre, tant vis-�-vis de l'Iran que de l'Arabie Saoudite, cette derni�re �tant particuli�rement suspecte � leurs yeux depuis le 11 septembre. Encore faudrait-il pouvoir monter des op�rations militaires permettant d'aboutir rapidement et sans provoquer l'�clatement du pays, et mettre en place un gouvernement efficace. Les alli�s des �tats-Unis - ou du moins leurs gouvernements -ne manifestent aucune sympathie pour Saddam. Mais, d'une part, ils ne se montrent pas convaincus, � tort ou � raison, par les arguments de Washington sur une �ventuelle complicit� de Bagdad avec Al-Qaida ou sur l'imminence de l'acquisition de l'arme nucl�aire par l'Irak; et, d'autre part, ils redoutent les effets sur les opinions publiques des pays arabo-musulmans d'une op�-ration mal justifi�e, et leurs cons�quences. Cela dit, ils ne feront pas obstacle � la volont� des Am�ricains, si leur d�termination � agir militairement est suffisamment forte, quitte � adapter leur attitude en fonction des r�sultats. En ce qui concerne l'Iran, les Europ�ens rejettent depuis longtemps la politique de double endiguement consistant � traiter ce pays comme l'Irak. Ils estiment que le r�gime des ayatollahs est de toute fa�on min� de l'int�rieur comme l'�tait l'URSS de Brejnev. Quant � la Cor�e du Nord, les �tats-Unis eux-m�mes ont d�cid� de renouer le dialogue avec elle.
+D'une mani�re g�n�rale, les partenaires de l'Am�rique consid�rent que, m�me dans un syst�me international h�t�rog�ne, aucun �tat ou groupe d'�tats n'a le droit d'attaquer un autre au seul motif qu'il pourrait s'en prendre � ses int�r�ts vitaux. Aux pires moments de la guerre froide, les �tats-Unis n'ont jamais envisag� une attaque pr�ventive contre l'URSS, m�me lorsque le rapport des forces le leur aurait permis. On comprend donc pourquoi ceux-l� m�mes, � l'ext�rieur des �tats-Unis, qui furent le plus sinc�rement indign�s par les attaques du 11 septembre ont par la suite exprim�, certes de fa�on g�n�ralement feutr�e, des r�serves vis-�-vis de certains aspects de la politique de Washington. Des r�serves que le secr�taire d'�tat Colin Powell donne parfois l'impression de partager, comme lorsqu'il d�clarait, au mois de juin : " Any use of preemptive force must be decisive." Encore faut-il s'entendre sur le sens du mot decisive.
+� ce stade, il convient d'aborder la difficile question des causes du terrorisme. Le lecteur se rapportera au chapitre r�dig� par Michel Wieviorka pour un traitement g�n�ral du sujet - et � celui de Gilles Kepel pour l'analyse des liens entre terrorisme et islamisme. On se bornera ici � quelques remarques. Pour qu'une activit� terroriste soit durable, il faut deux conditions. La premi�re est l'existence d'unit�s actives - telles qu'Al-Qaida, le Jihad islamique ou l'ETA � l'�poque contemporaine, l'Irgoun ou le groupe Stern au si�cle dernier - et donc de groupes organis�s partageant une m�me culture ou une m�me id�ologie combative. La seconde est l'existence d'un r�servoir humain permettant � ces groupes de se renouveler et de s'�largir. De ce point de vue, il en est des organisations terroristes comme des mouvements de lib�ration dans les situations coloniales. Si les organisations terroristes qui ont s�vi en Europe occidentale dans les ann�es 1970 et au d�but des ann�es 1980 n'ont pas surv�cu, ce n'est pas seulement gr�ce � l'efficacit� des gouvernements, mais aussi et peut-�tre principalement parce que la force d'entra�nement de l'id�ologie anticapitaliste qui cimentait ces groupes �tait insuffisante pour assurer leur survie. Si, � l'inverse, les organisations terroristes irlandaises, basques ou corses r�sistent durablement aux contre-mesures, c'est qu'elles trouvent dans les peuples dont elles sont issues les ressources humaines n�cessaires.
+Ce qui distingue Al-Qaida des formes plus ordinaires du terrorisme, c'est la conjugaison de l'ampleur des moyens hautement coordonn�s mis en oeuvre, et de l'inhabituelle obscurit� de l'id�ologie dont ce r�seau se r�clame pour fonder ses actions. Chacun peut comprendre, ce qui ne veut pas dire approuver, que des groupes veuillent se battre par tous les moyens pour l'"ind�pendance" de l'Irlande du Nord, du pays basque ou de la Corse. On notera, incidemment, qu'� l'instar de la plupart des unit�s actives, les buts r�els mais non avou�s des organisations terroristes tendent � se d�placer et, en l'occurrence, � s'�tendre � des activit�s criminelles ou "mafieuses" de toute nature, ce qui complique singuli�rement les choses.
+Mais que veulent Ben Laden et ses partisans? La haine des �tats-Unis et, plus g�n�ralement, de la culture occidentale est-elle un fondement id�ologique suffisant pour assurer la survie d'une organisation comme Al-Qaida? Faut-il penser que son gourou est l'expression d'un nouveau type de nihilisme? Olivier Roy rejette le terme et lui pr�f�re celui de n�o-fondamentalisme. "(...) Tous ces n�o-fondamentalistes, loin d'incarner la r�sistance d'une authenticit� musulmane face � l'occidentalisation, sont � la fois des produits et des agents de la d�culturation dans un monde globalis�. (...) Ben Laden n'est pas une r�action de l'islam traditionnel, mais un avatar aberrant de la globalisation, tant dans les instruments de son efficacit� (technicit�, comp�tence, organisation) que dans la d�connexion de son action par rapport aux soci�t�s r�elles. Dans les cibles vis�es et dans l'anti-am�ricanisme virulent, il reprend une tradition tr�s occidentale du terrorisme symbolique, propre � la bande � Baader ou � Action directe, mais repens� � l'�chelle des jeux vid�os et des films catastrophes d'Hollywood. " Ou bien faut-il supposer, avec Alexandre Adler, que Ben Laden est un strat�ge g�nial comme le fut Adolf Hitler, ou dans un autre genre Mao Zedong, qu'il a con�u un projet grandiose pour �difier une sorte de califat ou de th�ocratie capable de s'opposer � l'empire du Mal, c'est-�-dire, dans son imaginaire, � l'"empire am�ricain"?
+Selon cette perspective, le but des attentats du 11 septembre aurait �t� de d�stabiliser l'Am�rique, de la pousser � la faute et de provoquer des soul�vements en cha�ne dans les terres islamiques, avec pour buts ultimes l'�gypte et l'Arabie Saoudite. Si l'on pr�f�re la comparaison avec les Bolcheviks, pareille vision ne serait pas sans analogie avec les projets de r�volution mondiale au d�but du XXe si�cle. Contrairement � L�nine, � Mao ou � Hitler, Ben Laden n'a apparemment d�velopp� ses id�es ni par �crit ni par oral, de sorte que ses adversaires en sont r�duits � sp�culer. Quoi qu'il en soit, on aurait tort d'�carter des hypoth�ses sous le pr�texte qu'elles seraient apparemment folles. Certes, la r�volution mondiale ne s'est pas produite comme l'avait r�v�e les Bolcheviks, mais sans eux et sans leur d�lire la r�volution d'Octobre n'e�t pas eu lieu et l'histoire du si�cle dernier e�t �t� diff�rente. Et s'il est vrai qu'Hitler a �chou�, on peut penser qu'en prenant Mein Kampf � la lettre, le grand drame de la Seconde Guerre mondiale e�t �t� �pargn�. En d'autres termes, le risque d'une d�stabilisation � grande �chelle du monde arabo-islamique doit �tre pris au s�rieux. Pour y faire face, il est n�cessaire de d�passer le cadre conceptuel, beaucoup trop �triqu�, de la "guerre contre le terrorisme". C'est pourquoi on n'�chappe pas au d�bat sur les "causes du terrorisme". Encore faut-il en poser correctement les termes.
+Bien souvent, en effet, le probl�me est formul� de fa�on partiale ou partielle. Par exemple, � l'argument selon lequel la pauvret� ou les in�galit�s seraient � la racine du terrorisme, on peut opposer que Ben Laden est milliardaire et que les ex�cutants d'Al-Qaida �taient des personnes sophistiqu�es et non de vulgaires endoctrin�s des madrasas. � ceux qui �tablissent un lien direct entre la politique pro-isra�lienne des �tats-Unis et les attentats du 11 septembre, il est �galement facile de r�torquer que Ben Laden ne s'est jamais r�f�r� que marginalement au conflit isra�lo-palestinien. Le centre de gravit� de sa propre mappemonde est situ� plus � l'est. Certaines formulations ont l'inconv�nient d'appara�tre comme des critiques plus ou moins d�guis�es des �tats-Unis, accus�s � la limite d'�tre eux-m�mes responsables du drame dont ils ont �t� les principales victimes.
+Ce que l'on peut et doit dire, en revanche, c'est que les cerveaux d'Al-Qaida ont l'art d'exploiter les mis�res du monde arabo-musulman pour y puiser des ressources humaines et y faire retentir leur id�ologie. Que des r�volutionnaires soient souvent issus de milieux privil�gi�s est une constante de l'Histoire. Rien de surprenant non plus � ce que les actions politiques des �tats-Unis, unique superpuissance depuis la chute de l'URSS, soient jug�es dans le reste du monde � travers les lunettes de chacun. Que la politique am�ricaine au Proche-Orient soit per�ue comme excessivement pro-isra�lienne dans le monde arabo-islamique, ou que le soutien de Washington � certains r�gimes dits mod�r�s - mais en tout cas non d�mocratiques - de la r�gion (Arabie Saoudite, �gypte) y soit consid�r� comme cynique, ce sont l� des faits politiques incontestables dont il convient d'appr�cier justement la port�e. Lorsque le prince Abdallah ou le pr�sident Moubarak, mais aussi la plupart des Europ�ens, font grief � Washington de ses oscillations face � la guerre isra�lo-palestinienne, qui n'a cess� de s'�tendre dramatiquement depuis l'�t� 2001, et d�sapprouvent - quoique de fa�on feutr�e - l'exigence formul�e par le pr�sident Bush, le 24 juin, du remplacement de Yasser Arafat, ils expriment des attitudes non pas morales, mais politiques. On y reviendra plus loin. Les leaders arabes dits mod�r�s, dont la l�gitimit� interne n'est pas sup�rieure � celle du vieux combattant palestinien, redoutent d'�tre pris entre le marteau am�ricain et l'enclume de leurs populations. Les gouvernements europ�ens, qui ont du monde arabo-musulman une longue exp�rience, savent que le risque d'une d�stabilisation est r�el. S'agissant de l'Autorit� palestinienne, les uns et les autres partagent sans doute ce jugement d'Edward Sa�d : "Il faut �difier les fondements de la r�forme � partir de forces vives de la soci�t�, celles qui, jour apr�s jour, ont r�sist� � l'invasion et � l'occupation (...)6."
+La politique internationale forme un tout, et ce, dans la dur�e. Apr�s le retrait de l'URSS d'Afghanistan en 1989, les �tats-Unis se sont aussit�t d�tourn�s de ce pays, mais aussi du Pakistan, devenu sans int�r�t � leurs yeux. Ils n'ont pas vu le danger du r�gime des Talibans et des connexions avec Islamabad. En pratique, ils ont m�me encourag� ces d�veloppements. Les moudjahidines avaient �t� leurs alli�s pendant l'occupation sovi�tique et un Ben Laden se trouvait alors du "bon c�t� ". Ni les Am�ricains, ni, semble-t-il, les Europ�ens ne semblent avoir pr�t� attention � la complexit� de la situation tribale et � la port�e des camps o� furent form�s, entre autres, ces fameux " Afghans " qui devaient contribuer � mettre l'Alg�rie � feu et � sang. Dans les ann�es 1990, des responsables am�ricains ont m�me caress� un moment l'id�e de favoriser l'av�nement d'un r�gime islamiste � Alger.
+Rappeler ces faits n'est pas insinuer que les Am�ricains sont responsables de leur propre malheur et de celui des autres. Il s'agit seulement de montrer que certaines d�cisions qui n'ont pas imm�diatement des cons�quences globales peuvent en avoir par la suite. Lorsque les dirigeants arabes dits mod�r�s et les Europ�ens invitent les �tats-Unis � la prudence, ce n'est pas par pusillanimit�, mais par pr�voyance. En politique comme dans les affaires priv�es, la prudence est une vertu cardinale. Si l'on peut effectivement faire un reproche � la politique am�ricaine, c'est de ne pas suffisamment prendre en compte l'exp�rience et le point de vue des autres. Nul n'a le monopole d'"avoir raison". Mais l'Am�rique est aujourd'hui menac�e par l'hubris. Je reviendrai plus loin sur cette question, � propos de l'"unilat�ralisme".
+Dans l'imm�diat, les attentats du 11 septembre ont provoqu� un r��quilibrage du syst�me international. Le trait principal, � mon sens, en est le renforcement des �tats. Cela peut surprendre � une �poque o� l'on s'inqui�te surtout de la dissolution des notions de territoire ou de souverainet�. Le paradoxe n'est qu'apparent, car il s'agit justement d'emp�cher que le monde ne s'enfonce dans le chaos d'une mondialisation des tribalismes.
+Le renforcement des �tats est manifeste dans ce que l'on peut appeler le retour de la Russie, un ph�nom�ne amorc� en fait, comme bien d'autres, avant le 11 septembre. Sur le plan int�rieur, Vladimir Poutine est parvenu � redresser l'autorit� du gouvernement central en reprenant largement en mains les "sujets" de la F�d�ration, en limitant l'emprise des "oligarques", et en prenant ses distances vis-�-vis de la " famille " (c'est-�-dire du clan Eltsine), quitte � pr�ter le flanc � la critique du point de vue des pratiques d�mocratiques occidentales contemporaines. Il faut insister sur le dernier mot, car, encore � l'�poque du g�n�ral de Gaulle, en France, le ministre de l'Information surveillait la t�l�vision de tr�s pr�s. D�s le mois d'ao�t 2001, au moment du voyage de Condoleezza Rice � Moscou, on pouvait d�celer les termes d'une nouvelle donne am�ricano-russe, la Russie se r�signant � un �largissement de l'Organisation du trait� de l'Atlantique Nord (OTAN) s'�tendant aux pays Baltes ainsi qu'� l'abrogation du trait� ABM (Anti-Ballistic Missiles Treaty) de 1972, avec, en contrepartie, une main plus libre en Tch�tch�nie et la perspective d'une adh�sion � l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
+Le 11 septembre, le pr�sident Poutine a instantan�ment saisi les potentialit�s de la situation, et, au grand dam des conservateurs n�o-communistes, il a fait clairement le choix d'une sorte de "Sainte-Alliance" avec les �tats-Unis. Ce choix avait des fondements objectifs. Depuis longtemps, d�j�, Moscou s'effor�ait de convaincre les Occidentaux de l'existence d'une menace terroriste � grande �chelle d'origine islamiste et inscrivait le probl�me tch�tch�ne dans cette perspective, alors qu'Am�ricains et Europ�ens privil�giaient les droits de l'homme comme unique grille de lecture. On comprend aussi pourquoi les Russes ont pu finalement trouver un int�r�t au principe d'une d�fense antimissile essentiellement dirig�e contre les "nouvelles menaces" li�es au ph�nom�ne terroriste. C'est pour la m�me raison que, dans les mois suivants, le Kremlin n'a pas cherch� � s'opposer au d�ploiement de forces am�ricaines au Caucase et en Asie centrale - ce qui, nagu�re encore, �tait � peine concevable. L'�quipe de Poutine est parvenue � la conclusion que, dans la situation �conomique difficile que traverse durablement le pays, ces d�ploiements pouvaient utilement contribuer � soulager l'effort de d�fense. �videmment, il y a des limites � ce qui est acceptable, et Moscou ne verrait pas d'un bon ?il un exc�s d'activisme am�ricain dans les anciennes r�publiques sovi�tiques concern�es. Mais le Kremlin compte � la fois sur le jugement des dirigeants de ces pays et sur la vigilance de leurs autres voisins, principalement la Chine et l'Iran. L'avenir d�cidera de la pertinence de ces calculs.
+En ce qui concerne l'OTAN, les dirigeants de la Russie croient d�sormais ou affectent de croire que, puisque la menace d'un conflit traditionnel a disparu sur le th��tre europ�en, cette organisation a d'autant plus perdu de sa pertinence qu'elle n'est gu�re adapt�e au ph�nom�ne du terrorisme. Sinc�rement ou non, ils jugent que le nouvel �largissement, particuli�rement aux pays baltes, sera pour l'OTAN davantage une source de probl�mes que de solutions. Ils notent, comme les Europ�ens eux-m�mes, que l'Alliance atlantique ne joue plus qu'un r�le marginal dans la nouvelle approche g�ostrat�gique am�ricaine, si ce n'est qu'elle demeure, sur le plan politique, le principal forum de s�curit� transatlantique. � cet �gard, ils attachent une grande importance � la revalorisation des relations entre l'OTAN et la Russie. Celle-ci s'est manifest�e, en mai 2002, par l'entr�e en vigueur d'un nouveau Conseil OTAN-Russie, en m�me temps qu'un accord sur la r�duction des deux tiers des arsenaux nucl�aires des deux anciennes superpuissances. D�sormais, la Russie dispose, non pas d'un droit de veto, mais d'une voix significative au sein de l'organisation.
+On doit certes toujours se souvenir de ce mot de Bismarck : "La Russie n'est jamais ni aussi forte ni aussi faible qu'il n'y para�t." Il n'emp�che que, dans le contexte actuel, tous ces r�sultats de la diplomatie du Kremlin sont assez remarquables. Mieux encore : gr�ce au choix de Poutine le 11 septembre, Bush, n� aux relations internationales apr�s la guerre froide, et qui dit consid�rer son partenaire moscovite comme "un homme moderne", a d�finitivement enterr� la hache de guerre. La guerre froide est vraiment "termin�e". Anticipant sur l'avenir, Am�ricains et Europ�ens ont d�cid� de reconna�tre � la Russie le statut d'�conomie de march�, lui ouvrant ainsi effectivement la perspective d'une prochaine adh�sion � l'OMC. Pour couronner le tout, lors de la r�union de Kananaskis (Canada), � la fin du mois de juin, la Russie s'est vu offrir - en m�me temps que des engagements financiers importants pour renforcer la s�curit� de ses armements nucl�aires - un fauteuil � part enti�re au G8, qui, d�sormais, m�rite pleinement son sigle. Enfin, aussi bien les Am�ricains que les Europ�ens envisagent dor�navant le partenariat �nerg�tique avec la Russie de mani�re plus constructive, avec moins d'arri�re-pens�es. Dans leur �valuation des risques, les premiers ne sont d�sormais pas loin de consid�rer que la Russie est plus s�re que le Moyen-Orient. Le d�veloppement de l'industrie du p�trole et du gaz est au centre de la strat�gie de reconstruction �conomique de Moscou. Dans ces conditions, c'est toute la g�opolitique du Moyen-Orient, mais aussi celle du Caucase et de l'Asie centrale - laquelle est au centre des pr�occupations de l'Administration am�ricaine, et d'abord du vice-pr�sident Dick Cheney, dont on conna�t le r�le aupr�s de George W.Bush - qui vont se trouver modifi�es.
+Quoique de fa�on moins spectaculaire que la Russie, la R�publique populaire de Chine (RPC) n'a pas, elle non plus, h�sit� � se joindre � la Sainte-Alliance. L'annonce en a �t� faite � l'occasion d'une r�union au sommet du Forum de coop�ration �conomique Asie-Pacifique (APEC), � Shanghai, quelques semaines apr�s les attentats. L� encore, le rapprochement avec les �tats-Unis �tait en fait entam� avant le 11 septembre, apr�s des relations difficiles pendant les premiers mois de la pr�sidence de George W. Bush, celui-ci n'ayant pas encore d�cid� s'il devait consid�rer l'empire du Milieu comme un partenaire ou comme le futur rival ou adversaire � la place de la d�funte URSS. Certes, la Russie a des raisons plus solides que la Chine de vouloir s'ancrer � l'Occident. Plus de 85% de sa population vit � l'ouest de l'Oural, et la petite vingtaine de millions d'habitants r�partie dans les extr�mit�s de l'est se trouve bien isol�e face � l'Asie surpeupl�e. De plus, bien que la culture russe soit profond�ment singuli�re, elle se rattache �videmment davantage � l'Europe qu'� l'Asie.
+Mais la Chine avait deux raisons principales d'affirmer sa solidarit� avec les �tats-Unis au lendemain du 11 septembre. D'une part, elle doit faire face � ses propres probl�mes de minorit�, essentiellement au Xinjiang et au Tibet. Un peu comme la Russie au Caucase, elle esp�re d�sormais davantage de compr�hension du c�t� occidental. D'autre part, et l� encore comme la Russie, quoique dans des conditions tout � fait diff�rentes, la Chine entend se consacrer durablement � son d�veloppement �conomique et � la solution des immenses probl�mes sociaux qui en r�sultent, et pr�parer ainsi la "quatri�me modernisation", celle de la d�mocratie. Pour cela, il faut minimiser les occasions de conflits ext�rieurs. Une bonne entente avec les �tats-Unis est donc cruciale.
+En pratique, P�kin a jou� un r�le d�terminant aupr�s d'Islamabad, apr�s le 11 septembre. Les deux pays, qui forment une alliance de revers par rapport � l'Inde, sont en effet tr�s proches et leur lien a surv�cu aux vicissitudes de l'histoire du second XXe si�cle. En faisant pression sur le g�n�ral Moucharraf pour que celui-ci l�che les Talibans (dont les syst�mes de commandement d�pendaient des Pakistanais) et accepte de coop�rer avec les �tats-Unis, la RPC a apport� sa contribution � la victoire de George W.Bush contre le r�gime du mollah Omar. Avant m�me le 11 septembre, le spectre d'une alliance sino-russe aux d�pens des Occidentaux avait par ailleurs �t� �cart�. Certes, les deux pays avaient sign�, en juillet 2001, un trait� d'amiti� et de coop�ration pour 20ans. Pareil trait� se justifie en soi, �tant donn� les priorit�s des uns et des autres. Sit�t sign�, Vladimir Poutine avait pris soin de d�clarer qu'il n'y aurait pas d'alliance anti-am�ricaine avec la Chine. La question pouvait se poser � l'�poque. Depuis le 11 septembre, elle est devenue compl�tement caduque.
+Les relations entre les grands pays du Nord �tant ainsi affermies, la question-clef du Pakistan se pr�sente sous de meilleurs auspices. Question-clef, car, depuis la partition de 1947, et m�me apr�s l'ind�pendance du Bangladesh, en 1971, on s'interroge sur la viabilit� d'une unit� politique particuli�rement fragile, en raison de ses nombreuses et importantes fractures internes. Sur le plan id�ologique, les Occidentaux n'ont jamais manifest� de sympathie pour un pays qu'ils comprennent mal et dont les gouvernements d�mocratiques - ou d'apparence d�mocratique - sont r�guli�rement balay�s par des coups d'�tat, le dernier en date �tant celui qui a port� le g�n�ral Moucharraf au pouvoir en octobre 1999. � tort ou � raison, beaucoup d'observateurs pensent que l'unit� du Pakistan ne tient qu'� l'existence de la tension avec l'Inde � propos du Cachemire, laquelle servirait � justifier l'ampleur et le r�le des forces arm�es, en particulier le niveau �lev� du budget de d�fense.
+Comme en Inde, l'acc�s � l'arme nucl�aire a �t� une pr�occupation constante des militaires pakistanais, et, dans les ann�es 1970, alors que l'Inde s'activait avec succ�s dans cette direction, on agitait d�j� le spectre de la "bombe islamique". La crainte de cette "bombe islamique" a d'ailleurs jou� un r�le d�cisif dans la politique de non-prolif�ration de l'Administration Carter, � laquelle la France, auparavant laxiste dans ce domaine, s'est ralli�e sous l'autorit� du pr�sident Giscard d'Estaing. Malgr� tous les efforts pour les en emp�cher, Indiens et Pakistanais sont parvenus � leurs fins. La victoire des nationalistes hindous en 1998 a mis en quelque sorte le feu aux poudres. En proc�dant � des essais nucl�aires, l'Inde a bris� le tabou, et le Pakistan lui a aussit�t embo�t� le pas.
+Concr�tement, la question se posait au lendemain du 11 septembre de savoir si le g�n�ral Moucharraf contr�lait effectivement son pays. Jusqu'� quel point, se demandait-on comme nagu�re � propos de l'Alg�rie, l'arm�e �tait-elle noyaut�e par les forces islamistes, en particulier par Al-Qaida ? Dans quelle mesure le gouvernement pouvait-il contr�ler l'ISI (Inter Service Intelligence), c'est-�-dire la puissante organisation de services secrets � laquelle on impute aussi bien l'"invention" des Talibans que l'entretien de la guerre au Cachemire? Peut-�tre Ben Laden a-t-il sp�cul� sur la fragilit� du Pakistan : en attirant les Am�ricains dans le pi�ge pachtoune, le pays n'allait-il pas se casser? Al-Qaida n'allait-elle pas mettre la main sur l'ISI et sur la bombe? Si tel a bien �t� le calcul, il a �t� d�jou�, en tout cas jusqu'� ce jour, et ce, au moins pour trois raisons. Sans doute l'arm�e est-elle moins "noyaut�e" et l'ISI moins autonome qu'on ne le pense. De plus, toutes les pressions internationales qui se sont exerc�es sur le g�n�ral Moucharraf ont point� dans la m�me direction. Enfin, celui-ci a r�agi en homme d'�tat, avec sang-froid et courage. Dans un discours de janvier 2002, il n'a pas h�sit� � se prononcer clairement pour un �tat de droit.
+Cela dit, la question fondamentale de la fragilit� du Pakistan demeure. Moucharraf a l�ch� les Talibans. Il est cependant probable que les r�seaux d'Al-Qaida sont encore actifs sur le territoire pakistanais. Peut-�tre Ben Laden et le mollah Omar y vivent-ils cach�s. Mais tout indique que ce l�chage n'est pas une duperie. Il semble �galement que le g�n�ral-pr�sident coop�re avec les �tats-Unis pour que la "bombe islamique" ne tombe pas entre les mains des islamistes. Mais le g�n�ral peut-il se permettre de c�der aussi sur le Cachemire sans risque de saper le pouvoir qu'il est jusqu'ici parvenu � maintenir?
+Comme l'affaire isra�lo-palestinienne, la question du Cachemire est de celles qui paraissent simples quand on les consid�re de loin et sans passion, et deviennent inextricables lorsque l'on s'en rapproche, a fortiori lorsque l'on y est engag� �motionnellement. Du point de vue de Sirius, le dossier pakistanais est plut�t convaincant, puisque, apr�s la partition, le rattachement du Cachemire � l'Inde n'a tenu qu'� la d�cision d'un maharadja sans doute manipul�, alors que la raison d�mographique ou g�ographique aurait conduit � l'autre branche de l'alternative. Depuis 1947, le d�saccord sur le Cachemire est la manifestation vivante du drame d'une s�paration jamais compl�tement accept�e du c�t� indien. La victoire du BJP (Parti du peuple indien) et du nationaliste Atal Bihari Vajpayee, en mars 1998, a raviv� des braises jamais �teintes, d'autant plus que le nouveau Premier ministre a fait proc�der, comme on l'a rappel�, � des essais nucl�aires. L'ISI est-il � l'origine des attentats contre le Parlement de New Delhi, en d�cembre 2001, et au Cachemire? Et s'il en est ainsi, comme on peut l'imaginer, jusqu'� quel point le g�n�ral Moucharraf lui-m�me a-t-il �t� oblig� de participer aux d�cisions?
+En tout cas, la tension n'a cess� de monter au fil des mois. Au printemps, Washington avait toutes les raisons de craindre que le Pakistan ne d�garnisse sa fronti�re avec l'Afghanistan, pour red�ployer les forces en direction de l'Himalaya. Pour les �tats-Unis, il est clair que la question du Cachemire est devenue cruciale puisqu'un d�rapage pourrait y avoir des cons�quences catastrophiques pour la lutte contre Al-Qaida. Imagine-ton, dans le contexte actuel, le retentissement d'un �change nucl�aire entre les deux fr�res s�par�s? C'est pourquoi le pr�sident Bush a d�p�ch� dans la r�gion son ministre de la D�fense, Donald Rumsfeld (en juin). Mais Washington ne saurait se contenter d'ordonner � Islamabad d'emp�cher les attentats au Cachemire. Qu'on le veuille ou non, il y a terrorisme et terrorisme, et une bonne strat�gie antiterroriste n'est possible que sur la base d'une juste analyse des causes de tels actes.
+En fait, dans la vaste r�vision d'ensemble de leur politique �trang�re, les �tats-Unis sont d�sormais oblig�s de trouver une voie pour, � la fois, renforcer les liens avec l'Inde (d'autant que de graves probl�mes risquent de surgir au N�pal o� s�vit un mouvement r�volutionnaire "mao�ste") et avec le Pakistan, dont le maintien de l'unit� rev�t d�sormais un caract�re vital. En particulier, la superpuissance ne peut �viter de s'interposer dans le conflit du Cachemire, pas plus qu'elle ne peut laisser Isra�liens et Palestiniens face � face. Du temps de la guerre froide, le jeu r�gional �tait domin� par le croisement de deux alliances implicites, celle entre l'Union sovi�tique et l'Inde, et celle entre les �tats-Unis et le Pakistan, que venait compliquer le facteur chinois. Dor�navant, la recherche d'un modus vivendi, sinon d'une r�conciliation, entre les fr�res s�par�s est devenu une priorit�. L� comme ailleurs, on peut pr�voir que le r�alisme va, au moins pour un temps, l'emporter sur l'id�ologie : mieux vaut, dans l'imm�diat, un Pakistan effectivement gouvern� par un r�gime autoritaire, mais un �tat solide participant activement � la Sainte-Alliance, qu'un Pakistan th�oriquement d�mocratique mais corrompu, impuissant et, en d�finitive, friable.
+Face � ces �v�nements, l'Europe n'appara�t pas grandie. Certes, l'immense majorit� des Europ�ens a fortement ressenti l'�motion si bien traduite dans un article r�dig� � chaud par le directeur du journal Le Monde, Jean-Marie Colombani, et commen�ant par cette phrase : "Dans ce moment tragique o� les mots paraissent si pauvres pour dire le choc que l'on ressent, la premi�re chose qui vient � l'esprit est celle-ci : nous sommes tous Am�ricains!" Mais, en politique, les �motions ne dominent pas durablement la sc�ne. George W.Bush a rapidement signifi� que les �tats-Unis entendaient r�gler seuls leur querelle, et que, dans la guerre contre Al-Qaida, ils n'attendaient des Europ�ens que des concours ponctuels, lesquels ne leur ont pas �t� marchand�s. Certes, sur l'insistance de Lord Robertson, le 12 septembre, l'OTAN a d�cid� d'activer le fameux article du trait� de l'Atlantique Nord, mais il ne pouvait s'agir que d'un symbole dont l'impact fut � peu pr�s nul. � long terme cependant, la coop�ration des �tats europ�ens est indispensable, comme l'est celle des �tats-Unis, pour toutes les questions d�j� �voqu�es ici, telles que le renseignement, la lutte contre le blanchiment de l'argent, etc. Dans l'imm�diat et dans l'ordre des op�rations militaires, les Europ�ens et l'Union europ�enne, en tant que telle, furent marginalis�s. On peut penser que tel aurait aussi �t� le cas si, au lieu de s'en prendre au sol am�ricain, Al-Qaida avait frapp� des cibles sur le Vieux Continent. Et l'on peut craindre que tel serait le cas si pareille trag�die devait se produire. Il en est ainsi parce que notre Union ne s'est pas encore dot�e d'une v�ritable d�fense commune, ni au niveau des proc�dures de d�cision, ni au niveau des moyens. Ce n'est pas la seule raison.
+On ne saurait concevoir une politique de d�fense r�ellement commune sans, parall�lement, une politique �trang�re commune. Il y a une trentaine d'ann�es, on discutait gravement de la notion d'Union �conomique et mon�taire (UEM) et de la question de savoir si l'union �conomique devait pr�c�der l'union mon�taire - ou inversement. Dans la r�alit�, on a fait les deux dans un m�me �lan strat�gique. Incidemment, il convient de saluer l'extraordinaire succ�s du passage concret � l'euro, au d�but de l'ann�e 2002, c'est-�-dire la mise en circulation des billets et des pi�ces de la nouvelle monnaie. S'agissant de la politique �trang�re et de s�curit� commune (PESC), il en ira n�cessairement de m�me. Certes, des petits pas significatifs ont �t� accomplis dans la bonne direction, particuli�rement depuis la rencontre franco-britannique de Saint-Malo, en 1998, en ce qui concerne la d�fense; et, dans le domaine de la politique �trang�re, on ne doit pas sous-estimer les avanc�es. Par exemple, en ao�t 2001, Javier Solana, le Haut repr�sentant pour la PESC, a largement contribu� � forger un arrangement compliqu� mais viable en Mac�doine, qui a abouti au d�sarmement de la gu�rilla albanaise. L'Union europ�enne s'appr�te �galement � assumer les responsabilit�s de l'OTAN au Kosovo. Elle a agi de fa�on coh�rente vis-�-vis de l'ex-Yougoslavie, dont le dernier avatar est une nouvelle f�d�ration entre la Serbie et le Mont�n�gro. Peut-�tre cependant l'Union devrait-elle se montrer plus active dans cette r�gion, car les ressentiments demeurent chez les Serbes, dont beaucoup suivent avec sympathie la pugnacit� de Milosevic au Tribunal p�nal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye.
+Dans l'�tat actuel des choses, l'Union europ�enne en tant que telle reste incapable d'affirmer et de d�fendre ses int�r�ts les plus fondamentaux, pour ne pas dire vitaux. On prendra deux exemples : la Russie et le Proche ou Moyen-Orient. Il est g�opolitiquement �vident que, dans le contexte post-sovi�tique, l'id�e m�me d'Union europ�enne implique la formulation d'un concept russo-euro-p�en. Les Russes y aspirent, car, dans cette phase tr�s perturb�e de leur histoire, ils ressentent avec lucidit� notre communaut� de destin. Il existe d�sormais un Conseil OTAN-Russie et un G8, mais pas encore de structure o� l'Union europ�enne en tant que telle et la Russie puissent d�battre et discuter de leurs int�r�ts communs, par exemple � propos de Kaliningrad. D�s lors que la Lituanie entre dans l'Union, la question du transit entre cette ville -dont on ne saurait remettre en cause l'appartenance � la F�d�ration de Russie sans bousculer tout l'�difice mis en place en 1990, au moment de la r�unification allemande - et le reste du pays devient en effet une affaire europ�enne, et non plus lituanienne.
+Quant au Proche et au Moyen-Orient, c'est, �galement dans une perspective � long terme, une r�gion d'int�r�t vital pour l'Europe, � cause de la g�ographie. Qu'il s'agisse du conflit isra�lo-palestinien, de l'Irak ou de l'Iran, ceux des pays europ�ens auxquels l'histoire a conf�r� un poids pour ces sujets raisonnent � peu pr�s de la m�me fa�on. Ils pr�conisent une approche plus �quilibr�e entre Isra�liens et Palestiniens, une politique de containment vis-�-vis de l'Irak, mais sans intervention militaire massive aussi longtemps qu'une situation de l�gitime d�fense n'aura pas �t� �tablie, et une politique de d�tente bien contr�l�e � l'�gard de l'Iran. Dans les trois cas, les principaux pays europ�ens divergent beaucoup moins entre eux qu'entre chacun d'eux et les �tats-Unis. Mais, �tant divis�s pour des raisons secondaires, ils en sont r�duits � un r�le suppl�tif - ce qui ne veut pas dire nul - par rapport aux �tats-Unis et � des gestes d�risoires, comme de financer les infrastructures de l'Autorit� palestinienne avant d'assister, impuissants, � leur destruction, puis sans doute d'�tre convi�s � les financer de nouveau.
+La n�cessit� de s'adapter � un monde nouveau interdit de renvoyer la question de la politique ext�rieure commune aux calendes grecques. Certes, pour qu'une unit� politique puisse �laborer et mettre en oeuvre une politique ext�rieure commune, il faut que cette unit� en soit effectivement une. Or les arguments contraires ne manquent pas, et l'existence de bureaucraties anciennes souvent p�n�tr�es de leurs traditions, au demeurant fort respectables, n'arrange pas les choses. Pourtant, lorsque l'on regarde concr�tement, et non plus abstraitement, les grands enjeux plan�taires, comment ne pas conclure � la possibilit� sinon � la n�cessit� d'une Union qui en soit une?
+J'ai d�velopp� ailleurs un parall�le entre la construction europ�enne au sens du processus en cours depuis maintenant 45ans, et la construction nationale telle qu'en parlait Ernest Renan. Les deux aventures sont diff�rentes mais se ressemblent. Il s'agit de traduire dans les faits, et donc d'abord dans des institutions, un "vouloir vivre ensemble" fond� sur une intelligence du pass� et sur un projet commun. Il est tentant, � propos de l'Europe, de transposer ce cri de Massimo D'Azeglio, l'un des chefs mod�r�s du Risorgimento, lors de la premi�re session du Parlement du royaume d'Italie nouvellement unifi� : " Nous avons fait l'Italie, maintenant nous devons faire les Italiens." � pr�sent, la priorit� est de faire l'Europe, avant de faire les Europ�ens, encore que la combinaison de la libre circulation et de l'euro y contribue puissamment. Le d�fi est principalement d'ordre institutionnel. En d�cembre 2001, le Conseil europ�en de Laeken a d�cid� de cr�er une Convention sur l'avenir de l'Union europ�enne, afin de pr�parer la r�forme des institutions, et de porter � sa t�te l'ancien pr�sident Val�ry Giscard d'Estaing. La t�che est immense et m�rite le qualificatif d'historique. L'�largissement de l'Union est inscrit dans les faits, et son h�t�rog�n�it� augmente. Ainsi, au cours des derniers mois, a-t-on assist� � la victoire des socialistes (ex-communistes) en Pologne, et � une remise en cause des disciplines �conomiques et financi�res. Une Union de plus en plus large, h�t�rog�ne et bancale sur le plan institutionnel, serait vou�e � l'�clatement. Comment aboutir au contraire � une Union effectivement large, mais coh�rente et bien gouvern�e? Tel est le d�fi que la Convention doit surmonter. En attendant l'aboutissement de ses travaux, l'Europe continuera d'�tre marginalis�e dans les grandes affaires du monde.
+Ben Laden a-t-il sp�cul� sur un affaiblissement du moral de l'Am�rique apr�s le 11 septembre? Si tel fut le cas, il s'est �videmment tromp�. La mobilisation patriotique a �t� extraordinaire et durable. La nation s'est massivement rang�e derri�re George W.Bush, qui s'est ainsi trouv� une mission � la hauteur de l'Histoire. Sa popularit�, qui commen�ait � fl�chir au milieu de 2001, est brusquement remont�e pour atteindre des sommets sans pr�c�dents depuis Franklin D.Roosevelt. Pendant des mois, la "guerre contre le terrorisme" aura �t� le principal sinon l'unique objet de ses pr�occupations et aura servi de s�same pour tenter de restaurer une autorit� pr�sidentielle s�v�rement affaiblie depuis le Watergate, au d�but des ann�es 1970. C'est seulement � l'approche des mid-term elections de novembre 2002 que la petite politique tend � reprendre le dessus, au moins de mani�re apparente car elle n'a jamais vraiment disparu. Le peuple am�ricain a donc remarquablement r�agi, mais, au moins sur un plan, avec une certaine na�vet� collective. D'o� vient, demande en effet l'homme de la rue depuis le 11 septembre, " qu'on ne nous aime pas et m�me qu'on nous ha�sse � ce point"? L'un des traits de la culture am�ricaine auquel participent aussi bien les citoyens fra�chement naturalis�s, et qui constitue une force autant qu'une faiblesse, est en effet cette modalit� d'ethnocentrisme selon laquelle on affirme de bonne foi l'universalit� et donc la sup�riorit� absolue de sa culture.
+L'immense majorit� des Am�ricains, dont George W.Bush est � cet �gard un repr�sentant exemplaire, ne doutent pas que le " mod�le am�ricain " soit l'horizon ind�passable pour tout habitant de notre plan�te. Et lorsque des voix contraires parviennent � se faire entendre, on les ignore ou on les attribue � des forces obscurantistes. Tel est souvent le cas dans les conf�rences internationales o� les pays du Tiers-Monde disposent d'un si�ge � part enti�re, comme � la conf�rence mondiale contre le racisme et les discriminations, r�unie � Durban quelques jours seulement avant les attentats. On y assista � une v�ritable lev�e de boucliers contre la pr�tention des Occidentaux � imposer leurs valeurs et contre leur hypocrisie, puisqu'ils utilisent souvent, en pratique, deux poids et deux mesures. Certes, � Durban, les �tats-Unis ont fait une concession � l'air du temps en acceptant de s'"excuser" pour l'esclavage. Ils n'en ont pas moins, avec Isra�l, claqu� la porte le 3 septembre, lorsque l'accusation de racisme a �t� retourn�e contre eux. �videmment, la bonne conscience am�ricaine suscite de l'animosit� et m�me de la haine, lorsque, dans l'exercice de la politique ext�rieure, elle se conjugue � la force au sens le plus large du terme. Tout ceci n'explique pas directement Ben Laden, et le justifie encore moins, pas plus que des consid�rations purement sociologiques suffiraient � expliquer Hitler. Mais il y a toujours des diables d'homme parmi les hommes. Ben Laden en est un, et il a su exploiter un anti-occidentalisme, et particuli�rement un anti-am�ricanisme, dont les racines s'�taient sourdement �tendues depuis la chute de l'URSS, cependant que les vainqueurs de la guerre froide projetaient leurs r�ves sonores sur la fin de l'histoire.
+La politique �trang�re des �tats-Unis refl�te n�cessairement l'universalisme ethnocentrique inh�rent � ce pays. Dans ce domaine comme dans d'autres, la forme et le fond sont intimement li�s, mais l'un ne d�termine pas enti�rement l'autre. De ce point de vue, le style tr�s direct et m�me abrupt du pr�sident George W.Bush convient incontestablement mieux � l'int�rieur qu'� l'ext�rieur de son pays. On dirait que le 43e pr�sident s'ing�nie � heurter les Barbares. Les Barbares, ce sont les autres, de m�me que les Arabes distinguent la "terre de l'islam" (Dar al Islam) et la "terre de la guerre" (Dar al Harb). Parmi les manifestations les plus r�centes de cette forme de violence, on notera le conflit sur l'acier, mais surtout le rejet cat�gorique et sans nuance de la Cour p�nale internationale et, d�but juillet, le coup de force am�ricain au Conseil de s�curit� des Nations unies (chantage sur la prorogation du mandat de la Mission des Nations unies en Bosnie-Herz�govine (MINUBH)) pour modifier le statut de la Cour � leur convenance. Isol�e, Washington a d� renoncer � certaines de ses exigences et accepter un compromis. Mais ni le droit international, ni le Conseil de s�curit� n'en sont sortis totalement indemnes. � force de r�p�tition, ce type de comportement ne contribue pas � att�nuer les effets de ce qui est ressenti par le reste du monde comme de l'arrogance. Or, la premi�re puissance mondiale est simplement convaincue de son bon droit, sa Constitution et son Bill of Rights l'emportant, pour elle, sur les lois internationales.
+Sur le fond, la politique ext�rieure am�ricaine manifeste structurellement une m�fiance profonde vis-�-vis des institutions internationales et, plus g�n�ralement, du "multilat�ralisme". Les Fran�ais sont bien plac�s pour le comprendre, car le temps n'est pas si loin o� le g�n�ral de Gaulle qualifiait l'ONU de "machin". La France s'est progressivement accoutum�e � cette nouvelle forme de diplomatie, d'une part parce qu'elle participe de l'essence du processus europ�en, et d'autre part en raison de la diminution du poids relatif de notre pays dans le monde. De nos jours, les Am�ricains ont parfois tendance � voir dans l'ONU une machine de guerre � leur encontre. Ils tol�rent mal le partage de la d�cision au sein de l'OTAN, comme on l'a constat� en 1999, � l'occasion des op�rations contre la Serbie de Milosevic, o� le g�n�ral Clark n'a cess� de se plaindre de ne pas avoir les coud�es suffisamment franches. Les �v�nements du 11 septembre ont certes conduit les �tats-Unis, par mesure de pr�caution, � r�gler leurs arri�r�s de paiement � l'ONU. Ils ont �galement favoris�, comme on l'a vu, l'aboutissement d'un accord avec la Russie sur le d�sarmement nucl�aire. Mais, en ce qui concerne les Nations unies, une mesure tactique n'est pas un changement de strat�gie. Quant � la nouvelle relation avec la Russie, elle ne traduit d'aucune mani�re un retour � la philosophie de l'" arms control ", �labor�e et mise en oeuvre pendant la p�riode sovi�tique.
+Ce que l'on appelle " unilat�ralisme ", c'est d'abord le rejet du multilat�ralisme institutionnalis�, qu'il convient de distinguer du "multilat�ralisme � la carte", nouvelle d�nomination mise � la mode par Richard Haass, le directeur du Policy Planning Staff du d�partement d'�tat. Il s'agit l� d'une d�nomination �quivoque, car elle ne vise que les coalitions de circonstance. Le rejet n'est pas total : les �tats-Unis ont appris � s'accommoder de l'OMC. Mais il l'est pour ce qui concerne les grandes affaires politiques. Sur ce point, l'immense �tat am�ricain n'a pas de meilleur alli� que le petit �tat isra�lien, lequel, typiquement, a sign� le trait� cr�ant la Cour p�nale internationale en d�cembre 2000, mais n'est pas pr�s de le ratifier, la CPI �tant d'avance soup�onn�e d'impartialit�, malgr� toutes les pr�cautions prises.
+Cela dit, la question du multilat�ralisme, dans l'�tat actuel des relations internationales, ne se pose pas en termes de tout ou rien. Les grands �tats (grands par la superficie et la population comme la Chine, l'Inde ou m�me la Russie), dont la situation le leur permet, s'efforcent autant que possible d'en rester � la diplomatie bilat�rale traditionnelle. Quand on parle de l'unilat�ralisme am�ricain, c'est aussi, plus sp�cifiquement, � la nature de leurs relations avec leurs alli�s que l'on pense. � l'�poque de la guerre froide, dans le cadre de l'Alliance atlantique, on d�battait ad nauseam de l'�quilibre ou plut�t du d�s�quilibre du processus d�cisionnel au sein de l'organisation, et du contenu de la notion de "consultation" entre le grand fr�re et les autres. � pr�sent, l'OTAN n'a plus la m�me centralit� dans les relations transatlantiques, et les questions nagu�re jug�es p�riph�riques occupent le devant de la sc�ne. L'asym�trie n'en est que plus frappante.
+Tel est le cas face au conflit isra�lo-palestinien. Apr�s une phase initiale d'indiff�rence, due notamment � l'�chec de la politique de Bill Clinton, le nouveau pr�sident avait compris, d�s avant le 11 septembre, la n�cessit� de s'impliquer dans le dossier. Au lendemain des attentats, il a d'abord sembl� vouloir r��quilibrer la politique am�ricaine en se pronon�ant explicitement, d�s le 2octobre, puis le 10 novembre � l'Assembl�e g�n�rale des Nations unies - ce qu'aucun de ses pr�d�cesseurs n'avait os� faire - en faveur d'un �tat palestinien. En mars 2002, la r�solution 1397 du Conseil de s�curit� de l'ONU, introduite par les �tats-Unis, a affirm� une "vision de la r�gion o� deux �tats, Isra�l et la Palestine, vivent c�te � c�te dans des fronti�res s�res et reconnues".
+En pratique, cependant, George W.Bush a laiss� les mains libres � Ariel Sharon, allant m�me, apr�s l'intervention pour le moins muscl�e de Tsahal � J�nine, jusqu'� qualifier le chef du gouvernement isra�lien d'"homme de paix", ce qui a d� surprendre l'int�ress� lui-m�me. � cette �poque, le pr�sident avait demand� au Premier ministre de retirer "sans d�lai" les troupes engag�es dans les villes sous autorit� palestinienne, mais les d�lais ont �t� bien longs et le retrait r�versible. Le 19avril, les �tats-Unis ont introduit la r�solution 1405 du Conseil de s�curit�, d�cidant de l'envoi d'une commission d'" �tablissement des faits " � J�nine ; puis ils ont chang� d'avis et mis Kofi Annan dans une situation fort embarrassante. Washington a ensuite propos� l'ouverture d'une conf�rence internationale sur le Moyen-Orient, mais la Maison-Blanche s'est aussit�t employ�e � en minimiser la port�e. Le 24juin, le pr�sident ne l'a pas m�me mentionn�e. Dans son discours ce jour-l�, il a subordonn� tout progr�s vers la cr�ation d'un �tat palestinien au remplacement de Yasser Arafat, ajoutant ce nom illustre � la liste des leaders arabo-musulmans dont les �tats-Unis veulent la t�te.
+En fait, George W.Bush a oscill� au rythme des nombreuses visites d'Ariel Sharon. Tous les observateurs voient dans cette attitude l'effet de ce qu'outre-Atlantique on appelle les lobbies : lobby juif mais aussi lobby des chr�tiens conservateurs. Ce sont ces m�mes lobbies qui ont fait campagne sur le th�me de la pusillanimit�, voire de l'antis�mitisme, des Europ�ens en g�n�ral, et des Fran�ais en particulier, au point de provoquer l'�tonnement du Conseil repr�sentatif des institutions juives de France (CRIF) et une vigoureuse r�action du pr�sident Jacques Chirac. Bush, quant � lui, songe aux �lections de novembre 2002. Il veut que les r�publicains r�cup�rent une partie d'un �lectorat traditionnellement acquis aux d�mocrates. Ce que l'on appelle unilat�ralisme, c'est aussi la surd�termination de certains aspects cruciaux de la politique �trang�re par la politique int�rieure.
+Du c�t� europ�en, on peut r�sumer l'attitude vis-�-vis du conflit isra�lo-palestinien de la fa�on suivante : Arafat ne s'est pas montr� � la hauteur de l'Histoire depuis Camp David II, et la corruption de l'Autorit� palestinienne n'est pas douteuse ; mais la responsabilit� de Sharon - qui s'est toujours oppos� aux plans de paix, que ce soit le trait� avec l'�gypte ou le processus d'Oslo, et qui s'est engouffr� dans la br�che du 11 septembre en pr�sentant la guerre contre les Palestiniens comme une modalit� de la grande guerre contre le terrorisme - est non moins �crasante. Pour parvenir � la paix, la communaut� internationale doit mettre en oeuvre les moyens de pression consid�rables - positifs et n�gatifs - dont elle dispose vis-�-vis des deux parties, lesquelles d�pendent en effet massivement de l'ext�rieur pour leur survie. Pour atteindre un objectif final - sur lequel ils sont aujourd'hui largement d'accord -, une action mieux coordonn�e entre Am�ricains et Europ�ens est n�cessaire, les uns et les autres ayant vocation � �tre les garants ultimes du maintien de la paix une fois r�tablie, laquelle pourrait �tre en particulier assur�e par une force d'interposition pr�sente sur le terrain.
+Sur un plan �videmment moins dramatique, la surd�termination de la politique �trang�re par la politique int�rieure s'est �galement manifest�e, au cours des derniers mois, sur le plan commercial. En d�cidant brutalement de prot�ger par des barri�res tarifaires le secteur sid�rurgique, en perdition parce qu'il n'a pas su entreprendre les restructurations n�cessaires, et d'augmenter massivement les subventions aux agriculteurs, le pr�sident Bush est all� � l'encontre de la politique de libre-�change dont il avait fait un axe majeur de son projet initial, quitte � susciter l'ire de plusieurs de ses partenaires �trangers, et m�me celle d'une partie de la droite r�publicaine bien repr�sent�e par le Wall Street Journal. Mais il n'en a cure. Dans les deux cas, les d�cisions ont �t� prises exclusivement en fonction de consid�rations �lectorales, � charge pour le talentueux repr�sentant pour le Commerce, Robert Zoellick, de d�fendre imperturbablement l'ind�fendable en b�tissant un discours dont il ne croit probablement pas un mot. Les �tats-Unis se sont cependant engag�s dans un nouveau cycle de n�gociations commerciales multilat�rales � Doha, et, en d�cembre 2001, le pr�sident a obtenu, par une voix de majorit� � la Chambre des repr�sentants, un vote favorable pour la Trade Promotion Authority (TPA), auparavant appel�e Fast Track, laquelle doit donner � l'ex�cutif des moyens de n�gocier des compromis.
+Pour conclure ces remarques compl�mentaires sur la politique ext�rieure am�ricaine depuis le 11 septembre, on ajoutera quelques mots sur l'Am�rique latine. Au d�but de sa pr�sidence, George W.Bush, qui est texan, avait fait une priorit� de la constitution d'une zone de libre-�change couvrant l'ensemble du continent. Peut-�tre aurait-il activement poursuivi ce but si les circonstances n'avaient durablement d�tourn� son attention.
+Dans la pratique, la politique latino-am�ricaine de la nouvelle Administration, conduite par Otto Reich, une personnalit� tr�s controvers�e qui n'a toujours pas �t� confirm�e par le S�nat, suscite des interrogations. D'un c�t�, il semble bien que les �tats-Unis n'aient pas �t� �trangers � la tentative de coup d'�tat contre le pr�sident v�n�zu�lien Hugo Chavez, dont le populisme a tout pour leur d�plaire. Cette tentative a �chou�. De l'autre, Washington a compl�tement laiss� tomber l'Argentine, dont une fraction importante de la population s'enfonce dans la mis�re. On dirait que, pour Washington, aujourd'hui, contrairement � un pays dont les difficult�s �conomiques sont �galement s�v�res comme la Turquie, la valeur g�opolitique de la carte argentine est nulle. Si Buenos Aires veut de l'aide, il faut d'abord r�former. Et si aucun des gouvernements qui s'y succ�dent n'y parvient, advienne que pourra. Sur quelle configuration le chaos argentin peut-il d�boucher? Quel type d'�v�nements serait de nature � forcer Washington � r�agir? Autant de questions sur lesquelles on ne peut, actuellement, que sp�culer. Dans l'imm�diat, ni aux �tats-Unis, ni au Br�sil, on ne semble craindre la propagation d'une crise consid�r�e comme tr�s sp�cifique. La d�fiance des march�s financiers � l'�gard du Br�sil tient davantage � l'incertitude qui entoure la succession du pr�sident Fernando Henrique Cardoso.
+En introduction du pr�c�dent RAMSES, j'avais retenu pour commencer le th�me du ralentissement �conomique. Un an plus tard, alors qu'elle a subi deux chocs suppl�mentaires, l'�conomie mondiale r�siste. Le premier choc, celui du 11 septembre, a �t� remarquablement absorb�, malgr� son effet direct sur d'importants secteurs d'activit�s, comme les transports a�riens ou les assurances, et son effet indirect sur la consommation des m�nages aux �tats-Unis. Un mois � peine apr�s les attentats, la bourse de New York a pu rouvrir avec succ�s, malgr� la d�sorganisation de Wall Street. Le second choc fut l'affaire Enron et celles qui s'ensuivirent. Cette fois, c'est la confiance dans la bonne gouvernance du syst�me capitaliste qui s'est trouv�e gravement �branl�e.
+En fait, en moins de deux ans, trois mythes particuli�rement porteurs se sont �vapor�s : les cycles �conomiques avaient disparu, l'Am�rique �tait invuln�rable, et la concurrence avait atteint un tel degr� de perfection que le march� attribuait sa vraie valeur � chaque entreprise. L'attitude p�remptoire des thurif�raires de la mondialisation qui d�clinaient ces mythes sans exprimer la moindre r�serve a d'ailleurs contribu� � susciter des r�actions parfois excessives mais souvent salutaires. En tout cas, il a fallu se r�soudre � reconna�tre que l'on n'en avait pas fini avec les cycles, et qu'� l'aube d'une nouvelle r�volution industrielle, de grandes entreprises peuvent commettre de grandes erreurs. La puissante Am�rique a �t� ensanglant�e dans deux de ses symboles, et elle sait maintenant qu'elle vit � l'ombre d'une �p�e de Damocl�s. Enfin, l'opprobre est brusquement jet� sur le capitalisme, que l'on disait transparent gr�ce aux analystes financiers, aux agences de notation et naturellement aux soci�t�s d'audit.
+Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que les bourses se soient trouv�es malmen�es, avec des mouvements de grande ampleur. L'une des raisons pour lesquelles l'�conomie r�elle n'a pas, jusqu'� pr�sent, davantage souffert du faisceau des circonstances d�favorables est l'efficacit� de la coop�ration entre les banques centrales, d�terminante dans les p�riodes critiques. Cela dit, si la crise boursi�re devait s'aggraver, on voit mal comment l'�conomie r�elle ne finirait pas par en �tre affect�e. Le moindre indice favorable ou d�favorable sur la croissance de l'activit� aux �tats-Unis suscite une r�action excessive des march�s, extr�mement nerveux. L'incertitude est lourde � court terme.
+� moyen et long terme, les raisons d'optimisme ne manquent pas. La r�volution des technologies de l'information n'a pas �t� abolie par les faux pas de certaines entreprises, et, d'une mani�re g�n�rale, comme l'a si bien d�montr� Schumpeter dans son ouvrage c�l�bre Capitalisme, socialisme et d�mocratie, le capitalisme survit en s'adaptant et en se transformant sans cesse. Quant aux �tats-Unis, ils ont d�j� prouv� qu'aucun Al-Qaida n'�tait pr�s de les mettre � genoux. Cela dit, la pr�vision est l'art le plus frustrant. La mondialisation nous r�serve s�rement bien d'autres " surprises ". Dans un essai aussi concis que brillant o� elle soutient que le monde est d�j� devenu chaotique, Th�r�se Delpech manifeste un pessimisme excessif � mes yeux, mais elle trouve le mot juste en disant que le "ph�nom�ne de surprise strat�gique pourrait � lui seul caract�riser la p�riode qui s'ouvre ". La plus �tonnante des surprises strat�giques, dans la premi�re ann�e du si�cle, sera venue d'une grotte quelque part en Afghanistan.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
A para�tre dans la s�rie des Policy Papers du CFE (ifri)
+Apr�s une d�cennie de grande discr�tion, les questions �nerg�tiques sont remont�es sur le haut de l'agenda politique am�ricain � l'occasion de la � crise � de 2000 - 2001. Le rapport Cheney (mai 2001) manifeste ce retour des pr�occupations li�es � l'�nergie. La r�duction de la � d�pendance � �nerg�tique des Etats-Unis y est affirm�e comme un objectif prioritaire. Les �v�nements du 11 septembre n'ont fait que renforcer la l�gitimit� de l'appel � r�duire la d�pendance p�troli�re du pays. L'essentiel des mesures pr�conis�es par le rapport Cheney en mati�re p�troli�re visent � stimuler l'offre int�rieure. Cette �tude entend montrer que les marges de manoeuvre de l'administration sont tr�s faibles. On �tudie d'abord l'�volution de la demande p�troli�re am�ricaine sur longue p�riode, soulignant la forte baisse de l'intensit� �nerg�tique du PIB et la concentration de la demande sur les usages sp�cifiques (notamment le transport), apr�s 1973. On souligne le caract�re improbable d'une politique forte de ma�trise de la demande de carburants. On �tudie ensuite le long processus de p�n�tration du p�trole import� sur le march� am�ricain, � partir de la fin des ann�es 1940. On conclut que l'�viction de la production int�rieure par les importations est d�termin�e par des facteurs �conomiques tr�s puissants (en particulier la diff�rence de co�t marginal de d�veloppement avec d'autres r�gions du monde). On s'int�resse enfin � la structure g�ographique des importations am�ricaines, en particulier � la part du Moyen-Orient et au degr� de r�gionalisation de l'approvisionnement.
+Les principales conclusions de cette �tude sont (1) que le gouvernement am�ricain n'est pas en mesure d'enrayer l'augmentation des importations p�troli�res, ni en valeur absolue ni en valeur relative, et (2) qu'il n'est pas en mesure de contr�ler le taux de � d�pendance � � l'�gard du Moyen-Orient.
+Le lien entre � d�pendance p�troli�re � et s�curit� �nerg�tique doit �tre relativis�. Le march� �tant int�gr� mondialement, une � crise p�troli�re � prend la forme d'une hausse de prix ressentie mondialement, et non d'une p�nurie physique. Pour la m�me raison, les effets d'une baisse de la consommation ou d'une augmentation de la production int�rieure sont dilu�s dans le march� p�trolier mondial. La variable cl� n'est pas la � d�pendance � p�troli�re mais la concentration de l'offre mondiale et l'intensit� p�troli�re de l'�conomie am�ricaine.
+Des ann�es 1920 aux ann�es 1970, la politique p�troli�re des Etats-Unis a �t� marqu�e par un syst�me de contr�le et de limitation de la production int�rieure et des importations. Cette politique, parfois justifi�e (abusivement) par des consid�rations de s�curit�, �tait destin�e � soutenir un prix sup�rieur au prix de concurrence, b�n�ficiant essentiellement � l'industrie p�troli�re � ind�pendante � et � quelques Etats producteurs (dont le Texas et l'Oklahoma), mais aussi, indirectement, aux � majors � op�rant � l'international. Cette politique augmentait dans des proportions tr�s importantes le co�t de l'approvisionnement p�trolier am�ricain, et engendrait un important gaspillage �conomique. A partir du premier choc p�trolier, l'interventionnisme p�trolier fut destin� � limiter la hausse des prix plut�t qu'� pr�venir leur baisse. Les politiques de protection des consommateurs et des raffineurs, qui culmin�rent sous l'administration Carter, eurent des effets pervers de grande ampleur, stimulant les importations et g�n�rant des p�nuries.
+Depuis 1981, la politique p�troli�re des Etats-Unis fait preuve d'une assez grande coh�rence autour de trois axes : lib�ralisation, s�curisation, et construction du march�. Elle consiste � cr�er, par des politiques int�rieures et ext�rieures, les conditions d'un recours massif et s�r au march� p�trolier mondial. Cette politique assure que l'approvisionnement du march� national se fait au meilleur co�t, avec un corollaire : le taux de couverture de la demande par les importations est d�termin� par les seules forces du march�.
+En d�pit d'une rh�torique politique r�currente (et bi-partisane), la r�duction ou m�me la ma�trise de la � d�pendance � n'est pas un �l�ment structurant de la politique p�troli�re am�ricaine, au contraire. C'est donc bien la rationalit� �conomique qui donne sa coh�rence � cette politique, m�me si elle int�gre des �l�ments de s�curisation et de construction du march� n�cessitant une forte implication du gouvernement f�d�ral.
+En mai 2001, un groupe de hauts responsables du gouvernement f�d�ral, pr�sid� par le Vice-Pr�sident Richard Cheney, rendait public un rapport consacr� � la politique �nerg�tique des �tats-Unis. Ce document, que nous d�signerons comme le " rapport Cheney ", pr�sente un �tat des lieux de la situation �nerg�tique du pays, domin� par une tonalit� pessimiste voire alarmiste, suivi d'un certain nombre de propositions ou d'orientations pour l'action publique, susceptibles de rem�dier aux probl�mes identifi�s.
+Ce rapport peut �tre vu comme une manifestation �minente du retour des affaires �nerg�tiques sur le devant de la sc�ne politique outre-Atlantique, plus pr�cis�ment des pr�occupations de s�curit� �nerg�tique, apr�s une d�cennie domin�e par les d�bats environnementaux. La chute des prix du p�trole en 1998, puis leur hausse brutale et leur maintien � un niveau �lev� en 1999, 2000 et sur la premi�re moiti� de 2001, ont constitu� le facteur d�clenchant de ce regain d'int�r�t. En 2000, l'envol�e des prix du gaz naturel sur le march� am�ricain, puis les ruptures d'approvisionnement �lectrique en Californie, ont fait du discours sur la " crise �nerg�tique " un aspect incontournable du d�bat politique am�ricain.
+A la diff�rence des �pisodes pr�c�dents (1973 - 74, 1979 - 80, 1990 - 91), la situation p�troli�re ne constitue pas aujourd'hui l'unique motif d'inqui�tude et de mobilisation. Elle en est toutefois une composante importante. La forte hausse des prix des carburants fut tr�s largement interpr�t�e comme le signe d'une crise structurelle, analys�e en des termes identiques � ceux entendus dix ans plus t�t lors de la crise du Golfe : l'Am�rique est trop " d�pendante " de fournisseurs ext�rieurs, trop expos�e � un march� mondial " instable ", ce qui induit une menace permanente sur sa " s�curit� �nerg�tique ", menace dont la crise r�cente ne serait que la derni�re manifestation, en annon�ant d'autres.
+Ce discours alarmiste s'est, depuis plusieurs mois, consid�rablement att�nu�, les prix des carburants et du gaz naturel �tant revenus � leurs niveaux d'avant la " crise ". Toutefois, les attentats du 11 septembre, l'action militaire en Afghanistan, l'approfondissement de la crise israelo-palestinienne et la volont� affich�e d'une action militaire contre l'Irak, ont contribu� � alimenter le d�bat sur la " d�pendance " p�troli�re et la gestion des approvisionnements, notamment au Congr�s.
+Cette �tude prend pr�texte de la " crise �nerg�tique " de 2000 - 2001, du rapport Cheney et du d�bat sur la " d�pendance p�troli�re ", pour pr�senter une r�flexion critique sur la situation p�troli�re des Etats-Unis, sa perception dans les milieux politiques am�ricains, et les politiques publiques mises en oeuvre au cours des derni�res d�cennies.
+La premi�re section est consacr�e � l'�tude de l'approvisionnement p�trolier des Etats-Unis : �volution de la demande, de la production int�rieure et des importations, de la structure g�ographique des approvisionnements ext�rieurs. L'approche choisie se veut didactique. On fait largement appel � des s�ries statistiques couvrant un demi si�cle (1949 - 2000), que l'on croise avec des analyses �conomiques afin de faire clairement ressortir les tendances lourdes de l'approvisionnement p�trolier des �tats-Unis, les grandes inflexions et leurs d�terminants. On �voque, lorsque c'est utile, l'�volution de la situation p�troli�re am�ricaine d'ici 2020, telle qu'elle ressort de certains exercices de prospective mod�lis�e. L'objectif g�n�ral est de fournir des �l�ments d'analyse permettant d'appr�cier les marges de manoeuvre des politiques publiques en mati�re p�troli�re. La principale conclusion de cette premi�re section est qu'elles sont beaucoup tr�s limit�es.
+Dans la seconde section, on �tudie le lien entre la structure de l'approvisionnement p�trolier (part des importations dans la couverture de la demande, r�partition g�ographique des approvisionnements ext�rieurs) et la s�curit� �nerg�tique des �tats-Unis. On est amen� � relativiser ce lien. Dans l'�tude de la politique p�troli�re am�ricaine sur longue p�riode, on est amen� � mettre l'accent sur les orientations prises par l'administration Reagan au d�but des ann�es 1980. Depuis ce " tournant ", les �tats-Unis ont une politique p�troli�re assez coh�rente, centr�e sur la lib�ralisation du march� int�rieur, la s�curisation et la construction du march� mondial. L'objectif de cette politique n'est pas de r�duire la " d�pendance ", mais au contraire de cr�er les conditions d'un recours massif et in�vitablement croissant aux approvisionnements ext�rieurs.
+Au cours de l'ann�e 2000, les �tats-Unis ont consomm� un peu plus de 7 milliards de barils de p�trole, soit 19,5 millions de barils par jour (Mb/j), un volume identique � celui de 1999. Il s'agit du plus haut niveau de demande p�troli�re de toute l'histoire am�ricaine, le pr�c�dent " pic " (19 Mb/j) ayant �t� atteint successivement en 1978 et 1998 (Figure 1, p. 43). Ce volume repr�sente plus de deux fois la production saoudienne pour cette m�me ann�e (9,1 Mb/j), et le quart de la consommation mondiale (74 Mb/j).
+La demande de p�trole a plus que tripl� depuis le d�but des ann�es cinquante (Figure 2, p. 15). Mais cette progression s'est faite en deux p�riodes bien distinctes, que s�pare la " crise p�troli�re " des ann�es soixante-dix. Le rythme de croissance de la consommation est nettement plus faible au cours de la seconde p�riode. Entre 1949 et 1973, la croissance annuelle moyenne est proche de 5% ; entre 1985 et 2000, le taux de croissance annuel moyen est de 1.5% (Figure 1, p. 15). Ce taux de croissance de la demande de p�trole correspond � celui des autres pays de l'OCDE.
+Pourtant, la croissance �conomique am�ricaine a �t� tr�s soutenue entre 1985 et 2000, le PIB progressant � un rythme moyen (3.3%) proche du taux observ� sur 1949 - 2000 (3.6%). Si la demande p�troli�re a progress� � un rythme nettement inf�rieur � la tendance historique, c'est que l'intensit� p�troli�re du PIB am�ricain a tr�s fortement chut� � partir de la fin des ann�es soixante-dix. Le " contenu en p�trole " d'un dollar de PIB r�el, qui avait augment� de 10% entre 1949 et 1976, a diminu� de pr�s de 55% entre 1977 et 2000 (Figure 3, p. 16).
+En dollars de 1996, un baril de p�trole g�n�rait 13 $ de PIB en 2000 contre 6,5 $ en 1973. La baisse de l'intensit� �nerg�tique et p�troli�re du PIB am�ricain ne para�t pas devoir s'essouffler ; il semble m�me qu'elle s'acc�l�re depuis la fin des ann�es 1990.
+La part de la consommation d'�nergie primaire couverte par le p�trole est pratiquement identique en 1949 et 2000, soit un peu moins de 40% (Figure 4, p. 17). Cependant cette part avait augment� de 10 points entre 1949 et 1977, puis a chut� de pr�s de 8 points entre 1977 et 1985 ; elle est pratiquement stable depuis 1990. La structure de l'approvisionnement des �tats-Unis en �nergie primaire conna�t une remarquable stabilit� depuis la fin des ann�es quatre-vingt : le p�trole couvre 40% des besoins, le gaz et le charbon se partagent � parts �gales environ 45% de la demande, le nucl�aire et les renouvelables (y compris l'hydro�lectrique) couvrant chacun la moiti� des 15% restant. Cela signifie que la demande pour chacune de ces sources d'�nergie cro�t � peu pr�s au m�me rythme que la demande totale d'�nergie primaire.
+Si la part du p�trole dans l'approvisionnement �nerg�tique est relativement stable sur les 50 derni�res ann�es, la structure de la consommation p�troli�re s'est d�form�e au cours du temps, en particulier � partir de la fin des ann�es soixante-dix. Le secteur des transports est devenu le principal moteur de la croissance de la demande de p�trole (Figure 5, p. 18). Il est responsable de 73% de l'augmentation de la consommation entre 1949 et 2000, et de 85% de cette augmentation entre 1985 et 2000. La part du transport dans la consommation p�troli�re augmente, passant de 54% en 1978 � 67 % en 2000 (Tableau 1, p. 9).
+Par contraste, la part du secteur industriel est stable sur l'ensemble de la p�riode, � environ 25%. L'industrie est responsable d'une part d�croissante de l'augmentation de la demande : 26% sur 1949 - 2000, 15% sur 1980 - 2000. Les autres secteurs (r�sidentiel, commercial, et production d'�lectricit�) ont tendance � devenir marginaux : ils repr�sentaient 22% de la demande en 1949, 21% en 1978 et 8% en 2000 ; leur consommation est stable en valeur absolue depuis 1983, apr�s avoir baiss� entre 1978 et 1982.
+La part de march� des produits p�troliers dans le secteur des transports semble, dans l'�tat actuel des technologies, strictement insensible aux prix relatifs des �nergies. En d'autres termes, il s'agit d'un usage captif, o� le p�trole n'est pas substituable. Comme le montre la Figure 6 (p. 19) la part de march� du p�trole dans ce secteur tend vers 100%. Dans les autres secteurs au contraire, les produits p�troliers ont �t� largement �vinc�s : leur part dans les secteurs r�sidentiel et commercial baisse d�s les ann�es soixante ; le fuel dispara�t pratiquement de la production d'�lectricit� au cours des ann�es quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Dans l'industrie, le p�trole a perdu 7 points de part de march� depuis 1979 (cette part �tant revenue en 2000 � son niveau de 1949).
+A l'avenir, la demande p�troli�re am�ricaine continuera d'�tre principalement tir�e par le secteur des transports et, dans une mesure moindre, certains usages industriels dont la p�trochimie. Dans les autres secteurs, en particulier la production d'�lectricit�, le p�trole est devenu une source d'�nergie marginale. Deux cons�quences importantes en d�coulent :
+Il existe au moins deux leviers que pourraient actionner les pouvoirs publics f�d�raux pour peser sur la demande �nerg�tique li�e au transport. Le premier est d'augmenter les taxes sur les carburants, qui se situent � un niveau six fois inf�rieur � la moyenne des autres pays de l'OCDE. Cette mesure aurait un effet direct sur la demande, via la modification des comportements - effet d'autant plus important que l'on part d'une situation o� les prix sont bas, donc o� les agents ne sont pas incit�s � rationaliser l'usage de leurs v�hicules. Elle aurait �galement un effet indirect, l'augmentation des prix des carburants introduisant une forte incitation pour les constructeurs � proposer des v�hicules plus sobres, donc � r�duire la demande pour un niveau et des modalit�s donn�s d'utilisation des v�hicules.
+Le second type de mesures envisageable consiste � durcir les normes de consommation pour les v�hicules neufs, qui n'ont pas �t� modifi�es depuis 1990 pour les v�hicules de tourisme (passenger cars), et 1996 pour les light trucks. L'efficacit� �nerg�tique moyenne du parc automobile am�ricain s'�tait am�lior�e entre 1979 et 1991, mais stagne depuis cette date (Figure 7, p. 20). L'efficacit� des v�hicules neufs, tous types confondus, est aujourd'hui au m�me niveau qu'en 1982. Les Am�ricains utilisent de plus en plus, pour leurs d�placements quotidiens, des light trucks et autres Sport Utility Vehicles, dont la consommation moyenne est nettement sup�rieure aux v�hicules l�gers traditionnels, et qui sont soumis � des normes moins s�v�res. Cette modification structurelle du parc automobile a largement compens� le renforcement ponctuel des normes de consommation des v�hicules l�gers. Notons que l'effet d'un durcissement des normes est conditionn� par le rythme de renouvellement du parc, et que ce dernier serait d'autant plus rapide que l'action sur les normes s'accompagnerait d'une action sur les prix des carburants, dont la hausse augmente l'incitation �conomique � se s�parer des v�hicules les moins efficaces.
+Les autres mesures possibles concernent le soutien au d�veloppement et � la commercialisation de technologies alternatives au moteur � explosion et/ou aux carburants p�troliers.
+Le rapport Cheney n'envisage pas la possibilit� d'augmenter les taxes sur les carburants. Cette question est extr�mement sensible aux Etats-Unis. Il semble qu'aucun responsable politique ne soit en mesure de proposer leur rel�vement, encore moins de lui faire franchir l'obstacle du Congr�s. L'administration Clinton en fit l'exp�rience au d�but des ann�es 90, qui vit un important projet de taxe sur toutes les consommations d'�nergie (BTU tax) lamin� par le Congr�s, pour n'aboutir qu'� une modeste augmentation de la fiscalit� sur les carburants. Le rapport �voque (chapitre 4) la " r�vision " des normes de consommation impos�es aux constructeurs automobiles (Corporate Average Fuel Economy Standards, ou CAFEs) et l'objectif de les fixer de mani�re " responsable ", en sorte d'augmenter l'efficacit� �nerg�tique des v�hicules " sans affecter n�gativement l'industrie automobile ". Un r�cent rapport de l'Acad�mie des sciences a propos� une am�lioration du syst�me en vigueur consistant � attribuer aux constructeurs qui vont au-del� de la norme des " bons d'�conomie ", qu'ils peuvent soit stocker, soit revendre aux constructeurs qui sont en retard par rapport � la norme - chaque constructeur �tant tenu soit de respecter la norme, soit d'�tre en possession de bons d'�conomie pour un montant �quivalent � la diff�rence entre sa performance effective et la norme. Ce syst�me fonctionne sur le m�me principe que le march� de droits � consommer du carburant ; il s'agit en fait d'un " march� de droits � ne pas respecter les normes de consommation ".
+Pour favoriser la p�n�tration des nouvelles technologies, le rapport Cheney envisage un cr�dit d'imp�t pour l'acquisition de v�hicules �conomes (hybrides, piles � combustibles). Le soutien au programme de piles � combustible pour les bus est r�affirm�. On �voque par ailleurs une gestion du trafic urbain � base d'instruments de march� (type p�age, ou permis de circulation n�gociables), qui tendent � faire supporter � l'automobiliste le vrai co�t de sa pr�sence sur la route.
+Il est �videmment tr�s difficile, vu le niveau de g�n�ralit� du rapport Cheney, d'�valuer l'impact potentiel des mesures destin�es � infl�chir la consommation de p�trole dans les transports. De mani�re g�n�rale, toute augmentation significative du co�t d'utilisation de l'automobile semble �tre politiquement impossible aux �tats-Unis. L'Administration Clinton avait d� abandonner ses projets en la mati�re, tant la taxe sur la consommation �nerg�tique que le durcissement des normes de consommation. Le recours aux services rendus par l'automobile semble rev�tir en Am�rique une dimension �minemment culturelle. La compr�hension des contraintes sp�cifiques de la politique �nerg�tique am�ricaine serait certainement am�lior�e par des travaux de nature sociologique sur la place de la voiture (et avec elle du p�trole) dans l'American way of life. Au plan �conomique, il est vrai que le rel�vement des prix des carburants porterait directement atteinte � la valeur des actifs d�tenus par les agents, notamment les v�hicules (les choix d'investissements ont �t� faits sur la base d'anticipations de prix bas). Il s'agit d'un probl�me tr�s classique en �conomie de la r�glementation (on parle de co�ts " �chou�s ") ; dans ce cas, il est rendu particuli�rement d�licat politiquement du fait du montant des actifs en jeu, et de l'importance du groupe social concern� (les propri�taires de v�hicules automobiles). Au printemps 2002, le secr�taire � l'Energie, Spencer Abraham, a lev� les incertitudes du rapport Cheney quant aux normes de consommation des v�hicules, en annon�ant officiellement � Detroit (capitale de l'industrie automobile am�ricaine) qu'elles ne seraient pas relev�es.
+L'automobile semble �tre la pierre de touche de la politique p�troli�re am�ricaine. Pour le reste, ce pays n'a pas �chapp� � la rationalisation des usages du p�trole et � l'�viction massive de cette forme d'�nergie, que l'on retrouve dans tous les pays de l'OCDE.
+En 1949, les importations p�troli�res des �tats-Unis d�passaient pour la premi�re fois leurs exportations. Depuis cette date, la part du p�trole import� dans la couverture des besoins des agents am�ricains a augment� de mani�re continue, � l'exception de la p�riode 1978 - 85 (Figure 10, p. 31). Pour expliquer cette croissance, absolue et relative, des importations p�troli�res, on �voque couramment " l'�puisement " des r�serves am�ricaines. Cette analyse demande � �tre pr�cis�e. La disponibilit� relative de la production int�rieure et du p�trole import� est d'abord une question de co�ts et de prix. La progression continue de la part des importations dans la couverture de la demande refl�te la d�gradation de la comp�titivit� marginale de la production int�rieure, laquelle s'explique par la diff�rence grandissante entre les co�ts de d�veloppement aux �tats-Unis et � l'�tranger.
+L'amorce du d�clin de la production int�rieure en 1970 ne modifie pas fondamentalement les donn�es du probl�me. Certes, de tr�s nombreux champs dans les 48 �tats " continentaux " sont entr�s en phase de d�clin irr�m�diable, en ce sens qu'il n'existe probablement aucun niveau de prix auquel les r�serves pourraient �tre renouvel�es. Mais il existe toujours un niveau de prix auquel la demande baisserait plus vite que la production int�rieure, donc les importations plus vite que la demande. L'interd�pendance entre les co�ts de production, le prix du p�trole, le niveau de l'offre domestique et des importations n'est pas rompue par l'entr�e de nombreux champs am�ricains dans une phase de d�clin " absolu ".
+La comp�tition entre production int�rieure et p�trole import� est naturellement influenc�e par les �ventuelles barri�res protectionnistes. Le protectionnisme p�trolier est une tentation permanente aux �tats-Unis, et fut longtemps une r�alit�. La mesure la plus radicale consista � mettre en place des quotas d'importation (mandatory oil import quotas), entre 1959 et 1973 ; ces quotas faisaient suite aux (soi-disant) voluntary oil import quotas (1949 - 1958), qui avaient eux-m�mes succ�d� aux tentatives infructueuses d'administration des importations par les �tats f�d�r�s (en particulier le Texas) dans les ann�es trente. Depuis 1982, le march� p�trolier am�ricain est totalement int�gr� au march� mondial. Le prix sur le march� int�rieur est le prix mondial du p�trole brut ; la concurrence entre production int�rieure et p�troles import�s est exempte de toute distorsion.
+Entre 1949 et 1970, la production p�troli�re am�ricaine (brut et " condensats ") est multipli�e par deux ; dans le m�me temps, la part de la demande couverte par le p�trole import� passe de 10% � 23%. La croissance de la production int�rieure atteste que le co�t de renouvellement du " stock ", c'est-�dire des r�serves, �tait compatible avec le prix en vigueur � l'�poque. Toutefois, sur l'ensemble de cette p�riode, la d�pense n�cessaire � l'ajout d'un baril de r�serves au Moyen-Orient repr�sente une petite fraction de celle requise aux �tats-Unis, et cette fraction diminue. Le p�trole du Moyen-Orient (mais aussi du Venezuela, et d'ailleurs) exerce donc, � partir des ann�es cinquante, une pression concurrentielle tr�s forte sur le march� am�ricain. En l'absence de barri�res protectionnistes, la croissance des importations aurait �t� nettement plus rapide, tant en valeur absolue que relative.
+A partir de 1970, toutes les formes d'investissement susceptibles d'augmenter les r�serves de p�trole connaissent, aux �tats-Unis, des co�ts fortement croissants. Les �v�nements de 1973 introduisent de nouveaux param�tres, en particulier r�glementaires. L'explosion des prix du brut aurait d� favoriser un relatif redressement de la production int�rieure et une baisse de la demande, donc une d�croissance des importations. Mais les dispositions l�gislatives prises pour soulager les raffineurs face � l'augmentation de leurs co�ts d'approvisionnement (entitlements system) fonctionnent comme une subvention aux importations. Combin�e � la r�glementation des prix du brut � la production, ces mesures entravent la diffusion du signal prix et distordent les incitations : le d�veloppement p�trolier int�rieur est ralenti, la demande est artificiellement soutenue.
+Entre 1978 et 1985, deux effets se conjuguent pour pr�cipiter une chute des importations (Figure 10, Figure 11) :
+En cons�quence, les importations chutent sur cette p�riode, tant en valeur absolue (-3,8 Mb/j) que relative (-16 points de part de march�).
+De 1985 � aujourd'hui, la part du p�trole import� dans la couverture de la demande ne cesse d'augmenter. La production am�ricaine baisse au rythme de 2% par an en moyenne. Cette baisse ralentit apr�s 1990, gr�ce notamment � la forte progression de l'offshore dans le Golfe du Mexique, stimul�e par des mesures fiscales et par les progr�s technologiques (cf. infra). Les importations ont progress� de plus de 5% par an en moyenne sur 15 ans, pour atteindre leur maximum historique en 2000. Elles s'�l�vent alors � 11 Mb/j, soit 54% des besoins de l'�conomie et de la soci�t� am�ricaines (Figure 10).
+Le rapport Cheney pr�voit, dans son chapitre 5, plusieurs mesures de stimulation de l'offre p�troli�re int�rieure : promotion de la r�cup�ration assist�e ; d�veloppement d'un partenariat public-priv� en vue de l'am�lioration des technologies d'exploration ; extension de la politique d'octroi de licences sur les terres f�d�rales ; octroi d'incitations fiscales � l'exploration et au d�veloppement dans les zones " fronti�res ", les gisements difficiles, trop petits ou trop risqu�s pour �tre rentables aux conditions du march�. Enfin, la mesure la plus attendue et la plus controvers�e consiste � pr�coniser l'ouverture aux activit�s p�troli�res de la r�serve naturelle nationale d'Alaska (ANWR). Ces propositions, si elles �taient effectivement mises en oeuvre, sont-elle de nature � ralentir le d�clin de la production int�rieure et la hausse des importations ? La r�ponse est certainement n�gative.
+Il importe de noter que toutes ces mesures, except� l'ouverture de l'ANWR, sont d�j� appliqu�es � des degr�s divers. Il ne s'agit donc au mieux que de les prolonger et les amplifier. Le partenariat public-priv� en mati�re technologique est d�j� une r�alit�, de m�me que les exemptions aux l�gislations antitrust pour certaines activit� de recherche et d�veloppement, notamment dans l'offshore. D�s 1993, le gouvernement f�d�ral a mis en place un syst�me d'incitation fiscale � l'exploration et d�veloppement dans l'offshore profond, renforc� en 1995 par le Deep Offshore Royalty Relief Act. Enfin, la politique de leasing sur terres f�d�rales n'a cess� d'�tre assouplie depuis une quinzaine d'ann�es. Les r�serves p�troli�res nationales (champs situ�s sur des terres f�d�rales et conserv�s pour servir de r�serve strat�gique " naturelle ") ont �t� partiellement ou totalement privatis�es (selon les cas), et sont donc d�velopp�es selon une logique purement commerciale par les compagnies concessionnaires.
+Toutes ces mesures de stimulation de l'offre int�rieure (� laquelle il faudrait ajouter la lev�e, en 1995, de l'interdiction d'exporter le brut d'Alaska) n'ont pas �t� sans effet : elles ont contribu� au renouveau de la production offshore dans le Golfe du Mexique, au redressement des investissements d'exploration et d�veloppement en Alaska, et plus g�n�ralement au ralentissement de la baisse de la production p�troli�re am�ricaine dans les ann�es 1990. Elles ont donc amplifi� les effets positifs des progr�s technologiques sur la productivit� de l'effort d'exploration et d�veloppement. La prolongation de ces dispositions et leur approfondissement �ventuel ne peuvent avoir qu'un effet positif sur l'offre int�rieure. Mais elles ne changeront pas la tendance lourde � la croissance des importations dans la couverture de la demande, sauf dans le cas (improbable) o� celle-ci chuterait fortement dans un contexte de prix mondial tr�s �lev�.
+Reste le potentiel de l'ANWR. On estime dans les milieux p�troliers que les ressources r�cup�rables s'�l�veraient � 10 milliards de barils, avec un rythme de production en pointe proche de 2 Mb/j. Ces chiffres, s'ils devaient s'av�rer exacts - ce qui est loin d'�tre acquis - sont impressionnants ; ils mettent l'ANWR au niveau du North Slope, c'est-�-dire qu'ils en font une " seconde Alaska ". Mais l'effet sur le niveau des importations est impossible � pr�voir, car il d�pend du prix mondial. Dans un contexte d'offre exc�dentaire, le brut de l'ANWR ferait baisser le prix mondial et se substituerait largement � du p�trole am�ricain moins comp�titif. Il ne remplacerait du p�trole import� que si les pays de l'OPEP limitaient leur production pour d�fendre un prix �lev�, ou si les �tats-Unis r�tablissaient des barri�res protectionnistes (taxe ou quotas) afin de maintenir le prix int�rieur au-dessus du prix mondial. Le projet de loi de la Chambre de Repr�sentants pr�voit l'ouverture de l'ANWR, mais pas celui vot� au S�nat.
+La diff�rence entre les co�ts marginaux de d�veloppement aux �tats-Unis et dans de nombreuses provinces p�troli�res plus comp�titives � l'�tranger - le Moyen-Orient �tant un cas extr�me - est aujourd'hui tr�s importante, et continue d'augmenter. Dans ces conditions, le taux de contribution de l'offre int�rieure � l'approvisionnement des �tats-Unis sera principalement d�termin� par les politiques p�troli�res de l'Arabie Saoudite, du Kowe�t, de l'Iran, de l'Irak et du Venezuela, ainsi que par la capacit� de l'industrie p�troli�re internationale � renouveler ses r�serves hors de l'OPEP. Les marges de manoeuvre des autorit�s am�ricaines sont extr�mement limit�es. L'effet des mesures de stimulation de l'offre est difficile � appr�hender avec pr�cision. La plus prometteuse d'entre elles, � savoir l'acc�l�ration de l'ouverture des terres f�d�rales aux activit�s p�troli�res est soumise � une forte incertitude politique.
+On peut donc affirmer avec un degr� �lev� de certitude que toute augmentation de la demande de p�trole se traduira par une augmentation plus que proportionnelle des importations. Sauf r�volution technologique dans le secteur des transports, une telle augmentation va se produire.
+L'importation de p�trole brut et de produits raffin�s est une activit� libre aux �tats-Unis. Les restrictions administratives sont limit�es aux pays sur lesquels p�sent des sanctions �conomiques (Iran et Libye). L'�volution de la structure g�ographique des importations am�ricaines refl�te donc les arbitrages �conomiques des agents am�ricains (raffineurs, traders, gros utilisateurs de produits p�troliers telles les compagnies a�riennes), et plus g�n�ralement des acteurs du march� p�trolier mondial. En fait, l'allocation g�ographique de l'offre p�troli�re mondiale est largement le produit d'un processus anonyme impliquant des centaines d'agents �conomiques cherchant � maximiser la valeur du p�trole qu'ils poss�dent, et/ou � minimiser le co�t de leur approvisionnement. Le march� am�ricain est une composante de ce syst�me mondial marchand. Les expressions du type " les �tats-Unis importent davantage du Canada que d'Arabie Saoudite " doivent donc �tre utilis�es avec pr�caution. Ce sont des acteurs priv�s qui importent, et leurs choix sont dict�s par des consid�rations de co�t et de convenance, en particulier quant aux caract�ristiques techniques des diff�rents bruts et produits.
+Depuis le premier choc p�trolier, deux tendances majeures nous semblent m�riter un int�r�t particulier : d'une part l'�volution de la contribution du Golfe persique aux approvisionnements am�ricains ; d'autre part la r�gionalisation des importations am�ricaines au cours des ann�es 1990. On �voquera aussi les d�veloppements r�cents (1998 - 2000), et l'avenir des importations am�ricaines.
+Le Golfe persique est, sur le march� p�trolier am�ricain, un fournisseur parmi d'autres. En moyenne, sur une p�riode de 25 ans, les importations en provenance de cette r�gion couvrent moins de 10% de la consommation p�troli�re des Etats-Unis (13% en 1999 et 2000), et cette part n'augmente pas (Figure 13, p. 39). Les Figure 12 et Figure 14 montrent que le Golfe occupe dans les approvisionnements ext�rieurs des �tats-Unis une place ni n�gligeable, ni pr�pond�rante. Ce qui frappe �galement dans ces graphiques, c'est le mouvement d'�viction du Golfe entre 1980 et 1985, suivi d'un retour au cours des cinq ann�es suivantes. De fait, cette r�gion (c'est-�-dire, sur le march� am�ricain, principalement l'Arabie Saoudite et l'Irak) se singularise moins par le niveau de sa contribution aux importations am�ricaines que par les fluctuations de sa part dans ces importations.
+Ces fluctuations ont une explication simple. Le p�trole brut s'�change � un prix mondial unique (net des co�ts de transport et des diff�rentiels de qualit�), d�termin� sur un march� " spot ". Les pays du Golfe, qui ont � tout moment la possibilit� d'augmenter rapidement leur offre � des co�ts repr�sentant une petite fraction du prix en vigueur (soit en exploitant plus intens�ment leurs capacit�s install�es, soit en les augmentant), ont donc le pouvoir d'�vincer les autres producteurs sur les march�s (y compris le march� am�ricain), tout en exer�ant une pression � la baisse sur le prix. A l'inverse, lorsqu'ils diminuent leur production (ou simplement ne l'augmentent pas alors que la demande cro�t) pour d�fendre un niveau de prix, ils perdent des parts de march� si d'autres producteurs sont capables de couvrir la demande au prix en vigueur ; dans le cas contraire le prix augmente. Entre 1980 et 1985, l'Arabie Saoudite r�duit continuellement sa production pour soutenir le prix dans un contexte de baisse de la demande mondiale ; cela se traduit par une forte chute des exportations du Golfe persique vers les �tats-Unis. Apr�s 1985, l'Arabie Saoudite s'engage dans une strat�gie de reconqu�te de ses parts de march� : ses exportations vers les �tats-Unis passent de 0,2 Mb/j en 1985 � 1,4 Mb/j en 1989 (Figure 15, p. 41).
+Dans les ann�es 1990 et ceci pour la premi�re fois, la part du Golfe a baiss� alors que les importations am�ricaines augmentaient. Pendant cette p�riode, l'offre p�troli�re mondiale (hors Golfe) est rest�e tr�s dynamique, contraignant les producteurs du Golfe � contenir leurs niveaux de production pour �viter une chute des prix (qui s'est finalement produite en 1997 - 98). La part du Golfe dans les importations am�ricaines a donc baiss� jusque 1997. Son redressement entre 1998 et 2000 est enti�rement d� au retour du p�trole irakien sur le march� am�ricain : 700 000 b/j en 1999 contre 0 en 1996.
+On pourrait donc dire que les producteurs du Golfe, et notamment l'Arabie Saoudite, d�terminent largement eux-m�mes l'�volution de leur part de march� aux �tats-Unis (et sur le march� mondial en g�n�ral). Il leur suffit de produire davantage pour que cette part augmente, au prix d'une baisse, �ventuellement forte, des cours du brut. Sur l'ensemble de la p�riode couverte ici, la contribution du Golfe aux approvisionnements am�ricains se situe � un niveau tr�s nettement inf�rieur � ce qu'il serait en l'absence de restriction. Entre 1949 et 1973, le m�canisme de restriction se situait aux Etats-Unis (limitation des importations) ; depuis 1973, ce sont les �tats du Golfe qui limitent leur production. Si ces producteurs se d�sint�ressaient du prix (donc augmentaient leur production jusqu'� ce que le co�t d'une unit� suppl�mentaire et le prix mondial s'�galisent), le prix du p�trole s'�tablirait probablement en dessous de 5 $ et le Golfe couvrirait une part largement pr�pond�rante des importations am�ricaines, dont le niveau serait beaucoup plus �lev� qu'aujourd'hui.
+Les importations en provenance du Canada et des pays d'Am�rique latine ont augment� continuellement et assez r�guli�rement depuis la fin des ann�es 1970 (Figure 14, Figure 15). Le contraste avec les fluctuations du Golfe persique appara�t de mani�re saisissante. En cons�quence, on observe un mouvement de r�gionalisation des importations am�ricaines. L'h�misph�re occidental (selon l'expression consacr�e aux �tats-Unis) repr�sentait 50% des importations en 1997, contre 35% en 1990 et 20% en 1980 (Figure 16, p.42). Cette progression a permis de compenser la baisse de la production am�ricaine pour maintenir autour de 70% le taux de r�gionalisation de l'approvisionnement p�trolier des �tats-Unis (production int�rieure comprise).
+Face � la chute des prix survenue en 1997 - 98, les pays de l'OPEP ont d�cid� de retirer du march� des quantit�s tr�s importantes de p�trole (par exemple 3,5 Mb/j pour la seule ann�e 2001, et environ 5 Mb/j depuis 1999), aid�s ponctuellement par le Mexique et la Norv�ge, marginalement par le sultanat d'Oman et la Russie. Les effets sur le prix mondial ont �t� tr�s importants. Ils se sont �galement fait sentir tr�s directement sur la structure des importations am�ricaines (Figure 15). Le volume en provenance du Venezuela a chut� de plus de 300 000 b/j entre 1997 et 1999, et la progression des exportations mexicaines vers les �tats-Unis, qui avoisinait 10% par an depuis 1992, a brusquement stopp�. Seules les exportations saoudiennes vers les �tats-Unis n'ont pas diminu� (� l'inverse de ce qui s'�tait pass� dans les ann�es 80).
+La compensation de ces volumes " perdus " est venue d'Europe et surtout du Canada, pays dont les exportations vers les �tats-Unis ont atteint un record historique en 2000, en hausse de 20% par rapport � 1999. Le voisin du nord est aujourd'hui le premier exportateur de p�trole vers les �tats-Unis. Mais c'est surtout le p�trole irakien qui a profit�, sur le march� am�ricain, des actions de l'OPEP (le p�trole export� sous le contr�le des Nations Unies �chappe aux quotas du cartel). L'Am�rique est le premier " client " de l'Irak dans le cadre du programme " p�trole contre nourriture ". Jamais les �tats-Unis n'avaient import� autant de p�trole irakien qu'en 1999 et 2000.
+Les projections du DOE anticipent une modification sensible de la structure des importations p�troli�res am�ricaines au cours des vingt prochaines ann�es. Les importations en provenance du Golfe persique repr�senteraient pr�s de 20% de la consommation en 2020, contre 13% aujourd'hui. Elles progresseraient donc plus rapidement que le total des importations, croissant elles-m�mes plus vite que la demande. Cette tendance refl�te la croissance de la contribution du Moyen-Orient � l'offre p�troli�re mondiale.
+On ne peut discuter ici dans le d�tail ces projections. On fera simplement deux remarques. La premi�re est que la capacit� des mod�les � appr�hender correctement l'�volution de l'offre " hors Golfe ", et m�me " hors OPEP ", est incertaine. Des facteurs comme les progr�s technologiques, l'�volution de la fiscalit� et du cadre juridique des investissements, qui ont un impact tout � fait d�cisif sur les co�ts et les risques assum�s par les compagnies p�troli�res, donc sur les d�cisions d'investissement, sont tr�s difficiles � int�grer dans une approche mod�lis�e. La seconde remarque est que les mod�les traitent en g�n�ral la production du Golfe persique (et parfois de l'OPEP) comme un volume r�siduel : elle couvre la diff�rence entre la demande mondiale et la production " hors Golfe " (le cas �ch�ant " hors OPEP "). Or le paysage �nerg�tique en 2020 sera tr�s diff�rent selon que les pays du Golfe (auxquels il faut ajouter le Venezuela et la Libye) adopteront, comme ils le font depuis trente ans, une politique de limitation de leur production en vue de la d�fense d'un niveau de prix, ou que s'enclenchera une course aux parts de march� au sein de l'OPEP. Parmi les facteurs qui pourraient favoriser l'option concurrentielle, citons la lev�e des sanctions sur l'Irak ou la d�fection d'un membre important de l'OPEP, quittant l'organisation de fait ou de droit. A l'inverse, la capacit� de l'OPEP � associer durablement de nouveaux producteurs � son action (Mexique, Norv�ge, Russie), �loignerait le risque d'un �clatement du cartel.
+Les incertitudes sont donc tr�s importantes. Le volume de production que les principaux mod�les attribuent au Golfe persique en 2020 correspond � un doublement des capacit�s par rapport � 2000 (on passerait en gros de 20 � 40 Mb/j). Les pr�visions de prix varient mais n'anticipent pas d'augmentation significative, en termes r�els, sur les vingt prochaines ann�es. Si les �tats du Moyen-Orient n'effectuaient pas les investissements requis (rappelons que les capacit�s de production dans le Golfe n'ont pas augment� depuis 30 ans), le prix du p�trole pourrait �tre nettement plus �lev�, la demande plus faible, et la production " hors Golfe " plus soutenue. Les importations am�ricaines seraient alors plus faibles que ne l'anticipent les mod�les et nettement moins concentr�es sur le Moyen-Orient. A l'inverse, si le processus concurrentiel s'enclenchait entre producteurs � co�ts de production tr�s bas, le prix s'effondrerait, stimulant la demande et d�primant la production " hors Golfe ". Les importations am�ricaines seraient encore plus fortes qu'escompt�, ainsi que la part du Moyen-Orient dans les approvisionnements ext�rieurs.
+On a soulign� plus haut que les facteurs qui d�termineront le niveau des importations p�troli�res am�ricaines �chappent largement au gouvernement des �tats-Unis. Cette conclusion vaut �galement pour la structure g�ographique des approvisionnements. Les d�cisions les plus structurantes, qui d�termineront la contribution des provinces les plus comp�titives � la couverture de la demande mondiale, donc le niveau des prix, seront prises par les gouvernements des pays du Moyen-Orient et du Venezuela. Elles le seront soit dans le cadre coop�ratif de l'OPEP, soit individuellement, soit, et c'est le plus probable, dans un entre-deux o� les d�cisions collectives viendront consacrer les options individuelles de quelques-uns.
+Face au poids des tendances lourdes, les marges de manoeuvre des politiques publiques am�ricaines sont r�duites, quoi qu'en disent certains responsables de l'administration et du Congr�s. Le rapport Cheney annonce la continuation et l'approfondissement d'une politique d'offre, donnant � l'industrie p�troli�re toutes les chances de d�couvrir, d�velopper et produire les ressources p�troli�res int�rieures. Cette politique contribuera de mani�re tr�s limit�e � l'objectif de r�duire la " d�pendance " p�troli�re ext�rieure. De ce point de vue, une action sur la demande de p�trole aurait un impact potentiel sup�rieur (en particulier l'augmentation des taxes sur les carburants et l'am�lioration de l'efficacit� �nerg�tique des v�hicules automobiles.) Le rapport Cheney reste extr�mement prudent dans ses orientations en mati�re de gestion de la demande de p�trole li�e au transport.
+La tendance la plus probable est que les importations p�troli�res am�ricaines vont continuer d'augmenter au cours des vingt prochaines ann�es, vont couvrir une part croissante de la demande int�rieure, et seront plus concentr�es sur les pays du Moyen-Orient. L'intensit� de ces �volutions est soumise � forte incertitude.
+Reste � �tudier l'impact d'un approfondissement de la " d�pendance " sur la s�curit� �nerg�tique des Etats-Unis, question trait�e dans le second volet de ce travail.
+La croissance des importations dans la couverture de la demande p�troli�re, qui va se poursuivre au cours des ann�es et d�cennies � venir, est tr�s souvent d�crite comme mena�ant la " s�curit� �nerg�tique " des Etats-Unis. M�me s'ils ne proposent pas d'atteindre l'autosuffisance �nerg�tique ou p�troli�re, le rapport Cheney comme les propositions de loi vot�es � la Chambre et au S�nat en 2001 et 2002 reprennent � leur compte cette analyse, et �tablissent explicitement une corr�lation entre objectif de s�curit� et objectif de limitation (ou de r�duction) de la d�pendance. Une appr�ciation rigoureuse du fonctionnement du march� p�trolier montre au contraire que la s�curit� �nerg�tique, quel que soit le contenu pr�cis qu'on lui donne (disponibilit� physique des approvisionnements, niveau et stabilit� des prix, exposition aux crises), est quasi indiff�rente au niveau des importations p�troli�res, au taux de d�pendance ext�rieure, et � la provenance g�ographique du p�trole.
+Toute discussion sur la s�curit� �nerg�tique et les approvisionnements p�troliers doit partir de cette r�alit� : le p�trole est une mati�re premi�re " fongible " �chang�e sur un march� mondial techniquement et �conomiquement int�gr�. L'�quilibre entre offre et demande est un �quilibre mondial, qui d�termine un prix mondial r�v�l� par des march�s " spot ".
+Le march� est techniquement unifi� car le p�trole se transporte sur longues distances � des co�ts relativement faibles : environ 10$ par tonne par exemple entre le Golfe persique et les grands march�s de consommation, soit environ 1,4$/baril. La plupart des bruts n'ont pas de march�s r�gionaux strictement captifs et peuvent �tre raffin�s en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie (m�me si certaines caract�ristiques physico-chimiques limitent les possibilit�s de substituer rapidement un brut � un autre dans certaines raffineries). La " substituabilit� " des diff�rents bruts dans les raffineries am�ricaines a augment� ces derni�res ann�es � la faveur de travaux de modernisation de l'appareil de raffinage. Ainsi, les op�rateurs de march� (les traders) peuvent effectuer des arbitrages afin de profiter des diff�rences de prix entre les march�s locaux, diff�rences qui ne peuvent donc se prolonger dans le temps : l'unit� technique du march� induit son unit� �conomique. Une fois d�duits les co�ts de transport et les diff�rentiels de qualit� (teneur en soufre, gravit�), il existe un seul prix mondial du p�trole brut.
+L'allocation de l'offre de p�trole entre les demandeurs se fait par un processus purement marchand, anonyme, proche de celui que d�crivent les manuels de micro�conomie. Ce sont les acheteurs individuels (traders, raffineurs) qui sont en concurrence pour s'approvisionner, et non les Etats ou les �conomies nationales. Le m�canisme des prix, qui r�partit le p�trole entre les milliers de consommateurs effectifs et potentiels, transcende les fronti�res : les agents am�ricains sont en concurrence entre eux comme avec les agents europ�ens, sud-am�ricains, asiatiques et autres.
+Une autre mani�re d'exprimer l'id�e d'un march� mondial int�gr� consiste � parler de " one great pool ". L'image est due � M. Adelman, qui voit le march� p�trolier comme une " grande bassine ", dans laquelle se d�versent toutes les productions - quelle que soit leur localisation g�ographique, qu'elles donnent lieu � �change international ou non - et dans laquelle puisent tous les consommateurs. Si cette repr�sentation correspond au fonctionnement r�el du march�, alors les prix doivent �voluer de mani�re identique sur tous les march�s locaux, et tendre vers un prix unique (net des co�ts de transport). Les tests �conom�triques effectu�s ont largement confirm� l'hypoth�se du one great pool, ou du march� int�gr�. Ils montrent en outre que l'int�gration a fortement progress� � la faveur du d�veloppement de nouveaux modes de commercialisation, en particulier de la multiplication des instruments financiers d�riv�s (futures, swaps, options) permettant d'optimiser les strat�gies d'approvisionnement en facilitant les arbitrages dans le temps et dans l'espace. Le march� p�trolier est devenu un march� de " commodit� " comme un autre : entre l'amont et l'aval de l'industrie, forc�ment localis�s, s'interpose un " midstream " autonome et mondialis�, qui assure par des m�canismes purement marchands l'optimisation des flux physiques et la r�v�lation en temps r�el de prix spot et � terme, sur la base desquels les agents effectuent leurs d�cisions.
+Les m�canismes qui viennent d'�tre d�crits impliquent qu'il ne peut exister de rupture physique dans les approvisionnements p�troliers d'une r�gion ou d'un pays quelconque. Une crise p�troli�re, m�me lorsqu'elle a pour cause la d�fection (accidentelle ou volontaire) d'un producteur, se manifeste toujours par une hausse des prix, ressentie par tous les consommateurs de p�trole o� qu'ils soient dans le monde. Si on laisse fonctionner le m�canisme des prix, c'est-�-dire qu'on laisse monter les cours, les arbitrages - ou, plus pr�cis�ment, les anticipations sur les arbitrages - diffusent instantan�ment l'augmentation sur tous les march�s. Les m�canismes marchands fonctionnent donc comme une machine � transformer une rupture physique d'approvisionnement (qui est un ph�nom�ne local) en une hausse du prix (qui est un ph�nom�ne mondial).
+Signalons que la hausse des prix, qui est le sympt�me de la p�nurie, est aussi le principal rem�de � la p�nurie. Elle " signale " aux consommateurs qui le peuvent qu'ils ont int�r�t � s'effacer, partiellement ou enti�rement ; elle " signale " en outre aux producteurs qui le peuvent qu'ils ont int�r�t � produire plus. La hausse des prix est donc le moyen par lequel le march� diffuse � tous les agents concern�s l'information sur la raret� relative du p�trole, et engendre les incitations � adopter des comportements individuels contribuant � r�tablir l'�quilibre entre offre et demande mondiales. Pour toutes ces raisons, la libert� des prix du p�trole, surtout en temps de " crise ", est un �l�ment central de toute politique p�troli�re rationnelle.
+Un autre corollaire de ce constat fondamental sur l'int�gration du march� p�trolier mondial est que les embargos s�lectifs ne constituent pas une menace cr�dible. Par exemple, il n'est pas possible pour l'Arabie Saoudite, ou pour tout autre producteur ou groupe de producteurs, de restreindre ou de stopper ses exportations vers les Etats-Unis. Admettons, par hypoth�se, qu'il soit possible d'interdire aux cargos ayant charg� du p�trole saoudien de le livrer aux Etats-Unis (ce qui suppose un accompagnement maritime de tous les p�troliers qui chargent en Arabie Saoudite). Les raffineurs am�ricains touch�s par l'embargo - ceux qui raffinent habituellement du brut saoudien - se retourneraient vers le march� spot pour compenser les approvisionnements manquants. Ils obtiendraient tout le p�trole pour lequel ils sont pr�ts � payer, sachant que le prix spot augmenterait brutalement du fait de leur comportement : le march� transformerait une p�nurie physique concernant quelques dizaines d'agents en une hausse de prix ressentie par des milliers.
+Sur cette base, deux sc�narios sont possibles. Soit l'Arabie Saoudite maintient son niveau global d'exportations et se contente " d'interdire " toute livraison aux Etats-Unis ; dans ce cas la hausse des prix serait limit�e au temps n�cessaire � la r�organisation des circuits de commercialisation vers l'Am�rique du Nord. Soit l'Arabie Saoudite r�duit ses exportations totales du montant habituellement livr� aux Etats-Unis ; l'embargo s'apparente alors � une r�duction de l'offre mondiale et la dur�e de la hausse des prix d�pend du temps n�cessaire aux autres producteurs pour prendre la part de march� abandonn�e par l'Arabie Saoudite. Dans les deux cas les cons�quences ressenties sp�cifiquement par les agents am�ricains, par exemple sous forme de p�nuries physiques, seraient faibles ou nulles (� condition qu'il n'y ait pas d'entrave au libre fonctionnement du march� : ni r�glementation du prix, ni allocation administrative du p�trole). De mani�re g�n�rale, si un Etat exportateur souhaite " punir " un Etat importateur ou faire pression sur lui, il ne peut le faire que de mani�re non s�lective, en faisant supporter � tous les consommateurs une hausse du prix mondial.
+Historiquement, l'embargo p�trolier s�lectif n'a �t� tent� qu'une seule fois, en 1973, par les producteurs arabes de l'OPAEP, � l'encontre des Etats-Unis et des Pays-Bas. Cet embargo, contrairement � une l�gende tenace, n'a eu aucun effet direct notable - m�me s'il a contribu� � engendrer des comportements de panique, aggrav�s par le contr�le des prix sur le march� am�ricain. Il n'obtint d'ailleurs aucun r�sultat politique. Depuis les ann�es quatre-vingt, le ph�nom�ne des embargos fonctionne en sens inverse : les Etats-Unis interdisent l'importation de p�trole libyen (depuis 1982) et iranien (depuis 1980), et l'ONU administre les exportations irakiennes dans le cadre d'un programme dit " p�trole contre nourriture " (depuis 1991). Pour l'Iran et la Libye, l'embargo est tout aussi inefficace dans ce sens que dans l'autre : son effet m�canique est d'augmenter les importations am�ricaines en provenance d'autres pays et les exportations libyennes vers l'Europe, iraniennes vers l'Asie. Pour ces deux pays (et surtout pour l'Irak), la prohibition des investissements d'exploration et production est un probl�me plus s�rieux, mais ext�rieur � notre sujet.
+Une fois acquise l'id�e que le march� p�trolier est int�gr� mondialement, on comprend que le lien entre d�pendance ext�rieure et s�curit� �nerg�tique doit �tre nettement relativis�. Les cons�quences pour les Etats-Unis d'une rupture dans l'offre p�troli�re quelque part dans le monde ne sont pas li�es au niveau des importations en provenance de la r�gion concern�e, ni � la part des importations dans l'approvisionnement du march� am�ricain. Une crise p�troli�re se manifeste par une hausse du prix mondial, et le prix sur le march� am�ricain est le prix mondial du p�trole. La v�ritable " d�pendance " est donc celle de l'�conomie am�ricaine � l'�gard du p�trole, plus exactement du march� p�trolier mondial, et non des importations, du Moyen Orient ou de l'Arabie Saoudite.
+La sensibilit� de l'�conomie am�ricaine � une crise p�troli�re n'est pas li�e au taux de d�pendance ext�rieure ; en revanche, le degr� de concentration de l'offre p�troli�re mondiale est une variable importante de la s�curit� �nerg�tique. La gravit� d'une crise p�troli�re est d�termin�e par le rapport entre le volume d'offre qui vient � manquer et le total de l'offre mondiale. La s�curit� �nerg�tique des consommateurs de p�trole (o� qu'ils se trouvent) est donc renforc�e par la diversification g�ographique de la production p�troli�re mondiale et, r�ciproquement, un mouvement de relative concentration augmente les risques. Le risque est d'autant plus �lev� que l'offre est concentr�e sur des pays ou r�gions o� la probabilit� d'une rupture de la production est �lev�e.
+Depuis plus de 25 ans, l'offre p�troli�re mondiale s'est profond�ment diversifi�e ; elle l'est aujourd'hui beaucoup plus qu'� aucune autre �poque de l'histoire p�troli�re. Entre 1945 et 1973, la production du Moyen-Orient augmentait beaucoup plus vite que la production mondiale : la part de cette r�gion est pass�e de 7% en 1945 � 40% en 1973. Apr�s avoir nettement baiss� dans les ann�es 1980, cette part est revenue aujourd'hui � 40% et semble se stabiliser depuis le d�but des ann�es 1990. Depuis 1985, les pr�visions d'un fort mouvement de re-concentration de l'offre p�troli�re sur le Moyen-Orient ont �t� d�menties. Toutefois, les principales projections disponibles aujourd'hui (par exemple l'International Energy Outlook de l'Energy Information Administration, le World Energy Outlook de l'Agence Internationale de l'Energie) montrent encore une forte progression de la part du Golfe persique dans l'offre p�troli�re d'ici � 202049. La variable cl�, en dehors de l'�volution de la demande, est la capacit� de l'industrie p�troli�re internationale � maintenir le rythme de d�veloppement de la production dans le segment concurrentiel du march� mondial. Cette capacit� d�pend de plusieurs facteurs parmi lesquels :
+Il ressort de cette analyse que la r�duction de la d�pendance p�troli�re, � supposer qu'elle soit possible, ne constitue pas un objectif raisonnable. Les Etats-Unis se priveraient des gains � l'�change avec les producteurs les plus comp�titifs, sans compensation notable en mati�re de s�curit� �nerg�tique ; ils n'obtiendraient en particulier aucune r�duction notable de la sensibilit� de l'�conomie am�ricaine aux crises p�troli�res. Dans un contexte o� le march� p�trolier est int�gr� mondialement, les politiques de s�curit� efficaces sont des politiques de construction et de s�curisation du march�, et non des politiques de limitation du recours au march� (r�duction de la demande ou des importations). C'est sur la base de ces conclusions que nous allons �tudier l'�volution de la politique p�troli�re am�ricaine depuis les ann�es 1920.
+L'Am�rique est sortie de la premi�re guerre mondiale avec le souci aigu d'une possible " d�pendance p�troli�re ". C'est alors que furent cr��es les Naval Petroleum Reserves, champs p�troliers f�d�raux maintenus en " r�serve " pour assurer, en cas de guerre, l'approvisionnement de la marine. C'est aussi � cette �poque que la diplomatie am�ricaine entreprit d'obtenir des Britanniques et des Fran�ais l'entr�e des compagnies am�ricaines dans les zones les plus prometteuses, notamment en M�sopotamie - politique de l'Open Door qui devait aboutir � l'entr�e de Jersey Standard (Exxon) et Socony (Mobil) dans la Turkish Petroleum Company, avant que ce consortium ne referme la porte du Moyen-Orient par le c�l�bre accord de la " ligne rouge ", en 1928.
+Mais l'anticipation de la p�nurie fit rapidement place � la difficile gestion de l'abondance avec l'entr�e en production, apr�s 1925, des d�couvertes g�antes effectu�es en Oklahoma (champ de Seminole) et, surtout, au Texas (champ de l'East Texas). Ces d�couvertes g�antes se conjugu�rent � la crise de 1929 pour pr�cipiter un effondrement des prix qui heurta tr�s durement l'industrie p�troli�re, en particulier les milliers de petits producteurs qui op�raient les puits les moins productifs. Les autorit�s de ces deux �tats r�agirent en �dictant des l�gislations destin�es � limiter la " surproduction " et le " gaspillage ". Ce fut le d�but d'un vaste effort politico-juridique, relay� par les pouvoirs f�d�raux dans les ann�es 1930, qui mit fin � l'�re concurrentielle de l'histoire p�troli�re am�ricaine. Du milieu des ann�es 1920 au d�but des ann�es 1970, l'industrie p�troli�re v�cut sous le r�gime de la " proration " ; tous les puits, � l'exception des moins productifs, se voyaient octroyer des quotas de production d�finis au niveau des �tats ; le commerce inter-�tatique �tait strictement contr�l� et limit�.
+Pour justifier le maintien de ce r�gime n� dans des circonstances historiques tr�s particuli�res, on continua d'invoquer pendant pr�s de cinquante ans la lutte contre la " surproduction " que g�n�rerait n�cessairement la libre concurrence dans l'industrie p�troli�re. Les meilleurs �conomistes du p�trole (P. Bradley et M. Adelman, entre autres) ont montr� que la libre concurrence eut �t� tout � fait praticable, en particulier si on avait modifi� le r�gime juridique de propri�t� sur les ressources et/ou impos� des r�gles d'unification des r�servoirs. Le syst�me de proration fut maintenu car un �quilibre politique durable s'�tait form� en sa faveur : les petits producteurs �taient les grands gagnants ; pour les majors le manque � gagner local (aux Etats-Unis) �tait largement compens� par le soutien qu'apportait le contr�le du march� am�ricain (et les quotas d'importations, cf. infra) � leurs accords anti-concurrentiels au plan mondial ; et les milieux politiques, tant f�d�raux qu'�tatiques et m�me locaux, se partageaient les pr�rogatives li�es � l'administration d'un syst�me tr�s complexe - et, pour certains responsables politiques en particulier texans, les sommes d'argent g�n�r�es par la corruption du syst�me.
+Au plan �conomique, la proration g�n�ra une augmentation du volume global de rentes par rapport � une situation concurrentielle, et une redistribution de ces rentes vers les petits producteurs d'une part, l'administration d'autre part. Par ailleurs, les quotas entra�naient l'apparition de capacit�s de production inutilis�es (exactement comme, plus tard, les quotas de l'OPEP), qui sont un facteur d'instabilit� du march�. Enfin, les puits les moins productifs �tant exempts de quotas, les petits producteurs avaient int�r�t � forer toujours plus afin de gagner artificiellement des parts de march� aux d�pens des puits plus productifs. Motiv� par la lutte contre un " gaspillage " conjoncturel, le syst�me de proration en g�n�ra un beaucoup plus structurel, et de grande ampleur, tout en augmentant le co�t de l'approvisionnement p�trolier am�ricain.
+Le contr�le des importations p�troli�res repr�sente l'autre face de l'interventionnisme p�trolier am�ricain. D�s les ann�es 1930, et plus encore apr�s 1945, le p�trole du Venezuela et du Mexique, puis du Moyen-Orient, exer�ait une forte pression sur le march� int�rieur am�ricain. La mise en place de barri�res protectionnistes s'imposait comme une n�cessit� sous peine de ruiner le syst�me de proration : les deux faces de l'interventionnisme p�trolier sont donc �troitement li�es. Concr�tement, la protection prit la forme de quotas et de taxes. Les quotas furent d'abord " volontaires " (1949 - 1958), puis obligatoires dans le cadre du Mandatory Oil Import Program (1959 - 1973). En 1932, le Revenue Act imposa, pour la premi�re fois, des taxes sur les importations p�troli�res (p�trole brut et certains produits raffin�s) ; elles furent progressivement r�duites � la faveur d'accords avec le Venezuela et le Mexique, et de la signature du GATT en 1947. Cette forte r�duction des taxes fut � l'origine de la r�glementation par les quantit�s (quotas) � partir de 1949. Les taxes ne furent pas pour autant abolies, et furent r�organis�es en 1962 dans le cadre du Trade Expansion Act. La p�n�tration du p�trole import� fut n�anmoins tr�s importante sur cette p�riode (cf. Figure 10, p. 31) ; elle eut �t� nettement sup�rieure en situation de libre-�change.
+Les cinquante ann�es qui pr�c�dent les chocs p�troliers repr�sentent une p�riode de forte intervention publique dans le fonctionnement du march� am�ricain. La r�glementation de la production int�rieure et le contr�le des importations sont les deux faces, ins�parables, d'une m�me politique consistant � contraindre le processus concurrentiel pour prot�ger les int�r�ts des producteurs " ind�pendants ", en particulier les moins efficaces d'entre eux, mais aussi, indirectement, les int�r�ts des grandes compagnies engag�es par ailleurs dans des accords de contr�le du march� mondial. Il s'agit d'une politique destin�e � renforcer la " s�curit� �conomique " de l'industrie p�troli�re am�ricaine plus que la s�curit� �nerg�tique du pays, bien que les mesures protectionnistes aient �t�, d�s les ann�es trente, formellement justifi�es � l'aune de consid�rations de " s�curit� nationale " - alors m�me que les Etats-Unis exportaient, en 1932, plus de p�trole qu'ils n'en importaient et que les importations repr�sentaient, en 1962, moins de 20% de la consommation totale.
+Les ann�es 1970 furent un prolongement des cinquante ans d'interventionnisme, dans une conjoncture radicalement diff�rente : il s'agissait d�sormais de lutter contre la hausse des prix et non plus de pr�venir leur baisse. D�s avant 1973, les prix du p�trole �taient affect�s par les mesures g�n�rales de lutte contre l'inflation, dans le cadre du Economic Stabilization Act (1970). La p�riode ouverte par la crise p�troli�re de 1973 - 1974 fut marqu�e par une forte activit� en mati�re de politique �nerg�tique, mais aussi par beaucoup d'erreurs et une certaine confusion. Apr�s le premier choc p�trolier, le pr�sident des Etats-Unis affirmait solennellement que son pays atteindrait l'ind�pendance �nerg�tique en 1980, et que cette qu�te repr�sentait " l'�quivalent moral de la guerre ". Cet objectif hautement improbable ne fut pas atteint, loin de l� : les distorsions introduites par le contr�le des prix devaient conduire � une explosion des importations, qui augment�rent de pr�s de 50% entre 1974 et 1978. C�t� l�gislatif, le nombre de textes est impressionnant : Emergency Petroleum Allocation Act (1973), Energy Policy and Conservation Act (1975), Energy Conservation and Production Act (1976), National Energy Act (1978).
+A la fin de la p�riode, les dispositifs de contr�le des prix, d'allocation physique du p�trole et de subventions crois�es entre raffineurs avaient atteint un tr�s haut degr� de complexit�. Leur objectif �tait de prot�ger les raffineurs et les consommateurs contre la hausse des prix mondiaux. Ils engendr�rent des effets pervers massifs (sous-production, stimulation de la demande, subvention des importations, p�nuries locales...) et furent largement � l'origine des " files d'attente " qui symbolis�rent, aux Etats-Unis, les crises p�troli�res des ann�es 1970. En 1978 et face aux cons�quences tr�s d�stabilisatrices de la r�glementation en vigueur, l'administration Carter r�ussit � faire voter une loi pr�voyant la lib�ralisation progressive des prix du p�trole. L'�lection de R. Reagan devait acc�l�rer brutalement le calendrier, mais aussi l'approfondir.
+A partir de l'�lection de R. Reagan � la pr�sidence, la politique p�troli�re des Etats-Unis allait rompre avec 60 ans d'interventionnisme motiv� par des objectifs divers, ayant g�n�r� des mesures contradictoires et, pour beaucoup d'entre elles, d�sastreuses au plan de l'efficacit� �conomique et/ou de la s�curit� �nerg�tique. La politique conduite par l'administration Reagan �tait inspir�e par l'id�e que l'efficacit� et la s�curit� �nerg�tiques ne s'obtiennent pas contre les forces du march�, mais en s'appuyant sur elles. Cette id�e-force prenait � contre-pied l'opinion dominante dans les milieux politiques � l'�poque, non seulement aux Etats-Unis mais dans tous les grands pays industrialis�s et au sein des organisations internationales. On classera ici en trois grandes cat�gories les actions accomplies ou initi�es par l'administration Reagan : lib�ralisation du march�, s�curisation du march�, construction du march�.
+R. Reagan pronon�a son discours inaugural le 20 janvier 1981 ; le 28 janvier, il signait l'Executive Order n� 12287 (le premier de son mandat), dont la premi�re section dispose : " All crude oil and refined petroleum products are exempted from the price and allocation controls adopted pursuant to the Emergency Petroleum Allocation Act of 1973, as amended. The Secretary of Energy shall promptly take such action as is necessary to revoke the price and allocation regulations made unnecessary by this Order. " L'Executive Order prenait effet le jour m�me.
+Le Congr�s ne d�sarma pas et en mars 1982 le S�nat vota le Standby Petroleum Allocation Act, qui octroyait au Pr�sident le pouvoir d'instaurer, en cas de crise, un contr�le des prix et des mesures d'allocation administrative du p�trole et des produits. R. Reagan opposa son veto � cette loi le 20 mars 1982. Le pr�sident �crit, dans sa lettre de " retour sans approbation " transmise au S�nat : " this legislation grew from an assumption, which has been demonstrated to be invalid, that giving the Federal Government the power to allocate and set prices will result in an equitable and orderly response to a supply interruption. We can all still recall that sincere efforts to allow bureaucratic allocation of fuel supplies actually harmed our citizens and economy, adding to inequity and turmoil. " Face � une rupture d'approvisionnement, c'est au contraire le libre fonctionnement du march� (" free trade among our citizens ") qui, pr�cise le pr�sident, est le plus � m�me de r�duire le co�t support� par l'�conomie am�ricaine. Sur ce point, R. Reagan semble avoir �t� fermement convaincu par les d�monstrations des �conomistes selon lesquelles le march� libre est toujours sup�rieur � l'allocation administrative, m�me (et surtout) en temps de crise.
+La d�r�glementation du march� p�trolier am�ricain correspond aussi � une r�int�gration compl�te dans le march� mondial. A partir de 1982, le prix int�rieur est � nouveau strictement align� sur le prix mondial (voir Figure 1, p. 57). Au cours des deux mandats de R. Reagan la faible taxe sur les importations n'a pas �t� supprim�e, mais l'administration a r�sist�, � plusieurs reprises, � de fortes pressions du Congr�s pour l'augmenter de mani�re significative. Le decontrol am�ricain a �galement eu un effet non anticip�, sur les structures du march� p�trolier international : elle a acc�l�r� la substitution de transactions de court terme aux contrats de long terme et la g�n�ralisation de la r�f�rence au prix spot. Pleinement expos�s aux al�as du march� mondial (jusque-l� att�nu�s par le contr�le des prix et les m�canismes de redistribution physique), les raffineurs am�ricains ont modifi� leurs pratiques commerciales ; les activit�s de trading ont explos� aux Etats-Unis au d�but des ann�es quatre-vingt, et le NYMEX a lanc� son contrat � terme de p�trole brut en 1983 (apr�s avoir lanc�, en 1978, les contrats � terme de heating oil) (voir Figure 18, p. 57).
+Les gouvernements successifs, r�publicains et d�mocrates, ne sont pas revenus sur la r�forme fondamentale initi�e par l'administration Reagan. Dans les ann�es 1990, la politique p�troli�re de l'administration Clinton (largement " encadr�e ", il est vrai, par un Congr�s r�publicain) fut une politique lib�rale. Il n'y eut aucun retour sur la d�r�glementation du march� p�trolier. Parmi les mesures d'inspiration lib�rale prises au cours de cette p�riode, on peut citer la lev�e de l'interdiction d'exporter le brut d'Alaska, l'acc�l�ration du leasing dans l'offshore f�d�ral, les exemptions de royalty sur l'offshore profond (Deep Offshore Royalty Relief Act), ou encore la privatisation (partielle) des Naval Petroleum Reserves.
+La lib�ralisation du march� int�rieur s'est accompagn�e de la mise en place d'un important dispositif public de s�curisation du march�. Il s'agit du second pilier de la politique p�troli�re am�ricaine mise en place sous l'administration Reagan. On peut regrouper dans cette cat�gorie des mesures aussi diff�rentes que la mise en place de la Strategic Petroleum Reserve d'une part, la cr�ation d'une force d'intervention rapide au Moyen-Orient (la Rapid Deployment Force) d'autre part.
+La Strategic Petroleum Reserve (SPR) fut cr�e dans le cadre de l'EPCA � la fin de 1975 mais resta " virtuelle " pendant cinq ans, en raison de dysfonctionnements administratifs et surtout d'un manque de volont� politique. Les pays exportateurs, et notamment l'Arabie Saoudite, ont d�nonc� la SPR d�s sa cr�ation, et menac� les Etats-Unis de restreindre leur production si elle �tait mise en place. En 1978, un accord secret entre le pr�sident Carter et les Saoudiens avait " �chang� " le non-remplissage de la SPR contre le maintien d'un " haut " niveau de production. A la fin de 1980, la SPR ne contenait que 107 millions de barils de p�trole. L'administration Reagan allait faire du remplissage une priorit� de sa politique p�troli�re, compl�mentaire de la lib�ralisation du march� int�rieur. A la fin du premier mandat de R. Reagan le volume stock� �tait de 450 Mb, et 560 Mb fin 1988 - niveau auquel on est encore aujourd'hui (voir Figure 19, p. 59). Le rythme moyen de remplissage �tait de 77 000 b/j entre 1976 et 1980 ; il est pass� � 290 000 b/j en 1981 (ann�e fiscale) et 215 000 b/j en 1982. 80% du p�trole stock� dans la SPR l'a �t� sous Reagan, dont plus de 60% entre 1981 et 1984.
+Le renforcement de la pr�sence militaire am�ricaine dans le Golfe Persique r�pondait certainement � des consid�rations strat�giques plus larges que la seule pr�vention d'une rupture de l'approvisionnement p�trolier mondial. La cr�ation de la RDF venait apr�s l'invasion sovi�tique en Afghanistan et s'inscrivait dans le cadre de la " doctrine Carter " (sanctuarisation du Moyen-Orient), qui n'est pas r�ductible � une politique �nerg�tique. Toutefois, cette dimension �tait certainement pr�sente. La logique est alors la m�me que pour la SPR, m�me si l'instrument est tr�s diff�rent. Accepter que l'approvisionnement p�trolier repose sur un march� mondialis�, concurrentiel et domin� par les transactions de court terme, supposait la mise en place d'une s�curisation en amont, ou " par le haut ", dont le co�t s'apparente � une assurance contre les cons�quences �conomiques d'une d�faillance de l'offre mondiale. Lib�ralisation et s�curisation ne s'opposent pas, mais constituent deux faces d'une m�me politique.
+Tout comme la lib�ralisation, les mesures de s�curisation du march� initi�e sous R. Reagan ont �t� assum�es par tous les gouvernements depuis 1988, et demeurent un �l�ment essentiel de la politique p�troli�re am�ricaine. Au cours des ann�es 1990, la SPR a connu plusieurs am�liorations techniques au niveau du stockage et des modalit�s d'utilisation ; quant � la pr�sence militaire au Moyen-Orient, elle est aujourd'hui beaucoup plus forte qu'elle n'�tait en 1990 (avant la guerre du Golfe).
+La troisi�me orientation de la politique p�troli�re am�ricaine est moins connue que les deux premi�res. Il s'agit de l'effort de construction (ou de reconstruction) du march� international des permis d'exploration et production, apr�s les bouleversements juridiques et politiques des ann�es 1970. Dans le sillage de la " r�volution OPEP ", de nombreux pays ont nationalis� leur industrie p�troli�re et ferm� leur sous-sol aux compagnies �trang�res, ou durci consid�rablement les conditions juridiques et fiscales offertes aux investisseurs. En cons�quence, l'industrie p�troli�re internationale a recentr� ses investissements d'exploration et d�veloppement sur les pays de l'OCDE, essentiellement les Etats-Unis (dont l'Alaska et le Golfe du Mexique) et la Mer du Nord.
+Les zones les plus prometteuses en dehors de l'OPEP se trouvaient donc marginalis�es dans les strat�gies des compagnies p�troli�res. Pour corriger cette situation tr�s d�favorable � la diversification de l'offre p�troli�re � long terme, il avait �t� d�cid� dans le cadre du G7 de cr�er, au sein de la Banque mondiale, une " filiale �nergie " destin�e � aider les Etats exclus du march� des capitaux p�troliers priv�s � entreprendre la prospection et l'exploitation de leurs ressources �nerg�tiques. Ce projet s'est vu opposer un veto am�ricain en 1981. L'administration Reagan a impos� l'id�e selon laquelle les institutions internationales devaient encourager les pays en d�veloppement � adapter leurs l�gislations et leurs fiscalit�s, et non les soustraire au march� en apportant des financements publics. Cette id�e d'une n�cessaire adaptation des termes l�gislatifs et contractuels dans les pays en d�veloppement �tait d�fendue par les compagnies p�troli�res internationales, qui y voyaient la condition d'un retour de l'industrie dans ces pays. L'action de la Banque mondiale a �t� r�orient�e en ce sens ; entre 1985 et 1995, plusieurs dizaines d'Etats ont b�n�fici� des conseils �conomiques et juridiques de la Banque pour r�former leurs l�gislations et rendre leurs sous-sols plus attractifs sur le march� des contrats p�troliers.
+Parall�lement, l'administration Reagan a lanc�, d�s 1981, une politique juridique internationale tr�s ambitieuse, destin�e � r�former le r�gime juridique international des investissements. Les objectifs poursuivis �taient : l'octroi d'un haut niveau de protection des investisseurs �trangers (application du principe du " traitement national ") ; le respect des contrats entre investisseurs et Etats ; la libert� de rapatriement des profits ; l'internationalisation du droit s'appliquant � la relation contractuelle ; enfin - point capital - le r�glement des diff�rends relatifs aux investissements devant des tribunaux arbitraux dont les sentences sont garanties par le droit international public. La r�gulation juridique des contrats p�troliers, pour lesquels ces principes rev�tent une importance capitale, repr�sentait une motivation essentielle de cette initiative. Ces principes �taient initialement promus � travers un programme de trait�s bilat�raux sur les investissements (TBI), qui a ouvert la voie � une nouvelle g�n�ration de TBI port�e par tous les grands pays de l'OCDE, qui ont repris, dans les ann�es 1990, les principales dispositions des TBI am�ricains. Ensuite, l'influence am�ricaine s'est fait sentir dans les n�gociations sur les instruments multilat�raux r�gionaux (ALENA chap. 11), sectoriels (Trait� sur la Charte de l'Energie), ou mondiaux (AMI). Vingt ans apr�s le lancement de l'initiative am�ricaine, les principes que l'administration Reagan avait commenc� de promouvoir dans l'hostilit� g�n�rale - et notamment de la part des pays en d�veloppement propri�taires de ressources naturelles - sont aujourd'hui au fondement du nouveau r�gime juridique international des investissements, auquel ont adh�r� la plupart des pays en d�veloppement actifs sur le march� des permis p�troliers, ou souhaitant entrer sur ce march�. Cette r�forme juridique a jou� un r�le important dans le red�ploiement des investissements priv�s d'exploration et d�veloppement vers les pays d'Afrique, d'Am�rique latine et d'Asie - et aujourd'hui vers les pays de l'ex-URSS.
+La politique p�troli�re initi�e sous la premi�re administration Reagan est motiv�e par l'id�e qu'il n'existe pas de " co�t externe " de s�curit� li� � la consommation de p�trole, m�me si cela implique un recours croissant au p�trole import�. Plus exactement, m�me s'il existe une " externalit� ", aucune mesure de politique �nerg�tique ne peut la corriger � un co�t inf�rieur � son b�n�fice social. Dans ces conditions, la politique �nerg�tique doit consister � laisser fonctionner les m�canismes marchands, qui garantissent la minimisation du co�t d'approvisionnement, � s�curiser le march� contre les perturbations exog�nes, et � rechercher l'extension g�ographique maximale du march�, qui am�liore son efficacit�.
+Cette politique p�troli�re n'a pas �t� remise en cause dans ses principes ; m�me si le discours politique met souvent l'accent sur les risques associ�s � la " d�pendance " et sur la n�cessit� de la contenir, la r�alit� est que R. Reagan a fait entrer les Etats-Unis dans l'�re de la d�pendance p�troli�re accept�e et assum�e. Reste � �tudier les chances d'une r�orientation sensible de cette politique apr�s quinze ans d'augmentation continue de la part des importations dans la couverture de la demande, et face � la perspective d'une " d�pendance " pouvant atteindre 70% en 2020.
+La politique p�troli�re de l'administration Bush, telle qu'elle est envisag�e dans le plan Cheney, traduit-elle une �volution dans la mani�re d'appr�hender la " d�pendance p�troli�re ", ou augure-t-elle d'une continuation de la politique conduite depuis vingt ans ? L'analyse des propositions contenues dans le rapport montre, de mani�re tr�s nette, qu'il s'inscrit dans la continuit� beaucoup plus que dans la rupture. Au-del� de l'association rh�torique entre ma�trise de la " d�pendance " et renforcement de la s�curit�, c'est bien la lib�ralisation, la s�curisation et la construction du march� qui dominent tr�s largement les propositions concr�tes. Le fonctionnement des m�canismes marchands est au centre de la vision de l'approvisionnement p�trolier d�velopp�e par le rapport Cheney, ce qui implique l'acceptation d'un recours croissant aux importations.
+Les mesures visant � ma�triser la demande p�troli�re sont tr�s timides ; en l'absence de durcissement des normes de consommation (CAFE standards), il s'agit essentiellement de cr�dits d'imp�ts pour l'acquisition de v�hicules efficaces (hybrides ou piles � combustible).
+Le rapport pr�voit neuf mesures destin�es � stimuler la production int�rieure, parmi lesquelles la continuation du soutien public � la R&D en mati�re de technologie d'exploration et production, l'acc�l�ration du leasing sur les terres f�d�rales et l'ouverture de certaines zones jusque l� ferm�es aux activit�s de forage, en particulier l'ANWR en Alaska. Il importe de noter que, en l'absence de barri�res aux importations et aux exportations, l'�volution de l'offre int�rieure se " dissout " dans l'�volution de l'offre mondiale. L'ouverture des terres f�d�rales peut donc s'apparenter � une mesure d'extension du march� mondial des permis d'exploration et production.
+Le chapitre 8 du rapport Cheney, consacr� � la " s�curit� �nerg�tique nationale et aux rapports internationaux ", concentre l'essentiel des mesures pertinentes du point de vue la gestion de la d�pendance p�troli�re. Sur les 35 recommandations du chapitre, 18 (soit 50%) constituent des mesures de construction du march�, qui peuvent �tre regroup�es en trois sous-cat�gories :
+Pour la premi�re fois dans un document officiel, la politique juridique ext�rieure des Etats-Unis en mati�re de r�gulation des investissements transnationaux est reconnue comme un instrument de politique �nerg�tique. Le rapport fait explicitement r�f�rence � la signature d'un trait� bilat�ral sur les investissements avec le Venezuela, et de " consultations formelles " avec le Br�sil en vue d'am�liorer le climat des investissements �nerg�tiques.
+L'importance des mesures de construction des march�s �nerg�tiques internationaux dans le rapport Cheney est remarquable. Elle t�moigne d'une r�elle prise en compte de l'interd�pendance des syst�mes �nerg�tiques, donc du fait que la s�curit�, pour l'essentiel, se construit globalement et non localement. De ce point de vue, on peut noter une v�ritable diff�rence avec le Livre Vert publi� fin 2000 par la Commission europ�enne, qui semble n'accorder qu'une importance tr�s relative aux dispositifs de construction du march�. Il s'agit cependant, rappelons-le, du maintien d'une pr�occupation constante des Etats-Unis depuis le d�but des ann�es 1980, et non d'une innovation de la pr�sente administration. On doit aussi inclure dans les mesures de construction du march� la r�solution des probl�mes de " balkanisation r�glementaire " du march� am�ricain des carburants automobiles, propos�e au chapitre 7 du rapport.
+Le chapitre 8 du rapport contient en outre six recommandations relevant de la s�curisation du march�. L'importance de la SPR est r�affirm�e, et l'augmentation de son volume est envisag�e, en des termes tr�s prudents. En revanche, rien n'est dit sur la r�forme des r�gles et modalit�s d'utilisation de la SPR ; au contraire, le rapport pr�cise que la SPR n'a pas vocation � �tre un instrument de gestion du prix, et reste destin�e � " r�pondre � une rupture imminente ou r�elle des approvisionnement p�troliers " - faisant l'impasse sur la question cruciale de la d�finition et de l'identification d'une rupture d'approvisionnements, qui passe forc�ment par une r�f�rence au prix du p�trole. Le rapport �voque la possibilit� de louer � d'autres pays les capacit�s inutilis�es de la SPR, de mani�re � permettre � des Etats qui n'ont pas de r�serve strat�gique d'en d�velopper une � co�t r�duit. Enfin, la question des stocks strat�giques dans les pays d'Asie non membres de l'OCDE, qui n'en poss�dent pas, est �voqu�e.
+Entre lib�ralisation, construction et s�curisation du march�, le rapport Cheney marque, sur les questions p�troli�res, une forte continuit� avec la politique initi�e sous R. Reagan et poursuivie depuis avec constance. Apr�s le d�bat l�gislatif, il n'est m�me pas certain que les mesures les plus fortes, c�t� offre comme c�t� demande, soient pr�serv�es. La proposition de loi vot�e par la Chambre octroie de fortes aides fiscales � l'exploration et autorise l'ouverture de l'ANWR ; le S�nat (domin� par les d�mocrates) a r�duit les d�ductions fiscales et supprim� l'ouverture de la r�serve �cologique d'Alaska, troqu�e contre des subventions aux bio-carburants. Le texte de compromis qui �mergera - � supposer qu'il y en ait un - sera en retrait par rapport au rapport Cheney et ne comportera aucune mesure significative.
+Alors que la " d�pendance " ext�rieure a atteint son maximum historique, et que son approfondissement est une quasi certitude pour les deux d�cennies � venir, les Etats-Unis ne semblent pas devoir modifier radicalement leur politique p�troli�re. Au contraire, les grandes orientations d�finies il y a vingt ans sont confirm�es, m�mes si c'est par d�faut : apr�s la " crise " de 2000 - 2002 comme apr�s celle de 1990 - 1991, le grand d�bat de politique �nerg�tique initi� par l'administration accouche essentiellement de non-mesures, c'est-�-dire qu'il confirme l'approche lib�rale qui structure la politique �nerg�tique am�ricaine depuis le tournant des ann�es 1980.
+Pour l'�conomiste, cette politique reste raisonnable m�me si elle implique une croissance r�guli�re de la " d�pendance p�troli�re ". La plupart des �tudes sur les co�ts de r�duction des importations am�ricaines co�ts (ou du taux de croissance des importations), tant par la stimulation de l'offre int�rieure que par la ma�trise de la demande, concluent � la faiblesse des marges de manoeuvre en la mati�re. Le seuil au-del� duquel les co�ts de la r�duction sont sup�rieurs aux b�n�fices en termes de s�curit� �nerg�tique est tr�s vite atteint ; il n'existe qu'un potentiel tr�s limit� de r�duction profitable de la " d�pendance " p�troli�re. Si cette analyse co�ts / avantages semble effectivement inspirer la politique p�troli�re am�ricaine dans la dur�e, elle para�t toujours aussi difficile � soutenir explicitement dans le d�bat public. Les r�f�rences � la r�duction de la d�pendance �nerg�tique comme source de s�curit� sont omnipr�sentes dans le rapport Cheney, comme dans le d�bat qui a eu lieu depuis au Congr�s, et servent � justifier les mesures les plus diverses (de la relance du nucl�aire � l'assouplissement des normes environnementales sur le charbon, en passant par les subventions � la culture du colza et aux �nergies renouvelables), y compris celles dont l'impact sur le niveau des importations p�troli�res ou sur la s�curit� �nerg�tique est plus que douteux. Plus g�n�ralement, on observe depuis plus de vingt ans une diff�rence saisissante entre la tonalit� tr�s interventionniste du d�bat public sur l'�nergie aux Etats-Unis, et la reconduction - voire l'approfondissement - d'une politique essentiellement lib�rale.
+D'aucun voudront expliquer ce d�calage par les dysfonctionnements du processus l�gislatif am�ricain, sa perm�abilit� � l'action des groupes d'int�r�t, sa pente naturelle au compromis (bipartisan d'une part, entre l�gislatif et ex�cutif d'autre part), toutes caract�ristiques propres � laminer les ambitieux projets de r�forme, et notamment les comprehensive energy policy plans �labor�s � intervalles r�guliers par l'administration ou les majorit�s parlementaires. Cette analyse doit �tre compl�t�e par la prise en compte du fait que les d�bats de politique �nerg�tique ont toujours lieu, aux Etats-Unis, dans le sillage de " crises ", c'est-�-dire d'�pisodes de forte hausse - �ventuellement de fortes baisses - des prix de l'�nergie : 1973 - 74, 1979 - 80, 1985 - 86, 1990 - 91, 2000 - 2001. Dans ces contextes marqu�s par un sentiment d'urgence plus ou moins justifi�, le d�bat politique est n�cessairement domin� par une " prime � l'intervention " : � situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Ceci n'est �videmment pas propice � l'�valuation froide et rationnelle des orientations propos�es. En temps de crise plus encore qu'en temps normal, les affaires �nerg�tiques et notamment p�troli�res sont entour�es, selon le mot de M. Adelman, d'une " aura romantique " susceptible de " rendre plausible n'importe quel non-sens ". Le sentiment d'urgence s'effa�ant comme il �tait venu avec le retour � une situation normale sur les march�s de l'�nergie, il devient impossible au moment d�cisif de r�unir une majorit� parlementaire sur des mesures dont la rationalit� est plus que douteuse - d'o� le sentiment, a posteriori, que la montagne a accouch� d'une souris. A bien y regarder, les " lourdeurs " du processus l�gislatif am�ricain constituent peut-�tre un garde-fou, au moins autant qu'une entrave � l'action r�formatrice.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le lobbying n'est peut-�tre pas le plus vieux m�tier du monde, mais peu s'en faut. D�s l'instant o� des souverains ont eu besoin d'intendants et de conseillers pour g�rer leurs affaires et administrer leur politique, d'aucuns ont cherch� � les courtiser par le biais de leurs plus proches serviteurs. Il est int�ressant de noter qu'aussi bien en Europe qu'en Asie, rois et empereurs disposaient d'un vaste appareil destin� � entretenir membres de la cour et favoris. L'empereur chinois comme le shogun japonais �taient entour�s d'une foule de courtisans, et ceux qui �taient en qu�te de faveurs cherchaient souvent � soudoyer les hauts dignitaires pour peser sur leurs d�cisions.
+Chaque fois que les pouvoirs publics envisagent des politiques propres � faire des gagnants et des perdants, opposants et partisans s'organisent pour d�fendre leurs int�r�ts. Cette joute entre groupes d'int�r�ts et adversaires politiques se livre dans la plupart des syst�mes politiques, d�mocratiques ou non, � tous les �chelons de l'administration, au niveau tant local que national.
+Or aujourd'hui, pour ceux qui veulent infl�chir le cours des grandes d�cisions politiques, la premi�re sc�ne du monde, voire de l'Histoire, est � Washington, D.C., ville n�e d'une transaction politique entre forces oppos�es qui s'est sold�e par des gagnants et des perdants, mais o� certains ont r�cup�r� plus que leur mise. La gen�se de la cr�ation d'une nouvelle capitale dans les tous jeunes Etats-Unis d'Am�rique a ouvert la voie au lobbying et en a fait un terme incontournable de l'�quation de toutes les grandes d�cisions de l'Etat. Sous la pr�sidence du g�n�ral Washington, Alexander Hamilton, le secr�taire au Tr�sor, soucieux d'asseoir le cr�dit de la jeune nation, d�cide d'assumer les dettes h�rit�es de la r�volution. Thomas Jefferson et James Madison, deux de ses adversaires politiques, s'opposent � son plan, tout en faisant eux-m�mes l'objet d'un lobbying de la part des Etats et des groupes d'int�r�ts qui redoutent de voir leur prosp�rit� entam�e si la nation honore ses dettes. Mais Hamilton sait que ce qui importe davantage encore � Madison, c'est le d�bat sur le lieu d'installation du futur si�ge du Congr�s, pour lequel cinq sites sont envisag�s. Les sp�culateurs immobiliers ne pouvant que profiter de l'op�ration, quel que soit le site choisi pour le Capitole, Hamilton s'assure le soutien de ses adversaires sur la question du budget en se ralliant au projet d'installer la capitale f�d�rale dans une zone mar�cageuse sur le Potomac, � c�t� de la Virginie, Etat d'o� Madison et Jefferson sont originaires. Les amis de Madison en profitent et la fiert� de la Virginie s'en trouve confort�e. Le compromis politique n'est donc pas chose nouvelle, et souvent la d�finition de la politique officielle est le fruit de l'�pre rivalit� qui, en coulisses, oppose entre eux les responsables politiques l�gitimes, mais aussi les acteurs puissants et officieux, voire ill�gitimes, qui oeuvrent au sein de l'appareil politique.
+Si les r�dacteurs de la Constitution des Etats-Unis n'ont pas pr�vu le lobbying dans leur trait� sur le gouvernement, les lobbyistes constituent pourtant un rouage essentiel de l'appareil d'Etat depuis le d�but de sa cr�ation. Dans son acception initiale, le terme de " lobbyiste " d�signe toute personne ou tout groupe qui essaie d'influer sur la politique ; mais, au fil du temps, il a �t� utilis� plus g�n�ralement pour qualifier tout simplement un agent d'influence r�mun�r�, un d�fenseur de dossiers, souvent avocat ou charg� de relations publiques, ou encore ancien membre du gouvernement, dont la connaissance des repr�sentants et des coulisses du pouvoir peut conf�rer � des int�r�ts priv�s l'avantage d'influer sur une d�cision politique.
+Au S�nat comme � la Chambre des repr�sentants, la correspondance que re�oit le bureau d'un parlementaire est, en r�gle g�n�rale, codifi�e et enregistr�e diff�remment selon que le courrier postal ou �lectronique re�u fait partie d'un envoi massif ou qu'il est unique. Si le courrier provient du district ou de l'Etat d'origine du parlementaire, il b�n�ficie d'une attention plus grande que s'il �mane d'une lointaine localit�. Or, la cat�gorie qui se voit accorder une attention prioritaire est souvent qualifi�e de " point rouge ", ce qui signifie que le membre du Congr�s lit ce courrier et y r�pond souvent personnellement. Pour b�n�ficier du statut de " point rouge ", il ne suffit pas d'envoyer une proposition de mesure particuli�rement int�ressante et utile pour la collectivit� ; il vaut mieux effectuer des dons importants - du niveau maximal autoris� par la loi - sur le compte de campagne de l'�lu. On peut aussi aider � mettre sur pied un comit� d'action politique qui versera, toujours dans le respect de la l�galit�, des sommes importantes au parti politique dudit parlementaire, ou contribuera financi�rement � ce comit�. A l'�vidence, l'argent r�gne en ma�tre et il en a toujours �t� ainsi. Une participation financi�re permet de faire entendre sa voix, et les lobbyistes exercent leur influence en mobilisant leurs r�seaux traditionnels, mais aussi en exploitant leur aptitude � collecter des fonds et � susciter la contribution d'un grand nombre de " points rouges ", ainsi qu'en d�montrant leur capacit� � obtenir les r�sultats politiques escompt�s par leurs clients.
+Les cabinets de lobbying de Washington - la l�gion des " points rouges " -sont concentr�s sur " K Street ", dans le district de Columbia. A vrai dire, " les lobbyistes d'entreprise ont tellement p�n�tr� dans la culture de la Cit� qu'on a parfois le sentiment qu'ils font partie de l'appareil d'Etat lui-m�me ". Le secteur du lobbying a pris d�sormais une place si importante que certains grands journaux de la presse nationale, comme le Washington Post, le National Journal et Roll Call, lui consacrent une rubrique sp�ciale.
+L'arch�type du lobbyiste, tel qu'il a �t� croqu� aux Etats-Unis dans certaines des caricatures politiques les plus incisives du XXe si�cle, a longtemps �t� un personnage ventripotent qui fume le cigare et r�de dans l'ombre d'un homme politique dont il remplit les poches de dollars. Aujourd'hui, les lobbyistes sont devenus des acteurs plus sophistiqu�s du jeu politique. Toutefois, des efforts sont en cours pour endiguer le pouvoir de ces �minences grises et instaurer davantage de transparence sur les liens qu'ils entretiennent avec les responsables politiques. Auparavant, les lobbyistes avaient leurs entr�es dans les " vestiaires " du Congr�s, ces antichambres priv�es dont disposent les d�l�gations des partis dans chacune des deux chambres, ce qui n'est pas le cas du citoyen moyen. Ce privil�ge leur a �t� retir�, mais le monde des " points rouges " d�tient encore nombre de privil�ges officieux, en particulier au Congr�s, dont le simple citoyen ne b�n�ficie pas non plus. R�cemment, Chris Dodd (s�nateur d�mocrate, Connecticut), pr�sident du Senate Rules and Administration Committee (Commission s�natoriale des r�glements et de l'administration), a voulu une fois encore accro�tre les pr�rogatives des lobbyistes par rapport aux citoyens ordinaires pour ce qui est de leurs entr�es au Capitole : il a propos� un dispositif leur permettant d'y acc�der plus rapidement et plus ais�ment pour contacter les parlementaires et leurs collaborateurs - une sorte de coupe-file analogue � la carte propos�e aux VIP par la compagnie a�rienne United Airlines. N�anmoins, les relations financi�res entre responsables politiques et lobbyistes sont strictement r�glement�es : repas, voyages ou dons financ�s par des groupes d'int�r�ts par le biais des seconds au profit des premiers sont soit devenus illicites, soit d�sormais r�glement�s par plusieurs bureaux de contr�le d�ontologique au sein du Congr�s et de l'Ex�cutif.
+Dans un article �crit apr�s la promulgation de l'interdiction de dons aux s�nateurs, en 1996, sous le titre " How to Still Make a Senator Smile? " (" Comment faire encore sourire un s�nateur ? "), j'examine comment le monde de l'influence peut encore induire en tentation les l�gislateurs et leurs �quipes, malgr� la profusion de r�gles et r�glements nouveaux qui ont �t� adopt�s aussi bien � la Chambre des repr�sentants qu'au S�nat concernant leurs liens avec les lobbyistes. C'est ainsi que la caf�t�ria du S�nat - et sa nourriture bon march� mais tout � fait honn�te - a remplac� les restaurants renomm�s pour devenir le lieu privil�gi� o� les lobbyistes invitent les collaborateurs personnels (staffers) des membres du Congr�s ou les parlementaires eux-m�mes, car c'est un endroit o� ils peuvent leur offrir un nombre illimit� de repas non enregistr�s sans d�passer la limite annuelle impos�e par les nouvelles r�gles. Le Code de d�ontologie du S�nat est un document de 562 pages qui recense ce qui est autoris� et ne l'est pas entre, d'une part, les s�nateurs et leurs collaborateurs et, d'autre part, les groupes d'int�r�ts. Une partie des dispositions concernant les dons est libell�e comme suit :
+" Le terme "don" d�signe toute forme de gratification, de faveur, de remise, d'invitation, de pr�t ou d'exon�ration ou tout autre �l�ment ayant une valeur mon�taire. Il englobe les dons de services, de formation, de transport, d'h�bergement et de repas, qu'ils soient fournis en nature, par l'achat d'un billet, par un paiement anticip�, ou par le remboursement des d�penses engag�es. "
+Toutefois, si certains collaborateurs personnels des parlementaires peuvent toujours continuer � b�n�ficier de repas offerts par des lobbyistes au service d'int�r�ts aussi divers que les droits de pacage, les licences d'utilisation du spectre �lectromagn�tique, la lev�e des sanctions unilat�rales visant Cuba ou le Soudan, ou l'exploration p�troli�re dans la r�serve naturelle de l'Alaska, les lobbyistes ont vu battre en br�che leur capacit� � inviter les parlementaires dans les meilleurs clubs et restaurants de Washington.
+Sans entrer dans le d�tail des dispositions qui r�gissent d�sormais les rapports entre lobbyistes et membres du Congr�s ou de l'Administration, on constate n�anmoins que s'est mise en place une v�ritable " seconde �conomie " de l'influence politique. Au lieu de se contenter des contacts privil�gi�s et directs qu'ils entretiennent avec les membres de l'ex�cutif, les lobbyistes recourent de plus en plus � des forums de " sensibilisation des responsables publics " et � des think tanks (" laboratoires d'id�es ") pour d�marcher les parlementaires ou leurs assistants. Le code de d�ontologie autorise les collaborateurs politiques � assister � des r�unions " largement ouvertes " - d�finies comme �tant simplement celles auxquelles assistent un minimum de dix personnes - et � profiter des repas et autres avantages offerts � cette occasion. Il autorise aussi les parlementaires et leurs assistants � effectuer des voyages � l'int�rieur et � l'ext�rieur des Etats-Unis, aux frais de leur h�te, si l'objet de ces voyages rel�ve de leurs obligations et si le financement en est assur� par un organisme sans but lucratif s�lectionn� par un bureau de d�ontologie.
+Fait �tonnant, malgr� cette exigence de contr�le d�ontologique, l'organisme de financement ne rencontre aucun probl�me et n'enfreint aucune loi s'il sert de vecteur � une op�ration de blanchiment d'argent pour le financement, par des entreprises ou des fonctionnaires �trangers, de programmes ou de voyages destin�s � des responsables publics. C'est ainsi que le gouvernement chinois peut inviter des membres du personnel du Congr�s en finan�ant un organisme sans but lucratif charg� de l'organisation de la visite et de l'invitation des assistants des parlementaires, voire, dans certains cas, des parlementaires eux-m�mes. Le gouvernement taiwanais fait voyager tous les collaborateurs invit�s des membres du Congr�s en premi�re classe sur China Airlines et leur offre un accueil pour VIP dans les meilleurs h�tels de Taipei, o� ceux-ci ont le privil�ge tout � fait inhabituel d'avoir chacun un serveur d'�tage personnel. C'est ainsi qu'un de ces collaborateurs, ayant chang� de domaine d'intervention au sein de l'�quipe d'un membre de la Chambre des repr�sentants, m'a fait savoir qu'il �tait " disponible " pour effectuer des visites partout dans le monde si celles-ci avaient trait � ses nouvelles responsabilit�s dans le domaine de la politique des t�l�communications. Nombre de programmes financ�s par des entreprises, voire par des gouvernements �trangers, offrent effectivement d'excellentes occasions de sensibiliser les participants aux dossiers de politique publique ; mais beaucoup ne sont en fait qu'un simple moyen de voyager aux frais de la princesse, et visent davantage � corrompre qu'� �clairer l'esprit et le choix des hauts responsables des politiques publiques.
+Jeremy Azrael, analyste de la RAND Corporation, a beaucoup �crit sur les seconde et tierce �conomies de l'ex-Union sovi�tique et des nouveaux Etats ind�pendants d'Europe orientale, estimant que la corruption qui s'est manifest�e au sein de ces appareils politiques �tait une n�cessit� naturelle et pr�visible compte tenu de l'inad�quation de l'�conomie centralement planifi�e. Si l'Etat n'est pas en mesure d'assurer une distribution efficace de pain et de chaussures dans le pays, des march�s parall�les se mettent en place pour r�pondre � la demande. Certes, les r�gles de comportement jouent un r�le - le comportement �tant influenc� via la tactique de la carotte et du b�ton -, mais si les r�gles d'une �conomie politique vont trop � l'encontre de la demande de certains biens ou services, le fournisseur cherchera d'autres moyens de survivre et de prosp�rer. Un bon exemple d'une telle situation est offert par l'�conomie de la drogue aux Etats-Unis et dans d'autres syst�mes fortement r�gul�s de lutte contre la production et la consommation de drogues illicites. L'�conomie souterraine du secteur de la drogue outre-Atlantique semble en effet prosp�rer, et ce, malgr� l'�norme effort d'investissement d�ploy� par l'Administration pour lutter contre la production, l'offre et la distribution de drogues illicites. On peut aussi voir dans le vol de propri�t� intellectuelle pratiqu� en Chine un autre cas o� le dispositif de lois et r�glements n'est pas encore suffisamment �labor� pour battre en br�che l'�conomie illicite qui consiste � copier, produire et distribuer des copies pirat�es de disques compacts � succ�s, voire � publier une s�rie de nouveaux Harry Potter que J. K. Rowling n'a jamais �crits, sans parler des nombreuses copies pirat�es de ceux qui sont r�ellement de son cru.
+En r�alit�, face au contr�le et � la r�glementation accrus du secteur du lobbying, les lobbyistes ont cherch� d'autres moyens de d�fendre leurs int�r�ts : or, l'une des strat�gies les plus habiles, d�j� employ�es par les entreprises et d'autres groupes d'int�r�t, consiste � se servir des think tanks pour relayer leurs propositions en mati�re de politiques publiques. La plupart des think tanks sont organis�s en vertu du droit am�ricain des soci�t�s selon les m�mes dispositions que celles r�gissant les organisations caritatives et �ducatives, ce que l'on appelle les " organisations 501(c) ". Si DaimlerChrysler veut sensibiliser des parlementaires ou leurs assistants au probl�me du non-respect par la Cor�e des termes de l'accord bilat�ral sur l'automobile pass� entre ce pays et les Etats-Unis, ou si la Biotechnology Industry Association veut faire valoir les raisons pour lesquelles le " principe de pr�caution " pr�n� par l'Europe sur les aliments et les produits g�n�tiquement modifi�s constitue une entrave � la recherche, au libre-�change et � la modernit�, ces deux organisations pourraient s'adresser, par exemple, � des organisations comme celle � laquelle j'appartiens - la New America Foundation, ou � d'autres comme la Heritage Foundation, la Brookings Institution, le Center for Strategic and International Studies (CSIS), le Cato Institute, le Carnegie Endowment ou l'American Enterprise Institute (AEI), pour qu'elles organisent un d�jeuner ou un colloque dans le but de " sensibiliser " les responsables publics � ces probl�mes. Ces groupes d'int�r�t sp�cifiques pourraient demander � une organisation sans but lucratif, telle que le Congressional Economic Leadership Institute ou la New America Foundation, de mettre sur pied un voyage � Sydney, en Australie, pour �tudier la probl�matique des biotechnologies, ou � S�oul ou Bruxelles pour comparer les caract�ristiques respectives du commerce europ�en et cor�en de l'automobile. Dans la mesure o� les membres du Congr�s disposent souvent, en propre, de budgets de mission pour leurs bureaux personnels ou pour les commissions auxquelles ils appartiennent, une tactique int�ressante employ�e par l'organisme sans but lucratif ou l'�quipe de liaison du groupe d'int�r�t concern� consiste � sensibiliser les �pouses desdits parlementaires aux dossiers de politique publique et � les faire participer simultan�ment � des voyages qui poursuivent les objectifs du bureau personnel de ces parlementaires ou de leur commission.
+Suivant une tradition instaur�e au sein de la vieille Europe, des individus et des institutions fortun�s ont souvent mis sur pied des associations caritatives destin�es � aider les d�favoris�s. Londres regorge encore aujourd'hui de ces v�n�rables " fondations de bienfaisance " (les charities) cr��es pour �duquer la jeunesse, aider les sans-abri et s'attaquer � toutes sortes de maux sociaux. Sous une forme quelque peu diff�rente, ce type de fondation, issu d'une opulence r�volue, est l�gion en Italie, en France, en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe. Aux Etats-Unis, des particuliers fortun�s, d'Andrew Carnegie � Bill Gates, se sont acquitt�s de leurs responsabilit�s de citoyens privil�gi�s en cr�ant des fondations priv�es. La Ford Foundation de Henry Ford a �t� l'une des premi�res grandes fondations � s'engager dans les affaires du monde. Des lib�raux de la soci�t� civile comme Norman Lear et des politiciens conservateurs comme John Olin ont cr�� des fondations et des fonds destin�s � aider des projets et des individus s'inscrivant dans leurs camps politiques respectifs. Mais des entreprises ont fait de m�me. DaimlerChrysler, AT&T, Federal Expression, Philip Morris, Toyota, AIG Citigroup : partout dans le monde, des entreprises allouent des fonds issus de leur tr�sorerie propre ou de leurs fondations respectives, cr��es autour de leurs th�mes d'int�r�t sp�cifiques, pour financer aussi bien un orchestre philharmonique ou un bal d'investiture � l'issue de l'�lection pr�sidentielle, que des voyages ou des programmes de r�flexion politique destin�s aux responsables publics.
+La soci�t� civile aux Etats-Unis regroupe un �ventail diversifi� d'acteurs et de points de vue qui couvrent tout l'�chiquier politique et s'affrontent pour avoir le dessus, les gagnants d'un jour pouvant �tre contraints � battre en retraite le lendemain. Partis politiques, m�dias, universitaires, institutions politiques publiques, syndicats, entreprises, responsables associatifs ou culturels, organismes de d�fense d'int�r�ts particuliers constituent ainsi l'un des plus riches tissus sociaux du monde. Pr�server la bonne sant� de la d�mocratie n�cessite, entre autres, d'emp�cher des monopoles de pouvoir, qu'ils soient financiers ou politiques, de d�s�quilibrer ce syst�me de concessions mutuelles entre adversaires. O� se situent les lobbyistes et leurs cabinets dans ce paysage ? En g�n�ral, ils sont d�nu�s de moralit� et pr�ts � d�fendre la plupart des dossiers en �change d'une r�mun�ration appropri�e. Il existe des lobbyistes de gauche comme de droite ; ils peuvent repr�senter des communaut�s, des Etats, des int�r�ts particuliers, des syndicats, des f�d�rations professionnelles et commerciales, ou des universit�s, car les lobbies couvrent tous les int�r�ts dont les politiques publiques sont susceptibles de faire des gagnants ou des perdants. Les lobbyistes ont envahi le syst�me, mais, en tant que groupe, ils sont pratiquement invisibles puisqu'ils ont rev�tu l'apparence de leurs clients. Comme l'a d�clar� Jonathan Rauch dans un entretien sur l'impossibilit� de distinguer entre l'emprise omnipr�sente des lobbyistes sur le gouvernement et l'int�r�t v�ritable des citoyens, " les lobbyistes sont des citoyens, les citoyens sont des lobbyistes ".
+Toutefois, comme les outils du lobbying, et notamment leur facult� de solliciter des faveurs contre de l'argent, sont de plus en plus r�glement�s et transparents, les professionnels de l'influence ont d�couvert que les think tanks - qui sont eux aussi r�glement�s en th�orie, mais beaucoup moins en pratique - constituent un vecteur efficace pour promouvoir leurs dossiers.
+Aux termes des r�gles de l'Internal Revenue Service (IRS), les organisations 501(c) b�n�ficient d'un r�gime fiscal particulier en tant qu'organisations au service de l'int�r�t public. Un �tablissement de soins palliatifs pour malades du sida, une �cole priv�e, les Boy Scouts d'Am�rique (BSA) sont autant d'institutions constitu�es en organisations sans but lucratif dont l'objet n'est pas officiellement de r�aliser des b�n�fices financiers mais bien de servir l'int�r�t public. Or les think tanks sont g�n�ralement r�gis par les m�mes dispositions du Code des imp�ts.
+En tant qu'organisations 501(c) traitant de questions d'int�r�t public, les think tanks ne sont pas autoris�s � consacrer plus de 5 % de leurs ressources totales au lobbying et � la promotion de points du vue politiques. Ils doivent se doter d'un conseil d'administration et rendre librement accessibles le compte rendu des s�ances de ce conseil ainsi que les formulaires 990 de d�claration fiscale. Lors de la demande de statut d'organisation sans but lucratif, l'IRS v�rifie les r�gles d'adh�sion, notamment le caract�re non discriminatoire, les programmes envisag�s et le caract�re public, ainsi que les publications pr�vues et les modalit�s administratives qui en r�gissent le choix. Cependant, une fois le statut accord�, et tant qu'elle d�pose les d�clarations fiscales requises, l'organisation n'est que tr�s rarement soumise � des investigations concernant le respect du caract�re non lucratif de ses activit�s. L'une des rares exceptions � cette r�gle est le litige qui oppose de longue date l'IRS et l'Eglise de scientologie, constitu�e en association sans but lucratif d'int�r�t public. Si les r�gles r�gissant les organisations sans but lucratif, � la diff�rence de celles applicables aux entreprises classiques, int�ressent tellement les institutions actives dans le domaine des politiques publiques et les organismes � vocation sociale, c'est que les contributions qui leur sont vers�es par des particuliers, des entreprises et des fondations sont d�ductibles du revenu imposable. En d'autres termes, des particuliers fortun�s, inquiets par exemple de l'incidence n�gative que pourrait avoir pour leurs affaires une d�t�rioration des �changes commerciaux avec la Chine, peuvent soit donner de l'argent � des parlementaires, soit faire un don � des partis politiques, ni l'un ni l'autre n'�tant d�ductibles du revenu imposable ; mais ils peuvent aussi verser une contribution illimit�e � des think tanks pour que ceux-ci organisent � l'intention d'assistants parlementaires des d�ners, des colloques et des missions, ou encore subventionner des travaux de recherche d'un think tank sur les politiques publiques en vue de " sensibiliser " les responsables concern�s.
+Cette pratique, souvent qualifi�e de " lobbying de fond ", est mise en oeuvre depuis de nombreuses ann�es. Elle l'a �t� au premier chef par Roger Milliken, magnat du textile de Caroline-du-Sud, qui a discr�tement combattu l'Accord de libre-�change nord-am�ricain (ALENA), l'Initiative concernant le bassin des Cara�bes (CBI), la l�gislation " acc�l�r�e " et autres r�glementations visant � s'attaquer aux protections dont b�n�ficiait le secteur du textile aux Etats-Unis. Si les efforts de Milliken ont souvent �chou�, sa fortune lui a permis de gagner du temps et de devenir en coulisses un acteur d�cisif de la sc�ne publique. Le soutien qu'il a apport� en sous-main � Ross Perot, en 1992 et 1996, a vraisemblablement co�t� leur �lection � l'ancien pr�sident George Bush et au s�nateur Robert Dole. Malgr� la fortune de Perot, ce furent en fait le financement par Milliken du Manufacturing Policy Project lanc� par Pat Choate et ses liens avec Pat Buchanan qui ont v�ritablement entrav� la capacit� du Parti r�publicain � lancer une offensive efficace contre Bill Clinton. Les tentatives cyniques mais couronn�es de succ�s de George W. Bush pour acheter le soutien de ceux qui �taient d�sireux de prot�ger l'industrie sid�rurgique ou de voir augmenter les subventions � l'agriculture - mesures allant toutes � l'encontre du message global des Etats-Unis en faveur du libre-�change et du lib�ralisme �conomique - visent aussi � emp�cher d'autres magnats de l'industrie du type de Roger Milliken de placer sur le chemin du pr�sident sortant, en les finan�ant, des adversaires susceptibles de le mettre en danger lors des �lections de 2004.
+Les think tanks ont toujours re�u des contributions de particuliers, de fondations et d'entreprises d�fendant des causes politiques sp�cifiques. C'est ainsi que la Ford Foundation, soucieuse de r�habiliter � bien des �gards la m�moire de son fondateur, qui �tait antis�mite et p�tri de pr�jug�s divers, est devenue le champion des mesures anti-discriminatoires aux Etats-Unis. Les organisations qui ne respectent pas une diversit� ethnique et une repr�sentation des deux sexes effectives sur le plan quantitatif ne sont pas financ�es par cette fondation ; et celles qui s'interrogent sur la question, particuli�rement sensible, de savoir si de telles mesures ne sont pas devenues anachroniques ne b�n�ficient pas non plus d'une aide de la fondation, m�me si celle-ci est tout � fait favorable, par ailleurs, � tel ou tel projet desdites organisations. Il en va de m�me pour les entreprises et les syndicats. Aucune fondation li�e � un syndicat ne s'adressera � un think tank qui a produit force travaux de recherche en faveur du libre-�change mondial. Et des entreprises qui ont men� une guerre de tranch�e contre une politique de sanctions unilat�rales ne soutiendront pas des intellectuels ou des institutions qui consid�rent qu'actuellement une grande partie du monde profite de la situation cr��e par la d�cision des Etats-Unis de sacrifier des avantages �conomiques aux int�r�ts sup�rieurs de la s�curit� nationale.
+S'il n'est pas nouveau que les think tanks re�oivent de l'argent d'instances d�fendant tel ou tel int�r�t politique, la culture de la soci�t� civile telle qu'elle existe aux Etats-Unis a fait que, globalement, les think tanks et les institutions de recherche ont longtemps constitu� les meilleures sources d'analyses objectives des politiques publiques. Ces �tudes d�fendaient bien s�r des points de vue divergents, mais leurs �clairages respectifs �taient �tay�s par une mise en perspective historique, des analyses, des donn�es empiriques, des mod�lisations, et des r�flexions strat�giques approfondies. Parall�lement, d'autres acteurs occupaient d'autres fonctions. Les m�dias servaient non pas � approfondir les dossiers mais � porter les faits sur la place publique et � informer les citoyens. Divers int�r�ts oppos�s poursuivaient des objectifs sp�cifiques plus limit�s mais n'�taient pas cens�s �tre la conscience intellectuelle du processus d'�laboration des politiques publiques. Les think tanks et, dans une certaine mesure, les universit�s sont essentiellement des centres de recherche et d'analyse politiques : or, ce sont pr�cis�ment cette fonction et la l�gitimit� dont les think tanks jouissent aupr�s de l'Administration et des m�dias que les lobbyistes se sont �vertu�s � s'approprier et � mettre au service de leurs propres strat�gies.
+Cet article ne pr�tend pas pr�senter le type de donn�es " �volutives " propres � nourrir une r�flexion approfondie sur la corruption des think tanks par le secteur du lobbying. Il vise plut�t � d�gager de grandes tendances et � mettre en lumi�re la donne radicalement nouvelle introduite par l'inventivit� tous azimuts dont font preuve les lobbyistes pour trouver aupr�s des think tanks de nouveaux moyens d'atteindre leurs objectifs. Cette mutation s'explique par toutes sortes de raisons, la principale �tant tout simplement qu'aux Etats-Unis, le lobbying fait d�sormais l'objet d'un contr�le de plus en plus strict. Les efforts d�mesur�s d�ploy�s par le s�nateur McCain aux c�t�s de Trevor Potter, l'ancien pr�sident de la Commission des �lections f�d�rales (FEC), pour r�former le financement des campagnes �lectorales rendent encore plus difficile, quoique toujours possible, pour des int�r�ts sp�ciaux de verser pour des campagnes politiques des sommes pratiquement illimit�es sous forme de soft money, ces contributions aux partis qui �chappent au plafonnement, � la diff�rence de celles allou�es aux candidats. Bien entendu, les assistants des s�nateurs sont aujourd'hui contraints soit de s'accommoder des plafonds annuels auxquels sont soumis les repas auxquels ils sont convi�s, qui sont certes agr�ables mais en comit� restreint, soit d'obtenir des lobbyistes qu'ils leur offrent une multitude de repas " � moins de 10 dollars " � la caf�t�ria du Congr�s.
+Le secteur des think tanks, pl�thorique � Washington, prosp�re essentiellement gr�ce aux milliards de dollars qui y sont inject�s. Malgr� le caract�re apparemment passionn� de nombre de batailles politiques auxquelles ils participent, les think tanks s'investissent de moins en moins dans des �tudes politiques approfondies destin�es � mieux �clairer le choix des d�cideurs, et s'attachent plut�t � creuser plus avant les orni�res d'un d�bat d�j� bien enlis� et menac� de paralysie par le pouvoir antagoniste des gagnants et des perdants potentiels, poursuivis sans rel�che par une arm�e de lobbyistes. La vuln�rabilit� croissante des think tanks, petits ou grands, face aux quatre volont�s de lobbies qui n'ont de cesse d'atteindre leurs vis�es politiques, s'explique en partie par leur prolif�ration acc�l�r�e et par le nombre croissant d'acteurs qui se partagent la masse de dollars consacr�e au champ politique.
+Pour prosp�rer en tant qu'institution, un think tank est tenu de signer une sorte de pacte faustien qui consiste � accepter l'argent des donateurs tout en maintenant une apparence d'objectivit� et de s�rieux politiques, alors m�me qu'il ex�cute les ordres de tel ou tel lobbyiste. De surcro�t, le manque de moyens de l'IRS pour mener de v�ritables investigations sur le secteur sans but lucratif, conjugu� � la difficult� de faire pr�cis�ment la diff�rence entre le lobbying et ce que l'on qualifie d'" actions de sensibilisation " � l'intention des responsables publics et de leurs collaborateurs, vient nourrir le terreau sur lequel prosp�re la corruption des think tanks.
+Lorsque je travaillais encore au S�nat, une fondation dont l'objet �tait de promouvoir le tennis en tant qu'activit� p�riscolaire m'avait invit� � assister au Legg Mason Tennis Championship dans l'une des luxueuses tribunes r�serv�es par IBM. L'invitation ne faisait aucune r�f�rence � cette entreprise, et il ne m'avait pas �t� signal� que j'avais �t� sp�cialement s�lectionn� par elle pour participer � cette manifestation caritative. Dans la tribune, pendant que l'on me r�galait de caviar, de champagne et de toutes sortes de mets d�licieux, j'ai rencontr� une quinzaine des plus prestigieux collaborateurs politiques du S�nat - chefs des assistants des commissions et des bureaux personnels des parlementaires - des deux partis, qui avaient presque tous aid� IBM et une coalition d'autres entreprises � faire adopter au S�nat une nouvelle disposition appel�e le Team Act visant � r�former une partie de la loi sur les relations du travail qui interdisait les n�gociations non r�glement�es entre un nombre restreint d'employ�s et la direction de l'entreprise sur des questions int�ressant l'ensemble des employ�s. En fait, on nous r�compensait pour nos bons et loyaux services.
+Le Code de d�ontologie du S�nat comporte les exemples suivants :
+Autrement dit, si, en tant que lobbyiste d'entreprise, vous voulez inviter le collaborateur d'un membre du Congr�s � un d�ner de gala organis� par un think tank comme la New America Foundation, vous n'avez pas le droit d'acheter des billets pour cette manifestation et de les donner � ce collaborateur ou � un parlementaire ; mais vous pouvez donner une liste de noms � l'organisation sans but lucratif et faire ainsi en sorte que celle-ci invite ledit collaborateur. Lors du d�ner de gala, le collaborateur se retrouvera tout naturellement assis � c�t� de vous. Cette pratique, qui est devenue extr�mement courante � Washington, n'est rien d'autre qu'une op�ration de blanchiment d'argent destin�e � contourner l'esprit du Code de d�ontologie. Les d�ners annuels organis�s par le Cato Institute, la Heritage Foundation et l'American Enterprise Institute - qui, de tous les �v�nements organis�s sur les dossiers de politiques publiques, figurent parmi les manifestations annuelles les plus courues de Washington -r�unissent une foule de responsables de l'Administration et du Congr�s dont la participation est pay�e par des entreprises qui ont blanchi les fonds consacr�s � leur soutien et � l'invitation de ces responsables par le biais du think tank.
+Les invitations � d�ner que les lobbyistes avaient l'habitude d'adresser tout � fait ouvertement aux membres du Congr�s et � leurs principaux assistants passent d�sormais de plus en plus par des organisations sans but lucratif qui servent d'interm�diaires. Lorsque je travaillais au S�nat, ceux qui �taient parmi les plus friands de ces manifestations offertes par les lobbyistes proclamaient : " Nous respectons la lettre du Code, rien que la lettre. "
+Mais la forme d'intervention en faveur de dossiers de politique publique que les lobbyistes ont d�sormais obtenue des think tanks rev�t un caract�re beaucoup plus ambitieux et subtil que des invitations � des d�ners en smoking ou des voyages � Bali ou Singapour. En effet, non seulement les think tanks r�alisent des travaux d'analyse politique ; mais, surtout, ils les diffusent tous azimuts dans le but de convaincre l'opinion publique et les responsables publics. C'est ainsi que les chercheurs principaux de la Brookings Institution ont la r�putation de produire des travaux beaucoup plus th�oriques que la plupart des conseillers politiques de Washington et qu'ils publient leurs analyses dans des livres plus fr�quemment que ceux de la Heritage Foundation, par exemple, qui recourent plut�t � l'envoi par t�l�copie de synth�ses politiques ou � la publication de points de vue dans les pages de libre expression du Washington Times et d'autres journaux ou magazines. Toutefois, au cours de la d�cennie 1990, le ph�nom�ne observ� dans le domaine du financement de la recherche-d�veloppement scientifique s'est produit dans celui de l'analyse des politiques publiques. Dans le champ scientifique, au lieu de financer la recherche fondamentale, les bailleurs de fond r�clament de plus en plus de recherches appliqu�es dont les objectifs sont plus pr�cis et moins incertains. De m�me, s'agissant des think tanks, alors que nombre d'organismes de financement, en particulier les entreprises, syndicats et fondations, semblaient se satisfaire d'un �ventail diversifi� de recherches sur les politiques, ils sont aujourd'hui de plus en plus demandeurs de r�sultats susceptibles de contribuer positivement � leur bilan financier. Les exemples abondent.
+L'Economic Strategy Institute (ESI), qui �tait l'une des plus importantes institutions de Washington � travailler sur l'incidence des politiques micro�conomiques, s'est transform� pour devenir un cabinet-conseil constitu� en organisation sans but lucratif. Autrement dit, les entreprises ou les associations patronales venaient voir les principaux chercheurs de l'ESI pour des op�rations qui ressemblaient davantage � des avances sur honoraires pour service rendu qu'� des contributions en faveur d'une organisation au service de l'int�r�t public. Et ce n'est pas m�dire de cette institution puisque son directeur et son �conomiste en chef faisaient r�guli�rement r�f�rence, en public, aux comp�tences de l'ESI en mati�re de conseil et de lobbying.
+Parmi les lobbyistes clients de cet institut figurait ainsi un groupe d'entreprises d�sireuses de produire des rapports intellectuellement solides pour contrer les initiatives en faveur de la lutte contre le r�chauffement climatique. Une fois, alors qu'il �tait question du d�bat tr�s vif qui voyait s'affronter dans le secteur des t�l�communications les op�rateurs longue distance et les op�rateurs locaux, tous deux toujours aux prises avec la lettre et l'esprit de la loi de 1996 sur les t�l�communications, plusieurs membres de l'ESI ont propos� de faire pencher la balance du c�t� de ceux qui apporteraient le soutien financier le plus important � l'institut. Cette histoire n'est pas unique en son genre et elle n'est m�me pas inhabituelle.
+La Progress and Freedom Foundation re�oit une large part de son financement d'op�rateurs de t�l�communications locaux et d'entreprises oppos�es � l'h�g�monie de Microsoft dans le secteur de l'informatique ; pourtant, lors de sa cr�ation, cette fondation s'�tait fix� un objet beaucoup plus large que les questions de r�glementation dans les domaines des t�l�communications et de l'informatique. Les synth�ses politiques et les pages de libre expression publi�es par cette institution ressemblent pourtant fort � des plaidoyers qui pourraient avoir �t� r�dig�s par les entreprises ou les organisations professionnelles concern�es. Or, en l'occurrence, le rapport a �t� �labor� par une institution sans but lucratif qui b�n�ficie d'un r�gime fiscal sp�cial et est exempt�e de l'imp�t sur les soci�t�s. Autre exemple : dans un dossier o� s'affrontaient des soci�t�s am�ricaines de transport en messagerie express et une soci�t� �trang�re nouvelle venue sur le march� am�ricain, l'Economic Strategy Institute a organis� une r�union d'information � l'intention des d�cideurs publics et des m�dias et publi� un rapport sur les pratiques du nouveau venu sans en indiquer l'auteur. L'absence de nom tenait au fait que les lobbyistes de l'entreprise avaient r�dig� ce rapport et l'avaient publi� par l'interm�diaire de cet institut de recherche sans but lucratif.
+Il s'agit l�, certes, d'exemples patents d'utilisation de l'appareil des organisations sans but lucratif par des int�r�ts particuliers pour promouvoir leur cause, mais de tels agissements sont relativement monnaie courante � Washington. La majorit� des observateurs estiment que l'ensemble des grandes institutions se livrent � ce genre de pratiques, m�me si ce n'est pas de fa�on aussi �vidente. Dans le domaine de la politique �trang�re, deux exemples d�montrent bien la vuln�rabilit� du secteur des think tanks face � la d�termination sans faille des lobbyistes.
+Le premier est fourni par USA*Engage, un imposant organisme de lobbying qui a �t� cr�� pour combattre la prolif�ration des sanctions unilat�rales instaur�es par les Etats-Unis contre les pays qu'ils estimaient avoir menac� leurs int�r�ts vitaux de s�curit� nationale. Comme les sanctions des Etats-Unis contre le Soudan, Cuba, la Birmanie et d'autres pays ne s'accompagnaient pas de sanctions analogues de la part de nos principaux alli�s europ�ens et asiatiques, les entreprises am�ricaines se sont vues priv�es d'un grand nombre d'opportunit�s commerciales dans ces pays, opportunit�s sur lesquelles l'Allemagne, la France, le Japon et m�me Isra�l �taient pr�ts � bondir, d'autant que les multinationales am�ricaines �taient ligot�es par les d�cisions f�d�rales. La mobilisation des lobbyistes a permis de rassembler plus de 600 membres, dont des multinationales de renom comme Eastman Kodak, IBM, Unocal, Boeing, General Electric et Caterpillar. Ainsi que l'�crivait Jacob Heilbrunn, en 1998, dans une brillante analyse sur cet organisme : " USA*Engage, comme son nom l'indique, vise � �tablir une �quation entre commerce et internationalisme, sanctions unilat�rales et isolationnisme. Cette organisation n'est pas oppos�e � des sanctions multilat�rales : elle refuse simplement que les Etats-Unis fassent cavalier seul et qu'ils se retrouvent isol�s, qu'ils perdent des march�s et qu'ils s'ali�nent leurs alli�s. Ses responsables ajoutent que, loin d'�tre de cupides soutiens des dictatures, les entreprises sont les derniers internationalistes, rien moins que la nouvelle avant-garde de la d�mocratie. "
+M�me en �tant totalement favorable aux objectifs de USA*Engage, on ne peut que consid�rer que ce projet-l� d�pendait en partie de sa capacit� � recruter des think tanks qui, � la fois, disposaient de praticiens renomm�s des politiques publiques, comme indiqu� pr�c�demment, et s'alliaient les meilleurs th�oriciens des Etats-Unis sur ces questions pour plaider en faveur des objectifs politiques de l'organisme, et non pour �tre des commentateurs impartiaux et non corrompus sur la totale absurdit� et les limites �videntes d'une application � grande �chelle de sanctions unilat�rales. Comme l'indique Heilbrunn, USA*Engage a financ� un rapport �labor� par l'Institute for International Economics (IIE), qui est sans doute la premi�re institution de Washington sp�cialis�e en politique macro�conomique, et l'a communiqu� aux m�dias lors d'une conf�rence de presse convoqu�e en avril 1997. De fait, rien dans le rapport �tabli par l'IIE ne va � l'encontre de la perspective g�n�rale adopt�e dans la plupart de ses rapports. Toutefois, si cet institut n'a certes pas r�dig� ce rapport avant la cr�ation de USA*Engage, il l'a toutefois �labor� � l'aide d'un financement ext�rieur - m�me si ce document est th�matiquement coh�rent avec ses autres travaux -, et il a franchi la ligne jaune en rendant publique une analyse politique lors d'une manifestation qui s'inscrivait dans une action de lobbying/sensibilisation destin�e � influencer les m�dias et le gouvernement.
+Dans les milieux de Washington, la grande majorit� des protagonistes ne se soucient absolument pas de la distinction qui est faite ici entre, d'une part, la question du financement d'importants travaux de politique g�n�rale et du moment o� ils sont introduits dans le d�bat public, et, d'autre part, les lobbyistes qui en sont les commanditaires. On pourrait dire que l'IIE a profit� de l'op�ration lanc�e par USA*Engage, et non l'inverse. Le fond du probl�me, c'est que, m�me si, � bien des �gards, les objectifs de USA*Engage sont louables pour des gens convaincus des avantages du commerce n�o-lib�ral - et donc des limites inh�rentes aux arbitrages �conomiques et s�curitaires pour atteindre des objectifs de politique �trang�re ax�s sur des sanctions -, la mission de cet organisme de lobbying n'est pas de d�fendre des int�r�ts publics incontestables, alors que telle est celle de l'IIE, qui b�n�ficie d'avantages fiscaux pour ce faire. Heilbrunn indique aussi que USA*Engage et l'un de ses membres phares, la National Association of Manufacturers, ont financ� une �tude de la Georgetown University sur la " tr�s lourde facture � payer pour les int�r�ts commerciaux am�ricains ". L'influence de cet organisme de lobbying s'est fait aussi sentir dans un large �ventail de programmes et de synth�ses politiques �labor�s par le Cato Institute et la Heritage Foundation.
+Un autre exemple de cette pratique - quoique sous une forme plus insidieuse et avec des objectifs totalement cyniques, ce qui n'est pas le cas des travaux de USA*Engage - est fourni par le cabinet de lobbying Jefferson Waterman International (JWI) qui, selon le journaliste Ken Silverstein, " a promu des despotes sur trois continents ". JWI se compose de responsables qui occupaient auparavant des postes importants dans le secteur de la s�curit� nationale au sein du gouvernement, notamment � la Central Intelligence Agency (CIA) ; il a souvent travaill� pour de grandes entreprises am�ricaines de l'industrie de l'�nergie et de la d�fense, tout en oeuvrant activement pour des gouvernements �trangers. Malheureusement, c'�tait aussi un protagoniste majeur de la coalition d'entreprises r�unies au sein de USA*Engage. Comme l'�crit Silverstein : " Un des premiers gros clients de JWI a �t� Franjo Tudjman, le pr�sident de la Croatie, qui a fait appel aux services de ce cabinet vers 1995 pendant la guerre en ex-Yougoslavie (...). Dans une note adress�e au dirigeant croate, Waterman �crivait que la politique �trang�re et de d�fense des Etats-Unis �tait " �labor�e au premier chef " par le pr�sident, sur la base de consultations avec le d�partement d'Etat, le Pentagone, le Conseil national de s�curit� (NSC) et la CIA. " Il importe (...) d'avoir dans toutes ces instances des contacts officiels et personnels aux niveaux appropri�s, ajoutait-il. Comme vous le savez, nous sommes bien plac�s pour vous aider dans ce domaine ". "
+Jefferson Waterman a �galement inform� Tudjman qu'il assurerait le contr�le de son image dans les m�dias " quelle qu'en soit la difficult� ", et qu'il contribuerait � mobiliser les grands t�nors des think tanks sp�cialistes des politiques publiques en faveur du pr�sident croate si celui-ci jugeait n�cessaire de prendre le contr�le de territoires surveill�s par les Casques bleus des Nations unies. L'ensemble des objectifs et des vis�es de JWI apparaissent clairement dans les dossiers d�pos�s � la section charg�e de l'application de la loi sur l'enregistrement des agents �trangers, au Service de la justice p�nale du minist�re am�ricain de la Justice. N'importe qui peut �tudier de pr�s les dossiers sur les cabinets de lobbying et leurs strat�gies pour infl�chir les politiques au nom de leurs clients �trangers. Une consultation rapide de ces milliers de dossiers montre qu'il y est souvent fait r�f�rence au milieu des think tanks, � divers intellectuels sp�cialistes des politiques publiques dispos�s � offrir leurs services, et aux m�dias, comme autant d'acteurs susceptibles de monter au cr�neau sur ordre du lobbyiste. La fonction des think tanks sans but lucratif, qui est de servir l'int�r�t public, n'est absolument pas respect�e : au contraire, il ressort de ces documents que leur l�gitimit� et le r�le particulier qu'ils jouent dans l'�laboration des politiques sont assur�ment l� pour �tre exploit�s et r�cup�r�s sans coup f�rir � leur profit par le lobbyiste et son gouvernement client.
+Il existe bien d'autres exemples de ce franchissement quotidien de la ligne jaune entre int�r�t g�n�ral et int�r�t particulier dans le cadre des collaborations et des rapports entre institutions sans but lucratif et lobbyistes. Parmi les cas r�cents, l'un des plus int�ressants concerne l'actuel " ambassadeur " des Etats-Unis � Taiwan, qui porte officiellement le titre de directeur de l'American Institute in Taiwan (AIT), organisation en principe sans but lucratif (aussi paradoxal que cela puisse para�tre) et remplissant toutes les fonctions d'une ambassade sans en �tre une, puisque les Etats-Unis ne reconnaissent plus la souverainet� de l'�le. Douglas Paal, le directeur de l'AIT, a �t� conseiller sp�cial pour l'Asie de l'Est du pr�sident George H.W. Bush. Quand il a quitt� ses fonctions, Douglas Paal a fond� son propre think tank, l'Asia Pacific Policy Center (APPC). D'apr�s une importante enqu�te sur Paal et ses activit�s, publi�e par Joshua Micah Marshall dans l'hebdomadaire The New Republic, la majeure partie de l'�quipe de Douglas Paal - c'est-�-dire les collaborateurs permanents du Centre eux-m�mes ! - pensait que l'APPC �tait un cabinet de conseil-lobbying. L'APPC a lanc� une lettre d'information dont l'abonnement annuel s'�levait � plusieurs milliers de dollars et qui �tait diffus�e essentiellement aupr�s d'importants organismes gouvernementaux asiatiques : ceux-ci pouvaient certes �tre int�ress�s par cette lettre, mais leur int�r�t �tait surtout de promouvoir la carri�re d'un proche du pr�sident.
+L'APPC n'organisait pas de programmes sur les grands dossiers politiques � l'intention du public, pas plus qu'il ne publiait, via Internet ou d'autres supports, des documents d'information. Plusieurs personnalit�s mentionn�es comme faisant partie de son conseil d'administration, dont Brent Scowcroft, l'ancien parlementaire Dave McCurdy et l'ancien chef du Pentagone Frank Carlucci, firent part de leur �tonnement quand ils apprirent qu'ils apparaissaient comme administrateurs de l'APPC dans les formulaires 990 fournis � l'IRS par l'organisation de Douglas Paal. La derni�re ann�e o� des documents ont �t� fournis au fisc, les trois principaux bailleurs de fonds de cette organisation d'int�r�t public sans but lucratif �taient le gouvernement de Singapour, le JETRO (Japan External Trade Organization, organisme japonais du commerce ext�rieur relevant du minist�re japonais de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie), Itochu (maison de commerce japonaise) et Mitsui Marine & Fire Insurance (soci�t� d'assurance japonaise). L'APPC organisait de nombreux voyages � haut niveau en Malaisie pour des membres du Congr�s, en particulier du S�nat, voyages financ�s par des sources malaisiennes publiques et priv�es qui versaient directement des fonds sur les comptes bancaires du Centre en tant qu'organisateur agr�� des missions de parlementaires � l'�tranger, ce que le Comit� de d�ontologie du S�nat acceptait encore � cette �poque. D'aucuns affirment que Douglas Paal �tait g�n�reusement r�mun�r� par le vice-Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim qui �tait � l'�poque le dauphin du Premier ministre Mahathir. Les r�sultats de l'enqu�te de Joshua Marshall, qui remplirent un article de 4 500 mots dans un hebdomadaire phare, n'emp�ch�rent pas Douglas Paal d'�tre nomm� � Taipei, m�me si cet article a vraisemblablement retard� son d�part de plusieurs mois. La question qui se pose ici est que l'APPC, organisation cens�e �tre sans but lucratif, ne s'est pas comport�e comme les Boy Scouts d'Am�rique (BSA) ou la Brookings Institution, ou encore comme un �tablissement de soins palliatifs pour malades du sida ou d'autres institutions � vocation sociale. En un sens, on pourrait affirmer que son comportement rel�ve d'une forme de criminalit� d'entreprise car, � la diff�rence des organisations sans but lucratif, les cabinets de conseil sont soumis � l'imp�t sur les soci�t�s.
+En 1997, j'ai r�dig� un projet de loi qui a �t� adopt� au S�nat mais n'a pas franchi le cap de la commission mixte paritaire, et qui aurait rendu obligatoire pour les organismes de relations publiques sans but lucratif de d�clarer s'ils recevaient de gouvernements �trangers, directement ou indirectement, des sommes sup�rieures � 10 000 dollars. Lors du d�bat sur ce projet de loi, l'American Civil Liberties Union l'a combattu au motif que les BSA ou d'autres organisations de ce type seraient tenus � cette d�claration s'ils recevaient des fonds de gouvernements �trangers, risquant ainsi de passer pour des agents �trangers, ce qui serait extr�mement dommageable pour leur activit�. C'est ainsi que rien n'a �t� fait pour r�gler un probl�me bien r�el, pourtant constat� par le Congr�s, � savoir qu'un nombre croissant d'organisations 501(c) sans but lucratif, au financement opaque, m�nent des actions de lobbying aupr�s du Congr�s sur des questions comme l'�tablissement de relations commerciales normales permanentes avec la Chine tout en pr�tendant qu'il s'agit d'" actions de sensibilisation des responsables publics ". La solution r�side dans la transparence, mais rares sont ceux qui ont trouv� une m�thode satisfaisante pour parvenir � une transparence plausible concernant le financement et les vis�es des institutions sans but lucratif, dont beaucoup ont �t� cr��es ou sont contr�l�es par des lobbies.
+L'un des membres de la direction de l'American Enterprise Institute (AEI) m'a entretenu de ce projet de loi. Notre conversation s'est d�roul�e � peu pr�s en ces termes :
+" AEI : Steve, le projet de loi du S�nat part � l'�vidence d'une bonne intention. La transparence concernant les financements �trangers est une question tr�s importante, mais vous omettez un �l�ment quand vous vous focalisez sur le montant en dollars au lieu de prendre en compte le pourcentage de budget que repr�sente l'aide allou�e.+
" S. Clemons : J'entends bien, mais cela ne reviendrait-il pas � permettre aux grandes organisations, qui re�oivent des subventions relativement consid�rables, d'�chapper � cette obligation, et � contraindre les petites � d�clarer ces contributions ?+
" AEI : Peut-�tre, mais s'agissant de l'AEI, par exemple, il se trouve que divers instituts de recherche de Taiwan ont �t� d'importants bailleurs de fonds de notre Asia Studies Center ; or, comme vous le savez sans doute, ces instituts sont eux-m�mes financ�s par le gouvernement taiwanais. Et, comme ce dispositif a �t� reconduit chaque ann�e, l'AEI figure d�sormais au budget du gouvernement taiwanais. Or, le montant global du financement que nous recevons de Taiwan, s'il est important pour une organisation de petite taille, est restreint par rapport � celle de notre Institut. Peut-�tre devriez-vous prendre en compte non pas le montant en dollars, mais un pourcentage du budget global, de l'ordre de 20 ou 30 % par exemple. "+
Cette conversation a de quoi surprendre. Tout comme on peut s'�tonner que, malgr� le d�bat soulev� par le fait que Douglas Paal g�rait une organisation sans but lucratif comme un cabinet de conseil, une institution de premier plan comme l'AEI consid�re qu'en raison de sa taille, elle est � l'abri des influences et des vis�es lobbyistes de gouvernements �trangers. Bien entendu, Douglas Paal est un important intellectuel dans le d�bat sur les politiques publiques, qui voulait probablement faire de son centre une organisation de premier plan dans le domaine de l'analyse politique et qui se heurtait � des difficult�s pour r�unir le type de financement capable de lui donner toute latitude pour mener des travaux de recherche s�rieux. Et il a fait siens les objectifs � courte vue ax�s sur les seuls r�sultats financiers des bailleurs de fonds de l'APPC. Mais son organisation �tait globalement plus petite que l'Asia Studies Center de l'AEI, centre r�put� � Washington pour son soutien ind�fectible aux int�r�ts de Taiwan.
+L'�tude du secteur du lobbying de Washington, notamment des organisations qui m�nent des travaux de politique �trang�re, ne doit plus se cantonner aux seules institutions elles-m�mes et aux relations qu'elles entretiennent et dont elles rendent compte consciencieusement comme leur en fait obligation le Lobbying Disclosure Act (loi de 1995 sur les groupes de pression ). Car une seconde �conomie s'est mise en place au sein de laquelle les lobbies profitent d'organisations sans but lucratif moins r�glement�es et qui m�nent des travaux sur les politiques publiques, les r�cup�rent, les d�tournent et les manipulent, voire en cr�ent de nouvelles. Souvent, ces think tanks servent de refuge � des responsables publics qui ont �t� remerci�s lors d'un changement de gouvernement et qui y attendent l'heure o� ils seront rappel�s � de hautes fonctions.
+Dans cette analyse, ont �t� mis en lumi�re certains aspects structurels de la nouvelle donne introduite r�cemment par le secteur du lobbying dans le milieu des think tanks. Les questions soulev�es par cette mutation ont �t� explicit�es, car la communaut� des sp�cialistes des politiques publiques de Washington joue un r�le important dans ce jeu vigoureux mais subtil entre forces et int�r�ts antagonistes qui caract�rise ce que nous appelons la " soci�t� civile ". Laisser les lobbyistes infiltrer en toute libert� le secteur des organisations sans but lucratif oeuvrant dans le domaine des politiques publiques menace de saper d�finitivement la l�gitimit� des think tanks et le r�le important qu'ils jouent dans l'�laboration des politiques publiques. A l'instar de tant d'autres secteurs de la soci�t� qui sont tomb�s sous le coup d'accusations de corruption ou qui y ont succomb�, le secteur des think tanks n'est nullement � l'abri d'un tel risque.
+Enfin, les probl�mes de corruption des think tanks sont syst�miques, donc difficiles � r�soudre. L'inqui�tante pratique du " lobbying de fond " et du trafic d'influence via des institutions de recherche m�rite d'�tre analys�e de fa�on approfondie et s�rieuse. L'IRS doit prendre des mesures � l'encontre des organisations sans but lucratif qui ne servent pas l'int�r�t public de fa�on cr�dible et qui, en r�gle g�n�rale, ont davantage pour fonction de procurer des revenus non imposables � leurs principaux dirigeants. De surcro�t, il convient d'accro�tre la transparence concernant les dons importants aux organisations sans but lucratif de fa�on � pouvoir �valuer les prestations de ces institutions � l'aune des fonds allou�s par leurs donateurs ou leurs " clients ", selon le cas. La New America Foundation fait un effort remarquable pour maintenir un �quilibre entre les bailleurs de fonds et �viter ainsi que tel ou tel ne cherche � infl�chir ses activit�s dans un sens ou dans l'autre. Toutefois, m�me cette organisation n'est pas totalement � l'abri de cabinets ou de fondations qui chercheraient � l'utiliser au service de leur cause politique. M�me si nous r�p�tons � l'envi, comme d'autres institutions, que nous n'entendons rien faire qui ne s'inscrive dans notre vision globale du monde et dans notre perspective de " centre radical ", la teneur de nos travaux et leur financement ou le moment choisi pour les publier sont parfois un peu trop �troitement imbriqu�s. Cette �tude n'entend pas se pr�valoir d'une quelconque sup�riorit�. Elle se veut � la fois une confession et une simple observation de comportements nouveaux dans le secteur des think tanks, induits par l'avidit� et l'inventivit� des lobbyistes de Washington. Cette �volution relativement r�cente m�rite un examen attentif pour �viter qu'elle ne sape la formidable dynamique de la soci�t� civile aux Etats-Unis.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le syst�me de gouvernement de l'Union europ�enne est unique. Ce simple fait exige des groupes de pression qu'ils recourent � des strat�gies vari�es tout en conservant � l'esprit les multiples contraintes qui r�sultent de la structure m�me de l'Union, de sa grande diversit� culturelle et politique, ainsi que des nombreux int�r�ts qui la traversent. Pendant longtemps, on accusa le syst�me europ�en de prise de d�cision d'�tre une sorte de " jardin secret " dont seuls les initi�s avaient la clef - malgr� les efforts affich�s de transparence des d�cisionnaires europ�ens. L'aspect herm�tique du syst�me europ�en r�sulte certes de cette absence de transparence � certains moments-clefs de la prise de d�cision, mais il d�coule aussi de la complexit� et de la sp�cificit� de ce syst�me ainsi que de son �loignement de la plupart des capitales nationales.
+La premi�re caract�ristique importante du syst�me de gouvernance europ�en concerne son cadre l�gal, d�termin� par une s�rie de six (bient�t sept ?) trait�s dont l'application rel�ve des tribunaux, en particulier de la Cour de justice des Communaut�s europ�ennes (CJCE). Les trait�s d�finissent, et th�oriquement limitent, les comp�tences des institutions europ�ennes, bien qu'il faille admettre que toute initiative relevant d'une logique fond�e sur un approfondissement des principes du march� unique est susceptible d'�tre justifi�e par les articles 95 et 308 (anciennement 100a et 235 du trait� initial instituant la CEE). En pratique, il existe peu de contraintes emp�chant l'Union d'investir de nouveaux domaines politiques, � la condition expresse que tous les Etats membres y soient dispos�s et que la Commission et le Parlement europ�ens y apportent leur soutien. Il en va de m�me pour la politique �trang�re, les questions de s�curit�, les aspects judiciaires et les affaires int�rieures, si ce n'est que la Commission et le Parlement n'ont pas d'influence directe.
+En second lieu, les instruments l�gislatifs utilis�s par l'Union ont des caract�ristiques dont les sp�cificit�s doivent �tre assimil�es par les organes de lobbying. La directive, adress�e par l'Union � tous les Etats membres, d�finit les objectifs d'une politique, mais en laisse les moyens � l'appr�ciation des gouvernements nationaux. Pour un groupe de pression, cela signifie qu'il peut promouvoir ses int�r�ts au moins � deux niveaux. Le r�glement s'applique � l'ensemble de l'Union et ne peut �tre modifi� par les gouvernements des Etats membres. Il est g�n�ralement assez d�taill� et pr�cis, et peut tr�s bien intervenir dans le cadre plus large d'une directive. Une d�cision de l'Union, pouvant provenir de la Commission, de la CJCE ou du Conseil des ministres avec ou sans le concours du Parlement europ�en, est obligatoire seulement pour ceux auxquels elle s'adresse - par exemple une entreprise ou un Etat membre, pris individuellement. Enfin, une recommandation de l'Union est un avis non contraignant souvent destin� � exprimer une pr�f�rence politique commune � la plupart des Etats membres, et peut �tre prise en consid�ration par la CJCE lorsque celle-ci se prononce sur une affaire.
+Un troisi�me aspect qu'il faut garder � l'esprit concerne les emplacements g�ographiques. La plupart des principales institutions europ�ennes sont situ�es � Bruxelles, mais pas toutes. Le Luxembourg abrite la CJCE, la Banque europ�enne d'investissement (BEI) et le secr�tariat du Parlement europ�en. Strasbourg accueille les s�ances pl�ni�res du Parlement, qui exigent la pr�sence physique de plusieurs commissaires europ�ens, accompagn�s de leur �quipe, ainsi que de presque tous les d�put�s europ�ens, et donc de nombreux membres actifs de groupes de pression, tous contraints � un p�nible p�lerinage mensuel dans la capitale gastronomique de l'Europe ! Les agences para-�tatiques de l'Union sont �parpill�es dans tous les Etats membres, et les avant-postes de la recherche men�e en interne se trouvent en Belgique, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni.
+Certaines des caract�ristiques les moins plaisantes des organisations internationales se retrouvent aussi dans le cas de l'Union. On observe une tendance � rechercher en permanence une r�partition �quitable des pr�rogatives, notamment pour l'attribution des postes politico-administratifs importants au sein des institutions europ�ennes. La CJCE a cat�goriquement condamn� toute nomination ou mutation qui ne serait pas fond�e sur le m�rite, mais cela ne semble pas avoir infl�chi beaucoup une pratique qui est devenue monnaie courante.
+La prise de d�cision au sein de l'Union d�pend toujours des dispositions hybrides introduites par le trait� de Maastricht en 1992. Les principales politiques �conomiques communes ainsi que beaucoup d'autres sont �labor�es dans le cadre du premier pilier, la Communaut� europ�enne, et sont soumises aux exigences institutionnelles de l'Union. La Commission a l'initiative des propositions l�gislatives, que peuvent amender le Parlement europ�en et le Conseil des ministres. La CJCE juge toute infraction � la l�gislation ainsi adopt�e et tranche lorsqu'un doute appara�t dans des affaires particuli�res ou concernant les fondements m�mes du trait�. Le second des trois piliers d�finit la politique �trang�re et de s�curit� commune (PESC), dont l'objectif est d'assurer une plus grande coordination et une meilleure entente entre les Etats membres sur une s�rie de questions �trang�res, militaires et s�curitaires. La Commission et le Parlement ont une marge d'action tr�s limit�e au regard du second pilier, et la prise de d�cision rel�ve essentiellement des Etats, qui agissent � l'abri des regards. Bien que la PESC soit aujourd'hui repr�sent�e publiquement par Javier Solana, qui est attach� au Conseil des ministres, les opportunit�s offertes aux groupes de pression pour agir au niveau europ�en restent tr�s circonscrites. Dans la mesure o�, dans ce domaine, la plupart des d�cisions ne sont prises que lorsqu'un consensus a �t� trouv� au Conseil, la meilleure strat�gie � adopter pour ceux qui cherchent � avoir une influence sur ces politiques consiste � se rapprocher de certains gouvernements dans un cadre national. Ceci suppose que les repr�sentants des lobbies sachent ce qui est en cours de discussion au Conseil, et de telles informations (jug�es g�n�ralement confidentielles) sont souvent plus accessibles � Bruxelles qu'ailleurs. Dans leurs grandes lignes, ces consid�rations sont valables pour le troisi�me pilier qui recouvre les affaires judiciaires et int�rieures (voir l'annexe ci apr�s).
+Le r�le des principales institutions europ�ennes est d�crit dans le document joint � cet article, mais quelques remarques compl�mentaires devraient permettre une meilleure compr�hension. Jusqu'en 2005, la Commission continuera � �tre dirig�e par aux moins 20 commissaires nomm�s par les Etats membres, mais son pr�sident (actuellement Romano Prodi) verra son r�le renforc� avec de plus amples pouvoirs pour remanier et r�organiser son �quipe, et une responsabilit� plus affirm�e devant le Parlement. Depuis la d�mission forc�e, le 16 mars 1999, de la Commission Santer, beaucoup consid�rent que la Commission a perdu de son influence et de sa confiance en elle. Sans doute s'efforce-t-elle de moins l�gif�rer et de trouver de nouvelles fa�ons d'impliquer davantage d'acteurs dans les d�cisions collectives (voir infra), mais son r�le de moteur du syst�me europ�en au regard de l'int�gration �conomique et politique demeure inchang�. La Commission est toujours directement responsable de la conduite des affaires dans des secteurs-clefs tels que les relations ext�rieures (dont le commerce international), la gestion des march�s agricoles et la politique de concurrence de l'Union, donnant ainsi son aval aux fusions et aux aides �tatiques, tout en traitant des affaires antitrust plus classiques.
+En outre, la Commission, qui d�tient toujours l'" unique droit d'initiative " dans le syst�me politique de la Communaut�, repr�sente n�cessairement la premi�re �tape pour ceux qui ont des int�r�ts � promouvoir, dans la mesure o� elle reste l'initiatrice " par excellence " de la politique europ�enne. De surcro�t, c'est � la Commission que de tels groupes d'int�r�t doivent se plaindre s'ils estiment que la l�gislation europ�enne est trop contraignante ou mal appliqu�e dans les Etats membres, ou s'ils r�clament qu'une enqu�te soit ouverte sur des cas de dumping, de subventions �tatiques ill�gales ou de comportements anti-concurrentiels. C'est � elle qu'incombe la t�che d�licate de convaincre les Etats membres r�ticents de mettre en oeuvre les engagements communautaires pris � Bruxelles et, si n�cessaire, de conduire les gouvernements nationaux r�calcitrants devant la CJCE. C'est aussi la Commission qui, sur la base de d�cisions prises en accord avec le Conseil et le Parlement europ�ens, organise la distribution des subventions provenant des fonds structurels, des programmes de recherches et autres mannes communautaires.
+Il se peut que l'�lectorat se d�sint�resse du Parlement europ�en (la participation lors des �lections de 1999 n'�tait que de 52 %), mais son pouvoir a �t� accru du fait des modifications introduites par les nouveaux trait�s. En effet, l'Acte unique europ�en de 1986 soumettait la plupart des mesures relatives au march� unique � un vote � la majorit� pond�r�e au Conseil et autorisait le Parlement, une fois exprim�es les opinions du Conseil, � exercer un droit de regard, et �ventuellement de veto. Le Parlement continue � rencontrer des probl�mes dans l'accomplissement de ses nombreuses attributions et souffre de son incapacit� � traiter convenablement toutes les questions importantes. Mais il a suffisamment de pouvoir, du fait de la nouvelle proc�dure de cod�cision o� il partage le dernier mot avec le Conseil des ministres, pour exercer, dans la plupart des cas, une influence cruciale lors de la phase finale de la prise de d�cision. Les derni�res �tapes, qui n�cessitent un processus de conciliation, offrent aussi d'importantes opportunit�s au lobbyiste astucieux et bien inform�. Quoique l'on accorde une grande attention aux s�ances pl�ni�res du Parlement, auxquelles se r�f�rent fr�quemment les commissaires et les repr�sentants du Conseil, le d�tail de ses travaux est effectu� par ses vingt comit�s permanents, dont le pr�sident et le rapporteur sont, dans chaque cas particulier, des acteurs importants.
+Au Parlement europ�en, les partis politiques ressemblent plus � de vagues coalitions de gens de m�me sensibilit� ou de mouvements qui se trouvent porter le m�me nom. Sur les questions d'importance nationale, leur discipline interne est souvent mise � mal, bien qu'il existe des signes d'une coh�sion partisane croissante. Ce sont cependant les neuf groupes politiques du Parlement, notamment les deux formations les plus importantes, les chr�tiens-d�mocrates et les socialistes, qui y contr�lent la plupart des activit�s ainsi que le partage des pr�rogatives et des avantages (pr�sidences de comit�s, temps de parole lors des s�ances pl�ni�res) entre les diff�rentes sensibilit�s politiques. Dans la mesure o� il est peu probable qu'un groupe soit un jour susceptible d'�tre majoritaire au Parlement, et �tant donn� la n�cessit� impos�e par les trait�s de se prononcer � la majorit� absolue sur les principaux d�fis qui se pr�sentent aux autres institutions europ�ennes, le Parlement est le plus efficace lorsqu'il est capable d'�tablir un large consensus � travers les diff�rents groupes.
+Le Conseil des ministres et le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union connu sous le nom de Conseil europ�en prennent aussi plus d'importance � mesure que le programme de l'Union s'�toffe. C'est notamment le Conseil, et non la Commission, qui pilote la PESC et les questions touchant aux affaires judiciaires et int�rieures (essentiellement la coop�ration polici�re, et la lutte contre le terrorisme et le crime organis�). Cependant le secr�tariat du Conseil ne s'accommode gu�re du lobbying dans la mesure o� il n'a pas le m�me pouvoir discr�tionnaire que la Commission. Ainsi, ceux qui ont des int�r�ts � promouvoir doivent s'efforcer de se faire entendre dans les capitales nationales ou aupr�s des d�l�gations permanentes des Etats membres � Bruxelles. Dans son travail, le Conseil est aujourd'hui subdivis� en trois sections : l'agriculture, la PESC... et le reste. Mais presque toutes les d�l�gations nationales viennent � ces r�unions avec des instructions de leur gouvernement. D'o� l'accent plac� sur les efforts de lobbying au niveau national pour faire pression sur le Conseil. Cela peut se r�v�ler particuli�rement fructueux si un Etat membre est sur le point d'en assumer la pr�sidence. En effet, chaque pr�sidence est amen�e � �laborer une s�rie d'objectifs pour la dur�e de son mandat, et elle a une influence sur l'ordre de priorit� des discussions lors des r�unions du Conseil qu'elle anime.
+Le Conseil des ministres multiplie aussi les groupes de travail constitu�s de responsables nationaux qui examinent la l�gislation et d'autres questions. Il existe en permanence plus de 200 groupes de ce type en activit�. Bien qu'il ne soit pas possible d'exercer une pression directe sur ces groupes, des lobbyistes d�vou�s sont pr�sents " � leurs marges ", donnant leur avis aux �lus qui sortent de ces r�unions afin qu'ils puissent aider les responsables � mieux comprendre les implications des id�es qui ont �merg� au cours du d�bat.
+La CJCE de Luxembourg n'est pas du tout r�ceptive aux formes habituelles du lobbying, mais son influence va croissant tandis que de plus en plus d'affaires sont port�es � sa connaissance (et � celle de sa cour adjointe, le Tribunal de premi�re instance). C'est le r�sultat logique de l'�largissement des comp�tences de l'Union et de l'inflation permanente qui caract�rise la l�gislation europ�enne. La CJCE peut cependant constituer une �tape importante dans les campagnes men�es par les groupes de pression, et elle a pris des d�cisions importantes au regard de la politique sociale et de celle de la concurrence, pour lesquelles la l�gislation existante reste incompl�te, obligeant ainsi � une interpr�tation des principes contenus dans les trait�s. Syndicats et entreprises ont fr�quemment port� des affaires devant elle afin d'�valuer ce que les droits et principes que renferment les trait�s et le droit jurisprudentiel signifient r�ellement dans la pratique. La d�cision rendue en 1986 dans l'affaire Nouvelles fronti�res, par exemple, a certainement acc�l�r� la d�r�gulation des services propos�s aux passagers des avions dans la Communaut� europ�enne. L'affaire Barber, en 1990, a eu pour effet de modifier radicalement les dispositions relatives aux r�gimes de retraite dans la plupart des Etats membres.
+Ces commentaires visent � expliciter comment chacune des quatre grandes institutions europ�ennes prend part au processus de d�cision au sein de l'Union. Cependant, le lobbyiste doit aussi savoir o� r�side le pouvoir dans l'ensemble du syst�me politique. L'Union est clairement devenue un acteur politique plus important, � la fois internationalement et au regard de la politique int�rieure de chaque Etat membre. Le Conseil continue d'�tre le principal acteur politique sur la sc�ne europ�enne, mais sa marge de manoeuvre est limit�e par d'autres acteurs. Historiquement, les progr�s de la Communaut� et de l'Union europ�enne ont d�pendu du " dialogue " entre le Conseil et la Commission.
+Les Commissions Delors (1985 - 1994) �taient r�put�es �nergiques, et il se peut que la rapidit� avec laquelle progressait l'int�gration ait inqui�t�, mais leurs actions se fondaient sur une �troite collaboration avec le Conseil. Depuis 1995, la Commission a perdu de sa confiance en elle, a �t� affaiblie par des scandales et est aujourd'hui absorb�e par sa propre r�forme. Cela a consid�rablement renforc� l'influence du Conseil, mais il reste que l'on ne peut envisager de v�ritables progr�s au sein de l'Union sans que la Commission soit de la partie. Dans le m�me temps, les pouvoirs du Parlement europ�en ont �t� progressivement renforc�s, notamment avec l'invention et l'extension de la proc�dure de cod�cision, mais aussi par rapport � la Commission, surtout depuis que celle-ci est affaiblie. Cela a encore accentu� le marchandage, men� dans la confidentialit�, entre les diff�rentes institutions. Ainsi, et alors que les principales institutions europ�ennes voudraient accro�tre leurs pouvoirs, la pr��minence du Conseil reste la principale caract�ristique du syst�me d�cisionnel de l'Union, et cela semble devoir durer.
+Le r�le futur de la Commission et les diff�rentes mani�res d'�viter une centralisation excessive au sein de l'Union font l'objet d'un d�bat permanent. Une solution a consist� � s�parer un certain nombre d'agences europ�ennes ind�pendantes du noyau institutionnel de l'Union. Ces agences sont aujourd'hui une douzaine. De fait, la premi�re d'entre elles fut la Banque europ�enne d'investissement (BEI), cr�e en 1959, � Luxembourg. Elle a �t� d�lib�r�ment d�tach�e des autres institutions europ�ennes, bien qu'elle soit r�gie par des �l�ments du socle conventionnel, les Etats membres �tant directement impliqu�s dans la direction de cette banque � travers la nomination des membres de son conseil d'administration. Europol, form�e en marge de La Haye dans les ann�es 1990, comporte certaines similitudes avec la BEI, du fait de l'�troite participation des Etats membres � ses activit�s. Mais il s'agit l� d'exceptions au mod�le habituel des agences de l'Union, pour lequel la principale contribution des gouvernements nationaux se situe beaucoup plus en amont, lorsqu'il s'agit de s'assurer de l'installation d'une institution europ�enne sur le territoire national ! Apr�s cela, chaque agence travaille dans un cadre fix� par la l�gislation europ�enne, mais peut �videmment faire l'objet de pressions consid�rables de la part des entreprises - au premier rang desquelles on peut citer celles subies par l'Agence europ�enne pour l'�valuation des m�dicaments (EMEA), situ�e � Londres, qui d�livre les autorisations de commercialisation des produits m�dicaux pour l'ensemble de l'Union. Une autre agence m�rite d'�tre mentionn�e : l'Agence europ�enne pour l'environnement (AEE), situ�e � Copenhague. Son r�le consiste � surveiller l'�tat de l'environnement en Europe et � contr�ler la mise en place et l'efficacit� de la l�gislation environnementale europ�enne. Son travail repose en grande partie sur une coop�ration avec les autorit�s nationales de chaque Etat membre, une relation symbiotique se d�veloppant ainsi entre les deux niveaux. En fin de compte, si l'AEE se trouve insatisfaite des crit�res environnementaux d'un Etat membre, il est probable que ce m�contentement se r�pandra � travers le syst�me bruxellois et aura des cons�quences n�gatives pour le pays en question. Il est donc dans l'int�r�t des Etats membres de maintenir de bonnes relations avec l'agence et de chercher � dissiper rapidement tout incertitude quant � leurs �tats de service et � leurs pratiques en mati�re d'environnement.
+L'Union doit faire face � un futur plut�t incertain, la perspective de l'�largissement venant modifier ses priorit�s institutionnelles et l'�quilibre financier entre les contributeurs et les b�n�ficiaires nets du budget europ�en - tout cela au moment o� la l�gitimit� d�mocratique de l'Union est de plus en plus mise en question.
+Du point de vue des groupes de pression, il n'est pas du tout �vident que des pays comme l'Espagne et l'Irlande, qui ont beaucoup profit� des transferts de fonds d'Etats membres plus riches, soient toujours aussi enthousiasm� par les activit�s de l'Union alors que leurs avantages � �tre membres apparaissent moins clairement. Et si le trait� de Nice (23 f�vrier 2001) ach�ve le processus de ratification, les grands Etats membres ne seront plus repr�sent�s � la Commission que par un commissaire � partir de 2005, les petits Etats - dont, d�sormais, beaucoup de nouveaux pays d'Europe centrale et orientale -accroissant toujours un peu plus leur emprise sur cet organe. L'�largissement va �videmment gonfler le nombre des d�put�s europ�ens, des juges � la CJCE, des membres du Comit� �conomique et social (ECOSOC) et du Comit� des r�gions (CDR), diluant soi-disant le pouvoir des grands Etats de l'ouest de l'Europe. Cependant, une reconfiguration complexe du syst�me de vote � la majorit� qualifi�e au Conseil des ministres doit permettre aux plus grands Etats membres de r�cup�rer une partie de leur pouvoir. Les quatre plus grands pays (l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni) ainsi que l'Espagne ou la Pologne seront en mesure de bloquer les d�cisions au Conseil des ministres, qui comprendra alors 25 Etats. Il se peut que l'axe franco-allemand soit encore un peu plus affaibli, mais les grands acteurs europ�ens auront toujours la possibilit� de diriger les affaires, quoique d'une autre mani�re. En tout cas, l'�largissement pourrait entra�ner une modification des priorit�s politiques de l'Union, qui refl�tera le nouvel �quilibre des int�r�ts au sein d'un groupe plus vaste d'Etats membres. En un mot, on doit s'attendre � un int�r�t plus faible pour l'approfondissement de la politique environnementale, et un int�r�t renouvel� pour les questions agricoles et de s�curit�.
+L'�largissement de l'Union devrait centrer l'attention sur l'application du principe de subsidiarit� adopt� lors du trait� de Maastricht. Jusqu'ici, cette d�claration d'intention ne semble pas avoir entra�n� de modification tangible du travail des institutions europ�ennes, si ce n'est une diminution de la production l�gislative. Mais la diversit� des situations va s'accro�tre avec l'incorporation, dans le processus d�cisionnel, de tant de nouveaux Etats membres. On peut alors envisager un regain d'int�r�t pour les d�cisions prises au niveau national, r�put�es mieux convenir aux conditions locales. La Commission elle-m�me pourrait bien se trouver submerg�e par l'�norme t�che consistant � s'assurer du respect des 80 000 pages de l'acquis communautaire sur un territoire aussi vaste et divers. Ces deux �volutions parall�les pourraient � leur tour susciter des demandes de renationalisation des politiques actuellement men�es depuis Bruxelles, la plus souvent cit�e �tant l'agriculture. La Convention sur l'avenir de l'Europe (notamment compos�e de repr�sentants des Etats membres et des pays candidats) cherche aussi des moyens d'enraciner le principe de subsidiarit� avant la conf�rence intergouvernementale de 2004. A lui seul, cet �v�nement peut reconfigurer la structure de prise de d�cision ainsi que les comp�tences de l'Union, et ce qui d�coulera de cette situation particuli�rement ing�rable est loin d'�tre clair. Une Constitution europ�enne simplifi�e permettrait peut-�tre aux citoyens et aux gouvernements nationaux de contester devant les tribunaux certains aspects des projets politiques europ�ens qui outrepasseraient leurs comp�tences ou violeraient le principe de subsidiarit�.
+Dans le m�me temps, il faut conserver � l'esprit deux autres �ventualit�s. L'une d'elles est que le r�le de la Commission elle-m�me pourrait changer devant l'ampleur du d�fi bureaucratique que constitue l'�largissement. La Commission pourrait s'orienter davantage vers une activit� de soutien ou de m�diation dans l'�volution politique, en fondant son influence et son autorit� sur sa position centrale, au carrefour de nombreux r�seaux politiques et de communaut�s " �pist�miques ". Un autre sc�nario pourrait voir la Commission, avec le concours des Etats membres et d'un large �chantillon de groupements d'int�r�ts, �laborer, dans des domaines pr�cis, un programme politique europ�en fond� sur le consensus et des mesures concert�es prises simultan�ment � plusieurs niveaux (local, national, europ�en). Cette " m�thode ouverte de coordination " a �t� amorc�e par les d�cisions prises lors de la rencontre au sommet des dirigeants de l'Union, � Lisbonne, en avril 2000, et elle est en cours d'application dans des domaines politiques aussi vari�s que l'�ducation, les retraites, l'exclusion, l'immigration ou la comp�titivit� industrielle. Dans quelle mesure cela repr�sente-t-il une perte d'influence pour la Commission ou le Parlement ? Il est trop t�t pour le savoir. Mais il para�t �vident que ce processus laisse des occasions aux gouvernements nationaux et aux groupes d'int�r�ts pour modifier l'agenda europ�en, en intervenant politique par politique.
+Le mot " lobby " est un terme vague, employ� pour caract�riser une n�buleuse d'int�r�ts cherchant � se faire repr�senter et � exercer une influence dans les centres de pouvoir o� sont prises les d�cisions. Dans le cas de Bruxelles, la pratique du lobbying est particuli�rement opaque : les r�gles r�gissant les rapports entre les groupes de pression et ceux qui la subissent sont tr�s impr�cises, et la fronti�re entre les organisations pratiquant le lobbying et les structures gouvernementales sont souvent t�nues. Le mot renvoie ici � tous les acteurs du processus d�cisionnel autres que les institutions europ�ennes elles-m�mes, ce qui comprend les int�r�ts sectoriels, les groupes d�fendant des convictions et, parfois, les gouvernements de pays tiers.
+Il serait trop facile de circonscrire le ph�nom�ne du lobbying europ�en aux 800 et quelques f�d�rations paneurop�ennes d'associations et/ou d'entreprises nationales sp�cialistes des arcanes de la vie politique, qui forment une sorte de club ferm� d'interlocuteurs dialoguant avec les institutions europ�ennes. En r�alit�, des centaines d'autres entit�s sont r�guli�rement de la partie : cabinets d'avocats, agences comptables, cabinets de conseil en gestion, services de consultants en politique et/ou en affaires publiques, associations f�d�ratives nationales, associations commerciales et �lus locaux. A Bruxelles, il existe aujourd'hui environ 1 800 organisations qui s'adonnent au lobbying, employant pr�s de 10 000 personnes. Il y a vingt ans, elles �taient au nombre de 400 pour environ 3 000 employ�s. Ces organisations ne sont pas toutes pr�sentes dans tous les Etats de l'Union, certains de leurs membres ne travaillent pas sur son territoire, et une large minorit� d'entre elles n'ont pas leur si�ge � Bruxelles. Certaines associations industrielles n'acceptent pas, parmi leurs membres, les producteurs japonais install�s en Europe (comme les constructeurs automobiles), tandis que d'autres sont tr�s influenc�es par les investisseurs �trangers (les fabricants d'appareils �lectriques, par exemple). En outre, le lobbying prend de plus en plus la forme de coalitions temporaires et de structures ad hoc constitu�es en vue de r�agir � des propositions ou des �v�nements particuliers. Il y a ensuite les activit�s des gouvernements, notamment les gouvernements non europ�ens, qui, par le biais de la diplomatie ou de d�marches plus caract�ristiques du lobbying, tentent de persuader les d�cideurs europ�ens de prendre en compte leurs int�r�ts.
+En r�alit�, n'importe qui peut faire du lobbying aupr�s de l'Union, mais peu de gens savent comment s'y prendre. Le lobbying n'est pas v�ritablement r�glement�, bien que la Commission tienne � jour sa propre liste d'informations sur quelque 700 organisations. Mais cette liste omet les interm�diaires r�mun�r�s par de nombreux groupes d'int�r�ts ainsi que les organisations �ph�m�res issues d'un Etat membre n'ayant pas d'affaires r�guli�res � Bruxelles.
+Le Parlement europ�en essaie aussi de limiter le nombre de laissez-passer accord�s aux membres des groupes de pression (et qui constituent un avantage pour ceux qui travaillent r�guli�rement � Bruxelles) afin d'�viter aux d�put�s d'�tre contraints de consacrer trop de temps � l'examen de telle ou telle pr�occupation dans le cadre de leurs activit�s parlementaires. La Commission et le Parlement europ�ens ont aujourd'hui des r�glements stricts interdisant � leurs membres ou � leur personnel de recevoir des cadeaux importants, mais le Parlement, depuis le rapport Ford de 1996, semble rencontrer des difficult�s � s'assurer que tous les d�put�s suivent scrupuleusement ce nouveau code de conduite. Deux groupes de consultants en lobbying ont r�dig� des chartes d�ontologiques � l'intention de leurs membres, mais seule une petite douzaine d'entreprises les ont paraph�es, cette d�cision �tant totalement facultative. Tout le reste de l'activit� des lobbies n'est pas r�glement�e � Bruxelles, si ce n'est peut-�tre indirectement du fait du statut l�gal des organisations en Belgique qui les laisse libres de d�cider pour elles-m�mes.
+Depuis le milieu des ann�es 1980, les universitaires ont fait des efforts croissants pour comprendre l'essence et le degr� d'influence des organisations pratiquant le lobbying � Bruxelles. Les th�oriciens de l'int�gration consid�rent depuis longtemps les groupes d'int�r�ts comme un indicateur fondamental du caract�re des institutions europ�ennes : soit leur influence est faible, et le cadre institutionnel europ�en peut �tre consid�r� comme intergouvernemental ; soit elle est importante, et ce cadre se rapproche alors du mod�le f�d�raliste ou fonctionnaliste. Ce d�bat, qui agite la communaut� universitaire, est loin d'�tre clos, mais il semble que les opinions s'articulent autour de deux p�les. Le premier est le p�le " intergouvernemental lib�ral ", aujourd'hui plus enclin � accepter que certaines organisations non gouvernementales (ONG) aient du pouvoir au sein du syst�me europ�en. L'autre est le p�le " n�o-institutionnel ", qui soutient que les Etats membres, les groupes d'int�r�ts et les institutions europ�ennes interagissent et s'influencent mutuellement. L'�mergence, dans les ann�es 1990, de la nouvelle �cole institutionnaliste a principalement d�coul� d'�tudes de cas sur la prise de d�cision au niveau politique et individuel. Ces �tudes montraient que des groupes d'int�r�t sectoriels ou sous-sectoriels - qu'ils soient ancr�s dans le monde de l'entreprise ou ax�s sur la promotion de convictions - pouvaient jouer, et jouaient effectivement, un r�le important dans le processus de prise de d�cision de la Communaut�/Union europ�enne. Ce n'est que lorsqu'il s'agit de questions " politiques de la plus haute importance " que les groupes d'int�r�t sont plus ou moins exclus du processus de prise de d�cision. En d'autres termes, lorsqu'il s'agit de questions techniques, non politis�es et de peu d'importance, les ONG peuvent exercer une grande influence. Mais, plus une question devient politique et met en jeu des int�r�t gouvernementaux, plus il sera difficile pour les groupes d'int�r�t de contr�ler le d�bat, sans parler d'influencer les r�sultats.
+Quand la Communaut� europ�enne est devenue l'Union europ�enne et que de nouveaux trait�s ont �tendu les comp�tences de ses institutions, une autre �vidence s'est faite jour : la structure du lobbying avait chang�. Dans les ann�es 1960, ces activit�s concernaient essentiellement l'agriculture et l'alimentation ; les int�r�ts sociaux et environnementaux commenc�rent � s'organiser collectivement seulement dans les deux d�cennies suivantes ; la perspective du march� unique fit na�tre de nouvelles pr�occupations commerciales en mal de repr�sentation ; les trait�s de Maastricht et d'Amsterdam incit�rent � la promotion de nouveaux int�r�ts recouvrant le social, la sant�, l'�ducation, la justice et l'immigration. Globalement, plus l'Union est devenue un acteur international fort et coh�rent (sur les questions commerciales et environnementales, par exemple), plus le dialogue institutionnel s'est extrait des zones p�riph�riques du pouvoir � Bruxelles comme dans l'ensemble de l'Union. Ainsi, ces derni�res ann�es, le Trans-Atlantic Business Dialogue (TABD, " Dialogue transatlantique des milieux d'affaires "), n� il y a � peine dix ans, est devenu l'un des plus importants forums repr�sentant l'" opinion �trang�re " � Bruxelles. Il n'est pas non plus possible de pr�tendre que les opinions des milieux d'affaires des Etats-Unis ont �t�, par le pass�, relativement sous-repr�sent�es aupr�s des institutions europ�ennes, dans la mesure o� l'on s'accorde � dire que le comit� europ�en de la Chambre de commerce am�ricaine (AMCHAM) est l'un des lobbies les plus efficaces sur la sc�ne bruxelloise. En revanche, on peut affirmer qu'�tant donn� les int�r�ts �conomiques concurrents de l'Union et des Etats-Unis en mati�re de commerce international, ajout�s � une traditionnelle propension � se brouiller sur certaines questions, un nouveau forum �tait n�cessaire pour am�liorer la compr�hension mutuelle et insister sur les int�r�ts strat�giques que partagent les deux partenaires.
+La souplesse et l'opportunisme caract�risant la pratique du lobbying � Bruxelles doivent aussi �tre analys�s. Le lobbying ne s'y d�ploie pas dans un cadre bien �tabli, et les structures dans lesquelles la repr�sentation des groupes d'int�r�t est pr�alablement d�termin�e (comme le Comit� �conomique et social ou les centaines de comit�s consultatifs officiels) ne sont souvent pas les plus efficaces. Si, dans le dispositif institutionnel actuel, l'expression de certains int�r�ts particuli�rement importants n'est pas possible, il est facile de cr�er de nouvelles structures ou de trouver de nouveaux canaux pour faire entendre ces points de vue. Le plus important est de savoir comment jouer la partie politique � Bruxelles. Les organisations qui y sont �tablies doivent savoir ce qu'il faut qu'elles fassent. Etant donn� la qualit� des syst�mes de communication modernes, les organisations et les professionnels du lobbying qui r�ussissent n'ont pas toujours besoin d'�tre pr�sents � Bruxelles. Un d�ficit de comp�tences ou de connaissances dans une campagne pr�cise de lobbying peut toujours �tre combl� par le recours � l'univers hautement concurrentiel des cabinets de conseil. Une �tude plus approfondie des styles de lobbying sera entreprise plus loin.
+Au coeur du processus d�cisionnel bruxellois (qui articule �videmment un niveau national, et parfois aussi infra-national), on trouve le besoin de la Commission de recueillir des informations pour pouvoir formuler des propositions pertinentes dans tous les secteurs et suivre les �v�nements dans les domaines politiques qui l'int�ressent. Ces renseignements sont fr�quemment indisponibles et ne peuvent parfois pas �tre fournis par les gouvernements des Etats membres. La Commission se tourne donc in�vitablement vers les organes repr�sentatifs afin d'obtenir informations et opinions pouvant orienter son action. C'est l� le fondement de la relation symbiotique entre la Commission et les groupes d'int�r�ts, qui, � leur tour, se renseignent sur les opinions et les projets de la Commission afin de pouvoir y r�pondre rapidement ou m�me les anticiper. L'�tat de d�pendance mutuelle o� se trouvent ces deux groupes d'acteurs a �t� renforc�e par l'h�g�monie du Conseil des ministres dans la plupart des grandes d�cisions de l'Union. Mais un partenariat solide entre la Commission et des groupes d'int�r�ts bien organis�s au niveau europ�en peut permettre parfois de v�ritablement contourner le Conseil, ou du moins de marginaliser un Etat membre qui exprimerait de vigoureuses objections. Ainsi, l'alliance, � la fin des ann�es 1970, entre la Commission et EUROFER (Association europ�enne de la sid�rurgie) a permis de contrer les r�serves allemandes � propos d'une intervention sur le march� de l'acier, alors tr�s touch� par la crise. Et l'enthousiasme des banquiers fran�ais, � la fin des ann�es 1970, en faveur de la lib�ralisation de leur environnement �conomique int�rieur l'emporta gr�ce au concours de la Commission et des institutions europ�ennes, et malgr� les objections de Paris.
+Depuis 1986, il y a eu plusieurs changements importants dans le syst�me d�cisionnel de la Communaut�/Union europ�enne, lesquels ont aussi influenc� la nature du lobbying sur beaucoup de points. Les quatre trait�s, ou amendements aux trait�s existants, conclus par les Etats membres depuis la conf�rence intergouvernementale de Luxembourg, en 1985, ont consacr� la g�n�ralisation progressive du recours au vote � la majorit� qualifi�e au Conseil des ministres, ce qui a rendu du pouvoir � la Commission et au Parlement. Le r�le de celui-ci a �t� �largi depuis l'institution du suffrage universel direct en 1979, mais le changement le plus important a �t� l'adoption de la proc�dure de cod�cision (instaur�e par le trait� de Maastricht) qui donne au Parlement des pr�rogatives d�cisionnelles communes � celles du Conseil des ministres dans un nombre croissant de domaines politiques (pour une grande partie des politiques relatives au march� unique et � l'environnement, par exemple), la Commission intervenant parfois comme m�diateur en cas de d�saccord entre le Conseil et le Parlement. Dans l'Union, toute prise de d�cision se fait dans le cadre d'un r�glement tr�s complexe qui �mane des fondements contractuels et l�gislatifs relatifs au secteur en question et au type de d�cision devant �tre pris. On dit qu'il existe au moins vingt-trois structures d�cisionnelles diff�rentes en exercice au sein de l'Union, et les strat�gies de lobbying doivent ainsi s'adapter � la fois � l'�tat du r�glement et � l'�quilibre des forces politiques en pr�sence. Selon les domaines, la Commission ou le Conseil peuvent pr�dominer, tandis que le Parlement peut bloquer les progr�s sur certaines questions et qu'un recours devant la CJCE en suivant la proc�dure l�gale peut se r�v�ler tr�s efficace. Ceux qui veulent v�ritablement promouvoir leurs int�r�ts � Bruxelles avec des chances de succ�s doivent ainsi �laborer une strat�gie sp�cifique pour chaque question politique et chaque �tape du processus d�cisionnel.
+Le syst�me de prise de d�cision au sein de l'Union est un m�lange unique de styles de lobbying, o� coexistent des cultures politiques tr�s diverses, de sources continentales et anglo-saxonnes, combin�es aux contraintes d'une configuration institutionnelle particuli�re. Confront�es � un sujet pr�cis, la plupart des organisations de lobbying doivent d'abord d�terminer le degr� auquel elles souhaitent s'investir. Tr�s souvent, ces organisations sont r�ticentes ou inaptes � consacrer beaucoup de ressources � cette activit�, ce qui conf�re un avantage � celles qui s'en donnent la peine.
+En g�n�ral, il convient de suivre quelques r�gles importantes.
+ +Au niveau de l'Union, les efforts de lobbying se sont traditionnellement et principalement concentr�s sur des questions politiques int�rieures, notamment celles touchant au march� unique et au d�veloppement du commerce. Le commerce a cependant des dimensions � la fois int�rieures et ext�rieures, et dans la mesure o� les institutions europ�ennes cherchent � r�glementer ou autoriser les relations commerciales entre des pays tiers et le march� int�rieur europ�en, ces relations comportent une dimension de politique �trang�re. L'Union se rend parfois coupable de ne pas reconna�tre pleinement les implications ext�rieures de ses d�cisions politiques int�rieures, l'exemple r�cent le plus �vident en �tant le fameux Livre blanc de 1985 sur l'ach�vement du march� int�rieur qui omit totalement de les aborder. Cet aspect quelque peu introverti d'une grande partie de la politique de l'Union rend d'autant plus important pour les acteurs ext�rieurs (gouvernements et entreprises ayant des int�r�ts sur le march� europ�en) le fait d'�tre repr�sent�s � Bruxelles et d'exercer des pressions sur les d�cideurs de l'Union au niveau national, en plus du niveau europ�en. Il n'est pas exag�r� d'affirmer que les gouvernements des pays tiers sont devenus partie int�grante de l'infrastructure du lobbying europ�en.
+Ce type de lobbying exc�de d�sormais les questions li�es au commerce depuis que les second et troisi�me piliers des comp�tences de l'Union, sp�cifi�s dans le trait� de Maastricht et approfondis dans le trait� d'Amsterdam, sont d'actualit�. Il se peut que le syst�me d�cisionnel intergouvernemental soit quelque peu diff�rent, mais l'int�r�t des pays tiers pour les domaines politiques couvert par la PESC et la coop�ration en mati�re de justice et d'affaires int�rieures (JAI) est �vident. Cet int�r�t des pays tiers peut se manifester dans un cadre strictement bilat�ral, lorsque le gouvernement ou son territoire sont directement concern�s ; ou bien, dans un cadre plus collectif, lorsque, par exemple, un accord international est en cours de n�gociation sur des sujets tels que le terrorisme, le blanchiment d'argent, le trafic de stup�fiants ou la cr�ation d'une Cour p�nale internationale.
+Il est peut-�tre utile d'insister d�s maintenant sur le fait que la politique �trang�re est un concept plut�t large et mal d�limit�. Le terme est employ� ici pour caract�riser toute politique men�e par un gouvernement national en relation avec d'autres pays ou des organisations internationales. Les forces de la mondialisation ont �tendu le champ d'action de la politique �trang�re au commerce des services et des biens, aux march�s financiers, � la criminalit� internationale, au terrorisme, etc. Du fait de la croissance rapide du commerce mondial depuis 1945, les pr�occupations de la politique �trang�re sont devenues plus �conomiques et commerciales. D'o� l'int�r�t de beaucoup de gouvernements de pays tiers pour les d�cisions de la Communaut� europ�enne bien avant que les ann�es 1990 ne donnent jour aux trait�s de Maastricht et d'Amsterdam. L'Union est la plus grande entit� commerciale du monde, et ses d�cisions sont d'une grande importance pour la plupart des pays impliqu�s dans le commerce international.
+La Communaut� europ�enne n'a pas craint non plus d'�tablir des liens entre la politique commerciale et la politique �trang�re. Ce fut clairement le cas en 1982, lorsqu'elle d�cida d'un embargo � l'encontre de tous les biens provenant d'Argentine, apr�s l'invasion, par ce pays, des �les Malouines. En 1986, elle mena�a aussi de suspendre son accord commercial avec la Syrie en r�ponse aux �l�ments, dans l'affaire Hindawi, attestant que la Syrie avait h�berg� en connaissance de cause une organisation terroriste ainsi que les v�ritables auteurs d'une tentative d'attentat contre un avion de ligne isra�lien � l'a�roport de Heathrow.
+On trouve un autre exemple important dans la longue liste des conflits commerciaux entre les Etats-Unis et la Communaut�/Union europ�enne. En 1982, l'Administration Reagan se soucia des implications strat�giques qui d�coulaient, pour l'Europe occidentale, de la construction d'un pipeline destin� � l'importation de ressources �nerg�tiques russes sur le march� europ�en. La Maison-Blanche craignait qu'une d�pendance �nerg�tique si importante � l'�gard de l'Union sovi�tique entame la capacit� de l'Europe � r�pondre vigoureusement � une menace s�curitaire �manant du bloc communiste. Les Etats-Unis menac�rent donc de mettre sur liste noire toute entreprise am�ricaine ou �trang�re fournissant des pi�ces (voire des services) pour la construction de ce pipeline, les entreprises ainsi mises � l'index �tant exclues des appels d'offre de la Maison-Blanche et ne pouvant obtenir de contrat priv� avec les entreprises am�ricaines. La Communaut� europ�enne annon�a des mesures de repr�sailles commerciales au cas o� la menace serait suivie d'effets, et une entreprise au moins, British Aerospace, se trouva au banc des accus�s pour avoir ignor� l'embargo. La position des Etats-Unis suscita des critiques tr�s virulentes dans le monde entier et fut d'ailleurs rapidement abandonn�e.
+Peu d'aspects de la politique de l'Union auront suscit� de d�bats plus douloureux et d'activit�s de lobbying plus intenses que la question de la r�glementation du r�gime europ�en d'importation des bananes. Des gouvernements du monde entier ainsi que des groupements d'int�r�t �conomique et des ONG ont pass� plus d'une d�cennie � faire pression sur l'Union et � porter leurs revendications devant la CJCE, l'Accord g�n�ral sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Trade and Tariffs, GATT) et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Les r�sultats et cons�quences des d�cisions de l'Union ont �t� �voqu�s de fa�on dramatique : le libre-�change contre le commerce �quitable ; la survie �conomique de quelques micro-Etats des Cara�bes; l'obligation morale des ex-puissances coloniales europ�ennes de soutenir leurs anciennes colonies ; l'incitation � la culture de drogues illicites comme seule alternative viable � la culture de bananes ; la capacit� des multinationales am�ricaines � adapter les r�gles commerciales � leur avantage sans consid�ration pour les autres, notamment avec l'aide de Washington.
+Le probl�me du r�gime d'importation des bananes date des d�buts de la CEE : la signature du trait� de Rome fut retard�e de plusieurs jours pendant qu'un protocole final �tait adopt� qui autorisait l'Allemagne � importer des bananes sans taxes (et donc peu ch�res), tandis que la France et les autres pays pouvaient garantir l'acc�s � leur march� � leur anciennes colonies et aux DOM-TOM, � des prix plus �lev�s. Cet accord constituait une d�n�gation du principe de march� unique. Et lorsque d'autres Etats, comme la Grande-Bretagne, rejoignirent la Communaut�/Union europ�enne, l'accord fut �tendu, puis inclus dans la Convention de Lom� par laquelle l'Union accordait un acc�s pr�f�rentiel au march� unique europ�en pour de nombreux produits des pays d'Afrique, des Cara�bes et du Pacifique (ACP, aujourd'hui au nombre de 77), ainsi qu'une aide financi�re et alimentaire, un partage de comp�tences et des syst�mes de stabilisation des recettes d'exportation. Le fondement de ces dispositions complexes fut remis en question par le Livre blanc sur l'ach�vement du march� int�rieur, publi� par la Commission en 1985, et en particulier par la promesse d'abolir tous les contr�les aux fronti�res au sein de la Communaut�. Les quotas et les taxes d'importation diff�renci�es, qui avaient permis aux march�s nationaux voisins de d�finir les conditions du commerce de la banane compl�tement diff�remment les uns des autres, commenc�rent � devenir inutiles et inop�rantes. Il fallait soit mettre en place un march� libre de la banane au sein de l'Union (avec pour effet l'�viction des producteurs europ�ens locaux et de beaucoup de producteurs antillais), soit concevoir un r�gime d'importation nouveau permettant de concilier de nombreux int�r�ts contradictoires. Plusieurs grands Etats europ�ens s'�tant publiquement prononc�s en faveur de la seconde option dans le but de prot�ger leurs int�r�ts locaux et ceux de leurs ex-colonies, il �tait �vident, d�s 1986, que la solution du march� libre ne serait pas retenue et qu'un nouveau r�gime d'importation devait �tre �labor�. Cela ne fut r�alis� qu'en 1993, six mois apr�s l'entr�e en vigueur du nouveau march� unique, tellement il fut difficile de trouver un accord entre les parties. Mais ce nouveau r�gime ne devait pas durer longtemps.
+Les int�r�ts impliqu�s dans le processus de lobbying sur cette question �taient � la fois puissants et divers. De toute �vidence, les producteurs europ�ens locaux des A�ores, des Canaries, de Cr�te et de Laconie avaient trouv� une oreille attentive aupr�s de leurs gouvernements respectifs (le Portugal, l'Espagne et la Gr�ce), tous repr�sent�s au Conseil des ministres, lequel devait donner son aval � la nouvelle r�glementation sur la banane. Les producteurs martiniquais et guadeloup�ens, ainsi que ceux de beaucoup d'anciennes colonies, pouvaient compter sur la bienveillance du gouvernement fran�ais, soucieux de les aider. Les producteurs des anciennes colonies et d�pendances britanniques des Cara�bes et du Pacifique trouv�rent un gouvernement britannique tout aussi dispos� � les assister. Les Italiens ne tenaient pas � d�laisser les int�r�ts des producteurs somaliens, autre ancienne colonie. Par ailleurs, les gouvernements carib�ens constitu�rent, avec les principales entreprises cultivant la banane sur leur territoire, une association, la CBEA (Caribbean Banana Exporters Association). Parall�lement, les producteurs d'Am�rique latine adopt�rent une attitude discr�te mais comptaient sur leurs gouvernements (la plupart des Etats d'Am�rique centrale, la Colombie et l'Equateur) pour d�fendre leur point de vue. Ils se d�claraient en faveur d'un respect rigoureux des principes du libre-�change - ce que l'Union est normalement dispos�e � accepter - afin de pouvoir tirer pleinement b�n�fice de leurs faibles co�ts de production, avantage qu'ils avaient sur les autres pays ACP, notamment carib�ens. La Maison-Blanche entra aussi dans la partie � la demande des multinationales am�ricaines (notamment Chiquita/United Brands) une fois qu'il fut �vident que l'Union avait d�cid� de soutenir un r�gime d'importation de bananes qui pouvait �tre en d�saccord avec les r�gles du GATT (et plus tard de l'OMC). Chiquita et son directeur g�n�ral de l'�poque, Carl Lindner, ont ouvertement admis avoir octroy� d'importantes donations aux Partis d�mocrate et r�publicain afin de s'assurer que leur voix serait entendue tout au long du d�bat sur le r�gime europ�en d'importation des bananes dans les ann�es 1990.
+Voil� pour les acteurs gouvernementaux. Les acteurs industriels adopt�rent plusieurs approches diff�rentes tandis que les probl�mes �mergeaient. Parmi les entreprises productrices, certaines choisirent de se battre ouvertement en association �troite avec leur gouvernement (Chiquita et l'Administration des Etats-Unis, Noboa et le gouvernement �quatorien) ; d'autres d�cid�rent de se pr�munir et de d�velopper des strat�gies commerciales leur permettant de r�sister aux cons�quences les plus pr�visibles (Dole, Del Monte et l'anglo-irlandais Fyffes) ; tandis que d'autres encore furent tent�es de laisser les gouvernements des pays dans lesquels elles cultivaient la banane se charger de l'effort politique (� nouveau Dole et Fyffes). A l'autre bout de la cha�ne, les entreprises commercialisant les bananes dans l'Union �taient repr�sent�es par leur association commerciale (l'European Community Banana Trade Association, ECBTA), mais ne semblent pas avoir influenc� d'importantes d�cisions sur la question. En effet, la nature de leur association changea durant la p�riode du fait du rachat des plus importantes fili�res de distribution de fruits par les principaux producteurs et convoyeurs de bananes - une cons�quence �vidente de l'int�gration verticale du march� du secteur, rendue n�cessaire par l'intensification de la concurrence.
+Des ONG ont �galement manifest� un vif int�r�t pour ce d�bat, pour l'essentiel des organisations humanitaires et caritatives, comme Oxfam (Oxford Committee for Famine Relief), des groupes impliqu�s dans le d�veloppement des pays du Tiers-Monde, et beaucoup d'organisations confessionnelles. Leurs efforts conjoints ont permis de mobiliser des centaines de milliers de gens qui ont protest� aupr�s de leurs gouvernements � propos de la situation critique dans laquelle se trouvaient les producteurs de bananes des pays ACP, attirant l'attention des m�dias sur la question du commerce des bananes : de nombreux documentaires t�l�vis�s et campagnes p�titionnaires s'ensuivirent !
+Arriv�s � ce point, il nous faut r�sumer l'histoire et l'�volution du conflit commercial autour de l'importation des bananes dans l'Union. Cette histoire est longue et complexe.
+Les origines du conflit commercial sur la banane remontent � la cr�ation de la CEE. La signature du trait� de Rome, en mars 1957, fut retard�e de quatre jours tandis qu'un accord �tait recherch� sur le protocole tr�s contest� concernant la banane. Celui-ci accorda � la R�publique f�d�rale d'Allemagne (RFA) une exemption du tarif ext�rieur commun pour les bananes que tous les autres Etats membres �taient tenus d'appliquer. Le consommateur allemand a jou� un r�le important tout au long de ce d�bat en persuadant son gouvernement de recourir � tous les moyens possibles pour maintenir l'approvisionnement du march� allemand en bananes � bas prix. Comme on peut s'y attendre, les Allemands d�tiennent le record de consommation de banane par habitant pour toute l'Union. Et l'Union dans son ensemble repr�sente 30 % en volume du commerce mondial de la banane (45 % en valeur).
+Quand fut lanc�, en 1985, le programme destin� � achever le march� unique, il devint tout � fait clair que la fragmentation d�lib�r�e du march� de la CEE r�sultant de l'organisation du commerce de la banane ne pouvait plus durer, du fait de l'�limination des contr�les aux fronti�res � l'int�rieur de la Communaut�. Un nouveau r�gime d'importation des bananes commun � l'ensemble de la Communaut� devait �tre �labor�, comme dans le cas des voitures neuves.
+L'article 115 du trait� de la CEE fournissait � chaque Etat membre la possibilit� d'adopter un r�gime d'importation des bananes sp�cifique puis de le faire valider et appliquer par la Communaut�. Les s�ries de conventions de Yaound� et de Lom� promettaient, d�s 1991, qu'aucun pays ACP ne serait " plac�, en ce qui concerne ses march�s traditionnels et ses avantages sur ces march�s, dans une position moins favorable que par le pass� ou qu'aujourd'hui ".
+Ainsi, tout �tait pr�t pour de longues et classiques n�gociations au sein de la Communaut�, lesquelles d�bouch�rent sur la d�cision, prise en 1993, d'introduire un r�gime d'importation de bananes commun, se caract�risant par un syst�me de quota pour l'importation des " bananes dollars " (initialement �tabli � 2 millions de tonnes) et un tarif ext�rieur commun de 20 %. Douze Etats ACP continuaient � b�n�ficier d'un acc�s d�tax� au march� � hauteur de 620 000 tonnes de bananes par an. La Commission devait conserver un quota discr�tionnaire qu'elle pouvait r�partir librement tandis que le march� de la banane continuait son expansion. Les importations de bananes dollars �taient cependant contr�l�es par un syst�me de licences uniquement accord�es aux importateurs promettant de vendre des bananes provenant des pays ACP ou d'Europe. On pr�voyait que le nouveau syst�me accorderait 30 % des licences d'importation (en volume de ventes) aux n�gociants ayant commercialis� des bananes en provenance des pays ACP traditionnels, 60 % aux n�gociants ayant commercialis� des bananes dollars et 10 % aux nouveaux venus sur le march� et aux n�gociants en bananes cultiv�es en Europe. Le syst�me est administr� par le Comit� de gestion de la banane de l'Union et par la Commission.
+Le nouvel accord fut ent�rin� avec beaucoup de difficult� par un vote � la majorit� qualifi�e, le changement d'avis du Danemark se r�v�lant d�cisif. Cet accord fut violemment attaqu� par l'Allemagne qui le contesta, sans succ�s, devant la CJCE, l'accusant d'�tre contraire aux principes �conomiques garantis par le trait� de Rome. Une autre attaque fut lanc�e dans le cadre du GATT par les Etats-Unis et plusieurs producteurs de bananes dollars d'Am�rique latine. La d�cision du GATT sur le nouveau r�gime d'importation conduisit � une augmentation du quota de bananes dollars � 2,1 millions de tonnes. Cela signifiait qu'avec la fin du GATT, en 1994, la proc�dure de r�solution du litige sous l'�gide de l'OMC devait repartir de z�ro, cette fois � l'instigation de l'Equateur et des Etats-Unis. En 1997, l'OMC se pronon�a contre le r�gime europ�en d'importation de bananes, le d�clarant discriminatoire � l'encontre des producteurs d'Am�rique latine. L'Union introduisit des modifications dans son r�gime d'importation qui entr�rent en vigueur en janvier 1999, mais un panel de l'OMC d�cida en avril 1999 que, m�me modifi�, ce r�gime perp�tuait cette discrimination. Avant que l'Union ait propos� une r�ponse � cette derni�re d�cision, le gouvernement des Etats-Unis introduisait un syst�me de sanctions commerciales r�visables (" carrousel approach ") d'un montant de 200 millions de dollars contre les Etats europ�ens, notamment ceux favorables au r�gime europ�en d'importation des bananes. L'Union d�clara que les Etats-Unis enfreignaient les r�gles de l'OMC en agissant de la sorte, mais il �tait �vident que la Maison-Blanche �tait alors exasp�r�e par les retards europ�ens. En janvier 2001, Chiquita, l'un des principaux producteurs et n�gociants de bananes dollars, intenta un proc�s pour dommages et int�r�ts � hauteur de 525 millions de dollars (soit, � l'�poque, 564 millions d'euros), invoquant les pertes subies depuis que le nouveau r�gime avait �t� mis en place en janvier 1999. En avril 2001, cependant, l'Union semblait avoir trouv� un compromis avec les Etats-Unis, se fondant sur une r�vision du syst�me de licences afin de favoriser les fournisseurs traditionnels du march� europ�en, au grand dam d'un autre producteur et n�gociant am�ricain, Dole, et du gouvernement �quatorien.
+La question du commerce de la banane illustre bien les forces et faiblesses institutionnelles de l'Union. Les divisions au sein du Conseil des ministres furent profondes, et le r�glement du conflit par l'application du vote � la majorit� qualifi�e obligea simplement la minorit� dissidente � rechercher, sans succ�s, un secours du c�t� de la CJCE. Dans cette affaire, la Commission eut la malchance d'�tre emmen�e par la DG VI (celle de l'agriculture) qui prend toujours fait et cause pour les producteurs plut�t que pour les consommateurs. Mais faire �voluer la position adopt�e par la DG VI fut un v�ritable casse-t�te " acronymique " de directions g�n�rales, chacune avec son lot d'organisations de lobbying - la DG I (relations ext�rieures), la DG III (affaires industrielles), la DG VIII (d�veloppement et coop�ration), la DG XV (march� int�rieur), la DG XVI (affaires r�gionales) - auxquelles il faut ajouter le Comit� europ�en d'administration de la banane.
+C'est donc toute une superposition de probl�matiques qu'il fallut d�m�ler. Les pays en d�veloppement (PED) �taient profond�ment divis�s en deux camps : les pays ACP et les pays non ACP. Les principes du march� unique �taient en jeu, favorisant la consolidation du r�gime d'importation de la banane au niveau de l'Union ; mais la lib�ralisation de l'acc�s � ce march� nouvellement int�gr� devait �tre mis en balance avec les politiques protectionnistes destin�es � pr�server le niveau de vie de gens comptant parmi les plus pauvres du monde. Sur cette question, les lignes de clivage traditionnelles entre les Etats pratiquant le libre-�change et ceux plus enclins au protectionnisme se d�sagr�g�rent, le Royaume-Uni adoptant un point de vue plus protectionniste (soutenu par la France, l'Italie et les Pays-Bas) en raison des int�r�ts des PED. Finalement, et c'est peut-�tre le plus important, l'ensemble des relations de l'Union avec les Am�riques furent menac�es par ce conflit commercial : entre l'Union et les Etats-Unis (relations qui se d�graderont encore sur d'autres questions), entre les Etats carib�ens et ceux d'Am�rique centrale, entre ces derniers et les Etats d'Am�rique du Sud (notamment l'Equateur), enfin entre les Etats radicaux d'Am�rique centrale, comme le Honduras, et des Etats plus mod�r�s, comme le Costa Rica.
+L'acceptation par l'Union, en 1997, des propositions du protocole de Kyoto sur la r�duction des �missions de gaz � effets de serre a eu des r�percussions pour les constructeurs automobiles et les compagnies p�troli�res pr�sents sur le march� europ�en. L'Union a accept� de r�duire ses �missions de 8 % d'ici � 2010 par rapport au niveau de 1990. Mais ces r�ductions devront �tre plus importantes dans certains pays (12 % pour le Royaume-Uni), tandis que d'autres (l'Irlande) seront autoris�s � accro�tre leur niveau d'�missions (jusqu'� 13 %). Le protocole de Kyoto affecte les int�r�ts des entreprises en Europe, alors qu'elles doivent d�j� faire face � d'intenses pressions r�glementaires de Bruxelles pour parvenir � une allocation plus efficace des ressources, une pollution automobile plus faible et un meilleur recyclage. Ces pressions refl�tent les pr�occupations �cologiques d'un grand nombre d'Etats membres (six d'entre eux sont consid�r�s comme constituant l'avant-garde de la politique environnementale) et du Parlement europ�en. Les deux principaux groupements d'int�r�t concern�s et menac�s (les constructeurs automobiles et les compagnies p�troli�res, repr�sent�s par des f�d�rations paneurop�ennes telles que l'Association des constructeurs europ�ens d'automobile (ACEA) et l'Association de l'industrie p�troli�re europ�enne (EUROPIA)) ne se sont pas laiss� imposer s�par�ment un agenda d�termin� par les institutions europ�ennes selon des crit�res politiques plus qu'industriels. Ils ont au contraire annonc�, en 1996, qu'ils feraient des propositions communes pour aider � r�aliser les objectifs environnementaux de l'Union, puis ceux d�finis � Kyoto en mati�re d'�missions de gaz automobile d'ici � 2008 - 2012, le tout en concertation avec la Commission et sous r�serve de l'approbation finale du Conseil des ministres et du Parlement. D'autres accords ont aussi �t� conclus avec les constructeurs automobiles japonais et cor�ens. Malgr� les appr�hensions de beaucoup de d�put�s europ�ens, cette approche a �t� accept�e et le premier programme Auto-Oil vot� - et ce, en d�pit de d�saccords ouverts entre les deux industries concern�es sur la fa�on de r�partir le fardeau de la r�duction des �missions de gaz d'origine automobile. Des ONG �cologistes pr�tendent aussi que ces deux industries ont �dulcor� les exigences politiques de l'Union. Un second programme Auto-Oil est actuellement en cours de n�gociations, avec une plus grande harmonie entre les deux secteurs et une plus grande implication des ONG.
+Ce processus soul�ve d'importantes questions touchant la l�gitimit� d�mocratique et la nature de l'autorit� habilit�e � �laborer, appliquer et �valuer une politique publique. Il permet aussi aux int�r�ts industriels d'exercer un plus grand contr�le sur l'agenda politique, et d'�tre hostiles au protocole de Kyoto d'un c�t� de l'Atlantique tout en se montrant apparemment dispos�s � aider � la r�alisation des objectifs de Kyoto sur l'autre rive de l'oc�an.
+Au premier abord, le lobbying peut �tre consid�r� comme un �l�ment in�vitable du processus d�mocratique. Les lobbyistes sont en droit de faire conna�tre directement leurs points de vue aux d�cideurs europ�ens ainsi qu'aux membres du Parlement. Chose rare, ce dernier n'est pas le seul organe l�gislatif au sein du dispositif d�cisionnel europ�en (il partage ce r�le avec le Conseil des ministres) et il n'a pas non plus l'initiative des propositions l�gislatives (qui rel�ve de la Commission). Ainsi, on peut consid�rer de fa�on simpliste que le lobbying est une manifestation de la d�mocratie � l'oeuvre, et qu'il est susceptible de garantir une certaine responsabilit� des institutions europ�ennes au moins devant ceux qui sont le plus concern�s par les d�cisions de l'Union.
+Le lobbying se r�v�le aussi tr�s utile � la Commission, qui cherche � sonder l'opinion des entreprises et des ONG avant de prendre des initiatives politiques radicalement nouvelles. Elle compte alors souvent, avant de se d�terminer, sur des associations commerciales et professionnelles pour obtenir des donn�es et des analyses sur les secteurs concern�s. Compte tenu de la dimension relativement r�duite de la Commission et de l'impossibilit� o� sont ses fonctionnaires de conna�tre par eux-m�mes toutes les sp�cificit�s sectorielles de chaque Etat membre, l'�change d'informations entre la Commission et les groupes de pression est souvent essentiel pour les deux parties. Une Commission bien inform�e a plus de chances de faire des propositions politiques l�gitimes et susceptibles d'�tre mises en oeuvre. Le raisonnement consiste � dire que le lobbying peut conduire � un processus politique plus efficace, dans lequel les d�cideurs sont finalement conduits � adopter les mesures ayant le plus de chances d'aboutir aux r�sultats politiques escompt�s, en prenant pleinement en compte les r�alit�s et les aspects pratiques tels qu'ils sont per�us sur le terrain par les int�r�ts imm�diatement concern�s. Les m�mes groupes d'int�r�t peuvent donner leurs impressions sur la mise en oeuvre de la politique de l'Union en recourant � des m�thodes identiques vis-�vis de la Commission.
+Le processus de lobbying est aussi de plus en plus interactif dans la mesure o� les diff�rents int�r�ts sont en concurrence pour obtenir gain de cause et o� les lobbyistes, pour se faire vraiment �couter, doivent essayer de d�velopper une vision europ�enne globale qui aborde les questions-clefs de leur domaine politique � l'�chelle de l'Union. Deux cons�quences pourraient en r�sulter. La premi�re serait l'�laboration de consensus au niveau europ�en dans la mesure o� un ensemble d'int�r�ts se cherchant des alli�s est contraint de se pr�occuper des autres, qui n'ont pas n�cessairement des int�r�ts compatibles. L'autre cons�quence, qui pourrait �merger parall�lement au d�veloppement du consensus, serait que le contact direct avec les institutions europ�ennes favorise le processus d'int�gration sur le long terme au travers d'une influence progressive sur ceux qui fa�onnent les opinions, une dialectique que les universitaires ont appel� " engrenage ".
+Le lobbying au niveau europ�en est tr�s critiqu� pour des raisons relevant de consid�rations d�mocratiques. Il y a d'abord le relatif secret qui entoure � la fois le processus de prise de d�cision et la pratique du lobbying. Ce secret nourrit les soup�ons selon lesquels les accords sont conclu, � l'abri des regards, entre les entreprises et les d�cideurs europ�ens, sans grands �gards pour l'int�r�t g�n�ral ou le bien public. Ainsi les structures d�mocratiques se trouvent-elles en un sens contourn�es et la responsabilit� devant les citoyens marginalis�e au profit d'une responsabilit� prise par rapport � quelques int�r�ts particuliers. Une multinationale �trang�re pourrait obtenir une plus grande attention de Bruxelles � ses points de vue qu'un groupe inexp�riment� de citoyens europ�ens.
+Ces soup�ons sont renforc�s par le fait qu'il est fort co�teux de faire pression avec succ�s sur les institutions europ�ennes, tout comme cela exige du temps et des comp�tences. D'une fa�on g�n�rale, l'univers du lobbying � Bruxelles est domin� par des groupes de pression commerciaux qui d�fendent des int�r�ts �conomiques pour lesquels ils sont souvent en mesure - et dispos�s -� payer le prix fort. Une telle d�marche n'est pas envisageable pour des groupes poursuivant des objectifs plus g�n�raux ou altruistes, comme ceux repr�sentant les int�r�ts des r�fugi�s, des travailleurs immigr�s, des personnes handicap�es ou des ch�meurs. Le raisonnement est donc que l'�quilibre atteint au sein de l'Union entre les diff�rents int�r�ts penche nettement en faveur de ceux pouvant consacrer beaucoup d'argent � la promotion de leur cause (d'une fa�on g�n�rale, il s'agit des int�r�ts des entreprises et des gouvernements). La Commission reconna�t le bien-fond� de cet argument en subventionnant quelque soixante ONG actives � l'�chelle europ�enne, mais cette r�ponse comporte aussi le risque de compromettre l'ind�pendance des organisations mises en places pour repr�senter de tels int�r�ts.
+Une autre inqui�tude concerne la repr�sentativit� des organisations cens�es incarner l'opinion europ�enne sur tel ou tel sujet. La Commission pr�te attention � la structure et au nombre de membres des organisations qui pr�tendent repr�senter des groupes sociaux, �conomiques ou professionnels particuliers. Une question tout aussi importante consiste � savoir dans quelle mesure les positions adopt�es par une organisation au niveau europ�en prennent r�ellement en compte les pr�occupations et les exigences des associations nationales, et si elles ont �t� valid�es d�mocratiquement au sein de l'organisation. L'arriv�e d'Internet et de la messagerie �lectronique a certainement modifi� les moyens, pour une ONG bas�e � Bruxelles, de rester en contact �troit avec ses membres au niveau national. Mais il est encore difficile de savoir dans quelle mesure ces pratiques ont permis une d�centralisation et une plus large contribution � la prise de d�cision, auparavant d�volue aux initi�s qui dirigent les groupes d'int�r�ts � Bruxelles.
+En fin de compte, les fonctionnaires de la Commission et les d�put�s europ�ens font souvent r�f�rence � l'exc�s de lobbying, alors m�me que la structure fragment�e du processus de d�cision europ�en en est une des causes. On peut ainsi affirmer que les intenses efforts de lobbying, impliquant parfois des centaines d'organisations, emp�chent une prise de d�cision rapide et coh�rente dans le cadre de l'Union.
+Malgr� l'�largissement � 25 pr�vu pour 2004, la structure et les �volutions futures de l'Union sont plut�t incertaines. Pour les organisations de lobbying, l'�largissement signifie que tout un ensemble d'int�r�ts enti�rement nouveaux (et parfois contradictoires) devront �tre int�gr�s au sein d'organisations particuli�res, et assimil�s par les institutions europ�ennes. L'�largissement devrait aussi �loigner le Conseil des ministres des pr�occupations �cologiques et le r�orienter vers les questions de s�curit�.
+L'�largissement accentuera certainement la tension existant entre ceux qui recherchent une plus grande standardisation europ�enne et ceux qui donnent la priorit� au principe de subsidiarit�. Beaucoup d'entreprises aimeraient une plus grande centralisation du pouvoir de d�cision. Leur vie serait simplifi�e, et leur co�ts r�duits, si les d�cisions prises � Bruxelles s'appliquaient partout sur le territoire de l'Union. C'est la raison pour laquelle les grands groupes d'int�r�t repr�sentant les entreprises firent cause commune avec les �cologistes, en 1992, contre la proposition de Jacques Delors en faveur de r�gles environnementales d�cid�es et administr�es au niveau national. En ouvrant la voie � davantage de variations nationales et r�gionales dans la d�finition et l'application des r�gles, les partisans de la subsidiarit� courent in�vitablement le risque de s'�loigner de la notion de concurrence " sur un pied d'�galit� " entre les entreprises, notion constitutive du march� unique. Mais cela ne sera-t-il pas la cons�quence in�vitable du prochain �largissement, m�me sans aucun renforcement du principe de subsidiarit� ?
+Une autre question est celle du processus d�cisionnel alternatif annonc� au sommet de Lisbonne, en 2000 : la " m�thode ouverte de coordination ", mentionn�e plus haut. Bien qu'elle envisage un partenariat interactif entre les institutions europ�ennes, les gouvernements nationaux et les principaux groupes d'int�r�ts pour d�velopper des r�ponses politiques dans des domaines pour lesquels plusieurs niveaux de gouvernement, dont celui de l'Union, sont comp�tents, les inqui�tudes sont d�j� l�gion quant au risque d'exclure les �lus du processus et de n'y inclure que les groupes d'int�r�ts d�j� bien connus des autorit�s ou ceux qui ne sont pas susceptibles de " jouer les trouble-f�te ". Dans la mesure o� les sujets d�j� concern�s par la m�thode ouverte de coordination sont plut�t d�cisifs, plus ce processus prendra de l'importance, plus cette question deviendra s�rieuse.
+Finalement, l'int�gration du processus d�cisionnel bruxellois est rendu plus difficile par des activit�s de lobbying ad hoc et prot�iforme aupr�s d'une Commission fragment�e et des autres institutions europ�ennes. Il pourrait bien y avoir des arguments en faveur de forums consultatifs plus formalis�s auxquels seraient invit�s � participer toutes les parties int�ress�es, et � travers lesquels devrait passer toute repr�sentation aupr�s de l'Union, ainsi qu'en faveur de la publication de tous les documents, Position Papers et autres d�bats que pourront susciter de tels forums. Non seulement cela favoriserait la transparence aupr�s du public dans son ensemble, mais cela contribuerait aussi � am�liorer la transparence au sein de la Commission et des autres institutions europ�ennes, et entre les diff�rents groupes de pression.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le cycle de n�gociations commerciales multilat�rales lanc� � Doha, en 2001, couvre un grand nombre de questions, des plus traditionnelles (l'agriculture, les tarifs douaniers, les mesures antidumping) aux plus nouvelles (la concurrence, l'environnement, l'investissement). Jusqu'� pr�sent, les progr�s ont �t� limit�s, et la prochaine conf�rence minist�rielle, qui se tiendra � Cancun, en septembre 2003, risque d'�tre un �chec si aucune initiative politique forte n'est prise d'ici l�. Cette initiative doit d'abord s'ancrer dans une coop�ration transatlantique renforc�e, que la crise irakienne semble rendre plus d�licate que jamais. Elle doit aussi montrer que les pays industrialis�s ont d�sormais la volont� de faire une place � un plus grand nombre de pays en d�veloppement en ouvrant plus largement leurs march�s, en particulier dans les secteurs les plus sensibles comme l'agriculture et le textile. L'enjeu n'�tant rien moins que la croissance et le d�veloppement, le plus �quilibr� possible, dans un monde interd�pendant.
+Dans la situation internationale actuelle, le succ�s d'une n�gociation mondiale dans le domaine des �changes commerciaux pourrait constituer un signe tangible que le syst�me fonctionne et qu'une organisation internationale de premier rang est � m�me de remplir la mission que ses membres lui ont assign�e. La poursuite et la conclusion des n�gociations dans le calendrier imparti constituerait �galement une r�ponse convaincante de la communaut� internationale aux d�tracteurs de la lib�ralisation des �changes et, � travers elle, de la coop�ration entre nations.
+Au-del� du contexte imm�diat, les pays riches, comme les pays en d�veloppement (PED), ont un int�r�t direct � la poursuite du cycle de Doha. Les premiers parce que, dans une conjoncture qui semble durablement d�prim�e, le succ�s favoriserait la confiance et montrerait que le syst�me commercial multilat�ral peut prendre en compte des questions comme la s�curit� alimentaire, la protection de certains services publics ou l'environnement. Les seconds parce qu'il s'agit de montrer que les " r�gles du jeu " peuvent �tre amend�es dans un sens qui leur soit favorable, d'une part, en apportant une solution � la d�licate question de la mise en oeuvre des accords du cycle de l'Uruguay, de l'autre, en rendant les pays pauvres acteurs � part enti�re du commerce mondial, ce qui n'est vrai, � ce stade, que pour une quinzaine de pays �mergents et une dizaine d'autres PED. Aucune exigence n'est en effet plus pressante aujourd'hui que celle du d�veloppement, et, qu'on le veuille ou non, la mondialisation, c'est-�-dire l'extension de l'�conomie de march� � un nombre croissant de pays, demeure l'un des plus puissants moteurs du d�veloppement. Il n'existe � l'�vidence aucune recette magique en la mati�re, et le libre-�change ne peut en aucun cas se substituer � des institutions d�faillantes, ni pallier les affrontements internes, les politiques mon�taires et budg�taires erratiques ou l'insuffisance des flux d'aide au d�veloppement. Mais s'il n'y a pas de recette magique pour le succ�s, il y en a bien une pour l'�chec : la fermeture des fronti�res. Il n'est pas un seul exemple aujourd'hui pour contredire ce point.
+La pr�paration du cycle de Doha n'a pas �chapp� aux d�bats traditionnels sur la configuration de la n�gociation : cycle large ou �troit, long ou court, engagement unique pour tous ou accords � la carte, tout fut envisag�, et le d�but des n�gociations n'a pas clos ces interrogations.
+Cette controverse a oppos� et continue d'opposer les tenants d'une n�gociation limit�e � l'acc�s au march�, � l'agriculture et aux services, et les partisans d'un plus grand nombre de sujets, cet �largissement pouvant faciliter les concessions, aider � prendre en compte les pr�occupations de la soci�t� civile, et r�soudre certains probl�mes des pays en d�veloppement. Les Etats-Unis et les membres du groupe de Cairns d'une part, l'Union europ�enne de l'autre, s'opposent sur le sujet ; les PED sont �galement divis�s, une l�g�re majorit� d'entre eux penchant plut�t pour le cycle " acc�s au march� seulement ". Certes, tel qu'il a �t� lanc� en 2001, le cycle est large et comprend douze sujets de n�gociation. Mais, si le programme �tait menac� d'enlisement, des voix s'�l�veraient � nouveau en faveur d'un all�gement de l'ordre du jour.
+Ce d�bat est li� au pr�c�dent, et au fait que le cycle de l'Uruguay a dur� pr�s de huit ans au lieu des quatre pr�vus. La cr�dibilit� politique de la n�gociation repose en partie sur le respect les d�lais. En outre, les PED dont les ressources humaines sont rares pr�f�rent en g�n�ral un cycle court. Doha doit en principe s'achever fin 2004.
+Le cycle de l'Uruguay avait comme priorit� de mettre fin au " plurilat�ralisme ", terme qui qualifie les engagements souscrits par certains membres seulement. De tels accords permettent de " faire avancer la machine ", avant que d'autres pays ne " prennent le train en marche ". Leur inconv�nient est d'aller � l'encontre de la logique du syst�me GATT/OMC, qui est d'�tablir des droits et obligations identiques pour tous, et non un " patchwork " de r�gimes diff�rents au d�triment de la transparence et de la non-discrimination. La " r�colte pr�coce " est une variante temporelle du plurilat�ralisme, qui consiste � engranger certains r�sultats, en mati�re agricole par exemple, avant la fin des n�gociations. De telles pratiques, utilis�es dans le pass� pour des raisons politiques - t�moigner concr�tement de l'avanc�e des n�gociations - conduisent � d�s�quilibrer toute la logique du cycle, o� les ultimes arbitrages sont pris en pond�rant gains et pertes sur tous les sujets.
+La n�gociation de Doha (article 41 de la d�claration finale) s'inscrit dans la logique de l'engagement unique. Mais elle n'exclut pas des mises en oeuvre, provisoires ou d�finitives, d'accords conclus dans les premi�res n�gociations. Ces ambigu�t�s ne manqueront pas d'�tre exploit�es, ici ou l�, par tel ou tel groupe de n�gociateurs.
+Constructive pour les uns, dirimante pour les autres, l'ambigu�t� de la d�claration de Doha est de r�gle pour ce genre de document. En l'esp�ce, il fallait r�ussir � tout prix, et le succ�s n'�tait pas garanti. La multiplication des dates limites, les nombreuses mentions des " modalit�s de n�gociation " et la r�f�rence constante au d�veloppement t�moignent de volontaires obscurit�s.
+Fixer des dates limites � un cycle et � ses diff�rentes �tapes est sans conteste un proc�d� qui permet � certains pays riches de parer d'avance aux critiques du type : " Il est impossible de r�gler tant de sujets dans un d�lai raisonnable " ou " les opinions publiques s'irritent de l'absence de progr�s ". Pour d'autres, les dates interm�diaires sont cens�es �viter les tactiques dilatoires, certains participants gardant leurs cartes en main pour �viter de " payer deux fois ", une � la date interm�diaire et une seconde � la fin. Pour les PED, les dates butoirs permettent d'�viter les marchandages de fin de cycle, dont ils se plaignent de faire la plupart du temps les frais. La multiplication de ces dates fut sans doute � Doha un moyen d'obtenir un compromis entre tenants d'un cycle �troit et court et partisans d'un cycle large et long, au prix toutefois de plusieurs inconv�nients. Au plan logique, l'id�e de butoir s'oppose � la notion m�me de cycle, o� les arbitrages se font � la fin entre tous les sujets. Au plan pratique, ces dates butoirs ne sont gu�re respect�es et provoquent, comme c'est le cas actuellement, des commentaires critiques sur l'enlisement, l'�chec et l'absence de perspective des discussions. Parall�lement, la m�thode produit une crispation " volontariste " : parler de report ne rel�ve plus du r�alisme mais du d�faitisme.
+L'abus du terme " modalit�s " est une autre illustration des contorsions qui ont pr�c�d� l'accord. Sur les douze sujets de n�gociation, il est pr�vu que, pour six d'entre eux, les membres devront au pr�alable s'accorder sur les " modalit�s " de la n�gociation. L'ambigu�t� du terme est destin�e � rassurer ceux qui ne veulent pas trop s'engager, en leur donnant l'impression qu'ils d�tiennent un levier solide sur la n�gociation elle-m�me. Cette interpr�tation a d'ailleurs �t� renforc�e, pour les quatre sujets de Singapour, par la r�ponse du pr�sident de la conf�rence minist�rielle lui-m�me � une objection soulev�e par l'Inde � la fin de la r�union de Doha. Dans tous les cas, le terme pr�te � controverse car, selon que l'on retient l'une ou l'autre interpr�tation, c'est tout l'�quilibre du cycle qui est modifi� : agriculture, services, tarifs industriels, quelques sujets environnementaux, antidumping et subventions dans un cas ; les m�mes sujets plus ceux de Singapour dans l'autre.
+La r�f�rence au d�veloppement, qui traverse tout le texte de Doha, reste une des plus importantes difficult�s � surmonter. Il est av�r�, depuis la fin du cycle de l'Uruguay, qu'aucun accord ne peut recueillir de consensus sans le soutien des PED. D�s lors (et de fa�on parfois un peu cynique), les grands acteurs du jeu (Etats-Unis, Union europ�enne) s'efforcent de gagner � leur position un nombre croissant d'entre eux, moins par des concessions r�elles que par des promesses qu'ils ont plus ou moins l'intention, ou les moyens, de tenir. Le cycle de l'Uruguay fut, par exemple, fond� sur un " grand dessein " consistant � demander aux pays pauvres d'une part d'ouvrir leurs march�s en mati�re de services, et d'autre part de souscrire � la protection des droits de propri�t� intellectuelle en �change d'un acc�s aux march�s des pays riches, en particulier dans les domaines du textile et de l'agriculture. Huit ans plus tard, l'�quilibre douteux de ce grand marchandage a rendu les PED beaucoup plus exigeants, et les conduit � refuser d'entrer dans de nouvelles n�gociations sans engagement tr�s s�rieux en leur faveur.
+Mais que l'on parle de " traitement sp�cial et diff�renci� " ou d'assistance technique, on a " tir� des traites " sur l'avenir, qu'il faudra bien honorer un jour ou l'autre. Tel est le cas aujourd'hui, o� le d�veloppement est pass� du statut d'obligation morale ou de v?u pieux � celui de composante � part enti�re de la n�gociation.
+Si l'on s'en tient � l'ordre arr�t� � Doha, le premier sujet est celui de la " mise en oeuvre ". Il para�t paradoxal et peu porteur politiquement qu'une n�gociation traitant de l'avenir du syst�me commercial mondial se pr�occupe d'abord du pass�, consacrant autant de temps et d'efforts � une question li�e au cycle pr�c�dent. C'est l� le principal argument de ceux qui contestent la l�gitimit� et l'utilit� d'un nouveau cycle. Il n'est pas abusif de dire que le sujet a satur� l'agenda de l'OMC depuis la conf�rence de Singapour en 1997. Il fut l'une des principales causes - sinon la seule - de l'�chec de Seattle, en 1999, et a constitu�, de loin, le premier sujet de discussion entre Etats membres jusqu'� Doha et depuis lors. Rappelons que la d�cision prise � Doha ne recense pas moins de 48 " questions et pr�occupations li�es � la mise en oeuvre ", concernant onze accords, sans compter les " questions transversales " li�es au traitement sp�cial et les " questions en suspens ", au nombre de 39. M�me en tenant compte d'une tendance tactique � " charger la barque " pour obtenir quelque chose en �change de l'abandon d'une demande, il n'en demeure pas moins que le sujet, � lui tout seul, suffirait � remplir la charge de travail de l'OMC pendant de longs mois.
+Au-del� des aspects techniques, les positions politiques des parties en pr�sence n'ont gu�re chang� : " Pas de nouveaux sujets tant que la mise en oeuvre des anciens n'est pas r�gl�e ", disent les PED ; " pas de r�glement des anciens sujets en dehors de la n�gociation d'ensemble ", disent les pays d�velopp�s.
+Pour tenter de concilier ces positions antagonistes, un �quilibre d�licat a �t� b�ti � Doha :
+ +Ce d�coupage correspond au souci des pays du Nord de ne pas rouvrir, m�me partiellement, les n�gociations closes en 1994. A ce stade, donc, les sujets relevant de la premi�re cat�gorie (les plus conflictuels concernent le mode de calcul des contingents textiles, le recours aux subventions � l'exportation, certains aspects de l'accord ADPIC) suivent le rythme des n�gociations ouvertes par Doha sur les m�mes questions.
+Ceux de la deuxi�me cat�gorie sont li�s, en fait sinon en droit, au d�bat sur le traitement sp�cial et diff�renci�. En effet, les pays d�velopp�s ont souhait� saisir l'occasion d'une remise � niveau du syst�me de traitement sp�cial dans sa finalit�, ses principes, ses objectifs et ses instruments (syst�me de pr�f�rence g�n�ralis�e, accords de type Lom�), dont la pertinence peut devenir discutable � mesure que s'abaissent les obstacles aux �changes. Les PED, au contraire, s'en tiennent � une conception plus �troite consistant � examiner des mesures pratiques (85 � l'heure actuelle) pour les rendre plus " pr�cises, effectives et op�rationnelles ".
+Les deux sujets sont aujourd'hui �galement paralys�s. La mise en oeuvre n'a fait aucun progr�s r�cent, malgr� d'ultimes efforts de m�diation du directeur g�n�ral de l'OMC. Le traitement sp�cial et diff�renci� n'a rien gagn� � �tre li� partiellement � la mise en oeuvre, et, apr�s avoir d�pass� trois dates limites (juillet et d�cembre 2002, f�vrier 2003), il a �t� �voqu� � nouveau en mai, au conseil g�n�ral de l'OMC, dans le scepticisme g�n�ral.
+Des cinq sujets sectoriels (non transversaux comme les deux pr�c�dents), l'agriculture donne lieu aux plus grandes controverses, alors m�me que les enjeux �conomiques et commerciaux ne sont pas � la mesure des querelles. A priori, le d�bat ne devrait pas �tre d'une difficult� insurmontable. Sur les quatre grands sujets (soutiens � l'export, soutiens int�rieurs, acc�s au march�, questions non commerciales), entre les quatre acteurs ou groupes d'acteurs (Etats-Unis, Union europ�enne, groupe de Cairns et grands PED non-Cairns, men�s par l'Inde), les plages de compromis devraient exister. Mais les discussions sont occult�es par des positions id�ologiques : "la subvention est intrins�quement n�faste", "la PAC est intouchable", "les PED sont quoi qu'il arrive victimes d'un syst�me injuste"... positions contredites par les pratiques. Tout le monde subventionne, m�me les pays les plus vertueux, d'une fa�on qui peut fausser les �changes; la PAC est en constante r�vision, et son co�t n'est pas �lev� (0,5% du PIB europ�en); enfin, il est faux que les PED aient tout � gagner d'une disparition totale des subventions, tant est grand l'avantage comparatif des plus gros producteurs agricoles, qui ne sont pas des PED.
+Les modalit�s de la n�gociation agricole devaient �tre arr�t�es le 31 mars. En l'absence de d�finition pr�cise du terme, les d�bats se sont crisp�s sur les formules de r�duction tarifaire, qu'il est difficile de consid�rer comme une simple " modalit� ", alors qu'elles sont un �l�ment crucial de la n�gociation.
+Le pr�sident du groupe de n�gociation, M. Harbinson, a fait de louables efforts pendant six mois pour appliquer � l'agriculture la m�me m�thode que celle qui avait si bien r�ussi lorsque, pr�sident du conseil g�n�ral de l'OMC, il avait �labor� la d�claration de Doha : on �coute les arguments des uns et des autres, et, plut�t que de tenter une impossible synth�se entre des positions contradictoires, on �labore " � titre personnel " un projet d'accord qui, ne satisfaisant compl�tement personne, ne suscite aucun veto.
+Cette m�thode n'a pas r�ussi en mati�re agricole puisque les deux versions successives du projet d'accord soumis aux membres ont �t� rejet�es, notamment par les Europ�ens, qui voyaient sacrifi�es leurs demandes sur les aspects non commerciaux de l'agriculture (s�curit� alimentaire, environnement, bien-�tre animal...) sans obtenir satisfaction sur les sujets proprement commerciaux (subvention, protection tarifaire). Le sujet a donc �t� renvoy� � Cancun.
+Dans le domaine de la propri�t� intellectuelle, la question de l'acc�s des pays pauvres aux produits pharmaceutiques est moins importante pour elle-m�me qu'en ce qu'elle illustre la capacit� - ou l'incapacit� - de l'OMC � traiter d'une question sensible pour les opinions publiques. Sur le fond, le d�bat est lui aussi largement occult� par des positions id�ologiques. La situation d�sastreuse de l'Afrique subsaharienne en mati�re sanitaire (sp�cialement en ce qui concerne le sida) ne d�pend que pour partie du prix des traitements. Seraient-ils gratuits qu'ils ne changeraient rien � l'absence d'h�pitaux, de personnels m�dicaux et de dispositifs de pr�vention. Inversement, le lien direct entre niveau de recherche et niveau de protection de la propri�t� intellectuelle n'a jamais �t� d�montr�, d'autant que, dans les pays riches, la recherche scientifique, tous secteurs confondus, b�n�ficie de soutiens - notamment fiscaux - d�connect�s de cette protection.
+La rigidit� des positions tient ici � deux facteurs rarement expos�s. Le premier est la concurrence entre grands groupes occidentaux et industries naissantes de quatre ou cinq pays �mergents (Inde, Br�sil), o� la croissance du secteur pharmaceutique repose sur une protection partielle des droits des brevets - pour les proc�d�s et non pour les produits -, protection compatible avec l'accord ADPIC jusqu'en 2005. Une course de vitesse est donc engag�e entre les uns et les autres. Le second est que les grands groupes occidentaux ont un " portefeuille " de brevets qui va largement tomber dans le domaine public dans les cinq ou dix ans � venir, et qu'ils ne sont pas s�rs de pouvoir le remplacer � partir de technologies actuellement en phase de d�veloppement (th�rapies g�niques, clonage cellulaire...). Ces groupes savent qu'ils risquent d'�tre supplant�s par d'autres firmes, aujourd'hui inconnues, qui exploiteront au mieux le potentiel de ces techniques pour devenir les g�ants de demain. D'o� leurs crispations autour des flexibilit�s pr�vues dans l'accord ADPIC en mati�re de brevets pour les m�dicaments. Doha avait permis de mettre un terme au " harc�lement judiciaire " des grandes firmes � l'�gard des pays � industrie pharmaceutique naissante, pour les emp�cher d'utiliser � plein ces souplesses (importations parall�les, licences obligatoires). Les discussions se sont d�sormais d�plac�es vers la possibilit�, pour les pays d�pourvus de capacit�s manufacturi�res, de demander � d'autres pays de les approvisionner en utilisant les m�mes flexibilit�s, � leur place et pour leur compte. La n�gociation oppose, comme souvent, les tenants d'une interpr�tation stricte � ceux d'une interpr�tation large, avec pour points de discorde les pays �ligibles (fournisseurs et acheteurs), les maladies �ligibles (maladies infectieuses seulement ou autres), les risques de d�tournement, de trafic, etc. Diff�rentes tentatives de compromis, dont l'une provenant de l'Union europ�enne et tendant � faire participer l'Organisation mondiale de la sant� � la d�cision, ont fait long feu. Ces blocages sur des sujets majeurs ont " diffus� " vers les autres, notamment le plus important d'entre eux en termes d'enjeux �conomiques : les services. Alors que les discussions, malgr� des oppositions fortes, notamment sur l'ouverture de services publics comme la sant� ou l'�ducation, allaient progressant, plusieurs pays ont r�cemment fait savoir qu'en l'absence de progr�s substantiels sur l'agriculture, il n'y avait pas lieu d'acc�l�rer sur les services, pour lesquels les offres devaient �tre d�pos�es le 31 mars, date limite elle aussi d�pass�e. Sur le fond, l'examen des multiples offres d�pos�es ne fait pas appara�tre beaucoup de nouveaut�, les m�mes secteurs restant ouverts ou ferm�s. Tout au plus note-t-on une �volution r�cente des Etats-Unis vers une moindre ouverture en mati�re de services publics.
+Deux remarques en conclusion. De nombreuses propositions ont �t� faites depuis six mois : ce n'est donc pas la mati�re qui manque, mais la volont� politique qui fait d�faut, pour trouver un compromis. Ensuite, tout focaliser sur l'unique sujet de l'agriculture est de bonne guerre mais ne m�ne � rien : il faut explorer des voies plus ambitieuses.
+En d�pit de multiples d�clarations rassurantes, il est douteux qu'une telle n�gociation puisse s'affranchir du contexte mondial. Il est, en revanche, difficile d'estimer le poids de ce contexte.
+Ainsi, la guerre du Golfe de 1991 a interrompu le cycle de l'Uruguay pendant pr�s d'un an. Inversement, les attentats du 11 septembre 2001 et la r�plique des Etats-Unis en Afghanistan, en fragilisant d'un coup les structures de coop�ration internationale, ajoutant � l'imp�ratif d'�viter un second �chec deux ans apr�s celui de Seattle, ont �t� un �l�ment d�cisif du succ�s de Doha. Le dernier conflit en Irak pourrait donc avoir des effets contraires : accro�tre la paralysie tant que la situation du Proche-Orient ne sera pas stabilis�e, ou inciter au compromis pour �viter d'ajouter aux difficult�s de l'heure.
+Il en va de m�me au plan �conomique. " La guerre n'arr�te pas la mondialisation ", titrent certains journaux. Ce qui est � la fois vrai et faux. La mondialisation n'a pas eu besoin de la guerre pour ralentir : le commerce mondial stagne depuis 2000, les flux d'investissement baissent, et les voyages internationaux eux-m�mes ont diminu� sans que l'on puisse faire la part des risques politiques ou de la conjoncture, continuellement d�prim�e depuis l'explosion de la bulle financi�re en mars 2000. Si la guerre du Golfe de 1991 a pr�c�d� l'une des plus importantes p�riodes de croissance mondiale, il est difficile d'appr�cier a posteriori l'impact de cette croissance, tant sur la fin du cycle de l'Uruguay que sur le lancement du suivant.
+Est-il en effet plus facile de faire progresser un cycle de n�gociation dans une p�riode de stagnation (le compromis pourrait �tre facilit� par l'objectif commun de relance de la croissance par les �changes) ou dans une conjoncture �lev�e (le co�t des concessions �tant absorb� plus ais�ment) ? Les perspectives �conomiques imm�diates ne sont pas encourageantes, mais les arguments ci-dessus peuvent aussi se retourner ais�ment. Des �l�ments fortuits (nouvelle crispation en Asie et en Chine � cause de l'�pid�mie du SRAS qui commence � s'y r�pandre) ou plus structurels (remise en cause du consensus sur les bienfaits de l'�conomie de march� apr�s les scandales qui ont �branl� plusieurs entreprises aux Etats-Unis, ou la faillite de l'Argentine) peuvent aller aussi bien dans le sens du blocage que de la relance de la n�gociation.
+Les facteurs internes � la n�gociation sont les plus importants : ils d�pendent d'abord de l'objectif strat�gique du cycle, ensuite d'�l�ments propres au d�roulement des n�gociations. Comme son nom l'indique, le cycle de Doha est un cycle de d�veloppement. Il est incontestable que les PED ont une perception n�gative du cycle de l'Uruguay. Ce sentiment s'est en outre inscrit dans la critique g�n�rale du commerce comme moteur du d�veloppement, elle-m�me part du d�bat sur l'aide, l'annulation de la dette, la r�duction de moiti� de la pauvret� � l'�ch�ance de 2015.
+Le nombre et le poids relatif des PED s'accroissant continuellement au sein de l'OMC, il est assur� que le cycle n'aboutira pas sans concessions commerciales de substance des pays d�velopp�s dans les secteurs les plus sensibles que sont l'agriculture, le textile, les droits de douane, la propri�t� intellectuelle (dont le m�dicament), l'antidumping et les subventions. Or ces six sujets constituent, � peu de choses pr�s, ce qu'il est convenu d'appeler le cycle " acc�s au march� seulement ", qu'appellent de leurs v?ux un grand nombre de pays : Etats-Unis, groupe de Cairns et une bonne partie des PED. Le risque est donc clair, pour l'Union europ�enne notamment, de voir resurgir l'id�e d'un cycle �troit, donc court. Une autre inconnue demeure : celle du r�le de la Chine. Membre du club des (futurs) riches, ou champion des PED ? Probablement l'un ou l'autre, en fonction de ses int�r�ts : du c�t� des pauvres pour l'agriculture, le textile et l'antidumping ; du c�t� des riches pour la propri�t� intellectuelle, par exemple.
+Toute n�gociation poss�de une dynamique interne qui tient autant � des �l�ments de fond qu'� des facteurs circonstanciels : l'organisation, les relations avec les m�dias ou le r�le des organisations non gouvernementales (ONG) peuvent �tre essentiels dans l'�chec ou le succ�s de la conf�rence, comme l'ont montr� Seattle en 1999 ou Doha en 2001. Mais l'essentiel tient � des �l�ments objectifs. Comment se pr�sentent ces donn�es � trois mois de la r�union de Cancun ? La pr�paration para�t pour le moins difficile. Mais il est cependant trop t�t pour inf�rer du non-respect de plusieurs dates limites (mise en oeuvre, traitement sp�cial et diff�renci�, acc�s au m�dicament, agriculture) un �chec de la Conf�rence.
+L'heure de v�rit� sonnera avec l'�laboration du projet de d�claration des ministres, qui permettra de mesurer l'�tat des forces en pr�sence, la volont� politique d'aboutir dans les principales capitales, et le fonctionnement du moteur transatlantique qui, s'il n'est plus suffisant, est absolument n�cessaire pour la r�ussite de toute n�gociation � l'OMC.
+Or ce moteur ob�it lui-m�me � des cycles, et sa dynamique ne peut se transmettre � tous ses partenaires que si ces derniers ont la conviction que les deux acteurs principaux veulent minimiser leurs diff�rences et maximiser leurs points d'entente.
+Les diff�rends commerciaux entre les Etats-Unis et l'Union europ�enne ob�issent � des raisons techniques, mais surtout politiques. Techniquement, l'Organe de r�glement des diff�rends n'ajuste pas le rythme de ses d�cisions, en premi�re instance comme en appel, sur celui du cycle de Doha. Mais il d�pend des principaux int�ress�s de monter ces d�cisions en �pingle ou d'en r�duire l'impact. A ce jour, le nombre et l'importance des litiges entre les deux partenaires ne sont pas tr�s diff�rents de ce qu'ils �taient avant Doha. Celui concernant les FSC est de loin le plus important, ceux concernant les organismes g�n�tiquement modifi�s (OGM) ou l'a�ronautique restent � l'�tat de menaces r�currentes ; la d�cision r�cente concernant les mesures prot�geant la sid�rurgie am�ricaine est en appel.
+Maximiser les points d'entente (ou obtenir la neutralit� bienveillante de l'autre) est plus difficile. De ce point de vue, la phase pr�-Doha a �t� exemplaire : ouverture des Europ�ens en mati�re agricole, des Etats-Unis en mati�re d'antidumping, neutralit� sur investissement, concurrence et environnement. Aujourd'hui, les lignes de compromis sont moins �videntes mais existent, y compris sur les sujets les plus sensibles comme les mesures antidumping, l'agriculture ou les tarifs industriels. N�cessaire, l'entente euro-am�ricaine n'est cependant plus suffisante en raison du poids grandissant des autres acteurs, PED notamment. Leur r�le, � Cancun et au-del�, continuera de s'affirmer, et des compromis devront �tre trouv�s sur l'acc�s au m�dicament, la mise en oeuvre et le traitement sp�cial et diff�renci�, mais aussi sur la question des " modalit�s " autorisant ou non le lancement de n�go-ciations sur les quatre sujets de Singapour. Il serait surprenant � cet �gard que l'Inde abandonne sans contreparties substantielles le levier que lui a donn� le ministre qatari par son ultime d�claration � Doha en vue d'arracher le consensus. Un r�sultat positif sur le m�dicament, de r�elles d�cisions en mati�re de mise en oeuvre et de traitement sp�cial et diff�renci�, une reconnaissance au moins de principe d'une " sp�cificit� d�veloppement " en mati�re agricole, sont un minimum en de�� duquel il est vain d'esp�rer l'adh�sion des PED.
+Cr�er et entretenir la dynamique, telle est donc la question. Celle de Doha est retomb�e, celle de Cancun n'appara�t pas clairement. Les "mini-minist�rielles" l'illustrent � l'�vidence : outre qu'elles ont �chou�, elles contribuent par leur multiplication m�me � irriter ceux qui, PED en t�te, n'y sont pas convi�s. De m�me, l'accession d'un nouveau grand pays (Russie) semble s'�loigner, alors que celle de la Chine et de Taiwan, pourtant sans lien direct avec Doha puisqu'il n'y avait � ce moment-l� plus rien � n�gocier, avait entretenu une atmosph�re positive.
+Ces trop nombreuses incertitudes expliquent les interrogations sur les chances de succ�s de la conf�rence de Cancun. D'ores et d�j�, certains proposent de la reporter, ce qui, � n'en pas douter, serait un mauvais signal. Mais il n'est pas indispensable que la conf�rence de septembre soit la " revue � mi-parcours " annonc�e. L'important est qu'elle ne soit pas un �chec - au pire, un " non-�v�nement ", comme le sont apr�s tout beaucoup de r�unions d'organisations internationales. On �vitera donc de susciter des attentes excessives. De ce point de vue, le message du G-8, r�uni � Evian, aura d� �tre pes� avec pr�caution. Mais si la dynamique autour du projet de d�claration ne s'enclenche pas vers le 15 juillet au plus tard, la situation deviendra difficile car chacun comprendra que, faute de compromis pr�alable sur certains sujets importants, tous viendront en discussion � Cancun. Le risque d'un ordre du jour " croulant sous son propre poids " ne peut �tre exclu, ce qui relancerait bien entendu les appels � un cycle raccourci.
+Dans l'hypoth�se o� Cancun ne d�bloquerait pas les points les plus difficiles, se poserait la question des �tapes suivantes. L� aussi, les n�gociateurs sont pris dans un dilemme : s'accrocher � la date du 1er janvier 2005, fin th�orique du cycle, devient peu cr�dible � mesure que les blocages se multiplient, mais parler d'un report accro�t une d�mobilisation d�j� grande.
+Les questions de calendrier sont essentielles dans tous les cas : 2004 sera marqu�e par deux �ch�ances : l'int�gration, au 1er mai, de dix nouveaux membres dans l'Union europ�enne (avec d'�ventuelles cons�quences sur le mandat et l'activit� de la Commission), les �lections aux Etats-Unis en novembre. Beaucoup estiment que ces deux circonstances sont peu propices � de grandes impulsions du c�t� du " moteur transatlantique ". L'horizon 2005 est plus d�gag�, mais pr�sente pour l'OMC le m�me profil que 1999 : changement de directeur g�n�ral et r�union minist�rielle. Les Etats membres chercheront sans doute � �viter de renouveler la d�sastreuse s�quence d'�v�nements qui a paralys� la pr�paration de Seattle pendant presque la moiti� de 1999. Le risque est r�el, la d�signation du directeur g�n�ral devenant maintenant un enjeu politique majeur en d�pit d'un r�le juridiquement r�duit. La bonne " fen�tre de tir " pour boucler le cycle deviendrait donc 2006, un an avant un nouveau cycle d'�lections en Europe (dont la France en 2007).
+Ces perspectives ne sont pas forc�ment r�jouissantes : un d�calage de deux ans sur le calendrier initial ne serait certes pas dramatique en comparaison de la dur�e du pr�c�dent cycle. Il soulignera n�anmoins les faiblesses d'une organisation dont la nouveaut� aurait d� �tre un gage de dynamisme. Or, si l'on consid�re que la premi�re t�che d'un forum de n�gociation comme l'OMC est de " produire " des accords commerciaux multilat�raux, force est de constater qu'� ce jour aucun grand accord n'est sorti de l'OMC, depuis huit ans qu'elle existe. Des voix ne manqueront pas de souligner ce fait, notamment au Congr�s des Etats-Unis, toujours tr�s vigilant sur la " pertinence " des organisations internationales.
+M�me s'il ne faut pas exag�rer la port�e de ce type de critiques (ou les risques de voir les Etats-Unis se mettre en cong� de l'OMC), il n'en demeure pas moins qu'elles ajoutent au cr�dit des solutions alternatives, dont les accords r�gionaux sont le principal exemple. Les Etats-Unis ont toujours jou� sur les deux tableaux, poussant successivement ou simultan�ment les deux strat�gies en fonction de leurs int�r�ts. On assiste en ce moment � un regain d'activit� sur ce front (accords avec le Chili, n�gociations avec l'Am�rique centrale et le Maroc, pour ne citer que les initiatives les plus r�centes). L'Union europ�enne n'est pas en reste, et l'Asie, depuis le changement de position du Japon en 1998 et la mont�e en puissance de la Chine, devient l'un des gisements les plus actifs d'accords r�gionaux. Or, m�me si l'on affirme � l'envi que ces types d'accords, � condition d'�tre compatibles avec les principes de l'OMC, sont un marchepied vers le multilat�ralisme pour de nombreux Etats, ils n'en constituent pas moins une menace, certes latente mais non moins r�elle, pour le syst�me multilat�ral. Ils ne sont pratiquement jamais conformes aux principes de base de l'OMC (car ils ne couvrent pas l'essentiel des �changes) et cr�ent des compartiments dans le commerce mondial qui peuvent d�river en blocs commerciaux hostiles en cas d'�v�nement ext�rieur impr�vu (forte r�cession, crise financi�re majeure). Il n'en est donc que plus imp�ratif de contr�ler leur prolif�ration et, � ce jour, il n'y a pas de meilleur antidote � cet �gard que la r�ussite du cycle de Doha.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+La mondialisation est souvent per�ue comme une force anonyme qui impose de l'ext�rieur des changements aux diff�rents pays. L'ouverture croissante au commerce et aux flux de capitaux r�sulte pourtant de choix des gouvernements, des pays riches, mais aussi plus r�cemment des pays pauvres, qui ont cherch� � b�n�ficier des opportunit�s de l'int�gration au sein de plus vastes espaces �conomiques. La mondialisation appartient � la dynamique des �conomies modernes, o� l'innovation et les besoins en mati�re de gestion des risques incitent les gouvernements � promouvoir l'extension du recours aux solutions de march�. Le bilan de deux d�cennies de mondialisation montre que ses effets sont filtr�s par le contexte national, qui refl�te lui-m�me les pr�f�rences collectives. Les politiques nationales conservent donc un r�le fondamental pour catalyser les effets positifs de la mondialisation, comme pour anticiper et corriger ses effets n�gatifs. C'est ce que montrent notamment l'analyse de la r�duction de la pauvret� dans le monde et l'�volution des in�galit�s dans les pays industrialis�s.
+D�s les ann�es 1970, les multinationales ont cherch� � mieux int�grer leurs activit�s � l'�chelle mondiale. Elles sont ainsi devenues des partisans et des acteurs centraux de la mondialisation, cette intensification des �changes de biens, de services, de capitaux, de personnes et d'id�es qui caract�rise les deux derni�res d�cennies. Les opposants � la "mondialisation lib�rale " partagent avec certains de ses partisans la perception d'un monde en voie d'int�gration rapide au sein d'un vaste march� o� les gouvernements ne pourraient plus mener de politiques nationales souveraines, notamment en mati�re de protection sociale. L'attitude des gouvernements eux-m�mes a vari� selon les pays, mais certains ont utilis� la mondialisation comme un bouc �missaire face aux difficult�s �conomiques, ce qui a renforc� l'id�e selon laquelle ils seraient devenus impuissants.
+La d�signation de la mondialisation comme bouc �missaire est une attitude qui s'est particuli�rement d�velopp�e en France, o� les dirigeants ont favoris� l'ouverture de l'�conomie sans expliquer ce choix, voire en le cachant. Ils ont promu la poursuite de l'int�gration europ�enne et d�plor� les orientations lib�rales de Bruxelles dans divers domaines, ouvert plus largement l'�conomie aux �changes internationaux et invoqu� la concurrence �trang�re pour expliquer la persistance d'un ch�mage �lev�. La place prise par la taxe Tobin dans le d�bat public au cours des ann�es 1990 illustre bien cette schizophr�nie fran�aise. Certains dirigeants ont consid�r� qu'une telle taxe contribuerait � " ma�triser la globalisation financi�re ", tout en la jugeant irr�aliste.
+La perception d'un r�le passif des gouvernements, qui subiraient l'ouverture aux �changes et ne pourraient plus mener des politiques �conomiques, sociales et culturelles nationales, ne r�siste pas � l'analyse de la dynamique de la mondialisation et de ses effets. Cet article montre que l'ouverture aux �changes internationaux peut au contraire �tre interpr�t�e comme un �largissement des possibilit�s offertes aux �conomies nationales et comme une r�ponse aux difficult�s rencontr�es par de nombreux pays dans les ann�es 1970 et 1980. C'est d'ailleurs pourquoi les gouvernements des pays industrialis�s et des pays en d�veloppement ont, progressivement et � des degr�s variables, opt� pour davantage d'ouverture.
+Le bilan de deux d�cennies de mondialisation, � travers l'�volution de la pauvret� dans le monde et la question des in�galit�s dans les pays riches, montre que les contextes nationaux filtrent les effets de la mondialisation. L'article souligne ainsi que les politiques publiques sont essentielles pour catalyser les effets positifs de la mondialisation, comme pour anticiper et corriger ses effets n�gatifs. Et la question de la gouvernance globale, certes fondamentale pour promouvoir une mondialisation de meilleure qualit�, ne doit pas masquer le r�le des politiques nationales.
+La mondialisation est trop souvent per�ue comme une force anonyme qui impose de l'ext�rieur des changements aux diff�rents pays. L'ouverture croissante aux �changes r�sulte pourtant de choix de la part des gouvernements, qui ont cherch� � b�n�ficier des opportunit�s de l'int�gration au sein de plus vastes espaces �conomiques. L'ouverture aux �changes a progress� en fonction des politiques nationales, ce qui explique l'h�t�rog�n�it� des degr�s d'ouverture des pays et des secteurs d'activit�.
+Sch�matiquement, l'int�gration des march�s de biens, de services et de capitaux r�sulte d'une dynamique de r�duction de la distance �conomique, qui s'exprime par le co�t de l'�change ou de l'organisation d'activit�s productives � l'�chelle internationale. Celui-ci se compose de co�ts " techniques ", de transport et de communication d'une part, et de co�ts d'acc�s au march�, d'autre part, qui varient en fonction des r�glementations. La r�duction de la distance �conomique r�sulte donc � la fois des �volutions techniques et des �volutions r�glementaires qui d�terminent le degr� d'ouverture des �conomies.
+Le processus de lib�ralisation commerciale multilat�ral mis en place apr�s la Seconde Guerre mondiale sous l'�gide du GATT s'est d'abord concentr� sur les barri�res aux �changes internationaux, telles que les droits de douane ou les quotas d'importations. A mesure que ces barri�res ont �t� r�duites, la poursuite du processus d'int�gration a rencontr� les obstacles que repr�sentaient les r�glementations nationales des march�s (normes, r�gles prudentielles...). La question des r�glementations nationales de l'exercice d'une activit� est centrale dans les services, dont l'ouverture � la concurrence internationale n'a �t� abord�e qu'� partir des ann�es 1980.
+L'exp�rience de l'int�gration europ�enne illustre clairement l'importance des r�glementations nationales et souligne la vari�t� des barri�res � l'int�gration "profonde" des �conomies. Dans les ann�es 1980, l'Europe a ainsi con�u le projet du March� unique pour achever l'int�gration en �liminant les barri�res � la circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes qui persistaient au sein du March� commun. Apr�s l'adoption de quelque 200 textes permettant l'harmonisation ou la reconnaissance mutuelle des r�gles des Etats membres, le March� unique a �t� proclam� le 1er janvier 1993; dix ans plus tard, certaines de ses composantes restent pourtant � mettre en oeuvre.
+Le projet du March� unique illustre aussi l'interaction entre l'ouverture aux �changes et la d�r�glementation interne, poursuivie par de nombreux gouvernements depuis la fin des ann�es 1970. Dans diff�rents pays, la d�r�glementation a �t� engag�e pour faire �voluer le cadre dans lequel les entreprises exer�aient leur activit� dans les secteurs o� les progr�s technologiques bouleversaient les conditions de production et offraient de nouvelles opportunit�s. Le processus a ainsi touch�, avec des calendriers divers selon les pays, les transports, les t�l�communications et le secteur financier. Le projet de March� unique, qui a combin� d�r�glementation et int�gration � l'�chelle europ�enne, a �t� suscit� par les difficult�s �conomiques que rencontraient les pays europ�ens au d�but des ann�es 1980. Ses promoteurs y voyaient un moyen d'accro�tre l'efficacit� des �conomies europ�ennes et de relancer une croissance languissante en stimulant la concurrence et l'innovation au sein d'un espace �conomique mieux int�gr�.
+L'histoire de l'int�gration des march�s financiers souligne �galement le r�le des d�cisions des pouvoirs publics et les interactions entre politiques nationales et d�cisions d'ouverture. L'accroissement des flux internationaux de capitaux � la fin du XIXe si�cle a co�ncid� avec l'�re de l'�talon-or, et donc de changes fixes, qui impliquait le renoncement, pour de nombreux pays, � mettre la politique mon�taire au service d'objectifs internes. A l'inverse, la sortie du syst�me de Bretton Woods dans les ann�es 1970 et l'abandon des changes fixes par de nombreux pays s'expliquent par leur volont� de retrouver une plus grande flexibilit�, � travers le recours aux march�s financiers internationaux, et de maintenir leur capacit� de mener des politiques mon�taires actives, notamment pour combattre l'inflation. Dans les ann�es 1980, certains gouvernements ont cherch� � avoir un acc�s aux march�s financiers pour financer leur dette dans de meilleures conditions, ce qui a pes� en faveur de la lib�ralisation. Par la suite, les innovations financi�res et le d�veloppement de nouveaux types de titres ont �t� de puissants facteurs d'expansion des march�s financiers, de plus en plus utilis�s par les entreprises et les particuliers. Dans la p�riode actuelle, les besoins d'�pargne de la population vieillissante des soci�t�s industrialis�es justifient en partie le recours accru aux march�s financiers. Enfin, les crises bancaires, notamment au Japon, ont soulign� l'importance des risques syst�miques dans les pays o� le financement des entreprises d�pend trop fortement de l'endettement bancaire.
+Le choix de l'ouverture, au commerce comme aux flux de capitaux, s'explique ainsi dans le contexte du d�veloppement des �conomies modernes, o� l'innovation et les besoins en mati�re de gestion des risques incitent les gouvernements � promouvoir l'extension du recours aux solutions de march�. Mondialisation et d�r�glementation appartiennent � une m�me dynamique, qui voit �merger l'�conomie du savoir. Il s'agit notamment d'exploiter les avanc�es spectaculaires en mati�re de co�t de communication et de traitement de l'information, non seulement dans les industries manufacturi�res, mais aussi dans les services, qui repr�sentent une part croissante de l'activit� des �conomies modernes.
+Apr�s la Seconde Guerre mondiale, le processus d'ouverture avait d'abord concern� les march�s des pays industrialis�s, les pays en d�veloppement (PED) qui participaient aux n�gociations multilat�rales �tant autoris�s � conserver des niveaux de protection plus �lev�s. Par ailleurs, de nombreux PED appliqu�rent longtemps, diverses restrictions aux investissements directs �trangers. Apr�s des d�cennies de scepticisme, voire d'hostilit�, vis-�-vis des multinationales, les PED ont largement modifi� leur attitude dans le cadre de la r�orientation des politiques de d�veloppement engag�e par de nombreux pays depuis les ann�es 1980. Les multinationales sont d�sormais consid�r�es comme des �l�ments des strat�gies d'ouverture, qui doivent notamment favoriser les transferts de technologie.
+La figure 1 souligne que les pays riches ont �t� plus ouverts au commerce que les pays pauvres jusque dans les ann�es 1980, mais que les seconds sont devenus plus ouverts dans les ann�es 1990. L'ouverture des pays industrialis�s a progress� dans la d�cennie des chocs p�troliers, durant laquelle la valeur des importations de mati�res premi�res a fortement augment�. Le degr� d'ouverture a ensuite r�gress�, avant d'atteindre un nouveau point haut au d�but des ann�es 2000, notamment du fait de la croissance des �changes avec la Chine, les pays de la transition (pour l'Union europ�enne) et le Mexique (pour les Etats-Unis). L'ouverture des grands pays industrialis�s reste cependant mod�r�e, notamment si l'on exclut les �changes intrar�gionaux pour l'Union europ�enne.
+Le processus de mondialisation s'est amplifi� dans les ann�es 1990 avec l'ouverture aux �changes des pays en transition et la r�vision des politiques des PED � l'�gard des investissements �trangers. Ces politiques ont permis d'attirer des investissements �trangers et ont renforc� l'int�gration de certains PED dans les r�seaux internationaux de production et de distribution. Le cas de la Chine est embl�matique de ces �volutions, mais d'autres pays ont aussi accru leur insertion dans les courants d'investissement et d'�changes.
+Le dynamisme des flux d'investissements directs � l'�tranger (IDE) et le d�veloppement des multinationales caract�risent la p�riode actuelle de mondialisation. Le tableau 1 souligne qu'il existe n�anmoins une diff�rence sensible entre la d�cennie 1980 et la d�cennie 1990 durant laquelle l'ouverture des PED aux investissements �trangers a augment� plus fortement que celle des pays industrialis�s. Il indique aussi que le degr� d'ouverture aux investissements �trangers varie sensiblement d'un pays � l'autre. L'IDE vers les PED est concentr� sur un petit nombre d'entre eux, au premier rang desquels la Chine, qui est devenue la premi�re destination des flux d'IDE mondiaux en 2002, devant les Etats-Unis. Cette concentration refl�te cependant en partie la taille �conomique relative de ces pays, comme le montre l'indicateur de performance (tableau 1).
+Au d�but du XXIe si�cle, si les pays riches sont toujours les principaux acteurs des �changes internationaux, de nombreux pays pauvres ont d�cid� de s'ouvrir aux �changes commerciaux et aux investissements directs. Globalement, ceux-ci restent tr�s prot�g�s, m�me s'ils ont accru leur participation au processus multilat�ral de lib�ralisation et divis� par deux leur protection tarifaire moyenne depuis les ann�es 1980. Mais certains pays tr�s pauvres, notamment en Afrique, restent encore � l'�cart des �changes internationaux.
+Ainsi, la mondialisation a port� l'int�gration des diff�rents march�s � des niveaux historiquement �lev�s, mais le processus est fragment�, incomplet et discontinu. Une conception monolithique de la mondialisation risque ainsi de masquer son ampleur et sa signification r�elles.
+Non seulement l'ampleur de la mondialisation d�pend en partie des d�cisions des gouvernements, mais ses effets sont " filtr�s " par le contexte national, et en particulier par les institutions et les politiques �conomiques. En cons�quence, les politiques nationales jouent un r�le fondamental dans l'influence, positive ou n�gative, que la mondialisation peut exercer sur une �conomie. Cette seconde partie illustre le r�le central des institutions et des politiques nationales � travers deux th�mes fondamentaux dans les d�bats sur la mondialisation : l'extr�me pauvret� dans les PED, et les in�galit�s dans les pays riches.
+Depuis les d�buts de l'industrialisation, la part de la population mondiale qui vit dans la pauvret� absolue diminue. A mesure que certains pays ont connu un processus de d�veloppement, cette part s'est r�duite, mais l'�cart s'est creus� entre les pays qui s'industrialisaient et les autres. L'accroissement de l'in�galit� de revenu entre individus vivant dans des pays diff�rents a ainsi �t� particuli�rement rapide au cours du XIXe si�cle et s'est poursuivi jusqu'aux ann�es 1970. Depuis les ann�es 1980, l'�cart de revenu entre le groupe des pays industrialis�s et les PED tend au contraire � se r�duire. Le tableau 2 distingue plusieurs groupes de fa�on � expliquer l'assertion souvent r�p�t�e selon laquelle l'�cart de revenus " entre les riches et les pauvres " s'accro�trait. L'�cart de revenu s'accro�t entre deux groupes limit�s, les pays les plus riches et les pays les plus pauvres. En revanche, la croissance d'un certain nombre de pays pauvres depuis les ann�es 1980 leur permet de r�duire l'�cart de revenu avec les pays industrialis�s. Le cas de la Chine est particuli�rement remarquable de ce point de vue, mais d'autres pays tr�s peupl�s, comme l'Indon�sie ou l'Inde, enregistrent aussi une r�duction de l'�cart avec les pays riches. Le tableau distingue en outre le cas des Etats-Unis, pays riche qui a connu une p�riode de croissance forte dans les ann�es 1990 - et a accru l'�cart avec de tr�s nombreux pays, y compris europ�ens.
+Depuis les ann�es 1980, la r�duction de l'in�galit� internationale s'explique notamment par la diminution de la part de la population mondiale vivant dans l'extr�me pauvret�. Si cette tendance fait consensus, l'�valuation du niveau de la pauvret� absolue varie selon les �tudes. Selon la Banque mondiale, 25% de la population mondiale vivait avec moins de 1 dollar par jour � la fin des ann�es 1990, alors que d'autres �tudes estiment que la pauvret� absolue ne touchait que 10% � 15% de la population. L'objectif de d�veloppement du mill�naire d'un taux de pauvret� inf�rieur � 15% serait ainsi d�j� atteint, alors que, selon la Banque mondiale, il ne le sera qu'un peu avant 2015, date �tablie par l'Organisation des Nations unies. Malgr� ces incertitudes statistiques, les diff�rentes estimations indiquent que nous connaissons une r�duction historique de la pauvret� dans le monde. A la fin du XXe si�cle, cette r�duction s'est accompagn�e d'une am�lioration des indicateurs de d�veloppement humain dans les pays pauvres, et notamment d'un accroissement de l'esp�rance de vie. Cette tendance est cependant menac�e dans les pays d'Afrique les plus touch�s par le sida.
+La p�riode de mondialisation co�ncide donc avec une r�duction de la pauvret� absolue et de l'�cart de revenu entre pays riches et certains pays en d�veloppement. Cette �volution favorable, souvent mal per�ue, doit �tre soulign�e, car elle signifie que de nouveaux pays s'engagent sur des trajectoires de d�veloppement et qu'il est possible de sortir de la pauvret�. La question centrale devient alors celle des politiques qui favorisent l'engagement d'un processus de croissance durable. De nombreuses analyses sugg�rent que la participation aux �changes internationaux contribue � la croissance et � la r�duction de la pauvret�. Certains pays africains pourraient ainsi souffrir de leur insertion insuffisante dans la mondialisation. L'analyse des interactions entre d�veloppement et croissance ne permet cependant pas de pr�coniser des solutions simples, comme un accroissement de l'ouverture, sans politiques d'accompagnement. En effet, seuls les pays qui remplissent certaines conditions en mati�re de formation ou de structures institutionnelles sont en mesure de tirer parti de l'ouverture au commerce et aux IDE. Par ailleurs, les multinationales tendent � investir dans des pays qui disposent d�j� de certaines infrastructures et dont les institutions garantissent un bon fonctionnement des op�-rations productives. Leur souci de disposer d'une main-d'oeuvre certes bon march�, mais aussi productive, explique notamment qu'elles ne cherchent pas � �viter les pays qui respectent les droits fondamentaux des travailleurs.
+Depuis les ann�es 1980, les in�galit�s internes ont augment� dans certains PED et dans de nombreux pays industrialis�s. Dans ces derniers, le progr�s technique a �t� la cause principale de l'accroissement des �carts de revenus ; mais l'intensification de la concurrence que la mondialisation entra�ne sur la plupart des march�s a amplifi� le ph�nom�ne. Les deux tendances ont notamment incit� les entreprises � renforcer leur capacit� d'innovation, ce qui a accru la demande pour le travail qualifi� au d�triment du travail non qualifi�.
+Les cons�quences pour les travailleurs non qualifi�s ont vari� en fonction des caract�ristiques du march� du travail d'une part, et des politiques de redistribution de l'autre. Aux Etats-Unis, les travailleurs les moins qualifi�s ont subi une pression � la baisse de leurs r�mun�rations, alors qu'en Europe les r�glementations du march� du travail ont prot�g� les salaires. Les travailleurs peu qualifi�s et les jeunes sont, en revanche, particuli�rement touch�s par l'accroissement du ch�mage. A travers des m�canismes diff�rents, la dynamique des �conomies contemporaines a engendr� un accroissement des in�galit�s de march� entre les travailleurs. Cette tendance a �t� particuli�rement marqu�e dans certains cas, comme aux Etats-Unis dans les ann�es 1980, quand les entreprises connaissaient une p�riode de restructuration drastique, notamment pour faire face � la concurrence japonaise.
+Les politiques de redistribution ont permis de contrecarrer la tendance � l'accroissement des in�galit�s de march�. Les comparaisons internationales soulignent le caract�re plus ou moins redistributif des politiques nationales et la diversit� des choix en mati�re d'instruments de redistribution (minima sociaux, fiscalit�...). Dans certains pays europ�ens et au Canada, les m�canismes de redistribution ont permis de compenser tr�s largement l'accroissement des in�galit�s de march�. L'�volution des in�galit�s dans les pays industrialis�s depuis une vingtaine d'ann�es illustre donc la persistance des sp�cificit�s nationales � la fois en mati�re de fonctionnement des march�s du travail et de redistribution. Ces diff�rences de politiques publiques r�pondent en partie � des pr�f�rences collectives nationales. Ainsi, de nombreux sondages montrent que les Am�ricains, y compris les pauvres, sont moins sensibles aux in�galit�s que les Europ�ens.
+Depuis la Seconde Guerre mondiale, le " capitalisme de la protection sociale " a facilit� l'�volution des structures industrielles et l'approfondissement de la sp�cialisation internationale. A un niveau tr�s g�n�ral, il existe d'ailleurs une relation positive entre le degr� d'ouverture des pays et l'importance des d�penses publiques. Dans la p�riode r�cente, la redistribution a jou� un r�le important pour am�liorer le sort des " perdants " de la mondialisation que sont les personnels les moins qualifi�s. Si cette strat�gie semble ne plus fonctionner, ce n'est pas d'abord � cause des contraintes impos�es par la mondialisation, mais, plus fondamentalement, parce que les risques que doit couvrir la protection sociale ont chang�. L'�conomie du savoir dans laquelle le monde est entr� demande plus de personnels qualifi�s, mais g�n�re aussi des emplois de service peu qualifi�s et peu r�mun�r�s. La rapidit� des �volutions technologiques dans un contexte de concurrence accrue impose aussi un rythme de changement �lev� aux entreprises et aux salari�s. Par ailleurs, les �volutions sociologiques accroissent les risques de dislocation des familles, et l'on sait que les enfants pauvres vivent souvent dans des familles monoparentales dont le revenu repose sur la r�mun�ration d'un seul adulte.
+Dans ce contexte, la lutte contre le ch�mage passe notamment par la promotion de la mobilit� des personnels, y compris les moins qualifi�s. Au-del�, il s'agit de promouvoir l'�gal acc�s � diverses opportunit�s et l'assurance - pour ceux qui se retrouvent dans des emplois faiblement r�mun�r�s - de pouvoir �voluer, plut�t que de poursuivre des efforts de redistribution des revenus au sens traditionnel. Ces �volutions impliquent des r�formes dans le domaine de la formation, mais aussi en ce qui concerne le march� du travail ou les services publics, notamment pour am�liorer l'accueil des jeunes enfants et l'acc�s � l'emploi des femmes.
+La mondialisation est un processus h�t�rog�ne, in�gal selon les secteurs, et dont certains pays restent largement exclus. Il peut �tre mis au service de la croissance et du d�veloppement �conomique, � condition d'�tre encadr� par des principes et des institutions de gouvernance globale, et aussi d'�tre promu par les gouvernements nationaux.
+Les r�actions contre la mondialisation � la fin des ann�es 1990 ont soulign� le caract�re incomplet des institutions de gouvernance globale (notamment en mati�re d'environnement), et le manque de transparence et d'ouverture des institutions �conomiques internationales. L'une des voies d'�volution consiste � accro�tre la transparence de ces institutions et la possibilit� pour certains repr�sentants de la soci�t� civile d'exprimer leurs pr�occupations au cours des processus de d�cision. Cette �volution est d�sormais amorc�e et doit �tre poursuivie. Au-del�, la gouvernance globale suppose � la fois de nouvelles institutions et une meilleure articulation entre certaines institutions existantes. Mais les politiques nationales sont tout aussi fondamentales pour soutenir le mouvement d'ouverture et promouvoir ses cons�quences positives. La r�flexion sur la gouvernance globale risquerait d'�tre une fuite en avant si elle se substituait � la r�flexion sur les politiques nationales.
+L'un des enjeux de l'actuel cycle de n�gociations commerciales multilat�rales est de mieux int�grer les PED dans les �changes en leur assurant un meilleur acc�s aux march�s des pays industrialis�s, notamment pour les produits agricoles et textiles. L'ouverture des march�s des pays du Sud est aussi un enjeu important pour les �changes Nord-Sud et Sud-Sud. Or, les �volutions souhaitables ne se produiront pas si les politiques nationales rendent l'ouverture trop co�teuse pour certaines cat�gories, notamment les travailleurs les moins qualifi�s dans les pays riches. Comme tout choix de politique �conomique, l'engagement dans la mondialisation a ses contraintes. Pour les pays industrialis�s aujourd'hui, le d�fi est celui de l'acc�l�ration des r�formes �conomiques et sociales. Ces r�formes sont un moyen de tirer parti � la fois de la mondialisation et du progr�s technologique, et de mieux r�pondre � l'�volution des aspirations individuelles dans les soci�t�s modernes. Le rythme et le d�tail des r�formes souhaitables, qu'elles concernent le march� du travail, le syst�me d'enseignement, la capacit� d'innovation ou le gouvernement d'entreprise, d�pendent des contextes nationaux. Les comparaisons nationales des institutions et des politiques publiques sont certes devenues syst�matiques dans le contexte de la mondialisation, mais elles n'am�nent pas � recommander l'adoption des institutions et des pratiques am�ricaines. La diversit� des contextes nationaux et la richesse des enseignements des comparaisons internationales sugg�rent ainsi qu'il est possible de r�former et de conserver une certaine diversit� des syst�mes capitalistes.
+La mondialisation rend certains facteurs de production, et notamment le capital, plus mobiles. Cette plus grande mobilit� du capital, comme celle des cadres, n'a pas lanc� une "course au moins-disant social ". Elle a en revanche accru la capacit� de choix de certains acteurs �conomiques, qui comparent non seulement les taux d'imposition, mais aussi les offres nationales en mati�re de services publics, d'infrastructures ou de formation des personnels locaux. Dans cette mesure, la mondialisation tend � accro�tre l'�cart entre les pays qui ont une bonne gestion publique et ceux qui souffrent de probl�mes majeurs en la mati�re, quel que soit leur niveau de richesse. La mondialisation n'emp�che pas les pays d'exprimer des pr�f�rences collectives, que ce soit en mati�re de protection sociale, de promotion de la cr�ation culturelle nationale ou de maintien des agriculteurs � la terre. Elle impose en revanche, comme le montrent les d�bats sur les politiques agricoles ou la diversit� culturelle, une plus grande transparence et une plus grande rigueur dans l'�laboration des mesures qui visent � mettre en oeuvre ces choix.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le Centre fran�ais sur les Etats-Unis (CFE)
+Article publi� dans Commentaire No 100, Hiver 2002 - 2003
+Depuis la fin de la guerre froide, le d�bat entre sp�cialistes des relations transatlantiques s'est trop souvent content� d'osciller entre les bons sentiments et la simplification. Il ne s'est pas suffisamment port� sur l'ampleur des changements de fond rendus in�vitables par le changement de syst�me international produit par l'effondrement du r�gime sovi�tique. La premi�re tendance, parfois marqu�e par une frilosit� nourrie par la crainte de remettre en cause l'�difice institutionnel issu de la guerre froide, s'est exprim�e le plus souvent sous la forme de satisfecits donn�s � l'Alliance atlantique pour ses progr�s suppos�s en mati�re d'adaptation aux conditions de l'apr�s-guerre froide, et parfois sous la forme plus dynamique de projets d'�largissement, g�ographique et fonctionnel de l'OTAN et de l'Union europ�enne. Les travaux de la Rand Corporation, et en particulier ceux de Larabbee, Asmus, Gompert et Kugler, avaient ainsi contribu� en leur temps � lancer le d�bat sur l'�largissement de l'OTAN � trois pays qui a finalement abouti en 1999.
+Plus r�cemment, la discussion s'�tait port�e sur un �loignement suppos� des valeurs sociales entre les deux rives de l'Atlantique, auquel les �v�nements du 11 septembre 2001 ont au moins provisoirement mis fin. Ce d�bat se poursuit, mais il est maintenant limit� � la sph�re de l'analyse sociale. En termes de politique �trang�re, cette discussion sur la d�rive des continents a pris la forme d'une opposition entre l'unilat�ralisme de la politique am�ricaine et le multilat�ralisme de leurs partenaires europ�ens.
+Le moindre m�rite de l'article de Robert Kagan, dont Commentaire a publi� la version fran�aise, n'est pas de sortir le d�bat de cette orni�re. L'opposition entre multilat�ralisme et unilat�ralisme ne repr�sente en effet qu'une cons�quence, alors que les causes de la diff�rence d'attitudes entre les �tats-Unis et l'Europe � l'�gard du syst�me international sont plus profondes. Outre que nulle politique aujourd'hui n'est purement unilat�rale ou purement multilat�rale, la divergence sur l'unilat�ralisme et le multilat�ralisme ne porte que sur les moyens employ�s pour mener une politique �trang�re. Or il est clair que les Europ�ens et les Am�ricains ne divergeraient pas sur les moyens si leurs visions du syst�me international, et des directions que celui-ci doit prendre � l'avenir, n'�taient pas diff�rentes. Plut�t que de concentrer l'analyse sur les manifestations de cette divergence transatlantique, c'est-�-dire sur un sympt�me, il fallait revenir aux causes de cette d�rive, et le plus grand apport de Kagan est d'avoir plac� le d�bat sur un terrain plus utile, celui des visions divergentes de la soci�t� internationale qui dominent les esprits de part et d'autre de l'Atlantique. Il y fallait un certain courage.
+Par voie de cons�quence, l'article de Kagan a rendu une nouvelle vigueur au d�bat transatlantique. Aux �tats-Unis, les questions europ�ennes �taient depuis quelques ann�es consid�r�es comme un peu ennuyeuses : l'Europe avait pour l'essentiel �t� d�barrass�e de ses probl�mes de s�curit�, et elle avait montr� dans les Balkans qu'elle avait besoin des �tats-Unis pour les r�gler, m�me quand il s'agissait d'affaires r�gionales d'ampleur limit�e. Le d�bat sur l'OTAN et sur la construction europ�enne, leurs r�les, leurs �largissements, leurs structures, suscitait chez beaucoup des b�illements d'ennui � peine dissimul�s. Ajout�e � l'euroscl�rose dont le Vieux Continent aurait �t� la victime, cette constatation faisait de l'Europe un objet d'�tude et de r�flexion peu int�ressant. Le fait que les �tudes europ�ennes aux �tats-Unis aient beaucoup souffert sur le plan financier, parce qu'elles int�ressent moins les fondations que pendant la guerre froide, s'explique en partie par le sentiment r�pandu qu'il n'y a pas grand-chose de neuf � dire � propos de l'Europe. Qu'un tel jugement sous-estime, parfois par le m�pris, les changements notables intervenus en Europe depuis douze ans n'enl�ve rien au fait qu'il est largement r�pandu aux �tats-Unis. Sans les efforts du German Marshall Fund of the United States, les recherches s�rieuses en mati�re europ�enne et transatlantique aux �tats-Unis se seraient probablement taries. Le d�bat transatlantique �tait en effet devenu pour beaucoup d'Am�ricains influents un d�bat en trompe-l'?il, dissimulant les questions r�elles sous les poncifs et les bons sentiments, et faisant la part trop belle � des consid�rations institutionnelles contraires � l'approche pragmatique qui doit pr�sider, pour la plupart des Am�ricains, � la solution des probl�mes concrets.
+Robert Kagan rompt avec cette approche timor�e et formaliste, sans pour autant tomber dans les exc�s ni dans l'analyse ni dans le diagnostic dont sont souvent coutumiers certains de ses amis n�oconservateurs. Il ne s'agit pas pour lui de r�diger un tract unilat�raliste comme on en voit sortir fr�quemment des think tanks de la droite n�oconservatrice comme la Heritage Foundation ou l'American Enterprise Institute. De son fait, l'Europe redevient objet digne de discussions et d'�tudes dans la " communaut� de politique �trang�re " am�ricaine.
+� cette prise de conscience n�cessaire dont il est la cause, correspond cependant une responsabilit�. Sa th�se, par le succ�s qu'elle rencontre, peut en effet avoir une influence r�elle sur le jugement port� sur l'Europe par beaucoup d'Am�ricains. Pr�cis�ment parce qu'elle a �t� " cisel�e " de fa�on � �tre applicable ais�ment en apparence � de nombreuses situations concr�tes, la vision de Kagan devrait �tre reprise et utilis�e � toutes les sauces, y compris certaines dont le fumet sera trop fort ou trop peu subtil pour l'auteur lui-m�me, par les experts, les journalistes, les staffers du Congr�s et jusque dans l'Administration. On en voit d�j� les effets dans l'affaire irakienne, o� beaucoup d'Am�ricains ont cru pouvoir d�celer une attitude " europ�enne " pacifiste dans les positions fran�aises, pourtant inspir�es du souci r�el du d�sarmement de Saddam Hussein et d'une disposition � utiliser la force en derni�re extr�mit�, comme dans les positions allemandes.
+Les modes sont tellement puissantes dans le milieu politique am�ricain au sens large du terme qu'il est in�vitable que l'article de Kagan ait un effet allant probablement au-del� de ce que souhaitait l'auteur. Quant aux Europ�ens, ils se complaisent si volontiers dans la lamentation sur les faiblesses de l'Europe qu'ils sont souvent pr�ts eux aussi � adopter la th�se de Kagan sans les n�cessaires r�serves. Il ne s'agit pas ici de lui faire grief des d�bordements �ventuels dus au succ�s de ses id�es, mais d'�viter que le d�bat ne se place sur un terrain artificiel sous l'effet de la facilit�. De part et d'autre de l'Atlantique, cet article arrive � point nomm�, mais son �cho m�me en fait un �l�ment � certains �gards dangereux parce que simplificateur.
+C'est ici que le b�t blesse. Le d�faut principal de l'argument de Kagan est en effet qu'il grossit parfois le trait pour rendre sa d�monstration plus frappante. Cela porte son propos � confiner parfois � la caricature. D'une part il d�crit en effet les �tats-Unis tels qu'il souhaiterait peut-�tre qu'ils se comportent sur la sc�ne internationale, faisant fi de d�veloppements qui ne donnent pas pr�cis�ment � la politique am�ricaine un tour " martial ". En second lieu, il manifeste une propension excessive, peut-�tre due au fait qu'il habite maintenant � Bruxelles et voit l'Europe � travers un prisme excessivement communautaire, � couvrir d'une teinte bruxelloise unique une r�alit� europ�enne beaucoup plus complexe et � de nombreux �gards moins " v�nusienne " que sa description ne le laisserait entendre. Dans les deux cas, l'interpr�tation de la nature de la relation avec la puissance internationale est beaucoup plus complexe que ce qu'indique Kagan.
+L'argument est incontestable selon lequel les diff�rences d'attitudes entre Europ�ens et Am�ricains sont largement conditionn�es par le contraste structurel entre les �l�ments de puissance d�tenus par les �tats-Unis et ceux dont disposent les pays europ�ens. Il est m�me � vrai dire de simple bon sens. La primaut� am�ricaine dans la plupart des domaines qui conf�rent la puissance internationale donne aux �tats-Unis une libert� d'action beaucoup plus grande sur la sc�ne mondiale que celle dont peuvent jouir les Europ�ens. Il n'est donc pas surprenant que les dirigeants am�ricains soient les plus soucieux d'autonomie dans l'action et que leurs homologues europ�ens souhaitent renforcer les m�canismes de contr�le qui permettent de canaliser la puissance internationale et au premier chef celle des �tats-Unis. Il est �galement certain que le jeu des institutions europ�ennes, qui agissent elles-m�mes comme un m�canisme �galisateur entre " grands " et " petits " pays europ�ens, outre qu'il est la cons�quence d'une m�fiance de principe � l'�gard de l'exercice de la puissance, a pour effet de cr�er chez les Europ�ens une pr�f�rence de principe pour un multilat�ralisme qui est la cons�quence normale et attendue des processus communautaires.
+Il faut cependant aller plus loin et se pencher sur certaines variables structurelles. La pr�f�rence des �tats-Unis pour la libert� d'action n'est ni surprenante ni condamnable. Il n'est pas douteux que les �tats-Unis ont en fait utilis� leur puissance de mani�re mod�r�e : Kagan avait d�fini dans des �crits ant�rieurs la politique �trang�re de son pays comme une " h�g�monie bienveillante ", et cette formule recouvre une r�alit�. Pour des raisons constitutionnelles, les �tats-Unis ne peuvent exercer leur puissance internationale de fa�on dominatrice que pendant de br�ves p�riodes. Toute tentative imp�riale ou volontariste se solde in�vitablement par des chocs en retour r�duisant la capacit� du pouvoir ex�cutif � utiliser la pleine panoplie des moyens dont il pourrait disposer dans un ordre institutionnel moins �quilibr�. L'histoire am�ricaine de la seconde moiti� du XXIe si�cle le d�montre amplement.
+Un point au moins aussi important fait cependant d�faut dans l'analyse de Kagan. Il s'agit des moyens dont disposent effectivement Europ�ens et Am�ricains face aux crises internationales, moyens qui dictent � beaucoup d'�gards les comportements de ces partenaires. Vers la fin de son article, l'auteur rappelle le probl�me pos� par la faiblesse relative des moyens militaires dont disposent les Europ�ens, et en appelle � une augmentation de ceux-ci pour �viter le creusement des disparit�s entre leurs capacit�s guerri�res et celles des �tats-Unis. Il cite � l'appui de cette observation trois Britanniques, dont l'actuel Secr�taire g�n�ral de l'OTAN, tout en exprimant un doute quant � la capacit� des Europ�ens � aller dans ce sens, m�me de fa�on marginale. Le budget militaire de la France pour 2003 et la loi de programmation militaire 2003 - 2007 autorisent peut-�tre un moindre pessimisme, mais il est clair que le probl�me de la compatibilit� des mat�riels militaires entre partenaires transatlantiques, et surtout celle de leurs concepts op�rationnels, demande un effort plus soutenu des Europ�ens dans ce domaine.
+Encore ne faut-il pas, comme le font certains Am�ricains, faire des capacit�s militaires des forces am�ricaines un point de r�f�rence pratique. Il est l�gitime de s'interroger sur la justification pour un seul pays de d�penser pr�s de 50 % du produit militaire mondial, et d'accro�tre toutes ses cat�gories d'armements, y compris celles dont la probabilit� d'utilisation est extr�mement al�atoire, soit que la menace qu'elles sont cens�es parer soit infinit�simale, soit que leur utilisation sur des champs de bataille concrets face � des adversaires peu sophistiqu�s rende le co�t de leur perte �ventuelle absolument prohibitif. C'est en regard d'une analyse des menaces potentielles que la validit� d'un effort militaire doit �tre appr�ci�e. De ce point de vue, l'attitude am�ricaine actuelle n'est pas fortement convaincante. La question entre alli�s consistera donc non seulement � encourager les Europ�ens � d�penser mieux et davantage pour leur d�fense, n�cessit� incontestable aujourd'hui pour qui veut maintenir une Alliance atlantique efficace et �quilibr�e, mais aussi de rapprocher les points de vue des partenaires transatlantiques sur les menaces et les d�fis � leur s�curit�, et sur la d�finition des r�ponses � y apporter. Ce travail de fond, qui devrait avoir lieu dans le cadre de l'Alliance ou plus efficacement entre grands alli�s, n'est pas aujourd'hui r�alis� de fa�on satisfaisante. Il s'agit pourtant d'une priorit� pour maintenir une convergence de vues sur la s�curit� internationale � l'int�rieur de l'Alliance. Sur ce point, les r�ticences am�ricaines sont au moins aussi fortes que celles de leurs partenaires europ�ens parce qu'une consultation v�ritable sur ces points aurait pour effet de restreindre au moins marginalement l'autonomie de d�cision am�ricaine. Sur un th�me comme celui du Proche-Orient, ou sur le nation-building, il n'est gu�re surprenant que l'Administration am�ricaine quelle qu'elle soit ne souhaite pas se trouver lamin�e entre le Congr�s et l'opinion d'un c�t� et les alli�s de l'autre. Pourtant la coop�ration transatlantique est � ce prix.
+Il existe pourtant un point encore plus probl�matique, car plus structurel et donc encore plus difficile � lever : celui des avantages comparatifs des alli�s transatlantiques face aux probl�mes internationaux. C'est � notre sens ce qui explique le mieux les motivations des uns et des autres dans les choix qu'ils ont op�r�s au cours des derni�res ann�es. Ce n'est pas seulement parce qu'ils sont les plus forts que les �tats-Unis ont choisi d'en revenir depuis la fin de la guerre froide � une conception traditionnelle de la puissance, mettant l'accent sur l'utilisation de la force militaire. Depuis le d�but du XXe si�cle, comme l'indique Kagan, les Am�ricains avaient tent� d'�tendre � l'Europe une conception des relations internationales diff�rente de celle qui pr�valait alors en Europe, et selon laquelle la mise en oeuvre de politiques hostiles aux int�r�ts l�gitimes de s�curit� de ses partenaires �tait en fait contraire � l'int�r�t national, puisqu'il risquait de remettre en cause les fondements de l'ordre international et en premier lieu la paix. Ce " postnationalisme ", que les Am�ricains qualifient d'" internationalisme " (et qui est connu en Europe sous le vocable de " wilsonisme ", du nom de celui qui tenta de l'imposer aux Europ�ens), permet de transcender les oppositions brutales d'int�r�ts entre �tats. Il est frappant que cette attitude soit aujourd'hui qualifi�e d'" europ�enne " par les observateurs am�ricains, alors qu'il avait fallu rien moins que deux guerres mondiales pour qu'elle pr�vale sur le Vieux Continent.
+La raison pour laquelle les �tats-Unis s'en sont d�tach�s, au moins en partie, au cours des derni�res ann�es tient largement au fait qu'ils dominent aujourd'hui le syst�me international, o� ils n'ont plus de contrepoids r�el. Kagan a raison de souligner cet aspect des choses, encore qu'il aurait pu ajouter � quel point cela est contraire � la tradition am�ricaine des checks and balances, expliquant ainsi les r�ticences d'une grande partie des Am�ricains face � cet �tat de fait, et en particulier la r�ticence d'une majorit� de l'opinion publique envers une intervention en Irak qui impliquerait les �tats-Unis sans un mandat des Nations unies ou en dehors d'une coalition internationale.
+Le document sur la strat�gie de s�curit� nationale adopt� r�cemment par l'Administration Bush pr�sente ainsi une interpr�tation coh�rente de la vision �troite de l'int�r�t national qui semble inspirer aujourd'hui les �tats-Unis. On a beaucoup glos� sur l'accent mis par le document sur la pr�emption. Certes, le fait de donner � l'anticipation des mouvements de l'adversaire un tour th�orique est-il quelque peu hasardeux, mais il faut bien reconna�tre que les contr�les qui s'exercent sur la conduite de la politique �trang�re am�ricaine rendent extr�mement improbable un recours syst�matique � la pr�emption. En outre, ce recours a parfois une l�gitimit�, quand il s'agit de parer � une attaque non provoqu�e, ou � l'utilisation de moyens de destruction massive. Il est en revanche un aspect de la nouvelle doctrine qui, s'il a fait couler moins d'encre, est beaucoup plus symptomatique de l'attitude des �tats-Unis dans le syst�me international du d�but du XXIe si�cle : il s'agit de la volont� d'emp�cher l'apparition de tout concurrent potentiel aux �tats-Unis sur le plan strat�gique. Certes, le probl�me ne se pose pas concr�tement aujourd'hui, et n'a gu�re de chances de se poser � vue humaine. Il est cependant surprenant que les �tats-Unis, pays qui s'est toujours d�fini comme partie prenante d'une communaut� internationale d'�tats disposant des m�mes droits et des m�mes obligations, sanctionne en 2002 une vision qui introduit une in�galit� radicale entre eux-m�mes et tous les autres. Traditionnellement m�fiants � l'�gard de tous les pouvoirs, fussent-ils am�ricains, les �tats-Unis seraient-ils devenus un �tat-nation classique, sur le mod�le des �tats europ�ens du XIXe si�cle ? Pour utiliser un vocabulaire plus charg�, mais traduisant cependant la r�alit�, les �tats-Unis de 2002 sont-ils devenus nationalistes ? Il y aurait quelque paradoxe � ce que l'�tat qui a cherch�, et r�ussi au-del� de toute esp�rance, � vacciner l'Europe contre le mal nationaliste ait lui-m�me subi sa contagion. Il convient de poser cette question de mani�re directe, car la comparaison entre les �tats-Unis d'aujourd'hui et les grands �tats europ�ens du XXIe si�cle est f�conde, m�me si elle n'est naturellement pas parfaite.
+Il est patent qu'existe une autre raison, au moins aussi forte, pour expliquer la concentration croissante de la puissance am�ricaine sur sa dimension militaire. C'est dans ce domaine en effet que les �tats-Unis jouissent de l'avantage comparatif le plus grand par rapport � leurs partenaires et � leurs concurrents. Non seulement leur primaut� dans le domaine militaire est incontestable et croissante, non seulement les chances qu'un concurrent apparaisse dans ce domaine sont extr�mement faibles, mais les �tats-Unis ne disposent dans aucun autre secteur de l'action internationale d'un avantage comparable. Ils sont puissants sur le plan �conomique mais l'Union europ�enne est � leur mesure, comme certaines puissances asiatiques le seront peut-�tre demain.
+Plus pr�cis�ment, � la difficult� rencontr�e par l'Europe pour engager les sommes n�cessaires � son acc�s � un r�le significatif en mati�re militaire r�pondent les probl�mes rencontr�s par l'�tat f�d�ral am�ricain pour mobiliser des moyens suffisants pour remplir les t�ches internationales qui ne ressortissent pas � l'utilisation de la force militaire. Les chiffres parlent d'eux-m�mes. Tandis que les moyens militaires des �tats-Unis croissaient � grande vitesse apr�s une r�duction rapide de la fin de la guerre froide jusqu'en 1994, la diplomatie et les moyens non militaires � la disposition du gouvernement f�d�ral se r�duisaient en termes r�els d'une fa�on r�guli�re et pr�occupante. On se rappelle bien entendu la diminution unilat�rale des contributions vers�es par les �tats-Unis aux divers budgets des Nations unies, que seule la solidarit� marqu�e par l'ONU � l'�gard des �tats-Unis d�s le 11 septembre 2001 a permis de r�gler en partie. On sait aussi que tous les secr�taires d'�tat depuis le milieu des ann�es 90 ont eu des raisons de se plaindre de l'affaiblissement des moyens de la diplomatie am�ricaine. L'aide publique au d�veloppement avait �t� diminu�e de mani�re drastique jusqu'au sommet de Monterey, et encore une grande partie de ce qu'il en restait �tait-elle attribu�e � Isra�l. L'augmentation annonc�e � la suite des attentats du 11 septembre 2001 lors de cette r�union reste d'ailleurs encore � traduire dans la r�alit�. O� que l'on regarde, les moyens de l'action internationale des �tats-Unis, quand ils ne se situent pas dans le domaine militaire, sont en diminution sur le long terme. Il n'est donc nullement surprenant que la politique des �tats-Unis valorise la dimension de la politique internationale o� son avantage relatif est le plus grand. Toute la question est de savoir si, face aux grands probl�mes du monde contemporain, et face aux crises auxquelles les partenaires transatlantiques ont et auront � mettre fin, les moyens militaires sont n�cessairement les plus pertinents, surtout s'ils ne sont pas �paul�s par des moyens civils suffisants, qui demandent patience et constance.
+Les exemples de l'insuffisance d'une approche principalement militaire abondent. Dans les Balkans, il est heureux que les �tats-Unis aient pris en 1995 l'initiative d'utiliser la force militaire pour permettre l'ouverture des pourparlers de Dayton. Incontestablement, l'approche europ�enne �tait demeur�e trop timor�e pour en imposer � Milosevic. En ce qui concerne le Kosovo, on peut consid�rer que la volont� am�ricaine d'imposer une solution avec des moyens militaires a affaibli la communaut� internationale en contournant le Conseil de s�curit� des Nations unies et en rejetant la Russie dans une opposition de principe qu'elle n'aurait pas n�cessairement maintenue si le processus de Rambouillet avait pu parvenir � sa conclusion. Encore faut-il admettre que, sans la menace am�ricaine de recourir � la force, la communaut� internationale et les Europ�ens au premier chef auraient �t� priv�s d'un instrument essentiel de pression. Il n'est donc pas besoin d'opposer artificiellement une approche militaire et une approche civile. Il convient simplement de garder � l'esprit que la politique �trang�re a aujourd'hui besoin d'inclure ces deux dimensions, ainsi qu'une capacit� � d�finir en temps utile la politique � suivre. Dans les Balkans, la pr�sence militaire europ�enne a exc�d� largement la pr�sence am�ricaine une fois les op�rations initiales termin�es. En Bosnie comme au Kosovo, les Europ�ens forment maintenant l'essentiel des forces qui contribuent non seulement au maintien de la paix, mais �galement � la reconstruction et � la r�conciliation. Dans ces deux domaines, �conomique et politique, la contribution europ�enne d�passe largement celle des �tats-Unis. La m�me chose est vraie en Afghanistan, o� pourtant l'enjeu apr�s le 11 septembre �tait et demeure vital pour les �tats-Unis et o� l'exp�rience d�sastreuse de leur retrait � la fin des ann�es 80 aurait d� les inciter � plus de patience.
+Le r�sultat de cet �tat de faits est que les �tats-Unis sont tent�s de se cantonner � l'aspect militaire de la gestion des crises. Le Congr�s est le plus souvent hostile au nation-building, car il r�pugne � la grande majorit� des militaires am�ricains. C'�tait cet �tat d'esprit que traduisait Condoleeza Rice quand elle affirmait en campagne pr�sidentielle pendant l'�t� 2000 que les soldats am�ricains ne devaient pas en �tre r�duits � aider des enfants � traverser la rue dans les pays o� ils s�journaient. Cette attitude, coupl�e � une forte r�sistance � financer les efforts de reconstruction civile, am�ne les dirigeants am�ricains � se focaliser sur les t�ches militaires, et � tenter de faire assumer les t�ches civiles par leurs alli�s. La le�on de la guerre am�ricaine contre l'Irak en 1991, dont le financement a pour l'essentiel �t� assur� par des pays non combattants, a �t� retenue, et �tendue � l'apr�s-guerre.
+Les Europ�ens sont naturellement les premiers alli�s auxquels les Am�ricains font appel dans ces situations, ne serait-ce que parce qu'ils rencontrent pour leur part un probl�me inverse de celui des �tats-Unis : autant il leur est difficile de financer un effort militaire, autant il leur est ais�ment loisible de contribuer, soit directement soit par l'entremise de l'Union europ�enne, � la reconstruction et � la remise sur pied de la soci�t� des pays o� viennent de se d�rouler des op�rations de gestion de crise. Cette situation peut avoir des cons�quences d�sastreuses en termes d'utilisation de leur puissance internationale : le spectacle des avions et des missiles isra�liens financ�s par de l'aide am�ricaine d�truisant des installations civiles et polici�res palestiniennes largement financ�es par le contribuable europ�en fournit un exemple extr�me et spectaculaire de l'impasse dans laquelle peut placer l'incapacit� � influer s�rieusement sur le cours des choses, tout en s'impliquant sur le plan mat�riel. L' �volution des �v�nements dans les Balkans, o� la situation est moins contrast�e, donne aussi � r�fl�chir � plusieurs �gards. En Bosnie comme au Kosovo, les fonds europ�ens financent une situation qui a �t� largement le r�sultat de plans impos�s par la force am�ricaine, m�me s'il est juste d'ajouter que les plans de paix am�ricains devaient beaucoup dans le cas de la Bosnie au plan Jupp� et dans celui du Kosovo au quasi-accord de Rambouillet.
+Le probl�me pos� par ces interventions est cependant celui de l'influence, ou si on pr�f�re employer l'expression de Joseph Nye, du soft power autant que celui de la puissance brute, traduisible en termes de force militaire. Les Europ�ens n'ont certes pas la gloire de figurer avec des mentions flatteuses sur leurs capacit�s militaires dans les bulletins de CNN, mais leur contribution � la remise sur pied de pays en guerre leur permet dans les meilleurs cas d'exercer une influence � long terme sur les soci�t�s de ces pays. Il s'agit ici de l'aide � la cr�ation d'�tats ou au moins de structures �tatiques, dont l'Allemagne et d'autres en Europe centrale et orientale, l'Union europ�enne en Palestine et ailleurs, la France et le Royaume-Uni en Afrique, donnent aujourd'hui l'exemple. Il est probable que les �tats et les syst�mes construits sur ces bases auront une tendance naturelle � se tourner vers l'Europe non seulement sur le plan interne, mais aussi sur les grands dossiers internationaux. Les Europ�ens utilisent eux aussi leur avantage comparatif, avantage que leur conc�dent les Am�ricains.
+Il s'agit pour l'Union et pour ses �tats membres d'�tendre le mod�le " europ�en " sur le plan international, et d'assurer � celui-ci une l�gitimit� d'autant plus grande que personne ne pourra le pr�senter comme l'effet d'une volont� de pouvoir. On retrouve l� l'une des manifestations de l'influence dont les �tats-Unis �taient coutumiers jusqu'au milieu du Xxe si�cle. Sans doute parce que Kagan pr�f�re celles de la puissance classique � l'europ�enne, il semble les assimiler � un �l�ment de faiblesse, mais la r�alit� ne colle pas exactement � cette affirmation. En fait, la concession que font les �tats-Unis, sous l'effet de leur politique int�rieure, aux Europ�ens de cette dimension de l'influence internationale a pour effet de diminuer leur propre influence. Comme l'�crit Joseph Nye dans un livre r�cent, l'utilisation de la force militaire, ou l'affirmation sans concession de sa puissance, ce que nous appellerions la mise en oeuvre d'un nationalisme traditionnel, peuvent en r�alit� diminuer l'influence r�elle d'un pays en diminuant sa capacit� � attirer vers lui les meilleurs esprits chez ses partenaires �trangers.
+Le fait pour les Europ�ens de s'�tre sp�cialis�s, certainement par d�faut, dans cette dimension de la puissance internationale donne un surcro�t de l�gitimit� � leurs politiques �trang�res, en particulier par contraste avec l'attitude des �tats-Unis. De l� provient une plus grande capacit� � cr�er des coalitions de circonstance sur les dossiers o� les Am�ricains sont isol�s. L'environnement, les processus judiciaires internationaux, la lutte contre les in�galit�s dans le monde constituent des questions sur lesquelles les Europ�ens n'ont pas n�cessairement une attitude ang�lique ni m�me altruiste. Ils poursuivent des int�r�ts. Pourtant, il leur est fait cr�dit sur le plan international d'une posture " internationaliste " qui leur assure des soutiens ou � tout le moins une moindre opposition que ce n'e�t �t� le cas s'ils avaient affirm� plus brutalement leurs positions. Croit-on par exemple qu'en mati�re agricole les Europ�ens s'en tireraient � aussi bon compte dans leurs rapports avec le tiers monde s'ils n'avaient par ailleurs l'image d'un ensemble politico-�conomique conciliant ? Ne pas l'avoir not� repr�sente, nous semble-t-il, l'une des faiblesses principales de la th�se de Kagan.
+D'un autre c�t�, Robert Kagan a parfaitement raison de penser que la cr�ation d'une entit� nouvelle rassemblant des nations diff�rentes, aux traditions et int�r�ts vari�s, rend difficile la traduction de la masse en puissance. Rapprocher des int�r�ts divers et parfois divergents tend � contraindre dans l'action, parce que les positions communes sont difficiles � atteindre, sont souvent le r�sultat de compromis diplomatiques plus formels que r�els, et ne peuvent tenir que si chacun de leurs �l�ments est maintenu, ce qui ne facilite pas � proprement parler la souplesse dans les positions qui est ins�parable de la r�ussite diplomatique. C'est pourquoi l'addition de capacit�s brutes n'�quivaut pas � une puissance plus grande. Contrairement � ce que pensent et disent beaucoup de Fran�ais, plus grand ne veut pas n�cessairement dire plus fort. Le processus d'�largissement de l'Union europ�enne en fournit une illustration, puisque chacune de ses �tapes a conduit � une p�riode de repli de l'Union sur le plan international, suivie il est vrai d'une r�action volontariste pr�cis�ment destin�e � �viter le d�litement de la construction europ�enne. C'est la raison pour laquelle l'Europe-puissance est un slogan, une aspiration, plut�t qu'une r�alit�.
+Peut-�tre est-ce m�me une contradiction. Sur ce point, il convient d'aller plus loin que Kagan : ce sont les conceptions m�mes de ce que sont l'�tat et la soci�t� politique, et des fins qu'ils sont amen�s � poursuivre, qui divergent entre pays europ�ens. L' exp�rience historique du si�cle �coul� est interpr�t�e tr�s diff�remment en Allemagne, en France et au Royaume-Uni. Pour faire court, on rappellera que les Allemands se m�fient � la fois de l'�tat allemand centralis�, qui leur a apport� de grands maux, et de sa reproduction � l'�chelle europ�enne. Plus que tout, ils se m�fient de l'utilisation de la force militaire, dont il est raisonnable de dire qu'elle a entra�n� pour l'Allemagne autant que pour ses voisins des cons�quences d�sastreuses. Il n'est pas surprenant que les Allemands d�crivent en majorit� la Suisse comme le mod�le qu'ils envisagent pour une Union europ�enne achev�e. Pour les Fran�ais, l'�tat est au contraire l'expression de la nation, et la construction europ�enne est vue comme un moyen de magnifier l'influence fran�aise sur le plan international, tout en reproduisant les caract�ristiques de l'�tat fran�ais au plan europ�en. D'o� les h�sitations fran�aises quant � l'expansion des comp�tences europ�ennes, qui sont per�ues sous une forme centralis�e incompatible avec l'esprit d'un f�d�ralisme v�ritable et qui pouss�es � bout tendraient � abolir les pr�rogatives des �tats membres. La France entretient �galement une relation complexe � l'�gard des alliances, per�ues comme ayant �chou� dans la premi�re moiti� du XXe si�cle, ayant retenu la France dans ses tentatives de contenir la puissance allemande. Quant aux Britanniques, leur conception de la l�gitimit� de l'utilisation de la force militaire les place aux antipodes de l'Allemagne, puisqu'ils peuvent l�gitimement lire l'histoire europ�enne contemporaine comme une justification pratique mais aussi morale de l'usage des forces arm�es. Leur lecture de la valeur des alliances quant � elle les place en d�saccord direct avec les Fran�ais. Qu'on ajoute les probl�mes sp�cifiques aux " petits " �tats, qui se m�fient beaucoup d'un accord de leurs grands partenaires europ�ens qui remettrait en cause leur facult� de d�fendre leurs int�r�ts propres, et l'image d'une " Europe-puissance ", ou m�me d'une Europe capable d'utiliser les instruments traditionnels de la puissance internationale, appara�t bien probl�matique. On en voit l'illustration dans le caract�re largement d�claratoire de la politique europ�enne de s�curit� et de d�fense, et de ses avatars ant�rieurs. C'est aussi la raison pour laquelle les Europ�ens se sp�cialisent dans le soft power.
+Cependant, le trait ne doit pas �tre forc�. En premier lieu, parler d'Europe est toujours dangereux : les Britanniques et, dans une moindre mesure, les Fran�ais ont une conception plus traditionnelle de la puissance que beaucoup de leurs partenaires. Ils sont pr�ts � utiliser la force quand les autres moyens de recours sont �puis�s. On le voit bien dans l'affaire du d�sarmement irakien o� les positions britannique et fran�aise sont moins �loign�es sur le fond qu'il n'y para�t, toutes deux soucieuses de renforcer le r�le du Conseil de s�curit� des Nations unies, mais pr�tes � faire entendre les armes si Saddam Hussein refuse de se conformer � ses obligations internationales. L'Espagne et l'Italie ont affirm� une attitude de principe assez proche. L'Allemagne a pris des positions tr�s diff�rentes, mais elle ne repr�sente pas � elle seule l'Europe. Quand d'autres pays ont des probl�mes bilat�raux � r�gler, telle l'Espagne lors de son diff�rend avec le Maroc sur l'�lot de Persil pendant l'�t� 2002, il n'est pas rare qu'ils fassent entendre le langage de la force. La vision de l'Europe qu'a Kagan, de ce point de vue, est trop marqu�e par l'approche proc�duri�re de l'Union europ�enne.
+Si l'Europe qu'il d�crit est par trop marqu�e par Bruxelles, l'Am�rique qu'il per�oit est quant � elle sans doute trop r�v�e. Prend-il ses d�sirs pour des r�alit�s ? Les �tats-Unis, m�me s'ils mettent moins de r�serves � l'engagement arm� que leurs partenaires europ�ens, ne sont pas devenus une puissance sans limite. Ils demeurent m�me parfois curieusement pusillanimes. La campagne en Afghanistan en a fourni une illustration. M�me en r�ponse � une attaque sanglante, de sang-froid et sans provocation comme celle du 11 septembre, les �tats-Unis ont manifest� une restriction tout " europ�enne " au sens de Kagan dans l'action militaire, quand il s'est agi de poursuivre les milices d'Al-Qaida dans les grottes de Tora Bora, puisque les troupes am�ricaines n'ont pas engag� le combat et ont laiss� l'essentiel des dirigeants et des forces terroristes s'�chapper. Ce d�faut d'engagement direct des forces qui caract�rise la tactique militaire am�ricaine dans les conflits r�cents s'explique sans doute par un d�sir compr�hensible de ne pas exposer ses hommes au combat direct, mais il n'est pas l'expression d'un pays anim� par l'esprit martial d�crit par notre auteur comme animant l'Am�rique. La dichotomie euro-am�ricaine est sans doute beaucoup moins forte que celle que d�crit Kagan. Et peut-�tre m�me inverse : on verrait mal les forces britanniques ou les forces fran�aises laisser dans des circonstances comparables s'�chapper sans bataille les responsables d'attentats aussi meurtriers.
+Le vrai probl�me transatlantique tient surtout aux conceptions divergentes de l'action internationale qu'ont les partenaires am�ricains et europ�ens. Toute la question est de savoir ce qui est pertinent en mati�re de puissance internationale dans le monde d'aujourd'hui. Qu'elle est la vraie capacit� � agir sur les �v�nements : la puissance militaire ou la persuasion (soft power) ? Il existe des cas de plus en plus nombreux dans lesquels la force militaire est inutilisable, et donc impuissante. Cela est patent en mati�re de relations entre pays " occidentaux ", dans lesquelles on voit mal les �tats-Unis utiliser leurs armes. Celles-ci leur donnent dans ce cadre un prestige plus qu'une puissance. Mais c'est le cas de mani�re plus g�n�rale. Quand au d�but du mandat du pr�sident Bush un incident militaire se produisit en mer de Chine, l'Administration n'envisagea pas s�rieusement de recourir � la force face � une puissance nucl�aire : les " durs " eux-m�mes parlaient sanctions �conomiques et isolement diplomatique et non intervention militaire. Le nombre de cas o� la force militaire joue aujourd'hui un r�le d�cisif est relativement r�duit. Cela ne veut pas dire qu'il faille adopter une analyse ang�lique ou m�prisante � l'�gard de la pertinence des instruments militaires, comme c'est trop souvent le cas en Europe du Nord : l'exp�rience des Balkans montre leur pertinence. Encore faut-il que les instruments militaires soient adapt�s aux situations concr�tes : � quoi sert-il d'avoir des Apaches ou des B2 si leur engagement est rendu improbable par la crainte de les perdre ?
+L'important pour les partenaires transatlantiques est de se rapprocher sur ces points : avant de parler de faire de l'Europe une puissance, il s'agit de renforcer les moyens militaires de ses membres, et de se pr�occuper prosa�quement des crises � r�gler. La conclusion � tirer de l'exp�rience balkanique, de ce point de vue, est que l'Europe aurait �t� mieux servie par une intervention ad hoc ou nationale quand Milosevic mena�ait Dubrovnik que par d'ambitieux sch�mas institutionnels. Quant aux Am�ricains, ils ne doivent pas devenir prisonniers de leurs moyens militaires : il leur faut se donner les moyens de contribuer � la solution des crises par d'autres moyens. S'ils laissent les Europ�ens reconstruire apr�s eux aux quatre coins du globe, ils feront de l'Europe ce qu'un observateur am�ricain appelait r�cemment le centre moral du monde. Leur leadership n'en sera que plus contestable, et donc plus fragile car plus contest�.
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+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
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+L'Ifri est, en France, le principal centre ind�pendant de recherche, d'information et de d�bat sur les grandes questions internationales. Cr�� en 1979 par Thierry de Montbrial, l'Ifri est une association reconnue d'utilit� publique (loi de 1901). Il n'est soumis � aucune tutelle administrative, d�finit librement ses activit�s et publie r�guli�rement ses travaux.
+Les opinions exprim�es dans ce texte sont de la seule responsabilit� de l?auteur.
+Le Centre fran�ais sur les Etats-Unis (CFE), cr�� au sein de l'Ifri en septembre 1999, a pour mission d'�tudier les d�veloppements politiques, �conomiques et sociaux aux Etats-Unis, qui influencent l'image des Etats-Unis en France, ainsi que les relations europ�ennes et transatlantiques. Il organise r�guli�rement des r�unions rassemblant des d�cideurs des secteurs public et priv�, et publie articles et Policy Papers sur des sujets pertinents pour l'�tude des Etats-Unis et pour la relation franco-am�ricaine.
+La Constitution des Etats-Unis r�partit habilement les pouvoirs entre l'Ex�cutif et le L�gislatif, notamment en ce qui concerne l'engagement des forces arm�es sur des th��tres ext�rieurs. Ainsi, si l'Administration propose, le Congr�s dispose et octroie ou non les pouvoirs de guerre au pr�sident. Ces pr�rogatives, limit�es pendant la guerre froide par l'existence d'une menace majeure, ont �t� r�affirm�es en 1973 avec l'adoption du War Powers Act, qui offre aux parlementaires un pouvoir de d�cision renforc� dans le d�clenchement des conflits. Lors des diff�rentes crises des ann�es 1990, le Capitole a ainsi indiqu� � la Maison-Blanche sa volont� de mettre en avant ses pr�rogatives, y compris quand les arguments justifiant l'intervention militaire �taient unanimement accept�s. La r�cente crise irakienne fut encore l'occasion de vifs d�bats institutionnels sur les pouvoirs de guerre, dans un climat politique marqu� par l'apr�s-11 septembre, et le renforcement du r�le de l'Ex�cutif. Les doutes exprim�s r�cemment quant � la v�racit� des assertions de l'Administration Bush concernant les armes de destruction massive irakiennes sont susceptibles de relancer le d�bat sur les pr�rogatives de guerre des pouvoirs ex�cutif et l�gislatif. Analysant les m�canismes des pouvoirs de guerre � Washington, cette �tude se propose, � la lecture des engagements militaires r�cents, de mieux comprendre comment se projette la puissance am�ricaine sur les th��tres ext�rieurs.
+The Constitution of the United States of America allocates adroitly the powers between the Executive and Congress concerning the dispatch of armed forces to foreign theatres. Therefore, if the Administration proposes, Congress considers, then allocates, or denies, war powers to the President. These prerogatives, which were limited during the Cold War because of the major threat, were reaffirmed in 1973 by the passing of the War Powers Act, which reinforced the capacity of congressmen to act in case of an outbreak of hostilities. During the different crises of the 1990s, Congress made clear its desire to assert its prerogatives, including when arguments in favour of military intervention had bipartisan support. The recent Iraqi crisis gave rise once again to heated institutional debates on war powers and the role of the Executive in a context which was still marked by September 11. Recent doubts over the veracity of statements of the Bush administration concerning Iraqi weapons of mass destruction are likely to set the debate on the martial prerogatives of the Executive and the Legislature raging once again. By analysing the mechanisms of war powers in Washington, this study proposes, by taking into account recent military action, to cast light on how US power is projected on foreign theatres.
+L'objectif de cette �tude est double. Il s'agit de mesurer le r�le du Congr�s des Etats-Unis en temps de guerre, que l'actualit� r�cente de la question irakienne �claire d'un jour nouveau, tout en dressant un tableau plus large qui s'appuie sur les crises majeures auxquelles Washington a fait face. Un tel travail devrait �galement permettre de rappeler la r�partition des pouvoirs institu�e par la Constitution, que les parlementaires ne manquent d'ailleurs jamais de rappeler. Il s'agit d'autre part, � la lumi�re des enseignements tir�s du pass� et du contexte actuel, d'�valuer les possibilit�s offertes � l'Administration Bush par les d�bats qui ont pr�c�d� la r�cente guerre en Irak, dont les parlementaires ont accept� le principe en septembre 2002, bien avant que les op�rations ne commencent, en mars 2003. Cette �tude permettra de mieux comprendre le r�le du Congr�s en mati�re de politique �trang�re, en particulier en ce qui concerne l'envoi de forces arm�es sur des th��tres ext�rieurs, qui, vu de l'�tranger, en repr�sente incontestablement l'aspect le plus significatif.
+Les pouvoirs de guerre, habilement r�partis par les " p�res fondateurs ", sont clairement d�finis dans la Constitution des Etats-Unis. Par ailleurs, en 1973, dans un climat g�n�ral de d�tente, les membres du Congr�s ont d�cid�, malgr� le veto du pr�sident Richard Nixon, de voter le War Powers Act, qui donne plus de l�gitimit� aux parlementaires dans les d�cisions prises en temps de guerre, en particulier dans le d�clenchement des conflits.
+Mais la Constitution a �galement pr�vu de donner davantage de pr�rogatives au chef de l'Ex�cutif, qui est aussi le chef des arm�es, lorsqu'il s'agit de r�pondre � une menace de grande ampleur. En de telles circonstances, le pr�sident est le seul d�fenseur des institutions. En fait, ce sont surtout les garants de la Constitution, c'est-�-dire les parlementaires, qui ont accept� de limiter temporairement leurs pouvoirs pour faire face � une situation exceptionnelle, en privil�giant l'unit� plut�t que le dialogue. Dans l'une de ses oeuvres majeures, Jean-Jacques Rousseau donne une d�finition du dictateur, investi de pouvoirs en cas de crise majeure : " Si le p�ril est tel que l'appareil des lois soit un obstacle � s'en garantir, alors on nomme un chef supr�me, qui fasse taire toutes les lois et suspende un moment l'autorit� souveraine. " C'est de ce mod�le que les p�res fondateurs se sont inspir�s, et sur la base duquel est assur� le bon fonctionnement des institutions des Etats-Unis depuis plus de deux si�cles.
+Depuis cette �poque, toutefois, un certain nombre d'�v�nements et d'initiatives ont quelque peu modifi� les relations entre les pouvoirs ex�cutif et l�gislatif en mati�re de politique �trang�re. Du pr�sident ou du Congr�s, il est parfois difficile de savoir qui a le dernier mot dans la prise de d�cision, et leurs choix peuvent s'inverser selon les circonstances. Les cons�quences de cette double origine de la prise de d�cision ne sont pas les m�mes en temps de paix et en temps de guerre, quand les d�cisions doivent �tre prises rapidement et par un cercle restreint de dirigeants. De m�me, le processus de d�cision varie selon le niveau de la menace, ou plus exactement de la fa�on dont celle-ci est per�ue. Durant la guerre froide, quand les int�r�ts des Etats-Unis pouvaient �tre rapidement menac�s, le pr�sident avait la possibilit� de prendre certaines initiatives dans l'urgence sans demander l'avis du Congr�s, qui ne portait de jugement qu'a posteriori. Cette " pr�sidence imp�riale " avait le m�rite d'offrir une lecture simple de la politique �trang�re, qui permettait une efficacit� totale du processus d�cisionnel. C'est pourquoi " la plupart des professionnels de la politique �trang�re estimaient que la concentration des pouvoirs dans les mains de l'Ex�cutif �tait une bonne chose ". Mais, progressivement, � partir de la fin de la guerre froide et de la disparition de la menace sovi�tique, les gouverneurs des Etats - et surtout les membres du Congr�s - ont pris une place de plus en plus importante dans les d�cisions de politique �trang�re, consid�rant qu'ils devaient �tre consult�s en cas d'intervention ext�rieure.
+Bien que la question des pouvoirs de guerre n'ait jamais cess� d'�tre au coeur des d�bats de politique �trang�re, elle conna�t un regain d'importance avec l'intervention militaire contre l'Irak et la " croisade " antiterroriste engag�e au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Les premi�res mesures propos�es dans ce cadre ont �t� accueillies favorablement par une �norme majorit� au Congr�s, et souvent soutenues par autant de parlementaires d�mocrates que r�publicains. Ainsi, la loi sur la lutte antiterroriste, �galement appel�e Patriot Act, a �t� adopt�e par les s�nateurs le 25 octobre 2001, en d�pit d'un contenu parfois jug� attentatoire aux libert�s civiles. Fait rare, un texte �tait adopt� � peine six semaines apr�s les attentats, dans un S�nat pourtant majoritairement d�mocrate, et sans susciter beaucoup de discussions. Les s�nateurs ont �galement su taire leurs rivalit�s politiques pour critiquer les dysfonctionnements des services de renseignement, aussi bien lors des attentats du 11 septembre que dans le cadre des enqu�tes sur le bio-terrorisme.
+Ce n'est donc qu'une fois la " phase deux " de la campagne antiterroriste engag�e que les parlementaires ont r�ellement montr� un certain scepticisme quant � l'opportunit� de reconduire les pouvoirs exceptionnels accord�s au pr�sident George W. Bush par le Patriot Act. Les divergences, qui avaient commenc� � se manifester d�s la campagne militaire en Afghanistan, ont pris une tout autre dimension avec les plans de guerre contre le r�gime de Saddam Hussein. Ainsi, m�me si les parlementaires ont soutenu, pour des raisons essentiellement politiques, le principe d'une campagne militaire en Irak, en octroyant, en septembre 2002, les pouvoirs de guerre au pr�sident George W. Bush, ils n'ont pas manqu� de rappeler l'�tendue de leurs pr�rogatives institutionnelles lors de multiples d�bats. Le 11 septembre, s'il a profond�ment boulevers� la perception de la s�curit� aux Etats-Unis, n'a donc pas eu d'effet majeur sur la relation Ex�cutif/L�gislatif en ce qui concerne les pouvoirs de guerre. La position des parlementaires r�publicains en est la meilleure illustration : politiquement proches de l'Administration, ils sont favorables aux mesures de s�curit� adopt�es depuis les attentats de New York et de Washington, mais aussi particuli�rement r�actifs quand il s'agit de d�fendre leurs pr�rogatives constitutionnelles. Un tel constat permet de mieux appr�hender les crises futures auxquelles les Etats-Unis devront faire face, et surtout de mieux d�crypter les positions du Congr�s.
+La question des pouvoirs de guerre n'est qu'une composante de la rivalit� opposant l'Administration au Congr�s, qui caract�rise l'ensemble de la vie politique aux Etats-Unis. D�s lors que les conditions d'une intervention militaire sur un th��tre ext�rieur se trouvent remplies, les parlementaires mettent en avant les pr�rogatives qui leur sont offertes par la Constitution. Moins pr�sents pendant la guerre froide, durant laquelle ils ont laiss� au pr�sident une plus grande libert� d'action, les membres du Congr�s sont revenus, depuis le d�but des ann�es 1990, � une lecture plus fid�le des textes r�dig�s par les p�res fondateurs, notamment � l'occasion de la guerre du Golfe (1990 - 1991). Il convient donc de s'attarder sur le principe constitutionnel de cette r�partition des pouvoirs, puis sur la lecture qui en a �t� faite en fonction des circonstances et de la perception de la menace.
+La Constitution des Etats-Unis d�finit les pouvoirs du Congr�s en mati�re de relations internationales par " la d�fense des int�r�ts nationaux, la r�gulation du commerce, la d�claration de guerre, et le soutien aux forces arm�es ". Ces pr�rogatives sont souvent rappel�es par ceux qui d�fendent le r�le des parlementaires dans les affaires �trang�res, en particulier depuis la fin de la guerre froide. De son c�t�, le pr�sident ne peut d�clencher une guerre ni mener d'op�rations militaires qu'avec l'accord de deux tiers des s�nateurs, tout comme il ne peut, seul et sans l'aval du Congr�s, nommer des ambassadeurs. En outre, le Congr�s peut engager une proc�dure de destitution du pr�sident si celui-ci met en danger les int�r�ts de la nation. Ces pouvoirs sont d'autant plus d�s�quilibr�s qu'il appartient �galement au Congr�s de financer les diff�rentes op�rations, ce qui lui donne les moyens d'influencer consid�rablement la politique �trang�re, voire de l'orienter dans une direction oppos�e � celle de l'Administration.
+En votant ou non le budget et les fonds accord�s � des interventions ext�rieures, les parlementaires peuvent ainsi bloquer la politique �trang�re de la Maison-Blanche chaque fois qu'ils consid�rent qu'elle ne r�pond pas � leurs aspirations ou � celles des �lecteurs. Cet �quilibre a �t� d�lib�r�ment souhait� par les p�res fondateurs. R�dig�e il y a plus de deux si�cles, la Constitution se pr�sente avant tout comme un " garde-fou " et se veut la plus repr�sentative possible des aspirations de la population.
+Fait int�ressant, les pr�sidents am�ricains ont longtemps �t� sensibles � cette r�partition des pouvoirs, qu'ils jugeaient totalement justifi�e puisqu'elle permettait de servir au mieux la d�mocratie ; cela s'expliquait en grande partie � la fois par l'absence de menace ext�rieure pesant sur le pays et par la volont� de ne pas s'impliquer dans les questions internationales. Ainsi, Abraham Lincoln pouvait d�clarer que " le texte de la Constitution donnant le pouvoir de guerre au Congr�s �tait dict�, comme je l'ai compris, par l'imp�ratif suivant : les rois ont toujours entra�n� leurs peuples dans des guerres qui les ont appauvris, tout en pr�tendant g�n�ralement qu'elles �taient faites pour leur bien. Notre convention a compris qu'il s'agissait l� de l'une des plus grandes formes d'oppression, et a fait en sorte qu'il ne f�t pas dans le pouvoir d'un seul homme d'opprimer ainsi tous les autres ". Autre fait notable : c'est le Congr�s qui d�cida, � l'occasion de la guerre contre l'Espagne, en 1898, de se lancer dans une op�ration militaire, ce qui eut pour effet de modifier en profondeur la politique �trang�re du pays en mettant fin � un isolationnisme quasi continu depuis son ind�pendance. Ce fut aussi sous l'influence du Congr�s que les Etats-Unis op�r�rent un repli sur eux-m�mes apr�s le trait� de Versailles, ouvrant une �re de non-intervention qui ne prit fin qu'en 1941.
+Dans ses relations avec la Maison-Blanche, l'initiative du Congr�s la plus significative pendant la guerre froide a �t� l'adoption, en 1973, du War Powers Act, dans un climat de d�tente caract�ris� par les accords bilat�raux sur le d�sarmement, mais �galement par la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate. Certains parlementaires souhaitaient limiter les pouvoirs du pr�sident afin d'�viter une escalade, comme sous Lyndon B. Johnson. D'autres, sensibles aux d�rives du pouvoir pr�sidentiel, illustr�es par les probl�mes du pr�sident Richard Nixon, ont simplement cherch� � sanctionner l'Ex�cutif. A ce titre, il convient de noter que le consensus sur le War Powers Act, qui �manait pourtant du camp r�publicain, a largement d�pass� le traditionnel clivage partisan, preuve qu'il s'agissait bien davantage d'une question de pr�rogatives institutionnelles que de l'expression d'id�es politiques.
+Cette loi a pour objet de limiter les pouvoirs du pr�sident en cas de conflit arm�, en faisant intervenir le Congr�s de fa�on syst�matique dans la d�cision. Elle pr�voit que le pr�sident, s'il veut engager le pays dans une op�ration militaire, doit au pr�alable obtenir l'accord du Congr�s, soit � la suite d'une d�claration de guerre, soit en invoquant l'urgence nationale provoqu�e par une attaque contre le territoire du pays ou contre ses forces arm�es. Dans cette seconde hypoth�se, le pr�sident doit, sous 48 heures, remettre un rapport aux pr�sidents des deux Chambres pour rendre compte de ses actes, puis un autre six mois plus tard. Ces rapports sont d�livr�s aux parlementaires, qui jugent de la l�gitimit� de l'op�ration et de sa poursuite. Les enseignements que l'on peut tirer de ce dispositif sont multiples. D'une part, dans un climat marqu� par la d�tente entre les deux blocs et la diminution de certaines menaces - la loi faisait suite � la signature des accords SALT (Strategic Arms Limitation Talks) avec l'URSS -, les parlementaires souhaitaient contr�ler les op�rations ext�rieures en allant au-del� de que ce que leur permettait la Constitution. D'autre part, ce contr�le supposait une diminution du nombre d'interventions � l'�tranger, qui seraient s�lectionn�es en fonction de leur importance. Ce dispositif concernait en priorit� les op�rations de faible intensit�, dans lesquelles les int�r�ts des Etats-Unis n'�taient, en g�n�ral, pas menac�s de fa�on substantielle.
+Pendant les ann�es 1980, le retour d'une certaine tension internationale a permis de concilier l'affirmation de l'autorit� du pr�sident sur les questions strat�giques majeures avec le r�le accru du Congr�s dans les interventions plus limit�es. Celles-ci restent d'actualit� apr�s la fin de la guerre froide et offrent aux parlementaires la possibilit� de bloquer les initiatives jug�es inopportunes de la Maison-Blanche. De cette mani�re, les pouvoirs du pr�sident dans la conduite d'un conflit arm� sont encore plus limit�s, le chef de l'Ex�cutif devant faire approuver ses initiatives par le Congr�s. De nombreuses voix ont demand� la suppression de ce texte ou, au contraire, plaid� pour son maintien dans un environnement post-guerre froide.
+A la suite des op�rations en Bosnie, en 1995, un certain nombre de parlementaires ont ainsi demand� que le Congr�s exerce un contr�le plus �troit sur la politique �trang�re du pays, exigeant notamment que toute op�ration ext�rieure souhait�e par le pr�sident obtienne l'accord explicite des parlementaires. Ces initiatives, approuv�es par la majorit� des parlementaires et souvent bipartisanes, illustrent une tendance au renforcement des pouvoirs du Congr�s - et en particulier de ceux de la Chambre des repr�sentants - en mati�re de d�cision de projection de forces ou d'engagement dans un conflit arm�.
+La bonne conduite de la politique �trang�re des Etats-Unis suppose une compl�mentarit� des pouvoirs ex�cutif et l�gislatif. Le pr�sident, en vertu des pouvoirs qui lui sont conf�r�s par la Constitution, peut proposer une op�ration militaire et l'engagement des forces arm�es. De son c�t�, le Congr�s a le pouvoir de juger et de d�cider si ces orientations doivent ou non �tre suivies. Ainsi, le pr�sident propose et le Congr�s dispose. De cet �quilibre, fragilis� en temps de cohabitation, d�pend la coh�rence des orientations du pays en mati�re de relations internationales. Cependant, la Constitution elle-m�me, en donnant des pouvoirs aux diff�rents organes, ne r�pond pas totalement � la question de savoir qui d�tient la v�ritable autorit� dans la prise de d�cision. En effet, les parlementaires ont le pouvoir de bloquer les propositions du pr�sident, influen�ant de cette fa�on les choix de politique �trang�re. Dans certaines circonstances, le Congr�s peut m�me orienter positivement les choix de l'Ex�cutif en faisant pression sur des dossiers qui lui tiennent � coeur. Ce fut le cas au cours des ann�es 1980, quand les parlementaires impos�rent au pr�sident d'adopter des sanctions � l'�gard de l'Afrique du Sud, en proposant, � la suite de rapports des commissions concern�es, un certain nombre de r�solutions auxquelles la Maison-Blanche ne put se soustraire. Ce fut �galement le cas pour les relations avec Cuba lors de l'adoption de la loi Helms-Burton sur les sanctions �conomiques et commerciales, en 1996.
+Dans l'ensemble, le Congr�s dispose de pr�rogatives lui permettant, quand le cas se pr�sente, de bloquer les initiatives pr�sidentielles ou, � l'inverse, de les influencer, voire m�me de les forcer. En temps de guerre, ou sous la pression d'une menace pesant sur les int�r�ts vitaux du pays, un consensus bipartisan offre en revanche au chef de l'Ex�cutif de plus larges pouvoirs en mati�re de politique �trang�re, ce qui lui permet de prendre des initiatives sans en aviser le Congr�s au pr�alable. Certains experts remarquent que le pr�sident ne respecte que rarement le War Powers Act et ne laisse au Congr�s l'appr�ciation d'une intervention qu'une fois celle-ci engag�e. Ce renforcement du pouvoir pr�sidentiel s'explique principalement par les lenteurs du processus l�gislatif et l'inefficacit� des d�bats partisans en cas de crise soudaine. C'est ainsi que le chef de la Maison-Blanche justifie le plus souvent l'engagement de forces arm�es, quand celui-ci n'a pas �t� d�cid� avec l'accord du Congr�s, qui lui est normalement indispensable, par la lecture de la Constitution.
+La pr�sidence " imp�riale ", h�rit�e de la Seconde Guerre mondiale et maintenue pendant la guerre froide, a eu pour effet de neutraliser totalement les parlementaires dans le domaine des relations internationales. Ce fut le cas lors de la guerre de Cor�e. Le pr�sident Harry S. Truman n'a pas consult� les parlementaires pour engager le pays dans le conflit, et Dwight D. Eisenhower, son successeur, a habilement us� de son influence et des pouvoirs dont il disposait pour se retirer trois ans plus tard de la p�ninsule. Par la suite, la guerre froide a �t� marqu�e par une multitude d'actions initi�es par l'Administration, sans que le Congr�s ait la possibilit� de faire valoir ses droits constitutionnels, et ce, jusqu'� la fin des ann�es 1980 et l'arriv�e au pouvoir de George H.W. Bush. Une telle attitude du pr�sident �tait l�gitim�e par la menace que faisait peser l'Union sovi�tique, si bien que m�me les plus fervents d�fenseurs du War Powers Act, comme Jacob K. Javits, le s�nateur r�publicain de New York qui avait �t� � l'origine du texte, ne discut�rent pas la d�cision du pr�sident Ronald W. Reagan d'envoyer, sans consultation pr�alable, des marines au Liban, en 1983. Avec autant d'admiration que de scepticisme, Michael Beschloss explique � ce propos que " le pr�sident �tait le centre du syst�me solaire politique am�ricain, le centre de la politique �trang�re et int�rieure, et la personne la plus puissante du gouvernement ".
+Certains experts estiment l�gitime de donner au pr�sident des pouvoirs plus importants en cas de crise majeure ou quand les int�r�ts du pays sont directement menac�s. Dans de telles situations, les statuts sont exceptionnellement modifi�s, et le pr�sident assume pleinement son r�le de chef des arm�es sans que le Congr�s vienne s'interposer. D'ailleurs, m�me les p�res fondateurs n'avaient pas h�sit� � offrir au pr�sident des pouvoirs renforc�s pour r�pondre de fa�on plus efficace aux menaces que repr�sentaient les deux grandes puissances de l'�poque, le Royaume-Uni et la France. Les m�mes arguments justifi�rent la " pr�sidence imp�riale " de la Seconde Guerre mondiale, puis celle de la guerre froide, les Etats-Unis �tant directement menac�s par l'Union sovi�tique, notamment par le biais des armes nucl�aires. David Calleo estime ainsi que, " depuis Franklin D. Roosevelt, les Etats-Unis ont connu un long cycle de d�s�quilibre constitutionnel au profit d'un pr�sident - un cycle qui s'est prolong� avec la guerre froide ". Ainsi, et m�me apr�s le vote du War Powers Act, chacun �tait conscient que le pr�sident pouvait agir seul en cas de crise majeure.
+Ce consensus sur la l�gitimit� de la toute puissance de l'Ex�cutif a permis de clarifier la politique �trang�re pendant plusieurs d�cennies, qui sont marqu�es par les bonnes relations qui ont pr�valu entre les Administrations successives et le Congr�s. Dans le m�me temps, cela a eu pour effet d'affaiblir les commissions charg�es des affaires internationales, tant � la Chambre des repr�sentants qu'au S�nat. Un officiel de l'Administration de Ronald W. Reagan a m�me d�clar�, � propos de la perte d'importance de ces commissions, que " l'une �tait morte dans le vin, et que l'autre s'�tait fragment�e en petits empires ". Cela s'expliquait notamment par le fait que les parlementaires privil�giaient d'autres commissions, gr�ce auxquelles ils pouvaient avoir une plus grande influence, de fa�on plus nette encore � la Chambre des repr�sentants qu'au S�nat. Certes, quelques tentatives de reprise en main de la politique �trang�re par le Congr�s se sont manifest�es, notamment en 1939, quand ce dernier s'est oppos� � l'intervention militaire en Europe ; mais les parlementaires, jusqu'� la fin des ann�es 1980, n'ont pas �t� en mesure d'opposer de r�sistance significative � l'Administration, celle-ci prenant seule les d�cisions importantes en temps de crise.
+En 1988, certains parlementaires, conscients que le War Powers Act pouvait �tre utilis� � des fins purement politiques, et donc menacer la s�curit� des citoyens, ont propos� de le remplacer par un Use of Force Act, qui laissait au pr�sident la possibilit� de venir en aide aux ressortissants des Etats-Unis mis en danger hors du territoire national. Cette requ�te r�pondait aussi bien aux nouvelles menaces �manant de groupes terroristes qui multipliaient les enl�vements et les prises d'otages, qu'aux conflits de faible intensit� auxquels des Am�ricains �taient directement expos�s (R�publique dominicaine, Panama, Grenade) : l'Administration, paralys�e par des contraintes constitutionnelles, n'avait pu r�gler rapidement ces questions.
+Limit� pendant la guerre froide, tant par la n�cessit� de se ranger derri�re l'autorit� du pr�sident que par l'absence d'une r�elle expertise des questions ext�rieures, le Congr�s, apr�s la disparition de l'Union sovi�tique, a renou� avec une lecture plus fid�le de la Constitution. C'est ainsi que les parlementaires ont peu � peu rassembl� de v�ritables �quipes d'experts et us� de leurs pr�rogatives � chaque occasion, aussi bien du fait des clivages politiques les opposant � la Maison-Blanche (la d�cennie 1990 a �t� marqu�e par une opposition partisane quasi permanente entre l'Ex�cutif et le L�gislatif) qu'en raison de l'absence de menace ext�rieure qui, selon les textes de Jean-Jacques Rousseau et des p�res fondateurs, pouvaient justifier l'apathie du Congr�s.
+La guerre du Golfe est souvent cit�e comme l'exemple d'un parfait succ�s de la machine de guerre des Etats-Unis, de leur habilet� � r�unir des coalitions ad hoc et de leur unit� dans l'�preuve. Parall�lement � ces bons r�sultats, la crise du Golfe, qui a pr�c�d� l'intervention arm�e, a vu s'opposer au Congr�s les partisans de l'intervention et les opposants � la guerre, pla�ant souvent l'Administration de George H.W. Bush dans une position d�licate, avant que les relations entre l'Ex�cutif et le L�gislatif se normalisent et que les op�rations puissent commencer. Rapidement conscient que l'argument de l'invasion du Kowe�t, s'il permettait de l�gitimer l'adoption de r�solutions au Conseil de s�curit� des Nations unies, ne pouvait justifier l'utilisation de la force, ni l'envoi de plusieurs dizaines de milliers d'hommes dans la r�gion, le pr�sident George H.W. Bush n'a eu de cesse de placer les questions relatives � la d�fense de l'Arabie Saoudite au centre des discussions. Par extension, la guerre contre l'Irak devenait peu � peu une croisade du " Bien " contre le " Mal ", dans laquelle les Etats-Unis ne d�fendaient pas uniquement des int�r�ts nationaux, mais l'�quilibre du monde libre.
+Ainsi, d�s l'invasion du Kowe�t, le S�nat, suivi de peu par la Chambre des repr�sentants, s'est rang� derri�re le pr�sident, lui demandant d'agir avec tous les moyens n�cessaires pour obtenir le retrait des forces irakiennes. Comme l'expliquait � l'�poque Yves Boyer, " cette harmonie entre l'Ex�cutif et le L�gislatif ne faisait que traduire le soutien massif de l'opinion publique, approuvant � 70 % cette action ". En r�alit�, il s'agissait plut�t d'une manoeuvre de la Maison-Blanche, ex�cut�e en p�riode de cong�s parlementaires de fa�on � �viter les critiques du Capitole, une politique active de communication devant permettre de s'assurer un soutien populaire. Dick Cheney, alors secr�taire � la D�fense, reconnut d'ailleurs que " le fait que le Congr�s soit en cong� fut un avantage. Nous pouvions profiter du mois d'ao�t pour faire ce que nous avions � faire, plut�t que de s'expliquer devant lui ". L'harmonie masquait un choix d�lib�r� de l'Ex�cutif pour �viter que les d�bats institutionnels ne retardent l'adoption de r�solutions et n'emp�chent l'envoi de forces arm�es au Moyen-Orient.
+Mais l'euphorie du mois d'ao�t fut de courte dur�e. Le S�nat ne tarda pas � inviter le pr�sident � venir se pr�senter devant le Congr�s pour expliquer ses plans. L'argument de la d�fense du pays �tant rapidement �cart�, les parlementaires rappel�rent au chef de l'Ex�cutif que les pouvoirs de guerre �taient reconnus par la Constitution et que toute op�ration ext�rieure devait recevoir leur aval. En effet, si des pouvoirs exceptionnels peuvent �tre attribu�s au pr�sident en cas de situation d'urgence, il n'en va pas de m�me en cas d'envoi de troupes sur un th��tre ext�rieur dans le cadre d'une grande offensive, quelle qu'en soit d'ailleurs la justification. Et le fait que les deux Chambres �taient alors majoritairement d�mocrates n'a fait que renforcer la vigueur du Congr�s face aux propositions de l'Ex�cutif r�publicain.
+Le pr�sident George H.W. Bush, conscient que le soutien du Congr�s ne lui �tait pas acquis, en d�pit de l'approbation constante de l'opinion publique au principe d'une intervention en Irak, a longtemps justifi� le fait de ne pas se pr�senter devant les parlementaires en se pr�valant des r�solutions du Conseil de s�curit� des Nations unies. Harry S. Truman avait fait de m�me en 1950 dans la guerre de Cor�e : il avait envoy� des troupes sans en informer le Congr�s, en se fondant sur les r�solutions de l'ONU. Mais le War Powers Act n'existait pas � cette �poque, et le cas de la crise du Golfe est donc diff�rent de celui de la guerre de Cor�e. Toutefois, en 1990 comme en 1950, le principe de l'intervention s'appuyait essentiellement sur les r�solutions du Conseil de s�curit�, qui devaient l'emporter sur les consid�ration de politique int�rieure, du moins aux yeux de l'Administration.
+Le 17 septembre 1990, interrog� sur la question des pouvoirs de guerre, Dick Cheney estimait que le War Powers Act pouvait �tre consid�r� comme inconstitutionnel, dans la mesure o� il imposait des limites aux pr�rogatives constitutionnelles du pr�sident, notamment dans son r�le de chef des arm�es. De tels propos illustrent l'option qui fut choisie par l'Administration : adopter la m�me position que sous les Administrations Reagan et �viter autant que possible de se pr�senter devant des parlementaires hostiles, sans pour autant avoir le moindre argument permettant de justifier une telle attitude. Cet �pisode met en �vidence le fait que, de fa�on g�n�rale, le War Powers Act n'a jamais �t� reconnu comme constitutionnel par l'Ex�cutif, qui a toujours consid�r� qu'il octroyait un pouvoir abusif au Congr�s. En ce sens, l'Administration de George H.W. Bush ne faisait que reprendre une rh�torique d�j� utilis�e pr�c�demment, et qui a continu� d'�tre employ�e par la suite.
+Le s�nateur Sam Nunn (d�mocrate, G�orgie), alors pr�sident de la commission des Forces arm�es, fut le premier des parlementaires � s'�lever contre la d�cision d'envoyer des troupes en Irak. Parmi les initiatives les plus marquantes, il invita plusieurs personnalit�s � t�moigner et � lui apporter leur soutien contre la guerre. Ainsi se succ�d�rent au Capitole l'amiral William Crowe, le g�n�ral David Jones, l'ancien secr�taire � la D�fense James Schlesinger, l'ancien secr�taire � la Marine James Webb, et l'ancien directeur du National Security Council, William Odom. Chacun s'�leva contre la guerre, usant d'arguments aussi vari�s que l'inutilit� d'une telle campagne, la mauvaise adaptation des forces arm�es � ce type d'op�ration, les risques de pertes humaines, les cons�quences du conflit sur la stabilit� de la r�gion et du monde en g�n�ral, et la nature des objectifs � long terme (ce point �tant le plus int�ressant, puisqu'il concerne les relations entre les pouvoirs ex�cutif et l�gislatif en temps de guerre). Seul Henry A. Kissinger, �galement invit� par Sam Nunn, ne partagea pas l'opinion des autres personnalit�s, consid�rant qu'il n'y avait pas d'autre option que d'engager les forces arm�es, et que les parlementaires devaient soutenir en bloc l'Administration.
+Les r�actions du pr�sident aux critiques du Congr�s montr�rent � la fois son agacement et son impuissance. Consid�rant qu'il �tait de son devoir de prendre des d�cisions rapidement, notamment du fait des otages d�tenus � Bagdad, il refusa n�anmoins toute option consistant � intervenir sans consulter le Congr�s, � d�faut d'obtenir son accord. Comme il l'�crivait dans son journal, le 28 novembre 1990 :
+" Le d�bat fait rage � pr�sent, et Sam Nunn, qui, selon moi, vise la pr�sidence, essaie de voir jusqu'o� il peut aller. Richard Gephardt "rompt" avec le pr�sident en disant : "Non au recours � la force, les sanctions doivent porter leurs fruits.'' Aucun d'eux ne semble se soucier du sort des otages ; aucun ne partage mon inqui�tude pour notre ambassade... Quelle ironie de voir la droite isolationniste se ranger aux c�t�s de la (vieille) gauche incarn�e par Kingman Brewster (qui exprimait le) syndrome du Vietnam ! Bob Kerrey, un vrai h�ros de la guerre du Vietnam, et John Glenn, un autre h�ros, r�p�tent : "Pas de recours � la force, pas de recours � la force"."+
" (...) Notre r�le de leader mondial sera de nouveau r�affirm�, mais, si nous acceptons des compromis et que nous �chouons, nous serons r�duits � l'impuissance totale, et il n'est pas question que cela se produise. Peu importe que le Congr�s vote ou non. Cela n'arrivera pas... et je tiens � impliquer le Congr�s. Le grand d�bat continue � propos de la d�claration de guerre, mais l'important, c'est que nous avons besoin d'eux ; et je continuerai � les consulter. "+
Ce m�pris de la Constitution, m�me justifi� � certains �gards, a eu pour effet de renforcer les rangs des opposants au principe de l'intervention, en radicalisant les positions des uns et des autres. Comme l'expliquait � l'�poque Stanley Hoffmann, " la r�ticence de l'Ex�cutif � soumettre sa politique au contr�le des parlementaires, en vertu de la l�gislation sur les pouvoirs de guerre, a suscit� de fortes tensions ".
+Peu � peu, des �lus r�publicains mod�r�s se sont joints aux remarques de Sam Nunn, acceptant le principe d'une intervention, mais demandant � George H.W. Bush de se pr�senter devant le Congr�s. Ainsi, William Cohen, alors s�nateur r�publicain du Maine, estimait que " le pr�sident devait �noncer sa proposition et demander au Congr�s s'il approuvait ou non, et jusqu'� quel point, ses objectifs politiques ". En d'autres termes, les parlementaires du propre camp du pr�sident souhaitaient que celui-ci respecte le War Powers Act, et ce, d'autant que le Grand Old Party (GOP, le Parti r�publicain) en avait �t� l'instigateur. D'autres �lus r�publicains, comme le tr�s influent Richard Lugar (s�nateur de l'Indiana), se sont �lev�s contre la guerre en invoquant que le fardeau serait support� essentiellement par les Etats-Unis. L'argument �tait de faire payer davantage aux alli�s le co�t de l'op�ration (notons au passage que ce sont des revendications que Richard Lugar a maintes fois r�p�t�es au cours de la d�cennie 1990, et qui ont �t� suivies par un nombre croissant de parlementaires). Ces demandes n'ont cependant pas �t� jug�es recevables en 1990, le Congr�s applaudissant au contraire la capacit� de George Bush et de James Baker � former une coalition et � r�partir le co�t des op�rations entre les alli�s.
+C�t� d�mocrate, l'opposition �tait encore plus radicale, certains s�nateurs, comme Edward Kennedy (d�mocrate, Massachusetts), voulant � la fois emp�cher George H.W. Bush d'agir seul et prendre part aux d�cisions politico-militaires. La presse lib�rale s'en est m�l�e, le New York Times citant m�me � titre d'exemple Edouard Chevarnadze, alors ministre des Affaires �trang�res de l'Union sovi�tique, qui jugeait que " toute utilisation des troupes sovi�tiques hors des fronti�res suppose une d�cision du parlement sovi�tique ". Fait �tonnant, ce fut George Mitchell, alors leader de la majorit� d�mocrate au S�nat, qui vint au secours de l'Administration de George H.W. Bush, expliquant que le moment �tait mal choisi pour demander au pr�sident de s'expliquer devant les parlementaires, avant d'inciter le S�nat, avec Robert Dole (r�publicain, Kansas), � adopter une r�solution soutenant l'action du pr�sident (finalement adopt�e le 2 octobre 1990, avec seulement 3 voix contre). Cela ne l'emp�chera pas toutefois de remarquer quelques semaines plus tard, � quelques heures du d�but de la campagne, que " le pr�sident n'a pas consult� le Congr�s sur cette d�cision ; il n'a pas cherch� le soutien du peuple am�ricain. Il l'a simplement fait ". Ce qui prouvait que, m�me en temps de crise, l'unit� du pays restait fragile, et que la politique partisane demeurait au centre des discussions.
+Au fur et � mesure que l'�ch�ance du 15 janvier 1991 approchait, les positions des uns et des autres se firent de plus en plus nettes, certains n'h�sitant pas � �voquer l'impeachment si le pr�sident choisissait de ne pas se pr�senter au Capitole. George H.W. Bush s'inqui�ta de la volont� du r�gime irakien de se doter d'armes de destruction massive, ce � quoi Al Gore, alors s�nateur (d�mocrate, Tennessee), r�pliqua qu'il s'agissait d'une manoeuvre maladroite destin�e � gagner le soutien du Congr�s. Se sentant dans une situation de plus en plus d�licate, le pr�sident comprit que la guerre �tait in�vitable, et que son issue d�terminerait son propre avenir politique. Il estimait en effet que la mauvaise conduite des op�rations pouvait lui co�ter cher, tandis qu'une victoire facile ne renforcerait pas n�cessairement sa position face au Congr�s et � ses adversaires politiques. Ainsi, comme il l'�crivait dans son journal, le 20 d�cembre 1990 :
+" Si la guerre est rapide, avec le moins de pertes possible, quoi que cela veuille dire, et que Saddam essuie une d�faite fulgurante, je devrai en partager le m�rite avec le Congr�s et le monde entier. En revanche, si cela s'�ternise, non seulement on va m'en tenir responsable, mais on va probablement entamer une proc�dure de destitution contre moi, comme l'a dit Dan Inouye. "+
Dernier acte avant le d�clenchement des op�rations militaires, et pas des moindres, James Baker rencontra Tareq Aziz, alors ministre des Affaires �trang�res de l'Irak, � Gen�ve, le 9 janvier 1991. Il lui remit une lettre de George H.W. Bush adress�e � Saddam Hussein, enjoignant le dirigeant irakien de retirer ses troupes de Bagdad pour �viter une intervention arm�e. Cette lettre contenait �galement les phrases suivantes : " Les Etats-Unis ne tol�reront pas l'usage d'armes chimiques ou biologiques, ni la destruction des sites p�troliers du Kowe�t. Le peuple am�ricain r�clamerait � ce moment-l� la riposte la plus violente possible ", sous-entendu l'utilisation d'armes nucl�aires contre le r�gime de Bagdad. En d'autres termes, le pr�sident brandissait la menace nucl�aire - celle-ci, � l'inverse des pouvoirs de guerre, �tant plac�e sous sa seule autorit� - en justifiant sa fermet� par le soutien de l'opinion publique. De tels propos sont � replacer dans leur contexte, dans la mesure o� George H.W. Bush n'avait pas encore obtenu le soutien officiel du Congr�s, qui n'interviendra que trois jours plus tard.
+Le 12 janvier 1991, la Chambre des repr�sentants devait s'exprimer au sujet de la r�solution Michel-Solarz, qui approuvait le recours � la force pour atteindre les objectifs fix�s par les Nations unies ; sa jumelle au S�nat �tait la r�solution Dole-Warner. La premi�re fut adopt�e � 250 voix contre 183, et la seconde � 52 contre 47, soit la plus petite majorit� jamais constat�e lors d'une d�claration de guerre de toute l'histoire des Etats-Unis. Deux autres r�solutions concurrentes avaient �t� propos�es � la Chambre : la r�solution Durbin-Bennett, qui rappelait que le Congr�s pouvait seul prendre l'initiative de d�clarer la guerre, et la r�solution Gephardt-Hamilton, qui encourageait la poursuite des sanctions �conomiques et refusait la guerre. Toutes deux furent rejet�es. Ainsi, il a fallu attendre la date butoir du 15 janvier 1991 pour que les opposants � la guerre voient leurs initiatives repouss�es et que le Congr�s apporte son soutien � l'Administration. Ces votes indiquent sans aucun doute que les parlementaires �taient conscients de la situation de blocage qu'aurait entra�n�e un refus � l'avant-veille des op�rations, et du risque encouru pour la coalition dans son ensemble. Une fois les troupes pr�tes � l'assaut, ce refus aurait en effet �t� mal ressenti, tant par l'opinion publique aux Etats-Unis que par la communaut� internationale. George H.W. Bush a reconnu plus tard avoir alors compris que " la plupart des s�nateurs et des parlementaires seraient oblig�s de nous soutenir si nous d�clarions la guerre sans eux, mais qu'ils se trouveraient en mauvaise posture si je r�clamais officiellement une d�claration de guerre ou bien une r�solution de soutien au recours � la force ". Mais, finalement, comme l'expliquent Lawrence Freedman et Efraim Karsh, " la d�cision critique (de lancer l'offensive), comme tant d'autres pendant la crise, fut prise par un nombre relativement limit� de personnes ".
+Certains experts consid�raient, apr�s la fin des hostilit�s, que le S�nat serait, � l'avenir, moins hostile � l'envoi de troupes � l'�tranger que lors du vote du 12 janvier, et pr�disaient un avenir radieux pour les futures Administrations, qui disposeraient d'un " mandat " offert par les parlementaires en mati�re de pouvoirs de guerre. Ce ne fut pas le cas. En fait, les d�bats d�crits ici, s'ils n'ont pas eu pour effet de bloquer la d�cision de George H.W. Bush de s'engager dans une guerre contre l'Irak, ont eu des cons�quences � plus long terme. C'est en effet � partir de la crise du Golfe que le Congr�s a retrouv� une certaine l�gitimit� en mati�re de pouvoirs de guerre, les parlementaires n'h�sitant plus � faire valoir leurs pr�rogatives face � l'Ex�cutif. L'absence de menace, l'opposition politique quasi constante et l'h�ritage de l'expertise acquise alors (c'est pendant cette p�riode que de v�ritables groupes d'experts vont se constituer au Congr�s, ceux-ci se g�n�ralisant par la suite avec l'apport dans le camp r�publicain d'anciens membres des Administrations Reagan et Bush) en furent la cause. L'argument, pr�sent� par Anthony Lake quelques ann�es plus t�t, �tant �galement que " le d�bat d�mocratique produit plus facilement que la doctrine des d�cisions importantes en mati�re de politique �trang�re ".
+Pendant les huit ann�es de pr�sidence de Bill Clinton, et de fa�on encore plus nette apr�s le double succ�s des R�publicains aux �lections de la mi-mandat en novembre 1995, le Congr�s exprima son d�saccord sur les questions relatives aux affaires �trang�res, notamment en ce qui concerne l'envoi de forces arm�es sur des th��tres ext�rieurs. Mais le pr�sident et l'Administration furent confront�s � une opposition qui se montra bien plus sensible � la question de la r�partition des pouvoirs qu'aux clivages politiques traditionnels. Ces d�bats, renouvel�s � l'occasion des diff�rentes crises auxquelles l'Administration Clinton fit face, nous permettent de mieux comprendre dans quelle mesure la fin de la guerre froide a boulevers� la relation Ex�cutif/L�gislatif dans le domaine des pouvoirs de guerre. Pour la premi�re fois, en effet, le Congr�s a �t� en mesure de bloquer les initiatives pr�sidentielles, ne se contentant pas d'exprimer des r�serves, mais faisant pleinement usage de ses pr�rogatives. C'est �galement pendant cette p�riode que les r�seaux d'influence du Congr�s se sont consid�rablement renforc�s, notamment par la mont�e en puissance des commissions charg�es des questions internationales, ce qui marqua de fa�on durable le retour des parlementaires dans le processus d'�laboration de la politique �trang�re.
+Depuis que les Etats-Unis sont devenus la seule superpuissance, les d�bats portant sur les relations internationales et les interventions � l'�tranger se sont d�plac�s vers des consid�rations de politique int�rieure, o� le Congr�s, et plus particuli�rement la Chambre des repr�sentants, se fait directement l'�cho de " la voix de l'Am�rique ". Pour conserver toute sa cr�dibilit� et s'assurer une cote de popularit� acceptable, le pr�sident doit se montrer sensible aux revendications de ses concitoyens, m�me si celles-ci vont parfois � l'encontre des engagements internationaux du pays ; mais il doit aussi prendre en consid�ration les d�bats au Congr�s, pour que les deux pouvoirs ne soient pas en opposition. Cela est d'autant plus perceptible en temps de gridlock (litt�ralement " gros embouteillage ", mais il s'agit plut�t ici d'une forme de cohabitation politique), quand le pr�sident et l'une des deux (voire les deux) Chambres ne d�fendent pas les m�mes options. Cependant, l'opposition entre le Capitole et la Maison-Blanche a largement d�pass�, sous Bill Clinton, le simple clivage politique, r�pondant surtout � une diff�rence d'appr�ciation de la Constitution.
+En prenant le contr�le de la Chambre des repr�sentants � l'occasion des �lections de 1994 (230 si�ges sur 434), les R�publicains retrouvaient la majorit� pour la premi�re fois depuis 1954, mettant ainsi fin � 40 ans de domination d�mocrate. Au S�nat, si le GOP a parfois gagn� des �lections l�gislatives, les R�publicains n'ont �t� majoritaires qu'� dix reprises depuis 1945. Au total, ils n'ont contr�l� simultan�ment les deux Chambres que six fois : entre 1947 et 1949, entre 1953 et 1955, et entre 1995 et juin 2001, soit seulement durant 10 ann�es, contre 40 ans pour les D�mocrates, et six ans de partage des pouvoirs. Enfin, jusqu'� l'�lection de George H.W. Bush, les R�publicains n'ont �t� qu'une seule fois � la t�te des trois pouvoirs (Maison-Blanche, S�nat, Chambre des repr�sentants) : c'�tait entre 1953 et 1955, sous la pr�sidence de Dwight D. Eisenhower. Quant aux D�mocrates, ils ont connu cette situation � dix reprises, soit durant 20 ans ; mais le pr�sident Bill Clinton n'en a b�n�fici� que pendant les deux premi�res ann�es de son premier mandat, entre 1993 et 1995.
+En 1994, Louis Fisher signalait le souhait exprim� par Bill Clinton de poursuivre la politique de son pr�d�cesseur de ne pas consulter syst�matiquement le Congr�s en cas d'op�rations militaires ext�rieures. Fortement contest� par ceux qui d�fendaient les initiatives de l'Ex�cutif, le War Powers Act a m�me �t� pr�sent� comme un texte d�pass� et devant �tre red�fini, non seulement � la lumi�re des difficult�s rencontr�es par George H.W. Bush en 1990, mais �galement en raison de la g�n�ralisation des crises de faible intensit�. En effet, Washington a �t� confront� � un nombre croissant de conflits limit�s n'engageant que de loin ses int�r�ts, et pour lesquels la consultation du Congr�s n'�tait pas forc�ment jug�e n�cessaire, les parlementaires se montrant assez peu sensibles au d�roulement d'op�rations engageant des forces limit�es. Pourtant, c'est pendant cette p�riode qu'ils ont mis en avant les pr�rogatives que leur offre la Constitution et qu'ils n'ont pas h�sit� � se prononcer sur toutes les initiatives de l'Administration en mati�re d'engagement des forces arm�es. Ainsi, � l'occasion de toutes les op�rations ext�rieures auxquelles l'Administration Clinton a pris part, de nombreuses voix se sont �lev�es au Congr�s pour contrer la position de l'Ex�cutif.
+Entre 1992 et 2000, l'Irak fut au centre des pr�occupations des parlementaires, qui se sont int�ress�s aux diff�rentes options recherch�es par l'Administration et n'ont pas manqu� de rappeler l'importance de la Constitution. Ce fut notamment le cas en 1996. John McCain estimait alors que " notre capacit� � entreprendre des actions disproportionn�es et efficaces, n�cessaires en de telles circonstances, ne doit pas �tre mise en cause par les cons�quences de notre �chec � pr�server l'unit� de la coalition ". Ces d�bats se sont encore poursuivis, les parlementaires n'h�sitant pas � proposer une r�solution sur l'avenir du r�gime irakien, se donnant ainsi le premier r�le dans l'�laboration de la politique �trang�re. D�fendant cette r�solution, Thomas Lantos (d�mocrate, Californie) pr�cisait que son " objectif (...) �tait de montrer clairement et sans �quivoque � Saddam Hussein et � son gouvernement que le Congr�s soutient l'usage de la force militaire en cas de n�cessit�. Il ne doit y avoir aucun doute ni sur l'importance de la poursuite des inspections, comme le stipulent les d�cisions du Conseil de s�curit� des Nations unies, ni sur la volont� du gouvernement des Etats-Unis, ni sur le soutien du peuple am�ricain si une action militaire �tait n�cessaire ".
+Cette mont�e en puissance du Congr�s allait de pair avec de vives critiques � l'�gard de l'Administration Clinton, certains parlementaires allant jusqu'� juger que sa politique vis-�-vis de l'Irak n'�tait pas clairement d�finie. Ainsi, le s�nateur conservateur Charles Hagel (r�publicain, Nebraska) estimait que " notre d�fense nationale est garante de notre politique �trang�re. Je ne sais pas si nous avons une politique de long terme en Irak, � part celle de maintenir les sanctions d�cid�es par les Nations unies et d'imposer leurs r�solutions, mais ceci ne constitue pas une politique �trang�re. Si nous devons un jour conduire les Etats-Unis � la guerre, ce doit �tre pour imposer notre politique �trang�re - faire seulement la guerre n'est pas suffisant. Nous devons imposer une politique d'ensemble et de long terme. Les raisons d'une entr�e en guerre doivent reposer sur bien autre chose que la seule mise en oeuvre de sanctions � court terme ".
+C'est donc sous la pr�sidence de Bill Clinton que le Congr�s a retrouv� ses pr�rogatives en mati�re de politique �trang�re, non seulement du fait de l'opposition partisane entre les pouvoirs ex�cutif et l�gislatif et de l'absence de menace ext�rieure pesant sur le pays, mais �galement en raison de la mont�e en puissance de certaines institutions-clefs du Congr�s - les commissions - et de ceux qui les pr�sident.
+Fil conducteur de la politique �trang�re des Etats-Unis au m�me titre que la relation avec l'Irak, l'engagement dans les Balkans a r�v�l� des divergences de vue entre les pouvoirs ex�cutif et l�gislatif. Mais, plus qu'une opposition li�e � des particularismes politiques, les crises successives en Bosnie et au Kosovo ont surtout soulign� la volont� des parlementaires d'�tre consult�s pr�alablement � toute intervention ext�rieure.
+En 1993, les d�bats sur la possibilit� d'un engagement militaire en Bosnie se sont accompagn�s de nombreuses critiques sur le co�t des op�rations, la n�cessit� d'engager les forces arm�es et la participation des alli�s europ�ens. Les parlementaires se sont interrog�s sur les pouvoirs de guerre accord�s au pr�sident Bill Clinton et sur la n�cessit� d'engager des forces arm�es sur un th��tre d'op�rations n'impliquant pas directement les int�r�ts vitaux des Etats-Unis. Certains membres du Congr�s se sont montr�s sceptiques quant aux pr�tentions de la Maison-Blanche � jouer les " gendarmes du monde ". Ils estimaient que le pays, en intervenant de fa�on excessive � l'ext�rieur, risquait de gaspiller ses ressources et de d�voiler trop ais�ment ses forces � ses adversaires. Le s�nateur John McCain (r�publicain, Arizona) pensait ainsi que, " si nous usons de nos forces et de notre prestige de fa�on inconsid�r�e, nous gaspillerons des ressources que nous n'avons pas ".
+Des remarques du m�me type ont �t� exprim�es en 1995, notamment de la part d'�lus d�mocrates, qui jugeaient que l'Administration avait pr�t� une trop grande attention aux aspirations de l'aile conservatrice du Congr�s en d�cidant d'envoyer des troupes dans les Balkans. Le s�nateur Byron Dorgan (d�mocrate, Dakota-du-Nord) estimait ainsi que " l'envoi de forces pose un �norme risque pour nos troupes et notre pays, pour un gain potentiellement tr�s faible pour la Bosnie ". Pour sa part, et conscient de l'importance de la participation financi�re que supposait une intervention arm�e, le repr�sentant Jerry F. Costello (d�mocrate, Illinois) consid�rait que la Bosnie concernait les Europ�ens au premier chef et que ceux-ci devaient en assumer la principale responsabilit�, �cartant ainsi le principe d'un envoi de troupes am�ricaines sur le terrain.
+Le d�bat sur les pouvoirs de guerre s'est encore �largi avec l'intervention des Etats-Unis en Bosnie, car celle-ci s'effectuait dans le cadre de l'OTAN. En effet, afin de soutenir des op�rations men�es sous l'�gide des Nations unies ou de l'Alliance atlantique, Bill Clinton autorisa de multiples actions en Bosnie sans disposer de l'autorisation expresse du Congr�s, et ce, en d�pit des disputes permanentes entre le Capitole et le pr�sident sur les op�rations � mener. La question se posait alors de savoir si une action entreprise au sein de l'OTAN pouvait �tre conduite ind�pendamment des exigences de la Constitution et du War Powers Act.
+L'article 11 du trait� de l'Atlantique Nord r�pond � cette interrogation en consacrant le droit national des Etats : l'application du trait� doit �tre conforme aux " r�gles constitutionnelles " des Etats parties, ce qui, de fait, conf�re un pouvoir au Congr�s dans l'�ventualit� d'une guerre men�e au nom de l'OTAN. Le War Powers Act pr�cise �galement les conditions d'engagement des forces arm�es des Etats-Unis par rapport aux trait�s internationaux ou conventions. Ainsi, destin�e � emp�cher le recours � un trait� (ou � une loi Military Appropriations Act ou m�me � une r�solution des Nations unies) pour autoriser l'engagement de troupes, la section 8-a pr�voit qu'aucune intervention militaire ne peut �tre fond�e sur la base d'un trait� - ant�rieur ou post�rieur � 1973 - � moins qu'une clause sp�cifique ne l'y autorise express�ment. N�anmoins, la section 8-b pr�cise que les Etats-Unis peuvent participer - sans autorisation sp�cifique -, conjointement � un ou plusieurs alli�s, aux op�rations militaires de haut niveau d�cid�es par les �tats-majors (" in the headquarters operations of high-level military commands ") �tablis avant 1973, comme celles de l'OTAN.
+Le 11 ao�t 1992, soit encore sous l'Administration Bush, le S�nat vota la r�solution S.Res.330, incitant le pr�sident � travailler � une r�solution du Conseil de s�curit� pour faciliter l'aide humanitaire � Sarajevo, mais pr�cisant qu'aucune force militaire ne saurait �tre introduite sans objectif clair et pr�cis. De son c�t�, la Chambre des repr�sentants votait la r�solution H.Res.554, qui incitait le Conseil de s�curit� � prendre des mesures pour permettre l'assistance humanitaire, y compris le recours � la force. Le lendemain, le Conseil de s�curit� votait la r�solution 770, appelant les Etats membres � prendre " toutes les mesures n�cessaires " pour faciliter l'acheminement de l'aide � Sarajevo.
+Le 28 f�vrier 1993, les Etats-Unis commenc�rent � d�livrer de l'aide humanitaire par avion, et, � partir du 12 avril, en application de la r�solution du 31 mars (autorisant les Etats membres � prendre toutes les mesures n�cessaires pour imposer l'interdiction de survol militaire de la Bosnie), ils effectu�rent des actions a�riennes dans le cadre de l'OTAN. Celles-ci �taient destin�es � imposer � la fois les sanctions et le respect de la zone de non-vol (no-fly zone) au dessus de la Bosnie. Au lieu de l'annoncer avant les op�rations, ce n'est que le lendemain que le pr�sident rendit compte de la conformit� au War Powers Act de la participation des Etats-Unis. De m�me, alors que le secr�taire d'Etat Waren Christopher annon�ait, le 10 juin, l'envoi d'un effectif de 300 soldats en renfort d'une mission de maintien de la paix en Mac�doine, en application de la r�solution 795 du Conseil de s�curit� (vot�e en 1992 et destin�e � �viter l'extension de la crise bosniaque aux pays voisins), ce n'est qu'un mois plus tard (le 9 juillet) que le pr�sident d�clara cette action conforme au War Powers Act.
+Dans la perspective d'un accord de paix, la Maison-Blanche envisagea de fournir la moiti� des forces de l'OTAN (25 000 hommes sur 50 000). Certains parlementaires comme le s�nateur Robert Dole (leader de l'opposition) ont alors exig� l'approbation du Congr�s avant tout autre d�ploiement en Bosnie, ce qui poussa l'assistant du secr�taire d'Etat, Stephen Oxman, � garantir que l'Administration n'agirait pas sans le soutien des parlementaires en cas de mise en oeuvre de l'�ventuel accord de paix. Afin de formaliser cet engagement, le Congr�s vota une disposition introduite par les s�nateurs Dole et Mitchell, qui stipulait que les fonds destin�s � financer la participation de troupes am�ricaines pour assurer l'accord de paix ne seraient pas allou�s sans autorisation pr�alable du Capitole.
+Alors que le conflit bosniaque perdurait et que le pr�sident continuait de rendre compte des op�rations seulement apr�s que celles-ci avaient �t� engag�es, la contestation parlementaire r�clamant une plus grande implication du Congr�s s'intensifia, en particulier au S�nat. Ainsi, le 12 mai, les s�nateurs accept�rent � une voix de majorit� les amendements propos�s respectivement par Robert Dole (approuvant la mission de la Force de protection des Nations unies (FORPRONU)) et George Mitchell (stipulant, entre autres, que les Etats-Unis ne pouvaient envoyer de soldats au sol sans l'accord du Congr�s). Mais la Chambre des repr�sentants ne suivit pas ce vote, qui resta donc sans effet. La section 8 100 du Defense Appropriations Act for FY 1995 (P.L. 103 - 335, sign� le 30 septembre 1994) stipulait que les fonds octroy�s par la pr�sente loi ne devaient pas financer le d�ploiement des troupes charg�es de mettre en oeuvre un accord de paix en Bosnie, � moins que le Congr�s ne l'autoris�t.
+Fin 1995, le d�bat sur les pouvoirs de guerre fit un retour sur le devant de la sc�ne, apr�s la d�cision pr�sidentielle d'envoyer 20 000 hommes en Bosnie dans le cadre d'une mission de maintien de la paix de l'OTAN. Le Congr�s vota nombre de projets de loi et de r�solutions, notamment trois dans chaque Chambre pour le seul mois de d�cembre, mais ni le S�nat ni la Chambre ne parvinrent � se mettre d'accord sur les mesures � prendre. Cette absence de consensus permit au pr�sident de fournir l'ann�e suivante (d�cembre 1996) des troupes au sol (8 500 hommes) pour participer � la Force de stabilisation (Stabilization Force, SFOR. A nouveau, ce manque de clart� s'expliquait en grande partie par l'opposition de certains �lus d�mocrates (dont Joseph Lieberman et Joseph Biden) aux propositions de l'Administration, tandis que les R�publicains y �taient plut�t favorables. En fait, les �lus conservateurs pouvaient difficilement reprocher au pr�sident sa d�termination apr�s avoir longuement critiqu� ses prises de position trop h�sitantes. Ce fut le cas de Robert Dole, futur candidat r�publicain � l'�lection pr�sidentielle de 1996, qui ne put que rester silencieux sur cette question, sous peine de se contredire. Devant cette absence de d�bat partisan au S�nat, ce furent des �lus r�publicains r�put�s plus mod�r�s qui �mirent des r�serves, notamment John McCain, John Warner et William Cohen.
+Le dernier acte se joua le 18 mars 1998, quand le Congr�s rejeta � une majorit� de 225 voix contre 193 la contre-r�solution (H.Con.Res 227, introduite par le r�publicain Tom Campbell) visant � retirer les troupes am�ricaines de Bosnie. Ce vote serr� illustrait nettement la gronde des parlementaires, peu dispos�s � voir le conflit s'intensifier et qui �taient pr�ts � contraindre Bill Clinton � aller � l'encontre de ses engagements. Cette situation marqua incontestablement un tournant dans la relation entre le L�gislatif et l'Ex�cutif en mati�re de pouvoirs de guerre, la Maison-Blanche se trouvant prise entre des engagements internationaux et des contraintes de politique int�rieure.
+Avec l'intervention des Etats-Unis au Kosovo, le d�bat sur les pouvoirs de guerre franchit une nouvelle �tape, certains parlementaires allant m�me jusqu'� recourir � la justice pour mettre le pr�sident en accusation. Est-il n�cessaire de rappeler ici que cette nouvelle crise dans les Balkans prit place au moment de l'affaire Monica Lewinski, � l'occasion de laquelle le pr�sident Clinton fut la cible des parlementaires conservateurs, y compris dans le camp d�mocrate ? Cette affaire intervenait donc au plus mauvais moment pour un pr�sident d�j� soumis � de fortes pressions internes. Cela n'emp�cha pas certains parlementaires de lui reprocher d'utiliser des consid�rations de politique �trang�re pour d�tourner l'attention des questions de politique int�rieure auxquelles il �tait confront�.
+La controverse sur l'action au Kosovo s'amplifia le 26 mars 1999, lorsque Bill Clinton annon�a que des frappes a�riennes men�es avec les alli�s contre le gouvernement yougoslave avaient commenc� deux jours plus t�t. Les parlementaires se montr�rent tr�s partag�s, refusant de d�sapprouver comme de soutenir la politique du pr�sident, ce qui eut pour effet d'affaiblir leur action. Ainsi, le 28 avril, si la Chambre des repr�sentants se mit d'accord pour refuser de financer l'envoi de troupes au sol � moins d'obtenir une autorisation sp�cifique (H.R 1569), elle ne trouva pas de consensus sur les propositions de loi proposant le retrait des troupes des op�rations engag�es (H.Con.Res.82) ou une d�claration de guerre contre l'Etat yougoslave (H.J.Res.44). Le m�me jour, la Chambre des repr�sentants rejeta - lors d'un vote exceptionnellement partag� (213 voix contre 213) - la r�solution introduite par le S�nat, le 23 mars (S.con.Res.21), qui soutenait les frappes militaires a�riennes contre la Yougoslavie.
+Deux jours plus tard, une petite fraction du Congr�s entreprit d'intenter une action en justice contre le pr�sident. Sous la f�rule de Tom Campbell (r�publicain, Californie), 17 parlementaires saisirent ainsi la Cour f�d�rale du district de Columbia pour r�clamer que Bill Clinton obtienne l'accord du Congr�s avant de continuer la guerre a�rienne ou d'entreprendre d'autres op�rations militaires en Yougoslavie. Devant l'incapacit� de s'accorder sur le principe de mesures bilat�rales bloquant les op�rations, ces parlementaires avaient d�cid� de porter devant la justice du pays la d�cision du pr�sident et de l'Administration.
+Le seul point sur lequel les parlementaires �taient clairs concernait le soutien aux forces arm�es et le 20 mai, date � laquelle le Congr�s soumit � la signature pr�sidentielle le projet de loi de finances suppl�mentaires d'urgence (H.R.1141) accordant des milliards pour financer l'op�ration au Kosovo, on s'attendit � une accalmie. Mais, le 25, comme cela faisait 60 jours que le pr�sident avait rendu compte au Congr�s des op�rations militaires men�es au Kosovo, les parlementaires qui contestaient l'action pr�sidentielle (le groupe des 18) signal�rent � la Cour que son comportement constituait une violation patente de l'esprit du War Powers Act. En effet, celui-ci autorise le retrait des forces du champ de bataille au bout de 60 jours si le Congr�s, dans ce laps de temps, n'a pas autoris� la poursuite des actions ou si le pr�sident n'a pas r�clam� un d�lai suppl�mentaire de 30 jours. Or le pr�sident n'avait pas cherch� � obtenir ce d�lai suppl�mentaire, faisant valoir que le War Powers Act �tait constitutionnellement d�faillant (defective). Cependant, le 8 juin 1999, arguant du manque de fondement l�gal de la plainte, le juge du district f�d�ral Paul L. Friedman rejeta l'accusation selon laquelle le pr�sident avait viol� le War Powers Act ou la Constitution dans la conduite des op�rations militaires en Yougoslavie. Loin de s'arr�ter l�, l'affaire prit une ampleur consid�rable. Apr�s avoir fait appel devant la Cour comp�tente (celle du district de Columbia), qui accepta de recevoir l'appel mais confirma, le 18 f�vrier 2000, la d�cision de la cour pr�c�dente, Tom Campbell et 30 autres parlementaires saisirent la Cour supr�me des Etats-Unis, le 18 mai. Celle-ci mit d�finitivement fin � l'affaire en refusant, le 2 octobre, de s'en saisir.
+L'autre dossier important concernant les forces engag�es en 1993 est la Somalie. L� encore, plusieurs parlementaires se sont demand�s s'il �tait dans l'int�r�t du pays d'envoyer des troupes sur place, et surtout de maintenir une pr�sence militaire dans la r�gion, notamment apr�s le cuisant �chec de l'op�ration commando lanc�e sur Mogadiscio, qui entra�na la mort de 18 soldats am�ricains. Le repr�sentant Benjamin Gilman (r�publicain, New York) estimait que les " forces arm�es (des Etats-Unis) devaient rentrer � la maison le plus rapidement possible et �tre remplac�es par des troupes des Nations unies provenant d'autres pays, afin de remplir la mission pr�vue initialement : nourrir ceux qui ont faim ". Pour sa part, le s�nateur Clairborne Pell (d�mocrate, Rhode Island), qui souhaitait collaborer davantage avec l'Administration, mena�ait celle-ci de mettre en avant les pr�rogatives d�finies par la Constitution si elle se refusait � consulter le Congr�s : " Laissez-nous travailler main dans la main avec l'Administration afin de trouver une alternative viable � cette politique malmen�e de toutes parts. "
+Le cas somalien a conduit les parlementaires � d�battre d'une autre question relative aux pouvoirs de guerre : celle de savoir � partir de quand l'assistance humanitaire devait �tre soumise � une autorisation du Congr�s. D�s la fin novembre 1992, le pr�sident avait propos� l'envoi de troupes pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire en Somalie ; le 3 d�cembre, cette proposition fut accueillie avec joie par le Conseil de s�curit�, qui vota la r�solution 794 autorisant le recours � tous les moyens n�cessaires pour y r�tablir une situation propice � l'assistance humanitaire. Mais, c'est avec la mont�e des violences dans ce pays (assassinats de soldats de l'ONU, incluant des Am�ricains), et surtout apr�s le fiasco de l'op�ration commando lanc�e contre le g�n�ral Aidid, que les interrogations au Congr�s prirent de l'ampleur. Ainsi, en septembre 1993, le Congr�s adoptait plusieurs amendements au Defense Authorization Act for FY 1994. Ils r�clamaient que le pr�sident, avant le 15 octobre 1993, consulte le Congr�s sur sa politique en Somalie, notamment sur les objectifs de la mission confi�e aux Etats-Unis, et pr�cisaient qu'il devait obtenir son autorisation pour la poursuite du d�ploiement des forces. Le pr�sident se conforma � ces d�cisions en consultant, le 7 octobre, les repr�sentants des deux parties sur la question somalienne pendant pr�s de deux heures et en envoyant la semaine suivante (le 13 octobre) un rapport de 33 pages au Congr�s sur les objectifs de la mission en Somalie. Le m�me jour, Bill Clinton d�clara le retrait de la plupart des troupes avant le 31 mars 1994 ; le Defense Appropriations Act for FY 1994 y apporta une garantie en mettant fin au financement des op�rations � compter de cette date, sous r�serve que le pr�sident n'obt�nt pas de nouvelle autorisation du Congr�s.
+Le Congr�s approuva l'emploi de forces militaires en Somalie dans un souci d'aide humanitaire et surtout afin d'assurer la protection du personnel et des bases am�ricaines. Aussi cette autorisation fut-elle assortie de la condition sine qua non que les forces de combat des Etats-Unis restent sous le contr�le du commandement am�ricain, sous la stricte autorit� du pr�sident. Auparavant, quelques parlementaires avaient estim� que, si le Congr�s ne permettait pas aux troupes de rester, elles devraient se retirer dans un d�lai de 60 � 90 jours. Mais le d�partement d'Etat affirma que l'autorisation du Congr�s, si elle �tait bienvenue, n'�tait pas n�cessaire dans ce cas pr�cis. Le 21 juillet 1993, le secr�taire adjoint Wendy Sherman r�pondit � une lettre envoy�e conjointement par Benjamin Gilman et Jesse Helmes (membres des commissions des Affaires �trang�res respectivement de la Chambre des repr�sentants et du S�nat) qu'aucune Administration n'avait jamais consid�r� que des engagements militaires intermittents pussent �tre interrompus au motif de la section 5-b et que, selon l'Administration, le War Powers Act ne s'appliquait qu'aux engagements prolong�s. Le 4 ao�t 1993, Benjamin Gilman d�clarait que l'on devrait se souvenir de cette date comme de celle de la mort du War Powers Act, car les troupes n'avaient pas �t� retir�es alors que des combats avaient �clat� le 5 juin et que le Congr�s avait d�cid� de se d�tourner de l'affaire.
+Le 22 octobre 1993, le m�me Benjamin Gilman pr�senta la r�solution H.Con.Res.170 ordonnant au pr�sident, conform�ment � la section 5-c du War Powers Act, de retirer les troupes de Somalie avant le 31 janvier 1994, proposition qui fut adopt�e par la Chambre des repr�sentants, laquelle repoussa la date butoir au 31 mars 1994 ; mais le S�nat s'abstint de se prononcer sur cette mesure, qui resta, de fait, non contraignante. Toutefois, le Defense Appropriations Act for FY 1995 (P.L.103 - 335, sign� le 30 septembre 1994) interdisait le financement d'une pr�sence militaire en Somalie au-del� du 30 septembre 1994, sauf pour prot�ger le personnel am�ricain. En cons�quence, le 4 novembre 1994, le Conseil de s�curit� d�cida de mettre fin � la mission des Nations unies en Somalie avant le 31 mars 1995, et les forces am�ricaines achev�rent leur mission d'�vacuation des troupes de l'ONU le 3 mars. Une fois de plus, ce fut donc l'arme du budget qui vint � bout de la d�termination du pr�sident Bill Clinton et l'obligea � se plier aux exigences du Congr�s.
+Les propositions d'intervention en Ha�ti, fin 1993 et surtout en 1994, furent � nouveau accueillies avec scepticisme par les parlementaires r�publicains, qui se montrent souvent r�ticents � l'envoi de troupes sur des th��tres ext�rieurs quand les int�r�ts vitaux des Etats-Unis ne sont pas directement menac�s. Pour le repr�sentant Douglas Bereuter (r�publicain, Nebraska), " une invasion mal d�finie, impopulaire et unilat�rale ferait de la politique �trang�re de Clinton non plus un simple mal de t�te, mais une v�ritable migraine ". Le s�nateur Strom Thurmond (r�publicain, Caroline-du-Sud) estimait pour sa part que, " m�me si la situation en Ha�ti int�resse les Etats-Unis, elle ne pr�sente aucune n�cessit� strat�gique, aucune urgence nationale, aucune menace militaire ou �conomique pour Washington ou pour le monde. Nos int�r�ts se portent sur le traitement humanitaire du peuple ha�tien et la promotion de la d�mocratie dans cette partie du globe. Aussi pourquoi la plus puissante nation de la plan�te irait-elle envahir cette petite nation insulaire ? "
+Bill Clinton entreprit l'op�ration en Ha�ti (qui pr�voyait au d�part l'envoi d'une mission de n�gociation pour assurer le d�part de la junte militaire, tout en ordonnant aux troupes de se pr�parer � une invasion si n�cessaire) sans l'aval du Congr�s, ce qui lui valut de nombreuses critiques. Celles-ci conduisirent, en octobre 1994, au vote de la r�solution S.J.Res.229 (P.L.1032 - 423), stipulant que le pr�sident aurait d� demander l'autorisation du Congr�s avant le d�ploiement et ordonnant le retrait des troupes le plus rapidement possible.
+Le 20 octobre 1993, la d�cision d'appliquer l'embargo, d�cr�t� le 3 juillet par le Conseil de s�curit� conform�ment au War Powers Act, entra�na le m�contentement de membres du Congr�s qui se plaignaient de ne pas avoir �t� consult�s au pr�alable. Cette affaire intervenait deux jours apr�s la proposition du s�nateur Robert Dole d'amender le Defense Appropriation Bill (H.R.3116) de fa�on � requ�rir l'autorisation du Congr�s pour tout d�ploiement militaire, naval ou a�rien, en Ha�ti, � moins que le pr�sident n'ait au pr�alable �mis des garanties (certifications). Apr�s des n�gociations entre membres de l'Administration et du Congr�s, l'amendement concr�tis� par la section 8 147 (de la P.L.103 - 139) mentionna que le Congr�s ne financerait pas d'op�rations militaires en Ha�ti � moins que celles-ci ne soient (1) approuv�es pr�alablement par le Congr�s, (2) n�cessaires � la protection ou � l'�vacuation de citoyens am�ricains, (3) la r�ponse � un cas d'urgence nationale, ou (4) que le pr�sident fixe auparavant certains crit�res au d�ploiement.
+Alors que l'embargo se durcissait (notamment avec la r�solution 917 du Conseil de s�curit�), que les pressions sur Ha�ti augmentaient et que la situation dans le pays se d�gradait, Bill Clinton d�clara ne pas exclure faire usage de la force. Beaucoup de parlementaires continuaient � affirmer que l'autorisation du Congr�s �tait n�cessaire en cas d'invasion. Le 24 mai 1994, la Chambre des repr�sentants adopta un amendement au Defense Authorization Bill (H.R. 4301), selon lequel toute action militaire contre Ha�ti devrait �tre justifi�e, dans une d�claration du pr�sident au Congr�s, par la n�cessit� de prot�ger les citoyens ou int�r�ts am�ricain. Mais, le 9 juin, cet amendement fut renvers� par un nouveau vote de la Chambre des repr�sentants (226 contre 195), et le S�nat rejeta � deux reprises une mesure exigeant l'autorisation du Congr�s pr�alablement � toute action militaire des Etats-Unis. Par la r�solution 940, souhait�e par Bill Clinton, le Conseil de s�curit� de l'ONU autorisa alors qu'une force multinationale p�t utiliser tous les moyens n�cessaires pour r�tablir l'ordre en Ha�ti, ce qui permettait l'intervention. Le pr�sident, conscient que le soutien des parlementaires ne lui �tait pas acquis, pr�f�rait s'en remettre aux Nations unies.
+Le 3 ao�t, le S�nat adopta, � l'unanimit�, un amendement au Department of Veterans Appropriation (H.R. 4624), selon lequel la r�solution du Conseil de s�curit� ne constituait pas une autorisation pour le d�ploiement de forces militaires en Ha�ti en vertu de la Constitution ou du War Powers Act. Mais cet amendement ne fut finalement pas retenu en commission. Le m�me jour, le pr�sident Bill Clinton d�clara qu'il serait heureux d'avoir le soutien du Congr�s, mais que celui-ci n'�tait pas n�cessaire d�s lors qu'il agissait sous couvert d'un mandat international.
+Le 19 septembre, la Chambre des repr�sentants accepta la r�solution H.Con.Res.290, qu pr�nait le retrait des forces am�ricaines d'Ha�ti le plus t�t possible, tandis que le S�nat votait une mesure similaire (S.Res.259). Le 3 octobre, la commission des Affaires �trang�res de la Chambre rendait compte de la r�solution H.J.Res.416 autorisant l'emploi des forces en Ha�ti jusqu'au 1er mars 1995. Cette r�solution - qui reconnaissait que le pr�sident aurait d� avertir le Congr�s avant l'envoi de troupes, soutenait le retrait rapide des forces et exigeait un rapport mensuel sur la situation en Ha�ti - trouva un �cho favorable au S�nat (avec la r�solution S.J.Res.229 du 6 octobre). Elle fut vot�e par la Chambre des repr�sentants le 7 octobre (S.J.Res.229) et sign�e par le pr�sident le 25 (P.L.103 - 423). Ainsi, d�s le retour du pr�sident Aristide, le 15 octobre 1994, les Etats-Unis commenc�rent � rapatrier leurs troupes, si bien qu'� la mi-avril 1996, il n'en restait qu'une partie (une unit� de soutien de 300 � 500 hommes) pour mener � bien des op�rations de reconstruction. Le 17 d�cembre 1997, le pr�sident Clinton ordonna au d�partement de la D�fense de maintenir des centaines de soldats pour un temps ind�fini en Ha�ti. Mais, deux ans plus tard (en septembre 1999), le Congr�s vota le FY 2000 DOD Authorization Bill (P.L. 106 - 65), qui ne permettait plus au Pentagone d'y maintenir une pr�sence militaire au-del� du 31 mai 2000. Aussi les troupes furent-elles retir�es, cette fois de fa�on d�finitive.
+L'approche commune des deux Chambres du Congr�s � propos de Ha�ti se r�duisit finalement � demander au pr�sident des rapports d�taill�s sur la mission des forces envoy�es sur place. Cette attitude frustra longtemps les d�fenseurs des pr�rogatives du Congr�s en mati�re de politique �trang�re, qui consid�raient que son action �tait devenue insignifiante et sans mesure avec son r�le r�el.
+Au-del� des consid�rations politiques que nous avons �tudi�es, la mont�e en puissance du Congr�s au cours de ces derni�res ann�es s'explique par la g�n�ralisation des travaux d'experts �manant des deux Chambres : auditions de sp�cialistes, rapports de grande qualit�, d�bats sur tous les th�mes de la politique du pays. Comme l'explique Justin Va�sse, au Capitole " une bureaucratie de 35 000 fonctionnaires travaille pour les parlementaires, lui apportant l'expertise et l'information n�cessaire � sa remont�e en puissance ". Ces sp�cialistes officient pour les commissions, chacune ayant une t�che clairement d�finie, et apportent � leurs membres tous les informations leur permettant de prendre des initiatives, en �tant souvent mieux renseign�s que les membres de l'Administration.
+En effet, la sp�cialisation des commissions leur apporte une grande cr�dibilit�, surtout si on la compare avec celle des minist�res, qui doivent se pencher sur plusieurs questions et demeurent des " g�n�ralistes ". En participant � ces commissions, les membres du Congr�s deviennent ainsi de v�ritables experts dans certains domaines, en particulier lorsqu'ils restent plusieurs ann�es � leur t�te, comme c'est le cas au S�nat. En ce qui concerne la politique �trang�re, certains observateurs faisaient remarquer, il y a quelques ann�es, que les membres du Congr�s n'avaient pas les comp�tences n�cessaires et prenaient des initiatives qui n'�taient pas de leur ressort. C'est au cours des ann�es 1990 que cette tendance s'est invers�e ; et si, pendant longtemps, l'Administration a fait autorit� en la mati�re, les commissions ont maintenant gagn� en respectabilit�, illustrant le retour du Congr�s sur le devant de la sc�ne.
+Aujourd'hui, en politique �trang�re comme dans d'autres domaines, les commissions sont au coeur du Congr�s, l� o�, autour d'un groupe restreint d'experts, toutes les options sont discut�es et les d�cisions prises. Plac�es au centre de la vie politique des Etats-Unis, elles se d�gagent remarquablement des querelles partisanes qui divisent le Capitole et s'imposent comme un forum d'id�es diverses. En instaurant un dialogue bipartisan, elles apportent un nouveau souffle au pouvoir l�gislatif, qui en sort renforc�. Par contraste, les deux Chambres sont rest�es des assembl�es inefficaces, d�chir�es par les luttes de partis, et souvent incapables d'apporter des solutions concr�tes.
+La cr�ation des commissions remonte aux origines de la d�mocratie aux Etats-Unis ; mais leur composition, leur fonctionnement et leur importance ont consid�rablement �volu�. A l'origine, le nombre de parlementaires �tait limit� ; leur implication dans les commissions n'�tait que temporaire et variait selon les besoins et les circonstances. Instruments du pouvoir l�gislatif, les commissions servaient alors � renforcer l'autorit� des membres du Congr�s. La Chambre des repr�sentants, qui compte un nombre plus important de parlementaires, a d�velopp� des commissions plus t�t que le S�nat, si bien qu'en 1810, dix commissions aidaient d�j� les repr�sentants dans leur travail. En 1816, le S�nat a rattrap� son retard, �liminant les commissions ad hoc au profit de structures permanentes.
+D�s lors, l'importance des commissions s'est accrue, et elles se sont peu � peu impos�es comme une composante indispensable du Congr�s. Pendant tout le XIXe si�cle, leur nombre �tait relativement important, puis il s'est r�duit de fa�on sensible pour en faciliter le fonctionnement. Aujourd'hui, la Chambre compte 19 commissions, et le S�nat, 17. Celles-ci sont directement rattach�es � d'autres commissions, avec lesquelles elles partagent une partie des membres, qui divisent les t�ches pour mieux traiter les diff�rentes questions.
+Les commissions d�volues � la politique �trang�re sont, dans les deux Chambres, celles des Forces arm�es, des Affaires internationales et, accessoirement, pour le vote du budget, celle des Finances. Tous les experts �s relations internationales s'y trouvent r�unis, assurent le relais avec les m�dias, r�digent des rapports d'information, s'entourent de sp�cialistes ind�pendants et auditionnent les autorit�s militaires et les repr�sentants de l'Ex�cutif sur ces questions. Plus encore au S�nat qu'� la Chambre, ces commissions sont devenues un examen de passage obligatoire pour toutes les initiatives de la Maison-Blanche.
+La pr�sidence de chaque commission est assur�e par le doyen du parti majoritaire, qui s'affirme comme le personnage principal, usant de son influence pour contester les initiatives pr�sidentielles et orienter les d�bats de sa commission. Si les autres membres, par la pertinence de leurs travaux, leur expertise sur certaines questions ou les nouvelles id�es qu'ils apportent, g�n�ralement par le biais des sous-commissions, peuvent s'imposer, c'est en g�n�ral le pr�sident qui occupe le devant de la sc�ne et devient l'interm�diaire incontournable entre la commission et le reste de la vie parlementaire. Le parti minoritaire dispose d'un repr�sentant qui se fait l'�cho des membres de son parti. Dans un syst�me partisan, ce repr�sentant ne peut qu'exprimer des opinions contraires � celles du pr�sident, qui ne sont g�n�ralement pas retenues. Cependant, avec l'accroissement du nombre d'initiatives bipartisanes, il est devenu, en quelque sorte, le bras droit du pr�sident et soutient parfois les initiatives de l'Ex�cutif en leur apportant l'approbation de la minorit�. Ce personnage a donc pris, au fil des ann�es, un r�le de plus en plus important dans le fonctionnement des commissions.
+Parmi les principaux probl�mes pos�s par le syst�me des commissions, l'�ge des pr�sidents est sans doute l'un des plus sensibles. En effet, la pr�sidence de chaque commission est assur�e par le doyen de la majorit� parlementaire � la Chambre (nous verrons dans quelle mesure ce syst�me a �volu� � la Chambre des repr�sentants), ce qui a l'avantage de placer des experts aguerris � la t�te des commissions mais le d�sagr�ment de les y installer pour de nombreuses ann�es. L'autre cons�quence de ce syst�me est l'in�quit� de la r�partition g�ographique des pr�sidents de commission. Si la Chambre est � peu pr�s �quitable, le S�nat offre quant � lui deux postes pour chaque Etat, ce qui n'est repr�sentatif ni de la population, ni de l'importance de l'Etat. Jusqu'� 2001, les deux s�nateurs du Delaware, un Etat pourtant minuscule, �taient William Roth et Joseph Biden. L'un �tait pr�sident de la commission des Finances (aujourd'hui � la retraite), l'autre le chef de file des D�mocrates � la commission des Affaires internationales (dont il fut pr�sident de juin 2001 � janvier 2003).
+L'�ge des pr�sidents des commissions peut �galement s'av�rer n�faste pour le parti dont ils sont issus. En effet, apr�s un grand nombre d'ann�es pass�es � la t�te de commissions o� ils ont r�ussi � s'imposer comme de v�ritables piliers du Congr�s, les pr�sidents des commissions les plus importantes n�gligent volontiers le jeu des partis. Cela a pour effet de r�duire encore davantage l'importance des querelles partisanes, mais aussi de cr�er des p�les autour de ces hommes d'influence, qui imposent leurs id�es sans que leur parti puisse les contr�ler. C'est ainsi que des initiatives, en totale contradiction avec les recommandations des partis, sont parfois prises au sein des commissions sous l'impulsion de leur pr�sident, ce qui peut bouleverser les orientations du Congr�s. Le d�bat politique aux Etats-Unis s'en trouve plus difficilement pr�visible.
+Le syst�me actuel du Congr�s met en avant � la fois certaines personnalit�s et les commissions concern�es par les d�bats de politique �trang�re. La repr�sentativit� des parlementaires fait leur force, mais elle ne profite malheureusement pas toujours aux int�r�ts de la nation. En effet, les revendications de l'�lectorat ne sont pas du tout les m�mes selon les Etats et les membres du Congr�s, en reprenant ces opinions de fa�on trop syst�matique, s'�loignent souvent consid�rablement des consid�rations nationales, les abandonnant � l'Administration. Selon Stanley Sloan, Mary Locke et Casimir Yost, plut�t que de juger le pr�sident sur ses ambitions de f�d�rer l'ensemble des id�es exprim�es par le pays, les parlementaires devraient s'efforcer, eux aussi, de respecter des standards sur les questions ext�rieures, afin de ne pas prendre de directions trop oppos�es. En effet, une trop grande disparit� des opinions au Congr�s diminue l'influence du pouvoir l�gislatif en mati�re de politique �trang�re et r�duit le cr�dit des �lus, experts en relations internationales mais insensibles aux vrais enjeux et qui se contentent trop souvent de ne r�pondre qu'aux consid�rations purement �lectorales. Sans pour autant s'�loigner de leurs fiefs �lectoraux, les membres du Congr�s devraient donc pr�ter plus d'attention aux affaires �trang�res avant de juger les options choisies par la Maison-Blanche.
+La g�n�ralisation des initiatives bipartisanes a eu comme effet imm�diat de bloquer les initiatives pr�sidentielles plus facilement encore que par le pass�. Le poids des r�solutions propos�es � la fois par des R�publicains et des D�mocrates leur permet de b�n�ficier d'une certaine cr�dibilit� et de s'imposer. Cependant, avec des groupes d'observation compos�s de parlementaires de diff�rentes tendances et faisant appel � des experts ind�pendants, les commissions peuvent proposer des solutions en toute objectivit�, qui ne heurtent pas syst�matiquement la Maison-Blanche, mais viennent au contraire apporter des �claircissements ou des critiques constructives sur les options de l'Administration. En outre, il est manifeste que les plus grands succ�s du Congr�s au cours de ces derni�res ann�es ont �t� le fait d'initiatives bipartisanes, qui sont devenues un instrument essentiel du pouvoir l�gislatif. En se rapprochant des minist�res, et donc de l'Administration, les opinions exprim�es par les initiatives bipartisanes consolident la politique �trang�re du pays, en proposant une meilleure communication entre les deux pouvoirs, essentielle pour mieux r�pondre aux imp�ratifs ext�rieurs. Il semble ainsi av�r� que le rapprochement avec le d�partement d'Etat, le secr�tariat � la D�fense et le National Security Council, sous forme d'un partenariat entre parlementaires de diverses tendances, sont les conditions par lesquelles le Congr�s retrouvera sa cr�dibilit� en mati�re de politique �trang�re. Mais une telle perspective demande des efforts aussi bien de la part du Congr�s que de l'Administration.
+La g�n�ralisation des initiatives bipartisanes a pour effet b�n�fique de faire �voluer le d�bat entre le Capitole et la Maison-Blanche vers un plus grand partenariat, qui d�fend en priorit� les int�r�ts du pays. Il s'agit, pour le pr�sident, d'un moyen de s'assurer dans certains cas le support des membres du Congr�s, comme ce fut le cas lors de la crise du Kosovo. En effet, malgr� la majorit� r�publicaine dans les deux Chambres, le S�nat et la Chambre des repr�sentants ont vot� en faveur de l'intervention, laissant de c�t� les querelles de parti. Cependant, il peut �galement s'agir d'une arme � double tranchant pour le chef de l'Ex�cutif, car les r�solutions partisanes, du fait de leur autorit� et de la repr�sentativit� qu'elles assurent aux opinions du Congr�s, sont difficilement discutables et doivent �tre prises en compte pour d�finir les orientations de la politique �trang�re.
+L'autorit� du Congr�s, sa cr�dibilit� et son influence sur la Maison-Blanche sont sensiblement renforc�es par les initiatives bipartisanes, qui illustrent parfaitement la mont�e en puissance du pouvoir l�gislatif ainsi que la n�cessit� de trouver un dialogue entre les deux pouvoirs, en vue de d�finir une politique �trang�re coh�rente et repr�sentative de l'opinion publique, comme ce doit aussi �tre le cas pour les questions de politique int�rieure. Bill Clinton a �prouv� quelques difficult�s � �tablir ce dialogue avec ses opposants politiques, et ce, malgr� son habilet� politique et la pr�sence, lors de son second mandat, d'un R�publicain � la t�te du Pentagone (William Cohen). Plus encore qu'� une querelle opposant R�publicains et D�mocrates, les divergences de vues r�pondent donc davantage � des logiques institutionnelles.
+Fortement critiqu� pendant les premiers mois de son mandat pour son manque d'int�r�t pour les questions internationales, George W. Bush se retrouve, depuis le 11 septembre 2001, dans une situation qui semble totalement � l'oppos� de ce profil tant d�cri�. C'est m�me lui qui se montre favorable aujourd'hui � un renforcement de l'interventionnisme des Etats-Unis dans ce qu'il a appel� la " croisade " antiterroriste, celle-ci s'�tant accompagn�e d'un certain nombre de r�formes et de mesures, toutes accept�es par le Congr�s.
+Il convient de distinguer ici les mesures qui ont �t� adopt�es pour renforcer la s�curit� du territoire et les d�bats concernant l'engagement des Etats-Unis sur des th��tres ext�rieurs. Dans les deux cas, si l'on en croit les sondages, ces d�cisions ont �t� largement soutenues par l'opinion publique et le Congr�s s'est montr� � la fois bienveillant et incapable de contrer les initiatives de l'Administration. Toutefois, certains parlementaires n'ont pas manqu� de rappeler les limites, � la fois dans la dur�e et dans l'importance, des mesures propos�es, affirmant qu'ils ne soutiendraient pas de fa�on aveugle des r�formes en profondeur au nom d'une " pr�sidence imp�riale " retrouv�e.
+Les premi�res mesures qui ont �t� adopt�es apr�s les attentats de New York et de Washington concernaient le renforcement de la s�curit� dans les a�roports et le traitement des �trangers sur le territoire. Elles ont marqu� le d�but d'une campagne de plus grande ampleur dont les orientations ne sont pas toutes connues, mais qui ont pour objectif de renforcer la s�curit� int�rieure.
+Les d�bats sur le recrutement d'agents f�d�raux charg�s d'assurer la s�curit� dans les a�roports, tel qu'il a �t� propos� � la fin du mois d'octobre 2001, a rapidement divis� R�publicains et D�mocrates � la Chambre des repr�sentants, chacun profitant de l'occasion pour d�fendre des valeurs partisanes. Ainsi, ce sont surtout les R�publicains, et parmi eux la branche conservatrice, qui se sont montr�s les plus hostiles au fait que la " bureaucratie f�d�rale " (c'est ainsi qu'ils la nomment) �tait appel�e � se substituer aux entreprises priv�es charg�es de la s�curit� des compagnies a�riennes. Ils estimaient que cette proposition accroissait le r�le des pouvoirs publics, comme le souhaitaient les D�mocrates, mais reconnaissaient la n�cessit� de renforcer la s�curit�. John Warner (r�publicain, Virginie) a not� � ce propos que cette mesure pourrait �tre effective pendant trois ans, mais qu'ensuite les compagnies a�riennes devraient pouvoir de nouveau faire appel � des agences de s�curit� priv�es.
+Les D�mocrates se sont montr�s favorables � cette mesure, tout en d�plorant qu'elle s'accompagne de certaines restrictions en mati�re de droit du travail, puisque les employ�s n'ont pas le droit de gr�ve et peuvent �tre licenci�s s'ils n'accomplissent pas efficacement leur travail. En accord sur le principe du renforcement de la s�curit� a�rienne, D�mocrates et R�publicains se sont oppos�s sur la fa�on de le mettre en place, les uns voulant faire appel � des agents f�d�raux, les autres demandant un accroissement de l'aide aux compagnies priv�es.
+Les propositions de l'Administration en mati�re de s�curit� dans les a�roports ont ainsi eu pour effet de diviser les membres du Congr�s, et les deux Chambres n'ont pu s'opposer de fa�on efficace (car bipartisane) au pouvoir ex�cutif, quand bien m�me elles l'auraient souhait�. En cons�quence, nous assistons aujourd'hui � une remont�e en puissance du pouvoir f�d�ral sur les questions int�rieures, comparable � ce qui s'�tait produit entre 1917 et 1980, avant deux d�cennies de stagnation. Certains consid�rent m�me que le 11 septembre marque le d�but d'une nouvelle �re de l'Etat f�d�ral dont les pr�rogatives continueront n�cessairement de s'accro�tre dans les prochaines ann�es.
+Depuis le 11 septembre, les probl�mes de s�curit� int�rieure sont �troitement li�s aux questions de politique �trang�re. Le 26 novembre 2001, � l'occasion d'une r�ception donn�e � la Maison-Blanche en l'honneur de la lib�ration des deux Am�ricaines d�tenues � Kaboul, George W. Bush a soulign� la volont� des Etats-Unis de lutter contre le terrorisme dans le monde entier : " L'Afghanistan ne constitue que le d�but. Quiconque abrite un terroriste est lui-m�me un terroriste. Quiconque aide financi�rement un terroriste est un terroriste. Quiconque met au point des armes de destruction massive destin�es � terroriser des Etats devra rendre des comptes. "
+Le 3 octobre 2001, dans le cadre de la coordination des moyens de lutte antiterroriste, le s�nateur r�publicain du Maine, Olympia Snowe, a propos� un texte relatif � la participation de toutes les ambassades des Etats-Unis � la d�tection des groupes terroristes, par le biais de commissions sp�cialis�es dans chaque ambassade. Jesse Helmes (r�publicain, Caroline-du-Nord), ancien pr�sident de la commission des Affaires internationales du S�nat, a apport� son soutien � ce texte une semaine plus tard et il est � pr�sent plac� sous l'autorit� de ladite commission, pr�sid�e par Joseph Biden.
+Par ailleurs, un projet de loi sur les visas accord�s aux �tudiants �trangers a �t� propos� au S�nat, par des �lus tant r�publicains que d�mocrates, et appara�t � bien des �gards comme moins restrictif que ne le craignaient certains responsables universitaires. Il pr�voit entre autres choses que :
+A contrario, ce texte n'est ni restrictif en ce qui concerne le nombre d'�tudiants pouvant obtenir des visas, ni s�lectif en ce qui concerne leur origine. Sur ces deux points, les parlementaires ont �t� sensibles au fait que les �tudiants �trangers constituent un atout pour les universit�s du pays, r�pondant ainsi aux attentes des universitaires. En effet, selon un rapport communiqu� le 13 novembre 2001 par l'Institute of International Education, 547 867 �tudiants �trangers �taient inscrits dans une universit� aux Etats-Unis en 2000 - 2001, 13 % d'entre eux �tant issus de pays � forte majorit� musulmane.
+Depuis le 11 septembre 2001, fid�le � sa d�claration de " guerre " contre le terrorisme, George W. Bush a entrepris de renforcer les pouvoirs pr�sidentiels en mati�re de politique �trang�re, � un niveau nettement plus important que ses pr�d�cesseurs, y compris Franklin D. Roosevelt. Ces pouvoirs renforc�s se justifient en temps de guerre, comme le rappelait r�cemment Ari Fleischer. Ainsi, les pr�rogatives du Congr�s, �largies sous les trois Administrations pr�c�dentes pour des raisons li�es � l'environnement international et au cadre institutionnel, semblent s'�tre fortement affaiblies. Assumant pleinement son r�le de chef des arm�es, le pr�sident s'est lanc� dans une guerre contre un adversaire � sa mesure (Al-Qaida), mais aussi dans une bataille politique contre ceux qui n'h�sitent pas, au nom de la Constitution, � contester son autorit�. Concernant les questions de surveillance et de renseignement, par exemple, l'Administration Bush a �t� critiqu�e par les parlementaires, qui refusent de laisser l'Ex�cutif prendre des d�cisions sans concertation de fa�on syst�matique, comme l'Attorney General John Ashcroft le demandait, renfor�ant ainsi le pouvoir de la Maison-Blanche.
+Paradoxalement, c'est dans l'aile conservatrice des R�publicains que les critiques de la conduite des op�rations en Afghanistan se sont fait entendre, notamment en ce qui concerne les buts et le financement de la campagne militaire. Ce sont d'ailleurs souvent les R�publicains qui manifestent leur d�saccord quand des pouvoirs de guerre trop importants sont octroy�s au chef de l'Ex�cutif. A l'inverse, les D�mocrates ont largement soutenu la riposte arm�e contre le r�gime des Talibans, soup�onn� d'apporter une aide importante � Al-Qaida. De m�me, les D�mocrates ont accueilli favorablement les initiatives diplomatiques de l'Administration. De ce fait, la majorit� s�natoriale voit d'un bon oeil le rapprochement avec Moscou (sur lequel les R�publicains se montrent beaucoup plus m�fiants), le dialogue avec P�kin et la concertation avec les alli�s, sans oublier les partenaires du monde arabo-musulman. Ce renversement des r�les traduit le profond consensus sur la n�cessit� de mener une lutte sur tous les fronts contre Al-Qaida.
+Les parlementaires du camp d�mocrate n'ont pas manqu� de rappeler que le pr�sident Bush, plut�t que de pr�cipiter la riposte contre des installations terroristes connues, a pu rassembler une coalition internationale jetant les bases de la lutte antiterroriste, gr�ce notamment aux initiatives de Colin Powell. Les craintes de voir les Etats-Unis se lancer dans des op�rations � la h�te et sans concertation se sont r�v�l�es infond�es d�s lors que la Maison-Blanche s'est engag�e dans la lutte contre Al-Qaida en faisant appel aux services de renseignement de plusieurs Etats. Walter Russell Mead remarque sur ce point que le multilat�ralisme propos� par l'Administration Bush dans la riposte militaire en Afghanistan et la lutte antiterroriste ne peut en aucun cas �tre assimil� au wilsonisme. Il s'agit plut�t d'un unilat�ralisme suivi par des Etats qui partagent les m�mes convictions (Europe), qui n'ont pas de raison de critiquer l'attitude des Etats-Unis, ou qui pourraient en tirer profit (Russie et Chine). Il est vrai qu'apr�s le 11 septembre, la communaut� internationale a approuv� de fa�on g�n�rale les initiatives de Washington, mais sans �tre invit�e pour autant � en discuter la forme.
+Au fur et � mesure que la campagne militaire en Afghanistan a progress�, certains intellectuels d�mocrates ont cependant d�nonc� l'influence des " faucons " qui, au sein de l'Administration, d�fendent les op�rations militaires, particuli�rement au Congr�s, et le r�le jou� par les lobbies �conomiques dans la d�finition de la politique �trang�re. M�me en temps de guerre, selon eux, les int�r�ts prennent le dessus sur le sentiment patriotique originel et l'argent continue d'influencer les d�cisions politiques.
+Par ailleurs, certains D�mocrates, relay�s en cela par la presse, n'ont pas manqu� de faire un rapprochement entre la riposte en Afghanistan et la gestion de la crise du Kosovo par le pr�sident Clinton, en 1999. A cette �poque, le gouverneur George W. Bush reprochait � l'Administration de ne pas utiliser tous les moyens possibles pour atteindre les objectifs fix�s. Or, Ivo Daalder et Michael O'Hanlon remarquent que le nombre de sorties a�riennes en Afghanistan est de tr�s loin inf�rieur � celui constat� au Kosovo. De m�me, les objectifs politiques n'ont pas �t� clairement d�finis, en dehors de ce que l'Administration a appel� la " croisade " antiterroriste. Dans une lettre adress�e au pr�sident Bush, le 6 d�cembre 2001, le repr�sentant Tammy Baldwin (d�mocrate, Wisconsin) estimait qu'il se sentait concern�, avec ses confr�res, " par ceux qui cherchaient, dans l'Administration et au Congr�s, � �tendre la campagne militaire au-del� de l'Afghanistan ", consid�rant que " sans une pr�sentation claire et sans �quivoque de la responsabilit� d'autres nations dans les attentats du 11 septembre, il �tait inappropri� d'�tendre le conflit ". C'est pourquoi le soutien apport� � Bush par les D�mocrates a commenc� � diminuer quand l'Administration a d�cid� d'aller au-del� de la campagne antiterroriste en visant le r�gime irakien. A l'inverse, les R�publicains les plus conservateurs ont revu leur jugement critique, consid�rant que la question irakienne, en suspens depuis plus de 10 ans, pouvait enfin trouver une issue.
+Apr�s une restructuration en profondeur des mesures de s�curit� int�rieure, l'Administration s'est lanc�e dans une campagne militaire en Afghanistan et a annonc� tr�s rapidement, apr�s la fin des op�rations en Asie centrale, que la cible suivante de ce que le pr�sident Bush a appel� la " lutte sans fin " serait l'Irak. L'objectif, qui ralliait un large consensus dans les camps tant r�publicain que d�mocrate, consistait � renverser le r�gime de Saddam Hussein, m�me si d'autres arguments ont �t� mis en avant pour justifier un d�ploiement militaire. Malgr� une vive opposition internationale, la guerre a �t� d�clench�e en mars 2003, sans l'aval des Nations unies, les Etats-Unis assumant la quasi-int�gralit� des op�rations militaires, soutenus par le Royaume-Uni et l'Australie sur le terrain et par un total de 48 Etats favorables � la cause d�fendue par la Maison-Blanche.
+Au Congr�s, la perspective d'une campagne militaire � grande �chelle a d�finitivement tourn� la page de l'" union sacr�e ", perceptible apr�s le 11 septembre 2001, et qui avait permis � la campagne afghane de se d�rouler sans encombre. Une fois termin�e cette p�riode d'absence totale de d�bat politique, les parlementaires ont repris leur r�le de contrepouvoir de l'Ex�cutif, annon�ant clairement qu'aucune campagne militaire en Irak ne pouvait �tre d�cid�e sans leur accord. Ainsi, avant de convaincre la communaut� internationale, l'effort de l'Administration Bush a consist� � plaider le bien-fond� d'un d�ploiement militaire devant les membres du Congr�s.
+Dans les semaines qui ont suivi les attentats du 11 septembre, tandis que se pr�parait l'offensive militaire contre le r�gime des Talibans, l'Irak a �t� d�sign� comme la prochaine cible possible de la " croisade " contre le terrorisme lanc�e par George W. Bush. Le 20 septembre, celui-ci recevait une lettre ouverte sign�e par plusieurs dizaines d'officiels, mettant l'accent sur la n�cessit� de " ch�tier " Saddam Hussein afin d'�radiquer les sources du terrorisme international. Les autorit�s se sont depuis lors efforc�es de rassembler des �l�ments permettant d'�tablir un lien entre le r�gime de Saddam Hussein et le terrorisme. Ces �l�ments sont :
+ +Ces �l�ments se sont renforc�s dans la mesure o� Bagdad refusait, depuis 1998, d'ouvrir son territoire aux inspecteurs des Nations unies. Par ailleurs, les soup�ons selon lesquels le r�gime cherchait � se procurer des armes de destruction massive constituaient un argument avanc� par les conservateurs aux Etats-Unis et repris par les membres de l'Administration Bush. Depuis quelques ann�es, les th�ses des conservateurs sur la capacit� de l'Irak � reconstituer un arsenal d'armes de destruction massive ont �t� aliment�es par plusieurs ouvrages " grand public ", dont ceux de Khidhir Hamza, chef des services de recherches nucl�aires irakiennes jusqu'en 1995, de Richard Butler, ancien chef de la Commission sp�ciale des Nations unies (UNSCOM) aujourd'hui au Council on Foreign Relations � New York, et de Scott Ritter, ancien inspecteur de l'UNSCOM. Ce dernier, oppos� toutefois � une campagne militaire en Irak, proposait une description minutieuse de l'arsenal irakien d'armes de destruction massive et de missiles balistiques. Enfin, l'abondante litt�rature sur le terrorisme et la prolif�ration des armes de destruction massive, mise en avant depuis le 11 septembre, et surtout les attaques � l'anthrax, plac�rent g�n�ralement l'Irak au centre de la menace. Plus r�cemment, trois personnalit�s importantes dans l'entourage du pr�sident Bush, Donald Rumsfeld, Dick Cheney et Condoleezza Rice, n'ont pas manqu� d'accuser l'Iran, l'Irak et la Syrie d'�tre � l'origine des multiples attentats commis en Isra�l, invoquant le lien pr�sum� entre le r�gime de Bagdad et les r�seaux du terrorisme international. L'ensemble de ces consid�rations ont fait de l'Irak la cible suivante de la campagne antiterroriste men�e par l'Administration. Enfin, en publiant un rapport accablant sur la volont� de Bagdad de reconstituer un arsenal d'armes de destruction massive et de l'utiliser dans un avenir proche, les autorit�s britanniques ont apport� leur contribution aux accusations, revenant largement sur la mauvaise volont� affich�e par Saddam Hussein depuis plus de 10 ans.
+La plupart des experts europ�ens consid�r�rent rapidement que les frappes des Etats-Unis contre l'Irak �taient in�vitables, � moins que le r�gime ne c�de et que Saddam Hussein ne quitte le pouvoir, ce qui semblait �videmment peu envisageable. L'un des premiers efforts consista � s'assurer le soutien de l'opinion publique. Selon un sondage publi� par le Washington Post fin 2002, 64 % des personnes interrog�es �taient ainsi favorables � des frappes contre l'Irak.
+Par ailleurs, plusieurs membres de l'Administration - dont le secr�taire adjoint � la D�fense, Paul Wolfowitz -, plaid�rent en faveur d'une extension des op�rations militaires en Irak. Une intervention sur le sol irakien n�cessitait des moyens nettement plus importants que la guerre en Afghanistan, et les alli�s de Washington, tant dans la r�gion qu'ailleurs, semblaient peu r�ceptifs � la perspective de reconstituer la coalition de 1991. En effet, les alli�s ne partageaient plus, pour la grande majorit� d'entre eux, la position des Etats-Unis vis-�-vis des sanctions impos�es � l'Irak depuis 10 ans. Ils furent relay�s en cela par certains think tanks et centres d'expertise am�ricains.
+Par ailleurs, une guerre contre l'Irak pouvait se faire selon trois sc�narios. Le premier consistait � renouveler l'exp�rience de 1991 (sans doute avec une coalition amoindrie) ; il n�cessitait des mois de pr�paration et posait de r�els probl�mes de politique int�rieure aux Etats-Unis. Le deuxi�me sc�nario consistait � r�p�ter l'exp�rience de d�cembre 1998, � savoir des frappes contre des cibles pr�cises en Irak. Une telle option �tait plus facile � mettre en oeuvre et ne posait pas trop de probl�mes en termes d'aval du Congr�s. Mais les r�sultats n'avaient pas �t� tr�s concluants en 1998 et n'avaient pas permis, en tout �tat de cause, d'atteindre les objectifs affich�s, � savoir le renversement du r�gime de Saddam Hussein.
+Le troisi�me sc�nario consistait � envoyer sur place plusieurs commandos de services sp�ciaux charg�s de liquider le dictateur irakien. L� encore, il n'y avait gu�re de difficult� pour obtenir l'accord du Congr�s, mais le succ�s d'une telle mission �tait plus que discutable, notamment au vu des r�sultats m�diocres obtenus par les forces sp�ciales en Somalie ou, plus r�cemment, en Afghanistan. De fait, la premi�re option semblait �tre la seule permettant de poursuivre l'effort de 1991, en poussant cette fois les arm�es jusqu'� Bagdad pour liquider Saddam Hussein, comme le souhaitait l'Administration. Ce fut l'option retenue. Mais l'objectif principal �tait d'assurer un succ�s rapide et � moindre co�t, � la fois pour profiter du large soutien de l'opinion publique aux Etats-Unis et pour �viter de laisser le temps au r�gime irakien de s'organiser. Kenneth Pollack, ancien directeur des affaires du Golfe au National Security Council, remarquait � ce propos que, les capacit�s de r�sistance de l'Irak �tant nettement sup�rieures � celles des Talibans, la pr�paration de l'intervention ne devait pas prendre de retard, m�me s'il se montrait par ailleurs sceptique quant � sa pertinence et aux r�sultats pouvant �tre obtenus.
+Les limites d'une telle option �taient avant tout d'ordre externe. En effet, il fut tr�s difficile, et m�me impossible, de reconstituer une coalition du type de celle de 1990. La tourn�e de Dick Cheney dans les pays arabes, en mars 2002, r�pondait nettement � l'objectif de rassembler un tel soutien, mais celui-ci �tait difficilement justifiable. En 1990, le r�gime de Saddam Hussein s'�tait rendu coupable de l'invasion du Kowe�t et il avait �t� unanimement condamn� par les autres Etats de la r�gion. Depuis, les voisins de l'Irak se montraient sceptiques quant � la poursuite des sanctions, qui avaient �t� plus nuisibles � la population qu'au r�gime et avaient refus� de soutenir les frappes de d�cembre 1998. Par ailleurs, si les alli�s des Etats-Unis souhaitaient condamner et combattre l'Irak il y a 10 ans, ils n'avaient jamais affich� la volont� de d�truire le r�gime de Saddam Hussein. Ainsi, la Turquie, l'un des plus fid�les soutiens � Washington dans la r�gion, voyait d'un mauvais oeil la dislocation de l'Etat irakien, qui pouvait entra�ner la cr�ation d'un Kurdistan ind�pendant. De fa�on g�n�rale, les alli�s de 1991 dans la r�gion n'acceptaient de participer � une campagne militaire que si celle-ci �tait mandat�e par l'ONU.
+Au Conseil de s�curit�, le consensus a �clat� apr�s le renvoi des inspecteurs de l'UNSCOM par Bagdad, en 1998, et la d�cision conjointe des Etats-Unis et du Royaume-Uni de frapper l'Irak en repr�sailles. De fait, les objectifs de Washington ne furent pas compris, et encore moins partag�s, par les autres membres du Conseil de s�curit�. Comme le demandait, en mars 2002, Philippe Droz Vincent, " s'agit-il de faire appliquer les r�solutions de l'ONU, de renverser Saddam Hussein ou de mettre sous tutelle un Irak potentiellement h�g�monique dans la r�gion ? " Les m�mes critiques se sont fait entendre de la part des alli�s europ�ens des Etats-Unis, qui estim�rent pour certains d'entre eux, malgr� leurs divisions, que la campagne propos�e contre l'Irak ne r�pondait qu'� une volont� de vengeance de l'Administration Bush et d'h�g�monie dans la r�gion.
+Toutefois, les proches de George W. Bush ont d�menti les soup�ons selon lesquels la Maison-Blanche accepterait de se plier au calendrier du Conseil de s�curit� des Nations unies. Tr�s vite, ils n'�cart�rent pas la possibilit� de frapper quand ils le jugeraient n�cessaire, que ce soit avant ou apr�s la d�cision de l'ONU concernant les sanctions et les missions d'inspection sur le sol irakien. " Le pr�sident a dit que nous ne pouvions attendre d'avoir la preuve que quelqu'un utilise des armes de destruction massive contre les Etats-Unis pour faire quelque chose afin de l'en emp�cher ", d�clarait ainsi Paul Wolfowitz dans une interview sur CNN, le 21 mars 2002. D�s lors, et malgr� les efforts diplomatiques en vue de convaincre Paris, Moscou et P�kin, Washington annon�ait pouvoir se passer d'un mandat de l'ONU.
+Maintes fois critiqu�e depuis quelques mois pour son unilat�ralisme, notamment en Europe, l'Administration Bush a envisag� d'intervenir sans l'appui de ses alli�s - ou de la majorit� d'entre eux -, prenant exemple sur l'op�ration men�e conjointement avec les Britanniques en 1998 contre l'Irak et sur la campagne en Afghanistan. La puissance logistique, organisationnelle et destructrice de l'arm�e des Etats-Unis le leur permet en effet. Au cours des 10 derni�res ann�es, l'�volution du mat�riel leur a permis de fournir des r�sultats plus rapides et plus significatifs. L'op�ration " Temp�te du d�sert " de 1991 avait exig� 110 000 sorties a�riennes, contre seulement 6 500 en Afghanistan, le diff�rentiel, m�me notable, des capacit�s de r�sistance des adversaires ne pouvant expliquer � lui seul un tel d�calage. De m�me, la campagne du Kosovo a �t� faite exclusivement depuis les airs, gr�ce notamment � un mat�riel hautement sophistiqu�. Cette �volution sensible de son arsenal militaire offre � Washington un avantage nettement plus d�cisif qu'en 1991, d'autant que les forces arm�es irakiennes n'ont pu, en seulement 10 ans, reconstituer un arsenal cons�quent, et ne disposaient, � la veille du conflit, que de capacit�s assez limit�es. D�s lors, une campagne rapide �tait envisageable et Washington pouvait faire l'�conomie d'une coalition � la fois difficile � organiser et fort contraignante � bien des �gards, en comparaison de son faible apport. De nombreux experts aux Etats-Unis, consid�rant qu'une coalition briderait les capacit�s militaires du pays, trouv�rent l� des arguments pour justifier une intervention unilat�rale.
+L'exemple de l'Afghanistan joua un r�le important dans le soutien apport� � une attaque de grande ampleur contre l'Irak. En effet, alors que les r�sultats obtenus dans ce pays �taient pr�sent�s comme significatifs par l'Administration (� savoir un r�gime stable et une prosp�rit� plus notable qu'au temps des Talibans), celle-ci plaida rapidement en faveur d'une intervention contre Bagdad, avec comme argument qu'une telle campagne apporterait la stabilit� dans la r�gion. A l'inverse, comme l'expliquait Thomas Friedman, si le nouveau r�gime afghan ne parvenait pas � s'imposer sur l'ensemble du territoire et � faire l'unit� du pays, il serait d'autant plus difficile � Washington de " proposer " une poursuite de la campagne contre l'Irak. Invit� � l'Institut fran�ais des relations internationales, le 28 mars 2002, Steve Szabo, de la Johns Hopkins University (Washington, D.C.), a not� que la Maison-Blanche ne pr�voyait pas une intervention aussi longue et importante que celle de 1991, notamment du fait de l'affaiblissement des forces irakiennes (n'oublions pas qu'en 1990, l'Administration Bush qualifiait l'arm�e de Saddam Hussein de " quatri�me arm�e au monde "). Il s'agissait donc d'une quick war, c'est-�-dire d'une intervention rapide engageant moins de forces. S'il convenait, comme Steve Szabo, de rester mesur� quant � ces perspectives, force est de constater que ces arguments r�pondaient �galement � la volont� de ne pas se pr�senter devant le Congr�s pour d�clencher des hostilit�s, en consid�rant que celles-ci n'engageraient que des moyens relativement limit�s et ne d�passeraient pas 60 jours. Mais, � prendre de tels risques, l'Administration s'exposait, en cas de r�sultats peu probants, � des critiques qu'il lui aurait fallu assumer seule, car les parlementaires n'auraient pas manqu� l'occasion de rappeler qu'ils n'avaient pas �t� consult�s.
+C'est en effet au niveau de la politique int�rieure que les contraintes les plus vives, mais aussi les plus neutralisantes, se sont manifest�es. Comme nous l'avons vu, le Congr�s a le pouvoir de limiter, voire d'interdire, des op�rations militaires ext�rieures. Par ailleurs, si le principe de l'engagement militaire a �t� discut� depuis le 11 septembre, la perspective d'une intervention en Irak a fait appara�tre de v�ritables fractures au sein du Congr�s. D�plorant l'absence de bonne volont� de la part de ses membres, Paul Reynolds notait que " le Congr�s avait refus� d'�tre contraint d'�tendre les pouvoirs des agences d'investigation, comme John Ashcroft l'avait demand�. Les parlementaires ont approuv� les mesures d'urgence, comme celle �tendant le droit de surveillance d'un t�l�phone � tous ceux appartenant � la m�me personne. Ils se sont cependant interrog�s sur les mesures de fond, comme le droit de garder quelqu'un � vue ind�finiment, bien que le FBI ait d�j� adopt� de telles m�thodes, � travers le service de l'immigration, pour interroger des personnes. Le Congr�s �tait encore une fois aveugl� par la Constitution ".
+Unie jusqu'alors dans la lutte contre le terrorisme, la classe politique aux Etats-Unis a commenc� � se diviser � la suite du discours sur l'�tat de l'Union du 29 janvier 2002, dans lequel le pr�sident George W. Bush a avanc� sa th�se d'un " axe du Mal ", inaugurant ce qu'il convient d'appeler la " phase 2 " de la campagne antiterroriste. Le 11 mars 2002, � l'occasion de la c�l�bration des six mois des attentats, il annon�ait, de fa�on encore plus nette, que la seconde �tape de la guerre antiterroriste avait d�but� : " Nous n'enverrons pas de soldats am�ricains sur tous les champs de bataille, mais les Etats-Unis pr�pareront activement les autres pays � d'�ventuelles batailles. " Vivement critiqu� � l'�tranger, un tel discours a re�u un �cho favorable aux Etats-Unis, Pascal Rich� estimant que " l'unilat�ralisme de l'Administration Bush s'accordait parfaitement avec l'isolationnisme, qui s�duit traditionnellement l'�lectorat r�publicain ".
+Prenant la place tenue par George Mitchell en 1990, le leader du camp d�mocrate � la Chambre des repr�sentants, Richard Gephardt, souvent cit� comme candidat potentiel aux primaires d�mocrates de 2004, a expos� la " r�ponse " officielle de son parti au discours sur l'�tat de l'Union. Mettant l'accent sur la n�cessit� de rester unis dans la lutte contre le terrorisme, il a rappel� que les D�mocrates ne soutiendraient pas de fa�on aveugle toutes les initiatives de l'Administration, notamment dans le domaine des r�formes sociales, cherchant ainsi d'autres terrains que la s�curit� ext�rieure pour affirmer leurs diff�rences. Thomas Daschle, leader de la majorit� d�mocrate au S�nat, a lui aussi rappel� le besoin d'unit� nationale, sans omettre cependant les points de divergence. Ainsi, comme l'expliquait Eric Lesser, tous deux " se sont livr�s � l'exercice impossible consistant � mettre de c�t� l'esprit partisan en �tant � 100 % avec le pr�sident dans la guerre contre le terrorisme et � tenter, dans le m�me temps, des critiques sur sa politique �conomique et sociale ".
+C�t� r�publicain, Trent Lott, leader du GOP au S�nat, et Dennis Hastert, leader de la majorit� � la Chambre, ont tous deux rappel� que les �lecteurs s'attendaient � une coop�ration parfaite entre les deux partis au Congr�s, r�duisant indiscutablement la marge de manoeuvre des D�mocrates. Par ailleurs, Bob Stump, pr�sident de la commission des Forces arm�es � la Chambre, a mis l'accent sur la n�cessit� de d�bloquer les fonds n�cessaires pour renforcer le budget de la D�fense, lan�ant ainsi un appel aux D�mocrates. Ce soutien massif et sans �quivoque est � mettre en parall�le avec la r�solution H.J.RES.27, propos�e par la Chambre le 6 mars 2001, et dans laquelle Ronald Paul (r�publicain, Texas), John Doolittle (r�publicain, Californie), Pete Stark (d�mocrate, Californie), Roscoe Bartlett (r�publicain, Maryland), Virgil Goode (d�mocrate, Virginie), Barbara Lee (d�mocrate, Californie) et Barbara Cubin (r�publicain, Wyoming) rappelaient le r�le du Congr�s dans le d�clenchement des conflits. Un an plus tard, seul Pete Stark se montrait encore sceptique quant aux propositions de l'Administration Bush, mais il est rest� fort isol� � la Chambre.
+C'est donc une fois de plus le S�nat qui s'est montr� le plus actif dans ses r�actions aux projets de guerre de l'Administration. D�s le 29 janvier 2002, Joseph Biden (d�mocrate, Delaware), alors pr�sident de la commission des Affaires �trang�res, calmait ses coll�gues en pr�cisant que les propositions de l'Ex�cutif restaient vagues et qu'il fallait attendre un r�el plan budg�taire pour en discuter. Dans les semaines qui ont suivi, plusieurs �lus se sont exprim�s pour rappeler que le Congr�s pouvait seul d�cider d'envoyer des troupes sur des th��tres ext�rieurs.
+Le 11 f�vrier, Russel Feingold (d�mocrate, Wisconsin) �crivait dans le Washington Times que " le pr�sident devait �galement respecter les termes de la r�solution sur les pouvoirs de guerre ". En effet, " en vertu de notre Constitution et de la r�solution sur les pouvoirs de guerre, le pr�sident et le Congr�s doivent d'abord se mettre d'accord sur une telle extension de nos engagements militaires ". Le s�nateur n'a pas h�sit� � rappeler que la r�partition des pouvoirs avait �t� souhait�e d�s les origines de la d�mocratie aux Etats-Unis, et qu'il serait par cons�quent dommageable de la remettre en question (les arguments �taient sensiblement proches de ceux �nonc�s en 1990) :
+" En divisant le pouvoir de faire la guerre, les r�dacteurs de la Constitution ont signifi� que l'unit� nationale �tait essentielle � tout effort de guerre, et que cette unit� pouvait se trouver renforc�e en r�partissant l'autorit� entre les deux pouvoirs d�mocratiques du gouvernement. Cette division du pouvoir de d�clarer la guerre nous force � rechercher un consensus national avant de mettre des Am�ricains en danger. "+
Le s�nateur Patrick Leahy (d�mocrate, Vermont), qui pr�sidait la sous-commission des Op�rations � l'�tranger au sein de la commission des Attributions budg�taires, a pouss� plus loin cette id�e dans le domaine budg�taire. Il affirma qu'il appartenait aux parlementaires de chercher � concentrer les efforts sur les " zones grises ", afin d'�viter les d�s�quilibres, offrant une lecture totalement oppos�e � celle de l'Administration Bush. Ainsi, selon lui, " le Congr�s, qui tient les cordons de la bourse, devrait s'assurer qu'une part de l'augmentation budg�taire propos�e est consacr�e � la lutte contre la pauvret� ".
+Mais c'est surtout depuis le mois de mars 2002 que les oppositions les plus vives � la perspective d'une intervention en Irak se font entendre. Le s�nateur Robert Byrd (d�mocrate, Virginie occidentale) a mis en avant les pr�rogatives des parlementaires en temps de guerre, notamment celle consistant � exiger que le chef de l'Ex�cutif vienne expliquer sa strat�gie au Capitole. Selon lui, " le Congr�s a non seulement le droit, mais aussi le devoir d'examiner d'un oeil critique la politique du pr�sident. Demander des explications, ce n'est pas accuser ou condamner. Demander des explications, c'est rechercher la v�rit� ". Il s'agissait ici d'une critique qui concernait davantage les pouvoirs de guerre que la strat�gie de l'Administration elle-m�me. Thomas Daschle a repris les m�mes th�mes dans un article publi� dans le Washington Post, en mettant l'accent sur le budget n�cessaire � une intervention : " Le Congr�s a l'obligation constitutionnelle de demander o� et comment ces fonds vont �tre utilis�s. " Si les remarques �nonc�es par les deux s�nateurs sortaient du cadre partisan, les r�actions qui ont suivi ont �t�, en revanche, nettement plus politis�es, soulignant le besoin d'unit� du pays dans une guerre qui n'est pas comme les autres. L'�ditorialiste du Washington Post, Charles Krauthammer, a ainsi pu �crire : " La guerre contre l'islam radical est une n�cessit�. Les guerres n�cessaires n'ont pas de strat�gie de sortie. Elles doivent �tre gagn�es. "
+Les prises de position contre une guerre en Irak ont �galement eu pour effet de diviser le camp d�mocrate au S�nat, certains consid�rant, � l'instar de Mitchell en 1990, que le moment �tait mal choisi pour s'opposer au pr�sident, et plaidant donc en faveur de l'unit� nationale. Joseph Lieberman (d�mocrate, Connecticut), colistier malheureux d'Al Gore lors de l'�lection de 2000, a adopt� une position �loign�e de ses confr�res d�mocrates, plaidant au contraire, comme il l'avait d�j� fait lors de la crise du Golfe en 1990, pour un soutien aux initiatives pr�sidentielles.
+Parall�lement aux propositions de frappes contre l'Irak, d'autres voix se sont �lev�es pour r�clamer un r�glement du cas irakien devant la justice internationale, prenant exemple sur le cas de Slobodan Milosevic, jug� � La Haye. En accusant Saddam Hussein de crimes contre l'humanit�, les autorit�s am�ricaines renforc�rent la l�gitimit� de l'opposition interne (comme ce fut le cas en Yougoslavie) et esp�r�rent m�me qu'un r�glement se ferait sans recours � la force, ce qui semblait pour le moins peu �vident.
+De fa�on g�n�rale, c'est la doctrine Bush concernant la croisade contre le terrorisme et l'utilisation de la force pour dissuader les adversaires qui fit l'objet de critiques de plus en plus franches. Dans l'entourage du pr�sident, les arguments en faveur du renforcement des pr�rogatives de l'Ex�cutif n'�taient pas jug�es essentielles dans la seule perspective du r�glement d'une crise ; elles s'imposaient �galement dans le bon fonctionnement d'une politique �trang�re. Dans un entretien en date du 21 f�vrier 1997, Colin Powell, pourtant consid�r� comme l'un des mod�r�s de l'Administration, estimait ainsi que " la menace militaire fonctionne uniquement quand les dirigeants am�ricains ont r�ellement d�cid� de se pr�parer � utiliser la force ". Pour le secr�taire d'Etat, il convenait de faire en sorte que les adversaires des Etats-Unis se sentent perp�tuellement menac�s, et il fallait pour cela concentrer les pouvoirs de guerre entre les mains d'un nombre limit� de personnes, ce qui est loin de conforter les pr�rogatives des membres du Congr�s.
+Le 19 septembre 2002, apr�s avoir pr�sent� � l'Assembl�e g�n�rale des Nations unies sa position sur la situation en Irak, George W. Bush s'est adress� au Congr�s pour lui demander un vote l'autorisant � faire usage de la force, afin de " faire appliquer les r�solutions susmentionn�es du Conseil de s�curit� des Nations unies, de d�fendre les int�r�ts de s�curit� nationale des Etats-Unis contre les menaces �manant de l'Irak, et de restaurer la paix internationale et la s�curit� dans la r�gion ". Second� par Donald Rumsfeld et Colin Powell, le pr�sident a justifi� la n�cessit� de ce vote, dans un souci d'unit�, pour faire face de fa�on plus cr�dible � la " menace que fait planer le r�gime de Saddam Hussein ". Cette initiative a �t� salu�e par les parlementaires, qui y ont vu une volont� d'ouverture en direction du pouvoir l�gislatif, et une reconnaissance de leurs pr�rogatives.
+Plusieurs parlementaires d�mocrates se sont cependant �lev�s contre cette proposition de la Maison-Blanche. Constatant un d�calage de plus en plus perceptible entre les orientations politiques et l'opinion publique du pays, Dennis Kucinich (d�mocrate, Ohio), meneur du groupe oppos� � la proposition, a soulign� que " (ses) administr�s (�taient) choqu�s de voir la direction que (prenait) l'Am�rique ". De son c�t�, Russel Feingold estimait que " l'Administration (demandait) la lune sans nous donner d'informations s�rieuses ". De m�me, plusieurs �lus d�mocrates se m�fiaient d'un amendement qui donnait au pr�sident tout pouvoir pour g�rer la s�curit� et la paix de la r�gion. Pourtant, la plupart des �lus d�mocrates, � commencer par les dirigeants du Parti, estimaient �tre capables de travailler de concert avec l'Administration pour mettre au point une r�solution sur l'Irak soutenue par le plus grand nombre. L'objectif �tait d'atteindre rapidement un compromis sur les termes du texte et un vote � la Chambre et au S�nat. Nancy Pelosi (d�mocrate, Californie) esp�rait que les deux camps pourraient travailler ensemble en ce sens. Mais elle avertit l'Administration qu'elle-m�me et les autres parlementaires d�mocrates souhaitaient des r�ponses concr�tes sur le co�t d'une offensive en Irak en termes d'op�ration militaire, d'occupation, d'�conomie et de guerre totale contre le terrorisme. Le repr�sentant John Spratt (d�mocrate, Caroline-du-Sud), de la commission des Finances au Congr�s, estima ce co�t � 93 milliards de dollars, sans compter les op�rations de maintien de paix et les efforts de reconstruction qui pourraient suivre.
+Cependant, le camp d�mocrate restait divis� entre ceux qui estimaient qu'une campagne �tait n�cessaire et qu'il convenait de soutenir l'Ex�cutif (Joseph Lieberman et John Edwards au S�nat), et ceux qui pr�f�raient se concentrer sur les dossiers de politique int�rieure pour attaquer l'Administration. Ce fut le cas de Thomas Daschle, qui exprima son soutien � l'id�e d'une campagne militaire en Irak, ce qui lui laissait le champ libre pour critiquer l'Administration sur d'autres dossiers. Dans une intervention remarqu�e au S�nat, le 25 septembre 2002, le leader de la majorit� d�mocrate apporta ainsi son soutien � la campagne militaire, tout en accusant la Maison-Blanche d'utiliser la menace irakienne � des fins �lectorales. En soutenant l'initiative de l'Ex�cutif, il se mettait � l'abri de critiques politiciennes, ce qui lui permit de condamner l'instrumentalisation qui, selon lui, �tait faite de la crise. Ainsi, si les parlementaires furent g�n�ralement en accord avec l'Administration sur la n�cessit� de r�gler le cas irakien, les critiques reposaient sur l'absence de d�bat sur les autres points sensibles, la Maison-Blanche �tant accus�e de faire la distinction entre les R�publicains, soucieux des questions de s�curit�, et les D�mocrates, suppos�s s'en d�sint�resser.
+Le 23 septembre 2002, le repr�sentant Alcee Hastings (d�mocrate, Floride) introduisit au Congr�s un projet de r�solution (H.J. RES. 110) autorisant le pr�sident � faire usage de la force en Irak. Mais ce texte comprenait un certain nombre de conditions que l'Ex�cutif devait remplir, et sans lesquelles les parlementaires pouvaient �mettre des r�serves. Parmi ces conditions figuraient alors :
+ +Barbara Lee, seule membre du Congr�s qui vota, apr�s les attentats du 11 septembre, contre une r�solution autorisant l'usage de la force contre les terroristes, a reconnu que cette r�solution serait probablement adopt�e par une grande majorit� parlementaire. Ce qui ne l'emp�cha pas de proposer sa propre r�solution : les Etats-Unis devaient, selon elle, s'atteler � r�soudre le probl�me irakien � travers les Nations unies, gr�ce � des inspections, des n�gociations et autres moyens pacifiques. Elle rejoignait en cela les propositions avanc�es par certains partenaires europ�ens des Etats-Unis, en particulier la France.
+Enfin, Robert Byrd, qui b�n�ficiait alors de sa position de pr�sident pro-tempore du S�nat (en l'absence du pr�sident, il �tait charg� d'assurer l'int�rim), rappela que les engagements de l'Administration n'�taient pas recevables, la preuve que l'Irak posait une r�elle menace n'ayant pas �t� encore apport�e. De m�me, il condamna vivement l'id�e selon laquelle les critiques adress�es � l'Ex�cutif �taient un acte d'antipatriotisme. En cela, il resta fid�le � la position qu'il avait affich�e tout au long de l'ann�e 2002. Selon lui, la Maison-Blanche cherchait � obtenir des pouvoirs de guerre d�passant de loin ceux dont elle disposait, ce qui pouvait lui permettre de se lancer dans d'autres op�rations futures sans consultation pr�alable du Congr�s. Il se positionna ainsi indiscutablement comme le chef de file de ceux qui se montraient m�fiants au S�nat.
+De leur c�t�, plusieurs r�publicains, dont le chef de la majorit� � la Chambre des repr�sentants, Dick Armey (Texas), mirent en garde l'Administration contre les dangers d'entra�ner le pays dans une guerre en Irak. Mais les parlementaires du GOP devaient apporter leur soutien de fa�on quasi unanime � la r�solution finale, au nom de valeurs d'unit� en temps de crise, ralliant derri�re eux de nombreux d�mocrates.
+C'est finalement le 10 octobre 2002 que les deux Chambres ont autoris� le pr�sident Bush � d�clencher des op�rations militaires contre l'Irak, par 296 voix contre 133 � la Chambre des repr�sentants, et 77 voix contre 23 au S�nat. Le succ�s de ce vote s'explique par la prise de position des leaders d�mocrates en faveur de la r�solution, notamment Richard Gephardt (� la Chambre) qui en �tait l'auteur ; mais il convient de relativiser ce pl�biscite, car plus de la moiti� des repr�sentants d�mocrates vot�rent contre. Au vu des �l�ments �voqu�s plus haut, ce vote n'�tait pas une surprise, et, s'il est venu conforter l'Administration dans ses positions � l'�gard de l'Irak, il n'illustre pas pour autant un regain d'influence de l'Ex�cutif sur les questions de politique �trang�re, et appara�t plus conjoncturel qu'autre chose. En tout �tat de cause, le soutien des parlementaires a eu pour effet de clarifier la position des Etats-Unis, la Maison-Blanche disposant d'un v�ritable mandat interne dans sa lutte contre le r�gime de Saddam Hussein.
+Dans sa version finale, la r�solution donnait au pr�sident Bush tous les pouvoirs qu'il avait r�clam�s. Cependant, si elle l'autorisait � agir ind�pendamment des Nations unies, elle tenait compte des inqui�tudes de certains parlementaires en encourageant le pr�sident � �puiser d'abord tous les recours diplomatiques, et exigeait de lui qu'il remette au Congr�s, tous les 60 jours, un rapport au sujet de toute action unilat�rale qui aurait �t� entreprise.
+L'issue des d�bats est devenue �vidente lorsqu'une version modifi�e de la r�solution, soutenue par la plupart des d�mocrates, a �t� battue par un vote de 270 voix contre 155 en d�but de journ�e. Cette version exigeait que le pr�sident Bush demande au Congr�s de se prononcer une seconde fois sur le recours � la force lorsqu'il aurait conclu que les d�marches diplomatiques par le biais de l'ONU n'avaient pas abouti. Le repr�sentant John Spratt (r�publicain, Caroline du sud), qui avait parrain� la version modifi�e, d�clara : " En l'absence d'une action multilat�rale, ce sera les Etats-Unis contre l'Irak et, pour certains, les Etats-Unis contre le monde arabe et musulman. " Et Jay Inslee (d�mocrate, Washington) de rench�rir : " A mon avis, frapper un tyran et cr�er 10 000 terroristes ne constitue pas une victoire. " En d'autres termes, de nombreux parlementaires attendaient l'Administration Bush au tournant et �taient pr�ts � multiplier leurs critiques si l'intervention militaire en Irak n'�tait pas un succ�s. En fait, il a fallu attendre la fin des op�rations en Irak, et surtout le triple attentat suicide de Riyad, pour que l'unit� nationale, g�n�ralement perceptible en temps de guerre, recommence � se diluer, et que les critiques les plus vives concernant la lutte antiterroriste men�e par l'Administration se fassent � nouveau entendre au Congr�s.
+En s'attardant sur quelques exemples pr�cis, en particulier depuis la fin de la guerre froide, cette �tude permet de mieux comprendre le r�le du Congr�s en mati�re de pouvoirs de guerre, et dans quelle mesure les engagements ext�rieurs des Etats-Unis font syst�matiquement l'objet de d�bats institutionnels opposant le L�gislatif � l'Ex�cutif. Ces divergences sont d'autant plus marqu�es quand le Capitole est politiquement oppos� � la Maison-Blanche, comme ce fut souvent le cas depuis 1994. Mais la domination de toutes les institutions par un seul parti n'emp�che pas les parlementaires de d�fendre des pr�rogatives qu'ils placent � un niveau sup�rieur aux traditionnelles querelles politiques. Ainsi, ce n'est pas parce que le pr�sident b�n�ficie d'une majorit� dans les deux Chambres du Congr�s qu'il se retrouve dans une situation plus favorable.
+Un tel constat est indispensable dans le contexte actuel. A l'occasion des �lections de la mi-mandat organis�es le 5 novembre 2002, en effet, les Am�ricains ont vot� pour d�signer l'ensemble des 435 repr�sentants (mandat de deux ans), 34 s�nateurs sur 100 (mandat de six ans) et 38 gouverneurs d'Etat sur 50 (mandat de quatre ans). Apr�s la d�fection de Jim Jeffords en juin 2001, les D�mocrates �taient majoritaires au S�nat, ce qui leur permettait d'y contr�ler les commissions et de faire pression sur certains dossiers pr�sent�s par l'Administration Bush, comme la ratification du protocole de Kyoto et le bouclier antimissile. Par ailleurs, cette opposition partisane �tait souvent per�ue, de l'ext�rieur, comme une certaine forme de cohabitation. Or, si cela est exact sur les dossiers de politique int�rieure, il n'en est rien en ce qui concerne les questions internationales.
+Pour la premi�re fois depuis les �lections de 1934, � la suite desquelles le cr�dit de Franklin D. Roosevelt en tant que pr�sident avait �t� renforc�, aucun pr�sident des Etats-Unis n'avait vu son parti politique progresser au cours des �lections de la mi-mandat cons�cutives � son �lection. En ce sens, le succ�s du Parti r�publicain est une victoire historique : comme entre janvier et juin 2001, le parti de George W. Bush contr�le d�sormais l'Ex�cutif, les deux Chambres du Congr�s et la majorit� des Etats.
+Cette victoire est-elle due au soutien de l'opinion publique � son pr�sident ? George W. Bush �tait encore cr�dit�, 14 mois apr�s les attentats de New York et de Washington, de plus de 60 % d'opinions favorables, ce qui constitue un record au bout de deux ans de pr�sence � la Maison-Blanche. Mais la victoire des candidats r�publicains s'explique bien davantage par des campagnes de terrain que par une strat�gie d'ensemble � la t�te de laquelle se serait port� le pr�sident. Enfin, la campagne �lectorale a �t� marqu�e par l'importance des financements, ceux-ci ayant �t� majoritairement le fait d'initiatives locales. Mais le seul point sur lequel cette �lection appara�t comme une victoire personnelle de George W. Bush est qu'il a lui-m�me choisi la plupart des nouveaux candidats, et que ceux-ci ont connu des r�sultats largement positifs. Ainsi, parler d'un vote de soutien au pr�sident semble caricatural, mais il s'agit indiscutablement d'une victoire personnelle du chef de l'Ex�cutif, et Thomas Daschle n'h�site pas � expliquer la d�faite de son camp par la campagne men�e par George W. Bush, justifiant ainsi les mauvais r�sultats des D�mocrates.
+De m�me, il est difficile de voir dans cette �lection une r�elle victoire du camp r�publicain, la campagne ayant peu port� sur des questions partisanes, mais plut�t une d�faite des D�mocrates, qui n'ont pas �t� en mesure de proposer une alternative, ni de mettre en avant leurs diff�rences de vues, sur les questions tant internes qu'externes. En tout �tat de cause, le r�sultat de ces �lections a renforc� la position de l'Administration et mis entre parenth�ses la constante opposition partisane qui existait entre le S�nat et la Maison-Blanche depuis 1994 (� l'exception de la p�riode de janvier � juin 2001, quand les R�publicains �taient majoritaires dans les deux Chambres). Jusqu'aux �lections de novembre 2002, l'Administration Bush pourrait �tre exempte de toute critique dans sa gestion des affaires internationales, notamment au Moyen-Orient, m�me si la plupart de ces questions font l'objet d'un fort consensus entre les diff�rentes composantes politiques du Congr�s. Par ailleurs, dans le contexte actuel, les D�mocrates ont tout int�r�t � privil�gier les questions int�rieures dans leurs critiques adress�es � l'Administration, laissant ainsi de c�t� les probl�mes internationaux, � l'instar de Bill Clinton qui, en 1992, s'�tait concentr� sur l'�conomie et les probl�mes sociaux et avait totalement d�laiss� les affaires �trang�res. Dans ces conditions, les r�sultats des �lections de novembre 2002 devraient avoir pour effet de laisser le champ libre aux R�publicains sur les questions internationales dans les deux prochaines ann�es.
+C'est donc � l'int�rieur du Parti r�publicain que les tendances lourdes en mati�re de politique �trang�re vont se d�gager. Il convient donc d'analyser � la fois les diff�rents mouvements au sein du GOP et les relations de ce parti avec l'Administration, et aussi dans quelle mesure certaines conceptions recevront un �cho plus ou moins favorable, et seront ainsi susceptibles, ou non, de participer pleinement � la formulation de la politique �trang�re du pays. Parmi les personnalit�s les plus influentes se trouvent les nouveaux pr�sidents des commissions des Relations internationales et des Forces arm�es au S�nat, Richard Lugar (r�publicain, Indiana) et John Warner (r�publicain, Virginie), tous deux r�put�s pour leurs prises de positions conservatrices. Plus que des divergences opposant R�publicains et D�mocrates, les futurs d�bats sur les questions internationales mettront en �vidence les d�saccords existant au sein du GOP entre des parlementaires conservateurs et d'autres plus " centristes ", � l'instar de ceux opposant les " faucons " et les " colombes " au sein de l'Administration. Ils permettront aussi de mesurer clairement l'importance des pr�rogatives constitutionnelles, que les parlementaires r�publicains ne manqueront pas de mettre en avant � l'occasion des futurs engagements de l'Administration Bush sur la sc�ne internationale.
+Si la victoire des R�publicains a ainsi des effets importants sur les questions int�rieures, le Congr�s se rangeant derri�re les propositions de lois de l'Administration, il n'en sera pas forc�ment de m�me en ce qui concerne les affaires internationales, et l'�quipe de George W. Bush devra faire face, sur ce point, � la fois � l'aile droite du Parti r�publicain et aux initiatives bipartisanes derri�re lesquelles pourraient se ranger des parlementaires plus " centristes ", susceptibles de s'associer aux D�mocrates en certaines circonstances. Il sera indispensable pour l'Ex�cutif de savoir compter habilement sur ces diff�rentes tendances.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Au d�but de la campagne d'Afghanistan, le gouvernement am�ricain a achet� en exclusivit� toutes les images de la zone en guerre prise par le satellite � haute r�solution Ikonos. Cette proc�dure �tait plus facile � adopter que l'interdiction de photographier, initialement pr�vue. M�me si les agences de renseignement se sont montr�es r�ticentes � distribuer l'imagerie commerciale aupr�s des forces arm�es, l'objectif initial de contr�le de l'information a �t� atteint.
+Mais cette proc�dure ne peut fonctionner avec des producteurs d'imagerie plus nombreux. Contr�ler la diffusion de l'imagerie appara�t comme une t�che de plus en plus illusoire.
+Sous l'�gide d'un NSC devenu r�cemment plus actif, l'administration doit mettre en forme une nouvelle approche du probl�me. Elle doit accepter la possible diffusion de l'imagerie spatiale. Les solutions explor�es passent par la pr�paration de r�ponses � l'utilisation de l'imagerie par l'ennemi, que ce soit lors d'op�rations militaires ou en pr�vention d'attaques terroristes, et un dialogue tr�s en amont avec les producteurs priv�s am�ricains et �trangers.
+Ce nouveau rapport du Centre fran�ais sur les Etats-Unis fait suite au policy paper sur " Le Contr�le de l'imagerie satellitaire, un dilemme am�ricain ", publi� en septembre 2001, puis mis � jour dans une version en anglais en mars 2002.
+L'objectif initial du pr�sent rapport �tait de pr�senter les r�sultats d'une �tude men�e par le National Security Council (NSC) sur le contr�le de la diffusion de l'imagerie commerciale par le gouvernement am�ricain. Lanc�e au printemps 2001, cette �tude devait s'achever en d�but d'ann�e 2002.
+Malheureusement, certaines difficult�s structurelles et conjoncturelles sont apparues et cette �tude officielle n'a pas encore vu le jour. Le groupe de r�flexion charg� de l '�tude �tait une sous-commission particuli�re du Policy Coordinating Committee sur l'espace (PCC-space) cr�� par le NSC. Dans les faits, les efforts du NSC en mati�re spatiale n'ont pas �t� suffisants. L'autorit� au sein des sous-groupes n'�tait pas clairement attribu�e au NSC. Ed Bolton, Director for Space au NSC sous l'autorit� de Frank Miller, n'�tait pas de rang suffisant pour imposer des compromis aux diff�rentes agences r�unies dans le PCC-Space. Surtout, les �v�nements du 11 septembre ont ax� les priorit�s du gouvernement sur l'action et non sur la r�flexion.
+La campagne d'Afghanistan a entra�n� des innovations importantes dans les m�canismes de contr�le de la diffusion de l'imagerie. Mais aucune r�flexion d'ensemble n'est intervenue et la situation est pour l'instant confuse. Des changements de personnel � la Maison Blanche vont entra�ner un recadrage dans les mois qui viennent.
+A l'automne 2001, seule la compagnie Space Imaging proposait des images � haute r�solution sur le march� commercial. Op�rationnel depuis fin 1999, son satellite Ikonos produit des images � un m�tre de r�solution en mode panchromatique et � 4 m�tres de r�solution en mode multispectral.
+Au moment d'entamer l'op�ration Enduring Freedom en Afghanistan, l'administration Bush a voulu s'assurer que ces images ne pouvaient tomber entre des mains hostiles, susceptibles d'en faire un usage militaire. A ce niveau de d�tail, les images pouvaient montrer par exemple la mise en place de bases au sol am�ricaines sur le territoire afghan, le d�placement des troupes am�ricaines sur le terrain, le degr� de visibilit� des infrastructures Talibanes, etc...
+Quoique moins facilement avouable car touchant � la censure, il �tait aussi important pour l'administration de contr�ler l'usage de l'imagerie par les m�dias. Fin septembre 2001, Space Imaging �tait d�j� en pourparler avec CNN pour vendre � la cha�ne d'information t�l�vis�e des images des op�rations. Le gouvernement ne pouvait courir le risque de voir sa politique comment�e ou contest�e avec des images, dont la charge �motionnelle est souvent importante.
+Depuis l'adoption de la directive PPD-23 en 1994, l'administration disposait d'un m�canisme pour interdire la diffusion d'imagerie commerciale par les entreprises priv�es, en cas de crise. Selon la directive, " le secr�taire au commerce peut d�cider de limiter les op�rations d'un satellite commercial, soit lorsque le secr�taire � la d�fense estime que la s�curit� nationale est en jeu, soit lorsque le secr�taire d'Etat estime que des obligations internationales et/ou des politiques �trang�res pourraient �tre compromises ".
+L'op�rateur du satellite doit alors limiter la prise de vue au-dessus du territoire concern� ou restreindre la distribution des images. Qui plus est, les communications entre le satellite et ses stations de r�ception doivent rester accessibles au gouvernement.
+Cette proc�dure dite de shutter control faisait l'objet de critiques de la part des m�dias. Notamment, la formulation des conditions dans lesquelles le shutter control pouvait �tre d�clench� �tait beaucoup trop floue. Selon la jurisprudence relative au Premier amendement � la Constitution, qui garantit la libert� de la presse, il faut " un danger clair et pr�sent " ou " une menace s�rieuse et imminente pour la s�curit� nationale " pour justifier une quelconque censure. Depuis 1994, des associations de journalistes avaient signal� leur intention d'intenter un proc�s au gouvernement d�s la premi�re utilisation du shutter control, pour en obtenir la reformulation.
+Les producteurs d'imagerie spatiale d�ploraient aussi le choix du m�canisme de shutter control. En cas d'application, les entreprises �trang�res resteraient libres de vendre leurs images des zones en crise et op�reraient sur un march� d'o� la concurrence am�ricaine aurait disparu.
+Pour �viter toute complication, le gouvernement a donc adopt� une autre solution pour emp�cher la diffusion de l'imagerie commerciale. Un accord commercial a �t� conclu entre la compagnie Space Imaging et l'agence de renseignement responsable de l 'imagerie (la National Imagery and Mapping Agency, NIMA), accordant � cette derni�re une exclusivit� sur les images prises de l'Afghanistan.
+Rendu public le 18 octobre, l'accord a �t� sign� le 5 octobre pour une dur�e de un mois. Pour 1,9 millions de dollars, Space Imaging s'engage � ne plus vendre d'images de 'Afghanistan et de la r�gion (Pakistan, Ouzb�kistan) � d'autres clients que la NIMA. Chaque kilom�tre carr� imag� est factur� 20 dollars et les commandes ne peuvent porter sur moins de 10.000 km � la fois. L'accord a �t� renouvel� le 5 novembre pour un second mois.
+Apr�s le 5 d�cembre, l'accord n'a pas �t� renouvel�. La NIMA, redevenue un client comme les autres, a poursuivi ses commandes sans clause d'exclusivit�.
+Pour le gouvernement, l'accord de buy-to-deny pr�sentait un certain nombre d'avantages par rapport au shutter control. Tout d'abord, l'entreprise d'imagerie concern�e ne pouvait plus se plaindre d'un manque � gagner, comme dans le cas d'un shutter control interdisant la production. Au contraire, elle a obtenu en deux mois une somme que l'on peut estimer � 13.2 millions de dollars.
+L'association Reporter Sans Fronti�res et l'association am�ricaine Radio-Television News Directors Association (RTNDA) se sont plaintes pour leur part de la mesure adopt�e. Dans des lettres adress�es � Donald Rumsfeld, et aux responsables de la NIMA, elles ont compar� le buy-to-deny � de la censure. Elles n'ont toutefois pas intent� de proc�s, probablement parce que leurs chances de l'emporter �taient tr�s minces dans le contexte de l'op�ration Enduring Freedom.
+D'un point de vue pratique, l'accord de buy-to-deny �tait aussi plus facile � mettre en place que le shutter control. Ce dernier implique au moins deux secr�taires : le Secr�taire au commerce prend la d�cision sur la demande du Secr�taire � la d�fense ou du Secr�taire d'Etat. C'est une d�cision politique qui implique la responsabilit� du gouvernement. La d�cision du buy-to-deny est en revanche une d�cision commerciale et les n�gociations ont �t� discr�tement men�es par la NIMA.
+Enfin, le gouvernement a soulign� la grande utilit� des images Ikonos pour les forces arm�es et les agences de renseignement am�ricaines. Celles-ci peuvent les utiliser pour �tablir la cartographie du territoire, dans le cadre de missions op�rationnelles, ainsi que pour communiquer plus facilement avec les forces alli�es. Les images commerciales ne sont pas classifi�es et peuvent �tre utilis�es sans probl�me lors de briefings interalli�s.
+Ce que la presse a rapidement appel� l'accord de buy-to-deny (" acheter pour emp�cher l'utilisation "), la NIMA l'appelle pour sa part l'accord de assured access, c'est-�-dire " d'acc�s assur� ".
+L'accord initial semblait inclure une clause d'exclusivit� � perp�tuit� sur les images achet�es. Il semble n�anmoins que les images soient d�j� d�classifi�es et vers�es aux archives de la compagnie. Clients et chercheurs peuvent d�sormais consulter la liste des images command�es par la NIMA � l'automne dernier. Steven Livingstone, professeur � la School of Media and Public Affairs de l'Universit� George Washington a analys� les images command�es par la NIMA pendant les deux mois couverts par l'accord.
+Du 5 octobre au 5 d�cembre, un total de 470 000 km carr�s d'imagerie a �t� achet� par la NIMA. Il s'av�re que les images de l'Afghanistan achet�es par la NIMA correspondent bien aux zones de front sur le territoire. Semaine apr�s semaine, elles suivent les m�mes �volutions g�ographiques que les op�rations arm�es.
+Selon les conclusions de l'�tude, il est possible que la NIMA ait utilis� les images Ikonos pour dresser des cartes pr�cises et � jour des r�gions en cause. L'administration ne disposait pas de cartes de tout le territoire afghan et il fallait rapidement pallier ce manque. La situation �tait la m�me en 1990, lors des pr�paratifs de l'op�ration Desert Storm. Le Pentagone avait alors achet� des images Spot pour �tablir des cartes du sud de 'Irak. La NIMA a accompli cette mission en interne. Lors de sa cr�ation en 1996, elle a l accueilli les quelques 7000 employ�s de la Defense Mapping Agency (DMA) et l'une de ses missions est la cartographie.
+Mais l'utilisation de ces images par les forces arm�es pour des missions op�rationnelles semble avoir �t� plus difficile. La presse s'est fait l'�cho de difficult�s dans l'exploitation effective des images et notamment dans leur transmission aux forces sur le terrain.
+Conform�ment � l'accord conclu avec la NIMA, les images de la zone en guerre prises par le satellite Ikonos ne pouvaient �tre transmises � la station de r�ception install�e par Space Imaging dans les Emirats Arabes Unis (� Abou Dhabi). Elles devaient �tre re�ues et trait�es dans les installations de la compagnie sur le territoire am�ricain. Elles �taient donc re�ues dans le Colorado (Denver) et en Alaska (Fairbanks). Elles �taient ensuite envoy�es par e-mail et par courrier sp�cial � la base a�rienne de Bolling, � Washington, DC. Elles y �taient archiv�es par la NIMA, sans doute apr�s leur exploitation pour la cartographie.
+Dans un premier temps, le personnel de l'Air Force d�sireux d'utiliser les images Space Imaging devait se rendre sur la base de Bolling, copier les images sur des CD ou des disques durs d'ordinateurs portables, puis envoyer ces donn�es par avion en Arabie Saoudite, o� elles �taient r�ceptionn�es sur la base de l'U.S. Air Force Prince Sultan. Elles pouvaient alors �tre distribu�es aux soldats de l'Air Force dans une quinzaine de sites du th��tre d'op�ration.
+Les livraisons de Bolling vers la base Prince Sultan �taient effectu�es une fois par semaine au d�but du conflit. C'est � ce moment-l� qu'elles ont acquis le surnom de Pony Express, du nom des courriers re�us par les pionniers du far West, au XIX�me si�cle. Elles ont ensuite �t� envoy�es plus facilement par satellite, notamment gr�ce au Global Broadcast Service.
+Il semble probable que la NIMA a eu des difficult�s � distribuer ce type de renseignement. Il n'y avait pas de proc�dure en place pour organiser la distribution ; les agents, qui manquent encore d'habitude face � ces produits diff�rents, entretiennent une certaine m�fiance envers une source d'approvisionnement qu'ils ne contr�lent pas totalement.
+Au-del� de ces difficult�s, certains responsables de l'Air Force et de Space Imaging ont �voqu� � mots couverts la mauvaise volont� de la NIMA. L'agence de renseignement est avant tout soucieuse de maintenir des programmes d'observation " nationaux " importants dans les d�cennies � venir. Or, plus les besoins servis par les entreprises commerciales seront importants, plus les futurs programmes de satellites du NRO pourront �tre r�duits. La NIMA a donc int�r�t � restreindre l'acc�s des forces arm�es � 'imagerie commerciale, afin qu'elles ne prennent pas l'habitude d'utiliser ces nouveaux l produits. Elle veut �viter que les cr�dits destin�s � l'acquisition de syst�mes militaires soient consacr�s � l'achat de produits commerciaux.
+Le rapport Rumsfeld de janvier 2001 �value � 50% les besoins en renseignement de la NIMA qui pourraient �tre couverts par de l'imagerie � 50 cm de r�solution. Le satellite QuickBird de l'entreprise DigitalGlobe, op�rationnel au printemps 2002, annonce une r�solution de 61 cm en mode panchromatique. La firme Space Imaging a re�u en d�cembre 2000 une licence pour construire son prochain satellite avec une r�solution de 50 cm. L'offre croissante d'imagerie � haute r�solution forcera sans doute la NIMA � s'adapter.
+Au-del� de la communaut� du renseignement et des forces arm�es am�ricaines, les agences f�d�rales civiles font �galement usage d'imagerie spatiale pour mener � bien leur mission. Dans le cadre d'une �tude r�alis�e en 2001 pour le S�nat, le Congressional Research Service a tent� d'�valuer l'ampleur de leur recours � l'imagerie.
+Sur un total de 19 agences ou minist�res interrog�s, quinze font usage de donn�es issues de l'observation de la Terre, avec un usage tr�s important pour onze d'entre elles. Parmi les sources d'approvisionnement cit�es figurent les syst�mes gouvernementaux civils (Nasa, NOAA, USGS), les syst�mes commerciaux am�ricains (Space Imaging, OrbView), et les syst�mes �trangers institutionnels et commerciaux (Spot, IRS, ERS, Radarsat). Les syst�mes militaires am�ricains sont plus rarement utilis�s, pour des raisons de classification. Les agences f�d�rales civiles sont des utilisatrices potentiellement importantes de l'imagerie commerciale.
+Les budgets qu'elles consacrent � l'achat d'imagerie commerciale sont difficiles � appr�hender. Pour certaines agences comme USAID, ou le D�partement d'Etat, les budgets n'ont pu �tre reconstitu�s, car les fonds sont �parpill�s entre les diff�rents utilisateurs et les types de d�pense (software, personnel, images). D'autres agences, comme le D�partement de l'�nergie, ont un acc�s gratuit aux images de la Nasa et de la NOAA. Ces deux derni�res agences pr�sentent � l'inverse des budgets surdimensionn�s, qui recouvrent la maintenance des syst�mes de donn�es, des infrastructures et des stations-sol et certaines missions op�rationnelles.
+Certains autres budgets semblent plus prometteurs : le D�partement de l'agriculture, par exemple, a d�pens� 38.3 millions en imagerie en 2000 et le D�partement des transports (incluant les Coast Guard) en a achet� pour 8 millions en 2001. Mais d'autres chiffres sont trompeurs. Au sein du D�partement de la justice, l'Immigration and Naturalisation Service (INS) a acquis pour 35 millions de dollars d'imagerie en 2001 et a requis 55 millions pour 2002, mais il semble que ces sommes soient consacr�es � l'achat d'imagerie a�rienne (voir d�tail page suivante).
+Le total des budgets consacr�s par les agences civiles � l'achat d'imagerie spatiale commerciale semble donc peu �lev� pour l'instant. Le rapport du S�nat mentionne quelques moyens d'augmenter le recours � ce type de produit dans l'avenir. Il recommande par exemple la mise en place de centres de commande d'imagerie uniques au sein de chaque l'administration, afin d'obtenir des prix et des services meilleurs de la part des fournisseurs ; des investissements communs dans le software et dans la formation � l'interpr�tation des images ; la possibilit� d'acqu�rir une licence d'exploitation des images valable pour l'administration enti�re, afin que les agences f�d�rales puissent se communiquer les images entre elles.
+Plus l'usage de l'imagerie commerciale se r�pandra dans l'administration, plus il sera difficile pour la NIMA et le NRO de justifier la non-utilisation de ces donn�es.
+L'accord d'octobre 2001 est une innovation judicieuse. Il n'est pas s�r qu'il pourra �tre renouvel� dans le futur. Le nombre de fournisseurs am�ricains et �trangers d'imagerie doit s'accro�tre dans les prochaines ann�es. La NIMA ne peut adopter comme m�canisme de s�curit� l'achat toutes les images dangereuses.
+Pendant la campagne d'Afghanistan, seul le satellite Ikonos 2 produisait des images � haute r�solution, avec des images optiques � 1 m�tre et des images multispectrales � 4 m�tres. Lors d'une prochaine crise internationale, la NIMA pourrait avoir � acheter la production du satellite QuickBird 2 de DigitalGlobe, (op�rationnel au printemps 2002, r�solutions de 61 cm en mode panchromatique et 2,44 m�tres en mode multispectral), du satellite OrbView 3 d'Orbimage (lancement pr�vu en 2003, r�solutions de un m�tre en mode panchromatique et 4 m�tres en mode multispectral) et d' Ikonos 3 (lancement pr�vu en 2004, 50 cm de r�solution en mode panchromatique). L'achat de toutes les images produites serait sans doute co�teux et al�atoire.
+Quant aux entreprises �trang�res, quel que soient leur nombre et la r�solution de leurs images, il est peu probable qu'elles acceptent les propositions d'achat exclusif d'une agence de renseignement am�ricaine comme la NIMA.
+Le buy-to-deny a �t� une solution de court terme. De l'aveu des responsables de 'actuelle administration, il n'est pas non plus pensable de revenir au shutter control. L'administration doit donc maintenant s'attacher � trouver un nouveau m�canisme de contr�le.
+Les premiers mois de l'administration Bush ont vu un d�sengagement de la Maison Blanche sur les questions spatiales, attribu�es au Pentagone. Le National Security Council (NSC) a nomm� une seule personne en charge de ces questions. Edward Bolton, lieutenant-g�n�ral de l'arm�e de l'Air, r�sumait sa mission en soulignant que l'espace n'�tait pas la priorit� du gouvernement Bush, que ce soit avant ou apr�s le 11 septembre. Les groupes de travail d�pendants du PCC-Space n'ont pas �t� tr�s dynamiques. Certains n'ont pas �t� r�unis une seule fois.
+En avril 2002, Gil Klinger a remplac� Ed Bolton au poste de Director for Space. Gil Klinger est un responsable de niveau plus �lev�. Il a �t� Deputy Under Secretary of Defense for Space lors de la cr�ation de cette fonction en 1994. Ce poste a �t� supprim� en 1998 et remplac� par un Assistant Secretary of Defense for Space (qui chapeaute un " Directorat pour l'espace "). Gil Klinger a alors �t� nomm� Director for Policy au National Reconnaissance Office, poste qu'il a conserv� jusqu'en 2002.
+Gil Klinger est dot� d'une forte personnalit�. Il a �t� appel� � la Maison Blanche par le Senior Director for Defense and Arms Control Frank Miller, pour reprendre en main le dossier espace. Parmi les th�mes dont il doit s'occuper en premier figurent le contr�le de l 'imagerie, mais aussi le march� des lanceurs, le contr�le des exportations et le dialogue avec les pays �trangers.
+Il compte r�affirmer l'autorit� de la Maison Blanche face aux autres entit�s administratives. L'OSTP, la NOAA, le bureau des exportations (BXA) et les autres agences qui participent aux groupes de travail du PCC-Space devront sans doute � nouveau accepter l'autorit� du NSC. Sous la conduite plus �nergique de Gil Klinger, les groupes de r�flexion pourront s'attaquer au probl�me des risques li�s � la diffusion d'imagerie commerciale � haute r�solution.
+Autoriser la distribution de l'imagerie � un m�tre de r�solution sur le march� est un risque que l'administration a pris consciemment en 1994. Les concurrents �trangers semblaient se diriger de toute mani�re vers la production de ce type d'imagerie et les Etats-Unis souhaitaient prendre les devants. Il faut maintenant g�rer les risques associ�s � 'ouverture de cette " bo�te de Pandore ".
+Kevin O'Connell, senior analyst sur les questions d'imagerie spatiale � la Rand Corporation, a une opinion tranch�e sur la question. Selon lui, il est inutile de s'acharner � contr�ler la diffusion de l'imagerie commerciale en cas de crise, car 'apparition de fournisseurs �trangers rendra ces tentatives de plus en plus illusoires. Tout en pr�cisant qu'il faut conserver les possibilit�s juridiques de restrictions, Kevin O'Connell propose de faire porter les efforts sur la s�curisation en aval.
+La Maison Blanche rejoint Kevin O'Connell dans l'id�e que le contr�le par l 'administration am�ricaine ne restera plus �tanche tr�s longtemps. Elle souhaite concentrer ses efforts sur la r�ponse � apporter aux situations o� l'ennemi dispose d'imagerie m�trique. Elle n'abandonne pas totalement l'id�e du contr�le, mais le situe dans une perspective en amont plus globale.
+A un stade tr�s peu abouti de la r�flexion des responsables, quelques �l�ments concrets sont mentionn�s pour une nouvelle approche du probl�me.
+Acceptant l'id�e que l'ennemi ou la presse disposeront d'imagerie � haute r�solution lors de futures op�rations, le gouvernement doit mettre au point des r�ponses appropri�es.
+Pour pr�parer la d�fense des troupes lors d'op�rations ext�rieures, le D�partement de la D�fense devra organiser des exercices militaires sp�cifiques. Des sc�narios dans lesquels l'ennemi disposera, lui aussi, d'imagerie � un m�tre de r�solution, montreront � quels dangers suppl�mentaires les troupes sont expos�es et quelles solutions peuvent �tre apport�es.
+L'id�e de prendre de vitesse les forces ennemies dans l'obtention et l'exploitation de l'imagerie figurera sans aucun doute dans les enseignements tir�s de ces exercices. L'imagerie doit parvenir plus vite aux forces am�ricaines qu'aux forces ennemies. Elle doit aussi �tre mieux interpr�t�e. Lors d'une op�ration de type Enduring Freedom, il faudrait par exemple que le satellite Ikonos transmette directement les donn�es � la station de r�ception SpaceImaging situ�e dans les Emirats Arabes Unis, que les meilleurs logiciels et photo-interpr�tes l'interpr�tent rapidement, et que les informations soient aussit�t envoy�es aux troupes sur le terrain. Le d�lai total ne devrait pas exc�der 24 heures.
+Il est probable que les forces ennemies ne pourraient obtenir l'imagerie aussi rapidement et ne sauraient pas l'exploiter aussi bien. La diffusion d'imagerie aupr�s d'elles serait moins dangereuse dans ces conditions.
+L'Office of Homeland Security, � la Maison Blanche doit coordonner la r�flexion en ce qui concerne la s�curit� int�rieure. La pr�paration consistera � voir quelle information op�rationnelle l'imagerie m�trique peut apporter pour pr�parer une action hostile sur le territoire am�ricain. Il faudra par exemple recenser les cibles potentielles aux Etats-Unis : a�roports, centrales nucl�aires, bases militaires, r�servoirs d'eau potable... Leur s�curisation passe par le camouflage et/ou le renforcement des structures, la r�vision des droits d'acc�s aux installations, la restriction des droits de survol et une mise en alerte des forces a�riennes.
+L'acc�s des m�dias aux images est un autre probl�me. La presse ou les ONG v�rificatrices (comme par exemple GlobalSecurity.com, dirig�e par John Pike) peuvent questionner la politique du gouvernement sur la base d'images accusatrices. La pr�vention de ce risque tr�s sp�cifique est d�licate. Le gouvernement am�ricain peut soit engager un dialogue avec les m�dias am�ricains, soit exercer un droit de censure et de saisie. Mais cette seconde d�fense est illusoire. La transmission de l'information est devenue aujourd'hui trop rapide pour que les autorit�s f�d�rales puissent agir � temps ; l 'internet et les m�dias �trangers restent quant � eux difficilement contr�lables.
+Pour l'instant, le manque de fournisseurs d'imagerie m�trique et la loyaut� des m�dias am�ricains fournissent un garde-fou. Mais il n'y a pas de solution claire au probl�me qui risque de se poser dans l'avenir.
+L'administration doit �tudier une nouvelle m�thode de contr�le de la diffusion de l 'imagerie. Celle-ci ne passera plus par l'interdiction de produire ou l'acquisition de droits d'exclusivit�. Il lui faut sans doute exercer une influence tr�s en amont sur la production.
+Les entreprises survivent � l'heure actuelle gr�ce aux achats institutionnels. Mais ceux-ci sont trop limit�s pour permettre aux entreprises de d�coller. Compte-tenu des besoins en imagerie qui peuvent �tre couverts par ces entreprises et leurs syst�mes, le gouvernement semble envisager d'accro�tre sensiblement le volume de ses achats, afin de mener ces entreprises � une sorte de prosp�rit�.
+La direction de la NIMA a mentionn� une nouvelle Commercial Imagery Strategy (dite CIS 2001), qui remplacerait la CIS de 1998. Elle mettrait en place une " nouvelle alliance strat�gique " fond�e sur plusieurs �l�ments : la planification � l'avance des achats d'imagerie commerciale par la NIMA, pour permettre aux entreprises d'investir dans leurs syst�mes futurs ; le transfert d'exigences de plus en plus raffin�es, notamment le traitement de l'information, vers le secteur priv�. Le NRO serait soulag� d'une partie de ses missions en r�solution m�trique et basse.
+Il faut pour cela que la NIMA obtienne des fonds tr�s importants du Congr�s. L'application des CIS pr�c�dentes a montr� que les parlementaires am�ricains ne votaient toujours les budgets demand�s pour l'achat d'imagerie commerciale par les agences de renseignement. Pour que la nouvelle architecture fonctionne, il faut aussi que le personnel de la NIMA accepte d'utiliser et de diffuser effectivement l'imagerie commerciale aupr�s de l'ensemble des forces. L'exp�rience de l'op�ration Enduring Freedom a montr� que certains officiers de renseignement pr�f�rent conserver les financements pour leurs propres syst�mes et r�sistent � l'�volution en cours.
+A terme, l'application de la CIS 2001 signifierait que les entreprises d'imagerie commerciale am�ricaines seraient tr�s fortement int�gr�es dans l'architecture de renseignement f�d�rale. Il leur deviendrait difficile de d�sob�ir aux souhaits du gouvernement en cas de crise. Le gouvernement b�n�ficierait d'un droit d'exclusivit� implicite.
+S'il parvient � se mettre en place, un tel syst�me serait l'objet de critiques : l 'exclusivit� gouvernementale irait � l'encontre des principes de l'ONU de 1986, selon lesquels un pays observ� par un syst�me commercial doit pouvoir acheter les images en question. Ce serait aussi la fin durable des efforts des entreprises pour se d�velopper sur un march� civil et priv�. Les entreprises am�ricaines n'auraient plus de commercial que le nom et constitueraient en r�alit� un syst�me para-public.
+Le D�partement d'Etat aura la responsabilit� d'entamer des discussions avec les pays qui poss�dent des syst�mes commerciaux. Selon la Maison Blanche, l'harmonisation des m�thodes de contr�le semble un objectif tr�s ambitieux � ce stade : la plupart des pays producteurs n'ont pas encore de syst�me de contr�le particulier.
+Les images vendues par les entreprises non-am�ricaines restent de r�solution plus grossi�re et pr�sentent pour l'instant moins de danger en termes de s�curit�. Lors de la campagne d'Afghanistan, par exemple, Spot Image a re�u peu de commandes de la presse, car les images disponibles (Spot 1, 2 et 4, r�solution de 10 m�tres en mode panchromatique) n'�taient finalement pas assez parlantes pour le public.
+C'est pour cette raison que l'entreprise fran�aise se contente actuellement de respecter les d�cisions de l'ONU. Il peut s'agir d'embargos, comme celui qui s'applique � l'Irak, mais surtout des r�solutions plus sp�cifiques de 1986 sur l'imagerie. En accord avec ces r�solutions, Spot Image garantit l'acc�s des pays observ�s aux photographies prises, dans des d�lais et pour un prix raisonnable. Le gouvernement fran�ais n'a pas adopt� pour l'instant de m�canisme de contr�le plus strict.
+Mais les satellites commerciaux non-am�ricains progressent eux aussi vers des r�solutions plus fines, aux alentours de deux m�tres. Le satellite isra�lien Eros s'approche de la r�solution m�trique avec une r�solution de 1,8 m�tres. Spot 5, qui vient d'�tre lanc�, pr�sente une r�solution de 2,5 m�tres. Rocsat pour la Cor�e et Alos pour le Japon, dont les lancements sont pr�vus pour 2003 et 2004 respectivement, auront tous les deux une r�solution proche de 2 m�tres en mode panchromatique. La compagnie russe SovinformSpoutnik semble poss�der actuellement un syst�me op�rationnel d'une r�solution de 2 m�tres. L'Inde pr�voit le lancement du satellite de cartographie IRS-P5 pour 2002 - 2003. L'int�r�t de l'imagerie � deux m�tres reste plus limit�e pour des utilisateurs hostiles ou pour les m�dias.
+Si son syst�me de satellites � r�solution m�trique Pl�iades est d�ploy� dans la seconde partie de la d�cennie, Spot Image proposera alors des images potentiellement plus dangereuses. Les d�bats interminist�riels d�j� entam�s en France devront alors aboutir � l'adoption d'une politique de contr�le plus stricte.
+La coordination de ces futurs m�canismes de contr�le avec ceux qui existeront aux Etats-Unis reste � inventer. Dans les situations de crise internationale post-guerre froide, la France, de m�me que la Russie et Isra�l, sont le plus souvent dans le m�me camp que les Etats-Unis. Un dialogue informatif et pr�paratoire doit �tre d�s � pr�sent entam�. Le D�partement d'Etat fera conna�tre ses positions et ses vuln�rabilit�s, puis appr�hendera la mani�re dont les administrations �trang�res envisagent d'�ventuels contr�les.
+Une partie de ce dialogue portera sur la r�forme possible des proc�dures de contr�le des exportations de mat�riel sensible am�ricain. Les restrictions ne doivent plus �tre simplement fond�es sur la r�solution des images, mais pourraient prendre en compte les alli�s destinataires des exportations et la nature des technologies consid�r�es.
+Il devrait �tre possible de n�gocier une harmonisation des attitudes des pays alli�s en cas de crise. Ceci ne sera pas forc�ment vrai pour des pays comme la Chine ou l'Inde. Le contr�le des syst�mes commerciaux �trangers doit donc aussi pouvoir reposer, en fin de compte, et selon la gravit� du danger ressenti par les Etats-Unis, sur des syst�mes militaires.
+En conclusion, l'�volution qui se dessine semble constituer une certaine reformulation du concept d' information dominance. Ce concept �labor� dans les ann�es 1990 a �t� largement adopt� par le Pentagone sous l'administration Clinton. Il pr�voit la ma�trise de l'information, notamment spatiale et commerciale, dans un but de domination militaire :
+" Information dominance may be defined as superiority in the generation, manipulation, and use of information sufficient to afford its possessors military dominance. "
+Un �l�ment important de l'information dominance est la possibilit� d'entraver l'acc�s de l'ennemi � l'information.
+Au lendemain de l'op�ration Enduring Freedom, l'administration Bush repense son approche. Elle doit accepter la possible diffusion de l'imagerie spatiale. Les solutions explor�es passent par un dialogue tr�s en amont avec les producteurs am�ricains et �trangers, une utilisation de l'imagerie meilleure et plus rapide que l'ennemi pendant les crises, la pr�paration d�s � pr�sent des ripostes � la diffusion de l'imagerie.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le Centre fran�ais sur les Etats-Unis (CFE)
+www.cfe-ifri.org
+La quasi-totalit� des Etats - seuls l'Alabama, le Michigan, New York, et le Texas ont des dates diff�rentes - ont eu � boucler leur budget pour l'ann�e fiscale 2003 - 2004 le 30 juin dernier, r�v�lant ainsi l'ampleur de la crise budg�taire qui les frappe. Le constat de crise est g�n�ralis� depuis le printemps 2003 : les diff�rents think tanks ont tous leur avis sur la question - le Cato critiquant l'interventionnisme f�d�ral, la Brookings d�non�ant les irresponsables coupes budg�taires �tatiques, et Heritage le manque de responsabilit� fiscale des dirigeants -. Ces derniers, ainsi que les lobbies intergouvernementaux (National Governors' Association, National Association of States' Legislatures en particulier), s'emploient � d�velopper les �l�ments d'une rh�torique r�currente depuis le d�but des ann�es quatre-vingt-dix, et selon laquelle la crise actuelle est a) la pire depuis longtemps b) totalement impr�visible c) imputable pour l'essentiel � la politique f�d�rale . La situation est d'autant plus difficile que tous les Etats - sauf le Vermont - sont contraints par leur constitution d'assurer un budget �quilibr�.
+Plus g�n�ralement, les difficult�s budg�taires actuelles peuvent �tre ais�ment interpr�t�es comme une manifestation des impasses d'un f�d�ralisme dit " coop�ratif " o� les pressions contradictoires et les accusations mutuelles entre les diff�rents niveaux de gouvernement (f�d�ral, f�d�r�, local, municipal) sont quasi-permanentes . C'est d'ailleurs l� un th�me qui revient fr�quemment dans le d�bat actuel, que ce soit � la droite ou � la gauche de l'�chiquier politique, et qui prend la forme d'un appel au " tri " (sorting out) des fonctions gouvernementales. Les conservateurs vont ainsi d�fendre un transfert plus net de fonctions vers les Etats f�d�r�s, alors que leurs homologues lib�raux (au sens am�ricain) consid�rent que l'Etat f�d�ral doit assumer ses fonctions nationales. Derri�re la rh�torique, il va de soi que l'�quilibre financier des Etats pose de fa�on aigu� le probl�me des relations intergouvernementales. Des Pr�sidents comme Ronald Reagan ou Richard Nixon, en leur temps, l'avaient parfaitement compris et tent� de le mettre en oeuvre avec des programmes dits de " Nouveau F�d�ralisme " (New Federalism) dont l'objectif le plus direct �tait d'all�ger la charge financi�re de l'Etat f�d�ral en transf�rant aux Etats f�d�r�s un nombre plus important de responsabilit�s. De nos jours, comme il y a vingt ans, l'argument " f�d�ral " est fortement li� aux questions budg�taires, alors qu'il est souvent pr�sent� comme en engagement politique, voire id�ologique.
+Au lieu de mettre l'accent sur les d�bats en cours concernant la question du f�d�ralisme, nous voudrions fournir un �clairage des principaux �l�ments budg�taires du probl�me. Malgr� la diversit� des situations �tatiques - le Wyoming ne conna�t par exemple aucune crise financi�re alors que la Californie, elle, voit une crise politique et institutionnelle se greffer � ses probl�mes budg�taires -, les principales causes de la crise sont ais�ment identifiables. Il est ainsi possible de mettre en lumi�re des �volutions importantes du f�d�ralisme am�ricain. Il semble � peu pr�s acquis que le pari conservateur de ces derni�res ann�es, celui de la " d�volution " (devolution), est en passe d'�tre gagn�. Dans une large mesure, l'actuelle crise budg�taire des Etats f�d�r�s est le produit du succ�s de la strat�gie conservatrice de " Nouveau F�d�ralisme ".
+Dans un �ditorial r�cent du Washington Post, un S�nateur d�mocrate de Caroline de Sud expliquait que l'administration Bush avait r�ussi � masquer la gravit� de la situation budg�taire de l'Etat f�d�ral . Le constat d'un certain oubli m�diatique s'impose encore plus pour les Etats f�d�r�s. En �cho � la situation f�d�rale, les Etats sont bien en proie � une crise budg�taire particuli�rement aigu�. Hormis les sp�cialistes de la question, cette crise ne semble pourtant pas int�resser l'opinion publique am�ricaine, et encore moins les observateurs �trangers. Le caract�re r�current de la crise budg�taire des Etats est sans doute une part de l'explication - au d�but de la d�cennie quatre-vingt-dix, la situation �tait assez similaire -, tout comme la quasi-certitude d'une aide de l'Etat f�d�ral. Pourtant, le probl�me est bien r�el et il est presque certain que ses cons�quences imm�diates vont lui donner rapidement une visibilit� politique. Les hausses d'imp�ts, en particulier, touchent directement les �lecteurs, et le lancement de la campagne pr�sidentielle � partir des primaires de l'hiver 2004 va m�caniquement contribuer � faire de la crise budg�taire �tatique un enjeu politique : les candidats d�mocrates ne peuvent pas laisser passer une telle occasion de critiquer la politique �conomique du Pr�sident, et celui-ci devra forc�ment le prendre en compte.
+L'ampleur du gouffre budg�taire devant lequel se trouvent les Etats est nettement plus pr�occupante qu'au d�but de la pr�c�dent crise. La r�cession avait officiellement touch�e le pays en juillet 1990 . D�s le milieu de l'ann�e fiscale 1991, trente Etats faisaient face � un d�ficit cumul� de 15 milliards de dollars. La solution adopt�e avait �t� une augmentation substantielle des imp�ts �tatiques, d'environ 27 milliards de dollars entre l'ann�e fiscale 1989 et celle de 1992. A l'�poque, la hausse draconienne des imp�ts avait aussi r�sult� du manque d'�conomie des Etats, et pas simplement de la mauvais situation d'ensemble. Ainsi, la plupart des Etats essaient maintenant de mettre de l'argent de c�t� soit dans le fond g�n�ral, soit dans un fond sp�cifique dit de stabilisation (on mentionne souvent ce dernier sous l'expression de " rainy day fund ") . Lors de la r�cession de juillet 1990, les Etats avaient, en moyenne, 4.7% de leur budget en r�serve dans l'un de ces deux fonds, soit 12 milliards de dollars ; or ceci s'est r�v�l� largement insuffisant, d'o� le recours aux imp�ts. A partir de 1993, avec le red�collage de l'�conomie am�ricaine, les Etats avaient finalement r�ussi � �merger de leurs probl�mes budg�taires, et en avaient profit� pour revenir sur les augmentations d'imp�ts : entre 1994 et 2001, 43 Etats ont baiss� les imp�ts pour un montant de plus de 40 milliards de dollars.
+Le ralentissement �conomique actuel a d�but� � la fin de l'ann�e 2000 en touchant d'abord des zones industrielles autour des Grands Lacs et des ports du Sud ; les attentats du 11 septembre 2001 ont encore fragilis� la situation. Cette fois, ce sont donc les Etats du Sud (Alabama, Arkansas, Kentucky, Missouri, les Carolines, Tennessee, et la Virginie) ainsi que ceux du Midwest (Indiana, Michigan, Ohio) qui ont connu les premi�res difficult�s � partir du printemps 2001. Les responsables �tatiques avaient aussi tent� de pallier d'�ventuels probl�mes budg�taires � venir en augmentant les r�serves budg�taires : en 1999, elles se montaient ainsi � 8,5 % du budget des Etats. Mais pourtant, la situation est sans commune mesure avec celle du d�but des ann�es quatre-vingt-dix. Les experts consid�rent que les Etats auraient d� doubler leurs r�serves (de 8,5 % � 18,6 % selon le Center on Budget and Policy Priorities) pour faire face � la force de la crise actuelle. Ainsi, le CBPP estime qu'� pr�sent plus de la moiti� des Etats ont des revenus inf�rieurs � ce qui �tait initialement pr�vu en 2002, de sorte que 45 d'entre eux ont un d�ficit budg�taire pour l'ann�e fiscale 2003 d'un montant de 25 milliards de dollars, chiffre qui devrait se monter, selon les estimations, � 68, voire 85 milliards de dollars pour l'ann�e 2004 .
+Une large part des remous budg�taires actuels trouve son explication dans la configuration des pr�l�vements �tatiques. En effet, il semblerait que le syst�me fiscal existant amplifie rapidement - soit � la hausse, soit � la baisse - les �volutions �conomiques nationales. Il faut donc se tourner vers la composition des revenus et des d�penses des Etats.
+La masse budg�taire des Etats est consid�rable, y compris par rapport au budget de l'Etat f�d�ral. C'est une donn�e peu r�alis�e par les lecteurs europ�ens, mais les Etats f�d�r�s �tant, au sein du syst�me f�d�ral, des entit�s souveraines dans le domaine de comp�tence que leur r�serve la Constitution, ils ont � leur disposition un appareil fiscal substantiel. En 1997, le total des revenus �tatique atteignait 815 milliards de dollars. Les Etats ont collect� en propre 584 milliards de dollars, et l'Etat f�d�ral a fourni les 231 milliards de dollars restants, par le biais de financements cat�goriels ou " en bloc " (categorical grant - block grant), c'est-�-dire soit en finan�ant des programmes sp�cifiques - dits " cat�goriels " - soit en attribuant une somme g�n�rale � un domaine dont la gestion courante est laiss�e aux Etats f�d�r�s .
+Cette masse budg�taire des Etats se d�compose classiquement en revenus (pr�l�vements) et en d�penses. Au niveau des pr�l�vements, l'imp�t sur le revenu (income tax) et l'imp�t sur la consommation (sales tax) occupent les premi�res places, puisqu'ils repr�sentent chacun environ 18% du revenu total des Etats. Les rentr�es de l'imp�t sur la consommation augmentent relativement peu. Elles ont �t� d�pass�es par le montant de l'imp�t sur le revenu per�u par les Etats au cours de la d�cennie quatre-vingt-dix. L'imp�t sur la consommation a en effet �t� �rod� par toute une s�rie d'exemptions accord�es � diff�rents produits, par exemple aux ventes effectu�es sur Internet, mais ces r�ductions varient consid�rablement d'un Etat � l'autre, produisant, en fin de compte, une situation extr�mement complexe, voire confuse . Troisi�me grande cat�gorie, les soutiens de l'Etat f�d�ral. Plus de la moiti� de ces " aides intergouvernementales " sont des financements destin�s � des programmes d'assistance sociales (public welfare) tels le r�cent Temporary Aid to Needy Families (TANF) qui, depuis 1996, remplace le programme AFDC (Aid To Families With Dependent Children). Ces aides repr�sentent la part la plus importante des revenus des Etats -un peu plus de 28% en 1997 - de sorte qu'aucun Etat ne pourrait boucler son budget sans l'aide de l'Etat f�d�ral. Dans ces conditions, l'�l�ment fondamental pour l'�quilibre budg�taire des Etats est bien la d�cision f�d�rale ! La crise actuelle des Etats a lieu au moment o� l'Etat f�d�ral relance sa strat�gie de d�sengagement financier entam�e depuis les ann�es quatre-vingt. Il ne s'agit pas bien s�r d'une simple co�ncidence : au vu de la masse des aides f�d�rales, c'est l� l'�l�ment d�terminant des difficult�s �tatiques. A c�t� de ces trois grandes sources de revenu, il convient de mentionner l'imp�t sur les entreprises (corporate tax) qui, en 1997, repr�sentait un peu moins de 4% du revenu �tatique total.
+Derri�re ces chiffres globaux, les Etats varient consid�rablement dans la composition de leur revenu. Ainsi, neuf d'entre eux imposent peu ou pas d'imp�t sur le revenu (le New Hampshire et le Tennessee dans la premi�re cat�gorie, alors que l'Alaska, la Floride, le Nevada, le Dakota du Sud, le Texas, l'Etat de Washington, et le Wyoming n'ont pas du tout d'imp�t sur le revenu). Le Massachusetts et l'Oregon, � l'inverse, ont un imp�t sur le revenu qui constitue 30% de leur revenu total. La m�me ambivalence se rel�ve au niveau de l'imp�t sur la consommation. Cinq Etats ne disposent pas d'un tel imp�t (l'Alaska, le Delaware, le Montana, le New Hampshire, et l'Oregon), alors qu'en m�me temps, la Floride, le Nevada et l'Etat de Washington voient cette taxe repr�senter entre 35 et 40% de leurs revenus .
+Au niveau des d�penses budg�taires, on peut aussi identifier quelques postes qui ressortent de fa�on disproportionn�e dans le budget g�n�ral, et il convient �galement de souligner la grande h�t�rog�n�it� des Etats en la mati�re. L'�ducation primaire et secondaire (elementary and secondary education) repr�sentait 160 milliards (soit 20%) des d�penses des Etats en 1997. Le second poste, celui de l'assistance sociale (public welfare), repr�sentait, � la m�me date, 16% des d�penses, et �tait essentiellement li� � Medicaid, le programme f�d�ral d'assistance aux d�favoris�s. Le troisi�me poste, surclass� par le pr�c�dent depuis le d�but des ann�es quatre-vingt-dix, est celui de l'enseignement sup�rieur (higher education), totalisant 12% des d�penses. Viennent ensuite les h�pitaux, les autoroutes, et d'autres programmes de sant� mineurs. La composition des d�penses varie consid�rablement d'un Etat � l'autre, ce qui rend compte de profondes diff�rences historiques et sociales.
+Il est en effet possible, en premi�re approche, de diviser les Etats en deux cat�gories g�n�rales : institutionnellement, on distingue le plus souvent deux groupes d'Etats, mais cette diff�rence n'est pas purement formelle. Elle a des influences importantes quant aux politiques publiques mises en oeuvre par les Etats. Le premier groupe, dit " jacksonien ", est compos� d'Etats o� les Ex�cutifs sont faibles et o� l'interventionnisme des pouvoirs publics est limit�; il s'agit surtout d'Etats du Sud. Le second groupe, dit " progressiste ", est compos� d'Etats du Midwest, de la Nouvelle-Angleterre, de la Californie et de New York. Le pouvoir ex�cutif y est puissant, et l'activisme des pouvoirs publics (notamment en mati�re sociale) est r�el. Il va de soi que les Etats appartenant � la seconde cat�gorie ont un syst�me de pr�l�vement relativement familier � un Europ�en : un imp�t sur le revenu �lev� destin� � financer un activisme public r�el. Tendanciellement, il semblerait que les Etats dits " Progressistes " peuvent donc faire face plus ais�ment aux fluctuations �conomiques nationales. Le poids de l'imp�t sur le revenu dans le budget de ces Etats agit tr�s certainement comme une forme de stabilisateur, assurant une base fiscale solide. Mais pourtant, le d�veloppement de leur syst�me fiscal ne les met pas � l'abri d'importants probl�mes budg�taires qui, l� encore, sont connus en Europe : comment concilier rigueur de gestion et le d�veloppement d'une politique sociale r�elle? Si les Etats " progressistes " sont donc plus susceptibles de pouvoir faire face aux probl�mes de conjoncture, le d�veloppement de leurs politiques sociales pose aussi le probl�me de gestion des cons�quences de la crise �conomique - ch�mage en tout premier lieu -. Ainsi, � la diff�rence des Etats " Jacksoniens ", ceux qui ont une tradition activiste plus prononc�e ne doivent pas seulement g�rer des probl�mes au niveau de leurs recettes, mais �galement au niveau de leurs d�penses. Quant aux Etats " Jacksoniens ", ils ont leurs propres probl�mes. La d�pendance plus forte vis-�-vis de l'imp�t sur la consommation accro�t radicalement les risques de fluctuations majeures des recettes fiscales en fonction de l'�tat de l'�conomie. En cas de r�cession �conomique, la chute de la consommation influe directement sur le niveau des pr�l�vements �tatiques. En fin de compte, l'organisation fiscale de ces Etats les rend particuli�rement sensible � la situation �conomique.
+Dans la litt�rature concernant la fiscalit� �tatique, les fragilit�s du syst�me budg�taire sont syst�matiquement mises en avant. Plus r�cemment, les repr�sentants du lobby intergouvernemental ont soulign� que la source la plus imm�diate de fragilit� r�side dans le type de croissance �conomique enregistr� au cours des ann�es quatre-vingt-dix. Les m�nages ont vu leurs revenus boursiers consid�rablement augmenter, de sorte que les rentr�es fiscales des Etats ont, elles aussi, connu une forte croissance. La tendance s'est imm�diatement renvers�e avec le ralentissement �conomique, ce qui a largement amput� les pr�visions budg�taires des Etats f�d�r�s .
+Ces tendances conjoncturelles, r�guli�rement soulign�es, sont tr�s certainement un facteur important dans le d�clenchement de la crise budg�taire actuelle. Mais elles sont loin d'�tre les seules � jouer. Les d�fauts structurels sont d�terminants, que ce soit au niveau du fonctionnement fiscal des Etats que de leur rapport avec l'autorit� f�d�rale. Le probl�me peut se r�sumer ais�ment : le co�t des services demand�s aux Etats cro�t beaucoup plus que ce que permet leur base fiscale. Cette derni�re est en effet beaucoup trop instable, en particulier au vu des �volutions les plus r�centes. Mais ces faiblesses fiscales sont induites par la configuration m�me du syst�me f�d�ral. Les Etats ont une marge de manoeuvre relativement limit�e pour r�former leur syst�me : tendanciellement, le syst�me f�d�ral rend tout changement d'ampleur de la fiscalit� �tatique difficile.
+La part croissance de l'imp�t sur le revenu dans le budget des Etats a une cons�quence particuli�rement n�faste, celle d'accro�tre encore un peu plus la sensibilit� des budgets aux cycles de l'�conomie. En effet, � la diff�rence de ce qui se fait en Europe, l'imp�t des Etats f�d�r�s est fondamentalement proportionnel et non pas progressif . C'est pourquoi les imp�ts f�d�r�s sur le revenu tendent � augmenter plus que la croissance ; de la m�me fa�on, ils sont beaucoup plus sensibles � toute baisse. Il n'y a en fait que peu d'Etats - ceux dits " Progressistes " - qui ont un imp�t sur le revenu pouvant jouer le r�le d'acteur contre-cyclique qu'on lui conna�t en Europe. Dans ces conditions de forte " volatilit� ", la seule option qui reste ouverte aux Etats consiste � augmenter leur imp�t sur le revenu ou � le rendre plus progressif. Dans les deux cas, le risque est le m�me pour chaque Etat, celui de trop augmenter le montant des pr�l�vements, et de devenir moins " attractif " que l'Etat voisin. Cet effet de " nivellement " mutuel (race to the bottom), tr�s largement induit par la structure f�d�rale du pays, se retrouve au niveau de l'imp�t sur la consommation. En effet, certains Etats n'imposent pas certains biens de consommation courante (v�tements, produits alimentaires) ou alors excluent les services de toute imposition, l'objectif �tant de favoriser la croissance �conomique. Mais ces Etats se placent alors dans une situation o� ils sont particuli�rement sensibles aux baisses d'activit� �conomique, m�me si, en r�gle g�n�rale, l'imp�t sur la consommation reste moins �lastique que l'imp�t sur le revenu des Etats. Le faible nombre de tranches rend cet outil particuli�rement sensible aux fluctuations de l'�conomie : la diminution du nombre de contribuables dans les tranches �lev�es fait m�caniquement baisser le produit de l'imp�t d'une fa�on disproportionn�e ! Enfin, � l'instar des deux imp�ts pr�c�dents, l'imp�t sur les soci�t�s subit lui aussi une pression � la baisse due � la mise en concurrence des Etats f�d�r�s .
+Les insuffisances des techniques budg�taires des Etats f�d�r�s ne sont donc pas seules responsables des difficult�s pr�sentes. Loin s'en faut. Les probl�mes actuels se comprennent en r�f�rence au contexte institutionnel plus global, celui de la structure f�d�rale d'ensemble. La question de la " concurrence " fiscale entre les Etats l'indique d�j� clairement. Mais le constat est encore plus frappant dans le cadre du renouveau des relations entre les Etats f�d�r�s et l'Etat f�d�ral. Les tentatives conservatrices de cr�ation d'un " Nouveau F�d�ralisme " transf�rant des responsabilit�s aux Etats portent leurs fruits, quarante ans apr�s les premi�res initiatives en la mati�re. Il semble que suite � l'accumulation de r�formes en apparence mineures, les relations intergouvernementales commencent � se red�ployer en empruntant un nouveau " chemin " institutionnel .
+Jusqu'� pr�sent, l'essentiel des efforts de " Nouveau F�d�ralisme " conservateur s'est appliqu� aux politiques sociales. On se souvient ainsi que d�s le d�but des ann�es quatre-vingt, le Pr�sident Reagan avait propos� un vaste " �change " (swap) de fonctions entre l'Etat f�d�ral et les Etats f�d�r�s. Dans son Discours sur l'Etat de l'Union de janvier 1982, Reagan avait sugg�r� de prendre totalement en charge au niveau f�d�ral le programme national d'assurance maladie pour les plus pauvres (Medicaid) en �change d'une gestion compl�te d'autres programmes (AFDC - Aid to Families with Dependent Children -, les coupons d'alimentation - Food Stamps - et 61 programmes plus mineurs) par les Etats. Au total, le Pr�sident proposait, en huit ans, de transf�rer des responsabilit�s aux Etats pour un total de plus de 57 milliards de dollars, essentiellement dans les domaines des services sociaux, des transports, et de l'�ducation. La nouvelle charge financi�re serait all�g�e par l'Etat f�d�ral jusqu'en 1991, avec la cr�ation d'un fond sp�cial de transition. A partir de cette date n�anmoins, les Etats f�d�r�s auraient d� eux-m�mes effectuer les ajustements budg�taires n�cessaires. Ces derniers ont rapidement rejet� le projet par crainte du surco�t budg�taire qu'il allait tr�s certainement entra�ner.
+Depuis lors, les �quipes conservatrices au pouvoir ont adopt� une politique plus mod�r�e dans ses ambitions. Mais l'essentiel du " mod�le " de 1982 est demeur�. L'Etat f�d�ral a constamment cherch� � transf�rer ses charges financi�res vers les Etats f�d�r�s dans le domaine de la politique sociale. Ainsi, le transfert de responsabilit�s (devolution) vers les Etats f�d�r�s a �t� une caract�ristique des vingt derni�res ann�es. Elle a �t� men�e essentiellement par une r�orientation budg�taire - et incr�mentale - de l'Etat f�d�ral. Celui-ci a r�gl� ses probl�mes budg�taires en transf�rant une part de plus en plus importante de ses fonctions traditionnelles de politique sociale aux Etats f�d�r�s . Les exemples illustrant cette tendance sont l�gions. Il suffit ici de mentionner le dernier avatar, la loi de 1996 (Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act, PL 104 - 193) r�formant l'aide sociale en transf�rant le programme AFDC aux Etats et qui, ce faisant, a consid�rablement all�g� les finances f�d�rales. Avant le vote de cette loi, l'AFDC �tait d�j� largement d�l�gu� aux Etats f�d�r�s dans sa gestion. Depuis lors, sous l'appellation de TANF, il est enti�rement de leur responsabilit�, dans la mesure o� il incombe aux Etats de d�finir les crit�res d'admissibilit� des prestataires, sans supervision f�d�rale . L'Etat f�d�ral se contente de distribuer des financements " en bloc " (block grants), en sa basant sur la somme que les Etats consacraient au programme avant l'adoption de la r�forme. Le r�le de l'Etat f�d�ral est donc, en apparence, relativement limit� si on le compare avec son action ant�rieure. En revanche, il l'est beaucoup moins si l'on prend en consid�ration toute une s�rie de nouvelles obligations d'ob�dience conservatrices, cr�es par la loi, et qui, au final, donnent � l'Etat f�d�ral une forte capacit� de coercition. En effet, si Washington ne fixe plus les crit�res d'admissibilit� et s'il r�duit bien son financement, il peut cependant imposer des r�gles tr�s strictes, notamment en ce qui concerne l'incitation au travail (workfare). Les Etats se retrouvent donc plac�s sous l'obligation de mener � bien des programmes difficiles et co�teux, sans que l'Etat f�d�ral ne pr�voit de les financer. Du point de vue �tatique, la loi de 1996 se r�sume donc comme une vaste obligation f�d�rale conservatrice d�pourvue de tout financement appropri�.
+Ce sont les nouveaux " unfunded mandates " impos�s par les conservateurs qui placent les Etats en difficult� budg�taire au moindre retournement de la situation �conomique. Le constat est particuli�rement flagrant dans le cas de la politique sociale o� une crise �conomique, m�me l�g�re, risque de cr�er une pression insupportable sur les budgets f�d�r�s avec l'augmentation des demandes d'aide sociale . Mais pourtant, le transfert de comp�tences sans financement appropri� tend � se g�n�raliser. Ainsi, les responsables �tatiques actuels d�noncent fr�quemment la loi sur l'�ducation sign�e par le Pr�sident en janvier 2002, le No Child Left Behind Act (PL 107 - 110). Cette loi institue une s�rie de requis f�d�raux en termes d'apprentissage de la lecture, et constitue de ce fait une nouvelle exigence faite aux autorit�s f�d�r�es, sans que les financements nationaux suivent : le Congr�s avait initialement pr�vu une enveloppe de 29 milliards de dollars, alors que les estimations actuelles chiffrent le montant du co�t total � 35 milliards de dollars. N�anmoins, l'exemple le plus massif est celui de la lutte contre le terrorisme entam�e depuis septembre 2001. Les Etats sont amen�s � prendre en charge quantit� de missions nouvelles pour r�pondre aux exigences du tout nouveau Minist�re de la S�curit� du Territoire (Homeland Security) . La surveillance d'un territoire aussi vaste que celui des Etats-Unis ne peut se faire sans le secours des Etats f�d�r�s qui, ainsi, se retrouvent en premi�re ligne de l'effort national contre la menace terroriste. Les " premiers secours " (first responders) appel�s � jouer un grand r�le en cas d'attaque terroriste sont de responsabilit� locale ou �tatique (pompiers, police, services m�dicaux), et n�cessitent un effort financier tout particulier dans lequel l'Etat f�d�ral ne s'implique volontairement pas. Les autorit�s f�d�rales s'en tiennent � une action de coordination ou investissent compl�tement d'autres secteurs (comme la s�curit� a�rienne par exemple). Ces nouveaux requis - le plus ancien remonte au milieu des ann�es quatre-vingt-dix - alourdissent consid�rablement les budgets f�d�r�s, d�j� aux prises avec des difficult�s plus traditionnelles, comme l'escalade des co�ts du programme d'assistance aux plus pauvres, Medicaid. Celui-ci repr�sente dor�navant plus de 20% des budgets des Etats, et, �tant donn�e la d�mographie, sa part continue � augmenter.
+En fin de compte, il semble que les succ�s budg�taires f�d�raux de la fin des ann�es quatre-vingt-dix soient essentiellement dus � la tactique de transfert des comp�tences. Ces transferts ont pour contrepartie une extension des comp�tences �tatiques, sans que les moyens financiers suivent. En effet, dans le meilleurs des cas, l'Etat f�d�ral associe ces transferts � des financements " en bloc " (block grants), rompant ainsi avec la tradition des financements joints (matching funds). Entre 1999 et 2000, les d�penses �tatiques ont ainsi augment� deux fois plus vite que les d�penses int�rieures de l'Etat f�d�ral. Dans ces conditions, les Etats doivent prendre le risque d'augmenter les imp�ts ou d'en cr�er de nouveaux. C'est la premi�re difficult� qui est apparue d�s les ann�es quatre-vingt-dix, pourtant par ailleurs une p�riode de forte croissance �conomique. Avec le ralentissement actuel et la chute des revenus �tatiques, la situation est encore plus contrainte. Les Etats ont moins de possibilit�s financi�res, alors qu'on attend plus d'eux, en particulier en mati�re sociale.
+Dans un tel cadre, il est clair que les Etats vont devoir r�ajuster leur �quilibre budg�taire. Leur premier mouvement a �t� de se tourner vers l'Etat f�d�ral pour un soutien. Malgr� l'opposition des cercles conservateurs de Washington - Heritage est ainsi particuli�rement oppos�e � toute forme d'assistance - le Pr�sident Bush a promulgu� une loi d'aide financi�re. Le Jobs and Growth Tax Relief Reconciliation Act (PL 108 - 27), sign� en mai 2003, transfert 20 milliards de dollars aux Etats. Mais les autorit�s f�d�rales ne semblent pas aller au-del� de ce premier effort. L'autre solution qui s'impose consiste alors en des coupes budg�taires s�v�res. Au-del� des mesures les plus imm�diates - puiser dans les r�serves, utiliser des fonds non-attribu�s, ou m�me mettre un terme aux proc�dure contre les entreprises de tabac dans l'espoir d'obtenir plus vite un d�dommagement - ce sont bien les d�penses programm�es qui sont revues � la baisse. Tous les services �tatiques sont affect�s d'une fa�on ou d'une autre. L'entretien des parcs naturels ou des sites historiques voit son budget baiss�, tout comme la police, les pompiers ou les �coles; quant aux universit�s d'Etat, elles voient leur co�t augmenter dans une vingtaine d'Etats (le Massachusetts a ainsi augment� les droits d'inscription de 24% en 2002). Des employ�s de la fonction publique �tatique sont licenci�s dans des Etats comme le Connecticut, la Californie, le Colorado, le Massachusetts, l'Oregon, la Caroline du Sud, l'Utah, et la Virginie : depuis juin 2002, le nombre d'employ�s �tatiques a baiss� de 91000 (se stabilisant � environ 5 millions de personnes), tandis que le nombre d'employ�s municipaux ou locaux, lui, restait stable � 13.8 millions de personnes. Certains Gouverneurs sont m�me all�s jusqu'� baisser leur propre salaire, comme en Caroline du Sud et dans l'Oregon. Dans le Rhode Island, un " audit " �tatique a �t� lanc� sous l'autorit� du Gouverneur.
+Mais au-del� de ces mesures qui, pour certaines sont uniquement des effets d'annonce, ce sont les programmes sociaux qui sont politiquement et socialement les plus ais�s � diminuer en temps de crise, alors que, paradoxalement, ils sont les plus directement concern�s. En 2002 et 2003, les Etats ont d'ores et d�j� diminu� les fonds destin�s � Medicaid, certains programmes scolaires, les aides � la formation professionnelle et au logement. Mais c'est bien Medicaid qui constitue la cible essentielle, son co�t �tant en croissance constante. L'augmentation du nombre de b�n�ficiaires - partiellement li�e � la crise �conomique - et la hausse du prix de certains m�dicaments accentuent la pression sur les budgets des Etats. Les d�penses �tatiques li�es � Medicaid ont ainsi augment�es de 12% en 2001, en 2002, et en 2003. Les Etats ont donc utilis�s toute une panoplie d'instruments pour limiter cette croissance : 49 Etats ont d'ores et d�j� annonc� des r�formes, telles que limiter le remboursement des m�dicaments ou augmenter le ticket mod�rateur (45 Etats s'y sont engag�s), renforcer les crit�res d'admissibilit� (pour 27 Etats), r�duire le niveau des prestations tels que les soins dentaires (ce qui concerne 25 Etats). Mais pour l'instant, ces d�cisions n'ont eu que des effets limit�s, ce qui explique que 50% de l'enveloppe budg�taire vot�e au niveau f�d�ral en mai soient destin�s � Medicaid .
+En tous les cas, il s'agit l� une constante dans l'attitude des autorit�s �tatiques : rechercher la solution politiquement la moins risqu�e, autrement dit, celle qui limite les co�ts �lectoraux. Ainsi, dans un premier temps, diminuer le taux de croissance des d�penses est syst�matiquement pr�f�r� � une baisse brutale de ces m�mes d�penses. Pour la m�me raison, l'endettement est une solution de court terme qui est fr�quemment employ�e. Depuis janvier 2003, les Etats ont d�j� emprunt� 230 milliards de dollars, ce qui va partiellement servir � combler les d�ficits. Mais actuellement, devant l'ampleur du probl�me, les autorit�s �tatiques ne peuvent �chapper � la solution la plus douloureuse politiquement, le niveau des revenus. Autrement dit, les Etats doivent maintenant se r�soudre � augmenter les pr�l�vements . Apr�s 7 ans de coupes budg�taires ininterrompues au niveau des Etats, le changement est brutal, et est en porte-�-faux par rapport au discours national impuls� par l'�quipe Bush sur la n�cessit� de baisser les imp�ts. Les Etats ont augment� soit leur imp�t sur le revenu (New York, Massachusetts, Californie, Oregon, New Jersey), soit leur imp�t sur la consommation (Tennessee, Kansas, Nebraska, et la Caroline du Nord). A la fin de l'ann�e civile 2002, les augmentations des imp�ts �tatiques ont atteint le montant total de 6 milliards de dollars, soit l'augmentation la plus importante depuis 1993. En effet, en 2001, l'augmentation totale n'avait repr�sent� qu'un montant de 1.8 milliards de dollars. Par contre, lors de la crise budg�taire du d�but des ann�es quatre-vingt-dix, l'augmentation avait repr�sent� pr�s de 15 milliards de dollars en une seule ann�e. 29 Etats ont choisi d'augmenter les revenus, avec l'Etat de New York comme champion toute cat�gorie - alors qu'en janvier dernier le Gouverneur Pataki s'�tait engag� � �viter toute hausse des imp�ts - suivi de pr�s par le Massachusetts. De fa�on assez classique, les Etats ont privil�gi� les hausses les moins visibles, c'est-�-dire les moins co�teuses �lectoralement . C'est la raison pour laquelle l'outil favori des responsables �tatiques reste plus que jamais l'augmentation de l'imp�t sur le tabac. 19 Etats ont augment� cet imp�t, notamment la Pennsylvanie et l'Indiana qui l'ont plus que tripl�. Les revenus �tatiques g�n�r�s par le tabac ont ainsi augment� de plus de 2 milliards de dollars pour l'ann�e fiscale 2003. Par contre, les augmentations de l'imp�t sur le revenu ont �t� relativement modestes : le Massachusetts n'a pr�lev� que 360 millions de dollars suppl�mentaires pour l'ann�e fiscale 2003, � comparer avec les 3 milliards de d�ficit enregistr�s. L'imp�t sur la consommation a �t� utilis� beaucoup plus souvent, car il est notoirement moins douloureux que l'imp�t sur le revenu. Pour l'ann�e civile 2002, le montant total des augmentations � ce niveau a atteint 1.2 milliards de dollars. L'imp�t sur les soci�t�s, lui, n'a �t� manipul� que par deux Etats, la Californie et le New Jersey; mais ces augmentations ont �t� relativement importantes, g�n�rant 2 milliards de dollars de revenus suppl�mentaires pour ces deux Etats. La crainte de voir les entreprises se d�localiser joue vraisemblablement pour expliquer que seuls deux Etats aient eu recours � cet imp�t.
+Dans l'imm�diat, les Etats ont donc provisoirement r�ussi � faire face leurs difficult�s. Seule la Californie demeure dans une situation des plus probl�matiques. Pour la 17�me fois au cours des 25 derni�res ann�es, la Californie n'a pas r�ussi � se doter d'un budget pour l'ann�e 2003 - 2004. Elle fonctionne donc sur un accord provisoire adopt� in extremis en juillet dernier, et qui devrait arriver � �ch�ance d�s la rentr�e. Mais pour les autres Etats aussi la situation est difficile. En fin de compte, aucun des probl�mes n'est v�ritablement r�gl�. Les d�cisions prises jusqu'� pr�sent sont toutes ponctuelles, et n'ouvrent pas sur une v�ritable r�forme qui serait pourtant n�cessaire. Le d�bat est n�anmoins en cours. L'administration Bush a ainsi pris la d�cision de soumettre une r�forme de Medicaid qui donnerait aux Etats une plus grande flexibilit� dans la gestion du programme, en �change d'une limite (cap) au montant que l'Etat f�d�ral envoie aux Etats f�d�r�s. L'�quipe Bush pourrait donc paradoxalement saisir l'occasion de la crise budg�taire �tatique pour poursuivre le d�sengagement financier de l'Etat f�d�ral dans le domaine des politiques sociales entam� depuis les ann�es quatre-vingt. Quant aux Etats, ils sont eux-m�mes plus conscients de la n�cessit� de faire �voluer leur syst�me fiscal. Ainsi, une r�flexion s'organise autour de la n�cessit� d'int�grer les services (et non plus seulement les produits) dans l'assiette de l'imp�t sur la consommation, et d'y r�int�grer les exemptions accord�es dans les ann�es quatre-vingt-dix. En �tendant l'imposition, il serait sans doute aussi possible de baisser le taux de cet imp�t. Cela mettrait le syst�me fiscal des Etats en ad�quation avec une �conomie de service, fort diff�rente de l'�conomie industrielle des ann�es cinquante, lorsque l'imp�t sur la consommation a �t� g�n�ralis� au niveau �tatique. Une autre piste de r�flexion touche aux d�penses. Certains Etats (comme la Caroline du Sud ou le Colorado) ont mis en place des indicateurs (regroupant la croissance de la population, l'inflation, voire le revenu individuel) qui servent de r�f�rent pour augmenter les d�penses. Toute augmentation suppl�mentaire n�cessite ainsi une d�cision politique.
+Malgr� les r�cents votes budg�taires, les Etats sont encore dans une situation des plus pr�caires. Si la crise actuelle sert jamais de r�v�lateur, le manque de coordination entre Etats constitue un handicap lourd. En tous les cas, la crise actuelle permet de relativiser les baisses d'imp�t au niveau f�d�ral, tant vant�es par l'�quipe actuelle. Leur vote n'a �t� possible que suite � un d�sengagement r�el de l'Etat f�d�ral qui laisse ses partenaires f�d�r�s confront�s � des charges nouvelles, notamment en termes de politique sociale, sans financement. D�j� fragilis�s par le contexte �conomique d'ensemble et leur propre faiblesse institutionnelle, les Etats sont ainsi plac�s en position tr�s difficile. Actuellement, les Etats qui ont une tradition d'activisme public restent les plus menac�s : par exemple le Minnesota, New York, le Connecticut, et enfin la Californie, o� la crise budg�taire se double d'une crise politique grave.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le Centre fran�ais sur les Etats-Unis (CFE)
+www.cfe-ifri.org
+Outre ses cons�quences internationales, la guerre contre le terrorisme a des effets tout aussi �vidents sur la sc�ne politique am�ricaine. Maintenant que l'attention des m�dias se concentre sur la question irakienne, il para�t opportun de tenter une synth�se sur l'�tat du combat anti-terroriste aux Etats-Unis m�me. D�s le vote du USA Patriot Act en octobre 2001, le d�bat a �t� lanc� : dans quelle mesure la lutte anti-terroriste doit-elle limiter les libert�s ? Comment concilier protection des droits individuels et assurer la s�curit� de la population en cas de crise ?
+Le sujet semble �tre ancien aux Etats-Unis : il se manifeste d�s 1798 et les Alien and Sedition Acts, jusqu'� la lutte contre la subversion communiste pendant la Guerre Froide, sans oublier les mesures d'exception prises lors de la Guerre de S�cession ou pendant les deux conflits mondiaux. Malgr� cet h�ritage historique, il reste que les Etats-Unis ont une exp�rience largement diff�rente de celle des Etats europ�ens en mati�re de lutte anti-terroriste. La France, la Grande-Bretagne, ou encore l'Espagne sont tous, � des degr�s divers, touch�s par des mouvements terroristes parfois depuis la fin des ann�es soixante, sans parler des h�ritages historiques respectifs. A l'inverse, les Etats-Unis ont d�velopp�, sous l'impulsion de certains pr�sidents de la Cour Supr�me (Chief Justices), particuli�rement volontaires, un cadre l�gal extr�mement coh�rent de protection des libert�s. L' incorporation des protections de la D�claration des Droits (Bill of Rights) f�d�rale men�e sous Earl Warren (1953 - 1969) et largement poursuivie par son successeur, Warren Burger (1969 - 1986), prot�ge maintenant tous les aspects de la libert� individuelle . C'est pourquoi il semble peu pertinent d'�tablir un parall�le historique ferme entre la situation actuelle et les pr�c�dents des guerres mondiales ou de la Guerre de S�cession, sans parler de la p�riode r�volutionnaire ! L'intensit� actuelle du d�bat tient � la confrontation, sans r�el �quivalent historique, entre un cadre l�gal de protection des libert�s tr�s d�velopp�, d'une part et, d'autre part, un relatif manque d'exp�rience dans le cadre de la lutte anti-terroriste.
+L'objectif n'est pas ici de d�finir un �quilibre satisfaisant aux requis de la s�curit� d'une part, et de la libert� de l'autre. Aussi, il ne sera pas question de prendre parti, ni m�me de trancher le d�bat. Il semble plus pertinent de rendre compte des risques contenus dans les �volutions en cours. Disons-le d'embl�e, la mise en oeuvre de mesures anti-terroristes ne contient pas de possibilit�s s�rieuses de d�bordement autoritaire. F�d�ralisme et s�paration des pouvoirs garantissent un �quilibre qui semble emp�cher tout d�rapage d'ampleur. La politique actuelle, largement pr�sidentielle, devrait, comme toujours, �tre l'objet de compromis, que ce soit au niveau de la d�cision ou de l'application. N�anmoins, l'alignement id�ologique r�el entre les trois pouvoirs nationaux, la Pr�sidence, la Cour Supr�me et, depuis novembre dernier, le Congr�s, cr�e une configuration partisane rare, qui pourrait d'autant plus limiter les pratiques de compromis que la population am�ricaine soutient dans son ensemble les mesures coercitives appliqu�es par l'�quipe Bush .
+Avec le vote du USA Patriot Act (PL 107 - 56) d�s octobre 2001, Bush et ses conseillers ont consid�rablement renforc� les textes d�j� existant concernant la lutte contre le terrorisme ou le recueil de renseignements et ce au moins jusqu'� la dur�e l�gale de la loi (2005). La d�finition du " terrorisme " est consid�rablement �tendue, et permet de faciliter l'encadrement d'un grand nombre d'activit�s . La pr�c�dent loi anti-terroriste, vot�e sous Clinton en mars 1996 (Antiterrorism Law and Effective Death Penalty Act, PL 104 - 132), est consid�rablement renforc�e, et de nouveaux pouvoirs sont attribu�s au Congr�s. Les quelques limitations existantes en mati�re de surveillance sont, elles, tr�s largement amoindries. Par exemple, le FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act, PL 95 - 511) de 1978, n'autorisait les �coutes t�l�phoniques par le FBI que dans les cas de personnes suspect�es d'�tre des agents d'une puissance �trang�re, et au terme d'une proc�dure assez lourde (�tablissement d'une " cause probable "). Dor�navant, ceci n'est plus n�cessaire, et ce pour l'ensemble des demandes �manant du FBI. La loi donne aussi au pouvoir ex�cutif d'importantes pr�rogatives en mati�re de mise sur �coute (t�l�phone, Internet) et de relations entre les suspects d'activit�s terroristes et leurs avocats. Les fouilles secr�tes d'appartement, la consultation de fichiers d'entreprise ou d'universit� sont facilit�es. Au total, plus de 15 lois touchant � la s�curit� publique sont modifi�es par la r�forme de 2001, et, dans l'ensemble, les possibilit�s de mise sous surveillance de la vie priv�e d'�trangers ou de citoyens sont consid�rablement �tendues. Outre cet assouplissement des crit�res et des limitations en vigueur jusqu'� pr�sent, le Patriot Act modifie �galement certaines comp�tences des tribunaux, et permet, lorsque la s�curit� nationale est en jeu, de d�tenir les �trangers, parfois pour des dur�es illimit�es, alors m�me qu'aucune charge pr�cise ne p�se contre eux. Le texte en lui-m�me, malgr� les oppositions de groupes de libert�s civiles - et d'une trentaine de municipalit�s qui ont vot� des r�solutions contre le texte - n'a pas suscit� de v�ritables mouvements d'opposition de masse, et ce d'autant moins qu'il a �t� accept� par le Congr�s avec des majorit�s impressionnantes (356 Repr�sentants � la Chambre, et 98 S�nateurs !) .
+Ce sont par contre les d�crets d'application qui semblent plus probl�matiques pour certaines franges de l'opinion publique. Par exemple, le d�cret du Minist�re de la Justice autorisant l'�coute et l'enregistrement de conversations entre les avocats et leurs clients plac�s en d�tention pr�ventive lorsqu'ils sont soup�onn�s d'activit�s terroristes, d�s le mois suivant. Ou alors les quelques 500 entretiens men�s par le FBI avec des personnes d'origine arabe, suite � un autre d�cret du Minist�re de la Justice pris le 15 novembre 2001. Mais ce sont surtout les mesures du d�cret pr�sidentiel du 13 novembre 2001 qui ont caus� - et causent encore - le plus de d�bat. Aux termes de ce d�cret, les citoyens �trangers soup�onn�s de terrorisme passent devant des tribunaux militaires sp�ciaux . Depuis les attentats, plus de 1200 �trangers ont ainsi �t� arr�t�s pour des motifs divers, et plac�s, gr�ce � la loi d'octobre et aux d�crets de novembre, dans un flou juridique total quant � la cause de leur arrestation ou la dur�e de leur incarc�ration. Par ailleurs, jusqu'� pr�sent, leur identit� a �t� gard�e secr�te, et l'assistance d'un avocat leur a �t� refus�e, ce que le Minist�re de la Justice a confirm� comme �tant la politique officielle le 27 novembre 2001. Ces prisonniers sont donc gard�s dans l'incertitude juridique la plus grande, et, m�me si un bon nombre d'entre eux ont �t� rel�ch�s - les estimations actuelles ne parlent plus que de 200 � 600 prisonniers - la situation de ceux qui restent ne s'am�liore pas. En ao�t 2002, un Juge f�d�ral de Washington, Gladys Kessler, a demand� la publication des noms, jusqu'� pr�sent en pure perte : le Minist�re de la Justice a fait appel de la d�cision. La situation s'est d'ores et d�j� reproduite : d'autres juges ont contest� les d�rives du pouvoir ex�cutif, mais l� aussi, les r�sultats semblent minces .
+La fragilit� l�gale de la lutte contre le terrorisme, en interne, est encore plus flagrante � l'ext�rieur du territoire. Les prisonniers faits en Afghanistan sont d�clar�s " ennemis combattants " (enemy combattant), une cat�gorie inconnue du droit international. Ils ont �t� transf�r�s sur la base (am�ricaine depuis 1903) de Guantanamo d�s f�vrier 2002. Le Secr�taire � la D�fense, Donald Rumsfeld, a officiellement reconnu que les prisonniers de Guantanamo sont l� pour une dur�e illimit�e. Ils n'ont bien s�r pas d'avocats, et, selon le d�cret pr�sidentiel de novembre 2001, il serait possible de juger ces hommes par des tribunaux militaires d'exception. Jusqu'� pr�sent, seule la Croix Rouge Internationale (CICR) a pu leur rendre visite. Les conventions de Gen�ve ne sont donc que tr�s partiellement appliqu�es, constat �tabli par un rapport d'Amnesty International en mars 2002. Les libert�s que s'autorisent les autorit�s am�ricaines sont encore plus claires au niveau de la collaboration internationale : certains observateurs soulignent que les Etats-Unis utiliseraient ainsi les r�gles d'extradition pour faciliter les interrogatoires. Ainsi, une personne arr�t�e en Indon�sie peut, sur demande des Etats-Unis, �tre transf�r�e en Egypte, pour subir un interrogatoire plus " adapt� ". Les chiffres sur cette pratique ne sont pas connus. Sur ce terrain, les oppositions � l'attitude gouvernementale sont assez clairsem�es : peu de gens semblent vouloir revenir sur le statut fait aux prisonniers captur�s en Afghanistan. Jusqu'� pr�sent, seul un Juge f�d�ral de la Quatri�me Cour d'Appel (Circuit Court), pourtant conservateur de r�putation, John H. Wilkinson, a contest� la capacit� l�gale du gouvernement � d�signer de sa seule autorit� les " ennemis combattants " . Mais par contre, d�s que cette politique implique des citoyens am�ricains, la situation devient plus d�licate pour l'Etat f�d�ral. En d'autres termes, lorsque les conditions de d�tention des non-Am�ricains s'�tendent aux citoyens Am�ricains eux-m�mes, alors il y a un r�el d�bat, qui, sans forc�ment mobiliser l'opinion, pousse au moins les autorit�s � tenter de justifier leur attitude. Depuis la mise en oeuvre de ces textes, cela s'est produit � plusieurs reprises. Ainsi, au printemps 2002, avec Yaser Esam Hamdi, fait prisonnier en Afghanistan et envoy� � Guantanamo jusqu'� ce qu'on d�couvre sa v�ritable nationalit� (il est n� � Baton Rouge, en Louisiane), emprisonn� dans la base de Norfolk (Virginie), ou encore avec Jose Padilla, membre d'un gang de Chicago, r�cemment converti � l'Islam, et accus� d'avoir voulu fabriquer une " bombe sale ", qui, lui, est rest� en prison � Chicago : tous deux ont �t� d�sign�s comme " enemy combattants ", et plac�s en d�tention sans charge criminelle . Les autorit�s semblent vouloir maintenant �viter les proc�s au civil qu'il s'agisse de citoyens am�ricains ou pas : les bizarreries de la proc�dure � l'encontre de Zacharias Moussaoui, arr�t� peu avant les attentats du 11 septembre et dont le proc�s suit donc une proc�dure " classique ", ou encore la d�fense de John Walker Lindh, ont, tous deux, convaincu les autorit�s de la n�cessit� d'op�rer un changement .
+L'ann�e 2002 n'a pas manqu� de renforcer ces initiatives s�curitaires. D�s le mois de janvier, et avec le soutien du Pr�sident, J. Ashcroft, Ministre de la Justice, a tent� de lancer son projet TIP (Terrorism Information and Prevention System), dont l'id�e principale �tait d'encourager les Am�ricains � rapporter toute activit� " suspecte " en t�l�phonant � un num�ro vert. Ce " syst�me d'information et de pr�vention terroriste ", partie int�grante du " White House Citizen Corps Program " et destin� � s'appliquer initialement dans 10 villes, a soulev� un tel toll� qu'Ashcroft a d� battre en retraite . M�me Dick Armey, un des " durs " de la Chambre des Repr�sentants, �tait r�ticent !
+La formule de remplacement a �t� trouv�e d�s f�vrier : au lieu d'une collaboration " active " des citoyens, la solution est plus " passive ", dans la mesure o� il s'agit tout simplement de pouvoir croiser les diff�rents fichiers existants sur un individu. Les autorit�s ont cr�� au sein du Pentagone, et toujours avec le soutien du Ministre de la Justice, un " Awareness Office " (Bureau de la Vigilance Informatique, � la devise �vocatrice de " Scienta est Potenta "). Ce nouvel organisme est charg� de mettre en oeuvre le projet " Total Information Awareness " (TIA), qui devrait permettre de piocher les informations pertinentes dans les bases de donn�es de la vie courante pour rep�rer des projets terroristes en pr�paration. Les donn�es concern�es sont les fichiers informatiques des cartes de cr�dit, le num�ro de s�curit� sociale, les permis de conduire, et les comptes bancaires. Mais la liste n'est pas exhaustive. La police peut obtenir les comptes-rendus de n'importe quel commer�ant sur n'importe quelle personne, par exemple les informations m�dicales dans les h�pitaux, les dossiers universitaires, et m�me les listes de livres achet�s ou emprunt�s dans les librairies et les biblioth�ques. Concr�tement, cela signifie qu'afin de rep�rer quelques individus, il sera n�cessaire d'aller v�rifier des informations sur des millions d'autres. Le budget initial pr�vu est de 10 millions de dollars pour l'ann�e 2003, et il est sans doute destin� � s'accro�tre rapidement. La personne charg�e de pr�senter ce projet et de le superviser est l'ancien Amiral John Poindexter, Conseiller � la S�curit� Nationale (" National Security Adviser ") sous Reagan, et qui, en 1990, avait �t� condamn� dans le cadre de l'Irangate pour avoir menti au Congr�s ; il n'a finalement �chapp� � ses 6 mois de prison qu'en appel, par une d�cision de 1991. Au vu de ce parcours, le signal envoy� � l'opinion publique est pour le moins ambigu�, et, en tous les cas, renoue avec cette impression dominante � propos de l'administration Bush, celle d'un retour vers les ann�es Reagan. L'initiative en elle-m�me est pour le moins malheureuse : elle a suscit� une r�action certaine au sein de l'opinion publique qui, pour la premi�re fois depuis le lancement de la lutte anti-terroriste, d�passe les groupes de protection des libert�s civiles . Dans ce contexte, d'autres initiatives de l'�quipe Bush ont �t� tr�s mal per�ues par le public. Ainsi, le 15 novembre 2002 a marqu� le d�but officiel de la mise en oeuvre d'un programme d'enregistrement des ressortissants provenant de pays suspect�s d'activit�s terroristes et vivant aux Etats-Unis. Ceci concerne les ressortissants d'Iran, d'Irak, de Libye, du Soudan, de la Syrie, y compris dans les cas de double passeport. Dans les faits, les hommes de plus de 16 ans doivent s'adresser � un repr�sentant de l'immigration ou des douanes (la date limite officielle �tait la mi-d�cembre 2002). Ils doivent alors pr�senter leurs documents de voyage, donner des preuves de r�sidence, passer un entretien, donner leurs empreintes et se faire photographier, et enfin, ils doivent se signaler aux autorit�s tous les ans. Ce programme a pris un certain retard dans sa mise en oeuvre, notamment � cause des critiques publiques contre cette forme de discrimination. Par contre, d'autres mesures adopt�es en 2002, sont nettement moins controvers�es, �tant les cons�quences directes de ce qui a �t� d�cid� au moment des attentats. Le fameux Minist�re de la Protection du Territoire (Homeland Security) a �t� cr�� suite au vote final du S�nat par 90 voix contre 9 en novembre dernier, permettant ainsi le passage du Homeland Security Act (PL 107 - 296). Cette vaste administration, dont le premier titulaire est Tom Ridge, est entr�e en fonction au d�but mars, et regroupe 22 services, employant au total 170000 personnes. Mais cette nouvelle structure n'emp�che pas que l'ensemble des moyens administratifs du gouvernement soit mobilis� dans la lutte anti-terroriste. Ainsi par exemple du Minist�re du Tr�sor. C'est en effet le directeur de la cellule anti-terroriste du Tr�sor am�ricain, David Aufhauser, qui coordonne l'action de lutte financi�re contre les r�seaux terroristes. Sous son �gide, les Etats-Unis ont ainsi gel� les avoirs de 251 individus et personnes morales, et environ 121 millions de dollars. Enfin, en d�cembre 2002 cette fois, les autorit�s ont lanc� un programme national de vaccination contre la variole, en r�ponse � la peur bact�riologique de l'automne 2001. Pr�s de 500000 responsables des services d'urgence en cas d'attaque chimique (" emergency workers ") devraient �tre vaccin�s d'ici au printemps 2003, mais ce programme est particuli�rement lent � mettre en place, essentiellement pour des raisons financi�res et de prise en charge.
+La surveillance en interne se double aussi d'une surveillance renforc�e des fronti�res. Les autorit�s se sont ainsi pr�occup�es de renforcer la s�curit� des quelque 300 ports am�ricains. Sur les 50000 containers qui arrivent chaque jour dans le pays, plus du tiers arrivent par voie maritime, et seuls 2% d'entre eux sont physiquement inspect�s. En janvier 2002, l'Etat f�d�ral a ainsi d�cid� de lancer le programme " Container Security Initiative ", demandant � certains des grands ports internationaux de renforcer leur surveillance sur les containers � destination des Etats-Unis. La collaboration mise en place est surtout canadienne avec Halifax, Montr�al, et Vancouver, puis europ�enne, avec Rotterdam (Hollande), Antwerp (Belgique), Le Havre (France), et en Allemagne, Br�me et Hambourg ; enfin, Singapour participe aussi � cette initiative.
+Cet activisme a un co�t, d'autant plus important qu'il conduit � r�nover, renforcer un grand nombre d'installations ou de services. Ainsi, une enqu�te r�alis�e par le Cabinet Deloitte Consulting estime entre 100 et 140 milliards de dollars les d�penses destin�es � am�liorer la s�curit� int�rieure en 2003. Ces sommes, importantes, comprennent � la fois les d�penses des Etats et celles de l'Etat f�d�ral. L'essentiel va financer l'incorporation de nombreuses technologies dans les dispositifs de surveillance existant, ou encore ceux � cr�er. Le service des douanes (Customs Service) commence � recevoir des scanners g�ants, � un million de dollars pi�ce, pour inspecter �lectroniquement les containers qui arrivent dans le pays par bateau ou par avion. De m�me l'Etat f�d�ral vient d'attribuer 380 millions de dollars au service de l'immigration (Immigration and Naturalization Service) pour installer un syst�me informatique sophistiqu� qui permettra de savoir imm�diatement si l'un des 400 millions de citoyens non-am�ricains qui arrivent chaque ann�e sur le sol des Etats-Unis reste plus longtemps que ne l'autorise son visa. Le National Infrastructure Protection Center (NIPC), l'organisme regroupant tous les sp�cialistes Internet du FBI scrutant en permanence le r�seau, a vu son budget presque doubler, pour atteindre 125 millions de dollars .
+Enfin, dernier aspect de la lutte tous azimuts entam�e contre le terrorisme, une volont� de clarifier les manquements des services de renseignement avant le 11 septembre. En novembre 2002, sur initiative de la Pr�sidence, une Commission d'enqu�te se met en place, comprenant 10 membres (5 r�publicains, et 5 d�mocrates) pour enqu�ter sur les dysfonctionnements. D'abord pressenti comme Pr�sident de cette commission, Henry Kissinger a d� renoncer pour des raisons de conflit d'int�r�ts avec ses activit�s priv�es (Kissinger Associates), et c'est un ancien Gouverneur r�publicain du New Jersey, Thomas Kean, qui est nomm� en d�finitive ; il revient � Lee Hamilton, ancien Repr�sentant d�mocrate, d'en �tre le vice-pr�sident . Les accusations contre les services de renseignement am�ricains se sont en effet multipli�es ces derniers mois, rendant n�cessaire une �tape suppl�mentaire dans l'enqu�te. Au printemps 2002, Colleen Rowley, directrice d'un des 56 bureaux r�gionaux du FBI, celui du Minnesota, a lanc� les premi�res accusations. Elle les a appuy�s sur le rapport d'un agent, Kenneth Williams (bas� � Ph�nix, Arizona), qui enqu�tait sur les musulmans suivant des cours de pilotage � Prescott en juillet 2001. Il n'aurait pas �t� tenu compte de ses informations au niveau national. De m�me, Aukai Collins, lui aussi bas� � Ph�nix (un " indic " infiltrant les milieux musulmans), aurait alert� ses services centraux sur les agissements de Hani Hanjour, l'un des terroristes du Boeing qui s'est �cras� sur le Pentagone. Le Pr�sident n'�tait pas au courant de ces rapports.... Par contre, John Ashcroft, le Ministre de la Justice, et le directeur du FBI � l'�poque (Thomas Pickard) eux, l'�taient bien, d'o� les accusations de flottement des services de renseignement . Accusations qui sont d'autant plus pertinentes que le myst�re reste toujours aussi �pais en ce qui concerne l'attaque du bacille du charbon peu apr�s les attentats du World Trade Center. L'enqu�te est tr�s lente, et d'autant plus, pour certains, que les suspects se trouvent �tre des scientifiques travaillant pour l'Etat f�d�ral. En effet, � cause de la jeunesse (et de la qualit� du bacille), l'attention du FBI s'est rapidement orient�e vers un scientifique am�ricain, le Dr Steven J. Hatfill, employ� � Fort Derthick (Maryland) de 1997 � 1999, et �galement vers les activit�s d'un autre site, � Dugway Proving Ground (Utah). Depuis que les premiers soup�ons ont �t� formul�s au cours de l'ann�e derni�re, rien ne semble plus avoir �volu�.
+Les commentaires abondent sur l'orientation g�n�rale des initiatives de l'�quipe Bush. Non seulement dans la presse, mais �galement au sein des centres de recherche proches du pouvoir, qui publient rapport sur rapport tentant d'�valuer l'actuelle politique du gouvernement. Les orientations sont le plus souvent critiques, que ce soit pour d�noncer carr�ment les atteintes aux libert�s individuelles, ou encore, plus modestement, pour souligner les incoh�rences administratives, la lourdeur, du formidable arsenal de mesures prises depuis septembre 2001 .
+Autrement dit, l'attention des observateurs am�ricains est d�j� largement concentr�e sur les modalit�s de la mise en oeuvre de la lutte anti-terroriste. C'est pourquoi, il nous semble plus int�ressant ici de prendre un peu de recul et de souligner les cons�quences largement n�gatives, selon nous, de la configuration politique actuelle. Comme nous l'avons dit en introduction � cette br�ve pr�sentation, le fractionnement du pouvoir caract�ristique du syst�me politique am�ricaine a, historiquement, emp�ch� tout d�bordement autoritaire, et ce m�me au cours de crises graves. Que ce soit en 1798, avec les R�solutions du Kentucky et de la Virginie contre les Alien and Sedition Acts, ou alors au cours des deux guerres mondiales, o� les mesures exceptionnelles prises par la Pr�sidence ont toujours �t� encadr�es et plac�es sous la surveillance de la Cour Supr�me, m�me si celle-ci a soutenu les mesures pr�sidentielles jusqu'� la fin des hostilit�s. Dans le premier cas il s'agissait d'Etats f�d�r�s en opposition avec l'Etat f�d�ral, et dans le second, de la division du pouvoir en action. Autrement dit, les m�canismes de " correction " destin�s � prot�ger la libert� des citoyens et plac�s au coeur du syst�me politique par les P�res Fondateurs ont jou� leur r�le historique. Seule la suspension de l'Habeas Corpus par Lincoln lors de la Guerre de S�cession s'est faite sans v�ritable contre-pouvoir : mais il est vrai que la guerre elle-m�me portait sur la nature du syst�me politique qui, d�s lors, pendant le conflit, ne fonctionnait plus v�ritablement .
+La situation actuelle pr�sente des caract�ristiques largement diff�rentes. Contrairement � l'�pisode de 1798, les Etats f�d�r�s ne semblent plus �tre un contrepoids efficace � l'action de l'Etat f�d�ral. Malgr� toute la rh�torique conservatrice actuelle autour de la d�nonciation du " Big Government ", les �quipes conservatrices au pouvoir contribuent toutes, � leur fa�on, au renforcement du poids de l'Etat f�d�ral. Ainsi, les possibilit�s de critique venant des �chelons inf�rieurs du syst�me f�d�ral sont-elles limit�es. Jusqu'� pr�sent, seules les villes ont v�ritablement critiqu� les mesures anti-terroristes - un grand nombre d'entre elles ont aussi pris officiellement position contre la guerre en Irak - et ces protestations sont rest�es totalement sans cons�quences. Par rapport aux mesures d'exception adopt�es pendant les deux conflits mondiaux, l� aussi, la situation actuelle est sensiblement diff�rente. Personne ne peut dire quand la " guerre contre le terrorisme " prendra v�ritablement fin. A l'inverse, les restrictions impos�es par un conflit arm� international sont cens�es prendre fin � un moment pr�cis, celui de la d�faite de l'adversaire. Or l'avertissement du Pr�sident Bush quant � la dur�e de la guerre contre le terrorisme semble, de ce point de vue, assez inqui�tant. Une guerre o� on ne peut v�ritablement situer l'adversaire, qui se recompose en permanence, et qui est d�pourvu d'attaches territoriales v�ritables est �videmment destin�es � durer, tout comme les mesures d'exception qui l'accompagnent.
+Mais c'est surtout l'actuelle configuration institutionnelle et partisane qui semble poser probl�me. L'alignement entre les trois pouvoirs, au niveau f�d�ral, est exceptionnel dans l'histoire politique moderne du pays. Et ceci pourrait avoir des cons�quences certaines dans la fa�on dont se m�ne la lutte anti-terroriste. Depuis 1945, la r�gle de fonctionnement de la vie politique am�ricaine semble �tre celle du " divided government ", � bien des �gards proche de la cohabitation dans le cadre fran�ais. Tout particuli�rement depuis la fin des ann�es soixante, le Congr�s et la Pr�sidence ont �t� d'orientation id�ologique largement oppos�es, entra�nant fr�quemment un blocage de la prise de d�cision nationale : on parle alors de ph�nom�ne de " gridlock " . N�anmoins, cette situation a comme avantage d'imposer une mod�ration des vues des uns et des autres, for�ant ainsi � l'institution de compromis g�n�ralis�s. Or depuis novembre 2002 et les derni�res �lections de mi-mandat (midterms), le Pr�sident Bush est dans une situation exceptionnelle d'alignement total des trois pouvoirs. La majorit� du Congr�s lui est acquise et la Cour Supr�me, sous la Pr�sidence de William Rehnquist, est clairement d'ob�dience conservatrice. Cette conjonction, d�j� rare en elle-m�me, est renforc�e par l'important soutien populaire dont b�n�ficie le Pr�sident. Son action internationale, coupl�e � la fermet� de ses positions, lui garantissent une popularit� certaine sur le th�me de la lutte anti-terroriste, ce dont t�moigne l'ensemble des sondages les plus r�cents .
+Dans ces conditions, le Pr�sident est en position de faire adopter - ou en tous les cas de proposer - des mesures qui, il y a quelques ann�es, n'auraient m�me pas �t� envisageables. Le projet TIP, par exemple, semble sortir tout droit de l'imagination d'Orwell et n'aurait pas manqu� d'attirer des flots de d�nonciation sur le th�me du retour de " Big Brother ". Or les d�nonciations qu'il a suscit� ont �t� extr�mement modestes au vu de l'enjeu. Quant � l'essentiel des mesures qui ont �t� adopt�es dans le cadre de la lutte anti-terroriste, elles sont toutes vot�es par le Congr�s avec des majorit�s pour le moins inesp�r�e. Qu'on se souvienne des n�gociations tortueuses de Clinton avec le 104�me Congr�s, ou encore de Reagan pendant ces deux mandats, voire enfin de Kennedy et du S�nat contr�l� par les D�mocrates sudistes, et l'on mesure alors � quel point le Pr�sident Bush est dans une position inesp�r�e pour un titulaire de l'ex�cutif. Ainsi, le USA Patriot Act a �t� vot� � une quasi-unanimit� au S�nat - seul le S�nateur Russ Feingold (un d�mocrate du Wisconsin) - s'y est oppos� et une majorit� de 356 Repr�sentants � la Chambre ; de plus, le soutien pour Bush dans son action contre l'Irak est �crasant : 226 contre 133 � la Chambre des Repr�sentants (10 octobre 2002), et 77 cote 23 au S�nat (11 octobre 2002).
+Ceci est d'autant plus porteur d'incertitudes que les mesures pr�sidentielles n'entament pas sa cr�dibilit� - bien au contraire - et que la Cour Supr�me actuelle n'est pas port�e le moins du monde � remettre en cause cette �volution, et ce pour une s�rie de raisons. D'abord, en r�gle g�n�rale, la Cour est certainement une des institutions nationales les plus � l'�coute des �volutions de l'opinion publique, et ce contrairement � ce que voudrait une interpr�tation �troite de la difficult� contre-majoritaire. Etant potentiellement soumise � une critique de type majoritaire, elle se doit de faire preuve d'une grande prudence, et tenter de refl�ter dans une certaine mesure les opinions dominantes, sous peine d'entamer sa l�gitimit�. Comme l'avait classiquement expliqu� le Juge Benjamin Cardozo lors des Storrs Lectures � Yale en 1921, les Juges de la Cour Supr�me " ne demeurent pas coup�s de leur environnement (...) sur des hauteurs glac�es et distantes ; nous ne contribuerions pas � avancer la cause de la v�rit� si nous agissions et raisonnions comme si c'�tait le cas " . Dans le cas qui nous occupe, les Juges seront sans doute d'autant plus favorables � un suivi de l'opinion qu'ils partagent, dans leur majorit�, les options s�curitaires actuelles. Ainsi, dans une d�cision de 1996 - Felker v. Turpin - la Cour a pris le parti de l'Etat f�d�ral en soutenant la loi anti-terroriste de 1996, Antiterrorism and effective Death Penalty Act (PL 104 - 132) : la Cour a ainsi donn� son accord � la limitation des possibilit�s d'appel des prisonniers . Les informations qui circulent semblent �galement indiquer une certaine r�ticence de la Cour pour prendre en consid�ration les critiques formul�es contre le Patriot Act. L'action en justice conduite par l'ACLU (American Civil Liberties Union) selon une proc�dure assez inhabituelle vient d'�tre rejet�e par la Cour, obligeant ainsi l'ACLU a attendre les r�sultats d'un recours plus conforme. Cela rejoint tout � fait ce que les observateurs ont d�j� remarqu� depuis longtemps, � savoir � quel point la Cour tente de revenir tr�s largement sur certaines des d�cisions les plus connues en mati�re de libert�s civiles. Autrement dit, depuis 1986, il y a un recul de la tendance � la nationalisation des droits, par r�action � " l'activisme " lib�ral des d�cennies pr�c�dentes. Un indicateur de cette tendance est tout simplement la baisse du nombre de cas trait�s par la Cour Supr�me : du milieu des ann�es 80 au milieu des ann�es 90, la Cour est pass�e d'un chiffre annuel de 150 � 75 environ. Mais la " d�nationalisation " des libert�s civiles est sensible � bien d'autres niveaux. Par exemple, la Cour va renvoyer aux Etats le traitement de la peine de mort, ou bien encore, cette fois en ce qui concerne l'avortement, la Cour ajoute des contraintes, des limites qui, toutes, peuvent �tre impos�es au niveau des Etats (Webster v. Reproductive Health service, Planned Parenthood v. Casey en 1992), rognant de fait le droit national garanti par Roe. La tactique de la majorit� conservatrice de la Cour est donc toujours la m�me : confier de plus en plus de responsabilit�s aux Etats. Et cette tendance g�n�rale risque de se poursuivre dans la mesure o� le Pr�sident Bush a, potentiellement, plusieurs occasions de s�lectionner des candidats pour la Cour Supr�me . Parmi les noms qui reviennent le plus souvent comme candidats potentiels, J. Michael Luttig est un des plus fr�quemment cit�. Il si�ge � la quatri�me Cour d'Appel (US Court of Appeals of the Fourth Circuit), o� il a la r�putation d'�tre un des Juges les plus � droite, alors que cette Cour, du fait des s�lections op�r�es dans les ann�es quatre-vingt est d�j� une des plus conservatrices du pays. D'autres possibilit�s restent cependant ouvertes. Ainsi la pression serait s�rement tr�s forte pour accorder la pr�f�rence � un candidat conservateur d'origine hispanique, afin de d�velopper la " diversit� " dans le judiciaire, selon les termes, connus, de l'arr�t Bakke (1978). Seul Emilio M. Garzia, si�geant actuellement � la 11�me Cour d'Appel f�d�rale semble �tre un candidat possible : en effet, son opposition reconnue � la d�cision Roe v. Wade en fait un atout tactique important pour Bush dans ses n�gociations avec la frange religieuse du Parti r�publicain. Une telle �volution � droite de la Cour Supr�me ne ferait que renforcer la tendance d�j� existante au soutien sans faille du Judiciaire vis-�-vis des mesures les plus strictes de la lutte anti-terroriste. L'ultime rempart aux d�bordements de l'Ex�cutif se trouverait alors neutralis�.
+Au final, la lutte anti-terroriste prend place dans un contexte partisan et institutionnel extr�mement rare qui pourrait, surtout si la guerre contre le terrorisme et celle qui se m�ne en Irak se prolongent, entra�ner un certain recul des libert�s publiques. La question est de savoir pour combien de temps, et � quel point ? Certes, historiquement, le syst�me institutionnel am�ricain a parfaitement su d�passer les moments de " crispation " s�curitaire et de lutte contre la subversion. Mais la situation actuelle est particuli�re � plus d'un titre. Outre l'alignement institutionnel et partisan, la nature m�me du conflit o� les Etats-Unis sont entra�n�s est source de risques. C'est probablement de la soci�t� civile elle-m�me - notamment par le biais d'associations comme l'ACLU - qu'�mergera un contrepoids, soit par le biais d'actions judiciaires, qui d�j� se multiplient, soit, plus radicalement, en changeant les �quipes au pouvoir. Les pr�c�dents historiques - � commencer par celui du propre p�re de George W. Bush - ne poussent pas � envisager un soutien �lectoral r�el issu d'un mouvement de " ralliement au drapeau " en cas de crise.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+La crise provoqu�e par l'intervention arm�e contre l'Irak pour le contraindre � respecter les termes de la r�solution 1441 du Conseil de s�curit� avant que la mission des inspecteurs de l'United Nations Monitoring, Verification and Inspection Commission (UNMOVIC) soit achev�e a �branl� les fondations du syst�me international et mis en �vidence les " fractures " de l'Europe. En l'occurrence, des analystes n'ont pas h�sit� � voir dans la strat�gie mise en oeuvre par les Etats-Unis une violation des normes inscrites dans la charte de San Francisco et, dans leur penchant pour l'unilat�ralisme, une contestation radicale de la responsabilit� qui incombe � l'Organisation des Nations unies (ONU) pour le maintien et le r�tablissement de la paix. L'Organisation du trait� de l'Atlantique Nord (OTAN), dont la fonction initiale �tait la d�fense collective contre la menace sovi�tique et qui est demeur�e, apr�s l'effondrement de l'ordre bipolaire, l'une des principales organisations de s�curit� dans " l'espace euro-atlantique " serait, elle aussi, vou�e au d�p�rissement, les Am�ricains pr�f�rant cr�er des alliances ad hoc pour d�fendre leurs int�r�ts et lutter contre le terrorisme (coalition of the willings) plut�t que de voir leur libert� d'action entrav�e par les contraintes d'une d�cision collective. Enfin, la construction d'une Europe de la d�fense serait compromise non seulement en raison de l'opposition de l'Administration de George W. Bush � la r�alisation de ce projet, mais �galement du fait des divisions des Europ�ens et de l'all�geance atlantique de la plupart des pays d'Europe centrale et orientale qui seront admis dans l'Union europ�enne (UE) en mai 2004.
+Il ne saurait �tre question de v�rifier le bien-fond� de ces jugements, ni de nous livrer � des sp�culations sur la l�galit� de la guerre contre l'Irak ou de mesurer son impact sur la configuration du syst�me international et les �quilibres au Moyen-Orient. Notre propos est plus modeste et se bornera � l'examen des cons�quences de cette crise sur l'organisation de la s�curit� en Europe et l'avenir des relations transatlantiques. Il convient en effet de se demander si les divergences entre Europ�ens qui se sont manifest�es � cette occasion annoncent une mutation radicale de la politique europ�enne de s�curit� et de d�fense (PESD), sinon son abandon pur et simple, ou s'il ne s'agit que d'une crise passag�re qui ne met pas en question les options fondamentales prises par l'UE apr�s la guerre du Kosovo et ent�rin�es par le Conseil d'Helsinki en d�cembre 1999. On sait que ce projet a suscit� d'embl�e des r�serves de la part des Etats-Unis et que le pr�sident Bush ne lui a pas m�nag� ses critiques lors de son premier voyage en Europe, en juin 2001 ; dans ses interventions au si�ge de l'OTAN et au Conseil europ�en de G�teborg (Su�de), il reprocha notamment aux Europ�ens l'insuffisance de leur effort de d�fense et d�non�a leur pr�tention � mener une politique ind�pendante alors qu'ils n'en avaient pas les moyens. Le fait est que la plupart des Etats europ�ens n'�taient pas pr�ts � faire les sacrifices n�cessaires pour r�duire l'�cart entre leurs capacit�s militaires et celles des Etats-Unis et que la PESD restait un objectif lointain.
+Quelques mois plus tard, les attentats terroristes de New York et de Washington cr�aient une situation nouvelle et donnaient lieu � l'expression d'une solidarit� sans faille des Europ�ens avec les Etats-Unis. L'article 5 du trait� de l'Atlantique Nord fut invoqu� � cette occasion et les actes terroristes perp�tr�s le 11 septembre 2001 sur le territoire am�ricain furent qualifi�s " d'attaque arm�e ". Mais, par un curieux paradoxe, la lutte contre les r�seaux Al-Qaida et le r�gime des Talibans qui leur offrait un refuge en Afghanistan a �t� men�e en dehors du cadre de l'Alliance et les Etats-Unis ont tenu pour quantit� n�gligeable le concours de leurs alli�s europ�ens, � l'exception de celui du Royaume-Uni, qui a �t� associ� d�s l'origine � l'op�ration militaire baptis�e " Libert� immuable " (Enduring Freeedom). D'aucuns ont interpr�t� cette attitude comme la confirmation de la tendance � l'unilat�ralisme am�ricain et y ont vu le signe avant-coureur du d�p�rissement de la fonction militaire de l'alliance. D'autres, au contraire, ont soulign� l'utilit� de l'OTAN comme cadre de concertation des politiques de s�curit� des Etats membres et consid�rent son �largissement comme un moyen de projeter de la stabilit� dans les r�gions o� les tensions ethniques et les contentieux h�rit�s de la guerre froide pourraient d�g�n�rer en conflits ouverts. Ces deux tendances ont �t� confirm�es par l'�volution ult�rieure de l'OTAN, qui n'a jou� aucun r�le dans la guerre contre l'Irak mais a accueilli sept nouveaux Etats qui faisaient partie de l'organisation du Pacte de Varsovie, voire de l'Union sovi�tique, comme les trois Etats baltes. La d�cision a �t� prise lors de la r�union au sommet du Conseil atlantique � Prague (20 - 21 novembre 2002) sans soulever d'objections majeures de la part de la Russie et le S�nat am�ricain l'a approuv�e � l'unanimit� le 8 mai 2003.
+Enfin, s'il est entendu que la PESD doit s'inscrire dans le cadre de l'Alliance et favoriser le d�veloppement des relations transatlantiques, il ne semble pas que les Etats-Unis adh�rent sans r�serve � un projet dont la r�alisation pourrait conf�rer � l'UE des moyens de d�cision et d'action autonomes. Ce qui leur importe avant tout est l'accroissement de l'effort de d�fense des Europ�ens et une r�partition plus �quitable des charges militaires au sein de l'Alliance (burden sharing). Quant � la force de r�action rapide dont la cr�ation a �t� d�cid�e par le Conseil europ�en d'Helsinki (d�cembre 1999) et qui devrait �tre op�rationnelle � la fin de l'ann�e 2003, elle restera encore longtemps tributaire des moyens de l'OTAN et ne pourra �tre engag�e efficacement que si l'on parvient � rem�dier aux carences dont elle souffre, plus particuli�rement dans les domaines suivants : transport � longue distance, communications par satellites, observation spatiale, munitions guid�es avec pr�cision.
+Or, le fl�chissement des d�penses militaires dans la plupart des Etats membres de l'UE ne laisse pas pr�sager un redressement de la situation � court et � moyen terme et, si cette tendance n'est pas invers�e, on peut craindre que l'interop�rabilit� des forces alli�es ne soit plus assur�e d�s lors qu'il s'agira de mener des actions communes pour le maintien et le r�tablissement de la paix dans le nouveau contexte international. En outre, la coop�ration europ�enne pour la production d'armements pi�tine ou subit des vicissitudes en raison de la faible int�gration des industries qui travaillent pour la d�fense, et les engagements pris en vue de pr�server les moyens de recherche et technologie (R&T) existant sur notre continent resteront lettre morte si leur financement n'est pas garanti. Enfin, les controverses sur les modalit�s d'acc�s de l'UE � des capacit�s pr�d�termin�es de l'OTAN ont mis en lumi�re les sources de conflits avec les alli�s non membres de l'UE.
+Ainsi, la Turquie, qui est particuli�rement vuln�rable aux nouveaux risques du fait de sa situation g�ographique, a manifest� l'intention d'�tre associ�e � un stade pr�coce � la pr�paration et � la mise en oeuvre des op�rations de gestion des crises et d'imposition de la paix qui seraient conduites par l'UE. Cette pr�tention a �t� jug�e exorbitante par les Etats membres, qui y voyaient une atteinte � leur libert� d'action, mais la Turquie pouvait faire valoir qu'elle b�n�ficiait nagu�re du statut de membre associ� de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) et qu'il serait convenable de lui conf�rer des droits �quivalents vis-�-vis de l'UE apr�s la d�cision de fusion de ces deux organisations. Au terme de n�gociations laborieuses, on est parvenu � s'entendre en d�cembre 2001 sur une formule de compromis gr�ce � la m�diation des Etats-Unis et du Royaume-Uni, mais la Gr�ce continuait d'�mettre des objections, ce qui rendait probl�matique l'acc�s garanti de l'UE aux moyens de l'OTAN. En d�finitive, cette hypoth�que a �t� lev�e en d�cembre 2002 et l'UE a pu prendre, en mars 2003, la rel�ve de l'OTAN pour la conduite de l'op�ration " Concordia ", dont l'objet est la surveillance de l'accord d'Ohrid qui avait mis un terme aux affrontements interethniques en Mac�doine.
+Si l'obstruction turque a d�fray� la chronique de la d�fense europ�enne au cours des deux derni�res ann�es, on ne saurait faire abstraction de l'attitude tout aussi distante � l'�gard de la PESD des trois nouveaux membres de l'OTAN - la Pologne, la Hongrie et la R�publique tch�que -, qui redoutent d'�tre marginalis�s dans le processus de d�cision de l'UE et privil�gient l'organisation de la s�curit� dans le cadre atlantique. Ce penchant s'est manifest� avec �clat lors de la guerre anglo-am�ricaine contre l'Irak � laquelle ils ont apport� leur concours, et la Pologne a fait preuve, en l'occurrence, d'un exc�s de z�le qui s'est traduit par le choix d'un avion am�ricain - le F-16 - pour �quiper son arm�e de l'air et l'obtention d'une zone d'occupation en Irak dans le cadre de l'administration provisoire de ce pays apr�s la chute du r�gime de Saddam Hussein. Il convient donc de faire le point sur les acquis de la PESD en rappelant que les questions d�battues aujourd'hui correspondent � des pr�occupations anciennes et que le processus se poursuit en d�pit des vicissitudes de la politique imp�riale des Etats-Unis et des clivages qui sont apparus au sein de l'UE entre les " atlantistes " et les tenants d'une " Europe europ�enne ".
+La d�fense europ�enne est un th�me r�current dans les relations transatlantiques depuis les ann�es 1950, et elle a �t� une source de malentendus apr�s l'inflexion de la strat�gie am�ricaine qui tendait � substituer la riposte gradu�e (flexible response) � la menace du recours imm�diat � l'arme nucl�aire (massive retaliation) pour garantir la s�curit� de l'Europe occidentale. Lorsque les Europ�ens �mettaient des doutes sur les vertus dissuasives de cette nouvelle posture et tentaient de faire valoir leurs int�r�ts de s�curit� sp�cifiques au sein de l'Alliance, ils se heurtaient g�n�ralement aux objections des dirigeants am�ricains, qui leur reprochaient d'affaiblir l'OTAN par des actions divergentes. Certes, les aspirations � une " d�fense europ�enne de l'Europe " �taient surtout le fait des Fran�ais, et le g�n�ral de Gaulle avait donn� le ton � la fois par son m�morandum de septembre 1958 relatif � la cr�ation d'un " directoire " au sein de l'Alliance et par les plans Fouchet (1960 - 1961) qui tendaient � favoriser l'affirmation d'une identit� europ�enne dans le cadre des communaut�s institu�es par les trait�s de Rome de 1957. Ces projets se heurt�rent � des oppositions tr�s vives et furent rejet�s par les partenaires de la France. Mais la question resurgit dix ans plus tard apr�s la signature du premier accord sovi�to-am�ricain sur la limitation des armements strat�giques (SALT-I), en mai 1972.
+La stabilisation de l'�quilibre sur lequel reposait la dissuasion r�ciproque et les dispositions prises ult�rieurement par les deux protagonistes pour ne pas �tre entra�n�s dans un conflit suicidaire par le comportement de tierces puissances (accord sur la pr�vention de la guerre nucl�aire du 22 juin 1973) avaient fait na�tre des doutes sur la solidit� de la garantie offerte par les Etats-Unis et avaient incit� le gouvernement fran�ais � faire de l'UEO un cadre de r�flexion sur les perspectives d'une d�fense europ�enne. Le ministre de la D�fense, Michel Debr�, et le ministre des Affaires �trang�res, Michel Jobert, firent des suggestions � cet �gard dans leurs interventions devant l'Assembl�e de l'UEO, respectivement en 1972 et 1973, mais leurs appels ne furent pas entendus. Une derni�re tentative pour r�veiller la " Belle au bois dormant " du palais d'I�na fut faite dans le contexte de la crise des " euromissiles ", provoqu�e par le d�ploiement des fus�es sovi�tiques SS-20 et la d�cision de l'OTAN de relever le d�fi en modernisant ses armes nucl�aires de th��tre. En octobre 1984, le Conseil des ministres de l'UEO d�cida de r�activer cette organisation, en pr�cisant que la concertation des politiques de s�curit� des Etats membres et la d�finition �ventuelle d'une position commune en mati�re de d�fense n'auraient pas pour objet de battre en br�che l'OTAN mais de r��quilibrer les relations transatlantiques. En d�pit de ces pr�cautions rh�toriques et de l'adoption, en 1987, de la plate-forme de La Haye, qui postulait une plus grande autonomie des Europ�ens dans le domaine de la d�fense, les choses rest�rent en l'�tat. L'identit� europ�enne en mati�re de s�curit� et de d�fense n'avait pu s'affirmer en raison de la persistance de l'antagonisme Est-Ouest et du sentiment dominant en Occident que l'OTAN �tait la seule parade efficace contre une attaque arm�e venant de l'Est et le garant de l'engagement des Etats-Unis sur le continent.
+Il en ira autrement apr�s l'effondrement de l'ordre bipolaire et la conclusion du trait� de Maastricht (7 f�vrier 1992) qui consacrait dans son titre V le principe d'une politique �trang�re et de s�curit� commune (PESC) et ouvrait les perspectives d'une " d�fense commune " (art. J.4.1). A cet �gard, la coop�ration franco-allemande a jou� un r�le moteur, mais il ne faut pas se dissimuler que les relations sp�ciales qui s'�taient d�velopp�es entre Paris et Bonn depuis la signature du trait� de l'Elys�e du 22 janvier 1963 ont souvent �t� per�ues comme l'expression d'une politique tendant � consacrer leur primaut� dans les conseils europ�ens. Il n'est donc pas surprenant que les initiatives prises par le chancelier Kohl et le pr�sident Mitterrand en vue de doter l'UE de capacit�s militaires propres aient �t� accueillies froidement et que l'annonce, en octobre 1991, de la cr�ation d'un corps franco-allemand susceptible de se muer en une force europ�enne autonome ait suscit� des critiques ouvertes de la part de pays comme les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni. Les Etats-Unis eux-m�mes ont pris position dans cette querelle et, dans son discours d'ouverture � la r�union au sommet du Conseil atlantique de Rome, le 7 novembre 1991, le pr�sident Bush avait laiss� percer son irritation et n'avait pas h�sit� � brandir la menace d'un d�sengagement am�ricain si les Europ�ens ne voulaient en faire qu'� leur t�te. Comme nul ne songeait � rompre le lien transatlantique, on parvint � s'accorder sur une formule de compromis qui tentait de concilier les obligations d�coulant du trait� de Washington avec les exigences d'une participation accrue des Europ�ens � la d�fense commune et � des op�rations de maintien et d'imposition de la paix en dehors de la zone couverte par l'OTAN. Au demeurant, l'initiative franco-allemande tendait moins � la cr�ation d'une organisation militaire int�gr�e selon le mod�le de la Communaut� europ�enne de d�fense (CED) qu'au r��quilibrage des relations euro-am�ricaines dans le cadre d'une Alliance r�nov�e.
+Ult�rieurement, les Etats-Unis ne virent plus d'objections � l'affirmation d'une identit� europ�enne en mati�re de s�curit� et de d�fense (IESD) et admirent que l'UEO, qui avait vocation � devenir le " bras arm� " de l'UE, et l'OTAN, qui conservait ses pr�rogatives traditionnelles, �taient compl�mentaires � certains �gards. Ces convergences se refl�tent dans la d�claration des chefs d'Etat et de gouvernement adopt�e � l'issue de la r�union du Conseil atlantique de Bruxelles, le 11 janvier 1994. Tous les Etats membres apportent leur " plein appui au d�veloppement d'une identit� europ�enne de s�curit� et de d�fense ", qui pourrait conduire � terme, comme le pr�voyait le trait� de Maastricht, � " une d�fense commune compatible avec celle de l'Alliance atlantique " ; ils soutiennent " le renforcement du pilier europ�en de l'Alliance " et se f�licitent de " la coop�ration �troite et croissante entre l'OTAN et l'UEO " ; enfin, ils appuient " le d�veloppement de capacit�s s�parables mais non s�par�es " qui pourraient �tre mises � la disposition de l'UEO ou de l'OTAN pour leur permettre de " conduire avec plus d'efficacit� et de souplesse leurs missions, y compris le maintien de la paix ". C'est ainsi que s'imposa le concept de " groupes de forces interarm�es multinationales " (GFIM), groupes qui pourraient �tre mis � la disposition de l'UEO pour remplir des missions de paix auxquelles les Am�ricains ne souhaiteraient pas s'associer ou pour faciliter des " op�rations dict�es par les circonstances, y compris les op�rations auxquelles participeraient les pays ext�rieurs � l'Alliance ". D�s lors, les Etats-Unis ne virent plus d'objection de principe � l'expression d'une volont� plus affirm�e des Europ�ens de prendre en charge leur d�fense et d'assumer des responsabilit�s accrues pour le maintien et le r�tablissement de la paix et de la s�curit� internationales. A condition toutefois que ces actions fassent l'objet d'une concertation �troite entre les alli�s et se d�roulent avec l'aval de l'OTAN.
+Au cours des ann�es suivantes, les progr�s sur la voie d'une politique europ�enne de s�curit� et de d�fense (PESD) ont �t� assez lents et, � la veille du sommet franco-britannique de Saint-Malo (4 d�cembre 1998), le constat auquel on pouvait proc�der ne pr�tait pas � l'optimisme : la PESC �tait en " panne ", le concept des GFIM n'avait pu �tre appliqu� et la seule structure militaire coh�rente dans l'espace euro-atlantique �tait l'OTAN. Il fallut attendre le revirement de la politique europ�enne du Royaume-Uni � l'automne 1998 et la prise de conscience par les Europ�ens de leurs carences dans le domaine des technologies de pointe pendant la " guerre du Kosovo " pour que des mesures significatives soient prises en vue de la mise en oeuvre d'une PESD.
+En application des lignes directrices du Conseil europ�en de Cologne (3 - 4 juin 1999), les Etats membres de l'UE ont manifest� la volont� de se doter d'une " capacit� d'action autonome s'appuyant sur des capacit�s militaires cr�dibles ainsi que des instances et des proc�dures de d�cision appropri�es ". Six mois plus tard, � l'issue du Conseil europ�en d'Helsinki (10 - 11 d�cembre 1999), ils se fixaient comme objectif global " d'�tre en mesure, d'ici l'an 2003, de d�ployer dans un d�lai de 60 jours et de soutenir pendant au moins une ann�e des forces militaires pouvant atteindre 50 000 � 60 000 hommes, capables d'effectuer l'ensemble des missions de Petersberg " ; il �tait �galement pr�vu de cr�er de nouveaux organes et de nouvelles structures politiques pour permettre � l'UE d'assurer l'orientation politique et la direction strat�gique n�cessaires � ces op�rations ; enfin, des mesures seraient prises pour assurer " une consultation, une coop�ration et une transparence pleines et enti�res entre l'UE et l'OTAN " et pour permettre � des Etats europ�ens membres de l'OTAN qui n'appartiennent pas � l'UE et � d'autres Etats concern�s de contribuer � la gestion militaire d'une crise sous la direction de l'UE.
+Lors de la conf�rence d'engagement de capacit�s militaires qui s'est tenue � Bruxelles le 20 novembre 2000, les Etats membres de l'UE ont dress� un " catalogue de forces " correspondant � l'objectif global d�fini � Helsinki, tout en relevant que certaines capacit�s ont besoin d'�tre am�lior�es, notamment dans le domaine dit " strat�gique " : renseignements, transport a�rien et naval, �tats-majors pour commander et contr�ler les forces, d�fense contre les missiles, armes de pr�cision, soutien logistique, outils de simulation, etc.. Le mois suivant, le Conseil europ�en de Nice (7 - 9 d�cembre 2000) d�cidait la cr�ation des organes permanents politiques et militaires suivants : Comit� politique et de s�curit� (COPS), Comit� militaire de l'Union europ�enne (CMUE) et Etat-major de l'Union europ�enne (EMUE) et d�finissait leur composition, leurs comp�tences et leur fonctionnement.
+Par ailleurs, pour �viter des duplications inutiles, il �tait pr�vu que l'UE pourrait recourir aux moyens et aux capacit�s de l'OTAN, et le paragraphe 10 du communiqu� final du Conseil atlantique de Washington (24 avril 1999) visait notamment " la garantie d'acc�s � des capacit�s de planification de l'OTAN, la pr�somption de disponibilit� au profit de l'UE de moyens communs d�sign�s � l'avance et l'identification d'une s�rie d'options de commandement europ�en pour renforcer le r�le de l'adjoint au SACEUR " (Supreme Allied Commander Europe). Or, du fait des rivalit�s gr�co-turques, cette question n'a �t� tranch�e qu'� la fin de l'ann�e 2002, � la veille de la prise en charge par l'UE de l'op�ration " Concordia " en Mac�doine. En revanche, la planification d'une op�ration europ�enne qui ne serait pas tributaire des moyens de l'OTAN soul�ve moins de difficult�s puisqu'elle serait confi�e � un �tat-major de niveau strat�gique d'un pays membre de l'UE. A cet �gard, on laisse entendre que le niveau op�ratif pourrait �tre repr�sent� par l'�tat-major interarm�es britannique ou par le poste de commandant des forces interarm�es fran�aises. Enfin, des dispositions ont �t� prises pour organiser la participation aux missions de Petersberg des pays alli�s non membres de l'UE, �tant entendu que les relations que celle-ci entretiendrait avec les pays associ�s � ce type d'op�rations seraient plac�es sous le signe de " la consultation, de la coop�ration et de la transparence totales ".
+En 2001, le processus de la PESD �tait bien engag� et certains estimaient que, si le rythme initial �tait maintenu, l'UE atteindrait le but qu'elle s'�tait fix� (headline goal) dans les d�lais pr�vus. D'autres se montraient plus circonspects et doutaient que l'�ch�ance de 2003 p�t �tre respect�e pour la constitution d'une force de r�action rapide capable de conduire l'ensemble des op�rations vis�es par la d�claration de Petersberg. C'est que tous les Etats membres de l'UE n'adh�raient pas au projet d'une " Europe puissance " et n'�taient pas dispos�s � consentir les sacrifices n�cessaires � sa r�alisation. En outre, une PESD n'a de signification que si elle repose sur des capacit�s de d�cision et d'action autonomes qui feraient de l'UE un v�ritable partenaire des Etats-Unis. Or, les dirigeants am�ricains ne l'entendaient pas de cette oreille et s'accommodaient difficilement d'une �volution qui se traduirait par une mise en question de leur primaut� au sein de l'Alliance. De nombreux Etats europ�ens leur embo�taient le pas et redoutaient que les " dissonances transatlantiques " ne renforcent les courants favorables au d�sengagement am�ricain et n'affaiblissent la communaut� de s�curit� que constitue l'OTAN.
+La question centrale est donc celle de la fonction qui incombe � l'Alliance dans le nouveau contexte international et de sa compatibilit� avec la mise en oeuvre d'une PESD. A cet �gard, les opinions sont partag�es, les uns consid�rant que l'Europe de la d�fense ne peut s'affirmer que si elle s'�mancipe de la tutelle am�ricaine, alors que d'autres ne con�oivent pas qu'elle puisse se r�aliser contre les Etats-Unis ni sans leur concours. La France est en faveur de l'inscription de la politique de d�fense europ�enne dans le cadre de l'Alliance, mais d'une Alliance r�nov�e o� le partage du fardeau se traduirait �galement par un partage des responsabilit�s. Pour dissiper toute �quivoque � cet �gard, le pr�sident de la R�publique avait soulign� dans son discours du 8 juin 2001, devant l'Institut des hautes �tudes de d�fense nationale (IHEDN), que " l'Europe de la d�fense renforce l'OTAN par l'affirmation d'un partenariat d'autant plus solide qu'il sera mieux �quilibr� " et le ministre des Affaires �trang�res, Hubert V�drine, s'�tait exprim� en termes similaires dans un entretien avec le quotidien Le Monde (13 juin 2001) en laissant entendre que " la d�fense europ�enne n'est pas seulement bonne pour l'Europe, mais aussi pour l'Alliance ".
+Depuis lors, les incertitudes sur l'avenir de la PESD n'ont pas �t� dissip�es et la crise provoqu�e par la politique am�ricaine vis-�-vis de l'Irak n'a fait qu'exacerber les contradictions au sein de l'UE. Dans un article publi� dans la revue Policy Review, et dont de larges extraits ont �t� reproduits dans la presse europ�enne, un ancien haut fonctionnaire du d�partement d'Etat, Robert Kagan a exalt� la puissance militaire am�ricaine, mise au service d'une " civilisation de libert� et d'un ordre du monde lib�ral " et d�nonc� l'incapacit� des Europ�ens � parer les menaces des " Etats voyous ", du terrorisme et de la prolif�ration des armes de destruction massive autrement que par des moyens diplomatiques. La cause la plus importante des divergences entre l'Europe et les Etats-Unis r�siderait dans la vision ir�nique des relations internationales de celle-l� et dans la volont� de ceux-ci d'user de la force pour garantir l'ordre dans le monde anarchique d�crit par Hobbes. On peut discuter cette th�se, mais elle contient une part de v�rit�, comme l'a soulign� Hubert V�drine dans un entretien avec la revue Enjeux (novembre 2002). A ses yeux, " les Fran�ais sont les seuls � vouloir une Europe puissance alors que nos partenaires imaginent plut�t une grande Suisse ". Mais il n'exclut pas que les pr�tentions de l'hyperpuissance am�ricaine provoquent un choc salutaire et que les Europ�ens " piqu�s au vif d�cident qu'ils ont eux aussi une responsabilit� pour l'�quilibre, l'�quit� et la s�curit� du monde ". Jusqu'� pr�sent, les ambitions affich�es par les Etats membres de l'UE sont modestes puisqu'ils ne visent que l'acquisition des moyens civils et militaires n�cessaires pour l'accomplissement des missions de Petersberg, et il est entendu que la d�fense collective incombera en toute hypoth�se � l'OTAN. Il n'en reste pas moins que la question de l'assistance mutuelle vis�e par l'article V du trait� de Bruxelles, modifi� en 1954, reste pos�e et qu'il faut r�fl�chir � la fonction qui serait assign�e � l'arme nucl�aire dans la perspective d'une d�fense europ�enne digne de ce nom. Par ailleurs, les forces de r�action rapide en voie de constitution n'ont de signification que si elles sont au service d'une politique coh�rente. Or, on peut craindre qu'� la minute de v�rit� les Etats membres fassent �clater leurs divergences et que l'outil militaire auquel ils ont consacr� tous leurs soins ne remplisse pas son office faute d'un consensus sur le but politique poursuivi. Enfin, on ne peut faire abstraction de l'impact des attentats du 11 septembre 2001 sur la configuration de la future politique europ�enne en mati�re de s�curit�, puisque de nouvelles menaces ont surgi et que la participation � la lutte contre le terrorisme exigera sans doute une r�orientation des choix ant�rieurs, l'�largissement du champ d'action des forces de projection et l'affectation de ressources suppl�mentaires � la recherche et au d�veloppement d'armes de haute technologie.
+Depuis l'effondrement de l'ordre bipolaire, l'OTAN a �largi le champ de ses comp�tences et pr�te son concours aux organisations internationales pour leur permettre de remplir leurs missions de paix. De son c�t�, l'UE a manifest� la volont� d'apporter sa contribution propre � des actions collectives men�es sous l'�gide des Nations unies en prenant appui �ventuellement sur les capacit�s de l'OTAN (NATO assets) dans les domaines o� ses carences sont manifestes. Or, l'insertion de la PESD dans le cadre de l'Alliance soul�ve des probl�mes �pineux, et l'insuffisance de l'effort de d�fense des Europ�ens risque de compromettre la r�alisation de l'objectif global d�fini � Helsinki en d�cembre 1999. Ainsi, la fonction traditionnelle de l'OTAN - la d�fense collective contre une attaque arm�e - a �t� maintenue, mais on s'est �galement souci� de trouver des parades aux " d�fis du changement ", et le concept strat�gique adopt� par les chefs d'Etat et de gouvernement des 16 Etats membres r�unis � Rome les 7 et 8 novembre 1991 rappelle que les int�r�ts de s�curit� de l'Alliance peuvent �tre mis en cause par d'autres risques qu'une attaque arm�e de type classique. Sont notamment vis�s " la prolif�ration des armes de destruction massive, la rupture des approvisionnements en ressources vitales ou des actes de terrorisme et de sabotage " (� 13). Huit ans plus tard, ce concept a �t� affin� lors de la conf�rence au sommet de Washington (23 - 24 avril 1999), et les " actes relevant du terrorisme, du sabotage et du crime organis� " (� 24) figurent au premier rang des nouveaux risques. Apr�s les attentats du 11 septembre, cette pr�occupation est devenue dominante et on ne saurait exclure que l'Alliance assume � l'avenir des responsabilit�s accrues dans la lutte contre le terrorisme. Toutefois, les alli�s n'ont pas en la mati�re des vues concordantes et, depuis plus d'un an, les controverses vont bon train, les Europ�ens �tant indispos�s par le ton manich�en du pr�sident des Etats-Unis et le " simplisme " des m�thodes pr�conis�es pour briser " l'axe du Mal ", tandis que les Am�ricains leur reprochent une m�connaissance de la gravit� du p�ril et l'insuffisance des moyens mis en oeuvre pour le combattre.
+Sans vouloir prendre parti dans cette querelle, il convient de rappeler que les Europ�ens ne sont pas rest�s passifs dans la gestion des crises de l'apr�s-guerre froide et dans la lutte contre le terrorisme. Le 8 octobre 2001, cinq avions AWACS de l'OTAN et leurs �quipages, comprenant des personnels d'une dizaine de pays europ�ens, ont �t� envoy�s aux Etats-Unis, et des avions AWACS fran�ais ont pris la rel�ve, notamment pour assurer la surveillance de l'espace a�rien de Bosnie-Herz�govine. En outre, la force navale permanente en M�diterran�e qui compte huit fr�gates et un b�timent de soutien logistique a appareill� pour la M�diterran�e orientale le 9 octobre. Ces unit�s ont �t� rejointes par la force navale permanente de l'Atlantique. Enfin, les op�rations militaires am�ricaines contre le r�seau Al-Qaida et le r�gime des Talibans ont �t� appuy�es par tous les membres de l'Alliance, soit par l'envoi d'unit�s sp�ciales pour briser les derni�res poches de r�sistance, soit par la fourniture d'une aide humanitaire au peuple afghan. Par ailleurs, l'Alliance a consid�rablement intensifi� son action contre les dangers du terrorisme li�s � l'emploi d'armes de destruction massive (ADM), et la dimension proprement europ�enne n'a pas �t� absente de cette d�marche puisque des rencontres au niveau des ambassadeurs et des ministres des Affaires �trang�res ont permis de renforcer les consultations et la coop�ration entre le Conseil de l'Atlantique Nord et le Comit� politique et de s�curit� de l'UE.
+Or, l'importance de la contribution des Europ�ens aux missions de paix qui se sont multipli�es depuis la fin de la " guerre froide " est souvent m�connue aux Etats-Unis et Javier Solana, le Haut Repr�sentant pour la PESC, a �prouv� le besoin de faire une mise au point la veille de la conf�rence au sommet de l'UE et des Etats-Unis du 3 mai 2002. Tout en rendant hommage au partenariat euro-am�ricain, il a soulign� la part prise par l'UE dans la promotion de " la stabilit�, de la prosp�rit� et de la d�mocratie " chez ses voisins et dans le monde. En Afghanistan, les Europ�ens contribuent en liaison �troite avec les Etats-Unis � cr�er les conditions d'un avenir meilleur ; dans les Balkans ils assument des responsabilit�s majeures dans la gestion des crises en Mac�doine, en Serbie-Mont�negro et au Kosovo. Sur les 58 000 hommes d�ploy�s dans cette r�gion, 38 000 sont des Europ�ens, et l'UE est le principal donateur des pays de l'Europe du Sud-Est avec une contribution de 23 milliards d'euros au cours des dix derni�res ann�es.
+De son c�t�, William Wallace, professeur � la London School of Economics, a rappel� aux d�cideurs am�ricains que, loin de pratiquer l'appeasement, les Europ�ens ont apport� au cours des dix derni�res ann�es une contribution significative � l'imposition de la paix dans des zones instables et au rel�vement de pays ravag�s par des guerres civiles. Au printemps 2002, ils avaient d�ploy� 7 000 hommes en Afghanistan, soit des effectifs sup�rieurs � ceux des troupes am�ricaines (5 500) ; ils assument l'essentiel des charges relatives � la consolidation de la paix en Bosnie et au Kosovo ; enfin, ils contribuent � hauteur de 40 % aux fonds d'aide des Nations unies et � hauteur de 45 % au financement des op�rations de maintien de la paix.
+Ce constat permet de corriger les outrances des jugements port�s outre-Atlantique sur la passivit� des Europ�ens face aux nouveaux risques, mais il ne permet pas d'accr�diter la th�se de progr�s significatifs sur la voie d'une PESD, ni de pr�juger de la conversion de l'OTAN en une alliance globale contre le terrorisme. C'est que les Etats-Unis pr�f�rent agir seuls ou dans le cadre de coalitions ad hoc pour riposter aux agressions dont ils sont l'objet, et l'OTAN aurait surtout pour vocation de favoriser par des �largissements successifs l'�mergence d'une Europe " une et libre " (whole and free) et de fournir aux Am�ricains un r�servoir de forces o� ils puiseraient en fonction de leurs besoins et des affinit�s qu'ils entretiendraient avec certains alli�s. Cependant, on est conscient de la n�cessit� d'adapter l'OTAN aux nouvelles t�ches qui lui incombent et, au printemps 2002, des discussions se sont engag�es � Bruxelles au niveau des experts sur les trois composantes principales de la strat�gie de s�curit� de l'OTAN, � savoir la dissuasion, la d�fense et l'intervention ext�rieure. A s'en tenir aux informations parues dans la presse, l'accent serait mis sur la pr�vention de toute attaque men�e avec des armes de destruction massive et le renforcement des capacit�s d�fensives pour s'en pr�munir en cas d'�chec de la dissuasion. Par ailleurs, le centre de gravit� de la strat�gie de l'Alliance se d�placerait en direction de la M�diterran�e et du Moyen-Orient, o� se situent les principaux foyers de crise et o� certains Etats nourrissent l'ambition de se doter d'armes nucl�aires, biologiques et chimiques, s'ils n'en sont pas d�j� pourvus. Dans ce contexte, il serait n�cessaire d'apurer le contentieux entre la Gr�ce et la Turquie, d'autant que ces deux pays seraient pr�ts � compenser le retrait partiel des troupes am�ricaines stationn�es dans les Balkans si celles-ci �taient requises ailleurs ; en outre, ils auraient engag� une n�gociation avec l'Iran en vue de l'int�grer dans cette nouvelle constellation strat�gique et d'en faire un facteur de stabilisation de la r�gion du Golfe. D'autres observateurs font �tat de projets concernant la formation d'unit�s sp�cialis�es susceptibles d'�tre engag�es contre des camps d'entra�nement de terroristes, la cr�ation de centres pour l'�valuation des menaces et l'�change de donn�es sur les moyens disponibles pour se prot�ger contre le bio-terrorisme.
+Les Etats-Unis souhaiteraient rallier les Europ�ens � cette conception extensive des t�ches de l'Alliance, mais ceux-ci se montrent r�ticents non seulement parce qu'ils ne partagent pas les vues de Washington sur le choix des moyens pour lutter contre le terrorisme, mais encore en raison de leurs d�ficiences dans le domaine de la projection des forces et du combat de grande intensit�. Ce sont ces facteurs objectifs qui ont emp�ch� les Europ�ens de participer � la premi�re phase de l'op�ration " Libert� immuable " en Afghanistan et, en l'absence d'un effort de d�fense accru, leur contribution � la lutte militaire contre le terrorisme ne pourra qu'�tre limit�e.
+L'insuffisance de l'effort de d�fense des Europ�ens est un th�me rebattu, et l'on ne cesse de souligner l'�cart entre les d�penses militaires des Etats-Unis et celles de leurs alli�s du Vieux Continent. Ainsi, les d�penses des Europ�ens repr�sentent environ 60 % des d�penses am�ricaines, mais le produit final de ces investissements est tr�s inf�rieur aux r�sultats obtenus outre-Atlantique. Par ailleurs, le budget militaire am�ricain cro�t d'une mani�re exponentielle et repr�sente plus de 3 % du PIB, alors que les budgets europ�ens sont en d�croissance r�elle de 22 % depuis 1990. A l'exception du Royaume-Uni et de la France qui s'efforcent de tenir le cap, les autres pays europ�ens ont des taux inf�rieurs � 2 % et les " lanternes rouges " sont l'Allemagne (1,4 %) et l'Espagne (1,2 %). Ces d�rives ne sont pas de bon augure pour l'avenir de la PESD, et la plupart des observateurs estiment que la force de r�action rapide en voie de constitution a peu de chances d'�tre op�rationnelle en 2003. Pendant la conf�rence sur l'am�lioration des capacit�s militaires de l'UE, qui s'est tenue � Bruxelles le 19 novembre 2001, on a relev� que, sur les 54 lacunes identifi�es l'ann�e pr�c�dente, dix seulement avaient �t� combl�es et il ne semble pas que des progr�s significatifs aient �t� accomplis sur cette voie depuis lors.
+La contraction des budgets de la d�fense interdit la participation de l'UE � des actions communes de l'envergure de celle qui a �t� men�e en Afghanistan et compromet l'interop�rabilit� des forces am�ricaines et europ�ennes ; on comprend donc les remontrances des dirigeants am�ricains qui ne souhaitent pas voir se creuser l'�cart entre eux et leurs alli�s et assister passivement au d�p�rissement de l'une des " meilleures alliances de l'histoire ". En tout cas, l'Europe ne peut plus " jouer dans la cour des Grands " si elle ne modifie pas radicalement sa politique de d�fense. Les chiffres publi�s dans des revues sp�cialis�es, ou mis en avant par des professionnels de l'armement, permettent de prendre la mesure du d�fi am�ricain, qui ne pourra �tre relev� que si les Europ�ens d�finissent au pr�alable leurs besoins sp�cifiques et prennent les mesures appropri�es pour les satisfaire sans vouloir imiter les Etats-Unis en tous points. En 2000, les budgets cumul�s de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie ont repr�sent� un montant de 67 milliards d'euros contre 285 milliards d'euros aux Etats-Unis. Ce constat n'est pas nouveau puisque les Etats-Unis, pendant la derni�re d�cennie, ont investi dans la d�fense 2000 milliards d'euros de plus que l'Europe. Ces �carts r�sultent de priorit�s diff�rentes : en Europe, les mesures sociales absorbent une partie importante des cr�dits publics et ne laissent qu'une place marginale � la d�fense alors que les attentats du 11 septembre 2001 ont incit� le gouvernement am�ricain � accro�tre son budget militaire de 50 milliards de dollars, ce qui repr�sente une augmentation de 15 % par rapport � l'exercice en cours.
+L'�cart est encore plus grand dans le secteur de la recherche et du d�veloppement militaire o� les Etats-Unis d�pensent aujourd'hui l'�quivalent du budget national de la France. Si l'on tient compte des programmes occultes (black programs), les d�penses r�elles pour la recherche militaire sont de 15 � 20 fois sup�rieures aux montants europ�ens cumul�s. Les Europ�ens ne pourront combler cet �cart que s'ils d�pensent davantage car la recherche dans l'a�ronautique et dans les communications requiert des moyens importants pour les �tudes en amont, la fabrication de prototypes et les essais en condition op�rationnelle. Ce n'est qu'� ce prix qu'ils pourront mettre en oeuvre un syst�me informatis� pour la gestion du champ de bataille comparable � celui dont dispose l'�tat-major am�ricain. Contrairement � une id�e re�ue, on ne se r�jouit pas � Washington de la faiblesse des alli�s europ�ens et l'on souhaiterait qu'ils puissent se doter des �quipements n�cessaires pour participer � des op�rations communes destin�es � frapper l'ennemi � l'int�rieur de ses fronti�res, l� o� il est le plus vuln�rable. Certes cet objectif peut �tre atteint par le biais d'une coop�ration transatlantique, mais celle-ci se heurte � des limites en raison des pr�cautions prises outre-Atlantique pour contenir les risques de prolif�ration des technologies sensibles et des contraintes impos�es par le tuteur am�ricain sur les exportations d'armements. Seul un financement suffisant de la recherche en Europe permettrait de contourner ces obstacles et de mettre en oeuvre une force militaire capable de participer � des op�rations de guerre.
+Deux �conomistes proches du pr�sident de la Commission europ�enne ont abouti � des conclusions analogues apr�s avoir fait observer que les critiques formul�es � l'encontre de l'unilat�ralisme am�ricain resteront vaines aussi longtemps que l'Europe ne disposera pas d'une r�elle capacit� militaire et d'une technologie de pointe. Or l'Europe manque des deux, faute d'investissements. Ils rappellent que les Etats-Unis � eux seuls d�pensent plus pour la d�fense que l'ensemble de leurs alli�s europ�ens et il est probable que cette tendance ne fera que s'accentuer dans les ann�es � venir. Les d�penses militaires ne contribuent pas seulement � l'�quipement des forces arm�es en mat�riels performants : une fraction non n�gligeable (10 % � 15 %) est affect�e au financement de la recherche et du d�veloppement (R&D) dans les secteurs de pointe. L'Europe a du retard dans ce domaine et sa retenue en mati�re de d�fense ne fait que creuser l'�cart avec les Etats-Unis, comme l'atteste la r�partition des brevets dans le monde : � la fin des ann�es 1990, 56 % �taient accord�s � des demandeurs am�ricains contre 11 % aux Europ�ens. Par ailleurs, ils estiment que la stagnation des �conomies europ�ennes r�sulte directement du retard en mati�re d'innovation et indirectement du faible taux d'investissement dans la R&D militaire.
+A cet �gard, les incertitudes quant � l'avenir de l'avion de transport militaire europ�en sont r�v�latrices des probl�mes auxquels sont confront�es les industries d'armement europ�ennes. Face � la concurrence d'un appareil propos� par les firmes Boeing et Lockheed Martin, les pays de l'UE sont divis�s : certains, comme l'Italie, sont tent�s par l'option am�ricaine alors que d'autres, dont la France et l'Allemagne, penchent pour l'avion construit par Airbus. L'enjeu est de taille et il est essentiel que les Europ�ens fassent l'effort n�cessaire pour financer ce projet et s'assurer qu'une part importante du budget soit affect�e � la R&D afin de consolider la base technologique d'une industrie qui s'est signal�e dans le pass� par des " r�ussites de pointe europ�ennes ". C'est pour faciliter la r�alisation de cet investissement que les ministres de la D�fense des Quinze ont sugg�r� que les augmentations des d�penses militaires soient exclues des contraintes impos�es par le pacte de stabilit� et de croissance de l'euro. Il n'en reste pas moins que l'accroissement de l'effort de d�fense impliquerait une diminution des autres postes budg�taires et sans doute une mise en question de l'Etat-providence, ce � quoi la plupart des Etats europ�ens ne consentiront pas de ga�t� de coeur.
+Toutefois, des progr�s ont �t� enregistr�s sur la voie de l'Europe de l'armement et les premi�res r�alisations ont �t� le fait des industriels du secteur de la d�fense, soucieux de mettre en place des groupes d'une taille suffisante pour affronter la concurrence mondiale. A cet �gard, la cr�ation de deux groupes europ�ens dans le domaine de l'industrie a�rospatiale - BAE Systems et EADS - est une novation, et il convient de souligner la singularit� des industries d'armement o� les int�r�ts nationaux demeurent tr�s puissants et o� se combinent la concurrence et le partenariat. Ainsi, les coop�rations europ�ennes, voire une certaine forme d'int�gration avec le projet d'avion de transport militaire A 400 M, se sont inscrites dans le cadre d'une politique d'int�gration transatlantique croissante. Cette tendance se renforcera sans doute � la faveur de l'augmentation du budget de la d�fense des Etats-Unis car le march� am�ricain, qui repr�sente 55 % du march� a�rospatial mondial, est incontournable pour les groupes europ�ens.
+La cr�ation, le 17 janvier 2002, de l'Organisation conjointe pour la coop�ration en mati�re d'armement (OCCAR) peut �tre consid�r�e comme l'amorce d'un processus tendant � cr�er un march� europ�en de l'armement, � rationaliser la pratique de la coop�ration et � r�duire les co�ts des programmes. Les quatre membres fondateurs - Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni - repr�sentent � eux seuls 90 % de la production europ�enne d'armements et l'OCCAR g�re d�j� sept programmes d'un montant de 800 millions d'euros, auquel pourrait s'ajouter la commande de l'avion de transport militaire Airbus repr�sentant quelque 18 milliards d'euros. Par ailleurs, la France a propos� d'inscrire des projets de R&T dans le cadre d'une strat�gie europ�enne coh�rente dans le domaine des avions de combat futurs. Cette initiative faisait suite � l'adoption, en juillet 2000, par six pays europ�ens - Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Su�de -, d'un accord-cadre en vue de favoriser les progr�s de l'Europe de l'armement. Elle a abouti � la signature, le 19 novembre 2001, d'une d�claration qui autorise le lancement d'une �tude conjointe visant � d�terminer les capacit�s militaires requises � l'horizon 2020 et � identifier les syst�mes et les technologies correspondant � ces besoins. Elle invite �galement � un regroupement des forces financi�res et industrielles concern�es par ces projets. Ce programme de R&T ambitieux, baptis� European Technology Acquisition Program (ETAP), a �t� ent�rin� par les autorit�s comp�tentes des six Etats participants.
+Enfin, des suggestions ont �t� faites pour rem�dier aux d�ficits technologiques de l'UE, l'objectif �tant le maintien d'une base technologique sur l'ensemble des domaines-clefs de la d�fense ; il ne s'agirait pas de pratiquer le mim�tisme avec les Etats-Unis mais de d�terminer des secteurs prioritaires en fonction des besoins requis par des missions sp�cifiques. La France s'est engag�e dans cette voie et sa d�marche prospective pourrait servir de mod�le � l'Europe, � condition que l'on parvienne � s'entendre sur une politique commune en mati�re de R&T et qu'on soit dispos� � y affecter des ressources minimales. Ce point de vue est partag� par certains experts allemands qui sont, eux aussi, convaincus que l'Europe est capable de relever le d�fi technologique par une harmonisation des politiques europ�ennes d'acquisition des armements dans le cadre de l'initiative des capacit�s de d�fense adopt�e par le Conseil atlantique de Washington en avril 1999. L'adoption � Prague, en novembre 2002, d'un programme de d�veloppement des capacit�s militaires (Prague Capabilities Commitment) et la cr�ation d'une force de r�action de l'OTAN (NATO Response Force), susceptible de mener d�s le 1er octobre 2004 des combats de haute intensit� sur des th��tres lointains, pourraient acc�l�rer le processus de modernisation des forces de r�action europ�ennes et am�liorer leur interop�rabilit� avec les forces am�ricaines. En tout cas, c'est en empruntant cette voie que le nouveau commandant des forces alli�es en Europe, le g�n�ral James Jones, esp�re r�tablir le cr�dit de l'Alliance et cr�er les conditions d'un rapprochement entre la France et les Etats-Unis.
+Avant m�me que n'�clate la crise de l'Irak et que les Europ�ens ne se divisent sur la mani�re dont les Etats-Unis envisageaient de la r�gler, des doutes avaient surgi sur leur capacit� de mettre en oeuvre une politique de s�curit� et de d�fense coh�rente. Certes, les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze avaient affirm�, � l'issue du Conseil europ�en de Laeken (15 d�cembre 2001), que " l'UE est d�sormais capable de conduire des op�rations de gestion de crise " et que le d�veloppement de ses capacit�s lui " permettra d'assumer progressivement des op�rations de plus en plus complexes ". Mais, dans le rapport de la pr�sidence, la formulation �tait plus prudente. On y laissait entendre que " l'Union devra �tre capable de conduire, d'ici 2003, l'ensemble des t�ches de Petersberg " tout en reconnaissant que des efforts suppl�mentaires devront �tre faits pour " conduire de fa�on optimale les op�rations les plus complexes ". Au plan des capacit�s civiles, la situation �tait plus satisfaisante dans la mesure o� les Etats avaient confirm� leurs engagements de fournir jusqu'� 5 000 policiers pour la mise en oeuvre du plan d'action de police adopt� � G�teborg en juin 2001. En tout cas, au d�but de l'ann�e 2002, le ton n'�tait pas � l'optimisme et le g�n�ral finlandais Gustav H�gglund, pr�sident du CMUE, a �mis des doutes sur l'op�rationnalit� de la PESD lors d'une d�position devant la commission des Affaires �trang�res et de la D�fense du Parlement europ�en. Selon lui, l'UE disposait � cette date de 90 % des capacit�s correspondant � l'objectif global (headline goal) ; mais il lui serait difficile de mener des op�rations de type militaire dans le cadre des missions de Petersberg. En d�pit des progr�s accomplis, dix ans s'�couleraient avant que certaines lacunes soient combl�es, notamment dans le transport des troupes puisque l'Airbus A400 M ne sera disponible qu'entre 2008 et 2011, dans la meilleure des hypoth�ses. Il est �galement convenu que des d�ficits importants se situaient au plan du renseignement et qu'on ne pouvait envoyer des soldats dans un environnement hostile si l'on ne disposait pas d'informations fiables. Enfin, il a abond� dans le sens de la vice-pr�sidente du Parlement, Catherine Lalumi�re, qui avait d�plor� une certaine confusion dans la r�partition des t�ches entre le CMUE, le COPS et le secr�taire g�n�ral et mis en cause le " flottement " de la cha�ne de commandement.
+Ce jugement s�v�re a �t� corrobor� par les ministres de la D�fense des Quinze lors d'une r�union informelle qui s'est tenue � Saragosse, les 22 et 23 mars 2002. Au terme d'un examen sans complaisance de la situation existante, ils ont constat� que le plan d'action europ�en pour le renforcement des capacit�s militaires (ECAP) n'avait pas �t� appliqu� avec rigueur et que les lacunes identifi�es l'ann�e pr�c�dente restaient b�antes. A moins d'une augmentation des budgets militaires, l'objectif global ne serait pas atteint � la date convenue et la PESD ne serait pleinement op�rationnelle qu'en 2012. Certes, un accord est intervenu � Saragosse sur le financement du futur Airbus militaire, mais toutes les incertitudes relatives � ce projet ne sont pas lev�es et un rapport interne du Conseil constate qu'on ne progresse gu�re sur la voie d'une v�ritable politique de l'armement, qui rel�ve largement du domaine de la rh�torique ou de l'utopie. Dans ce contexte, la proposition du ministre espagnol Federico Trillo d'�tendre la comp�tence de la PESD � la lutte contre le terrorisme pratiqu� avec des armes de destruction massive ne pouvait avoir qu'une valeur symbolique. Au demeurant, les ministres se sont born�s � renvoyer la question � un groupe d'�tudes et � recommander une coop�ration plus �troite entre les services de renseignements et d'observation a�rienne. Quant au secr�taire g�n�ral de l'OTAN et au Haut Repr�sentant de l'UE pour la PESC, ils ont particip� � cette r�union et renouvel� leurs admonestations sur l'insuffisance des cr�dits militaires par rapport aux ambitions affich�es par l'UE.
+C'est pour faire sortir le d�bat de l'impasse et d�montrer la capacit� de l'UE d'agir dans des cas concrets que Javier Solana a propos� de lui confier la gestion de la force de police internationale (International Police Task Force ou IPTF), d�ploy�e en Bosnie sous l'�gide des Nations unies, et dont le mandat expire � la fin de l'ann�e 2002. Parmi les missions de l'UE li�es � la gestion des crises figure notamment la formation et l'appui des forces charg�es du maintien de l'ordre dans les zones en cours de pacification et le Haut Repr�sentant pour la PESC a jug� que les circonstances �taient propices pour mettre � l'�preuve la PESD qui, jusqu'alors, se bornait � cr�er des institutions et se complaisait dans des d�bats th�oriques ou des exercices d'�tat-major. D�sormais, on enverrait sur le terrain pr�s de 500 policiers pour consolider les acquis de Dayton et accompagner les r�formes de la police et de la justice en Bosnie. L'entreprise n'�tait pas sans risques car des tensions, voire des affrontements, pouvaient surgir � l'occasion des �lections d'octobre 2002, de la d�gradation de la situation �conomique et de la lutte contre la criminalit� organis�e. Apr�s l'examen du dossier par les ministres des Affaires �trang�res, cette mission a obtenu en mars 2002 l'aval du " Conseil pour l'imposition de la paix " (Peace Implementation Council ou PIC) en Bosnie et du Conseil de s�curit� des Nations unies. Il s'agira essentiellement d'une mission de conseil, de surveillance et d'inspection des cadres sup�rieurs et moyens des forces de police locales ; les fonctions ex�cutives exerc�es partiellement par l'International Police Task Force (IPTF) n'incomberont pas � l'UE, et pas davantage la cr�ation d'unit�s arm�es pour le maintien de l'ordre qui rel�vera toujours de la Stabilization Force in Bosnia and Herzegovina (SFOR). On �value � pr�s de 14 millions d'euros le co�t de la mise en place de cette mission de police et, � partir du 1er janvier 2003, ses d�penses de fonctionnement s'�l�veront annuellement � 38 millions d'euros. Le 15 janvier 2003, la mission de police europ�enne est entr�e en fonction pour une dur�e de trois ans ; elle est plac�e sous l'autorit� du Haut Repr�sentant de l'ONU pour la Bosnie-Herz�govine, Paddy Ashdown, et sous la direction op�rationnelle du commissaire de police danois, M. Frederiksen. L'UE d�montrait ainsi pour la premi�re fois qu'elle �tait pr�te � s'engager activement sur le terrain et � associer � sa d�marche non seulement des pays candidats mais encore des Etats ext�rieurs comme la Russie, le Canada et la Suisse.
+Javier Solana avait �galement envisag� que l'UE prenne en charge l'op�ration conduite par l'OTAN en Mac�doine et baptis�e " Renard roux " (Amber Fox). Il s'agissait d'une mission temporaire qui avait �t� d�cid�e en septembre 2001 � la suite du d�sarmement des milices albanaises (Essential Harvest) et qui avait pour objet de garantir la s�curit� des observateurs de l'UE et de l'OSCE charg�s de superviser la paix d'Ohrid et de veiller au retour de l'ordre public dans les localit�s � majorit� albanophone. Le mandat de cette mission qui mobilisait 700 hommes, pour la plupart europ�ens - les principaux contingents �taient fournis par l'Italie, la France et l'Allemagne -, avait �t� reconduit � plusieurs reprises � la demande des autorit�s de Skopje. Le Conseil europ�en de Barcelone (15 - 16 mars 2002) avait approuv� la rel�ve de l'OTAN par l'UE mais, comme l'op�ration Amber Fox s'articulait aux activit�s de la Kosovo Force (KFOR), il fut entendu qu'elle serait conduite en liaison �troite avec l'Alliance et sous le commandement de l'adjoint du SACEUR, qui �tait alternativement un g�n�ral allemand ou britannique. L'op�ration de maintien de la paix en Mac�doine, rebaptis�e " Concordia ", a �t� prise en charge par l'UE le 31 mars 2003 ; elle est de dimension modeste puisqu'elle ne mobilise que 345 hommes, plac�s sous le commandement supr�me de l'adjoint au SACEUR et sous le commandement op�ratif d'un g�n�ral fran�ais ; enfin, la continuit� l'emporte sur le changement puisque l'OTAN et l'UE agissent en partenaires et que leur coop�ration �troite est consid�r�e comme la condition du succ�s d'une politique de stabilisation dans les Balkans. Le m�me mod�le pourrait s'appliquer � la rel�ve de la SFOR et la France et le Royaume-Uni ont d'ores et d�j� fait des propositions � cet effet. Si cette initiative se concr�tisait, elle constituerait la premi�re manifestation militairement significative de la PESD puisqu'il ne s'agirait plus seulement de d�ployer quelques centaines d'hommes mais de prendre en charge une force de 12 000 hommes, et le succ�s de cette mission " renforcerait la cr�dibilit� de l'Union dans la r�gion et au-del� ".
+La mutation du syst�me international provoqu�e par l'effondrement de l'ordre bipolaire a fait prendre conscience aux Europ�ens de la n�cessit� de s'impliquer davantage dans l'organisation de leur s�curit�. Mais elle a �galement mis en �vidence la difficult� qu'ils �prouvent � s'affirmer comme une puissance politique et militaire sur la sc�ne mondiale. Les obstacles qui emp�chent la mise en oeuvre d'une authentique PESD n'ont pas �t� surmont�s et, de l'aveu m�me des porte-parole autoris�s de l'UE, le bilan de ce qui avait �t� accompli au d�but de l'ann�e 2002 a �t� jug� d�cevant. On a privil�gi� une approche institutionnelle pour masquer l'absence d'une volont� politique ferme et les ressources financi�res affect�es � la r�alisation du headline goal restent manifestement insuffisantes. Les attentats du 11 septembre 2001 auraient pu provoquer un sursaut mais les ministres de la D�fense n'en ont pas tir� les cons�quences lors de la conf�rence sur l'am�lioration des capacit�s militaires qui s'est tenue � Bruxelles deux mois plus tard. Cette n�gligence est d'autant plus f�cheuse que le Conseil europ�en de Laeken a pris acte de la dimension mondiale du terrorisme et assign� � l'UE le r�le d'une " puissance qui part r�solument en guerre contre toute violence, toute terreur, tout fanatisme, mais qui ne ferme pas les yeux sur les injustices criantes qui existent dans le monde et (...) veut ancrer la mondialisation dans la solidarit� et le d�veloppement durable ". Certes, l'Europe a d'ores et d�j� apport� sa contribution sp�cifique � la lutte contre le terrorisme gr�ce � la vari�t� des instruments dont elle dispose au plan de l'infiltration des r�seaux et du tarissement de leurs sources de financement. Toutefois, elle ne pourra soutenir l'ambition qu'elle affiche dans ce domaine que si elle est pr�te � en payer le prix et � se doter des capacit�s civiles et militaires lui permettant de s'affirmer comme un acteur strat�gique � part enti�re.
+A cet �gard, la crise provoqu�e par la guerre contre l'Irak pourrait avoir des effets b�n�fiques et servir d'aiguillon au d�veloppement de la PESD. Ainsi, le processus de la coop�ration entre Europ�ens en mati�re de d�fense n'a pas �t� interrompu et le dialogue s'est poursuivi entre le Royaume-Uni et la France en d�pit de leurs divergences sur l'interpr�tation de la r�solution 1441 du Conseil de s�curit� et sur le bien-fond� d'une action arm�e pour renverser le r�gime de Saddam Hussein. Le 4 f�vrier 2003 s'est tenu au Touquet le 25e sommet franco-britannique et, � l'issue de cette rencontre, les deux parties ont annonc� qu'elles prendraient des mesures pour accro�tre l'interop�rabilit� de leurs groupes a�ronavals et favoriser la cr�ation d'une Agence intergouvernementale de d�veloppement et d'acquisition des " capacit�s n�cessaires pour les missions actuelles et futures de la PESD ". Les autres membres de l'UE �taient invit�s � se joindre � eux pour am�liorer les capacit�s de r�action rapide et promouvoir le " principe de solidarit� et d'assistance mutuelle face aux risques de toute nature et notamment du terrorisme ". Ult�rieurement, les dirigeants fran�ais et anglais ont multipli� les d�clarations conciliantes et soulign� les convergences de leurs politiques en ce qui concerne le r�le des Nations unies dans l'administration de l'Irak, la relance des n�gociations en vue d'un r�glement de paix isra�lo-palestinien et la construction d'une Europe de la d�fense. De part et d'autre, on souhaitait surmonter les difficult�s actuelles et retrouver la voie de l'unit� europ�enne et de la r�affirmation de la solidarit� atlantique.
+Depuis la victoire des forces de la coalition en Irak, l'UE tente de d�finir une position commune sur le r�le qui incomberait aux organisations internationales dans l'administration et la reconstruction du pays, mais la d�claration adopt�e au sommet d'Ath�nes (16 - 17 avril 2003) se borne � �noncer des principes et il s'agit de la compl�ter par un document plus substantiel. La pr�sidence et la Commission ont fait des propositions � cet effet aux ministres des Affaires �trang�res lors de leur r�union informelle � Rhodes et Castellorizo (2 - 3 mai 2003), et il appartiendra au Conseil europ�en de Salonique (25 juin) de se prononcer en la mati�re. Par ailleurs, le Haut Repr�sentant pour la PESC, Javier Solana, a �t� charg� de r�diger un document sur la " doctrine strat�gique " de l'Union, qui serait fond� sur une analyse compr�hensive des menaces et pr�voirait des actions communes avec les Etats-Unis pour lutter contre la faim, la pauvret� et le sous-d�veloppement, mais aussi pour conjurer les risques li�s � la diss�mination des armes de destruction massive. Enfin, les quatre Etats hostiles � l'intervention arm�e contre l'Irak - l'Allemagne, la Belgique, la France et le Luxembourg - ont pr�sent� les conclusions de la conf�rence de Bruxelles du 29 avril, qui avait pour objet la relance de la d�fense europ�enne. Ils ont soulign� le caract�re ouvert de leur d�marche et rappel� qu'elle visait la cr�ation d'un " pilier europ�en au sein de l'OTAN ". La plupart des mesures pr�conis�es tendaient � favoriser la " coop�ration renforc�e entre les Etats qui sont pr�ts � aller plus rapidement et plus loin en direction d'une Union europ�enne de s�curit� et de d�fense ". Sept initiatives concr�tes seraient mises en oeuvre pour renforcer " l'efficacit� des capacit�s militaires et �viter les duplications inutiles par le rapprochement des outils de d�fense nationaux ". L'objectif poursuivi �tait de garantir l'interop�rabilit� des forces qui pouvaient �tre engag�es aussi bien pour des op�rations europ�ennes et des op�rations de l'OTAN que pour des op�rations conduites par l'UE pour le compte de l'ONU. Aux yeux des quatre, " le partenariat atlantique demeurait une priorit� strat�gique fondamentale pour l'Europe " et les divergences de vues apparues pendant la guerre contre l'Irak ne devraient pas affecter durablement la qualit� des relations transatlantiques. Il reste � se demander si les Etats-Unis partagent ces vues et consentiront � une r�partition des t�ches entre partenaires �gaux au sein d'une Alliance r�nov�e et capable de relever collectivement les d�fis du XXIe si�cle.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Politique �trang�re 3/2001
+Tandis que le processus de mondialisation semble gagner � la fois en force et en ampleur dans l'ensemble des pays industrialis�s et la quasi-totalit� des pays en d�veloppement, le d�bat d�mocratique en a fait l'un de ses enjeux principaux, sans que les opinions publiques soient toujours �cout�es ou m�me entendues en la mati�re. C'est ainsi qu'en France comme aux �tats-Unis, de r�cents sondages d'opinion montrent qu'un m�me clivage existe entre une certaine �lite dirigeante, globalement favorable � la mondialisation, et l'ensemble des citoyens, dont la perception est, sinon toujours n�gative, du moins beaucoup plus nuanc�e. Par ailleurs, un autre clivage se dessine au sein de ce groupe entre les cat�gories relativement favoris�es et les cat�gories relativement d�favoris�es. Et la mondialisation, si elle n'est pas la cause de tous les maux dont souffrent celles-ci, cristallise une large part de leurs frustrations, nourrissant la crise de la d�mocratie repr�sentative qui s'affirme de fa�on larv�e dans les pays industrialis�s.
+L'acc�l�ration du processus de mondialisation depuis la fin de la guerre froide, li�e en particulier � l'ouverture �conomique et � la lib�ralisation des �changes dans la plupart des r�gions du globe ainsi qu'� la diffusion des nouvelles technologies de l'information, notamment d'Internet, est devenue l'un des principaux enjeux du d�bat d�mocratique dans un grand nombre de pays. Ce d�bat est influenc� par l'�mergence de mouvements contestataires qui d�noncent ce processus avec vigueur, en particulier lors de r�unions d'institutions internationales ou r�gionales, voire de rencontres plus informelles comme le Forum �conomique mondial de Davos, cens�es symboliser la mondialisation.
+Cependant, ce d�bat entre " pro " et " anti " appara�t souvent manich�en et simplificateur, et surtout frustrant. En effet, les " anti " affirment �tre les repr�sentants d'une opinion de plus en plus pr�occup�e par ce qu'ils consid�rent �tre les effets n�gatifs de la mondialisation. Les " pro ", plus ou moins enthousiastes, tendent � nier la l�gitimit� et la repr�sentativit� de ces groupes � parler au nom de cette opinion en expliquant notamment que la repr�sentation l�gitime est d'abord politique. C'est notamment la position du premier ministre Lionel Jospin. Chaque camp tend donc � s'exprimer au nom d'une hypoth�tique opinion publique sur le th�me de la mondialisation. Qu'en est-il au juste ?
+L'objet de cet article n'est pas de trancher le d�bat sur l'existence ou non d'une opinion publique, ni de proposer une repr�sentation exacte de ce que les Am�ricains et les Fran�ais pensent de la mondialisation. Il vise plut�t � �valuer les perceptions de la mondialisation aux �tats-Unis et en France en s'appuyant principalement sur une interpr�tation des grandes tendances r�v�l�es par les sondages d'opinion effectu�s dans ces pays sur le th�me de la mondialisation ou certains de ses aspects. Les donn�es pour les �tats-Unis sont r�pertori�es dans deux �tudes men�es par des chercheurs de l'Institute for International Economics (IIE), Kenneth F. Scheve et Matthew J. Slaughter, et par un centre de recherche sp�cialis� dans les �tudes d'opinion, le Program on International Policy Attitudes (PIPA). Il n'existe pas d'�tude similaire pour la France. Les r�sultats pr�sent�s ici s'appuient donc sur l'interpr�tation de nombreux sondages sur la mondialisation r�alis�s dans ce pays.
+Or, l'analyse des nombreuses enqu�tes d'opinion men�es par les instituts de sondage aux �tats-Unis et en France sur le th�me de la mondialisation permet d'aboutir � trois conclusions : d'abord, ce processus fait l'objet de v�ritables pr�occupations ; on observe �galement un clivage de plus en plus net entre les �lites et l'opinion, en particulier sur ce sujet ; enfin, une " dualisation " des perceptions appara�t au sein des soci�t�s sur le th�me plus g�n�ral de l'ouverture avec une cat�gorie relativement importante en nombre qui se sent de plus en plus exclue �conomiquement, culturellement et politiquement.
+En apparence, les �tats-Unis et la France semblent repr�senter les p�les oppos�s de la perception du processus actuel de mondialisation au sein des pays industrialis�s. La France est souvent d�crite comme le pays de la contestation de la mondialisation, le pays de Jos� Bov�, d'ATTAC (l'Association pour une taxation des transactions financi�res pour l'aide aux citoyens) et de l'exception culturelle, et celui dont le gouvernement est le seul � avoir envoy� des ministres au Forum social mondial alternatif de Porto Alegre, en janvier 2001. Les �tats-Unis apparaissent, au contraire, comme l'embl�me de la mondialisation, le pays de McDonald's, de Coca-Cola, d'Hollywood, de Microsoft, de Wall Street, des fonds de pension, du capitalisme d�brid� et des in�galit�s criantes. Pourtant, la r�alit� est beaucoup plus complexe : les Fran�ais ne sont pas des " globalophobes " et les Am�ricains ne sont pas des partisans enthousiastes de la mondialisation.
+D'un certain point de vue, cette vision des �tats-Unis et de la France face � la mondialisation contient une part de v�rit�. Tout d'abord, il faut noter que ce ph�nom�ne est vu de mani�re diff�rente dans les deux pays. Aux �tats-Unis, la mondialisation est plut�t appr�hend�e sous l'angle de la lib�ralisation des �changes, les �tudes men�es par les instituts de sondage tendant � se focaliser sur ce th�me. En France, la mondialisation est davantage per�ue dans sa dimension financi�re - la lib�ralisation des mouvements de capitaux, le r�le des fonds de pension et d'investissement dans le financement des entreprises, la corporate governance et le r�le des actionnaires dans le fonctionnement de celles-ci - et dans ses effets sur l'identit� nationale et culturelle. Les questions relatives � la mondialisation dans les sondages fran�ais tendent donc plut�t � traiter de ces enjeux.
+En outre, les perceptions de part et d'autre de l'Atlantique divergent sur un certain nombre de th�mes �troitement associ�s � la mondialisation, sur la base de diff�rences de culture politique et �conomique assez nettes. Ce qui est consid�r� comme allant de soi par les uns -la fonction des march�s financiers et des actionnaires pour les Am�ricains, le r�le de l'�tat, les exceptions culturelle et agricole pour les Fran�ais - est per�u comme une incongruit� par les autres. La diff�rence la plus notable entre les deux pays, visible aussi dans les r�sultats des sondages, concerne le r�le respectif de l'�tat et des entreprises. Les Am�ricains tendent, en effet, � rejeter ce qu'ils appellent le big government, � savoir un �tat f�d�ral intervenant fortement sur le plan �conomique et social, tandis que l'influence des entreprises (big business) ne semble pas �tre le support d'une inqui�tude particuli�re. En France, au contraire, ce sont les entreprises et les march�s financiers qui font l'objet d'une suspicion, tandis que l'�tat est vu comme un �l�ment protecteur et r�gulateur.
+Cependant, au-del� de ces perceptions diff�renci�es entre les deux pays, les enqu�tes men�es aux �tats-Unis et en France tendent � montrer une vision concordante sur trois types de r�actions � la mondialisation : l'�valuation du ph�nom�ne, ses cons�quences �conomiques, et ses cons�quences sociales et culturelles. L'opinion r�v�l�e par les sondages appara�t extr�mement partag�e sur l'�valuation g�n�rale de la mondialisation ou de certaines de ses dimensions. Elle est plut�t positive en ce qui concerne les cons�quences �conomiques globales du processus. En revanche, elle est plut�t n�gative � propos de ses effets sociaux.
+Les opinions telles qu'elles se dessinent dans les sondages de part et d'autre de l'Atlantique apparaissent relativement divis�es quant � l'�valuation de la mondialisation au sens g�n�ral du terme. Ainsi, en ce qui concerne l'Alena, symbole de ce processus aux �tats-Unis, entre 40 % et 45 % des personnes interrog�es ces derni�res ann�es dans divers sondages pensent qu'il s'agit d'une bonne chose pour le pays, tandis que 30 % � 35 % soutiennent le contraire. En France, diff�rentes enqu�tes tendent �galement � montrer un point de vue tr�s partag� sur le sentiment qu'inspire le terme m�me de mondialisation, ind�pendamment de ses cons�quences �conomiques ou sociales : par exemple, un sondage Ipsos de mai 2000 indique que 48 % des personnes interrog�es estiment qu'il s'agit de quelque chose de positif, contre 47 % qui ont une opinion inverse.
+Aux �tats-Unis comme en France, les personnes sond�es tendent tout de m�me � consid�rer la mondialisation comme un ph�nom�ne positif pour l'�conomie dans son ensemble. Outre-Atlantique, celle-ci est globalement per�ue comme ayant des effets positifs pour le pays, les entreprises et les cat�gories ais�es de la population. Une majorit� d'Am�ricains interrog�s reconna�t les b�n�fices d'une lib�ralisation des �changes, notamment en termes de prix, de concurrence ou de croissance �conomique, et souhaite que le gouvernement des �tats-Unis favorise la promotion de la mondialisation ou des �changes internationaux de mani�re active ou, au moins, n'en entrave pas le cours actuel. Ils s'opposent donc majoritairement � toute forme de protectionnisme. Cette perception favorable du libre-�change semble �tre constante aux �tats-Unis. Les chiffres de 1994, en plein d�bat sur l'Alena et sur le GATT, donnent des r�sultats identiques. Un sondage r�alis� par Gallup en 1953 montrait d�j� qu'� l'�poque, 54 % des Am�ricains interrog�s soutenaient une politique de libre-�change.
+En France, la mondialisation est per�ue majoritairement comme un facteur positif pour le pays, favorisant la croissance de l'�conomie fran�aise et la comp�titivit� des entreprises. Par exemple, un sondage r�alis� en 1998 montrait que 58 % des personnes interrog�es consid�raient la mondialisation comme un �l�ment positif pour le pays et 59 % pour la comp�titivit� des entreprises. En septembre 1999, c'est-�-dire en pleine " affaire Michelin ", 57 % des personnes interrog�es pensaient tout de m�me que la mondialisation favorisait la croissance de l'�conomie fran�aise. Les sondages montrent cependant qu'Am�ricains et Fran�ais sont une majorit� � avoir une vision n�gative des cons�quences sociales de la mondialisation, tant sur l'�volution de l'emploi, des salaires ou des in�galit�s de revenus. Les personnes interrog�es tendent �galement � consid�rer que ses effets n�gatifs d�passent ses effets positifs, notamment pour les salari�s.
+Les Am�ricains sond�s soulignent majoritairement les cons�quences n�gatives de la mondialisation et de la lib�ralisation des �changes sur l'�volution de l'emploi, des salaires, des in�galit�s, et donc sur la situation des salari�s en g�n�ral. Pour un grand nombre d'entre eux, la mondialisation n'a pas vraiment d'effets positifs pour eux-m�mes et pour les salari�s en g�n�ral. Ainsi, 52 % des personnes interrog�es affirment que l'�conomie globale sera pr�judiciable pour l'Am�ricain moyen, tandis que 43 % pensent qu'elle lui sera b�n�fique. Les r�sultats sont du m�me ordre en ce qui concerne leur perception des cons�quences de la croissance des �changes internationaux. Si 61 % d'entre eux affirment que celle-ci est positive pour les entreprises am�ricaines, ils sont seulement 31 % � pr�tendre que c'est le cas pour eux-m�mes et 25 % pour les salari�s. De m�me, 56 % des personnes interrog�es pensent que cette croissance a accru les in�galit�s entre riches et pauvres aux �tats-Unis. Les Am�ricains interrog�s tendent, en outre, � exprimer une m�fiance particuli�re envers les accords commerciaux sign�s par les �tats-Unis avec des pays � bas salaires, en particulier l'Alena avec le Mexique. Au total, une courte majorit� des Am�ricains interrog�s par les instituts de sondage pense que l'�volution des �changes n'a pas de b�n�fices nets notables, et que les avantages en termes de prix ou de croissance ne compensent pas les pertes d'emploi. Globalement, ceux-ci pr�f�rent donc majoritairement s'opposer � toute lib�ralisation suppl�mentaire des �changes, des investissements et de l'immigration.
+En France, un sondage r�alis� en 1999 montrait que la mondialisation �conomique et financi�re y �tait per�ue comme une source d'aggravation des in�galit�s sociales (65 %) et une menace pour l'identit� fran�aise (56 %). Dans un sondage plus ancien, 72 % des personnes interrog�es s'estimaient �tre personnellement m�fiantes face � ce processus en raison de ses cons�quences sur la situation des salari�s ou sur le syst�me de protection sociale. Pour les Fran�ais sond�s, la mondialisation a �galement des cons�quences in�gales sur les cat�gories sociales. De leur point de vue, elle semble favoriser les chefs d'entreprise (63 %), les cadres sup�rieurs (66 %) et surtout les actionnaires (69 %), d�montrant ainsi la forte dimension financi�re associ�e � la mondialisation en France, et constituer une menace pour les salari�s (60 %), les ouvriers et les employ�s (64 %) ainsi que les agriculteurs (79 %).
+La m�fiance des individus � l'�gard des gouvernants, des experts ou plus largement des �lites dirigeantes est un ph�nom�ne largement connu et mesurable, tant dans les r�ponses donn�es dans les sondages que lors de consultations �lectorales � travers un vote protestataire ou l'abstention. Or, le th�me de la mondialisation semble aggraver celle-ci en suscitant et, surtout, en approfondissant au sein des soci�t�s des sentiments d'ins�curit�, d'incompr�hension, de d�possession et d'impuissance. En effet, les quelques enqu�tes mettant en parall�le le point de vue des �lites ou des experts et celui du public montrent qu'il existe un net d�calage entre leurs perceptions, leurs pr�occupations et leurs priorit�s � propos de la mondialisation. L'�lite, repr�sent�e par exemple par des leaders d'opinion, semble en avoir une vision tr�s positive, bien meilleure que l'ensemble de l'opinion.
+Ainsi, dans le rapport relatif � l'opinion publique am�ricaine sur la politique �trang�re, publi� tous les quatre ans par le Chicago Council on Foreign Relations, une distinction est r�alis�e entre le public et des �lites dirigeantes, qui sont des personnes occupant des positions importantes et ayant une connaissance des affaires internationales. Or, en ce qui concerne la mondialisation, le rapport de 1999 indique que 87 % des �lites dirigeantes consid�rent ce ph�nom�ne comme une bonne chose pour les �tats-Unis, contre 54 % pour l'opinion ; 12 % seulement des premiers pensent qu'il s'agit d'une mauvaise chose, contre 20 % pour les seconds.
+Le d�calage r�side bien entendu dans le fait qu'une grande partie du public se sent directement affect�e ou menac�e par certains des effets attribu�s � la mondialisation, alors que les experts tendent plut�t � en nier l'existence. La divergence d'opinion la plus notable de ce point de vue concerne naturellement les cons�quences sur l'emploi. Un sondage de 1996 montrait ainsi des visions totalement oppos�es sur ce th�me entre �conomistes et opinion outre-Atlantique. Celui-ci portait sur le sujet tr�s sensible de la perception des cons�quences des accords commerciaux entre les �tats-Unis et les autres pays en mati�re de cr�ation ou de destruction d'emplois. 54 % des personnes interrog�es affirmaient que ces accords avaient d�truit des emplois, les �conomistes interrog�s �tant seulement 5 % � suivre cette analyse ; 17 % des premi�res pensaient qu'ils avaient favoris� une cr�ation d'emplois, contre 50 % des seconds ; enfin 27 % des premi�res, contre 42 % des seconds, soutenaient que ces accords n'avaient pas r�ellement de cons�quences en mati�re d'emploi.
+Enfin, sur la base de ces pr�occupations diff�rentes, les priorit�s des �lites et du reste de la population ne semblent pas �tre r�ellement convergentes. Dans l'enqu�te men�e par le Chicago Council on Foreign Relations, la protection de l'emploi des salari�s am�ricains figure, aux c�t�s de la lutte contre la prolif�ration des armes nucl�aires, le trafic de drogue et le terrorisme international, parmi les quatre objectifs fondamentaux donn�s par le public � la politique �trang�re am�ricaine. 80 % des Am�ricains " moyens " interrog�s estiment qu'il s'agit l� d'un objectif tr�s important pour la politique am�ricaine. Ils le classent m�me au troisi�me rang des priorit�s. Quant aux leaders interrog�s, ils ne sont que 45 % � partager ce point de vue et le classent au neuvi�me rang des priorit�s. Ce clivage est peut-�tre l'�l�ment le plus inqui�tant pour l'avenir des soci�t�s du monde indus-trialis�. Les r�actions aux annonces de suppressions d'emploi par des entreprises b�n�ficiaires et l'incompr�hension dont celles-ci font l'objet est l'exemple m�me de cette divergence actuelle de priorit�s entre salari�s et dirigeants d'entreprises ou investisseurs, voire entre citoyens et gouvernants.
+Bien entendu, ces divergences de perceptions proviennent en grande partie d'une diff�rence d'expertise mais aussi d'acc�s � l'information et de compr�hension de celle-ci. Ainsi, dans le sondage publi� dans le rapport du Chicago Council on Foreign Relations sur la perception de la mondialisation, le taux de personnes qui ne se prononcent pas est de 11 % pour l'opinion et de 1 % pour les leaders. On peut donc supposer que ces derniers sont mieux inform�s, m�me si la diff�rence n'est pas vraiment nette. Cela ne disqualifie pas pour autant le point de vue du grand public. En l'occurrence, l'enjeu n'est pas de savoir qui a tort ou qui a raison, mais de comprendre les raisons pour lesquelles ce dernier manifeste de telles r�ticences face � la mondialisation et d'essayer de prendre en compte ses sentiments et ses craintes.
+L'ins�curit� �conomique est l'une des cons�quences suppos�es de la mondialisation qui appara�t de la mani�re la plus nette � la lecture des sondages d'opinion, en particulier au sein des cat�gories d�favoris�es. Cette ins�curit� est ressentie notamment en raison des menaces de pertes d'emploi dans des entreprises du secteur industriel conf�rant un certain nombre d'avantages sociaux (existence de syndicats, assurances sant�, etc.), li�es aux d�localisations d'unit�s de production en direction des pays du Sud, par exemple dans les maquiladoras au Mexique pour les entreprises am�ricaines, ou aux menaces de fermeture d'usines, y compris par des entreprises b�n�ficiaires, et ceci souvent au profit d'emplois aux conditions plus pr�caires dans le secteur des services. Elle affecte tout particuli�rement les salari�s les moins qualifi�s et les plus �g�s. Ce th�me a �t� largement d�battu, notamment sur la base d'un article publi� par Ethan Kapstein sur le sort des salari�s dans l'�conomie mondiale.
+Plus fondamentalement, on assiste � une sorte de rupture d'" un contrat social non �crit " qui caract�risait la d�mocratie industrielle par lequel " de grandes institutions - les grandes entreprises, les syndicats, l'�tat - offraient une s�curit� (aux individus) (...) en �change de leur all�geance. Les individus faisaient confiance � ces grandes organisations pour assurer leur bien-�tre �conomique et personnel par la r�gulation (fine tuning) de l'�conomie, l'accroissement du niveau de vie, la protection de la sant� et de la dignit� des salari�s, la r�glementation des entreprises dans l'int�r�t du public ". Aujourd'hui, notamment dans le sillage de la mondialisation, ce n'est plus le cas, et ce sont en particulier les travailleurs non qualifi�s qui sont les plus touch�s par cette rupture du " contrat " de s�curit�.
+Un sondage publi� aux �tats-Unis semble �tre tr�s r�v�lateur de ce sentiment d'ins�curit�. Il montre qu'une majorit� d'Am�ricains consid�rent que la cr�ation d'emplois bien r�mun�r�s li�e � la lib�ralisation des �changes ne compense pas les difficult�s rencontr�es par ceux qui ont perdu leur emploi. 56 % des personnes interrog�es sont ainsi d'accord avec la proposition suivante : " M�me si les emplois cr��s par la lib�ralisation des �changes ont des r�mun�rations �lev�es, cela ne compense pas malgr� tout les difficult�s des personnes ayant perdu leur emploi. " En revanche, 40 % sont d'accord avec la proposition selon laquelle " c'est mieux d'avoir des emplois bien r�mun�r�s, et (que) les personnes ayant perdu leur emploi peuvent en trouver d'autres ". M�me si le nombre de personnes ayant choisi la seconde proposition est relativement important (et sans doute plus �lev� que ce que l'on pourrait imaginer en France, par exemple), on pressent bien leur inqui�tude et leur crainte de ne pas retrouver un emploi aussi bien r�mun�r� et b�n�ficiant d'avantages sociaux comme dans l'industrie.
+Les difficult�s des instances repr�sentatives traditionnelles ou des gouvernements � r�pondre � ce sentiment d'ins�curit�, aggrav� par le processus de mondialisation, semblent conduire � des sentiments d'incompr�hension et de d�possession qui apparaissent particuli�rement vifs au sein des cat�gories d�favoris�es socialement et culturellement. Ces sentiments se fondent sur l'impression que les principales pr�occupations des individus ne sont pas r�ellement prises en compte, y compris par les mouvements et les gouvernements progressistes, que les grandes d�cisions se font plus ou moins sans leur avis et sans leur aval, et que, d�sormais, l'�tat n'a plus r�ellement la capacit� d'influer sur l'�volution de la mondialisation, notamment face au pouvoir croissant des investisseurs institutionnels, en particulier les fonds de pension, et des entreprises multinationales. Une enqu�te Ipsos r�alis�e en 1999 montre, par exemple, que le sentiment de d�possession est largement r�pandu en Europe : 59 % des Europ�ens interrog�s affirment avoir le sentiment que les changements de la soci�t� se font sans eux. Il est partag� par les personnes interrog�es dans les principaux pays europ�ens, et c'est en France que ces chiffres sont les plus �lev�s : 70 %, contre 27 %, qui soutiennent que les changements se font avec eux.
+Le th�me de la mondialisation semble constituer en la mati�re un facteur aggravant. Les sondages tendent ainsi � indiquer que les individus interrog�s souhaiteraient que leur gouvernement ou les institutions internationales prennent davantage en compte leurs pr�occupations sous la forme d'un respect des normes sociales ou environnementales; mais, parall�lement, ils tendent � ne pas leur faire confiance pour cela et � penser qu'ils prennent plut�t en compte l'int�r�t des grandes entreprises. C'est l'une des critiques les plus avanc�es par les mouvements contestataires de la mondialisation. C'est ce que montre �galement un sondage r�alis� aux �tats-Unis. Les Am�ricains sond�s consid�rent ainsi, � une grande majorit�, que le gouvernement f�d�ral ne prend pas assez en compte leurs propres besoins : 73% d'entre eux pensent que c'est le cas pour ce qui les concerne, 72% pour ce qui concerne les salari�s et 68% pour l'opinion en g�n�ral. En m�me temps, 54% affirment que le gouvernement prend trop en compte l'int�r�t des entreprises multinationales, et 65% pensent que l'int�r�t des entreprises pr�side aux d�cisions de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), plut�t que celui du monde dans son ensemble .
+En outre, les r�sultats relativement serr�s de consultations �lectorales ou de sondages d'opinion sur des th�mes li�s � la mondialisation et � l'ouverture des fronti�res (Maastricht, Alena) ne peuvent bien entendu que frustrer le nombre important de personnes qui se sont oppos�es � ces textes et qui les voient tout de m�me appliqu�s, d'autant plus que celles-ci se situent g�n�ralement dans des cat�gories d�favoris�es de la population.
+Le retentissement de groupes contestataires comme Global Trade Watch aux �tats-Unis ou ATTAC en France semble �tre en grande partie li� � cette volont� de reprendre possession d'une d�mocratie qui serait " ni�e " par l'influence pr�pond�rante des march�s financiers et des multinationales. Le rejet croissant des hommes politiques, des partis et des institutions publiques dans la plupart des pays indus-trialis�s et, en particulier, la mont�e de l'abstention et du vote protestataire dans les cat�gories d�favoris�es constituent autant de sympt�mes de ces sentiments. On sait, par exemple, que dans les ann�es 1990, notamment lors des �lections pr�sidentielles de 1995, les ouvriers fran�ais ont plus largement vot� en faveur des candidats du Front national que de ceux du Parti socialiste.
+Ce sentiment de d�possession conduit enfin � un sentiment d'impuissance, exprim� notamment par les cat�gories les plus vuln�rables de la soci�t�. Il se manifeste, en particulier, par la vision selon laquelle le processus actuel de mondialisation est largement irr�versible et que les individus et l'�tat sont dans l'obligation de s'y conformer. Paradoxalement, ce sentiment semble �tre surtout partag� par ceux qui s'y opposent. Ainsi, aux �tats-Unis, parmi les personnes interrog�es et souhaitant que le processus de mondialisation soit arr�t� ou invers�, 49% affirment que le gouvernement am�ricain n'a pas les capacit�s de le faire. Ce sentiment assez g�n�ralis� semble �tre �galement le corollaire d'une sorte de "discours de l'impuissance", notamment face � la mont�e du ch�mage ou de la criminalit�, qui fut exprim� par les responsables politiques et �conomiques, au moins depuis la crise p�tro-li�re des ann�es 1970; un discours qui mit en exergue les contraintes externes (du choc p�trolier � la comp�tition �conomique mondiale en passant par l'�volution du dollar ou de la demande am�ricaine), l'absence de v�ritable alternative aux politiques men�es et, surtout, le manque de sens global attribu� � ces politiques.
+Or, cette d�fiance envers les institutions publiques et les entreprises ne tend plus � se traduire par un retrait dans la sph�re priv�e de la part des individus mais, bien plut�t, par une certaine forme d'engagement collectif, dont les manifestations de Seattle ou de Millau et le succ�s rapide d'un mouvement comme ATTAC ont �t�, dans une certaine mesure, le sympt�me. Ces individus, dont le niveau moyen d'�ducation s'est �lev� et dont l'acc�s � l'information s'est am�lior�, notamment par le biais d'Internet, tendent � exiger de plus en plus de transparence dans le processus de d�cision des principales institutions et des entreprises et d'avoir une influence sur leur prise de d�cision, en particulier sur la base de pr�occupations d'ordre �thique. C'est ce qui explique en partie le succ�s des groupes contestataires de la mondialisation et, plus largement, celui des organisations non gouvernementales.
+Les sondages d'opinion tendent ainsi � montrer qu'en France, les personnes interrog�es attachent de plus en plus d'importance � la vie associative et au r�le des citoyens dans la soci�t�, et qu'ils font confiance en priorit� � ces derniers pour pr�parer l'avenir qu'ils souhaitent. � cet �gard, un sondage CSA de septembre 2000 indique que, parmi les �volutions plut�t positives pour l'avenir, 84 % des personnes interrog�es citent la vie associative, 72 % le d�veloppement d'Internet et 71 % l'intervention des citoyens dans la soci�t�. A contrario, le r�le des hommes politiques au plan national est cit� parmi les �volutions plut�t n�gatives pour l'avenir par 58 % d'entre eux. C'est donc d'abord aux citoyens qu'ils font le plus confiance pour pr�parer un futur conforme � leur vue, devant les chefs d'entreprise (30 %), les �lus (28 %) et les associatifs (23 %).
+Les enqu�tes d'opinion de part et d'autre de l'Atlantique tendent � r�v�ler la division de plus en plus nette des points de vue sur la mondialisation et, plus largement, sur l'ouverture �conomique et culturelle. On observe m�me la formation de deux groupes dont les �l�ments discriminants sont le niveau social et culturel, mais aussi les valeurs.
+Aux �tats-Unis, Kenneth F. Scheve et Matthew J. Slaughter ont montr� que les perceptions des Am�ricains sont partag�es sur les �changes, les investissements directs �trangers (IDE) ou l'immigration, c'est-�-dire sur l'ouverture aux biens, aux capitaux et aux hommes en provenance de l'�tranger. Le facteur discriminant le plus important r�side, selon eux, dans le niveau de qualification des personnes interrog�es qui se d�finit par le niveau d'�ducation et de r�mun�ration, et non, par exemple, dans le fait pour celles-ci de travailler dans des secteurs expos�s � la concurrence internationale ou d'habiter dans une r�gion � forte proportion de population d'origine �trang�re. Sch�matiquement, les individus les moins qualifi�s, se montrent plut�t oppos�s � une ouverture plus grande des fronti�res aux produits, aux capitaux et aux personnes, tandis que les plus qualifi�s s'y montrent plut�t favorables. Ainsi, en ce qui concerne le soutien aux barri�res commerciales, il existerait une diff�rence de 25 � 35 % entre les personnes ayant fr�quent� le syst�me scolaire pendant onze ann�es et celles l'ayant fr�quent� pendant seize ans.
+En France, aucune �tude similaire de cette ampleur n'a �t� entreprise. Cependant, les donn�es accumul�es tendent � corroborer l'analyse des chercheurs am�ricains. Ainsi, le sondage BVA de septembre 1999 sur l'impact de la mondialisation montre que les cat�gories qui y sont favorables sont majoritairement citadines (elles vivent dans des villes de plus de 100 000 habitants et dans la r�gion parisienne), ont un niveau de r�mun�ration relativement �lev� (60 % d'entre elles ont un revenu net mensuel d'au moins 10 000 francs) et sont relativement plus jeunes (71 % ont moins de cinquante ans). Les cat�gories ayant une opinion n�gative de la mondialisation, quant � elles, vivent plut�t dans des communes de petite taille (environ 60 % vivent dans des communes de moins de 100 000 habitants), disposent de revenus relativement faibles (55 % ont un revenu net mensuel de moins de 10000 francs) et sont plut�t �g�es (51 % ont plus de cinquante ans). On peut remarquer que ces r�sultats sont relativement proches de ceux observ�s pr�c�demment sur la construction europ�enne. Le r�f�rendum de Maastricht avait d�j� r�v�l� un net clivage social et culturel : 80 % des cadres sup�rieurs et 61 % des cadres moyens avaient vot� " oui ", contre 63 % des agriculteurs, 61 % des ouvriers et 58 % des employ�s, favorables au " non ". En outre, 70 % des dipl�m�s de l'enseignement sup�rieur et 53 % des titulaires du baccalaur�at avaient approuv� le trait� ; 61 % des dipl�m�s d'un BEPC/CAP et 54 % des sans dipl�mes l'ayant rejet�.
+Les enqu�tes, notamment celles men�es par la Commission (Eurobarom�tre) � l'�chelle europ�enne, soulignent le m�me clivage entre soutien et rejet de l'Europe selon le niveau d'�tudes et de revenu. Ainsi l'Eurobarom�tre publi� en avril 2001 montre-t-il une diff�rence de soutien notable entre les Europ�ens interrog�s ayant quitt� l'�cole � quinze ans (41 %) et ceux ayant arr�t� les �tudes � temps plein � l'�ge de vingt ans ou plus (62 %). Cette diff�rence est du m�me ordre sur le plan social : les cadres sont 63 % � soutenir l'UE, tandis que les travailleurs manuels, les personnes au foyer et les ch�meurs sont seulement 44 %. Les donn�es publi�es depuis le d�but des ann�es 1980 montrent que ces clivages sont plut�t constants. Les r�sultats des sondages sont identiques en France en ce qui concerne le soutien ou le rejet de l'Europe par les Fran�ais.
+En fait, au-del� des th�mes de la mondialisation et de la construction europ�enne, c'est bien la question de l'ouverture �conomique et culturelle du pays, et celle des valeurs que celle-ci v�hicule, qui semble faire l'objet d'opinions contrast�es dans les sondages. Les enqu�tes tendent � montrer, par exemple, que la perception de la construction europ�enne est plus ou moins li�e � une repr�sentation plus globale du monde fond�e sur l'ouverture ou la fermeture, tant en ce qui concerne les valeurs, l'�tranger ou la vision du monde. Ainsi, les personnes oppos�es � l'Europe se montrent plut�t favorables � des valeurs autoritaires. Elles privil�gient l'appartenance nationale et d�veloppent une vision assez pessimiste du monde. Les pro-Europ�ens, au contraire, d�fendent plut�t des valeurs lib�rales, apparaissent plus ouverts et ont une vision assez optimiste du monde. On peut l�gitimement supposer que cette repr�sentation globale influe �galement sur la perception de la mondialisation.
+Ces pr�occupations face � la mondialisation, ce clivage entre �lites et opinion et cet �cart, au sein de cette derni�re, entre, d'une part, des cat�gories relativement plus favoris�es, optimistes et ouvertes, et, d'autre part, des cat�gories relativement plus d�favoris�es, pessimistes et ferm�es, sont � prendre en compte de mani�re s�rieuse par les instances repr�sentatives traditionnelles et par les gouvernements. Certes, la mondialisation n'est pas la cause de l'ensemble de ces ph�nom�nes. Cependant, elle tend � les aggraver et � cristalliser la plupart des frustrations. De ce point de vue, elle a des cons�quences certaines sur la d�mocratie repr�sentative dans les pays industrialis�s et constitue, d'une certaine mani�re, un risque, dans la mesure o� de nouveaux groupes contestataires ou mouvements politiques, quelquefois radicaux et populistes, sont susceptibles d'exploiter ces frustrations. Leur retentissement actuel r�side en effet, en grande partie, sur la concomitance de leurs critiques et des pr�occupations manifest�es par les opinions publiques face � la mondialisation, telles qu'elles sont perceptibles dans les sondages, notamment lors d'�v�nements particuliers, par exemple l'annonce de fermetures d'usine (comme ce fut le cas au printemps 2001 avec les d�cisions du groupe Danone et de Marks & Spencer).
+La prise en compte des int�r�ts et des souhaits des cat�gories d�favoris�es appara�t d�s lors comme l'un des enjeux clefs, tout particuli�rement pour les mouvements progressistes. Le d�bat au sein de la majorit� plurielle en France, dans la perspective des �lections pr�sidentielles et l�gislatives de 2002, ou au sein du parti d�mocrate durant la derni�re campagne pr�sidentielle aux �tats-Unis en sont, ou en ont �t�, les r�v�lateurs.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Politique �trang�re 3/2001
+Les relations entre mondialisation et d�mocratie sont pour le moins ambigu�s, d'autant qu'elles donnent souvent lieu � des analyses r�duisant la seconde � la seule � d�mocratie de march� �. La d�mocratie a en effet deux dimensions : elle est � la fois proc�dure et culture. La mondialisation favorise sans doute le d�veloppement d'une d�mocratie mondiale en tant que proc�dure : �lections libres et alternance politique sont devenues le mod�le politique de r�f�rence. Mais ce mode de gouvernement n'est qu'une dimension de la d�mocratie, une condition n�cessaire mais pas suffisante, car une v�ritable culture d�mocratique se construit sur le � temps long � et ne peut se limiter aux proc�dures �lectorales. � cet �gard, le � temps mondial � pense la d�mocratie comme un ph�nom�ne anhistorique, un � espace de services � la carte � mis � disposition de chaque individu. La mondialisation tend ainsi � r�duire la d�mocratie � une revendication exigible imm�diatement, qui d�l�gitime l'id�e de la d�mocratie comme construction collective d'une nation, lente, singuli�re et complexe.
+La recherche d'une corr�lation entre mondialisation et d�mocratie n'est pas tr�s ais�e. Naturellement, si l'on pose le probl�me - en termes normatifs ou id�ologiques, le d�bat s'�claire de lui-m�me. On peut en effet identifier toute une s�rie d'�l�ments qui militent en faveur d'une corr�lation positive entre mondialisation et d�mocratie, surtout si l'on se place dans le contexte politique mondial de la fin de la guerre froide.
+Inversement, il est tout aussi ais� de rep�rer des facteurs qui tendent � d�vitaliser la d�mocratie en raison de la mondialisation du capital qui fait fi des espaces publics nationaux, du d�s�quilibre croissant entre l'�conomique et le politique � l'avantage du premier, de la d�multiplication des d�r�glements sociaux engendr�s par la mondialisation, etc. On pense naturellement au d�veloppement des mafias, au blanchiment d'argent, aux trafics d'organes, de m�dicaments ou d'enfants. On pense �galement � tous ces emplois supprim�s sur la base de consid�rations �conomiques globales sans que les personnes concern�es soient toujours consult�es.
+Certes, on pourra arguer du fait que ces diff�rents d�r�glements n'ont, d'une certaine mani�re, rien � voir avec la d�mocratie, puisque ceux-ci existent aussi dans les pays non d�mocratiques. De surcro�t, il est difficile, par exemple, d'attribuer un licenciement �conomique � un d�ficit d�mocratique, sauf � assimiler la d�mocratie � l'id�e de justice. Pourtant, cette relation de causalit� n'est pas non plus totalement incongrue si l'on admet que la mondialisation entretient un sentiment de d�possession chez les individus, qui, directement ou indirectement, perdent confiance dans la d�mocratie en tant que lieu d'expression de choix et de pr�f�rences. De surcro�t, les pays riches ont beaucoup plaid�, depuis la fin de la guerre froide, en faveur d'une interaction entre d�mocratie et march� : c'est la fameuse d�mocratie de march�. Or, dans ce cas, il devient tentant de m�ler dans son appr�ciation les facteurs qui rel�vent du march� et ceux qui sont imputables � la d�mocratie. En outre, l'imaginaire consum�riste gagne le champ du politique et de sa repr�sentation. La d�mocratie est de plus en plus identifi�e � un march� o� les �lections tiennent lieu d'acte d'achat.
+Ceci �tant, ces jugements de valeur, si importants soient-ils, ne nous aident pas � progresser. D'une part, parce qu'ils se situent sur un registre normatif, voire moral. D'autre part, parce que le catalogue des articulations positives (la mondialisation favorise la d�mocratie) peut largement �tre compens� par un catalogue tout aussi fourni d'articulations n�gatives (la mondialisation d�truit la d�mocratie). Pour sortir du dilemme, deux approches sont alors possibles. La premi�re, de nature quantitative, consisterait � mesurer les corr�lations concr�tes, par pays, entre mondialisation et d�mocratie. On pourrait par exemple croiser le degr� d'ouverture des �conomies avec l'existence d'�lections libres et concurrentielles. � notre connaissance, ce travail n'a jamais �t� effectu�. Mais on peut compter sur le d�vouement des " quantitativistes " pour se livrer � un tel exercice. En r�alit�, les �tudes les plus nombreuses de ce type de corr�lation ont g�n�ralement port� sur le lien entre d�mocratie et d�veloppement. Mais les conclusions tir�es de ces �tudes sont loin d'�tre univoques.
+Les �tudes de Sirowy et Inkeles publi�es en 1991 concluent � l'id�e d'une corr�lation n�gative entre d�veloppement et d�mocratie. Empiriquement, ce constat ne para�t pas aberrant. Il suffit pour cela de se tourner vers l'Asie du Sud-Est et de voir qu'en Cor�e, � Taiwan ou � Singapour, le d�collage �conomique s'est effectu� sous la double contrainte de la guerre froide et de l'autoritarisme. Au demeurant, l'autoritarisme politique ne conduit pas n�cessairement � l'arbitraire ou au favoritisme syst�matique. Pranab Bardhan souligne � cet �gard, en s'appuyant toujours sur l'exemple asiatique, que la pr�visibilit� de l'action publique est plus importante que la responsabilit� (accounta-bility), notamment pour les investisseurs. Ce fut le cas de Taiwan et de l'Indon�sie, parce que les dirigeants avaient une certaine vision de l'int�r�t g�n�ral et une capacit� � arbitrer, m�me brutalement, entre des int�r�ts particuliers contradictoires. Ce probl�me des institutions est repos� aujourd'hui dans le contexte de la mondialisation, qui oblige pr�cis�ment les soci�t�s � effectuer des arbitrages sociopolitiques importants au fur et � mesure qu'elles s'ouvrent � la comp�tition. Mais le degr� d'institutionnalisation de ces arbitrages n'est pas n�cessairement index� sur l'existence d'institutions d�mocratiques.
+Quoi qu'il en soit, si les analyses de Sirowy et d'Inkeles concluent � une corr�lation n�gative entre d�mocratie et d�veloppement, celles de Campos, qui remontent � 1994, tendent � des conclusions contraires. Ces constatations empiriques contradictoires sont renvoy�es dos � dos par Przeworski et Limongi. Pour eux, il n'y a tout simplement pas de lien de causalit� entre d�mocratie et d�veloppement. Il y a, bien s�r, interd�pendance, mais les termes de celle-ci sont tr�s variables. Au demeurant, ces corr�lations n'ont aucun sens si elles ne sont pas �valu�es et r��valu�es dans le temps. Si l'on prend le cas de la Cor�e, il est ind�niable que son d�collage s'est effectu� sans d�mocratie. Mais il para�t tout aussi �vident que la poursuite de son d�veloppement semble impensable sans d�mocratie. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'entre-temps, le " temps mondial " a fait son oeuvre. Autrement dit, la fin de la guerre froide et la mondialisation ont accru la l�gitimit� de la d�mocratie politique et d�l�gitim� concurremment l'autoritarisme.
+Tout ceci pour dire que, si les approches quantitatives pr�sentent certains avantages empiriques, elles ne r�glent pas les biais m�thodologiques auxquels elles restent redoutablement soumises. C'est pourquoi, et sans pr�tendre r�pondre � la question dans toute son �paisseur, nous proposons de poser le probl�me de l'articulation entre d�mocratie et mondialisation d'une autre fa�on, c'est-�-dire en introduisant une distinction essentielle entre deux dimensions de la d�mocratie : la d�mocratie comme proc�dure, c'est-�-dire un dispositif capable d'assurer le changement des �quipes dirigeantes au travers d'�lections libres ; et la d�mocratie comme culture, c'est-�-dire un ensemble de r�gles formelles et informelles assurant � travers le temps la libre expression des opinions et des int�r�ts et leur recoupement dans des conditions �quitables. Pour simplifier, on pourrait dire que la d�mocratie comme proc�dure renvoie au respect de certaines r�gles du jeu, tandis que la d�mocratie comme culture s'apparenterait au respect de r�gles de vie int�rioris�es, exprimant une confiance raisonnable en la capacit� de la d�mocratie � garantir pluralisme et �quit�.
+Or, l'hypoth�se que nous voulons faire est la suivante : si la mondialisation accro�t indiscutablement la l�gitimit� et parfois l'effectivit� de la d�mocratie comme proc�dure, elle ne garantit en aucune fa�on le d�veloppement d'une d�mocratie comme culture. On peut m�me aller plus loin en disant que la mondialisation renforce la premi�re au d�triment de la seconde. Une des raisons essentielles de cette diff�renciation r�sulte du rapport au temps. La d�mocratie comme proc�dure cadre parfaitement avec la dynamique d'un temps mondial qui valorise le pr�sent, l'imm�diat et le visible. La d�mocratie comme culture n'est en revanche pas en prise avec le temps mondial, car elle a besoin de temps. Elle n'est de surcro�t pas imm�diatement ou clairement identifiable. Elle est toujours relative et, par-l� m�me, contestable. La prise en charge de la question d�mocratique par la communaut� internationale renforce encore ce hiatus. On peut � peu pr�s dire si des �lections dans tel ou tel pays sont libres - et, le cas �ch�ant, stigmatiser les contrevenants ; en revanche, on peut difficilement �valuer la r�alit� d'une culture d�mocratique. On imagine fort bien une d�l�gation du Congr�s am�ricain tancer tel ou tel dirigeant pour ne pas respecter la d�mocratie ; on l'imagine moins �valuant la culture d�mocratique de ce m�me pays.
+Commen�ons tout d'abord par donner une d�finition succincte de la mondialisation qui constitue la toile de fond de notre propos. Il s'agit pour l'essentiel d'un processus d'intensification des relations sociales plan�taires, qui se traduit par une disjonction croissante entre l'espace et le temps. Qu'est-ce � dire ? Que les lieux o� se d�roulent les �v�nements sont g�ographiquement de plus en plus �loign�s des lieux o� leurs cons�quences s'expriment. Dans une soci�t� traditionnelle, l'espace dans lequel vit et se meut l'individu est un espace physique g�n�ralement limit�. Tout ce qu'il voit et tout ce qu'il fait a pour cadre le village o� il est n�. Son horizon spatio-temporel est donc tr�s limit�. Dans une soci�t� moderne, cet espace de r�f�rence s'�largit pour toute une s�rie de raisons, dont la plus importante est la sp�cialisation croissante des r�les et des fonctions. � partir du moment o� l'on ne fait pas tout soi-m�me, on est oblig� de s'adresser � d'autres pour obtenir certains biens et services.
+La mondialisation intervient donc comme un processus d'�largissement de l'espace de r�f�rence dans lequel les acteurs sociaux s'ins�rent. Ainsi, en l'espace de dix ans, par exemple, l'espace de r�f�rence des entreprises fran�aises s'est d�plac� de l'Europe vers le monde. En dix ans, le fait de s'europ�aniser s'est trouv� d�pass� par la n�cessit� de se mondialiser. Mais ce qui illustre le mieux la disjonction entre l'espace et le temps, c'est le fameux exemple des fonds de pensions. Par leur entremise, des retrait�s californiens peuvent influencer l'emploi � Argenton. Or, les raisons qui poussent par exemple un fonds de pension � se retirer d'une entreprise ne seront que tr�s rarement li�es au contexte particulier de l'usine d'Argenton. Si nous insistons sur cette notion de disjonction entre l'espace et le temps, c'est pr�cis�ment parce qu'elle cr�e un sentiment de d�possession : d�possession des ouvriers et employ�s d'une usine qui se trouvent licenci�s m�me s'ils n'ont pas d�m�rit� ; d�possession des acteurs politiques qui ne peuvent gu�re interdire de telles strat�gies. Or, m�me si ce d�bat n'a a priori rien � voir avec la d�mocratie, la corr�lation est dans les faits beaucoup plus forte qu'il n'y para�t. La d�possession ou le sentiment de d�possession face au changement �conomique alt�re la confiance dans les syst�mes d�mocratiques qui fonctionnent sur des bases territoriales nationales. Comme le rappelle fort justement Ian Shapiro, la l�gitimit� de la d�mocratie s'atrophie si l'am�lioration des conditions dans lesquelles on la sollicite n'est pas au rendez-vous.
+� partir de l�, comment penser l'articulation entre d�mocratie comme proc�dure et mondialisation ? La d�mocratie comme proc�dure correspond � ce que Przeworski appelle la d�finition minimale de la d�mocratie. Par d�finition minimale de la d�mocratie, il entend la possibilit� de choisir ses dirigeants au travers d'�lections libres. C'est, � peu de choses pr�s, la d�finition que donnait Schumpeter de la d�mocratie. C'est aussi celle de Popper, qui voit dans la d�mocratie le seul syst�me capable de d�barrasser une soci�t� de ses dirigeants sans bain de sang.
+Cette d�finition minimaliste conduit donc � dire que la d�mocratie est la forme la plus l�gitime d'organisation des soci�t�s et que la valeur de cette l�gitimit� est v�rifi�e au travers des �lections. Or, sur cette d�finition minimaliste de la d�mocratie, la mondialisation a indiscutablement des effets tr�s nombreux.
+Si l'on pense, tout d'abord, la mondialisation en relation avec la chute du mur de Berlin, on n'a gu�re de peine � voir qu'elle a indiscutablement accru la l�gitimit� de la d�mocratie repr�sentative, parce que les r�gimes politiques qui pr�tendaient exp�rimenter une autre voie ont �chou� sur � peu pr�s tous les plans. C'est pour la d�mocratie une victoire par d�faut. Mais le " par d�faut " n'est pas � n�gliger. Par voie de cons�quence, la distinction entre " d�mocratie formelle " et " d�mocratie r�elle " s'est effondr�e. Cette distinction marxiste entre la " vraie " et la " fausse " d�mocratie est ainsi totalement disqualifi�e, car les tenants de cette distinction n'ont r�ussi � promouvoir ni l'une ni l'autre de ces dimensions. � notre connaissance d'ailleurs, m�me les partis d'extr�me gauche qui se r�clament encore du communisme ne revendiquent plus cette distinction. Ils pr�tendent naturellement ne nourrir aucune illusion sur la " d�mocratie repr�sentative ", mais ils ne la rejettent plus. M�me dans les pays musulmans o� certains mouvements islamistes prennent des postures anti-occidentales, la relation � la d�mocratie demeure plus subtile. Sauf, naturellement, lorsqu'ils recourent � la violence, les mouvements islamistes ne r�cusent pas les �lections, et ceci pour au moins une raison pratique : elles leur sont g�n�ralement profitables.
+La deuxi�me cons�quence de la mondialisation est d'avoir consid�rablement r�duit la l�gitimit� de ce que l'on a appel� les " d�mocraties sp�cifiques ". La conjonction des id�ologies nationalistes du Tiers monde et du marxisme avait conduit � valoriser les formes " nationales " de d�mocratie par opposition aux d�mocraties occidentales. Certes, on a vu se d�velopper ces derni�res ann�es des revendications d�mocratiques particularistes face � ce qui apparaissait �tre une h�g�monie occidentale. C'est le cas de certains r�gimes conservateurs d'Asie du Sud-Est et de mouvement islamistes. Les premiers parlent de " valeurs asiatiques " et les seconds de " d�mocratie islamiste ". Mais, dans les deux cas, il est int�ressant de voir que c'est d�sormais la culture et non pas la nation qui est oppos�e � la d�mocratie occidentale. Comme si la mondialisation avait, l� aussi, fait son oeuvre. Elle rendrait plus difficilement tenable la r�sistance nationale � une probl�matique mondiale. Par ailleurs, � Singapour comme en Iran, la r�alit� est bien plus complexe.
+Singapour reste une soci�t� tr�s autoritaire o� la culture d�mocratique demeure probablement relativement faible. Mais, malgr� le discours sur les " valeurs asiatiques ", le caract�re comp�titif des �lections s'y est accru. Autrement dit, la d�mocratie comme proc�dure a gagn� du terrain. Dans ce contexte, le discours sur l'" asiatisme " semble surtout destin� � freiner certaines �volutions sociales et culturelles dans des soci�t�s autoritaires (Singapour, Malaisie) ou � cimenter une unit� politique de l'Asie qui reste extr�mement probl�matique. Le paradoxe est que la quasi-totalit� des concepteurs de l'" asiatisme " sont des intellectuels asiatiques vivant aux �tats-Unis, comme Tu Weiming, intellectuels dont les travaux sont relay�s, vulgaris�s et instrumentalis�s par des acteurs politiques locaux. En Iran, l'�volution est tr�s diff�rente mais tout aussi int�ressante. M�me si elle est encadr�e, la d�mocratie proc�durale a gagn� du terrain. Personne ne conteste le caract�re d�mocratique de l'�lection de M. Khatami. Et m�me ses adversaires conservateurs ne peuvent s'opposer � la tenue d'�lections comp�titives.
+Tout ceci ne signifie naturellement pas que les cadres nationaux dans lesquels se construit la d�mocratie proc�durale sont identiques, mais que l'opposition � la d�mocratie en tant que valeur appara�t de moins en moins l�gitime. M�me dans les pays pauvres, o� la d�mocratie pouvait appara�tre comme un luxe, la l�gitimit� de ce discours est en net recul. Amartya Sen a d'ailleurs montr� dans ses nombreux travaux que l'existence de proc�dures d�mocratiques ne peut pas �tre identifi�e � des structures purement formelles : " � de nombreux indices, on sait que la baisse significative du taux de fertilit� dans les �tats les plus alphab�tis�s de l'Inde r�sulte pour une bonne part des d�bats organis�s � ce sujet ".
+En fait, l'analyse de Sen revient � dire que le formel finit par embrayer sur le r�el, que la proc�dure finit par devenir affaire de culture. Cette interpr�tation s'inscrit toutefois dans une temporalit� relativement longue. Sen parle de son pays, l'Inde, o� la d�mocratie proc�durale, pr�cis�ment, est implant�e depuis fort longtemps. Or ; s'il y a une dimension absente dans la mondialisation, c'est bien celle du temps long.
+Depuis la fin de la guerre froide, la plupart des pays occidentaux ont mis en place une " conditionnalit� politique " qui conduit � lier soutien �conomique et politique au " respect de la d�mocratie et des droits de l'homme ". Il faudrait naturellement s'interroger sur le lien entre droits de l'homme et d�mocratie. Mais ce d�bat nous entra�nerait trop loin. Indiquons simplement ici que le d�veloppement de cette " conditionnalit� politique " prend les formes d'une injonction d�mocratique. Injonction o� le " d�mocratisez-vous " se substituerait au " enrichissez-vous ". Or, parce que l'affichage est plus important que le r�sultat effectif, l'injonction d�mocratique conduit � surestimer la d�mocratie proc�durale. Pour l'essentiel, on exige la tenue d'�lections � peu pr�s libres. Et m�me si elles ne le sont pas totalement, on consid�re que le fait qu'elles se tiennent est en soi un progr�s.
+Cette injonction fait naturellement l'objet d'une instrumentalisation de la part de ceux � qui elle s'adresse. D'o� la g�n�ralisation des �lections sur � peu pr�s toute la surface de la terre. Cela est particuli�rement frappant en Afrique o� peu d'�lections concurrentielles se tenaient avant 1989. C'est aussi le cas du monde arabe o�, sauf en Arabie Saoudite, les �lections sont g�n�ralis�es.
+Pourtant, dans aucun de ces pays les �lections n'ont d�bouch� sur un changement politique. Cette contradiction s'explique par le fait que ces �lections ne sont que tr�s imparfaitement libres. Tel est le cas de la Tunisie, o� l'intimidation politique des opposants est permanente et o�, symboliquement, le pr�sident sortant a �t� r��lu avec un pourcentage de voix sup�rieur � la fois pr�c�dente, alors que, formellement, les derni�res �lections �taient pluralistes et que celles d'avant ne l'�taient pas. On peut donc dire dans ce cas que la d�mocratie comme proc�dure n'est m�me pas install�e. Mais cette explication ne suffit pas. Il est probable que la faiblesse de la relation entre �lections et changements de r�gime tient au fait que les v�ritables d�tenteurs du pouvoir ne participent pas aux �lections. C'est notamment le cas des monarchies, qui n'ont de constitutionnel que le nom, m�me si, dans les faits, des �lections comp�titives ont bien eu lieu (Jordanie, Maroc, Kowe�t).
+En r�alit�, il faudrait d�finir la d�mocratie minimaliste comme la proc�dure au moyen de laquelle les citoyens peuvent nominalement changer d'�quipes dirigeantes, quand ce changement est per�u par celles-ci, avant m�me les �lections, comme un risque politique majeur de perte d'acc�s au pouvoir et aux ressources qu'il offre. La d�mocratie deviendrait ainsi la proc�dure par laquelle l'espoir d'un changement d'ordre politique garanti par les urnes serait corr�l� � une peur r�elle de perdre le pouvoir de la part de ceux qui le d�tiendraient. La d�mocratie na�trait quand, dans une soci�t� donn�e, la peur de perdre le pouvoir par les �lections remplacerait celle de le perdre par un putsch militaire ou une �meute.
+Naturellement, une telle d�finition appara�t, � bien des �gards, comme tr�s subjective. Mais elle n'est pas n�cessairement d�nu�e d'int�r�t ou de valeur. Si l'on prend l'exemple du monde arabe, on constate que l'ad�quation entre espoir des dirig�s et inqui�tude des dirigeants ne se retrouve dans aucun pays. Les rares fois o� cette configuration �tait de nature � voir le jour, le processus politique n'a pas �t� conduit � son terme. Certes, la relation entre l'espoir et l'inqui�tude n'est jamais stable. L'espoir des dirig�s peut tourner au d�sespoir et l'inqui�tude des dirigeants se r�v�ler totalement exag�r�e. C'est par exemple ce qui se passe actuellement en Indon�sie, o� la vieille garde de Suharto chass�e du pouvoir revient progressivement sur le devant de la sc�ne face � l'instabilit� g�n�rale et � la division des anciens opposants. En Afrique, on a vu de nombreux dirigeants revenir au pouvoir apr�s quelques ann�es de purgatoire. Mais cette r�versibilit� ne change rien � l'affaire. L'�l�ment essentiel pour juger du s�rieux du sens d�mocratique est et reste l'incertitude.
+Un pays entre v�ritablement en d�mocratie quand, � chaque �lection, une �quipe sortante craint de perdre le pouvoir et conc�de, le cas �ch�ant, qu'elle l'a perdu. Le Mexique est rentr� dans l'�re d�mocratique le jour o� le PRI au pouvoir depuis soixante-dix ans a conc�d� ce m�me pouvoir � l'un de ses opposants. De ce point de vue, l'�lection de Vicente Fox en 2000 a achev� un cycle de transition engag� en 1989, quand, pour la premi�re fois, un parti de l'opposition r�ussit � gagner des �lections locales. Il est extr�mement frappant de voir l'importance que les �lections, m�me locales, rev�tent dans ce pays o�, par ailleurs, les d�r�glements sociaux minent la cr�dibilit� du syst�me politique. C'est d'ailleurs en Am�rique latine que la d�mocratie proc�durale a beaucoup gagn� de terrain, comme l'a montr� le caract�re tr�s disput� des derni�res �lections p�ruviennes.
+Dans cette dimension proc�durale de la d�mocratie, la mondialisation peut apporter beaucoup, pr�cis�ment parce qu'il existe toute une ing�nierie technico-politique disponible pour aider des pays en transition � pr�parer des �lections et � en garantir la transparence. Il existe de par le monde toute une s�rie d'instituts et d'associations sp�cialis�s dans l'assistance technique � la d�mocratie. S'y ajoute le fait que le " label d�mocratique " est aussi une ressource politique pour acc�der aux ressources mondiales.
+Nous avons jusqu'ici parl� de la d�mocratie comme proc�dure, c'est-�-dire comme dispositif capable de promouvoir le changement politique au travers d'�lections. Il nous faut passer � une deuxi�me dimension du probl�me qui est celui de la d�mocratie comme culture. L�, les choses se compliquent de fa�on singuli�re. Que faut-il entendre par l'id�e de d�mocratie comme culture ? Essentiellement, le fait que la d�mocratie n'est pas seulement une technique garantissant une alternance potentielle par le biais d'�lections, mais de toute une s�rie de pratiques institutionnelles ou non institutionnelles capables de garantir la repr�sentation �quitable des int�r�ts et leur expression en dehors des �lections. Autant la d�mocratie comme proc�dure doit reposer sur l'incertitude de perdre le pouvoir ou de le gagner, autant la d�mocratie comme culture doit garantir la pr�visibilit� et l'�quit� du contexte dans lequel la comp�tition aura lieu. La d�mocratie comme culture renvoie aussi � la notion de performance. La d�mocratie doit permettre d'atteindre certains objectifs collectifs. La d�mocratie peut �tre alors identifi�e � la forme optimale de recherche d'un bien commun par des voies pacifiques et concurrentielles.
+Or, sur ce plan, il est incontestable que la mondialisation modifie singuli�rement les donn�es du probl�me, pr�cis�ment parce que la " d�territorialisation " qui l'accompagne rend plus difficile la d�finition du bien commun. Certes, le clivage entre la d�mocratie comme culture et la d�mocratie comme proc�dure n'est pas toujours tr�s clair. La construction d'un �tat de droit rel�ve autant de l'une que de l'autre. La croyance dans la fiabilit� des proc�dures d�mocratiques et leur int�riorisation est un �l�ment important de la culture d�mocratique. La d�mocratie comme culture appara�t ainsi comme un contexte social, culturel et �thique dans lequel un citoyen aura le sentiment que ses attentes ou ses int�r�ts peuvent trouver un d�bouch� non seulement lors des �lections, mais en dehors de celles-ci.
+Mais la d�mocratie comme culture va bien au-del� du respect des droits de l'homme. Elle passe par la mise en place d'un �tat de droit et d'un espace public capable de lui servir de support. On pourrait pousser le paradoxe en disant qu'une culture d�mocratique est une culture qui n'a pas besoin d'attendre les �lections pour s'�panouir ou �tre v�cue comme telle. Or, ce que l'on constate dans la plupart des pays, c'est une distorsion entre la d�mocratie comme proc�dure et la d�mocratie comme culture. Ce hiatus est de nature temporelle. La d�mocratie comme proc�dure peut se mettre en place rapidement. La d�mocratie comme culture a besoin de temps. Dans les pays sans tradition d�mocratique, o� l'on avait l'habitude de se soumettre ou de prendre les armes pour se r�volter, le jeu d�mocratique, qui implique concessions, arrangements et compromis, ne peut pas s'imposer en un jour. C'est la raison pour laquelle on voit tant de partis politiques se r�clamant de la d�mocratie fonctionner de mani�re parfaitement anti-d�mocratique. Par ailleurs, l'accent mis � l'�chelle mondiale sur le respect des droits de l'homme tend parfois � mettre l'accent sur les droits individuels en occultant les probl�mes de constitution d'un espace public d�mocratique. Or, la cr�ation d'un espace public implique un d�passement de la simple revendication des droits individuels. Elle suppose une r�flexion sur la dimension collective des droits ainsi que sur les devoirs attach�s � l'acc�s � ces droits. Et sur ce plan, bien des efforts de r�flexion doivent �tre men�s. Surtout lorsque l'on voit combien est grande la confusion permanente entre d�mocratie et droits de l'homme.
+En r�alit�, la " d�mocratie comme culture " ne peut exister et faire sens que sur le long terme. Par long terme, nous voulons non seulement dire qu'il faut du temps pour qu'une culture d�mocratique �close, mais souligner aussi que l'exercice de la d�mocratie prend du temps, comme l'a bien montr� Juan Linz. Il faut du temps pour consulter les diff�rents acteurs, ajuster leurs pr�f�rences et r�fl�chir aux cons�quences des choix que l'on effectue, et cela sans garantie de r�ussite ou de succ�s. La culture d�mocratique implique non pas un relativisme des valeurs, mais l'acceptation du caract�re al�atoire des choix que l'on fait. Une des fa�ons de r�duire cet al�a est, par exemple, d'effectuer des choix de mani�re consensuelle. Or, dans les soci�t�s d'Europe du Nord ou en Suisse, le consensus passe par la d�lib�ration, et la d�lib�ration prend du temps. Et s'il y a bien, � l'�chelle mondiale, un facteur qui g�ne ce processus d'int�riorisation et de valorisation du temps long, c'est bien la mondialisation ou ce que nous appelons le temps mondial.
+En effet, parce qu'il �tablit des standards implicites ou explicites de l�gitimit�, le temps mondial tend � r�duire la d�mocratie non seulement � une revendication exigible imm�diatement, mais aussi � une technique politique capable de d�gager des r�sultats tout aussi rapides. Si l'autoritarisme est assimil� par exemple � la corruption, � l'in�galit� et � l'inefficacit�, la d�mocratie est per�ue comme la recette magique qui permettra de surmonter tous ces maux. Le temps mondial disqualifie totalement l'id�e selon laquelle la d�mocratie serait un processus historique lent, long et complexe, ce qu'elle fut pourtant en Occident. La puissance de la simultan�it� plan�taire aliment�e par les m�dias renforce l'attrait d'une " d�mocratie pour tous " et d�l�gitime violemment l'id�e d'une d�mocratie qui ne serait adapt�e que sous certaines conditions.
+Il ne s'agit pas ici de juger de la valeur de cet argument. Ce que l'on peut dire, c'est que la mondialisation en tant que temporalit� fond�e sur la simultan�it� et l'instantan�it� se montre indiff�rente � la notion de d�mocratie comme construction historique. Le temps mondial contribue � penser la d�mocratie sur un mode purement proc�dural et parfaitement anhistorique. D'o� ce d�calage entre proc�dure et culture dont nul ne dit s'il se r�duira avec le temps. Voici, � ce propos, ce que dit Elemer Hankiss de la Hongrie : " Les institutions d�mocratiques fonctionnent de mieux en mieux. Mais les institutions sont plus d�mocratiques que les citoyens (...). Les populations n'ont pas le sentiment d'�tre vraiment ma�tresses chez elles, elles ne croient pas que les lois sont l� pour les prot�ger et ne pensent pas que ce qu'elles disent est vraiment important (...). Le pouvoir lui, est press�. Il sait qu'il faut s'adapter vite, tr�s vite, et il consid�re qu'il n'a pas le temps d'expliquer et de discuter avec tout le monde ".
+On aurait tort de penser, cependant, que cette compression du temps de la d�mocratie, et donc sa n�gation partielle comme culture construite dans le temps long, soit propre aux pays en transition. La disjonction entre d�mocratie comme proc�dure et d�mocratie comme culture op�re �galement dans les d�mocraties occidentales sous l'effet de trois facteurs : la d�valorisation culturelle du temps historique, la mont�e de l'individualisme, et la pr�gnance de la logique de march�.
+La d�valorisation culturelle du temps historique est une des formes les plus importantes du temps mondial. Elle est largement li�e � l'effondrement des grandes repr�sentations t�l�ologiques de l'histoire et du devenir, au profit de la mont�e en puissance de la logique de l'urgence. Si l'histoire, et donc le temps long, ne sont plus porteurs de sens, c'est le pr�sent qui devient la temporalit� o� se r�fugie l'attente. D'o� la mont�e en puissance de l'urgence en tant que cat�gorie de l'action, mais �galement de la repr�sentation sociale.
+La mont�e de l'individualisme explique aussi, pour une bonne part, ce r�tr�cissement temporel, en ce qu'elle valorise la conqu�te de droits individuels au d�triment - parfois - de la pr�servation ou de la conqu�te de droits collectifs. Naturellement, cette dichotomie n'est pas si simple. Mais il ne fait gu�re de doute que l'homo democraticus occidental pense de plus en plus la d�mocratie � travers sa capacit� � " d�livrer " (au sens anglais de to deliver) des droits dont il serait le destinataire particulier.
+Naturellement, cette conqu�te de droits particuliers n'est pas en soi incompatible avec la d�mocratie. Sauf qu'elle �vacue de plus en plus l'id�e de responsabilit� dans un espace public, en faisant du " vivre ensemble " la simple r�sultante d'une agr�gation d'avantages et d'int�r�ts particuliers. " L'individu contemporain, ce serait l'individu d�connect� symboliquement et cognitivement du point de vue du tout, l'individu pour lequel il n'y a plus de sens � se placer du point de vue de l'ensemble. On con�oit d�s lors en quoi ce type de personnalit� est de nature � rendre probl�matique l'exercice de la citoyennet� ".
+Cette dynamique r�duit la valeur projective - au sens de projet - de la d�mocratie pour la r�duire � un " espace de services � la carte " dont chacun mesurerait de mani�re sourcilleuse les co�ts et les avantages. La puissance de ce conditionnement, qui d�gage un rapport au monde purement instrumental, se retrouve paradoxalement m�me dans les " demandes de sens " de nature spirituelle ou religieuse. Olivier Roy, qui a �tudi� les sites islamistes sur Internet, montre que les " visiteurs " de ces sites n'expriment aucune curiosit� pour l'histoire, la litt�rature ou la culture musulmane au sens large. Leur priorit� est de trouver des r�ponses rapides et concr�tes � des questions qu'ils se posent. G�n�ralement, les demandes portent sur ce qui est licite ou illicite pour des musulmans vivant dans des soci�t�s majoritairement non musulmanes. Naturellement, cet exemple n'est pas directement li� � l'enjeu d�mocratique. Mais il souligne combien la mondialisation, ici au travers d'Internet, renforce le primat de la proc�dure - en l'occurrence le code - au d�triment de la culture. Il en d�coule une repr�sentation purement instrumentale de la d�mocratie et de ceux qui l'incarnent. Du coup, le politique est moins un repr�sentant qu'un prestataire de services. La d�mocratie devient alors une sorte de salaire de citoyennet� dont la valeur est mesur�e � l'aune de son " pouvoir d'achat ". Si l'on n'obtient pas tel ou tel service que l'on attend d'elle, la d�mocratie appara�t abstraite. Le paradoxe politique est donc de voir resurgir la vieille distinction entre " d�mocratie formelle " et " d�mocratie r�elle " que la chute du mur de Berlin avait disqualifi�e.
+Cette repr�sentation de plus en plus instrumentale de la d�mocratie se renforce paradoxalement au moment o� le cadre national dans lequel elle est log�e appara�t de moins en moins capable de r�pondre � cette attente. Par le jeu pr�cis�ment de la mondialisation des �changes et des activit�s �conomiques, l'espace national perd de sa pertinence pour l'action. La dissociation des int�r�ts des entreprises et des nations conduit par la force des choses � une s�paration croissante entre ordre du march� et ordre des droits de l'homme. Plus pr�occupant encore est le fait que la sph�re �conomique tend parfois � consid�rer certaines pr�f�rences collectives exprim�es d�mocratiquement comme des obstacles � son �panouissement. La pression qui s'exerce sur les �tats au plan fiscal en est l'exemple type. Elle vise non seulement � taxer davantage le travail que le capital mais �galement � taxer proportionnellement plus les " salari�s immobiles " que ceux qui peuvent jouer de leur mobilit� professionnelle pour optimiser leur situation fiscale.
+Or il est bien �vident que les politiques strictement nationales peuvent contenir mais pas enrayer cette �volution. D'o� la n�cessit� de se doter d'institutions mondiales ou r�gionales capables de r�guler cette situation. Autrement dit, la cons�quence majeure de la mondialisation est de cr�er une demande de d�mocratie � l'�chelle mondiale. Mais la satisfaction de cette demande est extraordinairement difficile � satisfaire. D'une part, parce que le d�placement vers le mondial ne signifie pas l'obsolescence du cadre national. D'autre part, parce que l'on ne sait pas encore comment r�soudre la question de la repr�sentation � l'�chelle mondiale.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Politique �trang�re 3 - 4/2000
+Facteur privil�gi� de cr�ation et d'�volution des ensembles politiques, la guerre a spectaculairement jou�, tout au long du XXe si�cle, son r�le de remodelage de la soci�t� internationale. Elle a aussi chang� d'�chelle et de forme, passant de la guerre politique � la guerre totale puis de la guerre totale � la guerre froide, sans que cessent de prolif�rer sur tous les continents les traditionnels conflits ethniques, nationaux, religieux ou territoriaux. Face � cette prolif�ration accrue n'ont pu se mettre en place les m�canismes de s�curit� collective imagin�s dans le cadre de la l'ONU. Et la r�gulation internationale par la force, exp�riment�e avec la guerre du Golfe puis au Kosovo, ne semble gu�re en mesure encore d'�viter le bouillonnement guerrier qui ne cesse d'agiter le monde. Peut-�tre l'espoir d'encadrer enfin la guerre, � d�faut de la tuer, deviendra-t-il r�alit� dans le si�cle qui commence ?
+La guerre, affrontement sanglant et organis� entre communaut�s humaines, est toujours un facteur privil�gi� de cr�ation et d'�volution des ensembles politiques. Il n'y a pas � cet �gard de long ou de court XXe si�cle, mais plusieurs XXes si�cles, o� la guerre s'est confirm�e comme instrument de remodelage de la soci�t� internationale. Pour n'avoir pas invent� grand chose en mati�re d'horreur guerri�re, ce si�cle a �largi le spectre des actes regroup�s sous le nom de guerre et profond�ment modifi� leur approche philosophique, strat�gique ou op�rationnelle.
+Dans l'ensemble des ph�nom�nes guerriers du si�cle, le plus visible est l'emballement de la logique dite clausewitzienne, qui d�crit aux temps modernes les guerres ordinaires, politiques, entre �tats. Dans les conflits majeurs s'impose spectaculairement la "totalisation" guerri�re. Le si�cle s'inscrit ici dans une longue dialectique : les �puisements de la guerre de Trente Ans conduisent aux conflits cod�s de la deuxi�me moiti� du XVIIIe ; � la guerre des masses inaugur�e par la R�volution succ�de un plus calme concert des nations, d�pass� bient�t par les premi�res grandes guerres modernes qu'ouvre la guerre de S�cession. La rupture de l'�quilibre des puissances europ�ennes, entre la guerre franco-prussienne et la Grande Guerre, ouvre la course � la pr��minence continentale. L'Allemagne post-bismarkienne y privil�gie le facteur militaire, et le premier conflit mondial va symboliser une �re nouvelle.
+Le bouleversement des modes d'organisation est ici d�terminant. On peut d�sormais, avec la mobilit� du feu, la motorisation et la transmission t�l�graphique des ordres, former, diriger, d�placer de larges arm�es. Napol�on commandait � Leipzig 180 000 hommes, soit � peu pr�s un dixi�me des combattants de Verdun. L'�volution des armements donne � d'immenses arm�es une efficacit� nouvelle. L'invention de la poudre sans fum�e (qui permet d'acc�l�rer la cadence de tir), puis du feu � r�p�tition, d�multiplie la puissance et la maniabilit� du feu. Les guerres entre �tats europ�ens deviennent des guerres nationales : id�ologiquement, socialement, techniquement.
+L'�chelle des affrontements possibles s'en trouve modifi�e. Pour �tre horrible (Eylau), la mont�e aux extr�mes de Napol�on restait limit�e. Il s'agit d�sormais d'affrontements masse contre masse, lutte potentiellement mortelle d'une soci�t� contre une autre. Avec un probl�me vite per�u : comment poursuivre un objectif politique partiel avec un instrument humain et industriel total ? Plus pesante est la mobilisation, plus r�duite la souplesse de l'appareil : en 1914, on mobilisera int�gralement contre ce qui aurait pu ne relever que d'une dissuasion locale, de Sarajevo aux d�troits turcs. Et l'�tat-major fran�ais de 1936 refusera tout maniement limit� de la force contre les maigres unit�s allemandes engag�es en Rh�nanie.
+La pens�e de la guerre se transforme profond�ment dans les deux premi�res d�cennies du si�cle. Les plus classiques th�orisent l'incandescence de la mobilisation sociale, industrielle, �conomique ou morale. Foch voit ainsi la guerre moderne comme une apoth�ose technico-napol�onienne, manoeuvre d'une usine � feux appuy�e sur toute la nation. Ludendorf creuse plus loin : sa Totale Krieg n'est que la mise de la soci�t� � disposition de la guerre. Il critique avant de l'inverser la " formule " de Clausewitz, parce qu'elle introduit un facteur politique qui bride la puissance guerri�re. L'exigence d�voratrice des arm�es de masse doit primer.
+La Premi�re Guerre mondiale fait pourtant �clater le champ de la bataille. En frappant � distance, le strat�ge peut ignorer le blocage de la guerre de positions et intervenir syst�matiquement hors de l'espace militaire. L'avion symbolise cette r�volution. Le concept de bombardement strat�gique place bient�t les populations civiles au centre de la guerre : l'espace militaire bloqu� peut �tre tourn� par des frappes, � l'arri�re, sur les ressources vitales et vuln�rables de l'adversaire. Giulio Douhet est le plus brillant des th�oriciens de cette " guerre int�grale ", qui d�localise le conflit, le diffuse dans l'espace civil et conduit, via les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, aux strat�gies anti-cit�s de l'atome contemporain.
+Les arm�es de Crim�e, de Verdun ou d'Hiroshima semblent appartenir � des mondes diff�rents. Mais la manoeuvre des arm�es n'est pas seule touch�e. Progressivement s'imposent de nouvelles strat�gies de construction de l'objet industrialo-militaire. Le bricolage d'une �conomie de guerre � la demande dispara�t devant les exigences de la guerre technique. Une v�ritable strat�gie des moyens se met en place, permanente puisqu'il s'agit de construire en masse des objets incessamment renouvel�s, puis qui se diffuse dans les secteurs civils. L'exigence militaire fut d�terminante pour les chemins de fer prussiens avant 1870. Plus pr�s de nous, les m�mes pr�occupations ont pes� lourd dans le d�veloppement des mat�riels a�riens, la course � l'espace ou le lancement des technologies de l'information. Cette obsession des moyens s'exprime bient�t par des budgets militaires surdimensionn�s. � la fin des ann�es 80, les pays d�velopp�s d�pensaient plus de 70 % des budgets militaires mondiaux. Et du temps de sa splendeur sovi�tique, Moscou consacrait presque 25 % de son PIB � des activit�s li�es � la d�fense...
+Si les cons�quences sur les soci�t�s de la m�tamorphose des op�rations guerri�res ne sont per�ues que sur le long terme, le bouleversement de la hi�rarchie des puissances du concert europ�en est, lui, imm�diatement visible. Saign�e humainement, �conomiquement et moralement par la Grande Guerre, contrainte de reconna�tre qu'elle ne peut plus se d�fendre seule, la France est prise entre une Grande-Bretagne r�tive � toute coalition permanente et une Allemagne trop forte pour �tre docile ou trop faible pour payer les r�parations. L'Allemagne va encore miser dans les ann�es 30 sur la force militaire pour finir au d�sastre humain et moral que l'on sait. La Russie sort exsangue du premier conflit mondial puis r�int�gre le circuit international � l'issue du second. L'Angleterre s'�puise de 1940 � 1945 pour �tre marginalis�e dans un nouveau jeu que dominent une puissance des confins europ�ens et une puissance ext�rieure � l'Europe. C'est la Premi�re Guerre mondiale qui expose la capacit� �conomique des �tats-Unis (traduite par une logistique qui dominera tous les grands conflits du si�cle), ainsi que leur volont� d'intervenir dans les espaces-pivots du monde. C'est la seconde qui cristallise l'URSS comme grande puissance et dessine son assise imp�riale en Europe. En annon�ant le club de la superpuissance.
+Nombreuses sont les cons�quences de ce bouleversement d'une hi�rarchie mondiale qui jouait depuis trois si�cles. Des alliances d'un type nouveau se cr�ent. Organisation in�dite de l'espace europ�en, l'Alliance atlantique est tr�s loin des �vanescentes coalitions du d�but du si�cle. La coexistence europ�enne s'�bauche dans les ann�es 50, ouvrant une des plus �tonnantes aventures politico-juridiques des temps modernes. Plus largement, on tente de substituer l'id�e de s�curit� avec l'autre � celle de l'imposition de la force � l'issue de chacun des cataclysmes guerriers. La SDN �choue parce qu'elle ne se donne pas les moyens d'identifier l'agresseur ou de l'arr�ter, quand nombre de pays ont des probl�mes concrets de s�curit�. L'ONU souffre, elle, de l'incapacit� de son " conseil d'administration " � fonctionner comme tel et de son absence de moyens. D'�normes appareils militaires sont n�s de la course � la guerre totale, diffusant leur mod�le militaire de la puissance ou leurs armes. Les id�es d'universalit�, de s�curit� collective, repr�sentent n�anmoins un h�ritage essentiel de ce temps pour toute r�flexion sur l'organisation future du monde.
+La r�volution du si�cle est bien la guerre totale, qui fournit � la guerre nationale le moyen de sa folie. L'irruption de l'atome r�sume cette �tape en la d�passant. Comme tout moyen de guerre nouveau, l'atome est d'abord pens� avec de vieux concepts. Il couronne les bombardements strat�giques, donnant aux th�ories des ann�es 20 une traduction concr�te. L'id�e de la guerre nucl�aire aura la vie longue en Chine et en URSS, o� l'on planifie les frappes massives, aux �tats-Unis, o� l'on pense une nouvelle " victoire ", et en France m�me, comme en t�moigne la capacit� de survie du nucl�aire tactique.
+L'atome thermonucl�aire d�passe pourtant la guerre totale. Annon�ant l'exclusion des deux joueurs de la rationalit� � laquelle voulait les cantonner Clausewitz, il �limine " la guerre comme instrument de r�mun�ration de la politique ". Pour limit� qu'on imagine l'effet de telle arme nucl�aire, nul n'a jamais d�ploy� avec elle la garantie interdisant de passer au stade sup�rieur. La perspective des destructions possibles et l'incapacit� � ma�triser l'escalade produisent ensemble une dissuasion nucl�aire sui generis, dont tous les membres du club atomique respecteront les codes. L'imaginaire de guerre, sans guerre, cr�e le monde de la guerre froide.
+Le discours sur le futur, sur ce qui adviendrait en cas de passage � la violence, est d'autant plus important que le saut appara�t plus lointain. Tout ce qui pr�c�de l'usage de l'arme sur le champ de bataille devient donc un enjeu strat�gique capital. Le temps de paix, entr� en strat�gie par les exigences de la guerre industrielle, occupe d�sormais une place centrale. Dans cette strat�gie d�claratoire �tendue aux confins de la strat�gie elle-m�me prolif�rent les trait�s tentant de raisonner la d�raison nucl�aire et s'affirment la course aux armements et l'�quilibre de la terreur. C'est l'�norme capacit� de destruction nucl�aire qui fait appara�tre raisonnable le d�ploiement d'autres armes, pour une hypoth�tique guerre limit�e. Mais ce r�ve de limiter le risque sous ombrelle nucl�aire ainsi que le mim�tisme sovi�tique face � des �tats-Unis jouant la carte technologique conduiront � la plus extravagante accumulation d'armes jamais connue.
+C'est la Seconde Guerre mondiale qui d�finit les nouvelles puissances et �branle les empires. L'atome, lui, g�le les zones d'influence sur le Vieux Continent et dessine une g�ographie strat�gique qui durera quatre d�cennies. Au centre, les espaces sanctuaris�s ou couverts par la dissuasion �largie : ici, la guerre serait d�raisonnable et les militaires n'interviennent que dans leur propre camp. En bordure, des arri�re-cours o� les int�r�ts des puissances ne sont pas s�rieusement d�fi�s par l'autre (par exemple en Am�rique latine). Quelques zones � statut strat�gique particulier peuvent aussi �tre isol�es : le Moyen-Orient, bien s�r, ou d'autres moins visibles, en Asie par exemple. Au-del�, mers ou terres libres d'un trop gros danger demeurent des espaces de manoeuvre. Exclusion de la guerre ici, �vitement de l'Autre ailleurs, l� o� la confrontation reproduirait un face � face ma�tris� seulement en Europe. Les fameuses guerres par procuration (Vi�tnam, Afghanistan) opposent donc l'intervention lourde de l'une des superpuissances � l'action indirecte de l'autre.
+La guerre froide (non-guerre chez nous, d�rivation des conflits chez les autres - par exportation d'armes ou de kits id�ologiques r�interpr�tant les probl�mes locaux -, �vitement partout de la confrontation directe) donne aussi naissance, d�s la premi�re moiti� des ann�es 60, � une pratique diplomatico-strat�gique nouvelle : l'arms control. Le missile balistique intercontinental d�senclave le territoire am�ricain pour la premi�re fois depuis plus de cent ans. Leur vuln�rabilit� int�gre d�finitivement les �tats-Unis au jeu strat�gique mondial et les contraint � ordonner leur face-�-face avec Moscou. L'arms control entend cr�er une culture de la superpuissance � partir du seul int�r�t irr�ductiblement commun : la limitation du danger. On s'entendra sur les r�gles de gestion de l'instrument du danger au lieu de s'enfermer dans une logique impuissante de d�sarmement g�n�ral : accords de transparence ou de limitation des arsenaux.
+S'agit-il du co-gouvernement du monde que d�nonceront les Fran�ais au d�but des ann�es 70 ? Cette id�e de cogestion d'un temps dangereux, sous une autre forme, autorisera en Europe la perc�e de la Conf�rence sur la s�curit� et la coop�ration en Europe (CSCE). Le long processus ouvert � Helsinki en 1972 s'organise autour de trois id�es, dict�es par la suraccumulation des armements en Europe. La s�curit� est un objet composite, d'o� l'id�e de diverses corbeilles de n�gociation. La s�curit� se cr�e d'abord dans les t�tes, m�me si elle s'inscrit aussi dans les objets militaires, d'o� l'importance des proc�dures de cr�ation de confiance qui permettront d'abaisser la garde militaire. La s�curit� peut �tre g�r�e r�gionalement, d'o� la r�union de tous les acteurs de la s�curit� europ�enne. Avec ses complexit�s et ses impuissances, la CSCE est bien l'un des objets diplomatiques les plus int�ressants de ce dernier demi-si�cle.
+Utilis� deux fois, l'atome rentre vite dans le silence. La technique, qui d�multiplie sa force destructrice, permet ainsi le gel de la guerre froide et une nouvelle hi�rarchisation de la puissance. Elle mod�le en m�me temps des dialogues internationaux sp�cifiques. Au-del� des exemples d�j� cit�s, le Trait� de non-prolif�ration (TNP) sera sans doute le premier acte quasi universel � reconna�tre une in�galit� flagrante (entre les have et les have not) pour cr�er de la s�curit� pour tous.
+Hors th��tre nucl�aire survient l'autre mutation capitale : l'explosion de l'espace colonial et l'universalisation de la forme �tatique. � la fin du XIXe si�cle, en l'espace d'une g�n�ration, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, Belgique et Pays-Bas avaient ajout� � leurs territoires m�tropolitains plus de trois fois la superficie des �tats-Unis. �cho de quelques soubresauts de l'entre-deux-guerres, l'�croulement colonial fait passer le nombre des �tats membres de l'ONU de moins de 50 � pr�s de 200 en quelques d�cennies.
+Les conflits mondiaux exhibent la faiblesse des nations colonisatrices, leur impuissance � maintenir l'ordre et leur d�pendance vis-�-vis des empires. La Premi�re Guerre mondiale enr�le les coloniaux dans les arm�es m�tropolitaines. La seconde valorise l'espace arri�re, empire fran�ais ou britannique. Sur l'humiliation du colonisateur prosp�re l'id�e anticoloniale que la surpuissance am�ricaine propage elle-m�me durant la guerre.
+Si la violence guerri�re fait lever le vent qui balaie, de 1945 � 1975, les empires coloniaux, elle n'est pas toujours le vecteur de la lib�ration. Pour l'ensemble des �tats n�s depuis 1945, les guerres de d�colonisation sont peu nombreuses, m�me si spectaculaires. La d�colonisation baigne pourtant dans la violence : celle-ci la pr�c�de ou la suit (sous-continent indien), la permet (Indochine, Alg�rie, Angola, Mozambique) ou appara�t lors du r�glage des nouveaux rapports de forces (Suez).
+La d�colonisation est aussi une affaire militaire en ce qu'elle fournit en r�flexions in�dites des �coles de guerre par trop fix�es sur l'h�ritage napol�onien. La dimension globalement politique des affrontements est rappel�e � Suez, o� la victoire militaire franco-isra�lienne est annul�e par la pression conjointe am�ricano-sovi�tique. L'Indochine montre qu'une guerre asym�trique peut simplement �tre perdue par la puissance dominante. Et le Vi�tnam, qu'un conflit ne se gagne pas forc�ment sur le champ de bataille principal. Ces affrontements in�gaux r�p�tent que la mani�re traditionnelle dont nos militaires con�oivent l'occupation et la manoeuvre du champ de bataille n'est pas universelle. D'o� la brusque floraison de discours sur les formes non classiques de la guerre.
+Au tout d�but de ce si�cle, les Boers faisaient le " vide du champ de bataille ", semant le d�sarroi dans une machine militaire habitu�e � d�cider sur un terrain choisi et limit� : mise en oeuvre par le faible de la strat�gie indirecte ch�re � Liddell-Hart, qui recherche la dislocation de l'adversaire en perturbant son dispositif, en l'obligeant � de constants changements de fronts et � diviser ses forces, en mena�ant ses lignes d'approvisionnements et de communication. Les guerres indochinoise, vietnamienne ou afghane s'inscrivent au coeur de cette logique. Les conflits asym�triques qui ont rendu possible, ponctu� ou entour� la d�colonisation ont contraint les arm�es classiques � penser autre chose que l'apocalypse des masses militaires. De vieilles techniques de guerre d�fensive se r�v�laient payantes et d�montraient ce que beaucoup de puissants se refusent encore � croire aujourd'hui : le diff�rentiel technique ne produit pas toujours un effet strat�gique d�cisif.
+L'�chec est toujours grave pour le puissant, et ses cons�quences d�passent de beaucoup le militaire. Une r�publique chancelle en France sous le double effet de l'Indochine et de l'Alg�rie. Le r�gime portugais dispara�t avec la r�volte d'une arm�e embourb�e en Afrique. Les �tats-Unis subissent dans les ann�es 70 une grave crise politique et morale. Son souvenir " plombe " encore aujourd'hui les interventions ext�rieures de Washington, qui privil�gie toujours les strat�gies et technologies permettant l'action � distance du champ de bataille : un choix qui p�se lourd dans les actuelles crises internationales. L'URSS conna�t en Afghanistan son premier �chec militaire depuis 1945 ; le porte-parole des colonis�s est, en 1980, condamn� � l'ONU par une majorit� d'�mancip�s : l'image du r�gime ne s'en rel�vera pas. Les guerres p�riph�riques affaiblissent donc les puissances et relativisent la hi�rarchie dessin�e par la Seconde Guerre mondiale et le gel nucl�aire.
+La multiplication des �tats d�colonis�s change la donne internationale � d'autres niveaux. Ils disposent bient�t d'une majorit� � l'Assembl�e de l'ONU, cr�ent le Mouvement des non-align�s, fournissent jusqu'aux ann�es 80 une marge de manoeuvre appr�ciable � l'URSS. La plupart de ces �tats tiers-mondistes, d�pourvus de culture nationale et �tatique, vont d'ailleurs �lever leurs structures politiques sur une armature militaire : installation des arm�es comme classe dirigeante politique et �conomique, reproduction des �lites dans les circuits militaires, etc.
+Multiplication des nouveaux �tats, hypertrophie des logiques militaires internes, exportation par les puissances centrales de conflits et d'armes qui assurent leur contr�le de la p�riph�rie : ces �l�ments expliquent que la deuxi�me course aux armements contemporaine se soit d�roul�e au " Sud ", o� n'ont gu�re manqu� les affrontements inter�tatiques. � des degr�s et des moments diff�rents, le Moyen-Orient, l'Asie du Sud-Est et l'Afrique sont depuis quarante ans les grandes zones d'accumulation d'armes (hors grandes puissances). Dans ces trois zones, les rivalit�s entre unit�s politiques se sont souvent traduites en guerres - il pourrait en aller de m�me � l'avenir.
+Les affrontements militaires directs entre puissants disparaissent. Le monde de la guerre classique survit pourtant, dop� par les probl�mes r�v�l�s ou ouverts par la d�colonisation. Hors guerres mondiales, le si�cle n'est d'ailleurs pas chiche d'affrontements entre �tats, de la guerre russo-japonaise � celles qui oppos�rent l'�rythr�e � l'�thiopie, l'Iran � l'Irak, l'Inde � la Chine, l'Inde au Pakistan, le Japon � la Chine, etc. Pour user parfois d'armements modernes, ces conflits renvoient � de tr�s traditionnelles logiques de guerre : r�gulation �conomique ou d�mographique, affirmation de puissance, volont� de conqu�te, d�sir de pr�dation... Affrontement de volont�s collectives arm�es, la guerre a donc partout jou� dans ce si�cle son r�le de cr�ation : naissance du monde central des puissances, ailleurs composition d'un damier d'�tats nouveaux mais secou�s pourtant d'antiques r�flexes.
+Le r�cent se pr�tend in�dit : c'est presque toujours faux mais peut-�tre vrai pour la fin de ce si�cle. La liquidation de la bipolarit� fluidifie un syst�me dont on d�plorait hier la rigidit�, d�composant nombre de th��tres strat�giques, avec des cons�quences plus ou moins graves en Europe, en Asie centrale, en Asie de l'Est ou en Afrique. La disparition du cadre fourni par le syst�me Est-Ouest, le red�ploiement des puissances qui laisse des r�gions enti�res face � leur malheur (au sud du Sahara...), et la vivacit� et la diversit� de ce malheur dessinent de nouveaux th��tres o� les strat�gies, les acteurs et donc les conflits suivent des dynamiques in�dites.
+La floraison conflictuelle appara�t d'autant plus difficile � contr�ler que l'essoufflement du param�tre �tatique (pour des raisons et � des degr�s divers en Europe centrale ou en Afrique, par exemple) active les affrontements internes ou trans-�tatiques, les nouveaux acteurs de la violence naissant du pourrissement m�me des institutions nationales. Quant au d�senclavement des �conomies et des soci�t�s, r�sum� par le terme de mondialisation, il relativise l'emprise des �tats sur le jeu international, annon�ant de nouvelles divisions, donc des conflits, peut-�tre des menaces in�dites. Il acc�l�re la circulation des technologies et des armes qui redessine les champs d'affrontements : passage d'armes l�g�res du continent eurasiatique vers l'Afrique puis d'une zone africaine � une autre, aggravation de la capacit� de nuire de petits groupes d�sormais �quip�s d'armements modernes, etc.
+Ce d�sordre n'est que mollement combattu par les m�canismes de s�curit� r�gionale. L'Europe a su pr�server la complexe architecture de ses institutions mais, dans leur aire de comp�tence, plusieurs guerres ont �clat� depuis dix ans. Ailleurs, le concept de s�curit� r�gionale avance lentement (Asie) ou partiellement (Afrique), mais il n'est nulle part une r�ponse op�ratoire � la multiplication des conflits. Au niveau global, la gestion politico-diplomatique progresse de mani�re peu assur�e. La communaut� onusienne tente de s'imposer juridiquement, moralement, techniquement m�me, si l'on tient le d�compte des op�rations internationales, des discours et des textes adopt�s. Mais ni le droit des situations d'urgence, ni les institutions de la d�cision internationale, ni les m�thodes de coop�ration militaire ne forment un appareil polyvalent de gestion des situations conflictuelles. Un appareil dont, au demeurant, la l�gitimit� pourrait �tre, est d�j�, contest�e par nombre d'acteurs internationaux, ni riches, ni occidentaux.
+N'en d�plaise aux rassurants proph�tes de la fin des conflits entre �tats, la guerre rappelle dans la derni�re d�cennie du si�cle, avec une belle vivacit�, son classique r�le de red�coupage des unit�s et th��tres politiques. Dans le Caucase, en Asie centrale, dans les Balkans ou en Afrique centrale, le bouillonnement conflictuel �bauche les contours politiques - justes ou non - de nouvelles r�gions. Ces conflits collectifs ignorent certes souvent les acteurs de la vulgate clausewitzienne : arm�es, g�n�raux, peuples montant � la rescousse. Mais ils sont pourtant la guerre dont nous avions oubli� la diversit� formelle. La guerre d�s�tatis�e (l'�tat �clatant ou peinant � d�cider), la guerre d�militaris�e (les arm�es c�dant la place � des syst�mes f�odaux ou � des groupes arm�s en incessante m�tamorphose), la guerre d�civilis�e, enfin (sans r�f�rence aux codes juridiques et moraux cens�s encadrer, avec des r�ussites variables, les conflits arm�s des grands pays d'Occident) : mais la guerre, toujours. Au demeurant, ces violences traduisent sans doute mieux les ressorts profonds du conflit collectif que nos guerres industrielles. Elles disent la d�charge d'�nergie, la lutte sans loi pour la survie, la joie sauvage de briser la morale et la l�galit� impos�es par la paix, le go�t du th��tre sanglant que nos civilisations ont su, provisoirement et r�cemment, brider.
+La floraison de conflits peu classiques n'efface pas pour l'avenir l'hypoth�se d'affrontements inter�tatiques. En �cho � la d�colonisation, la derni�re prolif�ration d'�tats �largit le nombre des acteurs conflictuels. Quant aux raisons de s'affronter, elles rajeunissent : l'acc�s aux ressources rares (p�trole, eau), les probl�mes que pose la circulation de plus en plus large des populations (�migration �conomique, r�fugi�s), l'in�gale d�tention des technologies ou leur effet mal ma�tris� seront pr�textes aux guerres fra�ches de demain. Les arsenaux en circulation restent, eux, dop�s pour un temps ind�fini par la liquidation des arm�es de l'Est europ�en, et ils comptent de plus en plus de mat�riels � haute capacit� de nuisance, ais�ment op�rables.
+Recrus d'histoire et de sang, nos pays approchent la guerre de mani�re contradictoire. La bonne conscience occidentale jouit de l'alternative r�invent�e entre Ath�na et Mars, comme s'il existait une guerre civilis�e et une guerre barbare. Aux autres la vraie guerre : virile, sauvage, sanglante, hors civilisation, la honte de la pr�-modernit�. � nous l'usage polic� de la force : nos arm�es n'ont jamais tant servi que depuis qu'on a tu� la menace.
+Nous r�vons d'une violence gouvern�e : id�al d'une guerre cod�e correspondant � la pure Raison politique. Une Raison � la fois honn�te et efficace. Honn�te, parce que s'appuyant sur un embryon de morale commune : voir l'�tonnante bonne conscience des Alli�s atlantiques s'engageant contre la Yougoslavie au nom d'une "communaut� internationale" qui n'en put mais. Efficace, parce qu'usant de moyens techniques d�tenus par quelques puissances qui pourraient obtenir un effet d�cisif en se tenant hors du champ de bataille (armes de frappe � distance, "guerre de l'information"), et contr�ler pr�cis�ment l'escalade de la violence. La guerre du Kosovo n'a pas d�montr� la validit� de ces deux th�ses, mais elle fut clairement leur banc d'essai.
+Le d�bat ne fait que commencer sur cette nouvelle sorte de guerre : op�ration de police bas�e sur la ma�trise morale et technique de la communaut� internationale. Ce concept exige des structures internationales de l�gitimation et de d�cision, et la possibilit�, pour les politiques et les militaires, de faire une guerre diff�rente de celle que nous connaissons depuis des si�cles. Peut-on �laborer une doctrine de r�tablissement de la paix, de contr�le de la violence, pour user des appareils militaires en limitant les fameuses " frictions " que Clausewitz disait ins�parables de l'emploi de la contrainte - et qui modifient toujours les conditions et les buts de l'engagement arm� ? En utilisant les armes, n'entre-t-on pas dans une logique autre, qui ne peut jamais �tre ramen�e dans les belles all�es de la logique politique ?
+Devant les fresques qui nous d�crivent la troisi�me �re de la guerre, devant notre r�current espoir de r�soudre techniquement nos probl�mes politiques, l'histoire vivante parle, la guerre reprend ses le�ons de choses. Tout usage de la violence - et, encore plus, tout usage massif, � l'occidentale - change le paysage, mais dans quel sens ? La guerre est toujours un moment de cr�ation du monde, mais elle ne cr�e pas le monde que nous voulons qu'elle cr�e.
+Prompt � se penser unique, le XXe si�cle n'a pourtant invent� ni la puissance mortif�re des id�ologies, ni l'hyst�rie guerri�re, ni la violence de masse, ni la diversit� des formes du massacre, ni m�me le g�nocide. Il a d�montr�, comme ses pr�d�cesseurs, que l'usage de la violence collective �tait h�las consubstantiel � la volont� des hommes de modeler leur temps. La nouveaut� du si�cle, c'est l'injection de la technique dans le processus guerrier, � haute dose et avec un rythme de renouvellement neuf. Une technique qui change la place des appareils guerriers dans les soci�t�s, renouvelle les modes op�ratoires militaires, modifie les circuits de mise � disposition des armes, �largit le spectre des aventures et r�volutionne la pens�e de la guerre.
+Le XXe si�cle a pourtant tent�, plus que d'autres, de penser des modes de r�gulation internationaux qui s'�loignent du simple d�compte des forces. Nous sommes trop pr�s des �bauches morales et juridiques de ces derni�res d�cennies pour juger leur poids historique. Mais l'�poque pourrait �tre propice � l'invention d'un nouveau " mode de s�curit� ", pour reprendre l'expression de Maurice Bertrand : montage composite des diff�rents facteurs qui produisent cette s�curit�. R�vons donc d'encadrer la guerre, � d�faut de la tuer.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Politique �trang�re 4/2001
+Au-del� du traumatisme psychologique, les attentats du 11 septembre auront des cons�quences profondes, � la fois sur la soci�t� am�ricaine et sur la politique �trang�re des �tats-Unis. Sur le plan interne, ce sont bien les valeurs du contrat social am�ricain qui pourraient �tre affect�es pour parer � la menace terroriste, qu'il s'agisse de la libert� de circulation ou des �changes. Sur le plan ext�rieur, on peut se demander si le multilat�ralisme affich� par l'Administration Bush depuis les �v�nements restera une constante de sa politique �trang�re, ou si l'unilat�ralisme fera son retour une fois que les n�cessit�s de la riposte coalis�e au terrorisme cesseront de se faire sentir. En mati�re de d�fense antimissile, il est probable que la fin du mythe de l'invuln�rabilit� am�ricaine et le souhait d'adopter une posture de d�fense renforc�e acc�l�rent ce programme. Quant aux relations transatlantiques, elles pourraient �tre affect�es par une plus grande d�volution de responsabilit�s aux Europ�ens en mati�re de s�curit� sur le Vieux continent, ainsi que par le r�le jou� par la Russie dans cette crise.
+Il est d�licat de pr�tendre tirer des conclusions solides d'un �v�nement aussi traumatisant que les attaques du 11 septembre contre le World Trade Center et le Pentagone. Les effets aux Etats-Unis en seront largement psychologiques, et beaucoup d�pendra des circonstances qui suivront : poursuite de la terreur, r�actions des dirigeants et du peuple am�ricains, perception chez les Am�ricains d'un soutien ou d'une indiff�rence internationaux. Les r�flexions qui suivront doivent donc �tre interpr�t�es comme provisoires et sujettes � r�vision, l'objectif de cet article �tant avant tout de cerner les facteurs � l'oeuvre et les �volutions possibles.
+L'analogie reprise par de nombreux observateurs entre les attentats du 11 septembre et l'attaque japonaise sur Pearl Harbor ne tient pas aux situations politique et strat�gique mais au choc psychologique ressenti par la population am�ricaine. La cons�quence premi�re et fondamentale de ces attentats qui ont provoqu� la mort de milliers de civils sur le sol am�ricain est bien d'avoir fait dispara�tre le mythe, largement partag� jusque-l� aux �tats-Unis, de l'invuln�rabilit�. M�me pour l'opinion publique am�ricaine, l'Am�rique n'est plus un sanctuaire.
+Ce n'est certes pas la premi�re fois que les �tats-Unis sont frapp�s par des attaques terroristes. � maints �gards, les ann�es 1990 ont �t� celles de la d�couverte du ph�nom�ne terroriste, interne - dans les cas des attentats d'Oklahoma City et des Jeux olympiques d'Atlanta - mais aussi international : attaque au camion pi�g� contre le World Trade Center en 1993 (d�j� attribu�e � Ben Laden), contre la base am�ricaine de Dharan en Arabie Saoudite en 1996, contre les ambassades am�ricaines au Kenya et en Tanzanie en 1998 et contre la fr�gate USS Cole au Y�men en 2000.
+Pourtant, les attaques du 11 septembre et la psychose entretenue par les d�couvertes d'enveloppes contenant du bacille du charbon donnent le sentiment qu'un cap a �t� franchi. Par le nombre tr�s �lev� de victimes, tout d'abord, qui rend d�risoire le qualificatif d'attentat et incite � �voquer un acte de guerre, m�me si l'absence d'ennemi identifi� ne rend pas ce terme vraiment satisfaisant. Par la nature des cibles, ensuite, symboles de la puissance militaire et �conomique des �tats-Unis, qui donnent la mesure des intentions et de l'id�ologie destructrice qui animent les terroristes. Par le mode op�ratoire choisi, enfin, qui accentue ce sentiment de grande vuln�rabilit� : en d�tournant des avions de ligne int�rieure ou - s'il s'av�re que les coupables sont les m�mes - en utilisant le syst�me postal comme vecteur de leurs attaques bact�riologiques, les terroristes ont d�tourn� l'utilisation des fondements de la soci�t� am�ricaine que sont la libre circulation, les �changes et la communication.
+Au-del� du nombre effroyable de victimes, la peur suscit�e outre-Atlantique vient bien de ce que les terroristes ont infiltr� la nature m�me de la soci�t� am�ricaine. Pour les Am�ricains d�sormais, se prot�ger contre les terroristes suppose sinon de lutter contre eux-m�mes, du moins de se m�fier de leur propre mode de vie. Le point demeure encore ouvert de savoir, par exemple, si la loi antiterroriste sign�e par le pr�sident Bush le 26 octobre 2001 (apr�s une approbation ultra rapide de la part des deux Chambres) repr�sente un tournant d�cisif en mati�re de libert�s publiques. En accroissant la capacit� de l'�tat f�d�ral � intercepter les communications t�l�phoniques et �lectroniques, et en autorisant la d�tention des " non-citoyens ", c'est-�-dire de ceux qui ne sont pas d�tenteurs de la nationalit� am�ricaine, cette loi va � l'encontre d'un mouvement de lib�ralisation entam� au cours des ann�es 1960, et qui n'avait gu�re encore connu de recul. L'arrestation et la d�tention, sans acc�s � des avocats, de quelque mille r�sidents arabes posent �galement question.
+Il est encore trop t�t pour dire quelle sera exactement, � long terme, la r�action des �tats-Unis, et quelles en seront toutes les cons�quences, en particulier parce que de nombreuses inconnues subsistent encore et que les �v�nements � venir pourraient influer consid�rable-ment sur l'�tat d'esprit de la population am�ricaine et de ses dirigeants. On ignore, par exemple, quelles seraient les cons�quences d'une deuxi�me vague d'attentats. � coup s�r, la tr�s forte tension ressentie aujourd'hui dans les villes se transformerait en r�elle psychose. Mais quelles en seraient les cons�quences politiques, �conomiques, psychologiques, tant au plan interne qu'international ?
+De m�me, on ignore si l'opinion publique restera toujours favorable � l'engagement am�ricain en Afghanistan. Si le concept du " z�ro mort " semble avoir v�cu outre-Atlantique et si, d'apr�s de r�cents sondages, l'opinion publique semble pr�te � supporter le co�t d'une longue campagne, encore faudra-t-il qu'elle reste convaincue de l'ad�quation entre les moyens mis en oeuvre et l'objectif poursuivi, � savoir la destruction des r�seaux terroristes, entreprise longue et incertaine. Si de nouveaux attentats sont perp�tr�s aux �tats-Unis et que, par ailleurs, les forces am�ricaines s'enlisent en Afghanistan ou subissent des pertes importantes, il faudra s'attendre � ce qu'un nombre croissant d'Am�ricains remette en cause l'opportunit� d'une guerre lointaine, � l'heure o� les terroristes agissent sur le territoire national. Si, traditionnellement, la capacit� des opinions publiques � supporter les co�ts d'une op�ration militaire est li�e � la conviction de mener une guerre " juste ", elle est �galement fonction de la lisibilit� du conflit et de la conviction de mener une guerre " efficace ".
+Enfin, au plan politique interne, on peut s'interroger sur la p�rennit� de l'union sacr�e qui r�unit d�mocrates, r�publicains et ind�pendants depuis le discours du pr�sident Bush devant le Congr�s, le 20 septembre. Si l'on a encore en m�moire l'image des repr�sentants et s�nateurs am�ricains applaudissant debout leur pr�sident, tous partis confondus, � l'issue d'un discours qualifi� � maintes reprises et sans surprise d'" historique ", il convient aussi de signaler les tensions qui sont apparues peu de temps apr�s entre d�mocrates et r�publicains quant au bien-fond� et au montant du plan de relance de l'�conomie am�ricaine annonc� par la Maison Blanche et m�me quant � la f�d�ralisation des contr�les de s�curit� dans les a�roports. Le pr�sident va-t-il toujours b�n�ficier des pleins pouvoirs qui lui ont �t� de facto accord�s le 11 septembre ? Ou faut-il s'attendre � ce que le jeu des partis reprenne son cours, en particulier � l'approche des �lections de mi-mandat, avec - rappelons-le - l'enjeu d'un possible basculement de l'ensemble du Congr�s sous majorit� d�mocrate ?
+Autant de questions dont les r�ponses sont encore inconnues et qui d�pendront dans une large mesure de facteurs exog�nes. On ne peut donc que se contenter, � ce stade, d'�mettre des hypoth�ses et tenter d'entrevoir l'impact que cette d�couverte de la vuln�rabilit� pourrait avoir, non seulement sur la soci�t� am�ricaine, mais �galement - par voie de cons�quence - sur la perception que les �tats-Unis auront de leur relation avec le reste du monde. Il se peut en effet qu'au-del� de la riposte militaire, les attentats du 11 septembre aient provoqu� une r�action en cha�ne qui, de l'impact psychologique interne aux cons�quences sur la politique �trang�re am�ricaine, pourrait peser lourd sur l'�volution du syst�me international de l'apr�s-guerre froide, y compris sur la nature de la relation transatlantique.
+Le sentiment d'invuln�rabilit� du peuple am�ricain n'�tait �videmment pas total, m�me avant le 11 septembre. Les sondages du Chicago Council on Foreign Relations, dont John Rielly a r�guli�rement comment� les r�sultats dans Politique �trang�re, montrent que les Am�ricains craignaient dans une certaine mesure les cons�quences du terrorisme sur leur s�curit�. L'exp�rience de la tentative de renforcement de la s�curit� a�rienne, men�e par l'Administration Clinton d'ao�t 1996 � f�vrier 1997, montre cependant que cette crainte �tait demeur�e diffuse. La White House Commission on Aviation Safety and Security, pr�sid�e par le vice-pr�sident Al Gore, avait en effet conclu � la n�cessit� de renforcer de fa�on significative les conditions de contr�le � bord des avions. Devant la perspective d'une moindre rotation de ceux-ci, qui aurait r�duit leur rentabilit�, les compagnies a�riennes, et leurs relais au Congr�s, avaient r�sist� � cette tentative. Le compromis auquel sont parvenues les autorit�s am�ricaines fut significatif d'un �tat d'esprit trop optimiste quant � la capacit� des �tats-Unis � demeurer invuln�rables. Les nouvelles consignes de s�curit� ont en effet �t� appliqu�es aux vols en provenance ou � destination de l'�tranger, mais les vols int�rieurs en ont �t� exempt�s. Or, les quatre avions d�tourn�s le 11 septembre assuraient pr�cis�ment des vols int�rieurs. Une confiance sociale excessive dans une ligne de d�marcation entre God's own country et un �tranger plus dangereux a ainsi facilit� la t�che des terroristes.
+En bonne logique, les �v�nements du 11 septembre devraient r�duire cette c�sure mentale, contribuant � persuader les Am�ricains que leur sort est ins�parable de celui du reste du monde. La d�licate t�che des responsables politiques consistera � traduire ce point de vue g�n�ral en r�sistance aux groupes de pression organis�s qui souhaitent soustraire le territoire am�ricain � certaines mesures restrictives. Un tel conflit pourra se manifester � l'avenir aussi bien en mati�re de libert�s publiques qu'en mati�re de port d'armes, par exemple.
+En effet, cette d�couverte de la vuln�rabilit� pourrait bien alimenter un sentiment de " peur de l'�tranger " qui d�passerait la traditionnelle m�fiance � l'�gard des foreign entanglements et pourrait se traduire, � terme, non seulement par une r�ticence � l'�gard d'une implication des �tats-Unis dans les crises ext�rieures, mais �galement par un r�flexe de fermeture et de repli sur soi de la soci�t� am�ricaine. Certes, l'effet imm�diat du 11 septembre a �t� d'ouvrir les yeux de tous les Am�ricains sur le r�le que le reste du monde pourrait avoir sur le sort de la nation am�ricaine, mais la r�alit� reprendra ses droits. Rapidement, la tendance des m�dias � ne se consacrer pour l'essentiel qu'aux affaires locales surgira de nouveau. L'attention � l'�tranger se rel�chera, comme ce fut le cas pendant les conflits pr�c�dents auxquels ont particip� le pays. Surtout, dans ce contexte, si l'opinion, les groupes de pression et le secteur politique am�ricains sont d��us par les r�sultats de l'op�ration, le risque d'une r�surgence d'une m�fiance g�n�rale � l'�gard de tout ce qui provient de l'�tranger se manifestera, et peut-�tre avec plus de force encore que par le pass�.
+L'une des caract�ristiques essentielles du syst�me politique am�ricain, et en particulier du processus d'�laboration de la politique �trang�re, est que cette politique internationale est - dans une large mesure - le fruit de consid�rations internes. Le r�le du Congr�s et le poids des lobbies (�conomiques et ethniques, en particulier) font que la politique internationale de la premi�re puissance mondiale est souvent prise en otage par des groupes d'int�r�ts puissants, organis�s et disposant de moyens financiers consid�rables leur permettant de peser sur le jeu �lectoral, et donc sur les choix effectu�s par les �lus.
+Or, les attentats du 11 septembre pourraient avoir comme cons�quence d'inverser pendant au moins un temps l'ordre des priorit�s : les groupes d'int�r�ts continueront certes � exercer des pressions pour faire valoir les projets qu'ils d�fendent, mais ceux-ci seront largement contrebalanc�s ou renforc�s, selon les cas, par les imp�ratifs de s�curit� nationale et de la lutte contre le terrorisme. Ainsi, l'importance des enjeux internationaux actuels rendrait la politique �trang�re des �tats-Unis moins sensible aux int�r�ts minoritaires, pr�cis�ment parce que - de mani�re indiscutable - l'int�r�t national est en jeu.
+Il ne faut d�s lors pas s'�tonner de voir les �tats-Unis revenir de mani�re spectaculaire sur des programmes de coop�ration internationale qu'ils avaient jusqu'� pr�sent rejet�s, au motif qu'ils mettaient en cause la souverainet� et les int�r�ts am�ricains. Le programme de l'OCDE de lutte contre le blanchiment d'argent et les paradis fiscaux - dont les �tats-Unis s'�taient d�sengag�s juste avant les attentats sous la pression du lobby bancaire soucieux d'�viter aux banques am�ricaines des r�glementations et des proc�dures impos�es de l'ext�rieur - a ainsi �t� relanc� par Washington. On peut aussi s'attendre, selon le m�me sch�ma, � ce que les Am�ricains manifestent un int�r�t nouveau pour l'accord sur le contr�le des armes � petit calibre, rejet� il y a quelques mois � peine par le Congr�s sous la pression de la puissante National Rifle Association.
+Pour autant, il ne faut pas se dissimuler que l'�volution inverse est �galement possible. Si la campagne actuelle en Afghanistan ne parvient pas � obtenir des r�sultats probants dans un d�lai raisonnable, on pourrait assister � terme � un choc en retour tendant � raviver la m�fiance intuitive du peuple am�ricain envers l'�tranger. Ceci ne m�nerait pas � un quelconque " nouvel isolationnisme ", au demeurant parfaitement irr�alisable, mais pourrait avoir pour effet de renforcer encore le poids des d�terminants internes dans les d�cisions des �tats-Unis en mati�re internationale, de limiter encore davantage la marge de manoeuvre de l'ex�cutif face au Congr�s et, ce faisant, de renforcer le r�le des groupes de pression. La politique �trang�re am�ricaine en serait rendue plus impr�visible, oscillant entre des p�riodes de retrait et des pouss�es d'interventionnisme d'autant plus fortes qu'elles seraient dict�es par des contingences int�rieures. La partie qui se joue avec la campagne actuelle est donc d'une importance capitale pour l'engagement am�ricain futur dans les affaires internationales. � ce titre, elle peut conditionner l'avenir du syst�me international dans son ensemble.
+La lutte contre le terrorisme est devenue l'enjeu num�ro un du mandat de George W. Bush, et l'on peut s'attendre, au moins � court terme, � ce que la plupart des choix de politique int�rieure et internationale soient examin�s � l'aune de cet objectif. Ceci devrait avoir des cons�quences sur la posture de d�fense des �tats-Unis.
+La premi�re cons�quence pourrait �tre pr�cis�ment un renforcement de cette posture de d�fense, au d�triment des strat�gies de projection de forces. En d'autres termes, la puissance militaire des �tats-Unis verrait ses missions recentr�es sur la d�fense du territoire am�ricain et de ses bases et int�r�ts � l'�tranger, au d�triment d'une utilisation de ces forces � des fins d'intervention ext�rieure. Par ailleurs, la tendance ne devrait pas �tre celle d'un abandon des syst�mes de d�fense reposant avant tout sur la technologie, mais au contraire d'un renforcement de ces syst�mes en m�me temps qu'un d�veloppement du facteur humain. En d'autres termes, tout ce qui servira la d�fense du pays sera consid�r� comme indispensable.
+Ainsi, contrairement � ce que l'on pourrait l�gitimement conclure � la suite des attentats, les attaques terroristes du 11 septembre qui - loin d'�tre men�es � l'aide de missiles intercontinentaux- ont �t� perp�tr�es par d�tournement de moyens civils, n'ont pas rendu caduc le programme de d�fense antimissile mais pourraient bien avoir renforc� sa l�gitimit�. Loin d'�tre per�ue comme un contre-exemple de l'utilit� d'un tel syst�me, la d�fense antimissile pourrait sortir renforc�e de cette crise, ses partisans insistant pr�cis�ment sur le risque qu'un groupe de terroristes mette la main sur des missiles et les lance contre le territoire am�ricain. C'est ainsi que, quelques jours seulement apr�s les attentats, les s�nateurs d�mocrates ont d�cid� de lever leurs objections au niveau de d�pense portant sur la d�fense antimissile propos� par l'Administration pour 2002. Depuis le 11 septembre, l'argument des Europ�ens selon lequel les Am�ricains auraient une f�cheuse tendance � surestimer la menace, � des fins de d�veloppement industriel, est de plus en plus difficile � avancer. Ces attentats ont ainsi fourni une caution morale � tout programme militaire ou civil visant � accro�tre la protection du territoire et des int�r�ts des �tats-Unis dans le monde.
+La seconde cons�quence, d�coulant directement de la premi�re, pourrait �tre une augmentation sensible du budget de d�fense am�ricain. En d�pit du fait que les �tats-Unis d�pensent d�j� 320 milliards de dollars par an pour leur d�fense, soit davantage que les neuf pays les plus d�pensiers en mati�re militaire apr�s eux, on peut s'attendre � ce que les responsables am�ricains se montrent favorables � de nouvelles augmentations. Les chiffres oscillent � l'heure actuelle entre 20 et 40 milliards de dollars d'augmentation dans le prochain budget. Par ordre de comparaison, le budget militaire annuel de la France est de moins de 30 milliards de dollars.
+Une telle attitude ne sera d'ailleurs pas sans poser certains probl�mes de fond. En premier lieu se pose naturellement la question des moyens. Il est clair qu'une posture de d�fense renforc�e co�te cher et qu'� l'heure o� les �tats-Unis connaissent un ralentissement de leur croissance et que l'Administration Bush a d�cid� d'une r�duction importante des imp�ts, on peut l�gitimement mettre en doute la capacit� des �tats-Unis � assumer un tel choix. Du moins, des choix budg�taires d�licats seront-ils exig�s au d�triment d'autres secteurs, comme ceux de l'�ducation et de la sant�.
+Le deuxi�me probl�me est celui de la hi�rarchisation des priorit�s. � force de d�penser sans discrimination, les �tats-Unis risquent pr�cis�ment de se priver d'une r�elle politique de d�fense, c'est-�-dire d'une strat�gie qui - apr�s avoir hi�rarchis� les menaces - d�veloppe les moyens d'y faire face, en fonction des besoins relatifs. Une politique de d�fense tous azimuts court paradoxalement le risque de ne pas voir venir la menace.
+Certains observateurs ont cru voir dans les premi�res d�clarations et d�cisions de l'Administration Bush au lendemain des attentats un changement de comportement important. En tentant de constituer une coalition la plus large possible, les �tats-Unis ont pu donner le sentiment de rompre avec l'unilat�ralisme initial de cette Administration. Washington a ainsi fait appel � ses alli�s - en particulier europ�ens - en leur demandant un soutien sans faille pour mener � bien une riposte � laquelle ils ne manqueraient pas d'�tre associ�s. Cette volont� de constituer une coalition internationale a ensuite �t� �tendue � l'ensemble des pays du monde par le biais de l'ONU, en demandant au Conseil de s�curit� de voter une r�solution condamnant les attentats et l�gitimant une riposte militaire. Cette d�marche a heureusement surpris ceux qui craignaient de voir l'ONU mise de c�t�, comme ce fut le cas lors de la campagne a�rienne du Kosovo, et a pu donner le sentiment que les �tats-Unis avaient renonc� - dans cette crise tout du moins - � l'action unilat�rale. La nature de la menace � laquelle l'unique superpuissance est confront�e rend de facto indispensable une coop�ration internationale et force donc les �tats-Unis � agir en concertation avec leurs principaux alli�s.
+Faut-il pour autant consid�rer ces gestes comme des signes d'un multilat�ralisme retrouv� ? Rien n'est moins s�r et il convient sans doute d'�tre tr�s prudent en la mati�re. Si l'on admet en effet que les �tats-Unis - � la suite de ces attentats - vont mettre en oeuvre une politique visant essentiellement � �viter que de telles attaques ne se produisent � nouveau, on peut s'attendre � ce que ce multilat�ralisme apparent ne soit que de circonstance et ne masque en r�alit� une politique de d�fense de l'int�r�t national primant sur toutes les autres consid�rations. Ainsi, les �tats-Unis ne feraient aujourd'hui appel � une coalition que dans la mesure o� celle-ci a un effet rassurant et qu'elle est utile pour tenter d'adoucir les cons�quences internationales de leur riposte militaire. Mais, comme cela a d�j� �t� signal� pr�c�demment, on peut tout aussi bien s'attendre � ce que ce multilat�ralisme soit d�nonc� par les responsables am�ricains d�s lors qu'il serait per�u comme un obstacle � la d�fense d'un int�r�t sup�rieur. Les �tats-Unis seront d'autant plus incit�s � ne compter que sur eux-m�mes qu'ils auront plac� la lutte antiterroriste au premier rang de leurs priorit�s. Et, dans cette perspective, l'adage multilateralist if possible, unilateralist when necessary devrait �tre particuli�rement d'actualit�.
+La riposte militaire en cours n'est d'ailleurs qu'une �tape dans la r�action des �tats-Unis aux attentats qui ont endeuill� la premi�re puissance mondiale. Le pr�sident am�ricain l'a fait savoir de mani�re tr�s claire en comparant cette lutte antiterroriste de longue haleine � l'affrontement bipolaire de la guerre froide, qui avait exig� la mise en oeuvre de moyens tr�s vari�s, allant de la puissance militaire � l'influence culturelle, en passant par l'action diplomatique et les moyens �conomiques. Les Europ�ens ne peuvent que se r�jouir de cette attitude patiente qui exclut a priori toute r�plique militaire massive et entend privil�gier l'action de long terme. Mais ils auraient tort de croire que cette riposte am�ricaine se fera " toutes choses �gales par ailleurs ". Les attentats du 11 septembre pourraient, au-del� de l'action militaire en cours et des mesures politiques et �conomiques adopt�es, avoir des cons�quences majeures sur l'ensemble du syst�me international, par le biais des inflexions qu'elles pourraient produire dans l'attitude internationale des �tats-Unis. L'asym�trie du syst�me international actuel fait que toute modification de la posture internationale de l'unique superpuissance aura n�cessairement des r�percussions sur l'ensemble des relations inter�tatiques. Il faut en particulier s'attendre � ce que les �tats-Unis red�finissent leur strat�gie � l'�gard d'un certain nombre de pays. En proclamant que tous les pays du monde doivent d�cider s'ils sont avec les �tats-Unis ou avec les terroristes, le pr�sident Bush a volontairement restreint l'alternative, montrant bien que les coalitions n'auront d'int�r�t pour les Am�ricains que si les autres membres sont en accord avec la strat�gie �labor�e par Washington. Mais cette d�claration aura surtout pour effet de rendre les ambigu�t�s strat�giques de moins en moins tenables.
+Ainsi, par effet presque m�canique, les attentats du 11 septembre ont provoqu� des rapprochements spectaculaires entre les �tats-Unis et certains pays comme la Russie, l'Inde et dans une moindre mesure la Chine. D'autres, comme la Libye ou Cuba, jadis ouvertement hostiles � l'�gard de Washington, ont surpris par leurs d�clarations de solidarit�. Bien entendu, ces d�clarations de compassion ne sont pas d�nu�es d'arri�re-pens�es, mais les attentats terroristes ont sans nul doute �galement fournit aux dirigeants de ces �tats l'argument de poids susceptible de faire accepter, au plan int�rieur, un rapprochement difficilement envisageable auparavant. Surtout, les attentats terroristes qui ont frapp� les �tats-Unis vont sans doute provoquer un d�bat interne et international sur l'attitude des Am�ricains � l'�gard d'un certain nombre de pays.
+C'est le cas tout d'abord de la cat�gorie des rogue states, dans laquelle se retrouvent, p�le-m�le et sans aucune justification s�rieuse, des �tats aussi divers que Cuba, l'Iran, l'Irak, la Libye ou la Cor�e du Nord. Comme il a �t� vu pr�c�demment, nombreux sont ceux qui ont exprim� leur solidarit� � l'�gard des �tats-Unis, rompant ainsi avec leur rh�torique anti-am�ricaine habituelle. Or, ces marques de soutien pourraient bien remettre en cause l'existence m�me de cette cat�gorie, dont l'un des crit�res �tablis par son concepteur, Anthony Lake, alors conseiller national de s�curit� du pr�sident Clinton, est pr�cis�ment l'animosit� � l'encontre de Washington. Si l'une des nombreuses cons�quences du 11 septembre est un rapprochement entre les �tats-Unis et certains rogue states, alors la liste de ces derniers devra �tre revue en cons�quence. Le cas de l'Iran est, � cet �gard, significatif. Si les tensions politiques internes (entre le pr�sident r�formateur Khatami et l'imam Khamenei) et le passif iranien en mati�re de soutien au terrorisme international peuvent faire douter de l'�ventualit� d'un rapprochement rapide avec les �tats-Unis, on ne peut pas non plus exclure que la communaut� d'int�r�t qui lie Am�ricains et Iraniens face au r�gime des Talibans ne serve de base � un rapprochement � plus long terme. En ce sens, les attentats du 11 septembre pourraient servir d'acc�l�rateur � une lente �volution, entam�e sous Clinton. Toute la question, pour l'Iran comme pour les autres pays qualifi�s de rogue states, ainsi que pour la Russie, l'Inde et la Chine, est de savoir si ces rapprochements seront durables ou si, une fois le probl�me r�gl� en Afghanistan, les antagonismes reprendront leur cours.
+Au-del� de ces am�liorations des relations diplomatiques, dont il reste � savoir si elles sont circonstancielles ou durables, la logique voudrait que les attentats du 11 septembre am�nent les �tats-Unis � revoir leurs strat�gies au Proche-Orient, et plus particuli�rement � l'�gard d'Isra�l, de l'Arabie Saoudite et de l'Irak. Il est d'ailleurs notable � ce propos de noter combien les �tats-Unis, au cours des derni�res ann�es, se sont rendus politiquement d�pendants des �tats qui sont d�pendants militairement � leur �gard et dont ils assurent la protection. D'une relation qui aurait d� �tre une relation de d�pendance � sens unique, ces �tats alli�s des �tats-Unis ont su faire une relation de d�pendance r�ciproque.
+C'est naturellement vrai d'Isra�l, prot�g� par le soutien de l'opinion publique am�ricaine qui voit en lui, de fa�on quelque peu caricaturale, un pays aux valeurs occidentales confront� � des pays arabes aux valeurs diff�rentes. Cette d�pendance est li�e � ce partage culturel, comme on l'a vu chaque fois que la politique isra�lienne s'en �loignait, que ce soit face au Liban ou sous la mandature N�tanyahou ou, plus r�cemment, avec la politique d'Ariel Sharon � l'�gard des civils palestiniens. Dans chacun de ces cas, le soutien du groupe de pression proisra�lien, incarn� par l'AIPAC, ne s'est pas transform� en soutien de l'opinion publique am�ricaine. Cependant, dans la plupart des situations, la d�pendance politique des �tats-Unis � l'�gard de leur alli� isra�lien demeure.
+Les signes d'une inflexion modeste de la position am�ricaine � l'�gard du conflit isra�lo-palestinien sont pourtant, peut-�tre, d�j� perceptibles. Les d�clarations du pr�sident Bush en faveur de la cr�ation d'un �tat palestinien et les pressions exerc�es � l'encontre d'Isra�l pour �viter l'escalade militaire ont rompu avec l'attitude r�serv�e observ�e jusque-l� par l'Administration r�publicaine. Il devrait �tre clair d�sormais que les attentats du 11 septembre ont conduit � une communaut� d'int�r�t plus visible que par le pass� entre certains responsables palestiniens et am�ricains, ces derniers craignant avant tout d'�tre per�us comme engag�s dans un " conflit de civilisation " contre le monde musulman. Il est encore difficile aujourd'hui de savoir si ces �v�nements auront marqu� une rupture majeure dans les relations entre Washington et Tel-Aviv. Mais ils auront sans doute provoqu� outre-Atlantique un d�bat qui devrait conduire un nombre croissant d'observateurs � s'interroger sur le bien-fond� de la politique suiviste des �tats-Unis � l'�gard du conflit isra�lo-palestinien, ce qui pourrait donner plus de jeu � la politique am�ricaine sur ce dossier.
+Il en est de m�me, pour des raisons bien diff�rentes, � l'�gard de l'Arabie Saoudite et des monarchies p�troli�res du Golfe, qui tiennent au r�le majeur que jouent ces pays en mati�re d'approvisionnement �nerg�tique des �tats-Unis et de leurs alli�s, et de la conscience qu'il n'existe pas d'alternative ais�ment rep�rable aux r�gimes actuels. Pourtant, le r�le actif jou� par Riyad dans le soutien financier et id�ologique au d�veloppement d'un islamisme radical et parfois extr�miste irr�m�diablement hostile � l'Occident pourrait l�gitimement avoir modifi� l'attitude de Washington � son �gard. La question demeure de savoir si la d�pendance politique dans laquelle la diplomatie am�ricaine s'est plac�e � l'�gard de ses alli�s au Moyen-Orient rendra possible les �volutions n�cessaires.
+Enfin, bien qu'aucune d�claration n'ait officiellement mis en cause l'Irak dans les attentats du 11 septembre ou dans les envois de lettre contenant de l'anthrax, les attaques terroristes subies par les �tats-Unis ont �t� l'occasion de remettre sur la table la strat�gie am�ricaine � l'�gard de Bagdad. L'Administration r�publicaine - ou plus exactement le secr�taire d'�tat Colin Powell - s'�tait illustr�e d�s le d�but du mandat de George W. Bush par ses initiatives visant � modifier le r�gime de sanctions dans le sens de l'adoption de mesures plus cibl�es, �pargnant les populations civiles. Cette initiative avait �t� consid�r�e � l'�poque, en particulier au Pentagone, comme le signe avant-coureur d'une mesure d'assouplissement risqu�e de la position am�ricaine vis-�-vis de Bagdad. Depuis le 11 septembre, les voix des partisans d'un recours � la force se sont fait entendre au plus haut niveau (l'adjoint du secr�taire � la D�fense, Paul Wolfowitz), ceux-ci voulant saisir l'occasion de l'op�ration militaire en Afghanistan pour se d�barrasser de Saddam Hussein. En d�pit de leurs pressions, la Maison-Blanche semble jusqu'� pr�sent avoir compris les risques qu'une telle initiative ferait peser sur la coalition internationale, en particulier dans les pays musulmans et chez certains Europ�ens, dont la France. Mais rien ne permet, � ce stade, de pr�juger des rapports de force � venir au sein de l'Administration et du Congr�s. On peut s'attendre, en particulier, � ce que des analogies soient �tablies entre l'Irak et l'Afghanistan, o� un soutien militaire � l'opposition (Alliance du Nord) a permis un changement de r�gime � Kaboul.
+Cette red�finition des relations entre certains �tats et la premi�re puissance mondiale ne manquera pas de concerner les Europ�ens eux-m�mes. Non que l'alliance transatlantique soit remise en cause dans ses fondements, mais parce que le bouleversement des priorit�s strat�giques que ces attentats pourraient provoquer outre-Atlantique posera in�vitablement la question des priorit�s europ�ennes.
+Cette crise devrait tout d'abord relancer le d�bat sur l'implication des �tats-Unis dans la s�curit� de l'Europe et, plus largement, sur le partage du fardeau pour assurer la s�curit� des membres de l'OTAN, y compris � l'�gard de la menace terroriste. Il est en effet fort probable que cette crise ait un effet imm�diat : acc�l�rer la d�volution aux Europ�ens de la responsabilit� d'assurer la s�curit� dans les Balkans. On peut ainsi s'attendre - apr�s une telle attaque - � ce que les �tats-Unis placent la lutte antiterroriste au premier rang de leurs priorit�s et que le r��quilibrage au profit du Moyen-Orient et de l'Asie s'en trouve acc�l�r�, au d�triment de l'Europe. Apr�s les attaques sur le sol am�ricain, l'importance de la stabilit� en Mac�doine a sans doute �t� relativis�e � Washington. Les demandes faites aux Europ�ens par le Pentagone de compenser les retraits �ventuels de troupes am�ricaines des contingents internationaux en Bosnie et au Kosovo repr�sentent sans doute un signe annonciateur de mouvements futurs.
+D'une mani�re g�n�rale d'ailleurs, la relation transatlantique va probablement conna�tre des modifications sensibles du fait de l'impact du 11 septembre. Sans s'avancer � l'exc�s, on peut faire le pari que deux changements sont � pr�voir. D'une part, la guerre du Kosovo avait convaincu les �tats-majors am�ricains que l'OTAN pouvait repr�senter une g�ne pour la conduite d'op�rations militaires, du fait du contr�le multilat�ral et pointilleux effectu� par le Conseil Atlantique sur celle-ci. Le r�sultat de cette m�fiance s'est manifest� avec force depuis le 11 septembre, puisque la d�cision prise par les Alli�s d'invoquer pour la premi�re fois l'article 5 du trait� de Washington n'a �t� suivie que de mesures symboliques. Les Am�ricains ont pr�f�r� mener une guerre nationale sous le couvert d'une coalition internationale, et en choisissant � la carte parmi les Alli�s ceux qui pouvaient leur apporter une contribution utile, plut�t que de s'appuyer sur l'appareil collectif de l'OTAN. D'organisation politico-militaire, l'OTAN est en passe de devenir un r�servoir de moyens au service des ses membres dans des formations diverses.
+En second lieu, le r�le jou� par la Russie dans le conflit actuel, et en particulier l'habilit� du pr�sident Poutine et sa capacit� � lever les objections internes � une attitude de soutien envers la campagne men�e par les �tats-Unis ont des chances de relancer la relation entre l'OTAN et la Russie, qui restait peu satisfaisante. Le processus induit par l'Acte fondateur OTAN-Russie en 1997 devrait �tre r�activ�. Cela pourrait changer la donne en ce qui concerne l'�largissement futur de l'OTAN. L'Administration Bush semble en effet d�termin�e � obtenir un �largissement incluant au moins l'un des �tats baltes lors du sommet de l'Alliance de 2002, qui se tiendra � l'automne � Prague. Cependant, si la Russie continue � soutenir les Am�ricains dans l'entreprise dans laquelle ils se sont lanc�s, il est fort improbable que cet �largissement puisse �tre conduit sans tenir compte des positions de Moscou. Il serait en effet hasardeux de prendre une mesure consid�r�e comme peu amicale par un alli� dans la lutte contre le terrorisme. Quels que soient les sentiments antirusses qui persistent dans l'Administration, au Congr�s et dans l'appareil militaire, il para�t difficilement envisageable, pour des raisons politiques, de laisser � la Russie le r�le d'unique �tat europ�en n'ayant pas vocation � participer � l'Alliance atlantique. On pourrait donc envisager que la liste de pays susceptibles de participer au prochain �largissement soit effectivement approuv�e � Prague, mais que les pays de l'OTAN ajoutent que la candidature de la Russie pourrait �galement �tre envisag�e � terme. En attendant, un renforcement de la consultation OTAN-Russie serait d�fini et mis en oeuvre. Tel est probablement le sens des paroles sibyllines du pr�sident Poutine, prononc�es le 4 octobre 2000 � Bruxelles : " Il est possible de voir (l'�largissement de l'OTAN) sous un jour compl�tement nouveau - si l'OTAN prend une teinte diff�rente et devient une organisation politique. "
+L'instrument principal de la relation transatlantique est donc probablement appel� � se transformer profond�ment. Tel n'est pas, d'un point de vue europ�en, la moindre cons�quence des attaques du 11 septembre.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Politique �trang�re 4/2001
+Les attentats du 11 septembre expriment un monde, celui de l'apr�s-guerre froide, �cartel� entre l'acc�l�ration de la mondialisation et le pourrissement des affrontements provinciaux. Ils vont nous contraindre � ouvrir une nouvelle �tape de la mutation de notre pens�e strat�gique entreprise voici dix ans. Ce qui doit �tre revu, c'est � la fois l'articulation entre les composantes militaires et non-militaires de nos strat�gies, et des politiques de d�fense qui ont trop longtemps ignor� que les soci�t�s d�velopp�es produisaient leurs propres vuln�rabilit�s.
+Les �v�nements du 11 septembre, comme les autres, expriment leur monde : le n�tre. Un monde que nous peinons � comprendre et que nous �chouons encore � gouverner, en d�pit de toutes nos tentatives, de tous les mod�les mani�s depuis dix ans.
+Si nous l'observons � travers des crit�res strat�giques pour �valuer les rapports entre forces et dessiner les espaces o� ils s'exercent, ce monde appara�t, depuis dix ans, � la fois de plus en plus d�cloisonn� et de plus en plus provincial. D�cloisonn� : l'acc�l�ration de la mondialisation a abattu nombre d'obstacles � la diffusion des images, des biens et des hommes, relativisant donc les �quilibres locaux. Elle s'accompagne en outre d'un discours sur son �vidence, son caract�re irr�pressible - discours �minemment id�ologique qui se r�clame de la mort des id�ologies. Provincial, puisque, sous le grand vent de l'unification, et � proportion de l'absence d'institutions politiques lui correspondant, les dynamiques r�gionales, les abc�s locaux se d�veloppent. Le monde est peut-�tre unique, mais couvert d'une peau de l�opard qui montre plus de diversit�s, plus de contradictions.
+Le terrorisme, tel qu'il appara�t dans ses habits neufs du 11 septembre 2001, renvoie au double caract�re de ce temps. Il est � la fois le produit de probl�mes locaux ou r�gionaux, et celui de la revendication d'un universel qui s'opposerait � la seule id�e globale r�gnante, celle du monde vu comme un syst�me de march�s, symbolis� par les id�es et la puissance de l'Am�rique.
+La d�termination par le local ou le r�gional ne peut �tre ni�e. Les blocages diplomatiques des derniers mois au Proche-Orient n'ont pu, pour de simples raisons de chronologie, produire les attentats. Mais le pourrissement discret, puis brutal, de la relation isra�lo-palestinienne, la d�gradation de long terme de la situation dans la Corne de l'Afrique, le caract�re � la fois ill�gitime et inefficace de nombre de r�gimes arabes contest�s par les mouvements islamistes radicaux, et la longue trag�die de l'Afghanistan d�bordant sur l'Asie centrale ont manifestement jou� un r�le dans l'envol des actes et les mutations des r�seaux terroristes. Les attentats contre La Mecque de la mondialisation financi�re visent pourtant bien plus haut que la simple pression dans un conflit d�termin� : ils s'attaquent � un monde, celui que repr�sente l'Occident, et donc l'Am�rique, avec sa dominance �conomique, militaire et culturelle. En esp�rant que les r�ponses de l'agress� seront suffisamment erratiques pour aider � cristalliser un sentiment mondial, universel, qui se l�verait contre l'universel ha� des �tats-Unis.
+Produit monstrueux d'une combinaison de provincialisme et d'universel, notions qui prennent un nouveau sens avec le d�senclavement et la segmentation de l'apr�s-guerre froide, le terrorisme new look exprime aussi la fluidit� de notre environnement strat�gique. Enjeux permanents, acteurs identifi�s et forces paisiblement mesurables appartiennent au pass�. La topographie de l'international (son d�coupage en espaces) et sa sc�nographie (son �clatement en acteurs) �voluent rapidement, en grande partie du fait de l'affaiblissement des fronti�res physiques ou techniques. Les ph�nom�nes terroristes prolif�rent au croisement de quatre grandes circulations : celle des mots et des images (qui permet de bricoler des solidarit�s entre des soci�t�s tr�s diff�rentes), celle des capitaux (qui autorise la mise sur pied de logistiques performantes), celle des armes (qui ouvre sans cesse le champ des dangers futurs), et celle des hommes. Mouvements in�galement r�partis sur la plan�te, mais qui, ensemble ou s�par�ment, touchent tous les th��tres strat�giques et rendent plus difficiles les op�rations de police ou de d�fense int�rieure, hier aid�es par la distinction claire entre l'en-dedans et l'en-dehors. Mouvements qui cr�ent ou m�tamorphosent des acteurs, des risques, que ne sont pas habitu�s � traiter nos appareils de d�fense.
+Dans ce monde-l�, les grandes puissances - celles qui ont les moyens � la fois d'une d�fense territoriale et d'une projection strat�gique de forces - semblent h�siter entre la volont� d'intervenir dans certaines crises, et la tentation de se replier sur leurs int�r�ts nationaux - cette tentation encadrant et organisant, � l'occasion, l'intervention. Ces puissances apparaissent ainsi doublement suspectes aux " provinciaux " : suspectes de tenter d'imposer une volont� internationale �lev�e sur des principes contest�s, et de promouvoir leurs int�r�ts �go�stes d'�tats. Ce monde trop vite imagin� pacifi� est bien d�r�gul�, peu ou mal gouvern�, et agit� de conflits plus nombreux, aux formes nouvelles, qui mettent souvent en oeuvre des moyens qui maximisent l'efficience de petits groupes humains.
+Dans ce contexte, l'agression du 11 septembre est � la fois peu nouvelle et in�dite. Peu nouvelle pour l'instrument : c'est le concept d'emploi qui fait du Boeing une arme de jet d�vastatrice (ce qui nous rappelle opportun�ment qu'en strat�gie innovation n'est pas toujours synonyme d'invention technique). La non-revendication des attentats, not�e par plusieurs observateurs, n'est pas non plus nouvelle. Elle est usuelle en mati�re de terrorisme : elle augmente la terreur et bride la r�ponse en compliquant l'identification de l'adversaire. L'absence des tentatives habituelles de r�cup�ration s'expliquant simplement par l'ampleur de l'horreur.
+Les attentats de New York sont pourtant in�dits. Ils installent d�finitivement les �tats-Unis dans une position de cible qui correspond � l'�tendue de leur puissance. Jusqu'ici, l'Am�rique semblait ne pouvoir �tre touch�e gravement que par un acte de guerre massif (attaque balistique, nucl�aire...) ; les Europ�ens �taient les victimes beaucoup plus vraisemblables du terrorisme. L'importance des moyens mobilis�s, en termes de recrutement, de formation, de financement, bref, l'organisation et la constance dans le projet strat�gique apparaissent �galement neufs. Tout comme l'�largissement du vivier des candidats au terrorisme-suicide, qui ne se recrutent pas, ou plus seulement, dans les peuples souffrant d'une insupportable domination, ou dans les milieux sociaux marginaux. Enfin, le 11 septembre est in�dit dans ce qu'il ne montre pas mais laisse entrevoir : l'usage possible, avec une tactique comparable, d'armes plus terribles encore. Pour toutes ces raisons, ces attentats ouvrent un nouveau front, r�v�lent une b�ance de notre d�fense, secouent la routine de nos d�bats strat�giques.
+Depuis dix ans, la grande affaire des syst�mes militaires occidentaux est la marginalisation de la menace territoriale massive. Concepts strat�giques, mod�les de manoeuvre des forces, organisation m�me de ces forces : tout doit changer dans des pays qui ont toujours dessin� leurs syst�mes de d�fense pour r�sister � l'invasion du territoire ou pour mener une grande guerre classique, les autres hypoth�ses �tant jug�es secondaires. C'est la fin, au moins provisoire, de la grande forme guerri�re, qui vise � employer, contre un adversaire clairement identifi�, et au mieux de mani�re d�cisive, une concentration de puissance potentiellement infinie. Les logiques, les r�gles, les appareils d'une vulgate clausewitzienne soigneusement appliqu�e depuis deux si�cles apparaissent d�class�s sur un �chiquier o� conflits et acteurs appellent d'autres manoeuvres, d'autres r�ponses. D'o� des r�formes en cascade d'appareils militaires qui savent qu'ils n'ont gu�re de chance d'�tre utilis�s " en bloc " (concept de modularit� des forces), ni d'�tre utilis�s dans le seul cadre national (concept d'interop�rabilit�).
+Apr�s avoir �cart� l'id�e qu'une menace Sud pourrait remplacer la menace Est pour l�gitimer des appareils militaires inchang�s, on s'est d'abord attach� au r�glement de crises ext�rieures. Si la s�curit� internationale n'est plus mise en cause par des hypoth�ses d'invasions massives, mais par les effets induits d'abc�s locaux, l'intervention de stabilisation prend tout son sens. Les op�rations internationales qui se sont succ�d� nous ont ainsi oblig�s � penser l'usage de nos moyens d'action, et sp�cialement de nos forces militaires, dans une autre configuration que celle du conflit classique. Il s'agissait bien (voir les efforts de l'Union europ�enne depuis 1998 pour d�finir les instruments adapt�s aux " hypoth�ses de Petersberg ") de penser, pour l'en-dehors, " autre chose que la guerre ".
+Parall�lement s'affirmait, dans un contexte o� la menace �tait moins proche et l'engagement humain plus incertain, l'emprise de la logique technique. Les attitudes am�ricaines sont ici dominantes, avec un formidable effet de contagion sur nos raisonnements. Deux directions ont ainsi �t� privil�gi�es : le recours aux technologies de l'information, tout d'abord, pour acqu�rir � distance une connaissance d'espaces strat�giques choisis et y agir militairement en limitant l'engagement physique des forces, ou en en maximisant l'effet : double probl�matique d'une domination � distance de l'espace d'affrontement et du champ de bataille �ventuel ; puis l'enr�lement de ces m�mes techniques dans une entreprise visant � resanctuariser des espaces nucl�aris�s contre le double risque de la prolif�ration des missiles balistiques et de celle des armes de destruction massive.
+En bref, les d�bats strat�giques de ces dix derni�res ann�es ont, sp�cialement en Europe, tourn� autour de deux questions-clefs :
+ +Ces d�bats ont laiss� de c�t� l'hypoth�se d'une atteinte massive non-conventionnelle aux sanctuaires. Les syst�mes de d�fense �taient l� pour parer � une atteinte militaire massive. Rien ne permettait de penser que, r�gl�s sur l'hypoth�se sovi�tique, ils ne seraient pas pertinents pour des affrontements inter�tatiques beaucoup moins dangereux. Quant aux hypoth�ses non-conventionnelles, en particulier les sc�narios terroristes, on les tenait dans des limites imagin�es d'apr�s les exp�riences pr�c�dentes des ann�es 1980 ; ou on les renvoyait aux technologies �mergentes, donc � un avenir plus ou moins lointain.
+La d�marche que nous avons suivie pour l'en-dehors (d�couvrir et organiser " autre chose que la guerre "), les �v�nements du 11 septembre nous forcent � l'appliquer � l'en-dedans. Car la proclamation de l'�tat de guerre face au terrorisme ne r�sout nulle question. La situation h�rit�e des attentats n'est pas la guerre dans sa d�finition sociologique : l'affrontement sanglant et arm� entre groupes humains organis�s et de statuts comparables. Et elle n'est pas non plus la guerre dans sa d�finition fonctionnelle : une situation qui appelle l'utilisation de l'appareil militaire tel qu'il est - et c'est justement pourquoi la r�plique est si difficile � concevoir...
+La question centrale n'est pas ici la qualification de l'�tat d'affrontement, mais l'appr�ciation des vuln�rabilit�s et, par cons�quent, celle des moyens d'y parer. La vuln�rabilit� sp�cifique de nos soci�t�s d�velopp�es doit de toute �vidence occuper une place centrale dans nos raisonnements. Cette vuln�rabilit� est un th�me r�current ces derni�res ann�es, mais tout se passe comme si son ampleur et sa dynamique n'avaient �t� que confus�ment per�ues.
+Au coeur du d�bat, ce th�or�me : la vuln�rabilit� globale des soci�t�s sophistiqu�es cro�t plus rapidement que les moyens techniques d'y parer. Ce qui ne signifie pas que ces soci�t�s soient � tout moment menac�es, ni qu'elles soient, in�vitablement, de plus en plus menac�es, mais que leur sophistication diversifie les vuln�rabilit�s et en change la nature. Par la concentration de leur habitat, des ressources n�cessaires � leur survie et des r�seaux d'�changes, par la sophistication de leurs m�canismes �conomiques ou techniques, nos soci�t�s sont �videmment vuln�rables � des agressions qui n'exigent que la r�union de moyens limit�s - ceux-ci pouvant �tre raffin�s (le progr�s technique cr�e aussi des moyens d'attaque) ou rustiques.
+Strat�giquement, la d�monstration du 11 septembre est limpide. Pour frapper un pays d�velopp� de telle sorte qu'un coup limit� ait un large effet, il faut refuser d'entrer sur le champ d'affrontement o� ce pays contr�le une �crasante palette de moyens, et le frapper l� o� sa sophistication est une faiblesse et non une force. Il y a tout � parier que si, dans un proche avenir, un conflit met en cause les sanctuaires des pays d�velopp�s, l'affrontement tournera autour de ces vuln�rabilit�s : syst�mes informatiques et m�diatiques, approvisionnement des grandes zones urbaines, maillons dangereux de la cha�ne industrielle, populations mal prot�geables contre des attaques de masse, etc.
+Le progr�s technique est in�gal selon les zones de la plan�te, les acteurs y recourent donc de mani�re diversifi�e. Et le progr�s technique a, en mati�re de d�fense, des effets contradictoires. La technique est donc le probl�me strat�gique, et non le moyen de r�soudre ce probl�me, constat qui nous emm�ne loin de certains r�flexes am�ricains : installer la technique au centre du raisonnement strat�gique, c'est sans doute se pr�parer � des guerres qui n'auront jamais lieu. Il n'y a aucune raison de penser que l'ennemi acceptera d'entrer sur le champ de bataille (num�rique ou non...) que nous contr�lerons, ou qu'il voudra bien tirer la salve de missiles que nos syst�mes sont pr�cis�ment faits pour intercepter. Il serait aussi dangereux d'ailleurs de tout voir � travers les formes d'affrontement et les instruments d'hier, par exemple en n�gligeant les perc�es qui cr�ent de nouveaux moyens d'agression.
+Il faut appr�hender le monde des rapports de forces en suivant la totalit� de ses formes et des hypoth�ses qu'il nous impose. T�che immense, impossible, mais qui suppose d'abord de r�cuser le mythe du monde unique. Pas plus en mati�re de strat�gie qu'en �conomie, nous ne vivons dans un monde � logique univoque, tel syst�me militaire, tel concept pouvant parer � la quasi-totalit� des futurs possibles. Les espaces strat�giques sont h�t�rog�nes, les acteurs disposant de leviers efficaces de plus en plus nombreux, et leurs strat�gies de plus en plus diverses, dans un monde o� coexistent le " sauvage " et le " mutant " technologique. Nous ne pourrons pas ma�triser cette r�alit� complexe en haussant ou en baissant le curseur technique de nos armes : il faut en revenir au politique.
+Le temps nous le rappelle brutalement : la s�curit� est le produit volatil de facteurs composites - alors que nous avons h�rit� de la guerre froide l'id�e qu'elle �tait, pour l'essentiel, un produit militaire pouvant se stabiliser par l'accumulation de moyens mat�riels. Produit volatil : la s�curit� " consolid�e ", absolue, n'existe pas, d'abord parce qu'elle n'est jamais qu'une perception, ensuite parce qu'aucun syst�me total, totalitaire, de d�fense n'�limine le risque. Produit de multiples facteurs : diplomatiques (qui organisent et r�gulent les rapports conflictuels), �conomiques (qui usent des �changes pour d�velopper et rapprocher, en m�me temps qu'ils d�finissent les richesses mobilisables pour la d�fense), culturels (qui font dialoguer des soci�t�s humaines irr�ductibles l'une � l'autre) et, bien s�r, militaires (pour g�rer les crises ou, simplement, se d�fendre). Imaginer une s�curit� bas�e sur la seule d�fense militaire est tout aussi irresponsable qu'inefficace. La lutte contre le terrorisme, comme toute strat�gie de s�curit�, combine donc de multiples manoeuvres. M�me si l'urgence impose le d�mant�lement physique des r�seaux terroristes, seule une d�marche complexe, int�gr�e, peut nous garantir - et toujours relativement - contre leur �ternel et prolif�rant retour.
+Le militaire demeure au coeur de ces strat�gies de s�curit�. L'exp�rience du 11 septembre va pousser � aborder d'un autre oeil le d�bat sur des moyens qui n'ont aucune vertu en soi et ne valent que dans un environnement d�termin�. Quelle peut �tre d�sormais la pertinence des syst�mes de d�fense territoriaux : quelle d�fense du territoire d�finir qui ne renvoie pas aux mod�les du XIXe si�cle ? Quelle r�flexion mener sur les armes du champ de bataille, si nous ne connaissons ni le champ, ni la bataille ? Quel r�le pourraient jouer les syst�mes techniques d'interception, si l'on consid�re que les missiles constituent d�sormais un moyen privil�gi� d'exporter les conflits au coeur de nos soci�t�s ?
+Le traumatisme du 11 septembre est gros de recompositions g�opolitiques dont il est difficile d'appr�cier l'ampleur (peut-�tre sur�valu�e sous l'effet du choc). La r�union de l'immense majorit� des �tats contre le terrorisme international ne sera pas la plus difficile � former. Il est en effet une menace pour tous ces �tats, quels que soient leurs objectifs ou leur degr� de d�mocratie. L'adh�sion des populations pose de tout autres probl�mes. Elle pourrait �tre gravement mise en cause, si se formait une dynamique de peuples s'identifiant comme victimes de la logique de mondialisation, et tourn�e contre ceux qu'ils en jugeraient b�n�ficiaires. Si une telle dynamique collait � une division culturelle, par exemple singularisant le monde musulman, elle conduirait droit � la catastrophe.
+Toute strat�gie militaire, diplomatique, �conomique ou culturelle susceptible d'aggraver cette perception d'un �cart par rapport au ph�nom�ne dominant de mondialisation impuls� par le monde riche, toute strat�gie qui faciliterait une cristallisation (politique ou religieuse) anti-occidentale, endosserait une lourde responsabilit� � long terme. C'est dans cette perspective aussi que doit �tre appr�ci� le d�ploiement de certains syst�mes militaires. L'�rection de hauts murs contre des menaces inactuelles peut se transformer en incitation � tourner la forteresse, politiquement (en faisant na�tre une vraie opposition, voire une vraie menace) ou militairement (en utilisant des m�thodes in�dites). C'est l� une partie de la probl�matique des syst�mes d'interception des missiles balistiques � longue port�e.
+Cette �ventuelle cristallisation anti-occidentale - objectif majeur des terroristes � la Ben Laden - ne peut �tre �cart�e que par une strat�gie multimodale : r�union la plus large des �tats dans un souple front de coop�ration anti-terroriste ; aide �conomique, politique, militaire, � la stabilisation r�gionale, au Proche-Orient, en Asie centrale, voire en Asie du Sud-Est ; incitation � la d�mocratisation de r�gimes largement rejet�s en m�me temps que l'Occident qui les soutient ; enfin, int�gration, chez nous, de populations issues d'une immigration qui se d�veloppe d�sormais dans la logique de la globalisation.
+Les structures de s�curit� adapt�es au monde modifi� par le 11 septembre seront, pour l'essentiel, d�finies par les �tats - surtout pour ce qui concerne la d�fense du territoire. Les cadres " durs " de s�curit� vont, au moins provisoirement, reprendre la main. Pour un ensemble " mou " comme l'Union europ�enne, cela sugg�re soit une re-nationalisation des politiques de d�fense des �tats-membres, soit une " nationalisation " relative de l'Union, avec la red�finition des objectifs et des moyens de la Politique commune de s�curit� et de d�fense, qui se limite pour l'heure � la gestion des crises ext�rieures. Les �ch�ances sont capitales pour l'Union. Qu'elle d�montre qu'elle peut r�pondre � l'interpellation nouvelle, et elle sortira de son inexistence politique. Qu'elle prouve qu'elle est en situation dans le nouveau jeu, avec des arguments propres sur les concepts strat�giques pertinents, sur la conception d'une technologie moins imp�riale dans les discours et les pratiques militaires, ou m�me sur le mod�le politique et social de la mondialisation, et l'Union se placera au centre du d�bat.
+L'Alliance atlantique, quant � elle, va voir se red�ployer le d�bat sur son champ d'intervention, et donc sur son ouverture. En restera-t-elle au statu quo ante : coalition militaire � objectif limit�, orn�e d'un zeste de s�curit� collective - mais de peu d'utilit�, apparemment, dans une situation mettant sans conteste en cause la s�curit� d'un de ses membres ? Ou, tout en limitant ses �largissements, deviendra-t-elle enfin l'Alliance tous azimuts r�v�e, mezza voce ou non, selon les temps, par les �tats-Unis ? Ou sera-t-elle encore le support du large front politique form� sous la houlette am�ricaine : auquel cas il faudrait qu'elle s'�largisse beaucoup, sous une forme � d�finir, y compris et d'abord � la Russie, en relativisant, ou laissant diluer, sa d�finition militaire ?
+On peut imaginer qu'on se dirige vers un double syst�me de solidarit�s. Les solidarit�s politiques et de coop�ration s'exprimeraient dans un grand ensemble � d�finir, et les solidarit�s de d�fense et de s�curit� dans des ensembles plus restreints, et peut-�tre durcis. Dans aucune de ces perspectives l'Organisation des Nations unies (ONU) n'appara�t tr�s pertinente, ce qui pourrait annoncer un nouveau retrait, de fait, de son influence. Sans r�forme profonde, l'organisation mondiale appara�t bien incapable de d�passer ses propres proclamations - l�gitimes, mais courtes. Une hypoth�se optimiste serait que la prise de conscience du d�calage actuel pousse � des d�cisions rapides, et que l'ONU puisse alors �tre le cadre d'expression de la solidarit� politique et de ses implications concr�tes, par exemple en mati�re de contr�le collectif des armes.
+Les options de d�fense concr�tes devront aussi �tre adapt�es � l'�volution des risques. On peut surtout penser � quatre orientations.
+ +La fin du syst�me bipolaire a impos� une large r�vision de nos politiques de s�curit�, mais le monde va plus vite que les adaptations institutionnelles. C'est une autre �tape qui s'ouvre aujourd'hui, sans que nous en connaissions les contours, ni le terme. Les d�cisions qui vont �tre prises devront pourtant rester assez souples pour ne pas biaiser notre compr�hension des �volutions en cours. Car si le temps de la d�cision politique est rapide, celui de l'intelligence du monde est lent.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+ifri
+Document de travail
+Le pourtour Caspien est capital pour le d�veloppement des pays d'Asie centrale et du Caucase. Pourtant, si on exclut l'Iran et la Russie (dont le centre de gravit� �conomique ne se trouve pas autour de la mer Caspienne), les �conomies de la r�gion sont de petite taille. Evalu� � parit� de pouvoir d'achat, le Produit Int�rieur Brut des cinq pays d'Asie centrale est inf�rieur � 200 milliards de dollars. Ce chiffre ne souffre d'aucune comparaison avec les grands pays asiatiques. Ainsi, le poids de la r�gion est inf�rieur � celui de la Malaisie, il repr�sente moins du tiers du PIB de l'Indon�sie, moins du quart de celui de la Cor�e et plus de 20 fois inf�rieure � la Chine ou au Japon.
+L'exploitation des hydrocarbures doit renforcer consid�rablement le poids �conomique de ces Etats.
+Quelles sont les sp�cificit�s des �conomies de la r�gion par rapport aux autres pays en transition ou par rapport aux autres pays riches en hydrocarbures ? En outre, comme elles ont choisi des politiques �conomiques parfois totalement oppos�es, il est pertinent de s'interroger sur les diff�rences de trajectoires. Pour avoir une approche comparative coh�rente, l'�tude se consacrera essentiellement aux pays de Transcaucasie et d'Asie centrale en se consacrant sur les pays riverains de la Caspienne et de facto en excluant l'Iran et la Russie.
+En analysant les �conomies de la r�gion, il s'av�re que les �conomies du bassin Caspien sont confront�es � trois handicaps communs (I), et m�me si les trajectoires �conomiques se sont r�v�l�es bien diff�rentes (II), le syst�me �conomique sovi�tique reste tr�s pr�sent dans le bassin (III).
+Les pays du bassin Caspien sont les seuls Etats du monde enclav�s avec des ressources importantes en hydrocarbures si on excepte le cas du Tchad. Comme l'a r�sum� Gian Maria Gros-Pietro, pr�sident d'ENI, "�tant donn� que le transport maritime est le mode de transport le moins on�reux, la principale question (pour le bassin Caspien) revient � d�terminer quel est le port le plus int�ressant �conomiquement. G�ographiquement, le Golfe Persique poss�de le plus d'attrait mais, dans ce cas, le p�trole Caspien sera en concurrence avec celui du Moyen-Orient".
+L'Asie centrale est la r�gion au monde la plus �loign�e de la mer. Effectivement, le Golfe Persique est le plus proche d�bouch� sur la mer mais il se trouve, tout de m�me, � plus de 2000 kilom�tres � vol d'oiseau. Or, Tachkent se trouve � 4000 kilom�tres de P�kin, � 5000 kilom�tres de S�oul, � plus de 5500 kilom�tres de Singapour et � pr�s de 5000 kilom�tres de la mer Noire.
+L'absence d'acc�s � la mer a un impact �conomique n�gatif. L'enclavement provoque un d�ficit de croissance tr�s important par rapport � un Etat c�tier. L'�tude empirique la plus large et la plus r�cente prouve que les Etats enclav�s souffrent par rapport aux Etats c�tiers d'un d�ficit de 1,5 % par an pour les pays � revenu faible et moyen. L'impact est tout aussi n�gatif sur le commerce, par rapport � un Etat c�tier, un pays enclav� commerce en moyenne 70 % de moins � niveau de d�veloppement et � taille �gaux.
+La principale explication r�side dans le surco�t de transport li� � cette position g�ographique. Le transport maritime s'est consid�rablement d�velopp� depuis des si�cles car �tant le moyen de transport le moins on�reux. Il a �t� estim� que le transport continental est deux fois plus �lev� que le transport maritime. D'apr�s les calculs du FMI, les co�ts de transport sont, pour un Etat enclav� en d�veloppement, deux fois sup�rieurs � ceux consacr�s par un pays c�tier en d�veloppement. Ce surco�t est, par exemple, li� au passage des fronti�res. Au sein des pays de la CEI, la corruption, la faiblesse de l'Etat, l'�tat des infrastructures, l'absence de routes alternatives conf�rent une rente de situation aux Etats de transit et contribuent ainsi � l'appauvrissement des pays du bassin Caspien (cf. figure pour les m�canismes de transmission de l'enclavement sur le d�veloppement �conomique).
+L'analyse de l'h�ritage du syst�me �conomique sovi�tique est capitale pour comprendre les �conomies de la r�gion car, nonobstant des conditions initiales tr�s diff�rentes, elles ont atteint un stade de d�veloppement proche, notamment pour les pays du flanc sud de la Russie.
+M�me si les �l�ments n�gatifs pr�dominent, le sovi�tisme a eu des aspects positifs sur le d�veloppement �conomique de l'Asie centrale.
+Tout d'abord, cette r�gion jouit d'un capital humain important : malgr� des signes peu encourageants aujourd'hui, l'analphab�tisme a toujours �t� inexistant dans la r�gion : 1 � 3 % de la population alors que ce pourcentage est proche de 40 % dans le cas de pays � faible revenus (ce que sont les pays d'Asie centrale).
+L'Asie centrale et le Caucase se sont d�velopp�s moyennant des subventions directes ou indirectes, en grande majorit�, en provenance de la Russie. Au sein de l'Union, les deux pays les plus b�n�ficiaires de cette aide �taient le Kazakhstan et l'Ouzb�kistan. C'est ainsi que le premier a re�u des subventions �quivalentes en moyenne � 14,7 % par an de son produit national utilis� et 5,3 % pour le second. En terme de montant, les subventions vers�es au Kirghizstan et au Tadjikistan �taient inf�rieures. N�anmoins, en pourcentage, celles-ci �taient tr�s importantes tout du moins pour le Kirghizstan (15,5 %) et un peu plus faibles pour le Tadjikistan (8,8 %). Ainsi, dans le cas du Kirghizstan, par exemple, pr�s d'un sixi�me des biens consomm�s et des capitaux investis, chaque ann�e, �taient, en fait, des dons en provenance des autres R�publiques. Gr�ce � la distorsion de prix au sein de l'URSS, la fiction d'un commerce assez peu d�s�quilibr� �tait entretenue. Or, avec des estimations aux prix mondiaux en 1988, seul le Turkm�nistan et la Russie conservaient un commerce exc�dentaire tandis que le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizstan accusaient un d�ficit commercial sup�rieur � 15 % du PIB. La cons�quence de ce syst�me �tait une inefficacit� �conomique croissante. En 1970, le revenu national produit par habitant �quivalait � 83 % de la moyenne de l'URSS, en 1979, ce pourcentage �tait tomb� � 66 % et 51 % en 1989.
+La contrepartie �conomique r�sidait dans une d�pendance des R�publiques du sud de l'Union vis-�-vis de Moscou notamment pour l'approvisionnement, la technologie et l'exportation.
+Granberg (1993) a calcul� l'interd�pendance existant entre R�publiques de l'URSS. Il appara�t que, si les liens �conomiques avec les autres R�publiques avaient �t� coup�s � la fin des ann�es 80, le Kazakhstan et les autres R�publiques d'Asie centrale auraient tout juste produit le quart de leur produit national. La part de la Russie �tait pr�pond�rante puisque respectivement 42,5% et 36,3% du produit national du Kazakhstan et des autres R�publiques d'Asie centrale �taient le fait de la Russie. L'Asie centrale ne pouvait se passer �conomiquement de la Russie. Les exportations des pays de la r�gion vers les autres R�publiques d'URSS repr�sentaient au minimum 90 % du total des exportations et 85 % des importations avec des records pour le Turkm�nistan (avec 92 % pour les exportations).
+L'h�ritage sovi�tique a produit des effets tr�s importants dans la phase de transformation post-socialiste dans la derni�re d�cennie.
+Tous les Etats du flanc sud de la Russie ont �t� confront�s aux m�mes ph�nom�nes macro�conomiques.
+Malgr� les sp�cificit�s de chaque pays, la transition peut �tre caract�ris�e par plusieurs �tapes :
+ +Sur la d�cennie, le PIB a baiss� en moyenne d'un tiers pour les R�publiques de la CEI, le Kazakhstan ayant accus� une baisse de 30 % mais la chute �tant de pr�s de 50 % pour le Turkm�nistan.
+Encore aujourd'hui, la stabilisation macro�conomique est difficile. Ces pays sont confront�s � un d�ficit chronique de la balance commerciale. Dans un contexte d'�rosion des ressources fiscales tr�s rapide, l'endettement est structurellement croissant.
+L'endettement concerne aujourd'hui tous les pays de la r�gion (cf. tableau 1).
+Les �conomies de la r�gion peinent � sortir de l'h�ritage �conomique sovi�tique et sont, de plus en plus, en voie de tiers-mondisation.
+A cause de la r�cession transitionnelle et l'�rosion des recettes, la marge de manoeuvre des autorit�s �conomiques s'est r�duite graduellement. Il est symptomatique de constater que l'illettrisme a notablement progress� dans la derni�re d�cennie. C'est d'ailleurs la seule r�gion au monde qui s'est trouv�e dans ce cas. La scolarisation dans les �coles primaires est ainsi en baisse sensible. Alors que ce pourcentage �tait proche de 100 % durant l'�poque sovi�tique, il est proche de 80 % aujourd'hui en Asie centrale selon l'UNICEF.
+Malgr� les investissements du centre en p�riph�rie au sein de l'URSS, l'Asie centrale �tait la r�gion la plus pauvre de l'Union. Alors que le pourcentage de pauvres �tait en moyenne de 12,5 % au sein de l'URSS, cette moyenne �tait pour les cinq pays d'Asie centrale de 45 %. L'in�galit� et la pauvret� �taient ainsi pr�sentes en Asie centrale du temps de l'URSS, ces tendances ont �t� renforc�es dans la derni�re d�cennie. Hormis les deux grandes puissances r�gionales, Russie et Iran, tous les pays de la r�gion sont des pays � faible revenu, si ce n'est le Kazakhstan qui est � revenu moyen (cf. tableau 2).
+La hausse de la d�mographie contribue encore au renforcement de la pauvret�. Hormis le cas du Kazakhstan et de l'Arm�nie, les pays de la r�gion ont connu une expansion d�mographique tr�s importante, atteignant presque 2 % par an dans le cas du Turkm�nistan et de l'Ouzb�kistan.
+Les populations de la r�gion sont ainsi de plus en plus jeunes et avec des ressources limit�es. Aussi, l'�conomie parall�le, pour ne pas dire, criminelle, se d�veloppe. M�me si la production de drogue en Asie centrale reste assez faible, limit�e au Tadjikistan (vall�e de Pendjikent) et � l'Est du Turkm�nistan pour l'opium et les r�gions d'Issyk-Koul et du sud-Kazakhstan pour le cannabis, la r�gion est devenue la principale r�gion de transit de l'opium afghan. Il a �t� estim� que de 30 � 50 % de l'activit� �conomique au Tadjikistan est li�e � la production ou au commerce de drogue. Ce commerce pourrait �tre plus ou moins institutionnalis� si on se reporte aux scandales des derni�res ann�es impliquant des gardes-fronti�res russes, des officiels en charge de la lutte contre le trafic de drogue voire m�me d'officiels proches du Pr�sident turkm�ne, S.Niyazov. Avec les probl�mes d'autorit� rencontr�s par l'Etat et la pauvret� croissante des populations, la criminalisation des �conomies se renforce avec la multiplication des trafics (contrebandes, drogue) dans des r�gions fragilis�es comme le Tadjikistan, le sud Kirghizstan ou la G�orgie.
+Les �conomies de la r�gion sont ainsi devenues de plus en plus d�pendantes de l'aide et de l'investissement �trangers.
+L'IDE (investissement direct �tranger) est n�cessaire pour mettre en valeur les ressources de la r�gion. Pourtant, il reste encore tr�s faible. Parmi les pays en transition, l'Asie centrale est le parent pauvre du point de vue de l'IDE. La BERD a calcul�, sur la p�riode 1989 - 1999, que l'IDE par habitant avait �t� de 668 dollars pour les pays d'Europe centrale et orientale. Pour les pays de la CEI, ce ratio �tait pr�s de cinq fois inf�rieur, s'�levant � 140 dollars. Si on excepte le Kazakhstan qui a attir� pr�s de 80 % de l'IDE en Asie centrale, l'IDE est inf�rieur � 50 dollars par habitant. Malgr� les hydrocarbures et les m�taux, l'Asie centrale n'a re�u que 0,3 % des IDE investis dans le monde sur la p�riode 1998 - 2000. Ce chiffre �tait nul dix ans plus t�t mais seuls les pays en d�veloppement du Pacifique sud ont attir� moins de capitaux que les pays d'Asie centrale sur cette p�riode de trois ann�es.
+L'investissement est faible. Les pays de la r�gion ont ainsi recours � l'endettement ext�rieur. L'endettement total des pays du Caucase m�ridional et d'Asie centrale a d�pass� les 25 milliards de dollars, ce qui repr�sente en moyenne plus de 60 % du PIB de cette r�gion (voir tableau). Plus que le chiffre, c'est le rythme d'accroissement qui est inqui�tant. En effet, partis sans dette en 1992, ces Etats ont eu recours massivement � l'endettement � tel point que des pays de la r�gion font d�j� partie des pays les plus endett�s au monde dix ans apr�s l'ind�pendance, � l'instar du Kirghizstan et du Tadjikistan. La majorit� des pays Africains ont �t� confront�s � ces m�mes probl�mes dans les ann�es 80, � savoir trois d�cennies apr�s l'ind�pendance.
+Dans ce contexte de n�cessit� de commercialiser les ressources naturelles pour faire face aux probl�mes de financement, l'exploitation des hydrocarbures rev�t une importance capitale pour ces �conomies. Les �conomies riches en hydrocarbures de la r�gion, Azerba�djan, Kazakhstan et Turkm�nistan, deviennent ainsi de plus en plus des �conomies de rente. Le commerce des pays de la r�gion se rapproche de plus en plus d'un pays en d�veloppement : ils exportent des mati�res premi�res et importent des biens � forte densit� technologique. Ainsi, la part du coton et de l'or dans les exportations totales de l'Ouzb�kistan est de 60 %, les m�taux et le p�trole repr�sentent 45 % des exportations totales du Kazakhstan et le gaz et p�trole, 50 % des exportations totales du Turkm�nistan.
+Les derni�res �tudes empiriques montrent que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les pays avec d'importantes ressources naturelles ont connu des taux de croissance plus faibles que ceux qui n'en avaient pas. "La mal�diction des ressources naturelles" est la r�gle et non l'exception.
+Comme le remarquent Sachs et Warner (2001), aucune explication th�orique de ce ph�nom�ne n'est pour lors reconnue universellement. Plusieurs canaux de transmission de cette relation n�gative entre ressources naturelles et croissance ont �t� avanc�s : (1) un faible investissement dans l'�ducation (2) un comportement rentier de la part des dirigeants de ces pays (3) une confiance excessive dans l'avenir qui conduit � l'adoption de politiques �conomiques inappropri�es (4) la th�orie de la maladie hollandaise.
+Il est important de savoir si les pays du bassin Caspien semblent ou non �chapper � la mal�diction des ressources naturelles en �tudiant la situation dans laquelle sont ces Etats pour ces diff�rentes questions.
+Les pays du bassin Caspien sont, de toute fa�on, extr�mement d�pendants des hydrocarbures comme le montre le tableau 3.
+D'apr�s Gylfason (2001), un pays est moins enclin � investir dans le capital humain (l'�ducation) lorsqu'il poss�de des revenus confortables tir�s des ressources naturelles. Empiriquement, cette corr�lation n�gative est v�rifi�e. Dans le cas des pays du bassin Caspien, il y a bien investissement plus faible dans l'�ducation mais ce mouvement est g�n�ral dans les pays de la CEI depuis l'ind�pendance. Cette baisse serait m�me moins faible pour l'Azerba�djan et le Kazakhstan (mais plus forte pour le Turkm�nistan), cf. tableau 4.
+En revanche, on peut redouter de plus en plus le comportement rentier de la part des dirigeants des pays du bassin Caspien. Ainsi, l'Azerba�djan et le Kazakhstan se sont dot�s de fonds p�trole qui r�unissent tout ou partie des revenus li�s aux exportations d'hydrocarbures. Mais, dans les deux cas, contrairement aux recommandations des organisations internationales, ces fonds sont plac�s sous l'autorit� du pr�sident avec un droit de regard limit� pour le parlement, voire nul dans le cas de l'Azerba�djan. En outre, dans ce dernier, ce fonds est extra-budg�taire ayant pour cons�quence de siphonner une bonne partie du budget az�ri accroissant ainsi l'opacit� dans la gestion budg�taire.
+La confiance excessive dans l'avenir est pr�sente dans les discours officiels puisque ces Etats se sont proclam�s "Kowe�t de l'Asie centrale" comme l'Azerba�djan et le Turkm�nistan. Pourtant, on en peut nullement les comparer � un pays du Moyen-Orient. Comme d�montr� dans la seconde partie, cette confiance a s�rement conduit le Turkm�nistan � l'adoption d'une politique �conomique vou�e � l'�chec.
+L'une des questions r�currentes � propos de ces �conomies concerne la maladie ou plut�t le syndrome hollandais (dutch disease). Ces pays connaissent-ils aujourd'hui ce syndrome ?
+Rosenberg et Saavalainen (1998) ont montr� qu'une adaptation aux �conomies en transition �tait n�cessaire pour appliquer les mod�les de base de cette th�orie. Les principaux sympt�mes de ce syndrome sont l'appr�ciation excessive du taux de change r�el (overshooting) apr�s la d�couverte massive d'hydrocarbures, un d�s�quilibre croissant des comptes courants et surtout une croissance sectorielle d�s�quilibr�e.
+Dans le cas des �conomies en transition, le taux de change r�el est consid�r� comme sous-�valu� � l'�quilibre. Le ph�nom�ne d'overshooting et ses cons�quences sur l'�conomie r�elle ( perte de comp�titivit� internationale et d�s�quilibre des comptes courants, inflation par exemple...) est donc plus limit�. En outre, l'arriv�e de capitaux est normale dans le cas des pays en transition, voire n�cessaire, s'il est provoqu� par des investisseurs �trangers qui renforcent la capacit� productive du pays (dans le p�trole, le raffinage ou autre secteur productif � moyenne ou forte densit� technologique, par exemple).
+Le principal souci, pour ces �conomies, concerne le d�s�quilibre de la croissance. D'apr�s la th�orie, on doit assister � un accroissement du secteur des biens non-�changeables (services) ainsi que celui du secteur extractif au d�triment des biens �changeables (manufacturier et agricole). Avec l'appr�ciation du taux de change r�el, la cons�quence est la perte de comp�titivit� du secteur des biens �changeables hors p�trole et, � terme, une hypertrophie du secteur des hydrocarbures. Or, c'est ce qui se passe aujourd'hui dans la r�gion. Ainsi, en Azerba�djan, c'est le secteur p�trolier et gazier qui a connu la plus faible baisse de sa production (-15 % entre 1992 et 1999). En revanche, tous les autres pans de l'�conomie ont connu des baisses catastrophiques : -68% pour la chimie et la p�trochimie, -71% pour la production cotonni�re, -84 % pour l'industrie agroalimentaire, -90% pour l'industrie l�g�re et m�me -93% pour la m�tallurgie. Le secteur p�trolier en Azerba�djan se d�veloppe en marge du reste de l'�conomie.
+Enfin, la manne p�troli�re et gazi�re permet de faire perdurer le syst�me de contrainte budg�taire molle en subventionnant des entreprises dans les secteurs hors p�trole et gaz et ainsi maintient les dysfonctionnements des entreprises ainsi que les ph�nom�nes de gaspillage. La soci�t� p�troli�re nationale az�rie facture � ses clients un prix trois � quatre fois inf�rieur aux prix mondiaux. Avec les arri�r�s de paiement, on estime ainsi � 14% du PIB az�ri qui est vers� aux entreprises sous forme de subventions indirectes en �nergie. Aussi, il n'est pas �tonnant de constater encore aujourd'hui que l'intensit� �nerg�tique est tr�s forte dans les pays du bassin Caspien. L'Azerba�djan et surtout le Turkm�nistan (ainsi que l'Ukraine et l'Ouzb�kistan) sont les pays au monde qui produisent le moins rapport�s � un kilogramme d'�quivalent p�trole d'apr�s une �tude de la Banque Mondiale. En effet, en 1997, seulement 1,33 dollar �taient produits avec 1 kilogramme d'�quivalent p�trole d'�nergie consomm�e en Azerba�djan et ce chiffre n'�tait que de 0,98 pour le Turkm�nistan. En outre, en 1989, ce chiffre �tait sup�rieur (1,39 dollar) pour l'Azerba�djan, c'est � dire que l'on produisait plus avec la m�me quantit� d'�nergie consomm�e. Bien �videmment, dans les pays voisins, pauvres en ressources, l'�nergie consomm�e est bien mieux utilis�e. En Arm�nie, ce ratio �tait de 4,3 en 1997 et 7,7 en G�orgie, c'est � dire qu'on produisait pr�s de 6 fois plus avec la m�me quantit� d'�nergie.
+M�me si le mod�le th�orique de dutch disease ne s'applique pas in extenso dans le bassin Caspien, des sympt�mes apparaissent d�j� tels que croissance sectorielle d�s�quilibr�e.
+Les pays du bassin Caspien cumulent des handicaps li�s � l'histoire (avec la sortie du syst�me �conomique sovi�tique), � la g�ographie (avec l'enclavement) et � la fatalit� �conomique (avec la sortie du sous-d�veloppement).
+Face � ces multiples d�fis, les Etats ont essay� de r�pondre de diff�rentes mani�res.
+Les politiques �conomiques men�es dans la derni�re d�cennie par le Kazakhstan et l'Azerba�djan, d'une part et par l'Ouzb�kistan et le Turkm�nistan, d'autre part ont �t� diam�tralement oppos�es. Pourtant, dix ans apr�s l'ind�pendance, les r�sultats des deux voies sont mitig�s. Plus que des choix voulus par les autorit�s en place, ils apparaissent plus comme des options impos�es par les conditions �conomiques initiales dans lesquelles se trouvaient les Etats de la r�gion.
+Deux grandes approches de politique �conomique s'affrontent sur le flanc sud de la Russie. La premi�re rassemble la majorit� des Etats de la r�gion. Il fut conforme aux souhaits de la communaut� internationale avec une ouverture commerciale et du march� des taux de change avec la convertibilit� de la monnaie nationale, un effort de privatisation des moyens de production pour attirer les capitaux �trangers. Le Kazakhstan et surtout l'Azerba�djan ont suivi tr�s t�t cette voie. Tous les pays de la r�gion sont, plus ou moins, se dirigent dans cette m�me direction.
+La seconde approche regroupe l'Ouzb�kistan et le Turkm�nistan. Dans ce dernier pays, cette politique est men�e � son paroxysme. Ces deux Etats s'appuient sur un mod�le de d�veloppement autocentr� avec une substitution des importations. L'�conomie reste tr�s r�glement�e avec une absence d'ouverture commerciale et du march� des changes. Dans ces deux pays perdure l'Etat producteur. Ce syst�me repose sur un taux de change artificiel sur�valu� qui facilite l'importation de machines ou de biens n�cessaires � l'industrialisation du pays. Mais cette politique a un co�t �lev� qui explique les probl�mes actuels de financement de ces pays. Par le biais de la sur�valuation du taux de change officiel, un m�canisme d'incitation � l'importation a �t� mis en place au d�triment des exportations. Le FMI a ainsi calcul� que le transfert des exportateurs vers les importateurs �tait �quivalent � 16 % du PIB. Les trois piliers de ce syst�me sont la distorsion de prix, la ponction sur le secteur agricole (notamment sur celui du coton) et le m�canisme de redistribution au profit de secteurs class�s comme strat�giques par le r�gime. Il est indispensable que le coton soit achet� aux producteurs � un prix inf�rieur aux prix mondiaux. Le profit engrang� par l'Etat ouzbek, par exemple, permet ainsi l'investissement industriel. En 1996, le prix d'achat impos� aux producteurs (qui s'impose � tout producteur) �tait inf�rieur de 30 % aux prix mondiaux. Ce syst�me se d�veloppe �galement au Turkm�nistan au d�triment de l'agriculture et plus particuli�rement des petits producteurs. Le FMI a calcul� que l'Etat turkm�ne ach�te (au taux de change officiel) le coton et le bl� entre 50 et 60 % des prix mondiaux, ce qui repr�sente annuellement un transfert de l'agriculture au profit du reste de l'�conomie �quivalent � 15 % du PIB.
+En analysant le tableau sur la performance de la production entre 1989 et 1998, il appara�t clairement que c'est l'Ouzb�kistan qui sort vainqueur de cette confrontation avec le Kazakhstan et l'Azerba�djan. En effet, la baisse de la production cumul�e n'a pas d�pass� 15 % alors que la moyenne pour les douze pays de la CEI s'est �tablie � plus de 50 % sur la m�me p�riode.
+N�anmoins, il serait r�ducteur de vouloir sacrifier le mod�le d'ouverture pr�n� par les organisations internationales dans la r�gion. En effet, le Turkm�nistan a connu des r�sultats bien plus mauvais que le Kazakhstan en pratiquant la politique inverse.
+Plus que la politique �conomique, c'est la structure m�me de l'�conomie � l'ind�pendance qui a largement conditionn� le choix des politiques �conomiques suivies au cours de la derni�re d�cennie.
+Sans nul doute, les options de politique �conomique choisies ont eu un impact sur les dix ann�es de transition.
+En effet, la non-ouverture de l'�conomie ouzbek et la subvention de nombreux combinats par diff�rents biais comme les arri�r�s interentreprises ou le financement gr�ce � des banques publiques ont limit� la baisse du PIB. La production est ainsi rest�e artificiellement �lev�e dans certaines entreprises.
+De m�me, les politiques kazakhe et az�ries ont provoqu� une paup�risation des populations d'autant que l'Etat joue de moins en moins le r�le de garant des politiques sociales. La politique �conomique est, pour une certaine part, responsable de la baisse des revenus et de la hausse du ch�mage. N�anmoins, elle a permis une reprise plus forte de la croissance dans la seconde moiti� des ann�es 90. Alors que le Turkm�nistan et l'Ouzb�kistan sont encore confront�s � des probl�mes structurels de stabilisation macro�conomique, le coeur du probl�me au Kazakhstan et en Azerba�djan est d�sormais la gouvernance �conomique et la gestion de la rente.
+Ainsi, malgr� l'importance des politiques, il semble que des raisons plus profondes expliquent les diff�rences de trajectoires macro�conomiques dans les pays de la r�gion.
+Plus qu'un choix, c'�tait un devoir pour le Kazakhstan et l'Azerba�djan d'ouvrir leurs �conomies. En effet, ces deux pays avaient cruellement besoin de capitaux. La capacit� de financement domestique �tant trop limit�e, un syst�me autarcique �tait impossible dans ces deux pays. Ils avaient besoin de capitaux pour reconvertir l'appareil de production et d�velopper l'exploitation des hydrocarbures ou d�velopper la production m�tallurgique. Le Kazakhstan a toujours �t� une �conomie fond�e sur les industries extractives. Ainsi, en 1990, plus des deux tiers de la production industrielle kazakh provenait de ces industries. En revanche, l'Ouzb�kistan, est un pays agricole sp�cialis� dans l'industrie cotonni�re. Ainsi, les industries extractives ne repr�sentaient que 12 % de la production industrielle en 1990. C'�tait aussi le pays le moins industrialis� de tous les pays de l'ex-bloc de l'Est. Gr�ce � ses ressources, ce pays avait la possibilit� de devenir rapidement autosuffisant dans les domaines �nerg�tique et alimentaire. Enfin, la garantie de poss�der des revenus � l'exportation importants du fait du coton et de l'or (3 � 4 milliards de dollars annuels) pouvait permettre � l'Ouzb�kistan de mener une politique de substitution aux importations.
+Le Turkm�nistan s'est, quant � lui tromp� de choix de politique. En effet, ce pays n'a pas les ressources suffisantes pour mener une politique de d�veloppement autocentr�. L'autosuffisance alimentaire est quasiment impossible �tant donn� la croissance d�mographique et les facteurs climatiques (son territoire est constitu� � 85 % de d�sert) si ce n'est au prix de graves dommages � l'environnement. Cons�quemment, les politiques d'investissement et de construction publiques se font au d�triment des cultures commercialisables comme le coton et en ayant recours massivement � l'endettement ext�rieur. La p�rennit� d'un tel syst�me est ainsi en cause d'autant que la principale hypoth�que r�side dans la volatilit� des revenus. En effet, encore aujourd'hui, ce pays est totalement d�pendant de la Russie pour ses exportations de gaz qui repr�sentent 80 % des exportations.
+Nonobstant les conditions initiales tr�s diff�rentes et les politiques �conomiques diam�tralement oppos�es, les caract�ristiques �conomiques des Etats de la r�gion restent assez proches. Ceci s'explique par une r�manence du syst�me �conomique sovi�tique encore aujourd'hui. La sortie totale du syst�me n'a pas encore eu lieu et, sur de nombreux points, les �conomies de la r�gion fonctionnent encore sensiblement de la m�me mani�re.
+M�me parmi les pays de l'ex-URSS, les Etats du bassin Caspien sont en retard dans les r�formes structurelles. Ainsi, aussi bien le Kazakhstan que l'Azerba�djan ou le Turkm�nistan poss�daient des indices cumul�s de lib�ralisation �conomique inf�rieurs aux pays de la CEI. De nombreuses caract�ristiques h�rit�es de la p�riode sovi�tique ont perdur�.
+Qu'on parle de jouzisme, de tribalisme ou de n�potisme selon les Etats, la r�alit� reste peu diff�rente. L'�conomie est subordonn�e � la politique dans la r�gion. Or, la pratique politique est, elle-m�me, le produit de plusieurs influences.
+Les soci�t�s centre-asiatiques se sont forg�es au contact de nombreuses influences ext�rieures. Ces diff�rents emprunts ont contribu�, d'une mani�re g�n�rale, � la constitution d'un pouvoir fort, voire autocratique, ayant une mainmise sur tous les pans de la soci�t� y compris l'�conomie.
+Les pr�sidents de la r�gion ont repris une pratique autocratique du pouvoir. Ce qu'on appelle aujourd'hui la "m�moire de la d�mocratie" (democracy memory) est pour ainsi dire inexistante en Asie centrale. C'est pourtant un mythe relev� par Martha Brill Olcott (2001) que de penser que seuls les pr�sidents dirigeant avec une main de fer peuvent se maintenir au pouvoir dans la r�gion. Bien �videmment, le pouvoir pr�f�re se r�f�rer � la pratique autocratique mongole ou aux khanats de la p�riode pr�-sovi�tique pour diriger sans compromis aujourd'hui. Pourtant, comme l'explique Olcott, la majorit� des �lites urbaines (notamment dans les capitales) voudraient une solution plus d�mocratique. Mais ces Etats sont majoritairement ruraux et, m�me au sein des villes, la mentalit� est emprunt�e de cette conscience h�rit�e des campagnes. Or, dans la majorit� des campagnes centre-asiatiques, la conscience politique est tr�s faible et la majorit� des populations de la r�gion consid�rent que le pouvoir en place doit �tre symbolis� par un homme fort. Dans ces conditions, la soci�t� comme l'�conomie doivent �tre au service du pouvoir.
+Li� � cette conscience politique dans les campagnes, on peut se r�f�rer � l'influence du milieu naturel. A ce propos, la th�se de Wittfogel (1977) sur l'Etat hydraulique semble tr�s pertinente en Asie centrale. D'apr�s lui, l'�conomie hydraulique qui a pour but l'irrigation et le contr�le des eaux est n�cessairement politique. Pour d�velopper efficacement l'agriculture, elle requiert une forte hi�rarchisation et une grande coop�ration entre les individus. Cette derni�re d�veloppant ainsi un fort communautarisme. Dans ces conditions, "le caract�re despotique du gouvernement hydraulique n'est pas s�rieusement contest�". Dans l'�conomie hydraulique, existerait m�me "une tendance cumulative au pouvoir incontr�l�". C'est d'autant plus pertinent pour l'Asie centrale que le Turkm�nistan, l'Ouzb�kistan ou le sud du Kazakhstan sont des pays d'oasis. Dans la r�gion, l'eau a jou� un r�le capital dans le d�veloppement des villes, r�gions et puis des Etats. En suivant le raisonnement de Wittfogel (1977), on peut mieux comprendre pourquoi un pouvoir autocratique s'est d�velopp� dans la r�gion. Cette influence de l'Etat hydraulique est probablement lointaine. N�anmoins, elle induisait une certaine pratique autocratique du pouvoir et une subordination de l'�conomique au politique. C'est exactement ce que le syst�me sovi�tique a promu en Asie centrale et dans le Caucase m�ridional. Et c'est cette influence, qui s'appuie probablement sur de nombreux h�ritages, qui reste tr�s vivace.
+Du temps de l'URSS, la culture, l'�conomie et tous les pans de la soci�t� devaient �tre, co�te que co�te, au service de l'id�al politique qui �tait la construction du premier Etat communiste de l'histoire. Bien �videmment, ce syst�me politico-�conomique a eu des cons�quences f�cheuses sur l'�conomie qui restent pr�sentes m�me dans les entreprises. Par exemple, l'absence de responsabilisation des salari�s dans les entreprises est largement h�rit�e de cette �poque. Le probl�me de la comp�tence au sommet de l'entreprise est un probl�me �conomique r�current dans la r�gion.
+Plusieurs influences expliquent ainsi l'absence de fronti�re claire entre pouvoir politique et �conomie. Ceci a des cons�quences tr�s importantes sur le fonctionnement actuel de ces �conomies. Cet effet pourrait m�me encore se renforcer si on se r�f�re aux ph�nom�nes apparus dans les Etats riches en hydrocarbures.
+Empiriquement, il a �t� montr� qu'un afflux soudain de ressources financi�res li� � l'exploitation de mati�res premi�res renforce l'in�galit� de revenus. Lam et Wantchekon (2000) ont essay� de d�montrer quel �tait l'impact de cet afflux financier sur la gestion politique d'un pays. Dans ce cas, appara�t ce qu'ils ont appel� un ph�nom�ne de "political dutch disease" ou de maladie hollandaise politique. L'abondance des ressources provoque directement et indirectement une plus grande in�galit� de revenus. L'effet direct s'explique par l'enrichissement de l'�lite au pouvoir, l'effet indirect induit un appauvrissement de la population � cause des ph�nom�nes de maladie hollandaise. En �tant responsable de la distribution de la rente, l'�lite au pouvoir consolide son pouvoir car elle peut cr�er des groupes de pression de poids � peu pr�s �gal mais concurrents et ainsi diviser pour mieux r�gner. Ainsi, si cette th�orie �tait valid�e dans la Caspienne, le pouvoir des Pr�sidents Aliev, Nazarbaev et Niyazov ne seraient pas v�ritablement menac�s pour peu qu'ils sachent redistribuer une partie de leurs revenus � une partie de l'oligarchie dirigeante.
+Le type d'exploitation des hydrocarbures est intimement li� � la situation politique comme le montrent Luong et Weinthal (2001) dans le cas des pays du bassin Caspien. En effet, elles expliquent que les strat�gies de d�veloppement des hydrocarbures sont fonction de deux �l�ments : la possibilit� ou non de se procurer des ressources alternatives � l'exploitation des hydrocarbures et le niveau de la contestation politique. Ainsi, en Ouzb�kistan et au Turkm�nistan, l'agriculture (et notamment le coton) fournit d'importants revenus aux budgets nationaux si bien que le pouvoir a pr�f�r� un engagement assez limit� des entreprises �trang�res et conserver aux mains de l'Etat le secteur p�trolier et gazier pour p�renniser le statu quo h�rit� de la p�riode sovi�tique. L'Azerba�djan a h�rit�, � l'ind�pendance, d'un appareil �conomique d�pendant �conomiquement des hydrocarbures et avec des ressources nationales de financement faibles. Aussi, a-t-elle d� faire appel aux entreprises �trang�res tout en conservant la mainmise sur ce secteur en maintenant dans le secteur public la compagnie p�troli�re nationale. En Russie, la privatisation du secteur a �t� "nationale" avec une faible participation �trang�re pour acc�der aux demandes des barons locaux et a, en cons�quence, limit� la contestation politique. Enfin, le Kazakhstan avait crucialement besoin de l'exploitation des hydrocarbures car ne poss�dant pas de source alternative de revenus sans investissement massif. Aussi, ce pays a eu recours � la participation importante des entreprises �trang�res. Comme la contestation politique a toujours �t� assez forte dans ce pays, Astana est all� plus loin en privatisant une partie du secteur pour faire rejeter la responsabilit� sociale de la crise �conomique sur les entreprises �trang�res. Tous ces points sont r�sum�s dans le tableau 6.
+Cons�quemment, il appara�t que les strat�gies de d�veloppement des hydrocarbures sont li�es � des conditions �conomiques mais surtout � la situation politique. La gestion de la rente est corr�l�e � la force des institutions. Karl (2000) explique qu'au regard des exp�riences au Moyen-Orient et en Am�rique latine que de v�ritables institutions politiques et sociales aient �t� mises en place avant que le boom p�trolier n'intervienne.
+On peut douter de l'efficacit� �conomique des institutions politiques aujourd'hui dans le bassin Caspien. Von Hirschhausen et Waelde (2001) d�crivent l'Etat dans les �conomies du bassin Caspien comme �tant "autocratique, domin� par des structures de clan..., (pays) o� il n'existe pas de s�paration entre Etat et �conomie". L'Etat est devenu source de profit car le secteur priv� reste assez faible et vuln�rable lorsqu'il n'est pas li� au pouvoir. Il existe aujourd'hui une r�manence du dirigisme �tatique. M�me le pays o� le secteur avait �t� le plus ouvert, le Kazakhstan, proc�de � une certaine reprise en main avec la constitution d'un monopole d'Etat, Kazmouna�gaz, au printemps 2002. Reviennent �galement r�guli�rement des d�clarations d'officiels pour remettre en cause les contrats d�j� sign�s avec les entreprises �trang�res.
+Dans la r�gion, l'Etat est de plus en plus discr�dit� par le secteur priv�. Parmi vingt pays en transition �tudi�s en 2001, l'Azerba�djan �tait le pays o� l'indice de capture de l'Etat �tait le plus �lev�, c'est dire que les entreprises interrog�es percevaient une corruption de l'Etat � tous les �chelons. Le probl�me crucial aujourd'hui reste celui de la gestion de la rente. En 2000, sur 90 pays �tudi�s par Transparency International pour conna�tre la perception de la corruption, le Kazakhstan �tait 66�me, la Russie 83�me et l'Azerba�djan 87�me. En 2002, ces pays sont respectivement 88�me, 74�me et 95�me sur 102 pays �tudi�s, c'est dire que la situation s'est am�lior�e sensiblement en Russie mais s'est d�t�rior�e au Kazakhstan et reste catastrophique en Azerba�djan. Dans tous les pays de la r�gion, le pouvoir politique a d�sormais la mainmise sur le secteur p�trolier. En Azerba�djan, le fils du pr�sident, Ilham Aliev, est vice-pr�sident de la compagnie p�troli�re nationale et au Kazakhstan, le second gendre du pr�sident, Timour Koulibaev, est vice-pr�sident de la compagnie p�troli�re et gazi�re nationale, Kazmouna�gaz.
+Comme dans le syst�me sovi�tique, l'�conomie, notamment avec le secteur p�trolier et gazier, est subordonn�e au pouvoir politique. Mais le syst�me �conomique sovi�tique reste pr�sent notamment dans le fonctionnement m�me de ces jeunes �conomies.
+Bien �videmment, avec la d�sint�gration de l'URSS, les �conomies du flanc sud de la Russie ont entam� une s�rie d'�volutions capitales. Pourtant, derri�re certains chiffres se cache une r�alit� un peu diff�rente mettant en exergue la perp�tuation de l'ancien syst�me �conomique.
+Il est vrai que le commerce entre ex-R�publiques de l'URSS a fait une chute sans pr�c�dente puisque pour les pays d'Asie centrale, il est pass� d'environ 90 % � 30 % en moyenne. Pourtant, les ex-R�publiques, notamment la Russie, sont encore des partenaires commerciaux privil�gi�s. Le commerce avec la Russie repr�sente encore plus du quart du commerce total (et plus de 40 % des importations).
+Le commerce avec la Russie a d�clin� dans la mesure o� ces Etats riches en hydrocarbures n'exportent pas d'hydrocarbures vers la Russie, elle-m�me productrice. Ainsi, c'est la part des autres pays d'ex-URSS qui reste assez importante : le Turkm�nistan commerce ainsi � pr�s de 30 % avec les autres ex-R�publiques (hors Russie) et l'Azerba�djan � plus de 10 %. Des pays comme l'Ukraine sont ainsi devenus des partenaires incontournables de ces pays producteurs de p�trole et de gaz. Le d�senclavement avec le flanc sud, symbolis� par l'Iran, reste encore assez hypoth�tique. Pour T�h�ran, le commerce avec toutes les ex-R�publiques de l'URSS (hors Russie) repr�sente moins de 3 % de son commerce total. M�me le Turkm�nistan, qui poss�de pr�s de 1000 kilom�tres de fronti�re avec l'Iran, ne commerce que faiblement avec son voisin du sud (11 % du commerce total).
+Ceci est symptomatique du r�le �conomique encore jou� par Moscou. Derri�re les chiffres, perdurent certaines d�pendances �conomiques vis-�-vis de la Russie. Ainsi, le Kazakhstan et le Turkm�nistan sont, pour lors, quasiment exclusivement d�pendants de la Russie pour l'exportation de leurs hydrocarbures. Moscou poss�de ainsi un moyen de pression tr�s fort. Ainsi, suite au diff�rend opposant l'Etat turkm�ne � la soci�t� Gazprom � propos du montant des droits de transit pour l'utilisation du gazoduc de la soci�t� russe, le PNB turkm�ne avait chut� de 25 % en 1997.
+L'Azerba�djan est, dans une m�me situation inconfortable, vis-�-vis de la Russie concernant la situation �nerg�tique int�rieure, tout comme le Kazakhstan. La production gazi�re est, aujourd'hui exclusivement consacr�e � la consommation int�rieure. En revanche, les exportations de p�trole sont en constante augmentation. C'est principalement du p�trole brut qui est export�. Le niveau actuel des cours de p�trole brut rend attractive cette option pour les Az�ris. En outre, le raffinage a consid�rablement chut� depuis 1992. En th�orie, la capacit� de traitement est de 20 millions de tonnes, mais certains experts l'estiment plut�t � 14 millions et la production de produits raffin�s n'a �t� que de 8 millions en 2000. Certaines r�gions sont ainsi confront�es � des probl�mes de p�nuries d'�nergie, principalement dans les r�gions rurales. L'Azerba�djan doit donc se r�soudre chaque ann�e � importer du gaz de Russie depuis 2000 pour ne pas conna�tre � nouveau la grave crise �nerg�tique qu'il avait travers�e � l'hiver 1999 - 2000. La soci�t� p�troli�re nationale a alors sign�, � l'hiver 2000, deux accords de livraison de gaz, l'un avec le duo de soci�t�s russe Itera et allemande Debis et l'autre avec la soci�t� russe Transnaphta. En 2002, Itera a livr� pr�s de 4 milliards de m�tre cube de gaz.
+Ainsi, malgr� la chute des relations commerciales, la Russie reste extr�mement pr�sente dans le domaine �conomique sur son flanc sud.
+Le tissu �conomique, dans les pays d'Asie centrale et du Caucase m�ridional, reste empreint du syst�me �conomique ant�rieur de par la gestion, les pratiques etc. Les entreprises de la r�gion restent li�es aux anciens r�seaux fournisseurs et clients. A titre d'exemple, les anciennes pratiques commerciales, comme le troc ou les �changes de compensation, survivent.
+L'imbrication des �conomies est illustr�e par le secteur crucial de l'�lectricit� au Nord du Kazakhstan. Ainsi, les compagnies russes d'�lectricit� conservent des positions fortes dans cette r�gion � cause d'arri�r�s croissants dans le domaine de l'�nergie. D�s 1996, Sverdlovskenergo (filiale du monopole Electricit� de Russie) avait acquis deux mines de charbon (Severnyi et Bogatyr) dans le bassin d'Ekibastouz (r�gion de Pavlodar, Nord Kazakhstan) pour mettre fin aux arri�r�s de paiement li�s aux fournitures d'�lectricit� vers cette r�gion. Un second pas a �t� franchi en septembre 2000 lorsque ces deux mines ont �t� int�gr�es dans une nouvelle soci�t� d�nomm�e Uraltek. Le charbon extrait est ainsi convoy� en Russie pour servir de combustible � quatre centrales thermiques russes. En janvier 2000, les Kazakh avaient annonc� qu'ils allaient se lancer dans la construction d'une voie de chemin de fer entre la r�gion de Pavlodar et la r�gion russe d'Omsk pour r�duire les co�ts de transport du charbon kazakh. Electricit� de Russie continue une politique o� le Nord du Kazakhstan est totalement int�gr� au r�seau sud-sib�rien. Ainsi, le monopole russe a acquis, en avril 2000, la moiti� des actions de la grande centrale thermique du Nord du pays (Ekibastouz-2). Cette prise de participation a �t� le fruit d'un accord intergouvernemental sign� en janvier 2000 � Moscou. Cela a mis fin � un diff�rend concernant la dette �nerg�tique du Kazakhstan vis-�-vis de son voisin du nord.
+Le syst�me sovi�tique est ainsi toujours pr�sent. Joomart Otorbaev, vice-premier ministre kirghize le d�clarait derni�rement : " Il y a encore beaucoup de sovi�tique en nous, la mentalit� et les m�thodes pour la prise de d�cision... le syst�me sovi�tique de gestion qui a �t� enterr� avec l'Union sovi�tique est encore avec nous". Cette d�claration est d'autant plus int�ressante qu'Otorbaev semble �tre l'arch�type de l'�lite centre-asiatique "occidentalis�e". Parlant couramment anglais, ayant enseign� aux Etats-Unis, il fut repr�sentant de Philips pendant de nombreuses ann�es. M�me si les apparences semblent contraires, le syst�me sovi�tique est loin d'avoir disparu en Asie centrale et dans le Caucase m�ridional.
+Azerba�djan, Kazakhstan et Turkm�nistan sont confront�s � des d�fis �conomiques communs tels que l'enclavement, la transformation post-socialiste ou encore tout simplement le sous-d�veloppement.
+Pourtant, des deux c�t�s de la mer Caspienne, les politiques �conomiques men�es ont �t� fort diff�rentes. Malgr� ces diff�rences de choix, les trajectoires �conomiques de ces Etats restent assez semblables. Ces jeunes Etats restent encore bien empreints par le syst�me �conomique sovi�tique qui a fond� leur mod�le de d�veloppement pendant soixante-dix ans.
+La perspective la plus cr�dible de sortie pour ces Etats devrait vraisemblablement provenir de leurs richesses min�rales. Encore faut-il �viter l'�cueil des Etats rentiers. Ceci est le plus important d�fi auxquels sont confront�es ces nouvelles �conomies ind�pendantes.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les �tudes de l'Ifri 1
+L'Ifri est en France le principal centre ind�pendant de recherche, d'information et de d�bat sur les grandes questions internationales. Cr�� en 1979 par Thierry de Montbrial, l'Ifri est une association reconnue d'utilit� publique (loi de 1901). Il n'est soumis � aucune tutelle administrative, d�finit librement ses travaux et publie r�guli�rement ses activit�s.
+Cette �tude n'aurait pu voir le jour sans l'aide du minist�re de la D�fense. Gr�ce au concours de la D�l�gation aux affaires strat�giques (DAS) et de la mission militaire de l'ambassade de France � Washington, il a �t� possible de rencontrer un certain nombre d'experts am�ricains, civils et militaires, qui ont permis de mieux comprendre les origines et les enjeux du processus de " transformation " en cours. L'auteur tient donc � remercier tous ceux qui ont particip� � ce travail, directement ou indirectement. Pour autant, les opinions exprim�es dans ce rapport n'engagent que lui, et ne sauraient en aucun cas �tre attribu�es au minist�re de la D�fense ou � l'Ifri.
+� If it ain?t broken, don?t fix it. �
Pour l'observateur ext�rieur, l'imp�ratif de " transformation " des forces arm�es am�ricaines et les pol�miques qui entourent le sujet ont de quoi surprendre � plus d'un titre. Pourquoi " transformer " une arm�e universellement reconnue comme la premi�re au monde, et dont les performances durant la derni�re d�cennie ont �t� tr�s sup�rieures � celles des ann�es 1970 et 1980 ? Pour qui conna�t en revanche la nature emphatique et le caract�re cyclique des d�bats strat�giques aux Etats-Unis, la Revolution in Military Affairs (RMA, ou r�volution dans les affaires militaires) et ses succ�dan�s risquent d'appara�tre comme l'" �ternel retour du m�me ". Le danger est donc double, selon que l'on sous-estime la port�e de ce qui se passe aujourd'hui ou, qu'� l'inverse, on prenne au pied de la lettre les d�clarations officielles et le va-et-vient des critiques et des r�ponses, sans parvenir � en distinguer les �l�ments significatifs perdus au milieu du " bruit ". Il convient pour cette raison de faire la part entre les controverses concernant la strat�gie g�n�rale du pays, les objections de fond adress�es aux forces am�ricaines par certains critiques ext�rieurs et les arguments int�ress�s qui s'inscrivent, si naturellement aux Etats-Unis, dans la routine des querelles budg�taires entre arm�es.
+Comme l'attestent en surface les documents programmatiques, tant du d�partement de la D�fense que des hi�rarchies militaires, les trois arm�es, � l'exception toutefois du corps des Marines, se sont appropri� les objectifs et le vocabulaire de la RMA et de la " transformation ". Il n'est que de se reporter au document Joint Vision 2020, aux �quivalents internes de chaque Service (Army Vision 2010) ou au texte de la Quadrennial Defense Review (Revue quadriennale de d�fense ou QDR) pour le constater : il est d�sormais rare qu'un programme d'armement ou une r�organisation de structures ne soient pas pr�sent�s comme transformational - ce qui am�ne bien entendu � s'interroger sur la r�alit� de cette conversion des militaires aux th�ses de la RMA. Au vrai, les appr�ciations port�es � l'int�rieur de chaque arm�e sur les m�rites de la " transformation " sont diverses, d'autant que le d�bat g�n�ral autour de la RMA ne se laisse pas facilement r�duire � une opposition frontale entre argumentaires " moderniste " et " traditionaliste ". Les �volutions parall�les de la technologie et du contexte international ont bien eu un effet double, tant au niveau objectif, avec l'allongement des port�es et l'augmentation de la pr�cision, qu'au niveau des perceptions engendr�es par le succ�s des op�rations a�riennes. Latente au d�but des ann�es 1990, cette double pression de la r�alit� et des discours construits autour d'elle s'est renforc�e au fur et � mesure, pour s'exprimer ouvertement � partir de 1999, tout particuli�rement en direction de l'arm�e de terre am�ricaine (Army), jusqu'� rendre intenable la d�fense du statu quo.
+A la diff�rence de la Navy ou de l'US Marine Corps (Marine), l'Army occupe une place centrale dans le d�bat strat�gique actuel, parce qu'elle repr�sente un cas d'�cole, un repoussoir ou un test critique pour le courant qui se r�clame de la RMA, pour les traditionalistes sceptiques comme pour l'analyste ext�rieur cherchant � mesurer la progression des r�formes en cours et la r�alit� de leurs enjeux. Parmi ces derniers, on peut citer en vrac la red�finition des r�les respectifs de la manoeuvre terrestre et des frappes � longue port�e, la n�cessit� ou non du combat rapproch�, l'impact des communications modernes sur le commandement ou encore les modalit�s de l'interarmisation. De fa�on plus fondamentale parce que plus politique, l'�chec du plan de transformation de l'Army ou m�me certaines formes de sa r�ussite, selon les modalit�s qui seront privil�gi�es, pourraient affaiblir consid�rablement cette institution dans le d�bat strat�gique et budg�taire am�ricain, jusqu'� remettre partiellement en cause la fonction et l'existence m�me des forces terrestres autres qu'exp�ditionnaires, ce qui ne saurait manquer d'alt�rer en profondeur la posture militaire des Etats-Unis et leur r�pertoire d'options envisageables. En d'autres termes, la r�forme entreprise par l'Army est susceptible d'entra�ner des cons�quences non neutres sur la strat�gie g�n�rale des Etats-Unis concernant l'emploi de la force, et donc sur leurs alli�s. Evaluer le d�tail du plan Shinseki et ses r�percussions possibles implique cependant au pr�alable de replacer cette r�forme dans son contexte historique et politique.
+L'urgence de la transformation proc�de pour l'Army de facteurs multiples, � la fois structurels et conjoncturels. Les premiers s'expliquent par l'inadaptation grandissante de l'Army au contexte strat�gique actuel, inadaptation qui tient elle-m�me � des raisons profond�ment enracin�es dans la " culture " de l'institution, c'est-�-dire dans la fa�on dont elle per�oit sa propre histoire et les enseignements qu'elle en retient. Parmi ces raisons, on trouve � la fois une pr�f�rence marqu�e pour le combat de haute intensit�, le " contre-mod�le " vietnamien et les " le�ons " qui en ont �t� tir�es, telle la " doctrine Powell ", enfin les d�bats doctrinaux des ann�es 1980 ou encore le triomphe du Golfe. De fa�on plus imm�diate, cette inadaptation partielle est devenue visible, c'est-�-dire politiquement dommageable pour l'institution, lors de l'intervention occidentale au Kosovo. C'est bien le Kosovo en effet, et plus sp�cifiquement le fiasco du d�ploiement et de la non-utilisation de la " Task Force Hawk ", qui a contraint l'Army � modifier les orientations d�finies auparavant en interne et � pr�cipiter ce qui, jusque-l�, �tait davantage un processus de modernisation et d'anticipation qu'une " transformation ".
+En ce sens, comprendre les pressions en faveur de la transformation comme les r�sistances manifest�es, et plus g�n�ralement appr�hender les enjeux de la r�forme en cours, suppose de replacer le d�bat dans son contexte historique, en partant de l'" h�ritage " des cinquante derni�res ann�es et de ce qui fait la culture de l'Army, pour s'interroger ensuite sur la nature du plan Shinseki, ses origines imm�diates et la rupture qu'il introduit par rapport aux initiatives ant�rieures comme " Force XXI " et " Army After Next ". L'�tude se conclut par une �valuation du projet qui prend en compte les aspects op�rationnel, strat�gique et politique.
+Contrairement � ce que pourrait laisser croire un survol superficiel de l'histoire militaire des Etats-Unis, la fin de la guerre froide ne constitue que l'une des ruptures intervenues dans l'histoire des cinquante derni�res ann�es de l'Army : il existe des pr�c�dents infiniment plus nombreux qu'on ne l'imagine g�n�ralement, et qui ne se limitent ni � la professionnalisation initi�e en 1973, ni m�me aux transitions entre p�riodes d'engagements massifs et p�riodes de calme relatif. Il n'est pas exag�r� de dire que l'Army n'a jamais cess� d'exp�rimenter de nouvelles structures de force, stimul�e par trois s�ries de facteurs : les changements de la politique �trang�re am�ricaine et des postures strat�giques correspondantes, les d�veloppements autonomes de la technologie et, enfin, la volont� propre des cadres de l'institution d'am�liorer les organisations existantes et de tester des concepts d'emploi innovants. Fait de bifurcations, de r�orientations et de retournements, cet h�ritage complexe constitue l'arri�re-fond indispensable � qui veut comprendre l'institution d'aujourd'hui, ses pesanteurs, ses aspirations et tout ce qui repr�sente finalement la " mati�re premi�re " du plan Shinseki.
+Quatre p�riodes principales sont rep�rables dans l'histoire de l'Army, depuis la matrice des deux guerres mondiales jusqu'� l'op�ration " Temp�te du d�sert " (" Desert Storm "), en passant par les ann�es 1950 et le Vietnam.
+Pendant tout le XIXe si�cle, et si l'on met entre parenth�ses la guerre de S�cession, l'Army a d'abord �t� " a Frontier Army ", c'est-�-dire une " arm�e d'avant-postes " de tr�s petite taille (5 000 hommes en 1815) et dans laquelle les fonctions d'ing�nieur et de b�tisseur l'emportaient souvent sur les devoirs du soldat. Ni sa tr�s lente mont�e en puissance au cours du si�cle pr�c�dent, ni les rares exp�ditions militaires ou " aventures " coloniales (guerre mexico-am�ricaine de 1846, guerre hispano-am�ricaine de 1898), ni m�me la guerre de S�cession, d�couverte violente mais temporaire du combat � grande �chelle, n'ont fondamentalement modifi� cet �tat de choses. En parall�le cependant, le corps des officiers a tr�s t�t manifest� son int�r�t pour la " strat�gie " et son ambition profonde d'imiter les grands mod�les europ�ens : d'abord la France, h�riti�re de Napol�on - la plupart des g�n�raux de la guerre de S�cession connaissaient le M�morial de Sainte-H�l�ne -, puis l'Allemagne triomphante de la fin du si�cle, y compris les fragments d�form�s de la th�orie clausewitzienne, notions ou simples formules telles que " centre de gravit� ", " bataille d�cisive " ou " an�antissement de l'ennemi ". En ce sens, il est juste de dire que l'arm�e de terre am�ricaine est d'abord l'h�riti�re d'une tradition " franco-prussienne " de la " grande guerre ", au m�me titre que l'US Navy s'est toujours explicitement pens�e comme la l�gataire universelle de la Royal Navy.
+C'est � l'occasion de la Premi�re Guerre mondiale qu'�merge l'arm�e de terre am�ricaine moderne. A l'�cole des Fran�ais et des Britanniques pendant deux ans, l'arm�e am�ricaine red�couvre la guerre de haute intensit� moderne, avec ses corollaires oblig�s comme la mobilisation de la population masculine, la mise sur pied d'une �conomie de guerre et la r�organisation de la production industrielle au profit de l'appareil militaire. Bien que les Etats-Unis aient obtenu la cr�ation d'un commandement et l'attribution de secteurs du front � leur profit, leur arm�e prit tardivement part au conflit et ne parvint donc pas � assimiler compl�tement la complexit� de la tactique moderne, engendr�e par l'accroissement sans pr�c�dent de la puissance de feu - ce dont t�moignent par exemple les combats men�s dans l'Argonne en 1918. Le bilan des op�rations fut mitig�, dans la mesure o� l'arm�e am�ricaine n'eut pas le temps de mettre au point une " solution " tactique originale au probl�me de l'offensive, mais s'appuya sur les doctrines fran�aise et anglaise pour mettre sur pied la division " carr�e ", sans en �tre v�ritablement satisfaite et sans parvenir d'ailleurs � ma�triser le d�tail tactique des op�rations aussi bien que ses alli�s. Au final, l'Army s'est surtout repos�e sur le nombre de soldats et la quantit� de mat�riels � sa disposition. En sens inverse, l'exp�rience de la Premi�re Guerre mondiale a permis de jeter les bases des proc�d�s de mobilisation humaine et industrielle n�cessaires en guerre totale, ainsi que celles d'un bagage tactique minimum.
+La d�mobilisation de 1919, si elle a maintenu un effectif de 100 000 hommes, c'est�-dire tr�s sup�rieur aux pr�c�dents contingents de temps de paix, s'est toutefois sold�e par un retour � la routine et par un manque certain d'investissement dans les domaines novateurs comme les chars. R�duit par manque de moyens � suivre les �volutions doctrinales allemandes ou fran�aises pendant la meilleure part de l'entre-deux-guerres, le commandement, sous la direction des g�n�raux Craig et Marshall, acc�l�re ses pr�paratifs � partir de 1935 en r�organisant les structures de l'Army et en pr�parant les plans d'une remobilisation massive. Test�e de 1936 � 1939 par des manoeuvres de plus en plus importantes, dont les fameuses " Lousiana maneuvers " de 1939, l'adoption de la " division triangulaire " correspond � une mise � niveau de l'arm�e de terre am�ricaine par rapport � ses homologues europ�ennes ; la m�me attention au d�tail et � l'exp�rimentation est apport�e � la constitution de divisions blind�es (armored). Dans l'ensemble, l'exp�rience de la guerre valide ces mod�les, tout en mettant en �vidence le besoin fr�quemment exprim� par les g�n�raux de compl�ter les divisions sur le terrain par des unit�s sp�cialis�es non divisionnaires (unit�s anti-tanks ou antia�riennes, artillerie, g�nie, etc.). Pour cette raison, les autres mod�les divisionnaires �tudi�s (divisions m�canis�es, l�g�res, de cavalerie) sont abandonn�s pendant la guerre.
+Toutefois, c'est davantage dans le domaine de la logistique et de la gestion que l'arm�e am�ricaine fait preuve d'une originalit� certaine. Tr�s ax�e sur l'efficacit� gestionnaire, les �conomies d'�chelle et la mise sur pied de forces de grande taille, enti�rement motoris�es et dot�es de mat�riel en grande quantit�, l'arm�e am�ricaine porte assez peu d'attention � la qualit� des �quipements ou des personnels. En particulier, l'attribution des sp�cialit�s et le syst�me de remplacement souffrent d'une v�ritable obsession de l'" efficience " �conomique et gestionnaire. Cette politique consiste tout d'abord � placer syst�matiquement en premi�re ligne, c'est-�-dire dans l'infanterie, les recrues les moins qualifi�es, au niveau des hommes du rang comme des officiers, afin de r�server les �l�ments les plus talentueux pour les �tats-majors. Dans la mesure o� de nombreux officiers d'active se sont simultan�ment tourn�s vers des sp�cialit�s plus attractives en termes d'avancement ou de paie (en particulier l'Army Air Corps, future Air Force), les armes de m�l�e, et singuli�rement l'infanterie, souffrent d'un manque av�r� d'officiers et de sous-officiers de qualit� et doivent incorporer des hommes du rang qui ont, pour la plupart, un Q.I. en dessous de la moyenne. La faiblesse structurelle ainsi cr��e est encore renforc�e par le syst�me de remplacement en vigueur : au terme d'un s�jour individuel � l'arri�re (repos exceptionnel, blessure), les soldats sont envoy�s dans n'importe quelle unit� qui en exprime le besoin, et non dans l'unit� d'origine. Oblig�s de combattre au milieu d'" �trangers ", les soldats ne peuvent constituer ces " groupes primaires " dont la coh�sion est un facteur si important pour l'efficacit� au combat, comme le d�terminent d'ailleurs les travaux am�ricains de sociologie militaire des ann�es 1940 et 1950.
+Dans ces conditions, il n'est gu�re surprenant que les premiers engagements de la Seconde Guerre mondiale se soient sold�s par des r�sultats assez d�cevants, que l'on pense � l'Afrique du Nord en 1942 ou � l'Italie un an plus tard. Sur un plan purement tactique, toutes choses �tant �gales par ailleurs - mais elles ne le sont jamais, �tant donn� la sup�riorit� alli�e en aviation tactique et en puissance de feu plus g�n�ralement -, l'arm�e am�ricaine ne peut rivaliser avec la Wehrmacht, ce qu'attestent toutes les �tudes comparatives men�es sur le sujet. A l'exception d'unit�s d'�lite comme les 82e et 101e a�roport�es, les unit�s am�ricaines, � l'instar de leurs homologues britanniques, compensent leur inf�riorit� tactique par un recours syst�matique aux appuis-feux de l'artillerie terrestre et navale et de l'aviation tactique. Ainsi, et exactement � l'inverse de ce que donnent � voir les films de guerre de l'�poque et ceux qui ont suivi, ce sont les Allemands qui combattent en situation d'inf�riorit� marqu�e et qui compensent par la t�nacit�, l'ing�niosit� tactique et l'utilisation du terrain (reliefs montagneux en Italie, bocage normand) ce qui leur fait d�faut en termes d'�quipement, de mobilit� et de puissance de feu ; ils parlent d'ailleurs de " Materialschlacht ", ou " guerre de mat�riel ", pour d�crire le " style op�rationnel " am�ricain. Par une suite de campagnes et d'engagements qui ne sontpas sans rappeler la Premi�re Guerre mondiale, l'arm�e am�ricaine s'impose donc sur le front occidental par le biais d'un combat d'attrition s'appuyant sur la sup�riorit� industrielle du pays et sur une logistique impressionnante. Dans la foul�e, elle applique le mod�le lointainement h�rit� de la guerre de S�cession : strat�gie militaire d'an�antissement de l'adversaire, recherche de la victoire compl�te et occupation du territoire.
+Au final, et malgr� les d�boires rencontr�s en cours de route, la Seconde Guerre mondiale n'en repr�sente pas moins un triomphe pour l'Army qui remporte l� une victoire d�cisive, tant militairement que politiquement, au prix de pertes infiniment plus r�duites que celles subies par les autres bellig�rants, et sans qu'un �chec majeur ait jamais remis en cause l'institution. A l'issue des deux guerres mondiales, les traits distinctifs majeurs de l'arm�e apparaissent nettement et semblent fix�es pour longtemps : l'organisation se caract�rise par la mise sur pied de grandes divisions (plus de 15 000 hommes) autonomes, similaires les unes aux autres, et appuy�es sur une logistique sans �quivalent, qu'il s'agisse d'approvisionnements ou d'�vacuations sanitaires. A l'exception de chefs comme Patton, le style op�rationnel est rarement brillant, s'apparente davantage � la " bataille conduite " qu'au Blitzkrieg et cherche syst�matiquement � substituer le mat�riel aux hommes. Ces d�fauts tactiques ou op�rationnels laissent d'autant moins de traces que l'euphorie de la victoire va de pair avec la d�fense d'une cause per�ue comme juste par l'�crasante majorit� de la population, et est imm�diatement suivie par une p�riode de prosp�rit� �conomique qui tranche avec le souvenir de la d�pression de 1919. Jusque dans ses cons�quences sociales, le conflit est un succ�s, qu'il s'agisse des progr�s de l'int�gration raciale au sein du contingent ou surtout du GI Bill of Rights de 1944, qui octroie des bourses aux v�t�rans afin de parfaire leurs �tudes et assure ainsi un �largissement spectaculaire des classes moyennes. Tout ceci explique que la Seconde Guerre mondiale ait pu r�trospectivement faire figure de mod�le, la nostalgie allant d'ailleurs s'accroissant au fur et � mesure que les vicissitudes de la politique �trang�re am�ricaine et l'�volution des technologies militaires entra�nent l'arm�e con�ue et command�e par Marshall, Eisenhower, MacArthur et Patton, dans des directions et sur des th��tres d'op�ration impr�vus.
+La victoire sur l'Allemagne nazie et le Japon imp�rial s'est conclue de fa�on traditionnelle selon les normes am�ricaines, c'est-�-dire par une d�mobilisation aussi rapide et impressionnante qu'avait �t� la mobilisation ; d�s 1947, et malgr� les charges de l'occupation, l'arm�e am�ricaine, avec 10 divisions, n'est plus que l'ombre de la force qui comprenait 90 divisions deux ans plus t�t. Le d�clenchement de la guerre de Cor�e prend d'autant plus par surprise l'arm�e et le gouvernement am�ricains que l'essentiel de l'effort s'�tait port� jusque-l� sur l'Air Force, nouvellement cr��e en 1947, et sur les armes atomiques contrebalan�ant l'avantage sovi�tique en mati�re de forces conventionnelles et, singuli�rement, terrestres. L'offensive initiale des Nord-Cor�ens met en lumi�re le sous-�quipement et le sous-entra�nement des forces " tactiques " (non nucl�aires) am�ricaines, qu'il s'agisse de coop�ration interarm�es ou de combat terrestre toutes armes, ou plus simplement du volume des forces disponibles - on parle d�j� de " divisions creuses ". Ce sont ainsi la situation p�ninsulaire de la Cor�e et la r�sistance des Marines qui sauvent de justesse l'Am�rique d'une premi�re d�faite. Le d�barquement d'Inchon, en provoquant l'entr�e dans le conflit des " volontaires chinois ", engendre une seconde retraite pr�cipit�e, qui se stabilise en un combat d'attrition co�teux et non d�cisif. Le refus du pr�sident Truman de proc�der � un bombardement atomique du territoire chinois et l'obligation de prot�ger simultan�ment l'Europe placent les militaires am�ricains dans une situation inconfortable et heurte la tradition strat�gique nationale : pour la premi�re fois de leur histoire moderne, les Etats-Unis ont int�r�t � pr�server le caract�re limit� de l'affrontement, ce qui restreint d'autant les possibilit�s op�rationnelles et surtout interdit d'obtenir l'" objet naturel " de la guerre, � savoir la victoire par �crasement total de l'ennemi.
+Si la guerre de Cor�e se solde par une r�organisation globale de la politique de d�fense, avec la cr�ation du d�partement du m�me nom et l'accroissement permanent du budget et des forces des trois arm�es (Army � 20 divisions), elle n'en constitue pas moins un souvenir amer et une " non-victoire " aux yeux de nombre d'Am�ricains, � commencer par les militaires eux-m�mes. En particulier, elle engendre un sentiment de rejet � l'encontre des " engagements terrestres ". Soucieuse de r�duire les d�penses et d'�viter ce que l'on appelle d�j� � l'�poque un quagmire (" bourbier "), la strat�gie dite du " New Look " d�cid�e par l'Administration Eisenhower passe par une augmentation consid�rable des cr�dits d�volus aux armes nucl�aires et � l'Air Force, et par une r�duction � proportion de la part allou�e aux forces conventionnelles : le budget de l'Army est r�duit de moiti� en quatre ans et le nombre de divisions tombe � 14 en 1960.
+En ce sens, et alors que le conflit semble r�trospectivement avoir illustr� les dangers de l'impr�paration et les limites de la dissuasion nucl�aire, les ann�es 1950 repr�sentent pour l'Army � la fois une p�riode de disgr�ce politique et de doute existentiel quant � l'utilit� des forces classiques � l'�ge nucl�aire. Sur le premier point, l'Army, � l'instar de la Navy, ne peut qu'assister impuissante � l'ascension de l'Air Force et du Strategic Air Command. " R�volte des amiraux " en 1949, guerre de Cor�e, avanc�es communistes dans le Tiers Monde, rien n'y fait : la meilleure part des cr�dits va aux armes nucl�aires et � leurs vecteurs, en l'occurrence les bombardiers. Il faudra attendre les ann�es 1960 pour voir la fin du " tout nucl�aire ". Or, contrairement � la Navy qui se lance dans la conception des premiers sous-marins nucl�aires lanceurs d'engins (SNLE) sous l'impulsion de l'amiral Rickover, l'Army ne peut esp�rer que quelques " miettes ", comme les engins nucl�aires tactiques (missiles Thor, syst�mes Davy Crockett), les syst�mes antia�riens ou les premi�res d�fenses antimissiles, tous �l�ments marginaux et souvent d�ficients qui ne permettent pas de faire contrepoids aux ambitions de l'Air Force.
+Ce premier et vif d�bat autour des " r�les et missions " respectifs des trois arm�es se double de tr�s importantes incertitudes tactiques quant aux possibilit�s laiss�es aux forces terrestres : dans la mesure o� l'on pense devoir forc�ment �voluer sur un champ de bataille nucl�aire, c'est bien l'utilit� et finalement l'existence m�me des arm�es qui semble en jeu - les revues militaires de l'�poque font �tat de ces interrogations grandissantes. Si l'�re atomique (1945-1953) ne para�t pas encore menacer fondamentalement les forces terrestres - les armes nucl�aires sont d'abord per�ues comme de " super-obus " qui obligent � une plus grande dispersion -, la mise au point et la fabrication en grand nombre des armes thermonucl�aires, ainsi que la prolif�ration des armes dites tactiques, semblent sonner le glas de tous les principes jusqu'alors immuables de la guerre terrestre : concentration logistique des moyens, concentration physique des troupes, offensive, exploitation... C'est dans ce cadre et sous la direction du g�n�ral Ridgway que l'Army se lance, � partir de 1954, dans une s�rie d'initiatives visant une r�forme radicale de ses proc�dures tactiques, et qui consiste pour l'essentiel � r�organiser les divisions de mani�re plus " dispers�e " et avec des effectifs moindres, de mani�re � r�duire leur vuln�rabilit� aux frappes nucl�aires. Cette dispersion physique suppose une grande mobilit� tactique, des capacit�s de transport a�rien tactique - le potentiel des h�licopt�res fait l'objet d'�tudes approfondies - et des moyens de communication et de commandement performants. De ATFA-1 � la r�forme " pentomique ", en passant par PENTANA, qui vise le long terme, ces r�organisations s'appuient sur toute une s�rie d'exercices (Follow Me, Blue Bolt, Sage Brush, Eagle Wing, Quick Strike, Swift Strike...) et de wargames. Le mod�le " pentomique " est sans doute le plus radical, qui comprend 5 " Battle Groups ", dispos�s en pentagone, tr�s espac�s les uns des autres et compl�tement autonomes - ils ont absorb� les niveaux brigade et bataillon - afin de r�duire la vuln�rabilit� au feu nucl�aire et de permettre � la division de continuer le combat m�me apr�s des pertes s�v�res. Lanc� en 1956 par le g�n�ral Taylor, le concept donne lieu � diff�rentes r�organisations qui ne produisent pas les r�sultats escompt�s, faute de manoeuvres assez pouss�es, mais surtout parce que la technologie et l'argent n�cessaires font d�faut : sur sa lanc�e des ann�es pr�c�dentes, l'Army continue d'acqu�rir massivement des armes nucl�aires tactiques (43 % de son budget en 1956) et ne peut investir dans des technologies de pointe en mati�re de communications. En l'absence de ces derni�res - la technologie fondamentale n'�tait de toute fa�on pas suffisamment avanc�e -, les �chelons de commandement " pentomiques " ne peuvent efficacement contr�ler leurs unit�s. Finalement, devant des critiques internes grandissantes et confront�e � la possibilit� de nouveaux engagements am�ricains en Asie du Sud-Est, l'Army abandonne en 1958 le concept " pentomique " et lance l'ann�e suivante MOMAR I, �tude nouvelle qui envisage une m�canisation massive de toutes les unit�s. L'Army adopte en 1964 une structure divisionnaire beaucoup plus traditionnelle, proche de la structure de la Seconde Guerre mondiale, dite ROAD.
+Cette s�rie d'�checs est int�ressante � quatre niveaux diff�rents : elle illustre premi�rement la difficult� d'une r�forme en profondeur, pourtant men�e en interne par l'institution elle-m�me. En second lieu, elle montre, dans des conditions technologiques il est vrai tr�s diff�rentes de celles qui pr�valent aujourd'hui, � quel point il est difficile de conserver r�activit�, puissance offensive et solidit� d�fensive avec un dispositif tr�s dispers�. De fa�on incidente, l'exp�rience a ancr� dans de nombreux esprits la notion que les m�thodes �prouv�es �taient bien pr�f�rables � des " concepts " peut-�tre innovants, mais qui faisaient courir un risque inutile d'�chec catastrophique ; le camp des traditionalistes en sort renforc�, m�me si le processus de r�forme produit quelques innovations isol�es, en l'esp�ce les unit�s h�liport�es. Enfin, parce que ces r�formes en cascade - pratiquement une par an -sont d'abord politiquement motiv�es, elles imposent � un processus par nature d�licat un rythme et un calendrier irr�alistes compte tenu des contraintes propres de l'innovation militaire. Une r�forme qui a pour objectif, dans un contexte strat�gique donn�, de prouver l'utilit� de l'institution dans la comp�tition interservice court en effet le risque d'�tre conduite trop rapidement et d'entra�ner des r�sultats d�cevants sur un plan strictement op�rationnel.
+L'engagement vietnamien repr�sente une �tape essentielle dans l'�volution de l'institution, non seulement parce qu'il marque les limites du " American/Army Way of War ", mais aussi en raison des " le�ons " g�n�rales qu'en retire l'arm�e. En ce sens, et quel que soit l'int�r�t militaire du conflit, ce sont bien ses cons�quences sur les rapports civilo-militaires et les conceptions dominantes au sein du corps des officiers qui s'av�rent d�terminantes sur le long terme.
+L'arriv�e au pouvoir de John Kennedy, convaincu qu'il faut vaincre les gu�rillas communistes sur leur propre terrain et que la strat�gie des repr�sailles massives n'est pas cr�dible, replace l'Army au centre des pr�occupations strat�giques am�ricaines. Le nouveau pr�sident insiste en particulier sur l'importance des forces sp�ciales et sur ce que l'on appelle alors la " contre-insurrection ". Cependant, et malgr� la cr�ation des B�rets verts, l'Army globalement ne suit pas, � peine remise d'une d�cennie d'exp�rimentations tous azimuts et focalis�e sur le combat de haute intensit� r�clam� par la nouvelle strat�gie de " riposte gradu�e ". R�organis�e sur le mod�le ROAD, elle n'engage qu'une seule innovation importante, cette fois couronn�e de succ�s : la cr�ation en 1964 de la premi�re unit� de combat h�liport�e, la 11e Air Assault Division, rebaptis�e First Cavalry Div., Airmobile, en d�pit des r�ticences des traditionalistes et de la r�sistance acharn�e de l'Air Force, qui entend se r�server le monopole du ciel. S'appuyant pr�cis�ment sur le concept d'" enveloppement vertical ", la First Cav. et les unit�s h�liport�es remportent tout d'abord une s�rie de succ�s (engagement de Ia Drang, octobre-novembre 1965) gr�ce � l'extraordinaire mobilit� conf�r�e par les h�licopt�res. En r�action, le Nord-Vietnam et le Vi�t-Cong repassent en " phase 2 " dans la " guerre r�volutionnaire ", soit des op�rations de gu�rilla qui visent � harceler l'ennemi, jouent sur la dur�e et �vitent les engagements majeurs.
+Or, et quoi qu'on pense des errements de la strat�gie g�n�rale d�cid�e par les autorit�s politiques ou de la campagne de bombardements du Nord-Vietnam, il est tout � fait clair r�trospectivement que l'Army n'a fait preuve d'aucune imagination tactique lors des op�rations men�es au Sud. A cet �gard, le manque d'int�r�t des plus hautes autorit�s de l'Army � l'�gard des guerres de basse intensit� en g�n�ral, et de la sp�cificit� du conflit vietnamien en particulier, se traduit par une myopie tactique et une rigidit� dans l'organisation qui exercent des effets dommageables pendant tout le conflit. Celui-ci prend syst�matiquement la forme d'op�rations de ratissage (search and destroy ops) qui donnent de bien maigres r�sultats, malgr� des pertes en augmentation et de tr�s importants dommages collat�raux. C'est qu'en effet l'Army se refuse � employer les m�thodes �prouv�es de lutte anti-gu�rilla, telles que la dispersion des unit�s, le quadrillage du pays et la protection des populations, tout en cherchant en vain � obliger son adversaire � livrer et � perdre une bataille d�cisive, ou du moins une succession d'engagements si co�teux que l'arm�e nord-vietnamienne ne pourrait progressivement plus poursuivre la lutte. C'est le fameux " cross-over point ", point de rupture � partir duquel les ressources humaines ennemies doivent aller en d�clinant. Il s'agit d'une pure strat�gie d'attrition, qui passe notamment par une application indiscrimin�e de la puissance de feu am�ricaine, ce qui logiquement produit de nombreuses pertes civiles, et donc sert la propagande et le recrutement men�s par le Vi�t-Cong, tout en poussant les officiers am�ricains � exhiber des " r�sultats " mesur�s � l'aune du " body count ", ou d�compte des cadavres.
+D�faut suppl�mentaire, l'Army a conserv� le d�plorable syst�me de rotation des unit�s et des hommes h�rit� de la Seconde Guerre mondiale, dont les effets pervers sont encore amplifi�s par les appr�hensions politiques de Lyndon Johnson, qui refuse d'appeler les r�serves et se contente d'amplifier le draft. Il en r�sulte une absence pr�judiciable de coh�sion des unit�s de base, ainsi qu'une insuffisance de personnels form�s : l'essentiel des conscrits exp�riment�s repartent apr�s un " tour ", soit une ann�e. Au final, ce sont les milices sud-vietnamiennes et les actions de la CIA (op�ration Phoenix) qui s'av�rent les plus efficaces contre le Vi�t-Cong, tandis que le g�n�ral Westmorland se contente de pers�v�rer avec la m�me strat�gie g�n�rale d'attrition en r�clamant davantage de troupes.
+Comme on le sait d�sormais, ce n'est finalement qu'� l'occasion de l'offensive du T�t, lanc�e d�lib�r�ment en 1968 par Hanoi, que le cross-over point est atteint en ce qui concerne du moins le Vi�t-Cong, l'arm�e nord-vietnamienne �tant alors oblig�e de prendre le relais. A ce stade, toutefois, l'offensive a produit ses effets politiques, et les Etats-Unis commencent � se d�sengager. La mont�e des tensions politiques en Am�rique, et en particulier sur les campus, pousse d'ailleurs Johnson puis Nixon � envoyer majoritairement au Vietnam, et plus encore en premi�re ligne, des recrues provenant des classes d�favoris�es et donc des minorit�s ethniques, amplifiant ainsi les pratiques de la Seconde Guerre mondiale. Ressentie comme une injustice, ce syst�me de recrutement se conjugue � la d�t�rioration de la situation sur le terrain pour produire une nette d�gradation du moral des troupes, au point de menacer la viabilit� du contingent pr�sent au Vietnam : la r�volte contre les officiers, les nombreuses occurrences de fragging, l'usage r�pandu des drogues, bref toutes les images traditionnellement associ�es � la guerre du Vietnam dans les repr�sentations communes, correspondent pr�cis�ment aux ann�es 1969 et 1970. A la fin de l'engagement vietnamien, l'Army est au bord de la d�composition : certains de ses �l�ments sont en r�volte ouverte, le corps des officiers a l'impression d'avoir �t� trahi par l'" arri�re ", et les Etats-Unis, singuli�rement l'arm�e de terre, viennent de subir leur " premi�re " d�faite. La d�b�cle se conclut logiquement par l'abandon de la conscription et la constitution d'une arm�e de m�tier qui, d'ailleurs, peine consid�rablement � attirer des volontaires de qualit� pendant toute la d�cennie, tant l'image de l'institution a �t� ternie pour longtemps.
+Au terme de ce bref rappel historique, il convient de souligner tout ce que la d�faite a de d�stabilisant pour l'institution : au Vietnam, ce ne sont pas seulement les d�fauts traditionnels de l'arm�e qui ont jou� contre elle, puisque m�me ses " points forts " l'ont en quelque sorte trahie ; � tout prendre, le syst�me de gestion du personnel est sans doute moins � bl�mer que le choix irr�fl�chi d'une strat�gie d'attrition, sp�cialement inadapt�e � un contexte de gu�rilla.
+La d�faite vietnamienne est l'occasion pour l'arm�e de terre d'une introspection pouss�e et d'un retour aux sources intellectuelles. Si les cons�quences politiques de cette remise en question en viennent � ob�rer durablement la flexibilit� de l'Army, les avanc�es doctrinales et qualitatives qui marquent la p�riode n'en sont pas moins bien r�elles.
+Dans la foul�e du Vietnam, les ann�es 1970 permettent � l'Army d'engager une autocritique qui prend des allures d'examen de conscience. Les " le�ons " politiques et op�rationnelles que l'institution tire de son engagement vietnamien participent toutefois davantage d'une reconstruction a posteriori que d'une analyse objective de la r�alit� historique, perdue au milieu de controverses multiples. Cet exercice d'introspection d�bouche sur la reconstitution d'une force � maints �gards " traditionnelle ". En parall�le, s'est fait jour une sorte de perception commun�ment admise (conventional wisdom), qui p�se encore aujourd'hui sur les marges de manoeuvre internes de l'Army et, plus g�n�ralement, sur les rapports civilo-militaires.
+L'abandon de la conscription ne se fait pas au profit d'une arm�e professionnelle plus facile � engager politiquement, bien au contraire. Retenant du Vietnam l'insuffisant soutien des autorit�s politiques et les effets pervers d'un engagement qui ne dit pas son nom, la hi�rarchie militaire, toutes arm�es confondues, entreprend de se structurer de telle sorte qu'il soit impossible � l'avenir pour le pr�sident des Etats-Unis d'engager des moyens militaires de mani�re graduelle en esp�rant �viter un d�bat public sur le sujet. Pour ce faire, les trois Services imbriquent ensemble les forces d'active et les r�serves, d�l�gant � ces derni�res une bonne partie des fonctions de soutien jusqu'� rendre pratiquement infaisable d'engager les premi�res de fa�on significative sans mobiliser les secondes - concept " Total Force ". L'Army en particulier n'est pas optimis�e pour l'emploi discret et imm�diat de ses capacit�s : la fin du Vietnam, le passage � la all-volunteer force et la refocalisation sur le th��tre europ�en favorisent des structures, des �quipements et une mentalit� sp�cifiques, tr�s orient�s sur la " grande guerre " et tr�s r�serv�s quant � d'�ventuelles " aventures " sur des th��tres secondaires ou des r�formes doctrinales risqu�es.
+La critique de la responsabilit� politique n'affecte pas seulement l'organisation des forces, mais influence �galement l'attitude d'ensemble des officiers vis-�-vis des rapports civilo-militaires en g�n�ral et de l'usage de la force en particulier. Les " civils " sont consid�r�s avec m�fiance, pour ne pas dire hostilit�, et le corps des officiers adh�re progressivement � ce que l'on pourrait appeler une " th�orie prussienne " des rapports entre autorit� politique et hi�rarchie militaire. En lieu et place de la " th�orie classique " (expos�e par exemple par Samuel Huntington dans The Soldier and the State et encore d'actualit� aujourd'hui en Europe), cette th�orie r�visionniste, enti�rement d�riv�e du Vietnam, consid�re que les militaires doivent assumer la direction d'ensemble des op�rations, d�s lors que les politiques ont opt� pour le recours � la force. Il s'agit d'�viter � la fois l'usage " gesticulatoire " (signaling) des capacit�s militaires et le " micro-management " des op�rations elles-m�mes. Si elle pose en principe une s�paration nette des responsabilit�s (le politique d�cide du " pourquoi " et du moment, le militaire du " comment "), cette th�orie a une tendance naturelle � " d�border " de son cadre : sous pr�texte de conseiller le politique quant aux modalit�s du recours � la force et au bien-fond� des diff�rentes options, les militaires en viennent � se prononcer sur le bien-fond� de l'usage de la force. On en veut pour preuve l'analyse de la d�faite am�ricaine au Vietnam op�r�e par le colonel Harry Summers, dont l'ouvrage, On Strategy, sous couvert d'un retour � Clausewitz, d�veloppe une critique s�v�re de la gestion du conflit par les politiques et met en forme ce nouveau " prussianisme ". Depuis sa publication, l'ouvrage repr�sente d'ailleurs une v�ritable " bible " pour les officiers et est inclus dans la liste de lectures obligatoires dans le cursus de l'Army. Raviv�e par l'exp�rience malheureuse du Liban (1983), cette conception du r�le des arm�es en g�n�ral et des forces terrestres en particulier est formalis�e une premi�re fois dans ce qu'il est convenu d'appeler la " doctrine Weinberger " (1984), appel�e � devenir la " doctrine Powell " quelques ann�es plus tard. Y est pos�e une s�rie de principes destin�s � guider le politique en circonscrivant les conditions l�gitimes d'emploi de la force au regard de la rationalit� militaire. Ces principes sont au nombre de six :
+ +A l'�vidence, il s'agit l� de conditions extr�mement restrictives, qui excluent pratiquement toute intervention autre qu'une guerre classique autorisant un usage illimit� de la force. Particuli�rement en faveur aupr�s de l'Army, la doctrine Weinberger l�gitime ex post les pr�f�rences a priori de l'institution pour la " grande guerre " et les th��tres majeurs de la guerre froide : en quittant l'Asie du Sud-Est, l'Army s'est instantan�ment refocalis�e sur ce qu'elle estime �tre son " coeur de m�tier " et sa raison d'�tre, le combat de haute intensit�. Autrement dit, l'arm�e am�ricaine a pour mission de se pr�parer � contrer une avanc�e sovi�tique dans les zones o� elle est d�j� pr�sente via des pr�positionnements massifs d'unit�s et d'�quipements (Europe, Cor�e du Sud) ; le " reste " est du ressort des Marines et de l'Air Force.
+Tr�s affirm� d�s que le primat de la grande guerre et des sp�cialit�s correspondantes semble menac�, ce conservatisme s'accompagne toutefois au long de la p�riode d'un r�el effort mat�riel et intellectuel pour faire face � la sup�riorit� conventionnelle attribu�e aux forces du pacte de Varsovie.
+Bien que l'am�lioration de la qualit� des personnels ne s'op�re que lentement, et que les r�sultats op�rationnels soient en demi-teinte (�chec retentissant de l'op�ration " Desert One ", demi-succ�s de la Grenade ou de Panama), l'Army lance pendant cette p�riode tous les armements majeurs appel�s � conna�tre la cons�cration lors de la guerre du Golfe : missiles antichars TOW, chars M1 Abrams, v�hicule de combat d'infanterie Bradley, h�licopt�res Apache et jusqu'au syst�me antimissile Patriot. Tous ces programmes sont d'abord con�us dans la perspective d'un affrontement conventionnel en Europe contre le pacte de Varsovie : le d�veloppement des forces nucl�aires sovi�tiques � tous les niveaux (strat�gique, interm�diaire et tactique) durant les ann�es 1960 et 1970 rend en effet d�licat, aux yeux des responsables de l'OTAN, de se reposer sur la seule dissuasion pour contrebalancer l'avantage conventionnel sovi�tique, qui para�t d'ailleurs aller en s'accroissant. Par-del� les n�cessit�s de la strat�gie g�n�rale de " riposte gradu�e ", ces d�veloppements proc�dent �galement, on l'a vu, des pr�f�rences profondes de l'institution.
+Au niveau de l'organisation et de la doctrine, les d�cennies post�rieures au Vietnam donnent lieu � une renaissance remarquable. Le th�me dominant tient en une formule simple : " Fight outnumbered and win ", combattre en situation d'inf�riorit� mais gagner. Outre les �quipements majeurs mis en chantier � l'�poque, la r�ponse au d�fi sovi�tique passe par une refonte doctrinale en plusieurs �tapes : cr�ation en 1973 d'un centre de la doctrine (TRADOC) sous la direction du g�n�ral DePuy, red�couverte des " classiques " de la litt�rature strat�gique comme Clausewitz, publication du FM 100-5 (Field Manual, operations) Active Defense en 1976, et dans la foul�e lancement de DRS, nouvelle �tude de r�organisation divisionnaire...
+C'est dans ce contexte qu'intervient la querelle opposant " traditionalistes " et " partisans de la guerre de manoeuvre ", les seconds reprochant aux premiers de s'en tenir � une " pure logique d'attrition ". A la suite de ces controverses, l'attrition d�signe dans le vocabulaire am�ricain contemporain l'application lin�aire de la puissance de feu et plus g�n�ralement des moyens mat�riels : dans cet �change qui ob�it grosso modo aux lois de Lanchester, la victoire va � la partie qui dispose des r�serves les plus nombreuses, � moins d'un diff�rentiel qualitatif consid�rable. A ce jeu-l�, comme le soulignent les critiques des " maneuverists " � l'encontre du FM de 1976, les forces occidentales sont forc�ment perdantes face � la sup�riorit� m�canis�e sovi�tique, et la pire des solutions consiste � leur laisser l'initiative en se cantonnant � une strat�gie d�fensive, m�me " active ". En sens inverse, ils proposent d'adopter le paradigme de la " guerre de manoeuvre ", qui repose tactiquement sur la recherche d'avantages de position, et � l'�chelle du th��tre sur des p�n�trations audacieuses, sur le mod�le des campagnes napol�oniennes et surtout du blitzkrieg allemand ; il s'agit, par une prise de risque calcul�e, de provoquer un " choc op�ratif " dans le syst�me adverse et d'obtenir des r�sultats disproportionn�s (non lin�aires) au regard du rapport de force quantitatif. Au niveau tactique comme au niveau op�ratif, il s'agit �galement de " saturer " le syst�me de commandement adverse en le prenant syst�matiquement de vitesse ; en bref, rechercher et exploiter, dans l'espace comme dans le temps, les points faibles de l'adversaire. Sous la direction du g�n�ral Starry, qui a remplac� DePuy, l'�dition de 1982 du FM 100-5 reprend partiellement � son compte les pr�ceptes du " maneuver warfare " ou style de guerre manoeuvrier. Ce paradigme doctrinal se r�pand s�rement tout au long des ann�es 1980, au sein du corps des officiers comme d'ailleurs aupr�s des Marines ou des alli�s de l'OTAN. D'un point de vue pratique, cependant, il s'agit d'un succ�s en demi-teinte, dans la mesure o� les strat�gies op�rationnelles retenues, " AirLand Battle " au sein des forces am�ricaines et " doctrine Rogers " au sein de l'OTAN, doivent autant � la technologie qu'au paradigme de la guerre de manoeuvre. En se proposant de d�truire les second et troisi�me �chelons sovi�tiques par des frappes dans la profondeur, conduites par l'Air Force ou par ses propres syst�mes � longue port�e (ATACMS, Apache), l'Army entreprend bien de synchroniser les capacit�s de ses divisions au niveau op�ratif, mais elle tire surtout parti des possibilit�s offertes par des technologies d�j� en place � l'�poque : munitions a�riennes de pr�cision, sous-munitions antichars d�livr�es par l'artillerie � longue port�e, etc .
+En parall�le � " AirLand Battle ", le g�n�ral Starry lance en 1978 les initiatives " Army 86 " et " Division 86 ", qui concernent l'organisation et les structures de force. Fond�e sur des analyses et des exp�rimentations approfondies, " Army 86 " propose deux mod�les (Heavy Division 86 et Infantry Division 86) qui se situent dans le prolongement des divisions ROAD toujours en vigueur, mais incorporent des capacit�s suppl�mentaires tout � fait significatives. Avec 20 000 hommes et une brigade d'h�licopt�res d'attaque, la Heavy Division 86 est v�ritablement con�ue pour r�pondre en profondeur � l'offensive �chelonn�e pr�n�e par la doctrine sovi�tique ; bien qu'approuv�, le plan est toutefois revu � la baisse faute de moyens suffisants (hommes, �quipements) et d'argent, et c'est une version r�duite qui est finalement appliqu�e par le plan " Army of Excellence " (1983). Cens�e servir sur n'importe quel th��tre d'op�rations, la division d'infanterie doit r�pondre aux imp�ratifs suivants : mobilit�, flexibilit� et puissance de feu accrue, ce qui veut dire concr�tement �tre a�rotransportable en C-141 et pouvoir r�sister � une unit� ennemie dot�e de chars T-72. Des r�sultats mitig�s et un co�t l� encore prohibitif conduisent � l'abandon pur et simple du projet - il convient toutefois de souligner la ressemblance frappante, en termes d'objectifs, entre ce projet et l'actuel plan Shinseki.
+La ran�on de cette intense focalisation sur la probl�matique du " front central " se manifeste rapidement, d�s la fin des ann�es 1970 : face aux perc�es sovi�tiques dans le Tiers-Monde, l'Army ne dispose pas de forces � la fois facilement projetables et capables d'infliger un coup d'arr�t � l'adversaire. Les ann�es 1980 sont ainsi le th��tre d'exp�rimentations diverses, tant au niveau des mat�riels que des organisations, afin de mettre sur pied une division l�g�re qui soit viable. C'est dans ce cadre qu'est tout d'abord lanc� en 1980 le projet HTLD de " division l�g�re technologique " (Hi-Tech Light Division) : il s'agit de prot�ger le golfe Persique face � une �ventuelle attaque-�clair sovi�tique depuis l'Afghanistan, en mettant sur pied une organisation radicalement nouvelle fond�e sur l'exploitation de technologies �mergentes, en particulier un v�hicule l�ger, donc d�ployable par avion, mais dot� d'une r�elle capacit� antichar (Armored Gun System). Apr�s trois ans de recherches et d'exp�rimentations, et parce qu'il est clair que les technologies requises n'arriveront pas � maturit� avant au moins une d�cennie, le g�n�ral Wickham propose un projet moins ambitieux et plus classique, le d�veloppement de la HTMD, division motoris�e mixte (une brigade lourde toutes armes, une brigade l�g�re toutes armes et une brigade d'infanterie) cens�e combler le " trou " entre divisions l�g�res et divisions lourdes. Une fois encore, les probl�mes p�cuniaires et technologiques conduisent au d�mant�lement du projet.
+Tout comme Infantry Division 86, ces tentatives r�p�t�es pr�sentent de nombreux points communs avec l'actuel plan Shinseki : il s'agit de pouvoir d�ployer rapidement et sur de grandes distances une force terrestre apte � conduire, en conjonction avec les autres Services, une action retardatrice avant l'arriv�e des forces lourdes. A l'�poque comme aujourd'hui, la technologie est envisag�e comme un moyen de compenser l'inf�riorit� organique des forces l�g�res en termes de protection et de puissance de feu. Malgr� les insuffisances de certains mat�riels, le concept est loin de manquer d'int�r�t et pr�figure � maints �gards les solutions propos�es aujourd'hui. Au final, le poids institutionnel des heavies, ou armes lourdes (arm�e blind�e cavalerie, infanterie m�canis�e, artillerie), mais surtout le manque d'argent et l'immaturit� des technologies requises emp�chent ces projets d'aboutir.
+Au terme de toutes les exp�rimentations men�es entre 1975 et 1985, l'arm�e se rabat sur le plan " Army of Excellence " (1983), qui comprend une version all�g�e du projet Division 86 pour les unit�s lourdes, d�veloppe les moyens de commandement au niveau des corps et tranche le probl�me insoluble des unit�s l�g�res en cr�ant de pures divisions d'infanterie � sp�cialit� " g�ographique " (par exemple la 10e Light Infantry Division - Mountain). Avec des effectifs r�duits (10 000 hommes), d�pourvues de v�hicules et dot�es d'une autonomie logistique de 48 heures, ces divisions ne demandent que 450 sorties a�riennes pour �tre d�ploy�es mais sont explicitement r�serv�es � des missions de basse intensit�. Leur faiblesse intrins�que suscite d'ailleurs, au sein de l'Army comme en dehors, des critiques nourries qui d�noncent tant�t leur inutilit� en situation de combat, tant�t leur faible autonomie. Quatre de ces divisions sont progressivement mises en place.
+En d�finitive, et en d�pit d'une application en demi-teinte des avanc�es doctrinales, les ann�es 1980 s'ach�vent par une incontestable am�lioration de l'Army : les efforts en mati�re de recrutement (augmentation des salaires, campagnes de publicit�), d'entra�nement et de mat�riels portent leurs fruits et les forces terrestres qui sont envoy�es dans le Golfe en 1990 sont probablement les plus homog�nes et les meilleures jamais constitu�es par les Etats-Unis.
+La guerre du Golfe repr�sente un triomphe collectif pour les forces arm�es am�ricaines. Dans la perspective de l'Army, les op�rations, et en particulier la phase terrestre, dite " guerre des 100 heures ", consacre le bien-fond� de la plupart des initiatives pr�c�dentes : les Abrams comme les Apache apportent la preuve de leur sup�riorit� compl�te sur les mat�riels sovi�tiques pr�sent�s comme comparables, les troupes font une d�monstration de professionnalisme et le haut-commandement de l'Army n'oublie pas de souligner l'importance du fameux " mouvement tournant gauche " (left hook) accompli par le VIIe corps avec le XVIIIe corps en flanc-garde.
+A y regarder de plus pr�s, toutefois, il s'agit d'un triomphe de courte dur�e. S'il efface bien le " syndrome vietnamien " et restaure le prestige des " armes am�ricaines ", les analyses post�rieures font appara�tre l'inf�riorit� patente de l'adversaire � tous les niveaux imaginables : commandement, �quipement, formation de la troupe, motivation, sans parler bien entendu de l'�crasante sup�riorit� a�rienne et " �lectronique " - on ne dit pas encore " informationnelle " - des alli�s. La manoeuvre de flanc est d'ailleurs un �chec, dans la mesure o� l'attaque du Marine Corps le long de la c�te, bien loin de " fixer " les Irakiens, donne � Saddam Hussein le signal de la retraite g�n�rale : pris de vitesse, le mouvement tournant frappe d�s lors largement dans le vide et ne rencontre sur sa route que les unit�s d�lib�r�ment plac�es en flanc-garde par le dictateur irakien afin de sauver ce qui peut l'�tre de son arm�e. En d�finitive, l'objectif militaire consistant � enfermer l'arm�e irakienne et � d�truire la Garde r�publicaine - avec, sans doute, en arri�re-plan l'intention de faire chuter le r�gime par ce biais - n'est pas atteint, et n'aurait sans doute pas pu l'�tre, sauf � engager des op�rations de grande envergure dans les zones habit�es de l'Irak, Bassorah en particulier.
+Quelles qu'aient pu �tre les insuffisances de l'op�ration, elles importent moins cependant que ses retomb�es au niveau des perceptions. La " guerre des 100 heures " a en effet �t� pr�c�d�e, dans tous les sens de cette expression, par une campagne a�rienne de six semaines sans �quivalent dans l'histoire. Le paradoxe n'est pas mince, qui veut que " Temp�te du d�sert " marque � la fois l'apog�e de l'Army de l'apr�s-Vietnam, � dire vrai son premier triomphe militaire depuis 1945, et " lance " dans le m�me mouvement le th�me et l'�cole de la RMA, qui jouent dans un sens globalement d�favorable aux int�r�ts de l'institution. Ce paradoxe se r�sout toutefois, dans la mesure o� cette m�me guerre du Golfe a repr�sent� un triomphe bien plus grand encore pour l'Air Force, et a v�ritablement relanc� les d�bats autour de l'" Air Power ". La premi�re moiti� des ann�es 1990 est ainsi le th��tre d'une importante litt�rature sur le conflit de 1991 qui, dans l'ensemble, s'attache � souligner l'" arriv�e � maturit� " (the coming of age) de l'arme a�rienne et prend parti plus ou moins nettement en faveur de la nouvelle version de l'" Air Power ", telle que pr�sent�e, par exemple, par John Warden, lui-m�me � l'origine du plan de frappes " Instant Thunder ". Cette controverse est non seulement le fait des partisans attitr�s de l'Air Force, mais elle re�oit encore une sanction presque officielle avec le lancement de la Gulf War Air Power Survey, �tude approfondie sur le mod�le de celles conduites apr�s la Seconde Guerre mondiale - rien de tel n'a en revanche �t� produit au profit des op�rations terrestres. Tr�s peu de temps apr�s la guerre du Golfe, l'Army red�couvre ainsi, selon la formule popularis�e durant les ann�es 1950, que " le v�ritable ennemi, c'est l'Air Force ". De fait, le d�roulement de cette campagne a instantan�ment plac� l'arm�e de terre dans une position d�fensive dont elle n'est en r�alit� pas sortie depuis lors. A ce constat amer, s'ajoute encore la douloureuse r�duction de format cons�cutive � la fin de la guerre froide et entreprise dans la foul�e du Golfe : en quelques ann�es, l'arm�e perd 8 divisions sur 18 et se red�ploie massivement vers le territoire am�ricain.
+Apr�s avoir pass� en revue cinquante ans d'histoire de l'Army, deux s�ries de consid�rations semblent s'imposer, qui ont trait respectivement � la culture de l'institution et aux caract�ristiques des processus de r�forme r�ussis.
+Le succ�s de la guerre du Golfe tranche avec tous les engagements pr�c�dents de l'Army : il s'agit d'une op�ration de haute intensit�, reposant sur une logistique impressionnante et un usage extensif de la puissance de feu, s'inscrivant enfin dans un cadre politique clair, qu'il s'agisse des objectifs fix�s par le politique, du d�roulement de l'intervention (d�but et surtout fin) ou du soutien de l'opinion am�ricaine. En d'autres termes, " Temp�te du d�sert " repr�sente, en accord d'ailleurs avec la volont� explicite de la hi�rarchie militaire, un v�ritable " retour aux sources ", en l'occurrence l'exp�rience r�ussie et transfigur�e en mod�le de la Seconde Guerre mondiale. Et c'est cette orientation qui constitue la culture de l'Army, son " coeur de m�tier " historique et la d�finition minimale commune � la plupart de ses membres, par-del� les revirements des " strat�gies de s�curit� nationale " et les r�organisations successives. A ce propos, il convient de souligner que les r�formes les plus r�ussies, telles que ROAD ou Army of Excellence, se sont toutes situ�es dans la perspective de la " grande guerre " ; a contrario, les forces am�ricaines et l'Army tout sp�cialement ont exhib� des difficult�s plus ou moins marqu�es d�s lors qu'il s'est agi d'intervenir dans le cadre de guerre limit�es, telles qu'op�rations de stabilisation m�langeant civils et combattants, guerres de gu�rilla ou m�me guerre classique circonscrite dans certaines limites (Cor�e). R�sultant de cette histoire singuli�re en m�me temps qu'elles la renforcent, les doctrines Weinberger et Powell sont � la fois l'�cho de ces pr�f�rences au niveau strat�gique et l'expression d'un mod�le id�al de relations avec l'autorit� politique qui traduit au fond une m�fiance consid�rable � l'�gard de cette derni�re. Parce qu'elles desservent souvent l'Army dans la routine des querelles interservices, ces relations civilo-militaires tendues contribuent plus d'une fois � une absence de soutien politique et budg�taire, dommageable lors des tentatives de r�forme - ce n'est gu�re qu'en situation de conflit � grande �chelle que l'Army prend le pas sur ses rivales, pour retomber derri�re l'Air Force apr�s la Cor�e ou le Vietnam, ou derri�re la Navy lors du build-up reaganien.
+Ce manque de soutien politique para�t d'autant plus curieux de prime abord que l'Army a multipli�, tout au long de la p�riode, les tentatives de r�forme - on ne compte pas moins d'une vingtaine de projets de r�organisation divisionnaire. De cette foison de plans et de r�formes �mergent quelques r�gularit�s : l'innovation " prend " mieux en temps de paix, car elle r�clame du temps et de multiples exp�rimentations ; la transformation des organisations, des structures et de la doctrine fonctionne lorsqu'elle est graduelle, qu'elle rencontre un large soutien dans le corps des officiers et s'appuie sur des concepts �prouv�s ainsi que sur des mat�riels existants, au moins au niveau de la technologie. C'est notamment la cas du projet Division 86, tr�s bien pens�. En sens inverse, un �cart trop important entre les ambitions et les moyens (Army 86), et surtout la pr�cipitation engendr�e par des motifs politiques (mod�le " pentomique ") et le d�veloppement de concepts anticipant sur les avanc�es technologiques (HTLD) produisent invariablement de mauvais r�sultats.
+Enfin, succ�s ou �checs, ces r�formes pr�sentent des points communs frappants avec le plan Shinseki : depuis cinquante ans, l'Army cherche en effet � am�liorer simultan�ment la puissance de feu (lethality), la mobilit� strat�gique (deployability) et tactique et la flexibilit�, entre autres logistique (sustainability). Si, � certains �gards, ce sont l� des objectifs constants � travers l'histoire et communs � de nombreuses organisations militaires, et si, en parall�le, le combat de haute intensit� contre les forces sovi�tiques a domin� durant la guerre froide, le probl�me du d�ploiement sur d'autres th��tres de forces terrestres significatives et ce que l'on pourrait appeler l'" imp�ratif exp�ditionnaire " n'en ont pas moins constitu� une pr�occupation r�currente de l'Am�rique et de son arm�e, prisonni�re de la situation g�ographique particuli�re du pays. Concernant les solutions propos�es, la filiation est tout aussi nette et, depuis les ann�es 1970 particuli�rement, l'Army attend des avanc�es technologiques qu'elles lui permettent d'�chapper autant que possible � l'arbitrage entre d�ployabilit� et capacit� de combat. En d�finitive, et malgr� l'�volution du vocabulaire, l'Interim Brigade Combat Team (IBCT) actuellement en d�veloppement s'inscrit dans une longue s�rie de r�formes, et il convient de garder ce pass� � l'esprit dans l'analyse du projet actuel.
+D�positaire de cet h�ritage complexe et du succ�s fra�chement acquis de l'op�ration " Desert Storm ", l'Army des ann�es 1990 se trouve confront�e � trois probl�mes majeurs, qui ne se recoupent ni chronologiquement, ni analytiquement. Imm�diatement apr�s la guerre du Golfe interviennent les effets de la fin de la guerre froide en termes de cr�dits et de volumes de forces ; cette r�duction de format s'ach�ve � peu pr�s vers 1995, avec une arm�e de terre rogn�e de 40 %. Dans la foul�e, toutefois, les forces arm�es am�ricaines doivent faire face � la multiplication sans pr�c�dent des projections et des interventions tout au long de la d�cennie ; du point de vue de l'Army, les op�rations de stabilisation sont particuli�rement pr�occupantes, �tant donn� les effectifs qu'elles mobilisent dans la dur�e et les probl�mes de gestion de personnel qu'elles suscitent. En toile de fond, enfin, le d�bat autour de la RMA s'amplifie tout au long de la p�riode, et l'accent mis sur les capacit�s de frappe � longue port�e place l'Army dans une position d�fensive.
+En parall�le � ces d�veloppements extrins�ques, l'Army conduit en interne deux projets de modernisation, " Force XXI " et " Army After Next ". S'ils sont bien, de la part de l'institution, une r�ponse aux arguments avanc�s par l'�cole de la RMA, r�ponse qui m�le d'ailleurs rejet et r�cup�ration de l'argumentaire " r�volutionnaire ", ils n'en constituent pas moins une d�marche originale, articul�e aux besoins et aux conceptions propres � la " premi�re force terrestre du monde ", comme l'arm�e am�ricaine aime � le rappeler.
+Lanc� en 1999, le plan Shinseki doit �tre interpr�t� comme le point de convergence des pressions externes et du processus interne ; reste � mesurer l'importance de facteurs plus imm�diats, le lancement de l'" Interim Force " ayant bien entendu pour fonction de faire taire les critiques suscit�es par les d�boires de la " Task Force Hawk " quelques mois plus t�t, et celles, non moins d�stabilisantes, en provenance du nouveau secr�taire � la D�fense � partir de 2000, Donald Rumsfeld.
+L'h�ritage de la guerre froide se r�v�le �tre � double tranchant : si, d'un c�t�, l'on retrouve pour partie dans le plan Shinseki les exp�rimentations doctrinales et les tentatives de r�organisation de la p�riode pr�c�dente, de l'autre, la culture politique et strat�gique de l'Army constitue ind�niablement un frein � l'adaptation de l'institution au contexte nouveau de l'apr�s-guerre froide.
+Dans la foul�e de la guerre du Golfe, la priorit� des militaires am�ricains, toutes arm�es confondues, va � la pr�servation de l'h�ritage des ann�es 1980, qu'il s'agisse du format global de forces ou des programmes en cours de d�veloppement. En parall�le, les arm�es et tout particuli�rement l'arm�e de terre restent attach�es � la doctrine Weinberger, bient�t rebaptis�e doctrine Powell, ainsi qu'au primat politique et doctrinal de la grande guerre m�canis�e.
+Avec la fin de la guerre froide se profile pour l'Army la hantise de l'" arm�e creuse " : la fin de chaque conflit a �t� en effet marqu�e par la d�mobilisation massive des forces terrestres. En cons�quence, loin de se lancer dans des innovations ou dans des r�organisations ambitieuses, l'institution consacre toute son �nergie � d�fendre les acquis. Dix ans plus tard, le succ�s obtenu para�t mitig�.
+La r�duction du volume global de forces s'op�re en plusieurs �tapes, de 1990 � 1997 ; plus que n'importe quel autre facteur, ce sont les attentes �conomiques de l'�lectorat et la contrainte budg�taire qui guident la restructuration. Anticip�e par l'Administration sortante, cette r�duction in�vitable avait donn� lieu � un premier plan, " Base Force ", qui traduisait assez exactement les attentes des militaires en proposant pour l'apr�s-guerre froide un volume global de forces repr�sentant 80 % de celui des ann�es 1980. Aussit�t au pouvoir, l'�quipe de Bill Clinton met au point la Bottom-Up Review, ou r�vision de fond en comble, qui se traduit par une nouvelle diminution, moins prononc�e que la premi�re. Au final, et parce qu'elle a �t� la plus touch�e, l'Army passe de 18 divisions en 1990 � 12 en 1995 (format " Base Force "), puis � 10 aujourd'hui. Outre le nombre de grandes unit�s, sont �galement r�duits au cours des ann�es 1990 les effectifs en hommes et en mat�riels des divisions, en particulier blind�es et m�canis�es ; elles comprennent aujourd'hui quelque 15 000 hommes, soit environ 3 000 de moins que dans le format d�fini par " Army of Excellence ". Concernant les �quipements, la majeure partie de la d�cennie 1990 se passe � am�liorer les mat�riels existant, en faisant premi�rement en sorte que toutes les unit�s d'active soient dot�es des derni�res versions des plateformes majeures (chars Abrams, VCI Bradley, h�licopt�res Apache), deuxi�mement en poursuivant les programmes lanc�s pendant les ann�es 1980 (canon Crusader� h�licopt�re Comanche). Si le processus s'op�re le plus souvent au d�triment des unit�s de r�serve (Army National Guard et Army Reserve), qui h�ritent des �quipements les plus v�tustes, la fin de la d�cennie voit � l'inverse la r�organisation de certaines unit�s de r�serve, par exemple celles d�sactiv�es quelques ann�es avant comme la 24th mech, en unit�s viables cens�es compl�ter les divisions d'active, partiellement ou int�gralement, au sein des corps. Au terme, l'institution parvient, en d�pit des r�ductions successives, � pr�server l'essentiel : ses structures, sa doctrine et ses principales unit�s, certaines d'entre elles en r�serve. De la sorte, est garantie la possibilit� th�orique d'une remont�e en puissance, en cas de r�surgence d'une menace majeure.
+Durant les ann�es 1990, toutefois, ce n'est pas tant l'�ventualit� d'une telle r�surgence qui rend la r�serve si pr�cieuse, mais plut�t les diverses " urgences " (contingencies), dans les Balkans, � Ha�ti et ailleurs, qui n�cessitent de faire appel aux r�servistes afin de soulager les unit�s d'active. La multiplication sans pr�c�dent des op�rations ext�rieures de toute nature, du maintien de la paix aux alertes dans le golfe Persique, impose en effet � une structure quasiment r�duite de moiti� par rapport aux ann�es 1980 un rythme op�rationnel (operational tempo ou op-tempo) difficilement soutenable, strat�giquement comme humainement. Avec au bout du compte seulement dix grandes unit�s autonomes - les brigades doivent �tre consid�rablement " augment�es " en moyens de commandement et autres avant d'�tre employ�es de fa�on ind�pendante -, le rythme de rotation pose des probl�mes consid�rables : les personnels sont m�contents d'�tre si longtemps � l'�tranger, ce qui a une incidence n�gative sur le taux de r�engagement (personnel retention), et ils ne peuvent remplir les objectifs en mati�re d'entra�nement ; sur le plan strat�gique, enfin, les unit�s engag�es dans les Balkans ou ailleurs ne sont �videmment pas disponibles en cas de crise. Ainsi, dans un contexte de budgets d�clinants, les forces arm�es am�ricaines, et l'Army au premier chef, sont oblig�es de privil�gier la disponibilit� op�rationnelle par rapport � la modernisation, sans parler m�me d'innovation r�volutionnaire ou de " transformation ". Pendant la majeure partie de la d�cennie �coul�e, les experts sont d'ailleurs nombreux qui d�noncent la " catastrophe en pr�paration " (the Coming Defense Train Wreck) : de nombreux syst�mes d'armes ont atteint ou d�pass� leur demi-vie (quinze ans ou davantage) et les cr�dits permettant de les remplacer par une nouvelle g�n�ration ou du moins de les am�liorer font d�faut. Fort logiquement, compte tenu du vieillissement des mat�riels et d'un taux d'utilisation plus �lev� en op�rations, les frais de maintenance augmentent r�guli�rement. En d�finitive, la p�riode 1991-2000 laisse de nombreux probl�mes en suspens, et l'Army ne parvient � se sauvegarder que sur le court terme.
+La pr�servation de l'h�ritage des ann�es 1980 ne concerne pas seulement le format et la structure des forces, mais aussi leurs conditions d'emploi et plus g�n�ralement la nature des rapports civilo-militaires. La premi�re moiti� des ann�es 1990 repr�sente � maints �gards le triomphe du " conservatisme " d�crit plus haut, et qui est alors reformul� par Colin Powell, le tr�s influent pr�sident du Comit� des chefs d'�tats-majors (Chairman of the Joint Chiefs of Staff). La " doctrine Powell " reprend ainsi les �l�ments de la " doctrine Weinberger " en en soulignant les aspects militaires (les objectifs doivent �tre clairs et r�alisables, la force doit �tre utilis�e comme dernier recours, mais de fa�on d�cisive, overwhelming force selon la formule) et en ajoutant la prise en compte des risques, des cons�quences � terme et de la situation finale (end-state) cr��s par l'intervention. Ces conditions si contraignantes qu'elles restreignent pratiquement l'engagement militaire � la seule d�fense des int�r�ts vitaux sont r�p�t�es � plusieurs reprises au cours des ann�es 1990 et font en r�alit� office d'arme politique aux mains des r�publicains. Trois exp�riences sont � cet �gard formatrices : " Desert Storm ", " Restore Hope " et les op�rations de maintien de la paix dans les Balkans.
+Le contraste entre le succ�s de 1991 et l'�chec humiliant de 1993 semble de prime abord donner raison � Colin Powell et � ses craintes concernant la sensibilit� de l'opinion am�ricaine � l'�gard des pertes. Les sondages effectu�s le lendemain de la mort des 18 rangers font pourtant davantage appara�tre un d�sir de revanche qu'une hyper-sensibilit� aux pertes exigeant le retrait. A court terme, toutefois, l'abstention l'emporte, et les Etats-Unis choisissent de se d�sengager de Somalie et de rester passifs face au g�nocide rwandais comme � la situation en Bosnie. L'institution militaire en g�n�ral, Colin Powell et le leadership de l'Army en particulier, jouent de tout leur poids face � l'Administration d�mocrate, affaiblie par la question des homosexuels dans l'arm�e comme par la Somalie ; c'est ainsi Colin Powell qui met son veto � toute intervention am�ricaine en Bosnie. Dans la foul�e, Bill Clinton r�dige la Presidential Decision Directive 25, ou PDD 25, qui explicite les conditions d'engagement des troupes am�ricaines dans des op�rations de basse intensit� en reprenant pour l'essentiel � son compte les principes de la doctrine Powell. En r�alit�, et par-del� les vicissitudes entourant l'op�ration commando contre A�did, le fiasco somalien r�sulte d'abord de l'instrumentalisation politique qui en est faite par les conservateurs, aussi oppos�s au pr�sident Clinton qu'au principe m�me des op�rations de stabilisation entreprises pour des int�r�ts " marginaux ". Ces r�ticences face aux diverses contingencies qui apparaissent �a et l� se poursuivent durant toute la d�cennie jusqu'au Kosovo, et contribuent grandement � modeler ce que l'on peut appeler r�trospectivement la " strat�gie de l'�re Clinton ", qui privil�gie syst�matiquement les frappes a�riennes et pr�f�re ne pas engager de moyens terrestres.
+L'Army est tout sp�cialement attentive aux dangers de l'engagement rampant (mission creep) et des pertes aff�rentes, et se structure autant qu'elle le peut pour rendre, par avance, impossible des interventions de ce type. C'est dans cette perspective qu'il convient de comprendre le principe de " force �crasante " et le primat des unit�s lourdes : seul un d�ploiement massif est susceptible de minimiser les risques pendant les op�rations, et la lourdeur m�me (logistique et politique, puisque les r�serves sont indispensables) des forces existantes assure qu'elles ne pourront �tre employ�es facilement, c'est-�-dire lorsque des int�r�ts secondaires sont en jeu. Dans ce cadre, les doctrines Weinberger et Powell ont d'abord pour fonction de populariser ces pr�f�rences aupr�s des politiques et de l'opinion, jusqu'� enfermer l'Army dans un paradigme d'emploi massif qui se r�v�le aussi inadapt� que contre-productif. Outre, en effet, la multiplication des op�rations de toute nature pendant les ann�es 1990, cette structuration massive voulue par l'Army fait �galement le jeu des autres Services, et singuli�rement de l'Air Force, en les pla�ant automatiquement en premi�re ligne, et donc dessert les propres int�r�ts de l'arm�e de terre.
+En d�pit de menaces de retrait de moins en moins cr�dibles parce que r�it�r�es chaque ann�e, l'engagement durable des forces terrestres am�ricaines en Bosnie � partir de 1995, qui suit et pr�c�de de pr�s Ha�ti et le Timor, marque dans les faits la fin de la doctrine Powell ; la cr�dibilit� " strat�gique " du G�n�ral est de toute fa�on remise en cause, dans la mesure o� il s'est syst�matiquement oppos� � toutes les interventions am�ricaines, depuis Panama jusqu'� la Bosnie, en passant par le Golfe en 1991. Or, de multiples facteurs politiques - solidarit� avec les alli�s, pressions de l'opinion - se combinent pour rendre intenable dans la pratique ce principe d'abstention quasi permanente. En parall�le � l'abandon de la doctrine Powell, les PKO (Peace Keeping Operations) font appara�tre l'inadaptation des structures et m�me des �quipements de la " premi�re force terrestre du monde " : l'organisation divisionnaire ne facilite pas des d�ploiements rapides, les brigades ne sont pas autonomes ; les engins comme l'Abrams sont impressionnants mais d�passent le gabarit routier normal, et �prouvent donc le plus grand mal � entrer dans les villages ou � n�gocier les routes de montagne bosniaques que leurs chenilles d�truisent... Etant donn� le contexte politique et l'attention m�diatique qui entourent les op�rations de paix, il devient �galement probl�matique de d�finir et plus encore d'appliquer des " r�gles d'engagement " (ROE), c'est-�-dire d'ouverture du feu, qui limitent � la fois les risques de " bavures " et de pertes militaires tout aussi dommageables politiquement. La combativit� des troupes a enfin tendance � s'�mousser, et le rythme des rotations interdit le plus souvent un r�-entra�nement rigoureux au combat.
+En bref, et si tous les contingents occidentaux rencontrent peu ou prou ces probl�mes, l'Army est singuli�rement prise � contre-pied : le combat de haute intensit� pour lequel elle s'est pr�par�e et structur�e joue en sa d�faveur d�s lors que la rapidit� et la souplesse de la r�ponse (responsiveness) priment sur la puissance (decisiveness). Estimant que des forces de combat peuvent effectuer des missions de maintien de la paix au prix de quelques ajustement mineurs, alors que l'inverse n'est pas vrai, l'institution pr�f�re n�anmoins maintenir le cap tout en assurant au jour le jour les t�ches de maintien de l'ordre. Plus profond�ment, toutefois, l'exp�rience des Balkans explique que l'Army, contrairement � la Navy ou � l'Air Force, ait pris, ou repris, conscience de la dimension humaine de la guerre et de l'importance politique de la pr�sence de troupes au sol : une strat�gie de frappes ne permet pas toujours de contr�ler un territoire habit�, et il est des conflits qui ne se concluent pas avec les op�rations militaires offensives, mais n�cessitent s�curisation et reconstruction, c'est-�-dire occupation dans la dur�e. Ainsi, et alors que les SSC (Small-Scale Contingencies) repr�sentent une contradiction flagrante avec les aspirations doctrinales et strat�giques de l'Army, enti�rement tourn�es vers la " grande guerre ", elles n'en ont pas moins jou� un r�le d�cisif en pr�parant les esprits au plan Shinseki.
+Par rapport � tous les facteurs et tendances � l'oeuvre durant les ann�es 1990, qui s'agr�geaient sans susciter pour autant de crise majeure, il est clair que le fiasco de la " Task Force Hawk " en avril 1999 a fait figure de r�veil extr�mement brutal pour l'arm�e de terre.
+Il s'agissait pourtant de d�ployer en Albanie un bataillon d'h�licopt�res Apache, afin de les engager �ventuellement au Kosovo en sus des op�rations a�riennes alors en cours. Non seulement la phase de d�ploiement s'est av�r�e consid�rablement plus longue que pr�vue, mais encore elle a �t� ponctu�e par plusieurs incidents, dont la perte de deux h�licopt�res et d'un �quipage. Au final, " Task Force Hawk " n'a tout simplement pas �t� engag�e, malgr� un d�ploiement consid�rable : 6 200 hommes, 24 h�licopt�res, une batterie MLRS, soit 26 000 tonnes d'�quipement achemin�es par 442 rotations de C-17 et 269 de C-130 pour un co�t de 480 millions de dollars. A ce compte-l�, l'Air Force et la Navy ont eu la partie facile, et il suffit de parcourir la presse ou les articles sp�cialis�s de l'ann�e 1999 pour constater que de plus en plus d'experts ou de commentateurs s'interrogent sur la n�cessit� pour les Etats-Unis de conserver une arm�e de terre importante, d�s lors que les moyens de frappe � distance et les Services correspondant d�montrent une r�activit� sup�rieure et une capacit� autonome � emporter la d�cision. A l'�vidence, les �v�nements ne se sont pas d�roul�s aussi simplement, et les raisons exactes qui ont pouss� Slobodan Milosevic � capituler font encore aujourd'hui l'objet de d�bats. L'essentiel ne r�side pas l�, cependant, mais bien dans la perception d'inutilit� (irrelevance) qui s'est attach�e � l'Army et risque de lui co�ter cher dans la bataille budg�taire � venir.
+Le Kosovo, en effet, a lieu un an avant les �lections g�n�rales, elles-m�mes suivies d'une seconde " Revue quadriennale de d�fense ", d'un nouveau gouvernement et d'une l�gislature renouvel�e ; pour la premi�re fois depuis longtemps existe donc l'opportunit� d'un changement de strat�gie et d'une r�allocation des cr�dits et des " r�les et missions " correspondant au sein du d�partement de la D�fense. En bref, l'Army risque gros et ne peut se permettre de donner l'impression qu'elle poursuit sur sa lanc�e (" business as usual ") comme si rien ne s'�tait pass� ; dans le contexte de l'apr�s-Kosovo, l'inertie ne peut qu'�tre politiquement dommageable.
+Ce point est d'autant plus important que les deux candidats principaux ont, au moins rh�toriquement, fait all�geance � la RMA et ont promis de moderniser l'appareil militaire am�ricain. George W. Bush, en particulier, en a repris l'un des slogans les plus r�pandus, � savoir la n�cessit� de " sauter une g�n�ration d'armements ". En outre, son entourage semble clairement s�duit par les frappes � distance et tr�s r�ticent � l'endroit des op�rations de stabilisation ; l'Army se retrouve donc attaqu�e " par le haut " et " par le bas ". L'arriv�e aux affaires de Donald Rumsfeld, partisan convaincu de la RMA, se traduit d'ailleurs par le lancement imm�diat en 2001 d'une s�rie de " revues " qui menacent tant les programmes en cours que les structures de force : dans le cadre budg�taire restrictif de l'avant-11 septembre, le financement de la " transformation militaire " proclam�e a de fortes chances d'entra�ner une r�duction du nombre de divisions terrestres.
+Dans ce contexte politiquement charg�, et dont l'urgence va croissant entre 1999 et 2001, l'Army n'a donc pas d'autre choix que d'" embrasser " int�gralement la rh�torique de la RMA et de proposer dans la foul�e un projet " r�volutionnaire " qui d'embl�e permette d'" occuper le terrain " budg�taire, ce qui passe par des acquisitions de mat�riels � tr�s br�ve �ch�ance, tout en rem�diant aux insuffisances mises en lumi�re par le fiasco albanais et en pr�servant ce qui peut l'�tre des acquis doctrinaux des ann�es pass�es.
+Une fois absorb�es les r�ductions de format cons�cutives � la fin de la guerre froide, l'Army se retrouve simultan�ment confront�e � la multiplication des interventions et � la mont�e en puissance de l'�cole de la RMA, qui met en cause les formats, les doctrines et les �quipements existant. Les exercices de r�flexion et d'exp�rimentation lanc�s par l'Army � partir de 1994 r�pondent pour partie � ces pressions, tout en refl�tant les choix propres de l'institution.
+Apr�s 1995, et compte tenu des engagements internationaux des Etats-Unis, on aurait pu croire finie la p�riode de r�ductions des forces et de diminution des cr�dits. Il n'en a rien �t� dans les faits, comme le montre la premi�re QDR, lanc�e en 1997, et qui avait apparemment pour fonction premi�re de pr�parer les in�vitables r�ductions de format que ne manquerait pas d'entra�ner apr�s 2000 un budget de la d�fense stagnant - de modestes r�ductions d'effectifs sont ainsi organis�es � partir de cette date. C'est seulement � partir de 1999 que la bonne sant� de l'�conomie am�ricaine et la disparition du d�ficit f�d�ral convainquent l'ex�cutif, d'ailleurs sous la pression conjointe du Congr�s et des interventions en cascade, d'augmenter les cr�dits allou�s � la d�fense. En ce sens, les premiers projets innovants lanc�s par l'Army durant les ann�es 1990, " Force XXI " et " Army After Next ", visent d'abord � pr�parer le long terme tout en absorbant le choc de l'apr�s-guerre froide, c'est-�-dire la r�duction du format global et des cr�dits, et en continuant d'assurer les missions sp�cifi�es dans la Bottom-Up Review, � savoir mener victorieusement et simultan�ment deux " conflits r�gionaux majeurs " (Major Regional Contingencies ou MRC) dans le Golfe et sur la p�ninsule cor�enne. Au fur et � mesure que s'amplifie le mouvement de la RMA, les initiatives doctrinales lanc�es acqui�rent une fonction suppl�mentaire : " pr�empter " les critiques des tenants de la RMA en incorporant leur vocabulaire et, pour partie seulement, leurs recommandations.
+Pour de nombreux partisans d'une modernisation acc�l�r�e, c'est-�-dire " r�volutionnaire ", les seules marges de manoeuvre budg�taire disponibles, en p�riode d'aust�rit�, sont en effet � rechercher dans l'arr�t des programmes " non r�volutionnaires " (legacy programs) et dans la r�duction du format des forces terrestres. Or, dans la mesure o� les interventions semblent d�montrer les unes apr�s les autres, du Golfe au Kosovo, que le " complexe de reconnaissance-frappe " en cours de formation se suffit pratiquement � lui-m�me et que les alli�s au sol de toute fa�on ne manquent pas, la position de l'Army appara�t de plus en plus fragile et � la merci d'une d�cision politique. En outre, les capacit�s de frappe � longue distance ne cessent de s'am�liorer et de se r�pandre pendant les ann�es 1990 : les munitions de pr�cision (PGM ou Precision Guided Munitions) repr�sentent ainsi 10 % du tonnage total utilis� pendant " Desert Storm ", 35 % pour " Allied Force " et plus de 60 % pour " Enduring Freedom " (" Libert� immuable "); l'arriv�e du guidage par GPS permet d'obtenir une grande pr�cision par tous les temps, et pour une fraction de ce que co�tent les missiles de croisi�re. L'" arriv�e � maturit� " des frappes pr�cises � distance de s�curit�, voire � tr�s grande distance, ne semble pas seulement r�aliser les attentes des avocats historiques de l'" Air Power " depuis Mitchell ; plus fondamentalement, elle met en question la n�cessit� du combat de pr�s, qui constitue bien entendu la raison d'�tre des forces terrestres.
+Gr�ce aux progr�s consid�rables de l'�lectronique et de l'informatique (doublement de la puissance des processeurs tous les dix-huit mois), la r�volution de la pr�cision s'accompagne d'am�liorations tout aussi spectaculaires en mati�re d'acquisition (capteurs), et surtout de traitement et de diffusion de l'information (bande passante) jusqu'� promettre la possibilit� d'un champ de bataille rendu " transparent " et donc enti�rement ouvert � des frappes discriminantes conduites � grande distance -l'inflation linguistique n'est pas en reste : on passe du C3I au C4ISR, soit Command, Control, Communications, Computers, Intelligence, Surveillance, Reconnaissance, et les plus enthousiastes d'�voquer une v�ritable " conscience de la situation op�rationnelle " (situational awareness). Dans le m�me ordre d'id�es, la Navy entend exploiter au mieux les nouvelles possibilit�s des technologies de l'information et lance le concept de network-centric warfare ou paradigme de la " guerre r�seau-centr�e ", c'est-�-dire fond� sur l'�change continu d'informations entre les diff�rentes plateformes.
+La premi�re initiative de l'Army consiste justement � essayer d'exploiter les progr�s en mati�re de C4ISR. " Force XXI " se r�sume ainsi en un mot : la digitalisation, soit le fait d'�quiper les diff�rents v�hicules et syst�mes d'armes, et en particulier les v�hicules de commandement, avec des terminaux informatiques reli�s les uns aux autres et les programmes informatiques correspondant. D�nomm�s collectivement FBCB2, pour Force XXI Battle Command, Brigade and Below, ces logiciels g�rent simultan�ment le commandement, le positionnement terrestre par GPS, les transmissions par radio et satellite, l'identification ami-ennemi ou encore les courriers �lectroniques et les images. Les programmes et le r�seau (intranet tactique) fonctionnent sur des terminaux d�di�s rajout�s aux plateformes existantes (appliqu�) ou int�gr�es d�s l'origine pour les plus modernes d'entre elles (Apache Longbow, M1A2 Abrams). Une brigade comprend plus de 1 000 ordinateurs.
+La digitalisation doit permettre de r�duire la friction inh�rente aux op�rations militaires, en assurant aux unit�s la capacit� de ma�triser leur environnement (localisation des " amis ", des ennemis et des neutres) et de communiquer leur situation tactique, et en donnant aux chefs la possibilit� d'une manoeuvre beaucoup plus rapide. En ce sens, la digitalisation fonctionne comme un " multiplicateur de force ", c'est-�-dire qu'elle permet d'acc�l�rer le cycle " OODA " et donc d'accro�tre la mobilit� et la puissance de feu. Dans le m�me temps, toutefois, la digitalisation pose de d�licats probl�mes de commandement : il s'agit de savoir jusqu'� quel niveau hi�rarchique distribuer l'information, et plus g�n�ralement quelle approche du commandement adopter. Mis en lumi�re par " Force XXI "� ces probl�mes sont loin d'avoir �t� r�solus depuis lors.
+Lanc� en 1994 par le g�n�ral Sullivan, le projet Force XXI est conduit sous la responsabilit� du TRADOC, qui organise une s�rie d'exp�rimentations, de manoeuvres et de wargames (les AWE ou Advanced Warfighting Experiments). Etant donn� les r�ductions alors en cours et les multiples op�rations outre-mer impliquant l'Army, il est d�cid� de donner la priorit� aux unit�s lourdes et de proc�der de fa�on progressive et focalis�e, en digitalisant brigade par brigade la 4th Infantry Division, d�sign�e comme EXFOR ou Experimental Force. Le fait de concentrer ainsi l'innovation sur une seule unit� qui passe tout son temps au National Training Center, � s'entra�ner contre l'OPFOR, permet non seulement de travailler sur la dur�e, mais encore d'exp�rimenter diff�rentes possibilit�s. Pas moins de 11 options sont ainsi examin�es, qui semblent avoir repris certains projets de r�organisation divisionnaire remontant aux ann�es 1970 et 1980. En particulier, TRADOC analyse l'impact de la digitalisation en termes de modularit� : il s'agit de savoir s'il est d�sormais possible d'organiser des brigades permanentes constituant les �l�ments fixes de divisions ad hoc. De m�me, est essay� un format divisionnaire mixte, un peu � la mani�re de TRICAP, qui m�lange infanterie l�g�re, blind�s et h�licopt�res. Le mod�le int�rimaire, ou " Force XXI Interim Division ", retient finalement une organisation assez proche de la division lourde normale, mais avec des capacit�s interarmes renforc�es, en particulier infanterie, feux � longue port�e, reconnaissance et renseignement - ces derniers points correspondant sans surprise aux programmes de modernisation alors en cours, obusier automoteur Paladin, missile � longue port�e ATACMS et h�licopt�re de reconnaissance arm�e Comanche.
+Si le projet est en d�finitive absorb� par les plans suivants, il n'en laisse pas moins plusieurs h�ritages importants. En premier lieu, la nature progressive et focalis�e de l'exp�rimentation a assur� son relatif succ�s, sans pour autant parvenir � r�soudre les difficiles questions de commandement soulev�es par la digitalisation. En deuxi�me lieu, " Force XXI " a ouvert la voie, du double point de vue de la m�thodologie et de la doctrine, aux projets suivants, " Army After Next " et " Objective Force " : le premier reprend et projette dans le long terme les implications de la digitalisation ; le second en retient les applications directes en mati�re de C4ISR, mais aussi le principe d'unit�s exp�rimentales permanentes, en l'esp�ce les " brigades interarmes int�rimaires ". En troisi�me lieu, enfin, " ForceXXI " a d�bouch� sur le syst�me FBCB2 (Force Battle Command, Brigade and Below) et le programme de digitalisation en cours de certaines unit�s lourdes.
+Contrairement � " Force XXI ", qui cherche � mettre � profit les avanc�es existantes de la technologie, " Army After Next " (AAN) se focalise sp�cifiquement sur le long terme, soit par construction la p�riode 2015-2025. En cons�quence, il s'agit davantage d'une vision et de structures de forces th�oriques que d'un programme � proprement parler. En l'absence des technologies concr�tes requises, AAN a consist� pour l'essentiel en une s�rie de wargames. C'est l'occasion pour l'Army d'expliciter ses objectifs de long terme, de se projeter dans un avenir lointain et, par l�, de r�it�rer ce que sont ses pr�f�rences profondes.
+En explorant les possibilit�s � long terme de la " r�volution de l'information ", l'Army a cherch� � prendre en compte les menaces futures telles qu'elles sont notamment annonc�es par les partisans de la RMA : prolif�ration des armes de destruction massive, diss�mination partielle des technologies de pointe (niche capabilities) et recours syst�matique au d�ni d'acc�s. La probl�matique envisag�e est double : comment pr�server la possibilit� de l'intervention � grande distance face aux strat�gies de d�ni d'acc�s, qui interdisent de proc�der � une mont�e en puissance progressive ; comment am�liorer la capacit� de manoeuvre terrestre face � l'augmentation pr�visible de la puissance de feu produite par la diffusion des frappes de pr�cision ? Les wargames conduits de 1996 � 2000 font �merger deux r�ponses simples, la vitesse et la profondeur : il va s'agir pour l'arm�e de terre de multiplier par dix (" by an order of magnitude ") la r�activit� strat�gique et la vitesse d'ex�cution tactique, et d'op�rer sur l'ensemble du th��tre. S'agissant de l'arriv�e en force sur un th��tre sous la menace de frappes adverses (forcible entry), la solution propos�e passe par des op�rations " dispers�es " (distributed), c'est-�-dire non lin�aires ; l'absence d'un front et d'une zone arri�re bien d�limit�s doit permettre de minimiser la vuln�rabilit� initiale. De m�me, et pendant toute la dur�e des op�rations, la ma�trise des technologies de l'information est pens�e comme autorisant la d�localisation hors du th��tre de nombreuses fonctions de commandement ou de soutien, en sorte que les unit�s sur place puissent limiter leur logistique et " se retourner " en tant que de besoin ( reach back ), via en particulier les communications satellites, vers les moyens bas�s hors du th��tre. Ce " parapluie informationnel " doit �galement permettre de maintenir un tempo tactique et op�ratif tr�s �lev�, tel que l'action des forces terrestres conjugu�e aux frappes � longue distance fournies par les autres arm�es puisse saturer d'embl�e et d�finitivement la " boucle de d�cision " (OODA loop) ennemie. En bref, la rapidit� des op�rations permet de saisir des avantages de position dans l'espace comme de d�border l'adversaire dans le temps, et donc de dominer son processus de d�cision. A l'�vidence, on retrouve l� les principes fondamentaux du paradigme de la guerre de manoeuvre tel qu'il a �t� �labor� pendant les ann�es 1980, � ceci pr�s que les op�rations non lin�aires men�es sur toute la profondeur de territoire ennemi ont remplac� la synchronisation s�quentielle des capacit�s a�roterrestres.
+Pour int�ressant qu'il soit d'un point de vue th�orique, le projet AAN et les conclusions qui en sont tir�es ne vont pas sans soulever de nombreuses questions. Le cadre pos� par AAN est clairement celui, classique, de la grande guerre m�canis�e, mais les moyens envisag�s, sup�riorit� " spatio-informationnelle ", feux ultra-pr�cis � distance de s�curit�, etc., vont tout aussi clairement dans le sens pr�conis� par la RMA. Tout en proclamant que seules les forces terrestres sont � m�me de contr�ler territoires et populations, l'Army appara�t d'ailleurs singuli�rement r�ticente � s'engager de pr�s et compte en fait se reposer dans le futur sur la ma�trise am�ricaine de l'information, comme elle s'est repos�e en 1991 sur la sup�riorit� physique de ses plateformes, pour d�truire l'ennemi � distance. Les probl�mes �pineux comme le combat en zone urbaine ou difficile sont simplement laiss�s de c�t�, et la manoeuvre semble avoir principalement pour but d'obliger l'adversaire � se concentrer en r�ponse, et ce faisant � se rendre vuln�rable aux feux � longue port�e. Or, l'US Air Force est �videmment mieux plac�e, � l'heure actuelle en tout cas, pour revendiquer cette conception des op�rations militaires et surtout mettre en pratique les feux � longue port�e, partie d�cisive de cette strat�gie. En outre, les r�ticences de l'Army � l'endroit des " Operations Other Than War " et la focalisation sur le combat de haute intensit� rentrent �galement en contradiction avec le slogan du " contr�le de l'espace ", et surtout apparaissent singuli�rement d�cal�s par rapport aux r�alit�s imm�diates auxquelles doit faire face l'institution.
+Dans la continuation du plan AAN, l'Army entreprend � partir de 1996 de constituer une " Mobile Strike Force ". A l'origine, celle-ci doit se composer d'un Q.G. d'un nouveau type, plus agile logistiquement, puis d'unit�s modulaires de niveau brigade, aux effectifs et � la composition variables (entre 3 000 et 5 000 hommes), d�finis en fonction de la mission.
+Il s'agit de disposer d'une force initiale utile sur tout le spectre des op�rations, qui permette � la fois de r�duire la vuln�rabilit� des forces terrestres en cours de d�ploiement (probl�matique de l'entr�e de vive force, ou forcible entry, �tudi�e lors des wargames conduits dans le cadre " Army After Next "), et de r�pondre rapidement aux op�rations de basse intensit� et urgences diverses de type humanitaire qui sollicitent l'arm�e de terre. Initi�e par le g�n�ral Reimer, " Strike Force " passe par la constitution d'un Q.G. d�di�, combin�e � une s�rie de manoeuvres et de tests conduite par le 2nd Armored Cavalry Regiment. On retrouve l�, h�rit�e de FXXI, l'id�e de processus d'exp�rimentation focalis� sur une unit�-test (test-bed unit). Dans une perspective � long terme, la transformation du 2nd ACR en " Strike Force " repr�sente une sorte de prototype pour AAN. A plus court terme, le projet mise sur la digitalisation afin de d�localiser de nombreuses fonctions d�sormais remplies par des �l�ments non organiques ; le Q.G. " Strike Force " doit s'en trouver plus l�ger et donc plus facilement d�ployable. Par l�, le g�n�ral Reimer reprend � son compte, quoique de fa�on limit�e, les diff�rentes propositions de r�organisation lanc�es � la fin des ann�es 1990, et qui recommandent d'abandonner le syst�me divisionnaire, trop lourd, au profit d'unit�s interm�diaires dot�es d'une r�elle autonomie d'action mais comparables � des brigades en termes de volume. En ce sens, et contrairement � FXXI ou AAN, " Strike Force " a repr�sent� la premi�re tentative v�ritable d'adaptation de l'Army aux exigences du contexte international, par opposition � des sc�narios de grande guerre correspondant aux pr�f�rences de l'institution.
+L'ironie du sort a voulu que ce projet arrive en phase de d�veloppement au printemps 1999, juste au moment o� le Kosovo r�v�lait au grand jour les d�ficiences de l'Army, mena�ant de d�g�n�rer en une v�ritable affaire politique.
+A consid�rer tout ce qui pr�c�de, depuis l'histoire doctrinale de l'institution, riche d'exp�rimentations et de projets en tous genres s'int�ressant, entre autres, aux interventions hors des th��tres habituels de la guerre froide, jusqu'au traumatisme caus� par " Task Force Hawk ", en passant par les plans de modernisation des ann�es 1990 qui d�bouchent � la fois sur " Army After Next " et " Strike Force ", on ne peut que constater tout ce que le projet " Objective Force " doit au pass� proche, ou lointain, de l'Army. Dans le plan initi� en 1999 par le g�n�ral Shinseki, nouveau chef d'�tat-major, on retrouve en effet tant les facteurs conjoncturels comme le fiasco albanais ou les attaques montantes des partisans de l'Air Power que les aspirations fondamentales de l'arm�e de terre ou les d�bats traditionnels qui la traversent en interne quant � sa mission premi�re.
+Plus pr�cis�ment, le plan Shinseki reprend la d�marche et les r�sultats de FXXI et d'AAN, tout en incorporant des �l�ments plus anciens, par exemple les tentatives des ann�es 1980 pour cr�er une division puissante mais facilement d�ployable, HTLD ou HTMD. La d�marche est en fait triple, puisqu'il s'agit simultan�ment de moderniser s�lectivement les forces lourdes (" Legacy Force "), de constituer des unit�s " moyennes " (" Interim Force ") �quilibrant les avantages et les inconv�nients respectifs des divisions lourdes et des divisions l�g�res ; enfin, de lancer l'Army sur un plan de modernisation r�volutionnaire (" Objective Force "), pour lequel les technologies appliqu�es vont devoir �tre r�alis�es en parall�le au travail sur la doctrine et les structures.
+Il existe toutefois une diff�rence essentielle avec les initiatives pr�c�dentes, qui tient � l'acc�l�ration consid�rable du " calendrier " : l� o� " Strike Force " pr�voyait un Q.G. et peut-�tre une unit� en 2003, le plan " Interim Force " entreprend de mettre sur pied 5, 6 ou m�me 8 brigades interarmes d'ici � 2007 ; le raccourcissement est encore plus net pour " Objective Force ", cens�e entrer en action � partir de 2008, quand " Army After Next " se projetait � l'horizon 2025. Si cette acc�l�ration t�moigne de l'urgence politique de la r�forme, elle n'en constitue pas moins un pari risqu�, eu �gard � l'�tat des technologies comme aux besoins budg�taires impliqu�s, et que le g�n�ral Shinseki a �valu� entre 40 et 70 milliards de dollars.
+Compte tenu des imp�ratifs conjoints de la transformation et de la disponibilit� op�rationnelle, il �tait indispensable que l'Army r�duise ses investissements en mati�re de recapitalisation des forces, c'est-�-dire de modernisation progressive. Pour cette raison, il a �t� d�cid� de limiter le programme de digitalisation des forces - initialement cens� �tre appliqu� aux unit�s lourdes puis aux unit�s l�g�res - au seul IIIe Corps, d�sormais d�sign� comme " force de contre-attaque " et plus sp�cialement charg� de l'Asie de l'Est (" PACOM "), la Cor�e �tant l'un des derniers th��tres susceptibles de requ�rir d'importantes forces lourdes. Comprenant la 1st Cav. Division, la 4th Infantry Division (Mech) et le 3rd Armored Cavalry Regiment, ainsi que des �l�ments de soutien et des unit�s de r�serve " mari�es " aux divisions d'active, le " Counterattack Corps " constitue la r�serve strat�gique de l'arm�e de terre et participe � la d�fense du territoire tout en �tant pr�t � se d�ployer et � engager des actions " d�cisives ". A ce titre, le " porte-drapeau " de la " Legacy Force " est appel� � b�n�ficier d'un plan de recapitalisation partielle, m�lant le rajeunissement de l'ensemble des plateformes en service et l'am�lioration de certains syst�mes : passage de la version M1A1 � la version M1A2 (System Enhancement Program ou SEP) pour le char Abrams, passage au Bradley M2A3 et � la version AH-64D Longbow de l'h�licopt�re Apache, enfin int�gration des derniers syst�mes digitalis�s de commandement (ABCS). Avec la r�forme de la r�serve, d�sormais plus �troitement associ�e � l'arm�e d'active, cette recapitalisation mod�r�e s'�tend aux unit�s de r�serve du IIIe Corps.
+Outre le � la fois Ve Corps (" Victory Corps "), bas� en Allemagne et plus sp�cialement ax� sur la coop�ration au sein de l'OTAN et le maintien de la paix dans les Balkans, l'Army comprend le Ier Corps (" America's Corps "), qui supervise la transformation et les deux brigades exp�rimentant le nouveau format IBCT � Fort Lewis et ne compte par ailleurs que des unit�s de r�serve, enfin le XVIIIe Corps a�roport�, plus sp�cialement charg� de r�pondre rapidement aux urgences susceptibles de se manifester, en particulier au Moyen-Orient (" ARCENT " ou Composante terrestre du commandement central). Justement appel� " Contingency Corps ", le XVIIIe rassemble les unit�s (101st Air Assault, 82nd Airborne, 10th Mountain, 3rd Mech.) devant �tre " transform�es " les premi�res au sein de " Objective Force ".
+Pens�e pour limiter les risques associ�s � la transformation, cette r�partition fonctionnelle est �galement g�ographique et dessine les contours possibles d'une arm�e de terre " � plusieurs vitesses ", avec le XVIIIe Corps en pointe, les Ier et Ve Corps en seconde ligne et moins op�rationnels, enfin le IIIe Corps comme r�serve " d�cisive ". En plus de ses vertus strat�giques, entre autres en termes de d�ploiement, cette r�organisation constitue sans doute une concession faite aux diff�rents courants qui traversent l'Army : les armes (branches) lourdes, traditionnellement dominantes, et qui sont d�favorables au plan Shinseki, conservent un " espace pr�serv� " avec les IIIe et Ve Corps, tandis que les " lights " du XVIIIe sont appel�s � b�n�ficier en premier des retomb�es de la transformation.
+La brigade interarmes interm�diaire, dite IBCT (" Interim Brigade Combat Team "), a �t� lanc�e en octobre 1999 et vise deux grands objectifs : pr�parer la voie aux syst�mes et aux formations futures de l'" Objective Force ", et corriger les d�ficiences constat�es r�cemment en mati�re de d�ploiement rapide et de " versatilit� " des forces terrestres am�ricaines, ce qui implique une r�organisation des structures.
+D'abord appel� " Medium Brigade ", l'IBCT est annonc�e " lethal, survivable, mobile, deployable, sustainable, all-spectrum ". Ce sont l� autant de qualificatifs " cod�s " qui reprennent les qualit�s respectives des forces lourdes et l�g�res : les deux premiers font r�f�rence aux capacit�s offensives et d�fensives (puissance de feu et protection) des heavies, le troisi�me � leur mobilit� tactique tout terrain, l� o� les unit�s d'infanterie sont pratiquement immobiles ; en sens inverse, ces derni�res sont tr�s mobiles strat�giquement, puisque l�g�res, faciles � d�ployer et � soutenir. On le voit, il s'agit du vieux probl�me de la " br�che " (gap) entre forces l�g�res et forces lourdes. Tandis que les premi�res arrivent en quelques jours sur le th��tre, mais ont une faible valeur militaire, en particulier contre un adversaire m�canis�, les secondes ont besoin quant � elles de plusieurs semaines pour se d�ployer, ce qui cr�e une fen�tre de vuln�rabilit� maximale entre, en gros, la premi�re et la sixi�me semaine pour un d�ploiement dans le golfe Persique. En outre, les wargames et les analyses ont bien fait appara�tre que la vuln�rabilit� principale de la posture strat�gique am�ricaine tenait � ces d�lais de d�ploiement importants et que les adversaires des Etats-Unis chercheraient probablement � leur interdire l'acc�s au th��tre. Pour r�pondre � ces critiques, qu'on retrouve fr�quemment chez les partisans de la RMA ou de l'Air Power (l'US Air Force insiste sur sa r�activit�, responsiveness), le plan " Army Vision " d'octobre 1999 a fix� des objectifs tr�s ambitieux : d�ployer une IBCT en 96 heures, la premi�re division en 120 heures, et le corps entier en 30 jours, et ce, n'importe o� dans le monde.
+A cette mobilit� strat�gique impressionnante, traditionnellement associ�e aux seules unit�s l�g�res, doivent correspondre une �gale mobilit� tactique et un certain degr� de protection pour les personnels, puisque l'IBCT doit pouvoir �tre engag�e de fa�on autonome et sur tout le spectre des op�rations. Eu �gard � ces consid�rations, la brigade interm�diaire est " mont�e " (mounted), c'est-�-dire qu'elle dispose en propre de v�hicules de type " blind�s l�gers � roues ". Le choix du LAV-III (Light Infantry Vehicle), dont des versions ant�rieures sont en service dans les forces arm�es canadiennes et l'US Marine Corps, tient justement � sa l�g�ret� : � 17 tonnes sans blindage externe ajout�, le Stryker, tel qu'il a �t� rebaptis�, peut tenir dans un C-130, avion qui constitue encore aujourd'hui le gros de la flotte de transport a�rien tactique des pays occidentaux, Etats-Unis en t�te. En outre, le choix d'une plateforme � roues, par opposition aux chenilles, permet d'accro�tre notablement la mobilit� sur routes et de r�duire les besoins logistiques (carburant, pi�ces d�tach�es), et l'�quipage est � l'abri des munitions de petit calibre (jusqu'au 14,5 mm). Enfin, la d�signation d'un ch�ssis commun � tous les v�hicules sp�cialis�s (v�hicule de commandement, antichar, artillerie) constitue l� aussi un avantage logistique important, le caract�re interchangeable des pi�ces d�tach�es entra�nant une nette simplification des proc�dures de maintenance et de r�paration.
+En ce qui concerne sa composition, l'IBCT h�rite assez directement des initiatives de r�forme pr�c�dentes, � commencer par la " Mobile Strike Force ". Il s'agit en effet d'une brigade d'environ 4 000 hommes, mais pr�vue pour recevoir en augmentation des �l�ments divisionnaires (g�nie, renseignement, h�licopt�res...) ou pour s'articuler elle-m�me au sein d'un dispositif plus large. Elle comprend 3 bataillons d'infanterie, 1 bataillon d'artillerie orient� sur le tir de contre-batterie, plusieurs sections de mortiers, 1 bataillon de soutien, quelques moyens antichar (1 compagnie) et les �l�ments de commandement. L'ensemble constitue � proprement parler une unit� d'infanterie mont�e, comparable � ce que furent les " dragons " au XVIIe si�cle : les plateformes ont d'abord pour fonction de transporter les troupes, puis de les appuyer au combat, mais celui-ci est effectu� � pied (dismounted). Ce format, assez classique en apparence, a cependant ceci d'original qu'il dissocie les hommes des plateformes en situation de combat, initiative qui va � l'encontre des traditions de l'infanterie m�canis�e am�ricaine, tr�s " v�hiculaire " ; il est en outre clairement orient� vers le combat en terrain difficile, zone urbaine ou montagneuse, l� encore tout ce que l'" arm�e de terre institutionnelle " pr�f�re g�n�ralement �viter. L'innovation la plus visible tient � l'inclusion des derni�res avanc�es en mati�re de C4ISR et � l'incorporation d'une composante originale, l'escadron de reconnaissance, de surveillance et d'acquisition des cibles (Reconnaissance, Surveillance, Target Acquisition ou RSTA squadron). Dans la foul�e des exp�rimentations conduites pendant la d�cennie et culminant avec " Force XXI ", les �l�ments de l'IBCT ont �t� mis en r�seau les uns avec les autres, tout en r�servant explicitement la possibilit� de relier en temps quasi r�el la brigade � n'importe quelle autre unit�, qu'elle appartienne � l'Army, l'Air Force ou � un contingent alli�. D�crite comme un pas significatif en direction de la jointness (" interarmisation "), la brigade interarmes a �t� optimis�e pour b�n�ficier de l'appui-feu ou du soutien logistique externe - on retrouve le concept de reach-back - lors d'une op�ration de grande envergure ou en cas d'urgence. Au niveau tactique, l'escadron RSTA reproduit les m�mes fonctionnalit�s, centralisant et distribuant le renseignement. Gr�ce aux UAV et capteurs perfectionn�s (acoustique, syst�mes REMBASS) qu'il incorpore, l'escadron RSTA est plus qu'un simple d�tachement de reconnaissance au sens classique, car il est cens� pratiquer la reconnaissance � distance, et non par contact. De la sorte, l'IBCT peut couvrir un espace tr�s important (50 km x 50 km) et s'adapter aux situations les plus diverses, offensive ou d�fensive, de basse comme de haute intensit�.
+Au final, ce type d'organisation semble id�alement adapt� aux " urgences " diverses et autres Small-Scale Contingencies auxquelles l'arm�e de terre a �t� appel�e � faire face au cours des ann�es 1990. Facile � d�ployer, mobile � l'arriv�e et offrant n�anmoins aux hommes qui la composent une certaine protection et une puissance de feu non n�gligeable, l'IBCT est certes pr�vue pour couvrir tout le spectre op�rationnel, mais il para�t assez clair qu'elle a �t� optimis�e pour la moiti� inf�rieure de ce spectre et que, pour l'heure, un conflit de haute intensit� la verrait probablement rel�gu�e � un r�le d'appoint - par exemple flanc-garde � la mani�re de la division Daguet, saisie d'un objectif secondaire, etc. Reste donc � savoir ce qu'elle peut v�ritablement accomplir, et en particulier si elle permet de combler la " br�che " entre lights et heavies, ou si, comme le pr�tendent certains critiques, elle est essentiellement optimis�e pour les missions de stabilisation (l'expression SASO, pour Stability and Support Operations, a officiellement remplac� Operations Other Than War). Dans la m�me perspective, il est sans doute trop t�t pour d�terminer la valeur r�elle de la mise en r�seau des �l�ments de la brigade, et l'impact de cette interconnexion sur le tempo, la s�ret� et l'efficacit� des op�rations. En ce sens, et pour que l'IBCT remplisse sa fonction d'unit� exp�rimentale (test-bed unit) au profit de l'" Objective Force " � venir, il faut encore qu'elle soit mise � l'�preuve de la r�alit�.
+Si l'" Interim Force " emprunte aux ann�es 1980 (HTLD et HTMD) et aux initiatives plus r�centes comme " Force XXI " et " Mobile Strike Force ", le projet " Objective Force " doit quant � lui beaucoup � " Army Vision 2020 " et � " Army After Next " : loin des obligations terre-�-terre (si l'on ose dire) li�es aux SASO, " Objective Force " semble, pour ce que l'on en conna�t aujourd'hui, se focaliser sur le combat de haute intensit� et les possibilit�s offertes en la mati�re par les technologies les plus avanc�es, en cours de d�veloppement et surtout en projet. En outre, ce projet est par nature beaucoup plus ambitieux, puisqu'il est pr�vu que ce format remplace � partir de 2008-2010 l'int�gralit� de l'Army, legacy forces comme interim forces. Les d�veloppements technologiques anticip�s et la qualit� attendue, entre autres au niveau des plateformes, sont cens�s �tre tels que la capacit� de l'ensemble des forces � traiter les op�rations de basse intensit� s'en suivra naturellement. Il s'agit en effet de mettre sur pied une force int�gralement digitalis�e, connect�e en temps r�el � tous les moyens interarm�es ou coalis�s, dot�e de moyens d'acquisition et de frappe � longue port�e, enfin utilisant une famille de v�hicules empruntant aux blind�s l�gers leur faible poids et les avantages associ�s, et aux blind�s lourds leur puissance de feu et leur niveau de protection.
+Avec les �l�ments interconnect�s de l'IBCT ou des divisions FXXI comme mod�le, le but est de relier l'int�gralit� des plateformes et des personnels jusqu'� obtenir un " syst�me des syst�mes " terrestre, parfaitement int�grable au syst�me des syst�mes interarm�es et �ventuellement multinational. Le paradigme suivi est bien celui de la " guerre r�seau-centr�e " (network-centric warfare), qui entend s'appuyer sur les �changes d'information comme un multiplicateur de force et d'efficacit� � tous les niveaux : boucle " sensor to shooter " raccourcie, protection multidimensionnelle, logistique sur mesure... L'Army entend tirer parti des progr�s technologiques en cours, en particulier en termes de C4ISR (acquisition, traitement et diss�mination de l'information), mais aussi en mati�re de carburant, de mat�riaux composites ou encore de munitions, bref tout ce qui touche aux plateformes. L'Army nouveau mod�le en projet doit en effet s'articuler autour du FCS ou Future Combat System, la famille de v�hicules futurs cens�s r�unir les qualit�s des plateformes l�g�res et des plateformes lourdes, et dont une vingtaine de variantes sont envisag�es � l'heure actuelle. Conduite par de tr�s nombreux laboratoires et bureaux d'�tude sous la direction de Boeing et de SAIC en tant qu'int�grateurs-syst�mes, cette recherche doit d�boucher sur un premier d�monstrateur en 2003, et sur des prototypes en 2007.
+Par-del� les mat�riels et le concept g�n�ral, l'organisation de l'" Objective Force " et les structures de force sont encore � l'�tude ; l'Army veut aller vers davantage de modularit�, et compte rassembler toutes ces composantes diverses � l'int�rieur d'un mod�le simplifi�, comprenant " unit�s d'action " (units of action), " unit�s de commandement " (units of employment litt�ralement, qui d�terminent l'emploi des " unit�s d'action " et leur adjoignent des capacit�s non organiques telles qu'h�licopt�res ou unit�s de g�nie) et unit�s de soutien d�localis�es - les " MAS-COM " ou maneuver support commands (la d�nomination a remplac� les " CSS " ou Combat Service Support) sont cens�s fournir le soutien logistique � 1 000 km de distance selon le principe du just in time. Parce qu'elle r�organiserait l'ensemble des structures de force, la modularit� irait dans le m�me sens que la plateforme commune FCS. Seraient ainsi d�finitivement abolies les distinctions entre lights et heavies.
+A l'�vidence, le projet d'ensemble suppose des avanc�es technologiques consid�rables, puisque la simplification de la logistique, le tempo des op�rations et jusqu'� la r�conciliation des " cultures " de l'Army passent par la r�alisation du FCS, plateforme unique d�clin�e en variantes nombreuses et r�unissant les avantages combin�s des v�hicules l�gers et des blind�s lourds. Sont concern�s p�le-m�le les carburants - l'Army place de grands espoirs dans les piles � combustible -, l'all�gement et l'am�lioration simultan�e des blindages et des moyens de d�fense active ou encore les canons �lectrochimiques. Or, les estimations les plus courantes en la mati�re soulignent que la plupart de ces technologies ne seront pas pr�tes avant 2020, soit douze ans apr�s l'entr�e en service th�orique du FCS. Demeurent enfin de nombreuses inconnues politiques et budg�taires. Sans savoir pour l'heure � quoi l'" Objective Force " est appel�e � ressembler r�ellement, il est difficile d'�mettre un avis d�finitif. En l'�tat, le projet laisse cependant plut�t sceptique.
+Malgr� un accueil initialement favorable, le projet Shinseki fait aujourd'hui l'objet d'un intense d�bat aux Etats-Unis, particuli�rement au sein de la communaut� de d�fense et de l'arm�e de terre elle-m�me. Bien que largement conditionn� par les rivalit�s entre Services et les motivations politiques, ce d�bat permet de mettre en �vidence les faiblesses du projet, qu'il s'agisse de l'utilit� limit�e des IBCT - dont l'int�r�t principal semble finalement r�sider dans la mobilit� tactique - ou des doutes qui entourent l'" Objective Force ". Tout en se d�tachant du sch�ma doctrinal classique de l'arm�e de terre, ce projet n'apporte pas corr�lativement de r�ponses claires aux questions d�licates qui vont de pair avec la digitalisation du champ de bataille, la pr��minence d'une logique de ciblage et les rivalit�s interarm�es.
+Que ce soit au niveau des capacit�s de combat, de la reconnaissance ou m�me de la mobilit� strat�gique, pourtant sa raison d'�tre, l'IBCT souffre de limitations r�elles. Pour autant, la brigade actuellement en formation para�t � m�me de r�pondre aux missions de basse intensit� pour lesquelles elle a �t� vraiment cr��e. En outre, elle permet de tester sur le terrain � la fois des concepts novateurs comme la reconnaissance �lectronique et le reach-back, mais aussi de remettre progressivement en cause la structure divisionnaire rigide h�rit�e de l'histoire de l'Army.
+Le lancement des IBCT s'est fait en r�action au fiasco de " Task Force Hawk " et le g�n�ral Shinseki est syst�matiquement revenu sur la rapidit� de d�ploiement qu'autoriserait cette nouvelle organisation, � tel point que la " d�ployabilit� " des brigades interm�diaires - " 1 brigade en 96 heures, 1 division en 120 heures et un corps en 30 jours " - est devenue le principal argument de l'Army aupr�s du Congr�s. Or, l'analyse d�taill�e du v�hicule Stryker et plus encore des r�alit�s logistiques et g�ographiques, conduit � des conclusions nettement moins optimistes.
+Tout d'abord, il convient de souligner que les temps de d�ploiement de l'Army sont, � l'�vidence, sans comparaison avec ce que peut faire n'importe quelle autre arm�e, et surpassent m�me les moyens am�ricains lors de la guerre du Golfe. Le pr�positionnement de mat�riels et l'augmentation des gros transports de troupes navals et a�riens (avions C-17, fast sealift ships, MLRS ou Medium Roll-on, Roll-off Ships) pendant les ann�es 1990 ont permis une am�lioration modeste, mais r�elle. L'�tude conduite � ce sujet dans le cadre de la Bottom-Up Review (Mobility Requirements Study, MRS BURU) a ainsi pr�vu le d�ploiement de la Ready Brigade d'une division l�g�re 4 jours apr�s le lancement de l'op�ration, le reste de la division arrivant � C+12 ; la premi�re brigade lourde arrive � C+15, le reste de la division ainsi qu'une autre (probablement la 101e) � C+30 ; l'ensemble du Contingency Corps doit �tre en ordre de bataille � C+75. Toutefois, les unit�s lourdes ne peuvent �tre op�rationnelles " au sortir du bateau ", et surtout ce calendrier suppose des pr�positionnements importants de mat�riels pour �tre respect� - les Army Prepositioned Stocks ou APS. En d'autres termes, le syst�me fonctionne essentiellement pour la r�gion du Golfe, l'Europe et l'Asie du Nord-Est, c'est-�-dire les zones strat�giques traditionnelles.
+Au vu de ces chiffres, et en gardant � l'esprit les d�lais de d�ploiement proclam�s pour l'IBCT, il est clair que l'objectif est d'aligner les temps de d�ploiement des forces " moyennes " sur celui des forces l�g�res, ce qui suppose d'abord que les v�hicules soient transportables � bord d'avions C-130, qui forment le gros des moyens de transport de l'US Air Force. Or, le Stryker a suscit� � cet �gard de nombreuses difficult�s : le v�hicule d'origine est trop large pour l'avion, et son blindage insuffisant a d� �tre renforc�, au point de d�passer, pour 8 des 10 versions du LAV-III, de 1,5 tonne, le seuil autoris� de 20 tonnes. Rajouter un blindage ext�rieur (" applique armor ") prend du temps � l'arriv�e et complexifie le transport lui-m�me. En outre, les trois IBCT en cours de formation sont toutes stationn�es aux Etats-Unis, ce qui interdit pratiquement d'utiliser des C-130 au rayon d'action trop limit�, et oblige � recourir aux transports " strat�giques " comme le C-5 et le C-17, dont les capacit�s impressionnantes sont compens�es par le nombre limit� de ces appareils et la demande importante dont ils font l'objet de la part des autres arm�es, l'Air Force en particulier.
+Ce sont l� toutefois des probl�mes temporaires, susceptibles d'�tre r�gl�s � l'avenir ; il n'en va pas de m�me pour ce qui est de la " l�g�ret� artificielle " de l'IBCT ou des limitations intrins�ques au d�ploiement par voie a�rienne.
+En premier lieu, le choix du transport a�rien appara�t probl�matique, car il fait d�pendre la rapidit� de d�ploiement des capacit�s a�roportuaires des pays h�tes : il ne suffit pas en effet de mesurer la contenance et la capacit� d'emport des avions de transport, il faut encore prendre en compte le trafic maximum (throughput) des installations a�roportuaires d'arriv�e (nombre et longueur des pistes, �quipement de manutention), qui sont presque toujours tr�s inf�rieures aux normes rencontr�es en Occident dans les a�roports majeurs, civils ou militaires. A l'aide d'une simulation par ordinateur utilisant le logiciel JFAST (Joint Flow Analysis System), le Lieutenant-Colonel Jonathan Brockman a pu ainsi �tablir une estimation du temps de r�action de l'IBCT dans un sc�nario de crise au Rwanda : parce que l'a�roport de Kigali ne peut g�rer quotidiennement que 400 " Short Tons ", contre 2 800 � McChord Air Force Base par exemple, le d�ploiement prendrait 29 jours en incluant les 6 jours n�cessaires au transit hors de l'a�roport. Pour tenir la limite des 96 heures, il faut donc disposer sur le th��tre soit d'un a�roport moderne et de grande taille (une capacit� de 2 500 Short Tons est n�cessaire au d�part et � l'arriv�e), soit de plusieurs a�roports accessibles. Si cette derni�re �ventualit� semble correspondre � l'id�e d'op�rations " distribu�es ", elle se heurte cependant � deux r�alit�s, la premi�re �tant que chaque point de d�barquement doit �tre s�curis� pour les appareils de l'Air Force, ce qui implique de nouvelles charges logistiques, la seconde que la " dispersion " des op�rations rencontre des limites en termes de commandement et de protection des �l�ments s�par�s. L'on imagine mal les �l�ments d'une IBCT arrivant par de multiples points d'entr�e distants les uns de autres de plusieurs dizaines de kilom�tres, voire davantage ; la brigade a �t� pens�e comme un tout susceptible d'op�rer sur une zone plus vaste (50 km x 50 km) qu'il n'est habituel pour une brigade, non comme un r�servoir de forces d�tachant des �l�ments autonomes, en particulier en situation de combat. M�me en supposant l'acc�s simultan� � 3 a�roports, la simulation d�montre qu'au moins 11 jours sont n�cessaires, soit 7 de plus que l'objectif fix� par le g�n�ral Shinseki. Compte tenu de ces multiples contraintes, l'auteur de cette �tude logistique recommande en conclusion de s'appuyer davantage sur le transport maritime - plus rapide de quelques jours dans le sc�nario que le transport a�rien -, d'augmenter les capacit�s am�ricaines en la mati�re et de pr�positionner � l'�tranger l'�quipement d'au moins une IBCT, de fa�on � pouvoir utiliser simultan�ment les trois composantes du transport strat�gique, MLRS et fast sealift ships, C-17 et C-130, et APS.
+En second lieu, et certainement afin de faciliter son acheminement par air, l'IBCT n'embarque avec elle qu'une logistique tr�s aust�re, ce qui implique que la zone d'arriv�e permette de couvrir ses besoins en carburant, munitions et eau ; telle quelle, la brigade emporte uniquement l'�quivalent de 3 jours de combat. Dans le m�me ordre d'id�es, les capacit�s EVASAN de la brigade sont tr�s limit�es (20 bless�s peuvent �tre trait�s), et ce bagage logistique " frugal " serait encore plus inad�quat en cas d'ajout au sein de l'IBCT d'unit�s non organiques - les h�licopt�res pr�vus � cet effet sont particuli�rement contraignants d'un point de vue logistique. Qu'il s'agisse d'augmentation de la brigade, d'�vacuation sanitaire ou plus simplement de " persistance logistique " (sustainability), l'IBCT devra donc tr�s largement compter sur un soutien ext�rieur pr�sent sur le th��tre. Th�oriquement sup�rieure, en particulier sur route, � celle d'une unit� �quivalente �quip�e de v�hicules � chenilles, la mobilit� de la brigade pourrait donc �tre s�v�rement limit�e par l'insuffisance du soutien organique.
+D'un point de vue tactique, l'IBCT est d'abord une unit� d'infanterie mont�e, et pour laquelle il est explicitement pr�vu que les soldats combattent " � pied " (dismounted). Ceci tient sans doute � la gamme complexe de missions que la brigade est appel�e � remplir, et qui impliquent forc�ment d'op�rer en terrain difficile : le maintien de la paix suppose � tout le mois de pouvoir circuler en zone urbaine ou bois�e. Plus profond�ment, on soup�onne les concepteurs de l'" Interim Force " d'avoir voulu privil�gier la pr�sence au sol et au contact des populations, par opposition au combat " mont� ", afin de battre en br�che la tradition dominante de l'arm�e de terre am�ricaine et son go�t pour la " grande guerre m�canis�e ". La composition de la brigade est � cet �gard r�v�latrice : les sections de mortier et groupes de snipers y tiennent une plus large place que les moyens antichars.
+Dans le m�me temps, toutefois, de nombreux critiques soulignent les insuffisances dont souffre l'IBCT en termes de puissance de feu et de protection. A l'occasion des tests, le Stryker s'est en effet r�v�l� inf�rieur aux attentes de l'Army, et il a fallu reprendre la conception du blindage en respectant les imp�ratifs de poids, sans que l'on sache pour le moment ce que sera le r�sultat. De nombreux officiers et la majorit� des experts mettent d'ailleurs en doute ce choix et font valoir que l'Army poss�de d'importants stocks de M-113 - certaines versions seraient sup�rieures au Stryker en protection et en l�g�ret�, quoiqu'� chenilles - ou qu'elle aurait d� poursuivre le projet M8 Armored Gun System. Dans l'attente, il est n�cessaire de rev�tir le v�hicule d'un blindage ext�rieur suppl�mentaire, ce qui ralentit les op�rations et induit une vuln�rabilit� initiale. Pour ce qui est de la puissance de feu, et compte tenu des stocks de munitions tr�s r�duits de l'unit�, le bataillon d'artillerie a pour fonction premi�re de d�truire d'�ventuelles batteries adverses et ne peut gu�re remplir l'une des missions traditionnelles de l'arme, � savoir le feu de neutralisation (suppressive fire). Des mortiers en abondance au sein des bataillons et en section organique sont cens�s pallier ce manque, d'autant moins significatif aux yeux des d�fenseurs du projet que les tirs de neutralisation par artillerie lourde apparaissent politiquement inadapt�s � la plupart des contextes op�rationnels envisageables. Toutefois, et jusqu'� l'arriv�e des obus de mortier de derni�re g�n�ration, cens�s �tre extraordinairement pr�cis, les mortiers ne sont pas davantage discriminants, et ne sauraient pr�tendre aux m�mes effets militaires que l'artillerie, qu'il s'agisse d'interdire une zone ou de d�truire des blind�s gr�ce � des munitions intelligentes de type SADARM. Conjugu�e au fait que la brigade ne comprend qu'une simple compagnie antichars dot�e du syst�me Javelin, dont la port�e est inf�rieure � celle de la plupart des blind�s, cette carence en artillerie se traduit par une d�ficience g�n�rale en termes de capacit�s antichars. La m�me appr�ciation peut �tre port�e concernant les capacit�s en tir direct, avec un seul peloton (platoon) de " Mobile Gun Systems " - sachant que c'est cette derni�re version du Stryker qui logiquement pose le plus de probl�me de poids, et que son canon devra peut-�tre subir un all�gement.
+Au final, l'IBCT appara�t plus sp�cialement adapt�e aux missions d'infanterie et, en l'absence d'augmentation divisionnaire, relativement fragile dans le cadre d'un affrontement de moyenne intensit�. Face � une situation de ce type, le concept d'emploi de la brigade pr�ne l'�vitement et le repli. En ce sens, l'escadron RSTA de reconnaissance �lectronique est la premi�re ligne de d�fense de l'IBCT et l'" avant-garde " de l'" Objective Force ", largement orient�e sur le combat � distance et la sup�riorit� " informationnelle ".
+On ne saurait trop insister sur le r�le central jou� par l'escadron RSTA, non seulement comme composante essentielle de la brigade interarmes interm�diaire, mais encore comme " d�monstrateur " et � vrai dire seul �l�ment de l'IBCT qui annonce le syst�me des syst�mes que doit �tre l'" Objective Force ". Par bien des aspects, la viabilit� m�me de l'IBCT d�pend du succ�s avec lequel l'escadron remplira ses fonctions de surveillance, de reconnaissance et d'acquisition d'objectifs. L'acquisition de cibles � longue distance est en effet la condition sine qua non des frappes de pr�cision, la pr�cision devant permettre, en se substituant au volume des feux terrestres classiques, d'all�ger la logistique requise et donc d'am�liorer la " d�ployabilit� ", ce qui explique pour partie l'" aust�rit� " de la brigade. L'escadron RSTA remplit �galement la fonction, encore plus critique, de " protection de la force " : l'acquisition � distance de s�curit� doit permettre d'�viter le contact, et donc les nombreuses exigences qui en d�coulent en termes de protection et de puissance de feu organiques (blindage, tir direct, volume des feux). En d'autres termes, le concept de l'IBCT s'appuie lourdement sur la reconnaissance, de la surveillance � l'acquisition d'objectifs en temps r�el, pour suppl�er aux d�ficiences de la brigade par rapport aux unit�s lourdes classiques. Pour ce faire, l'" Interim Force " et plus encore l'" Objective Force " partent d'une conception " transform�e " de la reconnaissance, qui ne va pas sans soulever quelques interrogations. Il s'agit de substituer � la reconnaissance par contact la reconnaissance �lectronique, conduite enti�rement � distance de s�curit�. Les cons�quences associ�es � ce changement affectent profond�ment la conduite des op�rations, sont d�sormais regard�es comme partiellement inutiles certaines des fonctions classiques des unit�s de cavalry de l'arm�e de terre, telles que la s�curisation physique d'une zone, la s�ret� des communications (flanc-garde, etc.) et l'attaque " probatoire " (probe) ou de diversion visant ou permettant l'�conomie des forces. Or, il s'agit l� d'un pari reposant sur des hypoth�ses non encore v�rifi�es, et pour certaines d'entre elles douteuses.
+Il faut tout d'abord rappeler que la technologie est pour l'heure loin d'�tre suffisante. Malgr� les progr�s consid�rables r�alis�s en mati�re d'acquisition et de traitement de l'information, la surface terrestre, et en particulier les terrains complexes, se pr�te tr�s bien au camouflage et � la dissimulation : les capteurs actuels ne permettent que fort mal l'acquisition d'objectifs dans les zones urbaines, montagneuses ou bois�es, et rien ne permet pour l'heure d'affirmer que l'am�lioration technologique rendra � moyen terme le " m�dium terrestre " aussi fluide et transparent que l'air ou la mer peuvent l'�tre. Ne serait-ce qu'avec le d�veloppement des zones dens�ment peupl�es, les zones urbaines tout sp�cialement, le r�le du terrain devrait demeurer essentiel. En outre, la fusion en temps r�el de donn�es provenant de capteurs multiples (infrarouges, radars, acoustiques) continue de poser un probl�me math�matique de premier ordre, qui surpasse la capacit� de calcul informatique actuelle, en d�pit des progr�s exponentiels en la mati�re. On est donc encore loin de pouvoir frapper de fa�on discriminante un grand nombre de cibles " discr�tes " et surtout mobiles.
+En sens inverse, la reconnaissance par contact constitue un gage de s�curit� qui renseigne sur le dispositif ennemi comme sur ses " dispositions morales ", l� o� la reconnaissance � distance ne renseigne en r�alit� que sur des " signatures " �lectroniques. L'" information " dont parle la RMA est en effet constitu�e par les coordonn�es g�oterrestres de signatures �mises par les diff�rents individus ou plateformes. En d'autres termes, la reconnaissance �lectronique ne fournit qu'un signalement, une direction et un volume th�oriques, en aucun cas elle ne peut renseigner sur ce que la doctrine sovi�tique appelait la " corr�lation des forces ", qui pr�cis�ment ne s'appr�cie que par le combat. G�n�ralisant � partir de son exp�rience des engagements, Clausewitz faisait d�j� valoir cet argument au niveau de la strat�gie g�n�rale : la " mont�e aux extr�mes " repose justement sur le caract�re " incalculable " et donc impr�visible du rapport de force, et oblige donc � la prudence en termes de moyens, par exemple la redondance, le " g�chis "... Le raisonnement est directement applicable au niveau tactique : sans reconnaissance active, on ne peut par exemple appr�cier la combativit� et le niveau g�n�ral de l'ennemi. A l'instar du Battle Damage Assessment (BDA) pratiqu� par l'US Air Force, la reconnaissance �lectronique ne donne au mieux que des indications sur le dispositif physique de l'adversaire, et l'on sait toutes les difficult�s et les incertitudes qui entourent le BDA lors des campagnes de frappes a�riennes, depuis la guerre du Golfe jusqu'au Kosovo et � l'Afghanistan. Le renseignement �lectronique conduit � une focalisation quasi exclusive sur les " plateformes " ennemies, d�tectables et donc " comptables ", comme l'a illustr� le probl�me des pertes irakiennes pendant la guerre du Golfe. Le g�n�ral Schwarzkopf avait demand� aux planificateurs de l'offensive a�rienne de neutraliser 50 % du potentiel m�canis� irakien, autrement dit la moiti� des plateformes pr�sentes au Kowe�t et au sud de l'Irak, pour que la phase terrestre des op�rations puisse �tre engag�e dans des conditions optimales. Non seulement cette proportion ne fut jamais atteinte (la r�alit� se situe probablement autour de 30 %), mais encore la Defense Intelligence Agency se fonda-t-elle sur ces �valuations pour produire sa propre estimation des pertes ennemies. En r�alit�, les 100 000 morts irakiens annonc�s � l'�poque, chiffre tenu depuis lors pour exact, correspondent tout simplement aux effectifs th�oriques des v�hicules, multipli�s par le nombre th�orique de v�hicules d�truits. Un bon exemple a contrario est fourni par l'offensive irakienne sur Al-Khafji, qui a indiqu� au g�n�ral Boomer, commandant de l'US Marine Corps, l'�tat v�ritable des forces irakiennes et donc la r�alit� du rapport de force.
+Enfin, la reconnaissance �lectronique suppose que soit toujours conserv�e une sup�riorit� technologique am�ricaine aux effets d�cisifs, c'est-�-dire ni �gal�e par un peer competitor, ni surtout contr�e par le recours � des postures asym�triques. Or, les recours � disposition de l'adversaire sont multiples, depuis des strat�gies low-tech et � faible co�t, comme le camouflage, la dispersion des unit�s sur le terrain et parmi les populations, jusqu'� l'emploi de moyens plus sophistiqu�s, comme le brouillage, l'attaque syst�matique des plateformes porteuses de capteurs (JSTARS, AWACS, UAV) ou m�me la d�tonation en haute atmosph�re d'une arme nucl�aire, qui d�truirait � peu pr�s la moiti� de la flotte globale de satellites, dont on sait l'importance cruciale pour le C4ISR. En d'autres termes, et en d�pit des avantages tr�s r�els qu'elle conf�re, la reconnaissance �lectronique s'accompagne de vuln�rabilit�s nouvelles : les signatures peuvent �tre brouill�es, exag�r�es ou contrefaites, et l'ennemi est fortement incit� � s'en prendre aux points nodaux du syst�me des syst�mes. A l'�chelle de l'IBCT, la destruction des UAV et de quelques capteurs peut r�duire l'escadron RSTA � une unit� de reconnaissance plut�t sous-�quip�e en v�hicules et capacit�s de reconnaissance par le feu par rapport � son �quivalent " non transform� ". Enfin, la " conscience de la situation op�rationnelle " (situational awareness) engendr�e par les moyens �lectroniques peut bien entendu �tre compl�t�e par le renseignement humain, mais elle n'en reste pas moins, �tant donn� les limitations de capteurs, orient�e majoritairement vers les v�hicules. Autrement dit, son utilit� au niveau " individuel ", c'est-�-dire non v�hiculaire, risque d'�tre r�duite.
+En d�finitive, l'" Interim Force " souffre d'un certain nombre de limitations s�rieuses. Les objectifs fix�s par le g�n�ral Shinseki en mati�re de d�ploiement paraissent irr�alistes dans la plupart des situations envisageables, compte tenu des infrastructures a�roportuaires des pays d'arriv�e, et la " d�ployabilit� " actuelle des forces terrestres am�ricaines est loin d'�tre aussi catastrophique que ne le pr�tendent les d�fenseurs de la RMA. L'Army a utilis� l'argument de la mobilit� strat�gique, mais l'analyse fait appara�tre que l'int�r�t principal des IBCT r�side dans leur mobilit� tactique, sup�rieure � celle des forces " traditionnelles ", d�s lors que les brigades sont soutenues et que la mission n'implique pas de combat de haute intensit�. Sous ce rapport, la l�g�ret� logistique de la brigade interarmes ne ferait d'ailleurs que magnifier ses insuffisances en termes de puissance de feu et de protection. Est �galement en cause la viabilit� du Stryker. Pour ces raisons, l'IBCT ne semble pas destin�e � l'" entr�e en force " ou, telle quelle, aux op�rations de combat dans des th��tres aust�res ; sa mission premi�re reste les op�rations de stabilisation (SASO). En d�duire, comme le font certains, que l'utilit� de l'IBCT se limite � " refaire le Kosovo " para�t en revanche exag�r�. Si les analyses pr�c�dentes soulignent effectivement que l'IBCT a pour fonction premi�re de g�rer le bas du spectre, l'id�e m�me d'une brigade interarmes orient�e vers le combat d'infanterie constitue une tentative ouverte de remettre en cause la culture et les " armes " dominantes de l'institution. Parall�lement, l'inclusion de l'escadron RSTA devrait permettre de confronter � l'�preuve de la r�alit� certains des concepts-phares de la " transformation ", comme le caract�re surd�terminant de l'information ou la viabilit� du combat � " distance de s�curit� " (standoff engagement). Dans cette perspective, les critiques sugg�r�es � propos de l'IBCT semblent devoir s'appliquer plus largement encore � la future " Objective Force ".
+S'il correspond � la projection dans l'avenir des nouveaux concepts utilis�s par l'IBCT, le projet " Objective Force " tranche toutefois beaucoup plus nettement avec l'h�ritage culturel et doctrinal de l'arm�e de terre. Dans la foul�e du discours de la RMA, l'Army a en effet d�velopp� avec " Objective Force " une vision du combat futur articul�e sur les r�les respectifs des feux � longue distance et de la manoeuvre, ainsi que sur une refonte du commandement et de l'acc�s au soutien interarm�es. Bien qu'elle incorpore aussi des �l�ments propres � la tradition du combat terrestre, cette vision du combat futur semble accepter la th�se du " changement de paradigme " militaire, sans toutefois apporter de r�ponses claires aux questions multiples que suscitent la digitalisation du champ de bataille, la pr�dominance d'une logique de ciblage et l'�tat des relations interarm�es.
+Les progr�s en mati�re de traitement et de diss�mination de l'information sont porteurs d'interrogations tr�s r�elles concernant non seulement les rapports entre autorit� politique et commandement op�rationnel, mais aussi la nature m�me des relations hi�rarchiques au sein des arm�es. Malgr� plusieurs ann�es d'exp�rimentation de la digitalisation, l'Army n'a toujours pas trouv�, semble-t-il, de solution satisfaisante � une s�rie de probl�mes complexes, rendus plus difficiles encore par les rivalit�s entre Services.
+La communication en temps r�el et le volume d'information qu'il est d�sormais possible de transf�rer autorisent en effet les �chelons les plus �lev�s de la hi�rarchie, autorit�s politiques comprises, � s'impliquer tr�s directement dans les op�rations et � r�duire d'autant la marge de manoeuvre et l'initiative des �chelons interm�diaires. Si l'on en croit les divers exemples historiques, depuis la guerre de Sept Ans jusqu'aux campagnes de bombardement du Nord-Vietnam, l'immixtion du pouvoir civil dans le d�tail des op�rations est rarement b�n�fique. En sens inverse, la diss�mination de l'information aux plus bas �chelons et la formation d'une " image commune de la bataille " (common operational picture) peuvent amener certains militaires � prendre des d�cisions qui rel�vent normalement de leurs sup�rieurs ou m�me de l'autorit� politique, et qui n'ont pas �t� avalis�es. Les avanc�es de la technologie des communications posent donc le probl�me de l'�quilibre � trouver entre maintien d'une hi�rarchie politiquement l�gitime et exploitation des " structures en r�seau " et de l'initiative individuelle permises par la technologie : le " micro-management " nuit � l'efficacit� tactique et suscite une paralysie " op�rative " ; l'absence de d�limitations claires est peu d�mocratique et s'est r�v�l�e parfois difficilement compatible avec la d�finition rigoureuse d'une strat�gie.
+Bien que ces �l�ments affectent tous les Services, ils paraissent particuli�rement probl�matiques dans le cas de l'Army. Cette sensibilit� sp�cifique de l'arm�e de terre se v�rifie d�j� au niveau des relations civilo-militaires, puisque les risques de pertes qui vont plus naturellement de pair avec les engagements au sol ne peuvent que renforcer chez les politiques la tentation du micro-management. L'arr�t des op�rations terrestres en f�vrier 1991, pr�matur� au regard de l'objectif militaire de destruction de la Garde r�publicaine irakienne, a ainsi tenu � une intervention directe de l'autorit� politique, soucieuse d'�viter la perception de " pertes inutiles " au sein de l'opinion - et la guerre du Golfe se distingue pourtant de la plupart des autres op�rations conduites ces vingt derni�res ann�es par la relative autonomie tactique et op�rationnelle laiss�e aux militaires.
+La sensibilit� particuli�re de l'Army se v�rifie bien davantage encore au niveau des fonctions de commandement et de contr�le. L� o� l'Air Force d�ploie le plus souvent quelques milliers de personnels et organise des strike packages d'une quinzaine d'avions qui interviennent par vagues successives, l'Army doit contr�ler des dizaines d'unit�s, des milliers de v�hicules et des dizaines de milliers de soldats. En ce sens, et si le nombre de ses plateformes devrait �tre, selon certains, consid�r� par l'Army comme une opportunit� lui permettant de tirer parti au maximum des possibilit�s du network-centric warfare, cette pl�thore garantit �galement que les probl�mes de commandement g�n�r�s par cet accroissement in�dit des capacit�s de communication rejaillissent plus brutalement sur l'Army.
+Or, les probl�mes que le " temps r�el " et l'interconnexion des unit�s suscitent sont fort nombreux. Tout d'abord, les progr�s consid�rables r�alis�s dans le domaine de la diffusion de l'information restent inf�rieurs � l'explosion de la demande, � tel point que la bande passante maximale offerte par les ondes radios, m�me � tr�s haute fr�quence, para�t d'ores et d�j� insuffisante. Cet app�tit pour des communications permanentes incluant les messages et la voix, mais surtout l'image, g�n�re � son tour ce qu'il est d�sormais convenu d'appeler une surcharge d'information (information overload), qui concerne la capacit� de traitement informatique, mais surtout les op�rateurs eux-m�mes, au point que le temps r�el se trouve parfois ralentir le cycle d�cisionnel et donc le tempo des op�rations. Aucune solution n'est en vue pour l'instant, et il semble m�me que les probl�mes associ�s au processus de digitalisation en cours dans l'Army depuis plus de cinq ans aient �t� volontairement minimis�s par l'institution.
+Au niveau tactique, enfin, la communication instantan�e et " sans verrou ", sur le mod�le d'Internet, est susceptible, dans des conditions permissives, de favoriser la diffusion de fausses informations aupr�s de la population ou de propager au sein des troupes un effet de panique local, comme ce fut d�j� le cas en 1940 du c�t� fran�ais avec la radio. On peut penser �galement aux soldats isra�liens, reli�s en temps r�el � leur famille gr�ce aux t�l�phones portables, au grand dam des autorit�s militaires. L'ubiquit� des communications modernes pose donc de d�licats probl�mes de commandement : quelle part de contr�le sacrifier, quelle part de risque accepter afin de maximiser les avantages de la situational awareness et des " structures horizontales " autonomes ? Bannir les contr�les afin de laisser jouer au maximum l'initiative individuelle risque fort d'entra�ner des d�sagr�ments, voire des r�percussions politiques. A l'inverse, si des verrous et des proc�dures hi�rarchiques sont syst�matiquement r�introduits dans le r�seau, celui-ci redevient pour l'essentiel semblable aux structures " verticales " habituelles et perd une grande partie de son int�r�t. En d'autres termes, et qu'il s'agisse de surcharge d'information ou d'effets ind�sirables, aucune solution radicale n'est satisfaisante. Il est bien entendu possible de r�guler plus finement le trafic en d�finissant des modalit�s de contr�le flexibles, laissant par exemple � chaque �chelon le soin de d�finir les crit�res de filtrage, de fa�on � �viter la surcharge et � limiter les possibilit�s de fuite. Cette position a, par exemple, la faveur de l'US Marine Corps, qui y voit naturellement un gage de souplesse tactique : l'initiative et le commandement d�centralis�s (mission orders) sont � la base de la guerre de manoeuvre, paradigme dont le Corps se r�clame tr�s officiellement.
+En p�riode de conflits le plus souvent limit�s, mais fortement m�diatis�s, la logique de l'Auftragstaktik appliqu�e � l'information para�t toutefois difficile � mettre en pratique, puisqu'une d�cision en apparence tactique peut avoir des r�percussions politiques. L'Army a pour sa part historiquement favoris� la centralisation du commandement, m�me durant les p�riodes, comme les ann�es 1980, o� la doctrine officielle pr�nait l'initiative et la d�centralisation. Tirer pleinement parti des technologies de la communication supposerait d'ailleurs, comme cela s'est fait dans l'industrie, d'aller vers des structures plus " horizontales ", c'est-�-dire de supprimer certaines hi�rarchies ou organisations interm�diaires, � commencer par la division. Si le plan Shinseki semble bien prendre cette direction en faisant de la brigade l'unit� de base de la manoeuvre op�rative, il est encore trop t�t pour savoir ce que recouvriront les unit�s de commandement (units of employment) pr�vues par l'" Objective Force ". Apparemment, l'Army h�site � relier directement les " brigades " (UA) � un �tat-major de niveau corps, et pense � des " unit�s de commandement " interm�diaires, soit des structures de commandement de niveau divisionnaire.
+Quelle que soit la solution id�ale finalement pr�conis�e, elle se heurtera � plusieurs obstacles majeurs, si elle va nettement dans le sens du commandement d�centralis�. Il faudrait tout d'abord revoir en profondeur l'instruction des officiers, l'arm�e de terre actuelle r�servant aux seuls colonels pleins et aux g�n�raux une formation g�n�raliste et " strat�gique " ; la culture de l'institution en serait profond�ment affect�e. En second lieu, la suppression des niveaux interm�diaires ne pourrait qu'exacerber les probl�mes d'interarmisation : qu'un colonel � la t�te d'une brigade puisse directement faire appel au soutien interarm�es risque d'�tre mal ressenti, et par la hi�rarchie de l'Army, qui craindra un " asservissement " de ses unit�s disjointes au profit par exemple de l'Air Force et pr�f�rera n�gocier au plus haut les modalit�s de la coop�ration, et par les autres Services, qui ne veulent pas �tre en permanence plac�s en soutien, c'est-�-dire " aux ordres " de l'Army. La r�volution de l'information engage ainsi une red�finition du commandement, avec toutes les difficult�s et les risques que cela implique, entre autres dans les relations entre les arm�es.
+Mesurer les dangers et les implications pour l'Army d'une domination sans partage de la RMA n�cessite d'op�rer un d�tour intellectuel et de rappeler les principes et les limites de la strat�gie du ciblage. La logique de la pr�cision du feu entra�ne en effet implicitement avec elle la supr�matie de l'attrition et l'oubli potentiel des effets moraux, tout en stimulant le recours � des postures asym�triques chez l'adversaire. Au niveau le plus fondamental, la RMA trouve son origine dans les progr�s fantastiques r�alis�s par la pr�cision et le traitement de l'information. L'accroissement continu de la puissance de feu depuis cinq si�cles est interpr�t� a priori comme une r�ponse, techniquement imparfaite, au manque de pr�cision : on aurait multipli� le volume de munitions tir�es afin d'augmenter la chance statistique de toucher l'objectif vis�. Dans cette optique, la substitution de la pr�cision au volume, de la qualit� � la quantit�, constitue �videmment un progr�s consid�rable. Toutefois, l'argument selon lequel les frappes de pr�cision pourraient � elles seules �tre d�cisives, gr�ce au choix des cibles, de l'organisation et du tempo de l'attaque, para�t largement trompeur. L'" Air Power ", et plus largement la logique du ciblage, participent en effet fondamentalement d'une strat�gie d'attrition, la qualit�, c'est-�dire ici la technologie qui permet des frappes pr�cises, ayant simplement remplac� le volume de feu, c'est-�-dire la quantit�. Pour se mettre � m�me de comprendre les implications ultimes de la logique de ciblage qui est au coeur de la RMA, il faut par hypoth�se partir d'une situation d'�galit� relative entre deux adversaires semblables. Si l'on suppose deux adversaires approximativement �gaux, et qui ont la possibilit� de tout voir, tout atteindre, tout d�truire, alors la relation d�crite par le math�maticien britannique Lanchester dans sa " loi du carr� " en 1916 s'applique parfaitement : la masse importe davantage que la qualit�, et la victoire va � celui qui dispose du dernier shooter. Les exemples historiques se rapprochant tendanciellement du mod�le lanchesterien ne manquent pas, que l'on pense � nombre des grandes batailles de l'�ge classique, telles celles de Malplaquet ou Zorndorf, � la guerre de S�cession ou encore � la Grande Guerre sur le front occidental jusqu'en 1917. Chacun de ces cas pr�sente une situation op�rationnelle et tactique bloqu�e, o� la puissance de feu interdit ou entrave consid�rablement les possibilit�s de mouvement offensif et conduit donc � une paralysie tactique se soldant par des pertes �lev�es et des r�sultats non d�cisifs. Les batailles classiques forment peut-�tre la meilleure illustration de ce que pourrait �tre un champ de bataille conforme � la RMA : les g�n�raux peuvent, comme leurs troupes d'ailleurs, voir une bonne partie du terrain. L'�quivalent du th��tre moderne est en effet � l'�poque physiquement " transparent ", �tant donn� la taille r�duite des champs de bataille (rarement plus de 5 km de front). Cette transparence relative et surtout la difficult� des mouvements offensifs transforment ces affrontements en une sorte de fusillade mutuelle, g�n�ralement tr�s meurtri�re, comme le fut Malplaquet.
+En d'autres termes, et si le raisonnement th�orique qui part de l'�galit� relative des bellig�rants est retenu, les technologies �mergentes, dans l'utilisation que projettent d'en faire les partisans de la RMA, risquent de favoriser la puissance de feu au d�triment de la mobilit�, et donc la d�fense au d�triment de l'attaque. Outre que les r�sultats que l'on peut obtenir dans ce type de contexte sont g�n�ralement tr�s co�teux, reste � savoir si les Etats-Unis disposeront forc�ment de plus de shooters que leurs adversaires, ou si ces derniers ne parviendront pas � profiter suffisamment de la prolif�ration technologique pour interdire toute manoeuvre et tout d�ploiement aux forces terrestres am�ricaines - de ce point de vue, le probl�me des strat�gies de d�ni d'acc�s sur lequel le Pentagone se focalise tant aujourd'hui pourrait n'�tre que la partie �merg�e de l'iceberg, d�s lors que les risques inh�rents au d�barquement sur le th��tre se prolongent durant toute la dur�e des op�rations. En ce sens, parce qu'il appartient aux Etats-Unis, � court et moyen terme, de projeter leurs moyens militaires sur des th��tres ext�rieurs, c'est-�-dire d'attaquer, la RMA et surtout sa diffusion pourraient donc �tre porteuses de mauvaises nouvelles, tout sp�cialement pour l'Army.
+La ma�trise am�ricaine en mati�re de C4ISR et de frappes de pr�cision � distance, et plus g�n�ralement la sup�riorit� des Etats-Unis pour tout ce qui touche au combat de haute intensit�, induit des effets pervers majeurs, que l'on rassemble g�n�ralement sous la rubrique des strat�gies asym�triques. On peut penser aux strat�gies de d�ni d'acc�s, au recours aux ADM, � l'attaque cibl�e des plateformes qui sont au coeur du syst�me des syst�mes, satellites, AWACS et JSTARS, ou encore � l'emploi syst�matique du camouflage, mais le plus simple reste encore d'attirer les forces am�ricaines sur des terrains qui annulent ou du moins r�duisent fortement l'efficacit� du complexe de reconnaissance-frappe, de fa�on � les contraindre au combat rapproch�. Comme il a �t� vu plus haut, l'acquisition �lectronique d'objectifs se heurte tant aux limites actuelles et pr�visibles de la technologie qu'� l'opacit� naturelle de certains terrains. Le moral, la diff�rence qualitative des soldats et le terrain peuvent donc jouer comme autant de facteurs d'�galisation face � une sup�riorit� quantitative en hommes ou en mat�riels. Ce probl�me tout � fait r�el n'a pas encore �t� per�u dans toute son acuit�, dans la mesure o� les derni�res interventions am�ricaines, majoritairement a�riennes, ont presque toujours b�n�fici� d'un soutien au sol gr�ce � des alli�s locaux coordonnant leurs actions avec les frappes am�ricaines, ou tout du moins repr�sentant une menace potentielle obligeant l'adversaire � se regrouper. Du Kosovo � l'Afghanistan, ce mod�le de coop�ration a �t� raffin� en un triptyque comprenant alli�s au sol, forces sp�ciales et moyens de frappes, au point d'ailleurs de faire dire � certains que les Etats-Unis pouvaient d�sormais se passer d'arm�e de terre...
+Sans pour autant n�gliger le caract�re relativement novateur de ce triptyque, il est imp�ratif de ne pas perdre de vue le r�le propre jou� par l'Alliance du Nord � l'automne 2001, ni non plus le caract�re incomplet de la victoire remport�e. Les poches de r�sistance qui ont subsist� apr�s la chute de Kaboul ont donn� lieu � des combats qui ont justement permis d'appr�cier les capacit�s de r�sistance d'une infanterie pr�par�e, entra�n�e et motiv�e, face � la logique du ciblage. En particulier lors de l'op�ration " Anaconda ", les moyens consid�rables de reconnaissance-frappe, pourtant appuy�s au sol et en d�pit de leur pr�cision " exquise ", ne sont pas parvenus � r�duire les fantassins adverses retranch�s dans des abris naturels camoufl�s ; il a fallu proc�der au pilonnage syst�matique des positions ennemies suivi par l'avanc�e prudente des troupes de la 10th Mountain, auparavant clou�es au sol par les tirs de neutralisation au mortier, tandis que les h�licopt�res �taient endommag�s par de simples RPG7. Non seulement les troupes terrestres am�ricaines et afghanes se sont r�v�l�es n�cessaires pour obliger l'adversaire � s'exposer aux feux � longue port�e, a�riens ou autres, mais encore a-t-il fallu le plus souvent " finir le travail " en d�busquant les derniers adversaires enterr�s et en exploitant prudemment les succ�s micro-tactiques les uns apr�s les autres. A cet �gard, les combats de Tora-Bora et surtout de Shah i-Kot ont exhib� davantage de ressemblances avec les assauts pesamment " synchronis�s " de la Premi�re Guerre mondiale qu'avec les op�rations ultra-rapides, " simultan�es " (non sequential) et " d�cisives " envisag�es par l'Army.
+L'autre conclusion temporaire qui �merge de ces �v�nements a trait � l'impr�paration relative de l'infanterie am�ricaine, souvent oblig�e de faire appel aux SAS britanniques ou australiens ou aux meilleurs contingents des chefs de guerre afghans. Peu surprenante au regard des pr�f�rences de longue date de l'Army, cette " r�v�lation " se trouve confirm�e par certains officiers am�ricains, qui soulignent que les op�rations de stabilisation men�es pendant les ann�es 1990 ont " �mouss� " les unit�s classiques comme la 82e, et qu'en mati�re d'infanterie au sens strict, les Etats-Unis ne disposent plus que des bataillons de rangers et d'une partie des Marines. Or, ce qu'Edward Luttwak a appel� la " logique paradoxale de la strat�gie " veut justement que la pr�pond�rance des frappes � distance entra�ne un recours syst�matique � l'asym�trie et donc un besoin de plus en plus marqu� en infanterie, et pas simplement lors des op�rations de stabilisation. R�pondre � ces besoins tout en limitant les pertes de fa�on drastique constitue une gageure.
+Dans la continuation du programme Land Warrior, l'Army sponsorise pour l'instant des �tudes sur le fantassin du futur : celui-ci b�n�ficierait non seulement des derni�res avanc�es en mati�re de connexion, d'acquisition d'objectifs et de C4ISR, mais encore de technologies v�ritablement r�volutionnaires en mati�re de robotique, de protection et d'autonomie. L'usage massif de micro-robots ou de drones terrestres (UGV mules) faciliterait grandement la reconnaissance ou le soutien. L'interconnexion du soldat avec l'intranet militaire permettrait de l'appuyer ou de l'�vacuer plus rapidement, et surtout de le faire profiter pleinement de la situational awareness procur�e par le r�seau des capteurs : anticipation de la menace, d�tection des sons, des mouvements et des explosifs, ou encore reach-back quasi instantan� vers l'appui-feu interarm�es. En terrain couvert, toutefois, les embuscades et l'engagement de pr�s demeurent in�vitables, et il n'est donc d'autre solution que d'augmenter consid�rablement les moyens de protection passive des fantassins : est requise une armure qui r�siste aux armes de petit et de moyen calibre et n'entrave pas la mobilit� individuelle, exigence qui requiert � son tour des progr�s dans le domaine des mat�riaux composites et quelque chose comme un " exo-squelette " dot� de micro-moteurs performants - dans ce domaine, la technologie en est encore aux balbutiements, et des progr�s comparables seraient d'ailleurs n�cessaires au niveau des piles � combustible ou des micro-turbines. On le voit, le fantassin en armure lourde rel�ve pour le moment de l'anticipation et de la recherche fondamentale, non de la recherche appliqu�e et de l'acquisition � moyen terme.
+En d�finitive, la logique du ciblage et son corollaire oblig�, l'attrition, quoique valables dans certaines circonstances, n�gligent quelques-unes des r�alit�s les plus fondamentales du combat. De fait, la pr�cision du feu n'a pas toujours vocation � remplacer le volume, tout simplement parce que les munitions tir�es n'ont pas toutes pour objet de d�truire ou de tuer. Comme le sait n'importe quel chef de section d'infanterie, la saturation du champ de bataille, par exemple par tir de barrage, a d'abord pour finalit� de " faire baisser les t�tes ", ce qui permet � l'attaquant de faire mouvement et au d�fenseur de freiner ou d'arr�ter le mouvement adverse. Depuis toujours, le combat terrestre est en effet fond� sur une combinaison feu-mouvement au niveau des unit�s �l�mentaires : parall�lement aux effets de destruction directe qu'il cause, le feu vise un effet moral sur les troupes ennemies, comme Ardant du Picq en son temps l'a montr�. A cet �gard, les partisans de la RMA, souvent am�ricains, ont largement n�glig� leurs propres sources d'information : qu'il s'agisse de " Linebacker " en 1972 ou de " Desert Storm ", tous les t�moignages des prisonniers de guerre concordent pour souligner l'effet de terreur cr�� par les bombardements de B-52 ou les tirs de barrage de l'artillerie moderne. Compte tenu de l'incidence de la d�termination du soldat individuel, il para�t hasardeux de n�gliger ainsi le r�le de l'infanterie ou les " effets de panique " ; la guerre du Golfe a bien montr� l'importance de la motivation et de l'entra�nement des troupes, et le caract�re extr�mement d�s�quilibr� du r�sultat de la campagne ne s'explique pas seulement par l'�cart technologique et quantitatif.
+Aujourd'hui tr�s isol�s, alors qu'ils dominaient le d�bat intellectuel et doctrinal il y a de cela quinze ans, les partisans de la " guerre de manoeuvre " n'en ont pas moins raison de souligner les insuffisances de la " logique du ciblage " et d'insister a contrario sur l'importance des feux de neutralisation, de la reconnaissance par contact et de l'engagement de pr�s, bref tout ce qui participe de la dimension humaine et morale du combat. L'accent sur les frappes � longue port�e ne peut que susciter l'asym�trie chez l'adversaire compl�tement domin� - situation actuelle - et entraver, voire interdire, la manoeuvre au sol lorsque celui-ci dispose de PGM en quantit� - situation future potentielle.
+La majeure partie de l'arm�e de terre am�ricaine est bien entendu consciente des opportunit�s et des contraintes engendr�es simultan�ment par la progression de la puissance de feu, et sait bien que les r�sultats militaires " d�cisifs " - c'est-�-dire concluants � leur niveau, sans pr�juger pour autant du r�sultat global de la guerre -ont historiquement d�pendu, au sol en tout cas, d'une combinaison associant mobilit� et puissance de feu (mobile striking arm), par exemple l'attelage l�ger des canons de Gribeauval pour Napol�on ou le char pour les Allemands en 1940. Durant la d�cennie �coul�e, les �tudes � long terme de l'Army se sont d'ailleurs focalis�es sur la place exacte et les modalit�s de r�alisation de la manoeuvre terrestre dans le combat interarm�es futur ; il s'agissait simultan�ment de tirer parti des possibilit�s en mati�re de frappes � longue distance et de pr�server � son profit une mobilit� strat�gique et tactique suffisante.
+Concernant la capacit� � " voir et frapper en profondeur " (see deep, shoot deep), l'Army compte � la fois sur ses moyens propres, actuels et futurs, et sur le soutien interarm�es. Sur le premier point, l'h�licopt�re furtif Comanche, le drone Shadow, le missile ATACMS et le syst�me d'artillerie HIMARS devraient d�j� conf�rer � l'arm�e de terre des moyens consid�rables. Pour l'" Objective Force " comme pour l'IBCT, la difficult� principale devrait �tre de parvenir � int�grer un syst�me d'artillerie performant au ch�ssis du FCS, que l'on suppose l�ger. L'int�gration des feux fournis par les autres arm�es renvoie directement au probl�me de la jointness ; il est � ce titre abord� plus loin. Concernant maintenant la manoeuvre sur un champ de bataille satur� par les PGM, les solutions ne sont pas aussi ais�ment identifiables. Celles retenues dans le projet " Objective Force " consistent � accro�tre consid�rablement, et la dispersion entre les unit�s de manoeuvre, et le tempo g�n�ral des op�rations. So far, so good : on retrouve l� les formules historiquement utilis�es dans des contextes marqu�s par une augmentation brutale de la puissance de feu, par exemple pendant la Premi�re Guerre mondiale. Il reste toutefois � r�pondre aux deux questions qui ne manqueront pas d'�merger � court terme, comme elles l'ont fait lors de changements similaires � travers l'histoire : comment et � quel niveau int�grer efficacement le feu et la manoeuvre, et par quels moyens conserver une mobilit� suffisante ?
+A consid�rer l'exemple du front occidental entre 1914 et 1918, il appara�t clairement qu'il s'est r�v�l� extr�mement difficile et co�teux en vies humaines de r�soudre le blocage tactique engendr� par l'accroissement sans pr�c�dent de la puissance de feu. Il a fallu rien moins qu'une r�organisation int�grale de la tactique �l�mentaire, avec les effets associ�s sur le commandement, l'organisation et la formation des troupes. Seuls les Allemands ont d'ailleurs pleinement ma�tris�, � l'attaque comme en d�fense, les proc�d�s nouveaux, tandis que les Alli�s ne se sont jamais compl�tement r�solus � d�velopper l'autonomie n�cessaire au niveau des unit�s �l�mentaires - sections chez les Alli�s, groupes chez les Allemands. Il s'agissait d'abord d'int�grer beaucoup plus " bas " dans la hi�rarchie des unit�s le principe du combat toutes armes, en dotant ces unit�s �l�mentaires de mitrailleuses, grenades et mortiers, et en leur conf�rant une autonomie sans pr�c�dent depuis le XVIe si�cle. Il a fallu ensuite entra�ner ces unit�s �l�mentaires pour qu'elles apprennent � combiner en permanence le feu et le mouvement, en interne comme dans leurs relations avec les autres unit�s d'infanterie ou le soutien d'artillerie. A partir de 1918, la tactique d'infanterie moderne est ainsi fond�e sur une combinaison feu-mouvement au niveau des groupes de combat �l�mentaires, l� o� en 1914 le bataillon �tait l'unit� tactique de base et comportait en g�n�ral quelques pi�ces de campagne et quatre mitrailleuses... La fin de l'ordre lin�aire souple, la dispersion et l'autonomisation des unit�s, enfin l'int�gration du combat toutes armes � bas niveau ont v�ritablement r�volutionn� le combat terrestre, au point de le rendre tr�s complexe et d'interdire en fait � des troupes insuffisamment form�es de s'y essayer avec succ�s.
+Cet exemple historique a valeur d'analogie par rapport au contexte contemporain, et l'on peut l�gitimement comparer les feux � longue port�e et les forces terrestres d'aujourd'hui avec l'artillerie et l'infanterie de 1914-1918. Dans cette optique, il s'agit de proc�der � une red�finition de la tactique et des op�rations qui prenne en compte l'�volution des armements (allongement des port�es, pr�cision quasi absolue � terme) et des moyens de communication (temps r�el, boucle " sensor to shooter "). Toute une s�rie de questions s'ensuivent : si l'on se doute qu'il est n�cessaire, aujourd'hui comme autrefois, d'int�grer les moyens interarm�es � plus bas niveau, reste � identifier le niveau optimal et � r�organiser le commandement comme les unit�s - que doivent-elles embarquer de fa�on organique et que peuvent-elles externaliser ? A cet �gard, le format projet� pour le couple " UA-UE " (units of action/employment), comme d'ailleurs le mod�le " FXXI " avant lui, pr�sente de nombreuses ressemblances avec des formats plus anciens comme TRICAP : les �l�ments de soutien et les proportions varient, mais le coeur de l'unit� reste constitu� par des h�licopt�res et des blind�s - on ne sait pas encore si les UA correspondront � l'infanterie mont�e des IBCT ou � une version futuriste des unit�s blind�es actuelles. A premi�re vue, il ne va pas de soi que l'ampleur de la r�organisation soit en proportion de la RMA annonc�e. Plut�t qu'une critique, cette observation entend souligner ce que justement la Premi�re Guerre mondiale avait d�j� montr� : en l'absence de conflit de haute intensit�, il est tr�s difficile d'anticiper les structures de force et les organisations adapt�es, m�me en ayant abondamment recours � des manoeuvres et des wargames - de ce point de vue, et en raison de l'urgence politique de la transformation, il n'est pas certain que l'Army se donne actuellement le temps n�cessaire. Reste �galement � organiser l'appui-feu des unit�s terrestres, en sorte qu'elles puissent avoir recours en temps r�el et avec une grande flexibilit� aux capacit�s de frappe des autres Services, ce qui pose une nouvelle fois le probl�me de la jointness.
+Si l'on met entre parenth�ses la d�finition des formats optimum, l'int�gration des moyens interarm�es et la r�organisation du commandement, demeure enfin le probl�me majeur de la mobilit� physique des unit�s. A cet �gard, " Objective Force " semble se d�marquer de l'IBCT par l'incorporation massive d'�l�ments h�liport�s � l'int�rieur des UE. En l'absence de perc�es technologiques tout � fait spectaculaires, on voit mal en effet comment le FCS, quelle que soit sa forme ultime, pourrait non seulement r�unir les qualit�s respectives des v�hicules l�gers et des chars lourds, mais surtout permettre une multiplication par dix du tempo des op�rations, tel que cela a �t� envisag� dans " Army After Next ". Seule une plateforme volante, h�licopt�re pur ou engin hybride de type V-22, pourrait �ventuellement produire un tel r�sultat. Or, les h�licopt�res n�cessitent une maintenance tr�s importante : ce qu'ils ajoutent ex post aux op�rations se paie donc ex ante, au niveau logistique. De plus, ils posent presque autant de difficult�s de d�ploiement par avion que les chars (leur plus faible masse est compens�e par leur volume), et leur rayon d'action actuel reste limit�. La r�alisation pleine et enti�re de " Army Vision 2020 " suppose donc des progr�s technologiques consid�rables, tels que l'autonomie et la simplicit� d'entretien des h�licopt�res soient multipli�es par cinq ou par dix.
+Les analyses qui pr�c�dent ont fait appara�tre que l'IBCT �tait structur�e autour de deux innovations principales, le primat de l'infanterie et la reconnaissance �lectronique, qui permet d'�viter le contact et de b�n�ficier de l'appui des feux � longue port�e. S'il est impossible de d�terminer aujourd'hui laquelle de ces deux conceptions partiellement contradictoires est finalement appel�e � l'emporter dans le futur, on pressent toutefois une divergence entre l'" Objective Force " et l'" Interim Force ", divergence qui pourrait � terme rompre l'�quilibre actuel, privil�gier les feux � longue distance et finalement faire triompher au d�triment du " grunt " une sorte d'" Air Power " terrestre. Or, une appr�ciation objective du contexte conflictuel � venir et de l'exigence de r�activit� et de vitesse conduirait plut�t � privil�gier un mixte d'unit�s h�liport�es et d'infanterie mont�e d'abord orient�e sur le combat de pr�s. Quelle que soit la solution finalement retenue � l'int�rieur d'" Objective Force " ou en dehors, les frictions entre l'Army et ses Sister Services ne manqueront pas de se manifester.
+Les analyses qui pr�c�dent ont soulign� � plusieurs reprises le caract�re tout � la fois r�current, probl�matique et d�terminant de l'interarmisation : la viabilit� m�me du plan Shinseki, � court comme � moyen terme, proc�de de l'int�gration r�ussie des capacit�s interarm�es, et jamais sans doute l'arm�e de terre ne s'�tait trouv�e en pareille situation de d�pendance. En parall�le, cependant, l'ambition full-spectrum affich�e par l'Army ne peut que rentrer en contradiction ouverte avec les int�r�ts bien compris des autres arm�es, qu'il s'agisse de missions ou de budgets. Dans cette optique, la jointness devient imm�diatement une question politique faisant intervenir l'influence respective de chaque Service aupr�s des autorit�s civiles et plus largement, engageant avec elles un d�bat sur les modalit�s d'emploi de la force.
+De prime abord, il peut sembler paradoxal de ranger l'interarmisation parmi les probl�mes politiques, puisqu'il s'agit d'une question op�rationnelle et que le probl�me de l'int�gration des feux � longue port�e transcende le d�bat traditionnel entre " Air Power " et " Land Power " et passe d�sormais � l'int�rieur m�me de chaque arm�e. Aux Etats-Unis, toutefois, la nature �clat�e des institutions et le r�le sp�cifique du Congr�s en mati�re budg�taire ont presque toujours transform� la jointness en probl�me hautement politique. Il convient donc de commencer par un �tat des lieux avant d'aborder successivement les aspects op�rationnel et politique du probl�me.
+A maints �gards, l'interarmisation fait figure d'arl�sienne du d�bat strat�gique am�ricain : r�guli�rement annonc�e, presque universellement lou�e mais exig�e plus souvent encore, elle rel�ve � l'�vidence du programme plus que de la r�alit� dans un pays marqu� par l'ind�pendance historique de la Navy, de l'Army et de l'Air Force, et pour qui la redondance des moyens est un luxe abordable et m�me souhaitable. Des progr�s ponctuels, en particulier dans le domaine des communications, font que d�sormais les Services peuvent, � haut niveau en tout cas, communiquer entre eux en situation op�rationnelle - ce n'�tait pas le cas lors de l'intervention � la Grenade. En outre, sous la pression de l'actuel secr�taire � la D�fense, l'ancien commandement atlantique, �galement charg� de la jointness, s'est vu d�charg� de ses premi�res responsabilit�s afin de pouvoir se concentrer sur la coop�ration entre les arm�es am�ricaines elles-m�mes et entre celles-ci et leurs alli�s. L'ann�e 2003 devrait d'ailleurs �tre marqu�e par la cr�ation d'unit�s et d'�tats-majors interarm�es permanents (Standing Joint Task Forces ou SJTF). Il s'agit dans un premier temps de favoriser l'entra�nement interarm�es, afin d'en finir avec une situation absurde dans laquelle les arm�es se forment et s'�quipent s�par�ment, alors qu'elles sont appel�es � intervenir c�te � c�te. L'exemple des interventions r�centes comme l'�pret� des querelles entre Services laissent cependant sceptique. A l'inverse des discours et des doctrines pr�nant l'interarmisation et l'initiative locale, la guerre du Golfe s'est caract�ris�e par une gestion hautement centralis�e de l'information et une p�r�quation du commandement op�rationnel en fonction des classiques rivalit�s interarm�es, et non par l'exploitation des opportunit�s offertes par la jointness et le " temps quasi r�el ", et on pourrait en dire autant du Kosovo � une autre �chelle. Comme le remarque l'un des experts interview�s, " jusqu'� pr�sent, en fait d'interarmisation, il a �t� davantage question de d�partager les responsabilit�s que d'int�grer les capacit�s ". Au fur et � mesure que se concr�tisent les r�formes voulues par Donald Rumsfeld, l'approbation de principe a de fortes chances de se muer en une obstruction sourde par laquelle chaque arm�e tentera de pr�server son " pr� carr� ". Tant que la formation et l'�quipement des troupes incomberont, de par la loi, aux Services, il sera extr�mement difficile d'aller syst�matiquement contre leur volont� conjointe.
+Que le d�bat sur l'interarmisation soit revenu sur le devant de la sc�ne au cours des ann�es r�centes ne s'explique pas par un �chec retentissant - comme cela avait �t� le cas avec " Desert One ", fiasco � l'origine de la loi Goldwater-Nichols et de la cr�ation des Combatant Commands ou commandements op�rationnels interarm�es - mais bien par la conjonction de facteurs budg�taires et d'�volutions technologiques. Outre la baisse des budgets de d�fense des ann�es 1990, qui n�cessairement a exacerb� la comp�tition, les arm�es ont d� progressivement faire face � une r�alit� incontestable : l'efficacit� op�rationnelle suppose d�s aujourd'hui et plus encore � l'avenir une int�gration croissante de leurs capacit�s respectives. Ceci tient tout d'abord � la multiplication des plateformes ou des capacit�s interarm�es utilis�es simultan�ment par tous, quel que soit l'" op�rateur " d'origine : satellites d'orientation, d'observation et de communication, UAV, renseignement en g�n�ral. En second lieu, l'allongement de la port�e des armes am�ne � obsolescence la distinction entre rear, close et deep battle zones, et conduit naturellement chaque arm�e � " empi�ter " sur les pr�rogatives habituelles des autres. La solution traditionnelle consistant � cr�er une d�limitation artificielle (Fire Support Coordination Line ou FSCL) risque d'�tre de plus en plus difficile � mettre au point et � respecter, et pourrait surtout se r�v�ler contre-productive ; une partie de la Garde r�publicaine irakienne s'est d'ailleurs �chapp�e en 1991, car elle se trouvait hors de port�e des h�licopt�res de l'Army, mais � l'int�rieur de " sa " partie de la FSCL, au grand dam des aviateurs qui survolaient les environs de Bassorah. Cette disparition des lignes de partage claires qui avaient traditionnellement pr�valu entre l'Army, l'Air Force et la Navy pose un probl�me majeur, � la fois op�rationnel et politique.
+S'il se v�rifie, le changement de paradigme suscit� par la RMA oblige l'Army, on l'a vu, � repenser les organisations, le commandement, les structures de force et peut-�tre m�me la tactique �l�mentaire. Il s'agit, pour les op�rations terrestres, d'int�grer les feux et la manoeuvre � une �chelle in�dite, aussi bien vers le bas, � l'int�rieur des unit�s, que vers le haut, entre les Services. Or, cette �volution, du combat toutes armes de l'arm�e de terre vers le combat interarm�es terrestre, suscite imm�diatement un probl�me aigu de subordination, � la fois objectif et int�ress�, et qui se r�sume � la question suivante : quelle est l'arm�e " d�cisive ", qui doit donc �tre " soutenue " (supported) par les autres, r�duites au r�le de " supporting services ", sachant que d�sormais elle participent toutes aux op�rations qui se d�roulent � terre ? L� o� le d�bat traditionnel opposait les adeptes du " bombardement strat�gique " aux tenants de la coop�ration interarm�es au profit d'une d�cision forc�ment emport�e par les troupes terrestres (doctrine AirLand Battle), le d�bat contemporain op�re une " r�volution kantienne " et fait passer la ligne de partage � l'int�rieur m�me de ce qui �tait le domaine r�serv� de l'Army, les op�rations au sol. La plupart des partisans actuels de l'Air Power s'accordent en effet pour estimer, avec les ceux de la RMA, que le caract�re d�cisif des frappes -a�riennes - ne r�side plus tant dans le choix de cibles " strat�giques " que dans la capacit� � d�truire toute possibilit� ou centre de r�sistance visible. Dans cette optique, les forces terrestres, qu'elles appartiennent d'ailleurs � l'Army ou � l'USMC, ont fort logiquement pour mission de " d�busquer " les cibles adverses, de les obliger � se manifester et � se concentrer, devenant ainsi vuln�rables aux frappes. Les " deux arm�es de terre " am�ricaines, � l'inverse, pers�v�rent � penser que les feux � longue port�e jouent � l'�chelle du th��tre le m�me r�le de soutien, parfois fondamental et n�anmoins toujours subordonn�, que l'artillerie par rapport aux armes de m�l�e. On pourrait croire � ce stade que la controverse oppose l'Army et l'USMC d'un c�t�, la Navy et l'Air Force de l'autre. S'il en va bien ainsi " philosophiquement ", la r�alit� est autrement plus complexe, car cette opposition se double d'une opposition potentielle exactement inverse : les Services qui g�rent majoritairement les capacit�s de frappes comme ceux qui sont organis�s pour le combat de pr�s chassent sur les " m�mes terres ".
+Pour ces raisons, ce qui devrait �tre un d�bat op�rationnel et technique portant sur la mani�re la plus efficace d'int�grer les capacit�s et de cr�er une v�ritable synergie se transforme en une querelle sur " les r�les et les missions ", aviv�e par la r�duction constante des cr�dits de d�fense durant les ann�es 1990 comme par la disparition du " comp�titeur de rang �gal ". Quel pays peut en effet pr�tendre aujourd'hui s'opposer en haute mer � la Navy ou dans les airs � l'Air Force ? Parce que le contr�le de leur " m�dium " naturel ne constituait plus un probl�me et donc une justification, la Navy et l'Air Force se sont tr�s naturellement r�orient�es vers des strat�gies " du littoral " (from the sea) ou counter-land. En parall�le, la r�orientation " tous azimuts " de la strat�gie g�n�rale am�ricaine a, on l'a vu, oblig� l'arm�e de terre � sortir de son r�le historique d'ultime et d�cisif recours, afin de se projeter plus rapidement sur les th��tres de crise, empi�tant au passage sur les pr�rogatives des Marines. Selon la fa�on dont elle est organis�e, la jointness fait ainsi courir � chaque arm�e le risque de se voir subordonn�e aux autres Services dans le cadre d'op�rations dirig�es vers l'int�rieur des terres : feux � longue port�e comme soutien de forces terrestres op�rant d�sormais sur toute la profondeur du th��tre, sorte de AirLand Battle gigantesque d'un c�t�, manoeuvre comme �l�ment de " soutien " � des frappes d�cisives de l'autre.
+C'est � la lumi�re de ce contexte de rivalit�s interarm�es qu'il convient d'appr�cier les orientations retenues par l'Army dans son effort de " transformation ". Si l'on met entre parenth�ses le probl�me �pineux, et � dire vrai central, de la faisabilit� du " Futur Combat System ", le plan " Objective Force " vise � r�former l'arm�e de terre dans le sens de la projection de force tous azimuts et pour ce faire repose sur l'int�gration des feux interarm�es, le d�veloppement des capacit�s h�liport�es et le renouveau de l'infanterie. Or, les relations entre Services et la culture interne de l'Army ne favorisent gu�re la r�alisation de l'" Objective Force ".
+Face aux pr�tentions des autres Services, l'Army refuse �videmment d'�tre cantonn�e � un r�le de soutien, qu'il s'agisse de " d�busquer " l'ennemi au profit de l'Air Force, de conduire des op�rations de nettoyage (mopping-up) sur les franges du th��tre ou de " maintenir l'ordre " apr�s coup, comme au Kosovo. Or, le paradoxe veut que l'Army soit l'institution la plus menac�e par la transformation, en m�me temps qu'elle est la plus d�pendante des trois Services : moins dot�e que la Navy ou l'Air Force en capteurs et moyens de frappe � longue port�e, elle en a toutefois imp�rativement besoin pour op�rer ; de surcro�t, les interventions de la derni�re d�cennie ont mis l'Air Force � tel point en valeur que des experts et des commentateurs toujours plus nombreux se demandent si le maintien d'une force terrestre aussi importante se justifie encore. L'arm�e de terre est donc fortement incit�e � concurrencer l'Air Force et la Navy dans le domaine des frappes � longue port�e, de fa�on � r�duire sa d�pendance et � d�montrer qu'elle est elle aussi " transform�e ". Or, l'Air Force est �videmment mieux plac�e, � l'heure actuelle et pour un certain temps encore, pour revendiquer et surtout mettre en pratique une pure strat�gie de ciblage - la Navy elle-m�me a d'ores et d�j� du mal � suivre. M�me � supposer que l'Army de 2025 dispose des plateformes ultrarapides requises, ainsi que de moyens de frappe � distance autonomes, elle n'en deviendrait pas moins, en souscrivant pleinement � cette conception des op�rations militaires, charg�e d'une mission de soutien, � savoir " d�busquer " par ses feux les unit�s adverses au profit d'un complexe de reconnaissance-frappe dont elle sera au mieux le partenaire junior - les plateformes a�riennes devraient garder un net avantage en termes de r�activit�, d'allonge et de volume de munitions de pr�cision tir�es. Les Marines revendiquent d'ailleurs a contrario l'" esprit d'infanterie " n�cessaire � la conduite d'op�rations d�cisives dans n'importe quel contexte et sur n'importe quel terrain : ce choix restrictif correspond � la fois � la taille r�duite du Corps et � ses pr�f�rences doctrinales.
+En parall�le, l'" Interim Force " pour partie mais surtout la volont� explicite du g�n�ral Shinseki de faire � terme de l'arm�e de terre une force de " premier recours " heurtent de front les int�r�ts de l'US Marine Corps, de m�me d'ailleurs que la probable et importante composante h�liport�e de l'" Objective Force ", qui pourrait avoir occasionnellement besoin de stationner sur des bateaux, si les progr�s technologiques esp�r�s ne se r�alisent pas. Le probl�me a d� en r�alit� se poser d�j� pour l'IBCT : parce que les porte-h�licopt�res sont consid�r�s comme des capital ships, la Navy est, de par la loi, seule habilit�e � les poss�der et � les commander. Il �tait donc exclu de lancer un programme comparable aux BPC (b�timents de projection et de commandement) fran�ais et il n'y avait d�s lors pas d'autre choix que de privil�gier le transport a�rien et de ne pas trop mentionner les h�licopt�res, � court terme en tout cas. Ainsi, l'existence du Marine Corps interdit � l'Army de jouer la Navy contre l'Air Force, et l'oblige en fait � passer par son " ennemi v�ritable ". Dans le m�me temps, les forces sp�ciales, et pour partie les Marines, ont repris � leur compte les missions traditionnelles d'infanterie comme le combat urbain, l'infiltration ou m�me les raids en profondeur, � c�t� des rangers. La r�orientation massive de l'arm�e de terre dans cette derni�re direction e�t �t� de toute fa�on d�licate. Outre qu'une bonne partie de l'institution s'y serait oppos�e, le combat rapproch� et les th�mes aff�rents ne sont certes pas � la mode : les d�fenseurs de la RMA insistent constamment sur la n�cessit� du " see deep, shoot deep " et tournent en d�rision les r�sistances des traditionalistes comme autant de mauvais pr�textes. Ils ont ainsi beau jeu de faire valoir que l'Army s'est �loign�e depuis longtemps d�j� du " corps � corps " en privil�giant la puissance et la l�talit� des plateformes : les chars am�ricains ne d�truisaient-ils pas les T-72 irakiens � distance de s�curit� ? L'argumentaire traditionaliste serait d'autant plus faible et b�tement conservateur qu'il ne percevrait ni l'ampleur des progr�s technologiques en cours, ni surtout que la " r�volution de la pr�cision " ne fait que poursuivre une tendance naturelle et ancienne, � laquelle l'Army a pleinement particip�.
+Les armes traditionnellement dominantes de l'institution ne sont pas v�ritablement en d�saccord avec ce raisonnement, premi�rement parce qu'elles estiment politiquement intenable le risque de pertes significatives qui va de pair avec le combat rapproch�, deuxi�mement parce qu'une telle r�orientation risquerait de se traduire par une baisse significative et durable des cr�dits allou�s � l'Army, troisi�mement parce que l'institution risquerait de finir en force de maintien de l'ordre (constabulary Army), enfin parce qu'elles estiment pouvoir tirer parti en interne des capacit�s �mergentes en mati�re de frappes pr�cises � longue distance. Les heavies esp�rent d'ailleurs sans doute que le FCS sera au final une version all�g�e et plus moderne des v�hicules lourds d'aujourd'hui, de fa�on � r�tablir le primat de l'affrontement m�canis�. Les lights et les membres de l'" Army Aviation " aspirent � l'inverse � profiter de la transformation pour r��quilibrer � leur profit les rapports de force au sein de l'institution.
+Oblig� de prendre en compte ces aspirations antinomiques, le leadership de l'Army entend pour sa part r�concilier tous les �l�ments disparates de l'institution, en finir avec la pr�dominance de certaines branches, sans pour autant en privil�gier d'autres, et occuper le terrain budg�taire face � la Navy et � l'Air Force tout en r�pondant � la pression politique qui s'est accentu�e depuis le Kosovo, et qui interdit de s'en tenir au business as usual en mati�re de programmes. Dans cette optique, on s'explique sans doute mieux le choix du v�hicule Stryker en lieu et place de solutions soit plus innovantes (AGS ou autre), soit moins on�reuses (M113). De m�me, il �tait vraisemblablement impossible de lancer un nouveau projet d'h�licopt�re, ou d'orienter le FCS dans cette direction, sans mettre imm�diatement en danger le Comanche, d�j� menac� par les nombreuses voix qui se sont �lev�es pour souligner que les UAV pourraient se charger � l'avenir de la reconnaissance arm�e � basse altitude - en outre, l'Army est susceptible � l'avenir de s'int�resser au V-22 Osprey, s'il s'av�re viable. Pour ce qui est du moyen/long terme, le maintien s�lectif de quelques programmes de modernisation g�n�ralement orient�s ou " vendus " comme �tant transformational et le lancement du FCS permettent � la fois de satisfaire les traditionalistes et les avant-gardistes. De la sorte, l'arm�e de terre entend pr�server, voire m�me augmenter, sa part des cr�dits d'�quipement, d�j� inf�rieure � celle de ses concurrents.
+Si elle permet de satisfaire partiellement les demandes des politiques comme les pr�f�rences des diverses composantes de l'institution, cette strat�gie de d�veloppement tous azimuts place cependant l'Army dans une logique d'affrontement avec tous les autres services. Comme ces derniers ne manquent pas de le faire savoir, c'est bien d'abord la strat�gie budg�taire de l'Army qui est full-spectrum : avec le lancement de l'" Interim Force " et de l'" Objective Force ", concurremment au maintien de la " Legacy Force ", le contribuable am�ricain serait de facto en train de subventionner trois arm�es de terre, pour accomplir des missions qui pour certaines d'entre elles sont d�j� remplies par l'US Marine Corps ou l'Air Force. L'Air Force en particulier fait valoir que l'Army aurait d� se montrer plus pr�voyante durant les ann�es 1990, et qu'elle devrait r�duire ses structures de force plut�t que de faire financer sa transformation par les autres arm�es.
+L'augmentation tr�s substantielle des cr�dits de d�fense d�cid�e � la suite du 11 septembre n'a probablement fait que reporter dans le temps la crise budg�taire et interarm�es stimul�e tant par le discours de la transformation que par l'�volution r�elle des technologies et des �quipements.
+Au vrai, il convient de bien isoler ce qui appartient r�ellement au d�bat fondamental �voqu� plus haut, qui oppose des conceptions antagonistes de la guerre, et ce qui rel�ve plus simplement des int�r�ts bien compris des divers lobbies, militaires, industriels et autres. Quelle que soit l'�pret� des querelles entre Services, en effet, l'Army est d'abord menac�e par l'atmosph�re intellectuelle et politique qui pr�vaut � Washington en mati�re de strat�gie et d'usage de la force. A cet �gard, le plan Shinseki se trouve litt�ralement pris sous les feux crois�s de critiques qui appartiennent pourtant � des �coles de pens�e diff�rentes.
+En premier lieu, le d�bat am�ricain autour du plan Shinseki et plus largement de l'avenir de l'arm�e de terre laisse appara�tre une majorit� plus ou moins virulente de sceptiques. Pour r�sumer, on d�nombre essentiellement quatre points de vue sur la question. A l'origine de nombreuses controverses globalement dirig�es contre l'Army et en faveur de l'Air Force, l'�cole de l'" Air Power " n'est fonci�rement hostile ni aux IBCT, ni � " Objective Force ", qui vont dans le sens de la pr�cision, du moment que l'Army finance elle-m�me sa transformation. En outre, l'" Interim Force " en particulier est appel�e � �tre dans une situation de forte d�pendance (transport, soutien, appui-feu) vis-�-vis de l'Air Force. Les partisans civils de la RMA, moins li�s � ce dernier Service, sont en revanche tr�s critiques � l'endroit des IBCT, trop lourdes et trop ch�res par rapport � ce qui serait leur mission r�elle, le maintien de la paix. Dans la mesure o� il se r�clame explicitement de l'id�e de guerre " r�seau-centr�e ", le projet " Objective Force " est pour sa part accueilli favorablement. Sur ces deux derniers points, les " traditionnalistes ", pr�sents pour l'essentiel au sein des branches dominantes de l'Army, ne sont paradoxalement pas loin de partager l'opinion des tenants de la RMA : les IBCT orientent l'Army dans la direction dangereuse des op�rations de stabilisation et l'�loignent du combat de haute intensit�, qui doit rester sa raison d'�tre. Ils se s�parent bien entendu des deux premi�res �coles en restant attach�s � la doctrine Powell et par leur vive opposition aux v�hicules l�gers qui, d'apr�s eux, manquent de protection et de puissance de feu au point d'�tre inutiles. L'" Interim Force " en particulier n'a pour eux aucune utilit� et menace l'identit� de l'Army. Les maneuverists demeurent �galement sceptiques vis-�-vis du corpus de pens�e de la RMA, rejettent la recherche syst�matique de la distance et de la pr�cision et insistent sur l'importance des feux de neutralisation et du combat rapproch�. Ils diff�rent des traditionalistes en ce qu'ils acceptent pour l'institution la n�cessit� du changement de format et de la r�orientation des missions, et r�servent leurs critiques aux modalit�s de la r�forme en cours. De leur point de vue, la refonte des structures et de la formation constituent des priorit�s plus urgentes que l'acquisition d'�quipement nouveaux, d'ailleurs douteux ; il faut aller franchement et rapidement vers la modularit� des structures de force, une interarmisation v�ritable et un commandement d�centralis�, et " les �quipements suivront ".
+A l'image du d�bat strat�gique am�ricain, les appr�ciations g�n�ralement port�es sur la transformation de l'Army s'attachent majoritairement aux aspects techniques, op�rationnels et budg�taires ; ce faisant, elles laissent partiellement dans l'ombre la dimension politique du d�bat, pourtant essentielle. Depuis la fin de la guerre froide, les �ch�anciers internes dominent la vie politique am�ricaine ; il s'en suit une d�connexion entre le d�bat strat�gique, tr�s focalis� sur la dimension purement militaire et technique des d�bats strat�giques, et les d�bats de politique �trang�re, plus g�n�raux mais souvent biais�s par des consid�rations de politique int�rieure. En premier lieu, la hi�rarchie civile du Pentagone compte dans ses rangs des adeptes nombreux et convaincus de la transformation, depuis Donald Rumsfeld lui-m�me jusqu'� Steven Cambone et Arthur Cebrowski. L'�quipe au pouvoir n'a pas non plus cach� ses r�ticences initiales vis-�-vis des op�rations de stabilisation et du nation-building ; l'IBCT semble d'ailleurs susciter davantage d'enthousiasme pour ce qu'elle annonce que pour ce qu'elle permet aujourd'hui. En r�gle g�n�rale, cette �cole de pens�e s'int�resse davantage au C4ISR, aux capacit�s de frappes � longue port�e et aux moyens permettant de contrer le d�ni d'acc�s, qui pourraient tous �tre requis dans vingt ans contre la Chine, qu'aux structures actuelles, regard�es comme pesantes et de plus " englu�es " dans des op�rations de police internationale qui n'en finissent pas. Aussi a-t-il �t� rapidement clair, malgr� le soutien verbal accord� au plan " Objective Force ", que l'Army �tait plus sp�cialement dans la ligne de mire de Donald Rumsfeld en mati�re d'annulations de programmes et m�me de r�duction de format. Comme pour mieux signifier sa disgr�ce, on a m�me �t� jusqu'� annoncer tr�s en avance le nom du successeur du g�n�ral Shinseki. A s'en tenir � ces �l�ments, aux d�clarations de l'actuel secr�taire � la D�fense ou � l'ambiance au sein de l'institution, on aurait presque pu croire l'Army condamn�e � br�ve �ch�ance. Du 11 septembre jusqu'� aujourd'hui, les �v�nements ont partiellement redirig� les esprits vers l'ext�rieur et suscit� une aubaine budg�taire. Dans le contexte actuel, l'Army est bien �videmment requise, et le sera bien plus encore en cas d'intervention en Irak. A cet �gard, il est � n'en pas douter important pour l'institution et les bastions conservateurs en son sein que cette seconde campagne se passe bien, mieux en tout cas que l'Afghanistan, qui a surtout mis en valeur les forces sp�ciales. Apr�s tout, le Contingency Corps et le Counterattack Corps ont justement pour vocation d'�craser un adversaire m�canis�, respectivement dans le Golfe et en Cor�e, et un fiasco dans les circonstances pr�sentes, qui plus est sur les th��tres m�mes pour lesquels les heavies se sont pr�par�s, serait impardonnable et entra�nerait sans doute des cons�quences irr�parables pour l'Army.
+En second lieu, toutefois, le risque politique principal ne vient sans doute pas des " al�as de la conjoncture " ou des changements de gouvernement ; apr�s tout, l'Army est pr�sente sur tout le territoire am�ricain et peut donc compter autant que les autres Services sur le soutien appuy� du Congr�s - a contrario, qu'il ait �t� possible de " tuer " le programme Crusader s'explique justement par le fait que l'industriel n'�tait implant� que dans un seul �tat, contre pr�s de 40 pour le F-22 Raptor. Le danger de long terme, qui menace d'ailleurs l'US Marine Corps tout autant que l'Army, a sans doute plus � voir avec la phobie des pertes que les hommes politiques et les militaires supposent � leur propre population. Contrairement � une l�gende tenace qui attribue cette phobie des pertes � la soci�t� civile en propre, toutes les �tudes d'opinion font justement appara�tre une r�alit� beaucoup plus nuanc�e. Le probl�me des pertes r�sulte en fait des particularit�s du syst�me politique am�ricain, qui organise une distribution �quilibr�e des pouvoirs entre les institutions, et en particulier entre la pr�sidence et le Congr�s. Ce syst�me de " freins et de contrepoids " oblige au compromis et � la minimisation des risques : en l'absence de discipline de parti dans les Chambres, l'ex�cutif peut se retrouver censur� � tout moment s'il met en danger la r��lection des membres de son propre parti. L'exp�rience malheureuse du Vietnam a bien entendu amplifi� le ph�nom�ne, tout d'abord en mettant un terme � l'�re de la " pr�sidence imp�riale " qui avait caract�ris� la guerre froide, en second lieu en poussant l'institution militaire � intervenir de plus en plus ouvertement dans le d�bat, entre autres par le biais du Congr�s. Autrement dit, et apr�s une lente mais s�re mont�e en puissance du pouvoir pr�sidentiel face aux pr�rogatives congressionnelles en mati�re de politique �trang�re, les ann�es 1970 ont �t� l'occasion d'un retournement significatif, qui s'acc�l�re avec la fin de la guerre froide : le pr�sident doit d�sormais faire face � la fois au Congr�s et � l'institution militaire, chaque acteur veillant jalousement sur son " pr� carr� " et essayant aupr�s de l'opinion de faire assumer par les autres les risques ou les d�convenues �ventuelles. Parce qu'aucun de ces acteurs ne veut se retrouver en position de devoir assumer un �chec ou une catastrophe, et pr�f�re prendre les devants en pr�tant � la population des sentiments tr�s tranch�s � cet �gard, il est politiquement tr�s risqu� aux Etats-Unis de s'engager dans une intervention susceptible de produire des pertes significatives. Militaires et civils sont otages les uns des autres, la pr�sidence est � la merci du Congr�s et le parti au pouvoir est vuln�rable aux accusations de l'opposition.
+Au terme de cette �tude �mergent plusieurs conclusions, qui concernent aussi bien les chances de r�alisation du plan Shinseki que l'avenir de l'Army et les cons�quences du processus de transformation pour les alli�s des Etats-Unis, quel que puisse �tre son r�sultat final.
+Les �v�nements r�cents n'ont pas �t� tendres avec l'Army, depuis le fiasco albanais jusqu'aux difficult�s de l'op�ration " Anaconda ". Par nature passagers, ces incidents de parcours ne signifient pas grand-chose par rapport aux vrais probl�mes de l'institution, qui ont � voir avec la concurrence que lui livrent les autres Services et l'atmosph�re politique qui conditionne aux Etats-Unis l'usage de la force. A maints �gards, l'Army se retrouve dans la situation peu enviable d'�tre attaqu�e � la fois par le haut, la Navy et l'US Air Force s'�tant r�orient�es vers la surface terrestre, et par le bas, les forces sp�ciales ayant apport� la d�monstration de leur flexibilit� et de leur efficacit� en Afghanistan. La riposte est d'autant moins ais�e � organiser que l'arm�e de terre risque de s'ali�ner durablement l'US Marine Corps et, par voie de cons�quence, la Navy, si elle pr�tend d�sormais se r�organiser dans une logique exp�ditionnaire, ce qui l'oblige � passer par l'Air Force pour se d�ployer - et ce, alors que les deux Services devraient �tre des alli�s naturels face aux pr�tentions de l'Air Force. Enfin, les r�ticences de la classe politique mais aussi de la hi�rarchie militaire interdisent sans doute � l'arm�e de jouer compl�tement la carte de la pr�sence au sol et du combat de pr�s, depuis les op�rations de stabilisation jusqu'au " combat d'infanterie ".
+Dans ces conditions, le plan Shinseki constitue une r�ponse courageuse, qui cherche � pr�server l'avenir et l'unit� de l'institution en mati�re d'�quipements, de missions et de culture commune. Les insuffisances et les ambigu�t�s ne manquent pas, cependant, qui pourraient faire d�railler le projet. L'IBCT, tout d'abord, semble faiblement soutenue, � l'int�rieur comme � l'ext�rieur de l'institution, et ses caract�ristiques la condamnent sans doute � ne jouer qu'un r�le marginal en dehors des op�rations de stabilisation. D�pendant d'avanc�es technologiques pour le moins al�atoires, " Objective Force " traduit �galement les h�sitations de l'Army quant � sa mission premi�re, pr�sence au sol ou participation " d�cisive " au combat de haute intensit� futur. A vouloir couvrir ainsi le spectre des possibles, l'Army court le risque de faire contre elle l'unanimit� et de perdre la comp�tition interarm�es. Pour ces raisons, il est bien difficile pour l'heure d'�mettre une pr�diction cr�dible. Le projet peut �chouer compl�tement, laissant l'Army marginalis�e au profit des autres Services ; il peut s'orienter enti�rement vers la logique de ciblage et le combat " v�hiculaire ", l'Army abandonnant alors aux Marines, aux forces sp�ciales et peut-�tre � la r�serve les missions de stabilisation et le combat rapproch�. Entre ces deux extr�mes, l'Army peut parvenir � ne mener � bien qu'une partie du plan - l'IBCT tr�s probablement - et revoir � la baisse les ambitions affich�es dans " Objective Force " d�s que le contexte politique le permettra. A ce jour, la r�ussite int�grale du projet para�t tr�s improbable, et ne garantirait de toute fa�on pas l'�mergence d'un partage des t�ches interarm�es satisfaisant.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le Centre fran�ais sur les Etats-Unis
+The French Center on the United States
+CFE
+Rapport interm�diaire, avril 2002
+L'administration Bush est arriv�e au pouvoir avec une posture tr�s affirm�e en mati�re militaire. Aux c�t�s du projet de d�fense anti-missile, la militarisation de l'espace est un projet phare du secr�taire � la d�fense Donald Rumsfeld. L'opportunit� de cette �volution fait l'objet de d�bats in�dits � Washington.
+La Nasa risque de faire les frais de cette �volution. Le nouvel administrateur devra � nouveau tenter de r�former les habitudes financi�res de l'agence et r�duire les d�penses pour la station spatiale internationale. Celle-ci tente donc de se rapprocher de l'Air Force, notamment pour coop�rer sur la R&D relative aux lanceurs de nouvelle g�n�ration.
+Compte-tenu du contexte international, il est vraisemblable que les industriels n'obtiendront pas cette ann�e un assouplissement des proc�dures d'exportation de satellites de t�l�communication. Une r�flexion sur le contr�le de l'imagerie satellitaire commerciale, notamment apr�s la campagne d'Afghanistan, est en cours dans l'Administration.
+Apr�s �tre rest�e tr�s en retrait sur les questions spatiales ? clairement d�l�gu�es au Pentagone, la Maison Blanche semble revenir sur cette attitude. Des responsables plus actifs sont en train d'�tre nomm�s au National Security Council et � l'Office of Science and Technology Policy pour traiter le dossier spatial.
+Avec l'arriv�e au pouvoir de l'administration Bush, l'espace change de nature. La pr�c�dente administration avait privil�gi� une approche industrielle des questions spatiales. Au sein de la Maison blanche, le National Economic Council avait produit un certain nombre de directives facilitant les avanc�es commerciales des entreprises am�ricaines (observation, navigation, lanceurs).
+L'espace de Bush est au contraire un dossier militaire. Donald Rumsfeld a des projets ambitieux en la mati�re, qui impliquent une r�organisation de l'Air Force, ainsi que des programmes militaires plus avanc�s.
+Les secteurs spatiaux civils et industriels risquent de souffrir de cette �volution. La Nasa entre dans une p�riode de remise en question. Son nouvel administrateur re�oit l'appui de la Maison Blanche pour remettre de l'ordre dans le mode de financement de ses programmes. Les industriels, pour leur part, n'obtiendront sans doute pas un assouplissement de la proc�dure d'exportation des satellites de t�l�communication.
+Les premiers mois de l'administration Bush avaient vu un d�sengagement de la Maison Blanche sur le dossier spatial, d�l�gu� au secr�taire � la d�fense. Mais cette attitude est en train de se modifier, avec un changement du personnel charg� de ces questions au sein du NSC et de l'OSTP.
+Alors que l'Europe progresse dans le domaine spatial, avec l'accroissement des comp�tences de l'Union ou le lancement du programme Galileo, il est particuli�rement important de suivre les �volutions de la politique spatiale am�ricaine. Celles-ci ont un impact direct sur l'effort spatial europ�en :
+Les affaires spatiales aux Etats-Unis sont affect�es par une r�organisation institutionnelle, qui trouve son origine dans les propositions d'une r�cente Commission parlementaire. L'actuel secr�taire � la d�fense Donald Rumsfeld a pr�sid�, pendant les derniers mois de l'Administration Clinton, une commission ind�pendante charg�e par le Congr�s d'�valuer l'efficacit� des structures de gestion des questions relatives � l'espace militaire (Commission to Assess United States National Security Space Management and Organisation).
+Le rapport final de cette Commission, publi� en janvier 2001, proposait le d�veloppement de capacit�s de d�fense active des moyens spatiaux (armes anti-satellites), ainsi que des modifications institutionnelles assez radicales visant � donner une plus grande importance au domaine spatial. Le secr�taire � la d�fense s'est efforc� de mettre en oeuvre les propositions de sa Commission.
+Les remaniements propos�s affectaient la pr�sidence, le Pentagone et l'Arm�e de l'Air. Certains ont �t� adopt�s ou sont en cours d'adoption ; d'autres ne sont pas repris.
+En ce qui concerne le D�partement de la D�fense, les grands axes du rapport Rumsfeld visant � d�velopper l'espace militaire sont adopt�s. Seules quelques modalit�s diff�rent de celles qui �taient pr�cis�ment �dict�es dans le texte de janvier 2001.
+Donald Rumsfeld a obtenu la confirmation d'un certain nombre de personnes dot�es d'une grande exp�rience des questions spatiales au plus haut niveau de son minist�re (au sein de l'Office of the Secretary of Defense -OSD), de l'�tat-major interarm�es et de l'Air Force. Cela confirme son intention de renforcer l'importance de l'espace dans les affaires militaires.
+ +Compte tenu de la pr�sence de nombreux spaceniks (" fous de l'espace ") dans ces postes hauts plac�s, l'une des recommandations du rapport Rumsfeld est devenue inutile : le poste d' Assistant Secretary for C3, devait �tre transform� en Under Secretary for Space Intelligence and Information. Un Under Secretary est hi�rarchiquement sup�rieur � un Assistant Secretary. Ce nouvel Under Secretary aurait dispos� de plus de moyens, de personnel et d'autorit� pour traiter des questions de sa comp�tence. Dans la situation actuelle, il a sembl� inutile de bouleverser l'organigramme, puisque Pete Aldridge ou Steve Cambone suivent de tr�s pr�s ces questions.
+Un int�r�t plus affirm� pour les questions spatiales au sein du D�partement de la D�fense pourrait avoir un impact sur celles-ci, au-del� de leurs aspects militaires. Le Pentagone a un avis � rendre sur les relations commerciales des Etats-Unis lorsqu'elles portent sur des mat�riels militaires ou � usage dual. Depuis le milieu des ann�es 1990, les responsables militaires se d�clarent dans l'ensemble favorables � un assouplissement des contr�les d'exportations. Ils pourraient soutenir plus activement les demandes de licences d'exportation de mat�riel spatial d�pos�es par les industriels aupr�s du D�partement du Commerce ou du D�partement d'Etat.
+L'arm�e de l'Air revendique depuis les ann�es soixante un r�le pr�pond�rant en mati�re spatiale. Elle juge que la contigu�t� de l'espace a�rien et de l'espace extra-atmosph�rique fait naturellement des programmes spatiaux -et des importants budgets qui y sont attach�s-, une de ses pr�rogatives. L'arm�e de terre et la Navy ont �videmment des vues oppos�es. Or, les propositions que Donald Rumsfeld veut voir appliqu�es donneront un avantage d�finitif � l'Air Force.
+Le secr�taire � la d�fense a annonc� des changements � l'automne 2001. Dans un m�morandum adress� aux responsables du D�partement et des services arm�s, ainsi qu'au directeur de la CIA, il annonce une nouvelle r�partition des r�les en mati�re spatiale parmi les diff�rentes armes. Pete Aldridge (Under Secretary for Acquisition) et David Chu (Under Secretary for Personnel and Readiness) doivent mettre en route cette r�organisation, qui reprend les grandes lignes du rapport de la commission Rumsfeld.
+L'Air Force doit devenir l'agent ex�cutif pour l'espace au sein du D�partement de la D�fense. James Roche, le secr�taire de l'Air Force, sera responsable de la planification, de la programmation et de l'acquisition des syst�mes spatiaux militaires. L' Under Secretary of the Air Force Peter Teets devient responsable des acquisitions spatiales de l' Air Force et autorit� de r�f�rence pour les acquisitions spatiales de tout le Pentagone. Sa fonction est jointe � celle de directeur du National Reconnaissance Office (NRO). Le NRO acquiert et op�re les satellites d'observation militaires. Les demandes programmatiques du NRO seront donc relay�es au plus haut niveau de l'Air Force par l' Under Secretary Peter Teets.
+Cette �volution va s�rement faire na�tre des controverses, car elle fait appara�tre une deuxi�me voie pour l'acquisition des mat�riels. L'Under Secretary for Acquisition Aldridge sera responsable des grands programmes du D�partement (navires, avions, nucl�aire, ... ), mais tous les programmes de satellites ou de lanceur seront du ressort du secr�taire de l'Air Force. L'Air Force pourra faire approuver par son secr�taire ses propres requ�tes programmatiques spatiales. On peut se demander si ce syst�me est tr�s raisonnable.
+Par ailleurs, la nomination d'un g�n�ral de niveau quatre �toiles � la t�te du U.S. Air Force Space Command est adopt�e. Ce g�n�ral ne sera plus charg� en m�me temps de la direction du NORAD et du U.S. Space Command. Cette d�cision suit les recommandations du pr�c�dent titulaire de ce poste, le g�n�ral Eberhart, qui avait d�clar� avoir du mal � assurer les trois fonctions en m�me temps.
+Le g�n�ral Lord est � ce poste en avril 2002. Ce g�n�ral de niveau 4 �toiles a eu la responsabilit� du pas de tir militaire de Vandenberg (Californie) de 1993 � 1995, mais son exp�rience des questions spatiales reste � part cela limit�e. Il n'y a pas longtemps que l'Air Force dirige syst�matiquement certains officiers vers les responsabilit�s et les exp�riences spatiales. Ces " space cadets " n'ont pas encore atteint le rang de g�n�ral � 3 ou 4 �toiles. Il a donc �t� difficile de trouver un g�n�ral de niveau 4 �toiles pour remplir le poste de U.S. Air Force Commander.
+L'Air Force est satisfaite de ces �volutions, qui consacrent sa pr��minence en mati�re spatiale. Mais elle se trouve d�sormais dans une position d�licate. Elle s'oppose bien s�r � toute �volution vers la cr�ation d'un corps spatial autonome. La formation d'une cinqui�me arme d�di�e � l'espace affaiblirait consid�rablement l'Air Force. Elle devra donner aux programmes spatiaux militaires toute la place que Rumsfeld souhaite leur voir prendre, sans toutefois qu'ils acqui�rent une importance telle que l'id�e d'un space corps ind�pendant s'impose.
+Le secr�taire � l'Air Force James Roche a fait carri�re dans la Navy avant de devenir staffer au S�nat (au Armed Services Committee), puis de travailler chez Northrop Grumman. Le poste de secr�taire d'une arme est un poste civil. Il n'est pas rare qu'un civil ou un militaire d'une autre arme y soit nomm�. Il reste � voir comment cet ancien marin appliquera les directives de Donald Rumsfeld au profit de l'Air Force.
+Le rapport Rumsfeld proposait que la Maison Blanche donne une plus grande priorit� aux questions spatiales. Cette direction n'a pas �t� adopt�e au d�part, mais la situation �volue au printemps 2002.
+La commission Rumsfeld proposait que l'espace soit �lev� au rang de " priorit� nationale " par le pr�sident. Ceci n'a pas �t� fait.
+De m�me, le projet de cr�ation d'un Presidential Space Advisory Group n'est pas repris. Ce groupe de conseillers de tr�s haut vol aurait compt� des membres de la communaut� scientifique civile, des chefs d'entreprises a�ronautiques et spatiales, et des conseillers militaires. Il se serait r�uni � la demande du pr�sident pour se prononcer sur les politiques spatiales aussi bien civiles que militaires, commerciales que scientifiques. Ce groupe n'aurait pas fait partie du gouvernement, � proprement parler. En cela, il diff�rait du National Space Council, qui a exist� de 1958 � 1973, puis de 1988 � 1993. Ce conseil, qui �tait plac� au m�me niveau de l'ex�cutif, avait une existence plus formelle et un large pouvoir de d�cision.
+Le pr�sident a jug� que ces �volutions n'�taient pas indispensables. Les questions spatiales, qu'elles soient civiles, militaires ou �conomiques, ne sont pas une priorit� au plus haut niveau de l'ex�cutif.
+Selon les conclusions de la Commission Rumsfeld, une cellule spatiale plus importante devait �tre rassembl�e au sein du National Security Council. Mais l'ancien syst�me, dans lequel une seule personne, plac�e sous l'autorit� du Senior Director for Defense Policy and Arms Control, s'occupe de l'espace au sein du NSC, a pr�valu.
+ +Des groupes de travail interminist�riels, dits Policy Coordinating Committees (PCC), sont organis�s sous l'�gide du NSC. Un PCC sur l'espace a commenc� � se r�unir au printemps 2001. Il a initi� une cellule de r�flexion sur le contr�le de l'imagerie spatiale commerciale par le gouvernement, une deuxi�me sur la question de l'attribution des fr�quences radio, et une troisi�me sur l'avenir du transport spatial.
+Mais ces groupes semblent pour l'instant peu actifs. L'autorit� au sein de chaque cellule de r�flexion a �t� d�l�gu�e � des agences ext�rieures : Nasa, NIMA, etc. Ceci n'est pas tr�s efficace lorsqu'il s'agit d'amener des agences gouvernementales aux int�r�ts structurellement contradictoires � atteindre un compromis. Selon Jefferson Hofgard (Boeing), attribuer syst�matiquement l'autorit� au NSC est le seul moyen de forcer l'ensemble des participants � se mettre d'accord.
+Il semble qu'au printemps 2002, la d�cision de modifier la situation ait �t� prise. Le Director for Space, Ed Bolton, peu dynamique et de rang modeste (lieutenant colonel) vient d'�tre remplac� par Gill Klinger. Ce dernier, d�j� en poste au Pentagone sous Clinton, est plus senior. Il est connu pour sa force de caract�re et tiendra sans doute � reprendre l'autorit� sur les sous-groups du PCC-espace.
+Pour les autres cellules de la Maison Blanche, on note les �volutions suivantes :
+ +Comme pour le NSC, la pratique de la nouvelle administration a �t� jusqu'� pr�sent de ne pas faire pr�sider par l'OSTP les groupes de r�flexion auxquels il participe. Il est possible que le d�part de Scott Pace ait � voir avec ce mode de fonctionnement peu efficace.
+Dans le cadre de la r�organisation de ses services, Donald Rumsfeld a �galement lanc� des r�formes favorables � une meilleure gestion des programmes spatiaux militaires.
+ +Certains chiffres apparaissent dans le projet de budget pour 2003, pr�sent� par la Maison Blanche le 4 f�vrier 2002. Ils vont �tre discut�s et modifi�s par le Congr�s avant d'�tre vot�s en fin d'ann�e. Les chiffres pr�sent�s ici ne sont donc pas d�finitifs.
+ +Le programme de d�fense anti-missile (MD) re�oit 7.5 milliards de dollars dans le projet de budget pour 2003. Il s'agit l� du montant destin� � la composante sol de l'architecture MD (stations radar et syst�mes de missiles au sol, comme par exemple les installations en Alaska) et � sa composante espace SBIRS-Low. Le syst�me SBIRS-Low sera form� d'une constellation de missiles en orbite basse, charg�e de faire du suivi au sol d'objets froids (cold objects tracking), de l'intelligence �lectronique, et du renseignement situationnel lors des conflits (battle space awareness). Ces deux parties de l'architecture anti-missile sont g�r�es par la nouvelle Missile Defense Agency (MDA), qui remplace l'ancienne BMDO.
+La troisi�me partie du syst�me de MD est le programme SBIRS-High, qui verra le d�ploiement de satellites g�ostationnaires charg�s de l'alerte avanc�e. Cette partie du programme, qui remplacera le syst�me actuel DSP, est g�r�e par l'Air Force et non par la MDA. Elle re�oit 815 millions de dollars dans le budget 2003 et son co�t total est �valu� � 4.5 milliards de dollars.
+En ce qui concerne les programmes spatiaux hors MD, il est difficile de faire le point des financements propos�s � l'heure actuelle, car les lignes budg�taires restent �parpill�es et le plus souvent non-identifiables dans le projet de budget de la Maison Blanche. Par exemple, les termes " special projects " ou " Technology development ", dans le budget de l'Air Force, peuvent d�signer un programme de brouillage des t�l�communications. Le regroupement des budgets pr�vu par le nouveau secr�taire � la d�fense apportera une am�lioration de cet �tat de fait, mais il n'est pas s�r que les donn�es seront d�classifi�es. Les d�bats dans les Commissions des forces arm�es du S�nat et de la Chambre feront sans doute appara�tre des pr�cisions en cours d'ann�e.
+On cite le chiffre de 1 milliard de dollars suppl�mentaire pour les programmes spatiaux, demand� cette ann�e par rapport au projet 2002, ce qui am�nerait le montant total � 8 milliards de dollars. Ce montant inclut l'ensemble des programmes spatiaux non classifi�s, dont 920 millions pour 'Advanced Extremely-High Frequency Satellite l Communication System, et le syst�me SBIRS, dans ses composantes High et Low.
+Il inclut �galement les programmes plus innovants de R&D sur la militarisation de l'espace, qui se d�veloppent selon deux axes :
+ +Tous ces programmes sont assez anciens et semblent avoir �volu� lentement � cause des r�ticences du Congr�s � accepter le d�ploiement de syst�mes spatiaux offensifs. Les programmes de R&D retenus pour l'instant ne pr�voient pas de syst�mes offensifs d�ployables dans l'espace. Dans le contexte de d�bat sur la militarisation de l'espace auquel on assiste actuellement, cela aurait sans doute un poids politique trop lourd � assumer pour le gouvernement am�ricain. Qui plus est, certaines des technologies d�velopp�es sont sans doute suffisamment en amont pour pouvoir �tre d�ploy�es sur des plates-formes orbitales dans l'avenir, le cas �ch�ant.
+Lorsque les Am�ricains et les Sovi�tiques ont commenc� � d�ployer des satellites dans les ann�es 1950 et 1960, l'application la plus pr�cieuse �tait le renseignement. Les satellites d'observation apportaient une information irrempla�able sur le territoire ennemi. Pour espionner avec efficacit�, les syst�mes d�ploy�s devaient rester les plus discrets possibles. L'administration Kennedy fit adopter en 1960 une d�cision de classification totale des syst�mes spatiaux militaires. Depuis cette date et jusque dans les ann�es 1980, il n'y a eu aucune communication officielle sur ce sujet aux Etats-Unis.
+Dans les ann�es r�centes, alors que ces syst�mes �taient mieux connus, leur signification strat�gique a �t� obscurcie par la pol�mique sur les syst�mes de d�fense antimissile. L'architecture du futur syst�me am�ricain pr�voit une composante spatiale. Mais l'espace militaire ne se r�sume pas � la d�fense antimissile, et regroupe d'autres �l�ments.
+A la diff�rence des armes nucl�aires, qui sont l'objet de discussions houleuses depuis les ann�es 1960, les syst�mes spatiaux militaires sont donc rest�s jusqu'� pr�sent en dehors du d�bat strat�gique public. Mais la publication du rapport Rumsfeld en janvier 2001 semble avoir provoqu� une prise de conscience.
+En 2001 et 2002, plusieurs think-tanks de Washington organisent des s�minaires ou des programmes de r�flexion sur la militarisation de l'espace. Le Stimson Center tient � jour une biblioth�que �lectronique regroupant des ouvrages sur les questions de space weaponization ; Le Space Policy Institute de l'universit� George Washington a re�u une bourse de la fondation MacArthur pour organiser des d�jeuners sur ce th�me sur une dur�e de deux ans ; Le Eisenhower World Affairs Institute poursuit des groupes de travail sur l'espace entam�s depuis longtemps, mais d�sormais plus nettement ax�s sur les aspects militaires ; Le Council on Foreign Relations r�unit pour sa part un groupe d'�tude sur le m�me th�me ; le Center for Strategic and International Studies organise des groupes de travail et des conf�rences en 2002 ; En marge du Congr�s spatial mondial d'octobre 2002, l'universit� Rice et Lockheed Martin organisent pour la premi�re fois un congr�s sur la politique spatiale avec un forum sur les aspects militaires.
+M�me si le d�bat se limite encore trop souvent aux seuls experts et a du mal � toucher le grand public, des �changes in�dits s'engagent entre partisans et adversaires des projets du Pentagone. On assiste peut-�tre enfin � la naissance d'un d�bat de nature strat�gique sur l'espace militaire.
+Les d�fenseurs de l' arms control sont tr�s r�serv�s face � la perspective d'une extension � l'espace de nouveaux types d'armement. Celle-ci leur semble condamnable par principe, mais aussi pour des raisons juridiques. Les armes antisatellites ne sont pas sp�cifiquement interdites par le Trait� de 1967, qui ne prohibe que le d�ploiement d'armes nucl�aires et de destruction massive. Mais le d�ploiement d'asats reste contraire � l'esprit du Trait� et, plus g�n�ralement, va � l'encontre des efforts de d�sarmement intervenus depuis quelques d�cennies.
+D'autres chercheurs se fondent sur des arguments strat�giques pour affirmer que le d�ploiement d'armements dans l'espace reste contraire aux int�r�ts am�ricains : les adversaires potentiels des Am�ricains n'ont pas envie d'initier ces d�ploiements, mais seraient amen�s � l'imiter, si les Etats-Unis font les premiers pas.
+Ils estiment �galement que ces moyens spatiaux nouveaux cr�ent une tentation de frappe en premier et par surprise. Dans une situation ou il existerait des moyens spatiaux indispensables et des moyens de les d�truire, il serait tentant de lancer une attaque-surprise, pour d�sarmer l'adversaire avant qu'il ne prenne l'initiative lui-m�me. Les possibilit�s de frappe pr�emptive sont un facteur d�stabilisant pour les relations internationales et les Etats-Unis ne doivent pas s'engager dans cette voie.
+Le nouvel administrateur de la Nasa a finalement �t� nomm� en d�cembre 2001. Sean O'Keefe succ�de � Dan Goldin, en poste depuis 1992. Sean O'Keefe a une certaine exp�rience des questions militaires : il a �t� secr�taire de la Navy, Staff Director charg� du budget de la d�fense � la Commission des Appropriations du S�nat et Comptroller au D�partement de la D�fense. Mais son expertise en mati�re spatiale est r�duite.
+Sean O'Keefe est redout� pour ses pratiques de gestionnaire rigoureux. Il quitte pour venir � la Nasa les fonctions de directeur adjoint de 'Office of Management and l Budget (OMB). On peut penser qu'il voudra sans �tat d'�me mettre fin aux d�rives budg�taires qu'a connues l'agence r�cemment -notamment avec un d�passement de budget de 800 millions de dollars pour la station internationale.
+Il d�nonce �galement la proc�dure des fonds r�serv�s, attribuables � la discr�tion du Congr�s (les earmarks). On se souvient que Dan Goldin avait essay� d'en faire autant, mais sans succ�s : l'administrateur de la Nasa n'a pas le pouvoir d'imposer au Congr�s l'abandon de cette pratique.
+Cette remise en question financi�re pourrait s'accompagner d'une r�organisation profonde de la Nasa. Un rapport r�cent intitul� Strategic Ressources Review analyse de mani�re critique les missions des diff�rentes bases de la Nasa et propose l'�limination de certaines d'entre elles. On imagine mal comment faire accepter de telles mesures aux parlementaires repr�sentant les Etats concern�s par cette rationalisation.
+Les liens d'amiti� personnels de Sean O'Keefe avec le vice pr�sident Dick Cheney constitueront un atout pr�cieux dans les t�ches d�licates du nouvel administrateur. Mais on doit s'attendre � ce que la Nasa mette en route toutes ses capacit�s de lobbying pour �chapper � ces r�formes. Dan Goldin, pourtant nomm� dans le but de r�former les pratiques budg�taires de la Nasa, avait fini par �pouser les pratiques traditionnelles de l'agence.
+L'arriv�e de Sean O'Keefe � la t�te de la Nasa est vue par beaucoup comme le signe de nouvelles orientations programmatiques. Si le nouvel administrateur s'avoue toujours en phase de formation au sein de l'agence, certaines de ses d�cisions commencent � appara�tre dans le projet de budget pour 2003.
+O'Keefe a mentionn� � plusieurs reprises son d�sir de voir l'agence retourner � sa mission premi�re de recherche et d�veloppement. Il a repris � son compte le slogan " back to basics ", d�j� entendu. Cette fois-ci, les " basics " en question sont d�finis comme l'exploration et la d�couverte, selon des priorit�s bien cibl�es.
+Il recommande pour cela des missions automatiques, plut�t que des missions habit�es risqu�es et co�teuses. Dans le projet de budget pour 2003, la ligne " Sciences de l'Espace " augmente de 19%, pour atteindre 3,415 milliards de dollars. Une partie de cette augmentation est consacr�e � la recherche sur l'utilisation de l'�nergie nucl�aire en orbite pour les missions longues et le d�veloppement de syst�mes de propulsion nucl�aire pour l'exploration du syst�me solaire lointain. Cette d�cision est critiqu�e par les �cologistes am�ricains, qui craignent les cons�quences pour la population mondiale d'�ventuels accidents lors des lancements ou des r�entr�es des v�hicules concern�s.
+Par ailleurs, l'exploration de l'Univers devrait �tre r�organis�e au sein d'un programme nomm� " New Frontiers ". Il devrait succ�der aux programmes Pluto-Kuiper et Europa Orbiter qui semblent annul�s en tant que tels. Mais le Congr�s pourrait � nouveau refuser l'annulation de ces deux programmes de sonde vers Pluton et Europe. En 2001, la s�natrice d�mocrate du Maryland Barbara Mikulski avait fait r�int�grer le programme Pluto-Kuiper dans le budget de la Nasa pour 2002.
+En revanche, le budget Sciences de la Terre stagne, � 1625 millions de dollars. Si l'on consid�re que 60 millions de ce budget sont attribu�s aux op�rations des r�seaux au sol, une d�pense qui �tait auparavant incluse dans la ligne budg�taire du vol habit�, on voit que ce budget est r�ellement en l�g�re baisse. Comme on le soulignait l'an dernier, les �tudes environnementales ne sont pas une priorit� de l'Administration Bush.
+Le programme de station spatiale internationale (ISS) et le programme de navette r�utilisable sont regroup�s dans la ligne budg�taire " Vols Habit�s ". Avec 6,1 milliards de dollars demand�s pour 2003, en baisse de 10%, c'est la ligne la plus importante du budget de la Nasa.
+Mais le programme de station internationale est l'une des premi�res cibles du nouvel administrateur. Il faut dire que ce programme a connu une augmentation de 7 milliards par rapport � son co�t de 17,4 milliards initialement pr�vu. Paru � l'automne 2001, le rapport Young a constitu� une critique extr�mement forte de la gestion financi�re de la station dans les ann�es r�centes.
+L'administration a donc d�cid� de mettre le programme de station " � l'essai " pendant deux ans. Les �quipes de la Nasa en charge du programme de station devront faire la preuve de leur s�rieux dans la gestion du programme et l'estimation de ses co�ts.
+En attendant, l'architecture de la station est r�duite � sa version minimale, dite " core complete ", qui pourra accueillir trois astronautes, au lieu des sept pr�vus. La possibilit� de mener des recherches � bord est quasiment nulle dans cette configuration. La contribution des partenaires �trangers (Europe, Japon, Canada et Russie) est affect�e, mais l'administration se refuse � promettre la construction future de la station dans sa version complete � 7 astronautes.
+Le budget pour construire la navette " core complete " n'est m�me pas totalement attribu� selon les projets de financements 2002 - 2006, car il manque 603 millions sur cette p�riode. Cette somme doit soi-disant �tre trouv�e dans la r�alisation d'�conomies -ce qui semble douteux. La requ�te financi�re 2003 pour l'ISS est de 1,8 milliards. Ce montant inclut les travaux de recherche relatifs � la station, d�plac�s dans une autre ligne budg�taire.
+Apr�s la fin du programme Apollo, la Nasa a choisi de se doter d'une navette habit�e r�utilisable, comme moyen principal d'acc�s � l'espace. La navette spatiale, dite RLV pour Reusable Launch Vehicle, repr�sente la premi�re g�n�ration de v�hicule spatial r�utilisable. Elle emporte un �quipage en orbite et revient sur Terre apr�s sa mission. Aux Etats-Unis, les entreprises priv�es et l' Air Force exploitent des fus�es traditionnelles � utilisation unique (dites ELV pour Expendable Launch Vehicle).
+Quatre exemplaires de la navette sont actuellement en activit�. Endeavor, Atlantis, Discovery, et Columbia ont �t� construites par Rockwell (maintenant int�gr� � Boeing). Leur maintenance est assur�e par Boeing et Lockheed-Martin, dans le cadre du consortium U.S. Space Alliance.
+Mais ce RLV de premi�re g�n�ration n'est pas tout � fait au point. La maintenance des navettes entre chaque vol est longue et co�teuse. La requ�te budg�taire 2003 pour le programme de navette est de 3,2 milliards (incluse dans le p�le budg�taire " Vol Habit� "). Ce financement est insuffisant pour assurer les 6 - 7 missions annuelles et leur nombre devrait �tre r�duit � 4 - 5 par an. Les responsables du programme d�noncent un manque de 1 milliard de dollars sur les 5 prochaines ann�es.
+La Nasa doit donc se pr�parer � remplacer les navettes par un syst�me moins co�teux et plus r�actif. Souhaitant repousser les d�cisions � 2005, les responsables de l'agence ont lanc� un programme dit " Integrated space transportation ", qui lance des travaux exploratoires dans deux directions.
+Une s�rie d'�tudes doit d'une part chercher � am�liorer la navette actuelle. Les responsables du programme d�clarent que les quatre mod�les n'ont atteint que 30% de leur cycle de vie utile et qu'un shuttle upgrade pourrait suffire � assurer l'avenir sur le long terme. Les recherches portent notamment sur l'am�lioration de la s�curit� des vols. Elles pr�voient un budget de 1,86 milliards de dollars pour la p�riode 2001 - 2005.
+Mais un grand effort est engag� d'autre part pour tenter de d�velopper un syst�me totalement nouveau :
+Le programme de Space Launcher Initiative (SLI) vise � d�velopper un syst�me de lanceur r�utilisable enti�rement in�dit. Les entreprises priv�es recevront 4,8 milliards de dollars entre 2001 et 2006 pour r�aliser des recherches sur ce th�me.
+Une partie des travaux porte sur les technologies de transport dites " Nasa-unique ", c'est-�-dire consacr�es exclusivement aux vols habit�s. Une autre porte sur l'�tablissement d'un moyen d'acc�s commercial � la station spatiale. Il s'agit d'encourager les entreprises priv�es � desservir la station avec leurs lanceurs traditionnels, ce qui constituerait une solution de rechange en cas de probl�me.
+Mais la partie la plus importante de la SLI est le sous-programme de " Second generation RLV", c'est-�-dire de lanceur r�utilisable de seconde g�n�ration. L'�l�ment principal du cahier des charges de ce v�hicule est l'abaissement des co�ts. Il devra ainsi pouvoir mettre en orbite une livre (454 grammes) de mat�riel pour 1000 dollars contre 10.000 dollars pour la navette actuelle.
+Dans le cadre du syst�me X-33, qui a �t� abandonn� l'an dernier, la Nasa avait voulu d�velopper un syst�me global. Elle a maintenant chang� d'approche. Avec le programme SLI, la Nasa fait travailler un certain nombre d'entreprises sur diff�rentes technologies a�rospatiales, qu'il faudra ensuite combiner pour d�velopper le futur lanceur.
+Les technologies n�cessaires ont �t� identifi�es en 2000, pendant la premi�re ann�e du programme. Par un appel d'offre dat� d'octobre 2000, les entreprises int�ress�es ont �t� appel�es � �tablir des propositions pour un premier cycle de contrats. Ces contrats ont �t� conclus en deux fois en 2001. Vingt-deux entreprises ont �t� choisies le 17 mai, pour des contrats d'une valeur totale de 766 millions de dollars. Le 17 d�cembre, 94,6 millions suppl�mentaires �taient attribu�s.
+Au premier rang des entreprises laur�ates, Boeing a re�u 136 millions de dollars en mai pour aborder 5 domaines de recherche et 5,4 millions en d�cembre pour des �tudes sur la survie et la protection des �quipages (dans le cadre de la mission " Nasa-unique " de vol habit�). Pratt & Whitney re�oit 125 millions pour travailler sur les m�thodes de propulsion et les �tages sup�rieurs ; l'entreprise Kistler obtiendra 135 millions de dollars apr�s avoir effectu� le vol de d�monstration de son lanceur K-1 (contrat de 10 millions de dollars avec une option de 125 millions).
+En d�cembre, Northrop Grumann et Orbital Sciences Corp. se sont vu attribuer un montant combin� de 20,7 millions de dollars pour des �tudes d'ing�nierie syst�me et de d�finition d'architecture. Rocketdyne re�oit 63 millions et TRW 5,4 millions pour des �tudes sur la propulsion.
+Toutes les entreprises retenues ont des chances de participer � la r�alisation du futur lanceur de la Nasa. Dans tous les cas, les entreprises s�lectionn�es en 2001 resteront propri�taires des r�sultats de leurs travaux, qui auront sans doute des retomb�es sur les programmes de technologies lanceurs qu'elles poursuivent par ailleurs.
+Les r�sultats du premier bilan interm�diaire (milestone review) seront connus d�but mai 2002. Un deuxi�me cycle d'appel d'offres sera lanc� par la Nasa en 2002. Dans le projet de budget pour 2003, la ligne " technologies a�rospatiales " conna�t une augmentation de 12%, soit 2,8 milliards, destin�s principalement au projet SLI.
+Sean O'Keefe a mentionn� � plusieurs reprises la possibilit� de coordonner les efforts de recherches de la Nasa et du D�partement de la D�fense sur le futur lanceur r�utilisable. L'�tude " One Team " men�e pendant 4 mois par l'agence et l'Air Force sur ce sujet s'est achev�e en d�but d'ann�e 2002. Elle devait identifier les possibilit�s de travaux conjoints entre les deux entit�s.
+Mais il semble difficile de r�concilier les besoins des militaires et des scientifiques. En effet, le D�partement de la D�fense a des exigences bien particuli�res en ce qui concerne son syst�me de lanceur futur. Les militaires veulent pouvoir effectuer un lancement dans les 12 � 48 heures suivant la d�cision de lancement. Ils veulent aussi pouvoir lancer jusqu'� 20 fus�es en deux ou trois semaines si la situation l'exige. En revanche le vol habit� s'av�re inutilement risqu� et co�teux pour les militaires.
+En revanche, les missions habit�es apparaissent comme l'une des raisons d'�tre de la Nasa, et leur maintien reste jusqu'� pr�sent une priorit�.
+Il semble donc difficile de pousser les recherches communes Nasa-Air Force au-del� d'un stade de recherche tr�s pr�liminaire. Si les conclusions de l'�tude " One Team " ne sont pas encore rendues publiques, c'est peut-�tre parce qu'elles ne sont pas tr�s optimistes.
+Une autre voie explor�e par Sean O'Keefe est celle de la privatisation de la navette. La shuttle privatization a �t� mentionn�e sans beaucoup de pr�cisions dans le projet de budget 2003 et dans diverses interventions du nouvel administrateur. Depuis l'accident de la navette Challenger en 1986, les navettes ne peuvent plus accomplir de missions commerciales. Le pr�sident Reagan n'avait pas voulu que la vie des �quipages soit risqu�e pour mettre en orbite des satellites priv�s.
+La pr�sente Administration pourrait revenir sur cette loi. La privatisation de la navette pourrait se limiter au tourisme spatial, dont quelques exp�riences lucratives ont d�j� eu lieu.
+Par une convergence d'�l�ments tr�s divers, l'espace semble �tre un secteur dans lequel les relations industrielles transatlantiques sont tr�s limit�es.
+Tout d'abord, il n'y a pas de tradition de coop�ration entre industries spatiales am�ricaines et europ�ennes. Parce qu'ils ne souhaitaient pas voir prolif�rer les technologies balistiques, les Etats-Unis ont vu d'un mauvais ?il les efforts de mise au point d'un lanceur europ�en.. La base industrielle europ�enne s'est donc d�velopp�e de fa�on ind�pendante.
+La restructuration des industries et la globalisation des �changes dans les ann�es 1990 ont entra�n� la mise en place de programmes de coop�ration dans de nombreux domaines, tels que l'automobile, la m�tallurgie (aluminium) et les hautes technologies.
+Mais le domaine spatial n'a pas b�n�fici� de cette �volution. En effet, les programmes spatiaux restent marqu�s par des commandes finalement peu nombreuses et la pr��minence des march�s publics. Ceux-ci imposent en Europe la proc�dure du juste retour industriel, qui est peu favorable � l'importation de composants am�ricains. Parall�lement, les parlementaires am�ricains sont jaloux des productions r�alis�es dans leur circonscription et ne souhaitent pas les voir sous-trait�es � l'�tranger.
+C'est dans le secteur des t�l�communications par satellite, que les perspectives de profit sont les plus fortes : les acteurs priv�s ont donc pris la rel�ve du secteur public pour assurer les investissements. Des coop�rations significatives, entre Loral et Alcatel, ont �t� engag�es depuis de nombreuses ann�es.
+Qui plus est, les espoirs de gain technologique sont rarement suffisants pour justifier des coop�rations. Les technologies moteur de Snecma, qui ont suscit� une coop�ration avec Pratt & Whitney forment un cas particulier. Hormis cet exemple, les technologies s�lectionn�es de part et d'autre de l'Atlantique sont trop similaires pour laisser beaucoup d'int�r�t aux �changes de savoir-faire.
+De m�me, du point de vue financier, la production spatiale n'est pas suffisante pour que son regroupement sur l'autre continent am�ne des �conomies d'�chelle.
+Enfin, l'�ventuelle volont� des gouvernements de lancer une coop�ration internationale dans le domaine spatial, trouve son expression hors du domaine commercial et industriel. En effet, la plupart des applications spatiales sont duales, et d�s lors tr�s d�licates � organiser dans un cadre multinational. Les institutionnels choisissent plut�t des programmes scientifiques comme celui de Station Spatiale Internationale pour lancer un partenariat � signification politique.
+La rigidit� des proc�dures am�ricaines d'exportation de technologies et de mat�riels sensibles est une cause suppl�mentaire de difficult� des �changes industriels. Elle tient avant tout � l'attitude des parlementaires et � l'action parfois contradictoire des lobbies. Les espoirs d'�volution dans ce domaine n'ont pas abouti jusqu'� pr�sent, mais renaissent avec chaque session parlementaire.
+Les syst�mes de satellites et de lanceurs sont gouvern�s par diff�rentes proc�dures d'exportation, selon qu'ils sont consid�r�s comme des armements ou simplement des mat�riels � usage dual. Dans les ann�es 1990, plusieurs firmes am�ricaines ont �t� accus�es d'avoir transmis des technologies balistiques prot�g�es � la Chine, dans le cadre d'exportation de satellites am�ricains devant �tre lanc�s sur des fus�es chinoises Longue Marche. Le Congr�s a alors resserr� les proc�dures d'exportation, au grand dam des constructeurs de satellite am�ricains.
+L'administration Bush est arriv�e au pouvoir avec le projet de faire assouplir ces proc�dures par le Congr�s, mais la session parlementaire 2001 n'a abouti � rien. La session 2002 devrait reprendre le dossier.
+Aux Etats-Unis, les exportations d'armement et de mat�riel � usage dual sont gouvern�es par des syst�mes diff�rents. La loi fixe les grands principes. Des r�glements �tablissent ensuite la liste pr�cise des mat�riels consid�r�s (liste des munitions, liste des mat�riels � usage dual, ... ). Enfin, les policy directives fixent l'attitude pratique des services qui traitent des demandes. Ces derni�res ne sont pas toujours rendues publiques et peuvent m�me parfois ne pas faire l'objet d'un texte formel.
+La loi ACEA elle-m�me n'est pas remise en question. Ce sont les ITAR qui font l'objet de fr�quentes modifications et de constantes critiques. Dans sa plate-forme �lectorale, le pr�sident avait indiqu� qu'il souhaitait modifier les r�glementations d'exportation, sans n�anmoins pr�ciser sa d�marche.
+Les r�glements d'application, dits Export Administration Regulations, �tablissent cette liste et sont adopt�s par le D�partement du Commerce. A nouveau, une proc�dure de consultation du D�partement d'Etat et du D�partement de la D�fense est pr�vue.
+Les proc�dures d'exportation de satellites forment deux cas particuliers, l'un pour les satellites de t�l�communication, l'autre pour les satellites d'observation. Dans les faits, seule la premi�re cat�gorie fait l'objet de fr�quentes exportations.
+Mais en 1990, le Congr�s a souhait� renforcer la position des entreprises am�ricaines, dans une perspective de conqu�te des march�s ext�rieurs. Le pr�sident Bush a transf�r� une partie des satellites de communication sur la liste des mat�riels duaux en 1992, et le pr�sident Clinton y a port� l'ensemble de ces satellites en 1996. Leur exportation �tait d�s lors contr�l�e par le D�partement du Commerce, selon une proc�dure plus simple et plus rapide.
+Dans la seconde moiti� des ann�es 1990, divers scandales ont �clat�. Les entreprises am�ricaines Loral et Hughes ont �t� accus�es d'avoir ill�galement transmis � la Chine des technologies balistiques, lors du lancement en 1996 de satellites am�ricains sur des lanceurs Longue Marche . En 1998, le Congr�s a ramen� le pouvoir d'attribution des licences d'exportation au D�partement d'Etat (Strom Thurmond Act du 17 octobre 1998) et les satellites de t�l�communication sont revenus sur la liste de munitions ITAR � compter du 15 mars 1999. Il faut noter toutefois que les transferts de technologies frauduleux �taient intervenus � l'occasion de l'exportation de satellites sous le r�gime ITAR d'avant 1992 !
+La d�cision de 1998 a eu des r�percussions sur les march�s spatiaux. Compte tenu de l'ampleur politique des scandales, le service responsable au sein du D�partement d'Etat a trait� les dossiers de demande de licence d'exportation de mani�re tatillonne et extr�mement lente. Certains clients �trangers ne peuvent attendre plusieurs ann�es avant de savoir s'ils pourront acheter un satellite am�ricain et ont pr�f�r� s'adresser � d'autres fournisseurs. Cela a bien s�r g�n� les constructeurs de satellites am�ricains.
+Sym�triquement, il est devenu difficile pour les entreprises �trang�res d'obtenir des contrats de lancement de satellites am�ricains. Toutefois, l'am�nagement de r�gimes sp�ciaux pour les pays Otan et les autres pays alli�s, ainsi que pour l'entreprise Arianespace, l�ve les obstacles majeurs � l'exportation de satellites am�ricains vers l'Europe et � leur lancement par l'entreprise europ�enne.
+Il reste difficile pour les constructeurs de satellites am�ricains d'exporter vers le reste du Monde et les entreprises de lanceurs de ces r�gions restent p�nalis�es.
+Le 3 mai 2001, Dana Rohrabacher, pr�sident de la sous-commission Espace et A�ronautique de la commission Science de la Chambre des Repr�sentants et Howard Berman, repr�sentant d�mocrate de Californie, ont introduit une proposition de loi (H.R. 1707), demandant que les licences d'exportation des satellites de communication soient � nouveau accord�es par le D�partement du Commerce.12 Plus pr�cis�ment, c'est le hardware n�cessaire � la construction de ces satellites qui devait �tre transf�r� de la liste des munitions � la liste des mat�riels duaux.
+Pendant l'�t�, cette proposition est devenue un amendement � la proposition de loi visant � r�former l'exportation du mat�riel dual (Export Administration Act). La proposition de loi et son amendement se sont ensuite enlis�s dans les d�bats de fin d'ann�e.
+Il n'est pas s�r qu'une telle mesure aurait b�n�fici� aux entreprises europ�ennes, car elle r�introduisait une plus large concurrence -de la part des constructeurs de satellites am�ricains et de la part des lanceurs du reste du monde- sur un march� �troit.
+La question de l'exportation des satellites de t�l�communication ne devrait pas �tre soulev�e pendant la pr�sente session. La situation internationale s'est fortement modifi�e pour les Etats-Unis depuis l'ann�e derni�re et, m�me si la Maison Blanche poursuit sa r�flexion sur le sujet, l'assouplissement des proc�dures d'exportation n'est pas � l'ordre du jour.
+Vers 1992, dans les premi�res ann�es qui ont suivi la fin de la guerre froide, la robuste industrie am�ricaine de l'observation spatiale a pu craindre que les agences de renseignement nationales lui commandent d�sormais moins de satellites d'observation dans l'avenir. La question de la commercialisation et de l'exportation d'imagerie et de syst�mes clef en main s'est alors pos�e.
+Les satellites d'observation spatiale voient leurs exportations gouvern�es par une loi particuli�re, le Land Remote-Sensing Act (actuellement dans une version de 1992). Une Presidential Decision Directive (PDD-23) de 1994 �tablit une proc�dure distincte pour l'exportation de syst�mes clef en main et pour l'exportation d'imagerie :
+Le D�partement d'Etat, apr�s consultation du D�partement de la D�fense et du D�partement du Commerce d�cide de l'exportation de syst�mes de satellite d'observation clef en main. Les satellites d'observation figurent donc sur la liste des munitions ITAR et ce, quelle que soit leur r�solution (tr�s haute pour des satellites d'observation de type militaire, ou tr�s basse pour les satellites de m�t�orologie).
+Il a �t� pr�vu un temps d'introduire une distinction entre les satellites d'une r�solution sup�rieure � 10 m�tres, dont l'exportation aurait �t� autoris�e par le D�partement du Commerce et les satellites d'une r�solution inf�rieure, qui auraient �t� gouvern�s par le D�partement d'Etat, mais cette mesure n'est jamais entr�e en vigueur.
+Concr�tement, il n'y a jamais encore eu de cas d'exportation de syst�mes de satellites d'observation clef en main, m�me de m�t�orologie. Les Emirats Arabes Unis avaient demand� � acheter un satellite d'observation � haute r�solution en 1992, c'est-�dire avant la PDD-23, mais la demande a �t� refus�e. Les exportations am�ricaines restent jusqu'� aujourd'hui limit�es aux satellites de t�l�communication 13.
+Apr�s consultation du D�partement d'Etat (Bureau of Political Military Affairs), du D�partement de la D�fense (assistant secretary for C3-I), du D�partement de l'int�rieur (charg� des questions d'environnement) et des agences de renseignement, le D�partement du Commerce (NOAA), attribue les autorisations d'op�ration et de vente d'imagerie par les entreprises am�ricaines.
+Il n'y a pas de changement envisag� pour l'instant sur ce type de proc�dures d'exportation. La Maison-Blanche a cependant mis en place un comit� de r�flexion sur l'observation spatiale et les implications de la commercialisation d'imagerie sur la s�curit� nationale. Les recommandations de ce groupe pourraient toucher aux questions d'exportation des satellites imageurs et de l'imagerie elle-m�me.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+LE CENTRE FRAN�AIS SUR LES �TATS-UNIS (CFE)
+Policy Paper du CFE
+Apr�s les scandales financiers de l'ann�e 2002 - Enron, WorldCom, etc. - les pouvoirs publics am�ricains et les diff�rents acteurs des march�s financiers ont mis en ?uvre un ensemble de mesures destin�es � restaurer la confiance des investisseurs. Le Sarbanes Oxley Act introduit des r�formes majeures dans les domaines de la comptabilit� et de la gouvernance des soci�t�s cot�es. Il est accompagn� par d'autres textes r�glementaires tout aussi importants, notamment dans le domaine des normes comptables. Ces nouvelles dispositions ont de multiples cons�quences pratiques dans le quotidien des entreprises am�ricaines, qui ont d� s'y adapter au fur et � mesure de leur entr�e en vigueur au cours des derniers mois. Leur efficacit�, c'est-�-dire leur contribution � un retour durable de la confiance, devra �tre appr�ci�e sur le long terme.
+Following the financial scandals of 2002 - Enron, WorldCom, etc. - US public authorities and various interested parties associated with the financial markets took a number of measures designed to restore investor confidence. The Sarbanes-Oxley Act introduced major accounting and governance reforms for listed companies. In addition to this Act, several other regulatory texts have been introduced, particularly in the area of accounting norms. These new measures have many practical implications for the daily running of US companies, which have had to adapt to the changes as they have been introduced over the past few months. The effectiveness, that is to say the impact that they have on restoring confidence, will have to be assessed over the long term.
+L'ann�e 2002 a �t� marqu�e par une s�rie de scandales financiers qui ont �branl� la confiance de l'investisseur am�ricain - autant dire du citoyen - dans l'int�grit� et la transparence des march�s financiers. L'encha�nement des faits, tout d'abord. La faillite d'Enron �tait d�clar�e en d�cembre 2001, celle de Global Crossing en janvier 2002. Pour son r�le dans l'affaire Enron, le cabinet d'audit Arthur Andersen �tait mis en examen en mars. En juin, Enron reconnaissait avoir vers� un total de 310 millions de dollars en esp�ces � ses dirigeants au cours de l'ann�e 2001 et WorldCom corrigeait ses comptes de 3,8 milliards de dollars. Le 21 juillet, la faillite de WorldCom �tait d�clar�e. Le 24, la Securities and Exchange Commission (SEC) portait plainte contre les dirigeants d'Adelphia, accus�s d'avoir dissimul� 2,3 milliards de dollars de dettes dans des soci�t�s non consolid�es. En ao�t, l'ancien Chief Executive Officer (CEO) de ImClone �tait mis en examen pour d�lit d'initi�. En septembre, c'�tait au tour du CEO et du Chief Financial Officer (CFO) de Tyco d'�tre mis en examen pour corruption : il leur �tait reproch� d'avoir d�tourn� 600 millions de dollars, dont 170 millions de pr�ts personnels accord�s par la soci�t�. Enfin le 5 novembre 2002, Harvey L. Pitt, pr�sident de la SEC et champion du laisser-faire r�glementaire, �tait contraint de d�missionner.
+Tous ces scandales se sont produits dans un contexte �conomique morose, tr�s diff�rent de l'euphorie des ann�es 1990 : la " bulle Internet " a �clat� ; les profits boursiers ne sont plus l� pour inciter les investisseurs � l'indulgence envers les dirigeants d'entreprises un peu trop d�sinvoltes avec les r�gles de l'�thique. La crise de confiance est profonde et risque de retarder le retour � la croissance. Pour tenter de la surmonter, l'Administration et le Congr�s am�ricains ne sont pas rest�s passifs : le Sarbanes-Oxley Act, sign� par le pr�sident George W. Bush le 30 juillet 2002, a introduit des r�formes majeures dans les domaines de la comptabilit� et de la gouvernance d'entreprise. Il constitue le plus important ensemble de mesures l�gislatives relatives au reporting financier et au contr�le interne depuis le Securities Act de 1933 et le Securities Exchange Act de 1934. De nombreuses dispositions ont suscit� l'int�r�t des m�dias et de l'opinion publique : � titre d'exemple, les directeurs g�n�raux (CEO) et les directeurs financiers (CFO) ont d�sormais l'obligation de certifier par �crit non seulement que l'information financi�re rendue publique par leur soci�t� est compl�te et exacte, mais encore qu'ils ont mis en oeuvre des contr�les et des proc�dures encadrant la publication de cette information.
+Cependant pour important qu'il soit, le Sarbanes-Oxley Act n'est pas la seule innovation affectant la gouvernance des entreprises am�ricaines. Tout un ensemble de textes ont �t� �labor�s et mis en application au cours des derniers mois, notamment par la SEC et le Financial Accounting Standards Board (FASB). Le Sarbanes-Oxley Act s'inscrit ainsi dans un mouvement plus vaste de r�forme des pratiques comptables des soci�t�s cot�es, qui vise � un retour � la rigueur apr�s l'exub�rance des ann�es 1990.
+Au-del� des multiples cons�quences pratiques de la loi dans le quotidien des entreprises, la gravit� de la crise m�rite que l'on s'attarde � �tudier le processus par lequel les m�dias, le monde politique et Corporate America y ont r�agi. Fallait-il faire confiance au jeu spontan� des m�canismes d'autor�gulation du march� ou choisir la voie du volontarisme l�gislatif et r�glementaire ? Les lignes qui suivent n'ont pas l'ambition de trancher ce d�bat th�orique ; leur objectif est plus modeste : rappeler le contexte des r�formes mises en oeuvre par le Sarbanes-Oxley Act, en d�crire le contenu ainsi que celui des autres changements intervenus au m�me moment, notamment dans le domaine des normes comptables et formuler quelques observations sur la mani�re dont les acteurs de l'�conomie am�ricaine s'adaptent � leur nouvel environnement.
+Aucun des acteurs traditionnels des march�s financiers n'a �t� �pargn� par les scandales de l'ann�e 2002. H�ros d�chus de la libre entreprise, les CEO occupent le premier rang au banc d'infamie. Le 24 juillet 2002, trois membres de la famille Rigas, dont John Rigas, le patriarche qui avait fond� le groupe de t�l�communications Adelphia en 1952, ont �t� arr�t�s. Ils sont accus�s de fraude financi�re massive et surtout d'avoir " pill� " Adelphia pour leur profit personnel. Kenneth Lay, le pr�sident du courtier en �nergie Enron, Jeffrey Skilling, le CEO, et Andrew Fastow, le CFO, sont rendus responsables de la disparition des milliers d'emplois du groupe et de celle, partielle ou totale, de l'�pargne des actionnaires. La presse s'est plu � d�tailler avec une pr�cision f�roce les avantages financiers consentis, au d�triment des actionnaires de la soci�t�, � Dennis Kozlowski, le CEO de Tyco : son appartement de New York � 18 millions de dollars, les 11 millions n�cessaires � sa d�coration et jusqu'� un rideau de douche au prix extravagant.
+Mais les " pirates de la nouvelle �conomie " ne sont pas les seuls coupables. Les complaisances du bureau d'Arthur Andersen � Houston, charg� d'auditer les comptes d'Enron, ont caus� la chute du cabinet tout entier. Ni le d�part des dirigeants compromis, ni le secours de Paul Volcker, l'ancien pr�sident de la Federal Reserve (Fed), n'ont pu sauver l'un des plus prestigieux cabinets internationaux d'audit et de conseil. C'est justement ce m�lange des genres entre deux fonctions tr�s diff�rentes, l'audit et le conseil, qui est en cause. Le cabinet est soup�onn� d'avoir continu� de certifier les comptes d'Enron pour ne pas perdre le flux de commissions g�n�r�es par les autres services rendus au groupe : en 2000, les services d'audit rendus par Arthur Andersen � Enron ont produit 25 millions de dollars de commissions, contre 27 millions pour les services " non-audit ". Cette situation est repr�sentative d'une �volution qui affecte l'ensemble de la profession : en 1988, 55 % des revenus des 5 grands cabinets provenaient des services comptables et d'audit et 22 % des services de conseil. En 1999, ces chiffres s'�levaient respectivement � 31 et 50 %.
+La branche conseil des cabinets d'audit n'est pas le seul prestataire de services � avoir fait preuve d'une trop grande cr�ativit�. Les banques d'investissement sont mises en cause elles aussi pour avoir vendu aux entreprises clientes des montages financiers toujours plus inventifs et toujours plus risqu�s. La presse n'a pas manqu� de montrer du doigt les millions de dollars de commissions gagn�s par Citigroup et JPMorgan pour leurs services d'ing�nierie financi�re aupr�s d'Enron.
+Une autre cat�gorie de professionnels des banques d'investissement est vivement prise � partie : les analystes. Ils conseillent les investisseurs en �mettant des recommandations - buy, sell ou neutral, par exemple - en conclusion des rapports de recherche publi�s sur les soci�t�s qu'ils suivent. Ils sont suppos�s agir en toute ind�pendance � l'�gard des soci�t�s en question. Or l'exp�rience des derniers mois a montr� que ce principe �tait loin d'�tre toujours respect�. Eliot Spitzer, Attorney General de New York, s'est illustr� dans le combat judiciaire pour revenir � des pratiques plus saines. Plusieurs banques d'affaires employant des analystes ont ainsi �t� condamn�es par les tribunaux. Le cas de Jack B. Grubman, en charge du secteur des t�l�communications chez Salomon Smith Barney, est repr�sentatif : il a maintenu sa recommandation en faveur de l'achat (buy) du titre WorldCom bien apr�s que le cours se fut effondr�. En septembre 2002, Salomon a d� payer une amende de 5 millions de dollars pour avoir publi� des rapports de recherche ayant induit en erreur les investisseurs. N�anmoins, J.B. Grubman a pu quitter Salomon dans des conditions financi�res tr�s avantageuses. Certains analystes, et parmi eux les stars de la profession, ont donc �mis des recommandations qui ont fait perdre beaucoup d'argent � leurs clients. D�s lors, leur comp�tence et leur honn�tet� sont devenues suspectes.
+Quant aux agences de notation, de nombreux observateurs estiment qu'elles n'ont gu�re fait preuve d'une plus grande lucidit� : Moody's et Standard and Poor's, qui constituent un quasi-duopole, et Fitch qui, aux Etats-Unis, d�tient une part de march� plus modeste, ont �t� accus�es d'avoir r�agi avec une extr�me lenteur � la d�gradation de la situation financi�re de certaines grandes soci�t�s, tout particuli�rement de celle d'Enron qui n'a �t� class�e below investment grade que le 28 novembre 2001, quatre jours avant que la faillite ne soit d�clar�e. Or leur intime connaissance de la r�alit� financi�re des entreprises not�es aurait d� leur permettre de mieux anticiper ces �v�nements.
+S'il n'est plus possible de se fier aux CEO, aux auditeurs, aux analystes, aux banquiers d'affaires, et jusqu'aux stars de la t�l�vision, alors � quel saint vouer le march� ? Jamais � cours d'imagination, l'Am�rique s'est d�couvert un nouvel intercesseur, le whistle-blower. A la fin 2002, Time Magazine a nomm� Sherron Watkins, Coleen Rowley et Cynthia Cooper " personnes de l'ann�e ". Les trois femmes ont �t� consacr�es whistle-blowers, celles qui ont " siffl� l'alarme ". Si Coleen Rowley est l'officier du bureau du Federal Bureau of Investigations (FBI) � Minneapolis qui a alert� sa hi�rarchie sur les activit�s de Zacarias Moussaoui avant les attentats du 11 septembre 2001, les deux autres se sont illustr�es dans le domaine de la libre entreprise. Sherron Watkins est cette vice-pr�sidente d'Enron qui, au cours de l'�t� 2001, a �crit au pr�sident Kenneth Lay pour l'avertir des pratiques comptables douteuses de son groupe. En juin, Cynthia Cooper a inform� le conseil d'administration de WorldCom des pertes de 3,8 milliards de dollars dissimul�es par la comptabilit� de la soci�t�. Selon Time Magazine, qui est all� jusqu'� comparer leur courage � celui des h�ro�ques pompiers de New York, S. Watkins et C. Cooper n'ont pas h�sit� � risquer leur carri�re au nom de l'int�grit� professionnelle.
+La crise de confiance est donc bien r�elle. Les premi�res victimes sont les salari�s des soci�t�s d�chues, licenci�s par milliers. Ils sont doublement touch�s car leurs fonds de pension sont affect�s par l'effondrement du cours des titres de leur ex-employeur. Mais l'onde de choc est ressentie par tous les propri�taires de ces titres, au premier rang desquels les banques cr�ditrices, dont le cours en bourse a accus� l'" effet Enron ". L'impact sur les march�s financiers est donc � la fois profond et durable.
+L'affaire Enron, dans tous ses d�veloppements, est une sorte d'anthologie des irr�gularit�s comptables que de trop nombreux acteurs des march�s financiers am�ricains ont accept�es avec complaisance au cours des derni�res ann�es. Financements non consolid�s alors qu'ils auraient d� l'�tre, conflits d'int�r�ts, profits gonfl�s artificiellement, violations des principes du code d'�thique, rien ne para�t manquer � la liste.
+C'est ainsi que les Special Purpose Entities (SPE), entit�s juridiques qui ne font pas partie du p�rim�tre de consolidation des soci�t�s, ont connu leur heure de gloire dans les m�dias. Enron en a utilis� une multitude dans le cadre de plusieurs op�rations douteuses. Il s'agissait le plus souvent de partnerships domicili�s dans des paradis fiscaux comme les �les Ca�mans. Andrew Fastow, le CFO d'Enron, en �tait le General Partner et en assurait la direction, ce qui lui permettait de percevoir � titre personnel d'importantes commissions. L'un de ces SPE, �tudi� en d�tail par le Subcommittee on Oversight and Investigations du Congr�s dans sa session du 14 mars 2002, donne une assez bonne id�e de leur fonctionnement.
+Enron avait investi dans une soci�t� d'Internet, Rythms, dont les titres avaient connu une progression spectaculaire, lui permettant de r�aliser une plus-value estim�e d�but 1999 � environ 300 millions de dollars. Les titres �tant reconnus en valeur de march� � l'actif du bilan d'Enron, ce profit �tait susceptible de dispara�tre si les cours de Rythms s'effondraient. En raison de restrictions r�glementaires, Enron n'�tait pas autoris� � vendre ses actions Rythms imm�diatement. Pour prot�ger ses gains, le groupe pouvait acheter une option de vente des titres (put) � un prix d'exercice �tabli pr�alablement. Or aucune contrepartie ind�pendante n'aurait �t� pr�te � garantir ainsi le cours d'actions extr�mement peu liquides, volatiles et par cons�quent extr�mement risqu�es. En juin 1999, un SPE fut donc cr�� sp�cialement � cet effet, sous le nom de LJM. LJM s'engagea � couvrir le risque des actions Rythms en vendant � Enron un put � cinq ans avec un prix d'exercice de 56 dollars par action. Pour pouvoir assumer ses engagements, LJM re�ut 3,4 millions d'actions Enron. Le montage n'�tait pas viable �conomiquement, car, si les cours de Rythms et d'Enron chutaient simultan�ment, le SPE risquait de se trouver dans l'incapacit� de faire face � ses engagements au titre du put. Cela revenait, pour Enron, � se garantir lui-m�me. Pourtant le cabinet Arthur Andersen, auditeur d'Enron, accepta le sch�ma qui lui fut pr�sent� par Fastow. Le conseil d'administration, consult� lui aussi en juin 1999, leva les dispositions du code d'�thique qui interdisaient � Fastow d'agir en tant que General Partner de LJM. Enron put ainsi gonfler artificiellement ses profits de l'ann�e 1999.
+Mais l'utilisation syst�matique des SPE ne s'arr�ta pas l�. Enron s'en servit aussi pour dissimuler l'ampleur de son endettement. Comme de nombreuses soci�t�s du secteur de l'�nergie, Enron �tait autoris� � reconna�tre des revenus futurs d�riv�s de contrats " pr�pay�s " dans lesquels l'acheteur paye d'avance des marchandises - p�trole, gaz ou �lectricit� - qui lui seront livr�es � une date ult�rieure, parfois sur plusieurs ann�es. Bien que l�gale dans le cadre des contrats de fourniture d'�nergie, cette pratique fut utilis�e agressivement dans plusieurs autres domaines.
+Des actifs d'Enron furent ainsi vendus � des SPE contr�l�es par Fastow, autorisant le groupe � reconna�tre un profit imm�diat. Bien entendu, l'endettement contract� par ces SPE dans le cadre de ces arrangements n'apparaissait pas dans les comptes consolid�s du groupe. Ce montage a permis � Enron de gonfler artificiellement ses profits et de dissimuler une part importante de ses dettes : pour l'ann�e 2000, les profits op�rationnels r�els �taient inf�rieurs de 50 % au montant d�clar� dans ses �tats financiers, et l'endettement total r�el, sup�rieur de 40 %.
+Un tel �cart entre l'image comptable et la r�alit� �conomique ne laissait pas tout le monde indiff�rent. Dans un m�mo dat� du mois d'ao�t 2001, Sherron Watkins, vice-pr�sident au sein de la direction financi�re d'Enron, informa le pr�sident Kenneth Lay du risque d'implosion pr�sent� par l'�chafaudage de plus en plus fragile des SPE. Le cabinet d'avocats Vinson & Elkins fut charg� d'enqu�ter sur la base de ces all�gations. S. Watkins s'opposa � cette s�lection, car le cabinet avait �t� retenu comme conseil juridique dans le montage d'un certain nombre de SPE. Lay passa outre � cette objection. Le rapport pr�liminaire publi� par Vinson & Enkins le 21 septembre s'abstint de porter un jugement sur les pratiques comptables de Fastow. La lettre de S. Watkins ne produisit donc aucun r�sultat concret - sinon d'attirer sur elle l'attention de ses sup�rieurs hi�rarchiques, qui envisag�rent de la licencier et demand�rent m�me � ce sujet l'avis de... Vinson & Elkins. Elle fut finalement mut�e dans un autre service. Son t�moignage devant un comit� du Congr�s, quelques mois plus tard, lui valut l'admiration des m�dias et la satisfaction, sans doute am�re, de voir sa lucidit� et son courage reconnus par certains de ses anciens coll�gues.
+Mises en lumi�re dans leurs moindres d�tails lors des auditions du Congr�s, les pratiques qui avaient cours au sein de la direction financi�re d'Enron �taient contraires � l'orthodoxie comptable � plusieurs titres. En utilisant des entit�s hors bilan, le groupe a r�alis� des profits fictifs. L'endettement et les engagements contract�s � travers ces entit�s n'ont pas �t� report�s dans les �tats financiers consolid�s. En cons�quence, les informations financi�res publi�es � destination des march�s financiers �taient loin de donner une " image fid�le " de la situation financi�re r�elle du groupe.
+La chute d'Enron a suscit� une r�flexion de fond sur le danger d'�chec syst�mique des m�canismes d'autor�gulation des diff�rentes cat�gories d'intervenants, dirigeants, membres du conseil d'administration, auditeurs, comptables, juristes, banquiers. Elle a aussi mis en lumi�re les dysfonctionnements du contr�le interne, en particulier les rapports de force qui r�duisent les whistle-blowers au silence. Si les dirigeants de WorldCom ou d'Adelphia n'ont pas eu l'imagination cr�atrice de ceux d'Enron, les autres scandales de l'ann�e 2002, par leur nombre et leur ampleur, ont pu donner le sentiment que la r�putation de transparence des march�s financiers am�ricains �tait, sinon usurp�e, du moins tr�s exag�r�e.
+Dans ce contexte, le Congr�s a �prouv� la n�cessit� d'agir pour restaurer la confiance. La loi sign�e par le pr�sident en juillet 2002 - officiellement Corporate and Auditing Accountability, Responsibility and Transparency Act - est connue sous le nom de ses deux promoteurs au Congr�s. Paul S. Sarbanes, s�nateur d�mocrate du Maryland depuis 1977, est aujourd'hui Ranking Member - c'est-�-dire le plus Senior des membres issus de la minorit� d�mocrate - du comit� charg� des affaires bancaires, le Senate Banking, Housing and Urban Affairs Committee. Au moment de la signature de la loi qui porte son nom, avant que les �lections de novembre 2002 ne renversent la majorit�, il en �tait le pr�sident. Michael G. Oxley, repr�sentant r�publicain de l'Ohio depuis 1981, pr�side quant � lui le comit� de la Chambre des repr�sentants sur les services financiers, le House Committee on Financial Services.
+La loi, pr�par�e sous le patronage de deux v�t�rans du Congr�s, un d�mocrate et un r�publicain, b�n�ficie donc en apparence d'un large support bipartisan, dans la grande tradition parlementaire am�ricaine. Son �laboration, pourtant, ne s'est pas faite dans l'unanimit�, et des consid�rations de politique conjoncturelle ne sont pas �trang�res � son adoption au cours de l'�t�.
+Si Enron avait sensibilis� certains membres du Congr�s � la n�cessit� d'agir pour restaurer la confiance, ce fut sans doute WorldCom, quelques mois plus tard, qui fit pencher la balance du c�t� des partisans de la r�forme. Un premier projet de loi pr�sent� par Michael Oxley avait �t� vot� par la Chambre des repr�sentants le 24 avril 2002. Cependant le texte final reprend essentiellement les dispositions, plus restrictives, d'un document pr�sent� d�but avril par le s�nateur Sarbanes devant le Senate Banking, Housing and Urban Affairs Committee. Les d�bats du Congr�s se sont �tendus sur plusieurs semaines. Le comit� du S�nat y a consacr� une dizaine de sessions, recevant les contributions de nombreux experts : l'ancien pr�sident de la Fed, Paul Volcker, d'anciens et actuel pr�sidents de la SEC, d'universitaires, repr�sentants des cabinets d'audit et des grandes soci�t�s am�ricaines.
+Le projet de loi a �t� adopt� s�par�ment par les deux chambres du Congr�s en juillet. Dans un discours prononc� au S�nat le 8, Paul Sarbanes en �non�ait les objectifs : " Cette l�gislation est con�ue pour traiter les faiblesses syst�miques et structurelles qui, je pense, ont �t� mises en lumi�re au cours des derniers mois et qui montrent un �chec de l'audit et un effondrement du sens des responsabilit�s des entreprises et des banques d'affaires. " La loi fut sign�e par le pr�sident le 30 juillet. L'ex�cutif r�publicain avait d'abord regard� avec m�fiance l'initiative des parlementaires. La conversion tardive de l'administration est bien le signe qu'une action publique �tait devenue indispensable pour r�tablir la confiance dans le bon fonctionnement des march�s financiers. Le discours du pr�sident le 9 juillet � Wall Street, avec ses admonestations moralisatrices et ses menaces de prison pour les dirigeants d�linquants, avait d��u. La presse avait � nouveau �voqu� les conditions dans lesquelles, bien avant son arriv�e � la Maison-Blanche, George W. Bush avait vendu les actions de la soci�t� Harken Energy juste avant l'effondrement de leur cours. Le paraphe appos� au bas du Sarbanes-Oxley Act venait donc opportun�ment rappeler � l'investisseur-�lecteur que le pr�sident n'�tait pas indiff�rent � ses malheurs boursiers.
+Dans son discours prononc� � l'occasion de la c�r�monie de signature, le pr�sident insistait sur la n�cessit� d'un retour � la morale, dans le style qui est le sien : " Faire prendre des risques � un investisseur en le trompant, cela s'appelle du vol. Les dirigeants des entreprises doivent comprendre le scepticisme �prouv� par les Am�ricains et prendre des mesures pour d�finir des crit�res clairs du bien et du mal. Ceux qui enfreignent les r�gles salissent un grand syst�me �conomique qui offre des opportunit�s � tous. " Il poursuivait en mettant l'accent sur les aspects r�pressifs de la loi : " Plus d'argent facile pour les criminels d'entreprise, mais des temps difficiles. "
+Une fois la loi sign�e, certaines de ses provisions sont entr�es en application imm�diatement, d'autres � la fin du mois d'ao�t. La mise en oeuvre des derni�res a �t� confi�e � la SEC, qui a re�u mission de les traduire en une s�rie de textes r�glementaires � publier au cours des mois suivants. L'activit� l�gislative a continu� dans des domaines plus sp�cifiques. Michael Oxley a ainsi r�cemment demand� au General Accounting Office (GAO) de pr�parer un rapport sur les commissions des fonds mutuels (mutual fund fees). L'objectif est notamment d'�tudier la transparence de ces commissions, les conditions dans lesquelles les ordres de bourse sont dirig�s de mani�re pr�f�rentielle sur certains courtiers, etc. Dans un discours prononc� le 15 janvier, ce dernier pla�ait sa proposition dans la ligne trac�e par la loi qui porte son nom : " Il s'agit d'un effort de bon sens pour restaurer la confiance des investisseurs, dans l'esprit des r�formes mises en oeuvre par le Sarbanes-Oxley Act de l'ann�e derni�re. " Bien que cette proposition du repr�sentant Oxley ne soit pas d'une ampleur comparable � celle de la loi sign�e durant l'�t� 2002, elle t�moigne du souci des l�gislateurs am�ricains de poursuivre leur action dans le domaine de la r�glementation financi�re.
+Mais le d�bat politique n'a pas pris fin le jour de la signature de la loi. Les d�mocrates exigeaient depuis longtemps le d�part du pr�sident de la SEC, Harvey Pitt. Le 25 octobre, la Commission annon�ait la composition du Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB), organe de surveillance des cabinets d'audit institu� par la loi. Ses cinq membres �taient pr�sent�s comme des mod�les de comp�tence et d'int�grit�. Le juge William H. Webster, Partner du cabinet d'avocats Milbank Tweed, ancien directeur du FBI et de la Central Intelligence Agency (CIA), expert souvent appel� � participer ou � diriger des missions d'enqu�te sur des sujets sensibles, devait en �tre le premier pr�sident. La presse r�v�la bient�t que Webster avait si�g� au comit� d'audit de US Technologies, une soci�t� accus�e d'avoir pr�sent� des informations financi�res incorrectes. Comment lui faire confiance pour diriger le conseil charg� de r�former et de surveiller la profession comptable ? Webster dut d�missionner. En novembre, George W. Bush saisit l'opportunit� pr�sent�e par la victoire r�publicaine aux �lections de mi-mandat pour remplacer Harvey Pitt, d�missionnaire le 5 novembre, par William H. Donaldson, dans le cadre d'un vaste mouvement de changements aux postes �conomiques et financiers les plus �lev�s de l'administration. Depuis son entr�e en fonction, le nouveau pr�sident de la SEC a proclam� � plusieurs reprises sa volont� de restaurer la confiance des investisseurs, et ses d�clarations semblent prises au s�rieux par la presse. Son premier succ�s a �t� de convaincre le tr�s respect� William J. McDonough, pr�sident de la New York Federal Reserve, d'accepter de diriger le PCAOB. Annonc�e en avril, cette nomination devait devenir effective � la mi-juin.
+La l�gislation am�ricaine sur les soci�t�s cot�es en bourse n'est pas r�cente. La cr�ation de la SEC en 1934 r�pondait � un souci analogue de restaurer la confiance des investisseurs, �branl�e par la crise boursi�re de 1929. Le Securities Act de 1933, le Securities Exchange Act de 1934, le Trust Indenture Act de 1939 et l'Investment Company Act de 1940 datent de l'Administration Roosevelt. Le Securities Act, en particulier, pr�cise que les informations diffus�es lors d'une �mission de titres, notamment les �tats financiers de la soci�t� �mettrice, ne doivent �tre ni frauduleuses ni trompeuses.
+Le Sarbanes-Oxley Act s'inscrit donc dans une tradition ancienne. Il vise � r�former en profondeur la gouvernance des entreprises en instituant un organe de surveillance des soci�t�s d'audit, en renfor�ant l'ind�pendance des auditeurs, en les rendant plus responsables, et en am�liorant la qualit� de l'information financi�re mise � la disposition du public.
+La loi �tablit tout d'abord le PCAOB, dont les cinq membres sont nomm�s par la SEC, en consultation avec le pr�sident de la Fed et le secr�taire au Tr�sor. Deux de ses membres doivent �tre des experts comptables certifi�s (Certified Public Accountants ou CPA). Pour garantir leur ind�pendance, la loi stipule qu'ils ne doivent recevoir aucune r�mun�ration en provenance d'une soci�t� d'audit. Les cinq membres du PCAOB devaient �tre nomm�s par la SEC avant le 28 octobre 2002.
+Charg� de superviser les auditeurs des soci�t�s cot�es, le PCAOB exerce son autorit� dans plusieurs domaines :
+Mais le Sarbanes-Oxley Act ne se contente pas d'instituer un organe de surveillance � l'�chelle de la profession. Il s'attache aussi � r�former le fonctionnement interne des soci�t�s cot�es en bourse, en modifiant la composition et le fonctionnement de leurs comit�s d'audit. Ces comit�s doivent �tre compos�s de Directors ne recevant aucune r�mun�ration en provenance de soci�t�s d'audit ; trois au moins de ces Directors doivent �tre ind�pendants ; un au moins doit �tre un Financial Expert, notion que la SEC �tait charg�e de d�finir.
+Le r�le des comit�s consiste d�sormais � superviser le travail effectu� par les cabinets d'audit, � �tablir des proc�dures pour instruire les plaintes relatives au contr�le interne de la soci�t� et � r�soudre les conflits �ventuels entre les auditeurs et le management de la soci�t�.
+La loi interdit aux cabinets qui auditent les comptes d'un �metteur de fournir, en m�me temps, des services d'une autre nature. Ces services prohib�s incluent notamment la tenue des comptes de la soci�t�, le management ou la gestion de ses ressources humaines, les services de courtage, de conseil en investissement ou d'investment banking, les services d'�valuation, le conseil en syst�mes d'information. Les autres types de services, s'ils ne sont pas prohib�s a priori, doivent n�anmoins �tre approuv�s par le comit�.
+Innovation qui a eu un grand �cho m�diatique, le CEO et le CFO des soci�t�s cot�es doivent d�sormais certifier par �crit, en y apposant leur signature, les rapports annuels et trimestriels. Plus pr�cis�ment, ils doivent certifier non seulement l'exactitude des �tats financiers et de l'information financi�re publi�s par leur soci�t�, mais encore que les proc�dures de reporting et les contr�les internes ont �t� d�finis et sont mis en place, et que toute information financi�re mat�rielle est bien port�e � leur connaissance. Enfin ils doivent identifier, le cas �ch�ant, les faiblesses mat�rielles de ce reporting. En cas de violation de ces obligations, les peines pr�vues par la loi sont lourdes : 1 million de dollars et 10 ans d'emprisonnement en cas de violation consciente (knowingly) de ces obligations, 5 millions de dollars et 20 ans en cas de violation volontaire (willfully). Ces dispositions sont entr�es en vigueur imm�diatement.
+Elle aussi d'application imm�diate, une des dispositions de la loi stipule que les proc�dures d'instruction des plaintes relatives au contr�le interne doivent garantir l'anonymat des salari�s qui portent � la connaissance du comit� d'audit d'�ventuelles irr�gularit�s comptables. Par ailleurs, elle institue des peines tr�s lourdes pour quiconque exercerait volontairement des repr�sailles, un licenciement par exemple, � l'encontre d'un salari� ayant communiqu� des informations � la justice. Ces dispositions visent � prot�ger les whistle-blowers dont le r�le s'est av�r� si important dans les affaires Enron et WorldCom.
+L'activit� boursi�re des membres du conseil d'administration et des dirigeants des soci�t�s cot�es est strictement encadr�e. Ceux-ci voient leur capacit� d'�mettre des ordres en bourse restreinte lors des p�riodes de blackout pour les fonds de pension et doivent d�clarer, dans leurs rapports annuels et trimestriels, s'ils ont adopt� un code d'�thique pour certaines cat�gories d'employ�s, notamment les principaux cadres de leur direction financi�re, et, le cas �ch�ant, expliquer pourquoi ils ne l'ont pas fait. Si une soci�t� �mettrice est amen�e � corriger ses �tats financiers � la suite d'une violation mat�rielle, le CEO et le CFO doivent rembourser personnellement les r�mun�rations et profits per�us au cours de la p�riode de 12 mois qui suit l'�mission ou la publication du document non conforme.
+Dans le domaine de la comptabilit�, les rapports annuels des soci�t�s doivent d�clarer toutes les op�rations hors bilan d'importance significative, ainsi que les relations avec des entit�s non consolid�es qui pourraient � l'avenir avoir un impact financier mat�riel. Ils doivent aussi inclure un rapport sur le contr�le interne.
+La loi inclut d'autres dispositions, notamment dans les domaines suivants :
+Avec quelques adaptations mineures, la loi s'applique bien s�r aux soci�t�s �trang�res dont les titres sont cot�s sur les march�s am�ricains.
+De nombreuses dispositions de la loi donnaient instruction � la SEC d'�mettre de nouvelles r�glementations. Ces instructions �taient assorties de dates limites. La SEC avait ainsi quelques mois pour adopter des r�gles d�finitives au sujet des comit�s d'audit (avant le 26 avril 2003), au sujet des autorisations relatives aux services de conseil rendus par les soci�t�s d'audit (avant le 26 janvier 2003), et pour d�finir la notion d'" expert financier " au sein des comit�s d'audit (avant le 26 janvier 2003). Dans l'ensemble, ce calendrier a �t� respect�. A la fin du premier trimestre de l'ann�e 2003, la plupart des dispositions du Sarbanes-Oxley Act sont entr�es en vigueur, � cette r�serve pr�s que certaines nouvelles obligations d�claratives, notamment celles qui portent sur les entit�s hors bilan, concernent l'exercice se terminant le 15 juin et ne seront donc " visibles " dans les �tats financiers des entreprises qu'apr�s cette date.
+La notion d'" expert financier " au sein des comit�s d'audit avait suscit� beaucoup de commentaires lors du vote de la loi. Sa d�finition a �t� formul�e dans un texte adopt� par la SEC le 15 janvier 2003 : l'" expert financier " doit �tre capable de comprendre le r�le des comit�s d'audit, les proc�dures du contr�le interne et de reporting, les �tats financiers et les principes comptables ; il doit pouvoir porter un jugement sur l'application de ces derniers et avoir une exp�rience pr�alable dans le domaine de la pr�paration, de l'audit ou de l'analyse des �tats financiers. La SEC va jusqu'� pr�ciser les conditions dans lesquelles cette exp�rience doit avoir �t� acquise - le fait d'avoir si�g� dans un comit� d'audit par le pass� ne constitue pas n�cessairement une exp�rience suffisante pour y demeurer en tant qu'" expert ".
+Alors que la SEC d�clinait les dispositions g�n�rales du Sarbanes-Oxley Act dans une s�rie de textes d'application, un domaine laiss� de c�t� par la loi faisait l'objet d'une r�forme profonde dont l'origine peut �tre attribu�e � l'" effet Enron " : les normes comptables. La comptabilit� des soci�t�s am�ricaines est r�gie par un ensemble de normes connues sous le nom de US GAAP, les United States Generally Accepted Accounting Principles. Les US GAAP sont du ressort exclusif du FASB, un organisme rattach� � la SEC depuis sa cr�ation en 1973. Sa mission est de d�finir des standards de comptabilit� et de reporting financier dans l'int�r�t de l'ensemble des utilisateurs de l'information financi�re, investisseurs et cr�diteurs. Le FASB est en principe ind�pendant, mais il est parfois accus� de ne pas �tre insensible aux pressions politiques, ainsi lorsqu'il s'est abstenu, dans les ann�es 1990, d'�dicter de nouvelles r�gles, plus contraignantes, au sujet des stock-options. La critique la plus fr�quemment adress�e au FASB est d'�tre trop lent � s'adapter au changement et de publier des normes beaucoup trop complexes.
+Au fur et � mesure que les m�canismes de la " comptabilit� cr�ative " d'Enron �taient d�voil�s dans la presse et port�s � la connaissance du public, le FASB a d� prendre conscience de la n�cessit� de r�former les normes s'appliquant aux financements hors bilan et aux SPE. Aux Etats-Unis, le r�gime g�n�ral de consolidation est d�fini par un texte datant de 1959, ARB 51. Ce texte applique le principe selon lequel le contr�le d'une entit� est exerc� par le d�tenteur d'une majorit� des actions assorties d'un droit de vote : si une filiale est d�tenue � plus de 50 % par sa maison-m�re, elle doit donc �tre consolid�e sur le bilan de cette derni�re. Des textes plus r�cents �taient venus pr�ciser cette r�gle g�n�rale. Ils instauraient une exception pour une cat�gorie sp�cifique, les Qualifying Special Purpose Entities (QSPE). Ces QSPE �taient d�finies comme des entit�s dont le contr�le n'�tait pas assur� par un vote de la majorit� des propri�taires des fonds propres. Le contr�le de la QSPE pouvait �tre exerc� par un ou plusieurs sponsors lui apportant un support financier. C'�tait � l'apporteur du plus grand support, principal b�n�ficiaire de la QSPE, de consolider ce dernier sur son bilan. A contrario, pour que le sponsor ne consolide pas la QSPE, il lui fallait d�montrer qu'il n'en �tait pas le principal b�n�ficiaire et n'en exer�ait pas le contr�le. Concr�tement, au-dessus d'un seuil minimum de 3 % de fonds propres, les QSPE ne devaient pas �tre consolid�es sur le bilan du sponsor. Le minimum de 3 % �tait suppos� suffisant pour assurer l'ind�pendance financi�re, pr�sente et future, de l'entit�. Or ces normes comptables se sont av�r�es inefficaces pour emp�cher Enron de recourir massivement aux SPE et dissimuler ainsi, dans des entit�s hors bilan, une part importante de son endettement. Une r�forme de leur statut a donc paru n�cessaire.
+Mais, en s'attaquant au statut des QSPE, le FASB risquait de faire plusieurs victimes collat�rales. De nombreuses entit�s sont en effet structur�es comme des QSPE de mani�re parfaitement l�gitime. C'est en particulier le cas des v�hicules de titrisation qui, aux Etats-Unis, jouent un r�le essentiel dans le financement des entreprises industrielles et des institutions financi�res. Une entreprise peut ainsi vendre � un conduit de papier commercial (Asset Backed Commercial Paper Conduit, ABCP Conduit) cr�� sp�cialement � cet effet tout ou partie de son poste de cr�ances commerciales existantes et futures. Ce conduit se finance � court terme sur le march� du papier commercial, � un co�t beaucoup moins �lev� que celui d'un cr�dit bancaire classique. Dans la plupart des cas, une banque assure la gestion de ces conduits, qui ne sont pas autonomes dans leurs d�cisions. L'entreprise c�dante r�duit ainsi la taille de son bilan et s'assure d'une source de financement � bon march�. La banque sponsor conserve son r�le d'analyse et de d�cision dans le processus de cr�dit, mais le financement n'appara�t pas sur son bilan.
+Les conduits ne sont pas les seuls v�hicules de titrisation qui ont pu se d�velopper en s'accommodant des contraintes du r�gime des QSPE. La plupart des Collateralized Debt Obligations (CDO), qui sont des v�hicules d'investissement ind�pendants jouant un r�le majeur sur le march� des pr�ts bancaires, ont des fonds propres sup�rieurs � 3 %. Leur sponsor d�tient souvent moins de 50 % de ces fonds propres et la gestion en est assur�e par une soci�t� de services sp�cialis�e, filiale du sponsor, dont les droits sont strictement limit�s d�s lors qu'il s'agit de prendre des d�cisions d�terminantes pour la vie de la CDO.
+L'impact de normes comptables trop restrictives risque donc d'�tre s�v�re sur des march�s organis�s pr�cis�ment pour assurer un financement d�consolid� � leurs intervenants. Les premi�res propositions, �mises par le FASB fin juin 2002, ont suscit� un vif d�bat dans les milieux professionnels concern�s, qui avaient jusqu'au 30 ao�t pour formuler leur r�ponse. De nombreux acteurs, juristes, banquiers, analystes des agences de notation notamment, �voquant le risque d'une disparition pure et simple de pans entiers du march� de la titrisation, ont accus� le FASB de r�agir maladroitement aux pressions du Congr�s soucieux de rassurer � tout prix les investisseurs.
+Le texte final, publi� le 17 janvier 2003, est connu sous le nom de FIN 46 (FASB Interpretation Number 46). Il tient compte, en partie, des d�bats qui ont suivi la publication du projet initial. FIN 46 abandonne la notion de QSPE. Il d�finit un nouveau type d'entit�, les Variable Interest Entities (VIE) et pr�cise dans quelles conditions ils doivent �tre consolid�s. Il s'agit tout d'abord de savoir si une entit� est bien une VIE, et ensuite d'identifier son principal b�n�ficiaire, qui devra le consolider sur son bilan.
+Si une entit� pr�sente l'un des crit�res suivants, alors elle entre dans la cat�gorie des VIE :
+Une fois qu'il a �t� �tabli qu'une entit� est une VIE, par opposition � une Voting Interest Entity toujours r�gie par la r�gle des 50 %, son b�n�ficiaire principal doit �tre identifi�. Il s'agit de l'entit� qui absorbe la majorit� des pertes anticip�es et re�oit une majorit� des profits r�siduels. C'est � elle de consolider la VIE sur son bilan.
+Le texte �num�re un certain nombre d'exceptions aux r�gles g�n�rales, et surtout assortit le seuil minimum de 10 % de fonds propres d'une pr�cision tr�s importante : s'il est d�montr�, au moyen d'un mod�le quantitatif, que le pourcentage de fonds propres est sup�rieur au montant anticip� des pertes futures (expected loss), l'entit� n'est pas une VIE mais une Voting Interest Entity qui sera consolid�e sur le bilan du d�tenteur de la majorit� de ces fonds propres. Cette exception tient compte des arguments avanc�s par les professionnels de la titrisation lors de la phase de consultation qui a suivi la publication du projet initial du FASB. Le passif du bilan de certains v�hicules de titrisation, notamment celui de la plupart des CDO, est en effet structur� de mani�re � ce que le pourcentage de fonds propres, g�n�ralement inf�rieur � 10 %, soit n�anmoins sup�rieur � la perte anticip�e, calcul�e sur la base des caract�ristiques de l'actif en termes de risque de cr�dit, de maturit�, de rentabilit� et de diversification. Il est donc raisonnable de penser que beaucoup de CDO ne seront pas qualifi�es de VIE et n'auront pas � �tre consolid�es.
+Paradoxalement, l'impact des nouvelles normes comptables, dont les ambitions sont plus modestes que celles de la grande r�forme de la gouvernance d'entreprise vot�e par le Congr�s, se r�v�le beaucoup plus direct. L'application de FIN 46 a �t� imm�diate pour les VIE cr��es apr�s le 31 janvier 2003. Pour celles dont la cr�ation est ant�rieure, les nouvelles r�gles sont entr�es en vigueur � partir du 15 juin 2003. Les diff�rentes parties concern�es en sont donc encore au stade de l'analyse et de l'interpr�tation. A court terme, les conduits de papier commercial sont les plus touch�s. La reconsolidation de leurs encours aurait un impact consid�rable sur la taille du bilan et les ratios financiers des banques am�ricaines sponsors de ces conduits. Les montants en jeu sont en effet �normes : le march� des conduits de papier commercial approche 700 milliards de dollars d'encours totaux, et les premi�res banques am�ricaines actives dans ce domaine (Citigroup, Bank of America, Bank One) pourraient avoir � reconsolider chacune plusieurs dizaines de milliards de dollars d'encours de papier commercial. A ce stade, les banques n'ont pas encore arr�t� une position d�finitive et poursuivent leurs discussions avec le FASB et les cabinets d'audit. Mais ce climat d'incertitude s'est d�j� traduit par un ralentissement significatif de l'activit�. Comme ces conduits sont de gros acheteurs de titres obligataires �mis par les CDO, la demande pour ce type de papier en est affect�e � son tour. Les banques �trang�res, europ�ennes notamment, qui ne sont pas soumises � FIN 46, b�n�ficient ainsi d'un avantage comparatif non n�gligeable. Il y a l�, du point de vue des institutions financi�res am�ricaines, un effet pervers dont les cons�quences � moyen terme restent � mesurer.
+L'effet du Sarbanes-Oxley Act est sans doute � la fois plus profond et moins visible � court terme. Certes les entreprises am�ricaines ont d� imm�diatement se mettre en conformit� avec leurs nouvelles obligations. Elles ont r�agi en cr�ant rapidement des comit�s d'audit qualifi�s et ind�pendants, en instituant un reporting imm�diat des ordres de bourse pass�s par les membres de leur conseil d'administration et par certaines cat�gories de salari�s, en �tablissant et en documentant des proc�dures de contr�le interne, et en permettant l'audit des ces proc�dures. Dans un article paru le 17 mars 2003, BusinessWeek a tent� de faire le point sur les cons�quences du nouvel environnement juridique pour les directeurs financiers des grandes entreprises am�ricaines. Le magazine insiste sur la consid�rable charge de travail suppl�mentaire repr�sent�e par leurs nouvelles obligations d�claratives et sur les cons�quences financi�res s�v�res auxquelles ils sont d�sormais expos�s � titre personnel. Selon une enqu�te d'opinion commandit�e par le magazine et r�alis�e aupr�s de 214 CFO et de 75 CEO choisis parmi les dirigeants des 1 500 soci�t�s cot�es suivies par Standard & Poor's, " 91 % des CFO pensent que leur travail est en train de devenir plus difficile et 62 % d�clarent travailler plus longtemps. Cependant, ils sont peu nombreux � vouloir d�missionner, peut-�tre parce que leur position dans l'entreprise s'am�liore. Plus d'un tiers, 36 %, disent qu'ils sont d�sormais davantage sur un pied d'�galit� avec le CEO, tandis que seulement 28 % disent qu'ils en sont encore loin. " Le fait que les CFO aient � s'engager par �crit renforce leur poids politique dans l'entreprise ; l'argument " c'est moi qui signe Sarbanes-Oxley " leur permet de surmonter bien des objections dans les discussions strat�giques. Leurs relations avec le comit� d'audit devraient devenir plus �troites et leurs �changes plus rigoureux que par le pass�. Pour les CFO qui parviendront � passer le test, la r�forme pourrait bien finir par appara�tre comme une �tape d�terminante dans la progression de leur carri�re. De leur point de vue, le tableau est donc loin d'�tre enti�rement n�gatif, m�me si " pr�s d'un tiers des CFO ne pensent pas que les nouvelles r�gles �tablies par le Sarbanes-Oxley Act ou impos�es par la SEC rendent un autre Enron moins probable ".
+Mais CFO et membres des directions financi�res ne sont pas les seules cat�gories d'employ�s des soci�t�s cot�es auxquelles la loi a impos� des responsabilit�s suppl�mentaires. Les juristes eux aussi sont concern�s, en particulier par les dispositions relatives � la protection des whistle-blowers. Dans son �dition de mars 2003, le Journal of the American Corporate Counsel Association (ACCA) illustre par une petite histoire les nouvelles obligations du juriste d'entreprise : " Vous vous asseyez pour siroter votre caf� du matin, et le t�l�phone sonne. A l'autre bout de la ligne, un employ� vous informe qu'il croit que la soci�t� a surestim� ses profits et que ses rapports � la SEC �taient incorrects. Vous enqu�tez sur ces all�gations et d�couvrez qu'elles sont peut-�tre vraies. Le lendemain matin, le manager de l'employ� vous appelle en demandant l'autorisation de le licencier pour des "probl�mes de performance". On dirait que vous n'�tes pas le seul � qui il a parl�. Et maintenant, que faire ? " L'ACCA recommande � ses lecteurs de sensibiliser leur entreprise � l'importance d'un bon programme de compliance interne, d'adapter le code d'�thique et les d�finitions de fonction des managers, d'�tablir des proc�dures d'investigation, de mettre en place un programme de formation au sujet des nouvelles dispositions de la loi et enfin de documenter par �crit les " probl�mes de performance " invoqu�s par un manager pour licencier l'un de ses collaborateurs, afin que ce dernier ne puisse pas se pr�valoir ind�ment de la protection accord�e aux whistle-blowers. Quant � ces derniers, ils se plaignent souvent de ne pas b�n�ficier d'une protection suffisante, m�me depuis l'entr�e en vigueur du Sarbanes-Oxley Act, et d'�tre toujours soumis � l'arbitraire de leur hi�rarchie.
+L'exemple des CFO et des juristes montre que les entreprises am�ricaines ne font que commencer � s'adapter � leur nouvel environnement juridique et r�glementaire. Il faudra du temps pour que le comportement quotidien de Corporate America soit modifi� de mani�re perceptible. Aux yeux de nombreux observateurs, les r�ticences sont bien r�elles. S'ils reconnaissent les progr�s accomplis au cours des derniers mois, ils demeurent sceptiques sur la volont� des entreprises am�ricaines de jouer le jeu de la transparence. Pourtant des associations professionnelles ont pris des initiatives qui vont dans la direction souhait�e par les partisans de la r�forme. Ainsi l'Association of Investment Management Research (AIMR), qui rassemble de nombreux analystes financiers, travaille depuis longtemps sur ces sujets, en concertation avec la SEC notamment. Dans le domaine de la formation universitaire des futurs acteurs de la vie �conomique, un " cas Enron " figure au programme de plusieurs dipl�mes " MBA ", qui comportent d'ailleurs souvent des cours d'�thique.
+La contribution des universit�s et des centres de recherche ne se limite pas � sensibiliser les futurs CEO et CFO � leurs nouvelles responsabilit�s. Les acteurs du monde acad�mique jouent un r�le important dans l'�volution d'un paysage juridique, r�glementaire et comptable qui demeure extr�mement mouvant. Certains se d�clarent satisfaits de la nouvelle loi et font confiance aux m�canismes d'autor�gulation des march�s pour s'ajuster spontan�ment et restaurer la confiance des investisseurs. D'autres la trouvent trop timide et r�clament des mesures plus contraignantes, comme par exemple une prohibition absolue, pour un cabinet, d'exercer les fonctions d'audit et de conseil aupr�s d'une m�me entreprise, ou la rotation syst�matique des cabinets d'audit. Sur ces deux derniers points, Robert Litan, responsable des �tudes �conomiques de la Brookings Institution, souligne que c'est avant tout l'ind�pendance des cabinets d'audit � l'�gard du management de la soci�t� qui est en jeu. Cette ind�pendance est d�sormais mieux prot�g�e par leur rattachement au comit� d'audit, qui est une �manation du conseil d'administration. Quant � la rotation syst�matique des cabinets, Robert Litan rappelle que la profession est d�j� tr�s concentr�e - apr�s la disparition d'Arthur Andersen, les cinq grands ne sont plus que quatre - et que rien ne permet d'exclure, dans le processus de s�lection p�riodique, un accord entre le cabinet s�lectionn� et le management. Dans son jugement global sur le Sarbanes-Oxley Act, Litan reste prudent. Avant que la loi ne soit vot�e, le march� avait, selon lui, commenc� � faire fonctionner les m�canismes d'autor�gulation. Les proc�s ne font que commencer et les peines, vraisemblablement tr�s lourdes, qui seront prononc�es devraient avoir un effet dissuasif sur l'ensemble des acteurs. Mais, si la loi ne r�sout pas tous les probl�mes et occasionne des d�penses suppl�mentaires pour les entreprises, elle devrait contribuer � restaurer la confiance.
+Plus que d'un mandat donn� par les �lecteurs am�ricains � leurs repr�sentants au terme d'un d�bat de fond sur la gouvernance d'entreprise, l'ensemble des r�formes adopt�es au cours des derniers mois r�sultent de la conjonction de la pression des m�dias, des convictions anciennes mais isol�es de quelques l�gislateurs, de l'opportunisme politique de la plus grande partie de leurs coll�gues et des membres de l'Administration et du souci de certains organes de r�gulation, notamment le FASB, de se d�fendre des critiques dont ils �taient l'objet. L'objectif proclam� de ces r�formes est de " rendre impossibles de nouveaux Enron " et de restaurer ainsi la confiance des investisseurs. Il est encore trop t�t pour tenter un bilan d�finitif et l'appuyer sur un comptage statistique du nombre des " affaires ". Bien des aspects, abord�s tr�s bri�vement ou ignor�s dans le cadre de cette �tude, m�riteraient d'ailleurs d'�tre analys�s de mani�re beaucoup plus approfondie - notamment les cons�quences de ces nouvelles r�gles pour les entreprises �trang�res. Les effets � moyen terme de la r�forme, lorsqu'ils pourront �tre mesur�s, alimenteront le d�bat th�orique entre les partisans du jeu spontan� des m�canismes d'autor�gulation et ceux du volontarisme l�gislatif. Quelle que soit l'issue de ce d�bat, il ne faut pas perdre de vue que ces scandales ont fait surface � un moment de l'histoire r�cente -la fin de l'ann�e 2001 et le d�but de l'ann�e 2002 - qui est aussi celui o� l'on observe un sommet dans la courbe des d�fauts parmi les entreprises am�ricaines. De " nouveaux Enron " sont toujours susceptibles d'appara�tre, ainsi lorsqu'au d�but du mois de juin le pr�sident de Freddie Mac a �t� remerci� pour avoir refus� de coop�rer avec une mission d'audit interne sur les pratiques comptables de la soci�t�. Le march� est devenu beaucoup plus sensible aux questions d'�thique : Richard Grasso, le pr�sident du New York Stock Exchange (NYSE), a d� d�missionner le 17 septembre � la suite de la r�v�lation de son salaire par la presse : le montant, tr�s �lev�, en �tait d�termin� par un Board constitu� de repr�sentants de soci�t�s dont le NYSE �tait charg� d'assurer la surveillance. Et dans le domaine judiciaire, Eliot Spitzer poursuit son combat contre les pratiques de trading frauduleuses sur les titres de certains mutual funds. Mais la fr�quence des scandales est aussi, et sans doute avant tout, fonction de la conjoncture �conomique. C'est le retour de la croissance qui permettra de tourner la page, de revenir au bull market et de restaurer durablement la confiance des investisseurs. Il y faudra bien plus que des textes de loi et des normes comptables.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Institut Fran�ais des Relations Internationales
+Le programme de d�veloppement de Doha conjuguait trois demandes divergentes des membres de l'OMC : les pays en d�veloppement voulaient r��quilibrer en leur faveur les accords existants ; les Etats-Unis voulaient un nouveau cycle de lib�ralisation ; l'Europe le voulait aussi mais en l'�quilibrant par un enrichissement des r�gles �conomiques mondiales sur les � sujets de Singapour �.
+Cancun a fait �clater ces ambigu�t�s et l'�chec de la conf�rence pourrait engendrer une panne durable de l'OMC. Cette derni�re doit affronter deux grands d�fis.
+Un d�fi syst�mique est li� aux limites de la � m�thode de fabrication � du consensus international, que l'OMC avait de facto h�rit�e du GATT. L'approche mercantiliste de la n�gociation a �chou� � �quilibrer enjeux de lib�ralisation et de r�gulation. Le �consensus censitaire � qui privil�giait le pouvoir des grandes puissances commerciales affronte les rapports de force nouveaux cr��s par des strat�gies d'alliance inattendues. La � diplomatie non-gouvernementale � s'est professionnalis�e - de Johannesburg � Cancun - et occupe les vides laiss�s par l'assistance du Nord au commerce des pays les plus pauvres.
+Un d�fi strat�gique est li� au doute sur la pertinence m�me de la lib�ralisation multilat�rale comme paradigme de croissance. A Cancun, la g�ographie des peurs opposait : l'agriculture du Nord � la paysannerie du sud ; les industries du sud au g�ant chinois ; la doctrine libre-�changiste des institutions multilat�rales aux attentes concr�tes des pays en d�veloppement sur le terrain de l'aide.
+Ce doute est profond et, au-del� de Cancun, pourrait se figer dans une pr�f�rence collective pour le statu quo actuel � l'OMC.
+Ce statu quo serait porteur de menaces. Une multiplication des contentieux emporterait un transfert de responsabilit� du � l�gislateur � vers le � juge � commercial international et pourrait engendre des tensions politiques et �conomiques minant le syst�me d'�change ouvert. La prise de distance am�ricaine vis � vis du multilat�ralisme et la mont�e de la tentation protectionniste, notamment contre la Chine, accro�t la port�e d'une telle menace. Dans ce contexte, l'alternative d'accords commerciaux r�gionaux de lib�ralisation a de quoi s�duire, mais pourrait accentuer la marginalisation �conomique des pays les plus pauvres.
+Un effort de relance des n�gociations de Doha est donc n�cessaire. Les diplomates peuvent y contribuer en recherchant de nouvelles m�thodes permettant d'atteindre plus souplement le consensus : la piste des sch�mas de �coop�ration renforc�e � ou � accords plurilat�raux � offre une piste sans doute plus f�conde que celles d'une ren�gociation des th�mes de l'agenda de Doha, ou de l'engagement de l'OMC dans une r�forme institutionnelle d'envergure.
+Mais l'effort de relance n'aboutira pas sans remise en chantier d'un consensus politique multilat�ral sur le fond. Pour esp�rer surmonter les ambigu�t�s du programme de Doha, une mise � jour du partage des responsabilit�s globales entre acteurs du Nord et du Sud sera n�cessaire. R�partir �quitablement le poids des efforts de lib�ralisation suppose : de simplifier les �quations mercantilistes de la n�gociation � l'OMC ; d'introduire des bases objectives de diff�renciation de chaque niveau de d�veloppement ; de syst�matiser l'effort d'aide indispensable � l'accompagnement des processus d'ouverture au Sud.
+Liesse des ONG, communiqu�s officiels de victoire ou d'amertume, interrogations des opinions, doutes sur le sens de l'�chec. Rien ne s'est pass� � Cancun comme anticip�. Il n'y a pas eu r�ellement de n�gociations : le d�bat n'a d�marr� que tardivement, pour avorter tr�s rapidement. Les alliances ne sont plus ce qu'elles �taient : la fracture agricole a eu lieu, mais autour de coalitions nouvelles, opposant les anciens rivaux transatlantiques aux pays �mergents r�unis par le tr�s jeune " G21 " qu'emmenait le Br�sil. L'�chec a �t� formellement constat� sur un enjeu de r�gles : celui qui opposait les pays les plus pauvres du " G90 ", aux partisans du lancement de n�gociations nouvelles sur les " sujets de Singapour ". Comble d' " impr�vu ", les comportements contestataires s'invitaient formellement dans l'enceinte de l'OMC par des manifestations jusqu'ici inconnues de ce club � l'ambiance traditionnellement feutr�e, lou� par ses habitu�s pour l'esprit d'efficacit� et la " mentalit� d'affaires " qui pr�side d'ordinaire � ses travaux : des n�gociateurs exp�riment�s ont �t� choqu�s par les applaudissements de discours officiels parfum�s d'un tiers-mondisme que l'on croyait surann�, qui, d�non�ant la " rh�torique de r�sistance ", qui, la " d�rive onusienne ", qui, -mal�fice supr�me ?-, la " CNUCEDisation " de l'OMC.
+Echec pour tous ou succ�s de certains ? Cancun marque certainement un tournant dans la gouvernance de l'organisation car les rapports de force nouvellement �tablis resteront dans les m�moires, sinon dans la forme des nouvelles alliances. L'�chec, d�j� provoqu� � Seattle par les pays en d�veloppement, pouvait avoir des allures accidentelles. Mais leur d�monstration de force �tait voulue et assum�e � Cancun, y compris au prix du r�sultat atteint. Coup d'arr�t au programme de d�veloppement de Doha ? Peu �videntes sont les voies d'une relance du cycle de n�gociation et, plus globalement, du syst�me commercial multilat�ral cr�� depuis l'instauration de l'OMC. Tenter d'�clairer ces voies de relance suppose, comme toujours, de revenir pr�alablement sur les causes de l'�chec.
+Les auspices initiaux de la conf�rence de Cancun �taient plut�t favorables. Le travail pr�paratoire �tait bien avanc�. Un accord d'�tape paraissait d'autant plus atteignable que l'on avait significativement vid� son projet de l'essentiel de ses ambitions de substance, en pr�voyant de reporter � plus tard les �ch�ances d�licates du chiffrage des concessions �conomiques r�ciproques. Surtout, un compromis avait �t� atteint, avant Cancun, sur la douloureuse question de l'articulation entre droit des brevets - prot�g� par l'OMC- et l'assouplissement de l'acc�s aux m�dicaments g�n�riques essentiels pour permettre aux pays en d�veloppement d'affronter les grandes crises sanitaires qui les frappent. Devenue test de la capacit� de l'OMC � int�grer les pr�occupations du d�veloppement et les consid�rations humaines �l�mentaires, la question n'avait pu �tre r�solue qu'au prix d'un ralliement, tardif et conditionnel, des Etats-Unis, du fait de la r�sistance de leur industrie pharmaceutique au projet de compromis depuis longtemps accept� par les autres membres de l'OMC. Juridiquement, cet accord demeure le seul r�sultat concret et attendu de Cancun, avec l'adh�sion � l'OMC de deux nouveaux membres, pays moins avanc�s, le Cambodge et le N�pal.
+Trois grands th�mes du programme de Doha formaient le c?ur des discussions et conditionnaient l'accord sur le futur du cycle. Il s'agissait d'adopter une " approche-cadre ", pour pr�parer les futures " modalit�s " (i) de lib�ralisation du commerce agricole, (ii) de r�duction des barri�res aux �changes industriels, (iii) de n�gociations de r�gles internationales nouvelles sur les sujets dits " de Singapour ", regroupant la facilitation des �changes, la transparence des march�s publics, l'investissement et la concurrence.
+Enfin, la question du coton devait se r�v�ler primordiale dans la relation Nord-Sud, bien que non abord�e explicitement par le programme de Doha. Elle avait �t� introduite quelque mois plus t�t dans l'ordre du jour par le Pr�sident Blaise Compaor�, portant � Gen�ve la parole de quatre pays d'Afrique de l'Ouest -B�nin, Burkina-Faso, Mali, Tchad- : ces derniers demandaient l'�limination en trois ans des subventions � la production de coton pratiqu�es par les pays d�velopp�s et l'instauration d'un m�canisme de compensation financi�re des dommages subis par les producteurs africains, durant la p�riode transitoire.
+Le traitement de ces sujets devait mettre aux prises des alliances de pays relativement classiques et bien rep�r�es : les grands exportateurs agricoles contre l'Union Europ�enne et ses quelques alli�s, dont la Cor�e et le Japon ; en mati�re industrielle, les pays d�velopp�s contre les pays en d�veloppement - � l'exception des pays les moins avanc�s - ; sur les sujets de Singapour, essentiellement l'Europe et toujours ses alli�s de l'Asie d�velopp�e - Japon, Cor�e -, contre plusieurs grands pays en d�veloppement, au premier rang desquels l'Inde, la Malaisie et les Philippines, emmenant dans leurs sillages la plupart des pays africains.
+Le sc�nario escompt� pour produire un accord ne s'est pas r�alis� : des raisons tactiques, syst�miques et strat�giques expliquent une spirale d'�chec.
+La conf�rence de Cancun s'est ouverte sur fond de d�saccord, portant essentiellement sur la partie agricole du document devant servir de base aux conclusions des ministres. Le texte pr�par� par le Pr�sident du Conseil G�n�ral de l'OMC s'inspirait largement d'un projet d'accord, propos� conjointement par les Etats-Unis et l'Union Europ�enne, qui �taient parvenus, in extremis, � un rapprochement de leurs positions, ce que les PED souhaitaient depuis longtemps. Paradoxalement, ce rapprochement a provoqu� un rejet de la part d'un groupe de pays en d�veloppement, le " G21 " ou " G 20+ ". H�tivement form� avant Cancun, � l'initiative du Br�sil, rejoint par l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud et soutenu par plusieurs pays en d�veloppement, le G21 proposait un texte alternatif sur l'agriculture. Simultan�ment, les pays africains ont raidi l'ensemble de leurs positions - notamment sur l'acc�s au march� et les questions de Singapour - mais surtout, indiqu� faire d'un progr�s sur la question du coton la condition sine qua non d'un succ�s � Cancun.
+D�s lors, les trois premiers jours ont �t� consacr�s � des discussions proc�durales informelles sur la mani�re de concilier les textes devant servir de base de travail, sur fond de menaces d'�chec formul�es par les plus hautes autorit�s br�siliennes, en cas de non prise en compte des positions du " G21 ". Un compromis a �t� propos� par les organes dirigeants de l'OMC, permettant � la n�gociation de d�marrer, pour �chouer 24 heures plus tard. Le Pr�sident de la Conf�rence, M. Derbez, Ministre des Affaires Etrang�res Mexicain, d�cidait de cl�turer les d�bats, apr�s avoir constat� un blocage sur le premier th�me qu'il avait mis � l'ordre du jour : les questions de Singapour.
+A qui la faute ? Les explications tactiques abondent sur les responsabilit�s de l'�chec. Nombre comportent des �l�ments plausibles, d'autres sont fausses, certains faits sont troublants. Trois " th�ories du complot " ont ainsi �t� esquiss�es faisant alternativement porter la responsabilit� de l'�chec � l'Europe, au G21 et aux Etats-Unis. Qui s'en tient aux faits connus doit constater que les conditions de cl�ture de la conf�rence de Cancun �taient surprenantes, voire anormales.
+L'ordre du jour des d�bats pr�voyait en effet de discuter des " sujets de Singapour " et de l'agriculture : la conf�rence a �t� interrompue apr�s discussion du premier sujet, avant que le second n'ait pu �tre abord�. Apr�s deux ans d'enlisement des n�gociations de Doha, l'agriculture repr�sentait clairement le sujet central du cycle, conditionnant aux yeux de tous les participants les possibilit�s d'accord sur les autres. Les questions de Singapour n'apparaissaient que comme "variable d�pendante ", conditionn�e par l'agriculture. L'interruption de la conf�rence sur ce sujet fut choquante : la capacit� � surmonter le blocage ne pouvait �tre totalement appr�ci�e avant discussion de la question agricole.
+Par ailleurs, le blocage n'opposait pas les grands acteurs du d�bat : l'Europe, principal proposant des quatre sujets de Singapour, l'Inde, principal opposant. L'Europe avait accept� d'abandonner les deux sujets consid�r�s comme les plus contentieux - concurrence et investissement -. Cette proposition se r�v�lait inacceptable pour le " groupe des 90 " - qui r�unissait les pays africains et les PMA - et raidissait la Cor�e. Formellement donc, alors que le c?ur du d�bat opposait les partenaires transatlantiques au G21 sur l'agriculture, la conf�rence de Cancun aurait �chou� sur un conflit Cor�e - Afrique concernant les sujets de Singapour. Enfin, le temps ne pressait pas, la plupart des d�l�gations ayant pr�vu de pouvoir prolonger le s�jour � Cancun. Quelques mois plus t�t, un Ministre appelait ses coll�gues de l'OCDE � r�ussir le cycle de Doha en y reconnaissant " l'entreprise d'une g�n�ration ". L'entreprise a �t� interrompue � 15 heures...
+A qui profite le crime ? A personne, si l'on admet que le programme de Doha est porteur de b�n�fices potentiels importants pour l'�conomie mondiale. A court-terme, le succ�s diplomatique revendiqu� par certains pays du Sud est � rapporter � leur �chec �conomique : les politiques agricoles des grands pays d�velopp�s n'ont trouv� � Cancun aucune raison de se r�former. Les producteurs de coton africain n'ont emport� du Mexique aucun motif d'espoir.
+Depuis l'instauration du GATT, le libre-�change progressait aux rythmes de cycles de n�gociations, paradoxalement mus par le mercantilisme de l'�change de concessions r�ciproques d'une valeur commerciale �quivalente. Relativement naturelle pour �changer des baisses de protection douani�re sur les biens industriels, cette m�thode est devenue plus complexe lorsque l'Uruguay Round en a �largi le champ aux secteurs de l'agriculture et des services, auxquels venaient s'ajouter des r�gles : l'�quivalence des concessions inter-sectorielles devenant plus complexe � appr�cier, le principe d'" engagement unique " a �t� pos� pour garantir la capacit� de chacun � appr�cier l'�quilibre du r�sultat final.
+La mise en oeuvre des r�sultats du cycle d'Uruguay a toutefois engendr� une profonde frustration des PED. Pour eux, les grands acquis th�oriques demeuraient pratiquement inexistants dans le domaine des services, faibles en termes de lib�ralisation agricole et lointains (2005) en termes de d�mant�lement des quotas textiles. Par contre, les nouvelles disciplines �labor�es en mati�re de propri�t� intellectuelle, �valuation en douane, mesures sur l'investissement li�es au commerce, devaient trouver une application plus rapide.
+Le cycle de Doha a repris la m�thode d'Uruguay, en engageant, dans un grand marchandage global, les questions d'acc�s au march�, qui impliquent des sacrifices �conomiques imm�diats et les questions de r�gles, qui rec�lent un potentiel d'am�lioration du bien-�tre � long terme, mais exigent des efforts administratifs co�teux. A la lueur de l'exp�rience d'Uruguay, les PED ont logiquement conclu que la n�gociation des r�gles des sujets de Singapour, devrait �tre pr�alablement " pay�e ", en esp�ces sonnantes et tr�buchantes, d'abord agricole. Les pays d�velopp�s approchaient les sujets de Singapour de mani�re diff�rente. Au-del� de ses seuls int�r�ts mercantiles, l'UE portait les quatre sujets en y voyant les ingr�dients n�cessaires � l'affirmation du r�le de l'OMC comme centre de gouvernance �conomique mondiale, producteur de bien commun par le droit. Grand investisseur et commer�ant, le Japon avait une approche plus mercantile et pratique, en privil�giant l'investissement et la facilitation des �changes. Les Etats-Unis retenaient une approche plus pragmatique encore, se concentrant sur les r�sultats qui leur paraissaient atteignables et utiles - transparence des march�s publics et facilitation des �changes - et pr�f�rant poursuivre hors de l'OMC, par accords bilat�raux, les deux autres objectifs de r�gulation. Tous les pays d�velopp�s avaient, par contre, un point commun : celui de refuser de " payer " par davantage de lib�ralisation agricole (impliquant des ajustements � co�t politique imm�diat �lev�) l'�laboration de r�gles de droits (dont le b�n�fice �conomique potentiel se diffuse � moyen ou long terme).
+La m�thode mercantiliste, issue des n�gociations du GATT, a rencontr� � Cancun ses limites, pour traiter simultan�ment des enjeux de lib�ralisation et de r�gulation.
+Lors de la cr�ation de l'OMC, les n�gociateurs pouvaient se r�f�rer � deux mod�les de gouvernance. Celui de l'ONU, fond� globalement sur le " suffrage universel " et l'�galit� des Etats � l'assembl�e g�n�rale - sous r�serve du Conseil de S�curit� - �tait aussi celui de l'ancien GATT. Celui des institutions �conomiques et financi�res de Bretton Woods �tait par contre fond� sur le " suffrage censitaire ", li� au stock de capital d�tenu. Issus du GATT, qui �tait rest� essentiellement un " club de riches " aux int�r�ts �conomiques comparables, la plupart de ces n�gociateurs admirait l'efficacit� du deuxi�me syst�me.
+Mais, malgr� son caract�re �conomique, la mission de l'OMC reposait sur un fondement diff�rent de celle de Bretton Woods : si par construction les pays riches peuvent seuls mobiliser les capacit�s de financement des d�s�quilibres macro-�conomiques et du d�veloppement des pays pauvres, le commerce est cens� �tre un bien commun accessible � tous, pour peu que ses conditions soient libres. Tout l'enjeu de l'OMC est donc de d�finir les r�gles qui permettront � chacun de mieux int�grer le syst�me mondial d'�change, en r�duisant le protectionnisme qu'il subit de la part des autres. Confier aux grandes puissances le pouvoir " censitaire " de d�finir les r�gles reviendrait � leur demander d'auto-�valuer leur niveau de protection. Le syst�me n'aurait aucun int�r�t pour les autres participants. La r�gle de l'�galit� �tait donc in�vitable.
+L'OMC a h�rit� des d�fauts des deux syst�mes : formellement institu�e sur un mod�le ONUSIEN, dotant chaque Etat d'une voix et d'une prise de d�cision majoritaire, elle fonctionne en r�alit� par consensus, mais ne poss�de ni " conseil de s�curit� " ni de syst�me de pond�ration refl�tant l'importance �conomique des acteurs. D�s lors, la pratique de la n�gociation � l'OMC s'est informellement inspir�e d'un mod�le censitaire : une entente entre les plus grands acteurs du commerce mondial, les partenaires transatlantiques d'abord, " Quad " ensuite, �tait, jusqu'ici, suffisante pour aligner tous les membres sur un consensus.
+L'adh�sion massive des PED, � partir des ann�es 1980 et apr�s la cr�ation de l'OMC, a doublement chang� la donne. D'abord au plan politique : sur 148 membres de l'OMC, une vaste majorit� est form�e par des PED disposant chacun d'une voix, dont ils ont d�couvert le pouvoir � Seattle, avant de l'utiliser � Cancun.
+Qu'en est-il du rapport de force �conomique ? On peut penser que l'affirmation du G21 refl�te la mont�e en puissance des �conomies �mergentes dans le commerce mondial. Au d�but du cycle d'Uruguay (1986), les pays aujourd'hui group�s par le G21 repr�sentaient quelques 6% des exportations mondiales de biens et services ; � la veille du cycle de Doha (2000) leur part relative avait pratiquement doubl� pour atteindre plus de 11 % du commerce total, proportion � comparer au poids individuel des Etats-Unis (12,1%), du Japon (6,4%) du Canada (5,5%) et de l'UE (39%) : ces quatre membres de la " Quad " p�sent ensemble pour pr�s des deux tiers du commerce total. Mais ces indicateurs sont trompeurs si on n'isole pas le cas de la Chine, qui n'est entr�e � l'OMC qu'en 2001, � Doha. Il est frappant de constater que, sans la Chine, le rapport des forces commerciales entre les pays de la Quad et le G21 est rest� pratiquement inchang� depuis le cycle d'Uruguay : si politiquement le Br�sil a �t� identifi� comme le leader du G21, �conomiquement la cr�dibilit� de ce nouveau groupement d�pend largement de la participation de la Chine.
+Celles des ONG qui ne refusaient pas en bloc l'existence de l'OMC, particuli�rement dans le monde anglo-saxon, revendiquaient depuis plusieurs ann�es des moyens d'influence sur une institution qui ne leur reconnaissait pas de statut. Avant le cycle de Doha, cette revendication se concentrait sur le m�canisme de r�glement des diff�rends. Depuis le lancement du cycle, elle porte �galement sur les n�gociations. Cancun a manifest� l'�volution des m�thodes d'intervention de certaines grandes ONG, �volution d�j� tr�s perceptible, dans la sph�re de l'ONU, lors du sommet de Johannesburg : celles-ci assistent ou influencent des petits �tats, d�pourvus de capacit�s suffisantes de n�gociation, pour orienter l'agenda. Oxfam revendique ainsi d'avoir contribu� � l'�laboration du dossier du coton, qui a eu une influence psychologique d�cisive sur le sort de la conf�rence de Cancun.
+A cette assistance technique, les ONG de terrain ajoutent leur capacit� de sensibilisation politique des populations. A Cancun, plusieurs ministres africains ont indiqu� sans voile qu'ils se trouveraient politiquement le dos au mur si aucun mouvement n'�tait fait sur le dossier du coton, apportant avec eux des p�titions de dizaine de milliers de producteurs, ou, comme la Ministre du S�n�gal, une r�solution vot�e � l'unanimit� de son parlement. Le Commissaire europ�en � l'agriculture, M. Fischler, ne s'est pas tromp� sur le r�le de ces nouveaux acteurs : il imputait une partie de la responsabilit� de l'�chec de Cancun � certaines ONG, avant d'estimer que la red�finition des relations entre membres de l'OMC et ONG devait �tre la premi�re priorit� de r�forme de l'organisation.
+La question strat�gique pos�e par Cancun est de savoir si les membres de l'OMC estiment encore avoir un int�r�t � promouvoir une lib�ralisation multilat�rale globale. L'�chec de Cancun a r�v�l� les doutes fondamentaux des participants � la n�gociation.
+La premi�re nouveaut� de Cancun a �t� l'alliance transatlantique sur l'agriculture. Loin d'�tre d�risoire par rapport aux attentes des PED et notamment des PMA, la proposition euro-am�ricaine n'en consacrait pas moins une approche globalement conservatrice, p�rennisant les politiques agricoles men�es dans les pays les plus riches. Les partenaires transatlantiques n'�taient peut-�tre pas les plus d�fensifs et certainement pas les plus immobiles. Leur entente strat�gique repr�sentait donc un �l�ment profond�ment nouveau dans le syst�me d'alliance traditionnel. Le Japon et la Cor�e avaient mal accept� ce rapprochement - " trahison " - de l'Europe avec les Etats-Unis.
+L'alliance agricole transatlantique avait �t� rendue possible apr�s l'accord de Luxembourg de juin 2003 qui, en r�formant la PAC, permettait de trouver un point d'intersection aux trajectoires invers�es des politiques agricoles europ�ennes et am�ricaines depuis l'Uruguay Round. Depuis 1992 et avec " agenda 2000 " les subventions europ�ennes s'�taient consid�rablement " am�ricanis�es " en progressant r�guli�rement sur deux axes : la r�duction du niveau de soutien aux prix et, surtout, le " d�couplage " progressif des aides. Inversement, depuis le Fair Act de 1996 et le Farm Bill de 2002, le r�gime de soutien am�ricain s'�tait consid�rablement " europ�anis� ", d'une part du fait de l'augmentation massive des concours publics au revenu agricole, d'autre part du fait de la tendance au " recouplage " partiel des aides am�ricaines, en particulier via le nouveau m�canisme des " marketing loans ".
+L'" approche-cadre ", c'est � dire une approche non chiffr�e, propos�e par l'Europe et les Etats-Unis comme base de n�gociation agricole consacrait donc globalement l'�tat de fait atteint des deux c�t�s de l'Atlantique. Elle pr�voyait un effort de r�duction des soutiens internes les plus directement li�s aux quantit�s produites, dans des limites des marges de manoeuvres disponibles apr�s le " Farm Bill " et la r�forme de la PAC. Elle ne retenait pas l'objectif d'�limination globale des subventions � l'exportation, mais traitait pour la premi�re fois avec parall�lisme les objectifs de r�duction des subventions � l'exportation am�ricaines (aide alimentaire, cr�dits � l'exportation) et europ�ennes (restitutions aux exportations) et en admettait l'�limination pour les productions " sensibles " des PED. Elle proposait une formule mixte de r�duction des droits de douane agricole, distinguant les efforts � r�aliser entre " produits sensibles " des " produits normaux " et " non sensibles ", pour donner des flexibilit�s � chaque participant.
+Le texte soumis par l'OMC comme base de discussion s'inspirait largement de l'approche transatlantique, mais renfor�ait ses exigences dans le sens souhait� par les PED, en particulier sur les ambitions de r�duction des subventions internes et l'�limination des subventions aux exportations. Il fut radicalement rejet� par le " G 21 ", qui ne parvenait � r�aliser une synth�se entre les int�r�ts de ses membres offensifs et d�fensifs sur la protection douani�re, qu'en r�clamant de faire porter l'int�gralit� des efforts de r�forme agricole aux pays d�velopp�s.
+Les n�gociateurs am�ricain et europ�en ont eu beau jeu de proph�tiser l'implosion de ce groupe h�t�roclite, " mariage de la carpe et du lapin ", le G21 a montr� � Cancun que son ciment n'�tait pas de plus mauvaise qualit� que celui qui avait permis aux partenaires transatlantiques de s'entendre sur les subventions et de surmonter, optiquement, la profonde divergence de leurs int�r�ts en mati�re d'acc�s au march�.
+Les deux c�t�s partageant leur ambigu�t� sur le niveau de lib�ralisation � atteindre en mati�re de droits de douane agricoles, la question des subventions devenait logiquement centrale. Elle �tait radicale pour les pays du G21. Ces derniers repr�sentent une majorit� de la population mondiale, dont une forte proportion, voire une majorit� pour la plupart, vit en milieu rural. Leur structure d'exportation r�v�le une sur-proportion des produits agricoles bruts et des denr�es alimentaires par rapport au poids de ces produits dans le commerce mondial. Dans ces conditions, comme le rel�ve D. Cohen � propos des soutiens dans les pays d�velopp�s, "quel que soit le canal par lequel transitent les aides, ces subventions sont une mauvaise nouvelle pour les autres paysans du monde, qu'ils aient vocation � �tre exportateurs ou pas ".
+Enfin, les partenaires transatlantiques convergeaient objectivement pour cantonner le dossier des subventions au coton dans le cadre global de la n�gociation agricole, sans le distinguer des autres produits, pour ne pas risquer de cr�er un pr�c�dent ouvrant la voie � d'autres n�gociations sectorielles. L'Europe donnait quelques signaux d'ouverture et indiquait qu'elle s'appr�tait � r�former son r�gime de subvention dans ce secteur, l'un des absents de la r�forme de l'�t� 2003. Les Etats-Unis proposaient de globaliser le sujet en traitant l'ensemble des probl�mes de la fili�re, allant de la fibre au v�tement. Intellectuellement int�ressant et habile, cet argumentaire apparaissait trop grossi�rement comme un simple contre-feu tactique, visant � " noyer " la demande africaine dans une n�gociation plus complexe. La proposition am�ricaine fut n�anmoins reprise dans son int�gralit� par les autorit�s de l'OMC, entra�nant une radicalisation irr�versible des pays africains, qui voyaient ainsi dispara�tre leur seul int�r�t � n�gocier pour un succ�s � Cancun. En accompagnement de cette fin de non recevoir, le projet de d�claration sugg�rait beno�tement d'encourager " la diversification des �conomies dans lesquelles le coton repr�sente une majorit� du PIB ".
+La deuxi�me nouveaut� fondamentale de Cancun a �t� la volont� d'une grande partie des pays du Sud, en particulier d'Afrique et de M�diterran�e, de conserver les avantages li�s aux pr�f�rences douani�res accord�es par leurs grands partenaires du Nord. Compte-tenu de leur part tr�s faible dans le commerce mondial, la comp�titivit� globale et le potentiel de l'industrie chinoise leur apparaissent d�sormais comme une menace majeure pour leurs cr�neaux d'industrialisation naissante ou r�cente.
+Le r�v�lateur de cette menace a �t� le secteur du textile et de l'habillement. Le grand acquis de l'Uruguay Round, pour les industriels du Sud, avait �t� l'engagement de d�mant�lement du syst�me de quotas commerciaux issus de l'ancien " accord multi-fibre ". Trop longtemps attendue, la disparition de ces quotas limitant leur capacit� d'exportation est, paradoxalement, devenue la hantise de nombre de petits pays producteurs, � mesure que se profilait l'�ch�ance de leur suppression totale au 1er janvier 2005. Face � la mont�e en puissance tr�s rapide de la Chine dans ce secteur, les quotas sont devenus des garanties de d�bouch� plut�t que des obstacles � leurs exportations. Une fois ces quotas disparus, seule une pr�f�rence douani�re leur appara�t de nature � compenser le diff�rentiel de comp�titivit� avec la Chine. Or, le niveau des pr�f�rences douani�res dont ils b�n�ficient dans le cadre des accords pass�s avec les pays de la " Quad " serait m�caniquement r�duit par une r�duction g�n�rale des droits de douanes � l'OMC. En extrapolant sur la comp�titivit� de leurs autres industries face � " l'atelier global ", ces pays concluent � la menace d'une r�duction tarifaire multilat�rale.
+Paradoxalement, c'est donc, en partie, du fait des pr�f�rences qu'ils leurs accordent, que les pays du Nord ont perdu " leur " Sud � Cancun. Aucun des grands r�seaux naturels de solidarit� �conomique - Europe et pays ACP ; Etats-Unis et pays latino-am�ricains - n'a fonctionn� : le G90, qui s'opposait � l'Europe sur les " sujets de Singapour ", r�unissait majoritairement les pays ACP ; les membres du G21 �taient majoritairement latino-am�ricains et li�s par des accords pr�f�rentiels ou engag�s dans des n�gociations de libre-�change avec les Etats-Unis.
+Le droit de l'OMC dispose th�oriquement de tous les outils et garde-fous permettant de g�rer avec souplesse l'intensit� et le rythme des politiques d'ouverture entre pays de niveaux de d�veloppement diff�rents : ces �l�ments sont d'ailleurs des objets de n�gociation majeurs dans le cadre du programme de Doha, tant au titre de la " mise en oeuvre " - ajustement des conditions d'application des accords pr�c�dents - que du " traitement sp�cial et diff�renci� " -prise en compte des contraintes particuli�res des PED dans les n�gociations -.
+Mais la doctrine sur laquelle repose l'organisation se limite fondamentalement � professer les bienfaits du libre-�change sur la croissance, tout en admettant la n�cessit� d'en ajuster le rythme en fonction des situations particuli�res. Les institutions de Bretton Woods ont �galement fond� une partie de leur argumentaire pour le d�veloppement sur la lib�ralisation commerciale. Cancun a montr� les limites du pouvoir de conviction cette seule doctrine.
+En 2002, la Conf�rence de Monterrey avait formul� un nouveau consensus international sur les strat�gies de d�veloppement. Ce consensus de Monterrey mettait globalement � jour l'ancien " consensus de Washington " en lui ajoutant deux �l�ments nouveaux : une affirmation de la responsabilit� des pays en d�veloppement dans l'am�lioration de leur gouvernance et performances institutionnelles, un engagement de contrepartie des pays du Nord � accro�tre leur aide au d�veloppement. Dans la sph�re commerciale ce consensus trouve des points d'application tr�s naturels et concrets : la participation � l'effort de lib�ralisation et de renforcement des r�gles contribue � l'am�lioration des syst�mes institutionnels locaux, si elle est pr�par�e et accompagn�e par l'aide au d�veloppement. Faute d'aide, les pays demeurent d�pourvus de capacit�s administratives � n�gocier et mettre en oeuvre leurs engagements juridiques. Les conditions concurrentielles demeurent in�gales sans d'investissement dans l'infrastructure productive n�cessaire � l'essor de leur comp�titivit�.
+Le lien entre politique commerciale et politique d'aide n'a pourtant pas encore �t� correctement investi par les grands bailleurs d'aide. Si ce lien est th�oriquement �tabli dans les politiques r�gionales de l'UE, il demeure pratiquement inexistant dans sa politique multilat�rale. Un effort de syst�matisation a �t� entrepris � l'OMC, depuis les conf�rences de Singapour et Doha (1996 - 2001), relay�es par la Conf�rence des Nations-Unies sur le commerce des PMA (2000), mais demeure principalement cantonn� au terrain de l'assistance technique. Or cette forme d'aide ne permet gu�re d'aborder les probl�mes fondamentaux des pays les plus pauvres face � la lib�ralisation : la capacit� � exporter est diff�rente de la capacit� � n�gocier en ce qu'elle rel�ve globalement de la d�faillance des infrastructures, de la formation de la main d'oeuvre, de l'absence de syst�mes de contr�le sanitaire...
+Les institutions de Bretton-Woods ont commenc� � int�grer la probl�matique du commerce dans leurs programmes. Mais les efforts engag�s par la Banque Mondiale se sont jusqu'ici plut�t traduits par des �tudes - visant essentiellement � d�monter les gains potentiels de la lib�ralisation multilat�rale, en particulier dans l'agriculture - que sur des programmes concrets de constructions de capacit�s exportatrices. Le FMI est rest� tr�s longtemps r�ticent � contribuer � la recherche de solutions sp�cifiques au probl�me de l'impact sur les finances publiques de la perte de recettes douani�res pour les pays en d�veloppement r�alisant des efforts de d�sarmement tarifaire multilat�ral.
+FMI et Banque Mondiale ont annonc� � Cancun de nouvelles propositions, int�ressantes mais encore vagues, sur ces terrains : sans doute trop peu trop tard. Les pays en d�veloppement ne per�oivent donc pas encore les manifestations concr�tes des efforts d'assistance qui les aideraient � s'engager en confiance dans de nouvelles entreprises de lib�ralisation.
+Il est � peu pr�s acquis que Cancun a enterr� l'espoir d'une conclusion du cycle de Doha dans les d�lais fix�s, au 1er janvier 2005. Deux grandes �ch�ances officielles sont aujourd'hui pr�vues : une r�union du Conseil G�n�ral de l'OMC, en d�cembre 2003, une conf�rence minist�rielle qui devrait se tenir, en principe � Hong-Kong, vers fin 2004. Entre les deux, l'�lection pr�sidentielle am�ricaine risque de figer toute dynamique de n�gociation. Une reprise rapide est d'autant moins vraisemblable qu'am�ricains et europ�ens ont indiqu� rester pour l'instant sur l'expectative. Face aux menaces du statu quo et aux limites des id�es de relance technique, la r�flexion s'impose sur les conditions de relance politique du cycle.
+L'interruption du cycle de Doha � Cancun emporte une menace imm�diate pour l'OMC : celle du transfert de responsabilit� du " l�gislateur " vers " le juge ", de la n�gociation de r�gles vers le m�canisme de r�glement des diff�rends, en particulier en mati�re agricole.
+Au 31 d�cembre 2003 expirera la " clause de paix ", adopt�e avec la conclusion de l'Uruguay Round, qui prot�geait temporairement les membres de l'OMC du risque de contentieux contre leurs r�gimes de subvention � l'agriculture. En cas d'accord � Cancun, cette clause aurait du logiquement �tre prolong�e pour garantir un climat serein de n�gociation. Du fait de l'�chec de Cancun, on peut s'attendre � ce que les membres de l'OMC cherchent � obtenir, par le contentieux, les objectifs de r�forme agricole non atteints par la n�gociation. D'ores et d�j�, deux panels ont �t� constitu�s en 2003 � l'initiative du Br�sil, l'un contre le r�gime de subventions aux exportations de sucre de l'UE, l'autre contre le r�gime de subvention au coton des Etats-Unis.
+Ind�pendamment de la clause de paix, les tensions li�es aux contentieux sont d�j� fortes. Les Etats-Unis ont lanc� une dispute tr�s sensible pour l'opinion publique, contre le r�gime communautaire d'autorisation de mise sur le march� des OGM. De son c�t�, l'Europe se dirige vers la mise en oeuvre de sanctions commerciales contre les Etats-Unis, faute de mise en conformit� de ces derniers avec les d�cisions de l'ORD (organe de r�glement des diff�rends de l'OMC) dans l'affaire du FSC/ETI, ou, du fait de la vraisemblable prochaine confirmation en appel de la condamnation de la mesure de sauvegarde adopt�e en 2002 par le Pr�sident Bush dans le secteur de l'acier.
+Compte-tenu de l'importance des enjeux politiques en cause, une multiplication des contentieux commerciaux, en alternative aux n�gociations, pourrait achever d'affaiblir ce qui reste de l'OMC : la cr�dibilit� du syst�me de r�glement des diff�rends serait min�e par une multiplication des cas de non-respect de ses d�cisions ; les objectifs m�mes de l'organisation seraient min�s par la mont�e en puissance de r�torsions commerciales crois�es li�s � ce non-respect. La recherche d'une forme de pacte de " mod�ration ", sinon de " non-agression ", appara�t donc comme un pr�alable � tout espoir de reprise des n�gociations multilat�rales.
+Ce risque appara�t d'autant plus r�el que l'administration Bush a adress� plusieurs signaux de d�fiance vis � vis du multilat�ralisme commercial. Le forum de l'OMC ne se voit pas reconna�tre de pr��minence sur les autres forums de n�gociation dans la politique commerciale am�ricaine ; les Etats-Unis se sont affranchis de ses r�gles en 2002 pour prot�ger leur secteur de l'acier et se montrent extr�mement r�ticents � mettre en oeuvre les d�cisions de l'ORD les condamnant : une mise en conformit� est aujourd'hui attendue dans 5 affaires importantes gagn�es par l'Union Europ�enne.
+Les facteurs de tensions s'accumulent �galement dans les relations commerciales sino-am�ricaines : depuis longtemps formul�es par le secteur du textile-habillement, les demandes de protection pourraient se multiplier dans l'industrie am�ricaine, sous l'influence notamment du facteur mon�taire (sous-�valuation estim�e par les autorit�s am�ricaines de la parit� du Yuan contre dollar). Le d�ficit des paiements courants des Etats-Unis, nourri par le d�ficit commercial, appara�t de moins en moins soutenable au niveau atteint en 2003 (plus de 5% du PIB). Alors que les Etats-Unis demeurent le principal facteur de croissance mondiale, le risque d'une mont�e du protectionnisme am�ricain appara�t tr�s r�el.
+La conjugaison d'une UE contrainte de mettre en oeuvre des sanctions commerciales contre les Etats-Unis pour faire respecter les d�cisions de l'ORD et d'une mont�e du protectionnisme am�ricain, repr�senterait une menace pour l'�conomie mondiale.
+Faute d'accord multilat�ral, les puissances commerciales peuvent privil�gier la voie bilat�rale ou r�gionale pour promouvoir leurs objectifs de lib�ralisation. De fait, les premi�res d�clarations des autorit�s am�ricaines tendent d�j� � privil�gier cette seconde voie apr�s l'�chec de Cancun : M. Zoellick a indiqu� qu'il choisirait ses pays interlocuteurs entre " can do " et " won't do ". L'Union Europ�ene avait choisi de renoncer au lancement de nouvelles initiatives de n�gociation de libre-�change, bilat�rale ou r�gionale, pendant la dur�e du cycle de Doha. Apr�s Cancun, la Commission a �galement fait savoir qu'elle souhaitait prendre le temps de la r�flexion et du d�bat interne pour examiner toutes les options et envisager de r�orienter �ventuellement dans ce sens la politique commerciale de l'Union Europ�enne.
+La th�orie �conomique reste divis�e sur les m�rites respectifs du r�gionalisme et du multilat�ralisme. Les gains potentiels de la lib�ralisation multilat�rale apparaissent sup�rieurs � ceux de la lib�ralisation sur une base r�gionale. Ces derniers se partagent traditionnellement entre " effets de cr�ation " - qui d�bouchent sur un accroissement du commerce global -, et " effets de d�tournement " de la richesse - qui se mat�rialisent par une simple substitution de sources d'approvisionnement. L'enjeu de l'articulation entre multilat�ralisme et r�gionalisme est donc de maximiser les effets de cr�ation et limiter les effets de d�tournement. Le droit de l'OMC pr�voit des dispositions pour garantir la compl�mentarit� des deux dynamiques.
+Sous cette r�serve, il n'y a en soi rien de choquant � l'id�e de poursuivre une option r�gionale ou bilat�rale. L'Union Europ�enne en incarne elle-m�me le meilleur exemple historique et son r�seau d'accord avec les pays tiers r�git d'ores et d�j� pr�s de 80% de ses �changes ext�rieurs, par un r�gime de libre-�change ou d'ouverture pr�f�rentielle de son march�. Economiquement, l'Union Europ�enne aurait probablement int�r�t � progresser, au-del� des engagements de l'OMC, par de nouvelles initiatives r�gionales : en effet, seules �chappent aujourd'hui � son r�seau de pr�f�rences r�ciproques, ses relations avec les deux zones les plus dynamiques du monde, l'Asie de l'Est (" ASEAN + 3 ") et l'Am�rique du Nord.
+Les pays les plus pauvres et en particulier l'Afrique pourraient �tre les principales victimes d'un nouvel essor du r�gionalisme de la part des grandes puissances commerciales.
+D'abord, parce qu'un tel mouvement contribuerait vraisemblablement � intensifier la tendance � la structuration de l'�conomie mondiale autour du triangle Chine / Asie de l'Est - Union Europ�enne - Etats-Unis, risquant de confiner l'Afrique subsaharienne, qui repr�sente moins de 1% des �changes commerciaux globaux, dans le " syndrome du ch�meur de longue dur�e ", suivant le mot du Premier Ministre Ethiopien, M. Zenawi. L'affirmation d'une alternative r�gionaliste cr�dible au multilat�ralisme signerait de facto une forme de " Yalta institutionnel " dans la globalisation : aux pays commer�ants de n�gocier entre eux des accords de commerce, aux institutions de Bretton Woods de s'occuper du " traitement social " des pays les plus pauvres.
+Ensuite, parce qu'en cas d'initiatives dans leur direction, le rapport de force bilat�ral serait naturellement peu favorable aux �conomies les plus pauvres. Cette r�alit� est �vidente dans le rapport Nord-Sud, comme l'ont montr�, imm�diatement apr�s Cancun, les pressions am�ricaines sur les pays d'Am�rique Centrale et andine pour qu'ils sortent du G21 : le Costa-Rica, la Colombie et le P�rou ont annonc� leur retrait du groupement, apr�s avoir entendu les menaces du Pr�sident de la Commission des Finances du S�nat am�ricain. Mais cette menace existe de mani�re tout aussi �vidente du fait de l'apparition de nouveau rapports de force et de strat�gies protectionnistes " Sud-Sud ". Un indicateur r�v�le ce nouvel �tat de fait : une majorit� des enqu�tes d'antidumping initi�es dans le monde, oppose aujourd'hui des pays en d�veloppement entre eux.
+Le parlement europ�en ne s'est pas tromp� sur cette menace en r�affirmant clairement sa priorit� au multilat�ralisme dans sa r�solution sur les r�sultats de Cancun.
+L'�chec de Cancun a ouvert trois d�bats sur les moyens de relancer les n�gociations commerciales en trouvant de nouvelles m�thodes pour parvenir � forger un consensus.
+On pourrait estimer que les sujets de Singapour ayant formellement provoqu� l'�chec, leur suppression de l'ordre du jour permettrait de le surmonter. La tentation pourrait �tre la m�me sur l'ensemble des sujets sur lesquels aucun progr�s n'a �t� constat� depuis le lancement du programme de Doha : commerce et environnement, indications g�ographiques, questions de mise en oeuvre, certains groupe de travail. L'id�e de recentrer l'OMC sur son " c?ur de m�tier ", la lib�ralisation de l'acc�s aux march�s, est r�currente chez les n�gociateurs. Elle r�pond fondamentalement � la vision am�ricaine du cycle de n�gociation � laquelle s'opposait initialement une " conception europ�enne de la mondialisation " marqu�e par la recherche d'un �quilibre entre lib�ralisation et r�gulation des �changes mondiaux.
+Il para�t douteux qu'une telle approche suffise � relancer les d�bats : d'une part, parce que malgr� leur r�le formel dans l'�chec, les sujets de r�gulation n'�taient pas au c?ur des enjeux de Cancun ; d'autre part, parce que la proposition d'abandon des deux sujets les plus difficiles (investissement, concurrence) n'avait pas permis de d�bloquer la n�gociation sur place.
+En r�alit�, les ambigu�t�s de l'agenda de Doha refl�taient un �quilibre entre trois grandes approches : celle d'une majorit� de PED qui souhaitaient limiter les discussions � l'existant, � travers les th�mes de la mise en oeuvre des accords d'Uruguay et les questions de d�veloppement ; celles des tenants d'un pur cycle de lib�ralisation ; celles des partisans d'un renforcement du r�le de l'OMC dans la gouvernance multilat�rale. Il est � craindre que toute alt�ration de cet �quilibre ne revienne � ouvrir une bo�te de pandore et �loigne d'autant la perspective d'une reprise des n�gociations de substance.
+La pond�ration de l'importance des sujets de l'ordre du jour pour chaque participant ne pourra �voluer r�ellement qu'au regard des perspectives de progression des diff�rents sujets par la voie r�gionale ou bilat�rale. C'est d�j� l'approche am�ricaine, qui privil�gie les accords bilat�raux pour traiter de l'investissement. C'est d�j� largement l'approche europ�enne, qui s'efforce de faire reconna�tre la protection de ses indications g�ographiques via ses n�gociations bilat�rales ou r�gionales : si celles-ci lui permettent d'atteindre ses objectifs, la pression pour des progr�s � l'OMC se r�duira en la mati�re.
+De fait, l'OMC se reconna�t d�j� � deux vitesses par le jeu du principe de traitement sp�cial et diff�renci� qui autorise une asym�trie d'engagements de la part des pays en d�veloppement face aux pays d�velopp�s. Le consensus �tait �galement globalement atteint � Cancun sur l'id�e d'exon�rer les pays les moins avanc�s de tout engagement contraignant en mati�re de lib�ralisation de l'acc�s au march� industriel. Le Pr�sident de la R�publique fran�aise a �galement propos� � ses partenaires du G8 l'id�e d'un " r�gime commercial sp�cifique pour l'Afrique ", id�e reprise � son compte par l'Union Europ�enne au sommet d'Evian, mais qui avait rencontr� l'opposition des Etats-Unis. Apr�s l'�chec de Cancun, la France a relanc� cette id�e.
+L'id�e est donc pr�sente et le droit de l'OMC offre d'autres techniques que le traitement sp�cial et diff�renci� pour diff�rencier le niveau d'obligation entre membres. La principale est celle des accords dits " plurilat�raux ", dont les obligations ne lient que ceux des membres qui l'acceptent, sous r�serve du consensus de tous pour recourir � cette technique d�rogatoire ; une possibilit� �quivalente consisterait � pr�voir des clauses d'entr�e ou de sortie (" opt-in " ou " opt-out ") de la n�gociation de certains accords, par d�rogation au principe " d'engagement unique ".
+Le recours � ces techniques pourrait �tre f�cond pour contribuer � une relance de la n�gociation, et surmonter en particulier l'impasse mercantiliste liant les sujets de Singapour aux questions d'acc�s au march�. S'agissant de r�gles sur l'investissement et la concurrence, ayant vocation � repr�senter un bien collectif, il serait intellectuellement justifiable de les d�velopper par une strat�gie incitative, fond�e sur le volontariat, sachant que les pays en d�veloppement nourrissent de grands doutes sur l'int�r�t de telles r�gles pour leurs strat�gies de croissance.
+De fait, l'int�r�t �conomique d'un r�gime multilat�ral de l'investissement pour les pays en d�veloppement reste par exemple controvers� : sa mise en place, � l'OMC, sur une base volontaire, par certains pays, permettrait d'en mieux �valuer les effets. On peut alors faire le pari que si ces r�gles r�v�lent leur int�r�t, les effets de concurrence et d'�mulation joueraient � plein si certains PED d�cidaient d'y souscrire : l'Inde s'imaginerait-elle pouvoir rester hors d'un accord auquel souscrirait la Chine ? Pour cr�er une dynamique de confiance et d'incitation, les pays d�velopp�s pourraient s'engager � faire b�n�ficier l'ensemble des membres de l'OMC des engagements qu'ils prendraient dans ce cadre. Enfin, une approche volontaire r�pondrait � la contestation des sujets de Singapour par la plupart des mouvements de la soci�t� civile, d�non�ant la volont� d'imposition de nouvelles normes aux pays en d�veloppement. Le principal risque d'une telle approche serait politique en ce qu'elle pourrait accentuer la bipolarisation Nord-Sud et un d�sengagement des pays d�velopp�s de l'OMC, pour lui pr�f�rer d'autres cadres, par exemple celui de l'OCDE. Le risque para�t r�duit compte-tenu de l'�chec fracassant de l'AMI en 1998. En tout �tat de cause, l'enceinte de l'OMC offrirait plus de chances de succ�s � une telle d�marche que celle de l'OCDE, parce qu'elle offre davantage de garanties proc�durales aux pays en d�veloppement. Ceux-ci auraient d'abord � accepter le principe d'ouvrir ou non de telles n�gociations " plurilat�rales ", de d�cider s'ils souhaitent ou non y participer, de souscrire ou non des engagements � la conclusion.
+L'Union Europ�enne a ouvert le d�bat sur la modernisation de l'OMC, qualifi�e de " m�di�vale " par le Commissaire Lamy. Les Etats-Unis ont d'embl�e indiqu� qu'un tel d�bat serait une perte de temps. Bis repetita placent, la question de la r�forme de l'organisation avait �t� mise � l'ordre du jour apr�s Seattle. Des progr�s ont d'ailleurs �t� r�alis�s depuis en mati�re de transparence interne et externe des d�bats. A la lueur de l'�chec de Cancun, de nouvelles questions sont ouvertes, sur lesquelles un progr�s para�t souhaitable, en particulier concernant les pouvoirs respectifs du Pr�sident des conf�rences minist�rielles et du Directeur G�n�ral de l'Organisation, dans l'organisation des d�bats et des proc�dures de consultation.
+Mais la question centrale reste celle de la m�thode de production d'un consensus entre 148 pays sur plus de 20 sujets de n�gociation. De facto, malgr� la contestation ouverte � Seattle, l'OMC n'a jamais pu se passer de l'ancienne pratique du GATT, dite des " green room ", r�unions informelles, restreintes aux principaux membres de l'organisation, pour �laborer les projets de consensus. C'est d'ailleurs en " green room " qu'� �t� d�cid� l'arr�t de la conf�rence de Cancun, avant officialisation en r�union pl�ni�re.
+L'institutionnalisation de cette pratique, la d�finition de ses r�gles, proc�dures, garanties de transparence du r�sultat des d�bats repr�senterait le principal enjeu pour surmonter les contradictions du " consensus censitaire " et am�liorer le fonctionnement institutionnel. Mais les chances de parvenir � l'�laboration d'un tel " conseil restreint " � l'OMC apparaissent extr�mement limit�es. Techniquement, elle supposerait de s'accorder sur la repr�sentativit� des grandes cat�gories de pays et d'int�r�ts, impliquant de figer les alliances et sur l'�tablissement de proc�dures de consultation interne aux groupes de pays repr�sent�s par un mandataire.
+Le d�bat sur les voies d'une relance technique du cycle reproduit donc tr�s largement ceux qu'avait engendr� l'�chec de Seattle, sans r�elle traduction concr�te depuis. Il comporte des �l�ments utiles, mais ne pourra occulter les pr�alables politiques � la relance du cycle du d�veloppement.
+Les ambigu�t�s politiques qui avaient permis de construire l'agenda de Doha ont fonctionn� comme " deal breaker " � Cancun, r�v�lant les divergences de conception Nord-Sud sur le partage des responsabilit�s commerciales globales, la priorit� �conomique de l'agriculture, l'apport de la lib�ralisation au d�veloppement. Aucun progr�s vers un consensus ne para�t d�sormais possible sans affronter ces grandes questions politiques et �liminer les ambigu�t�s.
+Compte-tenu de l'asym�trie des niveaux de d�veloppement, le sens moral voudrait sans doute que les pays d�velopp�s assument la responsabilit� d'une relance du cycle de Doha, en offrant de nouvelles concessions sur le terrain agricole. Ind�pendamment des r�sultats de Cancun, la Commission europ�enne s'est d'ores et d�j� engag�e dans une proposition de r�forme des organisations communes des march�s du sucre, du coton, du tabac et des produits m�diterran�ens. Si ces propositions aboutissent, elles lui conf�reront une marge de manoeuvre nouvelle. La proposition fran�aise au G8 d'un moratoire sur les subventions aux exportations d�stabilisatrices pour les march�s africains pourrait �galement �tre utilement retravaill�e.
+Mais le sens commun sugg�re le r�alisme. Les Etats-Unis ont vot� en 2002 une loi agricole et vont entrer en p�riode �lectorale : hormis la d�couverte d'un int�r�t s�curitaire, rien ne para�t aujourd'hui susceptible de venir faire �voluer leurs positions de n�gociation. L'UE vient de r�former la PAC et l'�chec de Cancun pourrait affaiblir la strat�gie r�formatrice de la Commission, qui liait les n�gociations de l'OMC aux r�sultats des r�formes agricoles internes. Le Japon reste �galement en posture tr�s d�fensive sur l'agriculture. Aucun pays d�velopp� ne fera donc de nouvelle concession unilat�rale. Inversement, aucun pays en d�veloppement ne peut r�alistement esp�rer obtenir satisfaction � l'OMC sans prendre le moindre engagement en contrepartie : la strat�gie agricole du G21 demandant tous les efforts aux pays d�velopp�s ne peut d�boucher que sur une impasse.
+L'enjeu pour l'OMC est donc de forger de nouvelles bases d'accord politique permettant d'envisager une relance globale de ses travaux. L'hypoth�se de la convocation d'une r�union minist�rielle extraordinaire de l'OMC d�but 2004 a �t� envisag�e. On voit mal comment une telle r�union pourrait parvenir � un accord technique sur les m�mes bases qu'� Cancun. Une r�union de ministres, dans un forum � caract�re purement politique, pourrait par contre �tre utile et les institutions de Bretton Woods devraient y �tre associ�es. Trois d�bats doivent �tre affront�s pour tenter de reconstruire un consensus politique sur la lib�ralisation multilat�rale
+Face � la difficult� des membres de l'OMC � �valuer l'�quilibre des concessions globales � entreprendre au titre de l'agenda de Doha, un accord politique pourrait �tre recherch� sur la d�finition d'�quilibres interm�diaires, demeurant unis entre eux par le principe d'engagement unique.
+Les subventions agricoles du Nord et le protectionnisme industriel au Sud sont en accusation : Cancun a donc montr� qu'il n'y aurait pas d'accord agricole possible sans accord industriel. Or, la plupart des membres de l'OMC expriment un niveau d'ambition inversement proportionnel, entre l'agriculture et l'industrie. Le premier enjeu d'un nouveau compromis politique doit donc �tre d'admettre que les efforts de lib�ralisation devront �tre proportionnels dans les deux secteurs, sur la base la plus ambitieuse possible. Ces champs de n�gociations sont suffisamment balis�s et le travail technique de pr�paration de Cancun �tait suffisamment avanc� pour que soit �clair� l'�quilibre commercial des concessions r�ciproques.
+Les n�gociations relatives aux services peuvent alors relever d'une logique sectorielle propre dans laquelle le compromis Nord-Sud devra �tre essentiellement recherch� entre progr�s de l'ouverture aux investissements et aux mouvements temporaires de main d'oeuvre.
+Sur les sujets de Singapour, l'option d'accords plurilat�raux devrait �tre examin�e et la n�gociation de ces sujets de Singapour mise en balance avec celle des autres r�gles : les pays en d�veloppement ont un int�r�t direct au renforcement des disciplines sur l'antidumping, aux questions de mise en oeuvre et de traitement sp�cial et diff�renci� ; les Etats-Unis r�clament l'�limination des subventions aux p�cheries et s'int�ressent � deux sujets de Singapour ; le Japon et l'UE demeurent motiv�s par les quatre sujets, ainsi que, pour cette derni�re par l'environnement.
+L'OMC vit sur un mod�le hybride et d�pass�, en ne reconnaissant que trois cat�gories de pays : pays d�velopp�s, pays en d�veloppement et pays les moins avanc�s : la cat�gorie des pays en d�veloppement est subjective puisqu'elle rel�ve purement d'une " auto-d�claration " ; la cat�gorie des PMA est objective et rel�ve de crit�res pr�cis�ment d�finis au sein de l'ONU. Ces cat�gories ne permettent pas de diff�rencier le niveau de responsabilit� �conomique que doivent prendre les pays �mergents dans leurs engagements � l'OMC : Singapour, Chine, Cameroun, C�te d'Ivoire et Tha�lande sont par exemple dans la m�me cat�gorie ; le Mexique et la Cor�e du Sud sont simultan�ment membres de l'OCDE et pays en d�veloppement � l'OMC. Les pays en d�veloppement les plus riches partagent avec les plus pauvres l'int�gralit� des b�n�fices du traitement sp�cial et diff�renci� des pays en d�veloppement.
+Les pays d�velopp�s voudraient d�s lors introduire des m�canismes de " diff�renciation " pour tenir compte des �volutions intervenues au sein du groupe des pays en d�veloppement. Ces derniers refusent radicalement toute �vocation directe et indirecte du sujet. Ce conflit porte une responsabilit� majeure dans l'�chec de Cancun : il emp�che tout avanc�e forte sur la question du traitement sp�cial et diff�renci� de la lib�ralisation, particuli�rement en mati�re agricole.
+Or, aucun pays d�velopp� n'envisagera d'accorder les m�mes concessions et flexibilit�s au Cameroun qu'au Br�sil ou � l'Inde. Inversement, les pays �mergents ont beau jeu de faire porter l'ensemble de la responsabilit� de la lib�ralisation aux pays d�velopp�s. Le cas du coton est r�v�lateur : Br�sil et Inde soutiennent - � juste titre - la demande africaine d'�limination des subventions am�ricaine et europ�enne mais entretiennent simultan�ment des droits de douanes tr�s �lev�s sur leurs propres importations de coton, brut ou transform�.
+Cette question est aujourd'hui " explosive " parce que politiquement centrale. Faute de r�ussir � engager un d�bat constructif, les ambigu�t�s structurelles du programme de Doha ne pourront, au mieux, �tre surmont� que via des compromis globaux " Nord-Sud " fond�s sur des concessions minimales : c'�tait l'approche tent�e � Cancun.
+Renforcer l'int�r�t des PED � participer aux n�gociations commerciales et leur fournir plus de " confort " face aux co�ts de l'ouverture suppose de d�velopper des strat�gies d'aide liant beaucoup plus directement les programmes d'assistance aux pays aux efforts de lib�ralisation entrepris. La Banque Mondiale a commenc� � int�grer cette dimension, en particulier dans sa strat�gie envers les pays m�diterran�ens unis � l'UE par un accord d'association et en syst�matisant l'int�gration de la dimension commerciale dans la formulation de ses strat�gies pays. Le FMI a par ailleurs annonc� � Cancun une approche cadre pour aider les pays en d�veloppement � affronter les d�s�quilibres de balance des paiements li�s � l'ouverture commerciale.
+L'amplification de cet effort et la syst�matisation du lien entre commerce et aide passe d'une part, par l'affirmation politique d'une v�ritable coresponsabilit� de l'OMC et des institutions dans la poursuite de l'agenda de lib�ralisation multilat�rale des pays en d�veloppement, d'autre part, par la mise en place de nouveaux moyens de financement du d�veloppement. C'est le sens de l'engagement de principe exprim� en septembre 2003 par le Directeur G�n�ral du FMI et le Pr�sident de la Banque Mondiale pour d�velopper un programme global de r�ponse aux besoins d'ajustement et d'investissement r�sultant de la lib�ralisation entreprise par les pays en d�veloppement. Il importe que cet engagement trouve une mat�rialisation rapide dans des programmes-cadres, pr�cis, concrets et visibles.
+L'Europe et les Etats-Unis, qui avaient su converger � Monterrey dans l'annonce d'un accroissement de leur effort d'aide au d�veloppement, ou au G8 d'Evian dans l'annonce de moyens suppl�mentaires pour la lutte contre le Sida, devraient exercer ensemble un " leadership " sur ce terrain : la question m�riterait d'�tre inscrite � l'ordre du jour de leur coop�ration, dans le cadre des structures de dialogue �conomique et commercial bilat�ral mise en place par le " nouvel agenda transatlantique " de 1995.
+Enfin, peut-on prendre au s�rieux l'id�e de " compensation financi�re " temporaire des effets du protectionnisme, deuxi�me volet de la demande des pays d'Afrique de l'Ouest pour traiter le dossier du coton. Intellectuellement l'id�e rel�ve de la probl�matique classique du principe " pollueur-payeur " : le protectionnisme des uns produit des externalit�s n�gatives pour les autres, susceptibles d'�tre r�duites par un m�canisme de d�sincitation financi�re. Sur cette base, la recherche de ressources financi�res nouvelles liant enjeux commerciaux et aide au d�veloppement pourrait concr�tement �tre envisag�e � court-terme � partir d'un m�canisme "d'amende " ou de " compensation financi�re n�goci�e ", en cas de refus de mise en conformit� apr�s une condamnation � l'OMC. Face au risque de multiplication des contentieux et au d�s�quilibre des rapports de force entre �conomies riches et pauvres dans la m�canique des r�torsions commerciales, cette piste alternative des sanctions financi�res m�riterait d'�tre mieux explor�e.
+C'est aussi parce qu'il n'a pas suffisamment investi le champ de l'aide li�e � la lib�ralisation commerciale que le syst�me commercial a perdu le " Sud " � Cancun et que les ONG caritatives ont occup� la place laiss�e vide.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+C'est devenu presque une tradition : chaque premier ministre en Isra�l entame sa l�gislature en relan�ant l'option " Le Liban d'abord ". D�s son �lection et la formation de son gouvernement en juin 1996, Benyamin Netanyahou a tent� de n�gocier via les Syriens un retrait isra�lien unilat�ral du Liban-sud assorti de garanties de s�curit� draconiennes, sans offrir aucune contrepartie sur le Golan, si ce n'est une vague promesse d'une r�ouverture des n�gociations syro-isra�liennes interrompues en mars 1996. Manoeuvre tactique de la part d'un gouvernement qui a annonc� haut et fort sa d�termination de ne c�der aucun pouce du Golan ou pr�lude � un revirement de strat�gie par rapport � la politique suivie par les travaillistes sous Itzhak Rabin puis Shimon P�r�s, avec l'aval � peine d�guis� des Am�ricains, et qui n'envisageait de r�glement au Liban-sud que dans le cadre d'un accord de paix global avec la Syrie ?
+Un an et demi apr�s l'arriv�e de l'�quipe de Benyamin Netanyahou au pouvoir, l'option " Le Liban d'abord " semble avoir fait long feu. Cet �cran de fum�e s'est rapidement dissip� : le Liban n'est pas plus une priorit� pour le pr�sent gouvernement qu'il ne l'a �t� pour son pr�d�cesseur. Loin de marquer une rupture avec la politique libanaise suivie par l'�tat h�breu depuis l'instauration de la zone de s�curit� au sud Liban en 1985, cette initiative ressemble davantage � une manoeuvre tactique visant tout � la fois � " tester " l'acteur syrien, � montrer � l'opinion publique isra�lienne que le gouvernement tente de trouver une issue � l'inextricable probl�me libanais et � rectifier aupr�s de la communaut� internationale une image n�gative de fossoyeur politique et juridique du processus de paix en se d�clarant pr�t � se conformer " sous certaines conditions " � la l�galit� onusienne, en l'occurrence � la r�solution 4251. Ces " conditions " - un red�ploiement progressif � n�gocier contre des garanties de la part de l'�tat libanais de d�sarmer la r�sistance libanaise et l'ouverture de n�gociations de paix s�par�es avec l'�tat h�breu - reproduisent dans leur formulation g�n�rale le sch�ma du trait� isra�lo-libanais avort� du 17 mai 1983, qui, quinze ans plus tard, fait figure d'anath�me pour le couple syro-libanais qui s'est form� � l'issue des accords de Ta�f en 1989.
+Fait significatif, l'option " Le Liban d'abord " omettait d�lib�r�ment de faire mention d'un retrait simultan� du Golan. Au contraire, cette " ouverture " en direction du Liban s'accompagnait d'une volont� claire de clore les n�gociations syro-isra�liennes, voire d'en annuler tous les acquis et les avanc�es, en niant formellement qu'un quelconque engagement formel ait �t� pris par Itzhak Rabin d�s 1994 concernant le principe d'un retrait du Golan. Selon Benyamin Netanyahou, il ne s'agirait l� que d'" hypoth�ses " parmi d'autres pos�es sur la table de n�gociations. Le gouvernement actuel ne s'estime donc ni politiquement, ni juridiquement li� par des promesses ou engagements qui n'ont fait l'objet de documents �crits, sign�s et ratifi�s. D�s juin 1996, le Premier ministre exprimait cette position sans ambigu�t� : " Le gouvernement consid�re le plateau du Golan comme vital � la s�curit� de l'�tat ; le principe de la souverainet� isra�lienne sur le Golan est � la base de toute forme d'accord avec la Syrie ". En m�me temps qu'il fermait la porte � toute n�gociation avec Damas, celui-ci demandait donc implicitement aux Syriens de l'aider � s'extirper du bourbier libanais.
+Alors que le gouvernement pr�c�dent avait totalement avalis� le principe de la " concomitance des deux volets ", syrien et libanais, Benyamin Netanyahou lan�ait un v�ritable d�fi � la Syrie en tentant de dissocier les deux occupations du Golan et du Liban-sud. Si cette manoeuvre �tait diplomatiquement pr�visible, en revanche ce qui est plus �tonnant depuis le retour au pouvoir du Likoud, c'est la prudence certaine dont il fait preuve dans sa gestion de la politique libanaise. Cette retenue contraste avec le discours muscl� tenu tant � l'�gard de la Syrie ou de l'Iran, co-parrains du Hezbollah, qu'� l'�gard de l'�tat libanais menac� et somm� quotidiennement de se comporter en acteur souverain et d'�tendre son autorit� sur l'ensemble de son territoire faute de s'attirer les foudres de la puissante machine militaire isra�lienne.
+Alors que l'on aurait pu en toute logique, dans un contexte non plus de gel mais de r�gression du processus de paix, s'attendre � une " r�activation " des options militaires isra�liennes notamment au Liban, c'est l'inverse qui pr�vaut sur le terrain. Non que le Sud meurtri par plus d'un quart de si�cle de guerre, dite de " faible intensit� ", connaisse une p�riode de r�pit. Mais le bilan plus que mitig� de la derni�re op�ration isra�lienne en territoire libanais, appel�e " Raisins de la col�re ", a contribu� avant m�me la victoire �lectorale de Benyamin Netanyahou � un r�tr�cissement des options isra�liennes au Liban. En effet, le nouveau premier ministre h�rite d'une situation ing�rable au Liban-sud que son intransigeance vis-�-vis de la Syrie ne fait qu'accro�tre.
+Le triangle syro-libano-isra�lien s'est rigidifi� selon un sch�ma d�sormais bien connu o� le Liban, bien que reconnu aux termes des accords de Ta�f comme un �tat pleinement souverain, demeure le th��tre central o� s'affrontent les deux acteurs syrien et isra�lien. Si cette configuration triangulaire n'a rien de bien nouveau, en revanche, les param�tres en ont �t� substantiellement modifi�s par rapport au modus vivendi syro-isra�lien instaur� au lendemain du red�ploiement isra�lien de 1985 . Au " dialogue de la dissuasion " dont la principale vertu avait �t� de pr�venir tout risque d'escalade incontr�l� entre les deux arm�es pr�sentes sur le sol libanais, s'est substitu� un d�s�quilibre strat�gique notable au d�triment de la partie isra�lienne. Le pi�ge du Liban-sud s'est referm� sur l'�tat h�breu : aucune option militaire ne semble viable et une issue politique est plus que jamais fonction de la volont� syrienne.
+Cet article se situe pr�cis�ment � ce tournant. Il vise � apporter un �clairage prospectif sur l'�volution, � moyen terme - dans les six ans � venir - de ce triangle syro-libano-isra�lien en fonction des sc�narios qui nous semblent les plus plausibles. L'analyse de la configuration actuelle, les enjeux du volet syro-isra�lien du processus de paix et l'imbrication �troite du couple syro-libanais dans les dynamiques de ce triangle serviront de canevas � ces sc�narios de crise.
+L'ann�e 1994 constitue probablement un tournant dans les n�gociations syro-isra�liennes qui pi�tinaient depuis le lancement du processus de paix � Madrid en octobre 1991. Trois �v�nements majeurs vont contribuer � en relancer la dynamique : la rencontre � Gen�ve entre Hafez al-Assad et le pr�sident Clinton au cours de laquelle le pr�sident syrien exprime officiellement son engagement pour la paix ; l'acceptation en juillet 1994 par Itzhak Rabin (jamais confirm�e officiellement) du principe d'un retrait isra�lien du Golan jusqu'aux lignes du 4 juin 1967 ; et la signature de l'accord de paix jordano-isra�lien qui donne � la partie isra�lienne les coud�es plus franches pour avancer sur le volet syrien. La d�finition de la position isra�lienne, r�sum�e par la formule de Itzhak Rabin devenue c�l�bre depuis " la profondeur du retrait (du Golan) sera proportionnelle � la profondeur de la paix ", a permis de lever toute ambigu�t� sur la reconnaissance par la partie isra�lienne de la r�solution 242 des Nations unies comme la base des n�gociations de paix avec la Syrie. Itzhak Rabin a ainsi donn� satisfaction � Hafez al-Assad qui exigeait comme point de d�part des n�gociations un engagement isra�lien ferme sur un retrait total du Golan. D�s le d�part, il �tait clair que Hafez al-Assad n'accepterait pas moins que ce que Anouar al-Sadate avait obtenu. La r�trocession du Golan dans sa totalit� constitue un objectif vital pour le pr�sident syrien pour des raisons symboliques et de l�gitimit� - r�parer l'honneur perdu de la d�faite de 1967 alors qu'il �tait ministre de la D�fense. La partie isra�lienne voulait compenser la perte du Golan par des mesures de s�curit� drastiques, seul moyen d'obtenir l'adh�sion de l'opinion publique isra�lienne � un accord de paix avec la Syrie. La normalisation devait en outre �tre pleine et enti�re : ouverture des fronti�res, libre circulation des hommes et des biens, �change d'ambassades... Mais ce sont v�ritablement les pourparlers engag�s � Maryland, de d�cembre 1995 � f�vrier 1996, qui ont permis d'avancer sur les quatre dossiers litigieux : l'�tendue du retrait, les arrangements de s�curit�, la normalisation des relations, et le calendrier de mise en oeuvre. Les discussions avaient comme base un document de travail �labor� et r�dig� par les Am�ricains, intitul� " Objectifs et principes des arrangements de s�curit� " (Aims and Principles of Security Arrangements) qui r�affirme le principe selon lequel la s�curit� de l'une des deux parties ne doit pas �tre aux d�pens de la s�curit� de l'autre partie.
+En l'espace de quelques mois � peine, Isra�liens et Syriens auraient accompli des progr�s fulgurants dans leur marche vers la paix. Une nouvelle �re allait s'ouvrir pour la r�gion gr�ce � la " clef " syrienne sans laquelle il n'y a pas de paix globale viable au Moyen-Orient. L'�tat h�breu allait pouvoir consolider les acquis obtenus sur les autres volets du processus de paix et se d�sengager progressivement du Liban-sud. L'un des principaux objectifs isra�liens �tait bien entendu de s'extirper de ce triangle infernal dans lequel l'�tat de guerre froide avec la Syrie l'avait enferm� au Liban-sud. Mais l'ann�e 1996 ne sera pas celle de la paix syro-isra�lienne. Nous examinerons plus loin les perceptions et les interpr�tations syriennes et isra�liennes de ce " rendez-vous manqu� " avec l'histoire. Mais ce court �pisode des n�gociations avort�es est riche d'enseignements quant � la m�canique de fonctionnement de ce triangle. En effet, alors que la Syrie g�re son couple avec le Liban sur la base de la concomitance et l'indissociabilit� des deux volets, la partie libanaise a brill� par son absence avant de dispara�tre compl�tement du paysage des n�gociations. Il est vrai qu'en s'accrochant avec ent�tement � l'application inconditionnelle de la r�solution 425, la d�l�gation libanaise s'est engag�e, d�s l'ouverture du processus � Madrid en 1991, dans un dialogue de sourds avec les repr�sentants isra�liens qui refusaient de n�gocier sur la base d'une r�solution qui n'offre, selon eux, aucune garantie de s�curit� pour l'�tat h�breu. Mais l'explication de l'inexistence des n�gociations libano-isra�liennes r�side ailleurs. Au moment o� les pourparlers syro-isra�liens d�marrent sur des bases encore incertaines, le Liban - et non sa partie sud -constitue paradoxalement le seul point non litigieux entre les deux parties. Les projets grandioses du tandem Begin/Sharon au pays du C�dre ne constituent plus aujourd'hui qu'une parenth�se am�re dans une politique qui, depuis l'entr�e des troupes syriennes au Liban en 1976, s'est appuy�e avec constance sur le " dialogue de la dissuasion " entre Damas et Tel-Aviv. Au-del� de ses aspects techniques, ce modus vivendi �tait b�ti sur une reconnaissance mutuelle par ces deux puissances d'int�r�ts de s�curit� vitaux dans ce pays. Lou� par les uns pour sa fonction stabilisatrice, d�nonc� par les autres pour son cynisme � l'�gard d'un pays r�duit � n'�tre plus qu'une zone-tampon, cet accord a �t� s�rieusement menac� par l'op�ration " Paix en Galil�e " en 1982 dont l'un des objectifs majeurs �tait d'�liminer toute pr�sence syrienne du Liban en y installant un �tat domin� par les maronites et alli� d'Isra�l. Le red�ploiement isra�lien en 1985 renouait avec la politique libanaise suivie par l'�tat h�breu dans les ann�es 70 privil�giant le maintien du statu quo dans les relations avec Damas et limitant le champ de son intervention � la zone de s�curit� qu'elle a �tablie depuis dans le sud du Liban.
+La r�alit� strat�gique du couple syro-libanais n'a pas constitu� - et ne constituera pas - un obstacle dans les n�gociations syro-isra�liennes. R�sign�s et m�me soulag�s pour certains d'une prise en charge syrienne du Liban, les Isra�liens soutiennent dans leur quasi-unanimit� l'option d'un retrait conditionnel du Liban-sud qui renforcerait la s�curit� de la fronti�re nord de l'�tat h�breu. L'un des leitmotivs des responsables politiques et des repr�sentants de l'intelligentsia est qu'Isra�l n'a aucune vis�e territoriale ou revendication id�ologique au Liban et particuli�rement dans sa partie sud. L'autre r�alit� est le sentiment m�lang� de d�sillusion, d'amertume et de ressentiment � l'�gard des Libanais et plus particuli�rement des maronites. David Kimche, qui a pris une part active aux n�gociations isra�lo-libanaises et � l'�laboration du trait� avort� du 17 mai 1983, parle de terrible d�ception alors que Yossi Olmert, avec beaucoup moins de distance et de retenue, affirme qu'aucun Libanais, qu'il soit chr�tien ou musulman, ne m�rite que lui soit vers� une seule goutte de sang isra�lien.
+La version syrienne la plus �labor�e et la plus d�taill�e en est fournie par le principal n�gociateur syrien, ambassadeur de Syrie � Washington, Walid al-Moualem. La responsabilit� de l'�chec des pourparlers de Wye Plantation est rejet�e sur la partie isra�lienne et plus sp�cifiquement sur Shimon P�r�s qui a d�cid�, dans la foul�e, la suspension des n�gociations, l'organisation d'�lections anticip�es et le d�clenchement d'une vaste offensive au Liban en avril 1996.
+Selon l'ambassadeur syrien, Itzhak Rabin et Shimon P�r�s avaient chacun leur style et ob�issaient � un rythme de n�gociations diff�rent. Le premier �tait m�fiant, r�ticent, avan�ait prudemment et � petits pas. Devenu Premier ministre, Shimon P�r�s �tait m� par un sentiment d'urgence. Il d�sirait entrer en campagne �lectorale avec un accord syro-isra�lien clefs en main. Les deux pierres d'achoppement sur lesquelles butait l'accord final �taient li�es aux arrangements en mati�re de s�curit� et � la nature de la " normalisation ". Les exigences isra�liennes en mati�re de s�curit� �taient jug�es inacceptables pour les Syriens qui r�clamaient l'application du principe de sym�trie concernant les postes de surveillance avanc�s et les zones d�militaris�es. Sur le dossier de la normalisation, les Syriens opposaient � la vision isra�lienne d'une " paix chaude ", une normalisation graduelle, en faisant pr�valoir qu'il est encore pr�matur� pour l'opinion publique syrienne d'assimiler et d'accepter un passage brutal d'une situation de guerre � une situation de paix. Sur le volet du retrait du Golan et de sa profondeur, Walid al-Moualem et le pr�sident Assad lui-m�me ont affirm� que les Isra�liens, conform�ment � la condition pos�e par les Syriens comme pr�alable � la poursuite des n�gociations, s'�taient d�s 1994 engag�s sur le principe d'un retrait jusqu'aux lignes du 4 juin 1967.
+Si l'on a une version monolithique pr�visible en Syrie, les Isra�liens en revanche sont partag�s sur l'interpr�tation et les implications de cette opportunit� manqu�e. Le d�bat oppose ceux qui croient que la paix �tait une option strat�gique r�elle pour la Syrie � ceux qui restent convaincus que les objectifs de Hafez al-Assad, une situation de non-bellig�rance, �taient fondamentalement diff�rents de la paix telle que la con�oivent les Isra�liens. Pour les tenants de la premi�re th�se, un accord sous le forme d'une " D�claration de principes " �tait sur le point d'�tre conclu. L'opportunit� manqu�e serait due � une erreur de calcul de la part du pr�sident Assad qui n'a pas voulu comprendre et entendre qu'il �tait de sa t�che de convaincre l'opinion publique isra�lienne, tr�s r�ticente et en majorit� encore oppos�e � un retrait total du Golan, de son engagement r�el pour la paix. Une rencontre au sommet avec Shimon P�r�s aurait contribu� � cr�er une dynamique propre. En refusant d'effectuer ce geste symbolique en direction des Isra�liens, il aurait contraint celui-ci � suspendre les n�gociations et � provoquer des �lections anticip�es. Pour les tenants de l'autre th�se, le pr�sident syrien a fondamentalement peur de la paix en raison de ses implications sur la stabilit� du r�gime et sur le poids strat�gique r�gional de la Syrie. Son adh�sion au processus de Madrid et au principe de " La terre contre la paix " n'aurait �t� qu'une manoeuvre tactique pour empocher les dividendes que lui valait en soi sa posture de n�gociation. � l'inverse, la paix aurait � terme contribu� � la " banalisation " de l'acteur syrien en r�duisant consid�rablement sa valeur strat�gique.
+L'un des enjeux du d�bat porte, comme de coutume en Isra�l, sur la personnalit� de Hafez al-Assad. De plus en plus de voix s'�l�vent qui consid�rent que le pr�sident syrien constitue un obstacle � la paix et qu'Isra�l devrait attendre l'apr�s-Assad avant de relancer un quelconque processus de n�gociations avec la Syrie. Certaines figures traditionnelles du Likoud, tel Yossi Olmert, mettent en cause la l�gendaire habilet� politique et man?uvri�re du pr�sident syrien en affirmant que celui-ci n'a jamais su transformer les " cartes " dont il disposait en atouts tangibles. De l'autre c�t� du spectre politique, des personnalit�s telles que Itamar Rabinovitch, principal n�gociateur et fin connaisseur des questions syriennes, ne disent pas autre chose en qualifiant Hafez al-Assad d'" homme du pass� ", fonci�rement conservateur et qui n'a jamais r�ussi � bien saisir les r�alit�s de la soci�t� et de la politique isra�liennes.
+Personne n'est en mesure aujourd'hui de confirmer ou d'infirmer la th�se courante selon laquelle si Shimon P�r�s avait remport� les �lections, une " D�claration de principes " aurait �t� sign�e en l'espace de quelques mois, pr�lude � un accord de paix global. R�trospectivement, il est assez troublant de constater que l'opinion publique isra�lienne ne conserve pas le sentiment d'une opportunit� historique manqu�e avec la Syrie. Est-ce parce que Hafez al-Assad a, avec consistance, refus� de s'adresser directement � elle comme le lui demandait avec insistance la partie isra�lienne ? En outre, Itzhak Rabin s'�tait engag� � soumettre cet accord sur le Golan � r�f�rendum, prenant par l� un gros risque, la soci�t� isra�lienne n'�tant gu�re acquise � la formule " La paix en �change de la terre " appliqu�e � la Syrie. Enfin, deux visions quasi irr�conciliables de la paix continuaient � s'opposer : la paix est con�ue par Damas comme un moyen de contenir Isra�l dans ses fronti�res, alors que pour la partie adverse la paix constitue une fin en soi devant se traduire par une normalisation totale des relations tout en garantissant � l'�tat h�breu les conditions optimales de s�curit�.
+Selon toute probabilit�, un arrangement �tait sur le point d'�tre conclu bien qu'il soit difficile d'en d�terminer les termes et le contenu. Les responsables isra�liens qui ont �t� tr�s impliqu�s dans les n�gociations sont tr�s �vasifs sur le sujet. Selon Itamar Rabinovitch, il n'y aurait eu aucun accord entre les deux parties sur les postes de surveillance avanc�s ou sur les zones d�militaris�es. En outre, la d�l�gation isra�lienne aurait bien demand� un red�ploiement de l'arm�e syrienne mais non une r�duction de la taille des forces arm�es, contrairement aux affirmations de la d�l�gation syrienne. Quant au retrait du Golan, il n'aurait �t� abord� que de fa�on tr�s hypoth�tique. La r�currence du terme " hypoth�tique " dans le discours officiel isra�lien, de droite comme de gauche, s'agissant du principe m�me du retrait laisse quelque peu sceptique quant � l'imminence de cette paix manqu�e. Il est �vident que la grande prudence strat�gique de Hafez al-Assad et ses r�serves id�ologiques concernant le processus de normalisation avec l'�tat h�breu ne sont pas seules en cause. Les perceptions isra�liennes de la Syrie restent fondamentalement n�gatives et il n'est pas s�re qu'une poign�e de main entre Shimon P�r�s et Hafez al-Assad aurait suffi � calmer les craintes des Isra�liens, nourries par trente ans de campagne selon laquelle renoncer au Golan, c'est renoncer � la s�curit� de la Galil�e. Enfin, on semble d�celer quelques notes discordantes entre Shimon P�r�s et Uri Savir d'un c�t�, et Itamar Rabinovitch -qui avait �t� nomm� par Itzhak Rabin - de l'autre. Bien qu'il n'en ait jamais fait �tat publiquement, Itamar Rabinovitch ne semblait partager ni l'empressement de Shimon P�r�s � vouloir conclure un accord, ni son enthousiasme pour donner un contenu nouveau plus �conomique et culturel aux n�gociations dans le cadre de sa vision du " Nouveau Moyen-Orient ".
+L'anecdote qui illustre bien la distance " psychologique " qui s�parait les deux parties, syrienne et isra�lienne, est celle relative � la volont� de Shimon P�r�s, en pilote averti, de " voler haut et vite " (to fly high and fast). Il usait de cette m�taphore pour convaincre ses interlocuteurs syriens qu'il �tait dans leur int�r�t et leur s�curit� r�ciproques d'acc�l�rer le rythme des n�gociations et d'en changer les modalit�s, en provoquant une rencontre au sommet avec Hafez al-Assad et en �levant les n�gociations directes au niveau des chefs d'�tat et de gouvernement. � cela, les Syriens r�torquaient qu'il �tait certes important de " voler " mais qu'il �tait tout aussi important de ne pas se tromper sur le lieu et le moment de l'atterrissage.
+Les deux sc�narios identifi�s et analys�s ici sont ceux qui d�terminent une configuration sp�cifique du triangle syro-libano-isra�lien, avec ses prolongements sur les situations internes, et ses implications r�gionales et internationales propres : le sc�nario du statu quo et l'option d'un retrait isra�lien du Liban-sud. Ces deux cas de figure comportent des variantes interm�diaires que sont les risques d'escalade militaire et m�me de guerre ouverte ou les perc�es et les progr�s sur le front diplomatique. N�anmoins, l'effondrement de la dynamique et de l'architecture du processus de paix isra�lo-arabe a r�duit l'�ventail des options. Le triangle syro-libano-isra�lien se situe aujourd'hui dans cette zone grise, interm�diaire, entre l'option de la paix et celle de la guerre, mais qui reste une zone de crise et de turbulences.
+Le sc�nario de " ni guerre, ni paix " est sans aucun doute le plus plausible aujourd'hui concernant l'�volution � moyen terme du triangle syro-libano-isra�lien. La perspective d'une reprise des n�gociations s'�loigne au fur et � mesure que la confusion politique s'accro�t en Isra�l. Contrairement � ce qui se passe sur le front int�rieur, en Palestine, il n'y a pas ici de sentiment d'urgence pour Isra�l, sauf au Liban-sud. Mais le gouvernement de Benyamin Netanyahou semble bien d�termin� � ne c�der sous aucun pr�texte aux pressions qu'exerce Damas via le Hezbollah pour ramener la partie isra�lienne � la table des n�gociations, sur la base de la paix en �change du double retrait du Golan et du Liban-sud. D'ailleurs, le Premier ministre estime que le Golan ne constitue pas une priorit� pour le pr�sident Assad. La stabilit� interne, le r�le de la Syrie au Liban, ses relations avec les �tats-Unis et son poids r�gional sont, selon lui, des enjeux autrement plus vitaux.
+Parall�lement, les deux puissances isra�lienne et syrienne redoublent de vigilance pour �viter l'escalade et la confrontation militaire directe. Le retour de part et d'autre au discours belliqueux et radical qui caract�risait les relations entre les deux �tats avant Madrid, les rumeurs de surarmement et de mouvements de troupes, ne sauraient faire oublier que, depuis la guerre d'octobre de 1973 et les accords de d�sengagement sur le Golan, la fronti�re syro-isra�lienne est, compar�e au foyer de tension permanent du Liban-sud, un �lot de paix.
+Certains strat�ges isra�liens, minoritaires, ont pourtant �labor� des sc�narios de conflit entre Damas et Tel-Aviv, qui se fondent sur l'hypoth�se centrale que la situation de statu quo n'est viable ni pour l'une ni pour l'autre des deux parties soumises � des �ch�ances internes et � des pressions internationales croissantes. Il ne fait pas de doute que la Syrie maintiendra au Liban-sud une pression militaire indirecte aussi forte que le lui permettent les lignes rouges fix�es par l'accord de cessez-le-feu d'avril 1996 - sans impliquer ses 35 000 soldats stationn�s au Liban - et aussi longtemps que le gouvernement isra�lien en place refusera de reprendre les n�gociations l� o� elles se sont arr�t�es. D�limit�e g�ographiquement � la zone de s�curit�, la guerre d'usure que se livrent le Hezbollah (1 500 hommes) et l'arm�e isra�lienne �paul�e par l'ALS (Arm�e du Liban-sud qui compte 2 500 hommes), comporte certes des risques de d�rapage, comme en 1993 et 1996, lors des deux op�rations " Justice rendue " et " Raisins de la col�re ". N�anmoins, les r�gles du jeu scrupuleusement respect�es par Isra�l et la Syrie depuis l'entr�e des troupes de Damas en 1976 - r�gles que la cr�ation du Comit� de surveillance du cessez-le-feu n'a d'ailleurs fait que formaliser vingt ans plus tard - ont instaur� des m�canismes efficaces d'endiguement de ces risques. Une escalade militaire g�n�ralis�e dont le Liban-sud serait le d�tonateur ne pourrait, dans le contexte actuel, que venir d'une d�cision strat�gique isra�lienne visant � en d�coudre par la force avec le Hezbollah, pacifier sa fronti�re nord sans avoir � payer un quelconque prix � la Syrie. Mais le syndrome libanais en Isra�l p�se de tout son poids, psychologique certes mais �galement politique. La succession de revers que continue � subir Tsahal � l'int�rieur m�me de sa zone de s�curit� ne fait que raviver ce sentiment d'�chec et d'impuissance, relan�ant le d�bat public interne sur le maintien de la zone de s�curit�, sur lequel nous reviendrons plus loin. Outre les fortes r�sistances de l'opinion publique � toute nouvelle exp�dition chez le petit voisin au nord, le gouvernement isra�lien doit �galement compter avec les oppositions et les divisions qui se sont d�velopp�es au sein de son propre �tat-major sur l'opportunit� d'une nouvelle action militaire pour " casser " le statu quo actuel et y imposer un nouvel ordre garantissant la s�curit� " absolue " � la fois des populations du nord mais �galement celle des soldats de Tsahal. Que ce soit une op�ration punitive massive prenant en otage la population civile libanaise (� l'instar des " Raisins de la col�re ") ou l'extension de la zone de s�curit� vers le nord ou encore une attaque cibl�e contre les positions de l'arm�e syrienne au Liban : aucune de ces trois variantes de l'option militaire n'appara�t dans le contexte actuel comme une strat�gie gagnante. Aucune ne semble susceptible d'�chapper � la logique de l'enlisement qui, depuis 1982 - 1985, est per�ue comme une " mal�diction " proprement libanaise o� l'arme militaire finit par se retourner politiquement contre son utilisateur.
+En outre, il va sans dire que le contexte r�gional et international actuel ne se pr�te gu�re � une nouvelle action militaire isra�lienne au Liban. Le d�sengagement et la passivit� relatives de l'Administration am�ricaine au Proche-Orient sont incontestablement l'un des �l�ments du statu quo actuel. Dans le m�me temps, les cons�quences diplomatiques du blocage du processus de paix et les r�alignements g�ostrat�giques qui se dessinent au Moyen-Orient, en m�me temps que la vague croissante d'anti-am�ricanisme dans le monde arabe, n'augurent rien de bien rassurant � terme pour les int�r�ts et la position des �tats-Unis dans la r�gion. L'activisme diplomatique tous azimuts que d�ploie la Syrie pour parer aux risques d'isolement que l'�lection de Benyamin Netanyahou avait � un moment fait craindre, notamment par le biais de la consolidation des liens strat�giques avec la Turquie, a port� ses fruits. Le soutien r�it�r� apport� par l'�gypte et l'Arabie Saoudite � Damas, leur d�nonciation quotidienne de la politique isra�lienne et de la complaisance am�ricaine, leur refus de participer au sommet �conomique de Doha de novembre 1997, puis leur participation au sommet de la Conf�rence islamique � T�h�ran un mois plus tard, constituent autant de signaux d'urgence lanc�s � Washington par ses deux alli�s les plus fiables dans la r�gion. Il est peu probable qu'� un moment o� la capacit� de m�diateur de l'Administration am�ricaine est s�rieusement mise en cause par ses partenaires arabes, celle-ci avalise une action militaire isra�lienne au Liban. �chaud� par le coup de poker �lectoral qui a pr�cipit� Shimon P�r�s dans la d�sastreuse op�ration " Raisins de la col�re ", Washington ne voudrait en outre surtout pas prendre le risque de condamner ainsi le volet syrien des n�gociations, ce qui signerait l'arr�t de mort du processus. Tant que la partie syrienne continuera � se montrer dispos�e � reprendre les n�gociations avec Isra�l sur la base de " ce qui a �t� conclu � Wye Plantation ", les responsables am�ricains veilleront � �viter toute escalade militaire dont l'objectif premier serait pour le gouvernement isra�lien d'imposer par la force l'option " Le Liban d'abord ". Le maintien du statu quo est un pis-aller aujourd'hui pour Washington qui a tant investi dans le processus de paix et qui peut se targuer d'avoir r�alis� de remarquables perc�es sur le dossier syro-isra�lien en un laps de temps assez court, compte tenu de l'antagonisme profond qui opposait les deux parties. Il n'est pas question de revenir sur les acquis de Wye Plantation, qu'il faut geler en attendant que le verrou isra�lien se d�bloque, soit par un bouleversement de la donne interne, soit par un changement de l'�tat d'esprit de la communaut� juive am�ricaine et de ses puissants groupes de pression dans le sens d'une plus grande fermet� � l'�gard du gouvernement actuel afin qu'il r�active le processus de paix.
+� ce jour, il n'y a donc pas eu ce dangereux glissement que beaucoup redoutaient, entre le retour � un �tat de guerre froide entre Isra�l et la Syrie et une d�t�rioration incontr�lable de la situation au Liban-sud. L'autre front, celui du Golan, pourrait-il se rallumer dans ce contexte de regain de tension ? Le gouvernement isra�lien pourrait-il �tre tent� de porter le conflit en territoire syrien pour r�soudre le dilemme dans lequel il se retrouve pris aujourd'hui au Liban-sud du fait de sa propre intransigeance sur le Golan et de l'absence d'une alternative militaire cr�dible pour sortir du bourbier libanais ? Cette option ne recueille pratiquement pas d'�chos en Isra�l m�me parmi les milieux les plus " syrophobes " au sein de la coalition gouvernementale qui, redoutant l'ouverture d'un nouveau front sur le Golan, pr�conisent d'infliger enfin un coup fatal � la pr�sence syrienne au Liban. Toutes les op�rations isra�liennes dans ce pays n'ont effectivement jamais pris pour cible les positions de l'arm�e syrienne dans la B�kaa (� l'exception des frappes pr�ventives de 1982), alors m�me que c'�tait Damas et non Beyrouth qui �tait politiquement vis�e. Il est peu probable que l'option militaire contre la Syrie, avec toutes ses cons�quences incontr�lables en termes de s�curit� pour l'�tat h�breu, fasse plus d'�mules au sein de l'opinion publique comme de l'establishment militaire et politique, et ce, tant que Hafez al-Assad continuera, comme il l'a toujours fait, de se conformer aux fameuses lignes rouges au-del� desquelles il exposerait son pays � la sup�riorit� militaire �crasante de Tsahal.
+Certains strat�ges isra�liens, minoritaires, n'�cartent pourtant plus l'�ventualit� d'une guerre limit�e que d�clencherait le pr�sident syrien pour sortir de l'impasse politique devenue intenable. Les tenants de ce sc�nario reprennent � contre-pied une th�se commun�ment partag�e - par des hommes politiques aussi diff�rents que Itamar Rabinovitch et Benyamin Netanyahou - selon laquelle Hafez al-Assad n'aurait jamais �t� press� de signer un accord de paix sur le Golan. Au contraire r�torquent ceux-l�, le pr�sident syrien se trouve aujourd'hui dans la m�me situation d'urgence que Yasser Arafat ou que Shimon P�r�s � la veille des �lections qui allaient sceller politiquement son sort. Il partagerait �galement ce m�me sentiment d'amertume et de frustration d'avoir laiss� la " victoire " lui �chapper alors qu'il �tait si proche du but : le retour du Golan sous souverainet� syrienne. Priv� d'options diplomatiques pour lib�rer le Golan et face � l'inertie de la communaut� internationale, Hafez al-Assad pourrait �tre tent� par une op�ration militaire sur le mod�le de la guerre d'octobre 1973, sous la forme d'une incursion limit�e au Golan dans la zone du mont Hermon, for�ant ainsi Am�ricains et Europ�ens � intervenir rapidement pour pr�venir les risques d'escalade et relancer les n�gociations. Ce sc�nario reste peu convaincant, ne serait-ce que par la place centrale qu'il accorde � la psychologie du pr�sident syrien qui, arrivant au seuil de son existence et � l'heure terrible des bilans, opterait brutalement pour un revirement de la strat�gie qui a �t� la sienne depuis 1973 et qui a �t� globalement gagnante en termes de poids r�gional, pour se pr�cipiter t�te baiss�e dans une confrontation militaire avec Isra�l, dans une ultime tentative de jouer quitte ou double : c'est-�-dire r�cup�rer le Golan ou perdre tous les acquis engrang�s jusque-l�, dont la mainmise sur le Liban. En outre et sans �tre un fin strat�ge, on voit mal selon quelle logique Isra�l c�derait � une pression militaire syrienne sur le Golan, en acceptant de reprendre les n�gociations selon les conditions pos�es par Damas, alors que la guerre d'usure au Liban-sud n'a pas � ce jour entam� l'intransigeance du gouvernement isra�lien. Le pr�sident Assad - qui a toujours dans ses calculs accord� une place centrale aux �quilibres strat�giques - sait qu'une tentative syrienne pour occuper par la force une partie du Golan entra�nera une riposte isra�lienne d�vastatrice. Les conditions qui pr�valent aujourd'hui sont en outre radicalement diff�rentes du contexte r�gional et international qui a permis � Anouar al-Sadate de r�colter les fruits politiques d'une op�ration militaire limit�e dans ses objectifs. Le pr�sident �gyptien disposait alors d'atouts strat�giques majeurs qui font d�faut � Hafez al-Assad - et qui expliquent d'ailleurs le choix historique de la Syrie de renoncer � la parit� strat�gique avec l'�tat h�breu et d'accepter l'option de la paix : l'effondrement de l'Union sovi�tique, le d�couplage des divers volets �gyptien, jordanien et palestinien, la disparition d'un " front " arabe commun, etc. Enfin, une d�faite militaire de cette taille inflig�e � l'arm�e syrienne risquerait fort de provoquer un cataclysme interne. La derni�re chose que souhaiterait le pr�sident syrien est de se retrouver pi�g� dans une confrontation militaire avec Isra�l.
+Hafez al-Assad continuera � privil�gier l'option actuelle de " ni guerre, ni paix " que la Syrie a connue de 1974 � 1991 avant qu'elle ne se rallie au processus de Madrid. La suspension des n�gociations a �videmment consid�rablement r�duit ses options. N�anmoins, le pr�sident Assad a une longue exp�rience de ces situations de statu quo et il sait comment en exploiter les failles et tourner � son profit le processus de " pourrissement " actuel, pour pr�parer les conditions de nouvelles n�gociations de paix. Loin de le r�duire � l'impuissance ou � la passivit�, la perp�tuation de ce sc�nario le poussera de plus en plus � jouer de sa capacit� de nuisance en agissant sur quatre leviers : faire payer Isra�l un prix de plus en plus lourd au Liban-sud ; geler tout processus de normalisation entre Arabes et Isra�liens et renforcer son soutien aux mouvements d'opposition aux accords d'Oslo ; jouer sur les tensions entre Tel-Aviv et Washington ; et enfin rentabiliser au mieux les deux cartes, iranienne et irakienne.
+Le sc�nario du statu quo r�duit donc plut�t qu'il ne favorise les risques d'escalade militaire. En revanche, il n'est pas immuable en ce sens que l'on est entr�, non pas dans une situation de gel du processus de paix, comme l'auraient souhait� ses architectes am�ricains, mais dans une phase de r�gression. En effet, si certains acquis semblent aujourd'hui irr�versibles, tels les deux accords de paix �gypto-isra�lien et jordano-isra�lien, la paix des peuples r�gresse de fa�on assez inqui�tante. Pour certains, cela rel�ve d'une vision romantique et ang�lique de la r�conciliation historique des soci�t�s arabes et isra�lienne, bien �loign�e des v�ritables imp�ratifs et int�r�ts politiques, �conomiques et strat�giques cens�s guider le processus de paix. Mais, si les �tats arabes peuvent d�cider de faire la paix dans un premier temps sans leurs peuples, ils ne peuvent la faire contre eux. Le raidissement et m�me la radicalisation des opinions publiques arabes vis-�-vis d'Isra�l ont aujourd'hui des r�miniscences d'une �poque que l'on croyait r�volue depuis une dizaine d'ann�e : celle du refus du fait accompli isra�lien. Un tel �tat de chose, s'il se prolongeait, aurait des incidences politiques et strat�giques dans la mesure o� la marge de manoeuvre des �tats arabes se retrouverait progressivement r�duite vis-�-vis d'Isra�l mais aussi de Washington. D�j� affaiblis sur le plan interne, ils seront de plus en plus contraints � r�pondre de leurs choix face � des soci�t�s qui ne voient gu�re se mat�rialiser les dividendes de la paix et face � une contestation politique interne, majoritairement islamiste, oppos�e � la normalisation avec l'�tat h�breu. Autant que l'�volution politique interne en Isra�l ou la question de l'apr�s-Assad, cette donn�e est essentielle dans l'�valuation des diff�rents sc�narios et de leur probabilit�.
+La principale clef du statu quo actuel r�side sans aucun doute en Isra�l. En d�pit de l'opposition virulente de l'ensemble des �lites - hommes politiques, intellectuels, arm�e, services de s�curit� et de renseignements - et d'une position de plus en plus inconfortable au sein de son propre parti, le Premier ministre semble �tre pass� ma�tre dans l'art de la survie politique. Si le maintien de Benyamin Netanyahou au pouvoir et sa r��lection en l'an 2000 semblent constituer une garantie contre la reprise des n�gociations syro-isra�liennes, rien ne permet d'affirmer aujourd'hui qu'un changement de la donne politique isra�lienne, � moyen terme, d�bloquera l'impasse actuelle. Dans tous les cas de figure envisag�s, motion de censure contre le gouvernement (qui requiert 61 voix au sein de la Knesseth) ou contre le Premier ministre (80 voix), provoquant des �lections anticip�es dans le premier cas, et la nomination d'un nouveau chef de gouvernement dans l'autre, il est probable que le Golan et la paix avec la Syrie ne constitueront pas des enjeux prioritaires tant au niveau de l'opinion publique que de la classe politique. Ce d�sint�r�t s'explique par le fait que ces enjeux ne sont pas pour l'heure vitaux pour la s�curit� d'Isra�l. Il est vrai que la fronti�re syro-isra�lienne est la plus s�re, � telle enseigne que le Golan et le lac de Tib�riade sont aujourd'hui les lieux de vill�giature privil�gi�s des Isra�liens, les colons eux-m�mes se reconvertissant massivement dans le secteur touristique.
+En d�pit de ses professions de foi pr��lectorales que le Golan restera isra�lien et qu'il s'y emploiera pour cela, la position de Benyamin Netanyahou sur la paix avec la Syrie est plus ambivalente qu'il n'y para�t. Ainsi, � la veille de la premi�re tourn�e dans la r�gion du secr�taire d'�tat am�ricain, Madeleine Albright, au mois de septembre 1997, des rumeurs persistantes ont circul� dans les m�dias isra�liens sur des messages secrets que le Premier ministre aurait fait parvenir � Hafez al-Assad, via Dennis Ross et/ou Uzi Arad, son conseiller politique, pour examiner les possibilit�s d'une reprise des n�gociations avec la Syrie. Le Premier ministre aurait propos� une version �dulcor�e de la formule lanc�e par Itzhak Rabin et reprise par Shimon P�r�s, selon laquelle la profondeur du retrait n'est plus proportionnelle � la profondeur de la paix, mais aux garanties de s�curit� que Damas est pr�te � conc�der � l'�tat h�breu sur le Golan. Bien que le cabinet du Premier ministre ait confirm� la nouvelle, il a refus� d'en divulguer la teneur. Benyamin Netanyahou est prisonnier non seulement de son approche id�ologique - que l'on peut r�sumer concernant la Syrie par " la paix avec le Golan " - mais �galement de ses imp�ratifs de survie politique au quotidien. Toute concession sur le Golan risque en effet de provoquer l'effondrement de sa propre coalition. Avigdor Kahalani, ministre de la S�curit� int�rieure et leader du parti de la " Troisi�me voie ", l'un des officiers ayant combattu sur le Golan, est formellement oppos� � toute forme de restitution du plateau vital, selon lui, pour la s�curit� de l'�tat h�breu.
+Impensable � la veille de l'op�ration " Raisins de la col�re ", ce sc�nario avec toutes ses variantes fait d�sormais partie du domaine du " politiquement " envisageable. Il a �t� retenu ici en raison de l'�volution du d�bat en Isra�l sur le Liban qui, en moins de deux ans, a acquis une acuit� sans pr�c�dent. Le tabou qui, depuis 1982, inhibait la libert� de d�battre de la politique libanaise de l'�tat h�breu a �t� lev�. L'audience que recueille l'option du retrait unilat�ral du Liban-sud s'est �largie de fa�on spectaculaire en l'espace de deux ans � peine. Les causes sont li�es � la prise de conscience, d�j� latente mais acc�l�r�e par le bilan n�gatif des " Raisins de la col�re ", du fait qu'Isra�l n'a pas les moyens de gagner cette guerre d'usure au Liban-sud et que la zone de " s�curit� " est devenue en soi une source d'ins�curit� o� de jeunes soldats isra�liens continuent de payer de leur vie une politique que certains jugent " archa�que " et d�pass�e. Une autre raison fondamentale � cette remise en question de la l�gitimit� m�me des arguments s�curitaires, qui justifient le maintien de la zone de s�curit�, est li�e � l'arr�t net et brutal du processus de paix avec la Syrie. Tant que les n�gociations syro-isra�liennes semblaient en bonne voie et sur le point d'aboutir � un accord global, incluant le r�glement du probl�me libanais, les victoires de la gu�rilla remport�es par le Hezbollah avaient moins d'importance. L'impasse au Liban-sud �tait v�cue comme un mal n�cessaire mais provisoire. Alors qu'aujourd'hui l'option de la paix avec la Syrie semble durablement enterr�e, des voix de plus en plus nombreuses s'�l�vent en Isra�l pour r�clamer une r�vision de la politique libanaise et une red�finition de ses objectifs � la lumi�re de la situation actuelle. Ce sentiment d'urgence au Liban-sud est exacerb� aussi par le nouveau cadre impos� par l'accord de cessez-le-feu qui a mis un terme � l'op�ration " Raisins de la col�re " d'avril 1996 et a contribu� � r�tr�cir consid�rablement le champ des options isra�liennes. Cet arrangement impose des conditions restrictives � l'arm�e isra�lienne rendant � terme sa position intenable. Le syst�me dans le cadre duquel op�re l'arm�e isra�lienne au Liban-sud est devenu de plus en plus rigide, ne serait-ce qu'en raison de l'existence du Comit� de surveillance du cessez-le-feu qui bride l'action de l'arm�e isra�lienne et neutralise en grande partie sa puissance de feu en lui interdisant de s'en prendre aux civils. En outre, la pr�sence d'Am�ricains et de Fran�ais au sein de ce comit� a de facto contribu� � une forme d'internationalisation du conflit. Sur le plan militaire et en d�pit des r�centes d�clarations du ministre de la D�fense sur les " bons r�sultats " obtenus par l'arm�e isra�lienne gr�ce � la mise en oeuvre de tactiques de combat plus performantes, Tsahal reste astreint � une position d�fensive face au Hezbollah dont les m�thodes de gu�rilla se sont consid�rablement affin�es au cours de ces dix derni�res ann�es et qui semble contr�ler parfaitement le terrain. Pour la premi�re fois depuis l'instauration de la zone de s�curit�, le nombre de tu�s isra�liens a d�pass� en 1997 celui des Libanais, civils et combattants du Hezbollah confondus.
+La question du maintien de la zone de s�curit� est devenue un facteur de division aussi bien parmi la classe politique qu'au sein de l'�tat-major de l'arm�e qui se garde pourtant d'�taler au grand jour ses discordances internes. L'option du retrait unilat�ral, total ou partiel, provoque un d�bat public particuli�rement vif entre partisans et opposants. Les prises de position sur cette question transcendent les lignes de clivages traditionnels Likoud/Parti travailliste et finissent par brouiller encore davantage un �chiquier politique d�j� confus. Ainsi, si la " colombe " travailliste, Yossi Beilin, et le " faucon " du Likoud et ministre des Infrastructures nationales, Ariel Sharon, soutiennent tous deux l'option du retrait unilat�ral, leurs motivations sont loin d'�tre les m�mes. L'architecte de l'op�ration de 1982 " Paix en Galil�e ", qui rejoint par l� les positions du parti de la " Troisi�me voie ", est favorable � un retrait unilat�ral, � la seule condition qu'il ne soit pas n�goci� avec les Syriens. L'objectif est non seulement de priver la Syrie de son atout-ma�tre, mais �galement de dissocier les deux volets libanais et syrien. Il ne s'agit plus de l'option " Le Liban d'abord ", mais de l'option " Le Liban seulement ". Le retrait se transforme alors en une carte contre la Syrie. Mais l'un des arguments majeurs de Ariel Sharon reste qu'Isra�l doit pouvoir d�cider en toute libert� du moment, des modalit�s et des conditions d'un retrait. Yossi Beilin et d'autres, dont l'" Association des 4 m�res " de soldats isra�liens servant au Liban-sud, s'appuient davantage sur des arguments de type humanitaire pour d�monter le raisonnement strat�gique et s�curitaire qui sous-tend le maintien de cette zone-tampon. Le nombre de soldats isra�liens tu�s au Liban (1 200 environ depuis 1982) et le bilan chaque ann�e un peu plus �lev� devraient, selon eux, inciter les responsables isra�liens � changer de politique. Ils soutiennent que Tsahal serait bien plus en mesure de d�fendre la s�curit� de l'�tat d'Isra�l � partir du territoire isra�lien. � l'extr�me gauche de l'�chiquier politique, on retrouve des opposants au retrait tels que le d�put� Yossi Sarid (Meretz) - l'un des plus virulents critiques de l'op�ration " Paix en Galil�e " - qui redoute dans ce cas de figure un d�luge de katioushas sur le nord d'Isra�l, contraignant l'arm�e isra�lienne � revenir en force au Liban en y lan�ant une invasion massive, terrestre et a�rienne.
+Le consensus apparent au sein des forces arm�es sur la n�cessit� de maintenir cette zone-tampon aussi longtemps qu'Isra�l et la Syrie ne sont pas parvenus � un accord politique semble s�rieusement �branl�. Le doute commence � gagner un nombre croissant d'officiers sup�rieurs du Commandement de la r�gion nord quant � l'efficacit� d'une politique dont le but d�clar� est de prot�ger la s�curit� de la fronti�re nord d'Isra�l sans pour autant exposer la vie des soldats isra�liens. Bien que ces responsables militaires ne fassent aucune d�claration publique sur une n�cessaire r�vision de la strat�gie isra�lienne au Liban, certaines " fuites " laissent � penser que l'option d'un retrait unilat�ral fait de plus en plus d'�mules jusqu'aux plus hauts �chelons de la hi�rarchie militaire. De l'avis de ces militaires, l'enlisement de Tsahal au Liban-sud commence � affecter s�rieusement le moral des troupes alors que l'assurance et la combativit� du Hezbollah ne font que se renforcer sur le terrain. � l'inverse, l'ALS cens�e au d�part �tre la cheville ouvri�re de tout le dispositif isra�lien au sud est devenue au fil du temps et plus pr�cis�ment depuis deux ans un alli� de moins en moins fiable et de plus en plus difficile � g�rer et � contenir. Plusieurs sources, isra�liennes et autres, font �tat de d�fections de plus en plus nombreuses en son sein de jeunes combattants qui vont grossir les rangs du Hezbollah et/ou se transforment en agents doubles transmettant au Hezbollah des renseignements sur les mouvements et les op�rations tactiques des troupes isra�liennes.
+Contre les tenants de cette th�se, un noyau dur d'officiers continue � d�fendre fermement le maintien de la zone de s�curit� comme un moindre mal. Un retrait sans garantie de s�curit�, m�me avec menaces de repr�sailles massives en cas d'attaques du Hezbollah sur le nord d'Isra�l, serait un coup de poker aux risques incontr�lables, qui exposerait directement les populations civiles. Les combattants du Hezbollah s'�tendraient tout au long de la fronti�re et tenteraient des op�rations d'infiltration en territoire isra�lien. Le retrait porterait �galement un coup fatal au prestige de Tsahal vis-�-vis de l'opinion publique isra�lienne mais �galement arabe, contrainte pour la premi�re fois de se replier sous la pression d'une gu�rilla de quelques milliers d'hommes. Ainsi, selon Uri Lubrani, coordinateur des op�rations isra�liennes au Liban-sud, ce serait pure folie que d'envisager un retrait dans les conditions actuelles, m�me assorti de mesures s�curitaires et logistiques, impliquant une tierce partie, la France par exemple, qui en garantirait la bonne application. Il est convaincu que le maintien de la zone de s�curit� est la situation la moins co�teuse pour Isra�l en termes de s�curit�. Il consid�re l'option " Le Liban d'abord ", dans toutes ses formulations et d�clinaisons, comme mort-n�e, mais n'est pas partisan pour autant de la r��dition d'une attaque de type " Raisins de la col�re ".
+La pression croissante de l'opinion publique relay�e par le malaise dans les rangs de l'arm�e face aux succ�s militaires remport�s par le Hezbollah - notamment contre le fameux char d'assaut Merkava, fleuron de l'industrie de l'armement isra�lienne - inqui�te le gouvernement qui a pourtant r�it�r� par la bouche de son ministre de la D�fense, Itzhak Mordecha�, son engagement � respecter les termes du cessez-le-feu d'avril 1996. N�anmoins, la radicalisation de ce d�bat ne peut manquer � terme de faire �clater les contradictions - et peut-�tre bien les divisions internes - du gouvernement qui marche, par conservatisme ou absence de consensus interne, dans les pas de son pr�d�cesseur mais sans avoir de direction pr�cise. S'agit-il de ne rien entreprendre au Liban qui puisse y miner l'influence et la pr�dominance de la Syrie, seule puissance en mesure de garantir une pacification de la fronti�re nord d'Isra�l permettant aux troupes de Tsahal de se retirer en toute s�curit� ? Mais alors comment r�soudre cette contradiction inh�rente � la position isra�lienne qui reconna�t � la Syrie les pleins droits sur le Liban mais ne lui en conc�de aucun sur le Golan ?
+Les probabilit�s d'un tel sc�nario de retrait unilat�ral restent minces. En d�pit de l'acuit� du d�bat, l'opinion publique ne semble pas dans sa majorit� gagn�e par l'id�e du retrait. L'une des raisons � cela est li�e � la perception n�gative de la notion d'" unilat�ral " qui �quivaudrait � " inconditionnel ", donc � une forme de reddition de l'arm�e isra�lienne. En r�alit�, aucun des acteurs principaux ne souhaite qu'Isra�l le mette en pratique, surtout dans sa version inconditionnelle et non concert�e : ni les Syriens qui se retrouveraient priv�s de leur principal levier de pression sur Isra�l, ni l'�tat libanais qui redoute l'installation d'un vide strat�gique au Liban-sud favorisant les tensions et les r�glements de compte intra-libanais, ni Washington et ses alli�s arabes - notamment l'�gypte et l'Arabie Saoudite qui ont officiellement avalis� et soutenu la strat�gie syrienne sur la " concomitance des deux volets " - convaincus que toute solution politique au Liban-sud doit n�cessairement passer par Damas.
+Un tel cas de figure pr�sente pourtant bien des avantages du point de vue isra�lien, l'isolement du couple syro-libanais n'en est pas des moindres. Non point que l'�tat h�breu cherche � d�faire ce couple ; comme il a �t� soulign� plus haut, aucun dirigeant isra�lien de droite ou de gauche ne souhaite aujourd'hui s'immiscer dans les relations bilat�rales entre la Syrie et le Liban. Mais, en renon�ant � sa zone de s�curit�, Isra�l aurait r�ussi � s'extirper de ce triangle hors duquel le couple syro-libanais perd l'un de ses �l�ments essentiels de coh�sion et de l�gitimation. Le red�ploiement des troupes syriennes, pr�vu par les accords de Ta�f, serait de nouveau � l'ordre du jour. Par ailleurs, il n'est pas du tout s�r, contrairement aux craintes exprim�es par les opposants � un retrait unilat�ral, que le Hezbollah " poursuive " l'arm�e isra�lienne en Isra�l pour deux raisons majeures. La premi�re est qu'il est tr�s d�licat pour la Syrie d'apporter sa caution implicite � des op�rations militaires men�es en territoire isra�lien, par crainte � la fois de l'ampleur pr�visible de la riposte isra�lienne et de la r�probation internationale que cela ne manquera pas de susciter, de la part aussi bien des �tats-Unis et de l'Union europ�enne que des alli�s �gyptien et saoudien de la Syrie. La deuxi�me raison tient � la strat�gie proprement interne du Hezbollah qui prime sur toute autre consid�ration d'ordre r�gional. La direction actuelle du mouvement ne voudrait en aucun cas mettre en p�ril les b�n�fices politiques de plus d'une douzaine d'ann�es de r�sistance � l'occupation isra�lienne en " ouvrant ", en cas de retrait des troupes de Tsahal, un nouveau front sur la fronti�re libano-isra�lienne. Le capital de sympathie et de soutien dont il b�n�ficie sur le plan national et l'audience croissante qu'il s'est taill� au sein de la communaut� chiite face au mouvement Amal pourraient en �tre durablement affect�s et menacer la survie m�me du mouvement sur la sc�ne politique libanaise.
+Malgr� les avantages qu'elle pr�sente, une telle initiative isra�lienne constituerait un coup de poker, tant les risques restent grands et impr�visibles. Un bien timide ballon d'essai a �t� lanc� avec l'�vacuation par l'ALS d'une douzaine de villages de la r�gion de Jezzine. Cette manoeuvre visait � tester la capacit� de l'�tat libanais � reprendre le contr�le des zones " lib�r�es ", dans l'hypoth�se d'un retrait par �tapes (autre variante du retrait unilat�ral). Face � l'absence de r�action de la part tant du Hezbollah que de l'arm�e libanaise, le gouvernement isra�lien semble pour l'heure avoir renonc� � la carte " Jezzine d'abord ". Mais cette option comme celle d'un retrait total restent ouvertes. Beaucoup d�pendra de la configuration future des rapports de forces internes en Isra�l dont il est difficile de saisir les contours, et de l'�volution de la relation avec Washington. Une impasse prolong�e sur le dossier palestinien peut �galement pousser le gouvernement isra�lien � cette forme de fuite en avant en �vacuant ses troupes de la zone de s�curit�. Il n'est pas exclu que Benyamin Netanyahou ait, en son for int�rieur, d�j� pris cette d�cision et qu'il attende le moment opportun pour abattre une carte qu'il estime gagnante. L'ALS prend tr�s au s�rieux la possibilit� d'un retrait subit et non concert� de Tsahal, comme le prouvent les d�clarations de son commandant, Antoine Lahad, qui, pour la premi�re fois, a publiquement menac� Isra�l de repr�sailles en cas de retrait unilat�ral.
+Mais, si un tel retrait s'effectuait dans le contexte actuel de blocage diplomatique, m�me sous la banni�re de la r�solution 425, il ne contribuerait certainement pas � d�samorcer le climat de tension. L'�tat libanais serait bien en peine de reprendre le contr�le du Liban-sud, bien que, techniquement, l'arm�e soit aujourd'hui tout � fait en mesure de remplir le r�le pr�vu par les accords de Ta�f. Il devra faire face � un grave dilemme en cas de retrait : soit laisser le champ libre au Hezbollah - sur instructions syriennes -, soit d�ployer l'arm�e libanaise dans une r�gion qui �chappe totalement depuis 1978 � l'autorit� du pouvoir central et remplir le r�le de garde-fronti�res au b�n�fice d'Isra�l. La Syrie, quant � elle, c�l�brera � grands renforts de m�dias et de d�clarations triomphalistes la " lib�ration " du Liban-sud comme la victoire de la r�sistance libano-syrienne. Mais le temps des festivit�s pass�, le pr�sident Assad devra relever ce d�fi qui met � plat sa strat�gie de n�gociation face � Isra�l. Il pourrait opter pour l'escalade mais encore faudrait-il qu'il puisse justifier au regard de la communaut� internationale la poursuite d'actions de " r�sistance " en territoire isra�lien. Des substituts au Hezbollah - trop identifi� aujourd'hui � la r�sistance libanaise contre l'occupation isra�lienne -devront �tre trouv�s qui agiront alors sous le slogan " Lib�rer la Palestine ". Le pr�sident Assad pourrait se servir des principaux mouvements d'opposition palestiniens qu'il abrite pour recr�er un nouveau " fathland " au Liban-sud, comme aux heures de gloire de la r�sistance palestinienne au Liban.
+L'autre alternative - qui semble la plus probable - est qu'il prendra sagement le temps de la r�flexion, en �vitant surtout de se lancer dans une action pr�cipit�e qui risquerait de menacer son emprise sur le Liban. Son r�flexe premier sera plut�t de chercher � prot�ger la solidit� du couple syro-libanais m�me s'il doit dans le m�me temps mettre entre parenth�ses son " combat " pour lib�rer le Golan. Il sait qu'il dispose d'atouts non n�gligeables en cas de retrait unilat�ral isra�lien. Le premier d'entre eux et le plus important est que personne - ni la tro�ka libanaise, ni les pays arabes, ni Isra�l, ni l'Iran, ni les �tats-Unis, ni m�me la France ou l'Union europ�enne - n'exigera de la Syrie qu'elle se conforme enfin aux dispositions des accords de Ta�f qui pr�voient le red�ploiement puis le retrait des troupes syriennes, selon un �ch�ancier bien pr�cis mais sans cesse repouss� en raison des " conditions exceptionnelles " que traverse le Liban, autrement dit l'occupation isra�lienne et la n�cessit� vitale d'y mettre un terme. La crainte r�elle d'un basculement du Liban dans la guerre civile agit comme un repoussoir pour tous les acteurs r�gionaux ou internationaux impliqu�s directement ou indirectement sur la sc�ne libanaise. M�me l'Iran - qui figure en t�te de la liste des " rogue states " �tablie par l'Administration Clinton - ne serait pas favorable � une rupture du statu quo intercommunautaire libanais issu de Ta�f qui a consid�rablement am�lior� la position et le poids de la communaut� chiite. Il est important de souligner � cet �gard, contrairement � la perception largement partag�e en Isra�l, que T�h�ran reste un acteur ext�rieur au triangle syro-libano-isra�lien et que son influence sur le Hezbollah a �t� d�mesur�ment exag�r�e. Il ne s'agit pas de nier la r�alit� des faits, � savoir que ce mouvement est n� en 1985 de l'alliance syro-iranienne au Liban, � un moment o� il y avait une v�ritable prolif�ration de milices au Liban. Mais ce mouvement a r�ussi � se hisser au rang de parti politique et � s'affirmer, � travers sa participation au jeu �lectoral et sa forte repr�sentation parlementaire, comme un acteur � part enti�re sur la sc�ne politique libanaise - pour autant bien s�r que l'on puisse qualifier de vie politique, l'immobilisme et la paralysie qui frappent les institutions de la IIe R�publique libanaise. En tout �tat de cause, le jeu de T�h�ran au Liban a toujours soigneusement �vit� de heurter de front ou de court-circuiter le " ma�tre et seigneur des lieux " syrien. Les �tats-Unis s'abstiendront �galement d'exercer des pressions dans ce sens pour les raisons qui ont �t� �voqu�es plus haut - m�nager la Syrie dans l'espoir d'un d�blocage du processus de paix - et parce qu'ils ne font gu�re confiance � la capacit� de l'�tat libanais � assurer la paix civile et � imposer son autorit� sur l'ensemble du territoire. Quant aux Isra�liens, ils seront plus que sensibles aux arguments que la Syrie ne manquera d'agiter comme autant d'�pouvantails contre d'�ventuelles pressions pour qu'elle retire ses troupes du Liban. Le premier de ses arguments concerne la " porosit� " de la fronti�re libano-isra�lienne : seule Damas est aujourd'hui en mesure de contr�ler les groupes potentiels qui voudront se lancer dans de nouvelles op�rations de gu�rilla en territoire isra�lien. Le deuxi�me argument, tout aussi porteur, est li� � la question des 300 000 r�fugi�s palestiniens au Liban dont le sort est de plus en plus incertain, compte tenu � la fois du refus de l'�tat libanais d'envisager une quelconque solution d'" int�gration " et du d�raillement du processus d'Oslo. L� encore, le r�le de la Syrie peut s'av�rer vital. Enfin, la position commune de la France, de l'Union europ�enne et de la majorit� des pays arabes est que la Syrie doit demeurer une partie centrale de tout accord ou " d�saccord " dans le cas d'un retrait unilat�ral isra�lien...
+Le triangle syro-libano-isra�lien est aujourd'hui compl�tement verrouill� par l'impasse du processus de paix. Des trois parties prenantes � ce jeu triangulaire, c'est sans conteste l'acteur isra�lien qui d�tient la clef d'un " d�blocage ". Au terme de cette �tude, il semble probable que l'option du statu quo l'emportera c�t� isra�lien, tout au moins jusqu'aux prochaines �lections l�gislatives. Mais la sc�ne politique isra�lienne reste confuse et son �volution, m�me � court terme, demeure impr�visible ; ce qui n'est pas sans d�concerter les amateurs de sc�narios que nous sommes et qui avons appris qu'une d�mocratie offrait plus de transparence et de lisibilit� au niveau de sa politique ext�rieure et de sa s�curit� qu'une autocratie, et qu'elle �tait naturellement plus encline � opter pour la paix. Il n'est pas de notre propos ici d'analyser les mutations sociopolitiques diverses que conna�t l'�tat d'Isra�l. Mais le processus de paix et son acc�l�ration en l'espace de trois ans � peine ont eu l'effet d'un s�isme sur une soci�t� contrainte de se red�finir dans son double rapport � son environnement rest� �tranger et � son identit� propre. Le refus de l'assimilation que pr�ne Benyamin Netanyahou n'est que l'une des expressions de ce choc historique. Il n'est d�s lors pas acquis que son d�part suffise � remettre sur les rails le processus de paix. Ehoud Barak, secr�taire g�n�ral du Parti travailliste, lui-m�me, se garde bien de s'engager clairement sur le sujet. Homme secret, il fait tr�s peu de discours et se pr�sente toujours comme le successeur de Itzhak Rabin. On suppose qu'une fois au pouvoir et disposant d'une majorit� confortable, il donnerait la priorit� au volet palestinien. Concernant les n�gociations avec le couple syro-libanais, il adoptera � n'en pas douter la m�me approche que Itzhak Rabin et Shimon P�r�s, � savoir que la Syrie reste le passage oblig� de tout r�glement global. Au mois d'ao�t 1997, il avait envoy� par l'interm�diaire de la d�l�gation d'Arabes isra�liens, en visite � Damas, une lettre au pr�sident syrien dans laquelle il s'engageait � suivre la voie de la paix trac�e par Itzhak Rabin.
+Hafez al-Assad qui, � cette occasion, a lou� les vertus d'homme de paix du pr�sident du Parti travailliste, continuera � observer avec beaucoup d'attention les �volutions politiques internes en Isra�l. � mi-parcours entre la suspension des n�gociations d�but mars 1996 et la fin du mandat de Benyamin Netanyahou en l'an 2000, le pr�sident syrien n'a de meilleur choix que celui d'attendre en tablant sur le fait que le temps joue contre le premier ministre isra�lien et discr�dite les options qu'il d�fend, en d�montrant qu'il n'y aura pas de s�curit� pour l'�tat h�breu sans paix r�elle. Et cette paix doit passer par la restitution du Golan et l'�vacuation du Liban-sud tout en pr�servant l'une des victoires les plus �clatantes de Hafez al-Assad : la consolidation de son h�g�monie au Liban.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Cet article a �t� traduit par May Chartouni-Dubarry.
+Il a fallu beaucoup de temps et de longs d�bats internes � la Syrie avant d'accepter l'id�e que le processus de n�gociations bilat�rales et multilat�rales, lanc� lors de la conf�rence de Madrid en 1991, pouvait � terme d�boucher sur une paix r�elle avec Isra�l. En effet, une large partie de l'�lite politique comme intellectuelle redoutait les cons�quences de la paix et de la " normalisation " sur la position r�gionale de la Syrie, sa stabilit� interne et sa situation �conomique. Damas est demeur�e pendant un long moment sceptique quant � la volont� r�elle d'Isra�l de parvenir � un accord �quitable et satisfaisant pour les deux parties. Ce n'est qu'en 1995 que les responsables syriens ont commenc� � croire qu'une base commune pouvait �tre trouv�e avec le gouvernement travailliste. Et de fait, les n�gociations tenues � Maryland de d�cembre 1995 � janvier 1996 ont �t� beaucoup plus s�rieuses et pouss�es que tous les " rounds " pr�c�dents. C'est � ce moment-l�, semble-t-il, que les Syriens ont pris la d�cision de s'engager pleinement dans le processus de paix.
+Mais les choses allaient se d�rouler autrement que pr�vu. La victoire de Benyamin Netanyahou aux �lections de 1996 a pris les responsables syriens par surprise ; ils ne l'avaient �videmment ni souhait�e, ni int�gr�e dans leur strat�gie de n�gociation comme une �ventualit� plausible. Mais rien ne pourra les contraindre aujourd'hui � ren�gocier avec le gouvernement du Likoud ce qui avait �t� d�j� n�goci� avec ses pr�d�cesseurs ou de revenir sur les bases de l'accord tel qu'il semblait se pr�ciser avec les travaillistes, autrement dit un retrait isra�lien " total " du Golan en �change d'une paix " totale ".
+Par cons�quent, le sc�nario le plus probable, aussi longtemps que le Likoud demeurera au pouvoir, est la prolongation de la situation de " ni paix, ni guerre " entre la Syrie et Isra�l, autrement dit la poursuite de la guerre d'usure au Liban-sud avec toujours les risques d'escalade g�n�ralis�e et d'une confrontation directe entre les forces isra�liennes et syriennes. � court et moyen termes, le sc�nario le plus improbable reste celui d'une reprise des n�gociations menant � terme � un accord de paix syro-isra�lien, en raison soit d'un changement de l'�quipe au pouvoir en Isra�l, soit d'un revirement de strat�gie de la part du gouvernement actuel.
+Cette �tude tente, pour chacun de ces deux cas de figure, d'analyser les implications qui pourraient en r�sulter sur la situation interne de la Syrie, sa position et sa strat�gie r�gionales, en mettant plus particuli�rement l'accent sur les relations avec le Liban. La " question de la succession " du pouvoir syrien actuel sera �galement abord�e. Enfin, quelques suggestions seront faites concernant plus sp�cifiquement la politique europ�enne vis-�-vis de la Syrie, du volet syro-isra�lien des n�gociations et du " couple " syro-libanais.
+Le lecteur devra garder � l'esprit les limites inh�rentes � ce genre d'exercice. Les sc�narios d�velopp�s ici et leur probabilit� de r�alisation se fondent certes sur des informations et une analyse objectives. Il n'en demeure pas moins que les sociologues et politologues ne sont pas pourvus de dons de voyance qui rendraient leurs pr�visions infaillibles.
+En supposant que le gouvernement de Benyamin Netanyahou se maintienne au pouvoir en Isra�l, il est probable que l'impasse actuelle du processus de paix persiste surtout au niveau de son volet syrien. Cela d'autant plus que la prolongation de cette situation instable de " ni guerre, ni paix " - qui pr�vaut d'ailleurs entre Isra�l et la Syrie depuis 1974 - est per�ue par beaucoup, notamment parmi les responsables de la politique moyen-orientale � Washington, comme �tant la plus favorable. Pour la ligne " dure " isra�lienne, un trait� de paix avec la Syrie n'a jamais �t� consid�r� comme valant la perte du Golan ; les dirigeants syriens sont � cet �gard honn�tes quand ils affirment que, pour eux, le temps ne presse pas. Si les deux parties peuvent s'accommoder du statu quo actuel, elles ont un �gal int�r�t � �viter la guerre ouverte et r�ussiront en toute probabilit� - comme l'exp�rience pass�e tend � le d�montrer - � le faire.
+L'intransigeance isra�lienne et l'impasse du processus de paix ont contribu� jusque-l� � renforcer la position de la Syrie vis-�-vis de ses alli�s dans la r�gion. Dans le court et moyen termes au moins, les alli�s arabes de la Syrie, autrement dit ses partenaires de la d�claration de Damas (l'�gypte et les �tats du Conseil de coop�ration du Golfe), continueront � lui apporter leur concours politique et financier. Damas pourra �galement compter sur le soutien moral et politique de la Ligue arabe, dont l'expression la plus forte a �t� la d�cision prise en 1996 de lier le processus de normalisation avec Isra�l aux progr�s accomplis au niveau des deux volets syro-isra�lien et isra�lo-palestinien. La reconnaissance de ce lien entre la " normalisation " r�gionale et les n�gociations bilat�rales avec l'�tat h�breu conjure pour la Syrie le spectre de l'isolement dans le cadre d'un " Nouveau Moyen-Orient " fa�onn� par Isra�l, la Jordanie, certains �tats arabes du Golfe et du Maghreb auquel se joindrait peut-�tre la Turquie. Ce lien vient �galement rappeler aux Isra�liens que Damas (autant que Gaza) demeure le passage oblig� vers l'�tablissement de relations �conomiques et commerciales avec le monde arabe. Quant aux relations syro-iraniennes, elles ne sont pas tributaires de l'attitude de la Syrie vis-�-vis d'Isra�l mais sont fond�es plus largement sur des int�r�ts communs. Il n'en demeure pas moins que le gel actuel des relations entre la Syrie et Isra�l supprime un facteur de tension potentiel entre les deux alli�s. Le timide rapprochement esquiss� avec l'Irak r�pond en large partie aux craintes que suscite le renforcement de l'alliance strat�gique entre Isra�l et la Turquie. Il ne faut cependant pas s'attendre � voir se former une contre-alliance syro-irakienne. La m�fiance r�ciproque reste forte entre Damas et Bagdad, et il est probable que les responsables syriens limiteront leurs relations avec le r�gime irakien en fonction de ce que leurs alli�s arabes du Golfe jugeront acceptable.
+Sur le plan international, les relations de la Syrie ne seront pas affect�es outre mesure par l'impasse actuelle et cela tant que Damas continuera � faire la preuve de son engagement en faveur de la paix. L'Administration am�ricaine, qui n'est pas sans ignorer que la collaboration de la Syrie est essentielle pour relancer le processus, ne c�dera probablement pas aux pressions du Congr�s en faveur d'un durcissement de la politique am�ricaine � l'�gard de Damas. Pour l'Union europ�enne, un accord syro-isra�lien reste la clef de la paix et de la stabilit� au Moyen-Orient et en M�diterran�e. Conscients que leur contribution au volet syro-isra�lien des n�gociations est limit�e, l'UE, et certains �tats europ�ens individuellement, continueront � favoriser une plus grande participation de la Syrie et d'Isra�l dans le cadre des projets de coop�ration euro-m�diterran�enne, et notamment la n�gociation d'un accord d'association entre l'UE et la Syrie. Damas consid�re cette initiative europ�enne comme un moyen d'int�grer la mondialisation �conomique via l'Europe plut�t que par le biais d'un " Nouveau Moyen-Orient " domin� par Isra�l. La Syrie acceptera l'assistance europ�enne pour accompagner le processus de r�formes mais ne tol�rera pas qu'on en lui dicte le rythme - que ce soit l'Europe plut�t que la Banque mondiale n'y changera rien. En outre, tant que le volet syro-isra�lien demeurera bloqu�, il est peu probable que la Syrie soit soumise � des pressions am�ricaines, europ�ennes ou arabes pour desserrer son emprise sur le Liban.
+Selon la vision " realpoliticienne " de Damas, la configuration des rapports de force au Machrek reste essentiellement domin�e par la comp�tition entre les deux principales puissances r�gionales : Isra�l et la Syrie. Dans cette perspective, les acteurs arabes " secondaires " - la Jordanie, les Palestiniens et le Liban - devraient dans leur int�r�t propre accepter de se placer sous la houlette syrienne. Toute forme de relations que l'une de ses parties engagerait avec l'�tat h�breu, strat�gique ou �conomique, sans coordination pr�alable avec Damas, contribuerait � affaiblir le camp arabe. Depuis que l'OLP et la Jordanie ont choisi de faire cavalier seul, la carte libanaise est devenue encore plus vitale pour Damas qui veille jalousement � travers son emprise sur tous les aspects de la politique libanaise � pr�venir toute tentative de dissocier les deux volets syrien et libanais, � l'instar de l'option isra�lienne du " Le Liban d'abord " et de ses diff�rentes variantes. La Syrie dispose des moyens n�cessaires pour emp�cher le Liban de s'engager dans une n�gociation s�par�e avec Isra�l et mettra toute l'�nergie n�cessaire afin que le r�glement du probl�me libanais soit partie d'un accord global syro-isra�lien. En l'absence de progr�s dans les n�gociations entre Damas et Tel-Aviv, la strat�gie syrienne consistera � maintenir une pression constante, quoique limit�e, sur Isra�l, � travers son soutien conditionnel au Hezbollah et autres groupes de r�sistance, mais toujours en �vitant d'exposer les forces arm�es ou le territoire syriens.
+Il existe deux �ventualit�s, quoique peu probables, qui pourraient bouleverser cette situation. La premi�re est celle d'un retrait unilat�ral des forces isra�liennes du Liban - en application de la r�solution 425 du Conseil de s�curit� des Nations unies - avec menace de repr�sailles massives en cas d'attaques en territoire isra�lien. L'autre possibilit� serait une escalade de la violence entre les forces isra�liennes et le Hezbollah qui pourrait amener Isra�l � lancer une attaque de large envergure contre le Liban et contre des cibles syriennes. Dans ces deux cas de figure, la Syrie se retrouverait dans une situation embarrassante. Elle pourrait difficilement d�noncer un retrait isra�lien du Liban-sud mais, dans le m�me temps, elle deviendrait de facto responsable de la s�curit� de la fronti�re nord d'Isra�l sans avoir en contrepartie gagn� l'engagement d'un retrait isra�lien du Golan. Damas pourrait �tre tent�e de faire avorter une telle manoeuvre isra�lienne en encourageant le Hezbollah � intensifier ses activit�s. Une initiative de ce type serait n�anmoins pleine de risques, dans la mesure o� Damas serait condamn�e par la communaut� internationale pour avoir fait �chouer une d�marche de paix. Sans oublier qu'une intensification des activit�s du Hezbollah finirait par provoquer une escalade g�n�ralis�e avec cette fois des raids isra�liens contre des cibles syriennes. Damas pourrait difficilement s'abstenir de riposter au cas o� ses troupes seraient attaqu�es, mais elle n'est pas sans ignorer les lourdes pertes que cela lui co�terait.
+En r�alit�, il est peu probable que le gouvernement Netanyahou veuille appliquer la r�solution 425 en se retirant unilat�ralement et sans conditions du Liban-sud. Sa proposition " Le Liban d'abord " visait � parvenir � un r�glement sur le front libanais assorti de garanties syriennes. Dans le m�me temps, Damas a tout int�r�t � �viter une escalade incontr�lable au Liban-sud et consid�re que le Comit� de surveillance du cessez-le-feu remplit parfaitement cette mission en contenant le conflit dans ses limites propres. Une guerre ouverte conduirait � une d�faite syrienne. Isra�l r�ussira sans aucun doute � bouter la Syrie hors du Liban, mais elle devra dans le m�me temps renoncer � son projet de normalisation de ses relations avec l'ensemble du monde arabe pour une d�cennie, ou plus encore, et prendre le risque de s'exposer � des attaques � l'int�rieur m�me de son territoire et peut-�tre aussi � une guerre d'usure sur les deux fronts, libanais et syrien. Par cons�quent, les deux parties isra�lienne et syrienne n'ont aucun int�r�t � laisser se d�velopper un tel sc�nario.
+Sur le plan de la situation interne au Liban, l'impasse actuelle du processus ne peut que renforcer la d�termination de la Syrie � maintenir la forme de stabilit� tr�s sp�cifique qu'elle a contribu�e � asseoir dans ce pays. Cela se traduit par un soutien actif au gouvernement libanais dans ses efforts pour d�velopper son appareil de s�curit� et pour imposer d'une main de fer l'ordre public et la s�curit� interne dans les r�gions sous son contr�le effectif ; cela exclut la zone de s�curit� occup�e par Isra�l et certaines zones de combat p�riph�riques. Mais le type m�me de stabilit� que Damas cherche � promouvoir au Liban y limite singuli�rement les perspectives de changements politiques. Le r�gime syrien pr�f�re collaborer avec le m�me groupe de personnes sur le long terme ; il n'a aucun int�r�t � encourager une alternance au niveau du pouvoir libanais et veillera � maintenir l'�quilibre actuel entre les principaux piliers de la coalition gouvernementale. Les �lections l�gislatives de 1996 ont illustr� clairement cette strat�gie de maintien du syst�me en place. Il y a certes eu de " vraies " �lections dans la mesure o� il existait une large marge de comp�tition et de choix possibles. N�anmoins, l'influence syrienne a jou� un r�le d�cisif, et parfois ouvertement, dans la finalisation des listes �lectorales dans les zones sensibles de mani�re � y garantir une place pour toutes les forces proches du r�gime issu de Ta�f, tout en maintenant un savant �quilibre entre les diff�rents candidats. De la m�me mani�re, un deuxi�me renouvellement du mandat du pr�sident Hraoui n'est pas � exclure. Dans le m�me temps, Damas se gardera d'intervenir dans la d�finition de la politique �conomique et sociale au Liban, � la seule condition que la main-d'oeuvre et les produits syriens soient �pargn�s par les mesures de nature protectionniste que le gouvernement libanais jugera bon de prendre. La Syrie a tout int�r�t � ce que le processus de reconstruction aboutisse en raison � la fois des opportunit�s de travail que ce march� pourrait offrir aux ch�meurs en Syrie et, � plus long terme, de la contribution libanaise � la modernisation de l'�conomie syrienne. Bien que certains Syriens consid�rent le Liban un peu comme le Hong-Kong de la Syrie, l'objectif de Damas n'est pas de r�aliser une union politique avec ce pays et encore moins de l'annexer. L'une des raisons principales � cela et non des moindres est qu'une telle initiative contribuerait � bouleverser tant l'�quilibre r�gional que la situation int�rieure des deux pays - des risques que le r�gime syrien cherche � tout prix � �viter.
+Bien que la prolongation pour une p�riode ind�finie de cette situation de " ni guerre, ni paix " convienne � la majeure partie de l'establishment syrien, elle n'augure rien de bon � moyen et long termes pour les perspectives de d�veloppement du pays. En effet, cette situation ne peut que favoriser l'immobilisme sur le plan interne � un moment o� la Syrie devrait s'engager dans des r�formes politiques et �conomiques vitales pour affronter les d�fis de la prochaine d�cennie et au-del�. Dans la prochaine d�cennie, l'�conomie syrienne devra chaque ann�e g�rer quelque 200 000 � 250 000 nouveaux arriv�s sur le march� de l'emploi (actuellement, celui-ci ne peut en absorber que la moiti�) ; cela dans un contexte de baisse des revenus p�troliers, d'un �puisement probable des r�serves p�troli�res, d'une s�v�re crise de la balance des paiements - � moins d'attirer les investisseurs �trangers et de renforcer la flexibilit� et la comp�titivit� des industries de production syriennes - et enfin dans un contexte de risques d'une paup�risation accrue. Afin de faire face � l'ensemble de ces d�fis, la Syrie devra relancer et acc�l�rer le train de r�formes �conomiques timidement entreprises � la fin des ann�es 80 et au d�but des ann�es 90 mais qui a �vit� de s'attaquer aux enjeux les plus sensibles tels que la privatisation des banques, le d�veloppement du march� boursier, ainsi que la lib�ralisation des investissements commerciaux et industriels. La Syrie devra en outre d�velopper ses ressources humaines - ses �tudiants, ses technocrates, sa main-d'oeuvre en g�n�ral, ainsi que ses �lites intellectuelle, administrative et bureaucratique. Enfin, dans le but de cr�er un environnement propice aux investisseurs locaux et internationaux, la Syrie devra �galement se conformer aux r�gles d'un �tat de droit, avec un gouvernement responsable et un syst�me juridique fiable.
+Toutefois, la prolongation du rapport de forces existant sur les plans interne et externe - l'absence de progr�s dans les n�gociations et le maintien du pouvoir actuel - n'incitera pas le r�gime syrien � prendre les d�cisions n�cessaires pour acc�l�rer les r�formes �conomiques et encore moins politiques. D'abord, la configuration politique interne n'est pas de nature � y encourager les forces en faveur d'un changement. La marge de manoeuvre de ceux qui militent pour des r�formes en profondeur est limit�e ; toute initiative dans ce sens menacerait les int�r�ts et les privil�ges de larges secteurs de la base de soutien au r�gime. On ne peut non plus compter sur des soul�vements de nature politique ou sociale. La Syrie est pratiquement devenue un �tat d�pourvu d'opposition (s�rieuse) ; la situation �conomique conna�t une am�lioration certaine compar�e aux ann�es 80 et le r�gime sera probablement en mesure de pr�venir toute crise d'envergure dans les prochaines ann�es - en cas d'urgence, l'Arabie Saoudite et le Koweit restent toujours dispos�s � apporter leur aide. Le Pr�sident lui-m�me a gagn� en popularit� du fait de sa capacit� � stabiliser le pays et � g�rer au mieux le processus de paix comme les relations de la Syrie avec le reste des pays arabes.
+Deuxi�mement, les d�cisions fondamentales de nature � provoquer l'opposition d'une grande partie de la bureaucratie ou d'autres piliers du r�gime ne peuvent �tre prises que par le sommet, c'est-�-dire par le Pr�sident lui-m�me. Cependant, pour Hafez al-Assad, la politique �conomique reste secondaire, � moins d'avoir une incidence ou un lien directs avec la s�curit� de l'�tat ou du r�gime. Le pr�sident syrien est peut-�tre conscient du besoin imp�rieux de r�formes dans son pays, mais il n'entreprendra rien qui puisse m�contenter la principale base de soutien � son r�gime tant que le processus de paix n'aura pas abouti. Le r�gime syrien est convaincu, semble-t-il, qu'aussi longtemps que l'�ventualit� d'une guerre contre Isra�l n'est pas totalement �cart�e, il serait tr�s mal avis� de d�manteler les fondements de l'�conomie �tatiste, tel le secteur de l'industrie publique, et ce, quels que soient ses dysfonctionnements propres. Hormis quelques mesures de changement purement formelles, le r�gime se gardera bien d'engager le pays sur la voie de r�formes d'ordre structurel susceptibles de provoquer un mouvement de m�contentement social ou de favoriser l'�mergence de centres de pouvoir �conomiques autonomes - comme cela pourrait �tre le cas avec une privatisation massive ou avec l'�tablissement d'un secteur bancaire priv�.
+Troisi�mement, la nature et la structure du pouvoir en Syrie ne changeront pas tant que persistera la menace d'une confrontation militaire. Le pluralisme contr�l� permet � certains r�formateurs � l'int�rieur du r�gime et aux milieux d'affaires de faire entendre leur voix. Mais aucune v�ritable mesure de lib�ralisation politique - telle que l'autorisation de cr�er des partis politiques ind�pendants du Front national progressiste dirig� par le Ba'th, une comp�tition �lectorale entre ces partis ou une presse ind�pendante - ne sera envisag�e ou tol�r�e tant que les conditions r�gionales exigeront de la Syrie qu'" elle serre les rangs ". Enfin, le pr�sident Assad ne modifiera pas la composition de l'�quipe au pouvoir sans la perspective de r�sultats positifs concrets au niveau du processus de paix. Certains des fid�les du pr�sident Assad ont atteint l'�ge de la retraite et sont sur le point d'�tre remplac�s. Une nouvelle g�n�ration d'officiers de l'arm�e et des services de s�curit� ont �t� form�s pour prendre la rel�ve. Les personnalit�s-clefs telles que Abdel-Halim Khaddam, Hikmat al-Shihabi, Mustafa Tlas et quelques autres conserveront n�anmoins leurs fonctions ne serait-ce que pour aider le pr�sident syrien � g�rer le processus de paix. Cela est d'autant plus probable que ce processus est aujourd'hui extr�mement pr�caire. Des personnalit�s plus jeunes, telles que l'ambassadeur de Syrie � Washington, continueront � mener l'essentiel des n�gociations mais le r�le de la vieille �quipe au pouvoir form�e de militaires d'exp�rience et de confiance, ainsi que de " gestionnaires " politiques, restera indispensable pour g�rer les v�ritables d�fis : soit la finalisation et le succ�s des n�gociations, soit, dans le pire des cas, l'effondrement de celles-ci menant � la confrontation militaire.
+L'ensemble de ces facteurs vont dans le sens de la continuit� ; ils contribuent �galement � rendre la Syrie fiable et permettent � ses partenaires comme � ses adversaires de calculer et de pr�voir l'attitude de ses dirigeants. Cela est important pour une issue heureuse au processus de paix. Dans le m�me temps et paradoxalement, cet �tat de choses favorise l'immobilisme qui caract�rise la vie politique en Syrie, la peur du changement, et augmente les risques de se retrouver loin derri�re les autres acteurs r�gionaux qui ont d'ores et d�j� commenc� � se pr�parer pour int�grer la nouvelle division du travail au Moyen-Orient.
+La Syrie a r�it�r� � maintes reprises et de fa�on explicite sa volont� de reprendre les n�gociations avec Isra�l. Des discussions s�rieuses - et non pas le type de n�gociations purement formelles qui ont domin� la p�riode allant de Madrid � la d�faite du gouvernement Shamir - ne sauraient cependant �tre envisag�es sans un changement de majorit� en Isra�l ou, perspective plus improbable, sans un revirement dans la strat�gie du gouvernement de Netanyahou vis-�-vis de la Syrie et d'un �ventuel retrait du Golan. Dans les deux cas, les n�gociations ne reprendront pas n�cessairement " l� o� elles ont �t� suspendues " (comme le r�clame officiellement la Syrie), mais plus vraisemblablement sur la base d'un accord de principe selon lequel l'objectif du processus est de parvenir � une " paix totale " en �change d'un " retrait total ". � cet �gard, la formule de Itzhak Rabin " la profondeur du retrait sera proportionnelle � la profondeur de la paix " est aujourd'hui per�ue par des responsables au sein des services de s�curit� en Syrie comme un principe rationnel et op�rationnel. Si les deux parties en manifestaient une �gale volont� politique, il ne faudrait pas plus d'un an, et peut-�tre moins encore, pour parvenir � un r�glement. Celui-ci comprendra sans aucun doute des arrangements de s�curit�, tels que les dispositions concernant la pr�sence de forces internationales sur les hauteurs du Golan ; un calendrier fixant les �tapes du retrait isra�lien (militaires et colons compris) ; le principe de la normalisation des relations ; et un compromis sur la d�finition des fronti�res qui permettra � la Syrie de r�cup�rer la majeure partie des territoires � l'ouest de ladite " fronti�re internationale " de 1923 (qui correspond � la fronti�re s�parant les territoires sous mandat britannique et fran�ais), mais pas n�cessairement jusqu'aux " lignes du 4 juin 1967 ". Parall�lement � la phase finale des n�gociations syro-isra�liennes, les deux parties mettront au point les arrangements concernant sp�cifiquement le Liban. Ceux-ci, quoique n�goci�s officiellement entre les deux d�l�gations libanaise et isra�lienne, d�finiront les termes d'un accord de paix et d'un retrait isra�lien de la zone de s�curit� au Liban-sud, les modalit�s du d�sarmement du Hezbollah et de la mise en oeuvre des garanties de s�curit� � la fronti�re nord d'Isra�l.
+Une perc�e significative dans les n�gociations de paix syro-isra�liennes ouvrirait la voie � une normalisation entre l'�tat h�breu et le monde arabe dans son ensemble. L'impossibilit� pour Isra�l d'�tablir des liens avec les �tats arabes plus p�riph�riques tant qu'il n'a pas satisfait aux revendications territoriales de la Syrie constitue en fait l'un des atouts-clefs de Damas dans le cadre de n�gociations futures avec Tel-Aviv. M�me en cas de paix, il ne faut pas escompter un d�veloppement significatif des relations �conomiques et sociales entre ces deux �tats qui, en tout �tat de cause, resteront tributaires de la lutte d'influence et de pr��minence r�gionale qui continuera pendant un temps encore � les opposer. La Syrie mettra donc en garde les autres �tats arabes, et notamment les pays du CCG (Conseil de coop�ration du Golfe), contre une normalisation trop h�tive avec Isra�l. N�anmoins, avec la restitution de ses territoires, Damas perdra l'un de ses principaux moyens de pression sur les �tats arabes du Golfe qui, sans pour autant lui retirer leur soutien, ne se sentiront plus redevables � la Syrie qui a toujours su monnayer sa position dans le conflit isra�lo-arabe. Au contraire, les �tats du CCG seront m�me en mesure d'exiger de la Syrie en contrepartie qu'elle soutienne sans ambigu�t� leur politique et leurs int�r�ts dans la r�gion. Plut�t que de continuer � lui apporter une aide financi�re, ils rechercheront les opportunit�s d'investissement, poussant ainsi la Syrie � cr�er un environnement �conomique plus favorable.
+Dans un contexte de paix, la Syrie demeurera un acteur central au Moyen-Orient comme au sein de la Ligue arabe. N'�tant plus soumise � la menace directe d'une guerre avec Isra�l, elle verra sa s�curit� renforc�e et son int�grit� territoriale r�tablie. Ses relations avec la Jordanie et l'OLP conna�tront une am�lioration sensible dans la mesure o� les sources de tension avec ces deux acteurs r�gionaux �taient caus�es par les divergences autour du processus de paix. Quant � ses liens avec l'�gypte et le CCG, tout porte � croire qu'ils demeureront solides. Washington honorera la signature d'un trait� de paix syro-isra�lien en rayant la Syrie de la liste des pays " soutenant le terrorisme ", en lui apportant une aide �conomique limit�e et en n'opposant plus son veto aux programmes de la Banque mondiale. L'Europe, enfin, effacera sans doute une grande partie de la dette syrienne.
+Dans le m�me temps, la Syrie verra son importance strat�gique se r�duire. Elle sera peut-�tre enfin consid�r�e par l'Occident comme un pays ami mais perdra en contrepartie son statut d'acteur essentiel. Bruxelles, par exemple, continuera � insister sur le r�le de la Syrie en tant que partenaire � part enti�re dans le cadre du projet euro-m�diterran�en, mais aucun traitement privil�gi� ne lui sera conc�d� au cas o� elle refuserait de se conformer aux m�mes conditions que les autres pays arabes (application graduelle du libre-�change, introduction d'un r�gime d'�tat de droit, etc.). On peut �galement supposer que les pressions politiques sur la Syrie se renforceront, notamment de la part des �tats-Unis, pour un retrait ou un red�ploiement significatif de ses troupes au Liban une fois le Hezbollah d�sarm�.
+Un accord de paix syro-isra�lien ne fera sans doute aucune r�f�rence explicite au Liban. Isra�l acceptera, selon toute vraisemblance, un maintien des troupes syriennes dans ce pays pour une p�riode int�rimaire, afin de s'assurer du d�sarmement effectif du Hezbollah et des autres groupes de r�sistance. N�anmoins, sur le moyen et long termes, la Syrie sera forc�e d'adopter un profil plus bas au Liban, non pas tant suite � des pressions isra�liennes ou occidentales - qui irriteront certes Damas mais auxquelles elle saura r�sister - que pour des raisons inh�rentes aux �volutions internes propres � la Syrie et au Liban. L'imp�ratif purement strat�gique pour Damas de maintenir des positions militaires avanc�es au pays du C�dre faiblira une fois que les troupes isra�liennes auront �vacu� le Liban-sud. Sans la supprimer compl�tement, un accord de paix r�duira de fa�on significative la menace d'une attaque sur la Syrie � partir du territoire libanais et particuli�rement de la B�kaa. En outre, un retrait isra�lien et le d�sarmement du Hezbollah contribueront � renforcer la stabilit� interne au Liban. Il y aura donc d'autant moins de raisons pour les troupes syriennes de remplir le r�le de forces de police.
+Le r�gime syrien est �galement conscient du fait que l'opposition � la tutelle syrienne ira croissant une fois le Liban d�barrass� de l'occupation isra�lienne. Il proc�dera sans doute � une r�vision " rationnelle " de sa politique libanaise. Par la suite, le degr� d'interf�rence de la Syrie dans les affaires int�rieures de son petit voisin d�pendra, en large partie, de la capacit� des hommes politiques libanais � rompre avec cette tradition historique consistant � entra�ner de fa�on active les acteurs ext�rieurs dans leurs conflits internes. S'ils r�ussissaient � se prendre en main et � r�soudre les probl�mes politiques et sociaux de leur pays sans " assistance " �trang�re, on pourrait s'attendre � ce que le red�ploiement, sans cesse report�, des troupes syriennes ait enfin lieu dans un contexte de " r�duction graduelle " de la domination politique de Damas sur le Liban. La r�duction graduelle signifie que la Syrie veillera � maintenir une certaine influence sur les affaires politiques et de s�curit� de ce pays, principalement en pla�ant des hommes de confiance aux postes les plus sensibles au sein de l'arm�e libanaise et du Deuxi�me Bureau, en soutenant des forces politiques ayant fait la preuve de leur loyaut� envers Damas et enfin en opposant son veto � l'" ascension " politique de personnes connues pour lui �tre ouvertement hostiles et qui brigueraient des postes gouvernementaux haut plac�s. De plus, la s�rie d'accords conclus entre les deux �tats et qui couvrent tous les domaines de la coop�ration (tels que la s�curit�, le commerce, le travail, l'agriculture, la sant� et le partage des eaux de l'Oronte) garantira la p�rennit� des int�r�ts de la Syrie au Liban et pr�servera le caract�re privil�gi� de ses relations avec ce pays m�me avec la fin de son syst�me de tutelle actuel. N�anmoins, une r�duction plus h�tive et m�me d�sordonn�e de la pr�sence et de l'influence syriennes n'est pas � exclure au cas o� se produirait un changement de r�gime brutal � Damas.
+Contrairement aux affirmations de certains observateurs, le pr�sident Assad n'a plus besoin de maintenir le pays dans un �tat de guerre pour des raisons de l�gitimit� interne. Son r�gime jouit d'une popularit� plus grande aujourd'hui qu'il y a dix ou quinze ans. Sa gestion du processus de paix - en engageant son pays sur la voie de la paix r�gionale mais sans s'y pr�cipiter t�te baiss�e - semble recueillir l'assentiment des partisans du pouvoir comme de ses opposants. La perspective d'une paix avec Isra�l a d�s le d�part �t� pr�sent�e � l'opinion publique comme " la paix des braves " et surtout pas comme une mise au rabais des aspirations nationales du peuple syrien.
+La concr�tisation de la paix entre les deux �tats conduira certainement � des �volutions significatives sur la sc�ne politique syrienne. En tout premier lieu, le pr�sident Assad devra proc�der � des changements de personnes au sein de son �quipe. Cela ne soul�vera pas trop de difficult�s dans la mesure o� ses vieux fid�les seront d'ici l� compl�tement ext�nu�s et probablement soulag�s de prendre une retraite bien m�rit�e. Le sentiment d'un grand nombre au sein de l'establishment syrien est que cette �quipe aura fait son temps au moment o� le Golan sera lib�r�. Le Pr�sident lui-m�me ne se retirera sans doute pas de la vie politique, mais s'appliquera � promouvoir � des postes de responsabilit� des �l�ments plus jeunes, notamment parmi les officiers sup�rieurs travaillant en �troite coop�ration avec son fils et quelques technocrates " modernistes " ayant une exp�rience du secteur priv�. Deuxi�mement, une fois le trait� de paix conclu (et probablement avant qu'il ne soit ratifi� par le Parlement), Hafez al-Assad cherchera � se rallier le soutien officiel des institutions plus traditionnelles du r�gime, � savoir le parti Ba'th et le Front national progressiste. Il est quasi certain qu'une conf�rence g�n�rale du Ba'th aura lieu, afin d'int�grer en son sein la jeune g�n�ration de dirigeants et avaliser l'accord de paix. Cela ne pourra se faire sans proc�der � certains amendements dans les statuts et les principes du parti, tr�s marqu�s par les r�f�rences � l'�ternel conflit avec l'entit� sioniste, et ouvrira ainsi la voie � une lib�ralisation significative du syst�me politique. Cela est d'autant plus probable que, jusque-l�, les rigidit�s du syst�me ont �t� justifi�es par la permanence de l'�tat de guerre. La primaut� de la confrontation avec Isra�l et l'imp�ratif de serrer les rangs pour y faire face font partie des arguments l�gitimant le maintien de la loi d'urgence et la restriction des activit�s politiques au seul et unique Front national progressiste. Nombreux sont ceux qui, en Syrie, s'attendent � ce que la paix avec Isra�l conduise � l'instauration d'un r�gime plus ouvert, plus lib�ral et m�me d�mocratique. Ces attentes sont, nous semble-t-il, quelque peu exag�r�es. Aussi longtemps que le pr�sident Assad tiendra les r�nes du pays, il n'y aura pas d'auto-dissolution du r�gime sur les ruines duquel s'�l�verait une v�ritable d�mocratie. Plus vraisemblablement, quelques mesures seront prises dans le sens d'un renforcement du processus de pluralisme contr�l� lanc� par le r�gime dans la premi�re moiti� des ann�es 90. Le mod�le � suivre en l'occurrence sera probablement celui de l'�gypte - et non pas celui de la Turquie, comme le souhaiteraient certains lib�raux en Syrie -, c'est-�-dire un r�gime aux structures encore fondamentalement autoritaires mais qui introduirait une certaine dose de pluralisme et quelques rudiments de base d'un �tat de droit, ce qui le rendrait plus " fr�quentable " sur la sc�ne internationale. Troisi�mement, le r�gime entreprendra d'acc�l�rer le train des r�formes �conomiques. L'argument s�curitaire justifiant le maintien d'un secteur public pl�thorique ne jouera plus avec la fin de l'�tat de guerre. Une privatisation s�lective sera discut�e et certains des dossiers clefs qui ne peuvent �tre tranch�s que par le haut, comme l'�tablissement d'un march� financier, finiront par attirer l'attention du Pr�sident lui-m�me. De plus, un accord de paix syro-isra�lien, loin d'engendrer un " Nouveau Moyen-Orient " int�gr�, cr�era n�cessairement de nouvelles formes de comp�tition entre les �conomies r�gionales. Dans la mesure o� la paix renforcera la stabilit� de la r�gion, les investisseurs internationaux commenceront � songer s�rieusement � y placer leurs capitaux, et les acteurs r�gionaux entreront en comp�tition pour attirer ces investisseurs potentiels. La Syrie, comme d'autres, devra d�ployer de v�ritables efforts pour moderniser et ouvrir son �conomie afin de cr�er un environnement plus attractif pour les milieux d'affaires. Ce sont les facteurs politiques internes qui d�termineront la rapidit� et l'efficacit� avec lesquelles la Syrie r�pondra � ces pressions structurelles. Un changement qualitatif, quoique limit�, au niveau du personnel comp�tent, lui permettra de relever ces d�fis. Il est significatif de constater qu'au sein de l'�lite politico-intellectuelle syrienne, les partisans de la lib�ralisation �conomique comme ses opposants se rejoignent pour �tablir un lien tr�s clair entre la " paix r�gionale " et " la r�forme interne ".
+Toute initiative dans le sens du changement se heurtera � certaines r�sistances. Il y aura des divergences d'opinion au sein du parti Ba'th, de la machine bureaucratique et des syndicats. Au niveau de l'appareil de s�curit�, il n'y aura vraisemblablement pas d'opposition significative. Les militaires auront leur mot � dire dans la phase finale des n�gociations et ils consid�reront le trait� de paix comme �tant en grande partie le leur ; par ailleurs, nombreux sont ceux qui, au sein des services de s�curit�, ont pris la mesure de l'urgente n�cessit� de r�former le syst�me politique et l'�conomie en Syrie. Dans le m�me temps, Hafez al-Assad fera en sorte de prot�ger les int�r�ts corporatistes de l'appareil de s�curit�. Dans ce contexte, il ne fait pas de doute que le pr�sident syrien r�ussira � passer outre aux oppositions �manant de la base de pouvoir traditionnelle du r�gime.
+Quant � l'�tat h�breu - et contrairement � ce que pensent certains Isra�liens -, il lui sera plus facile, et probablement moins risqu�, de faire la paix avec Hafez al-Assad que de tenter de n�gocier et de conclure un trait� de paix avec ses successeurs. Le r�gime qui succ�dera � celui de Hafez al-Assad sera, quel qu'il soit, moins stable. Il devra en premier lieu faire la preuve de sa l�gitimit� nationaliste � travers une surench�re dans la rh�torique populiste et ne sera de ce fait certainement pas dispos� � faire davantage de concessions sur le dossier des n�gociations avec Isra�l. Les conditions syriennes pour la paix resteront donc grosso modo les m�mes. Le pr�sident Assad et la signature qu'il apposera au bas d'un trait� de paix garantiraient - dans la mesure o� il existe des " garanties " en politique internationale - ce que tout autre successeur serait incapable de faire : � savoir la p�rennit� d'un accord et son respect m�me en cas de changement de r�gime, ainsi que la bonne mise en oeuvre de toutes les dispositions concernant la normalisation et les arrangements de s�curit�.
+Dans la mesure o� le r�gime syrien est fortement personnalis�, un changement au sommet pourrait bien bouleverser l'�quilibre interne et tout au moins ouvrir une �re nouvelle pour la Syrie en y modifiant l'ordre des priorit�s politiques. Le r�gime qui succ�dera � celui-ci sera, selon toute probabilit�, plus lib�ral et donnera la priorit� aux r�formes politiques et sociales plut�t qu'aux questions de politique r�gionale. Le successeur de Hafez al-Assad sera moins exp�riment� que l'homme qui a pr�sid� aux destin�es de la Syrie depuis 1970. Il lui sera extr�mement difficile de maintenir le r�le que la Syrie a r�ussi � jouer pendant un quart de si�cle au Moyen-Orient et cherchera de ce fait � " comprimer " sa politique r�gionale. La fa�on la plus ais�e de s'y prendre est de limiter l'engagement politique et militaire au Liban - en cantonnant les forces syriennes dans une mission s�curitaire et en se d�sengageant de la vie politique interne du Liban - ou m�me d'y mettre un terme. La Syrie ne pourra plus en tout �tat de cause exercer le m�me droit de regard sur les affaires int�rieures libanaises. N�anmoins, cela n'emp�chera pas le d�veloppement des relations syro-libanaises, plus particuli�rement dans le domaine de la coop�ration �conomique et technique.
+Ces pr�visions se basent sur l'hypoth�se selon laquelle l'arriv�e au pouvoir du successeur de Hafez al-Assad (� la suite du d�c�s de ce dernier ou, moins vraisemblablement, de son renversement ou de sa propre d�mission) se d�roulera sans graves troubles internes ou r�gionaux. La pseudo-question de la succession en Syrie a �t� d�battue pendant plus d'une d�cennie et demeure l'objet des sp�culations les plus diverses. L'enjeu central du d�bat porte sur la mani�re dont la succession aura effectivement lieu. Deux sc�narios s'affrontent. Le premier affirme que la mort du Pr�sident fera immanquablement basculer la Syrie dans l'anarchie, les conflits interconfessionnels et m�me dans une longue guerre civile avec les risques d'�clatement du pays en mini-�tats communautaires. Selon ce m�me sc�nario, l'installation d'une situation d'anarchie en Syrie conduirait vraisemblablement � un d�part pr�cipit� et m�me d�sordonn� des troupes syriennes du Liban. Selon que le pouvoir central r�ussisse ou non � conserver le contr�le de ses troupes, celles-ci soit seront achemin�es pour reprendre en main la capitale ou d'autres parties du territoire syrien, soit refuseront de se soumettre et tenteront de s'emparer de toute parcelle d'autorit� ou de territoire qui sera � leur port�e. M�me si la Syrie ne devait pas se d�sint�grer en de petites entit�s ou tomber dans un sc�nario � la libanaise et m�me si l'autorit� du pouvoir central devrait �tre r�tablie � l'issue de la guerre civile, l'�tat syrien serait de toute mani�re consid�rablement affaibli compar� � aujourd'hui, se rapprochant davantage de la Syrie des ann�es 50 que de l'acteur-clef qu'il �tait devenu au Moyen-Orient sous Hafez al-Assad.
+Bien que l'on ne puisse pas �carter compl�tement le sc�nario de l'anarchie, il est loin d'�tre le plus r�aliste, ou m�me le plus honn�te intellectuellement. Il exprime, au moins en partie, une forme de " wishful thinking " de la part de ceux qui le d�fendent.
+Le sc�nario alternatif - que l'auteur consid�re comme le plus plausible - part de l'hypoth�se selon laquelle l'�tat syrien sera tout � fait capable de faire face � la fois � la mort du Pr�sident et � un changement de r�gime. Ni les affrontements interconfessionnels, ni une situation d'anarchie, ni moins encore la guerre civile ne constituent des options s�rieuses et cela pour de nombreuses raisons. La plus importante est que la l�gitimit� de l'�tat n'est plus remise en cause aujourd'hui -comme c'�tait le cas dans les ann�es 50 et 60 - et un sentiment d'appartenance nationale s'est d�velopp� dans l'ensemble du pays. Toutes les composantes ou presque de la soci�t� syrienne, la bourgeoisie et l'appareil de s�curit� inclus, ont int�r�t au maintien de l'�tat, de sa stabilit� et, autant que possible, de son poids r�gional. La quasi-situation de guerre civile qui a pr�valu de 1979 � 1982 constitue une exp�rience qu'aucun des plus importants acteurs soci�taux ne souhaiterait revivre. L'int�r�t g�n�ral � �viter toute forme de d�stabilisation est tel que l'on ne saurait exclure, dans le cas d'une vacance du pouvoir pr�sidentiel, que les institutions de l'�tat jouent pleinement leur r�le. Ainsi, dans le but de pr�venir les risques de chaos, les responsables militaires et de la s�curit� respecteraient les dispositions constitutionnelles r�glant le probl�me de la succession, comme ce fut le cas en �gypte lorsque Anouar al-Sadate succ�da � Gamal Abdel Nasser. � la diff�rence des ann�es 60, il n'existe plus aujourd'hui un corps d'officiers hautement politis� dont l'objectif serait de bouleverser les structures socio�conomiques existantes. L'appareil s�curitaire s'est transform� en une force conservatrice, capable de pr�server � la fois ses int�r�ts corporatistes et les structures soci�tales actuelles. De plus, l'arm�e syrienne a d�montr� jusque-l� un degr� de coh�sion interne certain. Au cas o� les officiers de l'arm�e viendraient � douter de la capacit� d'un r�gime civil post-Assad � remplir son r�le, ils auraient probablement recours � une prise de pouvoir militaire. De m�me, on ne saurait sous-estimer la capacit� des diff�rentes branches des services de s�curit� � g�rer une situation politiquement tendue que ne manquerait pas de provoquer une disparition soudaine du Pr�sident. En d�pit de leurs divergences d'int�r�t dans d'autres domaines, les principaux " barons " de la s�curit� en Syrie voudront co�te que co�te conserver le contr�le de la rue et sauront parfaitement s'y prendre.
+M�me parmi ceux qui estiment une transition relativement douce du pouvoir syrien actuel plus probable que le sc�nario du chaos, il existe des diff�rences sur l'identit� m�me du successeur de Hafez al-Assad : serait-ce, avec l'accord tacite ou explicite des forces de s�curit�, un autre officier alaouite, peut-�tre m�me le fils du pr�sident, Bachar, ou alors un responsable politique ou militaire sunnite ? Toutes les r�ponses restent sp�culatives. Et bien que la question de savoir qui sera aux commandes en Syrie soit d'une grande importance, l'avenir de ce pays - de son �volution interne comme de son poids r�gional - ne d�pend ni de l'enjeu confessionnel (si le prochain pr�sident est alaouite ou sunnite), ni de la nature et de la forme de la succession au pouvoir actuel, " dynastique " (au cas o� Bachar al-Assad succ�derait � son p�re) ou plus r�publicain. Il faudrait plut�t s'interroger sur la future �lite politico-administrative qui sera en charge des affaires du pays. Pour g�rer efficacement les d�fis internes et r�gionaux � moyen terme, la Syrie devra se doter de dirigeants politiques et administratifs (� tous les �chelons du pouvoir et pas seulement au sommet) dont la vision du monde soit radicalement diff�rente de celle de la classe politique actuelle. Cette nouvelle �lite devra adopter une approche qualitativement diff�rente de l'�tat, de l'�conomie et de la notion de s�curit� nationale : elle devra penser en termes de citoyennet� plut�t qu'en termes de contr�le, en termes de comp�tence plut�t que de favoritisme et enfin en termes de s�curit� mutuelle plut�t que d'�quilibres � somme nulle.
+L'Europe a un int�r�t r�el � �tablir une relation de partenariat solide avec la Syrie et � l'int�grer dans une architecture de s�curit� euro-m�diterran�enne. Le but de cette �tude n'est pas de fournir une liste de prescriptions � l'intention des responsables europ�ens. Seules quelques suggestions sont propos�es sur les principes qui, selon l'auteur et � la lumi�re des sc�narios d�crits plus haut, devraient guider les politiques europ�ennes vis-�-vis de la Syrie.
+L'UE et certains �tats europ�ens pris individuellement ne pourront jouer qu'un r�le tr�s limit� dans le processus de n�gociations entre Isra�l et la Syrie. La Syrie, tout comme le Liban et les Palestiniens, fait peut-�tre davantage confiance � l'UE qu'aux �tats-Unis. Mais, connaissant les limites des pressions que l'Europe est en mesure d'exercer efficacement sur l'�tat h�breu, ils continueront � solliciter la m�diation am�ricaine lorsqu'ils estimeront qu'une intervention ext�rieure de poids est n�cessaire pour finaliser un accord. La politique m�diterran�enne de l'Europe peut n�anmoins apporter une contribution sp�cifique au processus de paix, en fournissant notamment le cadre d'un dialogue permanent m�me quand les n�gociations directes sont dans l'impasse. Afin de corriger cette perception d'un Occident globalement plus favorable � l'�tat h�breu, il est tout aussi important que l'Europe maintienne fermement ses positions de principe soutenant une paix globale qui garantirait � la fois la s�curit� d'Isra�l, le droit des Palestiniens � l'autod�termination et le r�tablissement de l'int�grit� territoriale de la Syrie et du Liban. L'Europe devrait exprimer tr�s clairement sa volont� d'apporter un soutien financier et technique � un �ventuel accord de paix (y compris l'engagement de troupes de certains �tats europ�ens ou l'envoi d'un contingent europ�en dans le cadre de forces de maintien de la paix dans le Golan ou au Liban-sud, au cas o� les pays concern�s le souhaiteraient). Dans le m�me temps, l'UE devrait tenter de faire entendre aux Isra�liens que, s'ils d�sirent r�ellement parvenir � un r�glement satisfaisant avec la Syrie, ils seraient beaucoup plus avis�s de n�gocier aujourd'hui avec Hafez al-Assad plut�t que d'attendre ses successeurs �ventuels.
+La politique m�diterran�enne de l'Europe et les relations bilat�rales syro-europ�ennes constituent un �l�ment fondamental de la nouvelle configuration r�gionale au Moyen-Orient de l'apr�s-paix. Ces deux facteurs alimentent les attentes de la Syrie (comme celles d'autres pays) sur ce que sera et � quoi ressemblera l'environnement r�gional au lendemain d'un r�glement du conflit isra�lo-arabe. De ce fait, en traitant la Syrie comme la pierre angulaire du partenariat euro-m�diterran�en, l'UE peut et devrait s'employer � calmer les craintes syriennes d'une marginalisation dans le cadre d'un " Nouveau Moyen-Orient ", selon l'id�e ch�re � Shimon P�r�s et � rassurer la Syrie sur l'importance du r�le qu'elle sera amen�e � jouer dans la nouvelle division r�gionale du travail en p�riode de paix.
+L'un des principes directeurs de la politique europ�enne devrait �tre de traiter avec le Liban comme avec une entit� autonome et ind�pendante - et non point comme une annexe de la Syrie. L'Europe ne peut et ne doit pas consentir � ce que Damas exerce un droit de regard sur les relations libano-europ�ennes. L'Europe doit �galement �tre tr�s claire sur le fait qu'elle consid�re la pr�sence militaire syrienne au Liban comme l�gitime mais provisoire - et l�gitime seulement dans la mesure o� elle demeure provisoire et dans le cadre d�fini par les accords de Ta�f.
+La politique de l'Europe � l'�gard de la Syrie devrait concentrer ses efforts pour aider ce pays � s'adapter � un environnement r�gional en mutation. La Syrie n'est pas un �tat pauvre et l'aide financi�re europ�enne dont elle b�n�ficie, bien qu'appr�ci�e, n'atteindra jamais ni le niveau ni l'ad�quation de l'aide en provenance des pays arabes du Golfe. L� o� l'Europe est mieux �quip�e que les riches alli�s p�troliers de la Syrie, c'est au niveau de l'aide qu'elle peut apporter pour lui permettre de d�velopper son syst�me l�gal et institutionnel, son infrastructure �ducative et, surtout, ses ressources humaines (dans le secteur priv� comme dans l'administration publique) afin qu'elle soit en mesure de faire face aux d�fis d'un syst�me international et r�gional plus comp�titif.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+On a trop souvent tendance � oublier que l'accord de Ta�f - mettant fin � la guerre du Liban - comprenait presque sur pied d'�galit� deux volets consacr�s � l'interne et � l'externe ; tandis que le premier incluait un ensemble de r�am�nagements de l'�difice institutionnel et politique, le second �tait consacr� � la souverainet� libanaise avec, pour partie principale, les lignes directrices des futures relations libano-syriennes. On a aussi trop tendance � oublier que c'est au moment o� ces m�mes accords de Ta�f devenaient effectifs qu'un nouvel ordre strat�gico-politique s'�bauchait au Moyen-Orient dans la foul�e de la deuxi�me guerre du Golfe et que c'est, surtout, � ce m�me moment que s'annon�aient les voies du processus de paix entam� quelque temps plus tard � Madrid. Cet encha�nement faisait d'ailleurs un bien curieux �cho � quantit� d'analyses averties, r�currentes dans les milieux libanais depuis 1975, ainsi qu'� des certitudes populaires bien ancr�es, selon lesquelles il ne saurait y avoir de solution au conflit libanais sans solution durable de la question isra�lo-arabe.
+Si les causalit�s sont loin d'�tre aussi directes - et les d�terminismes aussi simples - entre les deux dossiers bellig�nes, il n'en demeure pas moins frappant qu'� l'heure o� le processus de paix semble durablement enlis�, la question d'un avenir viable pour le Liban peut �tre � nouveau l�gitimement pos�e aujourd'hui. Dans un premier temps, par sa structure � deux �tages, l'accord de Ta�f faisait de la Syrie le garant principal de l'application des r�formes et y liait ainsi en partie sa pr�sence dans ce pays. Dans un deuxi�me temps, et par le fait d'�volutions r�gionales et plus proprement libanaises qu'il n'y a pas lieu de rappeler ici, la Syrie faisait passer son r�le libanais � un stade sup�rieur, devenant un acteur interne de la vie politique libanaise, quitte � y appara�tre parfois comme le d�cideur exclusif. L'entr�e de la Syrie dans le processus de paix, sans en �tre l'explication unique, est sans doute pour beaucoup dans ce processus de tutellisation rampante. Elle l'est, d'abord, par l'acquiescement implicite dont cette tutellisation fait l'objet de la part des �tats-Unis, parrains et architectes en chef des n�gociations, soucieux de rassurer le plus possible Damas quant � son principal acquis r�gional � l'heure o� tout, dans la r�gion, conna�t des transitions aussi rapides qu'impr�visibles. Elle l'est, ensuite, par le fait que cet acquis devient de plus en plus pr�cieux pour la Syrie apr�s les paix s�par�es d'Oslo et de Wadi Arba qui voient les Palestiniens et la Jordanie �chapper � la coordination arabe telle que la comprend Hafez al-Assad. Ainsi laiss� par la majeure partie de la communaut� internationale en t�te-�-t�te avec son puissant voisin syrien, le Liban voyait le temps mort de la n�gociation l'effacer graduellement comme sujet sur le plan diplomatique, et son tuteur mettre � profit cette fen�tre d'opportunit� pour institutionnaliser son emprise et rendre l'ingestion le plus difficilement r�versible. D'o� l'hypoth�se la plus partag�e, et qu'il s'agira de soumettre � l'examen ici, selon laquelle un d�blocage des n�gociations et l'aboutissement � un r�glement syro-israelien ne manqueraient pas de se traduire par un affaiblissement de l'emprise syrienne sur le Liban, et par un meilleur recouvrement par ce dernier des chances de sa viabilit� �conomique et politique.
+Le pr�sent article se propose donc d'explorer les avenirs possibles du Liban dans un tel contexte, en prenant en consid�ration les champs politico-s�curitaires et socio�conomiques. Aux niveaux de la situation du Sud, de la relation r�gissant le couple syro-libanais, des institutions et forces politiques internes, et de la reconstruction et du socio�conomique, le diagnostic de l'effet pervers de l'�tat actuel de " ni paix, ni guerre " qui se prolonge dans la r�gion sur la situation libanaise conduira � constater une d�perdition croissante de la r�alit� libanaise en termes de souverainet� et de vitalit� politique. Si l'ordre actuel au Liban est celui de la fin d'un �tat de guerre, il est encore loin d'�tre celui d'une pleine paix civile dont le sens s'imposerait � tous. � partir de cet �tat des lieux, il s'agira alors d'examiner, par une approche aussi prospective que possible, les probabilit�s d'inversion de la d�gradation en cours, et ce, en cas de reprise s�rieuse des n�gociations de paix et en cas de perc�e r�elle sur le volet syro-isra�lien.
+Sept ans apr�s le d�but du processus de paix ouvert � Madrid en 1991, la situation du Liban comme acteur �tatique et comme n�gociateur � part enti�re a quelque chose d'ironiquement paradoxal. De tous les �tats appel�s � se joindre � la n�gociation, le Liban �tait en effet le seul dont la lettre d'invitation faisait figurer autre chose que la seule r�solution 242 comme base de r�glement de son contentieux avec Isra�l. Fort, lui, d'une autre r�solution du Conseil de s�curit� (la 425), il s'�cartait ainsi insensiblement du principe directeur de la n�gociation, � savoir " La terre contre la paix ", pour - du moins la diplomatie libanaise l'a-t-elle pens� un moment - aller devant les instances internationales r�clamer tout simplement, serait-on tent� de dire, un retrait isra�lien inconditionnel du sud du Liban. � ceux qui, au sein de la classe politique libanaise issue de Ta�f, consid�raient alors qu'en entrant dans un forum o� les retraits �taient conditionn�s par des trait�s de paix, le Liban perdait sa carte diplomatique ma�tresse, ou encore � ceux qui, au sein de la m�me classe, estimaient que l'attitude du Liban constituait un �cart � leurs yeux inacceptable par rapport � la strat�gie syrienne r�sum�e par la r�solution 242, la diplomatie libanaise r�pondait par un argumentaire en deux temps : la 425 devra uniquement assurer un retrait militaire du Sud et cette �tape ne sera que technique. C'est alors que le Liban se joindra � ses pairs arabes, �tape politique et diplomatique, pour signer avec eux, et pas avant, une paix " juste et globale " bas�e sur la r�solution 242. Pour logique qu'il soit, cet argumentaire occultait deux choses : d'une part, il n'int�grait pas r�ellement ce qui se passait au m�me moment sur le terrain, c'est-�-dire dans le Sud occup�, o� la r�sistance op�r�e par le Hezbollah doublait la dynamique politique des n�gociations libano-isra�liennes par une logique militaire qui finirait, forc�ment, par imposer d'autres temporalit�s et d'autres �quations. L'argumentaire n'admettait pas assez, d'autre part, que l'objet de ses propres n�gociations, le Sud, ne soit plus exclusivement sien, mais rev�te maintenant une fonctionnalit� essentielle dans la strat�gie n�gociatrice syrienne, comme l'un des derniers leviers � m�me d'amener Isra�l, sous la pression des coups port�s par la r�sistance, � d�bloquer l'impasse sur le Golan d'abord et � y conc�der davantage ensuite. C'est l'alignement graduel de la position officielle libanaise sur ce dernier point, ainsi que l'instrumentalisation � outrance par la Syrie de la carte libanaise, qui vont progressivement mettre un terme � la singularit� et � la distinction offerte au Liban par la r�solution 425 et miner son existence comme acteur r�gional autonome. Alors que les n�gociations libano-isra�liennes s'arr�tent d�finitivement au bout du 12e round, la Syrie reprend les siennes en incluant dans ses dossiers la question du Sud ; n�gociations dont elle tient quand m�me le Liban inform� - a posteriori, il est vrai. La " concomitance des deux volets " (Talazum al-masarayn), comme l'appelle d�sormais le lexique officiel libanais, devient d�s lors l'unique doctrine diplomatique du pays ; seulement, elle n'est nullement comprise comme un parall�lisme r�sultant de la coordination entre deux acteurs �tatiques agissant de concert, mais comme l'attente libanaise passive que quelque chose se d�bloque sur le front syrien pour pouvoir revenir dans le jeu. De cette subordination en d�coulent alors bien d'autres, qui ont pour r�sultat de d�voyer le rapport existant au d�part entre la pr�sence syrienne au Liban et les dynamiques internes en cours dans ce pays. � l'�quation de Ta�f qui liait la mise en oeuvre des r�formes au red�ploiement militaire syrien et � la red�finition des " relations privil�gi�es ", succ�de une �quation qui, implicitement, fait de la pr�sence syrienne une fonction de la donne r�gionale. D'o� l'�vidence selon laquelle le temps mort des n�gociations est un temps durant lequel se perp�tue et s'aggrave le rapport in�gal syro-libanais, avec les cons�quences politiques et �conomiques internes qui en r�sultent.
+Il est d�sormais admis que la carte libanaise est l'atout r�gional le plus pr�cieux entre les mains de la Syrie. Aussi, c'est sur le couple syro-libanais que se concentreraient pressions des uns et r�actions des autres pour tenter de modifier le statu quo, et dans un contexte pareil, l'utilisation du terrain libanais pour amener la Syrie � plus de souplesse dans la n�gociation n'est pas � exclure. L'�ventail des instruments est � ce niveau multiple, empruntant le biais du socio�conomique et de la dette libanaise croissante, jouant sur le ressentiment politique du camp chr�tien, ou prenant aussi le visage de la " l�galit� internationale " en ouvrant plusieurs registres sur lesquels le Liban est per�u comme en manquement (drogue, asiles de terroristes recherch�s, ou encore droits de l'homme non respect�s...). Un degr� sup�rieur de pression serait par ailleurs celui de la d�stabilisation s�curitaire de faible ou moyenne intensit�. Face aux cas de figure �voqu�s, l'alternative de Damas serait de s'agripper avec encore plus de force � son acquis r�gional. Dans ces cas extr�mes, le recours de la Syrie elle-m�me � la violence n'est pas totalement � exclure. Toutefois, une logique de ce type est lourde de risques, ne serait-ce que parce qu'elle mettrait en lumi�re une carence essentielle du r�le d�volu par la communaut� internationale � la Syrie au Liban, � savoir celui de mettre � profit le temps de sa gestion libanaise pour y consolider la paix civile.
+En cas de blocage prolong� dans la r�gion, et aussi �loign�e qu'une telle �ventualit� puisse para�tre, le retour de la violence arm�e sur la sc�ne libanaise ne saurait �tre exclu. L'ancienne �quation " paix libanaise si paix r�gionale " redeviendrait alors op�ratoire. Nombre de dynamiques internes libanaises se pr�tent d'ailleurs � un tel appel bellig�ne. La guerre s'est achev�e sur un sentiment de r�conciliation incompl�te ; per�u ou r�el, ce sentiment exprime l'id�e que la guerre a clairement fait des vainqueurs et des vaincus. � d'autres niveaux aussi, beaucoup de comptes sont encore � r�gler entre les diff�rentes factions libanaises, et leur r�glement par les armes n'est pas - comme on pourrait le penser -unanimement rejet�, si les conditions r�gionales le permettaient - en assurant l'approvisionnement en armes et les prolongements d'alliances. De telles attitudes trouvent des relais jusqu'au sein du pouvoir, dont les pratiques ont g�n�ralis� un regain de crispation communautaire devenue depuis sept ans une v�ritable culture politique dominante. Aussi, force est de constater qu'aujourd'hui au Liban s'expriment dans certains milieux, et se lisent � certains indices, des perceptions qu'un climat semblable � celui de l'ann�e 1975 couve sous la cendre... Bien s�r, d'autres forces travaillent les soci�t�s civile et politique libanaises ; des forces qui tentent de d�montrer que la guerre a �t� une v�ritable le�on et que la violence ne saurait rien r�gler. La transversalit� de ces forces est toutefois encore bien faible et leur impact limit� � certains cercles �litaires, sinon marginal. Il l'est d'autant plus que les partenaires ext�rieurs du Liban, ignorant trop souvent ces dynamiques pourtant dignes d'�tre investies, pr�f�rent se donner pour seul interlocuteur un Liban certes officiel, mais lourdement hypoth�qu�.
+L'�ventualit� d'un regain de tension violente au Liban acquerrait plus de consistance encore - mais aussi plus de complexit� - si elle venait � se greffer sur, ou � avoir lieu � un moment o� la situation interne syrienne risque de se compliquer en raison de la transition d�licate que ne manquera pas d'ouvrir la succession du pr�sident Assad. Ce texte n'est bien s�r pas le lieu d'envisager des sc�narios de cet ordre, mais il est n�cessaire de remarquer que l'imbrication des espaces politiques libanais et syrien a atteint un degr� tel qu'il est difficile d'en s�parer les dynamiques strictement internes et d'en d�limiter des effets circonscrits. Le va-et-vient entre ces deux espaces est loin d'�tre � sens unique ; depuis vingt ans maintenant que le pouvoir syrien pratique et fr�quente le Liban, ses crises et ses modes de production sociales et politiques, nul ne sait plus tr�s bien qui des deux acteurs a le plus teint� l'autre. Dans ce domaine comme dans d'autres, plut�t que de parler uniquement de domination � sens unique ou d'h�g�monie unilat�rale, il conviendrait aussi de parler de convergence entre deux r�gimes et deux types de fonctionnement. Dans un cas de figure comme celui-ci, l'espace libanais ne serait plus un espace neutre o� se projette seulement la puissance syrienne, mais un espace o� se projettent �galement les rivalit�s des " barons " de cette puissance. Plus encore, plusieurs indices montrent que le Liban est aussi pour eux un espace-ressource et - par procuration - un vivier de forces d'appoint pour leurs propres luttes d'influence.
+En cas de blocage persistant et durable au niveau des n�gociations, et si la d�gradation s�curitaire �tait exclue - la Syrie ne pouvant ainsi contribuer � nier sa propre raison d'�tre au Liban -, Damas a tout de m�me largement d'autres moyens de s'y assurer le contr�le quasi exclusif, pour un temps du moins, en profitant de sa ma�trise devenue in�gal�e de toutes les ressources du jeu local. Dans pareil cas de figure, il faut s'attendre � la perp�tuation sous �gide syrienne des modes de gestion politique en cours aujourd'hui au Liban, sans exclure, de plus, de brusques durcissements sur des dossiers sensibles ou � m�me de le devenir.
+L'ensemble de l'�difice politique mis en place au Liban depuis Ta�f est dans ce sens parfaitement instrumentalisable. D'abord, la " tro�ka " pr�sidentielle - n�e d'un enchev�trement savamment dos� des pouvoirs et des pr�rogatives entre les deux branches de l'ex�cutif, et entre elles et le l�gislatif - est une structure doublement propice. Elle est g�n�ratrice de divisions durables et infinies d'une part, permettant, � chaque fois, � Damas d'en r�concilier in extremis les acteurs. Elle est, d'autre part, g�n�ratrice d'immobilisme et de statu quo d�cisionnel, ce qui permet, � chaque fois aussi, � Damas de trancher pour l'option qui a sa faveur. En perp�tuant ainsi le besoin d'arbitrage syrien, la structure constitutionnelle libanaise assure � la Syrie un " monitoring " permanent et sans failles, tout comme elle la pr�munit contre tout risque de d�rapage et contre toute vell�it� - de quelque partie libanaise qu'elle �mane - d'�largissement de marge de manoeuvre. Le pouvoir �tatique ainsi tenu, le contr�le s'�tend par la suite � l'ensemble de la classe politique institutionnelle ou � l'activit� agr��e ou admise. Au terme de deux scrutins l�gislatifs, d'un long travail de p�n�tration du terrain qui dure depuis parfois deux d�cennies, d'innombrables retournements d'alliances entre les forces locales sur la sc�ne libanaise et d'une connaissance profonde des ressorts de la sociologie politique libanaise, Damas peut �tre assur�e aujourd'hui de contr�ler la quasi-totalit� des membres du Parlement, des partis politiques en exercice, des forces, groupes et associations � capacit� mobilisatrice plus ou moins notable. Elle profite, de surcro�t, en cela de la dislocation des forces traditionnellement oppos�es � sa politique libanaise (les Forces libanaises, l'ossature de certaines anciennes brigades de l'arm�e, le mouvement aouniste, certains groupes islamistes, des r�seaux arafatistes ou proches de l'OLP, les sympathisants du Ba'th irakien rival...). Enfin, ma�tresse des �ch�ances diverses, Damas peut, tour � tour, les utiliser pour renforcer et consolider ses instruments de contr�le (�lections l�gislatives, par exemple) ou, au contraire, pour les geler et les annuler afin d'�viter des tests difficiles ou g�nants selon la conjoncture (�lections municipales, jusque-l� ; �lection pr�sidentielle de 1995). Aussi, au nom des " circonstances (r�gionales) exceptionnelles " et des " dangers qui menacent la s�curit� nationale et la paix civile ", le d�ficit d�mocratique ne cesse de se creuser au niveau de l'exercice du pouvoir, mais aussi - de fa�on croissante - � celui de l'exercice et de l'expression des libert�s et des droits fondamentaux.
+Dans un tel contexte, l'�quilibre actuel - impos� mais fluctuant, entre les trois principales forces politiques libanaises que repr�sentent Rafiq Hariri, le Hezbollah et l'arm�e libanaise - est appel� � perdurer. Concernant ce triangle, il est possible de parler de trois projets politiques sensiblement divergents en termes d'objectifs, de strat�gies et d'alliances locales et r�gionales. Leur comp�tition et leurs diff�rends restent toutefois pour l'heure inscrits dans une �quation de conflit et de coop�ration tr�s pr�cis�ment rythm�e et dos�e par l'imp�ratif de leur subordination � ce que les libanais appellent d�sormais le " plafond syrien " (As-saqf as-sury).
+Par son ambitieux projet de reconstruction, et la dynamique �conomique que cela provoque et entretient, Rafiq Hariri joue sur un besoin syrien de stabilit� �conomique et sociale au Liban dans la p�riode d'attente qu'imposent � tous les n�gociations. C'est cette logique qui a largement pr�sid� � sa nomination comme Premier ministre en 1992, � l'issue des �lections l�gislatives controvers�es auxquelles il n'avait pas directement pris part, et � un moment o� la crise �conomique libanaise atteignait la c�te d'alerte. Certes, par ailleurs, Rafiq Hariri incarne et repr�sente bien d'autres aspects et bien d'autres fonctionnalit�s. Pr�sent dans les coulisses du jeu politique libanais depuis pr�s de quinze ans, son entregent, sa surface financi�re et ses r�seaux lui conf�rent une possibilit� non n�gligeable de convertir l'ensemble des forces politiques de la guerre en forces de gouvernement. D'autre part, sa facette saoudienne, ses relations d'affaires et personnelles avec plusieurs dirigeants du Golfe, d'autres parties du monde arabe et de certains pays industrialis�s, constituent des atouts sur lesquels Damas peut s'appuyer pour g�rer la p�riode difficile d'adaptation aux nouvelles r�gles du jeu international, de n�gociations et de gestion de la carte libanaise dans un environnement volatil.
+Consid�rant la centralit� que la r�sistance au sud occupe dans la strat�gie n�gociatrice syrienne, le Hezbollah acquiert une place pr�pond�rante, et souvent � part, dans le jeu politique libanais. Son exception provient bien s�r de l'activit� militaire qu'il est d�sormais pratiquement le seul � entreprendre contre Isra�l, ce qui l'a exempt� de se soumettre � la dissolution des milices � la fin de la guerre. Mais elle provient aussi de ce qu'il est l'expression la plus �vidente de l'alliance syro-iranienne. D'un point de vue strictement libanais, les analyses et les degr�s d'acceptation du fait que repr�sente le Hezbollah sont multiples et diverses. " Contre-soci�t� " potentiellement dangereuse (car porteuse de projet de th�ocratisation de la vie politique) pour les uns, vecteur d'ing�rence syro-iranienne (� l'origine de la prolongation de l'�preuve du Liban-sud) pour d'autres, le Hezbollah est aussi consid�r� par beaucoup comme un parti politique - aux sp�cificit�s certes notables - somme toute parfaitement int�gr� au jeu politique libanais, voire banalis�. Ce qui est invoqu� � cet �gard est l'entr�e du parti dans le paysage parlementaire d�s 1992, ses positions relativement mod�r�es sur plusieurs questions internes et ses relations tr�s largement �tendues � toutes les parties libanaises : autant de caract�ristiques qui font de lui une force semblable � d'autres forces dites de " l'opposition institutionnelle ". Il reste �vident que l'importance du Hezbollah s'impose � tous, ne serait-ce qu'en raison de sa fonction - en concurrence avec le mouvement Amal - d'encadrement et de mobilisation effective et symbolique d'une partie de la communaut� chiite, et de la place qu'occupe d�sormais cette derni�re dans tous les �quilibres libanais.
+La fin de la guerre a fait appara�tre un besoin pressant de s�curit�. L'arm�e libanaise, devenue au fil du conflit l'un de ses acteurs majeurs, se voit alors confier, en �troite collaboration avec les troupes syriennes stationn�es au Liban, le r�le de gardien de l'ordre et de la paix civile. � la croissance num�rique qu'un tel r�le impose, s'ajouteront par la suite d'autres fonctions que l'arm�e se donnera. Face au projet de la r�sistance et � ses d�bordements potentiels, l'arm�e joue - vis-�-vis des parrains du processus - le r�le de garant, afin que les termes de tout arrangement soient respect�s ; corollairement, elle sugg�re, �galement aux partenaires �trangers, qu'en cas de d�faillance soudaine de la pr�sence arm�e syrienne - pour des raisons qu'il n'est pas possible de discuter ici - elle serait pr�te � remplir le vide s�curitaire, mais aussi � parer � toute potentielle d�faillance politique. Face au projet " tout-�conomique ", l'arm�e se donne une image de creuset int�grateur de la nation et de ses g�n�rations montantes, multipliant publications, camps de jeunes et campagnes diverses de civisme. Plus encore, face � la d�gradation de l'image de la classe politique libanaise, elle se pose aussi en recours possible, en jouant de surcro�t sur une opinion dont de vastes segments ne seraient pas hostiles � un sc�nario bonapartiste.
+Repr�sentant la reconstruction, la r�sistance et la s�curit�, ces trois forces expriment - parfois lourdement - des divergences d�coulant de leurs logiques intrins�ques, mais dont les expressions refl�tent aussi les positions nuanc�es de leurs propres alli�s et protecteurs respectifs au sein du leadership syrien, quant aux politiques � suivre au Liban ou envers le dossier r�gional. Les membres de ce leadership, en retour, jouent de ces diff�rences, afin de mettre en avant telle ou telle option en fonction de l'�tat d'avancement du processus lui-m�me.
+La divergence la plus flagrante, la plus profonde aussi, est celle qui oppose Rafiq Hariri au Hezbollah. En la mati�re, tout ou presque a �t� d�voil� durant les deux semaines d'avril 1996, lors de l'op�ration " Raisins de la col�re ". Pour le Premier ministre dont la priorit� absolue est son projet de reconstruction, la lib�ration du Sud doit - autant que possible - �tre obtenue par la n�gociation. La r�sistance est en ce sens co�teuse, au sens propre du terme, surtout si elle devait mener Isra�l � ex�cuter sa menace de destruction des infrastructures, en riposte � sa vuln�rabilit� au Sud. D'autre part, c'est la v�ritable opposition entre deux " projets de soci�t� " qui s�pare les deux forces, les valeurs soci�tales v�hicul�es par le Hezbollah pouvant difficilement s'acclimater avec l'imagerie du Liban de demain incarn�e par les technocrates d'une �conomie de services, extravertie et d�pendante. En pr�sentant sa bataille l�gislative � l'�t� 1996 comme �tant celle de la " mod�ration contre l'extr�misme ", Rafiq Hariri pointait aussi bien cela du doigt. Aussi, il fait peu de doute que le modus vivendi entre la formation islamiste et Rafiq Hariri doive presque exclusivement � la pression syrienne.
+Entre Rafiq Hariri et l'arm�e libanaise, les crises ont �t� tout aussi fr�quentes et pas toujours feutr�es. Des promotions d'officiers - dont le num�ro deux des renseignements militaires - bloqu�es par le Premier ministre, aux accusations directes lanc�es aux " services " pour leur immixtion dans plusieurs manifestations de la vie civile, en passant par les manoeuvres m�diatiques et politiciennes visant � promouvoir l'image du commandant en chef de l'arm�e comme pr�sidentiable hors-cadre donc hors-calibre, la liste des confrontations �vit�es mais ajourn�es est longue. Par deux fois, Rafiq Hariri ira jusqu'� sous-entendre que l'une des raisons essentielles de la crise �conomique est � rechercher dans le budget d�mesur� allou� aux forces arm�es et au traitement de la troupe. Effectivement, en absorbant une bonne partie des milices dissoutes, l'arm�e a vu ses effectifs s'hypertrophier depuis le d�but de la d�cennie. Mais � ce d�veloppement num�rique correspond aussi un changement assez profond de structure, l'arm�e se pr�sentant aujourd'hui comme un corps o� les officiers sont en surnombre et o� les avantages sociaux et mat�riels qui leur sont conf�r�s sont en croissance constante. D'instrument militaire, l'arm�e est en passe de devenir un v�ritable corps social, dot� de ses logiques propres et de ses revendications corporatistes. Par ailleurs, se greffent sur ces �volutions des lectures politico-communautaires de la troupe. Alors que, traditionnellement au Liban, l'arm�e �tait consid�r�e comme l'un des outils privil�gi�s de l'h�g�monie maronite, elle est aujourd'hui per�ue comme le vecteur d'une ascendance chiite au sein des appareils de l'�tat. Plus profond�ment, c'est l� encore deux quasi-" projets de soci�t� " qui s'affrontent et qui cherchent, chacun, � se placer d'ores et d�j� comme l'acteur de r�serve id�al en cas de r�glement r�gional.
+En cas d'avanc�e des n�gociations, non seulement ces �quilibres seront modifi�s, mais la nature et l'action m�mes de chacun de ses acteurs (pour deux d'entre eux du moins) seront appel�es � varier sensiblement. La d�flation du conflit isra�lo-libanais poussera sans aucun doute vers une plus grande conversion du Hezbollah en force exclusivement politique et vers une plus grande int�gration de cette derni�re dans les rouages institutionnels. C'est en ce sens qu'une ligne de plus en plus affirm�e au sein des cadres du parti pr�ne, depuis un certain temps d�j�, la " libanisation ", c'est-�-dire une plus grande distance � prendre par rapport aux imp�ratifs strat�giques proprement iraniens, m�me si la filiation id�ologique et spirituelle avec T�h�ran n'est pas � remettre en question. La Syrie aura - encore plus qu'actuellement - un r�le essentiel � jouer dans ce processus, en faisant accepter � son alli� local les logiques du r�glement r�gional et en obtenant probablement pour lui, en compensation, des concessions substantielles � l'int�rieur du syst�me libanais. Dans le cas contraire, la conversion du Hezbollah pourrait s'av�rer plus probl�matique. L'option du d�sarmement forc� du Hezbollah serait alors impos�e � la Syrie ou encore � l'arm�e libanaise. Tant l'une que l'autre ont d�j� eu des affrontements avec le Hezbollah : en 1987, lorsque l'arm�e syrienne ne put entrer dans la banlieue sud qu'apr�s un assaut qui fit 27 morts dans les rangs du Hezbollah ; et, en septembre 1993, lorsque l'arm�e libanaise tira sur des manifestants du parti qui protestaient contre la signature des accords d'Oslo, faisant 13 morts dans leurs rangs. Si les ranc?urs se sont depuis �teintes, elles pourraient �tre suscit�es � nouveau. La reconversion pourrait d'autre part �tre frein�e - ou compliqu�e - par la relance, de la part des �tats-Unis le plus probablement, de demandes judiciaires concernant des affaires pass�es de " terrorisme " et pouvant atteindre certains cadres aujourd'hui bien en vue du Hezbollah, dont des parlementaires. Cette derni�re �ventualit� �tant bien entendu sujette � l'�tat des relations libano-am�ricaines et syro-am�ricaines � ce moment l�. Quant � la coexistence du Hezbollah avec le projet Hariri dans un syst�me o� ce dernier, toutes choses �tant �gales par ailleurs, sera une force probablement plus autonome, elle sera sans doute fonction de l'�tat des relations entre la Syrie, les �tats du Golfe - essentiellement l'Arabie Saoudite - et l'Iran. Il faut toutefois se figurer ce que pourrait devenir le Hezbollah comme force politique interne, si la carte de la r�sistance au Sud ne faisait plus partie de son arsenal discursif et mobilisateur. Dans ce sens, le parti a d�j� entam� une diversification de ses th�mes d'action et de revendication, en se portant pr�sent sur les fronts de la revendication sociale et des libert�s publiques o� il montre d'ailleurs une capacit� notable � lier des alliances avec des forces tr�s disparates sur l'�chiquier politique libanais, jouant en cela d'une forte l�gitimit� acquise sur le champ de bataille. Par ailleurs, une reconcentration du parti sur des th�mes politiques proches de ceux des autres mouvements islamistes de la r�gion - avec lesquels le Hezbollah est d'ailleurs en relation - n'est pas � exclure ; elle a toutefois pour limite de faire alors r�appara�tre un clivage communautaire entre les deux grandes familles de l'Islam.
+Quant � l'arm�e, son r�le dans l'apr�s-r�glement continuerait d'�tre crucial. Aussi, au nom de la n�cessit� d'assumer l'engagement s�curitaire au Sud, elle plaidera probablement pour un accroissement de ses effectifs et de ses moyens, surtout si elle devait � la fois assurer le d�ploiement dans la partie m�ridionale et dans le reste du pays. C'est sur cette �conomie des forces arm�es que joue d'ailleurs l'argument de la n�cessit� d'un maintien des troupes syriennes au Liban apr�s la paix. Le d�ploiement de forces �trang�res de maintien de la paix dans le cadre des arrangements � pr�voir serait en ce sens un moyen de sortir de cette logique. C'est du reste en se pr�sentant comme la force concr�te de substitution � l'arm�e syrienne que l'arm�e libanaise tente de promouvoir son image tant aupr�s des franges anti-syriennes de l'opinion qu'aupr�s - plus discr�tement - des Etats-Unis dont elle a traditionnellement toujours �t� tr�s proche. � cet �gard, le travail de contr�le syrien � l'oeuvre au sein de l'arm�e depuis 1991, et dont attestent le trait� de d�fense commune et les sessions d'entra�nement des officiers libanais en Syrie, est suppos� constituer pour Damas la garantie que les forces arm�es libanaises ne seront pas entra�n�es, comme elles l'ont souvent �t�, dans des actions hostiles � la politique libanaise. C'est pourquoi il serait � craindre qu'en cas de divergences s�rieuses entre la Syrie et les parties tierces, autour de la gestion du terrain libanais en situation de paix, l'arm�e ne soit l'objet de polarisations. � plus long terme, il serait cependant plus probable que la pacification de la r�gion entra�ne une diminution de l'importance de l'arm�e dans l'�quation politique, m�me si elle devait conserver l'essentiel de ses acquis sociaux. � cet �gard, il faut rappeler que ce d�bat est propre � l'ensemble des �tats de la r�gion : la d�mobilisation entra�nera-t-elle un recul d'influence des militaires dans la vie politique des soci�t�s concern�es ou, au contraire, cette influence sera-t-elle appel�e � s'affirmer, parfois sous l'encouragement des parrains de la paix, pour garantir les engagements pris ? Dans le cas du Liban, un facteur suppl�mentaire s'ajoute � cela. La coexistence entre l'arm�e et le projet Hariri, toujours en cas de pacification, pourrait se faire sur le mode " taiwanais ", c'est-�-dire celui de la n�cessit� d'assurer les investisseurs �trangers et leurs capitaux contre des risques de m�contentement social...
+En cas de perc�e sur le volet syro-isra�lo-libanais des n�gociations et en cas de desserrement de l'emprise syrienne sur le Liban, la rel�ve libanaise et la viabilit� politique du pays d�pendraient encore d'autres facteurs, largement internes. Les hypoth�ques � ce niveau sont nombreuses. En premier lieu, la grande fragmentation de la soci�t� libanaise, aggrav�e par quinze ann�es de guerre, et dont l'histoire montre qu'elle est une source r�currente d'appel � l'ing�rence ext�rieure dans les affaires du pays mais aussi de ses communaut�s. La classe politique libanaise refl�te, amplifie et sans doute recr�e les conditions de cette fragmentation ; elle y ajoute un �go�sme ind�passable et une culture politique souvent �troite et " paroissiale ". En contrepartie, une contre-�lite fonci�rement diff�rente - et � m�me de jouer des r�les de nature et d'envergure qualitativement autres - n'a pas �merg� ou, du moins, n'est pas pr�te d'�tre structur�e autour de projets lisibles et rep�rables. Pour une bonne part, elle est d'ailleurs le fait de personnalit�s de l'ancienne classe politique ou de ses h�ritiers, souvent marqu�e par des vell�it�s revanchardes. Des personnalit�s politiques se d�tachent pourtant, et contribuent encore, par des positions courageuses et notables, � pr�server un minimum d'immunit� � la vie politique libanaise. Leur action reste toutefois individuelle et le moindre de leurs �checs n'est pas justement cette incapacit� � f�d�rer des positions par ailleurs attendues par une large part de la soci�t�. Le poids de la tutelle et celui des blocages r�gionaux sont certainement � cet �gard un facteur � prendre en compte. Il reste que la n�cessit� de recr�er les circuits de recrutement et de mobilit� d'une nouvelle �lite politique, mais aussi administrative, est pressante si le Liban doit, dans un Proche-Orient pacifi�, affronter des d�fis d'un tout autre ordre que ceux qu'il a connus jusqu'ici. Dans ce sens, l'un des atouts majeurs du projet Hariri est justement de pouvoir se pr�senter comme un vecteur politique de transversalit� dans la soci�t� libanaise et comme porteur d'une modernisation - certes co�teuse et autoritaire. Reste que la culture politique sugg�r�e tant par son discours que par certaines des mesures prises depuis cinq ans laissent entrevoir une distance certaine entre ce projet et des pratiques pleinement d�mocratiques. Quoi qu'il en soit, la principale limite du projet Hariri reste dans sa propre sur�valuation. En accr�ditant - ou ne laissant se confirmer - la th�se de la " non-alternative " (La badil) � ce projet, le Liban court le risque - auquel il a jusque-l� �chapp� - d'aligner son syst�me politique sur celui de l'ensemble des �tats arabes de la r�gion, dont la principale hypoth�que sur l'avenir est justement, en raison du manque total d'alternance et de la non-circulation de leurs �lites, leur difficult� � entrevoir avec s�r�nit� la succession politique ou naturelle de leurs dirigeants.
+La perp�tuation du statu quo actuel se paie d'ores et d�j� en forte d�perdition du potentiel �conomique libanais. Il est difficile de ne pas voir que l'essentiel du projet �conomique engag� apr�s la guerre, et qui prendra une ampleur et une vitesse grandissantes � partir de 1992 avec l'arriv�e directe au pouvoir de Rafiq Hariri, est bas� sur l'hypoth�se, faite alors, que la paix serait install�e dans l'ensemble de la r�gion quelque deux � trois ans plus tard. Au moment de son entr�e en fonctions en octobre 1992, le Premier ministre promettait aux Libanais des r�alisations consid�rables pour le printemps suivant. La plupart des rapports r�dig�s au tout d�but des ann�es 90 pr�voyaient la r�duction quasi totale du d�ficit public libanais d�s 1994 - 1995, un taux de croissance soutenu de 8 � 9 % � partir de ces m�mes ann�es, le d�but du passage de l'investissement public en travaux d'infrastructure � des investissements plus productifs, etc. Il est facile de constater aujourd'hui le caract�re plus qu'optimiste de ces projections et de ces promesses. Bien s�r, la r�paration de l'infrastructure physique du pays a �t� largement entam�e. Elle est toutefois encore insuffisante alors qu'une majeure partie des sommes qui lui �taient allou�es ont �t� d�pens�es. Ces d�penses comprennent une large part de co�ts et de frais non pris en compte au d�part, et que l'on peut sans risque attribuer � la situation alarmante de l'administration, mais aussi et surtout aux blocages et nuisances politiques - locales et r�gionales - qu'il s'agit chaque fois de surmonter ou de contourner financi�rement. Alors que le co�t global de la reconstruction �tait cens� se chiffrer � environ 20 milliards de dollars, la seule dette publique libanaise - interne et externe - atteint d�j� 13 milliards de dollars.
+En cas de blocage durable des n�gociations, il faut s'attendre � la perp�tuation de la morosit� �conomique, � la d�gradation de l'�tat des finances publiques, � l'accroissement de la dette - ou au moins de son service - sans d�collage r�el de l'activit� productive. Les taux d'int�r�t �lev�s, outils d'une politique mon�taire restrictive destin�e avant tout � la d�fense de la stabilit� de la monnaie nationale, d�couragent une bonne partie des investissements productifs au plan local, r�duisent le niveau de la consommation et gonflent artificiellement la bulle sp�culative fonci�re. Les investisseurs �trangers, lorsqu'ils s'installent au Liban, le font en " stand-by ", par le biais de petites structures, mobiles et peu co�teuses, dans une logique de prise d'options au cas o� les choses se d�bloqueraient dans la r�gion. Quant aux capitaux libanais � l'�tranger, estim�s � plus de 30 milliards de dollars, et sur lesquels beaucoup d'espoirs se fondent, il s'agit d'abord de voir quel est leur degr� de mobilit�, quel est encore leur degr� de " libanit� " et, enfin, quelles sont les conditions politiques que leurs d�tenteurs attendent pour les diriger vers leur pays d'origine. Dans le m�me temps, les pesanteurs et blocages politiques rendront pratiquement impossibles et vaines les tentatives de r�forme administrative - si elles ont lieu. Ainsi, la corruption qui gr�ve les finances publiques est appel�e � perdurer. Un d�ficit accru par le fait que la situation sociale devenant de plus en plus critique, il sera difficile � l'ensemble de la classe politique de priver le corps social des fonctionnaires de la pr�bende que constituent pour eux l'emploi public et ses avantages en nature. Ces consid�rations macro�conomiques se traduisent douloureusement sur le niveau de vie des Libanais. Si la classe moyenne � l'assise autrefois large n'en finit pas de s'�tioler depuis le d�but de la guerre, l'apr�s-guerre a vu se d�velopper une nouvelle pauvret� aux proportions objectivement alarmantes. C'est dire que le blocage persistant de la situation r�gionale aura donc pour effet d'entamer s�rieusement la cr�dibilit� et l'image - au d�part tr�s avantageuses - de Rafiq Hariri comme op�rateur �conomique et comme homme miracle de la convalescence libanaise d'apr�s-guerre. Si cette situation s'envenimait, ses effets pourraient m�me s'av�rer politiquement dangereux et devenir, par contrecoup, des facteurs de crise �conomique syrienne, ne serait-ce que par le biais du march� de l'emploi que le chantier libanais offre au surplus de main-d'oeuvre syrienne. Ce n'est d'ailleurs l� pas la moindre des fonctions syriennes du projet Hariri, � savoir celui de g�n�rateur de prosp�rit� pour la Syrie.
+En d�pit de tous ces signaux n�gatifs, l'�conomie libanaise garde quand m�me de grandes ressources de viabilit� si le blocage r�gional �tait lev�. Certes, comme tous les autres �tats de la r�gion, le Liban aura � vivre des adaptations difficiles et parfois douloureuses, la nouvelle division r�gionale du travail imposant sacrifices et contraintes de type nouveau. Il est d'ores et d�j� probable que le Proche-Orient �conomique dans l'apr�s-paix se dessinera autour de deux ensembles plus ou moins int�gr�s, dont les relations seront sujettes aux consid�rations politiques, mais aussi � celles de l'avantage comparatif. Si la premi�re de ces zones regroupe les " trois " - Palestine, Jordanie et Isra�l -, une zone " � deux " devra lui faire contrepartie, regroupant la Syrie et le Liban. Dans ce sens, les dynamiques � l'oeuvre d�s maintenant dans le couple syro-libanais sont essentielles et constituent autant de chances que de pesanteurs. Si la perception actuellement dominante est celle du mod�le Chine/Hong-Kong, et s'il est vrai qu'� maints �gards, le Liban remplit pour la Syrie la fonction d'un espace �conomique compensatoire, il n'en demeure pas moins que le fonctionnement optimal de cet ensemble pour le b�n�fice des deux parties comporte ses conditions. Il appartiendra donc au pouvoir libanais de r��quilibrer la mise en oeuvre des trait�s �conomiques entre le Liban et la Syrie, en faisant jouer pleinement la r�gle des avantages comparatifs, en r�duisant les protectionnismes appuy�s sur les rapports de force in�gaux entre les deux pays et en s'�loignant - le plus t�t serait le mieux - de pratiques plus proches de la pr�dation �conomique que la Syrie exerce sur certains secteurs libanais. � ce niveau, le probl�me de la main-d'oeuvre syrienne, dont les estimations les plus prudentes chiffrent la ponction � un minimum de 1 milliard de dollars par an, se pose en termes particuli�rement complexes, tant il m�le les consid�rations �conomiques � d'autres, plus psychosociologiques, engageant des repr�sentations dangereusement n�gatives de l'autre. Par ailleurs, le Liban peut �tre envisag� par la Syrie aussi comme un espace de sp�cialisation par procuration. Certains faits signalent d�j� que plusieurs entreprises libanaises servent d�s aujourd'hui d'�cole � des cadres syriens form�s pour la plupart � l'�tranger. Au sens plus large, d'ailleurs, l'entr�e dans le march� libanais de la reconstruction d'un certain nombre d'entrepreneurs syriens contribue � l'acquisition par ces derniers de r�flexes propres � une �conomie de march� ouverte et plus comp�titive.
+Les conditions �conomiques de la paix imposeront au Liban une double adaptation : avec l'�conomie syrienne, mais aussi avec celle d'Isra�l. Dans ce sens, plusieurs secteurs devront �tre sacrifi�s, d'autres d�velopp�s plus encore et mieux dans une perspective de sp�cialisation et d'excellence (banque, hospitalisation, syst�me �ducatif, informatique et t�l�communication...). � plus long terme, et si les blocages �taient v�ritablement lev�s, la possibilit� que le Liban serve d'espace interm�diaire entre le march� isra�lien et les march�s arabes - et plus sp�cifiquement syrien - ne peut pas �tre exclue. De pareilles perspectives ne manqueront pas, cependant, de placer les entrepreneurs libanais dans des situations de tension, difficiles � tenir si les �changes commerciaux continuaient d'�tre id�ologis�s dans une logique de refus de normalisation totale m�me apr�s la paix.
+Relever ces d�fis n�cessite d�s maintenant que le Liban s'engage sur la voie de certaines corrections et r�formes de son environnement �conomique et social. Les conditions du miracle �conomique des ann�es 50, 60 et 70 ont drastiquement chang� et la guerre n'y est certainement pas pour peu. � titre d'exemple uniquement, l'�conomie libanaise devra progressivement accommoder un nombre croissant de nouveaux venus sur son march� du travail, en raison d'une pyramide des �ges en rajeunissement constant depuis un certain temps. Le syst�me �ducatif et de formation professionnelle devra retrouver son r�le central de qualification. C'est de lui, ainsi que d'un syst�me fiscal plus juste, que d�pend la recr�ation d'une classe moyenne importante. Une grande partie des entreprises devront moderniser leurs structures organisationnelles et consolider leur capitalisation ; � l'�re de la comp�tition r�gionale et de la mondialisation, il y a peu de place pour des entreprises essentiellement familiales et parfois sous-capitalis�es. L'avantage comparatif du Liban en termes de tourisme ne pourra �tre exploit� si des actions r�solument volontaires n'�taient entreprises pour arr�ter la d�gradation catastrophique de son environnement naturel...
+L'�conomie libanaise dans un Proche-Orient en voie de pacification, voire m�me le couple �conomique syro-libanais dans un tel environnement, sera aussi largement d�pendant de ce que les n�gociations multilat�rales dessineront comme cadres et comme contraintes. Concernant le Liban, cela est vrai pour deux domaines au moins : celui de l'eau et celui des r�fugi�s. Si la position officielle isra�lienne, maintes fois r�it�r�e, est de n'avoir aucune vis�e territoriale sur le Liban, cela ne saurait exclure que des arrangements concernant l'eau libanaise ne soit mis sur la table des n�gociations. � tort ou � raison, le Liban est pr�sent� comme un pays exc�dentaire en eau, dans une r�gion o� sa raret� fait loi. � cet �gard, Isra�l pourrait invoquer le pr�c�dent du trait� libano-syrien de partage des eaux de l'Oronte, o� le Liban s'est montr� l�g�rement g�n�reux, pour exiger � son tour, et sur d'autres cours d'eau, le droit � l'utilisation de certaines quantit�s. Pareil point renvoie � la question plus globale des n�gociations multilat�rales et � ce qui y attend le Liban.
+Pour politiquement d�fendable que soit la position libanaise de boycott des n�gociations multilat�rales, celle-ci aura eu jusque-l�, et aura davantage encore � l'avenir, un prix plus �lev� pour le Liban que pour le partenaire syrien, dans la mesure o� le Liban est concern� de fa�on vitale par le dossier des r�fugi�s o� se joue le sort des quelque 300 000 Palestiniens stationn�s sur son sol. S'il peut continuer � s'en tenir � une stricte rh�torique juridique en la mati�re, le Liban ne pourra pas longtemps ignorer qu'en cas de paix, ce genre de question sera plut�t r�gl�e selon des modes de transnationalit�, modes qui revisiteront sans doute largement les principes traditionnels du droit international public au profit de m�canismes juridiques plus souples et plus inventifs aujourd'hui envisag�s sans lui. Si l'absence aux n�gociations multilat�rales a ses raisons, un palliatif momentan� serait, pour le Liban, d'�tre aussi pr�sent que possible au sein d'autres forums - multilat�raux mais moins charg�s diplomatiquement et politiquement. Outre que le Liban, s'il y �tait trait� comme acteur autonome r�affirmerait ainsi son identit� diplomatique, il y gagnerait aussi par le fait que ses repr�sentants prendraient l� le pouls de ce qui se pr�pare pour lui et pour la r�gion dans diff�rents domaines.
+� cet �gard, on peut l�gitimement s'inqui�ter de l'�tat d'" impr�paration " du n�gociateur libanais en ce qui a trait � certains dossiers techniquement pointus. Sur des questions cruciales comme celle de l'eau, des r�fugi�s palestiniens, de l'int�gration �conomique ou des futurs syst�mes de s�curit� collective, le consensus national est loin d'�tre form�, l'accumulation de connaissances et d'expertises est embryonnaire, la mise � contribution des sp�cialistes est au mieux informelle et dispers�e, quand elle n'est pas simplement �cart�e pour des raisons de conformit� politique. Le temps mort depuis l'arr�t des n�gociations libano-isra�liennes aurait pu �tre mis � profit pour avancer sur la ma�trise de ces dossiers. Dans ce sens, en se montrant aussi craintif et r�ticent � l'encontre de toute pr�sence d'experts libanais dans des c�nacles internationaux portant sur ces sujets, Beyrouth se prive d'opportunit�s s�rieuses de construction de capacit�s n�gociatrices futures.
+Si, selon certaines analyses, la Syrie peut - ou pr�f�re - s'accommoder de l'�tat de " ni paix, ni guerre ", le Liban, lui, a clairement int�r�t � un d�blocage et � une issue rapides des n�gociations. L� n'est pas la moindre de ses diff�rences avec la Syrie. Le Liban joue aujourd'hui sa viabilit� dans une course contre la montre et chaque jour pass� dans la situation actuelle se paie cher : en vies humaines au Sud, en d�liquescence politique � l'int�rieur, en marasme �conomique, en ponction de plus en plus lourde op�r�e par son protecteur sur ses ressources, en d�senchantement tous les jours plus profond que vivent ses citoyens.
+Est-ce � dire que c'est dans la paix que r�side la seule clef de l'entier recouvrement du Liban ? La relation syro-libanaise dans sa forme actuelle est sans doute appel�e � se prolonger pour un temps encore. Il s'agit l� d'un processus tiss� sur le long terme, dont les configurations sont fluides et � m�me d'accommoder les pressions exog�nes. La Syrie a cr�� au Liban des facteurs de contr�le durable, dont le moindre n'est pas sa ma�trise du complexe que constituent l'�lite politique et une partie importante des forces sociales effectives. Le Document d'entente nationale mettant fin � la guerre devait �tre compris, au d�part, comme un arrangement int�rimaire, adaptable et am�liorable, une plateforme offrant des perspectives ouvertes sur des relations syro-libanaises plus mutuellement b�n�fiques et sur des �quilibres internes plus novateurs. Toutefois, la conjoncture r�gionale et internationale des premi�res ann�es de la d�cennie 90, ainsi que les rapports de force interarabes et intra-libanais, avaient alors laiss� le champ libre � une lecture unilat�rale - et ferm�e - par la Syrie du sens de l'accord de Ta�f et avaient ainsi gravement d�voy� la relation syro-libanaise. L'impact simple et direct d'une perc�e r�elle du processus de paix sur cette relation reste donc limit�, contrairement � ce qu'un " wishfull thinking " largement r�pandu chez les Libanais laisserait croire. Quand bien m�me un tel processus entra�nerait le retrait, le red�ploiement ou l'all�gement des effectifs militaires syriens au Liban, d'autres types de contr�le pourraient ais�ment s'y substituer ou en prendre le relais. Dans ce sens, si le retrait militaire syrien est n�cessaire, il n'est en aucune fa�on suffisant. Un v�ritable r��quilibrage des relations syro-libanaises reposera largement sur la capacit� qu'auront - � partir des donn�es du Liban actuel - de nouvelles forces sociales et politiques � mettre � profit les marges offertes par la nouvelle donne r�gionale, par la vitalit� �conomique du pays, et par leur formulation commune d'un projet de vie politique - o� les Libanais seront r�concili�s autant avec eux-m�mes qu'avec leur environnement, pour r�affirmer une v�ritable souverainet� libanaise.
+Celle-ci ne devra, en aucun cas, se reconstruire contre la Syrie ou sur le ressentiment aveugle envers elle. De telles tendances existent. En effet, malgr� le c�t� incantatoire des d�clarations officielles libanaises sur la fraternit� qui caract�rise d�sormais les relations entre les deux pays, malgr� le slogan du pr�sident Assad lui-m�me selon lequel Libanais et Syriens sont " un seul peuple dans deux �tats ", l'aspect idyllique d'une telle relation est d�menti par les d�tails du v�cu quotidien. Les �chauffour�es sanglantes de la Cit� sportive, qui ont oppos� au mois de juin 1997 les supporters des �quipes syrienne et libanaise de football, ne sont qu'un sp�cimen des ranc?urs accumul�es entre les deux soci�t�s, o� se m�lent l'�conomique et le social � l'identitaire et au patriotique.
+Aussi, l'avenir d'une r�elle coop�ration syro-libanaise qu'exige un Proche-Orient en paix passe, en grande partie, par un travail de r�ajustement des perceptions crois�es de ces deux soci�t�s. D'une part, la Syrie a �t� v�ritablement int�rioris�e par la repr�sentation collective libanaise comme le d�miurge et le r�gulateur des crises, comme la partie prenante et l'arbitre, omnisciente, omnipotente et omnipr�sente. De l'autre c�t�, on oublie parfois que le Liban a fini par devenir partie int�grante du syst�me syrien lui-m�me. Le r�gime du Mouvement rectificatif du pr�sident Assad vit avec le Liban - et avec sa crise - sans interruption aucune depuis au moins 1976. Une grande partie de son �difice politique et militaire s'est structur� au Liban, s'est m�me parfois structur� par le Liban. Il est vrai que des pratiques uniformis�es de part et d'autre de la fronti�re ont peut-�tre progressivement liss� les deux espaces ; mais elles ont aussi exacerb� les plus petites diff�rences. C'est justement entre ces deux extr�mes, celui de la fusion et celui du rejet, que le Liban et la Syrie - seuls mais ensemble - devront r�apprendre � vivre.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+A la fin des ann�es 1980, un consensus semble se d�gager en France autour de l'id�e de la fin de ce que l'on appelait l'" exception fran�aise ". Les clivages id�ologiques irr�conciliables et l'atmosph�re de guerre civile larv�e ont disparu, tandis que les grands conflits sociaux, mais aussi l'engagement et la participation politique, sont en net d�clin. C'est pourquoi l'apparition d'une forte contestation de la mondialisation constitue une v�ritable surprise, tant pour les observateurs que pour les acteurs eux-m�mes. Elle para�t contredire cette forme de " fin de l'histoire " � la fran�aise, c'est-�-dire cette reconnaissance quasi g�n�ralis�e des principes de l'alternance d�mocratique, mais aussi, et surtout, de l'�conomie de march�. On peut d�s lors se demander si cette contestation t�moigne d'un retour de cette fameuse " exception fran�aise " ou si elle est seulement le sympt�me des difficult�s travers�es par une soci�t� confront�e aux d�fis de l'actuel processus de mondialisation.
+La contestation fran�aise de la mondialisation n'est pas tant singuli�re par ses caract�ristiques, que par son influence notable sur la soci�t� et sur le d�bat politique. Cette contestation � la fran�aise est n�e, en grande partie, dans le sillage du d�bat sur Maastricht, mais aussi de la r�apparition de mouvements sociaux importants, avec les actions des " sans " (logement, travail, papier) et surtout les gr�ves du secteur public fin 1995. La cr�ation, en juin 1998, d'ATTAC et son succ�s rapide, l'intense campagne men�e par la Coordination contre l'AMI (Accord multilat�ral sur l'investissement n�goci� � l'OCDE) et le d�montage du restaurant McDonald's � Millau par des militants de la Conf�d�ration paysanne en ao�t 1999 en r�action � la d�cision am�ricaine de surtaxer des produits agricoles fran�ais, font de la France � travers ses figures m�diatiques, notamment celle de Jos� Bov�, l'un des hauts lieux de la lutte contre la " mondialisation lib�rale ", avant m�me l'organisation des manifestations de Seattle � l'occasion de la conf�rence minist�rielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en novembre-d�cembre 1999. Elle le reste et le sera tout particuli�rement en 2003 puisqu'elle devrait accueillir deux des grands �v�nements de l'ann�e sur le front contestataire : les manifestations � l'occasion du sommet du G8 � Evian du 1er au 3 juin 2003, et le Forum social europ�en, qui se d�roulera � Saint-Denis du 29 octobre au 3 novembre 2003.
+Il n'existe pas pour autant un mouvement antimondialisation en France. On doit davantage parler d'une mouvance ou d'une n�buleuse de groupes souvent tr�s disparates par leurs structures, leurs objectifs ou leurs effectifs que d'un mouvement structur�. En outre, la contestation fran�aise appara�t plut�t altermondialiste qu'antimondialiste, dans la mesure o� les protestataires d�fendent une autre mondialisation que l'actuelle " mondialisation lib�rale ". Ses acteurs apparaissent donc assez diversifi�s et �loign�s des clich�s r�duisant la critique de la mondialisation en France aux groupes ou aux personnalit�s les plus visibles lors des manifestations � l'occasion des sommets internationaux ou des r�unions propres aux contestataires (Forum social mondial et, aujourd'hui, Forum social europ�en) ou dans les m�dias, � savoir Jos� Bov� et ATTAC. En effet, les activit�s protestataires ne se r�sument pas � ces manifestations. Les groupes s'expriment �galement � travers une intense activit� de lobbying aupr�s des " d�cideurs " ou du grand public en r�alisant un certain nombre de campagnes sur des th�mes sp�cifiques comme la dette, la taxe Tobin ou les organismes g�n�tiquement modifi�s (OGM) ; une activit� d'information, d'analyse, de p�dagogie et de publications ; et de contre-expertise sous la forme d'une surveillance et d'une �valuation de la politique men�e par diverses institutions (nationales ou internationales) ou par des entreprises, fondement d'un v�ritable contre-pouvoir.
+Ainsi, bien plus qu'ATTAC et la Conf�d�ration paysanne de Jos� Bov�, les groupes les plus impliqu�s dans les campagnes sont d'abord des organisations de solidarit� international (OSI), souvent d'origine confessionnelle, telles Agir ici, AITEC, Artisans du monde, le CCFD, le CRID, Peuples solidaires, le R�seau Afrique-Europe Foi et justice, RITIMO, Solagral ou Terre des hommes, ou d'autres ONG, comme des groupes �cologistes (Les Amis de la Terre et Greenpeace) et l'association de d�fense des droits de l'homme de Danielle Mitterrand, France Libert�s. En fait, la mouvance contestataire fran�aise est compos�e de trois types de groupes : les ONG, les mouvements sociaux et les " nouveaux groupes contestataires ".
+Les ONG appartenant � la mouvance sont des organisations sp�cialis�es dans l'aide au d�veloppement et la lutte contre la pauvret� dans les pays du Sud ou la protection de l'environnement. Mais d'autres ONG tendent �galement � s'impliquer dans la critique de la " mondialisation lib�rale ", comme celles qui d�fendent les droits de l'homme, la condition f�minine ou les minorit�s sexuelles. Elles s'expriment principalement par le biais de campagnes, surtout ax�es sur l'am�lioration de la situation des pays du Sud (d�veloppement durable, annulation de leur dette, lutte contre la politique men�e par les institutions financi�res internationales). Une part notable de la contestation fran�aise, � l'instar de la situation existant dans d'autres pays, est ainsi compos�e d'organisations d'origine confessionnelle, rappelant que l'�glise est �galement un p�le important de critique du capitalisme. Les mouvements sociaux comprennent des mouvements de d�fense des exclus - les " sans " -, des mouvements paysans et des syndicats radicaux, comme Sud-PTT. Ils s'expriment en particulier par le biais de manifestations, souvent assez spectaculaires, mais aussi de campagnes contre l'OMC. Enfin, les nouveaux groupes contestataires, contemporains de la mondialisation, ont �t� sp�cifiquement cr��s en liaison avec ce th�me. Ils comprennent des associations, comme ATTAC, des r�seaux, des observatoires et des " groupes de surveillance " qui s'expriment par le biais de campagne, de publications ou de promotion de telle ou telle action. Ils sont surtout pr�sents dans la lutte contre l'OMC.
+On peut distinguer parmi eux des groupes r�formistes, qui sont dans une logique d'engagement plus que d'affrontement face aux " acteurs " de la mondialisation (gouvernements, entreprises, institutions internationales) et qui acceptent d'entrer dans des m�canismes de consultation mis en place par ces derniers, et des groupes radicaux qui, eux, sont plut�t dans une logique d'affrontement et se refusent � tout compromis avec le " syst�me ". Pourtant, concr�tement, leurs diff�rences apparaissent beaucoup plus floues, en tout cas plus de degr� que de nature.
+Ces groupes incarnent une certaine continuit� historique avec les formes de contestation pass�es (ouvri�re, intellectuelle, " anarchiste ", mais aussi celle de l'�glise) et dans la tonalit� de leurs critiques. Mais ils s'inspirent �galement de courants plus contemporains, comme les mouvements " post-mat�rialistes " des ann�es 1960 - 1970 ou la mouvance ONG. Par ailleurs, ils ont une structuration in�dite et de nouveaux objectifs. A la diff�rence de la contestation ouvri�re et marxiste d'autrefois, les groupes protestataires actuels n'aspirent plus au " Grand soir ", c'est-�-dire � une forme de prise de pouvoir politique et de transformation radicale de la soci�t� par la force, ou de toute r�volution de type socialiste impliquant, par exemple, une appropriation collective des moyens de production. Ainsi, personne, au sein de la mouvance contestataire, ne d�fend l'exp�rience sovi�tique en tant que mod�le alternatif au capitalisme. Un groupe comme ATTAC affirme m�me ne refuser ni l'existence du march�, ni celle de l'entreprise priv�e. Leur objectif r�side donc plut�t dans la formation de contre-pouvoirs efficaces, et non dans la prise de pouvoir politique ou m�me une �ventuelle participation gouvernementale.
+La contestation fran�aise pr�sente donc de nombreuses similitudes avec la n�buleuse contestataire internationale, mais aussi quelques particularit�s, avec d'un c�t�, une quasi absence de think tanks, de groupes sp�cialis�s sur la mondialisation, d'organisations radicales de jeunesse et de p�le alternatif et, de l'autre, une surrepr�sentation des mouvements paysans et la singularit� d'ATTAC. Elle se structure �galement autour des grandes campagnes internationales (contre l'OMC et les institutions de Bretton Woods, et en faveur de la taxe Tobin et de la remise de la dette du Sud), mais aussi sur des th�mes sp�cifiques, comme l'Europe, la d�fense des services publics ou les OGM, souvent sur fond d'antiam�ricanisme.
+Il existe une contestation � la fran�aise. Son influence est tangible tant sur la soci�t� que sur le discours politique. Elle peut �tre mesur�e par le nombre d'adh�rents ou de sympathisants des groupes protestataires. Le cas d'ATTAC est particuli�rement embl�matique de ce point de vue. L'association compte aujourd'hui environ 30 000 adh�rents et 230 comit�s locaux, y compris dans les universit�s et les grandes �coles. Les r�sultats aux �lections professionnelles des syndicats appartenant � la mouvance montrent que ces groupes ont une repr�sentativit� certaine dans des secteurs qui tendent � fournir une grande partie des soutiens � la contestation de la mondialisation en France : l'agriculture, le secteur public et l'enseignement. La Conf�d�ration paysanne a obtenu 28 % des suffrages lors des �lections aux chambres d'agriculture en janvier 2001. Le syndicat Sud obtient des scores importants lors des �lections de repr�sentants des salari�s au conseil d'administration de grandes entreprises du secteur public (second syndicat � la Poste et � France T�l�com, troisi�me � la SNCF) ou m�me d'entreprises priv�es (second syndicat chez Michelin). Enfin, la FSU est la premi�re f�d�ration syndicale du personnel enseignant, mais aussi de la fonction publique de l'�tat. Les succ�s �ditoriaux (ouvrages de Jos� Bov�, de Susan George, de Viviane Forrester ou de Pierre Bourdieu, l'�volution des ventes du Monde diplomatique) ou le nombre important de signataires de p�titions (110 000 en faveur de la taxe Tobin, 520 000 pour l'annulation de la dette) et de manifestants (par exemple � Millau lors du proc�s des militants de la Conf�d�ration paysanne en juin 2000) en sont �galement les sympt�mes.
+Les enqu�tes d'opinion soulignent enfin que la perception des contestataires et surtout de leurs principales propositions est largement positive et tend m�me � d�passer les clivages partisans traditionnels, sauf si ces groupes sont bien identifi�s � gauche. Ainsi une tr�s importante majorit� des personnes interrog�es est favorable � la taxe Tobin et � l'annulation de la dette. On ne peut pas parler pour autant de France contestataire. Les Fran�ais ne sont pas majoritairement et fonci�rement hostiles � la mondialisation, et n'apparaissent pas globalement partisans d'une fermeture �conomique et culturelle. Ils se montrent n�anmoins plut�t inquiets face aux cons�quences les plus n�gatives de ce processus et tendent � soutenir les propositions de r�gulation et d'" humanisation ".
+L'influence des contestataires est �galement �vidente sur la politique et sur le d�bat. Mais elle appara�t faible sur la d�cision politique � proprement parler. En effet, au-del� de leur impact tr�s notable sur le discours politique, leur effet sur la d�cision para�t assez limit�. Ceci est illustr� par l'�tude de deux cas o� la France a jou� un r�le fondamental : l'�chec des n�gociations sur l'Accord multilat�ral sur l'investissement (AMI), suite � son retrait, et l'adoption d'une l�gislation sur la taxe Tobin. Dans le premier cas, consid�r� comme la premi�re " victoire " des contestataires, leur r�le sur la d�cision fran�aise a �t� beaucoup plus r�duit que ce qu'ils affirment eux-m�mes, tandis que dans le second, la l�gislation adopt�e n'a aucune incidence pratique et le gouvernement, malgr� une rh�torique plut�t favorable, s'est montr� fermement oppos� � toute mise en place effective d'une taxe Tobin. En fait, l'�tude du processus de d�cision indique que les contestataires sont influents lorsque deux conditions sont r�unies : lorsqu'ils font la promotion de micro propositions concr�tes et techniques sur lesquelles le gouvernement fran�ais peut avoir prise, et lorsqu'ils utilisent un relais politique, comme c'est le cas de la Gauche socialiste au sein de la gauche fran�aise.
+En d�finitive, leur influence la plus notable est sur le d�bat. La grande victoire des contestataires fran�ais est, en effet, d'avoir r�ussi � influencer la perception globale de la mondialisation en France et � d�finir les termes m�mes du d�bat. Les r�sultats des �lections pr�sidentielles et l�gislatives de mai-juin 2002 en ont, par exemple, �t� une illustration. La gauche au pouvoir, �cartel�e entre, d'une part, une approche pragmatique et r�aliste de l'�conomie de march� et de la mondialisation et, d'autre part, un discours souvent assez proche des th�matiques des contestataires, a certainement souffert �lectoralement de ces contradictions, alors qu'un grand nombre de sympathisants de gauche �taient s�duits par le discours contestataire d�fendant une " gauche de gauche ". Cette influence est �galement perceptible dans les d�bats au sein d'une gauche en crise suite � ces d�faites, en particulier chez ceux qui souhaitent que sa pratique s'adapte � son discours et qui reprennent � leur compte nombre d'analyses et de propositions contestataires.
+Malgr� sa vigueur, la contestation en France n'a pourtant, pour le moment, pas v�ritablement modifi� les trois grandes tendances durables de la soci�t� fran�aise : la pacification id�ologique, sociale et politique. Elle ne constitue donc pas le ferment d'une nouvelle " exception fran�aise ", celle-ci n'ayant pas vraiment cr�� de nouvel antagonisme id�ologique fondamental autour de la mondialisation et les Fran�ais, globalement, n'�tant pas oppos�s � son processus. La contestation appara�t en fait comme le sympt�me d'une crise, celle de la difficile adaptation du " mod�le social fran�ais " - crise d'adaptation de l'�conomie, de la soci�t� et du gouvernement, au sens large du terme - et du " mod�le r�publicain " - crise de la repr�sentation, de la d�mocratie repr�sentative et du politique - au contexte contemporain marqu� par la mondialisation. Elle soul�ve �galement l'un des principaux d�fis �conomique, social et politique en liaison avec les effets de la mondialisation, � savoir l'int�gration �conomique,
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le Centre fran�ais sur les Etats-Unis
+CFE
+POLICY BRIEF DU CFE
+15 JANVIER 2003
+Les derni�res �lections de mi-mandat sont en opposition avec les sch�mas �lectoraux traditionnels : ce point a �t� soulign� � maintes reprises dans la presse. La victoire du GOP (Grand Old Party) s'inscrit en faux contre cette " loi d'airain " de la d�mocratie am�ricaine selon laquelle le parti du Pr�sident au pouvoir perd des si�ges aux �lections de mi-mandat. L'�lection de 2002 rejoint en ceci les pr�c�dents de 1934 et de 1998, o� des Pr�sidents d�mocrates ont r�ussi � enregistrer des gains �lectoraux durant leur mandat. A chaque fois, l'Ex�cutif a pris avantage de cette situation pour faire passer son programme dans des conditions ais�es. Le cas de FDR est, de ce point de vue, exemplaire. En 2002, le r�sultat de Bush est d'autant plus surprenant que le L�gislatif est rarement de la m�me orientation politique que le Pr�sident, et ce de mani�re de plus en plus fr�quente depuis la fin des ann�es soixante.
+A un premier niveau, il semble ainsi que l'�lection de 2002 mette un terme aux blocages partisans trop souvent caract�ristiques de la vie politique am�ricaine. Le Parti r�publicain est maintenant en position de totale responsabilit�, tandis que le souvenir de la derni�re pr�sidentielle s'efface et, avec lui, le discr�dit qui entachait � la fois la Cour Supr�me et la Pr�sidence. N�anmoins, dans les faits, cette conclusion exag�re l'impact de la victoire r�publicaine. Comme on le verra, la fin d'un Congr�s d�mocrate est loin d'�tre suffisant pour modifier les �quilibres institutionnels : le mandat de Bush est fragile, et les contraintes qui p�sent sur ses d�cisions restent puissantes. A partir d'un bilan ponctuel de ces �lections, on tentera donc de valider notre �valuation plus g�n�rale.
+Les �lections mettaient en jeu les 435 si�ges de la Chambre des Repr�sentants, 34 si�ges au S�nat, et 36 postes de Gouverneurs. Malgr� le second tour de l'�lection s�natoriale en Louisiane le 7 d�cembre dernier et l'�lection d'une S�natrice d�mocrate, les r�sultats d�finitifs constituent une victoire assez nette pour les r�publicains : ils d�tiennent dor�navant une majorit� de 51 si�ges au S�nat (47 d�mocrates), de 228 si�ges � la Chambre (203 d�mocrates), et de 26 Gouverneurs (24 d�mocrates). Ainsi, ils poss�dent maintenant tous les leviers institutionnels du pouvoir - la Cour Supr�me �tant majoritairement conservatrice depuis les ann�es quatre-vingt -, ce qui constitue une configuration extr�mement rare � l'aune de la pratique politique des vingt derni�res ann�es. Le " divided government ", l'opposition partisane entre Congr�s et Pr�sidence, caract�risant la vie politique am�ricaine de fa�on particuli�rement marqu�e depuis la fin des ann�es soixante. Bush Jr. se retrouve maintenant en position de force ; et tous les commentateurs ont soulign� la facilit� que cela lui procurait dans la lutte anti-terroriste, aussi bien que dans la gestion de la crise irakienne. Nous allons ici nous pencher sur les cons�quences purement partisanes et politiques sur la sc�ne publique am�ricaine.
+Mais auparavant, il faut imm�diatement souligner que ce succ�s est imputable � la strat�gie individuelle du Pr�sident Bush. Il s'est personnellement impliqu� dans le d�roulement de la campagne, en jouant pleinement sur les r�gles localistes du scrutin. En premi�re approche, il semble que cette participation individuelle extr�mement forte, en proportion inverse de sa fragilit� issue de 2000, ait eu des cons�quences positives pour les r�publicains. Sa popularit� personnelle tr�s solide (60% de satisfaits) a rejailli sur son parti. N�anmoins, une analyse plus fine r�v�le rapidement que le comportement du Pr�sident a surtout eu des cons�quences sur le camp adverse, celui des d�mocrates. Ils ont �t� priv�s de toute marge de manoeuvre pour se distancier d'un Pr�sident qui n'a pas h�sit� � jouer la carte nationaliste pour s'assurer une vaste popularit�. C'est donc d'abord la focalisation sur le Pr�sident, sensible pendant toute la campagne, qui a conduit � la d�faite des d�mocrates. Leur absence de message fort a �t� flagrante. Tout comme le manque de figure charismatique pour se faire entendre, � l'exception, contestable, de Tom Daschle, S�nateur d�mocrate du Dakota du Sud (depuis 1986), et actuel pr�sident du groupe d�mocrate au S�nat (Senate Minority Leader depuis 1995). Si on prend les trois grands th�mes importants - les imp�ts, la s�curit� du territoire (homeland security), et l'Irak - les d�mocrates ont apport� la preuve de leurs divisions, tout particuli�rement en ce qui concerne la s�curit� du territoire. En effet, la r�organisation de l'Etat f�d�ral impuls�e par l'�quipe Bush a une cons�quence sociale lourde : elle conduit � modifier le statut de plusieurs cat�gories de fonctionnaires f�d�raux, dans le sens de la remise en cause de certains de leurs acquis sociaux. Le mouvement de consolidation des structures f�d�rales � l'oeuvre se traduit concr�tement par le regroupement des fonctionnaires f�d�raux sur le plus petit d�nominateur social commun. Etant donn� le poids des syndicats au sein du Parti d�mocrate, on aurait pu s'attendre � une r�action vigoureuse de leur part. Or il n'en a rien �t�. Le discours nationaliste l'ayant tr�s largement emport� de part et d'autre, il s'est av�r� �tre un pi�ge �lectoral particuli�rement efficace pour les d�mocrates. Au niveau des classes moyennes mod�r�es, les �lecteurs se sont tourn�s de pr�f�rence vers l'original plut�t que vers la copie : ils ont suivi les r�publicains plut�t que les d�mocrates. A l'inverse, au niveau des �lecteurs traditionnellement d�mocrates, le parti a souffert de son manque d'affirmation, de sa faible diff�renciation par rapport au GOP. Sur les autres sujets, le Pr�sident est aussi en mesure de mettre en oeuvre son programme. Il peut cr�er son fameux " Minist�re de la S�curit� du Territoire ". Il va pouvoir aussi faire p�renniser plus facilement son programme de baisse des imp�ts : Thomas Daschle n'est plus en position de s'opposer. De m�me, d'autres projets devraient b�n�ficier de cette nouvelle configuration politique : celui de la privatisation des retraites (Social Security), ou encore l'exploitation des r�serves �nerg�tiques de l'ANWR (Alaska National Wildlife Refugee), ch�re � un grand nombre des contributeurs de la campagne r�publicaine.
+En fin de compte, le Parti d�mocrate donne l'impression d'avoir perdu sur les deux tableaux. Il semble �galement que les responsables du parti aient, tout comme dans les ann�es quatre-vingt, sous-estim� l'impact du " personnage " politique que s'est construit Bush : celui du Pr�sident " proche ", d�pourvu de toute pr�tention intellectuelle, mais honn�te, et capable de prendre une d�cision simple le moment venu. Reagan avait d�j� utilis� cette caract�ristique de la vie politique am�ricaine, qui revient r�guli�rement sur le devant de la sc�ne depuis Andrew Jackson dans les ann�es 1830. Dans une p�riode de crise et d'incertitude, les discours de type " Axe du Mal " sont bien per�us par l'�lectorat, � la diff�rence des flottements enregistr�s c�t� d�mocrate. Les responsables d�mocrates ont laiss� une impression d'inutile sophistication. On pourrait ais�ment prendre d'autres exemples en politique interne, mais l'id�e resterait la m�me : les d�mocrates n'ont pas saisi ce besoin de proximit� des �lecteurs, � la diff�rence d'un Pr�sident qui, lui, en use et abuse, notamment avec la lutte anti-terroriste.
+C'est dans ce cadre g�n�ral que prend place la recomposition des forces au Congr�s et au niveau des Etats. Nous aimerions maintenant �voquer quelques-unes des personnalit�s marquantes qui �mergent de cette �lection, en commen�ant par le Congr�s, puis en se penchant sur les Gouverneurs. Une fois ce panorama achev�, nous conclurons sur les limites qui, � court terme, vont sans doute conduire le Pr�sident � une certaine mod�ration. Enfin, nous tenterons de tirer quelques conclusions g�n�rales sur l'�tat du syst�me politique am�ricain.
+C'est bien s�r au Congr�s que la situation �volue le plus, et d'abord pour les d�mocrates. Face au Pr�sident Bush, les d�mocrates semblent tiraill�s entre un besoin de retour aux sources id�ologiques et une poursuite de la politique de mod�ration mise en oeuvre par Bill Clinton. Le choix de Nancy Pelosi, �lue de San Francisco, comme Minority Leader (responsable de la minorit� d�mocrate) � la Chambre des Repr�sentants, et le maintien de Tom Daschle � la t�te du groupe d�mocrate au S�nat traduisent, respectivement, cette tension. Nancy Patricia d'Alesandro Pelosi est une des plus �lues les plus " lib�rales " de la nation, c'est-�-dire, engag�e � gauche. Elle repr�sente le 8�me district de Californie depuis 1987, en �tant confortablement r��lue � chaque fois. Elle a construit sa carri�re sur la lutte contre le SIDA, et la fermet� de sa position vis-�-vis de la Chine. Malgr� son opposition au Pr�sident Clinton sur de nombreux points - et en particulier la question chinoise - elle est un des plus efficaces contributeurs (fund-raiser) du Parti d�mocrate. Elle si�ge par ailleurs � la Commission du Renseignement (Intelligence Committee) depuis le 107�me Congr�s, et dans celle d'attribution des cr�dits (Appropriations Committee) depuis le 102�me Congr�s. D�s janvier 2002, elle avait obtenu le poste de Minority Whip, ce qui l'avait propuls� � un des deux postes les plus importants du groupe minoritaire. A premi�re vue, ce sont les contributions financi�res obtenues par Pelosi qui lui ont valu cette importante promotion. Mais il reste que le message id�ologique est �galement clair : son engagement � gauche est un signal de radicalisation des d�mocrate.
+Face � cette recomposition d�mocrate, les r�publicains ne sont pas en reste. Tout comme chez leurs adversaires, la tendance est nettement � la radicalisation id�ologique. Nancy Pelosi doit ainsi apprendre � cohabiter avec le Repr�sentant Tom Delay, Whip du parti, alli� indispensable du Speaker J. Dennis Hastert, et �lu du Texas depuis 1984. Sa r�putation de strict conservateur n'est plus � faire. Malgr� ses relations tumultueuses avec l'ancien Speaker Newt Gingrich, c'est bien T. Delay qui a r�dig� l'essentiel du programme conservateur de 1994 (Le Contrat avec l'Am�rique), en s'en prenant notamment � l'extension du pouvoir f�d�ral. Il aurait largement contribu� � la chute de Gingrich en 1997 et son remplacement par Hastert, le tout avec le soutien du " Majority Leader " Dick Armey. Ce trio - avec T.Delay occupant donc la troisi�me place - est plus que jamais fermement � la t�te du Parti r�publicain. Hastert est clairement le plus mod�r� des trois. Ancien professeur d'histoire, Hastert est un �lu r�publicain depuis 1986 pour la 14�me circonscription de l'Illinois. Sa promotion de Chief Deputy Majority Whip � celle de Speaker remonte � 1998, et fut organis�e avec comme message explicite de calmer les haines partisanes au sein de la Chambre. On ne peut pas en dire autant du Majority Leader, Dick Armey, nettement plus id�ologue. Elu de la 26�me circonscription du Texas depuis 1986, il est un ancien universitaire, �conomiste, partisan acharn� de Reagan, et qui acquiert sa position de pr��minence lors du 104�me Congr�s. Ses conceptions fiscales extr�mement conservatrices sont connues : il est partisan d'un taux unique d'imp�t f�d�ral sur le revenu - la fameuse " flat tax " � 17% - et s'�tait violemment oppos� � Bush Sr lors de l'augmentation des imp�ts en 1990. Son activit� intellectuelle est encore intense : outre une partie du programme de 1994, il a aussi �crit une s�rie de livres d'actualit� sur les n�cessaires r�formes � mener : Price Theory : A Policy-Welfare Approach (1977), The Freedom Revolution (1995) et The Flat Tax (1996).
+Au S�nat, la situation est plus stable par d�finition. Mais l� aussi, le constat est identique : l'activisme id�ologique est de plus en plus marqu�, tout particuli�rement du c�t� r�publicain. C�t� d�mocrate, en effet, le pragmatisme des " Nouveaux d�mocrates " chers � Bill Clinton semble se poursuivre. Tom Daschle, Senate Minority Leader depuis plusieurs ann�es, repr�sente, avec, jusqu'� r�cemment, Richard Gephart � la Chambre, une poursuite du pragmatisme clintonien. Le Pr�sident trouvait en eux d'utiles relais au sein du l�gislatif, m�me si les ambitions des uns et des autres pouvaient occasionnellement perturber les relations. Apr�s les derniers r�sultats, la d�mission de Gephart a ouvert la voie � Pelosi, Daschle restant seul. Sa pratique des r�publicains au cours du 104�me Congr�s l'a habitu� � adopter une position souple, tout en tenant efficacement la base. Il a ainsi pu r�former les r�gles du S�nat lors du 107�me Congr�s dans un sens favorable aux d�mocrates. Son opposition au programme de Bush Jr est ferme - comme p.ex. sur les baisses d'imp�ts - mais sans caract�re id�ologique ou revendicatif comme certains le craignent de Pelosi. Daschle est maintenant consid�r� comme un des pr�sidentiables d�mocrates potentiels en 2004, et ce d'autant plus que Gore a officiellement annonc� en d�cembre dernier qu'il ne se repr�senterait pas. Mais au sein du GOP, la situation est radicalement diff�rente. Malgr� le d�part de certains " poids lourds " de la droite r�publicaine - Jesse Helms (Caroline du Nord) et Strom Thurmond (Caroline du Sud) - la rel�ve est assur�e par des �lus clairement ancr�s � droite : en l'occurrence Elizabeth Dole (�lue � 54%) et Lindsay Graham (qui recueille 55% des voix). Le principal responsable du groupe r�publicain �tait le S�nateur du Missouri Trent Lott jusqu'en d�cembre 2002. Elu en 1988, il devient le " Majority Leader " du S�nat en 1996, � la fin du 104�me Congr�s, lorsque Bob Dole se lance dans la campagne pr�sidentielle. Son parcours de r�publicain mod�r� - il travaillait pour un Repr�sentant d�mocrate lorsqu'il est arriv� � Washington en 1968 - a �t� r�guli�rement marqu� par des d�clarations embarrassantes. Par ailleurs, son arriv�e comme " Majority Leader " a coincid� avec l'�rosion de la majorit� r�publicaine. Lott n'a jamais r�ellement r�ussi � consolider ses troupes. Ses tentatives pour atteindre un consensus sont fragiles, et ne r�sistent pas � sa propension � tenir haut et fort des propos trop controvers�s. Le pragmatisme contrari� de Lott est le r�sultat direct de l'amenuisement de la majorit� r�publicaine jusqu'en 2002. Qu'en est-il maintenant que le GOP est dans une situation plus confortable, non seulement au S�nat, mais �galement � la Chambre et au niveau des Etats ? Peut-on s'attendre � une �volution sensible, peut-�tre plus radicale, du Parti r�publicain ? Pour l'instant, le nouveau responsable du GOP au S�nat, B. Frist, semble adopter une politique de stricte adh�sion � la Pr�sidence Bush. Mais il est encore trop t�t pour dire s'il va s'agir d'une personnalit� de transition ou bien s'il pourra s'affirmer.
+Au niveau des Gouverneurs, les changements sont moins massifs qu'au sein du L�gislatif. N�anmoins, ce n'est pas une fonction � n�gliger : tous les derniers Pr�sidents d'envergure - Clinton, Bush Sr, Reagan et Carter - ont �t� des Gouverneurs avant d'atteindre la Pr�sidence. Que ce soit l'Arkansas, la Californie, ou le Texas, l'accession au poste de Gouverneur semble maintenant �tre un marche-pied efficace pour atteindre le poste le plus �lev� du pays. A ce niveau, une autre figure montante du Parti d�mocrate a acquis une certaine visibilit�. Il s'agit de Bill Richardson, qui vient d'�tre �lu Gouverneur du Nouveau Mexique en battant le r�publicain John Sanchez, 57% � 38%. En Europe, sa r�putation vient essentiellement de son action diplomatique, notamment � l'ONU, entre 1997 et 1998. Il �tait devenu membre de l'�quipe pr�sidentielle de Clinton en 1998, comme Secr�taire � l'Energie, avant de se lancer dans une carri�re politique nationale. Sa r�cente �lection constitue ainsi son premier succ�s sur la voie de l'enracinement �lectoral, un �l�ment qui, jusqu'� pr�sent, avait toujours manqu� � ce haut fonctionnaire. Ses prises de position traduisent une mod�ration certaine, m�me si ses engagements en faveur de la lutte contre la pollution ou l'extension de la couverture-sant� (health care) sont solides. A part ce nouveau venu sur la sc�ne �tatique, les autres r�sultats �taient attendus. La r�election de Jeb Bush en Floride n'est pas une surprise �tant donn� la soutien massif que son Pr�sident de fr�re lui a apport� : 56% contre 43% pour Bill McBride. En Californie, le d�mocrate mod�r� Gray Davis a �t� ais�ment r��lu (48% contre 42% pour son adversaire, Bill Simon), de m�me que le r�publicain - lui aussi mod�r� et lui aussi �lu en 1994 - de New York, George Pataki (� 50% contre 33% pour Carl McCall). La seule " surprise " vient peut-�tre du changement � Hawa� : cet Etat, historiquement d�mocrate, est pass� aux r�publicains en �lisant Linda Lingle � 52% contre 47% pour son adversaire. Les d�mocrates ont aussi recul� en G�orgie, en Caroline du Sud et dans le Maryland, o� leur candidate, Kathleen Kennedy Towsend, est la fille a�n�e de Robert Kennedy. Ils ne l'ont emport� clairement que dans des Etats industriels comme l'Illinois, le Michigan (avec Jennifer Granholm, une des �lues les plus en vue du Parti d�mocrate), et la Pennsylvanie.
+Au-del� de ces r�sultats, on peut lire les �lections de 2002 comme un effacement des controverses de la pr�sidentielle de 2000. Certes, les attentats du 11 septembre 2001 ont d�j� tr�s largement permis au Pr�sident d'asseoir sa l�gitimit�. Cette victoire charismatique a d'ores et d�j� �t� mise au cr�dit du Pr�sident. L'apport des derni�res �lections est un peu diff�rent, mais tout aussi sensible. Comme on le sait, la fragile majorit� r�publicaine du 107�me Congr�s (2000 - 2002) avait �t� remise en cause par la d�fection d'un S�nateur r�publicain mod�r�, qui, en se d�clarant non-inscrit, avait fait passer la majorit� du S�nat aux d�mocrates. Cet accident de parcours a maintenant �t� effac�. Les r�publicains ont r�cup�r� leur majorit� et ne d�pendent plus du vote d'un S�nateur non-inscrit. De m�me, la Cour Supr�me a maintenant retrouv� de son prestige, pourtant largement entam� par la " r�solution " de la crise de l'�lection pr�sidentielle en 2000. Son soutien en faveur du candidat Bush Jr se trouve maintenant valid� politiquement. Le Pr�sident peut ainsi consid�rer � nouveau la possibilit� de nommer des Juges conservateurs non seulement � la Cour Supr�me mais aussi aux cours f�d�rales inf�rieures. Alberto Gonzales est de plus en plus cit� comme choix potentiel du Pr�sident en remplacement de Rehnquist, actuellement Pr�sident de la Cour (Chief Justice), ou de la Juge O'Connor. Par ailleurs, le Pr�sident pourrait aussi tenter � nouveau de choisir le Juge Charles W. Pickering pour un poste dans une Cour d'Appel, pourtant rejet� par la Commission Judiciaire du S�nat en mars 2002. En clair, et plus g�n�ralement, les �lections de 2002 constituent une sortie de la crise de l�gitimit� issue de la pr�sidentielle de 2000. Tous les �l�ments ralentis ou d�cr�dibilis�s depuis la d�but de la Pr�sidence Bush sont dor�navant d�bloqu�s politiquement et institutionnellement.
+N�anmoins, malgr� cette situation, il semble que le parti du Pr�sident doive mod�rer ses ambitions et g�rer un grand nombre de contraintes. Ainsi, en d�pit de la victoire des r�publicains, il faut largement en nuancer l'importance. Les caract�ristiques de l'�lection sont telles qu'il faut se garder de toute conclusion de long terme quant � la pr�sidentielle de 2004.
+La participation �lectorale ne permet pas d'avoir une vue compl�te de l'�lectorat. La participation s'est �tablie � 39.3%, en hausse l�g�re de 2 points par rapport � l'an 2000. La participation n'a �t� v�ritablement �lev�e que dans quelques Etats bien pr�cis, comme le Minnesota (avec le soudain d�c�s du S�nateur P. Wellstone et la mobilisation autour de son remplacement), le Dakota du Sud, Etat d'origine de Tom Daschle : dans ces deux cas, la participation a pu atteindre 60%. Certains taux sont par contre curieusement bas. Ainsi des 45% du Maine, o� la participation est normalement beaucoup plus �lev�e. Ou encore, la Floride, dont le taux ne d�passe pas 43%, alors que les enjeux y �taient particuli�rement importants. Le Gouverneur de l'Etat, Jeb Bush, ayant en effet b�n�fici� d'un important soutien du Pr�sident, la m�diatisation de l'�lection a �t� particuli�rement intense. Dans ces conditions, il n'y a pas vraiment de raz-de-mar�e �lectoral en faveur du Pr�sident, et encore moins de r�alignement �lectoral. Une analyse plus pr�cise confirme ais�ment ce diagnostic :
+ +Ainsi, la pauvret� des marges �lectorales, auxquelles s'ajoutent le localisme des d�bats font de cette �lection une victoire r�publicaine � l'arrach�, bien loin de la pr�sentation journalistique sur le th�me de " l'exception " historique. En fait, la surr�action m�diatique est la grande caract�ristique de l'�lection de 2002. Les observateurs pr�voyant en majorit� une continuation de l'effritement des positions r�publicaines, les quelques gains du GOP ont, au contraire, conduit � accorder trop d'importance � des r�sultats somme toute ponctuels et/ou difficiles, sans tenir compte d'autres facteurs : la participation �lectorale et la " fragmentation " du d�bat nationale, bien s�r, mais aussi des facteurs plus institutionnels.
+Au S�nat par exemple, la vraie majorit� n'est pas de 50, mais de 60, puisque c'est l� la majorit� n�cessaire pour emp�cher une obstruction parlementaire (filibuster). Dans ces conditions, et malgr� le renforcement de la majorit� r�publicaine, la continuit� devrait �tre la r�gle en pratique ! Le GOP n'a aucune chance d'atteindre ce seuil. D'une mani�re plus g�n�rale, et comme toujours dans le syst�me am�ricain, la complexit� de la proc�dure l�gislative est telle, qu'elle assure une mod�ration des r�publicains majoritaires. Autre �l�ment qui devrait favoriser la prudence de l'�quipe actuelle, la fragilit� de la structure �lectorale du GOP. Le Nord-Est est une partie du pays d�terminante pour les futurs succ�s du GOP : en effet, le Maine ayant �lu deux S�natrices r�publicaines mod�r�es, Susan Collins et Olympia Snowe, et celles-ci sont tout � fait n�cessaires pour n'importe quelle majorit�, m�me simple, au S�nat. Or ces deux �lues sont tout particuli�rement mod�r�es sur les questions de moeurs (l'une d'elle, Olympia Snowe, est m�me pro-choice). Dans ces conditions, le Parti r�publicain ne peut qu'adoucir ses prises de position, afin de conserver ses l�gers avantages sur les d�mocrates. Et ceci non seulement dans le domaine social, mais aussi dans d'autres. Ainsi, les derniers changements � la t�te de la Commission de l'Environnement (Environment and Public Works) au S�nat en t�moignent. La r�putation d'opposant syst�matique � l'EPA (Environment Protection Agency) du nouveau Pr�sident, James M. Inhofe, devrait s'alt�rer devant les n�cessit�s du compromis partisan. Ce sch�ma devrait se r�p�ter et se g�n�raliser au niveau de la collaboration institutionnelle.
+Les �lections de 2002 ne permettent pas de conclure sur un mandat clair pour le Pr�sident Bush. Sa victoire, ind�niable, est somme toute modeste, et les gains enregistr�s au Congr�s ne sont pas tels qu'ils permettent au Pr�sident d'assurer le passage de ses principales mesures. A l'inverse, l'opinion publique, elle, per�oit bien les r�publicains comme �tant maintenant responsables � part enti�re. Dans ces conditions, les d�mocrates peuvent s'assurer un certain rebond �lectoral s'ils �vitent la marginalisation partisane qui est leur principal risque.
+La seule conclusion � long terme que l'on semble pouvoir tirer de ces �lections est le quasi-�quilibre entre les diff�rentes institutions. Il y a une forme d'entropie institutionnelle qui ressort des chiffres d�finitifs de l'�lection rappel�s au d�but de cet essai. Cette situation est en clair contraste avec les �lections de 1994 : l'engagement id�ologique avait �t� tel que les impasses auxquelles cela a conduit ont traumatis� les �lus. Depuis lors, les responsables politiques jouent de pr�f�rence la carte de la mod�ration, au point que le rapport de force partisan s'�quilibre et bloque le processus d�cisionnel. En effet, la recherche de la mod�ration ne va pas jusqu'� cultiver le consensus avec le parti adverse. Il semble tout simplement que le risque politique ne paie plus sur la sc�ne publique am�ricaine.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les Etats-Unis disposent seuls, aujourd'hui, de la ma�trise des « espaces communs » : la mer, le ciel, l'espace. Cette ma�trise, rendue possible par une immense puissance �conomique, fonde leur h�g�monie militaire. C'est elle qui leur permet de projeter leurs capacit�s dans le monde entier et d'emp�cher tout adversaire potentiel de le faire. C'est elle aussi qui assure un haut degr� de s�curit� aux routes a�riennes et maritimes utilis�es par l'ensemble des Etats, ce qui fait que nombre d'entre eux estiment que l'h�g�monie des Etats-Unis sert leurs int�r�ts, notamment �conomiques. Mais cette domination, aussi globale soit-elle, n'est pas pour autant totale. Il existe des domaines dans lesquels elle peut �tre contest�e, et les dix derni�res ann�es montrent qu'un adversaire inf�rieur techniquement, �conomiquement et militairement peut rivaliser sur le champ de bataille avec les Etats-Unis, qu'il s'agisse du combat de rue ou de montagne, de la d�fense anti-a�rienne au-dessous de 15 000 pieds ou du terrorisme.
+Depuis la fin de la guerre froide, les sp�cialistes de politique �trang�re se sont demand� quel nouvel ordre mondial succ�derait � la bipolarit� Est-Ouest, et quelle nouvelle doctrine remplacerait pour les Etats-Unis celle du containment. Ceux qui pensent que nous sommes arriv�s � un " moment unipolaire " de l'Histoire et pr�nent pour les Etats-Unis une politique de " supr�matie ", c'est-�-dire d'h�g�monie, l'ont apparemment emport� sur ceux qui pariaient sur l'�mergence d'un monde mul-tipolaire et penchaient pour une politique �trang�re plus retenue. Certains estiment peut-�tre que ce " moment unipolaire " sera court ; mais tout montre au contraire qu'il pourrait bien durer. Unipolarit� et h�g�monie vont cependant durer un certain temps, m�me si d'aucuns estiment que les Etats-Unis pourraient eux-m�mes contribuer, par indiscipline ou hyperactivit�, � en pr�cipiter la fin.
+L'un des piliers de l'h�g�monie des Etats-Unis est leur immense puissance militaire. Les seules donn�es �conomiques suffiraient � leur donner une large marge de sup�riorit� : ce pays d�pense plus pour la d�fense que la quasi-totalit� des autres grandes puissances militaires, dont la plupart sont d'ailleurs ses alli�s. Certains estiment que les Etats-Unis b�n�ficient aussi d'un avantage qualitatif unique, d�cisif, concernant l'utilisation militaire des technologies de l'information - on parle � ce sujet de " r�volution dans les affaires militaires ". Ces pages proposent une analyse plus nuanc�e. D'abord, en d�finissant les domaines d'intervention dans lesquels les Etats-Unis disposent d'une r�elle ma�trise - au sens de " ma�trise des mers ". Puis en se demandant si cette " ma�trise " fonde leur h�g�monie et si elle ne pourrait pas �tre bient�t confront�e � un d�fi � sa mesure. Enfin, en rappelant qu'il existe encore des zones dans lesquelles cette ma�trise est contest�e, ou du moins contestable, par des adversaires grands ou petits.
+L'appareil militaire am�ricain a, aujourd'hui, la ma�trise globale des " espaces communs " : la mer, le ciel, et l'espace. Celle-ci est comparable � la " supr�matie navale " ch�re � Paul Kennedy. Ces " espaces communs " ne rel�vent de la souverainet� d'aucun pays et constituent les voies de circulation et d'acc�s de notre monde. Le ciel appartient en principe aux pays qui se trouvent en dessous, mais rares sont les Etats qui peuvent interdire le survol des avions am�ricains au-del� de 15 000 pieds. La " ma�trise " am�ricaine ne signifie pas que d'autres pays ne peuvent acc�der � ces zones en temps de paix, ni qu'ils ne peuvent y d�ployer des syst�mes d'armes si les Etats-Unis n'y font pas obstacle. Elle signifie que les Etats-Unis, plus que tout autre pays, peuvent en faire un large usage militaire ; qu'ils peuvent de fa�on cr�dible menacer d'en d�nier l'usage aux autres ; et qu'ils peuvent d�faire tout Etat qui tenterait par la force de les emp�cher d'en disposer : le challenger ne pourrait avant longtemps reconstituer ses forces, tandis que les Etats-Unis n'auraient pas de difficult� � pr�server, restaurer, ou renforcer leur emprise apr�s la bataille.
+Cette ma�trise des espaces est le facteur militaire clef de la pr��minence globale des Etats-Unis. Elle leur permet d'utiliser de fa�on plus pouss�e d'autres �l�ments de puissance, dont leurs propres forces �conomiques et militaires, et celles de leurs alli�s. Elle aide les Etats-Unis � affaiblir leurs adversaires en restreignant leurs possibilit�s d'acc�s au soutien ext�rieur, �conomique, militaire ou politique, et leur fournit de puissants atouts pour fixer les conditions d'une bataille �ventuelle dans les zones contest�es qui seront �voqu�es ci-apr�s. Elle permet aux Etats-Unis de se jeter dans la guerre sans long pr�avis, m�me dans des r�gions o� leur pr�sence militaire est r�duite, comme le montre la guerre men�e en Afghanistan contre les Talibans apr�s les attentats du 11 septembre.
+La ma�trise des espaces donne aux Etats-Unis un potentiel militaire qui peut �tre mobilis� au service d'une politique �trang�re h�g�monique � un point qu'aucune puissance maritime n'a connu dans le pass�. Au XIXe si�cle, quand la Grande-Bretagne avait la ma�trise des mers, ses capacit�s de projection de forces n'allaient gu�re plus loin que la port�e des canons des navires de la Royal Navy : celle-ci pouvait transporter une arm�e un peu partout dans le monde, mais elle avait souvent devant elle, une fois d�barqu�e, un parcours long et difficile ; et sans d�barquement, les Britanniques n'avaient qu'une capacit� d'influence limit�e sur les �v�nements. Les Etats-Unis b�n�ficient d'une ma�trise des mers similaire et peuvent �galement transporter partout dans le monde des forces arm�es importantes. La ma�trise de l'espace exo-atmosph�rique leur permet de scruter en profondeur tous les territoires et de collecter sur eux plus d'informations qu'ils ne peuvent en traiter. Dans des conditions favorables, les Etats-Unis peuvent localiser et identifier d'importantes cibles militaires et transmettre rapidement ces donn�es � leurs " tireurs ". Leur puissance a�rienne, � terre ou embarqu�e, peut atteindre des cibles situ�es tr�s loin � l'int�rieur des terres, et les munitions de pr�cision leur permettent souvent de les frapper et de les d�truire. Si les forces terrestres s'aventurent � terre, elles rencontrent donc un adversaire affaibli et disposent d'informations fiables, de bonnes cartes et d'une connaissance pr�cise de leurs propres positions. Les Etats-Unis peuvent enfin recourir � des frappes a�riennes r�actives, pr�cises et destructrices qui garantissent aux troupes terrestres une grande libert� de manoeuvre, m�me si elles ne d�terminent pas toujours � elles seules l'issue de la bataille.
+Quelles sont les origines de cette ma�trise des espaces ? La premi�re, �vidente, est tout simplement le poids �conomique des Etats-Unis - 23 % du produit brut mondial d'apr�s la CIA. A titre de comparaison, la Chine et le Japon, qui sont les deuxi�me et troisi�me puissances, n'en repr�sentent respectivement que 10 % et 7 %. En outre, en consacrant 3,5 % de leur budget national � la d�fense (soit 1 % du produit brut mondial), les Etats-Unis peuvent entreprendre des projets plus importants que n'importe quel autre pays dans le domaine militaire. Les armements et les plates-formes n�cessaires pour s'assurer de cette ma�trise des espaces, et en user, sont en effet co�teux : leur conception et leur fabrication reposent sur un �norme complexe scientifique et industriel. En 2001, les Etats-Unis ont engag� autant d'argent pour la recherche et d�veloppement (R&D) militaire que l'Allemagne et la France pour la totalit� de leur d�fense. L'utilisation militaire des nouvelles technologies de l'information, domaine o� les Etats-Unis excellent, joue ici un r�le-clef. Les syst�mes n�cessaires � la ma�trise des espaces requi�rent des comp�tences pointues dans l'int�gration des syst�mes et la gestion de projets industriels � grande �chelle, autres domaines d'excellence des Etats-Unis. La conception d'armements nouveaux et de nouvelles tactiques repose sur une exp�rience accumul�e sur des d�cennies et s'incarne dans la m�moire institutionnelle des centres de R&D, priv�s et publics, qui oeuvrent dans le domaine militaire. Il faut enfin, pour g�rer ces syst�mes, un personnel hautement qualifi� et tr�s bien form�. Pour toutes ces raisons, un Etat qui voudrait acqu�rir des capacit�s militaires concurren�ant celles des Etats-Unis devrait s'acquitter de " droits d'entr�e " tr�s �lev�s.
+Les satellites de reconnaissance, de navigation et de communication fournissent aux Etats-Unis l'infrastructure globale n�cessaire � leurs op�rations militaires. Selon le g�n�ral Michael Ryan, ancien chef d'�tat-major de l'U.S. Air Force, les Etats-Unis disposent de 100 satellites militaires et de 150 satellites commerciaux, soit plus de la moiti� de tous les satellites aujourd'hui actifs dans l'espace. Le chiffre exact de leurs d�penses spatiales militaires n'est pas disponible, mais un expert l'�value pour 1998 � un peu moins de 14 milliards de dollars - soit le budget de la NASA. Ce chiffre a s�rement progress� depuis et continuera de progresser compte tenu de l'importance accord�e � l'espace par Donald Rumsfeld. Des satellites commerciaux sont certes utilis�s � des fins militaires de reconnaissance et de communication ; mais la plupart sont contr�l�s par des entreprises am�ricaines ou alli�es, et leur exploitation peut �tre interrompue par les Etats-Unis. Il reste qu'en mati�re de projection de forces, les Etats-Unis d�pendent beaucoup de leurs satellites, et que ceux-ci repr�sentent du m�me coup une cible particuli�rement attrayante pour leurs adversaires. Tous les satellites ne sont cependant pas �galement vuln�rables. La plupart des tactiques et techniques qu'un adversaire plus faible utiliserait contre les Etats-Unis ne fonctionneraient sans doute qu'une fois : par exemple les mines spatiales ou un " micro-satellite " d'interception en orbite. En outre, les Etats-Unis poss�dent des capacit�s anti-satellites naissantes qu'ils pourraient utiliser en cas de conflit. M�me sans disposer de tout l'�ventail des techniques spatiales, leurs capacit�s de frappe de pr�cision sont cons�quentes et peuvent d�truire ou neutraliser les �l�ments terrestres des forces spatiales adverses. En cas de conflit, les capacit�s satellitaires des Etats-Unis seraient mises � mal, ce qui compliquerait pour un temps leurs op�rations militaires ; mais toute bataille spatiale aurait probablement pour effet de d�nier � l'adversaire les moyens d'acc�der de nouveau � l'espace.
+La ma�trise des lignes de communication maritimes permet aux Etats-Unis de projeter leur puissance militaire sur de vastes distances. Elle repose � la fois sur les capacit�s de l'U.S. Navy et sur un r�seau tr�s �labor� de bases navales.
+Les sous-marins nucl�aires d'attaque (SNA) sont peut-�tre l'atout essentiel en mati�re de guerre anti-sous-marine en haute mer, laquelle est elle-m�me la clef de la ma�trise durable des espaces maritimes. L'Union sovi�tique a longtemps rivalis� avec les Etats-Unis gr�ce � sa flotte de SNA, mais elle n'a pu l'emporter. A plus de 1 milliard de dollars pi�ce (et plus de 2 pour le dernier mod�le am�ricain), rares sont les pays qui peuvent s'offrir des SNA modernes : seules la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine en produisent - et cette derni�re tr�s difficilement. A la fin des ann�es 1990, de nombreux SNA en cours de fabrication sont demeur�s dans les chantiers russes : aucun SNA nouveau n'a �t� mis en service. L'U.S. Navy dispose de 55 SNA, quatre �tant en construction. Elle pr�voit d'en construire en gros deux tous les trois ans, et de convertir quatre sous-marins nucl�aires lanceurs d'engins (SNLE) Ohio en sous-marins dot�s de missiles de croisi�re non-nucl�aires en vue d'attaques terrestres. La Navy domine aussi la surface des oc�ans, avec 12 porte-avions (dont neuf � propulsion nucl�aire) emportant des avions tr�s performants. A part la France, qui en poss�de d�sormais un, aucun autre pays n'a de porte-avions nucl�aire. A 5 milliards de dollars le porte-avions de classe Nimitz, on comprend pourquoi. Par ailleurs, le Marine Corps dispose de 12 porte-a�ronefs, chacun au moins deux fois plus grand que les trois navires comparables de la Royal Navy (classe Invincible). Pour prot�ger leurs porte-avions et �quipements amphibies, les Etats-Unis se sont �quip�s, depuis 1991, de 38 destroyers multifonctions de classe Arleigh Burke, d'une valeur de plusieurs milliards de dollars, qui sont en mesure d'effectuer des frappes terrestres et des missions antia�riennes et anti-sous-marines en environnement dangereux. Il s'agit certainement l� du navire de surface le plus performant au monde.
+M�me si les Etats-Unis ont r�duit depuis 1990 leurs forces bas�es � l'�tranger et ont abandonn� certaines installations, par exemple aux Philippines, le syst�me de bases h�rit� de la guerre froide est rest� pour l'essentiel intact, et l'expansion de l'OTAN a m�me fourni des bases suppl�mentaires dans l'est et le sud de l'Europe. Depuis la guerre du Golfe, l'acc�s aux r�gions-clefs a �t� am�lior�, les Etats-Unis ayant d�velopp� un r�seau de bases a�riennes, d'installations portuaires et de centres de commandement dans tout le golfe Persique o� troupes et avions se relaient en permanence. Ils ont install� des stocks de munitions et des �quipements de soutien et de combat tout autour du monde, sur terre et sur mer, qui repr�sentent l'�quivalent de trois divisions et demie. Depuis 1991, les Etats-Unis ont �galement am�lior� de fa�on significative leurs capacit�s de transport a�rien et maritime sur longue distance.
+Une panoplie d'engins volants sp�cialis�s dans l'attaque, le brouillage et l'acquisition �lectronique du renseignement donne aux Etats-Unis une capacit� de " suppression " (destruction ou neutralisation) des d�fenses a�riennes ennemies (SEAD). Elle limite l'efficacit� des missiles sol-air ennemis et d'�ventuels chasseurs, et permet aux Etats-Unis d'user, sans trop de risques, du ciel de l'adversaire au-dessus de 15 000 pieds. A cette altitude, leurs avions sont hors de port�e des moyens de d�fense " rustiques ", comme les canons automatiques. Les Etats-Unis poss�dent d'importants stocks de munitions a�riennes de pr�cision : leurs pilotes peuvent donc, m�me � cette altitude, d�truire de fa�on fiable des cibles aussi r�duites que des chars ou des bunkers. Tout un �ventail d'engins tels que les satellites, les avions de reconnaissance et les drones leur fournit aussi des informations, importantes m�me si imparfaites, sur la localisation et l'identification des cibles majeures. Ces capacit�s sont apparues durant l'op�ration Rolling Thunder, au Vietnam (1965 - 1968) ; les r�sultats pr�sents sont donc le fruit de plus de trois d�cennies d'effort. Aucun autre Etat dans le monde, � l'exception possible d'Isra�l, ne dispose de moyens aussi sophistiqu�s en mati�re de SEAD ou de frappes de pr�cision.
+La ma�trise des espaces communs est au c?ur de la puissance des Etats-Unis, au point qu'elle est rarement explicitement reconnue... Sa pleine exploitation est rendue n�cessaire par les difficult�s qui attendent leurs forces au contact de l'adversaire. En dessous de 15 000 pieds, � quelques centaines de kilom�tres des c�tes ennemies et au sol, les Etats-Unis entrent en effet dans une zone o� leur domination est contest�e. Les militaires am�ricains esp�rent atteindre dans ces zones la m�me marge de sup�riorit� que celle dont ils disposent dans les " espaces communs ". Mais cela n'est pas le cas, et ne le sera sans doute jamais.
+Les adversaires rencontr�s par les Etats-Unis depuis 1990 se sont rarement montr�s coop�ratifs. Ils savent quels sont les points forts de ce pays et s'emploient � les neutraliser. Les militaires am�ricains utilisent le terme de " menace asym�trique " pour d�signer le recours par un adversaire aux armes de destruction massive, au terrorisme ou � n'importe quelle autre m�thode classique prenant en compte les atouts des Etats-Unis. En inventant un terme sp�cifique, on tombe cependant dans une sorte de pi�ge logique : les adversaires intelligents sont d�sign�s par un terme sp�cial, ce qui signifie implicitement que les autres sont cens�s �tre stupides. Or, il est peu probable qu'il en aille ainsi, et il est de toute fa�on dangereux de raisonner de la sorte en mati�re militaire. En r�alit�, plus les Etats-Unis s'approcheront du territoire tenu par l'ennemi, plus celui-ci se montrera efficace, sous l'effet de facteurs politiques, physiques et technologiques combin�s. Les cas de l'Irak, de la Serbie, de la Somalie, de l'Iran, les embuscades rencontr�es en Afghanistan au cours de l'op�ration Anaconda montrent qu'il est possible de lutter militairement avec les Etats-Unis. Seuls les Somaliens peuvent revendiquer quelque chose qui ressemble � une victoire ; mais les autres ont impos� aux Etats-Unis des co�ts inattendus, pr�serv� leurs forces, et souvent surv�cu � l'affrontement jusqu'� pouvoir h�las colporter entre eux leurs recettes. Ces pays ou entit�s �taient petits, pauvres, et souvent tr�s en retard militairement. Ces exemples appellent � la prudence.
+Les facteurs essentiels sont ici les suivants. En premier lieu, la guerre a en g�n�ral pour les acteurs locaux un int�r�t politique de premier ordre, souvent bien plus important que celui des Etats-Unis. Leur tol�rance � la souffrance est donc plus grande. En deuxi�me lieu, en d�pit de leur taille r�duite, ces acteurs supplantent d'ordinaire les Etats-Unis dans une ressource pr�cise : le nombre d'hommes en �ge de combattre. M�me s'il n'est plus l'�l�ment d�terminant de la guerre terrestre, il reste un facteur critique, notamment en ville, dans la jungle ou en montagne. Troisi�mement, les " locaux " disposent en g�n�ral d'un avantage : ils jouent � domicile. Si les Etats-Unis ont constitu� au fil des d�cennies la m�moire institutionnelle qui leur permet de maintenir leur ma�trise des espaces, les acteurs locaux ont fait un travail similaire sur leur propre pays. Ils connaissent intimement le terrain et la m�t�o, et ont mis au point, sur des d�cennies, voire des si�cles, des tactiques et des strat�gies adapt�es � leurs milieux. Quatri�mement, nombre des chefs militaires de ces Etats ou entit�s ont �t� form�s dans le monde d�velopp� - pendant la guerre froide, la formation militaire fut souvent utilis�e comme instrument d'influence politique. Ils ont appris les tactiques en vigueur en Occident, comme l'usage des armes occidentales, et les meilleurs d'entre eux peuvent tourner ces connaissances contre les Etats-Unis. Certains rapports montrent d'ailleurs que les adversaires des Etats-Unis ont �chang� leurs exp�riences. Cinqui�mement, l'arsenal n�cessaire au combat rapproch�, � terre, dans les airs � basse altitude ou dans les eaux territoriales est beaucoup moins co�teux que les armements n�cessaires � la guerre dans les " espaces communs ". En outre, la diffusion des capacit�s �conomiques et technologiques civiles trouve son parall�le dans le domaine militaire : de nouveaux fabricants apparaissent, cherchant des d�bouch�s � l'export, et l'arsenal pour le combat rapproch� conna�t un perfectionnement constant. Tous ces facteurs se renforcent et contribuent � cr�er une " zone contest�e ". Dans une telle zone, les interactions entre les Etats-Unis et les forces locales vont souvent prendre la forme d'un v�ritable affrontement. Tout ceci n'annonce pas forc�ment une d�faite am�ricaine, mais nombre de difficult�s.
+Depuis la fin de la guerre froide, l'U.S. Navy a voulu montrer qu'elle offrait des r�ponses adapt�es aux r�alit�s contemporaines. Au d�but des ann�es 1990, n'ayant plus d'adversaire en mer, elle a commenc� � se r�orienter afin d'influer sur le combat terrestre. Les premiers documents en ce sens s'intitulent, de fa�on r�v�latrice, From the Sea et Forward from the Sea. Le chef des op�rations navales a r�cemment mis l'accent sur les missions de la Navy � proximit� du littoral adverse, dans un document de doctrine : Sea Power 219. La Navy admet que le " combat littoral " est une mission diff�rente de celles pour lesquelles elle s'�tait sp�cialis�e, exigeant comp�tences et moyens particuliers ; mais elle n'a r�alis� que peu de progr�s depuis dix ans.
+Nombreux sont les pays experts en combat littoral. La Su�de, l'Allemagne et Isra�l, probablement la Cor�e du Sud, sont sans doute les meilleurs pour combiner les arsenaux et les technologies les plus modernes, ainsi qu'un entra�nement et des tactiques appropri�s. La Chine, Taiwan, la Cor�e du Nord et l'Iran ont d�velopp� des forces militaires consid�rables dans ce domaine, m�me si tous souffrent de quelques lacunes. Une force structur�e pour le combat littoral combine plusieurs �l�ments : mines, missiles anti-navires, sous-marins diesels, vedettes d'attaque rapides, radars et moyens �lectroniques, batteries mobiles de missiles sol-air (SAM) � longue port�e, avions et h�licopt�res. Ces syst�mes sont relativement peu co�teux. Ces derni�res ann�es, aucune grande puissance n'a eu � combattre une marine c�ti�re de bon niveau, mais les mines et les missiles anti-navires ont touch� ou coul� plusieurs navires britanniques et am�ricains depuis 1980, des �les Malouines au golfe Persique.
+Prises s�par�ment, ces armes sont un obstacle et un danger potentiel mortel. Ensemble, elles cr�ent des synergies difficiles � briser, surtout si la nature du " terrain " est favorable � la d�fense, par exemple dans des eaux closes comme celles du golfe Persique. L'U.S. Navy pourrait sans doute d�manteler une d�fense littorale performante, mais avec du temps et de lourdes pertes en hommes et en mat�riel.
+En dessous de 15 000 pieds, les avions de combat tactiques sophistiqu�s et co�teux restent vuln�rables � l'action de moyens pl�thoriques et peu co�teux comme l'artillerie anti-a�rienne automatique (AAA) l�g�re de tout calibre, les SAM, et surtout les syst�mes portables � guidage infrarouge comme les missiles am�ricains Stinger. En d�pit d'un taux de pertes tr�s bas, 71 % de celles subies par les forces a�riennes alli�es pendant la guerre du Golfe furent provoqu�es par l'AAA et des SAM infrarouges � courte port�e. Les forces a�riennes occidentales volent donc au-dessus de 15 000 pieds afin d'�viter ce type d'armement. Ce qui r�duit sensiblement les pertes mais compromet la localisation des forces ennemies au sol, surtout quand elles op�rent en terrain favorable et ont recours au camouflage et aux leurres. Des moyens de d�fense anti-a�rienne simples, peu co�teux, permettent donc de prot�ger les forces au sol, m�me s'ils n'abattent que peu d'avions adverses.
+Les moyens de d�fense anti-a�rienne sont encore plus efficaces s'ils sont structur�s dans un syst�me de d�fense anti-a�rienne int�gr� (SDAI), qui relie les syst�mes � courte port�e, intercepteurs de combat et autres SAM � moyenne et longue port�e � des radars, des moyens de renseignement �lectronique et un syst�me de communication. Dans ce cas, pour que les forces a�riennes occidentales puissent op�rer sans risque, les radars, les communications et les SAM de l'adversaire doivent �tre neutralis�s ou d�truits. Il faut pour cela disposer de toute une panoplie d'instruments, et l'espace a�rien adverse ne pourra �tre p�n�tr� sans risque que si ces moyens sont r�unis. Les militaires charg�s de la d�fense anti-a�rienne ont appris qu'il leur suffit de survivre pour accomplir une partie de leur mission, � savoir la protection des forces au sol. Aussi ne s'exposent-ils que lorsqu'ils le souhaitent, ce qui n'en contraint pas moins les Etats-Unis � rassembler � chaque fois l'ensemble de leurs moyens SEAD, pourtant rares et co�teux. Les op�rations de " suppression " sont d�tectables par le renseignement �lectronique et les moyens d'alerte avanc�e ennemis. La d�fense peut ainsi " rationner " les attaques et �tre alert�e � l'avance. Si les d�fenseurs sont suffisamment patients, ils se trouveront de temps � autre dans une situation tactique qui leur permettra d'abattre un avion.
+En 1999, l'arm�e serbe a montr� qu'une AAA de basse altitude et un SDAI bien structur� - quoique obsol�te - pour les altitudes moyenne et haute, constituaient un soutien puissant pour des forces au sol tentant de survivre aux attaques de l'U.S. Air Force. Ces forces terrestres pr�sentaient un large �ventail de cibles petites et mobiles ; les Serbes surent camoufler leurs tanks, v�hicules et canons. Ils us�rent d'une grande vari�t� de leurres pour tromper les pilotes am�ricains, et la plupart des SAM mobiles serbes �chapp�rent aux attaques. Les Etats-Unis durent donc entreprendre chaque jour des op�rations de " suppresion " (SEAD), alertant ainsi les Serbes � l'avance. Certes, le succ�s de ces derniers ne pouvait �tre que limit�. Qu'il s'agisse de r�seaux de transport ou d'infrastructures �conomiques, les objectifs fixes de grande taille comme les ponts et les centrales �lectriques ne pouvaient �tre d�plac�es ou camoufl�es, et ils furent donc d�truits. S'il fut sans doute d�courageant pour les forces serbes d'abattre aussi peu d'avions ennemis, l'OTAN infligea finalement assez peu de dommages aux forces terrestres serbes d�ploy�es au Kosovo.
+L'op�ration Temp�te du d�sert sugg�re qu'il est peu de forces terrestres au monde qui puissent rivaliser avec l'arm�e am�ricaine, en terrain ouvert et dans le cadre d'une bataille m�canis�e. Mais il est d'autres configurations de combat terrestre : en ville ou en montagne, dans la jungle ou dans les marais. Et les Etats-Unis doivent avoir conscience des difficult�s qui peuvent les y attendre. La premi�re est une simple question d'effectifs. Les trois pays d�sign�s comme appartenant � l'" axe du Mal " - la Cor�e du Nord, l'Irak et l'Iran - ont des arm�es de conscription. Elles repr�sentent en tout 16 millions d'hommes �g�s de 18 � 32 ans. Sans doute ces hommes sont-ils entra�n�s tr�s in�galement. Mais ce nombre donne tout de m�me une id�e du potentiel dont disposent ces pays : les hommes constituent une importante ressource militaire, ici et ailleurs. La population de la plan�te devrait passer d'environ 6 milliards en 2003 � 8 milliards en 2025, l'essentiel de cette augmentation touchant les pays en d�veloppement. Les futurs fantassins devraient n'avoir aucun mal � s'�quiper. Il y aurait dans le monde quelque 250 millions d'armes l�g�res � usage militaire ou policier, y compris les mortiers et les armes antichars portables.
+Les strat�ges am�ricains doivent aussi prendre conscience du probl�me de police qui risque de se poser si les Etats-Unis tentent de conqu�rir et de r�organiser politiquement des pays peupl�s. Occuper par exemple l'Irak, pays de 22 millions d'habitants, et y maintenir l'ordre exigerait la pr�sence sur place de 50 000 hommes, � condition qu'apr�s la victoire, comme le pr�voient de fa�on optimiste les responsables militaires, le ratio policiers/population des Etats-Unis convienne �galement en Irak (2,3 pour 1 000). Ces 50 000 hommes repr�sentent 10 % des effectifs actifs de l'arm�e des Etats-Unis, et sans doute un cinqui�me des troupes de combat. Or le personnel militaire est devenu presque trop cher � recruter aux Etats-Unis. Pour faire des �conomies, une r�cente �tude du Pentagone sugg�rait d'ailleurs de r�duire les effectifs de 90 000 hommes, soit une division active sur dix : mais cette recommandation n'a pas �t� retenue.
+Il est tentant de croire que les gros bataillons de l'infanterie l�g�re adverse seront ais�ment battus par des forces terrestres lourdes et " high-tech ". Les cas de la Somalie et de l'Afghanistan montrent que ce n'est pas si simple. Les forces d'�lite envoy�es � Mogadiscio en 1993 ont souffert de lourdes pertes, en partie du fait de leurs propres erreurs. Les combattants somaliens se sont battus avec courage et habilet�, aid�s par l'environnement urbain. Il existe d'ailleurs des " fantassins urbains " encore mieux arm�s et pr�par�s, comme les Russes l'ont d�couvert � Grozny. Et les informations trouv�es dans les camps d'entra�nement d'Al-Qaida en Afghanistan montrent qu'une infanterie peut �tre form�e de fa�on efficace avec des m�thodes relativement simples et " low-tech ".
+L'op�ration Anaconda, en terrain montagneux, t�moigne du succ�s de cet entra�nement. L'adversaire, camoufl�, s'y est montr� extr�mement habile : une colonne d'alli�s afghans a �t� prise en embuscade de tr�s pr�s. Et tous les moyens de reconnaissance et de renseignement am�ricains n'ont probablement pu localiser que la moiti� des positions pr�par�es par l'ennemi dans la vall�e de Shah y Kot. Tous les h�licopt�res d'attaque envoy�s en appui ont �t� cribl�s de balles, et l'infanterie a souvent d� se d�ployer sous des tirs pr�cis de mortier, ce qui explique la plus grande part des deux douzaines de bless�s inflig�es aux Etats-Unis le premier jour. Au bout de plusieurs jours de combat, de nombreux �l�ments d'Al-Qaida ont pu s'�chapper � la faveur du mauvais temps. Durant cette op�ration, Al-Qaida s'est battue avec des armes simples et tr�s r�pandues de type sovi�tique : fusils d'assaut, lance-grenades, mortiers et mitrailleuses. Mais de nouvelles g�n�rations d'armes d'infanterie, peu co�teuses, seront bient�t accessibles aux adversaires potentiels des Etats-Unis. En bref, un grand nombre d'hommes en �ge de combattre, un terrain favorable, un bon entra�nement, et de grandes quantit�s d'armes peu co�teuses peuvent constituer un d�fi significatif pour les forces militaires am�ricaines.
+Les Etats-Unis ont jusqu'ici eu la chance de ne combattre que des ennemis disposant seulement d'une des trois capacit�s de base - a�rienne, terrestre ou maritime. Et quand l'adversaire se sp�cialisait dans l'une d'elles, il n'�tait pas toujours du meilleur niveau. Les Serbes �taient tr�s efficaces, mais leurs meilleures armes avaient une g�n�ration de retard, voire plus. En outre, bien qu'ils se soient battus rudement, la guerre n'avait pour eux qu'un objectif limit�. Les Somaliens se sont battus avec t�nacit� et ont tout simplement chass� les Etats-Unis. Mais ils n'�taient ni aussi bien arm�s, ni aussi bien entra�n�s que les combattants d'Al-Qaida dans la vall�e de Shah Y Kot. Ces derniers n'�tant pas aussi bien arm�s que le seront certains des adversaires futurs que les Etats-Unis pourraient affronter - ils n'�taient d'ailleurs que quelques centaines sur le champ de bataille. Enfin, les actions men�es le long des littoraux par l'U.S. Navy pendant la guerre du Golfe ont b�n�fici� de conditions tout � fait fortuites, l'Irak ne s'�tant pas pr�par� s�rieusement au combat naval.
+On ne peut pr�dire avec certitude si les Etats-Unis auront un jour � affronter un adversaire dot� de l'�ventail complet des capacit�s cr�ant la " zone contest�e ". Et s'il venait � se pr�senter, ils pourraient refuser le d�fi. A horizon de dix ans, pourtant, il est plausible que l'Iran et la Chine auront acquis la ma�trise de certaines capacit�s a�riennes, terrestres et maritimes. La Cor�e du Nord est sans doute assez performante dans le domaine du combat rapproch� au sol, mais plus m�diocre en mati�re de d�fense antia�rienne et de combat littoral. Les capacit�s actuelles de l'Irak sont difficiles � �valuer pr�cis�ment. La Russie sera probablement la principale source des meilleurs syst�mes de d�fense anti-a�rienne vendus dans le monde, mais la Chine ne tardera pas � entrer sur le march�. La Russie vend �galement des syst�mes d'armes tr�s performants pour la d�fense c�ti�re. Il est d'ailleurs probable qu'elle conservera sa comp�tence en mati�re de d�fense anti-a�rienne et qu'elle r�investira le domaine du combat littoral. Mais elle rencontrera plus de difficult�s en mati�re de forces terrestres, et en particulier d'infanterie.
+Nul ne doute que les Etats-Unis soient aujourd'hui la plus grande puissance militaire du monde, et la plus grande puissance globale depuis l'av�nement de la voile. Leur supr�matie militaire est � la fois une cons�quence et une cause de l'in�gale distribution de la puissance aujourd'hui. Si les Etats-Unis n'�taient pas dominants �conomiquement et technologiquement, ils ne seraient pas la premi�re puissance militaire. Cette domination militaire est aussi la cons�quence de certains choix, comme celui d'avoir de vastes budgets d'armement, ou de certains types de d�penses. Les Etats-Unis jouissent d'une sup�riorit� dans les capacit�s militaires qui leur permet une projection globale de puissance. La ma�trise des espaces communs - air, mer, espace -, leur offre toute une gamme d'options strat�giques dont les autres pays sont priv�s, bien qu'ils profitent, eux aussi, de ce " bien collectif ". Aussi longtemps que les Etats-Unis feront bon usage de cette ma�trise, nombre d'Etats jugeront que leur pr��minence sert leurs int�r�ts. Il sera donc difficile, pour d'autres, de la remettre en cause avant longtemps.
+Pour autant, il est essentiel que les Etats-Unis ne concluent pas que les capacit�s qui leur assurent la ma�trise des espaces, ainsi que la possibilit� d'acc�der � tous les champs d'op�rations, leur promettent un m�me niveau de sup�riorit� dans toutes les circonstances. Pour des raisons d�mographiques, politiques et technologiques, le " combat rapproch� " restera tr�s probablement difficile. Les responsables civils et militaires du Pentagone partent souvent du principe selon lequel la sup�riorit� technologique des Etats-Unis dans les zones " ma�tris�es " peut �tre reproduite dans les zones contest�es, pour peu qu'on investisse suffisamment dans la technologie. C'est sans doute une chim�re. Les Etats-Unis devraient r�fl�chir � une strat�gie raisonnable, qui leur permette d'exploiter concr�tement la sup�riorit� que leur conf�re la ma�trise des espaces pour cr�er les conditions les plus favorables aux affrontements dans les zones contest�es.
+Une strat�gie militaire exploitant pleinement cette ma�trise des espaces n'est pas compliqu�e dans son principe. La ma�trise des mers permet aux Etats-Unis de rassembler leurs propres forces, et celles de leurs alli�s, pour disposer localement d'une sup�riorit� mat�rielle massive et couper l'adversaire de ses soutiens politiques et militaires. La ma�trise de l'espace exo-atmosph�rique permet d'�tudier attentivement l'ennemi et d'adapter en cons�quence les forces � employer contre lui. La ma�trise de l'air permet d'�puiser prudemment les forces restantes de l'adversaire. Au bon moment, les Etats-Unis et leurs alli�s peuvent frontalement d�fier un adversaire tr�s affaibli dans la zone contest�e. Ces �l�ments, on�reux et durables, de la sup�riorit� des Etats-Unis leur donnent de telles capacit�s - m�me si leur mobilisation peut s'av�rer lente - que bien peu d'Etats seront tent�s de s'y mesurer. Si tel �tait pourtant le cas, il suffirait aux Etats-Unis de mettre en oeuvre une strat�gie exploitant patiemment leur ma�trise des espaces communs : peu d'adversaires pourraient la supporter, ou y r�sister.
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ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
A la veille de l'�lection pr�sidentielle, un groupe de r�flexion a r�uni chercheurs et diplomates ayant �t� impliqu�s depuis de nombreuses ann�es, dans les relations entre la France et les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et appartenant � des sensibilit�s politiques diff�rentes. Leur point commun est leur conviction que la France se doit d'entretenir des relations politiques, �conomiques et culturelles fortes avec les pays d'une zone particuli�rement sensible o� elle a des int�r�ts vitaux. Il leur est apparu opportun de faire conna�tre leur analyse sur la situation actuelle de cette r�gion et de proposer quelques pistes de r�flexion qui pourraient �tre utiles � nos d�cideurs. Tel est l'objet du rapport joint � cette note de pr�sentation.
+Le Moyen-Orient et, de fa�on plus g�n�rale, la zone qui s'�tend du Maroc � l'Afghanistan a toujours �t� une r�gion sensible o� se sont affront�s l'Orient et l'Occident, mais �galement les grandes puissances. De 1945 � 1989, elle fut le champ clos de la guerre froide sur fond de conflits isra�lo-arabes, ce � quoi s'est ajout�e la vision missionnaire de la r�volution iranienne. Aujourd'hui, apr�s le 11 septembre et les affrontements militaires qui se sont d�roul�s en Afghanistan, en Irak puis, tout r�cemment, au Liban, cette zone se trouve au coeur de turbulences d'une ampleur inconnue jusqu'alors qui repr�sentent non seulement pour les pouvoirs en place mais �galement pour notre s�curit�, au sens large, un d�fi majeur.
+L'Irak est un pays en plein naufrage politique, �conomique et social ; le Liban est paralys� par le jeu d'influences contradictoires et le spectre de la guerre civile r�appara�t ; la s�curit� d'Isra�l a �t� gravement affect�e par son intervention contre le Hezbollah ; la question palestinienne est dans l'impasse ; l'Iran �merge, � travers les communaut�s chiites et l'affirmation de sa souverainet� nucl�aire, comme une menace qui affecte la r�gion et au- del� ; des acteurs non �tatiques qui recourent parfois � la violence se sont multipli�s ; des Etats se sont �croul�s ou se d�litent dans une sorte de processus de � somalisation � ; la menace terroriste s'est globalement amplifi�e.
+Face � cette situation, les Etats-Unis, pi�g�s en Irak, sont sur la d�fensive ; l'Europe est politiquement marginalis�e m�me si son appui � la souverainet� du Liban peut �tre jug� positivement ; la Russie est de retour dans une zone traditionnelle d'influence ; l'Iran s'affirme comme une puissance r�gionale et un acteur incontournable.
+Il en r�sulte que les perspectives d'avenir, si les tendances actuelles devaient se confirmer, sont pr�occupantes. Apr�s l'�chec de la Pax Americana, on peut craindre des �volutions plus radicales : un ordre islamiste, tout au moins dans certains pays, un chaos g�n�ralis�. Au mieux se v�rifierait une �volution moins extr�me comme un processus de d�gradation progressif et modul� selon les pays.
+De telles �volutions ne sont pas une fatalit�. Pour arr�ter l'engrenage de violences dans lequel tombe cette r�gion ou la menace d'une telle �volution, il convient que, du c�t� des pays occidentaux, se d�veloppe une politique plus d�termin�e et soutenue. La France peut et se doit d'y apporter sa contribution.
+Contribuer plus efficacement � la solution des principales crises r�gionales, ce qui comporterait les actions suivantes :
+En conclusion, les turbulences qui affectent le Moyen-Orient ont atteint un niveau de haute intensit� qui repr�sente, pour les pays occidentaux et, plus sp�cialement, pour l'Europe, de grands risques, notamment dans le domaine de la s�curit� au sens large du terme : accroissement du terrorisme, perturbations dans notre approvisionnement en hydrocarbures, attaques contre nos forces au Liban, dislocation des Etats. En Afrique du Nord, la situation para�t plus contr�l�e, mais les menaces sont �galement pr�sentes et tendent � se renforcer comme l'ont confirm� les attentats d'avril 2007 en Alg�rie et au Maroc.
+Traditionnellement tr�s pr�sente dans cette r�gion qui lui est si proche, la France, face � une �volution si pr�occupante, se doit d'�tre active et non pas seulement r�active comme elle a tendu � l'�tre au cours de la p�riode r�cente. Pour �tre une ann�e � risques, 2007 peut �galement constituer une ann�e d'opportunit�s qu'il nous appartient de saisir.
+Les Etats-Unis, enlis�s en Irak, sont conduits � adopter un comportement plus pragmatique dans leur approche de la r�gion et, en particulier sur la question palestinienne, � prendre davantage en compte les vues de leurs partenaires occidentaux. L'Union Europ�enne, sous pr�sidence allemande, se veut d'ailleurs plus pr�sente tandis que le monde arabe, sous l'impulsion de l'Arabie Saoudite qui a r�ussi, notamment, � int�grer dans un m�me gouvernement palestinien le Fatah et le Hamas, �volue vers des positions sur lesquelles nous pourrions nous rejoindre � la faveur d'un dialogue intensifi�. En Iran, les �l�ments les plus durs, dont le chef de file est le Pr�sident Ahmadinejad, se heurtent � une contestation interne mesurant les risques d'un isolement international. Aussi l'initiative peut-elle et doit-elle �tre reprise, en partenariat, notamment, avec ceux qui, en Europe, partagent nos pr�occupations, dans une d�marche prenant bien entendu en compte le fait que les Etats-Unis demeurent pour la r�gion un acteur incontournable.
+Cinq ans et demi apr�s les attentats du 11 septembre 2001, le bilan de � la guerre contre le terrorisme � para�t bien sombre au Moyen-Orient. Les combats font rage en Afghanistan, le nombre de tu�s ne cesse d'augmenter, l'influence des talibans s'�tend. En Irak, la situation est encore plus pr�occupante : le pays s'enfonce dans la guerre civile. Le Liban a �t� ravag� par le conflit de l'�t� 2006 et les clivages internes ont d�bouch� sur une guerre civile silencieuse. Enfin, en Palestine, aucune avanc�e vers un r�glement politique n'a �t� effectu�e, tout au contraire. Si l'on ajoute, aux deux � extr�mes �, le Pakistan et la Somalie, ainsi que la vaste zone du Sahara, on voit se dessiner un arc de crises ouvertes, une extension du domaine des guerres, une simultan�it� de celles-ci, sans pr�c�dents dans l'histoire de la r�gion.
+De multiples liens s'�tablissent d�sormais entre chacun de ces conflits ; les hommes et les id�es circulent d'un bout � l'autre de l'arc. Ainsi, le d�veloppement des attentats-suicides en Afghanistan (inconnus pendant les dix ans de lutte contre l'occupation sovi�tique) est la cons�quence directe de l'exp�rience irakienne ; l'affrontement entre milices chiites et sunnites en Irak a contribu� � creuser le foss� entre les deux communaut�s dans toute la r�gion, particuli�rement au Liban. L'autonomie du Kurdistan irakien facilite la reprise des activit�s du PKK en Turquie. Les ing�rences iraniennes au Liban s'accentuent avec les pressions exerc�es par les Etats-Unis sur le dossier nucl�aire. Enfin, la question palestinienne reste, pour les opinions et les dirigeants, l'enjeu symbolique essentiel et sa r�solution demeure la condition n�cessaire � toute stabilisation de la r�gion.
+Dans ces crises, on assiste � la multiplication des acteurs non �tatiques : le r�le des groupes arm�s en Afghanistan, en Irak, au Liban et en Palestine rend toute solution politique plus complexe que s'il s'agissait de n�gocier avec des Etats, d'autant que ces groupes sont soumis � la surench�re terroriste d'Al Qa�da. De plus, et la situation � Gaza comme au Liban le prouve, la possession par ces groupes de mat�riels parfois sophistiqu�s modifie les rapports de forces militaires : ainsi, pour la premi�re fois depuis la guerre de 1948 - 1949, une fraction importante de la population isra�lienne a d� abandonner ses foyers ou vivre dans des abris. L'hypoth�se d'une � somalisation � d'une partie de la r�gion ne peut �tre �cart�e dans un contexte de repli sur des bases communautaires, confessionnelles ou tribales.
+L'affirmation de la puissance iranienne a �t� amplifi�e par les r�sultats de l'intervention am�ricaine en Irak. En �liminant deux de ses rivaux, le r�gime de Saddam Hussein et celui des talibans, les Etats-Unis ont favoris� un � d�s�quilibre � r�gional. L'Iran inqui�te d'autant plus ses voisins sunnites qu'ils agitent la menace d'un � croissant chiite � allant du Liban � l'Iran en passant par l'Irak et la Syrie, sans oublier les communaut�s chiites du Golfe. La rh�torique anti-am�ricaine et anti-isra�lienne du pr�sident Ahmadinejad rencontre un immense �cho dans toute la r�gion, populations sunnites incluses.
+La situation r�gionale est aussi marqu�e par l'affaiblissement de la cr�dibilit� et la d�gradation de l'image des Etats-Unis, y compris aupr�s de leurs plus proches alli�s. Alors que le Pr�sident Bush a encore vingt mois devant lui, montent les interrogations de l'Arabie Saoudite, de l'Egypte et de la Jordanie � l'�gard de l'administration am�ricaine qu'ils n'h�sitent plus � critiquer ouvertement. On le constate avec l'affirmation d'une diplomatie saoudienne qui a parrain� les accords de La Mecque et tente de r�concilier majorit� et opposition libanaise, sur des bases qui ne sont pas totalement conformes � la politique de Washington. Cet engagement de Riyad ne peut cependant masquer ni la faiblesse des pays arabes traditionnels (notamment l'Egypte), ni l'absence de l'Union europ�enne qui appara�t, sur la plupart des dossiers, soit paralys�e, soit � la remorque des Etats-Unis. L'effacement relatif des Etats-Unis offre cependant une occasion � d'autres puissances (la Russie, la Chine, la France, l'Union europ�enne) de pouvoir jouer un r�le sur tel ou tel dossier.
+Cette situation de crises est d'autant plus pr�occupante qu'elle survient dans une r�gion bloqu�e politiquement, socialement et �conomiquement. Le Moyen-Orient est la seule partie du monde qui n'a connu aucune alternance politique r�elle depuis la chute du mur de Berlin : les m�mes dirigeants (ou leurs fils) sont au pouvoir, appuy�s sur des structures client�listes et r�pressives d'une ind�niable efficacit�. D'autre part, les retards dans tous les domaines du d�veloppement s'accumulent, comme le rappellent les diff�rents rapports du Programme des Nations unies pour le D�veloppement, suscitant le d�sespoir des populations, notamment des jeunes et des personnes qualifi�es, qui cherchent dans l'�migration � tout prix la solution de leurs probl�mes. La principale force d'opposition organis�e et disposant d'un soutien populaire est repr�sent�e par les mouvements islamistes, notamment les Fr�res musulmans, qui sont cantonn�s aux marges du pouvoir. La rh�torique � nous ou la dictature islamique � mani�e habilement par les r�gimes en place trouve une oreille complaisante aux Etats-Unis comme en Europe, d'autant que les oppositions nationalistes, lib�rales et progressistes se sont tr�s sensiblement affaiblies. Cette absence totale de perspectives collectives et individuelles alimente aussi les discours d'Al Qa�da et permet � cette organisation terroriste, en fonction de situations locales, de relancer p�riodiquement des attentats d�stabilisants, du Maroc � l'Arabie Saoudite.
+La position singuli�re de la France en M�diterran�e et dans le monde arabe est un legs de l'Histoire. Elle proc�de tout � la fois de notre pr�sence s�culaire au Levant et de la colonisation fran�aise en Afrique du Nord. Sur la base de cet h�ritage s'est d�velopp�e une politique marqu�e d'une grande continuit� et b�n�ficiant d'un r�el consensus. Notre pays n'en est pas moins confront� dans cette r�gion aujourd'hui � des d�fis politiques, �conomiques et culturels majeurs.
+Notre r�seau diplomatique reste le plus implant� � c�t� de celui des Etats-Unis. Notre pr�sence culturelle et commerciale est certes concurrenc�e, mais demeure primordiale. Des centaines de milliers de Fran�ais vivent et travaillent dans la zone. La France y conduit avec presque tous les pays des op�rations de coop�ration ambitieuses (coop�ration multiforme au Maghreb, politique libanaise, relation �troite avec l'Egypte, coop�ration militaire avec les pays du Golfe, int�r�ts �nerg�tiques, etc.).
+La diplomatie fran�aise, � l'exception de celle des Etats-Unis, est incontestablement la plus active et la plus constante dans les prises de positions r�gionales. Elle a � son cr�dit, de la d�claration de Venise � l'accueil d'Arafat � Paris, de notre action au Liban � notre position sur l'Irak, un ensemble d'initiatives salu�es par la communaut� internationale. Cette politique arabe et proche-orientale participe � notre image internationale et lui vaut tout � la fois cr�dibilit�, authenticit� et soutien, mais aussi contestation dans le camp occidental.
+L'Institut du Monde Arabe � Paris, institution intergouvernementale cog�r�e avec nos 22 partenaires arabes, est une magnifique vitrine de cette politique avec tout ce qu'elle comporte comme atouts en termes de r�alisation mais aussi de difficult�s en terme de gestion.
+Au Maghreb, les gouvernements attendent de nous concours et, pour chacun d'entre eux, soutien exclusif. Les populations sont plus attentives � la coop�ration, � la libert� de circulation et � la situation des immigr�s chez nous.
+Au Proche-Orient, nos prises de parole sont scrut�es et analys�es dans le d�tail. Nous y sommes attendus, sollicit�s et esp�r�s tant l'image d'une France compagnon de route des grandes causes arabes demeure encore enracin�e.
+L'approche est diff�rente dans le Golfe o� nous sommes vus comme un partenaire privil�gi� pour se soustraire � un t�te-�-t�te trop exclusif avec les Etats-Unis.
+Les perspectives pour la France dans tous les domaines y sont remarquables. En t�moignent tout r�cemment les op�rations du Louvre et de la Sorbonne � Abou Dhabi.
+En d�pit des relations nou�es par le Pr�sident Chirac, de l'investissement personnel et politique consenti pendant les quinze derni�res ann�es, la relation semble d�senchant�e et incertaine.
+Sans doute payons-nous le prix d'une personnalisation excessive et g�n�ralis�e de la relation politique. Nous avons fait un usage extensif des termes de coop�ration privil�gi�e, d'alliances exceptionnelles et de liens personnels au risque de diluer nos priorit�s, de banaliser notre relation et de donner le sentiment d'une politique plus th��trale que concr�te.
+Mais ce constat, pour �tre �quilibr�, doit aussi conduire � reconna�tre que la qualit� et la chaleur des relations entretenues depuis quinze ans demeureront dans les esprits comme une r�f�rence positive, m�me s'ils s'accompagnent d'une certaine perte de sens de la coop�ration franco-arabe. Nous n'avons plus, comme au temps du G�n�ral de Gaulle, une vision pr�cise de ce qui fait l'originalit�, la constance et la force de notre rapport avec le Maghreb ou avec l'Egypte. Il faudra, � l'�vidence, reconstruire un syst�me de priorit�s, red�finir une perspective, se fixer des objectifs intelligibles et r�alisables pour nos opinions afin de combattre �galement une certaine lassitude de notre propre c�t�.
+En for�ant le trait, nous jouons un r�le majeur dans les probl�mes mineurs et un r�le mineur dans les probl�mes majeurs. L'exemple palestinien est le plus probant m�me si le cas libanais semble le contredire.
+A l'�chelle de la zone, on peut se demander si nous n'avons pas laiss� s'effriter la priorit� qui nous lie naturellement au Maghreb. Sans doute la coop�ration y reste-t-elle importante en chiffres ; mais l'investissement politique, la place d�volue � la relation �conomique, la valeur de l'aide fran�aise ne semblent pas � la mesure de ce que repr�sente et repr�sentera le Maghreb pour notre s�curit�, notre prosp�rit� et aussi pour l'harmonie de notre construction nationale au XXIe si�cle.
+Plus g�n�ralement, nous semblons avoir perdu de vue la coh�rence de la construction euro- m�diterran�enne. Nous avons laiss� ce partenariat s'enliser sans marquer autant que nous aurions pu le faire l'importance majeure qu'il rev�t � moyen terme pour la France et pour l'Europe. De m�me, nous avons sembl� nous r�signer � ne figurer qu'� la marge dans les probl�mes globaux de la r�gion.
+Ainsi, nous avons eu un r�le d�clamatoire tout � fait estimable sur les grands conflits palestinien et irakien, mais nous n'avons gu�re pes� sur le cours des �v�nements, m�me si notre position sur le dossier irakien, � c�t� de celle d'autres pays europ�ens et du Vatican, a affaibli tous ceux qui parlaient de la guerre en Irak comme d'un conflit de civilisation. De la m�me fa�on, la question iranienne et la d�fense du Trait� de Non Prolif�ration nous ont permis un ensemble d'initiatives remarqu�es au niveau europ�en. Mais nous n'avons pas abord�, comme cela sans doute aurait pu se faire, le probl�me plus large mais essentiel d'un syst�me de s�curit� collective r�gionale ; et nous n'avons m�me pas tent� de relancer l'initiative d'une charte de s�curit� en M�diterran�e dont nous �tions pourtant les initiateurs.
+Enfin, sur le plan de la culture, de la communication, du rapprochement des soci�t�s, nous avons pratiquement abandonn� au niveau national comme au niveau europ�en l'entreprise urgente de constitution d'une politique d'�change et de dialogue avec les soci�t�s de la rive Sud de la M�diterran�e.
+Plus g�n�ralement, notre diplomatie demeure marqu�e par le pass� et ne semble pas assumer les d�fis de la relation euro-arabe dans le si�cle qui s'ouvre. Nos partenaires ne sont pas seulement les h�ritiers de la relation historique de la France du XIXe avec le monde arabe de Mohamed Ali. Nous devons penser qu'ils sont et qu'ils seront de plus en plus des membres des jeunes �lites am�ricanis�es du Golfe et du Maghreb ou des �lites islamis�es de la r�gion.
+Tout exercice d'anticipation sur une zone aussi sensible que le Moyen-Orient est � l'�vidence tr�s risqu�. Il ne peut �tre abord� qu'avec prudence et humilit�. Sur la base de la situation particuli�rement pr�occupante qui pr�vaut au Moyen-Orient et des tendances actuelles, plusieurs sc�narios peuvent �tre th�oriquement envisag�s.
+Dans ce sc�nario, l'administration Bush atteint ses objectifs. La d�mocratie s'�tend au Moyen-Orient : des gouvernements responsables devant des parlements bien �lus s'installent progressivement et remplacent peu � peu les r�gimes dictatoriaux ou les monarchies absolues. Les politiques de r�forme progressent et contribuent � asseoir la prosp�rit� �conomique et la stabilit� politique. Les islamistes jouent le jeu d�mocratique, s'assagissent, font �lire quelques d�put�s dont l'influence reste limit�e. Le conflit isra�lo-palestinien conna�t une avanc�e d�cisive vers un r�glement. Le terrorisme dispara�t aussi bien dans la r�gion que dans les pays occidentaux. L'Iran renonce � sa � souverainet� nucl�aire � et conclut un accord de coop�ration dans le domaine civil avec les Etats-Unis et l'Europe. Ce sc�nario est �voqu� pour m�moire tant la r�alit� est loin des objectifs affich�s lors du lancement de l'initiative am�ricaine sur le � Grand Moyen-Orient �.
+Les partis islamistes s'appuient sur la d�saffection des opinions envers leurs dirigeants accus�s de complaisance envers les Etats-Unis, voire l'Europe. Mobilisant des r�seaux d'influence qu'ils contr�lent et forts d'une organisation structur�e, ils prennent le pouvoir ou participent � des gouvernements o� ils tiennent les postes sensibles dans plusieurs pays : ils imposent un ordre moral et social. Le conflit isra�lo-palestinien est formul� en termes religieux comme un affrontement jud�o-musulman, voire en choc des civilisations. Isra�l voit sa s�curit� menac�e par des attentats fr�quents et une opposition de plus en plus affirm�e des Arabes isra�liens gagn�s � l'islamisme politique. Sa population diminue en raison d'un flux croissant d'�migrants caus� par la peur d'une ins�curit� g�n�ralis�e. Le r�gime des ayatollahs se renforce au profit des �l�ments les plus conservateurs. L'Iran acquiert des capacit�s nucl�aires lui permettant de se doter de l'arme atomique, ce qui entra�ne d'autres puissances r�gionales � faire de m�me. Des r�publiques islamiques s'installent, notamment en Irak et en Egypte. En Arabie saoudite, les �l�ments les plus r�trogrades de la famille royale contr�lent le pouvoir.
+Dans ce sc�nario, la situation continue de se d�grader dans tous les pays. Les Etats-Unis s'engagent dans une s�rie d'aventures militaires qui tournent mal, notamment en Iran et peut- �tre en Syrie. Leurs troupes s'enlisent dans la guerre, se bunkerisent dans quelques places fortes d'o� elles ne sortent que par intermittence pour s'en prendre aux repaires d'o� attaquent terroristes et insurg�s. Al Qa�da et ses �mules amplifient leurs actions, y compris dans les pays occidentaux, et d�stabilisent des r�gimes dans la r�gion m�me. Un certain nombre de pays se fracturent : un Kurdistan ind�pendant est cr�� englobant la r�gion de Kirkouk ; le reste de l'Irak est aux mains de diff�rentes milices qui se partagent le contr�le du territoire, ce qui subsiste de gouvernement renon�ant � intervenir. L'Arabie Saoudite �clate en quatre pays pratiquement ind�pendants, le Hedjaz, le Najd, le Najran et le Hasa, ce dernier devenant un protectorat p�trolier am�ricain. La guerre civile reprend au Liban. Les minorit�s chr�tiennes quittent le Moyen-Orient. En Iran, les ayatollahs font face � de graves incidents : la r�action contre le pouvoir islamique tourne � la guerre civile. Compte-tenu de l'ins�curit� qui rend al�atoire l'exploitation des champs p�troliers et qui d�courage les nouveaux investissements, le prix du p�trole d�passe largement 100 $/ le baril. Les acteurs violents non �tatiques �tendent leur influence, entra�nant le Moyen-Orient dans un processus de � somalisation �. Les Territoires palestiniens �clatent en entit�s contr�l�es par le Hamas et les diff�rentes factions du Fatah. Isra�l, malgr� la barri�re de s�paration, est touch� par des attentats de plus en plus fr�quents dont certains sont le fait d'Arabes isra�liens. En repr�sailles des expulsions sont d�cid�es. Des groupes arm�s �tendent leur influence au Liban, en Jordanie, au Soudan, au Maghreb et dans certaines zones de la p�ninsule arabique.
+Isra�l, face aux menaces croissantes provenant de son environnement, d�cide de reprendre l'initiative en frappant les installations nucl�aires iraniennes, d'en finir avec l'Autorit� palestinienne et de pourchasser le Hezbollah au Liban.
+Le statu quo, au sens strict du mot, est peu concevable tant les �quilibres existant sont pr�caires ; mais les �volutions sont moins brutales. Les Territoires palestiniens sont progressivement � grignot�s � par Isra�l. Dans certains pays arabes, les pouvoirs en place, se sentant menac�s, arr�tent les processus de r�forme et l'ouverture politique : les oppositions sont durement r�prim�es ce qui entra�ne des troubles sporadiques. Dans d'autres pays, les � fr�missements d�mocratiques � se poursuivent dans un climat apais�. Gr�ce � l'entremise de l'Arabie Saoudite, un calme pr�caire est r�tabli au Liban et dans les Territoires palestiniens sans que les probl�mes de fond soient r�solus. En Irak, la situation reste difficile mais les violences baissent en intensit� sans pour autant que le gouvernement contr�le la situation. Le terrorisme qui se r�clame d'Al Qa�da poursuit ses actions sur les diff�rents fronts. Ainsi, comme c'est le cas actuellement, des zones de stabilit� (Isra�l, Syrie, Tunisie, Arabie saoudite, Jordanie, Maroc) c�toient des zones de turbulence plus ou moins contr�l�es (Territoires palestiniens, Irak, Afghanistan, Liban). Les zones de turbulences restent circonscrites. Mais la tendance g�n�rale est une lente d�gradation avec des p�riodes de crise suivies de r�missions temporaires.
+Dans les faits, il est probable qu' aucun de ces sc�narios ne se r�alisera, m�me s'ils ont leur propre coh�rence. L'hypoth�se la plus probable sera sans doute composite, empruntant des �l�ments � chacun d'entre eux, avec des situations tr�s variables d'un pays � l'autre. Mais il est certain que le Moyen-Orient restera encore pendant de nombreuses ann�es une zone d'instabilit� : l'influence des mouvements islamistes persistera, les ressentiments anti- occidentaux resteront forts, le risque terroriste � l'int�rieur et � l'ext�rieur de la zone perdurera, l'�volution du march� des hydrocarbures restera sensible � la conjoncture politique, le sentiment d'une menace insidieuse persistera dans les pays occidentaux. Le pronostic g�n�ral reste inqui�tant si rien ne vient infl�chir les tendances actuelles.
+Malgr� un contexte particuli�rement difficile, il n'y a pas en Afrique du Nord comme au Moyen-Orient de fatalit�. Que faire pour que les �volutions se fassent dans le bon sens? Quelle contribution la France peut-elle apporter � une action internationale visant � faire du Moyen-Orient une r�gion o� r�formes politiques, paix et d�veloppement �conomique puissent devenir des r�alit�s ?
+Des le�ons du pass� et de la situation pr�sente on peut tirer quelques principes d'action :
+L'ampleur et la diversit� de nos instruments administratifs et financiers au Maghreb est telle qu'un pilotage interminist�riel sp�cifique est n�cessaire pour en assurer la mobilisation optimale. Il pourrait, � cet �gard, �tre opportun de mettre � l'�tude la cr�ation d'un � Secr�tariat G�n�ral de Comit� Interminist�riel � (SGCI) pour le Maghreb destin� � se transformer � terme en � SGCI M�diterran�e � qui pourrait �tre pilot� par le minist�re des Affaires �trang�res.
+Cette gestion interminist�rielle s'impose d'autant plus que la France se doit d'�tre � plus maghr�bine � que chacun de ses trois partenaires majeurs au Maghreb en prenant elle-m�me l'initiative de projets n�cessaires d'int�gration r�gionale (infrastructures, communication, formation,...) que ces Etats sont trop divis�s pour promouvoir � ce stade. Cette capacit� de proposition et d'initiative de notre pays s'appuiera sur l'allocation � une enveloppe r�gionale d'une partie des cr�dits jusqu'alors d�bours�s � titre bilat�ral. Cette approche r�gionale doit permettre de renouveler l'engagement de la Commission europ�enne, le co�t du � non- Maghreb � �tant �valu� � au moins un point de croissance annuelle.
+Parall�lement � cet affichage de la dimension maghr�bine de notre action ext�rieure, il convient d'introduire plus de souplesse dans le dispositif de traitement des crises r�gionales. La division actuelle des Affaires �trang�res en directions g�ographiques place l'Iran et le Golfe en � Afrique du Nord/Moyen Orient � (ANMO), l'Afghanistan et le Pakistan en � Asie � et les r�publiques d'Asie centrale en � Europe �. Les probl�matiques �videmment partag�es dans la m�me zone de crise doivent s'accompagner de la mise en place d'�quipes transversales auxquelles seraient associ�es la direction strat�gique et la direction g�n�rale de la coop�ration et du d�veloppement (DGCID).
+Par ailleurs, un diplomate de haut niveau pourrait �tre affect� au suivi permanent des questions islamiques. Il lui reviendrait d'assurer la liaison avec les organisations islamiques internationales (OCI) ou non-gouvernementales, notamment en assistant comme observateur � leurs conf�rences ou s�minaires. Ce � conseiller aux Affaires islamiques � aurait aussi pour mission d'expliquer et de pr�senter la situation de l'Islam de France qui est trop souvent l'objet de pol�miques ou de pr�jug�s � l'�tranger.
+La t�l�vision francophone TV5 Monde diffuse ses programmes sur 8 signaux dont l'un, TV5 Orient, est propri�t� fran�aise. Ce signal pourrait �tre enti�rement consacr� � une diffusion bilingue arabe-fran�ais, le co�t d'une r�daction sp�cifique �tant �valu� � 9 millions d'euros (l'actuelle r�daction en fran�ais de TV5 Monde, forte d'une soixantaine de journalistes, revient � 11 millions d'euros, dont les deux tiers pour la France et un tiers pour les partenaires francophones). Les signaux TV5 Europe et TV5 Asie couvrant respectivement le Maghreb et le Proche-Orient, le public attach� � une diffusion purement francophone n'en serait pas priv� par � l'arabisation � de TV5 Orient qui toucherait, en revanche, une audience nettement plus vaste dans une zone formidablement � t�l�phage �.
+Quant � Euronews, qui est devenue la deuxi�me cha�ne d'information d'Europe en diffusant ses programmes en sept langues, un budget de 4 millions d'euros lui permettrait de disposer d'un signal sp�cifique en langue arabe. Une dotation suppl�mentaire de 4 millions d'euros assurerait enfin � RMC-Moyen Orient (au budget actuel de 11,6 millions d'euros) la possibilit� de monter en puissance sur internet, processus que la radio am�ricaine Sawa a anticip� habilement, d�crochant la premi�re place au Proche-Orient. Ces trois chantiers m�diatiques (TV5 Orient, Euronews et RMC-MO) reviendraient � un co�t global de 17 millions d'euros. France 24, dont la dotation annuelle est d�j� garantie � 80 millions d'euros, pourrait �galement d�velopper sa diffusion en langue arabe, initialement limit�e � quatre heures quotidiennes. Une coordination d'ensemble de ces diff�rents m�dias s'impose.
+La presse �crite panarabe, dont de nombreux titres �taient install�s il y a vingt ans � Paris, est d�sormais centr�e sur Londres. Quant aux cha�nes satellitaires du Golfe, de type Al Jazira (Qatar) ou Al Arabiyya (Duba�), elles ont conquis une popularit� impressionnante, entre autres au Maghreb. Les diplomaties anglo-saxonnes, mais aussi Isra�l, accordent une importance prioritaire � ces m�dias panarabes, o� ils s'efforcent d'intervenir syst�matiquement en langue arabe. Malgr� le pr�jug� favorable � l'endroit de la France, nous sommes pratiquement absents de ces m�dias.
+Il convient de mobiliser nos ressources en expertise linguistique et r�gionale pour occuper de mani�re beaucoup plus d�termin�e cet espace strat�gique. Une unit� sp�cifique devrait �tre cr��e au sein du minist�re des Affaires �trang�res pour proc�der � un travail syst�matique de veille et de r�action, aujourd'hui trop fragmentaire et ponctuel. Une � public diplomacy � en langue arabe, avec participation aux d�bats les plus controvers�s, est essentielle pour retrouver une visibilit� t�l�visuelle et une lisibilit� politique. A c�t� des personnalit�s qualifi�es par leurs fonctions, les experts fran�ais, souvent tr�s respect�s � l'�tranger, devraient naturellement �tre associ�s suivant le th�me de l'�mission.
+La France dispose au coeur de Paris d'un instrument d'influence et de diffusion incomparable que plusieurs pays europ�ens ont d�cid� d'imiter. L'Institut du Monde Arabe (IMA) est sur le plan culturel un r�el succ�s : Il s'est pleinement int�gr� au paysage culturel parisien. Il est cependant victime d'une crise structurelle, administrative et financi�re li�e, notamment, � son statut de fondation franco-arabe. Etablissement � caract�re culturel, il a besoin pour fonctionner de recevoir comme toutes les institutions de ce type, des subventions. Il couvre ses frais de fonctionnement par des ressources propres qui financent pr�s de 45 % de ses d�penses, ce qui, pour un �tablissement de cet ordre, repr�sente une performance tr�s satisfaisante. M�me si des progr�s peuvent �tre faits dans sa gestion, son d�ficit chronique est li� essentiellement � l'insuffisance des subventions qu'il re�oit de ses � actionnaires �, tant arabes que fran�ais. Il importe de le sauver par une r�forme tout � la fois financi�re et juridique : sur le plan financier, un plan de redressement doit �tre d�fini en pr�voyant une augmentation ad�quate de ses moyens ; sur le plan juridique, il convient de dissocier le b�timent proprement dit, construit et entretenu par la dotation franco-arabe, d'un �tablissement public de droit fran�ais qui serait charg� de la programmation culturelle et de l'animation intellectuelle. Alors que le minist�re des Affaires �trang�res est aujourd'hui le seul bailleur de fonds de l'IMA, les minist�res des Affaires sociales, de l'Education et de la Culture doivent �tre associ�s � la gestion et au financement de ce puissant facteur d'int�gration et de rayonnement.
+Nous abordons une p�riode nouvelle. Le changement des �quipes politiques va nous amener � reconsid�rer nos priorit�s, red�finir nos objectifs, renouveler nos contacts. Cette r��valuation de notre politique r�gionale doit sans doute prendre en compte nos acquis qu'il s'agit de consolider ainsi que nos atouts pour en assurer la mise en valeur ; mais elle doit surtout �tre guid�e par une vision de notre relation qui soit plus moderne, plus ouverte, plus audacieuse, en tout cas conforme aux int�r�ts et aux probl�mes de notre r�gion commune aujourd'hui et dans les vingt prochaines ann�es.
+Nous servons assur�ment en Europe d'aiguillon dans la d�finition de la politique de l'Union en direction de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Nous avons �t� jusqu'� pr�sent les promoteurs de nombreuses initiatives et les concepteurs d'une approche �quilibr�e et l�galiste des grands conflits moyen-orientaux � laquelle adh�re l'essentiel de nos partenaires europ�ens. Le temps d'une Union Europ�enne � 6 voire � 15 est cependant r�volu et il est clair qu'� 25 ou 27 membres de l'Union les consensus europ�ens sont de plus en plus difficiles � trouver sur les politiques les plus innovantes et les projets les plus ambitieux. En raison de ces entraves, il faudra d�velopper des coop�rations renforc�es � partir de l'Europe du Sud et des pays les plus motiv�s de l'Europe du Nord pour tout ce qui a trait � la politique m�diterran�enne et proche-orientale de l'Union. Or la France a un r�le majeur � jouer dans l'�tablissement de ces nouveaux groupes ad hoc au sein de l'UE capables de se mobiliser sur des questions aussi vari�es et complexes que les n�gociations nucl�aires iraniennes (formation E3 regroupant la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France), le processus de paix isra�lo-palestinien ou la crise syro-libanaise. Notre l�gitimit� sur chacun de ces dossiers est incontest�e. Nous b�n�ficions d'une certaine ind�pendance de vue, comme nous l'avons t�moign� dans la gestion de la crise irakienne, dont probablement la Grande- Bretagne (en raison de son atlantisme) et l'Allemagne (en raison de sa r�serve compr�hensible sur le dossier isra�lo-arabe) ne jouissent pas.
+Aussi la France dispose-t-elle en Europe de puissants leviers dont elle doit se servir, en adossant sa politique dans cette r�gion sur des partenaires int�ress�s et actifs de l'Union (Italie, Espagne, Su�de ou Belgique) et �galement la Norv�ge :
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Nous n'avons aucun int�r�t � l'isolement ou � un revers des Etats-Unis. Nous avons au contraire avantage � une sortie de crise en Irak dans l'ordre, m�me si nous pensons que cette sortie doit, � court terme, passer par une �vacuation programm�e des forces am�ricaines. Un repli diplomatique des Am�ricains ne serait pas dans l'int�r�t de l'Europe. La d�faite des Etats-Unis nuirait d'une mani�re g�n�rale aux positions occidentales ; leur engagement durable et structurant dans la r�gion conforte nos propres positions.
+Notre diplomatie a d'ores et d�j� engag� son action au Liban et en Syrie dans un �troit partenariat avec Washington. C'est gr�ce � notre action commune que nous avons pu obtenir le soutien de la communaut� internationale lors des votes de toute une s�rie de r�solutions au Conseil de S�curit� qui ont constamment soutenu nos positions quant � la souverainet� et l'ind�pendance du Liban. C'est �galement avec l'appui des Etats-Unis qu'a �t� mise en place la � Finul renforc�e � en ao�t 2006, mettant ainsi un terme � la guerre d�vastatrice opposant Tsahal au Hezbollah.
+Nous ne devons toutefois pas �luder les diff�rences d'approche qui nous s�parent de Washington sur un certain nombres de dossiers, c'est-�-dire ne pas craindre de marquer notre ind�pendance de vue lorsque celle-ci est conforme � nos int�r�ts, � notre vision de ce qui nous appara�t �tre un ordre juste et �quitable dans la r�gion et � une approche globale des probl�mes qui s'y pr�sentent (ceci s'applique au dialogue n�cessairement critique que nous serions amen�s � nouer avec les franges islamistes du monde arabe).
+La nouvelle donne en Afrique du Nord et au Moyen-Orient s'accompagne d'un retour spectaculaire de certains acteurs � l'instar de la Russie, trop h�tivement consid�r�e comme sortie du monde arabe et musulman, et d'une perc�e notable de nouvelles puissances, � savoir la Chine et l'Inde.
+S'agissant de la Russie, l'�re Poutine est d�sormais marqu�e par une attitude volontariste qui rappelle les grands moments de la politique sovi�tique en Egypte et en Syrie et se d�veloppe d�sormais aussi dans les pays du Golfe. Les d�placements de Vladimir Poutine � Alger en mars 2006 pour annoncer l'effacement de la dette alg�rienne envers son pays (4,7 milliards de dollars) et � Riyad en f�vrier 2007, la premi�re visite d'un chef d'Etat russe en Arabie Saoudite, t�moignent de cette politique que compte poursuivre Moscou dans la r�gion. Les Russes sont d�sormais pr�sents, entretiennent avec une autonomie assum�e des relations avec leurs partenaires r�gionaux, en Syrie et en Iran, qui servent leurs int�r�ts et revendiquent le droit � mener une politique ind�pendante de celles de leurs partenaires dans le P5 (m�me s'il ne faut pas y voir un � retour � � la guerre froide).
+La France devra composer avec cette nouvelle donne en mesurant, pour sa propre politique, toute la port�e des positions russes vis-�-vis des Syriens (et � travers eux le Hezbollah) et les relations complexes qui unissent Moscou � T�h�ran. Il est de notre int�r�t de d�velopper notre partenariat avec la Russie afin d'ajuster notre propre strat�gie au sein du Conseil de S�curit�. S'agissant de la Chine et de l'Inde, l'avanc�e de ces nouvelles puissances �mergentes est fulgurante dans le Golfe, voire en Egypte, au Maghreb et au Soudan. En l'absence d'une prise en consid�ration s�rieuse de ces nouveaux partenaires, nous risquons de voir nos propres positions contest�es.
+Nous devons renforcer notre relation avec les mod�r�s arabes, les pousser � se regrouper et d�velopper les liens avec les organisations susceptibles de rassembler les tenants arabes et musulmans d'un r�alisme diplomatique, i.e. la Ligue des Etats Arabes et l'OCI. Aussi avons- nous vocation � approfondir notre relation avec l'Egypte, la Jordanie et l'Arabie Saoudite car ce sont nos partenaires naturels pour la r�solution des crises graves dans la r�gion, en Palestine bien s�r mais �galement au Liban o� nos troupes sont engag�es.
+Notre objectif est aussi de combattre les conditions qui favorisent et accr�ditent le � choc des civilisations �. Le monde arabe a sa place dans la gestion des affaires du monde. Il doit �tre incit� � traiter des probl�mes globaux, � participer au dialogue sur la s�curit� r�gionale. L'id�e d'appuyer la demande d'un si�ge permanent pour le monde arabe au Conseil de S�curit�, m�me si elle est difficile � mettre en oeuvre, doit �tre discut�e.
+Pour ce dialogue �troit avec le monde arabe et musulman, nous ne devons pas �tre prisonniers des conflits que nous n'avons pas cr��s, ni adopter des grilles de lecture comme celle d'une confrontation sunnites/chiites. Nous ne pouvons laisser croire � une quelconque ing�rence de la France et de l'Europe dans cette querelle. Nous devons rester en contact �troit avec les sunnites qui dirigent la majorit� des pays arabes ; mais nous devons � l'�vidence ne jamais ignorer les chiites et leurs positions et entretenir avec eux un dialogue permanent.
+Au-del� de ces pr�cautions, il convient de donner � ce dialogue un caract�re constructif. M�me si nous ne pouvons en aucun cas souscrire � leurs prises de positions ni approuver telle ou telle de leur politique, nous devons trouver les moyens d'un dialogue critique avec le Hezbollah et le Hamas sans nous laisser entraver par un formalisme soup�onneux. La question est celle de l'utilit� du dialogue et du poids que celui-ci peut avoir sur la politique de nos interlocuteurs comme sur leur capacit� � accepter des relations moins conflictuelles et � accepter des compromis. C'est ainsi que nous devrons envisager de parler � ces mouvements islamiques en refusant toute caution aux positions incompatibles avec nos principes et en marquant notre opposition aux aspects de leur politique qui nous paraissent de nature � exacerber les tensions.
+Pour ce qui concerne la p�ninsule arabique, l'Arabie Saoudite et les membres du Conseil de Coop�ration du Golfe apparaissent, dans cette r�gion troubl�e qu'est le Moyen-Orient, comme des pays qui conjuguent stabilit�, croissance �conomique et amorce de r�formes. En outre, l'Arabie Saoudite, comme on a pu le constater � l'occasion du r�cent sommet de Riyad, d�veloppe une diplomatie active et efficace dans la recherche de solutions aux probl�mes que conna�t la r�gion. Inqui�te des effets de la politique de l'administration Bush, elle tend � prendre ses distances vis-�-vis d'un alli� am�ricain qui a d��u et dont la politique est jug�e s�v�rement. Dans ce contexte, la France devrait renforcer sa pr�sence politique, �conomique et culturelle dans la p�ninsule arabique. Elle devrait �galement se concerter plus �troitement avec l'Arabie Saoudite et appuyer ses initiatives qui vont le plus souvent dans le sens de nos pr�occupations.
+Il est clair qu'Isra�l demeure un partenaire majeur au Moyen-Orient et qu'il convient de se concerter �troitement avec lui. Les relations franco-isra�liennes se sont fortement densifi�es depuis 2003 - 2004. Une s�rie d'initiatives a permis de surmonter les malentendus du pass�, notamment la cr�ation de la fondation France-Isra�l.
+Il est important de ne pas remettre en cause cette �volution et de poursuivre le rapprochement entre les soci�t�s � la condition, toutefois, que ce rapprochement ne se fasse pas au d�triment de :
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Notre comportement vis-�-vis des forces vives est traditionnellement marqu� d'une grande prudence, proche de l'inhibition, tenant, notamment, au fait que la pr�servation de la qualit� des relations officielles, c'est-�-dire avec le pouvoir en place, nous appara�t, dans un r�flexe diplomatique classique, prioritaire lorsqu'il s'agit d'approcher ce qui ne se situerait pas dans sa mouvance. Dans le cas du Maghreb, s'y ajoute le sentiment qu'une longue familiarit� ainsi que la diversit� spontan�e de nos liens nous dispensent, en quelque sorte, de syst�matiser une approche vers ce qui constitue pourtant le visage actuel des pays de cette r�gion.
+Il s'agit d'une lacune s�rieuse � laquelle nombre de nos partenaires europ�ens et am�ricains se sont efforc�s de rem�dier sans s'encombrer des scrupules qui demeurent les n�tres. Il est temps de r�agir en gardant � l'esprit que l'action publique ne couvre, par d�finition, qu'une partie du champ � exploiter dans une politique d'influence m�me si elle peut exercer un effet d'entra�nement plus g�n�ral. Dans la diversit� des autres parties prenantes, il convient de souligner le r�le que tiennent d�j� et peuvent affirmer davantage les collectivit�s locales ou les ONG qui d�veloppent des coop�rations particuli�res avec plus de souplesse dans le choix des partenaires. Elles m�ritent d'�tre encourag�es, �tant entendu que, sans entraver les initiatives, l'efficacit� gagne � ce qu'une vue g�n�rale des actions engag�es puisse �tre assur�e, ce qui suppose l'information de ce centre naturel qu'est l'Ambassade, elle-m�me offrant, en contrepartie, ses analyses, ses services et, si n�cessaire, son entremise. En m�me temps, on ne peut penser ni souhaiter une � uniformisation � de la politique d'acteurs aussi diff�rents que les ONG, les collectivit�s locales et l'Etat ; elle serait contraire � l'objectif poursuivi d'une coop�ration �pousant la diversit� de la soci�t� civile comme de ses attentes et besoins.
+Une des justifications fortes d'un dialogue et d'une coop�ration ainsi diversifi�s dans leur objet comme dans leurs acteurs est, en favorisant les contacts entre les soci�t�s elles-m�mes, d'encourager leur compr�hension mutuelle et l'acceptation d'un �change d'exp�rience. Notre contribution pourrait ainsi se d�velopper plus ais�ment dans le domaine de la gouvernance � un moment o� existe chez nos partenaires du Sud une r�elle demande de r�formes et restructuration des administrations. Mais celles-ci, tout en �tant � conduire dans la respect des valeurs et cultures locales, ne doivent pas masquer une complaisance vis-�-vis de r�gimes autoritaires qui s'appuient sur des services non respectueux des Droits de l'Homme � l'heure o� nos partenaires s'activent pour nouer des relations avec les mouvements politiques, sociaux, intellectuels au sein des soci�t�s civiles. Sans verser dans la promotion de la d�mocratie qui irrite plus qu'elle n'encourage, la France se doit d'exprimer son attachement aux Droits de l'Homme et aux libert�s qui sont pour elle des valeurs universelles et, par cons�quent, ind�pendantes des contingences locales.
+Se pose, par ailleurs, le probl�me des contacts � �tablir avec les mouvements islamistes. Ceux-ci constituent des acteurs majeurs dans la vie politique et sociale, jouissant souvent d'une influence forte au sein des populations par l'efficacit� des services qu'ils mettent � leur disposition et capables, � l'occasion d'�lections libres dont nous encourageons, bien entendu, le principe, d'acc�der au pouvoir. Ceci �tant, certains ne sont pas reconnus, ni admis par les pouvoirs en place ou se disqualifient � nos yeux par leur recours � des m�thodes terroristes et par leur rejet violent de ce � quoi nous nous identifions.
+Un dialogue n'en est pas moins n�cessaire avec tous les autres qui sont une r�alit� d'autant que l'exp�rience (d�colonisation, OLP) nous a appris la relativit� de nos ostracismes. L'approche ne peut relever, en tout �tat de cause, que du cas par cas prenant en compte la repr�sentativit� du mouvement, son discours et, plus particuli�rement, sa position vis-�-vis de la violence, sa relation avec le pouvoir (l�galit� ou non). Il devrait �tre acquis que, d�s lors qu'un mouvement islamiste est l�gal et int�gr� dans le processus politique, comme on en v�rifie de nombreux exemples dans le monde arabe, le dialogue devient possible. Reste � en d�terminer les modalit�s.
+Le dialogue doit donc �tre modul� avec pragmatisme, c'est-�-dire en fonction du mouvement concern�, une grande vari�t� de formules s'offrant autour des suivantes :
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L'important doit �tre une disposition au dialogue pour autant que l'interlocuteur respecte, lui aussi, ce que nous sommes.
+Depuis les accords d'Oslo, la voie trac�e pour le r�glement du conflit isra�lo-palestinien r�sidait dans un consensus international de soutien � l'�dification des institutions d'une entit� palestinienne.
+La France y trouvait confortablement sa place et sa politique s'inscrivait dans une politique plus largement europ�enne ; elle avait en outre la particularit� d'un soutien politique au pr�sident palestinien Yasser Arafat jusqu'� sa mort en novembre 2004. Les tentatives pour isoler et discr�diter le chef de l'Autorit� palestinienne au cours des 18 mois qui ont pr�c�d� sa mort n'�taient pas suivies en France ; mais ce soutien apparaissait comme de plus en plus personnel et ne s'accompagnait pas d'une vision d'ensemble. La France a �t� d�courag�e par les dysfonctionnements des institutions de l'Autorit�, la corruption qui y r�gnait et les divisions entre le Fatah et le Hamas. Elle n'a pas su d�velopper, par ailleurs, des relations soutenues avec les acteurs de la soci�t� civile, principalement � cause de la faiblesse des m�canismes de diplomatie parall�le que d'autres pays comme la Su�de, la Norv�ge ou m�me la Grande-Bretagne ma�trisent mieux.
+Cette absence de r�flexion strat�gique sur une position proprement fran�aise ou sur une action visant � influencer l'Europe pour en d�finir une ont eu pour cons�quence que la France n'a pas �t� en mesure de formuler des vues claires sur les deux d�veloppements majeurs des trois derni�res ann�es : la politique unilat�raliste pr�conis�e par le gouvernement de Sharon et, deux ans plus tard, la victoire du Hamas aux �lections l�gislatives palestiniennes de janvier 2006.
+Devant la premi�re, elle s'est laiss� entra�ner vers une vision selon laquelle l'unilat�ralisme pouvait constituer une approche alternative � la n�gociation. De m�me a-t-elle �t� prise au d�pourvu par l'�lection du Hamas et a fait le choix de se ranger sur une position europ�enne qui s'est vite av�r�e intenable. La politique fran�aise a �t� en somme largement r�active. La diplomatie n'a pas fait usage de la panoplie de moyens disponibles.
+Le soutien humanitaire, aussi g�n�reux soit-il, ne se substitue ni � l'aide aux institutions d�sormais gel�e, ni � des prises de position politiques. Dans la mesure o� l'Europe est devenue le premier bailleur de fonds de l'Autorit� palestinienne et un partenaire indispensable pour la r�alisation de tout progr�s sur la voie d'un r�glement, les Etats-Unis ne peuvent plus ignorer une position europ�enne sp�cifique qui ne soit pas calqu�e sur la leur. Les Etats-Unis ont �t� inactifs dans la recherche d'un r�glement m�me si, tout r�cemment, ils s'efforcent de reprendre l'initiative. La faiblesse actuelle des institutions politiques de l'Europe, mais aussi l'existence du Quartet et le souci de pr�server le cadre et le m�canisme diplomatique pr�cieux qu'il repr�sente sont aujourd'hui deux freins � une action plus audacieuse.
+Les termes du d�bat sur le conflit ont �t� dangereusement brouill�s au cours des cinq derni�res ann�es. Un premier travail, au niveau du discours, consistant � reformuler les enjeux et l'argumentaire sur la centralit� du conflit isra�lo-palestinien par rapport aux autres dossiers r�gionaux semble n�cessaire outre qu'il aurait une fonction p�dagogique utile. Placer l'accent sur l'occupation et la n�cessit� d'y mettre fin, aurait trois avantages : repositionner le d�bat autour du probl�me de la terre et non des identit�s religieuses pour redonner ainsi force au courant nationaliste que les pragmatiques de la mouvance islamiste sont pr�ts � suivre ; d�coupler l'enjeu de la lutte contre l'occupation de celui du droit � l'existence d'Isra�l en r�affirmant les droits des deux peuples � vivre chacun dans un Etat viable et � l'int�rieur de fronti�res s�res ; d�samorcer le d�bat qui lie l'opposition � la politique isra�lienne � la question de l'antis�mitisme.
+Pour ne pas se laisser bloquer par les membres r�ticents de l'Union, il convient d'utiliser le clavier de la diplomatie fran�aise pour tester des id�es ou options � l'�chelle nationale, puis europ�aniser celles-ci quand elles s'av�rent r�ussies ou prometteuses. Elles auront alors de plus grandes chances de vaincre les r�ticences, d'autant qu'elles peuvent aussi s'appuyer sur des acteurs non europ�ens : Russie, Chine, monde arabe, etc.
+Dans cette m�me perspective dynamique, il nous faut aller au-del� d'une simple observation des tentatives r�gionales de recherche de compromis pour les accompagner. Les Palestiniens en p�riode de crise se tournent naturellement vers le giron arabe. Le plan de paix arabe offre une porte d'entr�e au Hamas pour int�grer un processus diplomatique par �tapes. Les conditions du Quartet ne seront pas accept�es par un gouvernement d'union nationale palestinien sans une reformulation des ces exigences ou un r��quilibrage dans le sens d'exigences �quivalentes � l'�gard d'Isra�l. Leur maintien fig� est de nature � perp�tuer l'impasse.
+La France pourrait, conjointement avec d'autres Etats europ�ens, prendre l'initiative d'un tel exercice de reformulation, � mi-chemin entre les textes des accords de la Mecque, du plan de paix arabe et du Quartet.
+Enfin, l'impasse et la logique de force qui pr�valent actuellement ont permis � l'acteur iranien de s'introduire au coeur d'un conflit dans lequel il ne devrait pas avoir de r�le majeur. Le dialogue avec l'Iran est utile sur le Liban en raison du soutien de T�h�ran au Hezbollah. En revanche, la question palestinienne ne fait pas partie des int�r�ts l�gitimes de l'Iran qui ne devrait pas �tre consid�r� comme un interlocuteur incontournable ainsi qu'il l'est pour la question irakienne. Le faire serait renforcer son influence r�gionale sans profit, selon toute vraisemblance, pour la recherche du r�glement.
+La situation int�rieure libanaise conna�t un blocage institutionnel et politique caract�ris� par une forte polarisation entre deux blocs, s'appuyant chacun sur des alli�s ext�rieurs.
+Depuis septembre 2004, la France a pris la direction d'un mouvement diplomatique qui a conduit � l'adoption par le Conseil de s�curit� de la r�solution 1559 appelant au retrait des forces syriennes du Liban. Apr�s l'assassinat de l'ancien Premier Ministre Rafic Hariri, elle a pris clairement position pour la coalition des forces politiques du 14 mars, un bloc dont le principal ciment et l'objectif commun �taient de mettre fin � l'influence syrienne au Liban. Au lendemain de la guerre d'Isra�l contre le Hezbollah � l'�t� 2006, elle a su mobiliser un large soutien international pour la mise en place d'une FINUL renforc�e et pour la reconstruction du pays d�vast� lors de la conf�rence de Paris 3. Ces trois directions, engag�es au cours des trois derni�res ann�es, m�ritent un examen critique, au niveau des objectifs d'une part, du cadre dans lequel la France d�ploie son activit� et des partenaires qu'elle choisit d'autre part, pour envisager les options politiques � venir.
+La France a joui d'un soutien r�gional et international tr�s vaste dans sa mobilisation pour le retrait de la Syrie et la cr�ation d'une commission d'enqu�te internationale. La l�gitimit� de son action �tait et demeure tr�s forte, toutes les parties (Hezbollah, Iran et Syrie compris) �tant maintenant convaincues que le tribunal est in�luctable. M�me si sa mise en place est loin d'�tre acquise, ses adversaires sont dans l'embarras et esp�rent la retarder ainsi que d'en ren�gocier les modalit�s. La fermet� affich�e par la France a �t� payante et reste d�terminante pour la cr�dibilit� de son engagement en faveur du Liban.
+Un deuxi�me volet qui b�n�ficie d'une l�gitimit� �quivalente a �t� son action pour prot�ger la souverainet� et la s�curit� du territoire libanais vis-�-vis d'Isra�l apr�s les attaques d�vastatrices de celui-ci ainsi que son engagement pour la reconstruction du Liban. Cette action renforce le premier volet et refl�te une forte coh�rence de la politique fran�aise en faveur d'un Liban prot�g� des influences de ses deux puissants voisins. Tant par les objectifs poursuivis que par le choix du cadre (l'ONU), ces deux premiers volets sont un succ�s incontestable de la diplomatie fran�aise et la placent en situation favorable pour continuer � jouer un r�le influent au Liban.
+Le troisi�me volet, qui concerne l'action sur la sc�ne int�rieure, pr�sente un bilan plus mitig�. La France accompagne son activit� au niveau international par un soutien au bloc du 14 mars et se trouve �troitement associ�e � celui-ci. Elle n'a pas de dialogue avec le bloc adverse de l'opposition. Or cette position pr�sente quelques risques : elle rend la politique fran�aise tributaire des objectifs des membres de la coalition qui ne sont pas n�cessairement tous identiques aux siens ; elle la prive de la marge de manoeuvre n�cessaire pour engager un dialogue avec le Hezbollah et les forces qui lui sont alli�es ; elle enferme la France dans une position qui lui �te la possibilit� de jouer un r�le de m�diation. Les zones grises qui pourraient constituer les termes d'un compromis existent pourtant ; mais la France n'est pas en position de les mettre � profit elle-m�me pour amener les parties vers ce compromis.
+Cette politique de fermet� sur la question du tribunal international et � l'�gard de la Syrie a �t� payante jusqu'ici. Elle reste justifi�e tant que l'accord n'est pas conclu sur le tribunal. Mais celui-ci se trouve �troitement li� � la recherche d'une nouvelle formule politique pour un partage du pouvoir entre les diff�rentes forces en pr�sence. On �voque la recherche d'un nouveau Ta�f, mod�le qui sugg�re clairement la n�cessit� de lier le compromis interne � des arrangements r�gionaux. En l'absence actuelle de dialogue avec la Syrie, des acteurs r�gionaux plus �loign�s, tels l'Arabie Saoudite, l'Iran et l'Egypte devraient constituer des interlocuteurs naturels pour la France sur le dossier libanais.
+La fonction de m�diation entre les diff�rentes forces libanaises est, en effet, le fait de ces acteurs r�gionaux qui semblent les plus � m�me de peser sur les diff�rentes parties alors que la France peut difficilement jouer un r�le de m�me nature faute de la panoplie de moyens dont ceux-ci disposent (liens personnels, familiaux, instruments financiers et discr�tion li�e � la proximit� et aux m�thodes des r�gimes non d�mocratiques).
+Elle a n�anmoins la possibilit� d'accompagner plus activement ce processus r�gional. C'est ainsi qu'elle peut notamment : Engager des contacts avec l'Iran sur le dossier libanais en le dissociant des autres dossiers r�gionaux. Les h�sitations � nouer un dialogue avec celui-ci sur ce dossier m�ritent d'�tre r�examin�es. Il ne s'agirait pas de le faire en liant les diff�rents dossiers (programme nucl�aire, Irak, Palestine et Liban) en vue d'un quelconque � march� � mais sur la base d'une �valuation objective de l'importance des enjeux pour T�h�ran dans chacun de ces dossiers. S'il est s�r que l'Iran conservera une position radicale sur son programme nucl�aire, il existe de bonnes raisons de penser qu'il est dispos� � coop�rer pour trouver une solution de compromis au Liban, � la diff�rence de la Syrie. Le soutien de T�h�ran au Hezbollah fait certes partie d'une strat�gie iranienne d'appui sur la communaut� chiite r�gionale. Mais la guerre de l'�t� a conduit le mouvement � payer un prix tr�s �lev� et � prendre des risques politiques majeurs qui �branlent son image de force politique nationale oeuvrant pour son int�gration dans le jeu politique libanais sur la base d'un nouveau consensus intercommunautaire. L'Iran ne peut instrumentaliser le Hezbollah que dans certaines limites et risque de susciter des divisions au sein du mouvement comme cela a �t� le cas dans le pass�.
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La situation est particuli�rement pr�occupante : l'ampleur du d�sastre provoqu� par l'intervention am�ricaine, au niveau de sa conception comme de sa mise en oeuvre, appara�t lourde de cons�quences : �clatement du pays, affrontements intercommunautaires et entre milices rivales, fuites des �lites et d'une partie de la population (notamment des chr�tiens), dislocation des structures de l'Etat et des ses administrations, naufrage �conomique, cr�ation d'un foyer de terrorisme dans le triangle sunnite... Certes l'objectif affich� des Etats-Unis est celui de finir le travail, c'est-�-dire de r�tablir la paix civile et de restaurer l'�conomie ; mais aucune lueur n'appara�t � l'horizon qui puisse conduire � en envisager la r�alisation. Aussi, leur objectif parait �tre plut�t, malgr� l'envoi de renforts qui ne modifieront pas la situation sur le terrain, de se d�gager du gu�pier dans lequel ils se trouvent sans que ceci apparaisse comme un �chec humiliant. Il n'est pas exclu d'ailleurs, que, soumis � une pression de plus en plus forte, les autorit�s am�ricaines, qu'il s'agisse de cette administration ou de la suivante, d�cident de retirer les troupes soudainement, laissant derri�re elles une situation incontr�lable et incontr�l�e.
+Dans un contexte aussi difficile, notre marge d'influence est faible : la violence ne pourra cesser que si une place significative est reconnue et garantie � la minorit� sunnite, ce qui n'est pas le cas dans l'actuelle Constitution. La cessation de la violence passe par une r�conciliation nationale que nous ne pouvons qu'encourager mais sur laquelle nous sommes sans moyens d'influence. Nous devons cependant pr�server l'avenir en maintenant des contacts avec toutes les forces politiques irakiennes et en proposant de d�velopper une coop�ration en vue de restaurer l'Etat, par exemple par la formation en France de cadres civils et militaires. Nous devons �galement r�affirmer, notamment aupr�s des Kurdes, notre engagement en faveur de l'unit� de l'Irak.
+Notre action peut �tre facilit�e par un dialogue actif avec les Etats voisins dont aucun, y compris l'Iran, n'a int�r�t au d�mant�lement de l'Irak. La r�cente r�union de ces Etats voisins � laquelle s'est joint le P5 doit �tre la premi�re �tape vers la conf�rence internationale au niveau minist�riel qui devrait se r�unir prochainement � Charm El Cheikh et devrait bien marquer la volont� des Etats de la r�gion et des membres permanents du Conseil de S�curit� de restaurer l'Irak dans son int�grit�. Cette conf�rence devrait �tablir un plan de retrait programm� des troupes �trang�res, de d�sarmement des milices, de restauration des services publics et de retour des r�fugi�s. La pr�paration de cette conf�rence passe, en particulier, par un dialogue avec la Syrie et l'Iran dont l'attitude ambigu� ne peut que contribuer � la persistance des violences actuelles.
+Notre position doit prendre en consid�ration la p�rennit� du r�gime islamique : malgr� ses �checs �conomique et politique et ses tensions internes, on ne voit pas comment le r�gime des ayatollahs pourrait s'�crouler dans un avenir pr�visible. Elle doit �galement tenir compte du fait que, plus par un effet d'aubaine que par une volont� expansionniste, l'Iran est devenu un acteur incontournable au Moyen-Orient : les Etats-Unis, en d�barrassant l'Iran des ses deux principaux ennemis, les Talibans et Saddam Hussein, et Isra�l, en d�clenchant imprudemment une guerre contre le Hezbollah, ont renforc� sa capacit� d'influence et de nuisance. Aussi notre politique doit-elle se garder de s'associer � toute tentative de � regime change � et doit- elle consid�rer que l'Iran est une puissance r�gionale avec laquelle il faut compter et dialoguer. Elle doit �galement tenir compte du fait que, du c�t� am�ricain, une intervention militaire est une option qui est non seulement � sur la table �, mais aussi s�rieusement envisag�e. Il serait difficile au Pr�sident Bush qui, � maintes reprises a d�nonc� le caract�re inacceptable des ambitions nucl�aires de l'Iran de se d�juger et de ne rien faire, d'autant plus qu'il est soumis � la pression d'Isra�l qui qualifie la menace iranienne d'existentielle. Une telle intervention, hasardeuse sur le plan technique, ne pourrait avoir que des effets d�sastreux au Moyen-Orient comme dans l'ensemble du monde musulman.
+Dans ce contexte, notre politique devrait �tre d'�tablir des relations plus fortes avec les interlocuteurs les plus ouverts du c�t� iranien, notamment les �l�ments r�formistes ou pragmatiques, comme Rafsandjani, Larijani ou Velayati et, d'une fa�on plus g�n�rale, la soci�t� civile ouverte, active et souvent contestatrice. Notre objectif doit rester celui de dissuader l'Iran de se doter d'une capacit� nucl�aire utilisable � des fins militaires. Dans cette perspective, les sanctions, qu'elles soient d�cid�es par l'ONU ou qu'elles soient informelles, ont montr� une r�elle efficacit�. Le renforcement progressif de sanctions � intelligentes � visant � dissocier la population du r�gime doit �tre poursuivi. A cette fin, la concertation avec la Russie et la Chine doit �tre plus �troite.
+Cependant cette n�gociation nucl�aire doit s'inscrire dans une politique d'int�gration de l'Iran dans la communaut� internationale et �tre guid�e par un objectif plus large, celui de mettre en place un syst�me de s�curit� collective faisant du Golfe une zone d�pourvue d'armes de destruction massive o� seraient garanties la s�curit� des Etats et l'intangibilit� des fronti�res. Un tel objectif passe par un dialogue avec l'Iran et la r�union d'une conf�rence internationale regroupant tous les pays riverains auxquels se joindraient les membres permanents du Conseil de s�curit�.
+Alors qu'il s'agit de la partie du monde arabe et du bassin m�diterran�en qui nous est la plus proche et avec laquelle nous avons d�velopp� les relations les plus intenses et famili�res, elle est aussi une des plus absentes dans nos r�flexions sur cette r�gion. Nous g�rons tant bien que mal un acquis sans vision d'ensemble, ni perspective. En effet, notre approche est fractionn�e au profit de relations bilat�rales marqu�es d'une forte subjectivit�, influenc�e elle m�me par des pr�jug�s durables : � cette aune, l'Alg�rie est difficile, crisp�e sur ses complexes et ses ressentiments et on n'en fera jamais assez pour se faire pardonner ; la Tunisie, � la fois molle et polici�re, est d'une fr�quentation douteuse ; le Maroc, sorte de fils pr�f�r�, est noble, attirant et fragile.
+Cette approche s'assortit d'une gestion sans doute g�n�reuse au regard de nos moyens mais au jour le jour, constamment ren�goci�e pour tenter de perp�tuer une suppos�e rente de situation et veiller � ce que nos positions ne soient pas grignot�es par d'autres. Bref, une certaine facilit� nous conduit � entretenir l'id�e que le Maghreb constitue un cas � part, ce qui est conforme � une r�alit� historique nous cr�ant des devoirs, mais �chappant aux priorit�s qui guident ailleurs notre politique ext�rieure. C'est aussi qu'il n'appartient pas � ce seul champ car il se vit �galement et parfois intens�ment sur le plan de notre politique int�rieure o� il intervient dans d'autres d�bats. Mais, � l'�re de la mondialisation, cette caract�ristique importante est de moins en moins une sp�cificit�. L'approche appara�t donc � la fois archa�que et fig�e.
+Aussi convient il de proc�der sans d�lai � une r��valuation de notre politique maghr�bine pour la situer dans une perspective d'ensemble qui s'inscrive elle m�me dans l'action globale que nous entendons mener au niveau m�diterran�en et ailleurs dans le monde en fonction des d�fis que nous y rencontrons et des priorit�s que nous devons nous fixer.
+Appeler � un aggiornamento n'est pas remettre en cause les liens si sp�cifiques qui nous unissent � cette r�gion ou appeler � leur banalisation mais s'appuyer sur eux pour d�velopper une relation plus conforme � nos int�r�ts pr�sents de puissance moyenne visant � trouver dans la construction europ�enne ce qui lui est n�cessaire pour peser dans les affaires du monde. Les instruments existent ; ils doivent �tre r�orient�s ou dynamis�s.
+Il s'agit, sur le plan bilat�ral France/Maghreb, d'affecter une partie des cr�dits accord�s jusqu'ici � chacun de nos trois partenaires � une enveloppe r�gionale finan�ant des projets n�cessaires d'int�gration que leurs divisions actuelles leur interdisent de promouvoir eux m�mes. Ils en reconna�tront l'opportunit� et y trouveront une stimulation pour un travail en commun sur le plan du d�veloppement. L'U.M.A., paralys�e sans avoir jamais pris son essor, y trouverait une impulsion dans sa mission plus g�n�rale d'int�gration d'un Maghreb r�concili�.
+Pour renforcer cette approche et dans une perspective de f�condation r�ciproque, un nouvel �lan serait donn� � la concertation dite 5+5 et, au del�, � EuroMed. En �largissant, de part et d'autre de la M�diterran�e Occidentale, le champ d'un dialogue trop exclusivement bilat�ral nous n'affecterons pas celui ci si nous y veillons mais lui donnerons une dimension suppl�mentaire �chappant aux pesanteurs historiques qui le polluent et l'entravent. Il nous appartiendra d'assurer que nos int�r�ts n'en soient pas l�s�s ; mais, dans une dynamique de d�veloppement, il y aura place pour une diversification des partenaires. L'important sera de nous d�gager des pressions li�es � un �change exclusivement bilat�ral pour nous permettre de replacer le Maghreb dans le contexte combien plus g�n�ral de notre action ext�rieure.
+Cet �largissement devra �galement porter sur l'�ventail de nos interlocuteurs maghr�bins. A c�t� de ceux que leurs fonctions d�signent il convient de prendre en compte les soci�t�s dans leur diversit� en facilitant, sans a priori autre que li� � des exigences raisonnables de s�curit�, la circulation entre les deux rives de la M�diterran�e au profit de tous ceux (hommes d'affaires, �tudiants, chercheurs...) qui peuvent nourrir la relation et en maintenant sur place un dialogue avec des interlocuteurs non gouvernementaux. A cet �gard, la coop�ration d�centralis�e d�j� entretenue par nos collectivit�s locales doit �tre encourag�e en raison de sa souplesse et de sa capacit� � �tablir des liens l� o� l'action �tatique se trouve plus embarrass�e par le souci de ne pas heurter les autorit�s du pays auquel elle s'applique.
+En visant la soci�t� civile avec laquelle nous d�velopperions toutes sortes de dialogues il ne s'agit pas seulement de favoriser le maintien de notre pr�sence et de nos liens en prenant en compte les forces vives et les r�alit�s pr�sentes des pays du Maghreb ; il s'agit aussi d'encourager leur �volution d�mocratique par une sorte d'osmose intervenant � tous les niveaux, les pressions en ce sens exerc�es exclusivement � celui des responsables sup�rieurs de l'Etat �tant facilement interpr�t�es, et donc d�nonc�es et rejet�es, comme autant d'ing�rences ou manifestations d'incompr�hension des cultures politiques locales.
+Le bilan au bout de dix ans de mise en oeuvre du processus de Barcelone est d�cevant, m�me si certaines critiques apparaissent injustes. Malgr� l'ampleur des sommes engag�es sur la p�riode 20 milliards d'euros au total, le Sud de la M�diterran�e demeure une zone o� les r�formes politiques et �conomiques restent � faire et o� le d�veloppement �conomique et social est insuffisant. La responsabilit� de cette situation est largement partag�e entre le Nord et le Sud. En outre le processus de Barcelone qui devait accompagner le processus de paix entre les pays arabes et Isra�l a p�ti de l'�chec pr�sent de ce dernier.
+Cependant des am�liorations peuvent �tre apport�es tant dans la m�canique institutionnelle que dans les actions � entreprendre de fa�on � ce que le partenariat envisag� devienne une r�alit�. Les r�unions devraient �tre v�ritablement co-pr�sid�es par le Nord et le Sud ; un l�ger secr�tariat permanent, mixte dans sa composition, pourrait �tre institu� : il pr�parerait les r�unions r�guli�res au niveau minist�riel ou des experts. Ces rencontres qui concernent essentiellement les ministres des Affaires �trang�res devraient �tre �tendues � d'autres ministres : �conomie, int�rieur, justice, commerce ext�rieur. La cr�ation dans la mouvance de la BEI d'une Banque euro-m�diterran�enne devrait �tre d�cid�e.
+S'agissant des m�thodes d'intervention, le processus de Barcelone devrait �tre plus s�lectif : les efforts devraient �tre concentr�s sur un nombre limit� de projets structurants et contribuer � la promotion des int�grations sous-r�gionales, tant au Maghreb qu'au Machrek. L'articulation de Barcelone avec la � politique de voisinage � devrait �tre clarifi�e. Enfin le volet culturel devrait �tre d�velopp� et la fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures revitalis�e de fa�on � ce que l'Europe et les pays du Sud de la M�diterran�e constituent un exemple r�ussi d'� Alliance de civilisations � telle que l'a propos� le panel de Haut niveau mis en place par le Secr�taire g�n�ral des Nations unies.
+Des id�es comparables ont �t� propos�es du c�t� fran�ais � nos partenaires d�but 2006, il convient d'en assurer le suivi. Dans cet exercice en cours de r�novation du processus de Barcelone, nous devrions organiser une concertation plus �troite avec nos partenaires europ�ens de la bordure m�diterran�enne, notamment l'Espagne et l'Italie.
+Les turbulences qui affectent le Moyen-Orient ont atteint un niveau de haute intensit� qui repr�sente pour les pays occidentaux, et plus sp�cialement pour l'Europe, de grands risques, notamment dans le domaine de la s�curit� au sens large du terme : accroissement du terrorisme, perturbations dans notre approvisionnement en hydrocarbures, attaques contre nos forces au Liban, dislocation des Etats. En Afrique du Nord, o� la situation paraissait plus contr�l�e, les menaces tendent �galement � se renforcer.
+Traditionnellement tr�s pr�sente dans cette r�gion qui lui est si proche, la France, face � une �volution si pr�occupante, se doit d'�tre active, c'est-�-dire pas seulement r�active comme elle a tendu � l'�tre au cours de la p�riode r�cente. Pour �tre une ann�e � risques, 2007 peut �galement constituer une ann�e d'opportunit�s qu'il nous appartient de saisir en nous exprimant sans inhibition sur ce que nous pensons �tre juste ou raisonnable dans les diff�rentes situation de crises ou de conflits et en usant pleinement du clavier des moyens dont nous disposons. En reprenant ainsi l'initiative, nous aurions avantage � agir en partenariat avec ceux qui, en Europe, partagent nos pr�occupations dans une d�marche prenant, bien entendu, en compte le fait que les Etats Unis demeurent pour la r�gion un acteur incontournable.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les travaux descriptifs qui sont faits sur les propositions subordonn�es circonstancielles concernent essentiellement celles qui ont un verbe conjugu� � un mode personnel. Ils font abstraction des subordonn�es participiales, (d�sormais SP) qui sont reconnues dans l'exemple suivant : le chat parti, les souris dansent. Beaucoup de grammaires de r�f�rence ignorent cette construction (Wagner et Pinchon 1991), d'autres la m�connaissent (Wilmet, 1997). Celles qui l'�voquent l'expliquent en la mettant en �quivalence avec une subordonn�e circonstancielle conjonctive en d�s que ou lorsque : d�s que le chat est parti, les souris dansent (Grevisse 1993 ; Riegel et al 1994).
+Dans leur analyse, les grammaires qui parlent de la construction avancent l'id�e que son proc�s est ant�rieur � celui de la proposition qui l'h�berge (d�sormais PH), en pr�cisant que la construction peut �tre indiff�remment pr�c�d�e par des �l�ments comme une fois, sit�t, aussit�t, et que le participe peut �tre pr�c�d� de l'auxiliaire �tant. C'est �galement la position d'A. Borillo (2006 : 5) dans son �tude sur les structures participiales � pr�dication seconde. Elle avance l'explication suivante :
+� On peut constater que l'absence du marqueur temporel est parfois possible, sans r�elle modification du sens de l'�nonc�, si ce n'est que sit�t, aussit�t, et � peine ajoutent effectivement une pr�cision d'imm�diatet� et que une fois souligne de mani�re explicite la relation d'ant�riorit� d'une premi�re �ventualit� par rapport � une autre. Une fois le texte r�dig�, il fallut le taper sur un stencil ; le texte r�dig�, il fallut le taper sur un stencil. Sans marqueur temporel, le sens reste tr�s proche, de m�me que les r�gles de construction : le participe pass� est celui d'un verbe construit avec le verbe �tre, qui doit �tre interpr�t� avec une valeur passive si le verbe est transitif, avec une valeur active si le verbe est inaccusative �.+
L'objectif de mon propos est de montrer que, pour mieux comprendre le fonctionnement de la SP, celle-ci doit �tre analys�e, non pas dans le cadre de la phrase, mais dans le cadre du discours. En effet, comme B. Combettes (1993) l'a montr�, les constructions d�tach�es sont des �l�ments qui assurent la continuit� th�matique du discours. Elles reprennent, en g�n�ral, des r�f�rents contenus dans le contexte ant�rieur. En tant que telle, la SP peut difficilement avoir un r�f�rent nouveau. Elle a en g�n�ral un r�f�rent qui est d�j� pr�sent dans le discours. Il para�t donc difficile de se contenter de l'analyse phrastique pour rendre compte de ce type de construction. B. Combettes (1993 : 39 - 40) l'a soulign� : � La construction d�tach�e appara�t [...] comme un constituant dont le fonctionnement d�pend autant, sinon plus, de contraintes textuelles, de facteurs discursifs, que de caract�ristiques strictement syntaxiques : le pr�dicat r�duit qu'elle constitue se comporte en fait comme un pr�dicat interm�diaire, passage entre deux �nonc�s, qui prolonge le contexte de gauche dans une fonction de maintien d'un r�f�rent th�matique. �
+Dans une analyse discursive, � partir d'un corpus constitu� d'exemples tir�s de la litt�rature du XIXe si�cle et de la presse contemporaine, je pose l'hypoth�se que, contrairement � ce qui est avanc� partout ailleurs, on n'est pas libre d'employer dans cette construction le participe pass� seul avec son sujet, avec un marqueur temporel, ou avec l'auxiliaire �tant. Chaque �l�ment introduit dans la SP - marqueur temporel ou auxiliaire �tant - r�pond � un imp�ratif discursif. Il s'agit de montrer donc qu'il y a trois types de SP au participe pass�, selon que le participe pass� est seul, qu'il est introduit par un marqueur temporel ou pr�c�d� de l'auxiliaire �tant. Mais avant de parler de ces trois types de SP, je m'int�resserai d'abord aux caract�ristiques de cette construction dans le cadre de la phrase.
+La SP au participe pass� se d�finit par le fait qu'elle constitue une construction p�riph�rique. Elle se trouve, en effet, � � l'�cart du r�seau syntaxique � (Le Goffic, 1993) de la PH, contrairement � l'analyse de Hanon (1989), qui estime que c'est un �l�ment de la rection verbale. Elle ne peut pas subir les manipulations syntaxiques d'un �l�ment r�gi par le verbe. Dans les exemples suivants :
+Le chat parti, les souris dansent+
Le chat �tant parti, les souris dansent,+
La construction participiale ne peut pas �tre mise en extraction, ou recevoir une modalit� du verbe comme la n�gation restrictive :
+? C'est le chat parti que les souris dansent.+
? Les souris ne dansent que le chat parti+
? C'est le chat �tant parti que les souris dansent+
? Les souris ne dansent que le chat �tant parti.+
En revanche, comme l'a montr� Blanche-Benveniste (1998), il suffit que la SP soit introduite par un marqueur temporel comme une fois pour qu'elle entre dans la sph�re du verbe. Avec ce marqueur, la SP peut servir de r�ponse � une question :
+Quand est-ce-que tu partiras ? - Une fois le match termin�.+
Elle peut recevoir la n�gation restrictive, comme dans ces exemples attest�s :
+++Mondial 2006 : la FIFA impose un arr�t sur l'image. Les sites internet ne pourront pas diffuser plus de cinq photos de chaque mi-temps. Maigre, tr�s maigre. D'autant que ces photos ne pourront �tre publi�es qu'une fois le match termin�. (Lib�ration, 03 - 03 - 06, p.20)
+
En suivant l'analyse de Blanche-Benveniste, ce marqueur temporel est un �l�ment � stabilisateur �, qui donne � la SP une autonomie syntaxique en l'int�grant dans la rection verbale.
+Toutes ces analyses de la SP sont faites � partir de la phrase. Et pourtant, pour plusieurs raisons, la phrase, comme cadre d'analyse des ph�nom�nes grammaticaux, est remise en cause depuis quelques d�cennies (Marcello-Nizia 1979 ; Berrendonner 1989, 1991, 2002). Parmi les nombreuses critiques formul�es contre cette � institution � grammaticale (S�guin 1993), il y a la notion d'autonomie. En effet, depuis longtemps, la phrase est d�finie comme � une unit� grammaticalement autonome �. Or, selon Marcello-Nizia (1979), d'un point de vue strictement grammatical, cette autonomie ne se justifie pas. Car, pour expliquer les temps verbaux ou pour rendre compte du discours rapport�, par exemple, on a besoin d'unit�s sup�rieures � la phrase. D'un point de vue linguistique, l'autonomie de la phrase pose probl�me �galement. Plusieurs raisons expliquent cela.
+D'abord, certains �l�ments int�gr�s � la sph�re du verbe peuvent �tre s�par�s de celui-ci par un point (Oui, c'est curieux parce que j'ai l'impression de vivre une autre vie. Sur une autre plan�te. / Et 40 ans plus tard, il choisit sa voie, sa vie. D�finitivement. Exemples emprunt�s � Blanche-Benveniste 1993).Ensuite, beaucoup de linguistes comme F. Rastier (1994) estiment qu'en syntaxe il est important d'accorder beaucoup d'importance � la s�mantique, ce qui fait qu'il semble difficile d'analyser une phrase sans tenir compte des phrases qui la pr�c�dent ou qui la suivent. Pour F.Rastier, l'autonomie de la phrase est dangereuse, car � cette solitude de la phrase entraine toutes sortes d'ambig�it�s s�mantiques comme syntaxiques. � En accordant � la s�mantique la place qu'elle m�rite, F. Rastier pense que ces ambig�it�s seraient lev�es : � la conservation en m�moire de pr�somptions s�mantiques permettrait d'�viter les ambig�it�s lexicales, et par l�, de limiter les ambig�it�s syntaxiques�. Par ailleurs, les travaux qui ont �t� faits sur la coh�sion du texte, entre autres ceux de B. Combettes (1990), M. Charolles et B. Combettes (1999), M. Charolles (2001) montrent que la phrase ne peut pas vivre en solo. On ne peut pas la couper de son contexte d'apparition, parce que, d'apr�s B. Combettes et M. Charolles (1999), � au sein du discours, les phrases entretiennent des liens de coh�sion qui contribuent � sa ...texture et les relations entre phrases qui participent � la mise en place de cette texture sont marqu�es par des expressions ou des constructions qui ont pour fonction de les exprimer.�
+En analysant la SP dans son contexte, j'essayerai de montrer que celui-ci joue un r�le important dans le choix du type de SP � employer.
+Comme je l'ai annonc� plus haut, la SP constitue une construction th�matique. Elle a le plus souvent un sujet qui reprend ce qui a �t� dit pr�c�demment dans le discours. Les s�quences suivantes en t�moignent :
+Jour d'adoubement. Fran�ois Hollande sera r��lu ce soir premier secr�taire du Parti socialiste. Le vote des militants, qui se d�roule entre 18 et 22 heures, rel�ve de l'exercice impos� : le d�put�-maire de Tulle est le seul candidat � sa succession � la t�te du PS. Premier secr�taire, Fran�ois Hollande l'est depuis 1997, quand Lionel Jospin, nomm� Premier ministre, lui a confi� les cl�s de la rue de Solferino, le si�ge parisien du parti. Phrase f�tiche de l'�poque, prononc�e par Jospin devant quelques �quadras� socialistes : Hollande �est le meilleur, le plus brillant et le plus politique d'entre vous�. Six ans plus tard, Jospin parti, voil� Hollande pour la premi�re fois en situation de montrer qu'il m�rite le compliment (Lib�ration, 23 - 05 - 03).+
Chaque ann�e, le repas de No�l des �coles est pl�biscit� par les �l�ves. Pour cette 3e �dition d�localis�e � l'espace Barbara, jeudi, ce fut un succ�s qui va en s'amplifiant puisqu'ils �taient 300 � prendre place autour des tables dans une ambiance festive. �lus, membres des associations de parents d'�l�ves, personnel communal, b�n�voles, ils �taient nombreux � s'�tre mobilis�s pour que tout soit parfait. Marco, Gr�gory et leurs assistantes du restaurant scolaire ont r�gal� leurs h�tes en concoctant un menu alliant poissons et volailles avec la traditionnelle b�che de No�l. Cette � d�localisation � est possible gr�ce � une s�rie de prouesses que l'on doit en partie aux services techniques et � tous ceux qui oeuvrent en coulisses. Car une fois le repas termin�, la salle doit �tre pr�te pour le spectacle. (Le Progr�s, 22 - 12 - 07)+
Hortense fit un signe � sa m�re pour la rassurer ; car elle se proposait de dire au valet de chambre de renvoyer monsieur Steinbock quand il se pr�senterait. Mais, le valet de chambre �tant sorti, Hortense fut oblig�e de faire sa recommandation � la femme de chambre, et la femme de chambre monta chez elle pour y prendre son ouvrage afin de rester dans l'antichambre (Balzac, La Cousine Bette).+
Dans ces trois exemples, on voit que la SP est th�matique. Elle contient un terme qui est d�j� pr�sent dans le discours. Dans ce qui suit, je vais essayer de montrer que chaque type de SP a ses sp�cificit�s.
+Ce type de SP se caract�rise par le fait que ce n'est pas seulement le sujet qui est th�matique, mais c'est l'ensemble de la construction. Elle reprend un proc�s qui est d�j� mentionn� dans le discours, et qui est pr�sent� comme d�j� accompli. Reprenons la s�quence (5) :
+Jour d'adoubement. Fran�ois Hollande sera r��lu ce soir premier secr�taire du Parti socialiste. Le vote des militants, qui se d�roule entre 18 et 22 heures, rel�ve de l'exercice impos� : le d�put�-maire de Tulle est le seul candidat � sa succession � la t�te du PS. Premier secr�taire, Fran�ois Hollande l'est depuis 1997, quand Lionel Jospin, nomm� Premier ministre, lui a confi� les cl�s de la rue de Solferino, le si�ge parisien du parti. Phrase f�tiche de l'�poque, prononc�e par Jospin devant quelques �quadras� socialistes : Hollande �est le meilleur, le plus brillant et le plus politique d'entre vous�. Six ans plus tard, Jospin parti, voil� Hollande pour la premi�re fois en situation de montrer qu'il m�rite le compliment (Lib�ration, 23 - 05 - 03).+
La SP Jospin parti est constitu� seulement du participe pass� et de son sujet. Ce n'est pas seulement le mot Jospin qui est repris, c'est l'ensemble de la SP. Elle constitue une reformulation d'un �v�nement qui est d�j� �voqu� pr�c�demment. En effet, dans la troisi�me phrase de la s�quence, on nous parle de 1997, date � laquelle Hollande devient Premier secr�taire du PS, � quand Lionel Jospin, nomm� Premier ministre, lui a confi� les cl�s de la rue Solferino �. Si Jospin confie � Hollande les cl�s du PS, cela signifie tout simplement que Jospin est parti. La SP est une reprise de ce qui a d�j� �t� dit. Il n'y a aucune information nouvelle dans cette construction, comme dans toutes les SP de ce type. Entre le contexte ant�rieur et la SP, nous avons ici ce que Laurence Danlos (2004) appelle une relation de G�n�ralisation. Dans un article sur les relations temporelles entre deux proc�s qui �voquent le m�me �v�nement, cette linguiste distingue deux types de relation de cor�f�rence �v�nementielle : une relation de Participation et une relation de G�n�ralisation. Dans la premi�re, le deuxi�me �nonc� apporte une information nouvelle, dans la seconde, le deuxi�me �nonc� n'apporte aucune information nouvelle. Son propos est illustr� respectivement par les exemples suivants :
+Fred a sali un v�tement. Il a t�ch� une chemise.+
Fred a t�ch� une chemise. Il a donc sali un v�tement.+
Dans (6), le premier �nonc� n'a pas sp�cifi� quel type de v�tement a �t� sali. Le groupe nominal une chemise constitue donc une information nouvelle. En revanche, dans (7), le mot v�tement reprend, par la relation d'hyp�ronymie, le mot chemise, donc aucune information nouvelle n'a �t� donn�e. Alors, pourquoi reprendre ce qui a �t� d�j� dit ? Laurence Danlos r�pond : � Par d�finition, une reformulation ne peut pas apporter d'information nouvelle, mais elle peut pr�senter un �v�nement sous un nouveau jour, par exemple si le locuteur a l'intention de forger des liens avec d'autres donn�es, [comme dans cet exemple] : Fred a assassin� Sue. Il a donc commis un crime pour lequel il sera jug� devant les Assises �. Nous voyons ici que la reformulation de la deuxi�me phrase permet d'introduire facilement la proposition subordonn�e : il sera jug� aux Assises � partir du crime qu'il a commis.
+Si on regarde le fonctionnement de (7) on s'aper�oit qu'il peut �tre rapproch� de celui de (5), car dans les deux cas, on reprend la m�me chose. Dans (5), le locuteur nous a inform�s que Jospin est parti depuis la troisi�me phrase de la s�quence. Donc si la SP est l�, ce n'est pas pour nous apporter une information nouvelle. On peut justifier cela par le fait que la SP peut �tre supprim�e de la s�quence sans probl�me, et aucune information ne serait diminu�e.
+Jour d'adoubement. Fran�ois Hollande sera r��lu ce soir premier secr�taire du Parti socialiste. Le vote des militants, qui se d�roule entre 18 et 22 heures, rel�ve de l'exercice impos� : le d�put�-maire de Tulle est le seul candidat � sa succession � la t�te du PS. Premier secr�taire, Fran�ois Hollande l'est depuis 1997, quand Lionel Jospin, nomm� Premier ministre, lui a confi� les cl�s de la rue de Solferino, le si�ge parisien du parti. Phrase f�tiche de l'�poque, prononc�e par Jospin devant quelques �quadras� socialistes : Hollande �est le meilleur, le plus brillant et le plus politique d'entre vous�. Six ans plus tard, voil� Hollande pour la premi�re fois en situation de montrer qu'il m�rite le compliment.+
Pour montrer que le comportement de la SP de cette s�quence n'est pas un fait isol�, prenons un autre exemple :
+L'odeur du charbon et le r�le provenaient d'une mansarde situ�e au dessus des deux pi�ces dont se composait son appartement ; elle supposa qu'un jeune homme nouvellement venu dans la maison, et log� dans cette mansarde � louer depuis trois ans se suicidait. Elle monta rapidement, enfon�a la porte avec sa force de Lorraine en y pratiquant une pes�e, et trouva le locataire se roulant sur un lit de sangle dans les convulsions de l'agonie. Elle �teignit le r�chaud. La porte ouverte, l'air afflua, l'exil� fut sauv� (Balzac, La Cousine Bette)+
Ici encore, la SP est une reformulation de ce qui a �t� dit pr�c�demment. En effet, lorsque la jeune femme monte rapidement l'escalier, enfonce la porte avec sa force, puis trouve le locataire sur un lit, cela signifie tout simplement que la porte est ouverte puisqu'elle est entr�e dans la pi�ce. Le lecteur n'a pas besoin de lire la SP pour le savoir. Donc la SP ne contient rien de nouveau, c'est ce qui explique pourquoi elle peut �tre supprim�e sans faire du mal � la s�quence :
+L'odeur du charbon et le r�le provenaient d'une mansarde situ�e au dessus des deux pi�ces dont se composait son appartement ; elle supposa qu'un jeune homme nouvellement venu dans la maison, et log� dans cette mansarde � louer depuis trois ans se suicidait. Elle monta rapidement, enfon�a la porte avec sa force de Lorraine en y pratiquant une pes�e, et trouva le locataire se roulant sur un lit de sangle dans les convulsions de l'agonie. Elle �teignit le r�chaud. L'air afflua, l'exil� fut sauv�.+
Il est � signaler que le proc�s du contexte ant�rieur qui permet de comprendre la reformulation de la SP n'est pas forc�ment inscrit dans le texte. Il peut �tre absent du texte, tout en �tant pr�sent dans le discours, comme dans la s�quence suivante :
+A peine nomm� � la t�te du conseil g�n�ral, Patrick Devedjian, �galement secr�taire g�n�ral d�l�gu� de l'UMP depuis le 22 mai dernier, a voulu poser sa griffe sur l'organisation des lieux. Nicolas Sarkozy parti, le nouveau patron du d�partement a en effet adopt� quelques mesures imm�diates pour lib�rer l'h�tel du d�partement de certains carcans, parfois g�n�rateurs de conflits avec le personnel, impos�s par son pr�d�cesseur alors ministre de l'Int�rieur (Le Parisien, 11 - 06 - 07).+
Dans cette s�quence, la SP Nicolas Sarkozy parti est en premi�re mention dans le texte sans l'�tre dans le discours. Si Devedjian devient secr�taire g�n�ral d�l�gu� de l'UMP le 22 mai, tout le monde sait que c'est en remplacement de Nicolas Sarkozy, devenu officiellement pr�sident de la R�publique le 16 mai. Le lecteur du journal est au courant de cela, soit parce qu'il l'a lu dans les num�ros pr�c�dents du m�me journal ou qu'il l'a entendu � la radio ou � la t�l�. C'est pour cela que l'auteur de l'article juge inutile de le rappeler. Mais cette SP fonctionne de la m�me mani�re que les deux autres que j'ai examin�s plus haut : elle n'apporte aucune information nouvelle. En la supprimant, la s�quence ne perd rien au niveau informationnel :
+A peine nomm� � la t�te du conseil g�n�ral, Patrick Devedjian, �galement secr�taire g�n�ral d�l�gu� de l'UMP depuis le 22 mai dernier, a voulu poser sa griffe sur l'organisation des lieux. Le nouveau patron du d�partement a en effet adopt� quelques mesures imm�diates pour lib�rer l'h�tel du d�partement de certains carcans, parfois g�n�rateurs de conflits avec le personnel, impos�s par son pr�d�cesseur alors ministre de l'Int�rieur.+
Dans tous ces exemples, si la SP est pr�sente dans la s�quence, c'est juste pour forger un lien entre ce proc�s et celui de la PH. Nous verrons cela dans la section suivante. Mais ce qu'il y a � signaler ici, c'est que dans ces trois exemples que nous avons analys�s, si la SP peut recevoir l'auxiliaire �tant, elle ne peut pas �tre introduite par un marqueur temporel. L'introduction d'un marqueur temporel rendrait la s�quence incoh�rente, parce que le marqueur temporel, comme nous le verrons, n'est pas compatible avec un proc�s accompli. La s�quence suivante est difficilement acceptable :
+(8a) ?? L'odeur du charbon et le r�le provenaient d'une mansarde situ�e au dessus des deux pi�ces dont se composait son appartement ; elle supposa qu'un jeune homme nouvellement venu dans la maison, et log� dans cette mansarde � louer depuis trois ans se suicidait. Elle monta rapidement, enfon�a la porte avec sa force de Lorraine en y pratiquant une pes�e, et trouva le locataire se roulant sur un lit de sangle dans les convulsions de l'agonie. Elle �teignit le r�chaud. La porte �tant ouverte, l'air afflua, l'exil� fut sauv� (Balzac, La Cousine Bette)+
Je vais maintenant m'int�resser � la relation de discours qu'il y a entre la SP et la phrase qui l'h�berge.
+Il y a certainement une relation de Narration, parce que nous avons des �v�nements qui se succ�dent : dans (5), le d�part de Jospin pr�c�de le fait que Hollande doit montrer qu'il m�rite le compliment de l'ancien premier ministre. Dans (8), l'ouverture de la porte pr�c�de le fait que l'air afflue. Mais il me semble qu'il y a plus qu'une relation de Narration. En effet, A. Borillo (2001), dans un article sur les connecteurs temporels et la structuration du discours, a expliqu� que le connecteur aussit�t, lorsqu'il est plac� en t�te du deuxi�me proc�s d'une phrase peut exprimer, en plus de la relation de Narration, une relation qu'il a appel�e � Cons�cutivit� � : le deuxi�me proc�s ne suit pas seulement le premier ; il est compris �galement comme r�sultant du premier, comme dans l'exemple qui suit :
+Il se leva pour demander la parole. Aussit�t le silence se r�tablit.+
Si le silence se r�tablit, c'est en r�action par rapport � celui qui s'est lev� pour prendre la parole. Il y a silence parce qu'on veut �couter celui qui veut s'exprimer.
+Il me semble que la relation entre le proc�s de la SP et celui de la PH est la m�me que celle qui est d�crite ci-dessus. En plus de la relation de Narration, on a �galement une relation de Cons�cutivit�. Dans (8), le fait que l'air afflue est une r�action � l'ouverture de la porte, comme dans (9) le fait que Devedjian a adopt� quelques mesures imm�diates pour lib�rer l'h�tel du d�partement de certains carcans est une r�action au d�part de Nicolas Sarkozy.
+J'ai essay� de montrer que la SP sans auxiliaire et sans marqueur temporel est une construction qui est en cor�f�rence �v�nementielle avec un proc�s �voqu� dans le contexte ant�rieur. Elle entretient une relation de G�n�ralisation avec ce proc�s. Elle peut �tre supprim�e de la s�quence sans faire du mal � celle-ci, mais elle ne peut pas �tre introduite par un marqueur temporel. Avec la phrase qui l'h�berge, elle entretient une relation de Cons�cutivit� en plus de la relation de Narration.
+L'emploi d'un marqueur temporel devant la SP n'est pas fortuit. Plusieurs facteurs aident � son introduction dans le discours. D'abord, on trouve un marqueur temporel lorsque la SP n'indique pas une reformulation par rapport au contexte ant�rieur. Il ne s'agit pas non plus d'une information nouvelle. Si le proc�s de la SP ne se trouve pas mentionn� dans le contexte ant�rieur, il est sous entendu. C'est ce qu'on peut remarquer dans la s�quence qui suit :
+C'est la catastrophe de Tchernobyl qui sera l'�l�ment d�clencheur de son engagement dans la vie politique. Au d�but des ann�es 1990, il s'impliquera dans le probl�me de l'eau courante de la ville dont le taux de nitrates d�passait tr�s largement les normes. Une fois le probl�me r�gl�, face aux odeurs naus�abondes g�n�r�es par le lagunage de l'entreprise chimique pharmaceutique Simafex, il d�posera les statuts de l'association l'Asema au sein de laquelle il occupera le poste de secr�taire. (Sud Ouest, 14 - 11 - 07)+
Dans cette s�quence, on voit que le sujet de la SP est une anaphore fid�le, parce que le mot probl�me est pr�sent dans la phrase pr�c�dente, mais pas le proc�s r�gler. Seulement, celui-ci est sous entendu. C'est que quand on annonce qu'il y a un probl�me de l'eau parce que le taux de nitrates d�passe les normes, on attend que ce probl�me soit r�gl�. Le marqueur temporel est l� pour permettre au proc�s de la SP d'�tre accompli, ce qui est une condition n�cessaire pour la SP au participe pass�, puisqu'il est reconnu que c'est un proc�s ant�rieur � celui de la PH. Ce qui est nouveau dans la SP introduite par le marqueur temporel, c'est le fait que celui-ci installe le proc�s de la SP dans l'aspect accompli.
+Par ailleurs, le marqueur temporel est introduit lorsque la s�quence �voque des proc�s inaccomplis. Le marqueur installe une signification aspectuelle importante. C'est ce qui se passe dans la s�quence suivante :
+Etant donn� le succ�s de l'ann�e derni�re, l'association Danse en L�vezou a d�cid� d'organiser une nouvelle rencontre avec les Musica�res del Pais. Cette soir�e aura lieu le dimanche 18 novembre. A partir de 16 heures on pourra venir danser gratuitement � la salle des f�tes de V�zins. A 20 heures, un repas sera servi o�, pour 10 euros, on pourra manger p�t�, aligot, saucisse, fromage et g�teau � la broche. Sit�t le repas termin�, la musique reprendra ses droits. (Midi Libre, 15 - 11 - 07)+
Ici, la phrase qui pr�c�de celle qui contient la SP parle d'un repas qui sera servi. C'est un proc�s �voqu� dans le futur. La PH est aussi dans le futur : la musique reprendra ses droits. Le marqueur temporel sit�t devient donc n�cessaire dans la s�quence, parce qu'il permet de montrer l'ant�riorit� du proc�s de la SP par rapport � celui de la PH.
+Dans toutes les s�quences contenant ce type de SP, nous avons une relation de Narration entre le proc�s du contexte ant�rieur et celui de la Proposition h�bergeante. Ce type de SP se caract�rise par le fait qu'elle n'est pas supprimable de la s�quence, contrairement � la SP sans marqueur temporel. Sa suppression nous laisserait une s�quence incompl�te. Le fait que le proc�s de la SP entre dans une relation de Narration fait que sa suppression laisserait un vide dans le discours, comme dans (12a) :
+?? A partir de 16 heures on pourra venir danser gratuitement � la salle des f�tes de V�zins. A 20 heures, un repas sera servi o�, pour 10 euros, on pourra manger p�t�, aligot, saucisse, fromage et g�teau � la broche. La musique reprendra ses droits. (Midi Libre, 15 - 11 - 07)+
Nous avons vu que le proc�s de la SP sans marqueur temporel entretient une relation de Cons�cutivit� avec la phrase qui l'h�berge. Il arrive quelques fois que cette relation de Cons�cutivit� ne soit pas au rendez-vous. A ce moment l� on utilise le marqueur temporel pour asseoir l'ant�riorit� du proc�s de la SP par rapport � celui de la phrase h�bergeante. Lorsqu'on lit (13),
+Chaque ann�e, le repas de No�l des �coles est pl�biscit� par les �l�ves. Pour cette 3e �dition d�localis�e � l'espace Barbara, jeudi, ce fut un succ�s qui va en s'amplifiant puisqu'ils �taient 300 � prendre place autour des tables dans une ambiance festive. �lus, membres des associations de parents d'�l�ves, personnel communal, b�n�voles, ils �taient nombreux � s'�tre mobilis�s pour que tout soit parfait. Marco, Gr�gory et leurs assistantes du restaurant scolaire ont r�gal� leurs h�tes en concoctant un menu alliant poissons et volailles avec la traditionnelle b�che de No�l. Cette � d�localisation � est possible gr�ce � une s�rie de prouesses que l'on doit en partie aux services techniques et � tous ceux qui oeuvrent en coulisses. Car une fois le repas termin�, la salle doit �tre pr�te pour le spectacle. (Le Progr�s, 22 - 12 - 07)+
On s'aper�oit que la SP est en cor�f�rence �v�nementielle avec les phrases pr�c�dentes : quand le locuteur dit que les restaurateurs ont r�gal� leurs h�tes, cela signifie que le repas a �t� consomm�, donc termin�. Puisqu'on observe une relation de G�n�ralisation entre la SP et le contexte ant�rieur, on penserait que la porte est ouverte pour une SP sans marqueur temporel. Mais non ! Cela n'est pas suffisant. Il faut �galement que le proc�s de la PH soit le r�sultat de celui de la SP. Et dans cette s�quence, le fait que la salle doit �tre pr�te pour le spectacle ne constitue pas un r�sultat de l'action de terminer le repas. D'o� la n�cessit� du marqueur temporel une fois. On aurait du mal � employer la SP sans marqueur temporel dans cette situation. La s�quence suivante ne me para�t pas naturelle :
+�lus, membres des associations de parents d'�l�ves, personnel communal, b�n�voles, ils �taient nombreux � s'�tre mobilis�s pour que tout soit parfait. Marco, Gr�gory et leurs assistantes du restaurant scolaire ont r�gal� leurs h�tes en concoctant un menu alliant poissons et volailles avec la traditionnelle b�che de No�l. Cette � d�localisation � est possible gr�ce � une s�rie de prouesses que l'on doit en partie aux services techniques et � tous ceux qui oeuvrent en coulisses. Car le repas termin�, la salle doit �tre pr�te pour le spectacle.+
Le marqueur temporel est employ� aussi lorsque la s�mantique du verbe de la SP ne se pr�te pas � ce type de construction. Nous avons signal� que le proc�s de la SP a un caract�re r�sultatif. Des verbes comme partir, finir, terminer �voquent cela dans leur s�mantisme. Mais beaucoup de verbes n'ont pas ce caract�re r�sultatif. Pour pouvoir �tre employ�s dans la SP, ces verbes doivent �tre introduits par un marqueur temporel, celui-ci �tant seul � pouvoir leur donner ce caract�re r�sultatif. (14) en est une illustration :
+Tromp�. Rares sont les candidats qui effectuent publiquement un mea culpa. Or, � peine les premiers r�sultats connus, J.M. le Pen a reconnu son erreur. En r�alit�, il s'agissait davantage d'une r�action d'amertume et de mauvaise humeur face au revers �lectoral subi par le Front National qu'� un r�el acte de contrition. � Je me suis tromp�, a-t-il dit. Les fran�ais sont tr�s contents ; ils viennent de r��lire confortablement les responsables de la situation du pays. � (Le Monde, 24 - 04 - 07, 14)+
Dans cette s�quence, le proc�s de la SP, conna�tre, n'est pas r�sultatif. Il serait difficile de l'employer seul dans ce type de construction. C'est pour cela que le marqueur � peine est employ�. Celui-ci apporte � la SP la dose aspectuelle n�cessaire lui permettant de s'inscrire comme ant�rieur au proc�s de la PH. Ce marqueur n'est pas supprimable, sinon on risque d'avoir une construction qui n'est pas naturelle, comme (14a) :
+?? Tromp�. Rares sont les candidats qui effectuent publiquement un mea culpa. Or, les premiers r�sultats connus, J.M. le Pen a reconnu son erreur. En r�alit�, il s'agissait davantage d'une r�action d'amertume et de mauvaise humeur face au revers �lectoral subi par le Front National qu'� un r�el acte de contrition. � Je me suis tromp�, a-t-il dit. Les fran�ais sont tr�s contents ; ils viennent de r��lire confortablement les responsables de la situation du pays �.+
Ce parcours nous montre que l'emploi d'un marqueur temporel devant une SP est dict� par beaucoup de facteurs : le contexte de gauche, la phrase h�bergeante et la nature du proc�s lui m�me.
+Comme pour la SP introduite par le marqueur temporel, celle qui contient l'auxiliaire �tant ne s'emploie pas au hasard. Dans la plupart des cas, l'auxiliaire �tant intervient lorsque la SP apporte une information nouvelle au discours. Cette information nouvelle peut se trouver � plusieurs niveaux de la SP.
+Le proc�s de la SP peut introduire une information nouvelle. C'est ce qu'on a dans l'exemple (7), que nous reprenons :
+Hortense fit un signe � sa m�re pour la rassurer ; car elle se proposait de dire au valet de chambre de renvoyer monsieur Steinbock quand il se pr�senterait. Mais, le valet de chambre �tant sorti, Hortense fut oblig�e de faire sa recommandation � la femme de chambre, et la femme de chambre monta chez elle pour y prendre son ouvrage afin de rester dans l'antichambre (Balzac, Cousine Bette).+
Dans la premi�re phrase, on nous dit qu'Hortense � proposait de dire au valet de chambre de renvoyer monsieur Steinbock quand il se pr�senterait �. Cela signifie qu'Hortense croyait que le valet se trouvait � la maison. Contre toute attente, le valet est sorti. C'est une information inattendue, donc nouvelle dans le discours. La SP ne peut pas appara�tre seule ici, ni introduite par un marqueur temporel.
+?? Hortense fit un signe � sa m�re pour la rassurer ; car elle se proposait de dire au valet de chambre de renvoyer monsieur Steinbock quand il se pr�senterait. Mais, une fois le valet de chambre sorti, Hortense fut oblig�e de faire sa recommandation � la femme de chambre, et la femme de chambre monta chez elle pour y prendre son ouvrage afin de rester dans l'antichambre (Balzac, Cousine Bette).+
?? Hortense fit un signe � sa m�re pour la rassurer ; car elle se proposait de dire au valet de chambre de renvoyer monsieur Steinbock quand il se pr�senterait. Mais, le valet de chambre sorti, Hortense fut oblig�e de faire sa recommandation � la femme de chambre, et la femme de chambre monta chez elle pour y prendre son ouvrage afin de rester dans l'antichambre (Balzac, Cousine Bette).+
C'est l'auxiliaire qui s'impose dans ce type de situation. Entre la SP et le contexte ant�rieur, nous avons une relation de Contraste, qui est d'ailleurs signal�e par le connecteur mais. Dans (15) nous avons le m�me ph�nom�ne :
+Mardi, apr�s l'heure du d�jeuner, un restaurateur de la Grand-Combe a violemment frapp� son employ�e. Sous l'emprise de l'alcool (3 grammes), il lui a intim� l'ordre de lui pr�parer son repas. Son service �tant termin�, la jeune fille a refus� et s'est attir� les foudres de son employeur.+
Dans la deuxi�me phrase de la s�quence, le restaurateur donne l'ordre � son employ�e de lui pr�parer son repas. Ensuite, dans la SP on nous dit que le service de la jeune femme est termin�. Il y a une relation de Contraste entre la SP et ce qui pr�c�de. Car le restaurateur peut � la rigueur demander � son employ�e de lui faire son repas avant la fin de son service, mais pas apr�s. Ici encore, la SP ne peut appara�tre que si elle est pr�c�d�e de l'auxiliaire.
+L'information nouvelle que peut avoir la SP ne vient pas seulement du fait que le proc�s est inattendu. Il peut s'agir aussi d'une pr�cision sur les circonstances du proc�s, comme dans (16) :
+Rappel des faits. S�ance de tirs au but � la fin du derby entre GE Servette et FR Gott�ron (3 - 2 tab). Geoffrey Vauclair, le capitaine des Dragons, d�pose un prot�t. La motivation des Fribourgeois? Selon eux, l'arbitre aurait d� accorder un but sur le penalty d'Antti Laaksonen, Gianluca Mona ayant d�plac� sa cage sur cette action. Le lendemain, hier donc, FR Gott�ron n'avait toujours pas confirm� sa protestation aupr�s de la National League (NL). Le match s'�tant termin� � 22 h 10, Serge Pelletier doit agir avant 10 h 09, ce matin, s'il veut saisir la comp�tence du juge unique, Reto Steinmann. Le fera-t-il? �Je dois encore y r�fl�chir�, souffle l'homme de banc de Saint-L�onard. Mais tout porte � croire - c'est en tout cas le voeu du pr�sident Daniel Baudin - que Gott�ron jettera l'�ponge.+
Dans cette s�quence, ni le proc�s, ni le sujet ne constituent une information nouvelle. Dans les phrases pr�c�dant la SP, on informe que l'�quipe qui a perdu a d�pos� un prot�t. Cela s'est d�roul� apr�s que le match soit termin�. L'information nouvelle se trouve dans la circonstance temporelle du proc�s, � savoir 22h 10. C'est ce compl�ment temporel qui exige l'introduction de l'auxiliaire, sinon on aurait pu avoir facilement une SP sans auxiliaire. Ceci explique pourquoi toutes les SP sans auxiliaire et sans marqueur temporel n'ont pas de compl�ments. Parce que celui-ci apporterait une information nouvelle. Elles sont form�es seulement du sujet et du proc�s.
+Il arrive quelques fois que le sujet m�me de la SP soit en premi�re mention dans le discours, qu'il soit pr�c�d� d'un d�terminant ind�fini. A ce moment l�, la SP encore ne peut pas appara�tre sans l'auxiliaire, comme dans cette s�quence :
+Avec la SNCF tout est possible! Apr�s les probl�mes occasionn�s ces jours de gr�ve par la SNCF aux Rivesaltais utilisant ses trains pour aller travailler � Perpignan, ces derniers esp�raient �tre tranquilles pour quelques jours... H�las, hier matin � 8 h 14, aucune information n'�tant donn�e, ces habitu�s de la ligne attendaient leur train bien annonc� sur le panneau d'affichage automatique du quai. En fait, avec 10 minutes de retard le train arriva, entra en gare... (L'Ind�pendant, 13 - 12 - 07)+
Dans le contexte de gauche de cette s�quence il n'y a aucune allusion � la notion d'information. Le sujet de le SP est donc une information nouvelle, d'o� la pr�sence de l'auxiliaire. Ici encore, l'auxiliaire ne peut �tre supprim�, et on ne peut introduire un marqueur temporel.
+L'auxiliaire �tant permet donc aux SP qui apportent une information nouvelle d'appara�tre sur la surface du discours.
+A travers cet examen de la SP dans le discours, j'ai montr� qu'on ne doit pas parler d'une SP au participe pass�, qui pourrait �tre indiff�remment introduit par un marqueur temporel ou pr�c�d� de l'auxiliaire �tant. On doit parler de plusieurs types de SP au participe pass�. Le premier est celui o� la SP est seule - sans marqueur temporel et sans auxiliaire. Elle a un contenu qui est d�j� �voqu� dans le contexte de gauche et se distingue par le fait qu'elle est supprimable. Le deuxi�me contient un marqueur temporel, qui est l� pour insister sur le caract�re ant�rieur du proc�s de la SP par rapport � la PH, et, � ce titre, ce type de SP est n�cessaire au fonctionnement du discours. Le troisi�me type est celui dont le participe est pr�c�d� de l'auxiliaire �tant. On le rencontre lorsque la SP apporte une information nouvelle dans le discours, ce qui fait qu'elle ne peut �tre supprim�e sans porter pr�judice � la s�quence.
+ +libre de droits
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+La grammaire actuelle a du mal � articuler la syntaxe traditionnelle aux investigations plus r�centes des � analyses de discours �, que d�veloppent la linguistique �nonciative (interactionniste) et la linguistique textuelle, second�e par la psycholinguistique. Ces difficult�s sont encore plus marqu�es en FLE que dans le domaine du FLM. Afin de comprendre les raisons de ces difficult�s int�gratives g�nantes tant sur le plan th�orique que sur le plan didactique, nous explorerons les contraintes h�rit�es du structuralisme de Saussure et les d�bordements paradigmatiques �nonciatifs et textuels que devait in�vitablement g�n�rer ce cadre trop restreint. Ce parcours pr�alable mettra en �vidence l'origine �pist�mologique de l'h�t�rog�n�it� actuelle des domaines grammaticaux, mais aussi le paradoxe de leur compl�mentarit� indissociable du point de vue cognitif (d�veloppement ontologique et gestion mentale du langage). Il sera alors possible de justifier les principes d'une reformulation descriptive articulant l'h�ritage syntaxique aux fonctions �nonciative et de structuration du texte, tant au niveau de la globalit� textuelle qu'au niveau des moyens grammaticaux qui en permettent l'�laboration (lexique, connecteurs, syst�me verbal, pronoms / renominalisations, syntaxe phrastique, unit�s de structure du texte).
+Muriel Barbazan
+ +Laboratoire Jacques-Lordat Universit� Toulouse-Le Mirail muriel.barbazan@univ-tlse2.fr
+ +La grammaire, plus encore en fran�ais langue �trang�re (FLE) qu'en fran�ais langue maternelle (FLM), a du mal � se pr�senter comme un domaine homog�ne, qui articule de fa�on pertinente l'h�ritage traditionnel et les avanc�es r�centes de la linguistique �nonciative et des grammaires de texte. Si le FLM semble �tre en meilleure voie de r�organisation (Garcia-Debanc et al. 2001), le FLE a des difficult�s � int�grer en un syst�me coh�rent des notions �nonciatives ou textuelles encore trop parcellis�es, et qui ne sont pas reli�es aux connaissances grammaticales traditionnelles : on est face � une juxtaposition de plusieurs syst�mes, sans fil conducteur permettant de rep�rer dans cet ensemble un cheminement coh�rent. Il faudrait pouvoir sortir de cette impression � d'embo�tement de diff�rents dispositifs d'organisation de la langue, du discours � l'�nonc�, du texte � la phrase, m�me si l'on ne sait pas encore tr�s bien comment s'articulent dimension discursive ou �nonciative et dimension formelle de l'organisation de la langue � (Vigner 2004, 86). Un des d�fis actuels pos�s au grammairien est donc de tenter d'homog�n�iser ces divers courants en une discipline plus coh�rente. Tant que ce n'est pas fait, l'apprenant n'a pas d'autre choix que d'essayer d'articuler comme il peut ses connaissances entre elles :
+ +� Il appartiendra toujours aux �l�ves d'�tablir les liaisons n�cessaires entre ces diff�rents niveaux d'organisation de la langue (du discours aux �l�ments de la phrase ou inversement), l'essentiel �tant de proposer des activit�s qui faciliteront cette mise en relation. � (Vigner 2004, 86)+
Ce point de vue nous para�t tout de m�me un peu d�faitiste, car il revient � situer la didactique en aval de mod�lisations qui ne concernent pas la seule linguistique. Deux raisons semblent justifier un point de vue plus optimiste quant au devenir et aux ambitions de la grammaire : la premi�re est que la voie a �t� ouverte par la grammaire de FLM. Ainsi, l'articulation �nonciation / texte / phrase fait d�j� l'objet d'une probl�matisation engag�e par de nombreux chercheurs linguistes et / ou didacticiens, et ces efforts int�gratifs se sont traduits dans les programmes et les manuels de FLM. La seconde raison, c'est que les �changes interdisciplinaires peuvent faciliter le cheminement r�flexif en mettant par exemple au service du didacticien et du linguiste des connaissances solides en psychologie cognitive (traitement du texte - ou ici � discours � - en compr�hension et production, processus d'apprentissage et activation des connaissances en m�moire etc.). La pluridisciplinarit� peut ainsi permettre de mieux contr�ler la rigueur de la d�marche, et de rep�rer certains �cueils qu'un �clairage unidisciplinaire ne permettrait pas de voir.
+ +Si l'on a cette impression g�n�rale de manque de coh�rence interne, c'est parce que les modalit�s de fonctionnement linguistique d�crites dans les domaines envisag�s rel�vent de paradigmes diff�rents. Les linguistiques �nonciatives et textuelles se sont construites en s'opposant aux postulats immanentiste et phrastique du structuralisme originel. Pour autant, l'�nonciation et le texte ne se sont pas imm�diatement reconnus l'un l'autre pour s'int�grer a priori dans un cadre de travail conjoint unifi�. L'unification d'un parcours grammatical passe vraisemblablement par l'�tablissement d'un cadre d'investigation suffisamment large pour int�grer les pr�suppos�s �nonciatifs et textuels, tout en absorbant les connaissances formul�es en grammaire traditionnelle. Parfois, comme on va le voir, un simple changement d'�clairage permet de r�tablir certaines proportions s�mantiques, exag�r�ment hypertrophi�es par le point de vue traditionnel. Dans cette perspective, il est utile de partir d'assez loin : on fera ainsi un rappel de l'h�ritage immanentiste, descriptif et phrastique pour montrer les forces d'inerties que ce paradigme g�n�re, et qui contribuent � freiner voire � bloquer les tentatives d'int�grer de mani�re globale les dimensions �nonciatives et textuelles dans le champ linguistique. On pourra alors mieux comprendre les raisons du manque d'homog�n�it� des domaines couverts par la grammaire (phrase / texte / �nonciation), pour proposer ensuite des perspectives d'homog�n�isation.
+L'un des objectifs majeurs du structuralisme h�rit� de Saussure a �t� de situer la r�flexion linguistique dans l'abstraction d'un cadre axiomatiquement ferm�, celui de la langue � en soi et pour soi �, en �vacuant � l'ensemble h�t�roclite des faits de langage �. Et notamment, l'utilisation m�me du syst�me de la langue, en tant qu'elle implique de prendre en compte des individus parlant, rel�ve des avatars de la parole, et ne constitue pas � ce titre l'objet premier de la linguistique. En d'autres termes, il s'agit d'appr�hender la langue en dehors de son usage, ce qui ne peut pas manquer de plonger dans la perplexit� quiconque admet que les interactions men�es par le biais du langage font cognitivement partie int�grante de ses propri�t�s, dont elles servent � forger les repr�sentations conceptuelles (Vigotsky 1934, Bruner 1983, Mondada / Pekarek 2000)
+ +Par ailleurs, en �vacuant d'embl�e la fonction communicative du langage hors du champ d'investigation linguistique, on a implicitement confirm� la repr�sentation d�j� bien �tablie qui veut que la fonction premi�re de la langue soit de r�f�rer au monde, par l'interm�diaire du � signe �, descriptible dans son aboutissement selon la trilogie signifi� / signifiant / r�f�rent. L'id�alisme artificiel de cette position a �t� d�nonc� tant au niveau linguistique (Berrendonner 1981, 36ss ; Kleiber 1997) qu'en psychologie, notamment par les psychologues gestaltistes. Avant m�me de mettre en question l'absence d'ancrage �nonciatif pr�sum� pour la fonction r�f�rentielle (ou d�notative), nous nous contentons ici de souligner l'hypertrophie artificielle de cette fonction au sein du structuralisme.
+ +Pour compl�ter la port�e r�ductrice et contraignante de ce paradigme de la � langue � et du � signe �, on notera que la combinatoire des signes entre eux, � savoir la morphosyntaxe et la syntaxe ne d�passe pas les limites de la phrase. Le texte et ses composantes structurelles propres ne font pas a priori partie des interrogations linguistiques.
+ +Ces trois contraintes paradigmatiques : l'artificielle opposition langue / parole assortie de l'hypertrophie d'une fonction r�f�rentielle illusoirement autonome et de l'�troitesse du cadre phrastique p�sent encore lourdement dans l'inconscient collectif des linguistes et des didacticiens.
+ +� cet h�ritage immanentiste, il nous para�t n�cessaire de r�pondre par un engagement fonctionnaliste clairement revendiqu�, un fonctionnalisme qui n'oppose pas syntaxe (plus ou moins formelle) et s�mantique, et qui ne se focalise pas sur la fonction informative du langage et sa dimension r�f�rentielle. Ce point de vue rejoint celui de Charolles et Combettes :
+ +� Dans les derni�res d�cennies, sous la pression de mod�les g�om�triques de la syntaxe, on a sans doute eu tendance � pr�senter la grammaire sous un angle excessivement structuraliste, en oubliant que les principes qui gouvernent l'agencement des morph�mes au sein de la proposition et de la phrase ont aussi, et probablement, avant tout, une port�e fonctionnelle et une origine cognitive. � (Charolles et Combettes 2001, 139, c'est nous qui soulignons)+
L'adoption d'un point de vue fonctionnaliste a d'ailleurs �t� r�guli�rement revendiqu�e d�s l'�mergence du courant �nonciatif, et notamment par Benveniste, consid�r� comme un des initiateurs de ce courant r�actif au postulat immanentiste en France :
+ +� L'�nonciation est cette mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation. � (Benveniste 1974, 80)+
Dans la lign�e de Benveniste, la parution de l'�nonciation de Kerbrat-Orecchioni (1980) constitue un jalon de l'av�nement du cadre �nonciatif. Elle y souligne le caract�re fondamentalement fonctionnel du langage, impossible � appr�hender en excluant a priori les acteurs du discours, et poursuit l'exploration de l'inscription �nonciative au sein m�me de cat�gories lexicales et grammaticales.
+ +Pour autant, comme on va le voir, la constitution d'une � analyse du discours �, envisag�e comme un champ englobant � la fois le domaine �nonciatif et le domaine textuel, ne s'est pas impos�e en corr�lation avec une extension ou une red�finition paradigmatique explicite. Il est alors utile de mettre en �vidence quelques options et paliers int�gratifs notoires marquant l'avanc�e de ces champs d'analyse dans le domaine linguistique pour mieux comprendre l'inertie que constitue encore l'h�ritage du structuralisme immanentiste et des habitudes conceptuelles plus ou moins conscientes qu'il nourrit. Sous l'�clairage de ces options et tournants constitutifs de la linguistique �nonciative et textuelle actuelle, on peut esp�rer mieux cerner les difficult�s auxquelles achoppe la constitution d'une grammaire r�ellement discursive.
+ + +Devant l'irr�pressible ascension du courant �nonciatif, diverses options ont �t� envisag�es pour r�soudre l'embarras que pose la transmission de l'h�ritage structuraliste tout en r�glant la succession de la fa�on la plus �conomique possible, pour ce qui est de son int�gration � un nouveau paradigme.
+ +L'option apparemment la plus simple consiste � proclamer un lien �nonciatif fondamental rattachant les productions linguistiques au locuteur / r�cepteur tout en r�int�grant les repr�sentations s�mantiques traditionnelles telles quelles ou "relook�es" sous une apparence plus s�duisante au plan �nonciatif. La gestion de l'h�ritage se fait apparemment � moindre co�t et se limite pratiquement � des red�nominations terminologiques superficielles : la � phrase � devient � �nonc� �, le � texte� devient � discours �. Mais les b�n�fices d'une telle manipulation sont � la hauteur de l'investissement th�orique. Force est de constater qu'il ne suffit pas de d�cr�ter que le locuteur et �ventuellement le r�cepteur sont int�gr�s au mod�le pour qu'ils le soient. Un indice de leur �vanescence est bien que rien d'autre n'a concr�tement chang� sinon le d�cret de leur pr�sence : le fond de la description linguistique s'articule selon des rouages identiques, et le cadre �nonciatif revendiqu� s'apparente plus � une proclamation politique qu'� une modification paradigmatique effective. L'int�gration d'un locuteur id�alis� dans la comp�tence chomskienne n'a g�n�r� qu'un mince d�calage par rapport au concept fondateur de la langue structuraliste. On peut �voquer ici
+ +aussi le fonctionnalisme "minimaliste" de Martinet, qui certes met l'accent sur la fonction de communication du langage, mais qui retrouve de fait les r�ductions h�rit�es du pass� : d'abord, la communication envisag�e est essentiellement informative, au d�pend des autres fonctions du langage. Cette restriction a pour effet de conserver un �clairage focalis� sur la dimension r�f�rentielle / descriptive du langage - qui r�f�re � une r�alit� extra-linguistique pr�-existant au message - au d�pend de l'analyse des effets de sens effectivement li�es � l'activit� communicative du producteur et du r�cepteur. Corr�lativement, et de fa�on coh�rente dans cette perspective, le code est assimil� � un instrument servant � la transmission de messages ind�pendamment des particularit�s �nonciatives des acteurs linguistiques. On r�cup�re de fait la partition langue / parole :
+ +� [...] le message est assimil� � une r�alit� quasi-mat�rielle pr�-existant � la communication, comme un objet qui passerait de main en main [...]. A ce compte [...], les r�gles d'organisation des messages selon le code de la langue peuvent �tre �tudi�es ind�pendamment des activit�s d'encodage et de d�codage. � (Fuchs et Le Goffic 1992, 131)+
Dans un champ connexe � ces tentatives timidement �mancip�es des postulats h�rit�es du pass�, il existe une perspective d'analyse plus engag�e dans la voie d'une s�mantique qui se pr�occupe d'avantage de l'impact de la situation de production / r�ception sur la construction du sens des �nonc�s. Cette voie, encore emprunt�e aujourd'hui, consiste � faire le pari de la conservation possible d'un signifi� de langue, en le consid�rant comme la signification � premi�re �, ou � litt�rale � de l'�l�ment linguistique concern�.� cette base s�mantique fondamentale envisag�e hors discours, on ajoute des compl�ments de signification d'ordre pragmatique (couvrant le domaine �nonciatif) � partir des informations particuli�res � une situation de production donn�e. Il faut bien voir que dans cette perspective, on conserve intact le signifi� linguistique h�rit�. Ducrot (1991), dans son avant-propos � la troisi�me �dition de Dire et ne pas dire (1972), rappelle qu'il avait revendiqu� ce type de mod�le � l'�poque de la premi�re parution de cet ouvrage. L'objectif �tait donc de d�fendre
+ +� l'id�e qu'il y a, dans la construction du sens, un moment strictement linguistique, o� l'on attribue une va leur � la phrase, et un second, que j'appelais "rh�torique", o� cette premi�re valeur interagit avec la situation. �+
Il s'agissait bien d'� imaginer, peut-�tre m�me construire une machine compos�e de deux modules, [...] bien d�limit�s : l'un traitait tout ce qui vient de la langue, c'est-�-dire tout ce qui est inscrit dans la phrase que l'�nonc� r�alise, l'autre combinait les r�sultats du premier avec les donn�es du contexte et de la situation, et arrivait � reconstruire le sens effectif" de l'�nonc�, tel que l'"observation" l'avait r�v�l�. � (Ducrot 1991, Avant-propos)+
Pourtant, entre les dates de parution des deux �ditions cit�es et � la suite du d�veloppement de ce mod�le bi-polaire, Ducrot constate que la distinction entre les deux modules n'est plus aussi �vidente :
+ +� � force d'�tre travaill�es, ces distinctions ont perdu l'heureuse nettet� d'autrefois : les limites se sont mises+ +
� trembler. � (ibid.)
+Ces difficult�s sont loin d'�tre anodines, car ce peut �tre le signe que le fonctionnement effectif du langage r�siste � ce principe dualiste qui devait permettre de conserver intact les acquis du pass� : la langue comme syst�me de signes, repr�sent�e par la composante � strictement linguistique � et l'int�gration a posteriori d'un module rh�torique distinct, d�pendant de donn�es particuli�res � chaque situation de production (cf. Ducrot 1991, 111s) . Cette repr�sentation s�mantique modulaire, dite � th�orie en Y � par Berrendonner, se heurte � l'existence d'�l�ments linguistiques impliquant pr�cis�ment du sens �nonciatif dans leur signification premi�re, litt�rale (cf. Berrendonner 1981, 13). Dans ce cas effectivement, l'opposition sens en langue / sens en situation n'a plus lieu d'�tre. Elle g�n�re notamment le paradoxe de cat�gories linguistiques comme les indiciels (les pronoms ou les adverbes d�ictiques par exemple) qui constituent des �lots s�mantiques dont le signifi� implique un lien � une situation d'actualisation, quelle qu'elle soit - alors qu'on se trouve dans un mod�le qui postule pr�cis�ment des signifi�s litt�raux hors du
+ +champ de l'actualisation du langage. D�s 1980, Kerbrat-Orecchioni rencontre une incompatibilit� int�grative de ses propres r�sultats dans ce mod�le. Elle �voque en l'occurrence la cat�gorie des lex�mes qui renvoient dans leur signification m�me � une position �valuative n�gative de l'�nonciateur par rapport au contenu r�f�rentiel.
+ +� Faut-il en conclure que le trait de d�valorisation dont ils sont porteurs rel�ve de la composante pragmatique ? Mais ce trait �valuatif est proprement indissociable des autres ingr�dients descriptifs du s�m�me. Doit-on admettre la possibilit�, pour une m�me unit� de contenu, de jouer � la fois sur les deux tableaux s�mantique et pragmatique ? � (Kerbrat-Orecchioni 1997, 199)+
Cette derni�re question, qui nous para�t aujourd'hui centrale, sera r�envisag�e plus loin. On peut faire pour l'instant un bilan interm�diaire concernant l'origine de l'h�t�rog�n�it� des domaines grammaticaux. La syntaxe traditionnelle est profond�ment marqu�e par le postulat immanentiste, dans lequel on ne peut pas int�grer certains � �lots � �nonciatifs qui r�sistent dans leur signification et leur fonctionnement � la dissociation langue / usage de la langue. De plus, ce qui a paru d'abord pouvoir �tre consid�r� comme des �lots somme toute restreints (les verbes performatifs et les actes � d�claratifs � au sens de Searle, les d�ictiques, les registres de langage familiers ou standard...) s'est transform� progressivement en continent �nonciatif et textuel. Si l'h�ritage du pass� doit �tre capitalis�, ce n'est donc vraisemblablement pas dans un cadre dissociant fondamentalement la langue comme syst�me en soi de son utilisation par les usagers.
+ +Dans ce parcours exploratoire de l'articulation des fonctions r�f�rentielle et �nonciative du langage, il est int�ressant de souligner un effet de "balancier �pist�mologique" qui conduit Benveniste � nier le contenu r�f�rentiel des pronoms personnels, envisag�s dans leur seule fonction de supports �nonciatifs n�cessairement actualis�s. Kerbrat-Orecchioni rel�ve ainsi cette �tonnante et c�l�bre affirmation :
+ +� Les pronoms [...] ne renvoient ni � un concept ni � un individu. � (Benveniste 1966, 261)+
Comme le fait remarquer Kerbrat-Orecchioni (1997, 44), � on peut contester l'expression de "formes vides" qu'utilise Benveniste au sujet des pronoms �. Ils ont effectivement bien un sens conceptuel : je par exemple renvoie au producteur de l'�nonc� dans lequel appara�t son occurrence. Peu importe si le r�f�rent n'est pas fixe ni intrins�quement identifiable hors du discours. La rectification est effectivement n�cessaire, et si cette affirmation para�t surprenante de la part de Benveniste, elle peut s'expliquer en r�action � l'id�al r�f�rentiel objectiviste, qui postule un r�f�rent stable hors du discours contre lequel s'insurge ainsi Benveniste. Comme on le voit, cette d�finition exclusivement �nonciative des pronoms n'est pas seulement anecdotique, et elle tout nous para�t symptomatique d'une difficult� toujours actuelle : comment envisager le signifi� des �l�ments linguistiques ? Comment articuler le langage comme trace de la relation �nonciateur / r�cepteur et le langage comme outil de r�f�rence au monde (r�el ou imaginaire) ? Si le processus �nonciatif laisse des traces dans le produit de l'�nonciation, il faut pourtant que les �l�ments linguistiques qui servent de support � ces effets de sens int�grent dans leurs signifi�s un trait s�mantique responsable de ces effets.
+ +Pour conclure ce parcours rapide d'un probl�me h�rit� de longue date, il appara�t qu'il est encore courant de privil�gier une distinction exclusive entre ces deux p�les. Soit on met l'accent sur la fonction r�f�rentielle (renvoyant au monde extra-linguistique) en retrouvant la trilogie signifi� / signifiant / r�f�rent d�velopp�e d'ailleurs de fa�on tr�s fine jusque dans la th�orie des prototypes (Dubois 1993), soit on se pr�occupe de la fonction �nonciative de certains outils linguistiques, sans n�cessairement articuler au sein m�me des signifi�s ce sens �nonciatif � leur sens r�f�rentiel. La solution th�orique initi�e par Ducrot ne fait que souligner ce hiatus essentiel, sans le r�soudre. Peut-�tre faudrait-il reconna�tre que l'on s'enferre dans une dichotomie artificielle entre deux fonctions s�mantiques compl�mentaires et irr�ductibles l'une � l'autre. Ce sont ces deux fonctions qu'il faut arriver � r�concilier pour homog�n�iser enfin le champ grammatical, abandonn� dans l'�ther de l'immanentisme et le champ �nonciatif, largement d�velopp� par les linguistes et didacticiens interactionnistes, mais sur des chemins le plus souvent assez �loign�s d'une franche volont� de rassembler sous un m�me paradigme l'ensemble des domaines grammaticaux (cf. V�ronique / Vion 1995, Arditty / Vasseur 1999, et bien s�r la revue AILE) . C'est � ce prix que l'on pourra esp�rer r�pondre � cette question parall�le qui nous pr�occupe sur le versant grammatical en didactique : comment homog�n�iser les repr�sentations d�contextualis�es de la grammaire et les connaissances issues des recherches effectu�es en linguistique �nonciative et textuelle ?
+La premi�re �poque de la linguistique �nonciative a permis de faire enfin vaciller le cadre immanentiste traditionnel en osant remettre en question la distinction langue / parole (ou comp�tence / performance) par une revendication de la
+� mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation � (Benveniste 1974, 80)+
Si une voie �nonciative s'est ainsi ouverte, on est encore loin du dialogisme revendiqu� par F. Jacques (1979, 1985), qui milite pour la prise en compte corr�lative de l'�nonciateur et du r�cepteur. Mais l'impulsion essentielle est donn�e et on passe progressivement d'une conception monologique de l'�nonciation � une conception effectivement dialogique, qui met en �vidence dans les textes des traces de prise de position de l'�nonciateur par rapport au contenu de son discours, mais aussi en fonction du r�cepteur. Celui-ci joue un r�le de toute premi�re importance dans la constitution m�me du discours, tant sur la forme que sur le fond, � l'oral aussi bien qu'� l'�crit. Les travaux initi�s par Kerbrat-Orecchioni sur les interactions verbales ont �t� depuis lors largement suivis et suffisemment d�velopp�s pour qu'on n'y revienne pas ici en d�tail.
+� ce stade de la r�flexion, il est temps de se tourner vers deux questions qui prolongent logiquement celle de l'articulation de la langue et du champ �nonciatif : comment envisager la transition de la phrase au texte ? Comment articuler aussi les domaines �nonciatif et textuel ?
+Ainsi que le montrent Charolles et Combettes dans leur article d�j� cit� (2001, 124), le passage de la phrase au texte ne s'est pas fait sans heurt, et l'on ne peut d'ailleurs pas consid�rer qu'il soit abouti aujourd'hui. En effet, l'av�nement du texte s'est d'abord affirm� � travers une opposition stricte vis-�-vis de la grammaire phrastique : le texte
+� n'est pas une unit� grammaticale, mais une unit� "d'usage du langage" � (Halliday et Hasan 1976, 1 cit�s par Charolles et Combettes 2001, 122)+
Pourtant, ici encore, de nombreux aspects cognitifs justifient une prise en compte du texte comme unit� de fonctionnement � part enti�re, tant au niveau linguistique qu'au niveau didactique, et non comme simple juxtaposition de phrases. Sur la question des caract�ristiques structurales du texte, nous renvoyons aux travaux pionniers de Mandler / Johnson, van Dijk, Kintsch rassembl�s dans Denhi�re (1984), � la suite desquels il faut citer aussi les diverses publications de Adam (notamment 1992, 1999), Fayol (1985, 1997), Fayol et al. (1992), suffisamment connues aussi bien par les linguistes que par les didacticiens et les psychologues pour qu'elles puissent constituer un fond commun et ancrer une discussion pluridisciplinaire solide. En deux mots, la linguistique textuelle s'est attach�e � d�finir types et genres de textes, mais aussi � comprendre les particularit�s structurales d'unit�s constitutives des plans de textes, ainsi que leur articulation - c'est-�-dire la relation entre coh�rence s�mantique et coh�sion textuelle.
+Parall�lement � l'�mergence progressive d'une grammaire textuelle, au d�part peu soucieuse d'int�grer l'h�ritage phrastique et les pr�occupations descriptives de la grammaire traditionnelle, force est de constater que l'ouverture �nonciative, quant � elle, ne s'est pas pr�occup�e d'int�grer le texte dans la d�finition de son champ d'investigation. Au contraire, l'�nonciation se d�finit � ses d�buts en niant l'existence d'unit�s textuelles sup�rieures � la proposition :
+� La phrase [pour] Benveniste (1962/74), ne peut "entrer � titre de partie dans une totalit� de rang plus �lev�. Une proposition peut seulement pr�c�der ou suivre une autre proposition dans un rapport de cons�cution" (i.e. de successivit�) car "un groupe de propositions", autrement dit un discours, "ne constitue pas une unit� d'un ordre sup�rieur � la proposition" (p.129). � Charolles et Combettes (2001, 121)+
Si Benveniste n'exclut pas l'analyse de larges fragments linguistiques, c'est seulement pour mettre en �vidence
+� comment le sujet s'approprie l'appareil formel de la langue et �nonce sa position de locuteur par des indices sp�cifiques � (Benveniste, cit� par Charolles et Combettes 2001, 121)+
La distinction des registres �nonciatifs histoire et discours illustre les manifestations �nonciatives que l'on peut mettre en �vidence dans cette perspective, manifestations dont la g�n�ralit� tient effectivement au fait qu'elles ne sont pas associ�es � un plan de texte particulier. Cette dissociation entre perspective �nonciative et perspective textuelle, qui para�t aujourd'hui un peu excessive, n'est certes plus d'actualit�. Il est permis de penser qu'elle �tait une �tape n�cessaire � la constitution de deux domaines distincts, dont on a pu seulement ensuite mettre en �vidence la compl�mentarit�. Pour autant, la question cruciale pour le grammairien reste celle de l'articulation de l'h�ritage syntaxique � ces deux domaines, qui se d�veloppent par ailleurs actuellement dans une relation de fraternit� plus sereine, plus ou moins explicitement hors du cadre saussurien.
+Notre examen n�cessairement rapide de l'h�ritage linguistique, de la grammaire phrastique et d�contextualis�e aux champs �nonciatif et textuel, a permis de faire des hypoth�ses sur les raisons �pist�mologiques qui ont conduit � envisager de fa�on non int�grative ces trois domaines. Or, il appara�t que leur articulation dans un ensemble coh�rent est n�cessaire pour envisager les grandes lignes d'une grammaire discursive effectivement fonctionnelle. Mais avant d'aborder ce qui sera notre derni�re partie, il est int�ressant de rappeler bri�vement quels regards portent didacticiens et psychologues cognitifs sur ces difficult�s articulatoires h�rit�es de la linguistique. Nous ne ferons �videmment pas ici un historique de l'�volution des m�thodologies didactiques concernant la grammaire, que ce soit pour le FLE ou le FLM. Notre objectif est ici de cadrer les propositions faites en derni�re partie en soulignant certaines difficult�s essentielles rencontr�es dans le domaine de l'apprentissage / enseignement de la grammaire, mais aussi en �tablissant des rep�res cognitifs permettant de baliser le cheminement r�flexif.
+Nous avons d�j� �voqu� en introduction la perplexit� que g�n�re chez les grammairiens de FLE la tripartition h�t�rog�ne du domaine grammatical, per�ue comme un �clatement difficilement conciliable entre les p�les syntaxique, �nonciatif et textuel. Vigner (2004, 85) formule ainsi une difficult� th�orique que Besse et Porquier relevaient d�j� vingt ans auparavant :
+ +� Cette extension du champ grammatical � l'ensemble des manifestations de la prise de parole, � l'�change conversationnel ou aux diff�rentes formes d'�criture, peut inqui�ter toute personne soucieuse de rigueur dans la description des faits de langue. De nombreuses descriptions, dans tout ce qui se situe dans l'au-del� de la phrase, ou qui sont en relation avec le sujet �nonciateur, restent parfois trop ponctuelles ou trop sp�cifiques � un domaine d'usage pour pouvoir �tre g�n�ralis�es � d'autres. Aussi serait-on tent� de partager le point de vue d'H. Besse qui notait que : � ces descriptions, nouvelles mais encore tr�s parcellis�es, sont beaucoup plus pr�sentes dans les discours des linguistes et des th�oriciens de l'enseignement / apprentissage des langues que dans les manuels et les pratiques de classe, probablement parce qu'elles ont tr�s peu r�nov� les connaissances morphologiques traditionnelles ou structurales [...] � Besse 1984, 20. � (Vigner 2004, 85) .+
Nous avons explor� pr�c�demment les raisons qui ont fait que les connaissances morphologiques (et morpho-syntaxiques) traditionnelles ou structurales ont �t� peu r�nov�es par les apports �nonciatif et textuel. On verra aussi plus loin que les contributions de ces deux derniers domaines sont aujourd'hui loin d'�tre parcellaires, mais empi�tent de plus en plus sur le domaine pr�tendument d�contextualisable de la grammaire, comme la d�finition lexicale ou le fonctionnement de la phrase m�me.
+ +Les didacticiens du FLM ont abord� de fa�on plus frontale cette probl�matique que ne l'ont fait les sp�cialistes de FLE. C'est donc dans le champ de la didactique du FLM que l'on rencontre les avanc�es les plus nettes (cf. Vigner 2004, 86 et surtout Garcia-Debanc et al. 2001) . Maingueneau (2001, 16) rappelle que l'enseignement actuel en FLM � associe traditionnellement une analyse de la langue hors contexte, qui se tient en g�n�ral dans les limites de la phrase et que l'on a pris l'habitude de nommer "grammaire" [...] et que l'on met en contraste avec des activit�s centr�es sur l'�tude et la production de textes. � Dans cette derni�re perspective, qui donne � tout son poids � la notion de discours �, le langage est con�u � comme activit�, comme interactivit� �, tant au niveau du champ �nonciatif qu'au niveau de la constitution structurale des textes. Il ajoute que � la difficult� pour les didacticiens est de g�rer cette double polarit� �. Comment en effet articuler les activit�s grammaticales et les activit�s li�es aux textes, au � discours � ? D'autre part, dans le sens d'une n�cessaire mise en question de l'hypertrophique fonction r�f�rentielle (d�nonc�e plus haut au point 2.), Maingueneau constate :
+ +� le sort exceptionnel qui est r�serv� [au � ma�tre-mot � discours] tient aussi au fait qu'il permet de contester les conceptions "repr�sentationnistes" du langage jusqu'alors dominantes en linguistique comme en didactique des langues. �+
Il n'est gu�re �tonnant de retrouver sur le versant didactique des questions similaires � celles qui pr�occupent les linguistes. En deux mots, comment int�grer dans un cadre commun l'h�ritage structuraliste et les "�chapp�es paradigmatiques" �nonciatives et textuelles?
+ +En FLE, la question de la s�lection et de la pr�sentation des contenus grammaticaux d�pend davantage de postulats m�thodologiques d'enseignement / apprentissage (cadre audio-visuel, programme notionnel / fonctionnel et m�thodes communicatives, (cf. Puren 1988, Germain / Netten 1995) que du r�sultat d'une r�flexion particuli�re sur le fonctionnement du langage et sur le statut de la grammaire par rapport aux � �volutions � des descriptions linguistiques (Puren 1988, 8) ou aux � courants � �nonciatifs et pragmatiques (Cuq 1996, 125) . Mais si l'on a pr�cis�ment pour objectif de ne pas noyer les apprenants par un m�talangage abscons ou des descriptions grammaticales contre-intuitives ou m�me fausses, options notoirement contre-productives en FLE, il para�t utile de se poser la question de la formulation des contenus grammaticaux en amont de celle de leur didactisation telle qu'elle est actuellement envisag�e. Une re-marque de Besse et Porquier permet d'illustrer une de nos conclusions personnelles, tant au niveau de la description grammaticale que de l'enseignement du FLE : celle de se donner comme postulat de travail d'�tablir un lien n�cessaire entre la situation d'�nonciation et le fonctionnement grammatical du langage :
+ +� Le grammairien classique ne tient pas compte du contexte discursif dont l'�nonc� est extrait, ni plus largement de la situation de communication pour laquelle il a �t� con�u. [...] Et bien qu'adolescents et adultes soient, en principe, capables de saisir ce fonctionnement, nombre d'entre eux r�sistent, souvent non consciemment, � cette dissociation impos�e par l'activit� r�flexive grammaticale traditionnelle entre l'�nonciateur, ses conditions d'�nonciation et de r�ception, et l'�nonc� lui-m�me, simplement parce que cette dissociation n'est pas habituelle, "naturelle", dans l'usage ordinaire des langues [...]. � (Besse / Porquier 1984, 19)
+ +L'articulation essentielle de la grammaire et des p�les �nonciatifs / textuels est d'autant plus cruciale en didactique que les apprenants ne per�oivent pas intuitivement "l'existence" d'une langue d�contextualis�e - si tant est que l'on arrive � d�montrer en linguistique le bien-fond� de ce postulat, qui ne rel�ve pas de l'�vidence premi�re. Pourtant, depuis la parution de l'ouvrage de Besse / Porquier, il ne semble pas que l'on puisse observer de modification notoire concernant la d�contextualisation grammaticale (cf. Vigner 2004, 82) .
+ +Les approches communicatives n'�chappent pas � cette dichotomie �pist�mologiquement explicable mais peu fond�e cognitivement. Gaonac'h remarque dans ce sens que
+ +� le "communicatif" pr�sente ainsi fr�quemment une connotation oppositionnelle (sinon contradictoire) avec le linguistique. Ceci est particuli�rement crucial lorsqu'on traite de la "comp�tence de communication", qui peut appara�tre comme une comp�tence sans lien avec une comp�tence linguistique (c'est-�-dire portant sur le code linguistique). Cette dichotomie pose probl�me au psychologue, tout d'abord sur un plan th�orique tr�s g�n�ral. Si langage et communication sont ontologiquement li�s, d'un point de vue fonctionnel, on ne voit pas ce qui peut justifier de les �tudier s�par�ment, de les mesurer s�par�ment (tests de comp�tence de communication), de les enseigner s�par�ment (exercices communicatifs). � (Gaonac'h 1991, 177)+
Vigner regrette l'h�t�rog�n�it� existant en linguistique et l'absence de � grande th�orie dominante en langue qui permettrait, d'un coup de baguette magique, d'organiser en une totalit� coh�rente tout le pay-sage linguistique � parcourir. � (Vigner 2004, 157) . En l'absence d'une f�e, ou plus prosa�quement d'un paradigme de travail �tabli, pour � organiser la coh�rence � et �laborer une description fonctionnelle et pr�dictive en FLE, il nous semble judicieux de naviguer au plus pr�s de ce que l'on sait des processus de traitement cognitif du langage, et particuli�rement ici des processus de production de texte.
+ +Pour la production monologique (orale ou �crite), que l'on peut consid�rer comme �tant cognitivement plus complexe � g�rer que l'�change dialogu�, Fayol (1997, 84) met en �vidence deux domaines de gestion des informations en m�moire de travail. Il s'agit pour le producteur de g�rer en parall�le d'une part la lin�arit� de l'�mission linguistique et l'�laboration d'un plan de texte, en relation avec le contenu r�f�rentiel ; d'autre part, � la situation de production elle-m�me (les contraintes li�es � la situation d'�nonciation) et la prise en compte du destinataire �. On retrouve l�, au coeur des processus de traitement du langage, ces trois axes qui doivent selon nous �tre imp�rativement int�gr�s et articul�s si l'on vise une grammaire adapt�e � la production, notamment en FLE. Ces processus reposent sur l'acquisition de routines, dont on peut mettre en �vidence l'installation progressive pendant l'enfance et l'adolescence (Fayol 2001, 306ss), une acquisition que l'on souhaite �videmment favoriser par l'enseignement. On peut d�finir ces routines de traitement mental en termes de strat�gies de rep�rages d'indices congruents appartenant � des cat�gories vari�es (de dimensions et de natures diverses : outils grammaticaux, lexique). L'acquisition de ces routines consiste donc � mettre en place dans la m�moire � long terme des sch�mas correspondant � des "blocs de connaissance" concernant le fonctionnement du langage (cf. Fayol et al. 1992, 74ss) . Pour une meilleure efficacit� didactique, la description linguistique doit s'efforcer de correspondre au mieux � ce que l'on sait des processus de traitement mental des discours, quitte � remettre en question des habitudes descriptives balis�es par des grilles cat�gorielles r�ductrices.
+Sur la base de ces postulats, on peut r�sumer en un sch�ma les trois dimensions compl�mentaires � prendre en compte. Ce sch�ma g�n�ral ne surprendra personne en ce qui concerne la gestion du texte, envisag� en tant que � discours �. On y retrouve en effet les trois p�les progressivement mis � jour par l'exploration linguistique du fonctionnement du langage.
+ + +Il nous semble n�cessaire de souligner deux caract�ristiques essentielles de l'articulation de ces dimensions. D'une part, aucune des trois n'est plus importante que les autres : comme on l'a montr� plus haut, la surpond�ration accord�e traditionnellement � la fonction r�f�rentielle �tait artificielle. D'autre part, ces trois dimensions sont indissociables, au sens o� elles ne peuvent pas entrer en contradiction entre elles dans un texte coh�rent et en dehors d'un jeu langagier. Ce lien de coh�rence est symbolis� dans le sch�ma par les doubles fl�ches, liant chaque dimension aux deux autres. Pour la compr�hension des textes, comme pour la pr�diction en FLE, on peut alors s'appuyer sur cette coh�rence multi-dimensionnelle et d�velopper des strat�gies de rep�rage d'indices congruents relevant simultan�ment de ces trois dimensions. Ces faisceaux d'indices peuvent permettre de faciliter et de justifier des choix interpr�tatifs ou productifs. Ainsi que le souligne Gaonac'h :
+ +� Les strat�gies de rep�rage d'indices peuvent �tre consid�r�es comme des strat�gies de communication, dans la mesure o� elles consistent � �laborer des hypoth�ses qui sont support�es en fait essentiellement par des connaissances pr�alables (de contenu ou formelles) suppos�es partag�es par l'auteur et le lecteur. � (Gaonac'h 1991, 177)+
Dans ce contexte �pist�mologique, il semble alors justifi� de militer pour une grammaire textuelle, dont il faut d�finir bien s�r les modalit�s en fonction du niveau des apprenants, mais dont le principe para�t acquis. La compr�hension du fonctionnement du langage passe par une acquisition du fonctionnement du texte :
+ +� Produire un discours est, d'une certaine fa�on, plus facile que de produire une phrase, les contraintes discursives, si elles sont ma�tris�es suffisamment, pouvant constituer une aide dans la construction des phrases. � (Gaonac'h 1991, 186)+
On se trouve donc l� en opposition totale avec la grammaire traditionnelle, qui s'ouvre g�n�ralement par l'�tude des groupes syntaxiques (GN, GV...) et se limite souvent � la phrase.
+ + +Au terme de cet article, nous entrons ici dans la partie qui para�tra probablement la plus surprenante, dans la mesure o� elle remet en question la formulation bien �tablie des significations lexicales et grammaticales. La plupart du temps de fa�on explicite, on admet pour les outils grammaticaux des signifi�s renvoyant avant tout � un contenu d�notatif (r�f�rentiel). Ainsi, la fonction des pronoms est de renvoyer au r�f�rent install� dans le mod�le mental par leur ant�c�dent, les temps verbaux renvoient avant tout � du temps "physique" (fonctions temporelles et / ou aspectuelles), les adverbes et les conjonctions se d�finissent d'abord par leur contenu s�mantique. Quant � la phrase, elle est bien form�e si elle est r�f�rentiellement coh�rente, et elle est g�n�ralement envisag�e selon un mod�le de construction syntaxique standardis� et pr�sent� comme "neutre" par rapport � d'autres constructions "�nonciativement marqu�es" (comme si toute production linguistique n'�tait pas marqu�e par la situation d'�nonciation, m�me celles qui se veulent les plus standardis�es). Concernant le lexique, sa fonction premi�re est �videmment r�f�rentielle aussi, et s'il est marqu� �nonciativement, on restreint cette fonction aux registres de langage (populaire, familier, standard et soutenu / litt�raire). Parall�lement, si l'on veut signaler certaines fonctions �nonciatives ou textuelles de ces domaines linguistiques, on le fait dans un second temps et surtout sans relier ces fonctions s�mantiques secondaires au signifi� des �l�ments linguistiques d�clencheurs de ces effets desens. � charge pour l'apprenant de tenter une homog�n�isation de l'ensemble (Vigner 2004, 86). C'est ainsi que se constitue une cat�gorie �nonciative h�t�rog�ne : les registres histoire / discours des temps verbaux, les registres de langage (familier, soutenu...), les modalit�s, le rep�rage de la polyphonie, comme le discours indirect libre par exemple, les actes de langage... Au niveau textuel r�gne la m�me h�t�rog�n�it�.
+ +� Comment en effet faire comprendre aux �l�ves que, lorsqu'il s'agit de l'analyse des textes, il peut �tre utile de regrouper sous la m�me �tiquette de connecteurs un vaste ensemble d'expressions que la grammaire de phrase range dans des cat�gories diff�rentes (conjonctions, adverbes, groupes pr�positionnels, interjections) ? � (Charolles / Combettes 2001, 119)+
De la m�me fa�on, le traitement textuel de l'anaphore regroupe diverses cat�gories que � la taxinomie grammaticale distingue soigneusement � (ibid.). (Charolles / Combettes 2001, 119).
+ +Nous avons vu plus haut qu'une entr�e discursive dans la grammaire �tait justifi�e cognitivement. On voit ici qu'elle est fond�e aussi dans la perspective d'une pr�sentation homog�ne des cat�gories d'expressions linguistiques. L'homog�n�isation des trois fonctions essentielles � articuler dans l'usage du langage peut �tre efficacement compl�t�e par l'exploitation du sch�ma s�mantique propos� plus haut � tous les niveaux fonctionnels. On fait l� l'hypoth�se que ces fonctions cognitives fondamentales dans la gestion du langage s'articulent pour organiser les signifi�s des expressions linguistiques au niveau syntaxique (temps verbaux, connecteurs, constructions phrastiques...), mais aussi plus largement au niveau lexical. Dans le cadre restreint de cet article, nous nous limiterons � illustrer de fa�on sommaire l'int�r�t descriptif de cette int�gration s�mantique.
+ +Notre parcours exploratoire du fonctionnement des temps verbaux (Barbazan 2002, 2004, 2006...) nous a conduite � envisager un signifi� pour les formes verbales similaire � celui que nous avons propos� plus haut pour le texte. Cette repr�sentation s�mantique est inspir�e de la proposition de Le Ny (1979), qui nous s�duit autant par sa rigueur que par sa souplesse de fonctionnement puisqu'elle permet de rendre compte de l'�mergence des variations s�mantiques contextuelles tout en d�finissant un invariant conceptuel (cf. Barbazan 2006, 133ss) . Le choix de cette repr�sentation s�mantique a bien s�r �t� motiv� par une exploration de l'�ventail des valeurs contextuelles tr�s diverses prises par les temps du pass�, notamment. Cette exploration �tait d'une part guid�e par notre activit� d'enseignement du FLE, en Allemagne comme en France, et d'autre part par le refus de tout a priori th�orique concernant le sens fondamental des temps (notamment l'adoption onomasiologique d'un paradigme temporel, aspectuel ou au contraire �nonciatif, cf. Weinrich 1973). La conclusion g�n�rale de cette �tude pr�alable et n�cessaire � l'adaptation grammaticale a �t� que les temps verbaux distribuent leurs valeurs s�mantiques selon trois axes : fonctions r�f�rentielle, �nonciative et textuelle, irr�ductibles les unes aux autres. En d'autres termes, si les temps verbaux servent effectivement � r�f�rer � du temps (chronologique ou aspectuel), ainsi que le pr�voit de fa�on hypertrophi�e la perspective traditionnelle, ils sont aussi porteurs d'indices concernant la situation �nonciative (Barbazan 2002, 2006, 2007b) et servent � d�marquer des parties de texte. Dans cette perspective par exemple, le choix exclusif entre le pass� compos� (ou pass� simple) d'une part et l'imparfait d'autre part peut s'expliquer par une situation en d�but de 'paragraphe' (s�quence ou �pisode) pour les deux premiers, qu'il faut opposer � la fonction de coh�sion intra-s�quentielle pour l'imparfait (Barbazan 2006, 343ss) . Une description traditionnelle focalis�e exclusivement sur le temps ou l'aspect ne permet pas de rendre compte des contextes �nonciatif et textuel, surtout dans une perspective de didactique du FLE (Barbazan 2007a, � para�tre b et c) .
+ +Nous entendons par connecteur une classe couvrant diverses cat�gories h�t�rog�nes de la grammaire traditionnelle (adverbes, conjonctions, groupes pr�positionnels, interjections...). Que les connecteurs jouent un r�le essentiel dans la gestion de la structure textuelle ne fait plus de doute aujourd'hui, r�le �videmment en relation avec leur contenu r�f�rentiel. En corr�lation avec cette fonction textuelle, ils ont aussi un r�le �nonciatif. Certains indices, comme le changement de place syntaxique, ou l'environnement s�mantique permettent d'activer certains traits du signifi�, relevant de telle ou telle dimension de sens (cf. Le Ny 1979, 181ss) : ainsi, l'adverbe bien peut �tre "adverbe de mani�re", c'est-�-dire activer au premier plan son sens r�f�rentiel (J'ai bien dormi). Il peut devenir "modalisateur" �nonciatif (� force de s'acharner, il a bien fini par avoir son bac � effectivement), avec dans ce cas une variation de contenu d�notatif. Il peut aussi, en d�but de partie de texte, marquer une charni�re de la structure textuelle (Bien, apr�s cette partie pr�liminaire, passons au vif du sujet).
+ +Une conjonction comme et, envisag�e g�n�ralement dans une perspective phrastique, joue aussi un r�le textuel, par exemple comme signal de reprise vocale du narrateur apr�s un fragment au discours indirect libre (Bally, repris par Vuillaume 2000, Barbazan 2008 � para�tre a) . On peut aussi lui trouver des emplois pour lesquels la dimension �nonciative est mise en avant : utilis� dans un texte de fa�on particuli�rement r�p�titive, il peut �tre un indice d'une production d'enfant.
+ +Faute de place, nous ne d�veloppons pas la multi-fonctionnalit� des pronoms, ni de la syntaxe phrastique. On trouvera cependant dans Confais (2001) une illustration convaincante du r�le textuel de la pronominalisation comme marquage coh�sif, � l'int�rieur d'une unit� textuelle, oppos�e � la renominalisation (le r�emploi du nom) situ�e aux charni�res structurales dont elle est un indice. Ce r�le justifie que les pronoms soient inclus dans la classe des connecteurs. Parall�lement, de nombreux emplois sont motiv�s par un choix �nonciatif (le choix de nous pour je dans cet article par exemple). Quant � la phrase, l'analyse de sa structure syntaxique peut �tre interpr�t�e tant au niveau �nonciatif que textuel. Dans le premier domaine s'int�grent tous les ph�nom�nes de segmentation, ou de topicalisation, notamment. L'analyse �nonciative de la syntaxe phrastique peut �tre mise en corr�lation avec le genre de texte ou le type s�quentiel dans lequel elle se situe. Et dans le domaine textuel, on trouve aussi les ph�nom�nes d�bordant le cadre phrastique, comme les constructions d�tach�es d�crites par exemple par Charolles et Combettes, dans leur article d�j� cit� (2001, 129).
+La grammaire traditionnelle adopte une attitude ambigu� au regard du lexique. D'une part, on consid�re qu'il est connexe au domaine qu'elle couvre, et ne concerne donc pas au premier chef le grammairien, mais d'autre part, l'�tude des registres de langage (familier, litt�raire...), qui passe par le lexique, est g�n�ralement envisag�e dans les grammaires actuelles. Si l'on veut cependant favoriser l'acquisition de routines de compr�hension et de production de textes - en incitant les apprenants � mettre en corr�lation s�mantique des faisceaux d'indices congruents - il est alors n�cessaire de relier l'emploi du lexique � celui des "outils grammaticaux" traditionnels, en relation aussi au domaine textuel (cf. Barbazan 2007b pour une application dans un objectif de didactique en FLE � l'emploi de temps verbaux).
+ +Par ailleurs (ainsi que nous l'avons sugg�r� au point 3.1.), les conclusions de l'�tude de Kerbrat-Orecchioni (1997) vont dans le sens de l'inscription effective d'une dimension �nonciative au sein du signifi� d'une cat�gorie lexicale, marqu�e par un trait [+subjectif], la cat�gorie des subjectiv�mes. Cette dimension �nonciative est conjointe � la dimension d�notative (r�f�rentielle).
+ +++� Ces substantifs cumulent deux types d'informations, d'ailleurs indissociables :
++
+- une description du d�not�
+- un jugement �valuatif, d'appr�ciation ou de d�pr�ciation, port�
+sur ce d�not� par le sujet d'�nonciation. � (Kerbrat-Orecchioni 1997, 73)
+
Entre autres qualit�s, que nous ne pouvons pas reprendre ici, ces termes
+ +� sont � �liminer d'un discours � pr�tention d'objectivit�, dans lequel le locuteur refuse de prendre position par rapport au d�not� �voqu�. [C'est pourquoi ils] peuvent �tre consid�r�s comme comportant un trait s�mantique [+subjectif] � (Kerbrat-Orecchioni 1997, 73) .+
Logiquement, et en corr�lation avec l'adoption de ce trait [+subjectif] pour certains termes (toutes cat�gories lexicales confondues), on peut pr�voir un trait [-subjectif] pour d'autres. Ces derniers, souvent d�crits comme "neutres", alors qu'ils sont aussi d�notatifs d'une attitude �nonciative que les subjectiv�mes, sont privil�gi�s par exemple dans les rapports de police. On voit par cet exemple se profiler la possibilit� de mettre en relation la "couleur �nonciative" d'un terme lexical avec un mode de textualisation privil�gi�, en relation avec la caract�risation des genres. Il faut bien s�r se m�fier ici de la caricature descriptive, p�chant par exc�s de syst�matisation et source de surg�n�ralisations in�vitables pour les apprenants.
+ +Dans cette perspective, les traits correspondants aux registres de langue (bagnole vs voiture) sont � inscrire dans la dimension �nonciative, de m�me que peut l'�tre toute trace d'une appartenance de l'�nonciateur � une classe id�ologique marqu�e dans le lexique, ou la trace d'une repr�sentation du r�cepteur pour le locuteur et de leur relation particuli�re, associ�e � un "choix de vocabulaire".
+ +Au terme de ce parcours rapide, privil�giant un cheminement �pist�mologique pour souligner le paradoxe cognitif que repr�sentent les difficult�s d'int�gration du champ traditionnel de la grammaire aux "d�bordements paradigmatiques" de la linguistique �nonciative et textuelle, il nous para�t coh�rent de souhaiter fortement l'�mergence d'une grammaire discursive, ancr�e dans le texte et l'�nonciation. L'adoption d'un mode descriptif tri-dimensionnel des "outils" lexicaux et grammaticaux nous semble tout aussi justifi�e. Ces principes descriptifs �tant pos�s, il reste �videmment � formuler le d�tail du parcours grammatical.
+ +Sur le plan de la mod�lisation linguistique, apr�s avoir �t� longtemps � l'�troit dans un paradigme immanentiste et phrastique, on risque subitement d'avoir l'impression de disposer d'un cadre de travail �largi au point de poser des probl�mes de "remplissage" descriptif pour les nouvelles dimensions postul�es au sein des signifi�s. Ces questions se posent notamment pour les termes les plus faciles � g�rer dans le cadre saussurien. Il semble difficile par exemple de d�finir un caract�re �nonciatif ou textuel particulier au mot escalier. Probablement parce que ce terme est recevable quels que soient la situation d'�nonciation ou le texte envisag�s. Mais le b�n�fice int�gratif de cette repr�sentation s�mantique para�t tout de m�me suffisant pour que l'on explore un espace descriptif cognitivement fond�, � la fois dans ses possibilit�s d'�largissement, mais aussi dans les interrogations que posent ces derni�res.
+ +Notre dernier mot ne peut aller que dans le sens d'un plaidoyer pour une meilleure interaction entre ces trois disciplines que sont la psychologie cognitive, la linguistique et la didactique (Barbazan, � para�tre d). La premi�re propose des rep�res qui doivent �tre imp�rativement pris en compte par les linguistes soucieux de descriptions cognitivement recevables et a fortiori par les didacticiens. On peut esp�rer que ce fond cognitif commun justifie alors une r�elle interaction entre une linguistique non colonialiste et une didactique confiante en son int�grit�.
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+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Dans l'histoire de la terminologie grammaticale fran�aise, nous pouvons situer pr�cis�ment l'apparition du terme de � compl�ment �. Le terme de compl�ment appara�t en 1747 dans Les vrais principes de la langue fran�oise de l'abb� Girard, dans l'expression de � compl�ment du raport � (1747, vol. 1 : 75, vol. 2 : 181). Dumarsais emploie �galement le terme dans les diff�rents articles qu'il �crit pour l'Encyclop�die ou dictionnaire raisonn� des sciences, des arts et des m�tiers de Diderot et D'Alembert, il �voque notamment le � compl�ment de la pr�position � (Dumarsais, 1729 - 1756, article � accusatif � : 177). Beauz�e, prenant la suite de Dumarsais, substitue le � compl�ment � au r�gime dans l'article � R�gime � (Encyclop�die, tome XIV : 5) puis il lui accorde une d�finition sp�cifique dans l'Encyclop�die M�thodique de Panckoucke (1782 - 1786, article � compl�ment �, tome I : 441 - 447). Il �tend l'usage du � compl�ment � dans sa Grammaire G�n�rale (1767) en cr�ant une typologie et une terminologie diff�renci�es. Mais le terme ne se g�n�ralise pas d'embl�e, et son pr�d�cesseur, le � r�gime �, perdure.
+Pour autant, il n'est pas vrai que le ph�nom�ne de la compl�mentation verbale n'est pas d�crit auparavant. L'id�e d'un syntagme qui compl�te le sens du verbe et qui en d�pend syntaxiquement, est pr�sente dans le discours des grammairiens avant l'apparition du terme en 1747. En effet, la cat�gorie fonctionnelle de � compl�ment � appara�t partiellement, sous d'autres termes et d'autres concepts. Le � r�gime �, notion provenant de la tradition des grammaires latines, joue ce r�le depuis les premi�res grammaires du fran�ais jusqu'au milieu du 19e si�cle. C'est aussi le cas du � modificatif � chez Buffier (1709) reposant sur l'op�ration de � modification �, notion interf�rant avec celle de la � particularisation � r�alis�e par le � r�gime �, ou encore du � d�terminant � et de la � d�termination � chez Dumarsais (1729 - 1756). Autrement dit, l'apparition du terme ne co�ncide pas avec l'invention de la cat�gorie moderne, qui s'�labore dans la longue dur�e � partir de concepts autres.
+Face � ces deux constats :
+on peut se demander dans quelle mesure l'�mergence de la notion de compl�ment est une � invention �.
+La notion d' � invention � est d�finie comme l'� acte de trouver quelque chose ; (la) production d'id�es ou de choses nouvelles, par combinaison nouvelle des moyens en vue d'une fin. � (Auroux, 1990, Encyclop�die philosophique universelle, II les notions philosophiques, dictionnaire, vol. 1 : 1374). Autrement dit, l'invention correspond � la production d'une connaissance nouvelle. En outre, la notion d' � invention � s'oppose � la notion de d�couverte :
+Pour les r�alistes (ou platoniciens) � invention � s'oppose � � d�couverte �. Ce dernier terme se dit, dans ce cas, de ce qui pr�existait � la connaissance nouvelle. Chez les autres, les deux termes sont plut�t trait�s comme synonymes. (ibid.).+
Il est n�cessaire de distinguer ici la d�couverte d'un fait (linguistique, interne � la langue) et la d�couverte d'une notion expliquant les faits (un savoir m�talinguistique, une connaissance sur la langue). La notion d'invention est aussi � opposer � celle d' � innovation �. L' � innovation � consiste � stabiliser l'invention dans un espace social et � lui conf�rer le statut de connaissance scientifique.
+La diff�rence entre les deux termes (qui �changent parfois leur valeur s�mantique) provient de ce que toute invention ne se transforme pas en innovation (...). (Auroux, 1990, Encyclop�die philosophique universelle, II les notions philosophiques, dictionnaire, vol. 1 : 1313).+
Notre objectif est de rechercher en quoi le � compl�ment � appara�t comme une connaissance nouvelle qui va se stabiliser dans le discours grammatical. En quoi est-il un savoir nouveau sur la langue ? Incidemment, cette question en soul�ve d'autres, dont celle du statut particulier de l'invention en sciences du langage, et de la relativisation de la notion de � progr�s � dans la science grammaticale ; peut-on dire que le � compl�ment � est mieux que le � r�gime � en tant qu'outil de l'analyse syntaxique?
+Nous proposons d'examiner ici un moment charni�re dans l'histoire de la syntaxe : le passage du � r�gime � au � compl�ment �, en nous demandant dans quelle mesure l'�mergence du � compl�ment � appara�t comme une � invention �. Dans un premier temps, nous tentons d'identifier les traits de � nouveaut� � du compl�ment en comparant les deux notions. Dans un second temps, nous avan�ons comme �l�ment de r�ponse principal que la construction du concept de compl�ment ressortit en fait � l'�volution globale d'un faisceau de notions et de repr�sentations grammaticales tenant � la structure de la proposition (la transitivit� verbale, la notion de � genre verbal �, le nombre et la forme des constituants dans le mod�le propositionnel adopt�).
+On peut d�finir un concept comme un complexe constitu� d'une d�finition, manipulant un contenu id�el, impliquant parfois d'autres concepts, reli� � une terminologie. On peut ajouter une s�rie de faits auxquels la d�finition s'applique, eux-m�mes repr�sent�s par des exemples. Chacun de ces �l�ments se trouve �tre soumis � l'histoire, et le concept ne forme pas une entit� de signification stable ou fixe. L'histoire du compl�ment n'est pas l'histoire d'une invention ex nihilo mais c'est celle d'une construction longue et complexe, � partir de divers termes h�rit�s ou forg�s, et � partir d'autres notions provenant de la logique ou de la grammaire. Le � compl�ment � se construit notamment en interf�rence avec le � r�gime �. C'est en relevant les points de convergence et les points de divergence que l'on observe le mieux la nouveaut� existant entre les deux notions.
+Premi�rement, il faut noter qu'aucun de ces deux termes ne provient du domaine sp�cialis� et technique de la logique (� l'inverse d'� attribut �, � pr�dicat �, ou � objet �).
+La notion de r�gime provient du vocabulaire de Priscien mais elle se d�veloppe au Moyen-Age :
+La notion m�di�vale de rection semble avoir pour origine l'id�e d'exigence qui se trouve chez Priscien ; certains noms, par leur nature, exigent un cas oblique, comme fils demandant le g�nitif. (Rosier, 1983 : 139).+
Pierre H�lie explique ainsi que le terme de r�gir est employ� pour d�signer la relation du verbe au nominatif au moyen d'une m�taphore militaire ; le verbe gouverne le nominatif comme le chef gouverne son arm�e (ibid., et Chevalier, 1968 : 55). Le r�gime est d�fini � l'aide de diff�rentes images dont le point commun est l'id�e d'un rapport de domination. Cependant, sa d�finition est variable et la notion n'est pas encore totalement stable au Moyen-Age. Alexandre de Villedieu emploie le terme de regimen dans le chapitre 8 du Doctrinale puerorum, associ� � ceux de rector, regere et gubernare (Colombat, 1999 : 428 - 429). Le terme est traduit et emprunt� directement par les premiers grammairiens du fran�ais. La d�pendance au verbe est pens�e en termes de � r�gime � et les fonctions sont d�crites � l'aide du syst�me des cas. L'id�e que le verbe � gouverne � le nom qui le suit c'est-�-dire qu'il impose un cas � sa suite, s'implante solidement dans la grammaire fran�aise. Quelques grammairiens, comme Palsgrave (1530) ou Ramus (1562, 1572), tentent de diff�rencier les types de r�gimes, ce qui est souvent visible par le traitement du pronom ou de la pr�position et de l'adverbe. Le substantif � compl�ment � n'appara�t lui qu'au milieu du 18�me si�cle, de fa�on minoritaire au sein d'un r�seau terminologique vari�, s�par� du traitement du verbe ou des fonctions, en lien avec la pr�position pour d�signer le syntagme qui la suit, qui lui est � cons�quent �. Chez Girard, le terme appara�t au sein du discours II sur les parties d'oraison (vol. 1 : 75), puis du chapitre sp�cialement consacr� aux pr�positions (Girard, 1747, vol. 2 : 181). Les pr�positions sont les manifestations du � propre g�nie de n�tre langue � qui suppl�ent aux cas (op. cit. : 180). Elles indiquent � un raport d�terminatif � en lien avec les autres � parties d'oraison � (substantifs, pronoms, adjectifs, verbes et nombres) c'est-�-dire qu'elles servent � � restraindre l'�tendue de leur acception � et leur permettent de � recevoir r�ciproquement diverses d�terminations de sens (...) � (op. cit. : 181). Le groupe qui suit la pr�position est plac� sous son r�gime � pour �tre le compl�ment du raport et en former le sens entier � (Girard, 1747 : 181) comme dans tendre sans foiblesse, coquin � pendre, homme de rien, parler avec fermet� (ibid.). Le � compl�ment du rapport � n'est pas plus amplement d�crit, mais il appara�t clairement sous trois aspects essentiels. Premi�rement, il est remarquable que la premi�re occurrence du terme, connue � ce jour, de � compl�ment � est li�e � une d�finition de la pr�position comme partie du discours incompl�te, conception qui perdurera longtemps. Deuxi�mement, elle est li�e � une conception de la pr�position comme forme rectrice. Girard explique bien que les mots qui la suivent sont sous son � r�gime � :
+Les pr�positions doivent �tre toujours � la t�te des mots qu'elles r�gissent, c'est-�-dire de ceux qui forment le compl�ment du raport qu'elles indiquent. C'est m�me de cette place qu'elles ont tir� le nom qu'elles portent ; pr�position signifiant dans l'�tymologie un mot qui se place avant d'autres. (op. cit. : 234)+
Cependant, le � compl�ment du rapport � ne pr�tend � aucune fonction logico-syntaxique, il est plut�t assimil� � une sous-division s�mantique � l'int�rieur de la fonction quelle qu'elle soit. En effet, sur le plan s�mantique, on comprend que c'est la pr�position, selon le � raport � qu'elle exprime, qui oriente le sens du compl�ment. En somme, le � compl�ment du raport � d�signe la s�quence post-pr�positionnelle dont la forme et le sens sont dirig�s par la pr�position. Sous la plume de Dumarsais, l'expression de �compl�ment de la pr�position � appara�t � plusieurs reprises, dans diff�rents articles de l'Encyclop�die (� Accusatif �, � Article �, � Adverbe �, � Construction �). La pr�position est consid�r�e comme une partie du discours incompl�te qui cr�e l'attente d'un autre terme � sa suite, comme chez Girard :
+Il est all� �, � n'�nonce pas tout le sens particulier ; et je me demande o� ? on r�pond, � la chasse, � Versailles, selon le sens particulier qu'on a � d�signer. Alors le mot qui ach�ve le sens, dont la pr�position n'a �nonc� qu'une partie, est le compl�ment de la pr�position, c'est-�-dire que la pr�position et le mot qui la d�termine, font ensemble un sens partiel, qui est ensuite adapt� aux autres mots de la phrase en sorte que la pr�position est, pour ainsi dire, un mot d'esp�ce ou de sorte, qui doit ensuite �tre d�termin� individuellement : par exemple, cela est dans ; dans marque une sorte de mani�re d'�tre par rapport au lieu : et si j'ajoute dans la maison, je d�termine, j'individualise, pour ainsi dire, cette mani�re sp�cifique d'�tre dans. (op. cit. : 458).+
La pr�position impliqu�e par le verbe n�cessite d'�tre compl�t�e, mais elle n'est pas pr�sent�e comme soud�e au verbe et c'est avec le mot qui la suit qu'elle forme un syntagme analysable en soi et par rapport aux autres groupes constituant la phrase. Ce syntagme pr�positionnel se rapporte ensuite au verbe dont il restreint la signification. La compl�mentation du verbe s'effectue donc en deux temps. Elle prend forme tout d'abord par la pr�position qui a un statut central ; nous voyons bien que c'est elle qui dirige le compl�ment du point de vue syntaxique et s�mantique. Ensuite, le groupe pr�positionnel est mis en relation avec le verbe qui la pr�c�de. Ainsi, c'est le groupe entier, form� de la pr�position suivie de son compl�ment, qui joue un r�le logico-syntaxique dans la proposition. Dans l'exemple � Celui, qui me suit, dit J. -C., ne marche point dans les t�n�bres�, le groupe ne marche point dans les t�n�bres est analys� comme l'attribut, comprenant le verbe avec une n�gation, suivi d'une modification du verbe marcher : dans les t�n�bres, compos� de la pr�position dans et du � compl�ment de la pr�position � (1729 - 1756 : 451 - 452). Cet emploi du � compl�ment � en lien avec la pr�position est repris par Beauz�e, et perdurera longtemps (Loneux 1799, L�vizac 1809, Bescherelle 1834, Burggraff 1863).
+En outre, le � r�gime � et le � compl�ment � ont en commun de construire leur signification sur les concepts de � d�termination �, � modification � ou � particularisation �. Chez Buffier (1709) le � r�gime � est d�fini comme op�rant une � particularisation � dans trois cas. Dans � le pasteur conno�t ses brebis � ; � ses brebis � est le r�gime du verbe � parce que c'est l'objet qui particularise la signification du verbe conno�t, marquant en particulier ce que le pasteur conno�t � (ibid), dans � vous �tes savant �, l'adjectif � savant sera le r�gime parce que savant particularise ici le verbe �tre � (ibid.), et dans � un ami de plaisir (...) la signification d'un ami est particularis�e par le mot de plaisir � (op. cit. : 62). Le point commun de ces � r�gimes � est bien de � particulariser � la signification du mot auquel ils se rapportent :
+Tous les noms ou m�me tous les mots qui servent ainsi � particulariser la signification d'un autre mot sont le r�gime de ce mot (op. cit. : 61)+
La � particularisation � peut s'entendre comme la s�lection d'un �l�ment pr�cis qui entra�ne une restriction de l'ensemble des individus auxquels le sens du nom ou du verbe pourrait s'appliquer. Mais diff�rentes unit�s ou syntagmes appel�s � modificatifs � sont reconnus aussi comme r�alisant une � modification � (en particulier adverbe, pr�position, conjonction) Le modificatif indique une circonstance ou une � modification � du nom-sujet ou du verbe-attribut, et du point de vue de l'analyse syntagmatique, il constitue une expansion interne de chacun des groupes sujet et attribut (Buffier, 1709 : 9 : 49) comme dans � le z�le sans prudence agit t�m�rairement � (op. cit. : 49). Dumarsais utilise lui la notion de � d�termination � pour penser et d�crire la compl�mentation. La notion de � d�termination � est red�finie et le rapport de d�termination (vs le rapport d'identit�) remplace la syntaxe de r�gime de Port-Royal, devenant alors le fondement des relations de d�pendance (Dumarsais, 1729 - 1756 : 456 - 458). Lorsque le verbe est transitif direct, Du Marsais parle de � d�terminant � du verbe :
+Il en est de m�me des verbes actifs : quelqu'un me dit que le roi a donn� ; ces mots a donn� ne font qu'une partie du sens particulier, l'esprit n'est pas satisfait, il n'est qu'�mu, on attend, ou l'on demande, 1� ce que le roi a donn�, 2� � qui il a donn�. On r�pond, par exemple, � la premi�re question, que le roi a donn� un r�giment : voil� l'esprit satisfait par rapport � la chose donn�e, r�giment est donc � cet �gard, le d�terminant de a donn�, il d�termine a donn�. (op. cit. : 458)+
Cependant, Dumarsais mentionne aussi le terme de � d�terminatif � (op. cit. : 515 - 516). Tous les compl�ments essentiels sont ainsi consid�r�s comme des � d�terminants � ou � d�terminatifs � du verbe car il y a autant de d�terminations que de questions que nous pouvons poser � propos de l'action :
+Un verbe doit �tre suivi d'autant de noms d�terminans, qu'il y a de sortes d'�motions que le verbe excite n�cessairement dans l'esprit. J'ai donn� : quoi? et � qui? (Dumarsais, 1729 - 1756 : 460)+
On retrouve ici le verbe donner traditionnellement pris comme exemple pour diff�rencier les deux types de r�gimes, direct et indirect, ainsi que les questions traditionnelles de rep�rage.
+La premi�re d�finition du � compl�ment � par Beauz�e repose sur la notion de d�termination :
+On doit regarder comme compl�ment d'un mot ce qu'on ajoute � ce mot pour en d�terminer la signification de quelque mani�re que ce puisse �tre. (Beauz�e, 1782 - 1786, Encyclop�die M�thodique, Article � Compl�ment �, tome I : 441)+
Mais il lui accorde ensuite une signification g�n�rique ; le � compl�ment � appara�t alors comme un concept englobant, s'�tendant � de multiples faits de d�pendance grammaticale :
+Le compl�ment d'un mot est une addition faite � ce mot, afin d'en changer ou d'en compl�ter la signification. (Beauz�e, 1767, Grammaire G�n�rale, tome 2, � Du compl�ment � : 44)+
On doit regarder comme compl�ment d'un mot, ce qu'on ajoute � ce mot pour en d�terminer la signification, de quelque mani�re que ce puisse �tre. (E.M., � compl�ment � : 441).+
En somme, � R�gime � et � compl�ment � participent d'une m�me invention ; celle de l'�laboration de la cat�gorie fonctionnelle de compl�ment, et d'une m�me description linguistique : celle du proc�d� de compl�mentation. De ce point de vue, le passage du � r�gime � au � compl�ment � consiste en un simple remplacement d'une notion par une autre, sans caract�re de nouveaut� (hormis la cr�ation terminologique), sans v�ritable modification conceptuelle :
+Entre la premi�re apparition de la notion de compl�ment et l'utilisation de la notion de r�gime, il n'y a qu'une diff�rence de nomination : le nom de compl�ment est une invention des Lumi�res mais il n'y a pas d'article Compl�ment dans l'Encyclop�die, B.E.R.M. s'explique sur cette absence dans l'article Gouverner (...) (Autrement dit) l'invention de la notion de compl�ment appara�t comme une simple innovation terminologique : (...) (Auroux, 1973 : 64 - 65)+
Mais Beauz�e invite � ne pas confondre les deux termes de � r�gime � et de � compl�ment � (article � r�gime �). En effet, la naissance du � compl�ment � marque un changement de perspective dans l'analyse, la notion se construisant �galement en opposition avec le � r�gime �, issu de la tradition latine.
+Le r�gime est issu d'une conception de la d�pendance syntaxique selon la � nature �, le � pouvoir � des mots. Cette force se traduit par une modification morphologique. Le r�gime, dans la grammaire latine implique un cas, c'est-�-dire la modification morphologique, visible, du terme qui suit. � R�gir � signifie alors impliquer un cas. Ce concept sert de support � la distinction entre deux types de syntaxe, distinction formul�e et th�oris�e par Despaut�re, entre � la syntaxe de r�gime � et � la syntaxe de concordance �. La � Syntaxe de r�gime � d�finit l'emploi et la valeur des cas, et la � syntaxe de concordance � r�gle les questions d'accord. Ces deux p�les du domaine syntaxique demeurent dans la Grammaire G�n�rale et Raisonn�e de Port-Royal (1664 : 157 - 158), la � syntaxe de r�gime � recense les cas qui suivent les pr�positions ou les verbes. A l'inverse, le � compl�ment � n'est attach� � aucune consid�ration sur le � pouvoir � des mots et ne renvoie � aucune modification morphologique impos�e. Sous la plume de Beauz�e, les d�finitions du � compl�ment � �voluent et se d�tachent de la tradition latine pour prendre un sens grammatical g�n�rique. Le � compl�ment � d�signe ce qu'il �voque ; l'ajout d'un terme ou d'une s�quence linguistique � la suite d'un autre, les deux unit�s entretenant une relation de d�pendance ne correspondant pas � une op�ration logique pr�cise ni � une modification morphologique casuelle. Inventer le compl�ment revient en fait � refuser l'existence de cas pour les noms fran�ais (jusqu'aux Encyclop�distes les grammairiens du fran�ais d�crivent une d�clinaison des articles, noms et pronoms) et � fonder les bases d'une nouvelle syntaxe fran�aise, non plus sur la latine, mais sur les sp�cificit�s de la langue fran�aise. L'opposition entre syntaxe de r�gime et syntaxe de concordance est remplac�e par la distinction �nonc�e par Dumarsais entre deux rapports syntaxiques entre les mots : le rapport de d�termination et le rapport d'identit�. Le rapport de d�termination est marqu� par l'ordre : mot d�termin�/mot d�terminant, et par les pr�positions. Ce changement de perspective syntaxique entra�ne, dans le discours des Encyclop�distes, la sp�cialisation du r�gime pour les langues casuelles et le d�laissement des cas comme cat�gories de fonction, notions jug�es inappropri�es pour l'analyse du fran�ais.
+Par ailleurs, une autre diff�rence observable entre le compl�ment et le r�gime, est que la d�finition du compl�ment par Beauz�e s'accompagne d'une typologie sp�cifique nouvelle. Alors que le r�gime ne s'associait qu'� deux caract�risations (forme directe ou indirecte) r�gime absolu/respectif chez Buffier (1709 : 62 - 63), r�gime indirect ou relatif/direct ou absolu chez Restaut (1732 : 253, 256), le � compl�ment � est le support d'une caract�risation multi-crit�res donnant lieu � des productions terminologiques foisonnantes au 19e si�cle. L'�volution du r�seau terminologique de la compl�mentation suit diff�rentes �tapes que nous ne pouvons d�tailler ici mais dont nous rappelons le m�canisme g�n�ral. On note tout d'abord un transfert des caract�risations du r�gime vers le compl�ment, ensuite les grammairiens inventent des qualificatifs sp�cifiques au compl�ment (selon son s�mantisme comme c'est le cas pour les circonstanciels de Beauz�e, selon son caract�re n�cessaire ou non chez Domergue qui distingue les compl�ments �loign�s et prochains), la terminologie du r�gime peut coexister avec celle du compl�ment (engendrant des syst�mes de d�signation doubles ou plus complexes), avant que le compl�ment ne devienne le principal nom de la cat�gorie au milieu du 19e si�cle. Ceci s'explique par le fait que le � compl�ment � re�oit un sens plus large que le � r�gime �. Entendu comme hyperonyme, le compl�ment d�signe des r�alit�s plus larges que le r�gime, et recouvre tous les cas sauf le nominatif (accusatif, datif, g�nitif, ablatif). Aux yeux de certains grammairiens, comme Domergue, la notion de � compl�ment � peut appara�tre plus � pratique � pour cette raison. L'�cueil de l'application de cette conception du � compl�ment � est que le terme peut servir � d�signer tout mot ou groupe de mots, attach� � l'unit� qui le pr�c�de, comme chez Bescherelle.
+En somme, on distingue quatre stades, qui peuvent se chevaucher, dans le processus d'�mergence de la notion de � compl�ment �. Tout d'abord, la construction des notions pr�liminaires de � modification �, � d�termination �, � particularisation �, ensuite l'apparition du terme en lien avec une d�finition positionnelle sp�cifique li�e � la pr�position, cette phase est suivie de la d�finition du � compl�ment � comme substitut du r�gime, puis de l'�largissement de sa signification vers un sens grammatical g�n�rique.
+Pour autant, la notion de compl�ment est-elle plus utile, plus avantageuse, que celle de r�gime ? On peut apporter un �l�ment de r�ponse � cette question en observant les modalit�s de r�ception de la notion de � compl�ment � par les grammairiens de la fin du 18e si�cle et du d�but du 19e si�cle : quel succ�s re�oit-elle ? comment est-elle jug�e par les grammairiens de cette �poque ? Certains, lecteurs de l'Encyclop�die, l'adoptent rapidement et reconnaissent une importance � ce qu'ils jugent �tre une invention, mais ils sont isol�s (P�re Fran�ois Xavier 1776, Thurot 1796, Domergue 1798, Silvestre de Sacy 1799). Chez Condillac et les Id�ologues, la nouvelle cat�gorie n'est quasiment pas utilis�e. Les auteurs de grammaires g�n�rales, connaissant les articles de l'Encyclop�die, ont tendance � l'int�grer, tout en conservant le r�gime pour certains, comme Thiebault (1802). Dans les ann�es 1830 - 40 le compl�ment tend � se g�n�raliser dans les grammaires d'usage (Bescherelle, 1834, Boniface, 1843).
+Aux questions suivantes : qu'est-ce qui est nouveau entre le r�gime et le compl�ment ? qu'est-ce qui change dans le passage du r�gime au compl�ment ? Nous pouvons r�pondre que c'est la conception de la syntaxe (identit�/d�termination, abandon des cas), ce qu'a montr� Chevalier (1968). Mais on peut avancer aujourd'hui une nouvelle hypoth�se : c'est toute la repr�sentation de la proposition dans la grammaire qui est en mouvement. En r�alit�, l'�mergence du � compl�ment � n'est pas un ph�nom�ne isol�, c'est le versant visible de l'�volution de la conception de la structure propositionnelle et de la prise en compte par les grammairiens du fran�ais de la probl�matique de la transitivit� verbale.
+La question de la d�finition du compl�ment versus celle de r�gime, est en relation avec celle de la repr�sentation de la proposition dans la grammaire et avec celle du statut du verbe dans la structure propositionnelle.
+En effet, le verbe, dans le mod�le propositionnel de la grammaire g�n�rale et raisonn�e de Port-Royal, prend n�cessairement la forme du verbe �tre � la troisi�me personne et au pr�sent de l'indicatif, c'est le � verbe substantif � (GGR, 1845 [1664] : 47 - 48), il est suivi du participe pr�sent (analys� comme � attribut �) (GGR, 1845 [1664] : 47). Cette structure pose diff�rents probl�mes dans l'analyse grammaticale. Premi�rement, ce sch�ma propositionnel impose la r��criture de chaque verbe au moyen du verbe substantif. Dans les pratiques grammaticales, ceci se traduit par une r�duction de tous les �nonc�s au mod�le initial tripartite : sujet-est-adjectif/participe, et par une lecture attributive de la proposition. Deuxi�me point, corr�l� au premier, ce mod�le �carte l'analyse du verbe comme noyau de transitivit�. On peut alors consid�rer le mod�le tripartite comme un frein � l'�mergence de la cat�gorie de verbe transitif, cette histoire �tant inscrite de fa�on plus large dans celle du classement des �genres du verbe � h�rit�s de la tradition latine. Celle-ci distingue les verbes actif, passif, neutre, commun et d�ponent, en se fondant sur la morphologie latine (l'opposition -o/-or) mais aussi sur le s�mantisme lexical (action/passion) du verbe ou sa construction (le cas, la possibilit� de transformation passive). Durant tout l'�ge classique cette typologie des verbes se transmet de fa�on stable, les grammairiens reproduisant les principales cat�gories de verbe actif, passif, ou neutre, notamment la Grammaire G�n�rale et raisonn�e de Port-Royal, mais ce calque du mod�le latin se r�alise avec des transformations. En effet, l'opposition formelle �tant absente en fran�ais, les d�finitions des cat�gories se centrent sur le crit�re s�mantique, tandis que l'absence de cas conduit � identifier les classes � partir de la notion de r�gime puis de compl�ment. L'�volution du mod�le de classement des verbes s'articule clairement � l'�mergence de la fonction de compl�ment et � l'�volution de la structure propositionnelle. Ainsi, Beauz�e (1767) inaugure la p�riode de remise en question du syst�me traditionnel des genres du verbe, en distinguant le verbe absolu (intransitif) du verbe relatif (transitif) en contrepoint de la diff�rence entre compl�ments imm�diat (direct) et m�diat (indirect), et objectif, primitif ou relatif, secondaire. Cet �branlement se poursuivra jusqu'� la fin du 19e si�cle, moment o� l'on distinguera la � voix � du verbe ou forme du verbe, de son s�mantisme et de sa construction (Jullien, B., 1832, 1852 - 1854). Cette �volution est parall�le au processus de d�construction de la structure propositionnelle tripartite �rig�e comme mod�le par Port-Royal. Les grammairiens adoptent plusieurs positions allant de l'adoption pure et simple � la d�construction totale. On propose ici une �chelle th�orique des r�actions observ�es face au mod�le propositionnel initial, sachant que ces positions ne se succ�dent pas ; elles n'ob�issent pas � une �volution lin�aire mais illustrent diff�rentes tendances dans le processus de d�construction.
+Dans ce premier cas, le mod�le propositionnel de la GGR est adopt� sans modification, ce qui est particuli�rement observable chez les Id�ologues et les enseignants des Ecoles Centrales, l'institutionnalisation d'un programme d'Id�ologie concourant � la stabilit� et � la diffusion de la doctrine. Le verbe est identifi� au verbe substantif, la typologie des � genres � du verbe est r�duite � l'opposition de l'expression de l'action ou de l'�tat, comme chez Condillac. Condillac cite d'embl�e les Messieurs de Port-Royal ainsi que Dumarsais (1775, Grammaire : 1) et conserve le mod�le tripartite comprenant la d�composition du verbe. Ainsi, l'exemple qui suit � Corneille est po�te � (ibid.) correspond � l'association d'un sujet et d'un attribut, qui sont � les signes des deux id�es que vous comparez � (Condillac, 1775, Grammaire : 102), au moyen du verbe �tre qui demeure le � signe de l'op�ration de votre esprit qui juge du rapport entre Corneille et po�te � (op.cit. : 103). Ce qu'il r�sume ainsi :
+Toute proposition est donc compos�e d'un sujet, d'un verbe et d'un attribut. (ibid.)+
L'analyse est identique au d�but du chapitre suivant :
+Consid�rons actuellement les trois termes d'une proposition. Le sujet et la chose sont on parle, l'attribut est ce qu'on juge lui convenir et le verbe prononce le rapport de l'attribut au sujet. Telles sont les id�es qu'on se fait de ces trois sortes de mots. (op. cit. : 107)+
Le verbe est toujours d�compos� en est suivi du participe pr�sent, la proposition � s'exprime par cons�quent avec trois mots ou avec deux �quivalents � trois. Je parle par exemple est pour je suis parlant. � (op. cit. :03). Par ailleurs, Condillac ne propose pas de classement des verbes et simplifie le syst�me � l'opposition entre verbe d'action et verbe d'�tat. Dans le chapitre VI � Du verbe � parmi les � El�ments du discours � (Condillac, Grammaire, 1775, p.160) on ne trouve aucune r�f�rence � la notion de transitivit�. Les points pr�sent�s concernent les personnes, le temps, les modes, la conjugaison, et les formes compos�es. Le verbe �tre est � proprement le seul � (ibid.). Enfin, il ne parle pas de compl�ment mais utilise la notion d'� accessoire � (op. cit. : 115) pour d�crire les d�pendances du verbe, ainsi que celle de � modification � (tome 2, Art d'�crire et de raisonner : 31).
+Dans ce second cas, le verbe substantif est conserv� mais le compl�ment est �voqu�, comme un constituant suppl�mentaire dont les caract�ristiques sont absconses. Deux cas de figure se pr�sentent.
+i) le compl�ment est mentionn� et appartient � l'attribut, comme chez Serreau et Boussi (1824). Le mod�le propositionnel prend la forme suivante : sujet-�tre-attribut-objet-adjoints : � Une proposition se compose n�cessairement d'un sujet et d'un attribut li� au sujet par le verbe pur (...) ainsi dans cette proposition j'aime l'�tude, je est le sujet, aime est l'attribut compos� de suis aimant, l'�tude est l'objet direct, c'est-�-dire le signe de l'objet sur lequel se porte directement l'action, ce que quelques grammairiens appellent compl�ment (...) �. Or les grammairiens r�servent le terme de compl�ment au syntagme pr�positionnel (compl�ment du nom ou compl�ment indirect du verbe) ou � la proposition compl�ment d'une autre : � .. mais je ne veux appliquer cette d�nomination dans ce sens qu'� une proposition qui devient l'objet direct d'une autre proposition logique. Hors de l� j'appelle compl�ment un mot pr�c�d� d'une pr�position qui a pour ant�c�dent le sujet ou l'objet direct ou indirect d'une proposition comme dans ces exemples une �tincelle de feu a br�l� le pan de mon habit, ob�issez aux ordres de vos chefs. � (op. cit., p. 358 - 359).
+ii) le compl�ment est ext�rieur � l'attribut et se greffe au noyau tripartite, comme chez Domergue (1798). Domergue conserve en effet l'analyse tripartite de la proposition : sujet-verbe-attribut, il d�signe ses trois composantes � l'aide d'une nouvelle terminologie form�e sur le verbe juger en latin � judicare � : judicande - judicateur - judicat. Il ajoute ensuite � ce sch�ma une quatri�me partie qui est le � compl�ment � mais celui-ci ne s'applique pas au judicateur. Le compl�ment appara�t comme un quatri�me constituant, faisant suite aux trois autres. Cependant il semble parfois inclus dans le judicat, Domergue expliquant que c'est � le judicat qui contient le compl�ment et le compl�ment du participe � (op. cit., p. 17), le compl�ment participant aussi de la � chose jug�e �.
+Le fait est que le compl�ment re�oit la plupart du temps une place ambigu� dans ces grammaires. Souvent, il n'est pas possible d'identifier sa place, les deux descriptions pouvant �tre disjointes (analyse de la proposition du point de vue grammatical/ du point de vue logique). Cette coexistence (indiff�renci�e) d'une structure propositionnelle attributive et d'une structure transitive, cr�e de nombreux probl�mes dans l'analyse tels que celui de la d�termination de la port�e des compl�ments suivant le verbe : sont-ils compl�ments du verbe substantif, ou du participe (appel� aussi adjectif, modificatif ou modatif) tir� du verbe adjectif ? Soit les grammairiens s�parent les compl�ments du verbe �tre et ceux du participe (sur le mod�le de Condillac distinguant les accessoires du verbe et ceux de l'attribut) soit ils affirment que le verbe �tre se suffit � lui-m�me (comme Domergue), donc tous les compl�ments sont des compl�ments du participe.
+On observe une troisi�me attitude qui consiste � conserver la structure attributive originelle en parall�le de l'�bauche d'une structure transitive. Cette position est notable lors de la p�riode de transition qui pr�c�de l'abandon du mod�le initial, c'est-�-dire dans les grammaires g�n�rales tardives. Les grammaires g�n�rales du milieu du 19e si�cle prolongent la grammaire g�n�rale de l'�ge classique. Elles adoptent donc un mod�le propositionnel majoritairement tripartite (ou augment�) o� la d�composition du verbe est acquise comme une �vidence, elles reprennent aussi pour la plupart une division des mots inspir�e de la GGR ou de Harris en un syst�me binaire ou ternaire des classes de mots. L'int�gration du compl�ment est tr�s nette chez certains (Caillot, Poitevin, Jullien, Lavielle, Leterrier) mais d'autres conservent le r�gime comme seule fonction (Jonain) ou comme synonyme du compl�ment (Mont�mont, Poitevin), ou bien ne comportent pas de syntaxe (Montlivault, Barthe) ou quasiment pas (Jonain). Ceci s'accompagne d'une conservation de la distinction syntaxe de concordance, d'accord ou d'identit�, face � la syntaxe de r�gime parfois renomm�e syntaxe de compl�ment (Bel), de d�pendance (Burggraff) ou de d�termination (Leterrier). Les textes t�moignent aussi de la connaissance des �crits de Dumarsais, Condillac, Court de G�belin et Destutt de Tracy, mais surtout de Beauz�e, dont la distinction des verbes peut �tre reprise (Burggraff).
+Dans ce dernier cas de figure, le mod�le de la GGR n'est absolument pas repris et la description de la structure propositionnelle se r�alise � partir de l'adjonction de constituants aux deux groupes essentiels que sont le sujet et le verbe. On l'observe chez Buffier qui inaugure une v�ritable tendance en inventant le � modificatif �, ou chez Girard qui pousse � cinq le nombre de fonctions suppl�mentaires et fournit un mod�le muti-fonctions aux noms nouveaux qui inspirera les derniers auteurs de grammaires g�n�rales comme Jullien, ou Mont�mont. Cette repr�sentation de la proposition s'articule � une remise en question du verbe substantif (Girard, Jullien), ou s'accompagne d'une d�finition autre. Ces mod�les fonctionnels, en rupture avec le mod�le propositionnel, d'origine logique, de la GGR, n'int�grent pas la d�composition du verbe et s'accompagnent d'une remise en question de la d�finition du verbe de Port-Royal. Ceci dit, la remise en question du verbe substantif n'implique pas pour autant une red�finition des cat�gories de fonction, comme cela est observable chez les membres de la Soci�t� Grammaticale (1818), dont le probl�me central est la d�limitation des classes de mots.
+Des liens �vidents existent entre l'�mergence du compl�ment, la d�construction du mod�le propositionnel de la grammaire g�n�rale et la construction des classes de verbes transitif et intransitif, sur crit�re s�mantico-syntaxique. Les tentatives de d�signation d'un nouveau constituant repr�sentent en effet des am�nagements du mod�le propositionnel et s'accompagnent d'une red�finition du verbe. En cons�quence, l'�mergence de la fonction de compl�ment ne peut �tre envisag�e isol�ment. Son invention n'est pas un ph�nom�ne isol�. Elle s'inscrit dans le mouvement global d'�volution de la structure propositionnelle et elle ne prend sens qu'en relation avec la conception du verbe et des constituants de la proposition.
+En guise de conclusion, nous pouvons reconsid�rer les questions que nous posions en introduction : en quoi l'�mergence du compl�ment est-elle une � invention � ? le � compl�ment � est-il un meilleur outil grammatical que le � r�gime � ? et tenter d'y apporter quelques �l�ments de r�ponse.
+Premi�rement, ce qui est saillant dans le processus de g�n�ralisation et de stabilisation du compl�ment dans le discours grammatical, c'est l'abandon d'un mod�le de la proposition. L'histoire du compl�ment est l'histoire de l'invention d'une certaine description de la d�pendance syntaxique, � l'aide de notions diverses, notamment emprunt�es � la logique, et de termes nombreux forg�s par les grammairiens. Cette histoire est parall�le � la d�construction du mod�le propositionnel tripartite attributif de la grammaire g�n�rale.
+Deuxi�mement, l'historien des sciences du langage n'a pas de r�ponse � la question de savoir si le compl�ment permet de mieux d�crire, penser, appr�hender, repr�senter, formaliser, ou enseigner la syntaxe du fran�ais. L'int�r�t d'une �tude historique est pr�cis�ment de montrer qu'il n'existe pas de r�ponse � cette question. En revanche, ce que l'on observe, dans la perspective d'une histoire s�rielle, c'est que les grammairiens adoptent le compl�ment, pas imm�diatement ni de fa�on unanime, et pour des raisons diff�rentes.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les notes qui suivent peuvent �tre consid�r�es comme tour r�actif � la lecture, certainement trop rapide et superficielle, (i) des communications retenues dans l'axe Discours, pragmatique, interaction, et (ii) de Goodwin 2007. Je qualifierai le point de vue th�orique dont elles proc�dent comme de biais mais pas forc�ment biais� : il est celui d'un pratiquant dilettante de l'analyse du discours (d�sormais AD), notamment � canal historique � (Rosier et Paveau 2005), comme de l'analyse conversationnelle (d�sormais AC) dans ses diff�rentes formes, qui trouve encore son bonheur dans la lecture des travaux de Bakhtine, et qui s'int�resse surtout actuellement � l'actualisation de la langue en discours et au dialogisme... Lesdites notes, au-del� du questionnement, invitent au d�bat.
+Premier constat : alors que le premier terme de l'intitul� de notre axe d'�tude � Discours, pragmatique, interaction � est discours, force est de constater qu'a �t� fortement privil�gi� un seul type de discours (corpus, probl�matiques, r�f�rences bibliographiques) : le discours dialogal (alternance de locuteurs selon l'alternance des tours ; interaction in praesentia, au moins temporellement), au d�triment du discours monologal (absence d'alternance de locuteurs / de tours ; interaction in absentia). Comme si les recherches actuelles tordaient le b�ton du discours et de son �tude dans le sens inverse de la torsion que lui avait inflig�e l'AD des ann�es 1970 - 1980, qui n'a gu�re travaill� que le discours monologal.
+Cette �volution dans le choix des corpus - tendanciellement du monologal au dialogal - qui s'initie au cours des ann�es 1980 - 1990 et que confirme notre colloque (du moins au regard des communications retenues), s'accompagne d'un changement d'approche radical : le discours, dans l'AD, �tait consid�r� dans sa profondeur verticale inconsciente, selon laquelle le locuteur est dit plus qu'il ne dit, voire r�p�te � son insu du d�j� dit. Le discours est, dans l'approche de l'AC, trait� comme surface horizontale cog�r�e et coproduite par les interactants : le locuteur dit avec son / ses interlocuteur(s). En simplifiant quelque peu, on peut avancer que l'AD privil�giait fortement l'interdiscursvit� et n�gligeait l'interlocution. Dans quelle mesure les travaux actuels en AC en privil�giant l'interlocution, ne n�gligent-ils pas l'interdiscursivit� ?
+On pourrait rendre compte de la focalisation sur la profondeur verticale pour l'AD, comme de la focalisation sur la surface horizontale pour l'AC, par les diff�rences de corpus : le monologal, plus formel, se construirait principalement de son rapport aux autres discours ; le dialogal, plus familier surtout s'il est conversationnel, se construirait principalement de son rapport aux autres locuteurs. Cette analyse, si elle contient une part de v�rit�, ne me para�t pas fondamentalement juste ; et d'autre part, elle laisse de c�t� la question du choix des corpus. Il y a l� une question d'importance : dis-moi ce sur quoi tu travailles et avec quels outils, et je te dirai qui tu es, ou plut�t qui tu crois �tre, � savoir � quelle id�ologie ton travail participe, le plus souvent � ton insu...
+Je ne fais que pointer ce fait, sans le d�velopper ici. Je voudrais plut�t questionner l'AC et son approche horizontale de la production du discours � partir d'un autre paradigme th�orique : celui du dialogisme, issu des travaux du cercle de Bakhtine.
+S'il n'est pas question de rapprocher trop facilement l'AD et les travaux de Bakhtine (cf., pour une mise en garde, Authier 1982), et encore moins d'assimiler les notions d'interdiscours et de dialogisme (cf. Bres et Rosier 2008), il me semble que les deux approches posent la question de la dimension verticale du discours, que semble oublier l'AC.
+Rappelons bri�vement quelques faits : Bakhtine/Voloshinov 1929 consacre un chapitre entier � l'interaction verbale et propose un ordre pour l'�tude des faits linguistiques qui anticipe largement sur l'approche interactionnelle des faits linguistiques :
+L'ordre m�thodologique pour l'�tude de la langue doit �tre le suivant :
+Cependant, dans ce m�me ouvrage, � l'heure de passer � l'�tude d'un ph�nom�ne concret, c'est le discours rapport� qui est choisi comme objet d'analyse, soit un fait discursif qui met en jeu, plut�t que la dimension dialogale horizontale, la dimension dialogique verticale. Rappelons que la distinction terminologique dialogal / dialogique, largement circulante aujourd'hui, n'est pas de Bakhtine lui-m�me mais proc�de directement de sa probl�matique (Bres 2005) :
+- la dimension dialogale (cf. dialogalit�, supra 1.) concerne le dialogue externe, c'est-�-dire tout ce qui a trait au dialogue en tant qu'alternance des tours de deux ou plusieurs interlocuteurs, et se passe sur le fil du discours ;
+- la dimension dialogique concerne le dialogue interne. Elle tient � l'orientation de tout discours vers d'autres discours et ce, triplement : (i) interdiscursivement, le discours en train de se faire ne peut pas ne pas rencontrer les autres discours qui, avant lui, se sont saisis du m�me objet, ni entrer en interaction avec eux ; les mots sont d'autre part toujours habit�s des sens de ces autres discours, avec lesquels �galement l'interaction est incontournable ; (ii) interlocutivement, le discours en train de se faire ne peut pas ne pas anticiper sur la r�ception - en tant qu'�nonc�-r�ponse - que le locuteur imagine par avance que son interlocuteur en fera ; (iii) intralocutivement : la production du discours se fait constamment en interaction avec ce que le locuteur a dit ant�rieurement, et avec ce qu'il envisage de dire. Cette triple orientation est � l'origine d'une triple interaction verticale, qui a pour r�sultat la dialogisation int�rieure du discours produit, dont les manifestations sont extr�mement vari�es : de la citation explicite (discours direct, �lot textuel...) � des ph�nom�nes d'�chos, de r�sonances, d'harmoniques fort subtils. On parle de la pluralit� des voix (terme m�taphorique � comprendre, selon les th�ories, comme '�nonciateurs', ou ' points de vue') qui feuill�tent tout �nonc� depuis sa macrostructure (le roman, le texte, le discours, le tour de parole) jusqu'� sa microstructure : le mot.
+Les travaux de Bakhtine privil�gient des objets d'�tude relevant du dialogique, comme p. ex. le discours rapport�, et ne travaillent pas vraiment le dialogal. Ceci pourrait expliquer la relative ignorance de la probl�matique dialogique par l'AC. Pourtant la dimension dialogique, notamment interdiscursive, n'intervient-elle pas sur le fil du discours ? L'interaction verticale avec les discours ant�rieurs n'est-elle pas un param�tre de la production horizontale du discours-en-interaction avec l'interlocuteur ? N'y a-t-il pas une pertinence du dialogique pour l'AC? C'est la cause que je voudrais bri�vement plaider. Non pas th�oriquement, mais pratiquement � partir de quelques occurrences de discours concr�tes, prises dans les travaux conversationalistes.
+Goodwin (2007) est, � ma connaissance, un des rares travaux conversationalistes � dialoguer avec les recherches du cercle de Bakhtine ; encore ne le fait-il qu'avec Bakhtine/Voloshinov 1929. L'auteur fait remarquer fort justement que Voloshinov tout comme Goffman (1981) d�veloppent une conception des instances de l'interlocution qui, tout occup�e � d�finir la complexit� des r�les du locuteur, en oublie de poser, parall�lement, la complexit� des r�les interactifs de l'interlocuteur (hearer). Goodwin appuie sa d�monstration par l'analyse de fragments d'interaction dans lesquels intervient le discours rapport�. Je prends un exemple de ces analyses, fort pertinentes, pour pointer l'oubli qui s'y manifeste, selon moi, de la dimension dialogique verticale.
+(1) Une femme raconte � un couple d'amis, en pr�sence de son mari Don, une bourde verbale de celui-ci lors d'une interaction ant�rieure avec d'autres amis (Goodwin op. cit. : 4) :+
13 Ann : Do(h) n said (o.3)+
14 dih-did they ma :ke you take this-wa(h)llpa(h)per?+
15Beth : hh !+
16Ann : =er(h)di-dju pi(h)ck i(h)t ou(h)t+
Goodwin, � partir de l'�tude de la vid�o, montre qu'un interlocuteur participe activement, par sa mimo-gestualit� au r�cit de Ann : il s'agit tr�s pr�cis�ment de celui dont la parole est rapport�e, � savoir Don, le mari de la narratrice, dont le visage et le corps accompagnent par des signaux de rire le rire de sa femme rapportant sa bourde en 14 - 16. D'une fa�on tr�s fine, l'auteur souligne que le discours de Ann, � partir de (13) (Do(h)n said) permet � Don de faire une projection et de doubler par la mimique gestuelle la vocalit� du rire de sa femme. Question na�ve : la projection que fait Don se fonde-t-elle seulement sur l'�nonciation par Ann de l'introduction du discours rapport� (Do(h)n said) ? Ne trouve-t-elle pas peut-�tre aussi son origine dans des r�cits ant�rieurs ? Ann n'a-t-elle pas d�j� racont�, en pr�sence de son mari, � d'autres amis, cette petite anecdote ? L'interaction horizontale de Dan avec la parole de sa femme hic et nunc n'est-elle pas sous-tendue par l'interaction verticale avec du racont� ant�rieur ? Je ne saurais bien s�r r�pondre � ces questions. Ce qui retient mon attention, c'est que Goodwin ne (se) les pose pas, f�t-ce pour �carter ces possibilit�s... Le souci pour la parole qui se co-construit ne s'accompagne-t-il pas d'un oubli de la parole d�j� dite ? Cette fa�on de faire me semble r�currente en AC. Prenons un second exemple, emprunt�e � la tr�s int�ressante communication � Organisation s�quentielle et configurations syntaxiques de la parole-en-interaction � de notre congr�s (occurrence (10)). L'auteur analyse � la configuration en-ligne des trajectoires syntaxiques �, et propose l'exemple suivant :
+(2) Oui bon la litt�rature c'est- moi je n'ai jamais tellement aim� mais c'est bien s�r c'est bien si on fait �a+
Cet �nonc� est d�crit fort justement comme exemple de � formatage prospectif-r�trospectif de la structuration syntaxique � : le SN la litt�rature initialement projet�, dans le tour � d�tachement gauche, comme apposition au d�monstratif sujet c', se voit ensuite r�interpr�t� comme objet du verbe aimer. On peut regretter que le corpus pr�sent� ne nous fournisse pas le dit imm�diatement ant�rieur : l'adverbe initial oui ne pr�suppose-t-il pas la confirmation d'un propos pr�c�dent, ce qui rendrait compte dans un premier temps de la th�matisation dialogique (reprise-�cho) du SN la litt�rature selon la structure la plus accessible (� la litt�rature c'est- �), qui se voit rectifi�e ensuite par la bifurcation syntaxique ? Ce qui me retient ici �galement, c'est que la pr�sentation comme la segmentation du corpus propos� ne permettent pas de r�pondre... L'int�r�t pour le dire en cours ne va-t-il pas de pair avec le d�sint�r�t pour le d�j� dit (ici imm�diat)... comme si celui-ci n'en �tait pas un param�tre d�terminant ?
+Plus constructivement, j'aimerais pointer, � partir d'un autre exemple, ce que l'approche dialogique peut apporter � l'AC. Goodwin formule une deuxi�me critique, tout aussi pertinente, � l'encontre tant de Voloshinov que de Goffman : le fait que ces deux auteurs pensent le discours rapport� seulement en termes de complexit� syntaxique (ench�ssement du discours cit� dans le discours citant) �carte de l'analyse des ph�nom�nes qui ont � voir avec le discours rapport� mais dans lesquels ce type de syntaxe ne se manifeste pas. Ce que Goodwin illustre par l'�tude d'un fragment d'interaction entre trois personnes : Chil, qui � la suite d'un accident ne peut plus dire que yes, no et and, son fils Chuck et sa belle-fille Candy. Celle-ci parle de la neige qui est tomb�e avec moins d'abondance cette ann�e que pr�c�demment.
+ +(3)+
10 Candy : but last year.whoo !+
11Chuck mm+
in the last year-+
13 Chil : yeah- no no. no :.+
14 Candy : er the year before last+
15 Chil : yes+
En 10 et 12, Candy pose que les chutes de neige ont �t� fortes l'ann�e derni�re (� last year �), datation que Chil en 13 commence par confirmer (� yeah �), avant de se reprendre pour l'infirmer (� no no. no :. �). Ce qui entra�ne une reformulation de Candy ligne 14 (� the year before last �), nouvelle datation que Chil confirme ligne 15 (� yes �).
+Goodwin pointe que Chil, alors qu'il ne peut citer (discours rapport�) les paroles de Candy, est � m�me de les incorporer dans ses possibilit�s discursives r�duites � l'extr�me : la n�gation de la ligne 13 � indexically incorporates what Candy said in line (12), though Chil does not, and cannot, quote what she said there � ( op. cit. : 27). De son c�t�, Candy, ligne 14, en pronon�ant � the year before last �, alors m�me qu'elle ne rapporte pas la parole de Chil, parle pour lui : � though not reporting the speech of another, Candy speaks for Chil in (14), and locates him as the Principal for what is being said there " (op. cit. : 28).
+Effectivement, l'approche de Voloshinov comme celle de Goffman, en associant discours rapport� et complexit� syntaxique, ne sont pas � m�me de rendre compte de ph�nom�nes comme ceux-ci, o�, s'il n'y a pas citation effective par A de la parole de B, il est bien question dans l'�nonc� de A de la parole de B. Il me semble que l'approche dialogique, en prolongement des intuitions que l'on trouve dans Bakhtine (1934, 1952), permet de proposer un traitement unitaire de ces questions. Le statut particulier accord� au discours rapport� ne tient que pour autant que l'on met l'accent, dans l'analyse, sur la parole rapport�e, en effacement, voire en oubli de ce qu'il s'agit avant toute chose de l'interaction entre deux �nonc�s. Pour l'approche dialogique, il n'y a pas d'un c�t� le discours rapport� (discours direct, indirect, indirect libre, direct libre, voire discours narrativis�...), et de l'autre des tours syntaxiques (confirmation, n�gation comme dans l'occurrence (3), mais aussi conditionnel, ironie, d�tournement, etc.) qui, d'une fa�on ou d'une autre, ont � voir avec la parole d'un autre �nonciateur (Bres et Verine 2003). Dans les deux cas, on a affaire � un �nonc� dialogique d�fini comme structur� autour d'un dialogue interne, � savoir comme le r�sultat de l'interaction entre deux �nonciations (au moins) : celle du locuteur-�nonciateur qui a la parole, celle d'un autre �nonciateur. Les formes de cette interaction interne sont extr�mement vari�es. C'est donc le m�me ph�nom�ne, � savoir l'interaction dialogique, qui est � la base tant du discours direct - forme la plus explicite de la dualit� �nonciative - que du type de confirmation, ou de n�gation que l'on trouve en (3), types dans lesquels ladite dualit� est fortement implicit�e. La n�gation pr�dicative, en tant que marqueur dialogique, pr�suppose l'�nonc� positif correspondant qu'elle peut � rapporter � de diff�rentes mani�res. Soit en reprenant l'occurrence (3) et en l'adaptant librement au fran�ais :
+(4)+
L1 : (il a neig� beaucoup plus) l'ann�e derni�re+
L2 : a) il n'est pas vrai qu'il a neig� beaucoup plus � l'ann�e derni�re �+
b) il n'est pas vrai qu'il a neig� beaucoup plus l'ann�e derni�re+
c) non, ce n'est pas � l'ann�e derni�re � qu'il a neig� beaucoup plus+
d) non, ce n'est pas l'ann�e derni�re qu'il a neig� beaucoup plus+
e) ce n'est pas � l'ann�e derni�re � qu'il a neig� beaucoup plus+
f) ce n'est pas l'ann�e derni�re qu'il a neig� beaucoup plus+
g) non+
h) ...+
Parmi ces diff�rentes possibilit�s syntaxiques, l'�nonc� g), � savoir � non � - seul possible pour Chil du fait de son handicap - est celui qui incorpore le plus fortement l'�nonc� positif correspondant avec lequel l'interaction a lieu. Ajoutons que, dans ce cas, l'�nonc� positif doit effectivement avoir �t� actualis� par un autre locuteur (L1), ce qui implique que l'�nonc� n�gatif non, autonome, ne peut appara�tre qu'en discours dialogal.
+Consid�rer le discours rapport� comme un fait dialogique comme les autres, permet, en ne se focalisant plus sur lui, de traiter de nombreux ph�nom�nes qui comme lui proc�dent de l'interaction verticale avec du discours (�loign� ou imm�diatement) ant�rieur, et interviennent comme param�tres dans la production horizontale du discours en interaction.
+Je voudrais pour finir ajouter que la notion bakhtinienne de bivocalit� (ou de plurivocalit�) permet de rendre compte de faits �nonciatifs extr�mement complexes, comme p. ex. ce qui intervient ligne 14 de l'occurrence (3), que je rappelle pour plus de commodit� :
+(3)+
10 Candy : but last year.whoo !+
11Chuck mm+
In the last year-+
13 Chil : yeah- no no. no :.+
14 Candy : er the year before last+
15 Chil : yes+
Goodwin, nous l'avons vu, propose l'analyse suivante : � though not reporting the speech of another, Candy speaks for Chil in (14), and locates him as the Principal for what is being said there " (op. cit. : 28). On dirait plut�t, en termes dialogiques, que cet �nonc� est bivocal, que s'y font entendre deux "voix ", ici convergentes : celle de Candy elle-m�me en correction de son �nonc� de la ligne 12, du fait de la n�gation que lui a oppos�e Chil en 13 ; celle de Chil, par une sorte de ventriloquisme : Candy verbalise les mots que Chil ne peut actualiser.
+Il semble donc que l'analyse conversationnelle a tout int�r�t � ne pas limiter sa lecture des �crits du cercle de Bakhtine � Voloshinov 1929 : l'approche dialogique des faits linguistiques, qui permet de prendre en compte dans sa complexit� la dimension verticale du d�j� dit dans la production du dire, n'y appara�t pas encore.
+Partant du fait que les communications retenues pour ce congr�s relevaient principalement du discours dialogal, qu'elles traitaient dans les cadres de l'AC, nous avons questionn� cette approche, en prenant appui sur la notion de dialogisme : les pertinentes descriptions que propose l'AC de la co-construction horizontale du discours ne n�gligent-elles pas une autre dimension - verticale - du discours ? Ce qui se passe dans l'ici et maintenant du mot � mot dans le face-�-face de l'interaction conversationnelle ne se double-t-il pas constamment de l'interaction avec de l'ailleurs ant�rieur discursif ?
+Lin�arit� du discours ? Non, bien plut�t �paisseur ; et �paisseur double : �paisseur dialogale, telle que la d�crit l'AC ; �paisseur dialogique, telle que l'approche bakhtinienne invite � l'analyser.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� + par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Si elle a pu �tre consid�r�e, lors de la p�riode d'expansion du courant g�n�rativiste, comme la "discipline-pilote" des sciences humaines, la linguistique a depuis lors manifestement perdu ce statut, notamment en raison du doute qui s'est progressivement install� quant � la faisabilit� et la cr�dibilit� du programme chomskien. Le propos de cette conf�rence sera cependant de montrer que cette discipline demeure centrale, dans la mesure o� les objets auxquels elle s'adresse constituent les �l�ments constitutifs des modalit�s sp�cifiquement humaines d'organisation psychique et sociale ; ou encore de montrer que cette discipline peut fournir un appui d�cisif au d�veloppement d'une science int�gr�e de l'humain, qui saisirait ce dernier, non dans sa seule dimension biologique, mais tout autant dans ses dimensions historique, sociale et culturelle.
+Pour ce faire, nous proc�derons d'abord � un bref examen des orientations �pist�mologiques prises par la linguistique aux cours des derni�res d�cennies. Nous exposerons ensuite, depuis le cadre de l'interactionnisme social en lequel nous nous inscrivons, la probl�matique nodale d'une science int�gr�e de l'humain, qui a trait aux conditions d'�laboration et de d�veloppement d'un espace gnos�ologique en permanence accessible et dynamique. Enfin, apr�s avoir montr� que certaines oeuvres linguistiques, dont celles de Saussure et de Voloshinov en particulier, ont d'ores et d�j� fourni des analyses et propositions absolument d�cisives pour la clarification de cette probl�matique, nous nous risquerons � �noncer les conditions sous lesquelles la linguistique contemporaine pourrait contribuer � la n�cessaire "reconfiguration" des sciences humaines.
+"A tout seigneur tout honneur", notre commentaire portera d'abord sur la Grammaire G�n�rative et Transformationnelle (ci-apr�s GGT), dont le projet �pist�mologique a �t� explicitement et radicalement annonc� par son initiateur : la GGT avait pour but de fournir une repr�sentation formelle explicite des � structures mentales inn�es � sous-tendant le langage humain et rendant ce faisant possible l'acquisition de toute langue naturelle. Comme on le sait, pour Chomsky cette facult� de langage serait d'ordre strictement syntaxique : l'appareil mental humain comporterait d'un c�t� un composant relevant d'une s�mantique universelle, c'est-�-dire un ensemble d'entit�s cognitives pr�construites et ind�pendantes du langagier, d'un autre c�t� un composant constitu� des ressources phon�tiques et signal�tiques propres � l'esp�ce, et le langage proprement dit consisterait en un syst�me de r�gles de couplage de ces deux ordres d'entit�s, syst�me universel que langues naturelles mat�rialiseraient avec quelques variantes secondaires ou � superficielles � :
+� [...] il convient de se demander comment repr�senter les sons et les sens. Comme nous nous penchons sur les langues humaines en g�n�ral, de tels syst�mes de repr�sentation devraient �tre ind�pendants de toute langue particuli�re. Nous devons, en d'autres termes, d�velopper une phon�tique et une s�mantique universelles, qui d�limiteront respectivement l'ensemble des signaux possibles et l'ensemble des repr�sentations s�mantiques possibles, pour toute langue humaine. On pourra alors parler d'une langue comme d'un couplage particulier de signaux avec des interpr�tations s�mantiques, et �tudier les r�gles qui �tablissent ce couplage. � (1969, p. 132)+
Ce type de projet s'inscrit de fait dans une longue tradition qu'� la suite de Rastier (2001) nous qualifierons de logico-grammaticale. D�s l'antiquit� grecque en effet, les courants philosophiques dominants avaient eu pour objectif de fournir les arguments qui d�montreraient la possibilit� d'une intercompr�hension langagi�re, ou encore qui assoiraient le caract�re d�claratif univoque du logos humain, et ce pour des raisons � la fois scientifiques (assurer la validit� des connaissances en cours d'�laboration) et politiques (assurer que tous les citoyens comprennent de la m�me mani�re les lois). Ils ont d�s lors inlassablement tent� de doter ce langage d'une assise qui serait ailleurs qu'en lui-m�me, ou plus pr�cis�ment ailleurs que dans les pratiques sociales qu'il mat�rialise : ce fut l'objectif du Cratyle de Platon, qui visait d�sesp�r�ment � �tablir le caract�re � essentiel � des mots (leur statut de propri�t�s naturelles des objets mondains r�f�r�s) ; ce fut la vis�e de l'Organon d'Aristote, qui posait que les structures phrastiques constituent de � fid�les messagers � des structures logiques du monde ; ce fut encore, bien plus tard, l'objectif de la Grammaire g�n�rale et raisonn�e de Port-Royal, qui posait que les structures langagi�res universelles sont fond�es, non plus sur la logique du monde externe, mais sur la logique de l'esprit (en l'occurrence sur les op�rations de jugement). Ces positions "de principe" ont bien, de tout temps, �t� contest�es par des auteurs plus attentifs aux propri�t�s empiriques des langues : par D�mocrite qui, analysant dans la langue grecque les ph�nom�nes d'homonymie, de polynomie et de diversit� syntaxique, consid�rait qu'en raison de leur caract�re divers et al�atoire, les mots et les structures langagi�res ne pouvaient �tre fond�s sur les propri�t�s d'un monde en droit unique et universel ; par Flavius Jos�phe et les anomalistes de l'�poque romaine qui, prenant en compte l'extr�me vari�t� des structures des langues "barbares", soutenaient qu'il ne pouvait exister de rapport d'analogie entre structures du monde et structures langagi�res ; bien plus tard par les comparatistes du XIXe et par Saussure bien s�r. Mais rien n'y a fait ; appuy�e au besoin par les pouvoirs politiques, c'est la position "de principe" qui s'est impos�e et qui, apr�s Descartes et l'�mergence du sujet pensant, a donn� lieu aux quatre postulats qu'a de fait reformul�s la GGT.
+Les positions de ce type se r�v�lent de fait inaptes � traiter s�rieusement de deux r�alit�s pourtant indiscutables : l'extraordinaire vari�t� des langues naturelles et les changements qui les affectent en permanence. S'agissant des causes et des d�terminations de la vari�t� lexicale et structurelle des langues, si aux XVIIe et XVIIIe avaient �t� invoqu�es les � passions � des peuples, qui d�forment les structures linguistiques universelles, pour les g�n�rativistes ce probl�me est renvoy� � des diff�renciations d'ordre socioculturel, secondaires et ind�pendantes des m�canismes centraux de la pens�e et des structures langagi�res universelles. Quant aux processus de changement, ils n'ont de fait dans ce cadre aucune explication possible : dans la mesure o� le langage serait fond� sur des capacit�s cognitives biologiquement inscrites, pourquoi et comment ses manifestations pourraient-elles �tre sensibles au Temps et � l'Histoire ? Ce qui explique la tonalit� (au moins implicitement) fixiste de cette approche, les transformations caract�risant la vie des langues �tant consid�r�es comme des ph�nom�nes ne relevant pas de la linguistique proprement dite, ou encore comme tenant aux al�as des � performances � humaines.
+Alors que Chomsky a de fait abandonn� son projet �pist�mologique initial, pour d'autres raisons n�anmoins que celles qui viennent d'�tre �voqu�es, de multiples autres courants de linguistique ont entre temps �merg�, qu'il serait inutile et pr�tentieux de vouloir d�crire exhaustivement, mais � propos desquels nous formulerons les quelques remarques qui suivent.
+A nous en tenir � la linguistique synchronique, la majorit� des courants contemporains ont pris une orientation inverse � celle de la GGT et de la tradition logico-grammaticale, en saisissant r�solument le langage dans sa dimension prax�ologique (plut�t que structurale) et centrant en cons�quence les analyses sur les rapports de co-d�pendance entre les entit�s langagi�res et leur entour externe. Certains courants s'en tiennent � des entit�s linguistiques de l'ordre de l'�nonc�, dont sont examin�es les modalit�s d'interaction avec divers facteurs du contexte, soit dans ses dimensions essentiellement physiques comme dans la version princeps de la th�orie de l'�nonciation (cf. Benveniste, 1974), soit dans ses dimensions comportementales/sociales, comme dans la version initiale de la th�orie des actes de langage, soit encore dans ces deux dimensions dans la plupart des d�veloppements contemporains d'orientation �nonciative ou pragmatique. D'autres courants se centrent plut�t sur des entit�s de l'ordre du texte et/ou du discours, qui peuvent �tre analys�es plut�t sous l'angle de leurs r�gularit�s de composition interne comme dans l'approche initiale d'Adam (1990), plut�t sous l'angle de leurs co-d�pendance directe avec les structures comportementales et sociales d'�change, comme dans les diverses formes de linguistique interactionnelle, ou plut�t encore au titre de genres socialement format�s entretenant des rapports indirects avec les r�seaux d'activit� collective.
+Cette floraison de recherches a sans nul doute fourni, en de multiples domaines, des �l�ments de description technique � la fois abondants et d'une r�elle importance, mais elle est aussi le signe d'une sorte d'�parpillement th�orique, qui se manifeste notamment dans la multitude des appellations d'�cole aujourd'hui observables dans la discipline. En outre, d�s lors qu'ils se proposent d'aborder les entit�s langagi�res dans leurs rapports avec le contexte et/ou le co-texte, les courants qui viennent d'�tre �voqu�s sont immanquablement conduits � solliciter des r�f�rences disciplinaires autres, ayant trait notamment aux caract�ristiques des organisations sociales ou des interactions communicatives, ou aux op�rations psychologiques mobilis�es dans les d�cisions requises par l'activit� langagi�re. Et � nous limiter � notre discipline d'origine, force est de constater que les emprunts notionnels � la psychologie pr�sentent un caract�re la plupart du temps ad hoc ou conjoncturel : appui sur une conception de la subjectivit� d'inspiration au mieux ph�nom�nologique dans certains courants �nonciatifs ; sollicitation du cognitivisme modulaire d'inspiration fodorienne chez les tenants de la linguistique textuelle ; m�lange d�tonnant de behaviorisme et de cognitivisme dans certains courants pragmatiques, etc., etc. Cet �parpillement des �coles et ce caract�re ad hoc des emprunts aux autres sciences sociales/humaines t�moignent � nos yeux d'un seul et m�me ph�nom�ne : la difficult� actuelle de la discipline d'articuler ses travaux empiriques � un projet �pist�mologique plus ample, susceptible de se substituer au d�funt programme chomskyen.
+Formul� de la sorte, ce diagnostic est �videmment excessif, divers linguistes ayant bien �videmment propos� des directions de r�orientation globale de la discipline. Rastier a notamment, dans de nombreux ouvrages (cf 1989 ; 2001), pr�conis� avec force une r�organisation des d�marches linguistiques dans le paradigme global de l'herm�neutique, et il a propos� � cet effet un cadre conceptuel coh�rent, portant � la fois sur les modalit�s d'interaction des genres de textes avec leur entour, et sur les niveaux d'organisation interne de ces m�mes textes. Si elle est d'un int�r�t consid�rable et si nous nous en inspirons dans nos propres travaux actuels (cf. Bronckart, 2008), cette d�marche nous para�t cependant pr�senter aussi un inconv�nient, qui suscitera notre ultime remarque. Malencontreusement pr�sent�e par les r�dacteurs du Cours de linguistique g�n�rale comme une entit� ferm�e et statique, disjointe de l'activit� de parole, � la langue � a depuis lors mauvaise r�putation, et les exc�s du g�n�rativisme ont encore renforc� cette attitude de rejet. Mais au-del� des al�as de sa d�finition, cette notion s'adresse n�anmoins � un �vident domaine de r�alit�, qui est celui du v�cu d'un idiome particulier et de sa syst�matique par les individus singuliers aussi bien que par les communaut�s. Et d�s lors, s'il convient sans nul doute de rejeter la saisie logico-grammaticale de cette r�alit�, il n'y a pas lieu pour autant de nier l'existence ou l'importance du ph�nom�ne � langue �, comme semble le pr�coniser parfois Rastier, � l'instar de certains tenants des approches contextualistes. Une science du langage ne peut "jouer" les textes/discours contre la langue, ou l'inverse ; elle doit n�cessairement penser l'articulation de ces deux dimensions, et c'est notamment � cette condition qu'elle pourra se restructurer en m�me temps qu'elle pourra contribuer � la r�orientation des sciences humaines.
+L'�parpillement des �coles se manifeste aussi dans les autres sciences humaines, mais d'une mani�re partiellement diff�rente : en psychologie et en sociologie notamment se sont d�velopp�s et se maintiennent depuis un si�cle de grands cadres �pist�mologiques ; mais ceux-ci sont profond�ment divergents, et cette divergence tient essentiellement � la position adopt�e � l'�gard d'une seule et m�me probl�matique nodale : comment s'est �labor� et comment se d�veloppe l'espace gnos�ologique humain, et partant quel est le statut qui peut lui �tre accord� ?
+Par � espace gnos�ologique �, nous entendons les multiples formes de connaissances qui se sont �labor�es au cours de l'histoire sociale et qui se transmettent de g�n�rations en g�n�rations. Cet espace est donc constitu� d'entit�s id�elles ou psychiques signifiantes, mais celles-ci ont en fait deux lieux d'ancrage distincts : dans l'int�riorit� ou la pens�e consciente des individus d'une part, dans des construits sociaux d'autre part que Dilthey (1883/1992) avait qualifi�s de � mondes d'oeuvres et de culture � et dont Habermas a analys� les modalit�s d'organisation en termes de � mondes formels de connaissances � (1987). Dans Repr�sentations individuelles et repr�sentations collectives (1898), Durkheim avait propos� une analyse particuli�rement puissante de ces deux ancrages, en montrant que, tout comme les entit�s psychiques individuelles ont un statut et des modalit�s d'organisation clairement distincts de ceux du substrat neurophysiologique auquel elles s'adossent mat�riellement, les entit�s psychiques collectives t�moignent d'une r�elle autonomie statutaire et organisationnelle eu �gard aux institutions et aux autres formes d'organisation sociale qui en sont le support. Et cette autonomie de l'id�el ne peut �tre sans rapport avec l'�mergence du langage, qui constitue � tout le moins un v�hicule important de tout type de repr�sentation, et qui est en tout �tat de cause la condition sine qua non de la transmission de ces repr�sentations au cours de l'histoire. La question de fond de toute science de l'humain est donc de savoir comment se sont constitu�es des connaissances ayant comme sp�cificit� d'�tre s�miotiques et signifiantes, de s'ancrer dans des organismes qui en deviennent des personnes dot�es d'une pens�e conscience, et de s'ancrer �galement dans les formes d'organisation et les productions culturelles des communaut�s.
+Nous d�fendrons une mani�re d'aborder cette question reposant sur des orientations qui, pour �tre fermes, sont n�anmoins en soi discutables. Il s'agit d'abord de se placer dans la perspective de l'�volution des esp�ces, ce qui conduit � prendre en compte l'existence, au niveau du vivant et plus particuli�rement des animaux "sup�rieurs", de capacit�s psychiques individuelles ainsi que de modalit�s d'organisation des activit�s collectives. La question qui nous occupe doit donc �tre pos�e en termes de continuit� et de rupture ; il convient de montrer en quoi les modes de fonctionnement humain s'ancrent sur (et prolongent) les modes de fonctionnement du monde animal, en m�me temps qu'il convient de montrer comment, sur cette base, ont �merg� les sp�cificit�s �voqu�es plus haut. Mais il s'agit aussi de se placer dans une perspective plus large, inspir�e du monisme mat�rialiste de Spinoza, dont nous ne pourrons �voquer ici que deux principes majeurs. Le principe du parall�lisme psycho-physique tout d'abord, qui se d�cline en trois th�ses. (a) Chaque forme issue de l'�volution de la mati�re, y inclus les substances inertes, comporte d'un c�t� des dimensions physiques ou observables (inscrites dans l'espace), d'un autre des dimensions processuelles ou psychiques non directement observables. Ces deux dimensions ne sont que deux faces d'une m�me r�alit�, et elles ne nous paraissent disjointes qu'en raison de la limitation de nos capacit�s cognitives (au plan ontologique donc, le psychique est tout aussi "r�el" que le physique). (b) Les propri�t�s physiques observables et les propri�t�s des processus sous-jacents sont, d�s lors, en chaque forme naturelle, n�cessairement d'un niveau de complexit� �quivalent, en tout cas � l'�tat d'�quilibre de ces formes. (c) Cependant, si les formes mat�rielles �voluent en permanence, c'est parce que les processus sous-jacents sont aussi susceptibles de cr�er, sous certaines conditions, des d�s�quilibres, qui entra�nent eux-m�mes des r��quilibrations donnant naissance � des formes nouvelles ; th�se qui est en fait au coeur des approches thermodynamiques contemporaines. Le second principe est celui du r�le central des interactions dans la constitution des entit�s psychiques de quelque forme naturelle que ce soit. Pr�figurant la dialectique premi�re de Hegel, comme la conception du d�veloppement formul�e par Piaget, Spinoza soutient en effet que la connaissance proc�de des contacts entre corps/esprit d'une part, entit�s mondaines d'autre part, contacts qui entra�nent d'abord la diff�renciation soi-monde, puis, en se r�p�tant, la diff�renciation progressive des objets du monde.
+L'adoption de ces principes conduit � r�cuser toutes les formes de dualisme issues de la bi-partition pos�e par Descartes entre ordre de l'�me-pens�e et ordre des corps et des objets ; position qui revient � consid�rer que les dimensions psychiques processuelles seraient propres � l'humain, et qui ne constitue ce faisant qu'un reliquat du cr�ationnisme religieux. Elle conduit aussi � rejeter les th�ses des neurosciences et de certains courants cognitivistes radicaux, en ce que leur conception de l'�volution accorde un r�le exclusif � l'�quipement biologique sans prendre en compte r�ellement cet autre facteur majeur que constitue l'�volution des modalit�s comportementales d'interaction entre les organismes et leur milieu ; nous soutiendrons pour notre part qu'il n'y a pas d�termination unilat�rale du biologique sur le mental et le comportemental mais co-construction et co-d�termination de ces trois registres. Il s'agit donc d'aborder la probl�matique des conditions de constitution de la gnos�ologie humaine dans une perspective � la fois moniste, �volutionniste et "interactive", mais deux grands paradigmes adoss�s � ces principes restent aujourd'hui en concurrence, que nous qualifions respectivement d'interactionnisme logique et d'interactionnisme social.
+L'orientation interactionniste logique est particuli�rement illustr�e par l'oeuvre de Piaget, que l'on peut lire comme une tentative de validation, exp�rimentale et "g�n�tique" (au sens de d�veloppementale), de la synth�se qu'avait propos�e Kant (1781/1944) entre positions empiristes et rationalistes. Pour ce philosophe, d'un c�t� toute connaissance pr�suppose l'exp�rience, c'est-�-dire la mise en oeuvre d'interactions entre le sujet et le milieu, au terme desquelles certaines des empiries sont enregistr�es et conserv�es ; mais d'un autre c�t� l'esprit analyse et organise ce mat�riau en lui appliquant des cat�gories rationnelles (Temps, Espace, Causalit�, etc.) qui rel�vent de ses propri�t�s intrins�ques ou a priori, cette application des cat�gories de la raison aux donn�es exp�rientielles aboutissant aux diverses formes de jugement et de raisonnement humains. Piaget a adopt� une position analogue, mais en contestant que les a priori soient inn�s et structuraux, et en tentant d�s lors de montrer comment les op�rations cognitives se construisent au cours de l'ontogen�se sous l'effet de processus interactifs g�n�raux qui, eux, seraient inn�s ou h�rit�s. Dans ses �tudes sur la phase initiale du d�veloppement (de la naissance � 18 mois), il a montr� comment le contact actif de l'organisme humain avec son milieu, initialement sous le contr�le des r�flexes inn�s, g�n�re progressivement, par le jeu des m�canismes d'assimilation et d'accommodation, des traces internes relatives aux propri�t�s des objets externes, ainsi qu'aux propri�t�s des comportements propres. Il a montr� ensuite que, sous l'effet des m�mes m�canismes, ces traces s'organisent en ces configurations plus stables que sont les images mentales ; images qui restent cependant d�pendantes des objets et des comportements qui les ont suscit�es, qui restent inaccessibles au contr�le conscient du sujet, et qui ne permettent ainsi qu'une intelligence sensori-motrice. Piaget a analys� ensuite les conditions sous lesquelles ce psychisme pratique se transforme en pens�e consciente, en soutenant que ce sont les m�mes processus naturels d'interaction entre organisme et milieu qui provoquent la rencontre avec les entit�s figuratives disponibles dans le milieu (images, symboles, signes) et que l'int�riorisation de ces �l�ments figuratifs rend possible la transposition des sch�mes pratiques au niveau mental, c'est-�-dire l'�mergence d'une intelligence op�ratoire et accessible.
+Comme nous l'avons montr� (Bronckart, 1997a), dans l'analyse de ses donn�es, Piaget ne prend cependant en compte que les interactions entre un enfant singulier et le milieu en ce qu'il est physique ; il n�glige en d'autres termes le r�le que peuvent jouer les interventions formatives des adultes et les productions langagi�res n�cessairement mobilis�es dans ce cadre, consid�rant que ces �l�ments ne constituent pas de v�ritables facteurs de d�veloppement :
+� Les op�rations de la pens�e [...] tiennent aux coordinations g�n�rales de l'action [...] et non pas au langage et aux transmissions sociales particuli�res, ces coordinations g�n�rales de l'action se fondant elles-m�mes sur les coordinations nerveuses et organiques qui ne d�pendent pas de la soci�t�. � (1970, p. 177)+
Et cette position l'a conduit � une sorte d'impasse qu'il a lui-m�me comment�e dans un de ses derniers �crits (1989). L'auteur y constate d'abord que les m�canismes physiologiques humains, � l'instar de tous les ph�nom�nes physiques, fonctionnent selon une logique causale. Il ajoute ensuite que ce fonctionnement causal s'applique aussi aux sch�mes du sensori-moteur mais qu'il ne peut caract�riser les m�canismes � l'oeuvre dans la pens�e consciente, dans la mesure o� ces derniers rel�vent d'une logique d'implication : ils consistent en encha�nements d'implications signifiantes, r�gis par des r�gles non n�cessaires, ou d'ordre normatif :
+� Sur le terrain de l'intelligence, le mode essentiel de liaison propre � la conscience logique est l'implication [...] selon laquelle une ou plusieurs affirmations en entra�nent n�cessairement une autre. Par exemple, la v�rit� de 2 + 2 = 4 n'est pas "cause" de la v�rit� de 4 - 2 = 2 [...] la v�rit� [...]) de 2 + 2 = 4 "implique" celle de 4 - 2 = 2, ce qui est tout autre chose. En effet, cette implication se caract�rise par un sentiment de n�cessit� qui est bien diff�rent d'une d�termination causale, car celle-ci ne souffre pas d'exception, tandis que la n�cessit� constitue une obligation que l'on doit respecter : or ce n'est pas toujours ce que l'on fait, si bien que le logicien Lalande �non�ait l'implication en disant "p implique q pour l'honn�te homme" de mani�re � souligner son caract�re normatif. � (1989, p. 177)+
Piaget se pose alors la question de savoir comment un syst�me causal peut, au cours du d�veloppement, se transposer directement en un syst�me d'implications signifiantes, et finit par avouer qu'au plan empirique, ce probl�me reste pour lui sans v�ritable solution. Nous reviendrons plus loin sur les le�ons � tirer de cette analyse, qui nous para�t capitale.
+Le mouvement interactionniste social s'est d�velopp� d�s les d�buts du XXe, au travers des oeuvres de B�hler, Dewey, Mead, Vygotski, Wallon et bien d'autres. Adoss� au spinozisme et au marxisme, ce courant se caract�rise, au contraire de Piaget, par une approche du d�veloppement humain qui prend r�solument en compte les pr�construits de l'histoire sociale (les formes d'activit� collective, les oeuvres, les organisations sociales) ainsi que les processus de m�diation formative, et qui accorde un r�le d�cisif aux pratiques s�miotiques et/ou langagi�res.
+Figure de proue de ce mouvement, Vygotski (1934/1977) a propos� un sch�ma d�veloppemental que l'on peut r�sumer comme suit. (a) L'esp�ce humaine est biologiquement dot�e de capacit�s nouvelles qui permettent le d�ploiement d'activit�s collectives plus complexes que celles des autres animaux socialis�s. (b) La complexit� de ces activit�s collectives a rendu n�cessaire l'�mergence d'un m�canisme d'entente dans l'agir, en l'occurrence l'�mergence de l'activit� langagi�re en tant qu'instrument de planification, de r�gulation et d'�valuation des autres formes d'activit�s. (c) Cette activit� langagi�re est productrice d'unit�s s�miotiques, c'est-�-dire de repr�sentations d'aspects du monde qui ne sont plus, comme dans le r�gne animal, in�luctablement idiosyncrasiques, mais qui, de par les conditions m�mes de leur constitution, sont partag�es ou collectives. (d) C'est alors l'appropriation et l'int�riorisation de ces unit�s s�miotiques socialis�es qui engendrent la transformation du psychisme h�rit� en un syst�me de pens�e auto-accessible ou potentiellement conscient, et c'est le d�ploiement de l'activit� langagi�re par des individus pensants qui rend possible la constitution des mondes d'oeuvres et de culture. Selon cette approche, les images mentales des animaux (et des jeunes enfants) restent idiosyncrasiques parce qu'elles ne b�n�ficient d'aucun moyen propre de discr�tisation et de stabilisation ; elles constituent une sorte de n�buleuse, pour laquelle la description que proposait Saussure de ce que pourrait �tre une � pens�e sans langage � para�t (paradoxalement) �clairante : � prise en elle-m�me, la masse purement conceptuelle de nos id�es, la masse d�gag�e de la langue repr�sente une esp�ce de n�buleuse informe o� l'on ne saurait rien distinguer d�s l'origine. � (in Constantin, p. 285). L'int�riorisation des signes du langage, non seulement rendrait possible cette discr�tisation et cette stabilisation, entra�nant une compl�te restructuration de l'appareil psychique, mais en outre, d�s lors que ces signes sont p�tris de significations sociohistoriques, elle entra�nerait un changement de statut de cet appareil, qui passerait, selon la c�l�bre formule de Vygotski, de l'ordre du biologique � l'ordre de l'historico-culturel.
+Nous adh�rons pour notre part sans r�serve � ce sch�ma, dont Voloshinov a d'ailleurs propos� une version quasi identique (1929/1977 - cf. infra), mais il faut reconna�tre que ces deux auteurs, s'ils mettaient l'accent respectivement sur le r�le des signes et des textes, n'ont propos� que des �bauches d'analyse du statut de ces derniers, et d�s lors n'ont pas propos� de d�monstration technique pr�cise des m�canismes par lesquels les propri�t�s des entit�s langagi�res entra�nent la restructuration du psychisme humain. Mais comme nous le verrons ci-dessous, une telle d�monstration a de fait �t� propos�e dans l'oeuvre r�elle de Saussure.
+Dans ce qui suit, nous solliciterons, parmi les multiples avanc�es des sciences du langage, quatre approches qui nous paraissent fournir un appui majeur aux th�ses de l'interactionnisme social, les deux premi�res issues de l'oeuvre de Saussure, la troisi�me de celle de Voloshinov et la quatri�me des courants actuels centr�s sur l'analyse de l'organisation interne des textes.
+Si le terme de � discours � n'appara�t pas dans le CLG, on en trouve n�anmoins de multiples occurrences dans les notes manuscrites de Saussure ainsi que dans les cahiers d'�tudiants ayant suivi ses cours. Sa position �tait en fait que les discours/textes constituent le milieu de vie premier des ph�nom�nes langagiers : c'est dans le cadre de leur mise en oeuvre synchronique, ainsi que dans le cours de leur transmission historique, que les valeurs signifiantes des signes se construisent, et qu'elles se transforment en permanence :
+� Toutes les modifications, soit phon�tiques, soit grammaticales (analogiques) se font exclusivement dans le discursif. Il n'y a aucun moment o� le sujet soumette � une r�vision le tr�sor mental de la langue qu'il a en lui, et cr�e � t�te repos�e des formes nouvelles [...] qu'il se propose, (promet) de "placer" dans son prochain discours. Toute innovation arrive par improvisation, en parlant, et p�n�tre de l� soit dans le tr�sor intime de l'auditeur ou celui de l'orateur, mais se produit donc � propos du langage discursif. � (2002, p. 95)+
Qu'est-ce alors que la langue en regard de ces discours ? Saussure en a donn� une premi�re d�finition lors des trois Conf�rences prononc�es en 1891 lors de l'inauguration de sa chaire genevoise. Il y souligne d'abord l'in�luctable continuit� des faits de langage et en vient � d�clarer qu'il n'existe en fait qu'une seule langue, � l'oeuvre depuis l'�mergence de l'esp�ce : � j'insisterais encore une fois sur l'impossibilit� radicale, non seulement de toute rupture, mais de tout soubresaut, dans la tradition continue de la langue depuis le premier jour m�me o� une soci�t� humaine a parl� � (ibid., p. 163). Il pose ainsi que la langue constitue une entit� ontologiquement une, ou encore qu'existe un stock de ressources qui seraient perp�tuellement redistribu�es dans le temps et dans l'espace, les diverses communaut�s situ�es dans ces coordonn�es n'en exploitant, par convention, que des sous-ensembles restreints.
+Mais d�s ces m�mes Conf�rences, Saussure souligne aussi que cette langue universelle conna�t des � �tats � successifs, et comme on le sait, c'est sur le statut de ces �tats qu'ont surtout port� ses r�flexions et ses enseignements ult�rieurs. Dans une premi�re acception, la langue comme �tat, c'est un � r�servoir � (ou un � tr�sor �) de valeurs signifiantes issues des textes, telles que celles-ci se � d�posent � dans le � cerveau � du sujet parlant.
+� Tout ce qui est amen� sur les l�vres par les besoins du discours, et par une op�ration particuli�re, c'est la parole. Tout ce qui est contenu dans le cerveau de l'individu, le d�p�t des formes entendues et pratiqu�es et de leur sens, c'est la langue. � (in Komatsu & Wolf, Cours I, 1996, pp. 65 - 66)+
Si Saussure consid�re ici que ce d�p�t est localis� � dans le cerveau �, dans d'autres passages il peut mentionner tout autant � la conscience des sujets parlants � ou la � sph�re associative interne �, ces diverses expressions d�signant manifestement ce que nous qualifions d'appareil psychique des personnes. Il ajoute que les formes int�rioris�es sont r�organis�es dans cet appareil : elles y font l'objet de classements donnant lieu � la constitution de s�ries de termes entretenant entre eux des rapports de ressemblance-diff�rence, selon des crit�res d'ordre phonique ou s�mantique. Si elles sont bien issues des textes, les entit�s signifiantes s'organisent donc dans la sph�re associative interne sous des modalit�s diff�rentes de celles de l'organisation lin�aire de la textualit�, et cette organisation constitue un premier "degr�" d'�tat de langue, que nous qualifierons de langue interne. Mais Saussure a soutenu que la langue avait aussi son si�ge dans la collectivit� : � La langue est l'ensemble des formes concordantes que prend [le] ph�nom�ne [de langage] chez une collectivit� d'individus et � une �poque d�termin�e � (2002, p. 129). Dans cette autre approche, il souligne que la langue demeure toujours sous le contr�le ultime du social, en l'occurrence des accords ou conventions qui s'y �tablissent. Cet �tat de langue collectif est donc le niveau o� s'exerce l'activit� normative des g�n�rations de locuteurs, et nous le qualifierons d�s lors de langue norm�e ("degr�" de langue qui est par ailleurs celui que tentent d'appr�hender et de d�crire les grammairiens ou linguistes).
+Pour r�sumer la position de Saussure quant aux unit�s d'analyse possibles d'une science du langage, on peut consid�rer que celui-ci pose d'abord deux entit�s dont l'�tude semble ne pas pouvoir relever de la seule linguistique : l'activit� langagi�re d'une part, la langue universelle d'autre part, en tant que stock de ressources dont l'extension semble finie. Mais il soutient aussi que la mise en oeuvre effective de ces deux entit�s par les groupes humains, dans des circonstances historiques et g�ographiques variables, requiert la prise en compte des trois autres entit�s, qui constituent les v�ritables objets d'une science du langage.
+Une telle approche rompt radicalement, on le constate, avec l'un des principes de la tradition logico-grammaticale et du g�n�rativisme, en ce qu'elle pose que, plut�t que d'�tre des produits de la mise en oeuvre d'un hypoth�tique appareil langagier universel, les textes/discours sont au contraire � la source m�me de la constitution de la langue interne et de la langue norm�e. Elle conduit aussi � ne pas sous-estimer le r�le de la langue, dans la mesure o� les trois entit�s identifi�es sont fondamentalement interd�pendantes et sont le si�ge d'un mouvement dialectique permanent : les signes et leurs valeurs sont mis en oeuvre dans les textes ; ils font l'objet d'une appropriation par les personnes et se r�organisent dans leur appareil psychique selon les modalit�s singuli�res (langue interne) ; ils sont ensuite extraits de ce m�me appareil pour �tre r�inject�s dans de nouveaux textes, sous le contr�le de la langue norm�e, la dimension individuelle de ce dernier processus �tant � l'origine des dimensions cr�atives des nouvelles productions, la dimension sociale de leurs dimensions reproductives.
+Dans l'Essence double, dans diverses notes et dans le Cours I, Saussure a d�crit de mani�re d�taill�e les op�rations impliqu�es dans la construction des signes ; op�rations qu'il a con�ues comme se d�ployant simultan�ment, ou encore comme �tant interd�pendantes, comme en atteste sa d�sormais c�l�bre formulation du quaternion :
+ +Un premier m�canisme r�side en la constitution des images acoustiques sur un versant, des images de sens sur un autre, par traitement des entit�s mat�rielles sonores ou des entit�s mondaines r�f�rentielles, m�canisme qui ne mobilise en r�alit� que les processus �l�mentaires d'assimilation, d'accommodation et d'�quilibration dont Piaget a d�montr� qu'ils interviennent dans la constitution de tout type d'image mentale. Un second m�canisme r�side en la s�lection d'une image de chacun des deux registres, au sein d'un ensemble associatif � la fois socialement pertinent et personnel ; le processus de diff�renciation-opposition ici impliqu� est �galement �l�mentaire et mobilisable dans bien d'autres traitements cognitifs. Le troisi�me m�canisme consiste enfin en l'� accouplement � des deux images par association ; association qui est certes constitutive des termes auxquels elle s'applique, mais ce type d'association formative ne constitue pas un ph�nom�ne unique ou sp�cifiquement langagier : les behavioristes aussi bien que Piaget en ont d�crit de nombreux exemples dans bien d'autres types de traitement cognitif.
+Les processus mis en oeuvre dans la construction des signes sont comme on le constate les processus interactifs h�rit�s de l'�volution, et c'est en cela que la d�monstration saussurienne nous para�t capitale. Cette construction se situe dans le prolongement direct des processus communs au vivant : c'est l'aspect de continuit� �voqu� plus haut ; mais une fois constitu�s, ces signes transforment radicalement le psychisme h�rit� et le font passer, comme disait Vygotski, du r�gime bio-comportemental au r�gime socio-historique : c'est l'aspect de rupture �galement �voqu�. Le signe est donc le lieu m�me de la continuit�-rupture, et l'�l�ment d�terminant de la rupture humaine tient au fait que les processus h�rit�s s'appliquent non plus seulement � des objets physiques comme dans le monde animal, mais � des objets sociaux, � ces � petits bruits �mis par la bouche � selon l'expression de Bloomfield, qui sont conventionnellement associ�s � des dimensions de l'activit� humaine. En d'autres termes, les signes ont cette propri�t� radicalement nouvelle dans l'�volution de constituer des cristallisations psychiques d'unit�s d'�change social, et c'est cette socialisation du psychisme qui est fondatrice de l'humain.
+Voloshinov (1929/1977) a jet� les bases d'une approche radicalement nouvelle du statut des textes et de leur r�le dans le d�ploiement de la vie psychique et sociale, dont nous ne pourrons relever que trois aspects centraux dans le cadre de cette contribution.
+Comme nombre de linguistes russes des ann�es 20, cet auteur �tait engag� dans le d�bat sur le statut des oeuvres litt�raires/po�tiques, et critiquait fermement la position des "formalistes", en soutenant que ces oeuvres constituaient des produits de modalit�s particuli�res de communication sociale, et qu'elles devaient en cons�quence �tre appr�hend�es en tant que formes textuelles sp�cifiques, en une d�marche comparant leurs conditions de production et leurs propri�t�s internes avec celles des textes "ordinaires". Et c'est cette position continuiste qui l'a conduit � g�n�raliser la notion de genre � toutes les sortes de textes, et � tenter de d�finir ces genres en se fondant essentiellement sur le type d'interaction sociale/verbale dont ils �taient le produit. Il a soutenu en outre que la m�thodologie d'analyse des textes devait s'organiser en un programme descendant, consistant � �tudier d'abord les activit�s d'interaction verbale dans leur cadre social, � identifier ensuite les genres textuels mobilis�s dans ces interactions, et � proc�der enfin � l'examen des multiples propri�t�s linguistiques formelles de chacun des genres. Programme qui a orient�, comme on le sait, une large part des courants contemporains d'analyse de discours.
+Cette approche des textes s'inscrivait cependant pour Voloshinov dans une perspective bien plus large, ayant trait au r�le que jouent les productions verbales dans le d�veloppement psychologique et social. Il soutenait d'un c�t� que les configurations de signes attestables dans les textes (ou, en termes saussuriens, la r��laboration permanente des valeurs de ces signes dans la textualit�) constituaient une forme de r�fraction de l'id�ologie ambiante ou de la � psychologie du corps social �, et d'un autre c�t�, adh�rant explicitement aux th�ses de Vygotski, il soutenait que c'est l'appropriation et l'int�riorisation des signes v�hicul�s par les textes qui constitue la condition du d�veloppement psychologique permanent des personnes. Sous ce dernier angle, l'approche de Voloshinov est d'une part compatible avec celle de Saussure, en ce que tous deux posent que les valeurs signifiantes de la textualit� font l'objet d'une int�riorisation, et se r�organisent donc n�cessairement dans ce lieu d'ancrage que constitue la langue interne ; elle pose d'autre part que les textes constituent un lieu de vie interm�diaire des repr�sentations humaines, ou encore un lieu de mise en interface entre les repr�sentations collectives et les repr�sentations individuelles, telles que les avait analys�es Durkheim.
+Si elles n'avaient que partiellement �t� abord�es par Voloshinov (dans ses �tudes des diverses formes de discours rapport� - op. cit., pp. 161 - 220), les modalit�s de structuration interne des textes ont depuis lors fait l'objet de nombreuses �tudes, ayant abouti � d'importants mod�les de l'architecture textuelle, dont notamment celui �labor� par Adam dans une perspective plut�t ascendante (centr�e sur l'articulation des propositions, des macro-propositions et des s�quences) et celui �labor� par Rastier, dans une perspective clairement descendante (centr�e sur les parcours isotopiques de significations). Nous nous permettrons d'�voquer ici notre approche propre (cf. Bronckart 1997b) qui est centr�e sur les types de discours, comme entit�s structurantes interm�diaires, en ce qu'elles sont d'un c�t� infraordonn�es eu �gard aux genres et d'un autre c�t� constituent les cadres linguistiques de rang sup�rieur r�gissant la distribution d'une bonne part des marques syntaxiques et �nonciatives. Ces types correspondent aux � modes d'�nonciation � dont Genette (1986) avait clairement soulign� qu'ils ne devaient pas �tre confondus avec les genres, et ils se construisent sur la base de deux types d'op�rations. Les premi�res explicitent le rapport existant entre les coordonn�es organisant le contenu th�matique d'un texte et les coordonn�es du monde externe dans lequel se d�ploie l'action langagi�re dont le texte est issu. Les secondes ont trait � la mise en rapport entre, d'une part les diff�rentes instances d'agentivit� (personnages, groupes, institutions, etc.) et leur inscription spatio-temporelle, telles qu'elles sont mobilis�es dans un texte, et d'autre part les param�tres mat�riels de l'action langagi�re en cours (agent producteur, interlocuteur �ventuel et espace-temps de production). Pour le premier type d'op�ration, soit les coordonn�es du monde discursif sont pr�sent�es comme clairement disjointes de celles du monde de l'action langagi�re, soit cette mise � distance n'est pas op�r�e, et les deux sortes de coordonn�es sont d�s lors n�cessairement conjointes. Cette premi�re distinction revient ainsi � distinguer les mondes discursifs de l'ordre du RACONTER vs de l'ordre de l'EXPOSER. Pour le second type d'op�ration, soit un segment de texte explicite le rapport que ses instances d'agentivit� entretiennent avec les param�tres mat�riels de l'action langagi�re, soit ce rapport n'est pas explicit� et les instances d'agentivit� entretiennent alors un rapport d'indiff�rence avec les param�tres de l'action langagi�re en cours. Une seconde distinction g�n�rale peut ainsi �tre pos�e entre les mondes discursifs exhibant, soit un rapport d'implication, soit un rapport d'autonomie, � l'�gard des param�tres de l'action langagi�re. En croisant ces deux distinctions, on aboutit alors � l'identification de quatre mondes discursifs, qui sont traduits par ces configurations d'unit�s et de processus linguistiques que nous qualifions de types de discours : le monde de l'EXPOSER impliqu� se r�alise en discours interactif, le monde de l'EXPOSER autonome en discours th�orique, le monde du RACONTER impliqu� en r�cit interactif et le monde du RACONTER autonome en narration.
+Notre mod�le pose ensuite l'existence de divers m�canismes contribuant � l'instauration de la coh�rence th�matique (connexion, coh�sion nominale) et de la coh�rence interactive (voix et modalisations), proc�d�s abondamment d�crits en linguistique textuelle, mais que nous analysons dans leurs rapports de d�pendance, soit avec les types de discours qu'ils "traversent", soit avec le genre dont rel�ve l'ensemble du texte. Si ce mod�le demeure bien �videmment imparfait et pourrait notamment, comme nous l'avons montr� (cf. 2008), �tre compl�t� par l'introduction de certains m�canismes mis en �vidence par Rastier, pour la probl�matique qui nous occupe, l'important est que soient r�ellement pris en compte et analys�s les niveaux de structuration interm�diaire de la textualit�.
+D�s lors que l'on adh�re � la th�se du r�le d�cisif que joue le langage dans la constitution et le d�veloppement de l'espace gnos�ologique humain, la linguistique nous para�t pouvoir et devoir contribuer � la d�monstration de trois des effets constitutifs de ce langage.
+Le premier concerne la constitution des unit�s de pens�e, et l'analyse saussurienne des signes �voqu�e plus haut nous para�t en fait avoir d�j� r�gl� la question. Dans la mesure o� les signes sont arbitraires, ou n'ont aucun fondement substantiel, leur int�riorisation aboutit � la constitution d'entit�s internes qui, � la diff�rence des images du psychisme animal, ne sont plus d�pendantes des conditions de renforcement du milieu ; et cette autonomie leur conf�re une premi�re caract�ristique, de permanence et de stabilit� (les repr�sentations humaines persistent m�me lorsque s'�teignent les renforcements qui les ont suscit�es). Ensuite, d�s lors que la face signifiante du signe est constitu�e d'une image acoustique d�limit�e, le signifi� qui y correspond se pr�sente lui-m�me comme une entit� mentale circonscrite : le signifi� est, comme le soulignait De Mauro (1975, p. 438, note 128), un � analyseur � ou un � organisateur � qui f�d�re en une unit� stable un ensemble d'images r�f�rentielles � caract�re jusque-l� idiosyncrasique. Et l'existence de telles unit�s constitue la condition sine qua non du d�ploiement des op�rations de pens�e (ces derni�res requi�rent en effet l'existence de termes stables auxquels s'appliquer). Enfin, les signes sont des entit�s d�doubl�es : ils sont constitu�s d'� enveloppes sociales � (selon la formule de Sapir, 1921/1953, p. 20) qui renvoient � des ensembles d'images individuelles en m�me temps qu'elles les rassemblent, enveloppes dont la face sonore est par ailleurs perceptible et traitable ; et c'est cette accessibilit� d'entit�s � pouvoir d�doublant qui rend possible le retour de la pens�e sur elle-m�me, ou encore la capacit� de conscience. Ce � quoi il convient d'ajouter qu'�tant donn� l'origine sociale-conventionnelle des signifiants, la subsomption que ces derniers op�rent sur les images mentales idiosyncrasiques des individus ne peut jamais �tre compl�te, ou encore que ce processus laisse n�cessairement du � reste repr�sentatif � qui n'est �videmment pas sans rapport avec ce que l'on qualifie d'inconscient.
+Pour aborder les deux autres types d'effets potentiels, qui restent quasi totalement � �lucider, il nous para�t n�cessaire de prendre appui d'abord sur des propositions ou des acquis �manant de trois auteurs d�j� abondamment convoqu�s.
+Saussure, s'il a surtout analys� des entit�s de la taille du mot, soutenait cependant que toutes les entit�s langagi�res relevaient de la s�miologie (� S�miologie = morphologie, grammaire, syntaxe, synonymie, rh�torique, stylistique, lexicologie, etc., le tout �tant ins�parable � - 2002, p. 45). Ce qui signifiait pour lui que les syntagmes, les structures pr�dicatives ou les m�canismes de textualisation devaient exhiber des propri�t�s analogues � celles des signes-mots, dont notamment l'arbitraire radical, et donc t�moigner d'une autonomie eu �gard � ces "correspondants" r�f�rentiels que constituent notamment les op�rations cognitives. Cette hypoth�se est peut-�tre trop forte, mais en tout �tat de cause, la question du taux d'arbitraire dont t�moignent les entit�s supra-ordonn�es aux mots m�rite un s�rieux examen, et est li�e � la probl�matique des deux autres types d'effets potentiels qui seront �voqu�s ci-dessous.
+Piaget a propos� une analyse des conditions de transformation de l'intelligence sensori-motrice en une pens�e op�ratoire consciente que nous avons contest�e, mais nous ne pouvons contester par contre son analyse des r�sultats de cette transformation, � savoir la construction d'op�rations de pens�e � caract�re formel, organis�es en une logique abstraite. Si, comme nous le soutiendrons ci-dessous, les op�rations cognitives initiales (de 2 � 5 ans environ) proc�dent directement de l'int�riorisation des structures pr�dicatives de la langue d'usage et sont donc "marqu�es" par les propri�t�s particuli�res de cette langue, la mise en oeuvre des processus d'abstraction r�fl�chissante et de g�n�ralisation, telle que l'auteur l'a analys�e, fait en sorte que se construisent progressivement ensuite des op�rations d�gag�es des contraintes s�mantico-syntaxiques du langagier, ou encore des op�rations proprement cognitives, qui co-existent d�s lors avec les op�rations sous-tendant la gestion d'une langue particuli�re.
+Vygotski a th�matis� � sa mani�re cette co-existence, en soutenant que si le langage constitue le produit de la � fusion � de capacit�s communicatives et cognitives ant�rieures et � primaires �, cette fusion n'est jamais totale, et que l'humain dispose donc n�cessairement et d'une � pens�e verbale � et d'une � pens�e non verbalis�e �. Et, ayant analys�, dans des corpus de textes, les d�calages qui se produisent entre le plan des structures de signifiants formels et celui des construits cognitifs r�f�r�s, il a soutenu que la perception et le traitement de ces d�calages constituaient les conditions m�mes de la poursuite du d�veloppement psychologique :
+� Partout -dans la phon�tique, la morphologie, le lexique, la s�mantique, et m�me dans la rythmique, la m�trique et la musique- des cat�gories psychologiques se cachent derri�re les cat�gories grammaticales ou formelles. Si dans un cas elles se recouvrent apparemment, dans d'autres elles divergent [...] Cette discordance, loin d'emp�cher la pens�e de se r�aliser dans le mot, est la condition n�cessaire pour que le mouvement de la pens�e au mot soit possible. � (1934/1997, pp. 433 - 434)+
C'est sur ces bases que nous paraissent pouvoir �tre abord�s les deux autres types d'effets constitutifs.
+Comme Piaget l'avait relev�, les op�rations cognitives de base rel�vent de l'implication de significations : elles ont un caract�re probabiliste ou normatif et ne peuvent pour cette raison d�river directement de la logique de n�cessit� des encha�nements causaux. Or ce caract�re normatif se rencontre dans les structures pr�dicatives de base des langues naturelles, et plus pr�cis�ment dans les modalit�s de r�fraction que proposent ces structures du caract�re probabiliste des actions humaines. Et deux questions m�ritent d�s lors un s�rieux examen empirique : par quels processus, dans un premier temps d�veloppemental, l'appropriation et l'int�riorisation des structures pr�dicatives d'une langue g�n�rent-elles ces formes d'op�rations imparfaites, ou d�termin�es linguistiquement et contextuellement, que Piaget a qualifi�es d'� op�rations concr�tes � ? Par quels processus, dans un second temps d�veloppemental, ces op�rations peuvent-elles se d�gager de ces d�terminations pour devenir � formelles � ?
+S'agissant des op�rations cognitives plus complexes, le m�me type de question peut �tre pos�, en prenant en compte cette fois les niveaux de structuration interm�diaire de la textualit�. De nombreux auteurs ont soutenu avec pertinence que le d�veloppement des identit�s personnelle ou sociale ne pouvait pas �tre sans rapport avec celui de la ma�trise des m�canismes de gestion des voix et des modalisations requise par la production textuelle. Nous soutenons pour notre part que le d�veloppement de la ma�trise des types de discours ne peut pas �tre sans rapport avec la construction des types de raisonnements (raisonnements par sch�matisation impliqu�s dans les discours interactifs ; raisonnements causaux-chronologiques impliqu�s dans les r�cits et les narrations ; raisonnements d'ordre logique et/ou semi-logique impliqu�s dans les discours th�oriques), et nous soutenons �galement que la ma�trise des modalit�s de structuration temporelle propres aux types de discours constitue sans doute la condition du d�veloppement des diverses formes sociales d'appr�hension et d'organisation du facteur Temps. Quelques recherches sont actuellement en cours sur ces th�mes (cf. Bulea & Bronckart, sous presse), mais le chantier est vaste ...
+Une science humaine adoss�e � l'�pist�mologie interactionniste sociale a besoin de la linguistique, comme nous esp�rons l'avoir montr�. Mais pour conclure avec l'engagement qui a caract�ris� cette intervention, nous nous permettrons d'�noncer trois convictions, ou trois conditions d'efficacit� de la contribution souhait�e.
+Accepter d'abord que tous les objets d'une science du langage ont une dimension fondamentalement s�miotique, que le langage et les langues sont avant tout des instruments de cr�ation de signification ; � mettre la question du sens sous le paillasson � a �videmment constitu� de ce point de vue une erreur fondamentale.
+Accepter aussi que la r�alit� premi�re du langage est d'ordre prax�ologique ; que le premier niveau empirique de la vie d'une langue est constitu� de textes, dans leurs rapports aux activit�s humaines et � leur contexte, et que toute m�thodologie d'analyse doit pr�senter d�s lors un caract�re descendant, des structures globales vers les structures et entit�s locales.
+Reconsid�rer enfin, dans une perspective r�ellement dialectique, les rapports entre les pratiques textuelles empiriques et ces v�cus du langagier que constituent la langue personnelle et la langue de la communaut�.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� + par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Pourquoi une linguistique de l'�crit ? Quelles sont les demandes sp�cifiques adress�es au linguiste, quels sont les mod�les d'analyse qui permettent d'en capter la dynamique particuli�re ? Enfin, comment s'op�re le glissement de l'�crit au texte litt�raire, retenu ici, et � la reconnaissance d'un style litt�raire ?
+Un d�but de r�ponse est fourni par J. Gardes-Tamine (2004 : 31) : l'�crit constitue un � terrain d'observation beaucoup plus f�cond que l'oral �. Il est cr�dit� d'un atout de taille : soumettant � l'attention du linguiste des configurations s�manticosyntaxiques qui questionnent une conception normative de la langue et en �prouvent les limites, il offre un accroissement des possibilit�s d'analyse. J. Gardes-Tamine avance deux raisons au moins : un degr� de ma�trise du projet d'expression plus important et la mise � contribution de la dimension spatiale.
+Il semble ainsi possible de circonscrire le champ o� op�re une grammaire de l'�crit : une meilleure planification et gestion du d�ploiement du texte soumet � l'analyse une plus grande vari�t� d'agencements � l'int�rieur de la phrase, d'encha�nements interphrastiques responsables de la coh�sion textuelle ou de configurations construisant la coh�rence globale ; enfin, la spatialisation peut non seulement soutenir la m�morisation discursive mais se charger de � valeurs symboliques � (ibid. : 38). En d�finissant le style comme � l'utilisation optimale et concert�e des possibilit�s qu'offre la langue et non comme un �cart par rapport � une norme, � supposer qu'on arrive � la fixer � (ibid. : 29), J. Gardes-Tamine m�nage le passage � l'�crit et au style litt�raires, en le faisant appara�tre, � la suite de C. Bally (voir aussi Adam, 1997 : 11), comme une diff�rence surtout de degr�.
+En m�me temps, J.-M. Adam a montr� que la diff�rence entre la � grammaire � de l'�crit et la � linguistique � de l'�crit n'est pas que d'ordre lexical (ibid. : 21). Dans la perspective de l'Analyse de discours, le texte litt�raire est appr�hend� non seulement comme un � espace de r�alisation de la langue �, mais comme � un �v�nement socio-discursif � (ibid. : 9 - 10), en relation avec le contexte de la production du discours, de sa circulation et de sa consommation. L'hypoth�se � la base de cette r�flexion est alors la suivante : si la dynamique de l'�crit peut �tre capt�e � travers l'agencement de la grammaire avec les approches de la linguistique textuelle, �nonciative et pragmatique, les travaux de rh�torique et de po�tique, il incombe au champ stylistique, � d�finir dans le cadre englobant fourni par l'Analyse de discours, d'accueillir la stratification des plans de structuration ; allant � l'encontre d'une � d�marche conjoncturelle de r�cup�ration et d'int�gration-articulation oecum�nique � (Adam, 2002 : 72), le r�cepteur gagne � r�interroger l'entrejeu des cat�gories d'analyse convoqu�es � partir d'un socle tensif.
+Dans la premi�re partie, l'accent sera mis sur les op�rations qui, � partir du principe tensif, doivent permettre de rendre compte de la dynamique textuelle et discursive. Il s'agira, ensuite, d'instaurer un va-et-vient entre la r�flexion th�orique et l'�tude d'exemples emprunt�s � Julien Gracq et � Michel Butor, en s�lectionnant comme entr�e pertinente une des sp�cificit�s de l'�crit : l'am�nagement du support de l'�criture. On montrera en quoi la complexit� de la construction de l'espace aux diff�rents niveaux d'appr�hension (le cadre phrastique, la page, le livre) et les formes de � marquage � du support (� travers les ressources typographiques) contribuent � la construction du sens et � la production d'effets de style.
+Selon J. Fontanille (1999 : 189), si le style appara�t comme une notion � pr�th�orique �, qui appelle en tant qu'objet de connaissance une pluralit� de points de vue subjectifs relevant plus ou moins de l'intuition, il est possible de r�unir � un petit nombre d'alternatives et de traits communs � compl�mentaires, caract�ristiques du � domaine � explorer �. Ce sont les modalit�s de cette compl�mentarit� que l'on vise � interroger ici, en proposant une d�finition du champ stylistique. D�gageant trois propri�t�s, on tentera de prendre, � chaque fois, la mesure de quelques-unes des cons�quences �pist�mologiques et m�thodologiques des choix op�r�s et des questions ainsi soulev�es.
+i) Le champ stylistique se construit � la faveur d'une interaction entre le sujet r�cepteur, dot� d'une comp�tence linguistique et encyclop�dique, et le texte, pourvu d'une morphologie d�termin�e, qui contraint plus ou moins sa r�ception. Ainsi, le champ stylistique prend forme, selon des modes variables � d�terminer, � partir du � champ de discours � constitu� par le sujet d'�nonciation en production, l'appr�hension, � la fois sensible et cognitive, devant actualiser les potentialit�s en mettant au jour la congruence locale des traits structurants, voire la coh�rence globale.
+Trois points m�ritent d'�tre examin�s. D'abord, en mettant en avant les exigences de l'analyse immanente, la saisie du texte (de portions de texte) comme un ou des � touts de signification � a le m�rite de poser la question de la fixation des limites. Celle-ci semble, en effet, �tre au coeur de la d�finition du champ stylistique relativement � un texte, c'est-�-dire en relation avec au moins une � concr�tion en un certain sens mat�rielle, mat�rialisable en tout cas, ne serait-ce qu'en raison de l'exploitation de la substance de l'expression (le son, et les graph�mes sur la page) � (Molini�, 1994 : 205). En effet, comme nous y invitera la question de la mat�rialit� du texte, le point de vue stylistique doit, � un moment donn�, �tre articul� avec d'autres points de vue, notamment dans le cadre des � pratiques inters�miotiques � (Maingeneau, 1984 : 13). Ensuite, le champ stylistique doit �tre consid�r� comme travers� par des tensions renvoyant � des rapports graduables entre le local et le global, entre l'intra-, l'inter- et le contextuel. � partir d'un ensemble de marques identifiables dans le tissu textuel, l'analyse stylistique doit restituer et d�ployer les processus et les formations signifiantes � l'origine de d�terminations ordonnables suivant un mouvement d'int�gration croissante. Ainsi, l'analyse stylistique �tant de type interactif, il faudra se doter des moyens conceptuels qui rendent possible une analyse rigoureuse des r�gimes de la r�ception, en fonction des � modes de pr�sence � des � faits de style �, qu'ils soient de nature textuelle, inter- ou contextuelle, au sein du champ stylistique.
+ii) Con�u dans une extension large, le champ stylistique accueille des manifestations stylistiques qui peuvent �tre d�crites � partir des oppositions crois�es � singulier � vs � collectif � et � litt�raire � vs � non litt�raire � (ou � ordinaire �). La r�flexion prend ainsi appui sur une conception � continuiste � de la langue au style (Jaubert, 2005 et 2007), qui met en avant le rapport dialectique entre les dimensions singularisante et universalisante du style. De ce point de vue, il faut s'interroger sur les conditions auxquelles le style litt�raire peut �tre appr�hend� dans son devenir � partir d'autres ensembles signifiants, plus ou moins individualisants ou collectifs (cf. Adam, 1997).
+On retiendra essentiellement deux questions. Celle de la litt�rarit�, tout d'abord, que G. Molini� aborde en d�gageant trois � composantes � consid�r�es comme � d�finitoires de la litt�rarit� � au niveau g�n�ral :
+Par un groupe de proc�dures qu'il faut poser et appliquer, on doit arriver � d�tecter des styl�mes de litt�rarit� g�n�rale, qui diff�rencieront le texte romantique du texte commercial. Ces proc�dures, en s�miostylistique, consistent � tester dans quelle mesure le discours analys� satisfait les trois composantes qui, dans cette th�orie, sont d�finitoires de la litt�rarit� : le discours litt�raire (de l'int�rieur) est son propre r�f�rent, il est r�gi selon un double fonctionnement s�miotique, et enfin il n'existe que dans l'acte de d�signation, en tant qu'il est per�u par un r�cepteur (1994 : 202).+
Dans le cadre d'une r�flexion sur la r�ception des faits de langue comme � faits de style �, on propose d'articuler la gradualit� des � effets de litt�rarit� � avec les � effets d'identit� � dont le style est producteur. Si l'on consid�re avec J. Fontanille (1999 : 195) que le style combine des � identit�s textuelles �, qui concernent le � texte, comme espace de distribution des effets �, et des � identit�s discursives �, en rapport avec le � domaine des valeurs, des modalit�s et des actes de langage �, la mise � nu des valeurs esth�tiques, d�finitoires du texte litt�raire, mais aussi esth�siques et �thiques est du ressort de l'analyse stylistique plus que de celui d'autres approches, concurrentes.
+La deuxi�me question ne concerne pas seulement la dimension collective ou particularisante du style, mais encore la n�cessit� d'articuler le � mod�le stylistique � avec des mod�les d'explication qui d�bordent le texte et le subsument : il faudra ouvrir le d�bat en direction, d'une part, de mod�les g�n�ralisables dont les textes litt�raires sont des actualisations parmi d'autres et, d'autre part, de styles ou � formes de vie �.
+iii) L'interaction entre le sujet lecteur et l'objet-texte prend la forme de strat�gies d'analyse mettant en oeuvre des r�gimes, � d�finir en intensit� (affective) et en �tendue textuelle (saisie cognitive), sp�cifiques. Le champ stylistique est ainsi con�u comme un champ tensif. En effet, du point de vue de son organisation topologique, il comporte, comme tout autre champ, un centre ou noyau, mais aussi des zones plus ou moins p�riph�riques, des horizons ou fronti�res en direction du hors-champ ; il est � g�om�trie variable, avec des fronti�res et des parois internes, dont la mobilit� est fonction des r�gimes retenus.
+Ces points seront examin�s � la lumi�re du mod�le tensif d�velopp�, surtout, par J. Fontanille (1998, 1999 ; Fontanille & Zilberberg, 1998) et � partir des propositions d'A. Herschberg Pierrot : � Percevoir le style en tension, c'est consid�rer le texte de l'oeuvre comme du continu, un continu actionnel et r�actionnel avec soi-m�me et avec les autres textes � (2005 : 44). Adoptant un point de vue m�ta-critique, on appliquera le principe tensif � la pratique stylistique elle-m�me, en s'interrogeant sur le choix des strat�gies d'analyse au contact des faits de langue ou de style. L'hypoth�se est qu'en mettant en avant les � r�glages � interactionnels entre le r�cepteur et l'objet d'analyse, le cadre conceptuel tensif permet une approche unifi�e de l'entrejeu des diff�rentes dimensions du texte au sein du champ stylistique et des pratiques d'analyse suscit�es et autoris�es.
+Ainsi que le souligne J.-M. Adam (1997 : 10), les textes litt�raires peuvent appara�tre, du point de vue de la linguistique, comme des lieux privil�gi�s de manifestation des potentialit�s de la langue, o� se d�ploient des � variations infinies �. La question n'est pas seulement de r�fl�chir � l'apport de la linguistique � la stylistique litt�raire, mais de s'interroger sur le � suppl�ment � de sens ou de valeur que celle-ci conf�re � celle-l� : comme le note J.-M. Adam (ibid. : 9), � l'adoption d'un point de vue linguistique sur les textes litt�raires doit entra�ner une v�ritable reconception de la stylistique et l'attention au style, en retour, une red�finition de la grammaire elle-m�me �.
+Approch�e sous cet angle, l'�tude stylistique est pourvue, d'embl�e, d'une vis�e : il s'agit de mettre en �vidence des relations entre les faits de langue qui, de l'unit� inf�rieure au mot ou au syntagme, � la construction morpho-syntaxique, aux encha�nements interphrastiques, � tel type de progression textuelle, trouvent � signifier au sein du champ stylistique. Le pr�l�vement et le regroupement de faits pertinents peut para�tre malais� : le style �chappe, selon C. Metz (1991), � l'activit� m�tadiscursive d�ploy�e par l'�nonciation et se r�sume � une � mani�re d'�tre � plus ou moins diffuse, plus ou moins discr�te. Les principes guidant le pr�l�vement des �l�ments n'en sont pas moins �nonc�s avec force. Combinant forme et substance du contenu et de l'expression, G. Molini� d�cline quatre composantes du style :
+a/ au niveau de la substance du contenu, une unit� globale tr�s partag�e ; b/ des structures fantasmatiques, imageantes r�currentes, ce qui nous conduit sans doute dans la forme du contenu, de m�me que c/ des sch�mas rh�toriques expressifs ; d/ enfin, au niveau de la forme de l'expression, un stock lexico-figur� et des tours de phrase, ce qui correspond, dans la tradition rh�torique, � l'�locution, c'est-�-dire exactement � la d�finition rh�torique du style (1994 : 205 - 206).+
On peut encore citer N. Batt (1997 : 128) au sujet des quatre conditions de r�ussite d'une lecture � artistique � selon Lotman : pour mettre en oeuvre une � corr�lation dynamique �, elle n�cessite i) une ind�termination de d�part, qui peut correspondre aux � blancs � d'Iser, ii) la reconnaissance d'une base structurelle abstraite, iii) l'�tablissement d'un rapport entre oppositions aux niveaux concern�s et iv) la r�duplication des processus � un ou plusieurs niveaux d'analyse. Enfin, en ce qui concerne les choix m�thodologiques, la lecture du texte litt�raire requiert en m�me temps que la compr�hension de l'ensemble, une dissociation et une autonomisation des �l�ments qui entrent en contact les uns avec les autres, auxquelles on ajoutera les op�rations de la commutation et de la catalyse ; enfin, les �l�ments sont r�associ�s, � la faveur d'une op�ration de translation, dans des configurations originales.
+Les exigences li�es � l'analyse stylistique se pr�cisent d'embl�e : elle doit �viter le risque d'un rattachement presque m�canique des traits isol�s aux diff�rents niveaux � un sch�ma de base les subsumant. Le champ stylistique doit �tre con�u de telle sorte que la circulation du sens soit pr�serv�e, que des pr�dications impr�vues, la dynamique d'un processus de r�ajustement ou de re-construction toujours � l'aff�t des ind�terminations ou des inconsistances d�cel�es rendent compte du style comme � processus �, en pr�servant � la possibilit� de hi�rarchies mouvantes, de principes organisateurs en tension les uns avec les autres � (Herscherg Pierrot, 2005 : 43). D'o� l'importance de la notion de variation que G. Molini� int�gre dans sa d�finition du styl�me :
+On peut fixer un type d'objet d�crit, et faire d�filer tous les syst�mes expressifs rattachables au m�me principe de le d�crire, ou fixer un syst�me expressif parmi le tout r�pertori�, et faire d�filer la plus grande quantit� de types d'objets d�crits, chacun muni du trait sp�cifique de la cat�gorie (1994 : 204).+
D'o� l'int�r�t d'une approche tensive qui, en pla�ant le principe de la gradualit� au coeur de l'interaction entre le sujet r�cepteur et l'objet d'analyse, permet d'appr�hender des � �v�nements � et des � faits de style � dans un cadre conceptuel unifi�, en en examinant le � mode de pr�sence � au sein du champ stylistique. La d�finition du � fait de style � propos�e par J.-M. Adam sert de base � la r�flexion :
+Par rapport � la reprise d'un ensemble de traits microlinguistiques qui caract�rise, selon moi, un style, je d�finirai un fait de style comme un fait ponctuel de texture attendu ou inattendu au regard du style d'une oeuvre, d'un auteur, d'un genre ou d'une �cole donn�s. Un fait de style est donc le produit per�u d'une r�currence ou d'un contraste, d'une diff�rence par rapport � des r�gularit�s micro-linguistiques observ�es et attendues d'un texte, d'un auteur, d'une �cole, d'un genre (1994 : 19).+
On voit ici s'esquisser le continuum sur lequel se d�ploient les diff�rences de saillance et de densit� des faits de langue retenus, en fonction de leur fr�quence et de la qualit� ressentie en r�ception. Gr�ce au principe tensif, on peut montrer en quoi ces diff�rences commandent, en partie, les strat�gies d'analyse du r�cepteur. D'un c�t�, on rend compte de l'action exerc�e par les � faits de style � sur le r�cepteur, dont ils captent l'attention selon des r�gimes � intensit� variable et dont ils contraignent plus ou moins l'interpr�tation ; de l'autre, il est possible de d�crire les degr�s de l'implication vive du r�cepteur (axe de l'intensit�), mais aussi les efforts d�ploy�s, en fonction de sa comp�tence linguistique et encyclop�dique et en fonction du degr� d'accessibilit� des faits retenus, pour construire une coh�rence (l'axe de l'�tendue concern� par les degr�s de l'�laboration cognitive). Globalement, la r�ception fait �merger des indices localisables � diff�rentes strates, pour les nouer en faisceaux et construire une coh�sion et une coh�rence plus ou moins strictement poursuivies. La mise en �vidence des r�gimes � partir des corr�lations entre les dimensions continues de l'intensit� sensible (perceptive ou affective) et de l'�tendue (saisie cognitive) permet alors de concilier deux points de vue : celui des � effets d'identit� � produits par les faits de langue convertis en � faits de style � et celui des � styles � d'analyse propres aux r�cepteurs, l'essentiel se jouant � leur point de rencontre, l� o� se n�gocient les strat�gies qui les mettent en oeuvre. Par ce biais, l'approche tensive prend en consid�ration le volet perceptivo-cognitif et sensible de l'analyse stylistique.
+Ouvrant l'�ventail des positions strat�giques, on peut d�cliner au moins quatre r�gimes de la r�ception diff�rents. Contrant sans doute le danger d'une circularit� qui voudrait que les faits de langue s�lectionn�s soient appel�s � l�gitimer la base qu'ils ont fa�onn�e, le r�gime englobant se saisit de � tous les d�tails � d'un texte et r�v�le un � effet d'identit� � fort (intensit� et �tendue fortes). Pour que le degr� de saturation maximale soit atteint, sans doute faut-il que soient �galement pris en consid�ration le c�t� palpable (sonore, visuel...) des signes, la mat�rialit� du support de l'�criture, voire, plus g�n�ralement, l'ad�quation entre le dit et le dire, quand, comme l'�crit D. Maingeneau (1999 : 80), � les "id�es" se pr�sentent � travers une mani�re de dire qui renvoie � une mani�re d'�tre, � la participation imaginaire � un v�cu �. Face au � plein � d'indices, M. Riffaterre (1971 : 144) consid�re, pour sa part, qu'un � pas d�cisif a �t� fait vers la solution du probl�me du style lorsque [...] au lieu d'�tudier �galement tous les aspects d'une structure, on s'est limit� � ceux dont la perception est impos�e au destinataire de l'acte de communication �. On ajoutera qu'un fait de langue circonscrit peut �tre � saillant � et �tre per�u comme un � �v�nement stylistique � (intensit� forte, �tendue restreinte), mais aussi passer inaper�u (intensit� et �tendue faibles) ; de m�me, les occurrences multiples d'un fait de langue dans l'espace-temps du texte peuvent produire un effet cumulatif (intensit� assez forte et prise en consid�ration de vastes �tendues textuelles) ; il se peut, enfin, que l'impact faiblisse proportionnellement � l'augmentation du nombre des r�p�titions (intensit� faible et �tendue forte).
+Sur le fond d'une dialectique des projets de singularisation et des pressions exerc�es par les donn�es socioculturelles et les codifications g�n�riques, on se donne ainsi les moyens de rendre compte des positions s'�chelonnant entre deux p�les : l'attendu, ce qui conforte l'� effet d'identit� � produit par une oeuvre, et la surprise ponctuelle. Dans le premier cas, la strat�gie stylistique doit �tre englobante : elle doit rendre compte de la congruence des configurations structurantes avec un effet d'ad�quation forte � l'oeuvre, m�me si l'implication affective est r�duite. La surprise ponctuelle, quant � elle, bouleverse les mod�les de pr�visibilit�. Elle risque d'�tre a-signifiante, d�s lors que la strat�gie d'analyse, particularisante, se satisfait d'un d�tail.
+Du point de vue des ph�nom�nes interdiscursifs et intertextuels, percevoir le champ stylistique comme un champ sous tension, c'est focaliser l'attention sur la zone de transition ou de transit o� sont log�s des apports discontinus, plus ou moins explicites et donc plus ou moins ais�s � circonscrire et � identifier. Globalement, on con�oit l'int�r�t de la notion de praxis que J. Fontanille d�finit ainsi :
+[La praxis �nonciative] n'est pas l'origine premi�re du discours ; elle pr�suppose autre chose que l'activit� discursive (le syst�me de la langue, mais aussi l'ensemble des genres et des types de discours, ou des r�pertoires et encyclop�dies de formes propres � une culture) ; elle suppose aussi une histoire de la praxis, des usages qui seraient des praxis ant�rieures, assum�es par une collectivit� et stock�es en m�moire (1998 : 272).+
Elle renoue avec le principe dialogique de Bakhtine et avec l'id�e d'un fonds constitu� par une h�t�rog�n�it� (une interdiscursivit� et une intertextualit�) jug�e constitutive. Surtout, son soubassement tensif permet de rendre compte des degr�s de l'assomption (intensit�) des mots de l'Autre et de leur d�ploiement par reprise dans l'�tendue du texte d'accueil. Les r�gimes de l'�laboration stylistique doivent ainsi s'ajuster aux r�gimes de la reprise. D�s lors qu'il s'agit de mettre l'accent sur l'emprunt et les modulations de sa valeur � selon ses contours plus ou moins nets, selon la souche dont il est issu et selon son point d'insertion � (Jaubert, 1990 : 147), rendre compte du � mode d'existence � en termes de degr�s d'intensit� et d'�tendue permet de montrer, par exemple, comment le choix de la strat�gie d'analyse est d�termin� par la pr�sence de l'allusion qui, en tant que � reprise non explicite de segments de lin�arit� [relevant] de la modalit� autonymique � (Authier-Revuz, 2000 : 210), combine l'intensit� assez forte li�e � l'� auto-repr�sentation opacifiante � avec une �tendue plus vague ou diffuse que pour la citation. Afin de d�gager les dynamiques enclench�es, il importe ainsi de confronter l'allusion, qui fait r�sonner d'autres occurrences d�pos�es dans la m�moire intertextuelle ou interdiscursive du r�cepteur et sollicite la collaboration interpr�tative � en creux �, avec la citation, qui porte � un degr� supr�me l'intensit� vive de l'� en-soi � �tranger, auquel le texte d'accueil r�serve une portion d'�tendue d�limit�e ; quant � l'� �lot textuel �, il affiche son origine �trang�re tout en b�n�ficiant d'une int�gration forte dans le texte second. L'approche tensive doit ainsi permettre d'esquisser des �quilibres fragiles entre les variations intensives et quantitatives relatives � l'appropriation et � la remise en perspective de l'emprunt par l'�nonciation seconde, et celles qui continuent � caract�riser l'emprunt dans sa mat�rialit�.
+Enfin, ce m�me cadre tensif permet de caract�riser les � modes de pr�sence � des � faits de style � � contextuels �, qui portent la marque des �changes plus ou moins continus et diffus avec le � hors-texte �, avec les cadres socio-historiques, le contexte de la production, de la circulation ou de la r�ception, bref, avec les lieux o� se d�cide le devenir des formes d'expression collectives, plus ou moins stabilis�es et codifi�es, o� s'exerce l'arbitrage des � morales du langage � selon Barthes :
+L'Histoire est [...] devant l'�crivain comme l'av�nement d'une option n�cessaire entre plusieurs morales du langage ; elle l'oblige � signifier la Litt�rature selon des possibles dont il n'est pas le ma�tre. (1953 et 1972 : 8).+
L'int�r�t est non seulement d'acc�der aux valeurs (�thiques, esth�tiques) attach�es aux r�gimes d'identit� s�lectionn�s, mais encore de rendre compte, � c�t� des � morales du langage �, de � morales de la r�ception � : c'est � partir des m�mes principes que l'on peut faire ressortir l'ob�dience au contexte id�ologico-culturel des formes que rev�t la stylistique (voir Maingeneau 2003 : 15 - 25) ainsi que celle des esth�tiques ; c'est par rapport � ces formes et esth�tiques que se d�termine la valeur d'un texte ou discours, voire celle de l'�motion esth�tique, qui comprend elle-m�me une dimension collective. Si, en derni�re instance, la conception du texte litt�raire et la d�finition du champ stylistique, qui s'inspirent et s'�tayent mutuellement, doivent �tre approch�es comme des variables tributaires d'un contexte historique, le principe tensif permet de se rapporter � une histoire des formes et des postures critiques, au-del� de la � valeur instrumentale �, au-del� m�me de la valeur intrins�que du mod�le d'analyse, et de la � justesse � relative � un point de vue.
+Dans quelle mesure le point de vue stylistique gagne-t-il � �tre articul� avec d'autres points de vue, � externes � ? Dans quelle mesure l'analyse qui privil�gie le champ stylistique autorise-t-elle, voire appelle-t-elle � d�gager, � travers les marques textuelles observables, une activit� r�flexive qui exige la prise en consid�ration d'autres niveaux de pertinence ? Si l'on admet qu'� ces niveaux s'�laborent des mod�lisations plus g�n�rales, au regard desquelles le texte et le style relatif � une forme singuli�re idiosyncrasique apparaissent comme des variantes, il para�t utile de confronter les pr�occupations du stylisticien avec les travaux sur les r�gimes r�flexifs du discours distingu�s par J. Fontanille (2003). Pour cerner davantage la sp�cificit� de l'analyse stylistique, m�diatis�e par le champ stylistique, on note ainsi que l'�laboration, par � conversion �, d'une signification d'ensemble coh�rente, investie de valeurs esth�siques, �thiques et esth�tiques et productrice d'� effets d'identit� �, est rattach�e au poste de la � s�miotique connotative �, o� la variation est mise au service de la stabilisation intentionnelle d'un invariant identifi�. Si l'on admet ainsi l'existence d'une � stylistique connotative �, qui rend compte indirectement de la gradualit� de l'� appropriation � de la langue selon A. Jaubert (un style, du style, le style ; 2005, 2007), on dira qu'elle se distingue � la fois de l'�bauche de mod�le, qui est de l'ordre de la paraphrase - J. Fontanille parle dans ce cas de � mod�les ad hoc, de simulacres qui servent de support ou d'alibi � l'intuition � (2003 : 121) - et des mod�les g�n�ralisables, de type m�ta-stylistique, qui transforment le texte (l'invariant fourni par les proc�d�s morphosyntaxiques, les figures et th�matiques...) en une variante possible. Dans ce cas, le texte n'endosse pas qu'une fonction d'illustration ou de validation du mod�le ; il agit sur lui en retour, l'infl�chit et le d�forme.
+Que le stylisticien ne puisse se d�sint�resser du devenir du mod�le stylistique, de sa possible � conversion � en un mod�le plus g�n�ral, l'analyse de � crises alternatives �, selon l'expression de J. Fontanille, ou encore de la survenue d'un � �v�nement de style � en un point du texte l'atteste avec �clat. On songe ainsi aux d�tournements de proverbes analys�s par A. Gr�sillon et D. Maingeneau (1984 : 121) : ils montrent comment la suspension des valeurs �tablies, une remise en question des comportements consacr�s par l'habitude, mais aussi une remont�e dans le sentir gr�ce � des propositions innovantes rejaillissent avec �clat sur le genre discursif, qui n'est pas dissociable de la pratique du proverbe � l'int�rieur d'un espace litt�raire et social. Le cas peut para�tre exemplaire, dans la mesure o�, au-del� de la dimension critique, la � restitution des possibles � peut inspirer un mod�le m�ta-stylistique plus g�n�ral : gr�ce � la � praxis �nonciative � qu'il pr�suppose et qu'il alimente � son tour, ce mod�le red�ploie les modalit�s du fonctionnement de l'�criture proverbiale et les enjeux y relatifs ; �l la situe par rapport � d'autres formes d'expression non fig�es et subsume ses r�alisations particuli�res.
+Enfin, l'analyse stylistique doit-elle articuler le niveau de pertinence du texte, �lu prioritairement, avec d'autres niveaux plus englobants (l'objet-livre, les pratiques et les � formes de vie �, n�cessairement � situ�s �) ? L'�tude de cas, consacr�e � des faits typographiques, rendra cette question plus pressante.
+Pour mettre ces propositions � l'�preuve du cas concret, on se demandera, � partir d'extraits de Julien Gracq et de Michel Butor, sous quelles conditions sp�cifiques des proc�d�s ayant trait � la spatialisation de l'�crit et � la mat�rialit� du support peuvent �tre r�examin�s � la lumi�re du champ stylistique et, plus largement, d'une pragmatique litt�raire. En d'autres termes, sous quelles conditions, et � quels frais, les faits s�lectionn�s appellent-ils une interpr�tation qui, � partir d'une position critique elle-m�me historique, cherche � articuler coh�rence idiosyncrasique et morale du langage, singularit� du style et inscription socioculturelle, voire invite � un red�ploiement � m�ta-critique � ? Cela revient � d�tecter un double seuil : celui � partir duquel les proc�d�s s�lectionn�s acqui�rent un � effet stylistique � selon Riffaterre (op. cit. : 64), ou encore sont identifi�s comme des � �v�nements � ou comme des � faits de style �, n�cessairement pr�caires, qui r�sultent de la dynamique du texte ; enfin, le seuil � partir duquel, en fonction du r�gime mis en oeuvre, les � �v�nements � et � faits de style � prennent toute leur pertinence � hauteur de l'espace litt�raire ou culturel et par rapport � des mod�les qui d�bordent la dimension connotative du discours et la pratique analytique correspondante.
+L'attention accord�e � la forme mat�rielle de l'�crit (Charaudeau & Maingeneau, 2002 : 558) - en l'occurrence, le tiret simple ou double, l'italique et l'organisation du champ graphique - pr�sente un triple int�r�t. D'abord, elle permet de pointer certaines des marques textuelles � la base des diff�rents r�gimes de la r�ception stylistique ; porteurs de valeurs g�n�rales (cf. notamment Drillon, 1994), les signes typographiques constituent des candidats potentiels � une entreprise de � d�formation � et de mod�lisation � port�e plus large, qui rouvre l'�ventail des vari�t�s et enclenche une r�flexion sur les syst�mes de repr�sentation. Ensuite, montrer en quoi les supports de l'�crit participent � la construction du sens, c'est envisager la n�cessit� de la linguistique de l'�crit sur laquelle nous sommes invit�s � r�fl�chir. Enfin, les signes typographiques, mais aussi les � modulations spatiales � (les marges, les paragraphes, les choix de police...) incitent � une appr�hension elle-m�me plurielle : d'un c�t�, on dira que les aspects mat�riels et sensibles sont renvoy�s � la substance de l'expression et que seule l'exploitation dans un texte les investit de formes de contenu et de valeurs ; de l'autre, la � face � mat�rielle du texte selon J. Fontanille (2006 : 221) exige que soit �galement pris en compte le � niveau suivant � - en l'occurrence, celui de l'objet-livre -, auquel le texte � fournit les premiers �l�ments sensibles et mat�riels �.
+Soit d'abord l'emploi du tiret, qui fait l'objet, chez J. Gracq, d'un commentaire m�ta-critique : � C'est pour certains le g�nie de notre langue de n'ajuster sa phrase que par boutons et boutonni�res, et de traquer � mort l'amphibologie, avant tout � titre de laisser-aller �, �crit-il dans En lisant en �crivant, avant d'ajouter : � Et si ma pente naturelle est de donner � chaque proposition, � chaque membre de la phrase, le maximum d'autonomie, comme me le signale l'usage croissant des tirets, qui suspendent la constriction syntaxique, obligent la phrase � cesser un instant de tendre les r�nes ? � (1995 : 734 - 735).
+Se trouve ainsi soulign�e la n�cessit� d'une exploitation plurielle de l'emploi du tiret simple et double, ce que confirme le classement de celui-ci parmi les � ajouts � (Authier-Revuz & Lala, 2002 : 7 - 12) : en prise sur plusieurs types de fonctionnement - typographique, syntactico�nonciatif, pragmaticos�mantique, textuel - le d�crochement typographique affiche son caract�re transversal et r�clame plus que d'autres ph�nom�nes l'articulation des dimensions micro- et macroscopiques jug�es compl�mentaires. Dans la perspective d'une pragmatique litt�raire int�grant la notion de champ stylistique, la partition ostensible de l'espace phrastique ou textuel � travers la rupture, unique ou r�p�t�e, de la lin�arit� du signifiant, demande ainsi � �tre approch�e sous diff�rents angles. Appuy� sur un sous-ensemble de textes fictionnels unitaire (les romans Le Rivage des Syrtes et Un balcon en for�t), un parcours heuristique m�ne de consid�rations morphosyntaxiques et s�mantiques dans l'ordre de la phrase � une approche textuelle focalisant l'attention sur les liens transphrastiques, la dynamique informationnelle et une analyse du mouvement de l'�nonciation en acte. Dans les limites de cette �tude, on d�clinera les points de vue succinctement, mettant l'accent sur la congruence des s�lections syntaxiques et s�mantiques � diff�rents niveaux et l'entrejeu des dimensions textuelles orchestr� au sein du champ stylistique.
+Ainsi, privil�giant d'abord les emplois du tiret double, on se contentera de dire qu'il participe, par sa valeur g�n�rale, d'une logique de la rupture et de la reprise, gr�ce au fonctionnement s�mantico-syntaxique complexe de l'�l�ment ins�r�, dont le d�crochement typographique rend visible l'� accessoirit� � syntaxique (Boucheron-P�tillon, 2002 : 124). Ainsi, qu'il soit de nature endo- ou exophrastique, c'est-�-dire qu'il renvoie � une portion du monde r�f�rentiel ou qu'il soumette l'�nonc� d'accueil � un commentaire, un jugement (Guimier, 1996 : 6), l'�l�ment enserr� par les tirets - de nature adverbiale ou adjectivale au sens large, nominale (avec/sans d�terminant ou expansion) ou propositionnelle - a, du point de vue de la valeur s�mantique, un statut surplombant, non seulement � m�ta-phrastique � (avec une opacification du s�mantisme comme dans la modalisation), mais encore � inter-phrastique � ; enfin, du point de vue de son mode de fonctionnement syntaxique, le d�croch� est de type � la fois extra-pr�dicatif (comme tout adverbe exophrastique) et � inter-pr�dicatif �. Ainsi, malgr� l'instanciation lexicale qui, � moins d'une v�ritable rupture th�matique, rend possibles les appariements s�mantiques au-del� m�me des bornes mat�rialis�es par les tirets, il fait entrer en r�sonance deux espaces s�manticosyntaxiques autonomes, la base phrastique et un espace � hors phrase �. En m�me temps, l'autonomie n'a d'int�r�t que corr�l�e avec l'�lan, qui combine inchoativit� et mouvement, la rupture et la continuation conquise sur l'arr�t. Elle doit �tre mise � profit par une �nonciation en acte, une vis�e pragmaticos�mantique et un dynamisme communicatif qui �largissent le champ de l'interpr�tation. Ainsi, � la faveur d'un fonctionnement ana- et/ou cataphorique, l'�nergie nouvelle peut se propager au-del� m�me des bornes du cadre phrastique, en faveur d'encha�nements incertains, voire d'une v�ritable plurivocit� interpr�tative. Le d�crochement typographique, qui est de nature autodialogique, peut accueillir, de surcro�t, une pluralit� de voix.
+Dans les limites de cette r�flexion, l'essentiel concerne, d'une part, l'int�r�t pour la grammaire d'une �tude du tiret double ou simple chez Julien Gracq, et, d'autre part, le passage de la mise � contribution des diff�rentes dimensions du texte � l'exploitation stylistique ; celle-ci la pr�suppose, tout en faisant valoir sa sp�cificit�. En d'autres termes, � quelles conditions le tiret double doit-il satisfaire pour �tre hiss� au rang de � fait de style � contribuant � produire des � effets d'identit� � ? On en retiendra deux. Il faut d'abord que les valeurs associ�es aux diff�rentes occurrences puissent �tre �rig�es en invariant : on peut d�gager, en l'occurrence, un sch�me structural tr�s g�n�ral, dont les oppositions rupture/reprise, blocage/r�ouverture constituent les versants temporel et spatial, et dont les op�rateurs de l'implication (si... alors) et de la concession (malgr� ; la phrase se poursuit malgr� la rupture) (Zilberberg, 2006) fournissent une version processuelle. S'arc-boutant sur une m�me base structurale, le tiret simple ob�it, pour sa part, � une logique non plus de l'insertion, mais de l'int�gration, qui met en oeuvre une progression de type cumulatif, par �-coups et t�tonnements successifs. Il s'agit, ensuite, de tester la propension du tiret � � faire syst�me � avec une liste close d'�l�ments expressifs, de th�matiques ponctuelles, de proc�d�s syntaxiques ou d'autres ponct�mes, susceptibles de se rattacher � cette m�me base.
+Il importe alors de rendre compte des � modes de pr�sence � variables que le tiret, simple ou double, se voit accorder au sein des champs stylistiques, et donc de la part qu'il prend dans la production d'� effets d'identit� �. Soient ainsi, concr�tement, les h�sitations, dans tel passage du Rivage des Syrtes, entre une �criture par d�crochement et une �criture d�-li�e :
+(1) [...] un instant du monde dans la pleine lumi�re de la conscience a abouti � eux [les hommes sur lesquels s'est port�e l'attention de tout un peuple] - un instant en eux l'angoisse �teinte du possible a fait la nuit - le monde orageux de millions de charges �parses s'est d�charg� en eux dans un immense �clair - leur univers [...] a �t� une seconde celui de la balle dans le canon de fusil (Gracq, 1989 : 730).+
Elles suscitent un questionnement lui-m�me double : sommes-nous face � un d�veloppement extensif, amorc� par le tiret inaugural et cl�tur� par le tiret final, qui se greffe sur la base ins�rante et la commente en d�pliant le contenu s�mantique du verbe mis en italique ? Il prend lui-m�me la forme de deux segments homofonctionnels ou donne lieu � un d�crochement interne. Dira-t-on, au contraire, que la progression, heurt�e, ajoute des tirets simples qui, malgr� les d�chirures du tissu textuel, tendent vers une sommation int�grative que la fin ne procure pas ? L'articulation du questionnement linguistique avec des pr�occupations stylistiques exige un d�placement d'accent. On se demandera plut�t si l'h�sitation entre deux logiques de l'� amplification � (Gardes-Tamine, 2004) est pertinente au regard de la totalit� signifiante : dans ce cas, � travers une tension que l'on peut ramener � la diff�rence entre une attitude r�flexive, qui privil�gie l'explication m�tadiscursive, et une position de retrait du sujet, qui se soumet au flux de ses pens�es, les emplois du tiret, simple ou double, proposent une forme d'analyse et de commentaire du � tiraillement � entre deux fa�ons d'�tre-au-monde, qui est �galement pris en charge � d'autres niveaux de pertinence.
+De fait, suivant les textes, une m�me base structurale accueille des investissements figuratifs et th�matiques diff�rents. Dans Le Rivage des Syrtes, les emplois du tiret double et simple s'interpr�tent sur le fond constitu� par le sursaut d'un peuple qui, f�d�rant les initiatives �parses, secouant la l�thargie ambiante, cherche � se donner un � destin � ou une � destination � ; de concert avec la convocation et le d�tournement de motifs ou de sc�narios plus ou moins st�r�otyp�s, fix�s par la tradition (la messe de Minuit et la naissance du Christ, la valorisation de l'inchoativit� pr�sente dans l'� aube � et dans le franchissement critique de la fronti�re...), le d�crochement typographique contribue � signifier la rupture et l'irruption de la nouveaut�. En m�me temps, il incombe au tiret fermant, mais aussi, plus largement, � la comp�tition entre le tiret double et le tiret simple, li�e � l'entrechoquement de deux logiques concurrentes, de signaler imm�diatement l'emprise du mod�le historicisant et d'une n�cessit� qui �chappe au contr�le du sujet et le conduit � sa destruction.
+Dans Un balcon en for�t, la discr�tion relative du tiret double contraste avec l'insistance du tiret simple, dont les emplois m�ritent d'�tre mis en relation avec la � po�tique � de l'intervalle qui vise, non plus � remettre l'histoire en marche, mais � permettre au protagoniste de s'absenter de la guerre pour un temps et d'habiter l'intervalle � sa guise :
+(2) Naturellement, ce n'est pas la ligne Maginot, songeait Grange, levant les yeux malgr� lui vers les nids d'aigle broussailleux qui s'enlevaient tr�s haut au-dessus de la rivi�re - mais en somme cette fortification paresseuse rassurait plut�t : visiblement on ne s'attendait ici � rien de s�rieux. (Gracq, 1995 : 25)+
L'int�ressant, du point de vue de la r�ception stylistique, c'est que le concours des niveaux de pertinence appelle, ici et l�, des r�gimes diff�rents. Dans Un balcon en for�t, le tiret forme syst�me avec d'autres ponct�mes (le deux-points, le point-virgule...) pour proposer une reformulation, assum�e par le locuteur, coh�rente et pr�visible, des tentatives d'organisation de l'espace-temps par le personnage. R�current sur de vastes �tendues textuelles, il draine vers lui, pour s'y connecter, les isotopies figuratives et th�matiques, les constructions syntaxiques auxquelles le sch�me structural peut �tre associ�, et les noue ensemble au sein d'un syst�me semi-symbolique qui appelle une strat�gie d'analyse � fort pouvoir int�gratif.
+Dans Le Rivage des Syrtes, le tiret vaut davantage comme une forme de l'expression r�pondant � la d�finition rh�torique du style selon G. Molini� (1994 : 206). Au-del� des analyses linguistiques fines, les associations sont de l'ordre de la � projection symbolique �, plut�t que du � syst�me semi-symbolique � (Fontanille, 2003 : 124 - 125). Redondante avec le contenu du texte, paraphrastique, la description - par exemple, � le tiret signifie l'irruption du nouveau dans la l�thargie ambiante... � - est cantonn�e dans la saisie de certaines des s�lections sp�cifiquement li�es � ce texte. Certes, le proc�d� est r�current sur de larges pans textuels et il b�n�ficie d'une prise en charge m�ta-critique ; cependant, ni saillant, ni int�grable directement dans la signification d'ensemble, il se pr�te � une strat�gie d'analyse au mieux cumulative.
+L'emploi de l'italique appelle des �clairages suppl�mentaires. Le mot italicis� met l'analyse stylistique au d�fi de rendre compte de forces � centrifuges � qui, plus que le tiret, donnent � voir l'h�t�rog�n�it� constitutive : dessinant des �chapp�es du sens, elles favorisent la superposition, l'intrication ou l'entr�e en conflit de plusieurs lignes th�matiques. La strat�gie stylistique appel�e � s'emparer de ce � fait de style � doit ainsi combiner l'intensit� vive d'un fait marquant avec une contribution relativement faible � l'�tablissement de la coh�rence du � tout de sens �. En tant qu'�v�nement �nonciatif, en relation avec � le coup de th��tre de la trouvaille [de mot] � (Gracq, Andr� Breton, 1989 : 506), le mot italicis� bouleverse, en effet, les ordonnancements lin�aires sur le support de la page et fait r�sonner les mots marqu�s typographiquement � � distance �. Il en va ainsi du verbe � aboutir �, dans l'exemple (1) (Le Rivage des Syrtes, 1989 : 730) : il concentre sur lui les expressions en italique - � vitesse mentale �, � fondre �, � d�livrer du mal �, � arme du crime �, � �mes damn�es � ou � �tre � (ibid. : 729 - 730) - qui s'�gr�nent au fil des lignes pr�c�dentes et qui, ainsi rapproch�es, se trouvent propos�es � des voisinages in�dits. � cela s'ajoute qu'� la faveur d'un flou conceptuel, des lex�mes tels que � fondre � � aboutir � ou � ailleurs � (ibid. : 735 ) non seulement lib�rent l'� �nergie latente en puissance dans le vocable � (Andr� Breton, 1989 : 503), mais ouvrent sur l'�paisseur des relations intertextuelles. Enfin, le mot ainsi exhib� est non seulement d�pouill� des collocations routini�res, mais il est arrach� au cotexte : � Nom, adjectif ou verbe, le mot consid�r� dans son isolement, "en libert�", polarise autour de lui comme de lui-m�me le meilleur de l'espoir de tout ce qui tend en nous � communier avec le monde [...] � (ibid. : 480). On voit comment, signifiant la crise et la � r�bellion instantan�e � du mot (ibid. : 504), l'italique inscrit dans le texte la n�cessit� d'un renouvellement de l'usage et dit l'urgence de la prise en consid�ration des champs et espaces discursifs selon Maingeneau (1984). Les choix typographiques renvoient non seulement � un projet d'expression particulier, mais � une esth�tique, � un style de vie, individuel ou collectif, plus ou moins identifiable, voire � une � forme de vie � (Fontanille, 2004 : 192). Celle-ci correspond au choix de valeurs dissidentes, qui remettent en question les codes discursifs �tablis et inventent un nouvel �tre-au-monde par le langage. En m�me temps, d�bordant les fronti�res du texte et du champ stylistique, la � forme de vie � peut introduire � une r�flexion de nature m�ta-s�miotique, plus g�n�rale et plus abstraite, sur les possibilit�s offertes par diff�rents syst�mes de repr�sentation, verbal ou non verbal.
+Cependant, la prise en consid�ration de la mat�rialit� du signe demande aussi que soit explicit�e la mani�re dont le � texte formel � accueille et fait signifier les signes en provenance d'un niveau inf�rieur, les � unit�s minimales � selon Fontanille (2006), qui sollicitent le canal sensoriel de la vue (lettres capitales, caract�res minuscules, italiques ou romains, figures g�om�triques, espaces...). En attirant l'attention sur la mani�re de dire, le d�doublement m�ta-�nonciatif constitutif de la modalit� autonymique selon J. Authier-Revuz incite, en effet, � une saisie des propri�t�s spatiales et iconiques du signe italicis�, en tant que celui-ci renvoie au geste et au corps (la main qui incline les lettres) de l'instance �crivante. On en con�oit les enjeux : sous quelles conditions la prise en compte de la mati�re de l'expression rel�ve-t-elle de l'analyse stylistique ?
+Si dans Mobile (1962), Michel Butor porte l'exp�rience de l'�criture � un degr� extr�me, il est frappant de constater que la critique retient d'abord la fonction � mim�tique � des ressources typographiques, subordonn�es, globalement, � une logique du morcellement et de la recomposition de l'espace des �tats-Unis, et donc � une fonction de � repr�sentation du sens � (Helbo, 1975 : 87). On distinguera quatre cas. Ainsi, le blanc typographique est imm�diatement investi de sens, quand il lui incombe, symboliquement, de � r�fl�chir � (Helbo, ibid. : 69) le probl�me g�ographique et politique frappant l'�le d'Hawa�. Michel Butor lui-m�me commente ainsi sa pratique des compositions plastiques complexes du blason et de la cellule, qui abritent selon des lois pr�cises des lettres capitales et des caract�res minuscules, tant�t italiques, tant�t romains : � Dans les �tats [depuis le Texas et le Kansas jusqu'� la Caroline du Nord et la Floride] o� il [l'�l�ment "Noir"] appara�t j'ai toujours mis � la premi�re apparition du blason, de cette constellation d'�l�ments, l'�l�ment "Noir" � la fin en lui faisant remonter au cours du chapitre chaque fois une place parmi le nombre des �l�ments. Ceci produit, quand on lit le livre, une impression [...] de soul�vement � (Aubyn, 1964 : 433). La � symbolisation � (Helbo, ibid. : 86), c'est-�-dire la mise � contribution des jeux de marges, des variations de police et de lignes, de la distribution des unit�s � l'int�rieur des chapitres, qui corroborent l'� unit� s�mantique �, implique une strat�gie mettant en oeuvre des valeurs d'intensit� et d'�tendue fortes. Les r�sistances � l'int�gration sont d'autant plus remarquables : les rapprochements appel�s par les homonymes, mais aussi les mouvements obliques du regard peuvent obliger � une prolif�ration des parcours de sens simultan�s, propos�s comme � en suppl�ment � ; ils sont cantonn�s dans la page, qui devient le lieu d'inscription de relations signifiantes d�connect�es du sens global, ou la d�bordent. All�g�e du poids du symbolique, l'image iconique repose sur une relation de similarit� entre le mouvement des marges et celui des vagues ou les effets de perspective produits. Enfin, le texte verbal porte les marques de l'influence picturale, en int�grant, par exemple, la figure g�om�trique du rectangle qui, �crit A. Helbo (ibid. : 88), rev�t un � aspect "gratuit", "esth�tique", sans port�e r�aliste �.
+Ce dernier point m�rite consid�ration. En opposant une r�sistance � l'int�gration dans une totalit� interpr�tative, ces �l�ments invitent, en effet, � une confrontation qui, les marges des choix paradigmatiques et syntagmatiques �tant d�bord�es, interroge la coh�rence de l'ensemble. �prouvant les limites du faire sens, ces �l�ments posent la question g�n�rale de la mise � contribution des ressources mat�rielles de l'�crit et appellent, � ce titre, la conversion � m�ta-stylistique �.
+Plus globalement, pour rendre compte des degr�s de l'exploitation des ressources typographiques dans le cadre de l'analyse stylistique, on propose un double �largissement conceptuel : d'abord en direction de la notion d'� imagerie � fond�e sur � une homologie entre les images mentales d�clench�es par les repr�sentations iconiques et celles suscit�es par le verbal [...] � (Bonhomme, 2003 : 179) ; ensuite, en direction du concept d'interm�dialit� qui �tudie, selon M�choulan (2005), � comment textes et discours ne sont pas seulement des ordres de langage, mais aussi des supports, des modes de transmission, des apprentissages de codes, des le�ons de choses � (cit� par Badir, 2007 : 26 - 27).
+Ainsi, dans une perspective pragmatico-rh�torique attentive � la r�ception interactive, l'int�r�t du concept d'imagerie peut �tre li� � la gradualit� des interpr�tations : i) les sch�mes sensibles se satisfont d'une appr�hension perceptuelle et �motive, esth�sique avant d'�tre esth�tique, d'une approche ph�nom�nologique de l'�nonciation ; l'� �vocation � est d'autant plus directe que l'image est conventionnelle (p. ex., la pointe de la fl�che d�signant le vol des oiseaux) et qu'elle est directement accessible du point de vue cognitif (intensit� et extensit� r�duites) ; ii) si cette � tentation ph�nom�nologique � correspond au degr� z�ro de l'analyse stylistique, la d�hiscence des niveaux inscrit en creux la possibilit� de l'interpr�tation ; c'est sur la base de l'interaction entre le r�cepteur et le texte et ses fonctions (�pist�mologique, analogique, esth�tique...) que peuvent se n�gocier les r�gimes d'intensit� et d'�tendue mis en oeuvre par l'�laboration d'un syst�me semi-symbolique et que se d�termine le degr� de prise en charge de toutes ces productions signifiantes qui en d�fient les limites ; il peut s'agir de ruptures figuratives ou th�matiques ou l'analyste peut se trouver interpell� par la complexit� d'un ensemble polym�dial ou par les vari�t�s de la translation inter- ou transm�diatique.
+Quant au concept d'interm�dialit� selon M�choulan, on notera avec S. Badir (2007 : 35) que l'analyse des discours rencontre l'analyse des m�dias : � [...] les oeuvres sont toujours d�pendantes d'un discours, mais elles d�pendent toujours aussi, dans le m�me temps (dans le temps de l'analyse comme celui de l'appr�hension ph�nom�nale), d'un m�dia �. Surtout, le concept d'interm�dialit� permet de penser l'articulation entre les deux � faces � du texte (Fontanille, 2006), le texte � formel �, qui fournit un plan de pertinence aux signes, et le texte � mat�riel �, qui ouvre sur le niveau englobant des objets : l'objet-livre et la pratique qu'il appelle, c'est-�-dire les usages qui en sont faits dans des situations socioculturelles et historiques donn�es.
+Au terme de ces investigations, on dira que dans la perspective d'une linguistique de l'�crit qui met en avant la notion de champ stylistique, l'int�r�t de la question de la mat�rialit� de l'�crit est au moins double. D'une part, le traitement appel� par l'exploitation des ressources typographiques para�t confirmer le r�le central jou� par le champ stylistique, qui m�diatise la r�ception, et la pertinence du principe tensif, gr�ce auquel il est possible, � travers une interaction entre les faits observables et le r�cepteur, de d�terminer les degr�s de litt�rarit� ainsi que les � effets d'identit� � produits. En m�me temps, les ressources typographiques signalent l'opportunit� d'un dialogue entre le point de vue stylistique et d'autres points de vue : d'un c�t�, le point de vue m�ta-stylistique, de l'autre, des points de vue relatifs � d'autres niveaux de pertinence que le texte. Le � texte mat�riel � ouvre, en effet, sur un autre niveau d'expression, celui de l'objet-livre comme surface ou volume. En tant qu'espace d'une exp�rience litt�raire ancr�e dans un contexte d'actualit�, le texte y est rendu signifiant � la lumi�re d'une m�ditation sur le live comme � objet complet � : � De l'objet de consommation au sens le plus trivial du terme, �crit Michel Butor, on passe � l'objet d'�tude et de contemplation, qui nourrit sans se consumer, qui transforme la fa�on dont nous connaissons et nous habitons l'univers � (1964 : 137).
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+L'investissement financier que suppose ce genre de produits est relativement important ; il d�passe de loin les moyens du chercheur isol�. Il exige, soit une d�cision proprement politique, soit la recherche capitaliste d'une rentabilit�.+
Les dictionnaires sont des textes importants. T�moignant de ce qui s'est d�j� dit ou �crit pour guider ce qui pourra se dire ou s'�crire, ils refl�tent, par leurs contenus, leur diffusion et leurs usages, les rapports d'une culture � son idiome ou les relations qu'elle entretient avec d'autres cultures et l'int�r�t qu'elle porte � leurs idiomes. Mais ces liens sont tout sauf simples, et leurs reflets sont volontiers brouill�s. S'ils sont peu diversifi�s et pauvres en substance, les dictionnaires constituent pour leurs destinataires des rep�res faciles et d'utilisation ais�e mais laissant sans r�ponses nombre de questions ; s'ils sont plus vari�s et plus riches, donc plus complexes, leur choix ad�quat requiert du discernement et leur utilisation, moins imm�diate, demande application et patience. La difficult� � trouver une information dans un dictionnaire, surtout dans une version imprim�e de celui-ci, �tant susceptible de cro�tre avec la probabilit� qu'elle y figure, ces r�pertoires deviennent d'autant plus �litistes que leur mati�re s'enrichit et que le traitement de celle-ci s'affine : attestant simultan�ment de la vitalit� des idiomes dont ils traitent et de l'attachement que vouent � ceux-ci certains locuteurs, mais se d�sancrant ipso facto du r�le utilitaire qui est au principe de cette classe d'ouvrages, ils tendent alors � trouver leur fin dans leur propre d�veloppement, ce qui les pr�dispose � �tre salu�s comme des oeuvres dont le nom s'inscrira dans la liste des monuments de la lexicographie � c�t� d'autres produits de l'esprit s�lectionn�s pour l'admiration et l'ex�g�se, en m�me temps que se restreint le nombre de ceux qui, �tant dispos�s � assumer le co�t de leur acquisition et les efforts requis par leur consultation, peuvent assez ma�triser celle-ci pour en tirer profit.
+Un rem�de humaniste � ce paradoxe d'une production dictionnairique d'autant moins accessible qu'elle enrichit son contenu informationnel et, partant, qu'elle est susceptible de rendre davantage de services pourrait �tre une �ducation scolaire suivie aux bienfaits de la consultation r�guli�re des dictionnaires, tout au long de la vie, pour la construction et la consolidation d'un rapport intime de chacun avec son propre idiome et son ouverture � d'autres idiomes, accompagn�e d'une formation pratique m�thodique et suffisamment approfondie � cette consultation pour que celle-ci puisse s'effectuer judicieusement, avec aisance et efficacit�. Sans un soutien appropri� de cette nature, on ne peut que s'attendre � voir les locuteurs, m�me cultiv�s, comprendre ce qu'ils peuvent dans des dictionnaires �rudits trop complexes pour eux ou se d�tourner de ceux-ci pour des r�pertoires plus frustes et in�galement recommandables mais dont la modestie des ambitions facilite la consultation, la gratuit� d'acc�s � un certain nombre d'entre eux sur Internet jouant n�cessairement en leur faveur.
+On peut envisager, cependant, que l'�volution technologique permette de concilier raffinement des contenus et simplicit� d'emploi, par une personnalisation tr�s �labor�e des modes de consultation sur �cran. Telle �tait la vision du � dictionnaire du futur � pr�sent�e, il y a douze ans d�j�, par la lexicographe britannique Sue Atkins dans une communication au congr�s de G�teborg de l'association europ�enne de lexicographie EURALEX r�imprim�e six ans plus tard dans un livre d'hommages (Atkins 2002). Dans l'environnement lexicographique plurilingue qu'elle imaginait (� 2), le lexique de chaque langue prise en compte ferait l'objet d'une description fouill�e stock�e dans une base de donn�es, en respect d'un m�me cadre th�orique afin d'�tablir des liens hypertextuels entre les diff�rentes bases et de permettre la comparaison des langues. De cet ensemble � r�el � de bases de donn�es lexicographiques de r�f�rence structur�es linguistiquement en thesaurus �manerait, selon les souhaits des consultants, une pluralit� de dictionnaires � virtuels � ? monolingues, bilingues ou bilingualis�s ? dont la m�talangue, parfaitement explicite et d�pourvue de codifications, serait choisie par eux et qu'ils pourraient consulter � leur gr� soit pour des recherches ponctuelles, soit pour approfondir � loisir leurs connaissances concernant une langue ou les ressemblances et diff�rences entre langues, notamment par l'acc�s � de nombreuses occurrences en corpus. Pour sa promotrice, cet environnement lexicographique in�dit de grande ampleur qui ferait de la consultation des dictionnaires un plaisir et dont la palette d'utilisations possibles s'�tendrait du plus utilitaire au plus culturel �tait linguistiquement et technologiquement r�alisable, mais se heurtait � l'obstacle du financement des moyens exceptionnels que son �laboration n�cessiterait.
+Douze ans plus tard, le r�ve de Sue Atkins attend encore son financier, en d�pit de l'universalit� de la langue anglaise. Quant � la lexicographie fran�aise, toujours domin�e par l'imprim�, il est � craindre qu'elle soit engag�e, au moins pour ce qui concerne sa composante monolingue qui sera seule envisag�e ici, dans une travers�e du d�sert dont l'issue ne se laisse pas discerner et qu'au trompe-l'oeil de ce que Pruvost (2006 : 83 - 92) a d�crit comme son � demi-si�cle d'or � (1950 - 1994) succ�de une phase r�cessive marqu�e par le r�tr�cissement de l'offre et la m�diocrit� de la demande.
+Divers indices, qui seront expos�s plus loin, semblent en effet indiquer une atonie durable du march� fran�ais des dictionnaires en d�pit de coups d'�clat commerciaux isol�s : il y a dix ans d�j�, on pouvait percevoir un essoufflement de l'innovation dictionnairique, qui perdure malgr� quelques soubresauts. Les causes, pour autant qu'on les discerne, en apparaissent complexes et la situation actuelle pourrait �tre la r�sultante d'un processus de d�sajustement de l'offre et de la demande ob�issant � plusieurs param�tres qui trouverait son commencement au d�but m�me du � demi-si�cle d'or �, ce dont la conjugaison du prestige des ouvrages phares de cette p�riode et de succ�s commerciaux compensant suffisamment les �checs aurait contribu� � retarder la perception.
+Toute p�riodisation est � la fois une construction intellectuelle, dont on ne peut gu�re faire l'�conomie, qui, sur la base d'un choix de crit�res plus ou moins explicit�s, discerne des rep�res qui aident � penser le flux historique, et un coup de force qui, s'il trouve des �chos, fixe l'interpr�tation de celui-ci en une doxa dont la pseudo-�vidence fait obstacle � d'autres d�coupages. Les familiers de l'histoire r�cente de la lexicographie g�n�rale monolingue fran�aise discernent bien ce que Jean Pruvost a voulu enserrer entre les bornes qui d�limitent son � demi-si�cle d'or � : un ensemble de r�pertoires remarquables par divers traits combinables sans �tre partag�s par tous les ouvrages envisag�s, au premier rang desquels figurent des dimensions importantes, une couverture culturelle et patrimoniale ambitieuse, des co�ts �lev�s, l'influence de th�ories linguistiques et la mise en oeuvre de concepts dictionnairiques et de dispositifs textuels originaux ? toutes propri�t�s qui peuvent avoir jou� un r�le � la fois dans la notori�t� des ouvrages parmi ceux qui s'int�ressent aux dictionnaires et dans les modulations tr�s variables de leur succ�s public. Mais, par rapport aux dates rep�res propos�es, dont la premi�re (1950), qui n'est que la marque du milieu du si�cle sans corr�lat dictionnairique pr�cis, vise assur�ment � englober les d�buts de la parution en volumes de la premi�re �dition du Grand Robert (1953) alors que la seconde (1994) co�ncide avec celle du dernier tome du Tr�sor de la langue fran�aise, la p�riodisation peut �tre sensiblement affin�e et relativis�e si d'une part on r�f�re les bornes initiale et finale � des crit�res identiques et si d'autre part on interpr�te de fa�on raisonn�e les traits h�t�rog�nes pr�c�demment mentionn�s pour fixer des limites chronologiques � la production d'ensembles coh�rents d'ouvrages partageant des propri�t�s qui �clairent les orientations de l'�dition et les r�actions du public. C'est sur la base de cette circonscription plus pr�cise d'une �poque de la lexicographie monolingue fran�aise commun�ment appr�ci�e comme prestigieuse que l'on pourra commencer � y rep�rer diverses pr�figurations de sa configuration actuelle.
+Une premi�re fa�on de p�riodiser est de s'appuyer sur la date de parution des ouvrages. Pour ceux en plusieurs volumes dont la publication est �chelonn�e, on peut alors prendre en compte soit l'ann�e du d�but de celle-ci, soit celle de son ach�vement, qui sont toutes deux int�ressantes mais ne correspondent ni aux m�mes dispositions d'achat (une souscription �tant plus insensible dans un budget qu'une acquisition � �ch�ance pour les ouvrages chers), ni au m�me contexte �ditorial de mise des dictionnaires sur le march� : en 1964, si l'on disposait de quelque argent, on pouvait songer � acheter le Grand Larousse encyclop�dique en dix volumes ou le Dictionnaire alphab�tique et analogique de la langue fran�aise de Paul Robert, tous deux achev�s cette ann�e-l�, mais, onze ans plus t�t, on n'aurait pu souscrire qu'� ce dernier ouvrage, dont paraissait le premier tome, alors que la publication du dictionnaire Larousse, plus concentr�e, ne d�buta qu'en 1960 ; � l'inverse, 1971 vit la concurrence des souscriptions au Tr�sor de la langue fran�aise et au Grand Larousse de la langue fran�aise, mais les souscripteurs de celui-ci jouirent de leur collection compl�te seize ans avant ceux de celui-l�, qui finit de para�tre dans un environnement �ditorial diff�rent, d'o� le dictionnaire Larousse avait disparu mais dans lequel figurait, depuis 1985, la deuxi�me �dition du Grand Robert de la langue fran�aise.
+Cette distinction des moments initial et terminal d'une �dition a pour effet sur la p�riodisation en question que, si l'on retient la date de publication compl�te des dictionnaires multivolumes, ad�quate pour saisir les ouvrages qui sont en concurrence effective sur un march� donn�, le � demi-si�cle d'or � n'aura dur� que 30 ans, de 1964 � 1994, alors que, sur la base du d�but de leur publication, plus pertinente pour appr�cier les options des �diteurs, son ancrage est ant�rieur (1953) et sa dur�e plus incertaine, selon le choix de l'ouvrage que l'on prendra comme terme, qui d�pendra des crit�res retenus : 29 ans si c'est 1982, avec le Robert m�thodique et le Grand dictionnaire encyclop�dique Larousse, 32 en int�grant la refonte du Grand Robert de la langue fran�aise, 35 ou 36 si l'on pousse jusqu'au Petit Robert des enfants et au tr�s renouvel� Petit Larousse illustr� 1989 (1988), voire au Robert oral-�crit (1989) ou au Robert �lectronique, disque optique pionnier (1989), 39 si, sur la base de son retentissement, on s'autorise � agglom�rer aux dictionnaires g�n�raux le Dictionnaire historique de la langue fran�aise dirig� par Alain Rey (1992), et m�me 40 si l'on inclut le Nouveau Petit Robert de 1993, sur lequel reposent les versions actuelles.
+Une autre mani�re de p�riodiser, particuli�rement int�ressante pour l'histoire des projets dictionnairiques mais dans certains cas difficile � mettre en oeuvre avec pr�cision, serait de retenir l'origine de ceux-ci et le d�but de leur concr�tisation. Sur une telle base, qui fait remonter le Tr�sor de la langue fran�aise � la fin des ann�es cinquante avec comme rep�re symbolique le colloque pr�figurant sa mise en route (Collectif 1961), le � demi-si�cle d'or � pourrait avoir d�but� en 1945, ann�e que Paul Robert retint comme point de d�part de son dictionnaire, et dur� une quarantaine d'ann�es si l'on prend comme terme le Dictionnaire culturel en langue fran�aise, paru en 2005 seulement, mais engag� par Alain Rey d�s le d�but des ann�es quatre-vingt-dix, dans l'�lan de son Dictionnaire historique de la langue fran�aise, et con�u sans nul doute assez ant�rieurement.
+Pour tenter de comprendre les modalit�s et les rythmes d'une �volution qui a men� d'un proche pass� entreprenant et riche de r�alisations originales mais aux limites chronologiques incertaines � un pr�sent inquiet et prudent, il convient de distinguer, dans l'ensemble flou et composite dont la notion intuitive de � demi-si�cle d'or � suscite l'�vocation, des sous-ensembles d'ouvrages partageant des propri�t�s qui tout � la fois peuvent avoir contribu� � leur aura et limit� leur succ�s. Une partition op�ratoire semble �tre celle qui distingue d'une part les tr�s grands ouvrages multivolumes qui avaient vocation � servir de r�f�rences mais dont le prix et l'encombrement pouvaient �tre dissuasifs, et d'autre part des r�pertoires plus r�duits de divers types qui ont exp�riment� des formules nouvelles avec des fortunes variables.
+S'est-on jamais avis� qu'en � peine plus de trois d�cennies on a propos� � la population fran�aise d'acheter huit collections dictionnairiques multivolumes de r�f�rence, quatre "de langue" et quatre "encyclop�diques", soit en moyenne une tous les quatre ans et demi, dont deux �taient des refontes d'ouvrages ant�rieurs et trois autres des refontes de r�pertoires publi�s dans l'intervalle consid�r� ? Soit, dans l'ordre de parution de leur premier volume : le Dictionnaire alphab�tique et analogique de la langue fran�aise (6 vol., 1953 - 1964), le Grand Larousse encyclop�dique (10 vol., 1960 - 1964, refonte du Larousse du XXe si�cle en 6 vol. de 1928 - 1933), le Dictionnaire encyclop�dique Quillet (8 vol., 1968 - 1970, refonte de l'�dition en 6 vol. de 1953), le Grand Larousse de la langue fran�aise (7 vol., 1971 - 1978), le Tr�sor de la langue fran�aise (16 vol., 1971 - 1994), le Dictionnaire encyclop�dique Quillet (10 vol., 1977, refonte de l'�dition de 1968 - 1970), le Grand dictionnaire encyclop�dique Larousse (10 vol.24, 1982 - 1985, refonte du Grand Larousse encyclop�dique de 1960 - 1964) et le Grand Robert de la langue fran�aise (9 vol., 1985, refonte du Dictionnaire alphab�tique et analogique de la langue fran�aise de 1953 - 1964). Avec la concentration, dans une p�riode aussi ramass�e, de cinq sommes de connaissances (trois "de langue" et deux "encyclop�diques") fonci�rement diff�rentes (compte non tenu des trois refontes les plus r�centes), l'importance patrimoniale de l'activit� lexicographique monolingue �tait assez manifeste pour qu'un observateur �tranger expert v�t dans la France le � pays du dictionnaire � (Hausmann 1985 : 36), l'ann�e m�me o� la nouvelle �dition du Grand Robert de la langue fran�aise venait clore une s�rie globalement prestigieuse (m�me si, toute appr�ciation qualitative r�serv�e, les dictionnaires Quillet ne jouissent pas de la m�me cote symbolique que les Larousse, les Robert et le Tr�sor de la langue fran�aise).
+Cependant, si la plupart de ces dictionnaires ont gagn� leur place dans l'histoire des ouvrages marquants de la lexicographie fran�aise, qu'en a-t-il �t� de leur succ�s public et de leur fortune commerciale ? M�me sans disposer de donn�es suffisantes pour fournir une vue pr�cise et significative de leurs ventes et de leurs publics respectifs, il semble possible, par le raisonnement et divers recoupements, d'avancer qu'il �tait d�j� difficile pour la demande d'�tre au diapason d'une offre dont le prix de revient �tait tr�s �lev�, et qui ne pouvait �tre rentable que si l'on parvenait � toucher assez rapidement, outre ceux qui pourraient avoir un usage effectif et raisonnablement ma�tris� de certains des ouvrages, une fraction suffisante de ceux qui, faute de besoin ou de comp�tence, ne rentabiliseraient pas leur investissement par l'utilisation qu'ils feraient des r�pertoires acquis mais que leurs valeurs et leurs croyances, stimul�es par les discours publicitaires, pr�disposaient � consid�rer leur possession comme b�n�fique � un titre ou un autre (culturel, �ducatif, symbolique?). Divers indices sugg�rent en effet que la riche production de dictionnaires de r�f�rence concentr�e entre 1953 et 1985, dont l'abondance m�me et la concentration dans le temps limitaient le potentiel commercial de chacun, pourrait �tre le bouquet final d'une �poque qui commen�ait � �tre r�volue avant m�me que l'informatique ne v�nt modifier les rapports des individus aux sources de connaissances :
+�tait-ce cher, plusieurs milliers de francs, pour un grand dictionnaire de r�f�rence ? En valeur absolue un dictionnaire est rarement cher au regard du nombre de ses caract�res et de la quantit� d'informations qu'il comporte, mais qui �value les choses de cette fa�on ? Chacun d�termine, en fonction de ce qu'il est, de ses revenus et de ses valeurs, quel prix est on�reux pour un dictionnaire, un voyage, un bijou, un v�tement ou toute autre chose. Un certain temps les grands dictionnaires constitu�rent un bien pr�cieux, pratiquement et symboliquement, auquel on souscrivait, en particulier aupr�s de courtiers, �ventuellement en restreignant d'autres d�penses, parce que ce serait utile pour les �tudes des enfants ou que cela agr�menterait un rayonnage de biblioth�que. Puis la soci�t� �volua, les tentations se multipli�rent, les valeurs chang�rent et les sources de connaissances se diversifi�rent : les grands dictionnaires devinrent moins pr�cieux et le courtage p�riclita. Ce fut � la fin du XXe si�cle. Verra-t-on encore para�tre de grands dictionnaires imprim�s ? Il y a d�j� un quart de si�cle, Bernard Quemada pr�disait leur disparition, pour une pluralit� de raisons convergentes : l'histoire semble lui donner raison, mais le recul n'est peut-�tre pas suffisant.
+Dans la deuxi�me moiti� du vingti�me si�cle, la lexicographie g�n�rale monolingue fran�aise fut aussi marqu�e par diverses innovations, concentr�es sur 24 ans (de 1966 � 1989) et distribuables en deux s�quences successives, qui affect�rent, au titre du traitement privil�gi� de certaines caract�ristiques du lexique, l'organisation de dictionnaires de dimensions plus modestes que les grandes sommes de r�f�rence qui viennent d'�tre �voqu�es. Ce n'est pas, d'ailleurs, que certaines de celles-ci n'aient pas attach� un int�r�t sp�cifique � des propri�t�s linguistiques particuli�res des mots : on peut penser notamment � la mise en �vidence de leur r�seau lexical dans le Dictionnaire alphab�tique et analogique de la langue fran�aise, qui, r�percut�e d'ouvrage en ouvrage, est devenue la marque de fabrique des dictionnaires Robert ; ou encore au traitement de la construction des verbes dans le Grand dictionnaire encyclop�dique Larousse, qui re�ut le renfort actif de Maurice Gross et de son �quipe. Mais ces enrichissements du contenu de ces r�pertoires, s'ils contribuaient � complexifier leurs articles, se fondaient dans ceux-ci sans remettre fonci�rement en cause leur classement et leur organisation, qui demeuraient classiques. Les dictionnaires dont il est question ici, dont beaucoup �taient destin�s � soutenir l'apprentissage du fran�ais, perturb�rent davantage celui-l� et/ou celle-ci, ce qui put �tre un facteur de notori�t� comme de manque de succ�s (y compris pour un m�me ouvrage) :
+Ces diff�rents ouvrages eurent une carri�re contrast�e. � la fois manifestation et instrument du mouvement d'application de la linguistique � l'enseignement du fran�ais des ann�es soixante et soixante-dix, le Dictionnaire du fran�ais contemporain, qui acquit une r�elle notori�t� et suscita l'int�r�t de m�talexicographes et de linguistes, fit l'objet d'une nouvelle �dition augment�e � 33 000 mots et enrichie d'illustrations en 1980 (le Dictionnaire du fran�ais contemporain illustr�), mais l'absorption de Larousse dans CEP Communication arr�ta sa carri�re avec la restauration d'une structuration alphab�tique int�grale dans la refonte qui parut en 1986 sous le titre de Dictionnaire du fran�ais au coll�ge. Si le Dictionnaire du fran�ais langue �trang�re n'eut pas de suite en France et si le Pluridictionnaire fut remplac� en 1993 par le Dictionnaire g�n�ral pour la ma�trise de la langue fran�aise, la culture classique et contemporaine, d'organisation traditionnelle, le Nouveau Larousse des d�butants et le Lexis se sont, eux, p�rennis�s jusqu'aujourd'hui, le premier ayant m�me connu, sous le nom de Maxi d�butants, deux refontes importantes en 1986 et 1997, alors que le second, objet, depuis 1979, de divers retirages mais seulement d'une r�vision l�g�re r�cente (2002), n'a pas b�n�fici� du suivi continu qui lui aurait permis de demeurer un r�pertoire actuel au regard de l'ampleur de son lexique sp�cialis�. Le maintien du Maxi d�butants dans un catalogue o�, depuis 2003, il est en concurrence avec le Larousse junior destin� au m�me public peut s'expliquer � la fois par ses regroupements lexicaux, am�nag�s en 1997 pour devenir compatibles avec l'ordre alphab�tique, et par le mod�le didactique de la grande majorit� de ses articles, dont les exemples glos�s contrastent avec les d�finitions exemplifi�es de son concurrent interne, ce qui renvoie � deux conceptions diff�rentes des apprentissages lexicaux et des rapports des enfants d'�ge scolaire � l'abstraction. En revanche, on peut se demander si la conservation du Lexis, vestige unique et vieillissant des nomenclatures d�salphab�tis�es dont l'ampleur accro�t l'incommodit� de consultation, est autre chose qu'un moyen symbolique non co�teux de ne pas abandonner au Nouveau Petit Robert le monopole du grand dictionnaire monovolume "de langue".
+Les trois nouveaut�s des ann�es quatre-vingt eurent chacune une finalit� didactique sp�cifique. Celle du Robert m�thodique, publi� en 1982, �tait de d�crire la structure des mots complexes du fran�ais : prenant comme matrice le Micro Robert, dont il conservait le principe des regroupements de mots compatibles avec la pr�servation de l'ordre alphab�tique (cf. supra n. 58), il se pr�sentait comme une version retravaill�e et enrichie de celui-ci, qui, en application d'une m�thode distributionnelle de segmentation, fournissait en outre, pour chaque mot pour lequel c'�tait jug� pertinent, sa d�composition en �l�ments de formation, chacun de ceux-ci, au nombre de 1 730, faisant lui-m�me l'objet d'un article int�gr� dans la nomenclature g�n�rale. Si le Robert m�thodique innovait par la sp�cificit� de son propos, il en alla autrement, six ans plus tard, pour le Petit Robert des enfants, qui arriva tardivement sur un march� des dictionnaires pour l'�cole �l�mentaire investi successivement depuis une d�cennie par Larousse, Hachette, Nathan et Bordas et o� �tait en train de s'op�rer la partition entre les ouvrages destin�s aux �l�ves des actuels cycles 2 et 3 : par rapport � cette production d�j� standardis�e, le Petit Robert des enfants, qui optait, lui aussi, pour des regroupements raisonn�s de mots apparent�s, trancha par diverses sp�cificit�s textuelles (utilisation de d�finitions phrastiques, exemples forg�s r�f�r�s � un univers fictionnel r�current, citations provenant de la litt�rature enfantine, recours aux rimes dans les indications de prononciation) et par l'originalit� d'une maquette qui distribuait dans les marges lat�rales diff�rents composants des articles sous forme de nombreux modules autonomes noirs ou bleus, ce qui impliquait un format plus grand que celui des r�pertoires concurrents. Le bleu et le noir furent �galement utilis�s en 1989 pour afficher contrastivement les deux niveaux d'adressage du Robert oral-�crit, con�u par Dominique Taulelle pour la didactique de l'orthographe et qui, � cette fin, subordonnait les diverses adresses graphiques de chaque ensemble d'homophones (qui incluaient des formes fl�chies) � une adresse transcrivant leur prononciation commune au moyen d'un alphabet phon�tique am�nag�.
+Ces trois dictionnaires originaux, int�ressants dans leur principe et riches, chacun � sa mani�re, d'informations qui ne se trouvaient pas ailleurs, ne compt�rent pas parmi les succ�s de leur �diteur. Aux dires m�mes de sa conceptrice, Josette Rey-Debove, Le Robert m�thodique, qui ne s�duisit pas le public fran�ais, et notamment les enseignants, qui auraient pu en �tre le relais, n'a b�n�fici� d'une �dition refondue en 2004 avec pour titre Le Robert brio qu'en raison du meilleur succ�s qu'il aurait connu en Suisse, o� cette deuxi�me �dition parut d'ailleurs d�s 2003 sans perdre son nom d'origine. Le Petit Robert des enfants, en d�pit d'un restylage sous le titre de Robert des jeunes en 1991 qui affecta principalement les dossiers hors texte, dut c�der la place en 1993 au Robert junior illustr�, conforme au standard du march�, sur lequel il est rest� pr�sent depuis. Quant au Robert oral-�crit, il disparut rapidement du catalogue de son �diteur sans conna�tre de deuxi�me chance.
+� d�faut d'explications assur�es, on peut faire diverses hypoth�ses sur les raisons de ces m�ventes. La premi�re pourrait �tre simplement �conomique : sur tout march�, pour que certains produits r�ussissent, il faut que d'autres �chouent, et peut-�tre la demande globale �tait-elle trop satur�e pour que ces dictionnaires aient eu leur chance au moment o� ils parurent. D'autres motifs, cependant, viennent � l'esprit :
+Par ses grandes r�alisations compilatoires comme par ses exp�rimentations linguistiques et textuelles, la lexicographie fran�aise de la fin du si�cle �coul� a produit, en diff�rentes s�quences selon les types d'ouvrages, une palette de dictionnaires g�n�raux monolingues dont l'histoire de ce genre documentaire a gard� la m�moire. Mais le public ne fut pas suffisamment au rendez-vous de cette offre foisonnante et les gestionnaires des �diteurs sp�cialis�s en tir�rent les conclusions en tendant � se recentrer sur des formules suppos�es �prouv�es tout en misant davantage sur le marketing, avec des r�sultats d'ailleurs tr�s contrast�s, tandis que, dans le m�me temps, l'�tat se d�sinvestissait des grands travaux dictionnairiques de prestige. � divers �gards, les ann�es qui ont donn� son lustre � la lexicographie monolingue fran�aise dans la deuxi�me moiti� du XXe si�cle peuvent donc appara�tre comme une p�riode d'exception, rendue possible par la concomitance et la synergie de facteurs �conomiques, culturels et humains, qui aura probablement �t� le cr�puscule des sommes imprim�es multivolumes tout en constituant une parenth�se intellectuelle, sous l'influence notamment de la linguistique conqu�rante de l'�poque "structurale", dans un flux plus modestement utilitaire qui semble avoir repris son cours depuis que le � demi-si�cle d'or � s'est dissous dans des probl�mes d'argent.
+Aujourd'hui, en effet, l'observateur peut avoir le sentiment que le march� dictionnairique fran�ais est engag� dans une dynamique n�gative, entre une offre domin�e par des principes gestionnaires s�v�res et une demande �volutive et difficile � saisir, dans un contexte o� la part relative de la "r�f�rence" diminue r�guli�rement par rapport � celle d'autres secteurs de la librairie.
+L'offre de dictionnaires g�n�raux monolingues appara�t encore assez diversifi�e dans les catalogues des maisons d'�dition : autour de 25 r�f�rences pour Larousse, une quinzaine pour Le Robert, un peu moins de 10 pour Hachette et quelques autres r�pertoires r�partis entre plusieurs �diteurs non sp�cialis�s, on atteint la soixantaine d'ouvrages et ce n'est pas n�gligeable. Cependant, par le jeu des variations de format et de conditionnement, des changements de support, des r�emplois de contenus et des d�rivations, la diversit� dictionnairique effective est moins importante.
+Les grands travaux dispendieux et les innovations d�routantes ont fait place � une lexicographie de gestion et de maintenance. Les compressions d'effectifs tendent vers une limitation des personnels permanents au minimum n�cessaire pour g�rer les projets, les t�ches r�dactionnelles �tant souvent confi�es � des r�dacteurs externes, parmi lesquels les stagiaires ne sont pas quantit� n�gligeable, ce qui ne peut qu'entra�ner une d�perdition dans la transmission des savoirs et des savoir-faire. La documentation, quand elle n'est pas simplement laiss�e � la charge de contributeurs temporaires, associe aux d�pouillements classiques la glane sur Internet et l'utilisation de ressources �lectroniques toutes pr�tes mais non �chantillonn�es (archives de presse), et elle ignore la constitution de corpus de r�f�rence � la mani�re anglaise, l'obstacle du co�t pouvant parfois trouver un renfort dans les r�ticences tenaces de lexicographes notoires. L'informatique �ditoriale permet des gains de productivit�, par la facilitation du montage de contenus pr�existants, la r�duction du temps de r�daction, la variation � volont� de l'affichage d'un m�me ouvrage et l'internalisation de la mise en page qu'elle rend possibles. Corr�lativement, les entreprises majeures peuvent d�ployer des efforts mercatiques importants, affectant soit les produits eux-m�mes, par le renouvellement fr�quent de leurs couvertures, le changement, non exceptionnel, de leur titre ou le recours, pour leur habillage, � des graphistes c�l�bres, pour des �ditions sp�ciales ou des cr�ations et avec des r�ussites variables, soit leur commercialisation proprement dite, par des mises en place spectaculaires, la c�l�bration d'�v�nements exceptionnels (changement de mill�naire, anniversaires), l'extension des mill�simages ou le recours � des personnalit�s pour des campagnes publicitaires.
+Dans ce contexte, on observe un lissage de l'offre, domin�e par l'entretien plus ou moins r�gulier de mod�les qui ont fait leurs preuves marchandes, et dans laquelle le tr�s haut de gamme a grandement baiss� pavillon. Pour les dictionnaires "de langue", tandis qu'on solde les derniers exemplaires imprim�s de la version en 6 volumes du Grand Robert de la langue fran�aise parue en 2001, encore vendu en �dition �lectronique, et que, dans le secteur non commercial, la � deuxi�me vie � que conna�t le Tr�sor de la langue fran�aise � travers le nombre de ses consultations en ligne et les ventes de son CD-ROM ne conf�re pas une nouvelle jeunesse � son contenu textuel, les 4 volumes du Dictionnaire culturel en langue fran�aise de 2005, version all�g�e du Grand Robert assortie d'environ 1 300 articles lexico-culturels originaux hors texte qui rapporte quelques b�n�fices apr�s une gestation longue et co�teuse, constituent le sommet de l'offre r�cente. Quant aux dictionnaires identifi�s comme "encyclop�diques", ils plafonnent d�sormais au niveau d'une nomenclature de Petit Larousse (87 000 articles) enrichie de d�veloppements non m�talinguistiques et de sp�cificit�s iconographiques avec le Grand Larousse encyclop�dique en 2 volumes, avatar d�technologis� et au prix ajust� (75 ?), en 2007, des 3 volumes du Grand Larousse illustr� de 2005 (accompagn�s alors d'un CD-ROM et, en option, d'un stylo multim�dia permettant d'effectuer des recherches compl�mentaires sur Internet � partir du texte imprim�), dont l'�chec commercial fut principalement imput� � un prix initial trop �lev� (180 ou 250 ? selon la version). L'effet inattendu et paradoxal de cette situation est que, avec un concept tr�s diff�rent et � un prix plus �lev� (118 ?), le couple constitu� par le Nouveau Petit Robert et le Robert encyclop�dique des noms propres, susceptibles d'�tre vendus conjointement en coffret, constitue d�sormais, avec ses 100 000 items, le dictionnaire "encyclop�dique" imprim� le plus consistant, mais il n'est pas assur� qu'il soit per�u comme tel et le volume des noms propres ne passe pas pour un succ�s de librairie.
+Dans un march� dor�navant presque limit� aux dictionnaires en un volume, o� Larousse et Le Robert investissent avant tout, de diverses fa�ons, dans la promotion des produits phares ? Petit Larousse et Petit Robert ? qui constituent leur socle (cf. supra) et comme tels continuent � faire partie du petit nombre des r�pertoires qui existent aussi sur disque optique, l'examen du catalogue restreint de Hachette, �diteur dictionnairique de deuxi�me importance qui pratique une politique de prix bas appuy�e sur la r�duction des co�ts de r�daction comme de communication et sur une ma�trise �tablie de la distribution, signale des segments sur lesquels il est int�ressant d'�tre pr�sent de fa�on continue : le dictionnaire de r�f�rence, ici en version "encyclop�dique" (Dictionnaire Hachette, refondu pour 2002 ? sans CD-ROM, � la diff�rence de l'�dition ant�rieure ? et actualis� chaque ann�e), les utilitaires portatifs (Dictionnaire Hachette encyclop�dique de poche, Dictionnaire Hachette de la langue fran�aise mini) et les r�pertoires pour l'�cole primaire (Dictionnaire Hachette junior et Dictionnaire Hachette benjamin), qui changent plus souvent de livr�e que de contenu. La concurrence est effectivement maximale sur ces deux derniers cr�neaux, o� Larousse et Le Robert sont �galement pr�sents et dont le second est aussi investi par plusieurs �diteurs sp�cialis�s dans les publications pour la jeunesse p�dagogiques ou de loisirs. En revanche, l'offre de milieu de gamme, qui semble �tre le segment le moins assur� des catalogues, n'�mane durablement que des deux �diteurs majeurs, avec un public cible bien d�fini ? les coll�giens ? et d'autres plus ouverts ou incertains, pouvant induire des d�convenues commerciales en d�pit du caract�re conventionnel des ouvrages.
+La linguistique ne p�se plus gu�re dans la lexicographie de montage et d'entretien actuelle. Les r�pertoires survivants de l'�poque o� elle avait le vent en poupe (Lexis, Maxi d�butants, Robert brio) perp�tuent les mod�les d'alors, et les innovations, con�ues en dehors des entreprises majeures, connaissent � leur tour l'insucc�s commercial, comme le peu manipulable Dictionnaire du fran�ais usuel de Jacqueline Picoche & Jean-Claude Rolland, paru en Belgique en 2002 � destination des apprenants �trangers, ou res-tent � l'�tat de chantiers universitaires suggestifs mais inachev�s, comme le Dictionnaire explicatif et combinatoire du fran�ais contemporain con�u par Igor Mel'?uk et son avatar r�cent d�nomm� Lexique actif du fran�ais (Mel'?uk & Polgu�re 2007) au Qu�bec ou le DAFLES en Belgique (d�sormais int�gr� dans une � Base lexicale du fran�ais �, portail de ressources et de liens � vis�e didactique).
+La lexicographie monolingue g�n�rale fran�aise vivote donc en g�rant l'existant, peut-�tre davantage dans la crainte de nouveaux replis que dans l'espoir de lendemains rass�r�nants, en d�pit de coups de coeur ponctuels d'une partie du public pour des "�v�nements" dictionnairiques bien orchestr�s comme le Petit Larousse du centenaire (mill�sime 2005) ou le Dictionnaire culturel en langue fran�aise, qui ne suffisent pas n�cessairement � compenser les d�convenues, ce dont t�moigne la reprise en main �ditoriale de Larousse au sein d'Hachette-Livre sous la f�rule d'Isabelle Jeuge-Maynart en 2006 afin d'endiguer les mauvais r�sultats commerciaux. Mais, si ses gestionnaires ont tir� les le�ons du pass� en d�laissant l'exp�rimentation � risque et en concentrant leur offre dans une palette de r�pertoires moins ouverte et une �chelle de prix plus restreinte, le march� propose encore, en l'�tat, un large choix d'ouvrages pour divers usages et diverses comp�tences, globalement assez bien tenus � jour, et qui, dans les catalogues des �diteurs majeurs, riches d'une longue exp�rience et d'un important fonds documentaire et textuel, s'organisent en gammes qui, � d�faut de ne proposer que des produits nettement diff�renci�s (cf. supra � 3.1), les �chelonnent de fa�on coh�rente. Cette offre serait-elle encore trop importante pour la demande ?
+L'hypoth�se n'est pas � exclure. Apr�s tout, vendre chaque ann�e en grand nombre un Petit Larousse ou un Petit Robert qui, pour l'essentiel et nonobstant l'actualisation de rigueur, n'a de neuf que son mill�sime, rel�ve d'une sorte d'exploit dans un environnement dans lequel la concurrence de multiples biens de consommation (cf. supra � 2.2.1) ne peut que r�duire m�caniquement le potentiel d'attractivit� des dictionnaires et avoir une incidence sur l'�volution de leurs ventes. Et l'existence m�me de r�pertoires vedettes, enjeux majeurs pour leurs �diteurs et objets de soins destin�s � entretenir leur succ�s, pourrait avoir dans l'�dition dictionnairique, vis-�-vis d'autres titres des catalogues, un effet de nuisance du m�me ordre que celui g�n�r� par les best-sellers dans l'ensemble du commerce du livre, certains r�pertoires ne trouvant pas tout leur public potentiel faute que celui-ci, du fait d'une repr�sentation lacunaire des fonctionnalit�s diff�renci�es de dictionnaires g�n�raux de diverses natures, soit en mesure d'appr�hender l'ensemble de l'offre et de percevoir les services sp�cifiques que chaque r�pertoire serait susceptible de rendre. Si, comme l'affirment volontiers des lexicographes professionnels, la v�rification orthographique constitue le premier motif de consultation de dictionnaires, suivie par les recherches de sens, et que le reste de l'information linguistique propos�e n'est pas significativement per�u comme r�pondant � des besoins, ce sont les principes m�mes de la diversification des catalogues qui sont en situation de ne pas �tre compris. La porte est alors ouverte au choix al�atoire des dictionnaires les plus notoires, les mieux expos�s ou les moins chers, si tant est que la multiplicit� des ressources �lectroniques disponibles, des correcteurs orthographiques int�gr�s � divers logiciels aux dictionnaires en ligne gratuits de tout acabit, ne dissuade de tout achat.
+Port�s par tradition � la r�v�rence vis-�-vis du dictionnaire consid�r� comme une transcendance, les Fran�ais ne sont en revanche pas nourris d'une culture lexicographique th�orique et pratique qui leur donnerait les moyens d'appr�cier � quoi correspond la pluralit� de l'offre dictionnairique, d'y prendre les rep�res les plus appropri�s et de tirer le meilleur profit de consultations efficaces, ce qui renvoie � l'�cart entre la place qui serait � faire et celle qui est faite � l'�ducation aux usages des dictionnaires dans l'enseignement (cf. supra � 1). Sans minimiser les autres facteurs qui les d�terminent, il convient donc aussi de d�finir la part du d�ficit d'attentes dans les limites actuelles de la demande de dictionnaires.
+Il est � craindre que les tendances r�cessives de l'offre et de la demande de dictionnaires n'aillent s'aggravant et que leur inversion ne soit pas � attendre de l'autor�gulation du march�. Concurrenc�e par des res-sources gratuites de nature et de qualit� tr�s variables, le plus souvent sans fonctionnalit�s ajout�es, mais susceptibles de satisfaire une demande d�pourvue d'attentes fortes faute d'une �ducation et d'une culture sp�cifiques du public, la lexicographie commerciale se trouve en position d�fensive : les grands dictionnaires "encyclop�diques" d'un certain prix appartiennent au pass�, l'am�lioration effective du contenu des dictionnaires "de langue" s'effectue de fa�on trop subtile, par ajustements successifs au fil de r�visions et de d�rivations, pour constituer un argument de vente efficace, et les plus-values fonctionnelles des versions �lectroniques de certains r�pertoires n'ont pas suffi � cr�er un march� porteur. Comment, d�s lors, l'offre priv�e, pour au moins maintenir ses positions, ne concentrerait-elle pas ses efforts sur la valorisation de l'image des marques et sur une stimulation ponctuelle artificielle de la demande par le marketing plut�t que sur des investissements fonciers � moyen ou long terme aussi on�reux qu'hasardeux et dont elle n'aurait de toute fa�on probablement pas les moyens ? Rien ne permet d'envisager une �volution favorable si le noeud du probl�me r�side bien dans la qualit� de la demande. On peut toujours r�ver � un monde id�al dans lequel les pouvoirs publics, miraculeusement sensibilis�s aux vertus �ducatives des dictionnaires et � leur pouvoir th�rapeutique dans une lutte � mener contre ce qui peut appara�tre comme � la paresse, l'apathie, l'indiff�rence d'une majorit� des Fran�ais � l'�gard de leur langue � (Rey 2007 : 1318), donneraient � l'apprentissage de leur maniement une place plus affirm�e que ce que pr�voient aujourd'hui les programmes et instructions scolaires afin d'am�liorer le potentiel d'expression autonome des citoyens, ce qui, par la relance de la consommation induite, aurait des r�percussions positives sur l'offre des �diteurs. Mais pour l'heure cette vision keyn�sienne d'un encadrement qui donnerait un nouveau souffle � l'�dition dictionnairique peut rejoindre le r�ve technologique de Sue Atkins au rang des utopies. Tout au plus est-il possible, par le pr�sent propos, de lui donner un mince �cho en invitant la communaut� des linguistes francophones int�ress�s par le lexique � r�fl�chir � ce qui pourrait contribuer � donner aux dictionnaires une meilleure place dans l'�panouissement de l'expression personnelle de chacun.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� + par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+[...] on voit ce qu'il faut penser de l'Analogie. A consid�rer l'usage qui en est fait dans quelques livres r�cents, on la prendrait pour une grande �ponge se promenant au hasard de la grammaire, pour en brouiller et en m�ler les formes, pour effacer sans motifs les distinctions les plus l�gitimes et les plus utiles (Br�al, 1899 : 84)+
Le retour, sur le devant de la sc�ne morphologique, du concept d'analogie me semble constituer l'un des changements majeurs de cette derni�re d�cennie.
+En effet, apr�s avoir connu des p�riodes de flux et de reflux, le concept r��merge actuellement sous l'impulsion de travaux de psycholinguistes, gagnant peu � peu du terrain dans le champ des �tudes proprement morphologiques, y compris dans des travaux portant sur la morphologie du fran�ais.
+La pr�sente contribution s'articulera en trois parties : apr�s une rapide d�finition de l'analogie, je brosserai � grands traits l'utilisation qui en a �t� faite en mati�re de lexique construit. On verra ensuite que la p�riode actuelle r�unit les conditions propices � la r�activation du concept, et que de plus en plus de travaux contemporains recourent � elle, �ventuellement sous des appellations diff�rentes, comme principe explicatif de faits morphologiques.
+L'analogie est un concept aristot�licien, d�finissable comme une �galit� de rapports. Aristote recourt � elle quand une premi�re chose est dans un rapport � une deuxi�me comme une troisi�me l'est � une quatri�me, assimilant ainsi une �galit� de proportion � une identit� de relation. C'est gr�ce � ce concept fondamentalement math�matique, que les pythagoriciens ont utilis� pour �tablir une �galit� entre quatre termes (a/b = c/d), qu'il est possible de formuler des jugements g�n�raux sur des objets inconnus tr�s divers par un processus d'inf�rence (cf. l'utilisation qu'en fait Saint Thomas d'Aquin selon lequel nous pouvons dire quelque chose sur la connaissance de Dieu bien que nous ne sachions rien de Dieu, parce qu'elle est � Dieu dans le m�me rapport que la connaissance de l'homme est � l'homme). C'est encore sur l'analogie que repose le m�canisme de la m�taphore, en particulier la m�taphore in absentia (Gardes-Tamine, 2003) : puisque a est � b ce que c est � d, a peut �tre substitu� � c (et r�ciproquement), ou b � d (et r�ciproquement).
+Si le concept est ancien, l'int�r�t qui lui a �t� port� ne s'est pas d�menti depuis la p�riode grecque (je renvoie ici � Biela, 1991 : 13-sq), et le th�me demeure d'actualit� en ce d�but de xxie si�cle dans diff�rents champs de la connaissance, dont les math�matiques o� l'analogie est une strat�gie de r�solution de probl�mes, et les sciences cognitives en g�n�ral. Une simple requ�te sur la Toile montre en effet la multiplicit� des recherches sur ce th�me, tous champs disciplinaires confondus, pour la seule derni�re d�cennie : analyse discursive (Chardonnet-M�li�s, 1999) et paratextuelle (Perava, 1995), philosophie (Schaar, 1999), traitement automatique (Lepage, 2000 et 2003), pour n'en citer que quelques-uns. L'analogie fait �galement l'objet de recherches f�condes en psychologie depuis un quart de si�cle (pour une revue d�taill�e, cf. Sander, 2000), et est � la source du rapprochement entre psychologie et intelligence artificielle, dans leurs soucis convergents de mod�liser le traitement d'informations (cf. en particulier Gineste, 1997).
+Il ne s'agira pas ici de dresser un historique exhaustif de la notion telle qu'elle a �t� utilis�e en grammaire et en linguistique de l'Antiquit� � nos jours, mais seulement d'en brosser les grandes lignes, en centrant les observations sur le domaine de la formation des mots (pour un point historique plus document�, je renvoie � Chevalier & Delesalle, 1986, qui montrent la permanence du concept du xviiie si�cle � la fin du xixe si�cle, ainsi qu'� Biela, 1991 : 107 - 115).
+Sans entrer dans le d�tail :
+En tout �tat de cause, pendant cette longue p�riode, l'analogie n'est jamais con�ue comme un principe d'explication, pas plus qu'elle n'est particuli�rement �voqu�e � propos du lexique construit. Ce n'est qu'� partir de Beauz�e qu'elle devient tour � tour :
+Pour la 1e �dition du dictionnaire de l'Acad�mie (1694), � |l]es mots nouveaux ne peuvent gu�re s'introduire qu'� l'aide de l'analogie �.
+La premi�re moiti� du xixe si�cle s'int�resse peu � l'analogie : l'objectif de la grammaire compar�e n'est pas de d�couvrir les principes dynamiques � l'oeuvre dans les langues, mais d'en d�couvrir les origines. L'analogie est par cons�quent tr�s en marge de ce programme de recherche.
+On assiste en revanche � une r��mergence du concept chez les philologues travaillant sur l'�volution du latin au fran�ais. Pour eux, l'analogie est surtout un facteur de trouble : ainsi l'exemple, cit� par Chevalier & Delesalle (1988 : 344), de l'extension du /s/ au cas sujet de tous les noms, consid�r�e comme une r�gularisation abusive, arbitraire, allant � l'encontre des � lois naturelles � que sont les lois d'�volution phon�tique.
+Les n�o-grammairiens s'emparent � leur tour du concept et le redorent. L'analogie devient alors une force dynamique, pr�cis�ment parce qu'elle contrecarre les lois phon�tiques : ainsi, pour Leskien (1876) cit� d'apr�s Touratier (1988 : 140 - 141), les lois phon�tiques et l'analogie constituent les seuls facteurs susceptibles d'expliquer la forme que pr�sente � une �poque donn�e la d�clinaison d'une langue.
+En 1880, H. Paul �rige l'analogie en principe. Renouant avec la conception aristot�licienne du concept, il l'�nonce au moyen de l'�quation du calcul de la quatri�me proportionnelle, qu'utiliseront et d�velopperont plus tard notamment Saussure (1916), Herman (1931) et Bloomfield (1933). Pour Paul (1880 : chap. 5), l'analogie est susceptible d'intervenir aux niveaux s�mantique, syntaxique, morphologique, flexionnel, phon�tique, puisque chacun d'entre eux permet de d�gager des groupes proportionnels (proportionengruppen), eux-m�mes sources d'�quations proportionnelles (proportionen-gleichungen).
+A la m�me �poque en France, M. Br�al institue l'analogie, � cette loi du langage qui fait que des formes d�j� cr��es servent de mod�les � des formes nouvelles � (1890 : 327), en dynamique centrale des langues. C'est pr�cis�ment un exemple de lex�me apparemment construit, sans base identifiable, qui lui sert � illustrer sa d�finition : � ainsi septentrional, qui vient de septentrion, a servi de mod�le � m�ridional, lequel n'a pas de primitif dont il ait pu �tre imm�diatement d�riv� �.
+Chez F. de Saussure, l'analogie appara�t comme un principe central de r�gulation des signes entre eux (elle constitue le th�me exclusif ou principal des chapitres 4 et 5 du Cours de linguistique g�n�rale et appara�t comme th�me secondaire des chapitres 6 et 7) : � l'encontre des philologues fran�ais de la premi�re moiti� du xixe, il pose que les facteurs de trouble sont les lois phon�tiques (chap. 4, p. 221), en ceci qu'elles � contribue[nt] � rel�cher les liens grammaticaux qui unissent les mots entre eux �, augmentant ainsi inutilement la quantit� des formes � l'int�rieur d'un paradigme. Pour lui, cette tendance � l'irr�gularit� est heureusement contrebalanc�e par l'analogie, qui � suppose un mod�le et son imitation r�guli�re � (ibid.). Comme H. Paul, il ram�ne le concept au calcul de l'�quation de la quatri�me proportionnelle. Il lui assigne deux r�les majeurs :
+permettre au locuteur de produire des mots nouveaux. Du point de vue de la synchronie cette fois, l'analogie joue en effet un r�le central dans la formation du lexique construit, comme l'indiquent les deux extraits suivants, emprunt�s respectivement aux pages 225 et 228 du Cours de linguistique g�n�rale :
+sur le mod�le de pension :pensionnaire, r�action :r�actionnaire, etc., quelqu'un peut cr�er interventionnaire ou r�pressionnaire, signifiant 'qui est pour l'intervention', 'pour la r�pression'+
magasinier n'a pas �t� engendr� par magasin ; il a �t� form� sur le mod�le de prisonnier :prison, etc. De m�me, emmagasiner doit son existence � l'analogie de emmailloter, encadrer, encapuchonner, etc., qui contiennent maillot, cadre, capuchon, etc.+
Pour lui, du point de vue du locuteur toujours, un nom comme r�pressionnaire n'instancie pas une r�gle abstraite (celle de la suffixation par -aire d'un nom), mais r�sulte bien du calcul de la quatri�me proportionnelle, � partir de ce que Bloomfield (1933 : 383) appelle un � groupe mod�le � (pension :pensionnaire, r�action :r�actionnaire, etc.), dont on remarquera qu'il a la particularit� d'impliquer des lex�mes comportant la m�me finale.
+Chez F. de Saussure, le recours � l'analogie n'est pas exclusif du recours aux patrons abstraits, ce qui confirme, comme l'�crit Anderson (1985 : 54) que, pour lui, � analogy is directly linked to the structure of the grammar �. Par exemple, page 227 :
+un mot que j'improvise, comme in-d�cor-able, existe d�j� en puissance dans la langue ; on retrouve tous ses �l�ments dans les syntagmes tels que d�cor-er, d�cor-ation, pardonn-able, mani-able, in-connu, in-sens�, etc. ; et sa r�alisation dans la parole est un fait insignifiant en comparaison de la possibilit� de le former+
Apr�s avoir �t� consid�r�e comme un principe fondamental dans le domaine de la formation des mots dans le premier tiers du xxe si�cle, l'analogie entre dans une p�riode de somnolence, puis de profond sommeil dans les travaux de morphologues g�n�rativistes, alors m�me, comme le note Milner (1989 : 631), que la linguistique formalisante, qu'elle soit structurale ou g�n�rative, rel�ve d'une conception analogique de la langue, o� analogique signifie � r�gulier � (pour une remarque similaire, cf. Molino 1988 : 12).
+On peut voir un r�v�lateur de cette mise en hibernation dans le fait que le terme analogie (ou ses �quivalents dans d'autres langues) est absent de la plupart des index th�matiques des travaux de morphologie s'inscrivant dans ce courant th�orique (par exemple, Scalise, 1984, Di Sciullo & Williams, 1987, Lieber, 1992, Aronoff, 1994). On ne le trouve pas davantage dans Corbin (1987), que ce soit dans l'index ou dans le corps de l'ouvrage, alors m�me que 250 pages sont consacr�es aux r�gularit�s et irr�gularit�s de toutes sortes.
+Au moins trois raisons peuvent �tre invoqu�es pour expliquer l'occultation du concept dans ce courant th�orique :
+Etant donn� les fondements th�oriques de la grammaire g�n�rative, on comprend que l'analogie disparaisse des pr�occupations des morphologues qui s'inscrivent dans ce courant. Mais on s'attend �galement � ce que la notion se charge d'une valeur nouvelle, du moins pour les morphologues qui usent encore du concept : puisque les relations analogiques reposent sur une proc�dure paradigmatique de mise en relation de s�ries de lex�mes, et que les patrons abstraits de la grammaire g�n�rative - les r�gles - mettent en jeu une proc�dure fondamentalement syntagmatique, on peut pr�dire que les notions d'analogie et de r�gles se retrouvent en distribution compl�mentaire.
+Effectivement, alors que, par le pass�, les notions �taient parfois interchangeables - on l'a d�j� vu chez les grammairiens de l'Antiquit� ; on le voit �galement dans l'article analogie de l'Encyclop�die, ou encore chez Saussure (1916 : 221), pour qui � une forme analogique est une forme faite � l'image d'une ou plusieurs autres d'apr�s une r�gle d�termin�e � -, il devient d�sormais banal d'opposer formation par analogie et formation par r�gles, et ce y compris dans des travaux utilisant l'analogie comme principe explicatif (cf. par ex. Derwing & Skousen, 1989, qui, reprenant des r�sultats mis au jour dans un travail non publi� de J. Ohala, r�capitulent les points opposant l'approche bas�e sur r�gles et l'approche bas�e sur l'analogie). D�sormais, l'analogie est appel�e � la rescousse pour les cas r�tifs � une explication par r�gle (cf. l'exemple des d�riv�s anglais en -ee d�velopp� dans Bauer, 1983 : 249).
+Concomitamment se met en place un second couple, opposant analogie et productivit� (pour un point sur la notion, cf. Dal, 2003a et Dal & al., ce volume). Par exemple, Fradin (1994 : 16) mentionne l'analogie au titre des cr�ations erratiques sous la branche � non productif � d'un diagramme montrant l'ind�pendance de la lexicalisation, des modes de construction et de la productivit� ; Fradin (1998 : 329) cite confortique en tant que cr�ation analogique cr��e � en dehors du syst�me des r�gles de la grammaire � ; Dressler & Lad�nyi (2000) opposent la productivit� par r�gle et l'analogie de surface : les lex�mes que forme cette derni�re �chappent selon eux au domaine des r�gles de construction de mots. La m�me opposition se retrouve dans Booij (2002 : 10 - 11) : selon lui, un patron est productif quand il permet de former de nouveaux lex�mes de fa�on non intentionnelle. Il est en revanche non-productif s'il ne permet pas de former de nouveaux lex�mes, sauf de fa�on intentionnelle sur la base d'une analogie avec des lex�mes existants.
+L'opposition r�gles (productives) / analogie trouve aussi parfois son fondement dans des consid�rations quantitatives. C'est ainsi que, pour Bauer (1983 : 257), les cr�ations anglaises en -nik r�sultent de l'application d'une r�gle parce qu'elles sont nombreuses ; elles auraient �t� le fruit de l'analogie si elles avaient �t� plus rares :
+Many of the earliest coinages in -nik [...] are evidently based directly on sputnik [...]. If only one such word had existed, it would have been possible to speak of an analogical formation. With so many it seems fairer to speak of a rule+
A peu de chose pr�s, on retrouve cette m�me bipartition chez Becker (2003 : 277), pourtant fervent d�fenseur de l'analogie, comme on va le voir dans le paragraphe suivant :
+Their difference [entre analogie et r�gles] consists entirely in a difference of productivity. The so-called 'analogies' are rules of low productivity, and rules are productive analogies.+
M�me aux beaux jours de la grammaire g�n�rative, l'analogie en tant que processus morphologique conservait cependant des d�fenseurs, d'autant plus virulents parfois que le ph�nom�ne se trouvait marginalis� :
+- Motsch (1987 : 24) se demande ainsi s'il est fond� d'opposer analogie et r�gles. Comme d'autres avant (par ex. van Marle, 1985) et apr�s lui (par ex. Biela, 1991 : 114 - 5), il souligne en effet que les r�gles n'existent qu'en tant qu'elles sont incarn�es par des mots existants, pr�sentant des similarit�s :
+The creation of new words (...) presupposes rules. But rules need not have an existence of their own. We may conceive of rules as the result of a process of analysis operating on similarity of item of the vocabulary.+
Pour des raisons que d�veloppe van Marle (2000 : 226-sq.), la question de l'analogie est souvent pol�mique, et les positions prises � son �gard sont la plupart du temps extr�mes : on peut de la sorte reprocher leur manich�isme � Derwing & Skousen (1989), nettement en faveur de l'analogie, comme on peut reprocher le sien � Plag (1999), partisan, lui, d'une morphologie bas�e sur des r�gles. En t�moignent les vives critiques qu'ont suscit�es les travaux de Becker et le mod�le analogique de Skousen (cf. entre autres Bauer, 1993, Baayen, 1995, et Plag, 1999). En substance, il est reproch� � l'analogie :
+Cependant, � l'issue de l'examen de chacune de ces critiques, rien de d�cisif ne se d�gage :
+Les changements �pist�mologiques auxquels on assiste ces derni�res ann�es sont propices � la r�surgence de l'analogie en tant que principe explicatif en mati�re de lexique construit :
+De fait, au niveau international, depuis une petite dizaine d'ann�es et ce, y compris de la part de morphologues qui r�cusaient l'utilit� du concept auparavant, on voit fleurir nombre de travaux utilisant l'analogie comme principe explicatif, qu'elle soit nomm�e comme telle ou qu'on parle de � relations paradigmatiques � (par ex. Booij, 1997, van Marle, 2000) ou de mod�les bas�s sur des exemplaires (exemplar-based models ; par ex. Skousen & al., 2002 ; pour un r�sum� des principaux mod�les de ce type, cf. Eddington, 2004). C'est ainsi que, dans un colloque international r�cent, S. Lappe et I. Plag ont recouru au concept pour expliquer l'assignation de l'accent dans des compos�s [NN] de l'anglais que Krott & al. (2001) l'utilisent pour mod�liser les �l�ments de liaison � la jonction des constituants de compos�s en n�erlandais, que Booij (2007) s'ach�ve sur l'importance de la prise en compte des relations paradigmatiques en mati�re de lexique construit, que Gaeta (2007) se demande si l'analogie est � �conomique �, ou que l'on peut trouver sur la page personnelle de H. Baayen les propos suivants :
+The importance of paradigmatic relations for lexical processing has also become evident from our work on the morphological family size effect (Bertram, Baayen and Schreuder, 2000, Journal of Memory and Language, De Jong, Schreuder and Baayen, 2000, Language and Cognitive Processing, Moscoso del Prado Martin, Kostic, and Baayen, 2004, Cognition; for auditory comprehension, see Wurm, Ernestus, Schreuder and Baayen). For recent work addressing the imbalance of semantic interconnectivity for regular and irregular verbs and its consequences for lexical processing, see Baayen and Moscoso del Prado Martin (2004) and Tabak, Schreuder, and Baayen (2004).+
Pour ce qui est des travaux portant sur la morphologie constructionnelle du fran�ais, la prise en compte de l'analogie et des relations paradigmatiques commence � percer. Sans pr�tendre � l'exhaustivit�, je citerai ici Amiot (en pr�paration), Dal (2003b), Dal (2004 : 66 - 86), Dal & Namer (en pr�paration), Hathout (2003), Lignon & Montermini (en pr�paration), Stroppa & Yvon (2005).
+L'objectif de la pr�sente contribution n'�tait pas de prouver que l'analogie est un concept op�ratoire dans le domaine du lexique construit, mais simplement de rassembler des arguments montrant que, de m�me que dans d'autres champs de la linguistique o� sa r�habilitation a commenc�, le concept m�rite peut-�tre davantage que le sort qu'il lui a �t� r�serv� jusqu'il y a peu. C'est, me semble-t-il, chose faite : si on admet que le r�le du morphologue est de mettre au jour les r�gularit�s qu'il observe dans les lex�mes construits et de les utiliser pour pr�dire le lexique � venir, l'analogie peut �tre r�habilit�e comme mode explicatif, � charge pour lui de contraindre le concept.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les changements s�mantiques sous-jacents aux ph�nom�nes de grammaticalisation ont �t� analys�s dans le pass� comme des transferts m�taphoriques, des glissements m�tonymiques ou des � conventionnalisations d'implicatures �. Dans cette br�ve contribution, nous nous demanderons, � l'instar de Nicolle (1998), quel pourrait �tre l'apport de la th�orie de la pertinence � l'analyse de ces �volutions s�mantiques. Puisque Nicolle (1998) s'est servi, entre autres, de l'�volution de la construction anglaise be going to + infinitif pour illustrer ses id�es, nous prendrons comme point de d�part de cette �tude l'analyse de la grammaticalisation de la s�quence aller + infinitif propos�e par Detges (1999). Nous expliquerons d'abord pourquoi il est n�cessaire de combiner son analyse m�tonymique avec les m�canismes pragmatiques d�crits par la th�orie de la pertinence. Ensuite, nous montrerons bri�vement qu'en plus des �l�ments d�j� mentionn�s, il faut aussi tenir compte de la fr�quence d'emploi de la s�quence aller + infinitif.
+La grammaticalisation de la s�quence aller + infinitif a �t� d�crite par plusieurs auteurs ; nous partirons ici de l'analyse propos�e par Detges (1999), que nous compl�terons toutefois en nous servant d'id�es et de donn�es emprunt�es � Gougenheim (1929), Flydal (1943), Wilmet (1970) et Werner (1980). Selon Detges (1999), le m�canisme sous-jacent au changement s�mantique du verbe aller, qui s'est transform� de verbe de mouvement en marqueur du � futur p�riphrastique � (du moins lorsqu'il est suivi d'un infinitif), est de nature m�tonymique, mais la cause et la direction du processus de grammaticalisation (du concret vers l'abstrait) doivent �tre expliqu�es en faisant appel � des strat�gies et � des intentions communicatives particuli�res des locuteurs.
+A l'instar de Blank (1997), Detges (1999 : 36) consid�re comme m�tonymiques des changements s�mantiques du type 'contenant > contenu', 'acte > r�sultat', etc. A son avis, ces glissements de sens s'expliquent � partir des relations (non linguistiques) existant entre les concepts qui repr�sentent les entit�s d�sign�es par les signes linguistiques. Ces concepts sont organis�s en cadres (frames), c'est-�-dire des ensembles de connaissances encyclop�diques. Ainsi, en ce qui concerne le concept t�te, nous savons (i) que la t�te est une partie du corps et, par extension, de la personne humaine, (ii) que c'est la partie sup�rieure du corps (du moins chez les �tres humains), (iii) que la t�te est le si�ge de l'intellect, etc. Lorsque le contexte met au premier plan certaines connaissances qui font partie du cadre associ� au nom t�te, et en repousse d'autres � l'arri�re-plan, ce nom acquiert diff�rentes interpr�tations. Il peut ainsi d�signer, selon le Petit Robert, les personnes humaines (ex. 1) ou l'intellect dont la t�te est cens�e �tre le si�ge (ex. 2) :
+(1) Une t�te couronn�e (Petit Robert, s.v. t�te)+
(2) On n'�crit pas avec son coeur, mais avec sa t�te (Flaubert, cit� par le Petit Robert, s.v. t�te)+
Dans l'exemple (1), c'est l'id�e de la personne humaine, dont la t�te est une partie, qui a �t� mise au premier plan, dans l'exemple (2), par un mouvement en quelque sorte inverse, c'est l'intellect (qui est cens� �tre � dans � la t�te) qui se voit promu au premier plan. Mais dans les deux cas, la m�tonymie r�sulte de glissements � l'int�rieur du cadre associ� � t�te (Koch 1996, 1999) : t�te > personne ; t�te > intellect. De plus, elle consiste � changer les rapports premier plan / arri�re-plan existant au sein du cadre.
+Lorsqu'il est question de verbes, les cadres qu'ils d�signent se refl�tent dans leur valence (Detges 1999 : 37) ; aller d�signe ainsi un cadre qui comporte (i) deux �l�ments centraux ou actants, � savoir (a) l'agent du mouvement et (b) la destination de ce mouvement, mais aussi (ii) plusieurs circonstants, comme (a) la vitesse, (b) l'instrument et (c) l'intention avec laquelle l'agent se dirige vers sa destination. Selon Detges, la grammaticalisation li�e au verbe aller est le r�sultat de glissements m�tonymiques � l'int�rieur de ce cadre. Il distingue deux �tapes :
+Nous pr�sentons ci-dessous son analyse des glissements m�tonymiques impliqu�s.
+L'intention associ�e au verbe aller concerne souvent les actes que l'auteur du mouvement se propose d'ex�cuter lorsqu'il arrive � la destination du mouvement :
+(3) Car incontinant le roy manda tous ses barons, cappitaines et chefz de guerre, et sans aulcun delay fit appareillier tout ce qui estoit de besoing pour aller en Espaigne commancer la guerre contre les barons du pays. (Jehan de Paris 8, cit� par Werner 1980 : 131)+
Il suffit que cette intention soit plus importante en contexte que la destination � laquelle elle est associ�e pour que seule l'intention soit exprim�e. Detges (1999 : 39) cite ainsi les exemples suivants, dans lesquels seule l'intention est encore explicit�e,
+(4) Nos alomes la messe o�r; Tuit alomes vers le mostier. (Roman de Renart 12582, fin 12e - d�but 13e s.; cit� par Littr� 1961/62 et Detges 1999 : 39)+
(5) Il meismes ala trois serjans apeler (Li romans de Berte aus grans pies XVII, fin 13e si�cle, cit� par Littr� 1961/62 et Detges 1999 : 39)+
Bref, il n'est pas toujours n�cessaire d'expliciter la destination parce que celle-ci peut �tre d�duite sans probl�mes du contexte. Partant, le verbe aller s'emploiera par la suite dans des contextes o� il n'exprime plus l'id�e d'un mouvement, mais o� il signale seulement la pr�sence d'une intention :
+(4) Il est bien temps de deviser / Les personnaiges et nommer. / Je vous les veulx nommer � tous. / Je voys au Monde commencer. (Moralit� de Charit�, 1532 - 1550, passage cit� par Gougenheim 1929/1971 : 98 et Detges 1999 : 39)+
Comme le fait remarquer Detges (1999 : 40), en (4) je voys n'exprime plus le mouvement, puisque le locuteur ne doit pas se d�placer pour pr�senter les personnages. Je voys correspond plut�t � � j'ai l'intention (de) ... �, ce qui est d'ailleurs �tay� par la juxtaposition de je voys avec je veulx. Le r�sultat est que l'intention est mise au premier plan, alors que la destination est repouss�e � l'arri�re-plan.
+L'analyse n'est pas encore compl�te, toutefois : il faut encore expliquer ce qui d�clenche le changement s�mantique. Detges (1999 : 48) avance � ce sujet que les locuteurs font appel � des verbes d�signant un mouvement visible pour exprimer leurs intentions ou pour faire des assertions sur le futur, qui n'est pas perceptible, afin de signaler � leurs interlocuteurs que ces intentions ou ces �v�nements futurs vont effectivement �tre r�alis�s. Il est int�ressant de noter � ce propos que le changement s�mantique du verbe aller d�crit dans cette partie de notre texte se produit initialement dans des contextes o� ce verbe est conjugu� � la premi�re personne (Gougenheim 1929, Flydal 1943, Wilmet 1970 et Werner 1980). Cela s'explique en effet, selon Detges (1999 : 40), par le fait que la p�riphrase aller + infinitif y sert surtout � exprimer des actes de langage comme la promesse, des actes dans lesquels l'intention de faire quelque chose occupe le premier plan. En disant � je vais ... �, le locuteur signale qu'au moment de parler, il a d�j� entam� le mouvement qui conduira � la r�alisation de l'acte (voir �galement Flydal 1943 : 8). Le rapport m�tonymique entre mouvement et intention est ainsi ancr� dans l'exp�rience du monde du locuteur et de son interlocuteur, ce qui contribue � rendre cr�dible pour l'interlocuteur l'id�e que l'acte vis� va se r�aliser ; la m�taphore, qui est bas�e sur un rapport conceptuel cr�� par le locuteur, n'aurait pas le m�me effet.
+Le changement de sens d�crit implique donc deux niveaux : (i) un niveau cognitif, o� l'on trouve les rapports conceptuels (konzeptuelle Br�cken, Blank 1997 : 295) sous-jacents � l'�volution s�mantique, et (ii) un niveau pragmatique, qui comporte le besoin communicatif, ressenti par le locuteur, de rendre cr�dible l'id�e que ses actes intersubjectifs, comme la promesse, vont se r�aliser et qui explique ainsi (i) le recours initial au concept concret d'aller et, du coup, (ii) la direction du changement (du concret vers l'abstrait) (Detges 1999 : 41).
+Si l'analyse de Detges nous semble tout � fait convaincante, l'on peut y ajouter un �l�ment, qui pourrait fournir une r�ponse suppl�mentaire � la question pos�e ci-dessus, concernant l'�l�ment qui d�clenche le processus de grammaticalisation. Selon Koch (2004 : 12), en effet, l'�l�ment d�clencheur des glissements m�tonymiques serait fourni par le principe de pertinence. Rappelons que selon ce principe, nos �nonc�s cr�ent des attentes de pertinence optimale :
+(...) le destinataire d'un �nonc� est en droit d'attendre, d'une part, que cet �nonc� soit au moins assez pertinent pour valoir la peine d'�tre trait� (...) et d'autre part, qu'il soit l'�nonc� le plus pertinent compte tenu des capacit�s et des pr�f�rences du locuteur. (Wilson 2006 : 42)+
La pertinence est d�finie en termes d'efforts de traitement et d'effets cognitifs (comme les implications contextuelles vraies, les renforcements ou les r�visions d'hypoth�ses existantes, etc.) :
+Toutes choses �tant �gales par ailleurs, plus un stimulus produit d'effets cognitifs, plus il sera pertinent pour l'individu qui l'a trait� ;
+(...) toutes choses �tant �gales par ailleurs, moins un �nonc� demande d'effort de traitement, plus il est pertinent. (Wilson 2006 : 44)+
Notons que ces principes permettent entre autres d'expliquer pourquoi le locuteur n'exprime plus la destination dans les exemples (4) et (5) : puisque cette information peut �tre d�duite du contexte, le locuteur rend son �nonc� plus pertinent s'il ne la reprend pas, r�duisant ainsi l'effort de traitement pour son interlocuteur. La pr�sence des �l�ments contextuels d�crits par Detges (la premi�re personne, etc.) permet en outre � l'interlocuteur d'identifier � peu de � frais � de traitement l'intention communicative du locuteur. La combinaison du sens avec les �l�ments contextuels cr�e donc des effets contextuels suppl�mentaires. Ces analyses doivent peut-�tre encore �tre affin�es, mais elles confirment � notre avis l'hypoth�se que la recherche de la pertinence optimale pourrait expliquer pourquoi s'op�rent les glissements m�tonymiques d�crits par Detges.
+Apr�s le premier glissement m�tonymique, la s�quence aller + infinitif n'est pas encore transform�e en marqueur grammatical ; la g�n�ralisation qui en r�sulte et qu'on retrouve dans l'�volution de la structure be going to + infinitif en anglais, concerne selon Nicolle (1998) deux sens lexicaux. Le deuxi�me glissement m�tonymique, qui transforme la s�quence aller + infinitif en marqueur grammatical, est bas� sur l'id�e g�n�ralement accept�e selon laquelle la r�alisation de nos intentions est normalement situ�e dans le futur : si les actes d�sign�s par l'infinitif apr�s le verbe aller renvoient aux intentions du sujet du verbe et que le locuteur essaie en outre de rendre cr�dible l'id�e que ces intentions vont �tre r�alis�es, on comprend que la s�quence aller + infinitif puisse s'employer par la suite pour exprimer l'id�e de futur. Cette transition peut s'observer dans des passages comme (7), o� aller + infinitif exprime selon Detges (1999 : 43) soit l'intention, soit le futur :
+(7) Je lui voys mander un cartel (Rabelais, Pantagruel IV, 32, 1532, cit� par Gougenheim 1929 : 99 et Detges 1999 : 43)+
L'interpr�tation finale de cet �nonc� d�pend de ce qu'on met � l'avant-plan : l'intention ou le futur ; on assiste donc de nouveau � un glissement m�tonymique. Le d�veloppement qui permettra finalement � aller + infinitif de n'exprimer que l'id�e de futur est accompagn� d'un mouvement de g�n�ralisation, lors duquel le verbe commence � �tre employ� avec des infinitifs d�signant des �v�nements qui ne d�pendent plus de l'intention du sujet. Cette �volution est illustr�e par les exemples suivants :
+(8) Par deffaulte de patience, / Tu vas perdre ta conscience. (Moralit� de Charit�, 1532 - 1550, cit� par Gougenheim 1929 / 1971 : 98 et Detges 1999 : 42)+
(9) La paix va refleurir, les beaux jours vont rena�tre. (Racine, Andromaque, II, 4, 1667, cit� par Littr� 1961/62 et Detges 1999 : 42).+
La valeur future de aller + infinitif se distingue toujours de celle du futur simple, puisque l'indicatif pr�sent du verbe aller + infinitif rattache le proc�s d�sign� au pr�sent : le futur est appr�hend� � partir du pr�sent, � comme le d�veloppement naturel de l'actualit� � (Wilmet 1970 : 195). La motivation pragmatique d�crite par Detges reste donc pr�sente, m�me lorsque le sujet du verbe ne renvoie plus au locuteur. Ainsi Leeman-Bouix (1994 : 163) note que, m�me si le futur p�riphrastique ne correspond pas � un proc�s imm�diat, comme dans Max et L�a vont se marier, il pr�sente ce proc�s comme tel � pour en garantir la r�alisation �, � l'oppos� du futur simple.
+L'article de Nicolle (1998) permet d'analyser aussi cette deuxi�me �tape de l'�volution de aller + infinitif en des termes emprunt�s � la th�orie de la pertinence. Nicolle note d'abord que si la grammaticalisation est d�finie comme un processus qui change un �l�ment lexical en un �l�ment grammatical, elle peut �tre d�finie dans le cadre de la th�orie de la pertinence comme une �volution qui change des termes exprimant des informations conceptuelles en des termes exprimant des informations proc�durales (voir Traugott et Dasher (2002 : 10, 40) pour des id�es comparables). En effet, dans la th�orie de la pertinence, l'information conceptuelle permet d'�laborer une repr�sentation de la sc�ne d�crite par l'�nonc�, alors que l'information proc�durale donne des instructions sur la fa�on dont il faut organiser et manipuler cette information conceptuelle ; le premier type d'information correspond donc (en gros) au sens lexical et le second au sens grammatical. Cette distinction permet � Nicolle (1998 : 10) d'expliquer pourquoi une expression qui (comme aller + infinitif) a d�velopp� un sens proc�dural en plus de son sens conceptuel, se transforme en marqueur grammatical. Lorsqu'un interlocuteur doit interpr�ter un �nonc� comportant une telle forme (comme aller + infinitif) dans un �nonc� (comme (7)), o� des �l�ments contextuels favorisent l'activation du nouveau sens proc�dural (dans le cas de aller + infinitif, le sens temporel), cette forme pourra recevoir deux interpr�tations, puisque son sens lexical - ou conceptuel - sera �galement activ�. Or le nouveau sens proc�dural apporte des informations sur la fa�on dont l'�nonc� doit �tre interpr�t� et contribue ainsi � r�duire l'effort de traitement - le sens temporel permet, en gros, de situer la situation d�not�e sur l'axe du temps. Si l'activation du sens proc�dural permet � l'interlocuteur de r�cup�rer suffisamment d'effets contextuels, le processus interpr�tatif s'arr�tera, conform�ment au principe de pertinence, et seul le sens proc�dural sera retenu - donc, en ce qui concerne aller + infinitif, le sens temporel. En effet, le traitement suppl�mentaire de l'information conceptuelle (uniquement celle exprim�e par la structure aller + infinitif dans notre cas) implique un effort suppl�mentaire qui ne sera pas r�compens� par des effets cognitifs suppl�mentaires (Nicolle 1998 : 10).
+Les analyses qui viennent d'�tre pr�sent�es, gagneraient certainement � �tre pr�cis�es davantage et � �tre illustr�es par d'autres exemples. Il faudrait encore expliquer, entre autres,
+Cela permettrait entre autres de d�crire de fa�on plus d�taill�e le r�le du contexte dans l'�volution de la s�quence aller + infinitif. Nous devrons aussi justifier de fa�on plus explicite pourquoi nous consid�rons que c'est l'ensemble de la s�quence et pas le verbe aller seul qui est grammaticalis� et qui exprime le futur p�riphrastique. Cette hypoth�se semble �tre �tay�e par le fait que la s�quence ne s'emploie qu'au pr�sent et � l'imparfait, ce qui n'est �videmment pas le cas pour le verbe aller seul. En outre, les inf�rences d�crites par Detges prennent comme point de d�part l'ensemble de la s�quence (y compris la personne grammaticale) et non le verbe aller seul.
+Nous croyons toutefois que ces pr�cisions ne remettraient pas en cause l'intervention du principe de pertinence comme �l�ment d�clencheur du processus de grammaticalisation. On notera d'ailleurs � ce propos que le fait m�me que la s�quence aller + infinitif se transforme en marqueur de temps contribue � augmenter la pertinence de l'�nonc�, dans la mesure o� les informations proc�durales qu'elle exprime r�duisent le co�t de traitement.
+Pr�cisons toutefois que, de toute �vidence, la th�orie de la pertinence ne suffit pas � elle seule pour d�crire les changements observ�s : ainsi que l'ont not� Ruiz de Mendoza Ib��ez et Hern�ndez (2003 : 29), la recherche de la pertinence optimale d�clenche les changements s�mantiques, elle explique pourquoi les interlocuteurs pr�f�rent certaines interpr�tations des �nonc�s produits � d'autres, mais elle n'explique pas, par exemple, pourquoi on passe de l'expression de la destination � celle de l'intention ; pour cela, on a besoin de repr�sentations cognitives comme les cadres d�crits par Detges (1999), leurs composantes et les relations (associatives et autres) qui existent entre ces composantes et qui rendent possibles les glissements m�tonymiques (voir �galement Koch 2004).
+Enfin, il faut noter, avec Koch (2004), que la th�orie de la pertinence permet d'analyser la phase initiale du changement de sens, lors de laquelle les formes sont interpr�t�es d'une fa�on nouvelle, mais que l'�volution s�mantique n'est vraiment compl�te que si l'innovation s�mantique entre dans la langue, c'est-�-dire si elle fait partie du sens conventionnel des termes linguistiques. Or il n'est pas �vident de d�crire cette conventionnalisation dans le cadre de la th�orie de la pertinence, puisque celle-ci consid�re que toutes les implicatures sont li�es au contexte et qu'elle tend � rejeter pour cette raison l'id�e qu'il existe des implicatures conversationnelles g�n�ralis�es. Cependant, si le glissement m�tonymique que d�clenche la recherche de la pertinence optimale consiste � mettre le sens temporel au premier plan et � repousser le sens intentionnel � l'arri�re-plan, il ne serait pas surprenant que ce sens temporel plus saillant soit finalement associ� comme sens cod� � la s�quence aller + infinitif, plut�t que le sens intentionnel moins saillant. Il faut toutefois, pour que le nouveau sens soit associ� � la s�quence, que l'inf�rence du sens intentionnel au sens temporel se r�p�te fr�quemment (Traugott et Dasher 2002). Il ne faut donc pas oublier le r�le essentiel jou� par la fr�quence dans la conventionnalisation, m�me si le r�sultat final de l'�volution satisfait au principe de pertinence (en effet, lorsque l'information proc�durale temporelle est conventionnalis�e, elle est plus accessible � l'interlocuteur que si celui-ci doit l'identifier par des inf�rences). Cette observation soul�ve la question de savoir si la th�orie de la pertinence est compatible avec toutes les cons�quences d'une approche de la grammaticalisation bas�e sur la notion de fr�quence telle que d�crite, entre autres, par Bybee (2006). Partant, ce texte ne saurait �tre qu'un point de d�part pour des recherches futures, lors desquelles nous aimerions �galement reprendre les questions formul�es au d�but de ce paragraphe. A suivre, donc.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� + par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+La question des liens entre linguistique fran�aise et cognition peut se d�cliner de plusieurs fa�ons. Si l'on entend par 'linguistique fran�aise' l'ensemble des travaux de linguistique portant sur le fran�ais, quelle que soient les th�ories sur lesquelles ils prennent appui, la question revient � identifier parmi ces th�ories celles qui se d�clarent cognitives. Dans cette perspective, rien ne concerne sp�cifiquement la linguistique fran�aise : au m�me titre que les sp�cialistes de n'importe quelle autre langue, les francisants soucieux de cognition se retrouvent au sein des associations (nationales ou europ�enne) de linguistique cognitive.
+En revanche, la question prend une autre dimension si l'on s'attache � certains �difices th�oriques �labor�s par des linguistes fran�ais ou francophones (et largement repris dans des travaux de linguistique fran�aise) - ceci bien �videmment sans chauvinisme aucun, et en conservant � l'esprit que la science a vocation � d�passer toutes les fronti�res. C'est cette seconde perspective que j'adopterai ici.
+Je rappellerai tout d'abord (� 1) les conditions historiques d'�mergence, aux Etats-Unis, de la linguistique dite 'cognitive', qui s'est construite sans r�f�rence aucune aux th�ories de linguistique fran�aise d�velopp�es (ant�rieurement ou parall�lement) en Europe. Certaines de ces th�ories, pourtant, proposaient des approches qui, en droit, participent d'une probl�matique cognitive ; je m'attacherai � deux grands courants de linguistique fran�aise tout � fait repr�sentatifs � cet �gard : la th�orie psychom�canique de Gustave Guillaume (� 2) et les th�ories de l'�nonciation (� 3).
+Dans un article r�cent, fort stimulant, Gilbert Lazard affirme - c'est le titre m�me de son papier - que "la linguistique cognitive n'existe pas" (Lazard, 2007). R�sumons tout d'abord l'argumentation de l'auteur, avant de rappeler le contexte historique qui a pr�sid� � l'�mergence de th�ories linguistiques dites 'cognitives', et d'�voquer les principaux enjeux de ce tournant pour la discipline.
+Selon notre auteur, le terme de 'sciences cognitives' d�signe un ensemble de disciplines qui, telles la neurobiologie, la psychologie, ou l'intelligence artificielle, "prennent pour objet des aspects divers de l'activit� sensorielle et intellectuelle par laquelle l'�tre humain prend connaissance du monde qui l'entoure" (Lazard, art. cit. : 3). Or, dit-il, si l'on inclut la linguistique dans cet ensemble, au nom des liens entre le langage et la pens�e, alors "toute linguistique est cognitive". A l'inverse, si on l'en exclut, au nom de la sp�cificit� des ph�nom�nes langagiers et qu'on la consid�re comme une discipline connexe mais distincte, alors "aucune linguistique n'est cognitive". Dans un cas comme dans l'autre, "la notion de linguistique cognitive est obscure" (ibidem).
+Les th�ories linguistiques se proclamant cognitives seraient toutes, en effet, confront�es au dilemme suivant. Soit elles ne feraient que revenir � la conception traditionnelle de la langue comme syst�me symbolique de mise en correspondance entre formes et sens, soit elles sortiraient du champ propre de la discipline, en tentant de trouver des motivations 'externes' aux ph�nom�nes linguistiques observ�s ou d'inf�rer des propri�t�s g�n�rales de l'esprit humain � partir de ces observations. Dans le premier cas, ce ne serait que de la linguistique (au sens le plus classique du terme) ; dans le second, ce ne serait plus de la linguistique. Quant aux 'instruments intellectuels' (comme, par exemple, la notion de prototype) que ces th�ories, soucieuses d'ouverture, peuvent se trouver emprunter � d'autres disciplines des sciences cognitives, "� vrai dire, pour ce faire il [= le linguiste] n'a pas lieu, en principe, de se borner aux disciplines voisines : il peut prendre son bien partout o� il le trouvera" (art. cit. : 15).
+En d�finitive, l'appellation 'linguistique cognitive' ne serait donc qu'une "expression � la mode, d�pourvue de sens ailleurs qu'aux Etats-Unis et en tout cas chez tous ceux qui n'ont pas subi l'emprise du g�n�rativisme. L'adjectif est de trop : la linguistique cognitive, c'est de la linguistique tout court. Cela dit, cette mode comporte un risque, celui de noyer le linguistique dans le cognitif, autrement dit d'oublier sa sp�cificit�" (art. cit. : 14).
+Pour en juger, tournons-nous donc vers ce que l'on est convenu d'appeler le 'tournant cognitif' de la linguistique, au milieu des ann�es 1950 aux Etats-Unis (les rep�res historiques qui suivent sont repris de Fuchs, 2004 : 6 - 12).
+L'historiographie officielle s'accorde � faire remonter ce tournant aux deux conf�rences qui, en 1956, ont r�uni, autour d'un projet �pist�mologique commun connu sous le nom de 'programme cognitiviste', le linguiste Noam Chomsky, le psychologue Herbert Simon et le sp�cialiste d'intelligence artificielle Marvin Minsky. L'objectif en �tait de caract�riser le fonctionnement de l'esprit � travers les facult�s qu'il d�veloppe (en particulier � travers la facult� de langage) ; et l'hypoth�se fondatrice �tait que la cognition humaine pourrait �tre d�finie, � la mani�re d'une machine, en termes de calculs correspondant au traitement des divers types d'informations re�ues par l'humain. C'est ainsi que la linguistique - en l'occurrence une certaine linguistique formelle - s'est trouv�e, de fait, participer aux d�buts de l'entreprise cognitiviste.
+Le paradigme classique, qui s'est d�velopp� dans ce cadre, est appel� 'computo-repr�sentationnel symbolique'. Il est fond� sur l'id�e de calculs (ou 'computations') d�finis en termes d'op�rations sur des 'symboles', lesquels auraient une r�alit� � la fois physique (ils seraient inscrits, d'une mani�re ou d'une autre, dans le cerveau) et s�mantique (ils 'repr�senteraient' le monde objectif). L'activit� de langage se ram�nerait donc � un traitement d'informations mettant en jeu (niveau syntaxique) des r�gles de manipulation de symboles, c'est-�-dire d'�l�ments physiques (niveau neurobiologique) qui repr�senteraient ad�quatement le monde r�el (niveau s�mantique). On notera au passage que ce cognitivisme de la fin des ann�es 1950 se fondait largement sur la m�taphore de "l'esprit-machine" (partag�e par la psychologie cognitive, la philosophie cognitive, et l'intelligence artificielle) : l'analogie avec le cerveau n'a �t� massivement exploit�e que plus tard, vers la fin des ann�es 1980, dans le cadre du rapprochement avec les neurosciences.
+Ce paradigme classique est celui qui a �t� adopt�, en linguistique, par la th�orie chomskienne. Les principales caract�ristiques en sont : une d�marche hypoth�tico-d�ductive, une perspective 'modulariste' (� la Fodor), une conception du langage comme instrument d'expression de la pens�e permettant la transmission d'informations � propos du monde, et le recours � des mod�lisations de type logico-alg�brique. La linguistique chomskienne a donc �t� la premi�re � se revendiquer explicitement comme une linguistique cognitive, en pr�nant une approche dite 'naturaliste' de l'objet langage. Pour reprendre les termes de Rouveret (2004 : 30), "le langage humain est un objet 'psychologique', composante de l'esprit humain, physiquement repr�sent� dans le cerveau, et faisant partie de l'�quipement biologique de l'esp�ce, qui, pr�cis�ment parce qu'il est ce type d'objet, peut et doit �tre analys� suivant les m�mes m�thodes d'investigation que celles qui sont en oeuvre dans les sciences de la nature".
+Au fil des ann�es, le paradigme cognitiviste des d�buts a fait l'objet de divers types de critiques au sein de l'ensemble des sciences cognitives. Progressivement, des alternatives � l'orientation symbolique se sont fait jour, visant � d�finir un nouveau type de paradigme, parfois d�sign� sous le terme de 'constructivisme'.
+En �cho � cette �volution g�n�rale, de nouveaux courants ont �merg�, d�s le d�but des ann�es 1970, au sein de la linguistique dite cognitive, qui cherchaient � se d�marquer - plus ou moins fortement selon les cas - du paradigme cognitiviste initial. C'est ainsi que, sur la c�te Ouest des Etats-Unis, plusieurs auteurs venus de la grammaire g�n�rative (George Lakoff, Ronald Langacker, Leonard Talmy, Gilles Fauconnier) ont �labor� diverses formes de 'grammaires cognitives', en r�action contre l'option modulariste et la pr��minence de la syntaxe pr�n�es par les chomskiens. Les grammaires cognitives r�cusent le postulat selon lequel les grammaires formelles constitueraient des mod�les ad�quats de la cognition linguistique, et cherchent � relier les ph�nom�nes langagiers aux processus g�n�raux de la cognition (comme, par exemple, la perception - d'o� l'importance accord�e � l'espace). Par diff�rence avec les grammaires formelles, cet autre courant de linguistique cognitive se caract�rise par une d�marche plus inductive et par une approche 'interactioniste' : une place centrale est accord�e � la s�mantique, r�put�e informer la syntaxe et le lexique avec lesquels elle interagit. La conception du langage y est davantage '�mergentiste' que repr�sentationnelle : le langage est envisag� comme instrument de conceptualisation active du monde et/ou comme instrument de communication. Enfin, les outils de mod�lisation empruntent pr�f�rentiellement � la g�om�trie, aux syst�mes dynamiques, ou au connexionnisme, plut�t qu'� l'alg�bre et � la logique math�matique. Pour ces th�ories, le noyau dur de la langue ne r�side pas dans les r�gles de la syntaxe mais dans les op�rations de construction de la signification.
+En bref, la linguistique dite cognitive, ainsi consign�e par l'historiographie officielle, est bien n�e aux Etats-Unis et ce tournant th�orique a effectivement d�bouch�, s'agissant des grammaires cognitives, sur une remise en question des postulats du g�n�rativisme. Comme l'affirme Lazard, s'agit donc bien d'un mouvement initi� outre-Atlantique et qui s'est d�velopp� sans lien avec les traditions de la vieille Europe (� l'exception du courant 'n�o-fonctionnaliste' qui constitue un cas � part et m�riterait, de ce point de vue, un d�veloppement sp�cifique). Mais, tr�s vite, les nouveaux paradigmes instaur�s par ce mouvement ont �t� adopt�s par une partie des chercheurs europ�ens, en linguistique fran�aise comme ailleurs.
+Reste � pr�sent � voir si la linguistique dite cognitive n'est, finalement, que "de la linguistique tout court", selon la formule de Lazard.
+Rappelons que, parmi les sciences cognitives, la linguistique occupe une place � part : elle est la seule � avoir le langage pour objet d'�tude exclusif, et elle aborde cet objet sous l'angle particulier de la diversit� des langues. L'int�r�t des linguistes pour des questions d'ordre cognitif (au sens large) ne date certes pas d'aujourd'hui : il existe en la mati�re une longue tradition, qui remonte � l'Antiquit�, de r�flexion sur les rapports entre les langues, la pens�e, le raisonnement, l'action, etc. Pour autant, cette probl�matique g�n�rale et relativement diffuse ne se confond pas avec celle, plus circonscrite, d'une linguistique se voulant 'cognitive'.
+La linguistique dite cognitive entend pr�cis�ment ne pas se r�duire � "de la linguistique tout court", car aux exigences classiques de toute th�orie de linguistique g�n�rale, elle en ajoute une autre : la pertinence cognitive. Une th�orie linguistique se voulant cognitive doit en effet pouvoir s'articuler de fa�on explicite avec des mod�les g�n�raux de l'architecture fonctionnelle de l'esprit et/ou de l'architecture neuronale du cerveau - d'o� la question �voqu�e plus haut, de la 'naturalisation' de l'objet langage (Fuchs, 2004 : 1 - 6 ; Fuchs, 2007 : 37 - 38).
+La perspective cognitive en linguistique conduit donc, non seulement � s'interroger sur l'ensemble des connaissances sp�cifiques que ma�trise l'esprit humain au travers des diff�rents syst�mes des langues, mais aussi � se demander comment ces connaissances sont organis�es pour pouvoir �tre acquises et mises en oeuvre dans l'activit� de langage. D'o� toute une s�rie de questions qui concernent, par-del� l'architecture structurale des connaissances linguistiques, leur architecture fonctionnelle. Par exemple, sous quelle forme ces connaissances sont-elles organis�es dans l'esprit et le cerveau humain pour permettre l'apprentissage et le fonctionnement effectif du langage ainsi que ses dysfonctionnements : s'agit-il de modules (encapsul�s ou en interaction), ou bien les connaissances sont-elles distribu�es ? Quelle place accorder aux variations entre les langues face � l'universalit� de la facult� de langage ? Enfin et surtout, une linguistique � vis�e cognitive ne saurait se d�sint�resser de la question des liens entre le langage et d'autres facult�s humaines, �galement caract�ristiques du fonctionnement symbolique de l'esprit, notamment des liens entre le langage et la pens�e. Quelle est la nature du processus de repr�sentation qui sous-tend l'activit� de langage ? Est-ce un processus sp�cifique, ou bien pr�sente-t-il des analogies avec d'autres types de processus cognitifs (par exemple avec la vision) ? Comment chaque langue met-elle en oeuvre de fa�on particuli�re ce processus ? Toutes ces questions engagent la fa�on dont la linguistique con�oit son articulation aux autres disciplines des sciences cognitives, ainsi que la nature du paradigme �pist�mologique qu'elle partage avec celles-ci. Se pr�occuper de cette articulation ne signifie pas pour autant sortir de la linguistique. Mais cela conduit, d'une part � accorder une attention toute particuli�re � la notion de 'repr�sentation' mise en oeuvre par et dans la langue, et d'autre part � instaurer de fa�on explicite, au sein du travail proprement linguistique, une probl�matique d'ordre �pist�mologique.
+Ces questions ne sont pas nouvelles, et certaines d'entre elles avaient d�j� �t� abord�es par d'autres th�ories linguistiques, ant�rieurement (ou parall�lement) au tournant 'cognitif' - seul retenu par l'historiographie officielle. C'est notamment le cas, en Europe, de th�ories post-structuralistes telles la psychom�canique de Gustave Guillaume ou les th�ories de l'�nonciation.
+Certes, ces deux courants majeurs se distinguent l'un de l'autre sur un certain nombre de points, en particulier sur la place et le r�le qu'ils accordent aux faits �nonciatifs (Valette, 2003a ; Valette, 2006). Mais ils s'accordent � consid�rer la langue comme un syst�me sui generis de repr�sentation poss�dant une logique propre, qu'il s'agit de d�gager sans chercher � plaquer a priori quelque formalisme ext�rieur, et partagent l'id�e que la mise � jour des principes qui sous-tendent cette dynamique de construction du sens constitue l'objectif du linguiste. Par la place centrale qu'ils accordent ainsi � la notion de 'repr�sentation', ils ouvrent la voie � une probl�matique plus g�n�rale de la cognition ; et par leur mode de th�orisation de cette notion, ils annoncent, d'une certaine fa�on, le paradigme constructiviste de la linguistique cognitive actuelle.
+L'originalit� de l'entreprise guillaumienne - � savoir la recherche d'une m�canique psychique � l'oeuvre dans la langue - est longtemps rest�e incomprise. Or cette �laboration d'une 'linguistique cin�tique' fond�e sur les m�canismes mentaux sous-jacents aux formes de la langue constitue, selon les termes de Valette (2003b), "une tentative pour articuler mentalisme et m�canisme dans une th�orie linguistique homog�ne". A ce titre, elle ressortit ind�niablement � des pr�occupations d'ordre cognitif. De l� � dire que "la recherche constante, par Guillaume, de m�canismes mentaux (d'o� le nom de 'psychom�canique' qu'il a donn� � son oeuvre) est tr�s largement une forme de linguistique cognitive" (Hewson, 1997 : viii), il n'y a qu'un pas.
+La d�nomination de 'psychom�canique' que Guillaume a donn�e � sa th�orie lui a valu, on le sait, d'�pres critiques de la part des linguistes de son �poque. Derri�re le terme 'psycho-', d'aucuns ont voulu voir des relents de psychologisme, de mentalisme ou d'id�alisme : en un mot, une projection s�mantique intuitive, jug�e incontr�l�e et incontr�lable, � l'oppos� de proc�dures r�gl�es et contr�lables. Ces d�tracteurs n'ont pas manqu� d'�tre, � leur tour, tax�s de 'positivistes' par Guillaume. Quant au terme '-m�canique', en d�pit de sa connotation cybern�tique, il a �galement �t� mal re�u. Faute de percevoir les liens possibles entre la d�marche linguistique et la science du mouvement et de l'�quilibre des corps, les contemporains de Guillaume ont en effet m�connu sa qu�te du mouvement sous-jacent � la construction des repr�sentations par et dans la langue. Quant � l'alliance des deux termes, elle a paru incongrue voire contradictoire. Par la suite, diverses r�ponses de fond � ces critiques ont �t� apport�es par des repr�sentants du courant psychom�canique : sur la question du psychologisme, voir par exemple Toussaint (1997) ou Valette (2003a), et sur la m�canique intuitionnelle et son inspiration ph�nom�nologique, voir Bajric (2005).
+Les grandes options th�oriques de la psychom�canique peuvent �tre interpr�t�es dans une perspective cognitive : voir Valette (2006) et Fuchs (2007), dont le d�veloppement qui suit reprend les grandes lignes.
+Le point central est celui de l'articulation entre la langue et le discours : celui-ci conduit � son tour � la question des liens entre langage et pens�e. Pour Guillaume, l'activit� de langage engage en effet deux moments th�oriques distincts : celui de la 'langue', puis celui du 'discours'. Le premier peut �tre caract�ris� comme permanent, fini, collectif et subconscient, alors que le second se pr�sente comme �ph�m�re, infini, individuel et conscient (selon les termes de Hewson, 1997 : 8 - 9). La langue correspond au plan de la 'repr�sentation' et le discours � celui de 'l'expression'. Une telle distinction serait le propre de l'homme - par diff�rence avec le cri animal qui n'instaurerait pas de distance entre l'acte d'expression et l'acte de repr�sentation (Valette, 2003a : 22). L'enjeu cognitif est �vident : c'est au plan de la repr�sentation par la langue que se situerait la 'pens�e pens�e', inscrite de fa�on d�terministe et m�caniciste dans l'esprit humain, cependant que la 'pens�e pensante' se jouerait au plan de l'expression construite en discours par le sujet parlant.
+D�s 1929, Guillaume assignait � la linguistique la t�che de remonter des unit�s 'd'effet' (du discours) vers les unit�s de 'puissance' (de la langue), afin de retrouver les op�rations mentales qui sous-tendent ces derni�res : "La vraie r�alit� d'une forme, ce ne sont pas les effets de sens multiples et fugaces qui r�sultent de son emploi, mais l'op�ration de pens�e, toujours la m�me, qui pr�side � sa d�finition dans l'esprit" (Temps et Verbe). L'�tude de la langue engage la probl�matique centrale de la 'chronogen�se' et du 'temps op�ratif' ; cette probl�matique a donn� lieu � de nombreux d�veloppements et � des interpr�tations divergentes. Disons sch�matiquement, � la suite de Valette (2003a), qu'elle a conduit � deux types de lectures antinomiques. D'un c�t�, une lecture qui privil�gie la notion 'd'image-temps', et selon laquelle la langue serait une 'th�orie' qu'il s'agirait en quelque sorte de r�v�ler. Dans cette perspective, les repr�sentations constitueraient autant d'images mentales que le sujet pensant se donnerait de lui-m�me ou de son activit� pensante, et les saisies sur les cin�tismes autant de captures d'images en discours. De l'autre c�t�, une lecture qui privil�gie la notion de 'temps op�ratif' et assimile les saisies � des arr�ts au sein d'un d�placement de la mati�re. D'o� une affinit� avec la notion de 'simulation' en sciences cognitives.
+L'apport original de cette approche de la langue r�side dans sa conception dynamique de la repr�sentation comme mouvement, et non comme l'assignation d'�tiquettes statiques - que ce mouvement (qui constitue la condition et la forme m�me de la concevabilit�) soit, par ailleurs, repr�sent� comme un cin�tisme relevant de la m�canique, ou comme une oscillation dynamique relevant du mouvement dialectique. D'o� le sch�me connu sous le nom de 'tenseur binaire radical', qui va de l'universel au singulier (du large � l'�troit) et inversement, et qui est pr�sent� par Guillaume comme "la condition m�me de puissance de l'esprit humain". C'est pr�cis�ment cette id�e d'un mouvement de pens�e continu, constitutif de la signifiance intrins�que des formes de la langue, qui fonde toute la construction th�orique.
+Sur ce mouvement de pens�e, des coupes ('saisies' ou 'interceptions') sont effectu�es en discours, d'o� r�sultent des effets de sens variables, selon l'endroit o� elles op�rent. L'id�e-force est donc celle d'une articulation entre continu (le mouvement) et le discontinu (l'arr�t sur mouvement). Cette articulation permet en particulier de rendre compte tout � la fois de la diversit� des effets de sens en contexte et de l'unicit� s�mantique d'une forme r�put�e polys�mique. Se trouve ainsi reprise, de fa�on beaucoup plus subtile, l'hypoth�se du structuralisme (une forme - un sens).
+La question des liens entre le langage et la pens�e est donc centrale pour la psychom�canique. Guillaume avait choisi de d�fendre l'id�e selon laquelle la pens�e serait ind�pendante du langage et se saisirait elle-m�me via la langue, r�v�lant ainsi ses sch�mes cognitifs. "La pens�e reste ind�pendante, en principe, du langage, et celui-ci ne repr�sente que la puissance qu'elle se donne de se saisir elle-m�me et en elle-m�me" (Guillaume, Le�ons vol. 9 : 38), ou encore : "Le langage est dans l'homme pensant, dans la pens�e humaine, un ouvrage par elle construit, qui lui sert - c'en est le finalisme principal - � reconna�tre en elle-m�me o� elle en est de sa propre construction" (Guillaume, Le�ons vol. 13 : 13). Par l� m�me, Guillaume annon�ait ce que certains neuropsychologues ont par la suite argument� � l'encontre des tenants d'un strict 'localisationnisme', � savoir l'id�e que c'est l'ensemble du cerveau qui pense et qui raisonne, et que le langage constitue le moyen qui permet � la pens�e de se penser elle-m�me.
+La th�orie de Guillaume n'est pas sans �voquer l'approche de la cybern�tique, qui avait marqu�, on le sait, la toute premi�re �poque des sciences cognitives. (Pour une pr�sentation de la cybern�tique, voir Varela, 1988 et Dupuy, 1994). D�s le tournant des ann�es 1940 en effet, c'est-�-dire avant l'�mergence du programme 'cognitiviste', les Macy Conferences avaient r�uni les p�res fondateurs (von Neumann, Wiener, Turing, McCulloch), pour tenter d'instaurer une nouvelle 'science de l'esprit'. Celle-ci devait s'appuyer notamment sur les disciplines formelles suivantes : la logique math�matique (pour d�crire le fonctionnement du raisonnement), la th�orie des syst�mes (pour formuler les principes g�n�raux gouvernant tout syst�me complexe) et la th�orie de l'information (comme th�orie statistique du signal et des canaux de communication). L'hypoth�se sous-jacente �tant que la pens�e fonctionnerait comme un calcul, � l'instar d'une machine (de l� proc�dera, plus tard, l'invention de l'ordinateur, selon les principes de von Neumann). Et c'est du c�t� de la physique (et non de l'alg�bre ou de la biologie, comme le fera ult�rieurement le cognitivisme) que les cybern�ticiens allaient chercher leurs mod�les, ce qui permettra ensuite l'�mergence des th�ories de 'l'auto-organisation' - dans lesquelles la forme s'abstrait de la mati�re - et les approches du vivant comme 'propri�t� �mergente du d�sordre'.
+Guillaume a connu la cybern�tique et a �t� - au moins pendant un temps - s�duit par elle (Valette, 2003a : 17sq.). Son objectif initial, en �laborant la psychom�canique du langage, semble avoir �t� de construire une machine � penser, une sorte de cybern�tique fond�e sur le temps op�ratif et le tenseur binaire. A l'instar des cybern�ticiens, il concevait la pens�e comme asservie � la m�canique, et le langage comme constituant la partie m�canisable de la pens�e. C'est pourquoi il entendait construire, en amont de la 'psycho-syst�matique' (ayant pour objet l'�tude de la langue), une 'm�canique intuitionnelle' consacr�e � l'�tude des m�canismes psychiques qui pr�sident � la construction m�me des syst�mes linguistiques et conditionnent leur structure : voir, sur ce point, l'Essai de m�canique intuitionnelle I (publi� par Lowe, 2007) et le compte-rendu qu'en donne Guimier (sous presse). Selon Guillaume, cette m�canique - dont il entendait proposer "une analyse rigoureusement scientifique" (Essai : 144) - reposait sur la n�cessit� de penser par contrastes : le contraste univers/homme se refl�tant dans le contraste universel/singulier, fondement du 'tenseur binaire radical' consid�r� comme l'op�rateur g�n�ral de structuration du langage.
+En d�finitive, la perspective dans laquelle Guillaume a conduit son entreprise th�orique n'est pas sans �voquer certaines recherches actuelles conduites au sein du paradigme dit 'constructiviste'. A l'instar de Rastier (1993) qui tient Guillaume pour "l'a�eul tut�laire de la linguistique cognitive � la fran�aise", on peut en effet voir dans les th�ories inspir�es de Ren� Thom (th�orie des 'catastrophes', approches topologico-dynamiques) des "l�gataires du syst�me de pens�e de Guillaume". La psychom�canique constituerait ainsi une 'linguistique pr�-cognitive', de type constructiviste - et peut-�tre m�me, plus pr�cis�ment, du sous-type 'enactiviste', pour reprendre le terme de Varela (1988). (Si l'on suit Varela, l'histoire des sciences cognitives se compose en effet de quatre �tapes successives. Viennent d'abord les jeunes ann�es, marqu�es par la cybern�tique. Puis c'est l'av�nement des symboles avec le cognitivisme. Les deux �tapes suivantes - le 'subsymbolisme', puis l''enactivisme' - participent du constructivisme : la cognition y est con�ue comme une activit� consistant � faire �merger dynamiquement des significations et non pas � traiter ou � r�fl�chir des repr�sentations pr�-existantes). Or si l'on admet que la psychom�canique comporte une dimension ph�nom�nologique, alors il est loisible d'y voir une anticipation d'une certaine forme d'enactivisme. Quoi qu'il en soit de ce dernier point, l'Essai de m�canique intuitionnelle I contient certains passages consacr�s � la gen�se des modes de repr�sentation de l'espace et du temps (pp. 92 - 103) que ne d�savouerait pas un tenant des grammaires cognitives actuelles : le temps, non directement repr�sentable, y est d�crit comme empruntant � l'espace les conditions de sa repr�sentation.
+Au plan des grands principes th�oriques qui la sous-tendent, la psychom�canique manifeste incontestablement des pr�occupations d'ordre cognitif. Pour autant, l'assimiler purement et simplement � une th�orie de linguistique cognitive constituerait, non seulement un anachronisme, mais aussi un contre-sens (� plus d'un titre).
+Rappelons tout d'abord, qu'il manque une chronologisation des �crits de Guillaume, pour pouvoir v�ritablement mettre en perspective sa th�orie au regard des d�veloppements actuels de la linguistique cognitive. Rappelons �galement que la comparaison est rendue difficile par la diversit� des directions dans lesquelles la psychom�canique s'est d�ploy�e apr�s Guillaume : � d�faut d'une unification des approches se r�clamant de la psychom�canique, un minimum de clarification conceptuelle et de stabilisation terminologique serait bienvenue.
+Mais, par-del� ces consid�rations d'ordre g�n�ral, revenons � la question de l'articulation possible de la th�orie psychom�canique avec les sciences cognitives, et en particulier avec la neuro-psychologie. Guillaume lui-m�me ne s'�tait pas d�sint�ress� des questions de pathologie du langage : Valette (2006) rappelle, par exemple, qu'il avait rencontr� Andr� Ombredane.
+La voie d'un rapprochement possible semble ouverte par la notion de 'temps op�ratif', dont Guillaume postulait la r�alit� mentale effective. Certes, il estimait que les sch�mes cognitifs de la pens�e r�v�l�s au travers du langage doivent �tre �tudi�s par la linguistique, et non par la psychologie ; mais cette pr�caution m�thodologique n'interdit pas de penser que la r�alit� du m�canisme mental, ainsi mis � jour par le linguiste, pourrait �tre corrobor�e ensuite par la neuro-psychologie. Car si l'on prend au s�rieux l'id�e que le temps op�ratif correspond � des op�rations mentales effectives, alors ces op�rations devraient laisser des traces observables au plan comportemental et avoir un corr�lat au plan c�r�bral. Tel �tait, du moins, l'espoir de certains psychom�caniciens de la premi�re heure, tels Roch Valin ou Charles Bouton - espoir qui fut vite d��u : il ne se trouve plus gu�re � l'heure actuelle de psychom�caniciens pour tenter de construire une th�orie 'neuro-compatible'(� l'exception de Maurice Toussaint, engag� dans une 'neurolinguistique �pist�mique' d'inspiration psychom�canique, affine avec la th�orie des formes s�mantiques et la th�orie des syst�mes dynamiques complexes).
+Toutefois, une autre piste de rapprochement possible est �voqu�e par Monneret (1996, et 2003). Selon lui, au lieu de chercher � valider exp�rimentalement les concepts de la psychom�canique, on pourrait se demander, � l'inverse, ce que cette th�orie serait susceptible d'apporter � la neuropsychologie. Celle-ci ne peut exp�rimenter que sur des productions, elle a donc besoin de th�ories qui articulent discours et langue ; par ailleurs, la prise en compte de la variabilit� des productions langagi�res l'oblige � se tourner vers des mod�les dynamiques. Or la psychom�canique r�pond � ces deux types d'exigences. Il serait donc int�ressant de regarder si les outils th�oriques qu'elle a d�velopp�s permettent de rendre compte de certaines observations faites par la neuropsychologie. Ainsi, par exemple, dans le domaine de la pathologie du langage, les divers ph�nom�nes apparemment disparates observ�s chez les agrammatiques pourraient-ils �tre �clair�s gr�ce � certains concepts de la psychom�canique, comme le sugg�re Monneret. En effet, dans ce type particulier d'aphasie de Broca, les alt�rations de type omission semblent porter sur des �l�ments que la psychom�canique qualifierait 'd'avant', cependant que le remplacement d'un �l�ment probl�matique semble op�rer � l'aide de l'�l�ment 'd'apr�s' du syst�me. Une telle piste m�riterait sans conteste d'�tre explor�e plus avant.
+Certains auteurs ont tent� de concilier psychom�canique et th�ories de l'�nonciation, en proposant "une approche psychom�canique de l'�nonciation" - pour reprendre le titre d'un article de Joly & Roulland (1980). Force est toutefois de constater que l'un des principaux points de divergence entre ces deux courants concerne pr�cis�ment la fa�on dont ils con�oivent l'articulation de la langue et du discours, c'est-�-dire leur approche des faits �nonciatifs. Pour Guillaume, le mot passe du statut d'unit� de puissance (en langue) � celui d'unit� d'effet (en discours), gr�ce aux 'coupes' op�r�es sur le mouvement. Pour les tenants de l'�nonciation, les unit�s se trouvent 'actualis�es' � travers les op�rations constructrices de l'�nonc�, qui m�lent indissociablement pr�dication et r�f�renciation : selon la formule de Benveniste (1964, repris dans 1966 : 131), "nihil est in lingua quod non prius fuerit in oratione".
+Apr�s la cl�ture sur la 'langue' instaur�e par Saussure, on a pu assister, d�s le d�but du XX� si�cle chez les pr�curseurs de l'�nonciation, � diverses tentatives pour renouer avec une probl�matique de la 'parole'.
+Charles Bally s'effor�ait d'articuler l'�tude du syst�me de la langue et une approche �nonciative : gr�ce � la notion d'actualisation, il entendait "faire passer la langue dans la parole" (1932, 19442). Pour lui, toute phrase communique une pens�e, c'est-�-dire une r�action subjective � une repr�sentation objective ; elle comporte donc, dans sa structure s�mantique, une partie 'modus' (constitu�e d'un sujet modal et d'un verbe modal) et une partie 'dictum'. L'acte fondamental de la communication, qui constitue l'acte d'�nonciation complet, consiste � dire quelque chose ('propos') de quelque chose ('th�me'). Cette structure binaire se retrouve, non seulement � l'int�rieur de chaque phrase, mais aussi entre les phrases (reli�es par une 'coordination s�mantique').
+En introduisant la cat�gorie des 'shifters' (ou 'embrayeurs'), Otto Jespersen et Roman Jakobson ont ensuite d�plac� la probl�matique : d'acte individuel de production, l'�nonciation devient trace du sujet dans l'�nonc�. Cette approche a par la suite �t� d�velopp�e et �tendue par Emile Benveniste, qui a v�ritablement ouvert la voie d'une approche �nonciative de la langue. Loin d'�tre des unit�s isol�es, les 'indiciels' constituent, selon lui, un v�ritable syst�me : les marques de personne, de temps, et de localisation spatiale permettent d'ancrer l'�nonc� par rapport � la situation d'�nonciation. L'�nonciation est donc "directement responsable de certaines classes de signes qu'elle promeut litt�ralement � l'existence" (Benveniste, 1970, repris dans 1974 : 79 - 88), permettant ainsi au locuteur de s'approprier la langue pour la convertir en discours et d'�noncer sa position de locuteur � travers cet ensemble de signes particuliers que constitue "l'appareil formel de l'�nonciation".
+Au coeur du dispositif de la construction signifiante se trouvent donc le sujet �nonciateur et la situation d'�nonciation. L'�nonc� porte la trace (en plein ou en creux) des diff�rents modes possibles de pr�sence (ou de masquage) du sujet �nonciateur face au contenu actualis�. D'o� la possibilit�, � partir de l'analyse des valeurs prises par les marqueurs �nonciatifs (valeurs de modalit�, de temps, de personne, ...), d'�tablir une typologie des registres �nonciatifs : on conna�t l'opposition, faite par Benveniste (1959, repris dans 1966 : 237 - 250), entre le registre de 'l"�nonciation historique" (d�fini comme "r�cit des �v�nements pass�s sans aucune intervention du locuteur ; personne ne parle ici, les �v�nements semblent se raconter d'eux-m�mes") et le registre de 'l'�nonciation de discours' (d�fini comme "�nonciation supposant chez (le locuteur) l'intention d'influencer (l'auditeur) en quelque mani�re").
+A une linguistique des signes et des structures, est ainsi venue s'ajouter une linguistique de l'�nonciation. Il ne s'agit plus de passer de la langue au discours, mais de retrouver au sein m�me de la langue les conditions de sa mise en fonctionnement discursif. Selon Benveniste (1964, repris dans 1966 : 119 - 131 ; et 1967, repris dans 1974 : 215 - 238), la 'langue' a en effet un double statut : d'une part, c'est un "syst�me de signes", lieu du 's�miotique' ; d'autre part, c'est un "instrument de communication (dont l'expression est le discours"), lieu du 's�mantique'. Le passage de l'un � l'autre de ces niveaux s'op�re avec la phrase, d�finie comme "unit� pr�dicative" et "unit� compl�te qui porte � la fois sens et r�f�rence : sens parce qu'elle est inform�e de signification, et r�f�rence parce qu'elle se r�f�re � une situation donn�e".
+A ces contributions programmatiques de Benveniste, Antoine Culioli a, de son c�t�, tent� de substituer une v�ritable th�orie des op�rations �nonciatives.
+Culioli s'inscrit dans la lign�e des �nonciativistes, en reprenant � son compte l'id�e que le langage n'est pas un code ext�rieur � l'humain ni un calcul formel neutre int�rioris� par lui et que les conditions de la mise en fonctionnement du syst�me sont bien inscrites dans le syst�me lui-m�me. Pour autant, l'�nonciation ne se laisse pas d�crire dans le cadre d'un sch�ma de la communication r�duit � un simple �change d'informations. L'�nonc� est le lieu d'une co-construction du sens (par l'�nonciateur et son co-�nonciateur) qui laisse place aux rat�s de la communication : la labilit� et la d�formabilit� du sens sont des conditions intrins�ques de fonctionnement de la langue.
+D�s la fin des ann�es 1960, Culioli critiquait la grammaire g�n�rative ("la difficult� centrale de la formalisation en linguistique ne r�side ni dans la formalisation de syst�mes alg�briques syntaxiques, ni dans l'�tude distributionnelle des combinaisons de mots-objets en correspondance ponctuelle avec la r�alit� extra-linguistique") et soulignait la n�cessit�, pour le linguiste, de "bricoler" ses outils de formalisation (1967, repris dans 1999 : 29).
+La sp�cificit� de l'approche culiolienne de l'�nonciation se trouve expos�e par l'auteur lui-m�me dans son intervention intitul�e "Rapport sur un rapport" (1980) � la table-ronde organis�e par A. Joly sur "La psychom�canique et les th�ories de l'�nonciation". Culioli y distingue, sch�matiquement, trois grands types d'approches de l'�nonciation. Le premier entend l'�nonciation comme r�alisation dans une situation d'une proposition potentielle, c'est-�-dire comme passage d'une phrase-type � une phrase-occurrence (appel�e �nonc�) : d'o� un int�r�t port� aux questions de prise de parole, de pr�suppos�s, de r�f�rence, d'acte de langage, etc. Le second entend l'�nonciation comme distance entre le sujet �nonciateur et son �nonc� : cela pourra tendre, notamment, vers l'�tude des modulations socio-linguistiques ou vers la stylistique. C'est d'un troisi�me type que se r�clame Culioli, qu'il caract�rise comme "une entreprise th�orique de fondation, qui (prend) � l'origine le probl�me de la constitution et du fonctionnement des syst�mes de rep�rage �nonciatifs" et qui �labore un syst�me de repr�sentation m�talinguistique de la constitution des �nonc�s.
+Ni acte d'appropriation de la langue par un sujet, ni transition de la langue au discours, l'�nonciation est donc plut�t con�ue comme un m�canisme de construction : aussi s'agit-il, pour le linguiste, de d�crire les op�rations constitutives de la signification des �nonc�s, et de les formaliser (au sens fort d'une mod�lisation visant � reproduire les m�canismes en jeu).
+Dans le mod�le qu'il propose, la notion de 'repr�sentation' occupe une place centrale. Selon lui (Notes du s�minaire de DEA 1983 - 1984 : 5 - 8 ; repris dans 1990 : 21 - 24), cette notion peut intervenir � trois niveaux diff�rents, qu'il est essentiel de bien distinguer. Le premier niveau est celui des 'repr�sentations mentales' : ce niveau de conceptualisation de la r�alit� n'est pas directement accessible, il ne peut �tre appr�hend� qu'� partir des activit�s humaines, notamment de l'activit� de langage. Le deuxi�me niveau est celui des 'repr�sentations textuelles' : l'activit� de langage est une activit� de repr�sentation qui met en jeu des op�rations linguistiques, lesquelles ont des traces sous forme de marqueurs linguistiques ; ce sont donc des 'repr�sentations de repr�sentations' (sp�cifiques � chaque syst�me linguistique), que le linguiste va chercher � isoler et � observer. Mais il est impossible de remonter directement de ce niveau � celui des conceptualisations : il faut construire un troisi�me niveau, celui des 'repr�sentations m�talinguistiques'(syst�me de termes primitifs, de r�gles et d'op�rations), en esp�rant que le passage du niveau 2 au niveau 3 simule ad�quatement celui du niveau 1 au niveau 2. Autrement dit, "il nous faut construire un syst�me de repr�sentation qui porte sur ce syst�me de repr�sentation qu'est la langue" (1990 : 23).
+A ce niveau m�talinguistique, le linguiste doit pouvoir effectuer des calculs, dans lesquels op�rations pr�dicatives (rep�rages entre les termes constitutifs de la relation pr�dicative) et op�rations �nonciatives (plong�e dans un syst�me de coordonn�es spatio-temporelles dont le sujet de l'�nonciation constitue le rep�re-origine) sont �troitement intriqu�es.
+Les approches �nonciatives de la langue - tr�s pr�sentes dans les travaux de linguistique fran�aise - ont �t� d�velopp�es, comme il a �t� dit plus haut, de fa�on totalement ind�pendante du tournant dit 'cognitif' de la linguistique d'Outre-Atlantique. Si le cognitivisme classique aborde le langage comme moyen d'expression de la pens�e, les approches �nonciatives pr�f�rent, quant � elles, mettre en avant (� l'instar du fonctionnalisme) la fonction de communication du langage. Par lui-m�me, un tel choix n'est, � l'�vidence, nullement exclusif d'une ouverture � la cognition : on se souvient, � cet �gard, des contributions de Jakobson, aussi bien sur les 'fonctions du langage' et le 'sch�ma de la communication' qu'en mati�re d'aphasie ou d'acquisition du langage.
+L'insistance sur la dimension communicative du langage semble d'ailleurs indirectement confort�e par certains acquis r�cents des neurosciences. Que l'on songe par exemple au fait que chez le singe l'aire comparable � l'aire de Broca (crucialement impliqu�e, chez l'homme, dans l'exercice du langage) est l'aire F5, o� l'on a d�couvert les fameux 'neurones miroirs' essentiels pour l'imitation et la communication, et que chez l'humain l'aire de Broca enregistre, elle aussi, les gestes des personnes avec lesquelles il communique.
+Par-del� ces consid�ration d'ordre g�n�ral, il convient de rappeler que la th�orie des op�rations �nonciatives de Culioli a �t� �labor�e dans un cadre r�solument tourn� vers la cognition. On �voquera ici les �changes interdisciplinaires suivis et r�guliers que ce linguiste a instaur�s durant de nombreuses ann�es avec le psychologue Fran�ois Bresson (lui-m�me inscrit dans la lign�e th�orique de Jean Piaget) et le logicien Jean-Blaise Grize, ainsi qu'avec des sp�cialistes de pathologie du langage (comme Jean Laplanche et Andr� Bourguignon) dans le domaine de l'aphasie et de la schizophr�nie.
+Si cette familiarit� avec les probl�matiques des autres disciplines des sciences cognitives a, sans conteste, inspir� l'�laboration de la th�orie des op�rations �nonciatives, elle a �galement conduit Culioli � d�noncer les risques d'assimilations abusives li�s � la notion de 'cognition' : "A term like 'cognition' shows itself to be dangerously ambiguous, for it is used to refer to mental activity, to simulation, to a whole series of unverified simplifications : of representational activity to neuronal activity, to give but one example" (1995 : 31).
+A cet �gard, la position de Culioli se d�marque de celle des tenants des grammaires cognitives, pour qui il n'existe pas de diff�rence de nature entre les repr�sentations conceptuelles et les repr�sentations s�mantiques � l'oeuvre dans les langues (voir par exemple Langacker, 2003). Pour ces auteurs en effet, les structures s�mantiques des langues sont des conceptualisations effectu�es � des fins symboliques, qui s�lectionnent certaines facettes dans l'�ventail des conceptualisations d�ploy� par la pens�e pr�-linguistique, et qui les organisent de fa�on variable : la sp�cificit� du linguistique r�side donc dans la s�lection et la mise en forme de ce contenu conceptuel. Dans une telle perspective, la distinction culiolienne entre les trois niveaux de repr�sentions se trouve ob�r�e.
+Il n'en reste pas moins que les sch�mas spatiaux propos�s de fa�on assez intuitive par les grammaires cognitives rappellent certains op�rateurs m�talinguistiques de Culioli (en particulier le 'rep�rage' et ses diff�rentes valeurs) : de fa�on g�n�rale, se trouve � l'oeuvre une m�me qu�te d'invariants du langage derri�re les variations des syst�mes linguistiques. Bien qu'�trangers l'un � l'autre, ces deux courants s'alimentent en effet � des sources d'inspiration 'constructiviste' : d'o�, par exemple, leur commune recherche d'outils formels en direction de la topologie (tr�s largement illustr�e, chez Culioli, dans ses travaux sur le 'domaine notionnel' repr�sent� gr�ce � un appareillage topologique impliquant un int�rieur, un ext�rieur, une fronti�re et un gradient dans l'int�rieur). L'analyse des points de convergence et de divergence entre la th�orie des op�rations �nonciatives et les grammaires cognitives constituerait sans nul doute une �tude en soi ; pour une premi�re approche concernant leur commun "terreau continuiste", voir Fuchs & Victorri (eds.) (1994).
+En d�finitive, comment l'�nonciation rejoint-elle la cognition ? Le pari consiste � postuler que le passage entre les repr�sentations textuelles et les repr�sentations m�talinguistiques simule de fa�on analogique le passage entre les repr�sentations conceptuelles et les repr�sentations textuelles ; ou, pour le dire de fa�on imag�e, que les (m�ta-)op�rateurs du linguiste sont aux op�rateurs de la langue ce que ceux-ci sont aux op�rateurs de la pens�e. Selon Valette (2006 : ch. 12), cet espoir de retrouver derri�re les op�rations �nonciatives l'analogue d'op�rations cognitives ne serait pas partag� par tous les adeptes de la th�orie : aux 'cogniticiens' (tenants de la port�e cognitive de l'hypoth�se simulatoire) s'opposeraient les 'm�talinguistes' (pour lesquels op�rations �nonciatives et op�rations cognitives seraient constitutivement irr�ductibles les unes aux autres). Seules des exp�rimentations neuro-psychologiques (encore � venir) contribueraient, peut-�tre, � les d�partager. Culioli, pour sa part, semble esquiver la question, comme en t�moigne cette d�claration malicieuse lors d'une intervention dans un symposium consacr� au th�me 'Langage et Cognition' : "the aim (of this paper) is not to answer basic questions, but rather to suggest what the questions are, leaving it to the audience to draw their conclusions as to whether I am a nativist, a maturationist, a constructivist, a cognitivist, a conceptualist or a Platonist, etc. etc., unless I am a mongrel in a class of my own" (1989 ; repris dans 1990 : 177).
+A l'issue de ce parcours, il appara�t que la linguistique fran�aise a bien �t�, tout au long du XX� si�cle, un creuset o� se sont �labor�es des th�ories du langage originales tourn�es vers des probl�matiques cognitives - et ce, de fa�on ind�pendante de la linguistique dite 'cognitive' retenue par l'historiographie officielle.
+L'avenir de ces th�ories reste � �crire. Leur ancrage effectif dans des recherches cognitives interdisciplinaires suppose que soit �vit� un double �cueil, signal� par Lazard dans son article pol�mique �voqu� plus haut : d'un c�t�, la perte de ce qui fonde la sp�cificit� de leur d�marche proprement linguistique ; et, de l'autre, l'affaiblissement des exigences formelles, au nom d'un effet de mode risquant de conduire � une dissolution de la probl�matique cognitive dans une s�mantique "molle".
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Malgr� leur importance pour l'�tude des arts du langage et la linguistique du texte en g�n�ral, les rapports entre genre et style individuel demeurent peu �tudi�s, m�me dans des domaines aussi propices que la po�tique et la stylistique.
+Les m�thodes de la linguistique de corpus assurent � pr�sent la mise en oeuvre empirique de cette probl�matique aux paliers du mot et de la phrase. Plus pr�cis�ment, comme elle refl�te la diversit� des usages oraux et �crits d'une langue historique, l'�tude des variations lexicales et morphosyntaxiques dues aux discours et aux genres1 permet d'appr�cier, par contraste, les r�gularit�s qui rel�vent en propre de l'individuel. La notion de style s'identifie alors � celle d'idiolecte, pour un empan qui va des unit�s lexicales aux ph�nom�nes transphrastiques. Au-del�, au palier du texte, les rapports entre genre et style int�ressent les conditions pos�es par les normes traditionnelles du discours sur la singularisation de l'expression individuelle. Qu'en est-il en s�mantique des textes ?
+Cette �tude envisage le cas particulier du po�me en prose et analyse, sur la base de propositions m�thodologiques, les tendances de composition s�mantique qui caract�risent la pratique de ce genre chez G�rard Mac� (1946).
+Genette souligne tr�s justement que toute identification et qualification d'un style (d'�poque, d'�cole ou individuel) � d�terminent un mod�le de comp�tence capable d'engendrer un nombre ind�fini de pages conformes � ce mod�le � (1991 : 136). Or cette conception du style para�t tout autant s'appliquer au genre, dans la mesure o� on y voit un � programme de prescriptions positives et n�gatives (et de licences) qui r�glent la production et l'interpr�tation d'un texte �2. � l'inverse, en revenant � la formulation de Genette, on serait tent� d'assigner cette derni�re d�finition � la notion de style individuel. Non seulement, en effet, un tel style participe des modes de production du texte mais il en oriente aussi la r�ception en rendant pr�gnants des unit�s linguistiques et des ph�nom�nes textuels qui autrement passeraient inaper�us. En ce sens, en de�� notamment de leur nature sociale/individuelle, genre et style ne se distinguent gu�re quant � leur statut de normes textuelles.
+Pratiquement, la mise en �vidence des r�gularit�s qui les diff�rencient en corpus engage la description dans des t�ches d'in�gale ind�pendance. Alors que la caract�risation des genres n�cessite leur comparaison au sein d'un m�me champ g�n�rique, celle des styles pose en particulier le genre comme un principe de diff�renciation, et pr�suppose ainsi la connaissance des normes g�n�riques que met en jeu le corpus �tudi� (alors homog�ne de ce point de vue). Comme cette d�marche subordonne le social � l'individuel, elle ne se confond pas avec une � stylistique des genres � dont le statut hybride conduit � ne pas privil�gier les habitudes linguistiques de l'auteur3.
+Envisag�e sous l'angle des composantes de la textualit�4, la distinction entre style et genre appara�t essentiellement graduelle (vs cat�gorielle) :
+ +de la m�me fa�on que l'on peut d�finir un genre comme une interaction sociolectale entre composantes [du contenu et de l'expression], on peut d�finir un style comme une interaction idiolectale entre composantes. Cette interaction est d'un rang inf�rieur par rapport au genre, car elle int�resse des corpus moins �tendus, mais en revanche ses prescriptions sont plus syst�matiques et plus fortes (Rastier 2001 : 180)
+ +Appuy�e � ce dispositif th�orique, la diff�renciation d'un style par les normes d'un genre se complique n�anmoins de divers cas de figure, qu'on doit � l'existence de fonctionnements g�n�riques multiples, dont certains mettent � l'�preuve l'analyse en composantes. C'est notamment le cas du po�me en prose. D'ordinaire d�finit selon des crit�res tr�s g�n�riques comme un � texte po�tique court, autonome et autot�lique �5, il appara�t d�nu� de prescriptions d'ordre th�matique, narratif ou �nonciatif, et ne d�finit donc pas d'interaction sociolectale au plan du contenu. Qu'une telle ind�termination soit possible donne � imaginer, � titre heuristique, diff�rentes fa�ons pour un style de s'affirmer sous le r�gime textuel des composantes s�mantiques. Dans cette perspective, les rapports entre genre et style rencontrent quatre cas de figure :
+ + +Interaction sociolectale d�finie
+ + +2. Interaction sociolectale ind�termin�e
+Les cas 2a et 2b correspondent � l'ind�termination s�mantique que nous avons illustr�e avec le po�me en prose. � l'inverse, les cas 1a et 1b pr�supposent des prescriptions au plan du contenu, vis-�-vis desquelles s'appr�cient la singularit� d'un mode de production et d'un mode d'anticipation du sens textuel (pour une r�ception familiaris�e avec les textes ainsi mis en s�rie). � cet �gard, alors que 1b localise la diff�rence de degr� entre style et genre que signalent les propositions de Rastier, 2b r�aliserait lui un investissement stylistique � cat�goriel �. Les analyses suivantes illustrent ce dernier cas de figure sur un corpus po�tique r�duit.
+L'oeuvre de G�rard Mac� est r�put�e se soustraire aux cat�gories g�n�riques classiques. Cette particularit� concerne non seulement sa po�sie mais aussi d'autres usages de l'�crit. Aussi la critique use-t-elle d'habitude de guillemets lorsqu'elle consid�re Ex Libris (1980) comme un � essai � m�lant imagination personnelle et documentation �rudite, ou encore Le dernier des �gyptiens (1988) comme une � biographie � qui explore la vie de Fran�ois Champollion sur un mode th�tique.
+La sp�cificit� de la po�sie mac�enne r�sulterait de m�me d'un � m�lange de genres � (r�cit, po�sie, essai)6 ; d'un � 'brouillage' des genres � (entre prose et po�sie)7 ou encore de l'invention d'une � forme � propre (Asso 2001 : 28). � la diff�rence de cette communaut� de vues, une minorit� sugg�re pourtant d'assimiler cette po�sie au genre du po�me en prose8. La critique se pr�sente ainsi comme divis�e entre le refus et l'assomption d'un � genre � unique. Toutefois ces divergences sur la cat�gorisation des textes ne sont peut-�tre qu'apparentes.
+Le po�me en prose t�moigne en effet d�s son origine (1750 - 1850) des sympt�mes rencontr�s par la critique mac�enne : (i) comme le signale l'�quivoque notoire de la locution po�me en prose, il est un lieu privil�gi� de la contestation des fronti�res entre po�sie et prose ; (ii) Nathalie Vincent-Munnia note par ailleurs que, dans la premi�re moiti� du XIX si�cle, � Le po�me en prose appara�t [...] comme un genre ind�finissable, ne pouvant �tre soumis � aucune caract�risation g�n�rale et d�finitive � (Vincent-Munnia 2003 : 562) ; (iii) en outre, Sandras a soin de relever des usages vari�s du genre qui � contraint d'admettre plusieurs mod�les du po�me en prose �, � savoir un mod�le narratif, un mod�le descriptif, un mod�le musical ou euphonique, un mod�le exp�rimental, enfin un mod�le � proche du carnet ou de l'essai �9 ; (iv) enfin, � l'origine � Les auteurs eux m�mes ne semblent pas pouvoir trouver une d�nomination g�n�rique ad�quate � leurs textes [...]. La m�me absence de classification g�n�rique nette marque le discours de la critique et de la r�ception contemporaine de ces textes.�10
+Sur ce fond �clairci du d�bat, nous opposerons aux th�ses du m�lange et de l'exclusion des � genres � celle d'un genre unique attest�, en montrant que Mac� n'a pas trouv� une � forme � d�li�e de la notion de genre, mais diff�rentes mani�res de pratiquer le po�me en prose. On cherchera par l� � rendre compte des tendances de composition qui exploitent l'ind�termination s�mantique de ce genre.
+Restreint � 25 textes, le corpus d'�tude couvre une p�riode post�rieure aux trois premiers recueils de Mac�, Le jardin des langues (1974), Les balcons de Babel (1977) et Bois dormant (1983)11, et ne retient pas les premi�res parties de La m�moire aime chasser dans le noir (1993) qui rel�vent pour l'essentiel de l'essai bref et de l'aphorisme. Il se compose ainsi de la troisi�me partie de ce dernier recueil, du recueil complet Le singe et le miroir (1998) ainsi que de trois po�mes d'abord publi�s s�par�ment, Pierrot, valet de la mort (1986), T�te-b�che (1987) et La for�t qui se met � marcher (1991)12.
+Analogues au plan de l'expression, ces po�mes marqu�es par l'hypotaxe se particularisent tous par une pr�sentation en alin�as qui segmente le texte en autant de p�riodes (pour un exemplaire cf. infra 2). Ces aspects marquent l'unit� de facture des po�mes �tudi�s. Au plan du contenu, la m�taphore continu�e trame souvent la constitution du sens. Surtout, la plupart se laissent ramener � trois types d'interaction entre composantes. Nous choisissons de les nommer par commodit� vie, songe et m�diation pour indiquer la sp�cificit� th�matique, narrative et/ou �nonciative de diff�rentes � stylisations individuelles � ou appropriations s�mantiques du po�me en prose.
+Onze textes exemplifient des � m�ditations � : La chambre interdite, Suite royale, H�pital de jour, La peur des miroirs, Au dieu du voyage, H�tel de l'univers, Orph�e qui se retourne, Le vent est � la prose, Le singe et le miroir, L'espoir est une �toile filante..., Le royaume des morts.
+ +- Aspects narratifs et th�matiques. Leur mode de production rappelle la technique m�di�vale de l'integumentum ou reprise et int�gration rh�torique de mythes. Une large part des po�mes tire en effet sa mati�re narrative de figures mythiques ou de types litt�raires. Ainsi la figure connue de Gaspard Hauser se superpose au mythe de Narcisse dans La peur des miroirs ; le personnage d�crit dans Au dieu du voyage repr�sente Herm�s ; Orph�e revient sans Eurydice dans Orph�e qui se retourne ; Ulysse et les Sir�nes voisinent avec tout un bestiaire merveilleux dans Le vent est � la prose ; le d�but de Le singe et le miroir transfigure le mythe dogon des Jumeaux puis celui de l'Enfant sauvage n� au si�cle des Id�ologues, etc. Ces transpositions de l'imaginaire collectif dans l'univers mac�en servent de support � l'expression po�tique d'une � th�se � plus souvent illustr�e qu'explicit�e (infra).
+D'une fa�on constante, chacune des m�ditations pr�sente un point de vue r�flexif portant sur un � Nous-m�mes �. Cette instance de la communication repr�sent�e est lexicalis�e par un Nous g�n�ralement inclusif que les textes sugg�rent d'identifier � la soci�t� occidentale moderne (entre la fin du XIXe et l'extr�me fin du XXe si�cle). Y invitent des termes, expressions, citations et allusions fonctionnant pour le lecteur � la mani�re de chronotopes tels que � cravate �, � Kantor �, � journal �, � n�on �, � nos lumi�res celles des vitrines �, � des oreilles absolument modernes et sourdes absolument �, etc. Les d�ictiques personnels et temporels des m�ditations sont g�n�ralement interpr�t�s ainsi, m�me s'il arrive aussi que le propos th�tique, en m�me temps qu'il contribue � l'assimilation de ce Nous � l'Occident moderne, pr�cise l'identit� du foyer �nonciatif. Par exemple dans Le vent est � la prose le th�me de la po�sie a pour corr�lat un Nous, exclusif, qui renvoie aux acteurs de la modernit� po�tique.
+ +- Des po�mes th�tiques. Le royaume des morts et surtout La chambre interdite renvoient respectivement � d'autres textes de Mac� qualifiables d'essai (bref et long) et d'aphorisme : le sixi�me paragraphe de Le royaume des morts �voque Le go�t de l'homme13 ; La chambre interdite est un centon tout entier compos� de passages de la premi�re partie de La m�moire aime chasser dans le noir. Cette intertextualit� du po�me en prose avec les genres pragmatiques cit�s est symptomatique du caract�re th�tique des m�ditations, au sens o� elles impliquent la prise en charge �nonciative d'un propos objet d'un jugement �valuatif.
+Le propos peut �tre explicite comme dans Suite royale (� Les rois ne sont plus rois de droit divin, ils sont les servants de nos d�sirs �), ou indiqu� comme dans Le dieu du voyage (� nous ne voyagerons plus gr�ce � Virgile dans l'enfer d'une autre vie �) ou dans La chambre interdite, un po�me qui reprend le topos du r�alisme mensonger de la photographie. Mais le plus souvent l'interpr�tation n'acc�de pas imm�diatement au propos : La peur des miroirs et H�pital de jour disent la laideur de l'�criture et du monde via la Beaut� personnifi�e14 ; Le vent est � la prose vise le modernisme en po�sie ; Le singe et le miroir regrette la parole perdue des origines, etc.
+La modalisation �valuative est ici constante. De fait, si La peur des miroirs donne � re-parcourir les traits caract�ristiques de Gaspard Hauser, c'est autant pour exploiter leur valeur symbolique qu'avec l'intention d'�tablir la comparaison finale, d�pr�ciative : � c'est nous-m�mes � (164). Plus exactement, les jugements port�s reposent sur des proc�d�s m�taphoriques bien plus que sur une argumentation articul�e (en particulier par car et mais). Enfin, assum�es par un Je implicite, les �valuations n�gatives sont dirig�es vers l'acteur collectif Nous-m�mes et une situation historique - la N�tre.
+ +- Po�mes en prose � essayistes �. L'ensemble de ces particularit�s signale la fonction pol�mique de ce foyer �nonciatif. Du point de vue des actes de langage, un tel dispositif textuel peut susciter l'identification du lecteur r�el au foyer interpr�tatif (�galement implicite au sein de la communication repr�sent�e). Plus pr�cis�ment, par leur modalisation n�gative d'un propos d�fini, ces textes semblent dessiner en creux la place d'un �nonciataire critique qui, en d'autres situations de discours, pourrait aller jusqu'� engager la controverse (parodie, lettre ouverte, etc.). Malgr� tout une telle ouverture pragmatique demeure ici virtuelle, � la diff�rence de l'essai, par exemple, dont le r�gime communicationnel appelle la r�alisation d'une r�ception active (maintenue priv�e ou rendue publique). Le type de la m�ditation op�re n�anmoins en de�� et leur dimension th�tique, source de leur coloration � essayiste �, oblige au fond � retenir une conception affaiblie de l'autot�lisme invoqu� comme crit�re de d�finition du po�me en prose.
+Rel�vent du songe mac�en Un ange passe..., La m�moire aime chasser dans le noir, Sommeil levant je me r�veille... ainsi que Au-del� commence la banlieue... Au plan th�matique, ces textes ont en commun d'actualiser le champ lexical de la parent� et d'�tre domin�s par une tonalit� fun�bre. Leur disposition lin�aire est domin�e par l'�num�ration. On se concentrera ici sur d'autres aspects de la textualit�.
+ +- Perception et souvenir. Du Bellay et Ronsard ont illustr� le Songe d'une fa�on qui renvoie directement au Canzone dei visioni15. Au d�but du songe VIII de Du Bellay
+ +Je vis un fier Torrent, dont les flots escumeux+
Rongeoient les fondements d'une vieille ruine :+
Je le vy tout couvert d'une obscure bruine,+
Qui s'eslevoit par l'air en tourbillons fumeux16+
la construction Je + VOIR explicite un trait identificatoire de la vision, autre nom du songe17. Chez Mac� celui-ci manifeste de m�me une corr�lation privil�gi�e entre la modalit� de la perception et le foyer �nonciatif repr�sent� par Je. Ce proc�d� est utilis� sous cette forme dans Un ange passe... mais aussi selon la modalit� auditive (� j'entends un bruit de vaisselle qui brise le r�ve �) :
+Un ange passe, et pendant que les conversations se taisent autour de la table, il revient accompagn� de son jumeau, les ailes coll�es par la poussi�re et la sueur. Mais personne ne saurait dire aujourd'hui lequel des deux a lev� lentement sa main bagu�e pour nous adresser un signe plein de gr�ce et de vulgarit� � la fois, un signe annonciateur et louche.+
Je revois le visage des jumeaux dans l'embrasure de la porte (celui qui tire la nappe en effa�ant nos souvenirs, et celui qui transmet la tradition comme un mot de passe), chaque fois qu'en cherchant le sommeil j'arrange des mariages o� sont invit�s les morts : des gar�ons d'honneur aux souliers vernis, les vieillards en chemises sans col, l'a�eule coiff�e de noir depuis qu'elle a faut�.+
Je revois � l'oncle matinal �, les cousins pr�s de leur sous et ceux qui n'ont pas pu avoir d'enfants, je revois Roger d'Orl�ans et Melaine de la Courberie anoblis par l'usage familial, et par le temps qui leur a fait l'aum�ne d'une particule. Puis vers la fin du banquet, � l'instant o� les fian�ailles vont devenir des noces d'or, et l'a�eule une infante, j'entends un bruit de vaisselle qui brise le r�ve : � la place des deux anges qui n'ont laiss� aucun message, et qui n'appara�tront plus ensemble sur la terre, je ne vois que des plumes comme apr�s un combat de coqs, et la volaille qu'on engraisse pour le prochain mariage.+
Enfin le photographe avec ses airs de faux proph�te, et sa lanterne allum�e en plein midi pour nous annoncer la nouvelle de notre mort.+
Surtout, la lexicalisation � revois � se rapporte � un �v�nement pass�. C'est l'indice d'une diff�rence majeure par rapport au songe traditionnel. C'est en effet la triple corr�lation de la fonction du Souvenir (vs Imagination), de la modalit� perceptive et du Je qui identifie le songe mac�en. Chez l'auteur de La m�moire aime chasser dans le noir le songe est ainsi davantage acte de rem�moration qu'acte d'imagination productive ; cette pr�sence de l'activit� mn�sique faisant directement �cho au th�me de la M�moire, central dans cette oeuvre.
+ +- Mode du r�cit et impression r�f�rentielle. Le songe se caract�rise par une impression r�f�rentielle de type onirique, qui peut �tre produite au moyen d'antilogies. Par exemple, dans � � l'instant o� les fian�ailles vont devenir des noces d'or, et l'a�eule une infante �, d'une part le contexte transformatif (� devenir �) accueille paradoxalement un �tat /ant�rieur/ (� infante �) en position r�sultative. D'autre part, � � l'instant o� � vient rendre saillant le trait /imminence/ dans � les fian�ailles vont devenir des noces d'or �, impliquant ainsi une transformation ponctuelle alors m�me que la relation qui lie � fian�ailles � � � noces d'or � est durative.
+Relevant de cette rationalit� onirique (i.e. ni causale ni finalis�e), le r�cit fragmentaire qu'implique le songe mac�en n'appelle pas � restituer les moments manquants d'une intrigue �nigmatique. Par exemple, dans Un ange passe... le retour de l'Ange est marqu� par une transformation (ses ailes sont � coll�es par la poussi�re et la sueur �) qui demeure sans origine. Certes l'intelligence narrative peut tenter d'expliquer certaines ellipses suppos�es. Aussi n'appara�t-il pas d�raisonnable d'imaginer ici une lutte en lien avec les fonctions antith�tiques de ces Anges de la m�moire (� celui qui tire la nappe en effa�ant nos souvenirs, et celui qui transmet la tradition comme un mot de passe �). Mais g�n�ralement la succession des d'actions (� revient �, � puis vers la fin �) s'�mancipe du r�cit canonique (cl�ture, sym�trie et causalit�) et aucune organisation narrative globale ne peut �tre constitu�e.
+Pr�sente dans l'oeuvre de Mac�, en particulier dans les � essai-fictions � des Vies ant�rieures, on retrouve la vie dans les po�mes Parade nuptiale, Femmes sans t�te, T�te-b�che, La for�t qui se met � marcher et Entre le th��tre et les bois... Certains textes � la premi�re personne (Op�r� de quelque grosseur... ; De la partie ferm�e du th��tre... ; La le�on d'anatomie), de facture autobiographique, se rapprochent naturellement de ces r�cits de vie, mais sans en relever strictement.
+ +- Les vies et les songes. Ils contrastent � divers �gards. Les premi�res appliquent la modalit� ontique du /r�el/ aux acteurs du r�cit, alors que le mode mim�tique des seconds se traduit par une saturation du texte par l'irr�el. De plus, on n'y observe pas d'interactions entre le narrateur et les acteurs, � la diff�rence des songes (notion de narrateur-personnage). Enfin, � la narration homodi�g�tique du songe s'oppose la narration h�t�rodi�g�tique de la vie centr�e sur des �v�nements pass�s et actuels d'au moins un acteur humain.
+ +- L'espace profond du souvenir. Cet acteur, qui appartient � la classe des D�funts, est toujours identifi� (les Parents dans Parade Nuptiale, le Nourrisson dans Femmes sans t�te) et parfois d�sign� par un nom propre (ex. Arthur Meslin et Gervaise Vidor dans La for�t qui se met � marcher, Saturnin dans T�te-b�che). La structure r�currente qui le caract�rise corr�le un IL � une modalit� sp�cifi�e par ce que nous avons appel� la fonction du Souvenir ; comme si la m�moire propre des personnages �tait donn�e responsable du r�cit (par ex. dans Femmes sans t�te � C'est dans une quinte de toux qu'il retrouve une impression d'enfance �). Il est clair toutefois que l'acc�s � l'histoire individuelle des personnages se fait par la m�diation du foyer �nonciatif (Je). De sorte que lui-m�me conna�t une actualisation de la fonction du Souvenir, qui le c�de parfois � l'Imagination18. Une sp�cificit� remarquable des vies r�side dans cette inclusion des fonctions du Souvenir : Je se souvient d'un Il qui se souvient de son pass�.
+ +- Th�matique vitale et tonalit� fun�bre. Ce qui unit par ailleurs tous ces po�mes est une th�matique du cycle vital. On note au hasard les chronotopes � dans le ventre de sa m�re �, � nourrisson �, � enfance �, � en tremblant comme une feuille � (vieillesse), � son fant�me � (r�surrection). Mais le parcours du cycle n'a rien de lin�aire et de duratif. Par ailleurs, la narration de ces vies anecdotiques porte sur des gens de petite condition (ex. le bleu de travail et le tablier) � l'image de la M�re de Parade nuptiale, cette � h�ro�ne d'une vie br�ve qui s'�croula un soir sur le seuil de sa maison �. Ce passage marqu� par l'aspect /perfectif/ (� br�ve �, � s'�croula �, � soir �, � seuil �) exemplifie enfin le ton de ces vies hant�es par le deuil : en qualifiant globalement le th�me de la vie, l'aspect /perfectif/ contribue ainsi � produire la coloration fun�bre qui domine les po�mes.
+Sur la base d'�quivalences s�mantiques globales, nous avons tent� de rapprocher des textes identifi�s par une facture typographique et syntaxique analogue et appartenant � un m�me genre. Leur description a permis de mettre en �vidence des caract�ristiques communes (th�matiques, �nonciatives et/ou narratives) qui, pour la majorit� des vingt cinq textes examin�s, constituent des sortes de sous-ensembles et l�gitiment de fait des formes textuelles stables propres � G�rard Mac�. Ainsi, alors que le songe s'oppose � en interne � � la vie comme � la m�ditation, il para�t m�me se singulariser par rapport � sa tradition po�tique (Du Bellay, Ronsard).
+Ces formes, qui n'ont le statut de type textuel qu'au sein de cette po�sie, se d�finissent par des interactions sp�cifiques entre composantes. Ce sont elles qui, dans le cadre d'un genre d�nu� de prescriptions au plan du contenu, fondent l'existence de variations stylistiques. La m�ditation est de loin le type le plus exemplifi� (onze po�mes), viennent ensuite la vie (cinq exemplaires) et le songe (quatre exemplaires). Les cat�gorisations hybrides de la critique mac�enne se pr�cisent alors : de m�me que la dimension th�tique des m�diations rapproche ces po�mes de l'essai, de m�me la dimension narrative du songe et de la vie conduit naturellement � employer l'�tiquette � r�cit �. � vrai dire, ces formes t�moignent ensemble d'une pratique plurielle (i.e. ni uniforme ni disparate) du po�me en prose, cette pluralit� de mani�res d�clinant un style de composition qui se positionne entre la contingence de la cr�ation po�tique et l'emploi de proc�d�s syst�matiques.
+Exploitant les cat�gories rh�toriques du portrait ou du tableau, cinq textes sont toutefois r�tifs aux regroupements effectu�s. � l'exception de Pierrot valet de la mort, ils appartiennent au dernier recueil de Mac�, Le singe et le miroir. Certes Le roman des jumeaux et Le porteur de lanterne, o� un Je confie son pass� et m�dite sur l'origine, tiennent un peu de la vie et de la m�ditation. De m�me Assis sous un auvent..., Pierrot valet de la mort et � l'int�rieur du navire... mettent en sc�ne un acteur unique (l'�migrant, le Souffleur, le Capitaine, respectivement) qu'un sort dramatique rapproche des vies. Mais ces po�mes ne sont pas en toute rigueur assimilables aux formes textuelles d�gag�es. Ce genre de difficult� appelle � prolonger l'�tude et la recherche en compl�tant la diff�renciation du style par le genre au moyen d'autres formes de caract�risation s�mantique des particularit�s individuelles.
+Nous avons fait ailleurs des propositions en ce sens qui s'appliquent aux fa�ons r�guli�res de constituer le sens au sein d'un corpus attribu� � un �nonciateur unique. En effet, une oeuvre peut se singulariser � diff�rents paliers et donc se caract�riser sous diff�rents angles : 1/ le palier du texte situe les interactions idiolectales entre composantes ; 2 / celui de la p�riode int�resse des structurations remarquables entre signifi�s, envisag�s dans leur lin�arit� (rythmes s�mantiques, etc.) ; 3/ au palier du mot l'oeuvre constitue les significations propres � l'auteur ; 4/ enfin, � ces diff�rents paliers, la constitution du sens peut �pouser un m�me sch�me. Ainsi chez Mac� un contraste fort unifie les paliers du mot (ex. cercueil de verre), de la p�riode (ex. un rat qui voulait devenir une �toile) et du texte (figure mac�enne des Jumeaux antagonistes ; opposition th�matique entre culture savante et culture populaire, etc.).
+Au-del�, l'analyse s�mantique sert une caract�risation textuelle qui doit rendre compte de l'interaction entre le plan de l'expression et celui du contenu. Cela int�resse en particulier les trois recueils qui pr�c�dent Bois dormant (Le jardin des langues, Les balcons de Babel et Bois dormant). Mac� y voit une trilogie dont le mode d'�criture n'est pas sans �voquer les productions dites automatiques des Surr�alistes. � la diff�rence des recueils suivants, ils soumettent la lecture � un tempo soutenu par la suppression des points, des virgules et l'usage de l'�num�ration, notamment. Cette diff�rence de facture soul�ve le probl�me des lign�es stylistiques qui alternent dans la chronologie des parutions et dont la reconnaissance repose sur des indices de p�riodisation (typographiques, phoniques et morphosyntaxiques). Dans le cas pr�sent, il s'agirait d'�tablir si la trilogie rel�ve d'une lign�e unifi�e (pour une suite de textes, correspondance d'une m�me facture et d'un m�me style s�mantique) ou non (un style s�mantique commun a des factures distinctes).
+R�pondre � cette alternative permettrait d'appr�cier l'�volution d'un style en terme de continuit�/discontinuit�. Il reviendrait � une linguistique des styles unifi�e aux deux plans du texte d'investir ce domaine de la variation stylistique.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� + par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Il n'y a qu'un sens, mais il est ... multiple.+
Il n'est gu�re besoin de le souligner : les affaires de la polys�mie sont aujourd'hui, � l'image m�me du concept, ambigu�s. Un seul point semble faire l'unanimit� : tout le monde (ou presque) accepte qu'une expression linguistique puisse pr�senter une variation d'interpr�tations selon le contexte. Mais faut-il y voir de la polys�mie ou non ? C'est l� que les analyses et les r�ponses s'av�rent discordantes et qu'il convient de faire le point. Non pas en proposant une ni�me th�orie, forc�ment � copernicienne �, de la polys�mie, mais en (r�)examinant, dans le droit fil de nos travaux ant�rieurs (Kleiber, 1996, 1999, 2000, 2005 et 2006), les tenants et les aboutissants de l'affaire.
+Nous nous proposons de reprendre le probl�me de la multiplicit� de sens associ�e � une unit� lexicale pour essayer de voir quelles sont les propri�t�s que doivent pr�senter de tels sens pour m�riter le label de polys�mie ou non. Nous le ferons en deux �tapes : apr�s un tour de chauffe observationnel g�n�ral, nous mettrons en avant dans la premi�re partie les deux conditions auxquelles doivent satisfaire les diff�rentes lectures d'une unit� lexicale pour pouvoir �tre consid�r�es comme �tant des sens de l'unit� lexicale elle-m�me : la non-unifiabilit� et l'autonomie par rapport au discours. L'hypoth�se que nous d�fendrons est que la variation interpr�tative d'une unit� lexicale ne peut �tre polys�mique, c'est-�-dire port�e au cr�dit de l'unit� lexicale, que si les diff�rentes lectures en jeu ont deux propri�t�s particuli�res : elles doivent �tre, d'une part non unifiables, et, d'autre part, robustes ou fortes, c'est-�-dire autonomes par rapport aux discours dans lesquels elles se manifestent. Nous essaierons, comme l'indique le titre, de montrer, dans la seconde partie, qu'il existe de tels sens. Nous recourrons � des tests syntagmatiques et paradigmatiques pour prouver le caract�re empirique de ces deux propri�t�s et, partant, pour l�gitimer de fa�on non artificielle, la pertinence linguistique du ph�nom�ne.
+On peut accepter comme point de d�part provisoire que la polys�mie n�cessite :
+L'absence de la condition -ii-, qui d�coule directement de la d�finition de la polys�mie par Br�al (1897) comme �tant la cons�quence synchronique des changements de sens, nous met en pr�sence de ce qu'on appelle habituellement l'homonymie.
+Une premi�re observation est � faire � ce niveau. On constate dans l'abondante litt�rature sur la multiplicit� des interpr�tations une int�ressante diff�rence entre le traitement de l'homonymie et celui de la polys�mie. Si les ph�nom�nes polys�miques sont bien souvent remis en cause, les cas d'homonymie se trouvent g�n�ralement �pargn�s, m�me si comme pour voler ou gr�ve il s'agit � l'origine d'un r�el changement de sens. L'affaire peut sembler anodine. Elle l'est toutefois beaucoup moins, si l'on prend en compte le fait que ce qui pousse � nier les faits de polys�mie devrait aussi, en grande partie, servir pour remettre en cause les faits d'homonymie. C'est la position � laquelle est amen� tout logiquement, dans une perspective cognitiviste, le Cruse de 2004 (Croft et Cruse, 2004, 109) : � bounded sense units are not a property of lexical items as such ; rather they are construed at the moment of use �. Et un mot homonymique comme bank, dans une vision constructiviste du sens, ne se divisera plus imm�diatement en bank-'rive' et bank-'�tablissement financier', mais se verra associer un seul purport ou mat�riau conceptuel qui repr�sente l'apport s�mantique du mot � la construction de l'interpr�tation, les sens de 'rive' et de 'banque' �tant eux-m�mes des unit�s de sens construites � partir du � purport � et de conventions. On peut se demander alors pourquoi ceux qui s'en prennent � la polys�mie n'attaquent pas avec la m�me vigueur l'homonymie. La raison, � notre avis, r�side dans la pr�sence de la condition -ii- : l'existence de liens (de relations) entre les diff�rents sens d'une m�me unit� lexicale est un facteur qui pr�dispose � et qui donc favorise la recherche d'une unit� s�mantique sup�rieure d�gradant les diff�rents sens relev�s au rang de simples interpr�tations de l'aval discursif. Si, par contre, l'�cart entre les diff�rentes interpr�tations n'est pas per�u ou donn� comme sous-tendu par un lien, on ne sent pas pouss� ou autoris� � chercher un amont unificateur qui d�ferait la situation polys�mique en r�duisant ces diff�rentes interpr�tations � des effets de l'amont en question. .
+Une deuxi�me observation concerne le niveau o� s'exerce la critique du fait polys�mique. Si on part de la conjonction d�finitionnelle provisoire -i- et -ii-, la polys�mie peut �tre remise en cause, soit en critiquant -i-, soit en critiquant -ii-. Dans le premier cas, celui o� -i- est faux, mais o� -ii- subsiste, les relations de -ii- sont � porter au cr�dit de la construction de lectures qui ne sont plus intrins�quement attach�es � l'expression : on refuse la polys�mie, mais on conserve les emplois. C'est la position critique classique. La seconde position, celle o� l'on conserve -i-, mais o� l'on refuse -ii-, revient � transformer un cas de polys�mie en un cas d'homonymie. Elle est, c'est significatif, beaucoup moins fr�quente, quoique tout � fait envisageable, comme en t�moignent les variations lexicographiques en ce domaine. On peut fort bien s'interroger, par exemple, sur la persistance ou non d'une relation synchronique entre le sens de blaireau-'animal' et blaireau-'brosse pour la barbe'.
+Nos deux observations tirent dans la m�me direction : elles montrent que c'est avant tout le point -i-, celui de la pluralit� du sens assign�e � une m�me forme, qui se r�v�le primordial. Autrement dit, la question essentielle n'est pas tellement celle de l'existence ou non de relations - probl�matique qui est incontestablement int�ressante � un autre point de vue et � un autre niveau, celui des changements de sens et des universaux qui peuvent �tre impliqu�s, des potentialit�s organisationnelles - mais celle de l'existence multiple de sens associ�s � une forme, qu'il s'agisse d'homonymie ou de polys�mie, m�me si nous nous pla�ons volontairement, �tant donn� notre premi�re observation, dans le cadre des vocables qui peuvent pr�tendre concourir pour le label � polys�mique �. C'est � ce niveau-l� qu'il faut alors poser la question fondamentale : est-ce qu'on peut associer � une unit� lexicale plusieurs sens ou non ? Autrement dit encore : est-ce une propri�t� des unit�s lexicales, soulignons bien le terme unit� lexicale pour �viter toute �quivoque, que de pouvoir poss�der plusieurs sens ou non ? Est-il justifi� d'attribuer � plateau, par exemple, entre autres, le sens de plateau-'vaisselle ' et le sens de plateau-'g�ographique'? Dit encore autrement, la pratique des lexicographes qui accordent � une unit� lexicale plusieurs sens est-elle fond�e ou non ? Ces sens sont-il vraiment accroch�s � l'unit� lexicale ou n'ont-ils qu'une existence discursive, ne sont-ils qu'un produit de la construction du message ?
+Une r�ponse possible est de refuser d'attribuer � toute unit� lexicale du sens pr��tabli (voir Kleiber, 1999). Le probl�me de la pluralit� de sens se trouve alors r�gl�, puisque l'exclusion de toute monos�mie entra�ne en m�me temps celle de toute pluralit� de sens. Nous n'envisagerons pas ici une telle position, parce qu'elle oblige � prendre position sur le statut et la nature du sens en g�n�ral (Larsson, 1997 et Kleiber, 1999).
+Si l'on met de c�t� une telle position extr�me, mais tout � fait d�fendable, la polys�mie en tant qu'association de plusieurs sens � une m�me forme lexicale se trouve ni�e de deux mani�res apparemment paradoxales :
+-a- D'une part, les vocables donn�s comme polys�miques se voient en quelque sorte � monos�mis�s � par la mise en avant d'un invariant sup�rieur, de quelque nature qu'il soit, qui unifie les diff�rentes interpr�tations. L'id�e, implicite ou explicite, est que ce sens subsumant, explicatif de la diversit� interpr�tative, ne correspond pas aux interpr�tations observables en discours et que l'on n'y acc�de qu'en rel�guant les sens � imm�diats � (surtout les valeurs d�nominatives et r�f�rentielles) � un �tage inf�rieur, qui n'est plus celui de la langue. Le locuteur lambda n'a �videmment pas acc�s � ces sens abstraits unificateurs (re)construits gr�ce � l'observation patiente et sagace du linguiste et qui ont l'avantage de s'ins�rer dans une conception plus g�n�rale de la langue vue comme le passage de formes, de sch�mes, de structures abstraites � une incarnation discursive faisant �merger les valeurs, les cat�gories faussement trait�es comme sens premiers par la tradition lexicale et lexicographique. On �tend ainsi � toute unit� lexicale des concepts comme ceux d'actualisation, de sous-d�termination ou de sous-sp�cification g�n�ralement appliqu�s au domaine des unit�s grammaticales, o�, comme de nombreuses �tudes l'ont montr�, la recherche d'un invariant sous-d�termin� et donc le refus d'un �ventail trop grand de sens morcel�s et non justifi�s est tout � fait indiqu�e. De fa�on plus g�n�rale, empressons-nous de le dire pour �viter toute �quivoque sur notre position, la qu�te d'un amont s�mantique pour rendre compte de la diversit� des � emplois � d'une unit� lexicale est une op�ration l�gitime, qui permet, s'il y a effectivement un tel invariant, de d�busquer les vocables faussement labellis�s polys�miques. Ce qui nous semble, par contre, beaucoup moins l�gitime, c'est de g�n�raliser la chose et de postuler qu'il en va ainsi de toute unit� lexicale, la polys�mie alors n'existant plus du tout.
+-b- D'autre part, de fa�on tout � fait inverse aux tentatives de monos�misation, on fait prolif�rer les sens ou variations de sens. Autrement dit, on proc�de � la multiplication des cas de polys�mie. Soit en postulant qu'il s'agit d'une variation qui n'est pas li�e � un lex�me particulier, mais qui concerne une s�rie beaucoup plus grande d'unit�s, parce qu'elle d�pend d'une r�gle ou fonction g�n�rale (cf. 'animal' -> 'viande de cet animal' pour j'ai mang� du veau), que l'on appellera polys�mie r�guli�re (Apresjan, 1974) ou syst�matique (Nunberg, 1995, Nunberg et Zaenen, 1997 et Apresjan, 2000)) ou encore polys�mie logique (Pustejovsky, 1995) et dont la g�n�ralit� implique l'abandon d'un traitement au niveau de l'unit� lexicale et, partant, l'abandon de la polys�mie comme pluralit� s�mantique associ�e � une unit� lexicale. Soit surtout en multipliant les variations interpr�tatives contextuelles pour montrer qu'il ne peut s'agir d'un ph�nom�ne du niveau de l'unit� lexicale, mais d'un ph�nom�ne discursif, li� au contexte, de lectures de circonstance et non de sens du lex�me. C'est ainsi que Kayser (1987) assigne � livre l'interpr�tation 'objet' (manuscrit, disquette) dans l'�nonc� Jean �crit un livre, celle d'id�es contenues dans ce livre lorsqu'il se combine a influencer quelqu'un (cf. Ce livre a fortement influenc� les R�volutionnaires de 1789), celle de la commercialisation dans Ce livre a �t� un fiasco pour l'�diteur, etc. Deux r�sultats d�coulent d'une telle multiplication : l'impossibilit� d'�num�rer toutes les interpr�tations possibles, parce qu'il n'est pas toujours facile de s�parer ou de distinguer les diff�rentes interpr�tations et le renoncement � compter ces diff�rentes interpr�tations comme des sens du mot, puisqu'ils sont construits par le contexte et donc non autonomes. � Il est artificiel, comme l'�crit Cadiot (1992, 36) de leur allouer une existence ind�pendante de leur �mergence �.
+Les positions -a- et -b- ne sont qu'apparemment paradoxales : il n'y a aucune contradiction, d'un c�t�, � faire dispara�tre la pluralit� de sens sous un sens amont ou invariant et, de l'autre, � proc�der � la multiplication des petits pains polys�miques, dans la mesure o� le point commun des deux positions est que la multiplicit� de sens n'est qu'un ph�nom�ne discursif et non un ph�nom�ne de l'unit� lexicale elle-m�me, puisque dans les deux cas, les sens relev�s ne sont pas associ�s � l'unit� lexicale elle-m�me, mais sont le r�sultat d'une construction discursive.
+A la clef, le verdict s�mantique ne fait pas de doute : il n'y a plus lieu de parler de polys�mie. Il s'agit d'un jouet fabriqu� par les linguistes-s�manticiens, d'un artefact. Les unit�s lexicales n'ont pas plusieurs sens pr��tablis, qui leur appartiendraient en propre. Les variations interpr�tatives pr�sent�es ne sont que le produit de constructions discursives, o� interviennent diff�rents ingr�dients, allant jusqu'� la distinction des genres, des textes, etc.
+Il serait possible d'examiner et d'�valuer les propositions faites par ceux qui promeuvent une telle approche de toute variation interpr�tative. Nous ne nous engagerons pas sur cette voie ici. Il nous semble plus important de nous limiter � la question mise en avant ci-dessus : est-ce qu'il est licite ou non de postuler qu'une unit� lexicale (un mot pour aller vite), en tant que telle, peut avoir plusieurs sens ? Est-ce qu'on peut attribuer, de fa�on non artificielle, � une unit� lexicale comme, par exemple, notre plateau de ci-dessus plusieurs sens ? Si oui, cela suppose que ces lectures ont �merg� des emplois discursifs pour devenir des traits de sens stabilis�s et non plus seulement des produits discursifs. Bien �videmment, dire qu'il en va ainsi ne prouve rien. Il revient au linguiste de le d�montrer.
+A cet effet, il faut qu'il d�montre deux choses. Il faut que notre partisan de la polys�mie prouve que les acceptions ou lectures des lex�mes auxquels il entend accorder le statut de polys�me (et uniquement, bien entendu, � ceux-l�) sont bien des sens disjoints, non r�ductibles, en ce qu'ils ne sont pas � coiffables � par un sens sup�rieur qui n'en ferait que de simples effets de sens ou de simples emplois issus de la combinaison de ce sens amont avec les diff�rents ingr�dients contextuels. L'affaire n'est pas mince, �tant donn� qu'il semble toujours possible de trouver un chapeau s�mantique assez g�n�reux pour accueillir toutes les diff�renciations interpr�tatives manifest�es par une unit� lexicale. Elle n'est toutefois pas impossible, comme on le verra ci-dessous.
+Il faut ensuite prouver que ces sens diff�rents disjoints ou s�par�s non � coiffables � unitairement sont r�ellement des sens stables accroch�s � l'unit� lexicale et non simplement des variations s�mantiques dues au contexte ou � la construction discursive. Autrement dit, il faut montrer cette fois-ci, non plus qu'il n'y a pas de sens sup�rieur qui coiffe la diversit� interpr�tative manifest�e, mais que les diff�rentes interpr�tations postul�es pour un m�me lex�me sont v�ritablement des unit�s s�mantiques associ�es au lex�me m�me et non plus seulement le produit de configurations discursives. Autrement dit, il faut d'une mani�re ou d'une autre montrer que ces sens n'existent pas seulement discursivement, mais qu'ils ont une forme d'existence lexicale, parce qu'ils ont acquis en quelque sorte une forme de libert� vis-�-vis du contexte ou des constructions dans lesquelles ils se manifestent. C'est prouver en somme que la polys�mie est bien une relation lexicale, paradigmatique, ayant acquis sa pertinence au niveau paradigmatique du lexique, parce que les sens en question ont acquis une saillance qui les fait survivre au contexte qui les a fait na�tre . Il s'agira donc de faire le tri entre les lectures qui restent d�pendantes des � circonstances � et celles qui ont gagn� leur autonomie, bref, entre celles qui n'arrivent pas � se d�tacher par rapport � la situation discursive et celles qui montrent une robustesse qui les fait survivre au contexte de leur �mergence.
+En r�sum�, les candidats au statut de sens polys�miques, c'est-�-dire de sens associ� � une unit� lexicale, doivent pr�senter deux propri�t�s : ils doivent �tre non unifiables ou irr�ductibles � un sens ou lecture g�n�rale sup�rieure et ils doivent en m�me temps �tre suffisamment robustes ou forts pour acqu�rir un statut d'autonomie, qui les d�tache des circonstances discursives et les s�pare des lectures � fragiles � contextuelles, et qui leur permet d'�merger et d'�marger en tant que propri�t� s�mantique stable des unit�s lexicales. Comment reconna�tre qu'ils poss�dent ces deux propri�t�s ? C'est ce que nous essaierons de montrer dans notre deuxi�me partie.
+L'hypoth�se qui sous-tend notre d�marche est que s'il y a v�ritablement des sens qui pr�sentent les deux propri�t�s n�cessaires pour que ces sens soient v�ritablement associ�s � une unit� lexicale et donc puissent �tre qualifi�s v�ritablement de sens polys�miques, ces deux propri�t�s, c'est-�-dire la non-unifiabilit� (ou diff�rence irr�ductible) et leur robustesse ou autonomie vis-�-vis du discours doivent se manifester de diff�rentes mani�res, et notamment au niveau de leurs relations syntagmatiques et paradigmatiques o� nous retrouverons des tests plus ou moins classiques dans la litt�rature sur la multiplicit� du sens et l'ambigu�t� C'est uniquement l'existence de telles manifestations qui fondent leur pertinence linguistique au niveau lexical et qui assurent � la polys�mie ainsi d�montr�e un statut qui ne peut en rester au stade d'artefact de s�manticien.
+On soulignera encore que la possession d'une de ces deux propri�t�s n'est bien entendu pas suffisante : chaque condition est n�cessaire, mais seule elle ne suffit pas, comme nous le verrons. Il faut la conjonction des deux pour conclure � la polys�mie.
+Troisi�me pr�cision : il est clair que l'on ne saurait parler de non-unifiabilit� que si et seulement s'il y a eu reconnaissance d'une diff�renciation pr�alable. Comme nous l'avons montr� longuement dans Kleiber (2005), il n'y a g�n�ralement pas de discussion sur la multiplicit� ou non de sens d'une forme s'il n'y a pas au pr�alable l'intuition que cette forme peut pr�senter des interpr�tations ou des usages diff�rents. Comme cette variation interpr�tative s'appr�hende, qu'on le veuille ou non, avant tout en termes de � choses d�not�es �, c'est le sentiment qu'il ne s'agit plus ou pas de la m�me chose qui est � l'origine de la probl�matique du sens multiple. Nous avons appel� cette condition de d�part (n�cessaire, mais bien entendu non suffisante) le crit�re r�f�rentiel (Kleiber, 2005). Nous avons montr�, entre autres, que, plus l'autonomie du type d'entit� �tait grande (cf. par exemple les entit�s exprim�es par les substantifs non pr�dicatifs) et plus il �tait facile de s'appuyer sur la notion de type de r�f�rents diff�rents ou de cat�gorie diff�rente (ou encore de choses diff�rentes) pour engager une reconnaissance polys�mique, alors que, inversement, plus l'entit� en question �tait d�pendante et plus d�licat �tait le d�bat polys�mique.
+La propri�t� de non-unifiabilit�, c'est-�-dire l'impossibilit� d'unifier diff�rentes lectures d'une unit� lexicale, se manifeste � plusieurs niveaux et se d�cline sous plusieurs formes, dont certaines sont, bien entendu, plus pertinentes que d'autres.
+-1- non-unifiabilit� cat�gorielle : il est difficile, voire impossible, lorsqu'il s'agit de lectures engageant des cat�gories, de les r�duire � une seule cat�gorie subsumatrice (Kleiber, 2002 et 2004). C'est ainsi qu'il est difficile de concevoir une seule cat�gorie correspondant aux deux lectures de souris (souris-'animal' et souris d'ordinateur). Corollairement, il est �galement difficile de trouver un prototype qui correspondrait aux deux lectures, chaque lecture, mais non leur union, donnant lieu � un prototype. La variation interpr�tative de type vague ou sens sous-d�termin� (ou encore sens g�n�ral), par contre, se r�v�le de ce point de vue parfaitement unifiable. M�me si enfant peut donner lieu aux lectures diff�rentes et incompatibles 'gar�on' et 'fille', il est possible de faire correspondre une cat�gorie (avec son prototype) qui subsume les cat�gories 'gar�on' et'fille', � savoir la cat�gorie 'enfant'.
+-2- non-unifiabilit� v�riconditionnelle : l'attribution d'une valeur de v�rit� s'�tablit au niveau de chaque lecture particuli�re et non au niveau d'une interpr�tation rassemblant les diff�rentes lectures. La diff�rence avec les situations de sens sous-d�termin� appara�t ici avec la n�gation. La proposition Paul n'a pas d'enfant est fausse si l'une des deux lectures (Paul a un gar�on / Paul a une fille), incompatibles entre elles, est vraie, alors que Paul n'a pas de souris n'est pas rendue fausse si l'une des deux lectures (souris-'animal' et souris d'ordinateur), incompatibles entre elles, elles aussi, est vraie, parce que la valeur de v�rit� se d�cide au niveau de chaque lecture particuli�re et n'est pas d�cidable plus haut. Donc m�me si Paul a une souris d'ordinateur, Paul n'a pas de souris reste vraie s'il s'agit de souris-'animal' et si Paul ne poss�de effectivement pas de souris-'animal'. Il s'ensuit au niveau discursif, une propri�t� d'autonomie que Cruse (2000 et 2003) appelle la possibilit� de n�gation ind�pendante. Il est en effet possible de nier de fa�on ind�pendante une des lectures (Cruse, 2000 et 2003) dans le cas de la pluralit� de sens du type souris, mais non dans le cas des variations interpr�tatives relevant du vague. A la question As-tu un enfant ?, on ne peut r�pondre non, si l'on a un gar�on ou une fille, alors qu'� la question As-tu une souris ?, il est possible de dire non alors qu'on poss�de une souris-'animal', si la question porte sur une souris d'ordinateur (et inversement).
+-3- non unifiabilit� de lectures : lorsque deux lectures sont en comp�tition dans un m�me �nonc�, situation d'ambigu�t� classique, il n'est pas possible cognitivement d'unifier les deux lectures, comme l'illustrent sur le plan de la perception visuelle les fameuses images ambigu�s de la Gestaltth�orie : ou c'est l'une ou c'est l'autre, mais il n'est pas possible de saisir les deux simultan�ment. Cette non-unifiabilit� psychologique permet de montrer que le classique crit�re d'ambigu�t�, appel� crit�re d'interpr�tation multiple (Mel'Cuk, Clas et Polgu�re, 1995, 61), n'est pas suffisant. Le crit�re d'ambigu�t� stipule en effet que si une phrase a deux interpr�tations diff�rentes dues uniquement � une unit� lexicale L, alors L aura deux sens. Or, les unit�s lexicales de sens vague ou sous-d�termin� peuvent r�pondre � ce crit�re : Paul a un enfant donne lieu � la variation 'gar�on' ou 'fille' et ces deux interpr�tations sont bien dues � enfant. On ne parlera toutefois pas d'ambigu�t�, parce que les deux lectures sont parfaitement unifiables attentionnellement : il n'y a pas de comp�tition psychologique o� l'une doit l'emporter sur l'autre, comme dans le cas de Paul a une souris. Cela appara�t nettement si on oppose Paul voudrait un enfant � Paul voudrait une souris.
+-4- non-unifiabilit� s�mantique : il n'est pas possible de trouver un sens g�n�ral, plus abstrait, rassemblant et organisant les diff�rentes lectures. C'est un point n�vralgique, puisque, comme nous l'avons vu, une des deux mani�res de nier la polys�mie, consiste pr�cis�ment � toujours trouver un sens abstrait explicateur. Ce point est d'autant plus n�vralgique qu'il est toujours possible de trouver un tel sens � coiffant � en prenant les traits communs � toutes les lectures ou emplois relev�s. Il y a toutefois un probl�me, celui de la pertinence d'un invariant construit de la sorte. Il est bien souvent trop abstrait et par l�-m�me incontr�lable : on oublie g�n�ralement de montrer comment se fait la � descente � vers les interpr�tations attest�es. Mais le danger le plus grand est celui d'une trop grande puissance : on trouve, certes, des d�nominateurs communs � toutes les lectures relev�es, mais ce sens construit � partir des traits communs, s'il se retrouve effectivement toujours dans les lectures particuli�res, court le risque de pr�senter un pouvoir pr�dictif trop fort : il lui arrive en effet de pr�voir des sens ou lectures (ou emplois) qui n'existent pas, au point qu'il appara�t dans ce cas comme �tant un artefact du linguiste qui l'a construit. Martin (2005, 170) cite ainsi le cas de quartier et montre que, quel que soit le sens g�n�ral sup�rieur propos� (comme par exemple 'partie d'un tout'), m�me si ce sens rend compte des diff�rents sens ou emplois recens�s (quartier de viande, quartier de ville, quartier des femmes, etc.), il ne pourra pas expliquer pourquoi on n'a pas quartier d'un livre, pour le chapitre d'un livre, ou quartier d'une symphonie pour le mouvement d'une symphonie. � Rien, conclut-il (2005, 170), ne permet de le pr�voir. La seule solution est d'inscrire les possibles dans le dictionnaire �.
+Bref, il existe incontestablement des lectures diff�rentes d'une m�me forme qui ne sont s�mantiquement pas unifiables, de fa�on non artificielle. Ce ne sont pas, automatiquement, on le verra, des sens polys�miques, mais les sens qui pr�tendent repr�senter un fait de polys�mie doivent poss�der une telle propri�t�.
+Il y a des correspondants formels syntagmatiques et paradigmatiques � la non-unifiabilit� que nous venons de mettre en avant. Au niveau syntagmatique, on observe en effet que les structures et constructions qui supposent d'une mani�re ou d'une autre une forme d'unit� sont plus ou moins r�calcitrantes au sens multiple non unifiable. On retrouve l� certains tests bien souvent appel�s � la rescousse dans la litt�rature sur la polys�mie et l'ambigu�t�. Tous n'ont pas la m�me pertinence, mais tous tirent dans la m�me direction.
+En premier lieu, on mentionnera un crit�re gu�re utilis�, car pas facilement manipulable et d'application limit�e aux SN, mais pourtant int�ressant : la difficult� d'avoir pour les sens non unifiables un SN avec une interpr�tation g�n�rique � coiffante �, c'est-�-dire recouvrant les diff�rentes lectures. Face aux situations de sens g�n�ral, o� la chose est tout � fait possible, comme le montre un �nonc� du type Les enfants sont toujours ingrats, qui recouvre aussi bien la sp�cification 'gar�on' que 'fille', il n'est gu�re possible d'envisager un �nonc� g�n�rique similaire avec le SN les souris � couvrant � de la m�me mani�re aussi bien les souris-'animaux' que les souris d'ordinateur. Un tel regroupement n'est possible qu'au niveau m�talinguistique, celui qui repose sur la pluralit� de lectures et il faut que la phrase soit � la forme n�gative et comporte le quantificateur de totalit�, ceci pour rappeler pr�cis�ment que l'unification n'est pas possible, parce qu'il y a plusieurs types de choses appel�es X. C'est ainsi que l'on peut avoir en regroupement : toutes les souris ne sont pas des animaux, mais non pour une union du m�me type : Les souris ne sont pas des animaux, ni Toutes les souris sont des animaux.
+En deuxi�me lieu, on dispose du crit�re de cooccurrence compatible (Mel'Cuk, Clas et Polgu�re, 1995), appel� aussi crit�re de Green-Apresjan par par Mel'Cuk, Clas et Polgu�re ou crit�re des sens antagonistes par Cruse (1986). (Green 1969 et Apresjan, 1992). Ce crit�re �tablit qu'il y a sens multiple si et seulement si la cooccurrence discursive des diff�rentes lectures ou interpr�tations se r�v�le impossible, en somme si les diff�rents sens ne sont pas compatibles, unifiables et se r�v�lent donc antagonistes, disjoints. Il s'agit d'un indicateur assez fiable qui projette sur le plan syntagmatique l'incompatibilit� paradigmatique des sens concern�s. L'id�e qu'il traduit est que, si deux lectures d'une m�me unit� lexicale sont vraiment deux lectures autonomes, non unifiables, elles ne sont pas non plus compatibles en les mettant ensemble au niveau syntagmatique. Ce crit�re rev�t plusieurs formes. La coordination de constituants qui activent les diff�rentes interpr�tations est souvent utilis�e. C'est ainsi que si l'on prend le cas de veau-'animal' et veau-'viande de cet animal', la coordination de deux adjectifs qui activent les deux lectures aboutit � un zeugme, qui r�v�le bien leur incompatibilit� :
+? Ce veau est rapide et tendre (dans le sens o� tendre porte sur la viande)+
La contrainte d'identit� (Cruse, 1986) est une autre forme de ce test syntagmatique. Elle exige qu'en cas d'anaphore du type aussi, tout comme, ainsi fait X... ? l'on ne puisse avoir une interpr�tation crois�e, l'ant�c�dent et l'anaphore ne pouvant �tre de lecture diff�rente. L'�nonc� Pierre aime ce plateau, Paul aussi ne conna�t ainsi que des interpr�tations d'identit�. S'il s'agit du plateau-'vaisselle' pour Pierre, il en va �galement ainsi pour Paul et si c'est le plateau g�ographique, il en va encore ainsi pour Paul. Ce qui se trouve exclu, c'est l'interpr�tation crois�e o�, par exemple, pour Pierre il s'agirait du plateau-'vaisselle' et pour Paul du plateau g�ographique. Si on applique ce test au sens sous-d�termin�, on constate que les interpr�tations crois�es sont cette fois-ci permises. L'�nonc� Marie attend un enfant, Berthe aussi donne lieu � quatre lectures, deux d'identit� (une o� Marie et Berthe attendent toutes les deux une fille et une o� ils attendent un gar�on), mais aussi deux de non identit� (une o� Marie attend un gar�on et Berthe une fille et l'autre o� c'est l'inverse). Trouvent leur place �galement ici les relatives qui en cas de lectures non r�ductibles ne permettent pas une divergence r�f�rentielle entre l'ant�c�dent et le pronom relatif (cf. J'aime faire des promenades sur le plateau qu'a achet� Pierre pour compl�ter la vaisselle). Il en va de m�me pour les anaphores r�alis�es par les pronoms de 3e personne (Ce plateau est tr�s fr�quent�. Il est en fa�ence), qui permettent de rectifier certaines analyses op�r�es � propos d'un �nonc� tel que Georges Sand est sur l'�tag�re de gauche : contrairement � ce que l'on pourrait attendre, un tel �nonc� ne se pr�te qu'� une anaphore sur l'�crivain et non sur les oeuvres (Georges Sand est sur l'�tag�re de gauche. Tu verras, elle �crit divinement / * Georges Sand est sur l'�tag�re de gauche. Elle / ils est / sont reli�(s) en cuir) (Kleiber, 1994 et 1999).
+Troisi�mement, le crit�re de distribution diff�rente (ou de cooccurrence diff�rentielle selon Mel'Cuk, Clas et Polgu�re, 1995) est une autre manifestation de la non-unifiabilit�. L'id�e sous-jacente est que la dissociation des sens se traduit aussi par une dissociation distributionnelle. Ou, autrement dit, la non-unifiabilit� des lectures appara�t dans une non unification distributionnelle correspondante : si on peut d�gager deux ensembles disjoints de cooccurrents (morphologiques, syntaxiques ou lexicaux) tels que l'un correspond � S1 et l'autre � S2, alors on a sens multiple (Mel'Cuk, Clas et Polgu�re, 1995). Citons ici le cas classique du verbe regarder souvent utilis� pour prouver l'efficacit� du crit�re de diff�renciation distributionnelle dans la s�paration du sens locatif ('�tre tourn� vers') du sens standard perceptuel actif. Les exemples parlent d'eux-m�mes :
+Paul regarde la montagne+
Paul a regard� la montagne+
L'�glise regarde la montagne+
*L'�glise a regard� la montagne+
Ce match a �t� regard� par toute la population+
* La montagne a �t� regard�e par l'�glise+
Paul a regard� intentionnellement la montagne+
*L'�glise regarde intentionnellement la montagne+
Deux remarques sont n�cessaires. La premi�re concerne la diversit� des faits syntagmatiques � prendre en compte : constructions, contraintes s�lectionnelles, collocations, etc. : tous n'ont pas la m�me importance et il conviendrait d'�tablir une hi�rarchie pour voir lesquels l'emportent sur d'autres. Deuxi�mement, ce crit�re de distribution diff�rentielle est un des crit�res auxquels on a recours le plus fr�quemment pour prouver les faits de sens multiples, mais il faut souligner que, plut�t qu'un crit�re de reconnaissance, c'est plus une manifestation de la pertinence d'une pluralit� de sens d�j� diagnostiqu�e autrement, qu'elle peut donc venir appuyer ou confirmer, mais non reconna�tre elle-m�me. Nous voulons dire par l� que l'utilisation de ce crit�re � l'aveugle, c'est-�-dire sans d�limitations s�mantiques d�j� effectu�es conduit bien vite � des impasses. La raison en est bien simple. On a pour la majorit� des sens ou lectures des diff�rences de cooccurrence (dans le sens large indiqu� ci-dessus). Si l'on s'en tenait donc uniquement � de telles diff�rences sans contr�le s�mantique et si l'on consid�rait ces diff�rences comme d�cisives pour la d�limitation du sens multiple, il faudrait conclure � autant de sens diff�rents que de ph�nom�nes distributionnels diff�rents. Notre mise au point montre ainsi que ce crit�re est le plus efficace l� o� les diff�rences interpr�tatives sont les plus nettes et s'av�re beaucoup plus fragile ou d�licat � manipuler l� o� les h�sitations sont permises (y a-t-il diff�rence d'interpr�tation ou non ?). C'est, dans ce dernier cas, que les analyses peuvent diverger, parce qu'elles se servent de tel ou tel fait de cooccurrence diff�rentielle pour faire basculer le sens vers le multiple ou non.
+La non-unifiabilit� se laisse aussi appr�hender au niveau paradigmatique : l'hypoth�se est qu'il n'y a pas de relations au niveau paradigmatique qui conduiraient ou induiraient une union des deux unit�s de sens (ou plus) test�es. Les sens disjoints test�s pr�senteraient ainsi des ensembles de relations lexicales paradigmatiques disjointes, en autonomie relationnelle (Croft et Cruse, 2004, 113).
+En premier, lieu, l'absence d'hyperonyme pour couvrir lexicalement les deux lectures est un �cho direct de la non-unifiabilit� s�mantique. S'il y a un hyperonyme disponible pour � coiffer � les diff�rentes lectures, on peut en conclure qu'il n'y a pas sens multiple. Le sens g�n�ral ou vague se trouve ainsi d�finitoirement �limin�. L'inverse n'est bien entendu pas vrai : l'absence d'hyperonyme ne signifie pas automatiquement qu'il y a sens multiple.
+En deuxi�me lieu, la synonymie (intra- et interlinguistique) s'av�re �tre fort utile : le test consiste � montrer que deux lectures non unifiables ont �galement deux ensembles de synonymes disjoints, non unifiables. On se contentera de citer sans le commenter l'exemple de l'adjectif juste emprunt� � Gross (1998, 111) :
+juste / N0 : hum / Sy : droit, int�gre, honn�te+
juste /N0 : hum /N1 : avec hum / Sy : �quitable, impartial+
juste / N0 : action <r�compense, punition> / Sy : l�gitime, justifi�, fond�+
juste / N0 : action <calcul, d�duction> / Sy : correct, exact+
juste / N0 : inc (= inanim� concret) <v�tement> / Sy :�troit, �triqu�+
juste / N0 :inc <instr de mesure> /Sy : exact, pr�cis+
juste / N0 : inc <instr de musique> / Sy : accord�+
On ajoutera que, tout comme les collocations (cf. supra), la synonymie est aujourd'hui au premier plan dans les affaires polys�miques. Certains vont jusqu'� en faire l'instrument principal d'une approche de la polys�mie : � On peut repr�senter la polys�mie (ou dans la terminologie de la s�mantique lexicale europ�enne, le champ s�masiologique) d'une unit� lexicale sous la forme d'un espace s�mantique pr�sentant autant de dimensions que de synonymes qui lui sont associ�s � (Fran�ois, Victorri et Manguin, 2005, 175).
+La synonymie appelle tout naturellement l'antonymie : la dissociation de deux lectures peut se manifester �galement dans l'existence d'antonymes diff�rents, non r�ductibles � un antonyme sup�rieur : si l'on a une valise l�g�re comme un caf� l�ger, l'on n'aura pas face � une valise lourde, un *caf� lourd.
+En quatri�me lieu, des d�riv�s diff�rents selon le sens peuvent aussi venir appuyer une dissociation interpr�tative. (cf. le crit�re de d�rivation diff�rentielle de Mel'Cuk, Clas et Polgu�re, 1995, 68). Ainsi les trois lectures d'�lever dans a), b) et c) donnent lieu � des d�riv�s diff�rents (exemple de Mel'Cuk, Clas et Pogu�re, 1995, 68) :
+a) Toute sa vie, Jeanne a �lev� des enfants (par exemple, elle est une jardini�re d'enfants)+
b) Toute sa vie, Jeanne a �lev� des cochons (par exemple, elle est une fermi�re)+
c) Toute sa vie, Jeanne a �lev� du vin+
Pour b), il y a le nom d'action d�riv� �levage (Jeanne s'occupe d'�levage de cochons), le nom d'agent �leveur / �leveuse (Jeanne est �leveuse de cochons). Pour a) ces d�rivations sont impossibles : * �levage d'enfants, *�leveur d'enfants, mais on a des d�riv�s lexicaux (des suppl�tifs) : �ducation, formation, instituteur, jardini�re d'enfants. Pour c), on n'a pas *�levage de vin, mais �leveur de vin.
+Il y aurait d'autres pistes � creuser, celle des champs s�mantiques notamment, mais pour nous l'essentiel est d'avoir montr� la diversit� des faits paradigmatiques qui peuvent venir conforter l'existence de sens non unifiables. Il faut se rappeler que ces crit�res ne sont pas d�cisifs - Cruse (1986) parle de tests indirects - car leur caract�re paradigmatique suppose leur d�tachement pr�alable et leur stabilisation par rapport aux configurations syntagmatiques qui les actualisent.
+G�n�ralement, on fait comme si les crit�res de non-unifiabilit� suffisaient pour garantir le caract�re polys�mique des sens diff�rents examin�s. Nous avons toutefois bien soulign� que la propri�t� de non-unifiabilit� n'�tait � elle seule pas d�cisive, parce qu'elle ne garantissait pas que les sens d�clar�s antagonistes ou irr�ductibles �taient v�ritablement des sens associ�s � l'unit� lexicale. Mis � part les tests paradigmatiques, parce qu'ils supposent une stabilisation lexicale hors contexte, beaucoup de tests que nous avons vus s'appliquent � des ph�nom�nes de variation interpr�tative qui ne rel�vent pas de la polys�mie parce qu'ils ne poss�dent pas la deuxi�me propri�t� postul�e, � savoir la robustesse ou autonomie par rapport au discours. Dans ses diff�rents travaux (voir bibliographie), Cruse insiste sur ce point en montrant qu'une variation de sens comme celle de la c�l�bre � omelette � ('plat' et 'client qui a command� ce plat') :
+L'omelette est parti(e) sans payer+
r�pondait aux crit�res des sens antagonistes, mais ne pouvait pr�tendre au statut de polys�mie, parce qu'elle restait une lecture d � circonstance �. La v�rification de son caract�re non unifiable est facile � faire : pas de cat�gorie ni de sens subsumant possible, pas d'unifiabilit� des lectures et peu de tentatives m�me chez les monos�mistes pour trouver un invariant aux deux lectures. Les tests syntagmatiques confirment cette analyse : pas d'interpr�tation g�n�rique � coiffante � possible, cooccurrence discursive des deux lectures impossible (*L'omelette est trop sal�e et est assise � la troisi�me table), contrainte d'identit� n�cessaire (pas de lecture crois�e possible pour Pierre a servi l'omelette, Paul aussi, pas de divergence dans une phrase avec relative * L'omelette, qui �tait trop sal�e, est parti(e) sans payer), etc. Les tests paradigmatiques, comme d�j� annonc�, ne s'y appliquent gu�re, pr�cis�ment parce qu'une des lectures (celle du 'client') n'est pas reconnue comme �tant un sens stabilis� � rattacher en propre � l'unit� lexicale omelette.
+Deux conditions doivent �tre remplies pour que l'on puisse parler de lectures propres � l'unit� lexicale, de lectures qui n'�mergent pas seulement au niveau syntagmatique, mais qui ont �galement acquis un statut paradigmatique. Premi�rement, elles doivent bien avoir pour source l'unit� lexicale en question et non pas une autre source. En second lieu, elles doivent �tre assez robustes pour avoir une existence hors discours, au niveau de l'unit� lexicale.
+La premi�re condition permet d'�liminer deux types de situations de sens multiple : les lectures accroch�es aux locutions fig�es (noms compos�s compris) et celles qui sont le produit de m�canismes polys�miques plus g�n�raux.
+Dans le premier cas, �tant donn� la non compositionnalit� s�mantique de l'expression fig�e, on ne peut reporter sur un constituant une partie ou le sens global de l'ensemble de l'expression. On ne saurait, pour reprendre un exemple classique de la litt�rature, parler de la multiplicit� de sens d'arbre en y faisant entrer la lecture correspondant � arbre � came, parce qu'arbre dans arbre � came n'est pas libre et donc l'interpr�tation qu'on associe � arbre � came ne saurait �tre r�percut�e sur celle d'arbre. Il s'agit d'une question cruciale, puisqu'une bonne partie des d�tracteurs de la notion de polys�mie, non seulement int�grent ce type d'expressions fig�es, mais les consid�rent comme meilleurs pour l'exploration du sens de l'unit� lexicale que les emplois � libres �.
+Le second cas a �t� d�j� �t� abord� ci-dessus. Les polys�mies appel�es r�guli�res ou syst�matiques, quel que soit leur degr� de g�n�ralit�, ont pour caract�ristique de ne pas �tre d�pendantes de l'unit� lexicale pr�cise qui les actualise, mais de grandes r�gles (cognitives ou autres). Il s'ensuit que, comme l'ont soulign� tous ceux qui ont mis en avant ce type de transferts s�mantiques, on ne saurait porter les lectures obtenues par ces r�gles au cr�dit des unit�s lexicales qui les manifestent. Reprenons ici le cas de l'omelette qui est partie sans payer : le transfert m�tonymique s'applique � tout plat command� et ne concerne donc pas directement le lex�me omelette et, partant, interdit d'associer � omelette directement le sens de 'client qui a command� une omelette'. En abordant la deuxi�me condition on verra qu'il y a une deuxi�me raison � ne pas effectuer un tel choix.
+La deuxi�me condition impose le d�tachement vis-�-vis du discours, l'autonomie vis-�-vis du contexte ou de la situation, propri�t� qui permet de parler de la robustesse ou de la force des lectures puisque celles-ci subsistent dans ce cas aux situations discursives qui les ont fait �merger. Qu'on ne se m�prenne pas : cela ne veut pas dire que la compr�hension ne n�cessite pas une situation discursive pr�cise (et que donc la lev�e d'ambigu�t� possible ne s'op�re pas par le contexte). Ce qu'il faut entendre par l�, c'est uniquement que les lectures ont acquis assez d'ind�pendance pour appara�tre comme une propri�t� du lex�me et non plus seulement comme la cons�quence d'une construction discursive. Autrement dit, les lectures qui pr�tendent au statut de polys�mie ne peuvent pas �tre seulement des lectures de circonstance, qui ne survivent pas � la situation qui les a produites, mais doivent avoir gagn� leur pertinence au niveau m�me de l'unit� lexicale.
+Se trouvent exclus en cons�quence tous les emplois � figur�s � circonstanciels (cf. m�taphores vives et autres tropes cr�atifs), qui ne sont pas stabilis�s au niveau de l'unit� lexicale. La chose n'a rien d'�tonnant, �tant donn� que ce type de d�calage s�mantique � rh�torique � n'est g�n�ralement pas retenu dans la probl�matique de la polys�mie.
+Plus int�ressants par contre se r�v�lent les transferts de sens plus ou moins r�guliers d�j� entrevus ci-dessus, lors de la premi�re condition, parce que ce sont des candidats s�rieux au statut de polys�mie et qu'ils permettent de mieux voir en quoi consiste la question de l'autonomie ou non-autonomie circonstancielle, de la robustesse ou non des lectures en jeu. Soit une nouvelle fois donc notre exemple de l'omelette partie sans payer. Qu'il s'agit d'une lecture non robuste, non autonome, transpara�t � trois niveaux : situationnel, syntagmatique et paradigmatique.
+Au premier niveau, on note une limitation situationnelle tr�s forte, signal�e par Cruse (2003). Il semble difficile de pouvoir utiliser, sans faire sourire (on retombe alors sur le cas des emplois figur�s cr�atifs), le SN l'omelette pour le client en dehors de la situation que repr�sente le restaurant avec ses clients et ses serveurs (ou une autre situation impliquant des plats). De fa�on plus pr�cise encore, il faut que celui qui utilise l'expression l'omelette ainsi soit dans une situation qui l�gitime une telle utilisation. On comprend pourquoi le serveur puisse s'en ...servir (!) : le client existe pour lui avant tout par l'interm�diaire du plat command�. Il est beaucoup plus difficile, mais non impossible, qu'une autre personne pr�sente dans le restaurant d�signe ainsi l'omelette en question. On pourrait citer ici bien d'autres cas, comme celui de Je suis gar� pas loin d'ici (Kleiber, 1995 et 1999) qui ne peut se concevoir que dans la situation o� le locuteur est effectivement � automobiliste �. S'il est assis dans son salon en train de regarder la t�l�, il ne pourra dire : je suis gar� dans mon garage, m�me si sa voiture est effectivement gar�e dans son garage. De m�me on ne peut avoir Schumacher perd de l'huile que s'il est en train de rouler en voiture.
+Au deuxi�me niveau, on observe que les pr�dicats qui accompagnent les expressions d�cal�es sont beaucoup plus restreints que l'aire pr�dicative d�limit�e par le sens du r�f�rent d�sign�. C'est ainsi que George Sand peut �tre sur l'�tag�re de gauche (Georges Sand est sur l'�tag�re de gauche), mais on ne saurait avoir, comme on pourrait l'attendre de la s�lection op�r�e par le sens 'les oeuvres ou livres de l'�crivain ainsi nomm�', Georges Sand est tomb� par terre (m�me dans la situation o� les livres de Georges Sand de l'�tag�re en question sont tomb�s par terre). On notera inversement - ce qui est r�v�lateur �galement - que ce sens d'omelette n'a quasiment pas de collocations sp�cifiques comme les lectures multiples � statut polys�mique.
+Au troisi�me niveau, enfin, toutes ces lectures n'ont pas acc�s aux relations paradigmatiques, qui marquent pr�cis�ment par d�tachement syntagmatique l'accessibilit� au statut paradigmatique de sens lexical, c'est-�-dire son rattachement � l'unit� lexicale. Cruse (2003) a fort bien not� ce manque de robustesse � propos de l'exemple de l'omelette. M�me si les sens 'plat' et 'client qui a command� ce plat' sont non unifiables, comme nous l'avons vu, la lecture 'client qui a command� ce plat' n'acc�de pas au niveau des relations s�mantiques qui structurent le lexique. Il n'a pas acquis le statut d'hyponyme de 'client' et donc client n'est pas son hyperonyme (? Les omelettes et autres clients) et, contrairement aux autres exemples de sens multiple que nous avons mentionn�s ci-dessus il n'entre pas dans des r�seaux de synonymie, d'antonymie et ne donne pas lieu � des d�riv�s sp�cifiques.
+Il existe donc bien, ce sera notre conclusion, des variations interpr�tatives qui ont des propri�t�s particuli�res, la non-unifiabilit� et une autonomie discursive, qui se traduisent, comme nous avons essay� de le montrer, par des manifestations syntagmatiques et paradigmatiques sp�cifiques. On ne saurait nier ces manifestations linguistiques : si pour telle situation de sens multiple une anaphore ne peut s'�tablir ou s'il n'est pas possible de coordonner des constituants qui activent les diff�rentes interpr�tations sans effet de zeugme ou si encore telle lecture conna�t des relations paradigmatiques que telle autre ne conna�t pas, c'est que ces propri�t�s sont des propri�t�s empiriques, qui prouvent in fine qu'il ne s'agit pas d'un artefact d� � une tradition logico-grammaticale qui a toujours bon dos ou � je ne sais quel autre commode �pouvantail th�orique que l'on agite avec une opacifiante gourmandise non dissimul�e. Et, partant, ces donn�es prouvent aussi que la mise en avant de variations interpr�tatives qui pr�sentent la conjonction des deux propri�t�s n'est pas non plus artificielle. Il ne s'agit, bien entendu, pas encore de polys�mie, puisque celle-ci n�cessite en plus une analyse interne des lectures qui mette au jour la ou les relations unissant ces lectures, point que nous n'avons pas abord� ici. Et on peut, si on le d�sire, refuser le terme de polys�mie et celui d'homonymie. Ce n'est apr�s tout qu'une affaire d'�tiquettes. Mais ce que l'on ne saurait refuser, c'est que certaines interpr�tations multiples ont des propri�t�s empiriques particuli�res qui font qu'elles sont linguistiquement pertinentes au niveau de l'unit� lexicale elle-m�me et non plus seulement du discours. C'est ce point, souvent ni� aujourd'hui, qui me semble essentiel. Pour le dire autrement, si en mati�re de polys�mie tous les sens ne sont pas permis, la polys�mie elle-m�me n'est pas un sens interdit.
+libre de droits
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Alors que l'impact de la th�orie de l'information dans les diverses sciences a �t� �tudi�e de fa�on approfondie (voir entre autres Auroux 1990, Segal 2003), la r�ception de cette th�orie en linguistique est loin d'avoir fait l'objet d'une �tude syst�matique, notamment dans le domaine fran�ais. Dans notre article, nous nous int�resserons � l'importation de la th�orie de l'information dans l'oeuvre de trois linguistes, Emile Benveniste (1902 - 1976), Andr� Martinet (1908 - 1999) et Jean Dubois (n� en 1920) qui se sont explicitement int�ress�s � cette nouvelle th�orie dans les ann�es 1960, et lui ont fait une part plus ou moins grande dans leurs ouvrages de linguistique g�n�rale.
+Le r�le de passeur de Roman Jakobson (1896 - 1982), avec la syst�matisation de l'analyse des traits distinctifs en phonologie et la mise en place du sch�ma et des fonctions de communication, est ind�niable. Nous attacherons toutefois � montrer qu'il existe une filiation sp�cifique de la th�orie de l'information dans la linguistique fran�aise des ann�es 1960, en partie distincte de l'influence de Jakobson et empruntant d'autres itin�raires parfois compl�mentaires.
+On a d�j� montr� que les statistiques de vocabulaire, au moment de l'informatisation du langage et des premiers travaux en traduction automatique, a pr�sid� au renouvellement de la lexicologie au sein de la linguistique structurale fran�aise des ann�es 1960, en permettant de concevoir de nouvelles unit�s linguistiques, les unit�s lexicales compos�es (L�on 1998, L�on 2004). Ainsi, les trois linguistes que nous allons consid�rer ont aussi �t� des acteurs importants du renouveau de la lexicologie par la cr�ation d'unit�s lexicales compos�es : Benveniste et ses synapsies, Martinet et ses synth�mes et Dubois et ses unit�s complexes au sein de classes d'�quivalence. Dans cet article, nous montrerons que ce sont �galement les �tudes statistiques appliqu�es aux mots dans les textes qui ont contribu� � l'introduction en linguistique de la th�orie de l'information.
+Afin d'appr�hender les enjeux pour la linguistique des ann�es 1960 de l'attrait pour cette th�orie, nous nous nous appuierons sur l'examen du terme information tel qu'il est apparu dans les ouvrages de ces linguistes. De fa�on plus g�n�rale, nous nous demanderons s'il y a lieu de parler, dans ce cas pr�cis, de transfert de concepts et de m�thodes entre math�matiques et sciences du langage1.
+Le rapport entre termes, notions et concepts est certes complexe et l'�tude de la r�ception d'une th�orie � partir de l'examen d'un mot particulier n'est possible que si certaines conditions sont remplies : il faut identifier le moment d'importation du terme, savoir si celui-ci n'a pas d�j� �t� utilis� dans le champ disciplinaire o� il est import�, en l'occurrence les sciences du langage ; il faut rep�rer si le terme est import� seul ou avec un ensemble de termes (une constellation de termes) ; enfin il faut parvenir � d�terminer la fa�on dont s'effectue la migration du terme d'une discipline � une autre.
+Le terme information semble r�pondre � ces exigences :
+Selon le Robert historique, le sens usuel d'information renvoie depuis le d�but du XXe si�cle soit � l'action de rassembler des renseignements ou des connaissances, soit � cet ensemble lui-m�me.
+(1) Le mot se sp�cialise dans la seconde moiti� du XIXe si�cle d�signant l'action de prendre des renseignements (voyage d'information, 1867). Le sens aujourd'hui le plus usuel appara�t sous la IIIe R�publique avec le d�veloppement de la presse : il s'agit alors de l'information que l'on porte � la connaissance d'un public (1886, Zola); d'o� au d�but du XXe si�cle, les acceptions "ensemble des informations"et "action d'informer les publics".+
C'est d'ailleurs le sens de l'unique occurrence d'information dans le Cours de linguistique g�n�rale. Celle-ci appara�t dans le chapitre sur la linguistique diachronique : � L'histoire seule peut nous renseigner... Mais d�s que l'information historique est en d�faut, il est bien difficile de d�terminer ce qui est agglutination et ce qui rel�ve de l'analogie� (Saussure, CLG :245).
+Face � cet usage 'ordinaire', le sens technique d'information pr�sente les caract�ristiques suivantes (voir Shannon et Weaver 1949, Moreau 1964, Auroux 1990, Segal 2003) :
+Dans ce mod�le, l'information est une notion non s�mantique. C'est une quantit� abstraite qui qualifie le message ind�pendamment de sa signification. La signification du message, son contenu, ne sont pas consid�r�s comme un �l�ment pertinent : ce qui est transmis, c'est une forme et non un sens.
+En 1951, Beno�t Mandelbrot (n� en 1924) publiait deux compte-rendus � l'Acad�mie des sciences sur la th�orie de l'information intitul�s M�canique statistique et th�orie de l'information et visant � la g�n�ralisation de la loi de Zipf (1902 - 1950) concernant le traitement statistique du vocabulaire dans les textes. Ces compte-rendus seront repris en 1954 sous forme d'un article destin� aux linguistes dans la revue Word. Celui-ci, intitul� Structure formelle des textes et communication, est le premier article en fran�ais appliquant les notions math�matiques de la th�orie de l'information � des objets linguistiques. Il faut noter que la publication de ces compte-rendus pr�c�dent de peu la publication du rapport de Jakobson, Fant et Halle au MIT en 1952, Preliminaries to Speech Analysis, ayant pour objectif d'appliquer la th�orie de l'information � l'analyse des traits distinctifs en phonologie. En France, malgr� cette parution quasi simultan�e, la communaut� des linguistes s'est fait davantage l'�cho des travaux de Mandelbrot et de leur importance pour les statistiques lexicales. Quant aux travaux de Jakobson, ils ont �t� connus en France de fa�on tr�s diverse et tr�s variable dans le temps. Alors que certains ont eu acc�s d�s leur parution aux travaux du d�but des ann�es 1950 en phonologie, d'autres ont connu en premier les travaux ult�rieurs sur les fonctions de communication au moment de leur traduction en fran�ais dans les Essais de linguistique g�n�rale, � savoir seulement en 1963. Cette diversit� d'acc�s aux premiers travaux d'introduction de la th�orie de l'information en linguistique explique en partie la singularit� fran�aise de cette r�ception.
+Il n'est pas le lieu ici d'�tudier en d�tail le r�le de passeur de Jakobson ni sa conception de la th�orie de l'information. Ses premiers travaux d'application de la th�orie de l'information � la phonologie (Jakobson et al. 1952, Cherry et al. 1953, Jakobson and Halle 1956) ont �t� lus tr�s tardivement en France. Rappelons que les Essais de linguistique g�n�rale, parus en 1963, ne comprennent pas ces travaux. Seul, Martinet, � New York jusqu'en 1955 et encore tr�s ami avec Jakobson qui l'avait introduit dans les milieux universitaires am�ricains, cite les Preliminaries d�s leur parution (Martinet, 1952). Mandelbrot, quant � lui, cite sans v�ritablement les commenter les Preliminaries dans son article de Word de 1954 (probablement parce que la phonologie n'est pas son objet).
+Dans Preliminaries to Speech Analysis. The Distinctive Features and their Correlate, Jakobson, Fant et Halle se proposent d'effectuer le traitement math�matique de l'information port�e par les traits distinctifs dans un message et d'�tudier leur pouvoir informationnel dans un code linguistique donn�. Ils empruntent � Shannon son sch�ma de communication avec code, encodeur/ locuteur et auditeur/ d�codeur et transmission d'information : un trait distinctif est reconnu par le r�cepteur s'il appartient au code commun � lui et � l'�metteur, s'il est transmis correctement et s'il atteint le r�cepteur. Ils montrent l'int�r�t de la redondance qui augmente la fiabilit� de la communication parl�e en la rendant r�sistante aux diff�rentes sources de distortion. Enfin, ils empruntent � la th�orie de l'information son analyse en termes binaires des processus de communication :
+(2) Information Theory uses a sequence of binary selections as the most reasonable basis for the analysis of the various communication processes. It is an operational device imposed by the investigator upon the subject matter for pragmatic reasons. In the special case of speech, however, such a set of binary selections is inherent in the communication process itself as a constraint imposed by the code on the participants in the speech event, who could be spoken of as the encoder and the decoder. (Jakobson et al., 1952 :9).+
Le fait de traiter le message oral et le code sous-jacent en unit�s discr�tes binaires est emprunt� � Markov (1856 - 1922) via Shannon (1916 - 2001). Pour les auteurs, les traits distinctifs ont un caract�re universel. Ceux-ci sont limit�s � douze, cependant aucune des langues ne contient l'ensemble de ces traits. Leur incompatibilit� ou leur cooccurrence � l'int�rieur d'une m�me langue et d'un m�me phon�me est d�termin�e par des lois d'implication universellement valides ou bien une grande probabilit� statistique. Cette probabilit� permet d'�liminer les traits hautement probables et de diminuer la redondance
+Enfin les auteurs privil�gient les traits acoustiques aux traits articulatoires qui ne transmettent pas d'information directe au r�cepteur :
+(3) In decoding the message received (A), the listener operates with the perceptual data (B) which are obtained from the ear responses (C) to the acoustical stimuli (D) produced by the articulatory organs of the speaker (E). The closer we are in our investigation to the destination of the message (ie its perception by the receiver), the more acurately we can gage the information conveyed by its sound shape. This determines the operational hierarchy of levels of decreasing pertinence : perceptual, aural, acoustical, and articulatory (the latter carrying no direct information to the receiver). ( Jakobson et al., 1952 :12).+
Dans le texte de Language 1953, Cherry, Halle et Jakobson appliquent la th�orie de l'information � la description phon�mique des langues et en particulier � un corpus de conversations russes enregistr�es. Il s'agit de d�terminer le nombre de traits distinctifs (11 en l'occurrence) n�cessaires � l'auditeur pour diff�rencier les unit�s de sens minimale du code, � savoir les morphemes et leur combinaison en mots, sans l'aide du contexte. A partir de l� toutes les autres diff�rences phon�tiques des morph�mes et des mots seront pr�dictibles et consid�r�es comme redondantes. Ces articles seront suivis du petit essai Fundamentals of Language sign� de Halle et Jakobson et paru en 1956, et de cinq articles parus en 1953, 1959 et 1960 (traduits dans les Essais de linguistique g�n�rale) o� Jakobson d�veloppera les fonctions communicatives du langage.
+Les scientifiques fran�ais s'int�ressent � la cybern�tique et � la th�orie de l'information tr�s t�t. En 1947, le math�maticien Szolem Mandelbrojt (1899 - 1983) invite Norbert Wiener(1894 - 1964) � un colloque � Nancy. Celui-ci se voit offrir la possibilit� de publier en France un ouvrage sur le caract�re unificateur de la cybern�tique. C'est ainsi que Cybernetics fut publi� en 1948 conjointement par les Editions Hermann � Paris et par les MIT Press et John Wiley & Sons aux Etats-Unis.
+En 1949, L�on Brillouin (1889 - 1969), membre de l'Ecole des Hautes �tudes de New York depuis 1941, promeut la th�orie de l'information en physique. En 1950, Louis de Broglie (1892 - 1987) organise une s�rie de conf�rences ayant pour titre "Cybern�tique. Th�orie du signal et de l'information"qui conduisit � la reconnaissance de la th�orie de l'information comme science autonome. Dans sa th�se publi�e en 1953, Marcel-Paul Sch�tzenberger (1920 - 1996) insiste sur le caract�re unificateur pour les sciences de la th�orie de l'information3.
+Dans ce contexte, le math�maticien Beno�t Mandelbrot joue un r�le cl� dans l'introduction de la th�orie de l'information dans la linguistique en France. Polytechnicien, neveu de Szolem Mandelbrojt, il compl�tera sa formation aux Etats-Unis (Californie en 1948 - 49, Princeton et MIT en 1951 - 53), et est charg� de relire les �preuves de l'ouvrage Cybernetics de Wiener. Il soutient sa th�se d'�tat en 1952 sur l'interaction entre th�orie des jeux et th�orie de l'information. Il montre que la thermodynamique comme les propri�t�s statistiques du langage peuvent �tre expliqu�es comme les r�sultats de jeux entre nature et �metteur. Mandelbrot fait partie, aux c�t�s de Shannon,Wiener et Jakobson, du comit� de lecture de la revue Information and Control, fond�e en 1958 par Brillouin, Peter Elias et Colin Cherry (co-auteur avec Jakobson et Halle de l'article de Language de 1953).
+Dans son article de Word paru en 1954 "Structure formelle des textes et communication", premi�re publication en fran�ais sur l'application de la th�orie de l'information � des objects linguistiques, Mandelbrot critique la loi d'Estoup et Zipf qui pr�suppose que les mots-formes (formes fl�chies) auraient des propri�t�s intrins�ques dans un texte. Il propose � la place une th�orie canonique, fond�e sur la th�orie de l'information et les formes vides (de sens) dont la loi de Zipf ne serait qu'un cas particulier. Cet article a ouvert la voie � nombre de travaux en statistiques lexicales, plus ou moins inspir�s de Shannon et Weaver et de Zipf, prenant le relais des �tudes de vocabulaire tr�s d�velopp�es en France dans les d�cennies pr�c�dentes4. A partir de 1954, Pierre Guiraud (1912 - 1983), dans une version tr�s contest�e par les statisticiens, dont Mandelbrot lui-m�me, poursuit les travaux de statistiques lexicales en diffusant la th�orie de l'information aupr�s des linguistes et en promouvant le terme de statistique linguistique (Guiraud 1954, 1960).
+Le Bulletin de la Soci�t� de Linguistique de Paris est un bon observatoire de cette diffusion aupr�s des linguistes. Les compte-rendus d'ouvrage sur les statistiques lexicales se multiplient dans les ann�es 1950, de m�me que les expos�s au sein de la Soci�t� elle-m�me et les articles publi�s dans le BSL : compterendus de Mandelbrot par Guiraud, et de Guiraud par Mandelbrot, compte-rendu de Herdan (1956) par Mandelbrot. Benveniste et Martinet ont tous deux r�dig� dans le BSL des compte-rendus d'ouvrages sur l'application de la th�orie de l'information par des linguistes ou psychologues am�ricains. Dans le m�me tome (T.53,1957 - 58), un compte-rendu tr�s critique par Benveniste de l'ouvrage de Joshua Whatmough Language. A Modern Synthesis (1956) est suivi de deux compte-rendus de Martinet : l'un assez n�gatif de Language and Communication de G-A. Miller (1951, tr. fran�aise 1956), l'autre plus �logieux de l'ouvrage de Vitold Belevitch Langage des machines et langage humain (1956) que Martinet consid�re comme une bonne introduction � la th�orie de l'information � destination des linguistes. La contribution, plus tardive, de Dubois consiste en un compte-rendu de la parution en fran�ais des Essais de Linguistique g�n�rale de Jakobson dans le Fran�ais Moderne (1964).
+Benveniste, Martinet et Dubois comptent parmi les linguistes fran�ais, hors ceux bien s�r qui se sont consacr�s aux statistiques lexicales, � s'�tre int�ress�s � la th�orie de l'information au point de tenter de l'int�grer dans leurs travaux.
+Chacun des deux tomes des Probl�mes de Linguistique g�n�rale (PLG) comporte une partie intitul�e 'Communication'. Dans les index figurent un certain nombre de mots appartenant � la constellation des termes du domaine : information, codage, communication, cybern�tique et signal, dans le tome 1. Le tome 2 semble plus pauvre, on y trouve seulement th�orie de l'information, communication et nonredondance.
+Ces termes ne sont pas tr�s fr�quents dans le texte. Si l'on s'en tient � information, il n'y a que 7 occurrences dans le tome 1, et 4 dans le tome 2 dont 3 th�orie de l'information. Le terme information est toujours utilis� dans son acception ordinaire, comme par exemple dans les trois extraits suivants, o� il s'agit d'une information ou de l'information + d�terminant, et jamais dans le sens technique d'une quantit� abstraite :
+(4) Ici l'information du N.E.D. est en d�faut (PLG, T1 :342).+
Il [l'homme parlant] veut lui [interlocuteur] transmettre un �l�ment de connaissance, ou obtenir de lui une information, ou lui intimer un ordre. Ce sont les trois fonctions interhumaines du discours qui s'impriment dans les trois modalit�s de l'unit� de phrase, chacune correspondant � une attitude du locuteur (PLG, T1 :130).+
En d�crivant, il y a quelques ann�es, les formes subjectives de l'�nonciation linguistique, nous indiquions sommairement la diff�rence entre je jure, qui est un acte, et il jure, qui n'est qu'une information (PLG, T1 :270).+
Quant � la th�orie de l'information, Benveniste se contente de citer cette nouvelle th�orie sans que sa mise en oeuvre th�orique soit r�ellement envisag�e. Comme la traduction automatique, la th�orie de l'information offre de nouvelles techniques qui s'av�rent probablement tr�s prometteuses pour les sciences du langage, mais dans un horizon qui reste ind�termin�. Ainsi, en conclusion du chapitre I-2, intitul� Coup d'oeil sur le d�veloppement de la linguistique, Benveniste aborde les nouvelles techniques permettant le d�veloppement de la symbolisation du langage dont les th�ories de l'information5 :
+(5) Par ailleurs on sait que les descriptions formelles des langues ont une utilit� directe pour la construction des machines logiques aptes � effectuer des traductions, et inversement on peut esp�rer des th�ories de l'information quelque clart� sur la mani�re dont la pens�e est cod�e dans le langage (PLG, T1 :30 - 31).+
Benveniste fait un parall�le entre phrase et mots comme unit�s de la s�mantique, et message et unit�s de codage pour la th�orie de l'information (ici � prendre au sens de sch�ma de communication) dont il postule une organisation syntagmatique. On sait que, pour Benveniste, une phrase est un �nonc� de caract�re n�cessairement s�mantique consid�r� dans son � emploi instantan�, spontan�, personnel � (PLG, T2 :232) :
+(6) Que l'id�e ne trouve forme que dans un agencement syntagmatique, c'est l� une condition premi�re, inh�rente au langage.... il [le linguiste] peut seulement conjecturer que cette condition toujours n�cessaire refl�te une n�cessit� de notre organisation c�r�brale. On retrouve dans les mod�les construits par (la th�orie de l'information la m�me relation entre le message et les unit�s pro(bables du codage. (PLG, T2 :226)+
Plus haut il indique que le mot est � l'unit� n�cessaire du codage de la pens�e � (PLG, T2 :225). C'est donc une interpr�tation tr�s personnelle que Benveniste propose de la th�orie de l'information puisque ses unit�s de codage sont des unit�s s�mantiques qui s'av�rent tout � fait en contradiction avec les unit�s d'information de Shannon et Weaver, quantit�s d�pourvues de sens.
+Ainsi, bien que Benveniste nous indique la voie en proposant dans son texte Gen�se du terme 'scientifique', d'examiner la gen�se d'une discipline scientifique � partir des termes (dont le terme information d'ailleurs), lui-m�me ne semble pas faire grand cas de l'information :
+(7) Nous tenons donc l'apparition ou la transformation des termes essentiels d'une science pour des �v�nements majeurs de son �volution. ... Les termes instructifs sont ceux qui s'attachent � un concept neuf d�sign� � partir d'une notion th�orique (civilisation, �volution, transformisme, information, etc.), mais aussi bien ceux qui, d�riv�s d'une notion ant�rieure, y ajoutent une d�termination nouvelle (PLG, T2 :247 - 248).+
Il tient en effet la (ou les) th�orie(s) de l'information � une distance prudente et ses r�f�rences � ce nouveau domaine sont tr�s limit�es. Il ne pr�te aucune attention � l'aspect quantitatif de l'information et fait au contraire glisser les unit�s de codage vers des unit�s de sens. Il est probablement plus int�ress� par les questions pos�es par le sch�ma de communication de Jakobson et l'hypoth�se d'interlocution qu'elle suppose6. L'ext�riorit� de la nouvelle th�orie par rapport � la linguistique reste donc enti�re.
+Martinet, nous l'avons dit, est sans doute le seul linguiste fran�ais a avoir lu les Preliminaries de Jakobson et al., c'est-�-dire la premi�re �tude de phonologie appliquant la th�orie de l'information. Toutefois, bien qu'il cite ce texte, Martinet ne reprend pas � son compte cette utilisation de la th�orie de l'information lorsqu'il �labore sa phonologie diachronique.
+Dans son �conomie des changements phon�tiques, publi� en 1955, et qui synth�tise les travaux phonologiques de ses ann�es am�ricaines, Martinet pr�tend s'inscrire dans la filiation de Troubetzkoy (1890 - 1938) contre Jakobson. Selon lui, l'analyse des traits distinctifs est pr�sente � l'�tat latent dans l'oeuvre de Troubetzkoy (Martinet, 1955 :67, note 8 et 1957 - 58 :75). Par ailleurs, il consacre plusieurs pages � une critique s�v�re de l'apriorisme universaliste et binariste d�velopp� par Jakobson et al. (1952, 1953) qui d�voie selon lui les positions de Troubetzkoy. Le binarisme proc�de par affirmations de caract�re g�n�ral et cherche � faire entrer toute r�alit� phonologique dans des cadres pr��tablis et identiques pour toutes les langues.
+(8)... ce qui rend la position binariste absolument inacceptable en mati�re diachronique, c'est l'�limination arbitraire, comme � redondantes �, de caract�ristiques phoniques r�sultant d'�volutions qui ont chang� les rapports � l'int�rieur du syst�me, ce qui aboutirait � poser que ces changements sont nuls et non avenus. le point de vue diachronique exige un beaucoup plus vif souci de la r�alit� phon�tique que celui qui est de mise lorsqu'on s'escrime � r�duire au minimum le nombre des traits distinctifs(Martinet, 1955 :76)+
. ... l'apriorisme qui consiste � pr�ciser les traits pertinents, moins en s'inspirant du syst�me de la langue � l'�tude, que par r�f�rence � un un sch�ma pr��tabli dont on postule la valeur universelle (Martinet, 1957 - 58 :75).+
Par ailleurs, il s'oppose � la d�termination des phon�mes par des moyens acoustiques pr�conis�e par Jakobson et al. et pr�f�re, en suivant Troubetzkoy, les donn�es articulatoires arguant que l'analyse spectographique ne fait que confirmer l'explication que fournissent imm�diatement les donn�es articulatoires.
+Il ne discute pas sp�cifiquement les emprunts faits par Jakobson et ses co-auteurs � la th�orie de l'information. Ceux-ci sont d�nigr�s et qualifi�s de pur habillage physico-math�matique destin� � s�duire les esprits :
+(9) ... cependant d�pouill�e de l'appareil physico-math�matique dont on l'a rev�tue pour l'agr�ment des esprits avides de rigueur abstraite, cette th�orie appara�t plus comme une vue de l'esprit que comme un effort pour coordonner les r�sultats d'observations pr�alables (Martinet, 1955 :73)+
Toutefois, le terme information appara�t deux fois dans l'Economie (p.140) associ� au pouvoir distinctif. Le pouvoir distinctif, li�e � une fr�quence faible limite l'incertitude et compense une d�pense d'�nergie parfois plus forte, comme dans le cas de la prononciation d'une g�min�e. Information est bien employ� ici dans le sens de Jakobson tel que repris � la th�orie de l'information, sans que d'ailleurs celui-ci soit cit� � cet endroit du texte.
+(10) Je puis donc dire qu'en francais /-kt-/ est beaucoup plus riche d'information que /-t-/ et que du point de vue de l'�conomie de la langue, la distinction suppl�mentaire apport�e par /-k-/ vaut bien le surcro�t de travail musculaire qu'il implique ... Si nous passons maintenant � /-atta-/, nous pourrons dire que, l� o� cette combinaison se rencontre cinq fois sur cent fois /-ata-/, le surcro�t de travail que repr�sente la prononciation du /-t-/ implosif, qui distingue /-atta-/ de /-ata-/ vaut largement la peine, puisqu'il a pour effet de limiter l'incertitude dans la proportion de 100 � 5. la g�min�e a donc un grand pouvoir distinctif. Dans la langue o� l'on rencontre /-atta-/ 80 fois pour 100 exemples de /-ata-/ et 10 exemples de /-akta-/, /-tt-/ repr�sentera une d�pense d'�nergie de m�me ordre que celle qui est n�cessaire pour articuler /-kt-/ mais pour un pouvoir d'information beaucoup plus bas (Martinet, 1955 :140).+
On voit ici op�rer la tendance contradictoire interne � la notion d'�conomie, signal�e par Verleyen et Swiggers (2006 :176), entre la satisfaction des besoins de la communication qui exige la pr�servation de la quantit� maximale d'information, � savoir un nombre maximal d'oppositions fonctionnelles, et celle de l'inertie qui tend � utiliser un nombre restreint d'unit�s plus fr�quentes.
+Dans l'extrait (10), on voit comment l'information contribue au principe du moindre effort que Martinet emprunte � Zipf. L'homme cherche, dans toutes ses activit�s y compris ses activit�s langagi�res, � minimiser l'effort (travail musculaire, d�pense d'�nergie) n�cessaire par rapport au but � atteindre. Selon Martinet, le principe de Zipf r�alise mieux la synth�se entre besoins de communication et inertie humaine que le principe d'�conomie �labor� par Paul Passy dans le cadre de sa th�orie fonctionnaliste des changements phon�tiques7. Enfin, il pr�conise de mesurer l'importance fonctionnelle d'une opposition phonologique ou rendement fonctionnel � l'aide de statistiques dans les textes. En cela aussi, il s'est inspir� de Zipf qui, le premier, a jet� les bases d'une phonologie fonctionnelle qui ne soit pas purement descriptive mais fond�e statistiquement.
+Cet int�r�t pour les aspects quantitatifs de l'information se retrouve dans les El�ments de linguistique g�n�rale, parus en 1960, dont une grande partie du chapitre 6 L'�volution des langues est consacr�e � la th�orie de l'information8. Dans cet ouvrage, surtout dans le � 6.9 intitul� La th�orie de l'information et le linguiste, Martinet pr�tend introduire ses vues personnelles sur la th�orie de l'information sans aucune r�f�rence aux travaux ant�rieurs d'application de la th�orie de l'information � la linguistique, notamment ceux de Jakobson9. D'ailleurs, la notion d'information est dissoci�e de celle de traits distinctifs (et donc de l'apport jakobsonien) : ceux-ci n'apparaissent plus que de fa�on sporadique (10 occurrences de traits distinctifs en tout dans les El�ments dont aucune dans le chapitre 6). Les r�f�rences concernant la th�orie de l'information sont les expos�s � relativement simples � de Guiraud � la SLP en 1954 et l'ouvrage de Belevitch dont il a fait le compte-rendu dans le BSL (Martinet, 1957b).
+Selon Martinet, les formules mises au point par les ing�nieurs des t�l�communications pour r�soudre leurs probl�mes ne sont pas adapt�es aux probl�mes sp�cifiques des linguistes. Ce qui int�resse le linguiste, dit-il, c'est de savoir dans quelle probabilit� la variation de certains facteurs vont entra�ner celle de certains autres.
+(11) Ces variables sont le nombre des unit�s entre lesquelles le locuteur choisit � un point de l'�nonc�, la probabilit� des unit�s ramen�e � leur fr�quence, le co�t de chaque unit� qui comporte, outre l'�nergie n�cessaire � sa r�alisation, ce qu'on pourrait appeler les frais d'emmagasinage dans la m�moire, et enfin l'information qu'apporte chaque unit� (Martinet, 1960 : 182).+
Bien qu'il utilise �galement d'autres termes de la constellation comme code, communication, co�t, fr�quence, message ou redondance, le terme information est un des plus fr�quents : on en trouve 59 occurrences dans l'ensemble du texte, dont 48 dans la partie 6-III. A l'exception de quelques occurrences du terme dans son sens ordinaire, Martinet utilise information au sens technique, soit dans un syntagme, quantit� d'information ou co�t de l'information, soit en collocation avec des verbes ou des nominalisations de verbes de quantit� (mesurer, augmenter, doubler, varier, �lever, d�passer, accroissement), ou encore avec des adjectifs ou des adverbes exprimant la quantit� (grande information, information bien sup�rieure, faible information, trop d'information, autant d'information, masse
+d'information, dose d'information, densit� d'information, richesse informationnelle). Le verbe apporter occupe une place � part avec dix occurrences en collocation avec information.
+Suivant en cela la th�orie de l'information, Martinet consid�re qu'il existe un rapport constant et inverse entre la fr�quence d'une unit� et l'information qu'elle apporte. Plus une unit� est probable, moins elle est informative. Ce qu'il ajoute, c'est une d�finition de l'information en termes de moindre effort � savoir d'efficacit� par rapport � l'�nergie consomm�e � chaque utilisation d'une unit�.
+Outre la phonologie, il applique la notion d'information � la litt�rature et � d'autres unit�s linguistiques, comme les mon�mes ou les formes lexicales. Martinet semble utiliser les cha�nes de Markov pour traiter ces s�quences d'unit�s, d'une fa�on tr�s proche de celle de Harris (1955). Il rapporte d'ailleurs dans ses M�moires (Martinet, 1993 :71), que l'id�e selon laquelle la limite des mots pourrait s'�tablir sur la base de la probabilit� des �l�ments successifs lui est venue lors d'une discussion avec Harris (1909 - 1992) � New York au d�but des ann�es 1950. Dans cette utilisation, il pr�cise que l'information n'est en rien une entit� s�mantique :
+(12) Si j'entends /il a p.../, /p/ n'a pas de signification en lui-m�me, mais il est dou� d'information dans ce sens qu'il exclut toutes sortes d'�nonc�s possibles, comme il a donn�, il a boug�. Si � l'�nonc� tronqu� s'ajoute /r/ (/il a pr.../), l'incertitude est de nouveau r�duite puisque sont exclus il a pay�, il a pouss�, etc., ce qui indique que /r/ est dou� d'information. L'information n'est donc pas un attribut de la signification, puisque des unit�s non signifiantes comme /p/ et /r/ y participent. (Martinet, 1960 :177 - 78)+
C'est au moment o� il aborde le rapport entre information et litt�rature (�6 - 18) que Martinet utilise le syntagme contenu informationnel qui appara�t d'ailleurs cinq fois. Par un choix d'unit�s lexicales nouvelles et en r�duisant la redondance, l'auteur pourra augmenter le contenu informationnel d'un texte afin de retenir l'attention du lecteur. Ce qui est redondant, ce sont les collocations attendues, et ce qu'on attend du po�te ce sont des collocations rares.
+(13) L'auteur pourra se contenter de pr�senter, dans les termes les plus directs, des �v�nements, r�els ou imaginaires, assez exceptionnels pour que la densit� informationnelle du r�cit retienne l'attention. Il pourra aussi, par un choix original des unit�s linguistiques, �lever le contenu informationnel de son texte et le doser exactement. Ceci le dispensera d'aller, � chaque instant, chercher l'inattendu dans les p�rip�ties du r�cit. (Martinet 1960 :192).+
Avec le terme contenu informationnel, l'information semble perdre son caract�re quantitatif au profit d'une dimension s�mantique : contenu informationnel fait en effet penser � contenu de sens. A noter que le terme contenu d'information, sous quelle que forme et langue que ce soit, n'existe pas dans l'ouvrage de Shannon et Weaver.
+En fait, on peut faire l'hypoth�se que contenu d'information vient de Guiraud, une des sources revendiqu�es par Martinet. Guiraud applique la loi de Zipf et la th�orie de l'information aux statistiques de vocabulaire dans des �tudes stylistiques. Comme on le voit dans (14), Guiraud assimile de fa�on un peu rapide fr�quence (des signes) et contenu d'information, alors qu'on a vu que l'information est une mesure abstraite d�pendant de choix, donc une mesure probabiliste et pas seulement statistique.
+(14) En fait l'�quation de Zipf est susceptible d'une double interpr�tation. Pour les uns (dont je suis) la fr�quence des signes d�finit leur contenu d'information (au sens que Shannon donne � ce terme) et n'est que le produit de l'�conomie de la communication. Pour Mandelbrot le langage est un syst�me mol�culaire, assimilable � une masse de gaz et soumis � des lois similaires ... Mais autant l'hypoth�se d'une �conomie de la communication en terme de contenu d'information est riche et pratique pour le linguiste, autant il r�pugne de s'aventurer sur le terrain de la thermodynamique o� l'entra�ne Mandelbrot.... (Guiraud 1957 :24).+
Comme on le voit, cette position oppose Guiraud � Mandelbrot qui, quant � lui, reste fid�le � la d�finition de l'information comme entropie n�gative : � La quantit� pr�cis�ment n�cessaire � l'�tablissement de l'information correspond exactement � la notion thermo-dynamique d'entropie � (Shannon et Weaver [1975 : 42]).
+Il faut savoir que l'utilisation approximative des m�thodes statistiques par Guiraud a �t� tr�s critiqu�e par les math�maticiens, que ce soit Mandelbrot (1954b) ou Moreau (1964), et que leur diff�rend est aussi de nature linguistique. Celui-ci divisera les tenants de la linguistique statistique pendant des d�cennies, et plus r�cemment la linguistique de corpus. Pour Guiraud, il existe une fr�quence intrins�que des mots dans la langue, ce que conteste Mandelbrot. On a vu (cf. �3.2. ci-dessus) que c'est d'ailleurs une des critiques que Mandelbrot adresse � Zipf. On notera que la position de Martinet n'est pas tr�s explicite sur ce point.
+Curieusement, Dubois, bien qu'ayant commenc� ses travaux de linguiste en lexicographie avec sa th�se parue en 1962 sur Le vocabulaire politique et social en France de 1869 � 1972, ne s'est pas int�ress� aux aspects quantitatifs du vocabulaire, pourtant tr�s en vogues en France dans les ann�es 1950 - 60 et impuls�s par les travaux de Mandelbrot et de Guiraud. Dans sa th�se, Dubois met en oeuvre la m�thode distributionnelle de Harris, dont on peut dire qu'il est l'introducteur en France, et son utilisation en analyse du discours10. Son int�r�t pour la th�orie de l'information appara�t dans des textes post�rieurs, d'abord dans son article sur l'aspect et le temps paru en 1964 dans le Fran�ais Moderne, puis dans sa Grammaire structurale du fran�ais en trois tomes parus respectivement en 1965, 1967 et 1969.
+Comme pour les autres auteurs, information n'appara�t pas seul mais avec une cohorte de termes de la constellation, comme on le voit dans le tableau (15) :
+Comme on le voit, c'est surtout dans le tome 1 de 1965 qu'information appara�t massivement pour quasiment dispara�tre dans les tomes 2 et 3, alors que les autres termes (dont on n'a fait figurer ici que les plus fr�quents) restent encore plus ou moins utilis�s.
+Si l'on examine les formes suivantes apparaissant dans le tome 1 :
+(16)
+(17)
+Les occurrences des expressions rassembl�es en (16) r�f�rent bien � la th�orie de l'information. Dans son introduction, Dubois pr�cise qu'il a pour objectif une analyse distributionnelle des marques de genre et de nombre du nom et du pronom, qui se veut compl�mentaire de l'analyse distributionnelle de Harris. C'est en termes d'information, redondance et bruit qu'il se propose d'analyser les contraintes crois�es entre marques de genres et de nombres pour montrer que ce sont des r�gles et non des exceptions en fran�ais. Alors que, dit Dubois -faisant sans doute r�f�rence � la notion de rendement fonctionnel de Martinet - les linguistes ont surtout emprunt� � la th�orie de l'information la notion de co�t, il se propose, quant � lui, de mettre en oeuvre celles de redondance et de bruit. La seule occurrence du terme th�orie de l'information appara�t dans cette exposition du probl�me.
+La notion de quantit� d'information (de m�me que celles de conservation, perte et co�t de l'information) est bien celle de la th�orie de l'information : elle est calcul�e en termes de probabilit�s et en termes de fonction inverse : plus la probabilit� d'apparition d'une marque est grande, plus la quantit� d'information est faible. Ainsi la quantit� d'information apport�e par le code �crit est faible, puisque celui-ci est tr�s redondant :
+(18) Les marques du code parl� et du code �crit ne sont donc pas �quiprobables : la quantit� d'information apport�e par une marque redondante dans le code parl� est plus grande que celle apport�e dans le code �crit, puisque la probabilit� de la rencontrer apr�s la marque initiale est moindre. La quantit� d'information pr�sent�e en fran�ais �crit par la seconde marque est tr�s faible, puisqu'il est tr�s rare que le code �crit ne pr�sente pas de redondance. (Il n'en est �videmment pas de m�me pour le code parl�)(1965 : 21).+
Cette utilisation quantitative et shannonienne de l'information par Dubois est probablement issue de la lecture de Mandelbrot (1954a) figurant dans sa bibliographie mais aussi de celle de Harris, dont les principaux travaux des ann�es 1950 sont cit�s, et de son utilisation des cha�nes de Markov11.
+Si maintenant on regarde les expressions dans la liste (17) o� information est d�termin� (une information, la premi�re information, l'information du pluriel, l'information f�minin, l'information de genre, celle de nombre, les /ces deux informations), on est face � un tout autre usage du terme :
+
+(19) On peut se demander ce que deviennent ces deux informations lorsqu'elles sont cumul�es, c'est-�-dire lorsque les �nonc�s au pluriel sont aussi porteurs de l'information f�minin (1965 :82). ... il arrive que l'information de genre se maintienne, tandis que celle de nombre s'efface. ... l'information f�minin a disparu des deux phrases(1965 :83).
+
Cet emploi d'information fait glisser le terme vers contenu ou sens. Toutefois il ne s'agit pas ici de l'information au sens ordinaire, c'est-�-dire au sens de renseignement, connaissance, acte de rechercher des connaissances, ou ensemble de connaissances existantes. On peut alors se demander pourquoi Dubois utilise le terme information dans ce cas pr�cis. Alors qu'il d�signait une quantit� abstraite, calcul�e � l'aide de probabilit�s et excluant le sens, le terme information d�finit maintenant une signification grammaticale, d'ordre morpho-syntaxique, donn�e par les marques.
+Pour r�pondre � cette question, il faut se rappeler que Dubois est familier des Essais de Linguistique G�n�rale de Jakobson, dont il a fait un compte-rendu dans un num�ro du Fran�ais Moderne en 1964, num�ro dans lequel il publie �galement un article o� il applique les th�ories de Jakobson aux probl�mes du temps et de l'aspect. Entre autres choses, Dubois emprunte � Jakobson l'id�e que toutes les formes grammaticales (en particulier l'aspect et le temps) sont marqu�es dans le code de fa�on variable selon les langues. Aussi cherche-t-il les structures formelles dans lesquelles sont traduites dans un code donn� les oppositions s�mantiques d'accompli/ non accompli, ant�riorit� / non-ant�riorit�, et post�riorit� / non post�riorit� qui d�finissent ce que l'on appelle l'aspect et le temps ; on doit en effet constater qu'il existe des langues qui sont appel�es � traduire non ces trois oppositions, mais parfois seulement deux d'entre elles, le d�veloppement de la post�riorit� / non post�riorit� se faisant quelquefois tardivement.
+Or ces id�es sont d�velopp�es chez Jakobson dans le chapitre des Essais intitul� La notion de signification grammaticale selon Boas (1963 :197 - 206). Et c'est � Boas (1858 - 1942) qu'il emprunte l'id�e de grammatical meaning. Afin que la d�monstration soit plus convainquante, examinons la version anglaise :
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+(20) The choice of a grammatical form by the speaker presents the listener with a definite number of bits of information. The compulsory character of this kind of information for any verbal exchange within a given speech community and the considerable difference between the grammatical information conveyed by diverse languages were fully realized by Franz Boas, thanks to his astonishing grasp of the manifold semantic patterns of the linguistic world... (Jakobson, 1959 : 490). It was clear to Boas that any difference of grammatical categories carries semantic information. (Jakobson, 1959 : 493)
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Pour Boas, les marques morpho-syntaxiques sont porteuses de signification (grammatical meaning, ou signification grammaticale) de sorte que l'information elle-m�me devient s�mantique. Il est tout � fait �tonnant que Jakobson, qui, comme on l'a vu, fut co-auteur avec des math�maticiens de plusieurs textes appliquant la th�orie de l'information � la phonologie, utilise dans le m�me paragraphe le terme information au sens math�matique (bits of information) et au sens s�mantique (grammatical information). Dans ce texte, il semble avoir s'�tre appropri� le terme et l'utiliser � sa guise sans chercher � rester au plus pr�s de son sens math�matique. Cette attitude est coh�rente avec le fait que Jakobson consid�re que les ing�nieurs de t�l�communications et les linguistes doivent collaborer � la construction d'une th�orie de l'information sans qu'il y ait pr�c�dence des premiers sur les seconds ; la th�orie de l'information n'appartient pas seulement aux ing�nieurs et aux math�maticiens, mais aussi aux linguistes et les rapports entre linguistique et th�orie de l'information (dans sa version probabilitiste et shannonienne) ne sont pas � sens unique. Les math�maticiens peuvent aussi b�n�ficier de l'�tude des langues susceptible de susciter le d�veloppement de nouvelles th�ories.
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+(21) Quelle est donc exactement la relation entre la th�orie de la communication et la linguistique ? Ya-t-il peut-�tre des conflits entre ces deux modes d'approche ? En aucune fa�on. II est un fait que la linguistique et les recherches des ing�nieurs convergent, du point de vue de leur destination. Mais alors de quel ordre est exactement l'utilit� de la th�orie de la communication pour la linguistique, et vice-versa ? Il faut reconna�tre que, sous certains aspects, les probl�mes de l'�change de l'information ont trouv� chez les ing�nieurs une formulation plus exacte et moins ambigu�, un contr�le plus efficace des techniques utilis�es, de m�me que des possibilit�s de quantification prometteuses. D'un autre c�t�, l'exp�rience immense accumul�e par les linguistes relativement au langage et � sa structure leur permet de mettre au jour les faiblesses des ing�nieurs quand ils s'attaquent au mat�riel linguistique (Jakobson, 1963 :28).
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Pour revenir � Dubois, en empruntant les significations grammaticales de Boas-Jakobson, il donne � l'information un sens s�mantique tout � fait oppos� au sens quantitatif de la th�orie de Shannon et Weaver. Toutefois ce n'est pas le seul emprunt qu'il fait � l'interpr�tation jakobsonienne de la th�orie de l'information. Il fait �galement sienne la fa�on dont Jakobson s'est appropri� la notion de redondance :
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+(22) La notion de redondance, emprunt�e par la th�orie de la communication � une branche de la linguistique, la rh�torique, a acquis une place importante dans le d�veloppement de cette th�orie et a �t� audacieusement red�finie comme �quivalant � 'un moins l'entropie n�gative' ; sous cet aspect, elle a fait sa rentr�e dans la linguistique actuelle, pour en devenir un des th�mes centraux. (Jakobson, 1963 :89)
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Dubois inscrit la redondance au coeur de son �tude des marques du fran�ais, et l'utilise encore de fa�on tr�s active dans le tome 2 de la Grammaire structurale (voir tableau 15), contrairement � la notion d'information qui dispara�t.
+Alors que chez Jakobson, la migration des termes s'est v�ritablement accompagn�e d'une appropriation de la th�orie de l'information12, on pourrait dire que chez Dubois cet emprunt jakobsonnien, de seconde main en quelque sorte, peut para�tre contradictoire avec l'usage distributionnaliste et quantitatif qui cohabite dans ses textes. Il faut toutefois reconna�tre que la th�orie de l'information acquiert avec Dubois un pouvoir heuristique qui lui permet de penser la dimension s�mantique de certaines cat�gories linguistiques.
+Avec nos trois auteurs, nous assistons � trois modes de r�ception en linguistique g�n�rale d'un concept appartenant � une th�orie non-linguistique. A c�t� de la prudente mise � distance de Benveniste, qui s'empare de code et de message mais se pr�occupe peu d'information, on rencontre chez Martinet un mode d'importation plus complexe. C'est au moment o� il fait le moins r�f�rence au terme information, dans Economie des changements phon�tiques, que l'usage qu'il en fait est le plus proche de celui de Jakobson et de sa syst�matisation des traits distinctifs. Bien que cet usage soit accompagn� d'une tr�s vive critique de l'apriorisme binariste de Jakobson et de son utilisation des traits acoustiques, et que Martinet revendique davantage l'influence de Troubetzkoy que celle de Jakobson, il est certain que la notion de pouvoir d'information, li� au pouvoir distinctif qui intervient dans sa d�finition du concept d'�conomie, est inspir� par la conception jakobsonienne. Il est � noter toutefois que sa notion d'�conomie en phonologie diachronique doit tout autant aux travaux de Zipf et son principe de moindre effort qu'� ceux de l'Ecole de Prague. Dans les El�ments de linguistique g�n�rale, il consacre un long d�veloppement � sa propre vision de l'information, ramen�e � l'id�e d'�nergie et de co�t. On notera aussi sa conception probabiliste issue partiellement de l'utilisation de Harris des cha�nes de Markov et son utilisation du terme contenu d'information inspir�e par les travaux en stylistique de Guiraud. Dubois, quant � lui, met en oeuvre de fa�on heuristique les diff�rentes facettes de l'interpr�tation jakobsonienne tout en �tant �galement attir� par l'utilisation qu'en fait Harris. Il se trouve ainsi tiraill� entre deux options contradictoires, d'une part une conception de l'information fonctionnaliste comportant une dimension s�mantique, d'autre part une approche distributionnaliste qui reste au plus pr�s de l'utilisation probabiliste de cha�nes de Markov mais qui devrait exclure le sens.
+Il est int�ressant de noter que ce n'est pas le sens ordinaire du terme 'information' qui provoque l'instabilit� de la notion. Cet usage cohabite de fa�on assez �tanche avec le sens technique. Il appara�t dans des environnements distincts comme dans � obtenir de l'interlocuteur une information � ou � le descripteur v�rifie son information �. C'est au contraire le sens technique qui fluctue entre l'information quantitative et non s�mantique de Shannon mise en oeuvre souvent avec une utilisation distributionnelle des cha�nes de Markov, une information fonctionnelle du moindre co�t largement issue des travaux psychologico-statistiques de Zipf, une information s�mantique inspir�e de Jakobson dans sa lecture de Boas, un contenu d'information des unit�s linguistiques issu des �tudes stylistiques du vocabulaire. Ces lectures crois�es d'inspirations multiples : la diffusion en France � travers la SLP, la traduction automatique, les interpr�tations de la th�orie de l'information par des chercheurs d'horizons aussi divers que le math�maticien Mandelbrot, le stylisticien Guiraud, les linguistes fonctionnalistes comme Jakobson ou n�o-bloomfieldiens comme Harris, ou bien encore le psychologue anti-behaviouriste Miller, ont configur� de fa�on multiple la r�ception de la th�orie de l'information par les linguistes fran�ais des ann�es 1960. Cette diversit� de positions et d'influences a probablement contribu� � la multiplicit� des structuralismes (cf. Puech, � para�tre) manifeste y compris au sein m�me de la linguistique fran�aise de cette m�me p�riode.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le linguiste norv�gien Einar Haugen eut le m�rite de d�velopper il y a plus de 40 ans une typolologie des processus impliqu�s dans la standardisation des langues qui garde encore aujourd'hui une grande utilit� :
+Haugen �labora cette typologie pour rendre compte des probl�mes de planification linguistique soulev�s surtout dans des nouveaux pays du monde moderne, n�s � la suite de la d�colonisation. Dans la standardisation des langues de ces pays-l�, les quatre processus isol�s par Haugen se d�roulent en une succession rapide, normalement � la suite d'interventions conscientes et voulues de la part des gouvernements concern�s. Cette typologie peut �tre appliqu�e � la standardisation des vieilles langues d'Europe, comme l'anglais et le fran�ais, si l'on se rappelle que, dans ces langues-l�, la standardisation s'est d�roul�e d'une mani�re d�cousue, la plupart du temps inconsciente, et sur une p�riode tr�s longue. Ce papier sera consacr� au premier des processus isol�s par Haugen, la � s�lection des normes �.
+Le probl�me des d�buts de la standardisation du fran�ais sont parmi les plus r�fractaires de l'histoire de cette langue. Dans les cas de l'italien et de l'allemand et, d'une fa�on plus spectaculaire, celui de l'h�breu moderne, la situation est assez claire : les sp�cialistes s'accordent quant au r�le central jou� dans la focalisation initiale des normes par une forme litt�raire ou, du moins, �crite de la langue - l'oeuvre de Dante dans le cas de l'italien, la traduction de la Bible de Martin Luther dans le cas de l'allemand, la langue de la Bible et du Talmud dans le cas de l'h�breu. Dans le cas du fran�ais, par contraste, puisque les d�buts de la standardisation remontent plus haut dans le temps - au-del� du d�veloppement de l'imprimerie et de l'augmentation des taux d'alphab�tisme que l'on a vue en Europe � l'�poque de la R�forme - les sp�cialistes sont divis�s sur la question de savoir si les normes de la langue �crite furent bas�es � l'origine sur un dialecte oral ou si, inversement, la focalisation initiale s'est faite dans la langue �crite avant de s'�tendre � la langue parl�e. La permanence et le prestige de la langue �crite sont telles que l'�criture a toujours exerc� une influence sur la formation de normes orales. Il est donc difficile de concevoir la standardisation des langues sans le d�veloppement de l'�criture. Mais est-ce que ceci nous oblige � postuler l'existence, dans le cas du fran�ais, d'une langue �crite supra-r�gionale, cr��e sans base dialectale � une date ancienne, qui aurait initi� tout le processus de standardisation ?
+Le probl�me central de la linguistique historique, comme chacun sait, c'est celui de l'insuffisance permanente des preuves. Les d�buts de nouvelles langues sont invariablement les moins bien document�s et les plus difficiles � tracer : les documents �crits, ne deviennent prolifiques que lorsque la nouvelle langue est bien �tablie. Quelles le�ons tirer des d�veloppements linguistiques que l'on trouve dans les documents r�dig�s en langue vulgaire au moyen �ge? Refl�tent-ils des changements survenus dans la langue orale? Se produisent-ils d'une mani�re plus ou moins ind�pendante de ce qui se passe dans la langue orale? Sont-ils susceptibles d'influencer, m�me d'initier des d�veloppements dans la langue orale?
+Dans ce papier, nous allons examiner d'abord l'approche n�ogrammairienne, qui soulignait le r�le d'un dialecte oral, baptis� pour l'occasion le francien; ensuite, nous examinerons la th�se, d'inspiration structuraliste, qui lui a succ�d�e dans l'esprit des historiens de la langue et qui privil�gie le r�le de la langue �crite; nous esquisserons enfin l'approche sugg�r�e par la sociolinguistique historique qui affirme le r�le des 'locuteurs ordinaires' dans l'�volution des langues.
+Les N�ogrammairiens voyaient les origines du fran�ais standard dans le dialecte parl� en Ile-de-France, auquel Gaston Paris (1889 : 486) donna l'�tiquette de francien. Pour les linguistes de cette �cole, le francien constituait un stade n�cessaire dans la s�quence des lois phon�tiques menant du latin au fran�ais moderne. Il fournissait en plus � la langue standard embryonnaire une base historique acceptable, c'est � dire, un dialecte-source localis� dans la r�gion de la capitale et, surtout, un dialecte 'pur' (c'est-�-dire, contamin� ni par les langues germaniques ni par les autres dialectes gallo-romans). Ferdinand Brunot insista sur la puret� de ce dialecte : � le francien ne doit pas �tre consid�r� comme un amalgame � (Brunot 1905, t.2, p. 325). Si nous suivons la typologie de Haugen, le francien fut 's�lectionn� au XIIe si�cle, '�labor�' au cours du bas moyen �ge, 'codifi�' au XVIIe si�cle et 'accept�' par la majorit� des Fran�ais au XIXe si�cle.
+Les N�ogrammairiens connaissaient bien les textes �crits en Ile-de-France au XIIIe si�cle (voir Matzke 1880 et 1881), mais il est difficile de concilier leur concept du francien avec l'image du dialecte d'Ile-de-France que l'on trouve dans des textes de la p�riode classique et dans les r�sultats d'enqu�tes dialectales entreprises � l'�poque moderne. Le francien est en effet une construction hypoth�tique, cr��e, semble-t-il, pour �viter de voir le fran�ais standard comme le produit d'un m�lange dialectal, explication qui aurait le double inconv�nient pour les N�ogrammairiens de contrecarrer le libre jeu des lois phon�tiques (gr�ce au contact de dialectes), et de donner au fran�ais des origines plus ou moins m�tiss�es, indignes d'une 'grande langue'. Prisonniers d'id�es romantiques, les N�ogrammairiens consid�raient que la culture m�di�vale �tait plus 'naturelle', plus 'spontan�e', plus statique et moins soumise � des conventions sociales que la culture moderne. En d�pit des r�serves exprim�es par certains �rudits, tels Gertrud Wacker (Wacker 1916), l'�cole n�ogrammairienne poss�dait une vision des rapports entre langue �crite et langue parl�e au moyen �ge qui nous para�t aujourd'hui quelque peu na�ve.
+Les ann�es 1980 virent un rejet g�n�ral du positivisme pr�sent dans le mod�le n�ogrammairien, et plusieurs historiens du fran�ais mirent en question l'hypoth�se du francien. Chaurand (1983 : 91) fut troubl� par la circularit� d'un raisonnement qui consistait � faire remonter la langue standard (le fran�ais) � un dialecte parl� (le francien) qui ne pouvait �tre reconstruit qu'� partir de cette m�me langue standard. Bergounioux (1989) alla plus loin : il soutint qu'un dialecte rural n�cessitant l'�tiquette francien n'a jamais exist� en Ile-de-France, persuad�, semble-t-il, que celui-ci avait �t� an�anti d�s sa naissance par l'influence linguistique de la grande ville (cet auteur n'indique pourtant pas les origines du parler de cette ville). Pour lui le francien est une expression sans r�f�rent, un terme � motivation exclusivement politique, cr�� par Gaston Paris dans le but d'une l�gitimation historique de la langue standard. Cerquiglini (1991 : 118) reprend cet argument pour consolider son hypoth�se d'une langue standard fond�e sur la langue litt�raire : pour lui, Paris et l'Ile-de-France n'avaient jamais eu de dialecte :
+L'Ile-de-France ne se distinguait par aucun dialecte. Jusqu'aux portes, et sans doute dans les rues de la modeste bourgade parisienne, on devait parler picard, normand ou orl�anais.+
La r�alit� de certaines de ces propositions est difficile � reconna�tre, mais il en est ressorti, n�anmoins, que le fran�ais standard est beaucoup moins 'pur' que Gaston Paris n'avait voulu le croire : des �l�ments fondamentaux de sa phonologie et de sa morphologie avaient leur origine dans des dialectes autres que celui qui �tait parl� en Ile-de-France.
+Il subsiste de nombreux sources qui nous permettent de lever le voile sur le pass� des vernaculaires ruraux parl�s en Ile-de-France : des repr�sentations litt�raires ou semi-litt�raires de ces parlers compos�s � partir du XVe si�cle, des observations m�talinguistiques faites � partir du XVIe si�cle, et enfin les donn�es recueillies durant les grands projets d'atlas de la fin du XIXe si�cle et du XXe si�cle. Toutes ces sources indiquent la gouffre qui s'est creus�e depuis le XIIe si�cle entre le parler de la m�tropole, qui a �volu�e tr�s vite, et les parlers plus conservateurs de l'arri�re pays rural. Dans une �tude sur la composition dialectale du fran�ais standard, Claire Fondet (1995) a isol� un certain nombre de variables spatiales qui sont tr�s significatives pour notre intelligence des rapports entre la langue standard et les dialectes de l'Ile-de-France. Le fran�ais standard est sans doute tr�s proche � bien des �gards du dialecte de l'Ile-de-France, mais il ne repr�sente pas une forme 'pure' de ce dialecte, comme le voulaient les N�ogrammairiens. Le fran�ais standard est une vari�t� mixte, le produit d'une 'koin�isation'. Si le fran�ais standard a d�but� sous la forme d'un koin�, comment expliquer sa formation?
+S'�levant contre le mod�le propos� par les N�ogrammairiens, les linguistes de la deuxi�me moiti� du XXe si�cle, fortement influenc�s par Saussure, soulignaient surtout la nature conventionnelle des syst�mes linguistiques. Ils distinguaient rigoureusement langue et parole, s'attendant � ce que le linguiste regarde au-del� des variations pr�sentes dans la parole pour d�celer en dessous le syst�me sous-jacent, invariant de la langue. Ils distinguaient �galement �l�ments internes et �l�ments externes de la langue, privil�giant la structure interne au d�triment du contexte socio-d�mographique dans lequel la langue est employ�e.
+C.-T. Gossen (Gossen 1962, 1967) attira notre attention sur le haut niveau de conventionnalit� pr�sente dans les syst�mes d'�criture vernaculaires au moyen �ge. Il nota en particulier que les formes �crites pr�sentes dans des manuscrits r�dig�s en ancien fran�ais dans des r�gions diff�rentes poss�daient de nombreuses formes communes et ne refl�taient pas les d�tails de la variation dialectale visibles sur les cartes d'atlas modernes.
+Il en concluait que les graphies de l'ancien fran�ais �taient tr�s faiblement attach�es � la langue orale. D�tach�es de leur dialecte local, ces graphies poss�daient une valeur purement visuelle. L'unit� de base du syst�me de Gossen est le 'graph�me' visuel, calqu� sur le 'phon�me' aural de la phonologie structuraliste. Gossen consid�rait que le syst�me d'�criture de l'ancien fran�ais avait parcouru d�s le XIIIe si�cle une bonne partie du chemin s�parant un syst�me d'�criture phon�mique et un syst�me logographique. L'�criture vernaculaire m�di�val ressemblait beaucoup aux syst�mes d'�criture modernes o� un syst�me -�mique uniforme couvre une multitude de r�alisations -�tiques appartenant � la langue parl�e. Selon la 'th�orie des scripta', chaque r�gion du nord gallo-roman poss�dait une scripta r�gionale qui admettait une petite proportion (variable) de traits r�gionaux mais qui se conformait la plupart du temps aux normes d'une koin� �crite supra-r�gionale.
+Dans cette approche, la variation visible dans les textes des XIIe et XIIIe si�cles est, d'une part, relativement libre (corr�l�e faiblement avec les variations r�gionales pr�sentes au niveau de la parole), et, d'autre part, relativement superficielle, puisque, derri�re cette variabilit� existe une koin� �crite supra-r�gionale qui correspond � la langue sous-jacente, la langue standard � l'�tat embryonnaire. Ceci entra�ne deux interrogations : d'abord, quelle �poque a vu l'�mergence dans le nord de la Gallo-Romania d'une koin� supra-r�gionale �crite, et ensuite, par quelle biais un ensemble de conventions con�ues pour la langue �crite a-t-il pu modifier par la suite la langue parl�e de la population parisienne ? Traitons ces questions une par une.
+Pour ce qui est de la chronologie, les linguistes qui adoptent cette approche supposent qu'une koin� supra-r�gionale �crite s'est constitu�e dans la France du nord � une date ant�rieur � 1100. Hilty attache cette ensemble de normes au parler parisien du VIIIe si�cle (Hilty 1973 : 254). Delbouille fait descendre la date au IXe si�cle, avant la diversification des dialectes d'o�l (Delbouille 1962 : 124). Cerguiglini opte pour la m�me date, soutenant qu'une koin� fut �labor�e par un groupe d'auteurs litt�raires et de scribes �clair�s autour de la date des Serments de Strasbourg (842) :
+� C'est gr�ce � l'existence d'une soci�t� cl�ricale, guid�e par une 'lumi�re de raison', anim�e par les litterati d�sirant illustrer un bel usage litt�raire de l'idiome roman, que d�s les premiers textes est fond� et pratiqu� un 'illustre fran�ois � (Cerguiglini 1993 : 124).+
Il y voit un grand projet � long terme, con�u d�s l'�poque carolingienne, pour donner � la nation une unit� linguistique et politique :
+� Une langue fran�aise transcendant la diversit� des parlures, inscrite dans le projet d'une forme commune �chappant pour des raisons politiques ou esth�tiques, � l'�change local et quotidien �+
Si l'on suit cette approche 'structuraliste', il est n�cessaire d'expliquer comment, au cours du moyen �ge, la combinaison de formes pr�sentes dans la koin� �crite, litt�raire a pu �tre 'accept�e' par la masse de la population parisienne comme leur fa�on de parler normale. Cette question reste la plupart du temps sans r�ponse, mais certaines remarques laissent supposer que les formes linguistiques appartenant � la koin� litt�raire auraient �t� adopt�es d'abord dans la langue parl�e de l'�lite (la cour du roi) avant de se d�verser � travers les diff�rents strates de la soci�t� parisienne, ne gagnant les diff�rentes provinces qu'� l'�poque moderne :
+� Ce fut, en France, la langue litt�raire de la scripta, qui, sans �tre artificielle, s'�labora dans des conditions sociologiques diff�rentes de celle des idiomes populaires. A partir du XIIIe si�cle, le parler urbain, stratifi�, certes, mais proche de celui de la classe ais�e, n'a cess� de s'opposer au parler rural jusqu'� la R�volution � (Fondet 1995 : 201).+
La langue lit�raire de la scripta, tout en ayant une existence ind�pendante des variations de la langue orale, �tait n�anmoins capable d'influencer et m�me d'initier des d�veloppements dans cette m�me langue orale.
+La th�se que j'ai appel�e 'structuraliste' soul�ve ainsi deux difficult�s majeurs - celle de de la chronolologie et celle de l'acceptation de la koin� par la communaut� g�n�rale des locuteurs (voir Weinreich, Labov et Herzog 1968 : 95 - 105).
+Les preuves textuelles de l'existence d'une koin� �crite stable avant 1300 ne sont gu�re suffisantes (voir Gsell 1995). Le nombre de manuscrits fran�ais remontant au-del� de 1100 est beaucoup trop r�duit pour nous permettre de postuler l'existence d'une koin� �crite stable � cette �poque lointaine. La production litt�raire dans le nord de la Gallo-Romania fut, certes, tr�s prolifique au XIIe si�cle, mais les textes compos�s avant 1200 sont conserv�s presque tous dans des manuscrits copi�s au si�cle suivant (voir Pfister 1993). Il est d'ailleurs difficile de trouver un cadre institutionnel, cour ou administration royale, qui aurait pu fixer une telle koin�. L'administration royale, qui ne s'installa � Paris qu'au XIIe si�cle, commen�a � se servir du vernaculaire comme langue �crite seulement vers le milieu du XIIIe si�cle (voir Giry 1894 : 464 - 472). Dans une communication personnelle, Serge Lusignan de l'Universit� de Montr�al m'�crit : � le fran�ais du roi s'est construit au XIVe si�cle � la chancellerie et � la cour de Charles V, dans un rapport d'�change avec le latin.�
+C.-T. Gossen avait certainement raison de noter la pr�sence dans les manuscrits du XIIIe si�cle qu'il avait analys�s une bonne proportion de formes invariables d'une r�gion � l'autre, mais est-ce que ce fait entra�ne automatiquement l'existence d'une koin� supra-r�gionale? Primo, il est certain que la diversit� dialectale �tait moindre au XIIIe si�cle qu'elle ne l'est devenue 600 ans plus tard. Secundo, les graphies m�di�vales �taient des approximations, et l'on peut supposer que c'est seulement les variantes phon�tiques les plus saillantes qui s'attiraient une graphie locale sp�ciale. Tertio, les syst�mes d'�criture vernaculaires qui ont �merg� entre le Xe et le XIIe si�cles �taient con�us � l'origine pour l'enregistrement de textes litt�raires. Le fait que certains de ces manuscrits ont voyag� beaucoup a provoqu� des m�langes dialectaux et le nivellement de formes tr�s marqu�es sur le plan dialectal. Cependant, des convergences ad hoc variant d'un manuscrit � l'autre n'entra�nent pas l'existence � une date ancienne d'une koin� litt�raire stable.
+La focalisation des normes linguistique va normalement dans le sens normes locales > normes supra-locales > normes r�gionales > normes supra-r�gionales. Il aurait �t� surprenant de voir le processus de la normalisation s'acheminer dans le nord de la Gallo-Romania en sens inverse, les normes supra-r�gionales se manifestant d�s le d�part. Antonij Dees n'avait pas enti�rement tort lorsqu'il affirma � La notion de koin� �crite, ainsi que la notion corrolaire de scripta r�gionale, n'ont aucune ad�quation observationnelle pour la p�riode ant�rieure � 1300 � (Dees 1985 : 113). Des normes r�gionales se sont manifest�es longtemps avant 1300 (en Angleterre et en Picardie par exemple), mais il est difficile de d�montrer l'existence de normes supra-r�gionales avant cette date.
+Si nous passons maintenant � la situation linguistique � Paris � la fin du moyen �ge, nous constatons que le parler parisien �tait effectivement un dialecte mixte, comportant des formes tir�s de sources dialectales diff�rentes, le produit d'une koin�isation. Si l'on adopte la th�se de la koin� �crite, il est n�cessaire d'expliquer comment une vari�t� �crite, litt�raire ait pu �tre adopt�e comme langue par la population de cette tr�s grande ville. Nous savons qu'une vari�t� acrolectale a �t� cultiv�e � la cour du roi au XIIe si�cle, sans doute dans le but de distinguer les 'courtois' des 'non-courtois'. Nous savons aussi, gr�ce au c�l�bre exemple de Conon de B�thune (voir Lodge 1993 : 99), que cette norme acrolectale a influenc� le comportement linguistique des po�tes itin�rants. Mais, est-il plausible de supposer que l'influence linguistique ait pu marcher simultan�ment en sens inverse, et que les courtois dans l'entourage du roi aient voulu imiter les formes linguistiques propos�s par des jongleurs? Les formes �crites peuvent influer sur l'oral dans une soci�t� fortement aphab�tis�e, mais on peut douter qu'au moyen �ge les taux d'alphab�tisation et le prestige de l'�criture vernaculaire aient �t� suffisamment �lev�s pour que cela se produise si t�t � Paris m�me chez les �lites.
+Il est l�gitime et int�ressant de consid�rer les syst�mes d'�criture utilis�s en ancien fran�ais dans des termes purement visuels, sans chercher � les corr�ler � une langue parl�e sous-jacente. Les scripta r�gionales ont pu jouer un r�le identitaire tr�s fort. Ceci dit, puisque la langue est essentiellement un ph�nom�ne parl�, examiner les scripta r�gionales uniquement comme des syst�mes visuels autonomes contribue peu � notre compr�hension du processsus de changement linguistique, qui est l'objectif principal de la linguistique historique. Dans la mesure o� la variation est pr�sente dans les manuscrits fran�ais du moyen �ge, le sociolinguiste historique va la consid�rer non pas comme al�atoire ou libre, mais comme �tant conditionn�e par des facteurs linguistiques ou extra-linguistiques pertinents qu'il lui revient d'isoler et d'analyser.
+Pour pouvoir aborder ce genre de recherches, les variationnistes doivent estimer les limites de la variabilit� dans les textes qu'ils ont sous leurs yeux, ainsi que la longueur du temps durant lequel cette variabilit� persiste. Il est �vident qu'au XIIIe si�cle la variabilit� phon�tique et morphologique visible dans les documents �crits �tait consid�rable et qu'il diminue sensiblement au si�cle suivant (voir Volker 2007). Le XIIIe si�cle nous offre donc un cr�neau extr�mement pr�cieux pour observer dans les manuscrits le processus de changement phon�tique et morphologique. La variabilit� observable dans les manuscrits du XIIIe si�cle n'est pas � analyser en termes de d�viations d'une norme centrale, car l'existence d'une norme centrale est loin d'�tre d�montr�e. Elle est donc � �tre analys�e en termes de diff�rences quantitatives dans la distribution de variables dialectales clefs, comme l'a fait Antonij Dees (1985).
+Comment et � quel moment une norme linguistique centrale a-t-elle pu se constituer? Nous avons vu plus haut que le fran�ais standard est bas� � l'origine sur une sorte de koin� ou langue mixte. Nous venons de voir les probl�mes de documentation sur lesquels nous butons si nous cherchons � voir se constituer cette koin� d'abord dans la langue �crite, et les probl�mes de plausibilit� sociolinguistique qui se posent si nous cherchons � cette �poque � faire passer des formes �crites dans l'usage parl� d'une population peu alphab�tis�e. Est-ce que la sociolinguistique historique peut nous offrir un narratif plus satisfaisant ? Est-il possible que la koin� en question soit le r�sultat d'un m�lange de dialectes qui s'est produit dans le parler de la ville qui, au XIIIe si�cle, �tait en passe de devenir la capitale ? Une telle solution ne buterait ni contre le probl�me de la documentation, ni contre celui de la chronologie, ni contre celui du passage de l'�crit � l'oral.
+Chaque fois que des locuteurs provenant de secteurs diff�rents d'un continuum dialectal viennent en contact, on s'attendra � ce que se d�veloppent des vari�t�s mixtes temporaires. Nous avons parfois � faire � des locuteurs individuels qui, en se d�pla�ant sur le territoire, nivellent les traits les plus saillants de leur parler local. C'est le cas, on l'imagine, des jongleurs itin�rants qui s'accommodaient aux parlers de leurs diff�rents publics. Parfois nous avons affaire � des locuteurs provenant de r�gions diff�rentes et convergeant sur une place centrale. L�, il est l�gitime de supposer que dans leurs interractions quotidiennes ils �liminaient leurs traits r�gionaux les plus marqu�s. On se place loin de la v�rit� si l'on imagine la soci�t� fran�aise m�di�vale comme �tant une soci�t� statique. Les locuteurs du gallo-roman s'�taient toujours d�plac�s sur leur territoire, s'accommodant au parler de leurs interlocuteurs � chaque rencontre. Cependant, d'innombres actes d'accommodation individuels ne peuvent donner naissance � une koin� stable que lorsque certaines conditions auront �t� remplies : il faut surtout une p�riode d'interractions sociales intenses et r�guli�res durant laquelle les actes d'accommodation individuels commencent � s'orienter tous dans la m�me direction.
+Pour qu'une koin�isation puisse se produire, il est n�cessaire qu'une focalisation significative des interactions ait lieu dans quelque place centrale, g�n�ralement une ville. Les si�cles qui suivirent la chute de l'empire romain ont vu non seulement la dialectalisation du latin, mais aussi la fragmentation du r�seau urbain du monde antique. C'est seulement au XIe si�cle que les choses ont commenc� � changer avec l'essor d'une nouvelle urbanisation qui a d�but� en Italie du nord et dans les Pays-Bas avant d'affecter Paris qui, au cours du XIIe si�cle passa au premier rang des villes europ�ennes, abritant une population d'entre 100 000 et 200 000 habitants (voir Hohenberg & Lees 1985 : 11).
+Un trait essentiel de la d�mographie des villes m�di�vales �tait leur incapacit� � se remplacer, encore moins � augmenter sur la seule base de la fertilit� des habitants. Le maintien et encore davantage l'expansion d'une population urbaine d�pendait presqu'enti�rement de la capacit� de la ville d'attirer le surplus d�mographique d'un arri�re-pays rural toujours croissant. L'explosion d�mographique qu'a connue Paris au XIIIe si�cle �tait d�e presqu'enti�rement � l'immigration. Les historiens de la langue ne peuvent pas ignorer des d�veloppements d�mographiques de cette ampleur. On peut pr�voir avec une grand part de certitude que l'intensit� et la r�gularit� des interractions sociales qui se produisaient � Paris au XIIIe si�cle ont provoqu� un grand m�lange dialectal et la focalisation d'une nouvelle vari�t� koin�is�e. Ceci aura eu l'effet de sur�lever le parler de la grande ville non seulement au-dessus du continuum dialectal du nord gallo-romain en g�n�ral, mais m�me au-dessus des parler de la campagne environnantes, baptis�s traditionnellement le francien. Il est n�cessaire de penser que le ph�nom�ne des dialectes urbains n'est pas l'apanage des soci�t�s industrielles modernes. Il a pu se manifester aussi dans les grandes villes m�di�vales.
+L'�tude de Claire Fondet que nous avons cit�e plus haut (�2.0) a d�montr� comment le fran�ais standard comporte un m�langes de formes appartenant � l'Ile-de-France avec des formes venues d'ailleurs. Les quatre traits suivants peuvent servir d'exemples des premiers :
+Quant aux formes venues d'ailleurs, Fondet a isol� les quatre traits suivants :
+A ces variables nous pouvons ajouter la variable phon�tique suivante :
+(ix) [o] ~ [jo] ex. manteau, seau, eau (ALF 1208)
+O� en �tait la mixture au XIIIe si�cle? Paris est loin d'�tre la premi�re ville du nord de la Gallo-Romania � se mettre � la production de documents en langue vulgaire, que ce soit pour des raisons litt�raires ou administratives. Elle a �t� devanc�e notamment par les Anglo-Normands et par les villes picardes. La premi�re charte royale en langue vulgaire remonte � 1241 (voir Videsott � para�tre), mais c'est seulement dans la deuxieme moiti� du si�cle que la chancellerie royale �met relativement souvent des documents en fran�ais.
+L'�tude des chartes parisiennes du XIIIe si�cle nous indique que la koin�isation parisienne, loin d'�tre �tablie d'avance, a d� attendre le XIVe si�cle pour �tre un tant soit peu stabilis�e. Les documents parisiens contiennent une combinaison de formes dialectales qui se transforme continuellement. Les formes endog�nes ((i)-(iv)) sont invariables, tandis que les formes exog�nes sont soumises � la variation et au changement : le changement implicite dans (vi) semble �tre parvenu � terme. Les changements implicites dans (vii), (viii) et (ix) sont des changements en cours, et le changement (v) ne fait que commencer.
+Ce papier s'est consacr� au premier des processus de standardisation isol�s par Einar Haugen, celui de la 's�lection des normes'. Nous avons soutenu que, tandis qu'en allemand et en italien, o� le processus de standardisation a commenc� plus tard, la langue standard est bas�e historiquement non sur un dialecte dominant mais sur des mod�les �crits, en fran�ais, o� la dominance de la capitale a pu s'exercer beaucoup plus t�t, c'est l'usage parisien qui s'est impos�. Le fran�ais standard comporte un m�lange de formes dialectales. On peut imaginer que cette koin� ait �t� � l'origine une construction purement �crite, mais il serait plus r�aliste de supposer qu'elle r�sultait d'une koin�isation r�elle survenue dans le parler parisien lors du prodigieux essor d�mographique qu'a connu cette ville aux XIIe-XIIIe si�cles.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les situations p�dagogiques lors desquelles tout ou partie de la communication s'effectue � travers le r�seau Internet sont de plus en plus r�pandues, qu'il s'agisse de formation d'enseignants � distance (par exemple, les master FLE en ligne de Grenoble ou du Mans), d'�changes exolingues en ligne (Degache & Mangenot, 2007) ou encore de travail collectif en compl�ment d'une formation en pr�sentiel (dispositifs dits � hybrides �, cf. Charlier, Deschryver, Peraya, 2006). La didactique du fran�ais, qu'il s'agisse du FLM ou du FLE, n'est �videmment pas la seule � s'int�resser � ces nouvelles formes de communication p�dagogique : les sciences de l'�ducation, les sciences de l'information et de la communication (SIC), l'informatique (avec le sous domaine des Environnements interactifs pour l'apprentissage humain), voire la psychologie des apprentissages �tudient �galement, sous des angles et avec des paradigmes de recherche divers, ces situations d'apprentissage instrument�. Les sciences du langage et la didactique (du FLE, du FLM, des langues) poss�dent cependant plusieurs atouts : elles analysent depuis longtemps les interactions en classe ; elles s'int�ressent �galement aux interactions exolingues (Matthey, 2003) ; elles participent enfin, en concurrence - ou en interdisciplinarit� - avec les SIC, au champ d'�tude de la communication m�diatis�e par ordinateur (CMO), dont Jacques Anis (1998) est le pionnier en France. Ces pr�c�dents lui donnent, on le verra, un regard sp�cifique sur ce domaine. Mais on examinera tout d'abord, de mani�re plus g�n�rale, l'int�r�t de prendre la communication p�dagogique m�diatis�e par ordinateur (CPMO) pour objet d'�tude, puis quelques questions de recherche �mergentes.
+L'int�r�t pour la CPMO se fonde sur un pr�suppos� fort, celui qui pose que le v�ritable apport d'Internet � la formation tient plus � sa dimension horizontale (�changes, mutualisation, r�seaux sociaux, communaut�s de pratiques, etc.) qu'� sa dimension verticale transmissive (de loin la plus r�pandue, comme le constatent Albero et Thibault, 2004). On abordera ici quatre dimensions de la CPMO qui ne s'excluent pas les unes les autres : la contribution qu'elle peut apporter � la conception de dispositifs innovants, le lien social qu'elle permet d'assurer dans le cas des formations tout � distance, la mise en relation de locuteurs de langues diff�rentes et la r�flexivit� que permet l'�crit asynchrone partag�.
+La Formation ouverte et � distance (FOAD) peut �tre consid�r�e comme un secteur en voie de structuration scientifique (surtout en sciences de l'�ducation), parall�lement � son implication pratique dans le champ de la formation professionnelle. Les notions de � dispositif �, d'� approche dispositive �, d'accompagnement p�dagogique, d'autonomie et d'autoformation sont au coeur des investigations men�es par les chercheurs de ce champ.
+En langues, de plus en plus de dispositifs hybrides sont propos�s aux �tudiants non sp�cialistes (Degache & Nissen, 2007) et peuvent donc faire l'objet d'�tudes empiriques. Charlier, Deschryver & Peraya (2006) d�finissent ainsi l'hybridation : � des dispositifs articulant � des degr�s divers des phases de formation en pr�sentiel et des phases de formation � distance, soutenues par un environnement technologique comme une plate-forme de formation � ; ils soulignent par ailleurs le caract�re innovant de tels dispositifs. L'innovation peut se jouer � diff�rents niveaux :
+Dans le cas de formations enti�rement � distance, comme c'est le cas de plusieurs masters de FLE (Grenoble, Rouen, Le Mans), Internet permet d'une part de cr�er un lien plus interactif entre les enseignants et les �tudiants, d'autre part et surtout d'�tablir un lien social entre les �tudiants. On s'est assez rapidement rendu compte, � la fin des ann�es 1990, que la faible participation des �tudiants aux premiers forums qui accompagnaient les formations provenait plus d'un tutorat insuffisant et d'un manque d'objectifs fix�s � ces forums que d'une r�ticence � �changer via Internet. D�s que des t�ches collectives tirant parti de l'outil ont �t� propos�es, la participation s'est fortement accrue et, � c�t� d'�changes de nature socio-cognitive, on a commenc� � observer des ph�nom�nes d'ordre socio-affectif et l'�tablissement d'un lien social (Develotte & Mangenot, 2004). Engag� depuis 1999 dans la migration vers Internet d'un master de FLE auparavant d�livr� par correspondance sous forme traditionnelle, Mangenot (2002, 2003) a pu analyser les �changes �crits asynchrones qui se faisaient jour dans ce cadre et notamment mettre en relation les t�ches propos�es avec la nature des �changes entre pairs et avec le tuteur.
+S'il est un domaine o� les �changes en ligne ont tendance � se multiplier, c'est bien celui de l'apprentissage des langues. La tradition du � pen friend � existait depuis longtemps, mais Internet a permis de revivifier ce genre de pratiques. S'il est toujours possible de faire communiquer des apprenants en mode un � un, avec les Tandems par Internet, de nombreux projets amenant des groupes � �changer en ligne de mani�re institutionnelle se sont d�velopp�s ces derni�res ann�es : centr�s parfois sur l'intercompr�hension � l'int�rieur d'une famille de langues (Galanet), souvent sur la pratique � parit� de deux langues, visant presque toujours un �change au plan culturel, impliquant dans certains cas de futurs enseignants de langue, ces projets sont d'une grande diversit� et on se contentera ici de renvoyer � deux recueils consacr�s � cette question : Online Intercultural Exchange (O'Dowd, 2007) et Lidil 36, �changes exolingues via Internet et appropriation des langues-cultures (Degache & Mangenot, 2007). Plusieurs th�ses, qui ont obtenu la qualification en sciences du langage, ont d�j� �t� soutenues sur ce sujet.
+Dans le prolongement de l'approche anthropologique de Goody, L�vy (1990) a qualifi� les TIC de � technologies intellectuelles �. Plus concr�tement, des chercheurs anglais en sciences cognitives, Sharples & Pemberton (1990), ont relev� les divers modes d'ext�riorisation de la cognition li�s aux diff�rents artefacts, du post-it aux assistants logiciels � l'�criture. Dans cette m�me optique, Lamy & Goodfellow (1998) parlent de � conversations r�flexives [...] par conf�rence asynchrone � et Mangenot (2004) souligne deux caract�ristiques particuli�rement int�ressantes [des forums] : la souplesse chronologique qu'autorise le temps diff�r� et la permanence de l'�crit qui fait du forum l'�quivalent d'un texte en perp�tuelle voie d'enrichissement. Cette permanence, li�e � l'accessibilit�, permet de parler � la fois d'ext�riorisation et de partage de la cognition.
+C'est dans cet esprit qu'il est de plus en plus fr�quent d'accompagner les stages professionnels ou l'entr�e en fonction des futurs enseignants (ou enseignants d�butants) par des forums ou des blogs ayant pour objectifs :
+Outre la formation d'enseignants, le r�seau permet de mener des projets d'�criture avec des �l�ves de l'�cole primaire ou du coll�ge ; dans ce cas, l'outil sert avant tout � valoriser et socialiser les �crits, dans le m�me esprit que ce qui se pratique dans les Ateliers d'�criture. Il ne semble pas encore y avoir beaucoup de recherches s'int�ressant � ce dernier cas de figure.
+Ayant ainsi un peu mieux caract�ris� notre objet, les �changes en ligne, nous allons maintenant passer en revue quelques questions de recherche.
+La formation � distance constituait d�j� un objet de recherche avant l'�mergence du r�seau Internet. Mais l'instrumentation de la communication a rendu plus n�cessaires les approches pluridisciplinaires. L'on peut ainsi distinguer des questions de recherche pr�existantes au r�seau Internet de celles qui abordent plus sp�cifiquement les situations p�dagogiques collectives instrument�es. Pr�cisons que cette partie ne pr�tend pas � l'exhaustivit�.
+On ne fera qu'�voquer d'une part la th�orie de la distance transactionnelle, de M.G. Moore (bien d�crite et op�rationnalis�e par J�z�gou, 2007), et celle de l'industrialisation de la formation (Moeglin, 1998), ancr�e pour l'une en sciences de l'�ducation, pour l'autre en SIC. Ces deux th�ories ont le m�rite de resituer la formation � distance dans un contexte institutionnel et sociopolitique plus large que les questions de CPMO, mais elles n'offrent que peu d'accroche pour le chercheur en didactique des langues.
+A l'inverse, deux courants importants de la didactique des langues analysent les �changes en ligne. Ainsi, les acquisitionnistes anglo-saxons (Second Language Acquisiton Research) ont-ils conduit de nombreuses �tudes autour de questions li�es aux sp�cificit�s des situations de CPMO par rapport aux situations pr�sentielles. Trois questions ressortent fr�quemment, que nous ne ferons qu'�voquer en renvoyant � une r�f�rence, celle de la prise de parole plus ais�e et mieux r�partie (Kern, 1995 ; Fitze, 2006), celle des variations entre langue orale, langue �crite et langue de la CMO (Kern, 1995), celle de la richesse lexicale (Fitze, 2006), celle de la n�gociation du sens (Vandergriff, 2006).
+De m�me, la question de l'acquisition d'une comp�tence interculturelle a-t-elle fait l'objet de plusieurs recherches r�centes portant sur les �changes en ligne. Aux Etats-Unis, un courant est m�me apparu, avec la publication d'un ouvrage �ponyme, l'Internet-mediated Intercultural Foreign Language Education (Belz & Thorne, 2006). Les auteurs de cet ouvrage se penchent souvent sur des �pisodes de communication manqu�e (� missed communication �) et tentent de mod�liser les conditions d'un dialogue interculturel efficace. Dans le m�me esprit, Mangenot & Tanaka (2007), s'appuyant sur la notion d'ethos communicatif, montrent comment certains malentendus potentiels entre �tudiants japonais et fran�ais peuvent �tre d�samorc�s - voire explicit�s - par les coordonnateurs de l'�change.
+Les trois principales questions de recherche nouvelles suscit�es par les �changes collectifs en ligne sont l'effet des outils de communication, le tutorat en ligne et les formes de travail collectif.
+L'artefact technologique, on l'a d�j� �voqu� en citant Goody, n'est �videmment pas neutre par rapport aux pratiques langagi�res. Il est alors pertinent d'essayer de mod�liser l'interrelation (�galement appel�e � affordance �) entre les caract�ristiques technologiques, les interactions verbales et les t�ches r�alis�es par les apprenants, comme le font Lamy & Hampel (2007, p. 33) dans un tableau o� ces trois param�tres sont repr�sent�s sous forme de cercles entrecrois�s. Cette approche est forc�ment pluridisciplinaire : les sciences du langage apportent leur connaissance des interactions verbales, l'informatique et l'ergonomie leurs analyses de la technologie, les SIC l'analyse des usages, les sciences de l'�ducation ou la didactique des langues les typologies de t�ches et d'objectifs. A noter l'int�ressante notion de � culture-of-use �, d�velopp�e par Thorne (2006, p. 21), qui souligne que les outils de communication, en tant qu'artefacts culturels, prennent diff�rentes significations et font l'objet d'usages diff�rents (notamment en termes de genre) selon les communaut�s qui les utilisent ; cet auteur cite des exemples de communication rat�e du fait de l'utilisation d'un outil (le courriel) ressenti par les �tudiants am�ricains comme inadapt� aux �changes entre pairs.
+Le tutorat en ligne, pour sa part, s'il partage quelques caract�ristiques avec d'autres formes d'accompagnement en face � face, pr�sente n�anmoins de fortes sp�cificit�s, notamment sur le plan temporel et sur celui du mode principal d'expression, la langue �crite. De nombreux travaux analysent ainsi le discours tutoral, que ce soit pour y rep�rer les diff�rentes fonctions qu'il remplit (Denis, 2003), pour analyser la mani�re dont chacun s'efforce de cr�er un lien social (Develotte & Mangenot, 2004), ou encore, de mani�re plus prax�ologique, pour d�terminer quel impact sur l'apprentissage ont diff�rentes modalit�s d'intervention tutorale (Quintin, 2007).
+L'�tude des apprentissages collectifs en r�seau, enfin, est l'objet de tout un champ de recherche tr�s d�velopp� dans le monde anglo-saxon, le Computer-supported Collaborative Learning (CSCL). Contentons-nous ici de signaler que Dejean-Thircuir & Mangenot (2006) critiquent l'omnipr�sence, au plan de la recherche, de la question de la collaboration (tr�s exigeante pour les �tudiants comme pour les tuteurs), au d�triment de l'analyse d'autres formes d'apprentissage collectif comme la mutualisation ou la discussion.
+Il y a une douzaine d'ann�es, des chercheurs en technologies �ducatives relevant du champ du CSCL (cf. supra) avaient sugg�r� d'aborder les apprentissages collectifs m�diatis�s � partir d'une analyse qualitative des interactions verbales :
+A promising possibility for collaborative learning research therefore is to exploit selective branches of linguistics research on models of conversation, discourse or dialogue to provide a more principled theoretical framework for analysis. [Dillenbourg et al., 1996, p. 203]+
Leur hypoth�se �tait que l'analyse des interactions pouvait permettre de caract�riser les situations lors desquelles la collaboration se r�v�lait efficace, plus s�rement qu'une approche exp�rimentale cherchant � contr�ler le maximum de variables et � �tablir des rapports de cause � effet entre d'autres variables d�finies a priori. Cependant, la grande majorit� des �tudes qui ont emprunt� cette voie (par exemple, Quintin, 2007) se sont appuy�es sur l'analyse de contenu quantitative (ACQ), m�thodologie impliquant � deux op�rations fondamentales, la pr�cat�gorisation th�matique des donn�es textuelles, et leur traitement quantitatif, g�n�ralement informatis� � (Charaudeau & Maingueneau (2002, p.39) ; on notera que ces auteurs opposent cette m�thodologie � l'analyse du discours. De Wever et al. (2006) se livrent � une revue critique de quinze recherches consacr�es � l'�tude des forums p�dagogiques et utilisant la m�thodologie de l'ACQ ; en r�action � cette �tude, Mangenot (2007) remarque que la plupart des cadres th�oriques pass�s en revue rel�vent de la dimension cognitive ou socio-cognitive et �met l'hypoth�se que l'ACQ se pr�te moins bien que des approches plus linguistiques � l'examen de ph�nom�nes complexes li�s � la dimension socio-affective ou au contexte socio-culturel, dans la mesure o� elle se contente de coder et compter des �nonc�s au lieu de les analyser de mani�re plus fine.
+L'on peut ainsi avancer que l'apport des sciences du langage se situerait plut�t du c�t� du qualitatif et de d�marches ethnom�thodologiques, l'id�e �tant d'observer, de d�crire et de chercher � comprendre les logiques (les � m�thodes �) des acteurs, �ventuellement de parvenir � certaines mod�lisations, plut�t qu'� essayer de prouver l'efficacit� de telle ou telle situation de collaboration � distance. Par manque d'espace, on se contentera ici de trois rapides illustrations, qui ne pr�tendent pas �puiser l'apport des sciences du langage � l'analyse des interactions en ligne.
+L'approche � interactionniste cognitiviste � en didactique des langues, telle que propos�e par Matthey (2003), peut assez ais�ment �tre reprise, plus ou moins fid�lement, pour l'analyse des interactions en ligne (Lamy & Goodfellow, 1998), notamment dans le cas d'�changes plurilingues (Degache & Tea, 2003). Rappelons que Matthey d�veloppe � une th�orie de l'acquisition des langues secondes bas�e sur l'analyse d'interactions concr�tes et dans lesquelles on cherche � observer des transmissions et des constructions de savoirs. � (p.136).
+Anis (1998) a sans doute �t� le premier linguiste fran�ais � appliquer � des �changes �lectroniques, en l'occurrence des conversations par Minitel, un certain nombre de notions apport�es par l'analyse conversationnelle ; il compl�tait cet apport par une approche s�miolinguistique, portant une grande attention aux nouveaux � usages grapho-linguistiques �. Dans le domaine �ducatif, il est tout � fait possible de s'appuyer sur une telle approche, pour observer par exemple la mani�re dont se structurent les interactions (Celik, 2007), dont se positionnent et se mettent en sc�ne les acteurs les uns par rapport aux autres (Blandin, 2004), dont se jouent les questions de faces (Mangenot, 2004), notamment en situation interculturelle.
+Concernant l'analyse du discours, celle-ci peut �tre appel�e � la rescousse pour caract�riser les marques �nonciatives permettant de rep�rer l'�tablissement d'une communaut� d'apprentissage ou plus largement les marques caract�risant le lien socio-affectif (Develotte & Mangenot, 2004) ; ou encore pour relever une source possible de malentendu dans les �changes interculturels li�e � la question des genres de discours en ligne (Ware & Kramsch, 2005, Thorne, 2006). Elle est �galement bien outill�e pour rep�rer les ethos communicatifs (Kerbrat-Orecchioni, 2005) selon l'appartenance culturelle, voire la � dimension idioculturelle des micro-communaut�s d'apprentissage en ligne � (Dolci & Spinelli (2007).
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Ce texte a pour objectif d'expliciter un certain nombre d'enjeux qui se posent de mani�re g�n�rale en sciences du langage aujourd'hui et qui re�oivent une r�ponse sp�cifique de la part de la linguistique interactionnelle. Cela permet de situer la contribution d'une litt�rature r�cente et souvent encore peu connue en France et de poser les bases pour une discussion sur ses �volutions actuelles.
+Une des exigences de plus en plus affirm�es au sein de la linguistique contemporaine concerne la n�cessit� d'articuler diff�rents paliers d'analyse, qui s'exprime de diverses mani�res selon les paradigmes th�oriques : articulations entre syntaxe et pragmatique, entre propri�t�s structurelles de la langue et ses usages en soci�t�, entre contraintes formelles et fonctionnelles. Plusieurs courants linguistiques ont jou� un r�le fondamental dans le d�veloppement de ces interfaces : on peut mentionner la linguistique fonctionnelle de Talmy Givon, les d�veloppements r�cents de la construction grammar, les diff�rentes formes d'�mergentisme, l'�tude de la grammaticalisation qui prend de plus en plus en compte les contraintes pragmatique et discursives, voire interactionnelles.
+Cette premi�re exigence va de pair avec une seconde, consistant � reconna�tre l'importance de travailler sur des corpus de donn�es attest�es : cette exigence, critique aussi bien envers la d�marche introspective qu'envers les techniques d'�licitation de r�ponses contraintes sur le langage, r�pond � l'enjeu th�orique de d�velopper des usage-based grammars.
+La linguistique interactionnelle est un paradigme r�cent, qui a �merg� comme tel durant les ann�es 90, tout en reposant sur les acquis de l'analyse conversationnelle, apparue dans les ann�es 60. Elle r�pond de mani�re sp�cifique � ces exigences, en d�veloppant un projet syst�matique d'�tude de la langue dans l'interaction, sur la base d'enregistrements d'interactions en situation naturelle. Tr�s pr�sente dans la linguistique scandinave, anglo-saxonne et allemande, elle l'est encore peu dans le paysage de la linguistique fran�aise, tout en commen�ant � s'y d�velopper, comme en t�moignent les articles pr�sents dans cette section. Dans ce qui suit nous allons rappeler quelques rep�res historiques (1.), pr�ciser la d�marche relative aux corpus (2.) et � leur analyse (3.), avant d'expliciter la mani�re dont s'imbriquent analyse de l'organisation de l'interaction et analyse des ressources linguistiques (4.), avant de conclure sur quelques enjeux majeurs qui ouvrent sur un chantier encore largement � d�fricher (5.).
+Il est int�ressant de constater que les principes de l'interactionnisme �mergent chez des auteurs tr�s disparates au d�but du XXe si�cle - aussi divers que les pragmatistes am�ricains, tels que Mead, Dewey, ou James, et les auteurs sovi�tiques tels que Bakhine-Volosinov et Vygotsky. Tous reconnaissent de diff�rentes mani�res l'ancrage des dynamiques de l'esprit comme du langage dans la pratique et plus pr�cis�ment dans les pratiques interactionnelles.
+Pour ne prendre qu'un exemple, Volosinov affirme d�s 1929 que :
+Word is a two-sided act. It is determined equally by whose word it is and for whom it is meant. As word, it precisely the product of the reciprocal relationship between speaker and listener, addresser and addressee [...] A word is territory shared by both addresser and addressee, by the speaker and his interlocutor. (Volosinov, 1929, trad. anglaise, 1973 : 86).+
Cette reconnaissance pr�coce du r�le de l'interaction dans la structuration du langage et de l'action r�ciproque des co-participants non seulement sur la compr�hension de ce qui est �chang� mais sur la production m�me (cf. Bronckart et Br�s, ici-m�me, pour une discussion de cet h�ritage) entre en r�sonance avec les contributions plus r�cents de la linguistique interactionnelle - notamment le travail pionnier de Goodwin, dans son analyse, d�s 1979, de l'�nonc� comme �tant co-produit interactionnellement par les interlocuteurs dans les d�tails les plus subtils de son �nonciation (voir Goodwin, 1981), permettant d'inscrire le principe interactionnel au sein d'unit�s traditionnellement trait�es comme relevant typiquement de l'activit� monologale du locuteur.
+C'est dans les ann�es 60 que l'h�ritage de l'interactionnisme dans diff�rentes disciplines (sociologie, psychologie, linguistique) donne lieu � la formulation de mod�les d'analyse qui joueront un r�le fondamental pour le d�veloppement de la pragmatique, de l'analyse du discours et de l'analyse de l'interaction en linguistique, avec de fortes ramifications interdisciplinaires. Goffman y intervient comme un point de r�f�rence central, inspirant aussi bien l'analyse conversationnelle (Sacks, Schegloff, Jefferson, 1979, 1977, Schegloff & Sacks, 1973 ; Sacks, 1992 ; Schegloff, 2007 - cf. Lerner 2004 pour une anthologie d'�crits des fondateurs), sur le mod�le de l'Ecole de Birmingham (Sinclair & Coulthard, 1975), qui sera repris en France par l'Ecole de Gen�ve (Roulet, 1980, Roulet et alii 1985), sur la sociolinguistique interactionnelle (Gumperz, 1982), sur les th�ories de la politesse (Brown & Levinson, 1978) reprises en France par les travaux de Kerbrat-Orecchioni (1990 - 94).
+Dans ce contexte, l'analyse conversationnelle (AC) appara�t dans les ann�es 60 comme une mani�re de d�velopper le programme ethnom�thodologique (fond� par Garfinkel, 1967) en ancrant l'�tude de l'organisation situ�e des pratiques sociales dans l'analyse fine d'enregistrements - audio � l'�poque - de pratiques interactionnelles naturelles. L'analyse conversationnelle est le premier courant qui a r�pondu de mani�re syst�matique � l'exigence de travailler sur des donn�es enregistr�es naturelles : l'int�r�t pour la parole conversationnelle est � maintes reprises signal� par Sacks (1984) comme ne relevant pas d'un int�r�t particulier pour le langage en soi mais comme �tant un byproduct de l'exigence de fonder la description des � m�thodes � par lesquelles les co-participants organisent, interpr�tent et produisent leurs contributions � l'interaction sur des enregistrements de situations de parole naturelles. Reste que cette exigence produira un corps important d'�tudes sur les caract�ristiques syst�matiques de la parole-en-interaction, centr�es sur la conversation d'abord - entendue comme l'usage prototypique du langage le moins contraint et donc offrant la plus grande diversit� de formats s�quentiels - sur des interactions institutionnelles et professionnelles ensuite, permettant d'observer la sp�cialisation des formats conversationnels dans divers contextes sociaux (Drew & Heritage, 1982).
+Le but de l'AC, dans sa g�n�ralit�, est de rendre compte de la conversation comme un ph�nom�ne ordonnn�. Cet ordre toutefois n'est pas pr�existant � la conversation, ni n'ob�it � des principes qui lui seraient ext�rieurs et qui ne feraient qu'y �tre reproduits : cet ordre est produit in situ, par les participants, de mani�re endog�ne. L'objet de l'analyse est donc moins l'ordre lui-m�me que la mani�re dont il est accompli, gr�ce � des proc�d�s - des m�thodes - mis en oeuvre par les participants, qui sont, eux, reproductibles et g�n�ralisables. Ainsi que le r�sume Psathas, la t�che de l'analyste est par cons�quent de produire une description des principes d'ordre, tels que trait�s par les participants :
+++Conversation analysis studies the order/organization/orderliness of social action, particularly those social actions that are located in everyday interaction, in discursive practices, in the sayings/tellings/doings of members of society.
+Its basic assumptions are :
++
+- Order is a produced orderliness.
+- Order is produced by the parties in situ; that is, it is situated and occasioned.
+- The parties orient to that order themselves; that is, this order is not an analyst's conception, not the result of the use of some preformed or preformulated theoretical conceptions concerning what action should/must/ought to be, or based on generalizing or summarizing statements about what action generally/frequently/often is.
+- Order is repeatable and recurrent.
+- The discovery, description, and analysis of that produced orderliness is the task of the analyst.
+- Issues of how frequently, how widely, or how often particular phenomena occur are to be set aside in the interest of discovering, describing, and analyzing the structures, the machinery, the organized practices, the formal procedures, the ways in which order is produced.
+- Structures of social action, once so discerned, can be described in formal, that is, structural, organizational, logical, atopically contentless, consistent, and abstract, terms.
+(Psathas, 1995, 2 - 3) +
Fid�le en cela � son inspiration ethnom�thodologique, l'analyse conversationnelle observe un double principe : d'une part, elle reconna�t que l'action est situ�e, occasionn�e, sensible aux contingences et orient�e vers le contexte de sa production et vers sa sp�cificit� : elle est irr�m�diablement indexicale. D'autre part part, elle consid�re que cette action est localement organis�e gr�ce � des proc�d�s qui, eux, traversent les contextes de leur mise en oeuvre et se caract�risent non seulement par leur r�currence mais plus fondamentalement par leur syst�maticit�. La prise en compte de ces deux aspects ensemble - alors m�me qu'ils sont souvent trait�s comme contradictoires ou mutuellement exclusifs - est fondamentale pour appr�cier le programme de l'AC.
+La linguistique interactionnelle appara�t dans ce contexte, en r�ponse � la question de savoir quel r�le, � la fois structurant et structur�, jouent les ressources grammaticales dans et pour l'organisation de l'interaction. Dans l'�mergence de ce courant, la publication de l'ouvrage collectif Grammar in Interaction, �dit� par Ochs, Schegloff & Thomspon (1996), fonctionne comme un d�clencheur, avec l'ambition de revisiter la grammaire � l'aune de l'interaction. Le terme de � linguistique interactionnelle � appara�t quelques ann�es plus tard (Mondada, 1998/2001 ; Selting & Couper-Kuhlen, 2001a, 2001b). Depuis, il a eu une fortune consid�rable, surtout en Europe, en parvenant � unifier un nombre croissant de chercheurs, autour d'un congr�s r�gulier (International Conference on Conversation Analysis, ICCA, Copenhagen, 2002, Helsinki, 2006, Mannheim, 2010) et avec des ouvrages collectifs de r�f�rence (Ochs, Schegloff, Thompson, 1996 ; Couper-Kuhlen & Selting, 2001 ; Ford, Fox, & Thompson, 2002, Hakulinen & Selting, 2005). L'objectif qui est poursuivi est double (cf. infra 5.) : d�crire la mani�re dont les structures formelles de la grammaire - entendues comme des ressources exploit�es par les participants - sont mobilis�es de mani�re � la fois ad�quate � et contrainte par l'organisation de l'interaction et, en retour, montrer comment l'organisation de l'interaction laisse �merger des formes et des emplois formels particuliers, r�pondant � des fonctionnalit�s interactionnelles.
+La situation dans le domaine francophone est paradoxale : alors que les travaux s'int�ressant � l'interaction y apparaissent dans les ann�es 80, certains faisant une plus ou moins grande place � l'analyse conversationnelle et se diffusent largement dans les ann�es 90 (voir les travaux de Kerbrat-Orecchioni, 1990 - 94), les travaux d'analyse conversationnelle stricto sensu y sont moins nombreux. Aujourd'hui la production en linguistique interactionnelle est encore largement moins d�velopp�e � c�t� d'autres langues comme l'anglais, les langues scandinaves, le finnois, l'allemand ou le japonais.
+Malgr� la reconnaissance, d�s Saussure, de la langue parl�e comme objet premier de la linguistique, les normes de l'�crit on continu� pendant longtemps � configurer les mod�les du langage et de la langue (Harris, 1981, Linell, 2005). M�me si les technologies pour enregistrer la parole vive sont disponibles depuis tr�s longtemps - il suffit de penser � la cr�ation du Phonogrammarchiv de Vienne en 1899, de celui de Berlin en 1902 et des Archives de la parole par Ferdinant Brunot en 1911 ; mais aussi, en anthropologie, au fait que Haddon filme des danses et c�r�monies � Torres Strait d�s 1898 - ce n'est que � partir des ann�es 50 que ces techniques commencent � �tre syst�matiquement utilis�es par certains chercheurs. La Natural History of an Interview (McQuown, 1971), bas�e sur un entretien entre Bateson et Doris, une patiente, et film� en 1955, joue un r�le pionnier non seulement en tant que corpus enregistr� mais aussi pour l'exploitation syst�matique et interdisciplinaire qui en a �t� faite par ses auteurs - dont la tentative de codage des mouvements du corps par Birdwhistell est peut-�tre le plus connue (voir Mondada, 2006a, note 2, 315 - 316).
+Depuis les ann�es 60, l'AC est le mouvement qui a le plus th�matis� l'importance des donn�es enregistr�es � naturelles �, condition sine qua non d'une �tude d�taill�e de l'interaction telle qu'elle est localement organis�e par les participants (Sacks, 1984). Sacks s'est int�ress� tr�s t�t aux possibilit�s d'utiliser non seulement le magn�tophone mais aussi la cam�ra (voir l'article de Sacks & Schegloff, 1971, publi� en 2002). Mais c'est Charles Goodwin, fort d'une formation professionnelle dans la production filmique, qui d�s les ann�es 70 r�alise un grand nombre de corpus vid�o (analys�s dans sa th�se, publi�e en 1981, mais aussi largement diffus�s dans la communaut� conversationnaliste).
+L'importance que prennent les moyens d'enregistrement et par l� les exigences en mati�re de corpus (de � naturally occurring data �) va de pair avec une approche du langage comme pratique sociale : la langue, aux antipodes d'un syst�me abstrait, y est con�ue comme un ensemble de ressources indexicalement li�es aux conditions de leur usage, prenant sens dans l'action, et donc fortement li�e � sa temporalit� �mergente (cf. Mondada, 2005, 2006b).
+Plus pr�cis�ment, la linguistique interactionnelle inspir�e de l'AC insiste tout particuli�rement sur l'importance d'observer les activit�s des participants dans des �v�nements de la vie sociale ordinaire, dans des naturally occurring interactions, c'est-�-dire des interactions qui auraient eu lieu m�me en l'absence du chercheur et qui n'ont pas �t� �licit�es ou orchestr�es par lui en vue de leur enregistrement. Cette exigence est articul�e de mani�re coh�rente avec les exigences de l'analyse. Une de ses raisons fondamentales rel�ve du caract�re � la fois context-free, context-shaped et context-renewing des pratiques des locuteurs : d'une part, celles-ci s'organisent de mani�re localement situ�e, au sens o� elles sont dot�es d'une indexicalit� in�vitable et g�n�ralis�e, en s'ajustant aux contingences affectant les �v�nements et les activit�s - tout en contribuant r�flexivement � en (re)d�finir le contexte. Transposer ces pratiques dans un autre contexte signifierait les alt�rer de mani�re radicale, puisqu'elles s'ajusteraient � d'autres contingences.
+Ce qui constitue les donn�es a ainsi profond�ment chang� durant ces derni�res d�cennies en linguistique : on est pass� des exemples not�s � la vol�e, sans aucun enregistrement et donc sans aucune garantie quant � la pr�cision de la notation, � des enregistrements qu'on a eu tendance, pendant un certain temps, � d�laisser d�s qu'�tait �tablie leur transcription, ainsi autonomis�e, fondant l'analyse de chercheurs qui ne revenaient pas toujours aux bandes originales ; � des transcriptions alignant le texte avec sa source et permettant de mat�rialiser gr�ce � la technologie (gr�ce � des logiciels tels que CLAN, ELAN, Praat, ANVIL...) l'indissociabilit� entre donn�es primaires et donn�es secondaires, garantie d'un travail effectu� en r�f�rence constante aux donn�es enregistr�es.
+L'AC est un des courants qui a massivement contribu� � attirer l'attention vers l'importance de la transcription soigneuse des donn�es, non seulement du point de vue de la repr�sentation du segmental, mais aussi de la temporalit� de son d�roulement pas � pas (chevauchements, pauses, acc�l�rations, d�c�l�rations, structures rythmiques). Celle-ci concerne aussi bien la parole que les autres ressources multimodales (gestes, regards, mimiques faciales, mouvements du corps, manipulations d'artefacts) qui pose des probl�mes complexes de repr�sentation d�taill�e de la coordination et synchronisation fine entre les participants (voir sur la transcription de donn�es interactionnelles en fran�ais Bonu, 2002, B�rki & De Stefani, 2006, Mondada, 2000, 2006a, 2007a).
+Cette attention pour les donn�es s'incarne depuis les ann�es 60 dans une pratique d'analyse qui est indissociable de la pratique de la transcription et de l'enregistrement des donn�es : elle r�pond � l'exigence de travailler sur des donn�es dont on a une connaissance approfondie. N�anmoins, cela n'exclut pas que pour une syst�matisation des analyses (cf. infra), de grandes masses de donn�es soient n�cessaires, mises � disposition par des �changes informels entre chercheurs ou bien par des banques de donn�es con�ues � cet effet. C'est ainsi que sont apparues progressivement en linguistique des banques de donn�es accessibles sur Internet : celles-ci restent pour la plupart sp�cialis�es dans l'�crit ou constitu�es d'oral en grande partie �licit� (entretiens ou dispositifs exp�rimentaux) ; les banques de donn�es de corpus facilement accessibles � la communaut�, constitu�s de donn�es enregistr�es, en audio et en vid�o, d'interactions naturelles ne sont pas nombreuses sur le plan international : on mentionnera d'abord la TalkBank, d�velopp�e par Brian MacWhinney aux USA, qui en est l'exemple le plus ancien, dont les corpus sont unifi�s gr�ce au recours au logiciel CLAN - pour lequel une version sp�cialement am�nag�e pour l'AC a �t� d�velopp� avec Johannes Wagner (CLAN_CA). On mentionnera aussi la banque de donn�es CLAPI (Corpus de LAngue Parl�e en Interaction), d�velopp�e par le groupe ICOR du laboratoire ICAR � Lyon, qui est une plateforme qui articule une archive de corpus d'interactions en milieu naturel et des moteurs de recherche en permettant l'exploitation outill�e.
+Sur la base de ces mat�riaux recueillis au fil de � naturally occurring interactions �, l'AC se caract�rise par deux proc�dures analytiques : la premi�re consiste � proposer une single case analysis, portant sur une donn�e qui est parcourue dans sa complexit� ; la seconde consiste � effectuer une � analyse de collection � qui se focalise sur un ph�nom�ne particulier dans des donn�es diff�rentes et qui vise � en montrer la syst�maticit�. Dans la premi�re, � the resources of past work on a range of phenomena and organizational domains in talk-in-interaction are brought to bear on the analytic explication of a single fragment of talk � (Schegloff, 1987 : 101) alors que la seconde consiste � utiliser � a set of fragments, then, to explicate a single phenomenon or a single domain of phenomena � (1987 : 101). Alors que la premi�re fa�on de faire exploite les connaissances analytiques existantes pour comprendre un cas singulier dans sa complexit� et pour �noncer des conjectures, la seconde permet d'envisager l'�tude d'un objet in�dit dans sa syst�maticit� et g�n�ralit�.
+La premi�re proc�dure a �t� privil�gi�e lors de la r�ception de l'AC : elle renvoie � l'attention pour la dimension indexicale de l'organisation conversationnelle, se traduisant par une attention aux d�tails particuliers qui fondent l'agencement de tel ou tel extrait enregistr� d'un corpus. En revanche, la seconde, qui prolonge la premi�re et s'incarne dans l'�laboration de collections, se traduisant par une exigence de d�monstration du caract�re r�current et syst�matique des ph�nom�nes d'ordre, a �t� davantage ignor�e (cf. Bonu, �d., � para�tre pour un panorama sur la production francophone).
+Pourtant cet aspect est central d�s les premiers travaux de l'AC dans les ann�es 60, comme en t�moignent les Lectures de Sacks (1992). Il y parle de l'objectif de l'AC visant � d�crire une � technologie � voire une � machinerie � de la conversation, i.e. un � apparatus �, un � ensemble de m�thodes � qui puisse renvoyer � la mani�re dont les instances observ�es ont �t� produites. Ces objectifs ont le m�rite de clarifier le fait que pour Sacks le but de l'AC n'a jamais �t� de se limiter � d�crire aussi pr�cis�ment soit-il une situation particuli�re ; le but reste - comme chez Garfinkel - la description de � proc�d�s �, qu'il appelle des � m�thodes � (des � ethnom�thodes �), qui produisent les instances observ�es (Schegloff, 1992b : 1338 parle de � procedural infrastructure of interaction �).
+Ainsi Sacks caract�rise son travail analytique comme visant une description de la fa�on dont les membres parviennent � produire m�thodiquement une action reconnaissable comme telle. Par exemple, en travaillant sur des instances d'� invitations �, le focus n'est pas mis sur un � �nonc� � en tant que tel qui permettrait de r�aliser l'invitation, ou sur l'�tablissement de d�finitions g�n�rales et constitutives de verbes de parole, � la mani�re des actes de langage (Schegloff, 1992a, I, xxvi), mais sur les m�thodes qui produisent des �nonc�s reconnaissables et reconnus par les participants comme une invitation (Sacks, II, 367). Ces m�thodes permettent �ventuellement de distinguer les invitations surgissant de l'interaction (� generated in that interaction �) des invitations dont l'�nonc� est planifi� � l'avance, voire qui sont le but de l'interaction (comme les invitations plac�es dans la raison de l'appel t�l�phonique) - les deux recevant des r�ponses diff�rentes et g�n�rant ainsi une suite d'actions diff�rente, ayant des trajectoires s�quentielles propres (Sacks, 1992, 1, 792 - 3 ; II, 210).
+Cette analyse ne part pas d'un exemple d'invitation typique produit par introspection ; elle ne consiste pas � identifier comme point de d�part un type d'action. En revanche, elle se penche sur une occurrence particuli�re, attest�e dans un corpus, pour se demander comment elle a �t� produite m�thodiquement et de mani�re situ�e (le caract�re m�thodique �tant responsable de la syst�maticit� des proc�d�s, alors que le caract�re situ� rel�ve de l'agencement indexical et contingent des d�tails en situation). Une fois identifi�e et analys�e cette occurrence, il s'agit de construire une collection d'occurrences similaires, qui sont reconnues par les participants comme des accomplissements reconnaissables de la m�me action.
+La construction d'une collection vise ainsi � explorer l'organisation r�currente d'un ph�nom�ne dans plusieurs fragments de corpus, en ob�issant � un certain nombre d'exigences qui fondent la � mentalit� analytique � particuli�re de l'AC et que nous allons rappeler bri�vement, en retra�ant la mani�re dont Schegloff (1996a) organise son analyse exemplaire d'une pratique particuli�re, � confirming allusions �. Il identifie cette pratique en rep�rant dans son corpus un ensemble de r�p�titions d'un segment pr�alable, identifi� comme ce qui �tait vis� dans le tour pr�c�dent, afin de ratifier les allusions qu'il contenait implicitement/qu'il laissait entendre. Cette r�p�tition est une pratique qui permet de r�aliser une action particuli�re, confirmer les allusions, apparemment minimale et optionnelle mais qui fait partie du � r�pertoire culturel � des locuteurs (Schegloff 1996a : 209) et qui permet de traiter le th�me important de l'implicite. Au moment de commencer l'enqu�te, Schegloff n'avait pas la moindre id�e qu'il pouvait y avoir une action de ce type dans notre soci�t�, il ne la pr�supposait pas, n'en cherchait pas des occurrences pour l'illustrer, ne pouvait pas l'imaginer. D'ailleurs, cette action ne re�oit pas de nom, de cat�gorie m�tapragmatique en langue : pour la d�couvrir, il n'aurait pas pu se baser sur � our vernacular understanding of typicalized couses of action � (Schegloff 1996 : 211). Et pourtant, ce sont de telles actions qui constituent une soci�t� dans son fonctionnement moment par moment dans l'interaction (et non telle qu'elle a �t� d�finie comme un objet disciplinaire d'�tude).
+On notera que le � ph�nom�ne � ainsi d�couvert est une � pratique �, qui impl�mente, accomplit, r�alise une � action � : en sont des exemples, outre les �tudes de collections d'ouvertures et de confirmation des allusions que nous avons d�j� cit�es, les analyses des �valuations (assessements) par Pomerantz (1984), des r�parations par Schegloff (1979, 1992b, etc.), de l'annonce de mauvaises nouvelles par Maynard (1997), de yes/no questions par Koshik (2000), ou de la raison de l'appel t�l�phonique (Couper-Kuhlen, 2001).
+On notera que l'analyse d'un � ph�nom�ne � ne porte pas a priori sur une � forme � : plus facilement recherchable dans un grand corpus, une forme ne constitue toutefois pas un point de d�part de l' � unmotivated looking �. La raison en est que g�n�ralement une forme isol�e ne r�alise pas en elle-m�me une action. Les formes du langage sont plut�t des � ressources � qui accomplissent des actions de par leur position particuli�re au sein d'une pratique et au sein d'une s�quence particuli�re. M�me si dans la litt�rature conversationnelle un certain nombre de formes ont fait l'objet d'analyses syst�matiques en collections - comme � oh � (Heritage, 1984, 1998, 2002) - il est significatif qu'elles l'aient �t� en rapport avec un positionnement s�quentiel particulier (1984), par exemple en r�ponse � une question (1998) ou � une �valuation (assessment, 2002) : c'est en tant que r�ponse � un assessment par exemple que � oh � devient une � m�thode � pour moduler l'accord et le d�saccord entre les participants.
+Une fois identifi�e une pratique - qui peut �tre effectu�e en mobilisant des ressources grammaticales r�currentes, mais pas uniquement - il s'agit de v�rifier qu'elle est bien une instance de l'action sur laquelle porte la collection, en montrant qu'elle a �t� reconnue comme telle par les participants. L'orientation des participants - le caract�re emic des ph�nom�nes �tudi�s - fonctionne ainsi comme une proc�dure de v�rification et de preuve, incarn�e par et dans les tours suivants, qui manifestent le type d'action accomplie par le tour pr�c�dent et sa compr�hension par les participants. On voit donc bien que le caract�re reconnaissable de l'action pour les participants est �troitement li� aux caract�ristiques de l'environnement s�quentiel de la pratique �tudi�e (ce qui pr�c�de, ce qui suit, les caract�ristiques du formatage du tour, son insertion dans un type de s�quence, etc.), qui constitue l'objet de la description syst�matique.
+L'analyse de collections constitue la mani�re sp�cifique � l'analyse conversationnelle de produire un ensemble syst�matique et cumulatif de connaissances sur l'organisation s�quentielle des ressources linguistiques en interaction. Ces connaissances sont souvent produites sur la base de grandes masses de donn�es ; si elles donnent lieu � ce que l'on a appel� une quantification � informelle � (expression de fr�quences et d'estimations quantitatives sous forme descriptive mais non chiffr�e), leur quantification est sujette � d'importantes discussions, qui ne nient pas a priori l'int�r�t de ce type de g�n�ralisation mais qui en interrogent critiquement les conditions. Ainsi dans un article fameux, Schegloff (1993) �nonce les probl�mes � r�soudre pr�alablement � la quantification - identification d'un d�nominateur commun, d�fini comme l'environnement s�quentiel sp�cifique des occurrences retenues, d�finition d'un num�rateur, ou de la s�rie d'items comptant comme des occurrences du ph�nom�ne ; d�limitation d'un domaine d'activit� organisationnellement pertinent pour le ph�nom�ne d�crit. Ces pr�alables montrent que la constitution d'une collection (core collection, une fois r�solus les probl�mes de boundary instances), au sens technique de l'AC, est bien l'�tape analytique indispensable pour pouvoir songer � une quantification (voir Robinson, 2007 sur ce point et Haakana, 2002 pour une discussion sur la possibilit� de quantifier les rires).
+En d�crivant la � machinerie � de l'alternance des tours de parole, Sacks, Schegloff et Jefferson remarquent que a) les locuteurs alternent r�guli�rement au cours de la conversation, b) g�n�ralement une seule partie parle � la fois, c) le passage d'un tour � l'autre se fait en minimisant les chevauchements et les silences (1974 : 700). La question ouverte par ces constats apparemment tr�s simples consiste � se demander comment les locuteurs effectuent cette alternance d'un tour � l'autre avec pr�cision, syst�maticit� et m�thodicit�, sans qu'ils aient � se concerter d'avance ou � en th�matiser explicitement le moment et la mani�re. La r�ponse � cette question a �t� cruciale pour l'essor de l'analyse conversationnelle et de la linguistique interactionnelle, puisqu'elle a fond� une analyse des ressources linguistiques telles que trait�es par les participants aux fins pratiques de la gestion du turn-taking.
+Depuis l'article princeps sur la � machinerie de l'alternance des tours � (Sacks, Schegloff, Jefferson, 1974), la notion de TCU (turn-constructional unit) a �t� reconnue comme d�finissant l'unit� interactionnelle minimale pour les participants ordonnant leurs contributions � la conversation. Le syst�me du turn-taking se base en effet sur deux composantes, l'une responsable de la composition des tours (turn-constructional component), l'autre de leur allocation (turn-allocation component). La premi�re permet de rendre compte de la fa�on dont les participants parviennent � identifier le moment o� l'alternance du tour peut avoir lieu, en r�duisant � la fois les chevauchements et les silences. L'efficacit� de la machinerie du turn-taking repose sur une analyse (par les participants) temporellement tr�s pr�cise du d�roulement de la parole, permettant la projection de la compl�tude des unit�s de construction du tour en train d'�merger dans la parole, d�gageant ainsi des possibles points de transition pertinents (transition-relevance places, TRP).
+La question des TCU est fondamentale pour la linguistique interactionnelle parce qu'elle montre que � given conversation as a major, if not THE major, locus of language's use, other aspects of language structure will be designed for conversational use and, pari passu, for turn-taking contingencies � (Sacks, Schegloff, Jefferson, 1974 : 722) et que donc non seulement l'organisation interactionnelle exploite la structure des ressources langagi�res existantes mais aussi, et en retour, que les structures de la langue sont configur�es de sorte � remplir leurs fonctionnalit�s interactionnelles. Dans l'article sur le turn-taking, les TCUs sont d�finis pour la premi�re fois de cette mani�re :
+There are various unit-types with which a speaker may set out to construct a turn. Unit-types for English include sentential, clausal, phrasal, and lexical constructions (cf. 4.13 below). Instances of the unit-types so usable allow a projection of the unit-type under way, and what, roughly, it will take for an instance of that unit-type to be completed. (1974 : 702).+
As for the unit-types which a speaker employs in starting the construction of a turn's talk, the speaker is initially entitled, in having a turn, to one such unit. The first possible completion of a first such unit constitutes an intial transition-relevance place. Transfer of speakership is coordinated by reference to such transition-relevance places, which any unit-type instance will reach. (1974 : 703).+
La premi�re caract�risation des TCUs est donn�e en termes syntaxiques par Sacks, Schegloff et Jefferson, dont le mod�le � identifies the types of turn-constructional units as sentential, clausal, phrasal, and lexical - i.e. syntactically � : son traitement � should indicate the deep ways in which syntax matters to turn-taking, albeit a syntax conceived in terms of its relevance to turn-taking. � (1974 : 720 - 721). Cette primaut� de la syntaxe est compl�t�e par la r�f�rence � la prosodie : � Clearly, in some understanding of 'sound production' (i.e. phonology, intonation, etc.), it is also very important to turn-taking organization. For example, discriminations between "what" as a one-word question and as the start of a sentential (or clausal or phrasal) construction are made not syntactically but intonationally. When it is further realized that any word can be made into a 'one-word' unit-type, via intonation, then we can appreciate the partial character of the unit-types' description in syntactic terms � (1974 : 721 - 722).
+Cette caract�risation initiale des TCUs a port� au d�veloppement d'une litt�rature importante, qui a d�velopp� plusieurs paliers d'analyse, en insistant sur les interfaces entre eux :
+Du point de vue de la linguistique interactionnelle, il ne faut pas oublier que la d�finition des TCUs et des TRPs reste un accomplissement pratique des membres - et que cette d�finition prax�ologique prime sur les consid�rations formelles qu'il serait possible d'�noncer sur la compl�tude de l'unit�. Cela signifie que les propri�t�s formelles du tour ne sont pas un ensemble de param�tres pouvant �tre �valu�s de mani�re exog�ne par l'analyste, mais plut�t un ensemble de ressources des participants, soumises � leur appr�ciation. Autrement dit, les TCUs concernent moins des structures formelles que des pratiques m�thodiquement organis�es des locuteurs (Ford, Fox, Thompson, 1996 : 431 ; Ford, 2004).
+Cette dimension prax�ologique a comme cons�quence que plut�t que de vouloir circonscrire des unit�s, l'objectif de l'analyse est de caract�riser des pratiques de construction du tour et de l'activit� effectu�e dans et par le tour ; plut�t que de viser des crit�res n�cessaires et suffisants de segmentation d'unit�s, d'identifier des pratiques qui accomplissent la compl�tion ou la continuation d'une unit�.
+De ce point de vue, des convergences aussi bien que des divergences entre dimensions sont observables : alors que la syntaxe peut indiquer une articulation en plusieurs unit�s, la prosodie, la relation s�quentielle avec ce qui pr�c�de ou la gestualit� peuvent indiquer une continuation de l'unit� : ces divergences peuvent �tre amplifi�es par l'interpr�tation en temps r�el des co-participants, qui peuvent privil�gier l'une ou l'autre lecture aux fins pratiques de leur propre action - par exemple pour prendre ou ne pas prendre le tour.
+En particulier, le locuteur peut intervenir sur la forme qu'est en train de prendre le tour et ses TCUs, en la transformant - par exemple en produisant une expansion ou bien en choisissant un format plus compact (Sacks, Schegloff, Jefferson, 1974 : 726), qui changent les conditions auxquelles les co-participants peuvent ou non prendre la parole.
+Ainsi, Local & Kelly (1986) montrent que le silence suivant une conjonction peut �tre configur� de sorte � faire l'objet de deux analyses possibles mais oppos�es : d'une part les participants peuvent traiter ce silence comme projetant quelque chose � venir de la part du locuteur (et, dans ce cas, comme ne repr�sentant pas des TRP) ; d'autre part, ce silence peut �tre produit, gr�ce � des caract�ristiques phon�tiques sp�cifiques, comme permettant une alternance du tour. Dans un cas on pourra le traiter comme une pause appartenant au tour in fieri, dans l'autre comme une pause inter-tour offrant un TRP.
+Cela produit, en d�finitive, une � ultimate 'indefinability' of TCUs [which] is essential to their functionality. Interactants regularly extend, foreshorten, reanalyze, and repair their developing turns in response to contingencies emergent at particular points in particular conversations � (Ford, Fox, Thompson, 1996 : 428) ; � thus projection creates a manipulable potential end point, a provisional and negotiable goal that can be confirmed or manipulated through the same practices that produced it in the first place � (1996 : 449).
+Plus g�n�ralement, l'essor de la linguistique interactionnelle permet aujourd'hui d'interroger de mani�re coh�rente la relation entre
+Si la d�marche consistant � constituer des collections invite � articuler �troitement ces trois dimensions, on remarque au sein de la linguistique interactionnelle contemporaine des variations - relevant souvent de la mani�re dont les auteurs se positionnent vis-�-vis d'autres recherches en linguistique et d�finissent par cons�quent leur objet - quant � la dimension qui est privil�gi�e et qui structure l'analyse.
+Une premi�re strat�gie consiste � se focaliser sur une forme, ensuite explor�e dans les s�quences qui la caract�risent et les actions qu'elle contribue � effectuer : cela repr�sente une mani�re de proc�der align�e avec la tradition linguistique, permettant dans certains cas de revisiter le traitement fonctionnel qui en a �t� propos� par elle (cela a �t� privil�gi� par les travaux sur les connecteurs et marqueurs linguistiques, comme � actually �, Clift, 2001 ; � obwohl � G�nther, 1999 ; en fran�ais � ben � ou � voil� � Bruxelles et Traverso, 2001, 2006, Groupe ICOR, 2008 ; � attends �, Groupe ICOR 2007, ou par les travaux sur certaines constructions syntaxiques, comme en fran�ais les dislocations � gauche, Fornel, 1988, Pekarek, 2001 ou la dislocation � droite, Horlacher, 2008).
+Une seconde strat�gie consiste � se focaliser sur des s�quences particuli�res : cette mani�re de proc�der s'aligne avec la tradition de l'analyse conversationnelle et privil�gie des environnements s�quentiels particuliers, que ce soient des positionnements s�quentiels au sein du tour (Schegloff, 1996b, Auer, 1996 ; en fran�ais Mondada, 2007b, � para�tre), des s�quences sp�cifiques (voir par exemple les nombreuses analyses des s�quences de r�paration, et leur contribution � l'�tude de la syntaxe : Schegloff, 1979, Fox & Jasperson, 1995, Egbert, 1997, Wu, 2007 ; en fran�ais voir les travaux de G�lich, 1986, G�lich & Kotschi, 1987 sur la reformulation), ou des ph�nom�nes s�quentiels particuliers (comme les chevauchements, Schegloff, 2000, en fran�ais Oloff, � para�tre).
+Une troisi�me angle d'approche consiste � adopter comme point de d�part une action ou la structuration d'une activit�, pour y analyser les types de ressources mobilis�es pour les accomplir (par exemple les plaintes, Drew, 1998, les offres Curl, 2006 ; par exemple la structuration des activit�s en transitions d'un �pisode � un autre, Bruxelles, Greco, Mondada, � para�tre, Mondada, 2006c, Mondada & Traverso, 2005, en s�quences d'ouverture, Schegloff, 1968 ; en fran�ais et en allemand Mondada & Schmitt � para�tre ; ou de cl�ture, Schegloff & Sacks, 1973, en italien De Stefani, 2006). L'analyse multimodale complexifie encore davantage ce paysage : les analyses des ressources gestuelles, visuelles, actionnelles se focalisent sur des clusters de ph�nom�nes concomitants et coordonn�s au sein d'actions particuli�res, sans oublier la mat�rialit� et la spatialit� du contexte o� elles sont accomplies (sur l'importance des d�placements, par exemple, voir une r�analyse de la deixis spatiale Mondada, 2005b, du rapport entre construction du tour et d�placement dans l'espace, Relieu, 1999, du rapport entre mouvement et organisation des tours De Stefani & Mondada, 2007).
+Ces diff�rentes options ne se contredisent pas en principe mais produisent des d�veloppements cumulatifs distincts, ayant des implications th�oriques diff�rentes pour la pens�e et l'approche de la langue en interaction.
+Une telle conception de la parole en interaction rel�ve plus g�n�ralement d'une approche des structures du langage qui consid�re non seulement que les premi�res sont s�lectionn�es, mobilis�es, exploit�es de mani�re fonctionnelle � l'interaction mais, plus radicalement, qu'elles sont configur�es, en tant que structures, d'une mani�re sensible � leur usage prototypique dans l'interaction. Comme le dit Schegloff,
+� it would hardly surprise us if some of the most fundamental features of natural language are shaped in accordance with their home environment in copresent interaction, as adaptations to it, or as part of its very warp and weft (Schegloff, 1989 : 142 - 4, 1991 : 153 - 5). For example, if the basic natural environment for sentences is in turns-at-talk in conversation, we should take seriously the possibility that aspects of their structure - for example, their grammatical structure - are to be understood as adaptations to that environment. In view of the thoroughly local and interactional character of the organization of turn-taking in conversation (SSJ, 1974), the grammatical structures of language should in the first instance be understood as at least partially shaped by interactional considerations (Schegloff, 1979). And one locus of those considerations will be the organization of the turn, the organizational unit which 'houses' grammatical units � (1996a : 54 - 55).+
Cette vision est proche de celle d�fendue par Hopper de la � grammaire �mergente � (1987), par laquelle il critique une grammaire bas�e sur un syst�me fixe voire fig�, pour inviter � penser la grammaire en relation avec les exp�riences des locuteurs en action, comme r�pondant aux contraintes et aux pressions exerc�es par le discours. Dans la perspective interactionnelle, cela am�ne � consid�rer que � it seems appropriate that grammar would arise from, or emerge from, a dynamic constellation of interactional practices � (Fox, 2007 : 302). Cette conception �mergentiste peut se penser � deux niveaux distincts mais interreli�s :
+Une premi�re cons�quence en est que la grammaire est con�ue comme un ensemble de ressources interactionnelles, non seulement actualis�es, non seulement mobilis�es mais aussi configur�es en r�ponse aux contingences de l'interaction ; cette grammaire partage avec les unit�s interactionnelles les caract�ristiques de l'indexicalit�, de la plasticit�, de l'ajustement aux contraintes prax�ologiques.
+Une seconde cons�quence concerne la d�finition m�me de ces ressources : s'il s'agit de consid�rer les ressources effectivement mises en oeuvre par les locuteurs dans l'organisation de leurs tours en interaction, alors il n'y a aucune raison de s�parer d'un c�t� ressources � verbales � et de l'autre ressources � non-verbales �. Une approche de la multimodalit� permet pr�cis�ment de traiter ensemble les ressources grammaticales, prosodiques et corporelles (gestes, regards, mimiques faciales, mouvements de la t�te, postures corporelles, etc.) que les participants mettent en oeuvre de mani�re holiste dans l'organisation m�thodique de leur conduite, dans une orientation commune vers les opportunit�s et les contraintes �mergeant de l'interaction. Une telle conception des ressources ne se situe pas en dehors de la linguistique mais la rend simplement moins logocentrique.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+On fera ici le point sur une des questions majeures de la syntaxe du fran�ais : la disposition des constituants les uns par rapport aux autres. On s'int�ressera seulement aux constituants majeurs de l'�nonc�, en laissant de c�t� l'analyse interne des syntagmes, notamment des syntagmes nominaux.
+L'�tude de l'ordre des mots est un des domaines majeurs de la syntaxe. Longtemps domin� par des consid�rations id�ologiques sur le rapport avec un "ordre de la pens�e" d�crit comme universel, l'ordre des mots du fran�ais a fait l'objet d'une investigation syst�matique � l'�poque moderne. Un travail pionnier qui reste une source d'inspiration pour la richesse de ses donn�es est le livre de Blinkenberg (1928). Parmi les grammaires, il faut surtout prendre en compte Damourette & Pichon (1911 - 1940), notamment les chapitres du volume IV sur la "r�trogression" (les inversions du sujet). Pour les th�ories contemporaines, Kayne 1973 est un texte fondateur, qui fixe une terminologie toujours utilis�e � l'heure actuelle. D'autres approches ont jou� un r�le majeur dans ce domaine : l'approche topologique est � l'origine du travail en diachronie de Sk�rup (1975) qui reste une r�f�rence majeure pour l'ancien fran�ais. Pour le fran�ais moderne, dans une approche contrastive, Herslund (2006), et pour une pr�sentation des analyses typologiques, Gerdes & Muller (2006). Plus r�cemment, d'autres th�ories se sont int�ress� � l'ordre des mots en fran�ais (voir entre autres Bonami & Godard 2001 pour HPSG, sur l'inversion du sujet nominal; Kampers-Mahne et alii 2004, sur le lien entre les inversions nominales et la th�orie de l'information; Abeill� & Godard 2004, sur le r�le du "poids" des constituants dans l'ordre; dans une perspective fonctionnaliste, Cornish (2001, 2005) � propos des inversions "locatives"; enfin, tout un pan de l'organisation de l'�nonc� surtout rep�rable en fran�ais parl� a �t� �tudi� par l'�cole de Blanche-Benveniste : voir C. Blanche-Benveniste (1996).
+Dans le pr�sent congr�s, trois des communications en syntaxe touchent � ces questions (Tseng; Bonami & Godard; Abeill�, Godard & Sabio).
+Dans de nombreuses th�ories actuelles, l'ordre des mots est distingu� de la constituance. Ce n'�tait pas le cas autrefois, notamment dans les th�ories g�n�ratives, pour lesquelles l'ordre des mots d�coulait de l'ensemble des r�gles de formation de l'�nonc�. Les modifications par rapport aux ordres conformes � la constituance �taient d�crites par des modifications post-transformationnelles telles que Scrambling (Ross, 1986 : 51).
+La prise en compte de langues "non configurationnelles" comme le warlpiri a conduit � distinguer un ordre variable, soumis de fait � des facteurs pragmatiques, � la constituance ordonn�e des langues configurationnelles (par exemple pour LFG : Bresnan, 2001 : 9). Il en est r�sult� la prise en compte en syntaxe d'ordres r�gis par des facteurs communicatifs (E. Kiss, 1994).
+Dans les th�ories g�n�ratives, l'ordre configurationnel est vu g�n�ralement comme le produit d'un param�tre sur la position des t�tes, initiale (anglais) ou finale (japonais). A cela s'ajoutent des modifications qui doivent �tre motiv�es (scrambling, passif, inversion "stylistique"). L'analyse de Kayne (1994) bas�e sur une relation c-commande asym�trique suppose un ordre universel de type sp�cifieur-t�te qui conduit � poser l'ordre SVO comme basique (Kayne, 1994 : 35).
+Le fran�ais moderne est typiquement une langue configurationnelle de type SVO, avec plusieurs fonctions affect�es � l'ordre :
+Un autre angle d'�tude est offert par la diachronie : selon les analyses admises, l'ancien fran�ais �tait une langue de type V2 dans les ind�pendantes avec probablement deux stades dans l'�volution, si on suit Rouveret 2004. Le statut du terme initial semble avoir �t� assez proche de celui des langues germaniques actuelles, soit topique soit focus, souvent aussi un adverbial "cadratif". Comment est-on pass� au type SVO qui se manifeste nettement entre le 16e et le 17e si�cle? Peut-on voir dans les "inversions" actuelles la survivance de structures de type TVS?
+Avec les m�mes r�serves que ci-dessus sur l'appartenance ou non � la syntaxe, le statut des clitiques a �volu� (vers plus de cliticisation et une rigidification qui contraste plus ou moins avec le statut des autres clitiques romans). Comment le fran�ais s'est-il distingu� sur ce plan des autres langues romanes? Faut-il analyser tous les clitiques comme relevant de la morphologie (Miller 1992)?
+On se limitera ici aux questions relatives au fran�ais actuel. Apr�s une br�ve pr�sentation de la structure canonique des phrases, le type SVO, on examinera les constructions � inversion (VS, le plus souvent de type VOS avec sujet nominal), puis les constructions � objet ant�pos� (OSV). Faute de place, on ne parlera pas des disloqu�es.
+Le type SVO du fran�ais moderne standard �crit offre les propri�t�s suivantes :
+Tout SN (non adverbial) directement plac� devant le verbe fini est son sujet. Si on a la suite SV(initial)-SN, tout SN (non adverbial) directement � droite de V ou de la suite Aux-Vpp est objet direct sauf cas de construction impersonnelle avec un verbe non inaccusatif. Les constructions � V inaccusatif ont ici un sujet qui partage certaines propri�t�s de l'objet direct mais qui accorde � lui le verbe.
+Les constructions orales offrent quelques possibilit�s suppl�mentaires sans qu'on y rencontre des ordres absolument absents de l'�crit (Blanche-Benveniste 1996 : 109).
+Les possibilit�s d'�l�ments X intercal�s entre une structure de type SVO sont diff�rentes selon les cas :
+-entre S et V, il est assez difficile sauf dislocation d'ins�rer un �l�ment non clitique :
+(1) ?Paul tous les soirs prom�ne son chien+
En particulier, l'insertion d'adverbes li�s entre S et V est exclue, contrairement � ce qui est observ� dans une autre langue SVO, l'anglais (Pollock 1989).
+-si V est auxiliaire : entre V et Vpp, on peut ins�rer des adverbiaux :
+(2) *Paul a son chien promen�+
(3) Paul a toujours obtenu une r�duction+
(4) Paul a pendant des heures jou� avec son chien+
L'insertion de groupes pr�positionnels non adverbiaux semble difficile :
+(5) ??Paul a de son patron obtenu une r�duction+
(6) *Paul avait � Marie donn� ce livre+
-entre V et O, il n'y a pas de contrainte d'ordre ind�pendamment des choix pragmatiques et communicatifs :
+(7) Paul donne � Marie un livre / Paul donne un livre � Marie+
Sur l'ordre des compl�ments dans une langue SVO comme le fran�ais, il y a plusieurs explications possibles. Pour Hawkins (1994; 1998), l'explication des ordres observ�s en performance est � rattacher � des choix li�s � la complexit� plus ou moins grande des compl�ments, les plus simples pr�c�dant les complexes. Selon lui, les explications par des diff�rences de type communicatif d�rivent de la complexit� structurale.
+Sans que cela soit une objection aux explications par des choix de performance li�s � la complexit� ou � des choix communicatifs, il semble qu'il y ait en fran�ais un ordre neutre de la s�quence des compl�ments dans le SV, si on suit les propositions de Korzen 1996 :
+V SN (objet direct) SPr�p (objet indirect) SAdv sc�niques (temps /lieu) Autres SAdv+
La s�quence lin�aris�e peut correspondre � deux types totalement diff�rents de structuration. Dans les analyses g�n�ratives classiques � branchement binaire, il faut supposer une expansion � droite alli�e � une d�pendance structurale. L'hypoth�se avanc�e par C. Philips 2003 supposerait une expansion par accr�tion sur des constituants syntagmatiques form�s de fa�on successive de gauche � droite : une premi�re association formerait ainsi un groupe V SN, ce groupe �tant ensuite associ� � un SPr�p, et ainsi de suite.
+L'argumentation d�taill�e de Korzen sur l'ordre neutre est bas�e sur les propri�t�s d'extraction des mots Qu- avec placement non final du sujet, on y reviendra plus loin.
+Dans cet ordre neutre, les adverbiaux peuvent se placer selon les facteurs de poids, de complexit� ou de focalisation, � des places diverses diff�rentes de l'ordre neutre. Leur ordre relatif peut �videmment �tre significatif s'ils ont des relations pr�dicatives de port�e l'un sur l'autre : c'est alors la pr�c�dence qui correspond � la position pr�dicative dominante :
+(8) Luc n'a toujours pas r�pondu / Luc n'a pas toujours r�pondu+
L'insertion d'un �l�ment entre auxiliaire et participe pass� n'est probablement pas neutre. Il faut distinguer certains �l�ments "l�gers" comme l'objet pronominal tout :
+(9) Il a tout cass� vs. ?Il a cass� tout+
Les propri�t�s morphophonologiques ne suffisent pas pour expliquer cette position, qui semble rendue possible par un statut cat�goriel particulier, peut-�tre semi-adverbial : on ne peut pas avoir :
+(10) *Il a �a cass� vs. Il a cass� �a.+
Autre cas particulier : celui d'adverbes � statut de d�terminant d�tach�, �tudi� par Obenauer 1983, avec une possible diff�rence d'interpr�tation aspectuelle entre les deux constructions :
+(11) Dans cette caverne, il a beaucoup trouv� de pi�ces d'or+
(11') Dans cette caverne, il a trouv� beaucoup de pi�ces d'or (Obenauer 1983 : 78)+
Il faut aussi distinguer l'auxiliaire � valeur de temps du pass� de l'accompli utilisable avec d'autres pr�dicats que les participes pass�s : dans cette derni�re interpr�tation, un SN sujet s�mantique du pr�dicat peut pr�c�der :
+(12) J'ai cass� mon moteur+
(12') J'ai mon moteur (de) cass� /...qui est cass�+
Dans ce dernier cas, l'accompli n'a pas de valeur pass�e : par exemple on peut opposer :
+(13) J'ai cass� mon moteur mais il est r�par�+
(13') *J'ai mon moteur cass� mais il est r�par�+
La diff�rence tient sans doute au statut assez diff�rent de avoir dans les deux constructions.
+Il est souvent admis que les clitiques objets des langues romanes sont attach�s morphologiquement au support verbal (dans la plupart des langues modernes actuelles, malgr� certains cas d'attachements � d'autres supports : portugais par exemple, ou encore l'attachement secondaire en gascon aux particules initiales). L'attachement pr�verbal ou postverbal des clitiques objets encore observable dans les langues romanes du sud pour les formes non finies du verbe a disparu depuis longtemps du fran�ais, et la possibilit� de placer les clitiques objets sur un auxiliaire distinct des auxiliaires de l'accompli et du causatif en faire est totalement archa�que en fran�ais :
+(14) *Il le leur veut donner+
La principale question relative � l'ordre syntaxique des constituants est celle que pose le pronom faible sujet, cliticis� en fran�ais, d'abord en position postverbale (c'est d�j� fait en fran�ais m�di�val selon Sk�rup), puis en position pr�verbale � la fin de la p�riode de l'ancien fran�ais. Les analyses de ce ph�nom�ne varient : soit le clitique est d�crit comme un �l�ment morphologique sans incidence sur la syntaxe de la phrase en fran�ais moderne : sa postposition serait morphologique (Morin 1979), soit il est d�crit comme un terme occupant une position syntaxique distincte, analogue � celle du sujet nominal avec une cliticisation postsyntaxique, au niveau phonologique (Kayne 1983, Rizzi & Roberts 1989, position identique dans l'analyse diachronique de Dufresne & Dupuis 1996). L'analyse propos�e par Rizzi & Roberts alignait la syntaxe du fran�ais sur celle des langues germaniques avec une mont�e du verbe au-del� de la position du sujet occup�e par le clitique, donc en C. Cette analyse est insatisfaisante pour plusieurs raisons, notamment la difficult� de d�crire de fa�on non ad hoc les constructions � sujet nominal coexistant avec le sujet clitique (on parle dans ce cas d'inversion complexe) : le sujet nominal devrait occuper la position de sp�cifieur de C, mais se trouve alors en concurrence avec la possibilit� de trouver aussi un mot Qu- :
+(15) Depuis quand Jean la conna�t-il? (Kayne 1994 : 44)+
Enfin, on n'a pas en fran�ais (ou plus exactement, on ne trouve plus depuis le 13e si�cle) des constructions interrogatives de type :
+(16) *Est Jean venu?+
Ces deux raisons ont conduit Kayne � abandonner l'hypoth�se d'un mouvement vers C (Kayne 1994 : 44). Depuis les propositions de Rizzi, 1997, l'hypoth�se posant la pr�sence de plusieurs t�tes fonctionnelles � la p�riph�rie gauche de la proposition permet d'expliquer les ph�nom�nes d'inversion en subordonn�e ou comme en ancien fran�ais l'existence de constructions de type V2 apr�s une conjonction (Rouveret 2004 : 227).
+La d�rivation des inversions clitiques dans une th�ories HPSG est esquiss�e dans la communication de J. Tseng. Cette communication se limite cependant au probl�me du sujet, alors que l'inversion clitique implique la syntaxe d'un �l�ment d�clencheur en position pr�c�dant le sujet, soit adverbe, soit pronom Qu-, soit segment en discours direct dans les incises :
+(17) Peut-�tre Jean est-il arriv� vs. *Jean est-il peut-�tre arriv�.+
(18) O� Jean est-il all�? vs. *Jean est-il all� o�?+
(19) "Viens ici", me dit-il. vs. *Me dit-il : "Viens ici".+
L'absence de ce d�clencheur en contextes ant�rieur et post�rieur vides impose une interpr�tation interrogative, il faut donc poser imp�rativement un �l�ment vide dans ce cas, dans le paradigme des autres d�clencheurs :
+(20) Jean est-il parti *(?)+
On peut donc analyser l'inversion clitique comme un ph�nom�ne de rection un peu particulier, distinct de la subordination : l'interpr�tation �nonciative de la s�quence (SN) V-il d�pend du d�clencheur, un d�clencheur vide aboutissant � une interpr�tation interrogative (Muller 1996 : 76). La pr�sence ou absence d'un SN intercal� (dans les contextes � inversion complexe) est transparente :
+(21) Peut-�tre (Jean ) est-il arriv�+
Les d�clencheurs sont sp�cifiques � ce type d'inversion, m�me s'il y a une interf�rence avec ceux de l'inversion du sujet nominal (voir plus loin). Pour l'inversion complexe, il s'agit : des mots Qu- interrogatifs, d'adverbes, soit de modalisation �nonciative ( peut-�tre, sans doute, assur�ment...) soit � fonction de connecteurs (aussi, ainsi,...) avec un �nonc� ant�rieur, quelques adverbes � orientation n�gative (rarement, difficilement), et des constructions � corr�lation, � interpr�tation hypoth�tique :
+(22) Quand Jean est-il venu?+
(23) Assur�ment Jean est-il arriv�+
(24) ...Aussi Pierre est-il intervenu+
(25) Rarement trouvait-on le cur� � son logis (M. Aym�, La Table-aux-Crev�s, Pl�iade, 1, 253)+
(26) A peine Marie �tait-elle sortie que Jean est entr�+
(27) Jean sort-il que Marie entre aussit�t+
(28) Une discussion venait-elle � s'�lever au bureau, il ne s'en m�lait point que son avis ne f�t sollicit�...(M. Aym�, Aller-retour, Pl�iade, 1, 113).+
L'inversion clitique se confond avec l'inversion du sujet nominal dans les contextes suivants :
+(29) Puisse-il (Puisse Jean) r�ussir!+
(30) Salut! dit-il (...dit Jean)+
(31) Que fait-il? (Que fait Jean?)+
La plupart du temps, on trouve l'inversion clitique dans les ind�pendantes et les principales, ce qui a �t� interpr�t� comme l'obligation que le constituant C0 soit vide et non r�gi par un terme recteur (pronom relatif ou interrogatif par exemple). Il est cependant possible de trouver cette inversion clitique en subordonn�e :
+(32) Il a tellement envie de venir que peut-�tre viendra-t-il quand m�me nous voir.+
(33) C'est que peut-�tre ne s'agissait-il pas d'une nouvelle mani�re de peindre, mais, plus fondamentalement, d'une nouvelle mani�re de faire...(J. Cassou, Panorama des arts plastiques contemporains, 1960, 171, Frantext).+
(34) Tant de filles honn�tes sont devenues de malhonn�tes femmes, que peut-�tre serai-je un exemple contraire (Diderot, Jacques le Fataliste, 1784, Frantext, 647).+
(35) Ane et cheval, ils travaillaient chacun de leur c�t�, et le soir, � l'�curie, se retrouvaient si harass�s qu'� peine, avant de s'endormir, avaient-ils le temps d'�changer quelques plaintes sur la duret� de leurs ma�tres. (M. Aym�, Contes du chat perch�, Pl�iade, 2, 1013).+
Cette situation n'est que le prolongement en fran�ais moderne d'une particularit� du fran�ais : contrairement � d'autres langues V2, qui ont une structure diff�rente en principale et en subordonn�e, le fran�ais a toujours eu la possibilit� de construire ses subordonn�es sur les types syntaxiques des ind�pendantes : d�s l'ancien fran�ais (seconde moiti� du XIIe si�cle), la subordonn�e adopte le mod�le des ind�pendantes avec possibilit� (tr�s minoritaire) d'inverser le sujet (Sk�rup 1975 : 515).
+L'inversion du clitique sujet pose la question de la nature du sujet (Tseng, dans sa communication). Il ne semble pas, malgr� quelques vues discordantes qu'il y ait � discuter de la fonction du SN accord� au clitique : m�me si � l'origine c'�tait indiscutablement un nom en extraposition, s�par� par une pause du sujet, ou m�me ant�pos� parfois au d�clencheur, son int�gration comme sujet d�coule de la possibilit� de voir les ind�finis dans cette position avec accord au clitique :
+(36) Peut-�tre quelqu'un est-il arriv�+
alors que les ind�finis de ce type ne sont pas th�matisables librement :+
(37) *Quelqu'un, est-il arriv�?+
Autre argument : l'accord avec un pronom neutre non humain, exclu en fran�ais moderne en cas de th�matisation :+
(38) Cela est-il vrai?+
(39) *cela, est-il vrai? vs. Cela, est-ce vrai?+
Il faut donc voir dans ce SN un sujet, et d'autre part aucun argument ne permet de lui fixer une position syntaxique distincte de celle des sujets nominaux des �nonc�s sans clitique.
+La nature du sujet tient � l'accord. Il semble qu'on puisse admettre les possibilit�s suivantes :
+-il et son paradigme sont impos�s par l'utilisation d'un temps fini. cette particule est donc � interpr�ter comme une marque de temps. Sans argument � construire (verbes impersonnels), on a l'interpr�tation impersonnelle, avec ant�position ou postposition selon les m�mes crit�res que dans les constructions avec accord.
+-L'accord est ind�pendant de toute consid�ration s�mantique : il s'adapte �videmment � la pluralit� obtenue par coordination :
+(40) Pierre et Marie sont-ils venus?+
-Les emplois en pronom personnel sont dus � l'absence de r�alisation du pronom fort apr�s accord : il ne reste que le clitique avec la s�mantique des pronoms personnels cette fois. Ce ph�nom�ne doit �tre �tendu � ce qui rend inutile la r�alisation phonologique d'un cela, �a, ou a on qui correspond � un SN humain ind�termin�.
+La structure des constructions � inversion clitique pourrait suivre le mod�le suivant, bas� sur l'hypoth�se d'une position distincte du sujet clitique basique (il impersonnel) :
+D�clencheur (Sujet nominal) V-il [(e)]V ...+
Cela suppose, pour les phrases sans clitique, un m�canisme d'�lagage du clitique lorsque le sujet nominal est r�alis� sans inversion clitique, et donc la possible r�alisation non standard de phrases � double sujet � gauche, actuellement bien attest�e en fran�ais familier (Zribi-Hertz 1994) et dans les corpus de fran�ais parl�. Par exemple, Auger 1996 :
+(41) mon fr�re le plus vieux il jouait du violon+
(42) en campagne, quand quelqu'un il dansait...(Auger 1996 : 25)+
Il n'en d�coule pas n�cessairement que le fran�ais standard soit analysable de m�me (Auger 1996 : 39). Position identique dans Zribi-Hertz 1994.
+Il s'agit de diverses constructions � sujet nominal (non clitique) accord� au verbe qui le pr�c�de. Cette inversion a �t� nomm�e "inversion stylistique" (Kayne 1973). Il existe de nombreuses �tudes depuis une trentaine d'ann�es sur ce sujet. L'article de Kampers-Mahne, Marandin, Drijkoningen, Doetjes & Hulk (2004) distingue plusieurs types :
+1. L'inversion dans les contextes d'extraction (questions partielles, relatives, cliv�es) :
+(43) O� est all�e Marie? Je me demande o� est all�e Marie.+
(44) La personne qu'a rencontr�e Pierre est ma cousine.+
(45) C'est dans cette maison qu'est n� Victor Hugo.+
2. L'inversion inaccusative (Marandin 2003), li�e � des verbes sp�cifiques (verbes de mouvement, verbes avec auxiliaire �tre, passifs); elle est observable dans deux classes distinctes de contextes :
+-compl�tives :
+(46) Je voudrais que soient distribu�s ces prospectus (Kampers-Mahne et al., 2004 : 557).+
(47) On e�t dit que tra�nait dans la pi�ce quelque chose de cette atmosph�re lourde...(Gracq, Le rivage des syrtes, 32, Frantext).+
-ind�pendantes avec ou sans adverbe introducteur :
+(48) A ce moment-l� se fit entendre un bruit strident.+
(49) Entre alors notre gardien avec de la nourriture.+
Elle pourrait �tre li�e � un statut particulier du sujet invers�, attach� � une position "profonde" d'objet direct distincte de la position standard du sujet dans les analyses g�n�ratives, comme sp�cifieur et non comme compl�ment du verbe. En t�moigne la propri�t� de ce type de sujet invers� de pouvoir lier un en au sujet postpos� quantifieur :
+(50) (des examens) Il faudrait qu'en soient report�s plusieurs.+
(51) (des hommes) Alors en entr�rent trois / En entr�rent trois.+
(exemples (17) de Bonami-Godard (2001 : 123)).+
3. L'inversion "elaborative" (Kampers-Mahne et al.) ou "� focalisation forte" (Kayne & Pollock 2001) : il s'agit d'inversions � sujet focalis�, souvent lourd, incluant les listes, et sans contrainte d'utilisation de la premi�re place :
+(52� Ont obtenu leur licence les �tudiants suivants : Pierre Dupont, Marie Dubois...+
Le sujet pluriel cataphorique n'est pas obligatoire : la liste peut suivre imm�diatement le verbe, constituant ainsi le seul cas connu de sujet syntaxique disloqu� :
+(53) Ont obtenu leur licence : Pierre Dupont, Marie Dubois...+
Un objet est possible comme on le voit ci-dessus, il est alors toujours plac� avant le sujet (plus g�n�ralement, le sujet est final dans ce type) :
+(54) Rendront un devoir suppl�mentaire tous les �l�ves qui ont �chou� (Kampers-Mahne et al. 2004 : 559).+
4. Il faut ajouter � ces inversions �tudi�es par Kampers-Mahne et al. les inversions � topique adverbial ou adjectival initial parmi lesquelles les inversions locatives �tudi�es par F. Cornish (2001), A. Borillo (2006), C. Fuchs (2006) : un adverbial de lieu, parfois de temps, introduit une construction � sujet le plus souvent, mais pas obligatoirement, final :
+(55) Sur la place se dresse la cath�drale.+
(56) A midi sera organis� un ap�ritif dans la salle des f�tes.+
(57) Il y a trois si�cles, ici naissait Blaise Pascal (Borillo 2006 : 25)+
Sans doute n'est-ce qu'un sous-type fr�quent d'inversions � adverbial initial focalis� :+
(58) Ainsi se termina le spectacle.+
(59) Avec Autun se distingue Al�sia par le nombre d'ateliers d�couverts. (Dossiers d'arch�ologie, n�316, sept. 2006, 52).+
ou de constructions � adjectif initial :
+(60) Nombreux sont les gens qui se plaignent.+
(61) Frugal est leur quotidien : du th� au beurre, une poign�e de farine d'orge grill�e...(Tibet, dans le Monde Voyages, Mars 1992, 16).+
Cet ensemble de constructions ressemble par le type de verbe aux constructions inaccusatives mais a une sp�cificit� dans l'analyse informationnelle du verbe : celui-ci est soit faiblement informatif, soit de signification r�duite dans la construction � inversion locative (cf. plus loin).
+5. Il faut ajouter aussi les constructions � incise. Bonami & Godard (communication � cmlf) distingue deux types, dont l'un avec inversion est obligatoire, qu'elle soit nominale ou clitique, lorsque l'incise est un "ajout" � une citation consid�r�e comme une "t�te" :
+(62) Je ne vous crois pas, s'emporta enfin la femme. (Dorgel�s, dans Grevisse, �1352).+
Selon ces auteurs, ce type d'incise ob�it aux crit�res des structures � extraction, le crit�re essentiel �tant la possibilit� de r�gir la citation par un verbe ench�ss� :
+(63) "Je n'en peux plus" semblait croire pouvoir dire Paul. (op. cit. ex. 33d).+
Enfin, contrairement � d'autres langues romanes comme l'italien, le fran�ais ne conna�t pas d'inversion du sujet nominal en r�ponse, avec focalisation (Marandin 2003) ou sans (Lambrecht, 1994) :
+(64) Ha telefonato Gianni (Lambrecht 1994)+
(65) *A t�l�phon� Jean.+
Le statut du sujet invers� est discut� par divers auteurs. Selon Bonami-Godard 2001, sept propri�t�s caract�risent le sujet invers� (en laissant de c�t� les sujets des inversions inaccusatives, plus proche de l'objet direct)
+Dans le d�tail, les inversions ont un fonctionnement assez diff�rent selon les types. Sur l'inversion locative, A. Borillo 2006 : 33, note que le pr�dicat est "l�ger" d'un point de vue informationnel, au point de perdre du sens, comme le montrent les exemples suivants :
+(66) Dans l'armoire �taient rang�es les chaussures.+
(66') Dans l'armoire, les chaussures �taient rang�es. (Cit� par N�lke 1995, ex; (33), l'exemple originel �tant d'A. Borillo; repris dans Cornish 2001 : 110)+
Le sens est diff�rent : dans la structure � sujet final, le verbe localise simplement les chaussures; dans la phrase � sujet pr�verbal, le verbe focalis� prend son sens plein et "rang�" a un sens qualitatif. Cela peut conduire � un inacceptabilit� si le verbe final n'est pas susceptible de focalisation, comme dans :
+(67) *Dans l'armoire, les chaussures se trouvaient (N�lke 1995, ex. (36))+
D'autres effets peuvent appara�tre, par exemple (dans Cornish 2001 : 106) :
+(68) Dans ce bureau travaillent quatre personnes.+
(68') Dans ce bureau quatre personnes travaillent.+
La phrase � inversion prend un sens habituel, alors que la phrase � sujet pr�verbal a un sens actualis�.
+On peut ajouter � ces exemples la paire suivante, avec un verbe d'action :
+(69) Dans l'armoire, les chaussures sont cir�es.+
(69') Dans l'armoire sont cir�es les chaussures.+
La seconde montre comment l'inversion s'associe au sens habituel pour localiser l'action, donnant � la phrase le sens bizarre du lieu o� se fait l'action. La phrase � verbe final est interpr�t�e comme un accompli descriptif avec le sens qualitatif d�j� vu plus haut.
+L'inversion � extraction pose d'autres probl�mes. Le sujet peut plus facilement n'�tre pas final, et sa position semble �tre pr�f�rentiellement � l'endroit o� le terme extrait avait sa position in situ (Korzen, 1992; 1996). L'analyse de Korzen propose une explication � la position du sujet : celui-ci doit se placer, sauf facteurs suppl�mentaires comme la lourdeur particuli�re de certains syntagmes, juste apr�s la position d'un terme Qu- in situ, et l'ensemble du verbe et des compl�ments allant jusque l� constitue une unit� pragmatique distincte de la constituance syntagmatique, qu'elle nomme unit� pr�dicative minimale. Ainsi, sachant que les adverbiaux de temps pr�c�dent par d�faut les adverbiaux de lieu, on expliquera le contraste suivant :
+(70) A quelle heure ferment les magasins en France?+
unit� pr�dicative : ferment � quelle heure.
+(71) *Dans quel pays ferment les magasins � huit heures? (Korzen 1996 : 61)+
unit� pr�dicative : ferment � huit heures dans quel pays.
+On dira, conform�ment � cette analyse :
+(71') Dans quel pays ferment � huit heures les magasins?+
La valeur empirique de l'analyse de Korzen est admise par Kayne & Pollock 2001 et incorpor�e aux transformations multiples produisant dans leur cadre la structure � inversion par une s�rie de mouvements � gauche.
+La concurrence, � droite du verbe, de l'objet direct et du sujet pose des probl�mes sp�cifiques. L'objet direct pr�c�de en principe le sujet :
+(72) Le dieu (Hugo) est entour� d'�tres f�minins. Il y en a tout un canap�, parmi lesquels fait les honneurs du salon une vieille femme aux cheveux d'argent... (Goncourt, Journal, 10 - 12_1870).+
Certains cas o� le sujet pr�c�de l'objet s'expliquent bien par les propositions de Korzen :
+(73) (il les disperse) ainsi que fait un vent d'orage les �pis. (Genevoix, Ceux de 14, Frantext, 42)+
L'extraction implique un adverbial de mani�re qui pr�c�de l'objet : un vent d'orage disperse ainsi les �pis. L'ordre inverse serait impossible ici :
+(74) * ainsi que fait les �pis un vent d'orage+
Autre cas, l'extraction d'un locatif circonstanciel qui peut �tre naturellement interpr�t� comme pr�c�dant l'objet :
+(75) C'est chez eux que trouvent leurs invalides la fameuse "loi de l'offre et de la demande" (L. Febvre, Combats pour l'histoire, Frantext, 173)+
= leurs invalides trouvent [l�] la fameuse loi de l'offre et de la demande.
+Il existe pourtant de nombreux cas d'inacceptabilit� qui ne s'expliquent pas par la th�orie de Korzen. Par exemple :
+(76) *A qui a donn� ce livre Jean? (Kayne et Pollock 2001, ex. (167))+
compar� � l'exemple suivant, plus acceptable :
+(77) ?Qu'a donn� � Marie Jean? (ex. (166))+
Sur un exemple presque identique :
+(78) *L'enfant auquel donnera ce livre Paul (Bonami & Godard, ex (1b) et (71b))+
Il n'y a pas d'exclusion de la fonction objet direct, puisque les objets clitiques sont toujours possibles :
+(79) J'�prouve un peu du tressaillement qui saisit M. de Portebize quand les lui d�crit M. d'Oriocourt (M. Proust, dans Damourette & Pichon, �1590).+
Bonami & Godard posent une contrainte de domaine excluant la succession de deux GN non pr�dicatifs non locatifs non lourds. De fait, les GN lourds sont admis dans ce cas en position finale apr�s un objet direct :
+(80) C'est finalement � Marie qu'a pr�sent� son projet l'�tudiant que Paul avait refus� de recevoir. (B & G, op. cit.)+
Exemple r�el :
+(81) O� puisait donc sa sagesse improvis�e cette catalane mercenaire, qui n'�tait jamais qu'un mercanti de la litt�rature? (J. Donoso, Le jardin d'�-c�t�, Frantext).+
Cette analyse ne me semble pas enti�rement satisfaisante, puisqu'il me semble qu'on peut dire facilement :
+(82) O� donc cueillent des fleurs les parisiens?+
(83) A qui donc offrent des fleurs les maris, � la Saint-Valentin?+
Il s'agit de constructions dans lesquelles le sujet suit des termes r�gis par le verbe principal dans une autre proposition, sans �tre n�cessairement final. On trouve en effet des sujets invers�s entre compl�ments r�gis, sans limite, que ce soit des compl�ments infinitifs ou des verbes finis :
+(84) Quel genre de cadeau veut offrir Marie � Jean-Jacques? (Kayne & Pollock 2001 ex. (159)).+
(85) Quelle maison veut que j'ach�te Jean-Jacques? (idem ex. (157)).+
(86) Une chance que trouvent toujours plus ou moins qu'on a les femmes dont on devient l'amant... (P. L�autaud, Le petit ouvrage inachev�, 30, Frantext; dans MUller 2002).+
Avec un verbe fini r�gi, la possibilit� de trouver un sujet non final semble plus r�duite :
+(87) *Quelle maison veut que j'ach�te Jean-Jacques � Marie?+
Ces constructions, comme on le voit, ne respectent pas la constituance en syntagmes. Pour Bonami & Godard (2001 : 133) "toutes les structures propos�es pour l'inversion simple sont inad�quates pour l'inversion longue". Leur d�monstration se base sur une analyse par extraposition droite du sujet, elle m�me suivie d'une extraposition droite plus haut plac�e du terme final. Cette extraposition doit �tre non born�e, ce qui contrevient � la r�gle �tablie par Ross (1967/ 1986) selon laquelle les extrapositions droites sont des d�pendances born�es. Par cons�quent, ces auteurs proposent de distinguer l'ordre et la constituance.
+Pour Kayne & Pollock, les d�placements multiples � gauche supposent un d�placement particulier du terme qui appara�tra en position finale; deux solutions alternatives sont pr�sent�es : soit ce terme est d�plac� par pied-piping avec le mot Qu-, soit il est d�plac� ult�rieurement et s�par� de son recteur par 'topicalisation' (section 16). Il faut en outre une transformation particuli�re, IP movement, pour d�placer le verbe et les verbes d�pendants, tens�s ou non.
+Les constructions avec r�gis � l'infinitif pr�sentent des possibilit�s contrast�es. Les cas les plus simples sont ceux d'infinitifs contr�l�s par le m�me sujet, avec une s�rie non limit�e de verbes r�gis :
+(88) Qu'a oubli� de raconter Luc � Marie?+
Du point de vue de l'ordre, et probablement aussi pour les propri�t�s phonologiques et prosodiques, "a oubli� de raconter" est trait� comme une unit�, qui peut ici correspondre � une extension de la notion pragmatique d'unit� pr�dicative minimale de Korzen 1983. Lorsque le contr�le de l'infinitif est exerc� par un autre actant, des contraintes suppl�mentaires apparaissent qui peuvent contraindre le sujet invers� � �tre final. Bonami & Godard 2001 opposent :
+(89) *La personne que m'a convaincu de pr�senter le patron du labo � Marie.+
(89') La personne que m'a convaincu de pr�senter � Marie le patron du labo.+
Il fait sans doute poser que l'unit� pr�dicative minimale incluant un sujet s�mantique de verbe � l'infinitif (son contr�leur) doit aussi incorporer tous les compl�ments rattach�s � ce verbe (Muller 2002).
+D'autres constructions de ce type sont � prendre en compte, en particulier :
+-les coordonn�es � sujet � droite commun :
+(90) Peu importe d�s lors ce que valent et ce que deviennent les fruits de la terre. (Teilhard de Chardin, Le milieu divin 38, Frantext)+
-les d�pendantes � sujet commun, qui semblent acceptables dans certains cas :
+(91) C'est ce que dit que fait Mimi quand elle a des visites. (Damourette & Pichon, �1589)+
(92) Ce qu'a dit que ferait Luc � Marie est inqui�tant+
Le fran�ais, surtout oral, conna�t une structure marqu�e de type OSV. Elle a �t� analys�e � partir des corpus de fran�ais parl� (cf. par exemple Blanche-Benveniste 1996 : 112), mais elle avait d�j� �t� signal�e par Blinkenberg (1928 : 164). Elle fait l'objet d'un traitement macro-syntaxique, avec la distinction de deux constructions, dans Sabio 2006. C'est aussi l'objet de la communication d'Abeill�, Godard & Sabio au congr�s, avec une argumentation qui conduit ces auteurs � distinguer deux constructions, l'une d'un type disloqu� � compl�ment nul anaphorique, dans lesquelles le "compl�ment" initial est un th�me :
+(93) Les conjugaisons j'aimais bien (auteurs cit�s, ex. (1))+
l'autre � extraction, avec un compl�ment non th�me :+
(94) et l�, tu sais ce qui lui est arriv� -une antenne ils lui ont jet� � la t�te...(ex. (15a))+
(95) Trois heures il avait de retard, le train. (ex. (7b))+
La propri�t� principale permettant dans ce dernier cas de parler d'extraction est l'impossibilit� de supprimer le compl�ment ant�pos�, � la diff�rence de la premi�re construction.
+La seconde construction ob�it � des contraintes particuli�res contextuelles, qui conduit les auteurs � parler d'extraction dialogique. M�me avec un ind�fini, une reprise est possible :
+(96) Mon p�re il va m'acheter un petit mouton + un petit mouton il va m'acheter. (Ex. (15c)).+
Tr�s sommairement, faute de place, je me contenterai de souligner quelques points saillants parmi les principales �volutions de ces recherches : la distinction faite de plus en plus souvent entre ordre et constituance; la prise en compte croissante de la structure de l'information dans les structures non canoniques; le d�veloppement des investigations syntaxiques sur le fran�ais parl�.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+L'�tude de l'histoire et de l'�volution des id�es en linguistique s'est consid�rablement d�velopp�e ces derni�res ann�es. La recherche porte le plus souvent sur des p�riodes pr�cises du pass� sur lesquelles on a un certain recul, afin d'en faire ressortir les orientations et les lignes de force. Il est beaucoup plus risqu� d'analyser la p�riode r�cente. Pourtant, on ne peut qu'�tre frapp� par les hauts et les bas d'un domaine, la linguistique, quelque peu d�laiss�e apr�s la guerre, si forte dans les ann�es 1960, et � nouveau en plein questionnement aujourd'hui, pour autant que l'on puisse en juger. Ce sont ces mouvements de flux et de reflux que l'article essaie de cerner et d'�valuer.
+Notre point de d�part sera l'�tude de Jean-Claude Chevalier et Pierre Encrev�, Combats pour la linguistique (2006). Ce livre est en fait la reprise d'entretiens r�alis�s en 1982 � aupr�s de linguistes fran�ais notoires, participants, dirigeants de la spectaculaire expansion de cette discipline de 1958 � 1968 �, entretiens qui ont donn� lieu en 1984 � un article des deux auteurs appel� � La cr�ation des revues dans les ann�es 1960. Mat�riaux pour l'histoire r�cente de la linguistique en France � (paru dans le n�63 de Langue fran�aise intitul� � Vers une histoire sociale de la linguistique �).
+L'�tude initiale de Chevalier et Encrev� se situe clairement dans une perspective sociologique, � � la Bourdieu �. Il s'agit, � travers ces entretiens, d'�tudier le � champ � linguistique, les positions de � pouvoir � et de � lutte � entre individus et entre th�ories. Cette dimension est �videmment pr�sente, et le livre des deux auteurs laisse bien appara�tre ces oppositions entre Classiques et Modernes, entre anciennes th�ories et nouveaut� des ann�es 1960, etc. Mais les entretiens tendent � �clater le domaine en autant de descriptions parcellaires ; ils ne permettent pas d'avoir directement acc�s � une vision globale qui expliquerait les hauts et les bas de la discipline ; enfin, ils donnent une vision subjective � partir du t�moignage des acteurs mais laisse (volontairement) dans l'ombre des �l�ments qu'il nous semble int�ressant de reprendre ici.
+Dans cet article, nous essayons de d�terminer la port�e de courants de recherche en linguistique en France dans l'apr�s-guerre, sur le plan scientifique, �pist�mologique, voire philosophique, � l'int�rieur comme � l'ext�rieur des fronti�res. Ce faisant, nous sommes amen� � nous poser diverses questions : quelles sont les oppositions � l'oeuvre ? Y a-t-il un r�el clivage entre philologie et linguistique ? Y a-t-il une sp�cificit� fran�aise dans le renouveau linguistique de l'apr�s-guerre ? Quel est le poids des �tudes classiques par rapport aux �tudes portant sur les langues modernes ? Dans quelle mesure peut-on parler de � structuralisme � la fran�aise � ? Dans tous les cas, nous examinons l'influence de ces courants de recherche, notamment � l'international, dans le domaine linguistique et � sa p�riph�rie. Il semble utile de s'interroger sur les progr�s et les d�couvertes lors de la p�riode vis�e, de fa�on macroscopique, dans la mesure o� la notori�t� de certains chercheurs (et la discr�tion de certains autres) n'est pas toujours proportionnelle � la f�condit� des travaux qu'ils inspirent.
+On examine d'abord la terminologie et les lignes de partage au sein du champ linguistique (section 3). On prend ensuite en compte des �l�ments volontairement laiss�s de c�t� par Chevalier et Encrev� : le continuit� de la recherche en philologie classique (section 4), l'influence du structuralisme au-del� de la linguistique, l'int�r�t pour de nouvelles probl�matiques en linguistique (section 5). On essaiera aussi de voir l'influence du renouveau linguistique de la p�riode 1958 - 1968 sur la p�riode plus r�cente (section 6), avant d'en venir � la conclusion (section 7).
+Comme on l'a d�j� dit, l'article initial de Chevalier et Encrev� (1984) se situe dans une perspective sociologique influenc�e par Bourdieu. Les auteurs sont guid�s par le concept sociologique de champ : il s'agit de montrer comment � se constituait, s'organisait et se transformait le champ de la linguistique en France en objectivant le r�seau des � prises de position � des acteurs, li�es � leurs � dispositions � et � leurs � positions �, tous termes pris dans l'acceptation de Pierre Bourdieu � (Chevalier et Encrev� 2006, p. 10). L'ouvrage de 2006 est d'une nature tr�s diff�rente, � tout aussi fortement orient� vers l'histoire sociale mais plus proche d'une ambition biographique, qui retrace des destins particuliers ; une conception plut�t sartrienne et non plus bourdieusienne � (idem, p . 11).
+Nous reprenons ici les th�matiques des auteurs selon une voie m�diane : laissant de c�t� les aspects biographiques du livre de Chevalier et Encrev�, nous revenons sur des �volutions plus globales du champ linguistique (ou de sous-champs � l'int�rieur de la linguistique). La notion de sous-champ nous semble pertinente car, comme le souligne Bourdieu, � un champ n'a pas de parties, de composantes. Chaque sous-champ a sa propre logique, ses r�gles et ses r�gularit�s sp�cifiques, et chaque �tape dans la division d'un champ entra�ne un v�ritable saut qualitatif (comme, par exemple, quand on passe du niveau du champ litt�raire dans son ensemble au sous-champ du roman ou du th��tre). Tout champ constitue un espace de jeu potentiellement ouvert dont les limites sont des fronti�res dynamiques, qui sont un enjeu de luttes � l'int�rieur du champ lui-m�me. Un champ est un jeu que nul n'a invent� et qui est beaucoup plus fluide et complexe que tous les jeux qu'on peut imaginer � (Bourdieu, 1992, p. 80).
+Nous essaierons de saisir les fronti�res du champ linguistique en nous interrogeant sur le sens m�me des d�nominations employ�es, notamment l'opposition entre linguistique et philologie. Le sens que l'on accorde � ces termes varie suivant � le lieu d'o� l'on parle �, r�v�lant les fronti�res dynamiques de Bourdieu. De fait, les linguistes interrog�s par Chevalier et Encrev� ne partagent pas tous la m�me perception d'un �v�nement donn� (on pourrait dire qu'ils ne partagent pas le m�me habitus, cf. Bourdieu, 1992 ; Lahire, 2001). En dehors de ces aspects purement sociologiques, nous accordons une importance majeure aux r�alisations et aux avanc�es observ�es dans la mesure o� la perspective sociologique en science est ins�parable de la production de nouvelles connaissances (l'apport scientifique, au sens traditionnel).
+La d�nomination des champs scientifiques n'est pas neutre : on sait qu'une terminologie refl�te des diff�rences de domaines, d'approches et de sensibilit�s (Cori et L�on, 2002). Les termes servant � d�signer le champ de l'analyse des langues est � cet �gard int�ressant : on y trouve diff�rentes d�nominations, notamment les termes de � linguistique � et de � philologie �. De plus en plus de chercheurs s'interrogent sur cette dimension et sur ce qu'elle implique au niveau scientifique, sociologique et historique (voir par exemple le colloque de la Soci�t� d'histoire et d'�pist�mologie des sciences du langage en 2008 : Philologie et Linguistique aux XIXe et XXe si�cles dans les pays d'Europe, Paris, le 2 f�vrier 2008).
+Jean-Claude Chevalier et Pierre Encrev�, dans Combats pour la linguistique, partent d'une distinction suppos�e entre linguistique et philologie. M�me si les auteurs ne donnent pas de d�finition formelle des termes qu'ils emploient, on peut d�duire de leur propos que, pour eux, la linguistique vise � offrir une th�orie d'ensemble des langues. Quand le linguiste �tudie une langue particuli�re, c'est toujours en vertu de principes g�n�raux qui ont une validit� au-del� de la langue �tudi�e. � l'inverse, le philologue s'int�resse principalement � une langue particuli�re, en s'appuyant sur des documents �crits mais sans souci de g�n�ralisation au-del� de la langue ou du ph�nom�ne �tudi�.
+Cette distinction, cette s�paration de la recherche sur le langage en deux champs compl�mentaires est sans doute discutable, mais elle permet de caract�riser les deux principaux acteurs du domaine fran�ais au d�but du 20e si�cle, � savoir Ferdinand Brunot et Antoine Meillet. Ferdinand Brunot (1860 - 1938) s'int�resse � l'histoire de la langue fran�aise dans une tradition philologique, fond�e sur le texte (�tude des textes, commentaires stylistiques), sans volont� de g�n�ralisation au-del� de son domaine (ainsi, Brunot ignore Saussure). Antoine Meillet (1866 - 1936) est le ma�tre incontest� de la grammaire compar�e au d�but du si�cle, il r�gne sur un domaine qui, par d�finition, couvre un vaste ensemble de langues, dans l'h�ritage et la tradition saussurienne.
+Si cette description permet de caract�riser � gros trait mais assez justement le paysage fran�ais au d�but du si�cle, il faut se demander si cette s�paration persiste au-del� de la guerre. Il semble important de regarder de plus pr�s, � commencer par l'emploi de la terminologie. Il se trouve que la tradition d'analyse du langage, dans les cursus classiques, est appel�e � philologie � (notamment dans le cursus universitaire fran�ais). Si cet enseignement universitaire visait (et vise toujours), au moins partiellement, � former les �tudiants au concours de l'enseignement, c'est aussi sur cette base qu'est enseign�e la grammaire compar�e, dans la tradition saussurienne. Il y a donc l� un risque de confusion.
+Se focaliser sur des d�nominations qui ne sont pas clairement d�finies peut �tre dangereux. La philologie est le nom commun�ment admis pour couvrir toutes les activit�s li�es � l'analyse des langues dans le cadre des �tudes classiques. Cette philologie a assur�ment une port�e plus large que la simple �tude des textes, m�me si elle est avant tout fond�e sur les textes. Comme le dit Perrot (Chevalier et Encrev�, 2006, p. 199), fonder la linguistique sur les textes, � �a interdit de sp�culer gratuitement sans tenir compte de ce qu'est la r�alit� des langues �. De ce point de vue, il n'y a pas de diff�rence fondamentale entre philologie et linguistique (c'est notamment le point de vue de Perrot, h�ritier de la tradition classique ; � l'int�rieur du livre de Chevalier et Encrev�, d'autres chercheurs ont une opinion diff�rente, d'o� parfois ce qui peut appara�tre comme des incompr�hensions).
+Le livre de Chevalier et Encrev� (2006) laisse appara�tre une autre ligne de partage, beaucoup plus nette � notre avis, entre la tradition classique fond�e sur la grammaire compar�e, et l'essor plus r�cent des �tudes portant sur les langues modernes. On peut noter que cette ligne de partage peut aussi servir � distinguer les travaux de Brunot de ceux de Meillet, mais elle est surtout vraie pour l'apr�s-guerre, o� l'on voit �merger des linguistes comme Martinet et Culioli (agr�g�s d'anglais) ou encore Pottier (agr�g� d'espagnol) � c�t� de plus traditionnels sp�cialistes des langues anciennes. Chevalier et Encrev� (2006, p. 43 sqq) signalent en outre l'arriv�e des chercheurs d'origine �trang�re, exclus de l'agr�gation (pour laquelle la nationalit� fran�aise �tait nagu�re n�cessaire). Ces chercheurs, � l'image de Greimas ou Quemada, vont aussi avoir une influence majeure sur le domaine et contribuer � en faire �voluer les probl�matiques.
+Le champ linguistique en France dans l'apr�s-guerre est donc marqu� par deux ou trois grands types d'�tudes, en dehors des courants th�oriques : un ensemble de chercheurs continuant � s'int�resser aux langues anciennes, dans une perspective classique ; un autre ensemble se focalisant sur le fran�ais et enfin l'expansion d'un troisi�me groupe s'int�ressant aux langues contemporaines (indo-europ�ennes ou non). Il semble que ce ph�nom�ne se soit accentu� ces derni�res ann�es : le fait que le d�chiffrement de langues anciennes inconnues a eu tendance � se tarir vers la fin du 20e si�cle limite les possibilit�s de d�couvertes originales dans le cadre classique. Les chercheurs sont donc amen�s � se tourner vers d'autres langues moins explor�es et parfois � abandonner la perspective historique. Ce n'est toutefois pas le cas jusqu'� une p�riode r�cente o� la grammaire compar�e a gard� une place importante au sein de la communaut� linguistique fran�aise.
+L'enseignement universitaire dans l'apr�s-guerre est clairement orient� vers les concours. La grammaire compar�e est cependant enseign�e, y compris � la Sorbonne, mais cet enseignement est marginal par rapport aux n�cessit�s du concours. La masse des connaissances � engranger en latin et en grec est telle que les enseignements se focalisent sur chaque langue avant de pouvoir vraiment aborder un enseignement donnant une vision d'ensemble. De fait, le plupart des �tudiants deviennent � leur tour enseignants sans avoir re�u de formation sp�cifique en grammaire compar�e. Cela ne signifie toutefois pas que ce domaine de recherche soit ignor� par la tradition de recherche fran�aise, bien au contraire.
+La grammaire compar�e est pr�sente � Paris dans l'apr�s-guerre, de mani�re diffuse, � l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (� travers les enseignements de Benveniste, Cohen, Vendryes, etc.), au Coll�ge de France (Benveniste y enseigne � partir de 1937) et dans d'autres soci�t�s ou cercles savants (Soci�t� de Linguistique de Paris, le Groupe de Linguistique Marxiste de Marcel Cohen, etc.). De ce point de vue, la situation n'est pas tr�s diff�rente aujourd'hui, m�me si les acteurs ont chang�. La grammaire compar�e a toujours �t� l'apanage d'un petit groupe, il s'agit avant tout d'un domaine, � la fronti�re de la recherche et de l'enseignement, qui demande des comp�tences rares et �tendues.
+Au niveau de l'enseignement, la grammaire compar�e est en g�n�ral enseign�e apr�s une formation de base sur la structure et le fonctionnement des langues classiques, formation g�n�ralement appel�e � philologie � dans le cursus classique (philologie latine, philologie grecque). Cet enseignement est centr� sur la langue et fond� sur les principes plus g�n�raux h�rit�s de Saussure. De ce point de vue, il ne semble donc pas qu'il y ait une grande coupure entre philologie et linguistique, ces deux notions couvrant des recherches et des m�thodes tout � fait comparables (�tude de langues particuli�res en vue d'en d�crire la structure et le fonctionnement, dans une perspective saussurienne).
+Dans ce cadre, la mise en avant du structuralisme apr�s la guerre n'est pas une r�volution (pour des points de vue plus circonstanci�s, voir Ducrot, 1973 ; Dusset, 1995). Comme le remarque Jean Perrot dans le livre de Chevalier et Encrev� (2006) � il faudrait d'abord savoir ce que l'on entend par � nouvelle linguistique � (p. 200). Il est �vident qu'il �tait question de syst�me et de structure en linguistique bien avant 1945. C'est sur un autre plan qu'il y a rupture : le renouveau structuraliste des ann�es 1960 modifie radicalement le champ en mettant en avant les rapports entre le langage et la soci�t�, et en rel�guant en arri�re plan l'approche grammairienne. Ce renouveau, influenc� entre autres par L�vi-Strauss, a surtout pour cons�quence d'�tendre le structuralisme au champ s�miotique dans son ensemble, au-del� de la linguistique (Dusset, 1995). Nous y reviendrons (cf. � 5.2).
+Le 20e si�cle est marqu� par le d�chiffrement de plusieurs langues anciennes dont l'�criture �tait jusque l� inconnue (Bader, 1998). Les principales d�couvertes concernent, outre le tokharien (il s'agit en fait de deux langues, quelquefois appel�es koutch�en et agn�en), le hittite (d�chiffr� en 1915 par le hongrois Hrozny) et le grec myc�nien (d�chiffr� en 1952 par l'anglais M. Ventris (Chadwick, 1963)). Si ces d�couvertes ne sont pas l'oeuvre de chercheurs fran�ais (mis � part Sylvain L�vi, qui a contribu� au d�but du 20e si�cle � la compr�hension et � l'�dition de textes tokhariens), elles ont �t� nourries par les travaux de nombreux chercheurs fran�ais : notamment E. Laroche pour le hittite, et M. Lejeune pour le myc�nien (e.g. Lejeune, 1955 - 1997). C'est d'ailleurs la France qui organisera le premier colloque international sur la langue myc�nienne (en avril 1956, � Gif-sur-Yvette, sous l'impulsion de Lejeune). Lejeune sera en outre l'auteur d'avanc�es majeures � travers ses travaux sur diff�rentes langues des familles italique et celtique � partir des ann�es 1960.
+Ces travaux de philologie classique, au plus pr�s des textes quand il s'agit de d�chiffrement, ne doivent pas occulter la r�ussite plus g�n�rale de la grammaire compar�e. Les travaux sur le myc�nien de Lejeune par exemple sont fond�s sur les principes phon�tiques mis en avant par la grammaire compar�e. Les formes identifi�es ne sont pas toujours celles que l'application pure et simple des r�gles d'�volution phon�tique produiraient (l'analogie et l'� �conomie � du syst�me jouent aussi), mais les r�gles sont, d'une mani�re g�n�rale, respect�es. La philologie - ou la linguistique, comme l'on pr�f�re - atteint ici un v�ritable statut de science, capable d'hypoth�ses qui peuvent �tre v�rifi�es ou invalid�es. Il s'agit non seulement d'une science exp�rimentale mais �galement d'une science pr�dictive dans la mesure o� des formes peuvent �tre pos�es, sans avoir � �tre attest�es.
+Ces avanc�es sont en quelque sorte le triomphe de la grammaire compar�e, dans la plus pure tradition saussurienne. Une tradition qui ne remonte pas tant aux travaux du Cours de Linguistique G�n�rale qu'au M�moire sur le syst�me primitif des voyelles dans les langues indo-europ�ennes de 1879. Soulignons l� aussi l'apport de l'�cole de grammaire compar�e fran�aise. Meillet domine le domaine jusqu'� sa mort en 1936. C'est ensuite Benveniste qui propose la th�orie de la racine en 1935 (Origines de la formation des noms en indo-europ�en ), simultan�ment avec Kurylowicz. Cette th�orie aura une influence majeure sur le domaine, de par son pouvoir explicatif et son �l�gance th�orique. Les travaux de l'apr�s-guerre continuent cette tradition, m�me si personne n'aura plus jamais le poids de Meillet au niveau international.
+C'est d'ailleurs Benveniste qui a un r�le de passeur entre th�ories classiques et renouveau structuraliste, d�s les ann�es 1950. Il est sans doute un des premiers avec L�vi-Strauss � voir la f�condit� de la notion de syst�me, au-del� du champ linguistique.
+Le d�veloppement de la linguistique � partir de la fin des ann�es 1950, puis dans les ann�es 1960, am�ne une recomposition radicale du champ de la linguistique en France. Au cours de ces ann�es, le nombre d'�tudiants explose, de nombreuses universit�s cr�ent des d�partements de linguistique (notamment � Paris avec l'�clatement de la Sorbonne) et de nouvelles th�matiques apparaissent. En sch�matisant � gros traits, on peut dire que la grammaire compar�e c�de progressivement sa place, pr�dominante, � de nouvelles th�ories comme la grammaire g�n�rative.
+Si l'on porte un regard plus fin sur les �v�nements de la p�riode, il semble en fait qu'il faille distinguer deux �l�ments compl�mentaires. Le domaine devient embl�matique � travers la popularisation de la m�thode structurale d�s les ann�es 1950. C'est essentiellement cette th�orie qui d'abord rend la linguistique populaire, puis se r�pand � l'ensemble des sciences humaines. Par la suite, vers la fin des ann�es 1960, ce sont les nouvelles th�ories linguistiques qui prolongent cet engouement.
+Le tournant structuraliste de la fin des ann�es 1950 n'est pas vraiment une r�volution. On assiste en fait � la g�n�ralisation en France des th�ories du Cercle de Prague, expos�es initialement lors du congr�s des linguistes � Copenhague en 1928. L'Ecole praguoise propose notamment � une m�thode propre � permettre de d�couvrir les lois de structure des syst�mes linguistiques et de l'�volution de ceux-ci �. Cette approche sera ensuite g�n�ralis�e � d'autres domaines des sciences humaines et sociales.
+Les ann�es 1950 sont marqu�es par le retour en France de Martinet (il enseigne aux Etats-Unis, � l'Universit� de Columbia, jusqu'en 1955) qui n'est pas pour rien dans l'�volution de la linguistique � la fin des ann�es 1950. Il faut rappeler que Martinet est angliciste, sp�cialiste de phonologie et promoteur de l'approche fonctionnelle. Les ouvrages marquants de Martinet � la charni�re des ann�es 1960 ne concernent pas les langues classiques de mani�re fondamentale : il s'agit, en 1955, de son Economie des changements phon�tiques (livre �labor� lors de la fin de son s�jour aux Etats-Unis qui renouvelle radicalement la perspective en phonologie) puis, au d�but des ann�es 1960, des El�ments de linguistique g�n�rale. Le livre conna�tra un immense succ�s car il est � la fois suffisamment simple pour fournir une porte d'acc�s vers le structuralisme et suffisamment complexe pour laisser entrevoir les g�n�ralisations possibles au-del� de la phonologie.
+Le tournant structuraliste est marqu� par un certain nombre de points importants, que l'on peut essayer de lister m�me si cet inventaire est sch�matique (nous ne d�taillons pas davantage ces points qui sont bien d�crits dans le livre de Chevalier et Encrev�, notamment dans la seconde partie de l'ouvrage) :
+Cette �volution, qui d�borde le structuralisme, est en partie li�e � une conjonction de facteurs : citons l'apparition des premiers ordinateurs qui facilite les comptages de mots sur de gros corpus ou la guerre froide qui pousse au d�veloppement de la traduction automatique. D'autres facteurs, plus g�n�raux, ne sont pas � n�gliger : la priorit� politique accord�e � la recherche, l'augmentation des budgets, la cr�ation d'instituts d�di�s, l'accueil de chercheurs fuyant leurs pays d'origine, etc.
+Les ann�es 1960 voient les m�thodes structuralistes issues de la linguistique se r�pandre dans l'ensemble des sciences humaines et sociales. Cette g�n�ralisation est d�j� entrevue, d�s la fin des ann�es 1950, par Benveniste.
+Ind�pendamment des recherches de la philosophie anglo-saxonne autour de la notion du langage ordinaire, Benveniste d�veloppe au cours des ann�es 1950 une th�orie globale sur la langue et, plus particuli�rement sur l'analyse du discours (Dessons, 2006). Ce nouveau champ d'investigation lui permet d'�tudier la fa�on dont l'homme se projette dans la langue. Ces analyses, publi�es dans diverses revues, seront reprises dans les Probl�mes de linguistique g�n�rale (Benveniste, 1966 et 1969) et conna�tront un immense succ�s. Certains des articles publi�s � l'�poque demeurent des classiques toujours �tudi�s en linguistique aujourd'hui.
+Ce renouveau projette la m�thode structuraliste en dehors de son cadre traditionnel, � savoir l'analyse de la structure et de l'�volution des langues classiques. Benveniste se rapproche alors de chercheurs d'autres domaines et va appliquer la m�thode structuraliste � l'analyse d'autres ph�nom�nes anthropologiques. Il fonde ainsi, avec C. L�vi-Strauss et P. Gourou la revue L'homme en 1961, qui s'int�resse � l'anthropologie selon un point de vue pluridisciplinaire. Il �tudie aussi des ph�nom�nes de discours, la question des institutions indo-europ�ennes (Benveniste, 1969), etc .
+Cet essor du structuralisme permet � la linguistique d'appara�tre comme la science premi�re (au d�triment, notamment, de la philosophie) et met en avant des � sciences � nouvelles comme la psychanalyse ou la s�miotique. Greimas, Barthes puis Kristeva sont en France les h�rauts de ces disciplines.
+Ces aspects vont ensuite se d�velopper essentiellement en dehors de l'espace fran�ais. En effet, il s'agit de th�mes de recherche trop techniques pour que le grand public s'en empare et trop sulfureux pour que l'institution universitaire les accepte. De fait, on retrouvera essentiellement ce courant aux Etats-Unis, notamment � travers le d�veloppement des Cultural studies.
+Les ann�es 1970 voient un d�clin relatif de l'influence de la linguistique, tant � l'int�rieur qu'� l'ext�rieur du territoire national, alors que les pr�mices de ce qui deviendra la French Theory apparaissent sur les campus anglo-saxons.
+La fin des ann�es 1960 voit exploser le domaine de la linguistique, au-del� du structuralisme. Ruwet importe la grammaire g�n�rative ; Gross importe les grammaires formelles puis d�veloppe une approche originale du traitement des langues naturelles, sur une base d'inspiration harrissienne. Culioli d�veloppe sa propre �cole avec une forte dimension cognitive, Quemada s'int�resse � la linguistique quantitative, etc. C'est aussi le temps des grands projets, le plus embl�matique �tant le lancement du dictionnaire de la langue fran�aise et le lancement conjoint de l'Institut Nationale de Langue Fran�aise (INaLF) � Nancy.
+On assiste donc � un double mouvement.
+D'une part l'importation de th�ories �labor�es � l'�tranger, le plus souvent aux Etats-Unis, rend moins originales les recherches men�es en France. Les chercheurs fran�ais traiteront ces th�ories d'origine anglo-saxonne avec un point de vue original, � l'image du regard critique de Milner sur la grammaire g�n�rative (1989) ou de Gross travaillant sur la base d'une analyse de type harrissien (1975). Toutefois, le point de vue fran�ais a une influence limit�e au-del� des fronti�res : la France n'est plus le pays moteur en mati�re d'innovation et de cr�ation en linguistique.
+ + +On assiste donc au d�veloppement d'�coles fran�aises sur la base de th�ories �trang�res, mais l'�cosyst�me linguistique fran�ais a des interactions limit�es avec le monde ext�rieur. Par exemple, Harris d�veloppe � partir des ann�es 1960 sa th�orie des sous-langages sur une base distributionnelle mais les recherches de Gross restent relativement herm�tiques � ces d�veloppements. Les deux chercheurs m�nent d�s lors des voies s�par�es et l'influence de Gross restera limit�e. Quemada d�veloppe de son c�t� l'analyse lexicographique � partir de comptages syst�matiques sur corpus, mais ses recherches se d�veloppent ind�pendamment du monde anglo-saxon (m�me si des repr�sentants de l'�cole anglo-saxonne ont assist� au grand congr�s f�d�rateur organis� � Besan�on en 1961, cf. L�on, 2004).
+Le bilan est donc contrast� : alors que la France est en pointe dans les ann�es 1960, les innovations sont principalement le fait d'auteurs anglo-saxons. De fait, la place de la France d�cline relativement au niveau international (comme la plupart des autres places europ�ennes). Les revues restent confin�es au domaine fran�ais, elles perdent en audience et en originalit� au cours des ann�es 1970. Par ailleurs, plusieurs chercheurs fran�ais d'audience internationale s'expatrient aux Etats-Unis dans les ann�es qui suivent. On pense ainsi � Jean-Roger Vergnaud (USC, Californie), Gilles Fauconnier (UCSD, Californie) ou, dans un domaine connexe, Ren� Girard (Stanford et Duke University).
+Le constat n'est malgr� tout pas enti�rement n�gatif. De grands laboratoires demeurent, avec des figures reconnues. L'Universit� Paris 8 (ancien Centre exp�rimental de Vincennes) garde des liens privil�gi�s avec la grammaire g�n�rative et reste un lieu reconnu � l'international. De grands laboratoires se cr�ent et se renforcent au CNRS, y compris pour des domaines relativement nouveaux comme l'�tude de l'histoire de la linguistique (autour notamment de Jean-Claude Chevalier, puis de Sylvain Auroux).
+Le d�clin relatif de la linguistique fran�aise au niveau international dans les ann�es 1970 ne doit pas masquer l'influence tr�s importante de la French theory (Cusset, 2005) sur les Cultural Studies, particuli�rement aux Etats-Unis. Ce domaine ne recouvre pas strictement le domaine linguistique, mais l'influence de la France est irr�m�diablement li�e � l'influence du structuralisme et � sa g�n�ralisation � d'autres domaines des sciences humaines.
+Une figure comme celle de Julia Kristeva (interview�e dans Chevalier et Encrev�, 2006) est � cet �gard embl�matique. Kristeva est infiniment plus reconnue aux Etats Unis qu'en France. Elle n'a pas d�velopp� une th�orie linguistique � proprement parler, mais elle a �labor� une th�orie du texte et de l'intertextualit� tr�s marqu�e par le structuralisme et la s�miotique des ann�es 1960.
+L'influence des chercheurs fran�ais au sein du mouvement ult�rieurement d�nomm� French Theory est d'autant plus grande qu'elle d�passe les fronti�res traditionnelles entre disciplines. Kristeva exporte les principes de l'analyse structuraliste � la litt�rature, en relation avec des groupes (Tel Quel) et des chercheurs ayant �merg� de la r�volution des id�es des ann�es 1960 (Todorov pour la s�miologie, R. Girard ou G. Genette pour l'analyse litt�raire, etc.). Au-del� de la litt�rature, le champ s'�tend progressivement � la philosophie (avec Derrida par exemple), � la psychanalyse (avec Lacan) et � l'anthropologie (avec Sperber). Ce ne sont que quelques noms repr�sentatifs d'un domaine qui a connu un tr�s fort succ�s � l'�tranger. Paradoxalement, ces recherches sont rest�es relativement � l'�cart en France, peut-�tre � cause de leur caract�re pluridisciplinaire qui ne les font pas entrer dans une � case � pr�cise de la carte universitaire.
+Ces courants, dont la French Theory est embl�matique, semblent en perte de vitesse sur les campus am�ricain. La disparition de grandes figures (Deleuze, Derrida, Baudrillard) n'y est sans doute pas pour rien, ainsi que les pamphlets d�non�ant le caract�re hasardeux de certaines m�taphores utilis�es dans ce domaine (Sokal et Bricmont, 1999).
+Il est sans doute risqu� de s'interroger sur le paysage actuel de la linguistique en France, � partir de la br�ve esquisse bross�e dans cet article. Les �volutions du champ peuvent �tre rapides : le renouveau du domaine � la fin des ann�es 1950 a �t� extr�mement brusque. La linguistique �tait alors pass�e, en moins de dix ans, d'un statut un peu d�pr�ci� � un statut fortement valoris�. M�me si cette p�riode fut marqu�e par une extraordinaire conjoncture (�conomique, id�ologique, scientifique), on voit que les �volutions peuvent �tre rapides.
+Dans cet article, nous nous sommes tout d'abord interrog� sur la dimension terminologique du probl�me, afin de d�terminer si les variations de d�nomination recouvrent de v�ritables oppositions ou plus simplement des diff�rences de perception d'objets proches ou similaires (suivant le point de vue adopt�). Nous avons montr� le flou des d�nominations employ�es, ce qui ne contribue bien �videmment pas � clarifier les questions de fronti�res et de sous-champs. Il n'en reste pas moins qu'une tradition classique demeure tout au long de la p�riode : celle-ci repose sur une base clairement structuraliste et a eu une influence importante. C'est par exemple de cette tradition classique, notamment des travaux de Benveniste, qu'�merge l'int�r�t pour l'�tude des rapports entre langue et soci�t�, si caract�ristiques du renouveau des ann�es 1960.
+L'autre fait important de la p�riode est l'importation de th�ories anglo-saxonnes. Ce ph�nom�ne am�ne � un �clatement du domaine en plusieurs �coles, souvent antagonistes, ce qui limite d'autant leur audience. L'�clatement des universit�s parisiennes en 1968 est � cet �gard embl�matique, dans la mesure o� chaque figure majeure du domaine s'accapare une part de pouvoir institutionnel (Perrot � Paris 3, Martinet � Paris 5, Culioli � Paris 7, les chomskyens � Paris 8, les grammairiens � la Sorbonne et � l'EPHE) et que peu de passerelles existent entre les diff�rentes centres. L'histoire du Centre Exp�rimental de Vincennes, ult�rieurement transf�r� � Saint-Denis est int�ressante � cet �gard. Le Centre est, au cours des ann�es 1970, au coeur de l'innovation, notamment parce que les chomskyens entretiennent des relations suivies avec le MIT et les Etats-Unis. Ces relations se poursuivent jusqu'� aujourd'hui mais le prestige de la linguistique n'est plus le m�me, le caract�re novateur des analyses chomskyennes est parfois contest�, ainsi que la validit� des analyses produites. Au-del�, dans ce cas comme dans d'autres, il est clair que le coeur de l'innovation se situe aux Etats-Unis, quel que soit le brillant des �tudes produites en France.
+Le r�sultat est une perte d'audience des recherches en linguistique men�es en France (mais ceci n'est sans doute pas un probl�me sp�cifique � la France). Aucune des revues cr��es dans les ann�es 1958 - 1968 n'a pu acqu�rir un caract�re v�ritablement international (cf. Chevalier et Encrev�, 1984 et 2006). Le manque de d�bouch�s contribue aussi � faire diminuer le prestige et l'attrait de la discipline, surtout � partir des ann�es 1970 o� appara�t le ch�mage de masse. L'�mergence de nouveaux sous-champs (notamment la linguistique informatique, aujourd'hui plut�t appel�e ing�nierie des langues) contribue aussi � modifier le paysage � partir de la fin des ann�es 1960.
+Remerciements
+Je remercie l'ensemble de mes coll�gues qui ont accept� de relire et de critiquer des versions ant�rieures de ce texte, ainsi que les deux relecteurs anonymes du Congr�s mondial de linguistique fran�aise. Toutes les erreurs qui peuvent �mailler cet article sont bien �videmment les miennes.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les savoirs impliqu�s dans l'activit� lexicographique sont avant tout de nature professionnelle. Il s'agit de connaissances et de comp�tences th�oriques et pratiques, d�velopp�es au cours des si�cles par les lexicographes et que l'on associe presque exclusivement � la t�che de r�daction de dictionnaires ou de bases de donn�es lexicales. Dans ce texte, nous proposons d'envisager les savoirs lexicographiques de fa�on beaucoup plus g�n�rale, en portant plus particuli�rement notre attention sur le domaine de l'enseignement et apprentissage de la langue. Nous proc�derons en trois �tapes. Tout d'abord, nous expliciterons ce que nous entendons par savoirs lexicographiques (connaissances linguistiques impliqu�es, principes descriptifs et m�thodologiques, etc.). Nous d�taillerons ensuite les raisons qui nous poussent � envisager l'exploitation de ces savoirs dans le contexte de l'enseignement de la langue. Finalement, nous illustrerons notre propos � partir des travaux que nous avons entrepris pour une exploitation p�dagogique des notions et principes de la Lexicologie Explicative et Combinatoire (LEC).
+En explorant la notion de savoirs lexicographiques, nous cherchons � r�pondre � une question en apparence toute simple : qu'est-ce qu'un lexicographe exp�riment� sait que ne sait pas le commun des mortels ? Au cours de la pr�sente discussion, nous utilisons le terme pluriel savoirs pour chapeauter la distinction maintenant bien �tablie entre :
+Dans le contexte qui nous int�resse ici, nous devons bien entendu tenter de caract�riser la nature m�me des savoirs lexicographiques ; mais nous devons aussi nous interroger sur la fa�on dont les connaissances et comp�tences lexicographiques interagissent dans le processus d'analyse des ph�nom�nes lexicaux. Comme nous le montrerons plus bas, ce processus est, bien entendu, au coeur de l'activit� lexicographique, mais il est aussi central dans les activit�s didactiques li�es � l'enseignement et apprentissage des connaissances lexicales - nous dirons, dor�navant, enseignement et apprentissage du vocabulaire.
+Nous commen�ons par r�capituler, tr�s bri�vement, o� en est la lexicographie en tant que discipline (section 2.1). Ensuite, nous d�fendons l'id�e d'une meilleure organisation et formalisation des savoirs lexicographiques (section 2.2).
+Le terme lexicographie (angl. lexicography) d�signe le plus souvent, dans la tradition fran�aise et anglo-saxonne, la discipline visant l'�criture de dictionnaires. Il s'agit d'un domaine d'activit� tr�s ancien, qui a fortement �volu� au cours des si�cles (Van Hoof, 1994 ; Quemada, 1968), principalement sous l'influence des trois param�tres suivants :
+Ce dernier point fait surtout r�f�rence � la g�n�ralisation du recours � l'outil informatique dans le travail du lexicographe. Cet outil permet de construire les dictionnaires sous forme de bases de donn�es lexicales - en remplacement des classeurs de fiches lexicographiques (Pruvost, 2000) - et d'utiliser les corpus informatis�s comme source de donn�es sur la langue (Stubbs, 2001). Les savoirs du lexicographe ont toujours relev� de ce que l'on pourrait appeler en anglais a craft : la ma�trise d'une discipline se situant entre une technique, un m�tier et un art (Landau, 1984). Comme pour toute discipline de cette nature, l'acquisition des savoirs lexicographiques se fait par un long et progressif apprentissage, fond� en grande partie sur la pratique de l'activit� lexicographique elle-m�me. Le d�veloppement de la linguistique moderne et la g�n�ralisation de l'utilisation de l'informatique ont rendu possible l'�mergence d'une � nouvelle � lexicographie dans la seconde moiti� du XXe si�cle. Celle-ci poss�de toutes les caract�ristiques fondamentales de la lexicographie traditionnelle qui viennent d'�tre d�crites ; elle pr�sente aussi une plus grande structuration du fait des concepts scientifiques, techniques et m�thodologiques qu'elle met en jeu.
+Diff�rentes approches structur�es de la description lexicale ont �t� propos�es (Zgusta, 1971 ; Hartmann, 1983 ; Wierzbicka, 1985 ; Sinclair, 1987 ; Svenson, 1994 ; Mel'cuk et coll., 1995). Les principales �quipes lexicographiques adoptent toutes des � th�ories � lexicologiques et lexicographiques donn�es pour mener � bien leurs t�ches descriptives, m�me si les th�ories en question peuvent �tre plus ou moins explicites. Ce qui ressort de toutes les approches modernes du travail lexicographique, c'est l'importance croissante du recours aux nouvelles sources de donn�es sur la langue (corpus informatis�s et Internet). Le lexique d�crit dans un dictionnaire est, comme la grammaire pr�sent�e dans les grammaires usuelles, une entit� aux contours flous, une abstraction ou id�alisation d'un code soumis aux variations r�gionales, sociales, diachroniques, etc. Dans un tel contexte, plus on peut observer de donn�es et plus diversifi�es sont les sources de ces donn�es, plus on est en mesure de faire une description ayant une couverture et une pr�cision acceptables. L'�tude et le traitement informatique des donn�es lexicales ont donn� naissance � une discipline � part enti�re, � mi-chemin entre la lexicographie, l'�tude de corpus et la mod�lisation des connaissances. Puisqu'elle vise la th�orisation des savoirs et techniques d'analyse des ph�nom�nes lexicaux, nous avons appel� cette discipline lexicanalyse (Polgu�re, 2003a :196). Quel que soit le nom qu'on lui donne, le travail d'acc�s aux donn�es, de traitement de celles-ci, de pr�paration des mod�les d�riv�s que sont les bases de donn�es lexicales, est devenu une discipline-cl� dans l'�tude de la langue (Quemada, 1987).
+De nombreux chercheurs et lexicographes ont �crit sur les diff�rents concepts du domaine et ont d�crit les techniques de lexicanalyse utilis�es dans le cadre de la mod�lisation lexicale. On doit cependant constater qu'il n'existe pas � l'heure actuelle de mod�lisation compl�te et rigoureuse des connaissances et des comp�tences mises en jeu dans le travail lexicographique. Parmi les connaissances lexicographiques, on peut mentionner les quatre cat�gories suivantes :
+Les comp�tences peuvent, quant � elles, �tre classifi�es ainsi :
+Bien entendu, un riche bagage a d�j� �t� accumul� sur chacun des points mentionn�s ci-dessus, et nombre de publications ont pr�sent� de fa�on partielle comment tel ou tel aspect du probl�me de la description lexicale pouvait �tre mod�lis�. Ce qui nous manque, c'est un v�ritable mod�le int�gr� de tous ces savoirs, mod�le de type ontologique, qui permettrait de traiter l'activit� lexicographique comme un cas particulier de r�solution de probl�me (problem solving).
+Dans ce contexte, nous venons d'entreprendre � l'Observatoire de linguistique Sens-Texte (OLST) de l'Universit� de Montr�al une recherche visant l'identification et l'ontologisation des savoirs lexicographiques en vue de leur transfert, notamment, dans le domaine de l'enseignement de la langue. Ce projet, appel� Lexitation, s'appuie en grande partie sur une approche exp�rimentale de l'identification des savoirs lexicographiques : simulation � en laboratoire � de l'activit� lexicographique suivie d'une analyse et mod�lisation formelle de cette derni�re.
+Nous nous int�ressons ici principalement au transfert des savoirs lexicographiques vers le domaine de l'enseignement et apprentissage du vocabulaire. Tout d'abord (section 3.1), nous proposons quelques r�flexions sur la place (actuelle et souhaitable) du lexique dans l'enseignement de la langue. Ensuite (section 3.2), nous tentons de convaincre nos lecteurs de la n�cessit� d'effectuer, dans le contexte du transfert des savoirs lexicographiques vers le domaine de l'enseignement de la langue, une formalisation aussi compl�te et syst�matique que possible des savoirs en question.
+Les connaissances lexicales sont au coeur de la connaissance linguistique puisque la langue est un syst�me s�miotique complexe constitu� de signes qui sont, dans leur immense majorit�, de nature lexicale. Le lexique est une n�buleuse de plusieurs centaines de milliers d'unit�s, si l'on tient compte de la polys�mie des vocables et de la pr�sence des unit�s lexicales nultilex�miques (locutions). De plus, chaque �l�ment de ce r�seau informationnel est lui-m�me associ� � son propre treillis de caract�ristiques : sens, formes (�crites et orales), propri�t�s de combinatoire et r�seau de liens s�mantiques qui connectent chaque unit� lexicale aux autres unit�s lexicales de la langue. On le voit, la connaissance lexicale est un tout immense, complexe et relativement h�t�rog�ne. Il ne s'agit pas d'une simple collection de mots, mais bien d'un syst�me lexical (Polgu�re, 2006). On pourrait alors s'�tonner, comme le fait Picoche (1984), que si peu d'efforts aient �t� investis depuis que la scolarisation existe dans l'enseignement des notions g�n�rales permettant de comprendre l'organisation du lexique. Cet �tat de fait peut cependant s'expliquer. Tout d'abord, l'enseignement linguistique au primaire et au secondaire a traditionnellement �t� centr�, non sur le d�veloppement d'une capacit� � apprendre des notions et techniques permettant de d�crire la langue, mais sur la m�morisation de r�gles normatives (Wilmet, 2000). Ainsi, l'enseignement classique de la grammaire consiste � faire apprendre des r�gles de grammaire, et non � montrer comment on peut mettre au jour par soi-m�me de telles r�gles � partir de l'observation des faits grammaticaux. M�me si l'on assiste � l'�mergence de nouvelles strat�gies dites � actives � pour compenser les manques de l'approche traditionnelle (Chartrand, 1995), on est encore loin de voir une g�n�ralisation de ce type de m�thodes. Dans le cas du lexique, comme il n'est pas envisageable de faire m�moriser aux apprenants des articles de dictionnaires, on se limite souvent � la m�morisation de � listes de vocabulaire � (au primaire) en esp�rant que le reste de l'acquisition des connaissances lexicales se fera par simple impr�gnation. Ce faisant, aussi bien les �l�ves que les enseignants sont rarement entra�n�s � d�crire les ph�nom�nes lexicaux et � les comprendre. Un r�sultat typique de ce manque de pr�paration � la compr�hension du lexique est que nombre de probl�mes rencontr�s par les apprenants sont mal identifi�s et, donc, mal trait�s. Parce qu'il est impossible d'isoler un ensemble simple et clairement d�limit� de � r�gles lexicales � qu'il faudrait enseigner, on ignore souvent le lexique comme composante centrale de la connaissance linguistique et on passe � c�t� de la v�ritable solution : il faut apprendre � observer et � d�crire les ph�nom�nes lexicaux pour mieux acqu�rir la connaissance lexicale. Il ne s'agit pas tant ici d'apprendre � � utiliser des dictionnaires � (Lipp, 1992) que d'acqu�rir les notions fondamentales qui structurent la connaissance lexicale et sa mod�lisation - voir � ce propos Simard (1994).
+Nous avons la conviction qu'il faut sortir la lexicographie de son champ d'application traditionnel (la construction de dictionnaires ou bases de donn�es lexicales) pour lui donner un statut de champ de comp�tences g�n�ral. Dans ce contexte, nous voyons l'�laboration d'un mod�le complet et bien formalis� des savoirs lexicographiques, du type de celui mentionn� plus haut (section 2.2) � propos du projet Lexitation, comme un outil essentiel de propagation de ces savoirs vers le domaine didactique.
+Un mod�le relativement complet et formalis� des savoirs lexicographiques aurait une influence directe sur l'�criture de descriptions lexicales. Compte tenu des enjeux associ�s � la construction de grandes bases de donn�es lexicales en traitement automatique des langues (Wilks et coll., 1996 ; Fellbaum, 1998), on peut consid�rer que cette application directe d'un mod�le lexicographique justifie en soi que l'on s'y int�resse. Cependant, il existe d'autres champs d'application de ces savoirs que la seule lexicographie ; nous faisons notamment le constat suivant :
+la ma�trise des savoirs lexicographiques n'est pas seulement n�cessaire dans les t�ches propres � la construction de dictionnaires et de bases de donn�es lexicales : elle renforce consid�rablement les comp�tences professionnelles de toute personne impliqu�e dans l'enseignement de la langue.+
Prenons le cas particulier des enseignants de fran�ais du primaire. Dans leur interaction avec les �l�ves, ils sont constamment amen�s � r�pondre � des questions sur les mots de la langue, � �tablir des diagnostics sur des erreurs de nature lexicale et � aider les �l�ves � trouver des solutions � leurs probl�mes d'expression. Dans la plupart des cas, ces enseignants, qui n'ont pas appris � d�duire des mod�les de la langue � partir de leurs propres observations, cherchent � donner des r�ponses fond�es sur ce qu'ils pensent �tre inscrit dans les dictionnaires. M�me s'il est impensable, pour des raisons p�dagogiques et pratiques, que les enseignants aillent � chaque fois consulter un dictionnaire (ou une grammaire) avant d'�mettre un avis sur la langue, ils voudraient sans doute la plupart du temps pouvoir le faire. Pourquoi ? Parce que la connaissance linguistique, notamment lexicale, est souvent per�ue comme un savoir statique, normalis�, que l'on ne peut mod�liser de fa�on simple et rapide au moyen d'un ensemble de techniques ais�ment accessibles. Mod�liser le lexique serait strictement une affaire de lexicographes professionnels. Ceux-ci auraient pour fonction sociale de rendre disponibles des mod�les de r�f�rence, comme si la construction ou, du moins, l'�bauche de tels mod�les n'�tait pas envisageable en dehors de la lexicographie professionnelle.
+Nous ne remettons nullement en question le fait que la lexicographie soit une affaire de sp�cialistes. Bien au contraire, nous savons d'exp�rience � quel point elle est fond�e sur des savoirs difficiles � acqu�rir. Cependant, l'observation que nous avons pu faire de l'apprentissage de la lexicologie par les �tudiants (dont un grand nombre se destinent � l'enseignement des langues) nous a convaincu que les savoirs lexicographiques augmentent consid�rablement l'autonomie disciplinaire du professionnel de la langue et lui permettent de fonctionner de fa�on optimale dans les situations o� l'analyse des faits linguistiques doit se faire instantan�ment, comme dans les contextes d'enseignement. Si l'on reconna�t l'importance primordiale de la bonne ma�trise de langue dans la vie de nos soci�t�s, les quelques remarques qui viennent d'�tre faites ne peuvent que nous convaincre de la n�cessit�, et non simplement de l'utilit� pratique, d'un transfert des savoirs lexicographiques vers le domaine de l'enseignement.
+On trouvera dans Polgu�re et Tremblay (2003) plusieurs propositions concr�tes sur la fa�on dont les savoirs lexicographiques peuvent �tre mis en pratique dans l'enseignement des connaissances lexicales. Tel que l'illustre la citation ci-dessous, l'accent est mis par les auteurs sur la n�cessit� de structurer la d�marche p�dagogique en fonction de l'organisation m�me des ph�nom�nes linguistiques qu'il s'agit de prendre en charge :
+++Nous postulons qu'il importe avant tout d'explorer deux types de ph�nom�nes, qui se manifestent � travers l'ensemble du lexique, y compris dans le cas des mots tout � fait courants de la langue. Il s'agit de
++
+- - la polys�mie, qui doit nous forcer � isoler les diff�rentes acceptions d'un mot pour pouvoir les caract�riser et les diff�rencier ;
+- - la connexion lexicale, qui fait qu'une unit� lexicale n'existe que par (i) son positionnement dans le r�seau lexical de la langue (liens paradigmatiques) et (ii) ses propri�t�s individuelles, qui contr�lent la fa�on dont elle se combine aux autres unit�s lexicales dans la phrase (liens syntagmatiques).
+
Bien entendu, un transfert des savoirs lexicographiques vers l'enseignement de la langue consiste non seulement � inculquer aux enseignants de nouvelles connaissances et comp�tences, mais aussi � leur fournir des outils descriptifs sur lesquels ils peuvent s'appuyer pour mettre en oeuvres des strat�gies d'enseignement du vocabulaire ; il s'agit avant tout des dictionnaires ou bases lexicales sp�cialement con�us pour appuyer l'�tude des ph�nom�nes identifi�s dans la citation ci-dessus (structure polys�mique des vocables et connexions paradigmatiques ou syntagmatiques entre unit�s lexicales). On mentionnera ici notamment, pour le fran�ais, le Dictionnaire du fran�ais usuel (Picoche, 2002) et le Lexique actif du fran�ais (Mel'cuk et Polgu�re, 2007). Nous aurons l'occasion de revenir sur ce dernier ouvrage dans la section qui suit.
+Dans cette derni�re section, nous allons donner quelques informations sur l'approche que nous adoptons pour tenter de faire progresser le transfert des savoirs lexicographiques que nous pr�nons ici. Nous commencerons (section 4.1) par bri�vement justifier l'int�r�t du cadre th�orique et descriptif dans lequel nous nous situons : la Lexicologie Explicative et Combinatoire. Nous dirons ensuite quelques mots (section 4.2) sur deux ressources sp�cifiques qui ont �t� d�velopp�es selon cette approche afin de r�pondre, en tout premier lieu, aux besoins des enseignants du fran�ais.
+La lexicographie moderne est intimement li�e � l'�tude scientifique des lexiques des langues naturelles, c'est-�-dire � la lexicologie. Il est clair qu'un travail de mod�lisation et de transfert des savoirs lexicographiques doit s'appuyer sur un cadre th�orique bien d�fini, afin d'assurer la coh�rence conceptuelle du mod�le � construire. Pour ce qui est du cadre lexicologique de r�f�rence, nous nous appuyons dans nos travaux sur la Lexicologie Explicative et Combinatoire ou LEC, qui est la branche lexicale de la th�orie linguistique Sens-Texte. La pr�sentation qui en est faite dans la litt�rature linguistique (Mel'cuk et coll., 1995 ; Polgu�re, 2003a) correspond � ce que l'on pourrait appeler une ontologie semi-formelle de cette th�orie du lexique : r�seau notionnel et ensemble de crit�res et de m�thodes pr�sent�s en langue naturelle, mais en suivant des contraintes d'expression et des contraintes terminologiques strictes.
+L'approche de la LEC est, selon nous, particuli�rement appropri�e pour servir au d�veloppement d'une mod�lisation formelle et � un transfert des savoirs lexicographiques pour les raisons suivantes :
+L'�num�ration ci-dessus n'a pas pour finalit� de d�montrer que la LEC est la seule et unique approche disponible � sur le march� � pour mettre en oeuvre le transfert des savoirs lexicographiques. Elle vise simplement � justifier le caract�re raisonnable de son utilisation pour atteindre les buts que nous nous fixons.
+Le projet Lexitation de mod�lisation formelle des connaissances lexicographiques ne faisant que d�buter (voir section 2.2), les seuls efforts de transfert des notions de la LEC que nous allons mentionner ici sont ceux visant la production de ressources lexicographiques adapt�es � l'enseignement et apprentissage des connaissances lexicales : il s'agit du Lexique actif du fran�ais ou LAF et du DiCoPop.
+Le LAF, r�dig� en collaboration avec Igor Mel'cuk, est un travail qui a d�j� mentionn� � la section 4.1. En tant qu'ouvrage publi�, il tire son originalit� du fait qu'il est � la fois un manuel de lexicologie destin�, en tout premier lieu, aux enseignants de langue et un �chantillon de dictionnaire du fran�ais, reposant sur une adaptation des descriptions formalis�es de la LEC. Il s'accompagne d'un site web, o� sont notamment rendus disponibles pour les enseignants de fran�ais des mod�les d'exercices visant l'apprentissage du vocabulaire. Par sa finalit� et par sa double nature (pr�sentation de notions lexicologiques et de descriptions lexicographiques), le LAF peut �tre rapproch� de Picoche (2007). Il est int�ressant de constater que le travail d'interfa�age des principes et descriptions de la LEC op�r� lors de la r�daction du LAF a permis, de fa�on r�troactive, de faire progresser l'approche th�orique elle-m�me. On trouvera un bilan de l'exp�rience acquise au cours de la r�daction du LAF dans Polgu�re (2007). Dans ce texte, on fait notamment �tat des innovations introduites pour ce qui est de la caract�risation s�mantique des unit�s lexicales (au moyen d'�tiquettes s�mantiques) et de l'encodage des relations lexicales paradigmatiques et syntagmatiques (au moyen de formules dites � de vulgarisation �).
+Une autre caract�ristique originale du LAF est sa m�thodologie d'�laboration (Polgu�re, 2000b). Il est en effet enti�rement d�riv� de la base lexicale DiCo des d�rivations s�mantiques et collocations du fran�ais, d�velopp�e par Igor Mel'cuk et le pr�sent auteur. Cette fa�on de proc�der assure au LAF une rigueur formelle sous-jacente et, surtout, nous permet de d�river de la base source DiCo d'autres � produits �, comme celui dont il va maintenant �tre question.
+Le DiCoPop est une premi�re �tape vers la r�alisation de ce que Jousse et coll. (2008) appellent un site lexical. Il �quivaut pour l'instant � un dictionnaire en ligne, tr�s proche du LAF, et qui est tout comme ce dernier enti�rement d�riv� de la base DiCo. Outre le fait qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage papier, deux caract�ristiques importantes distinguent le DiCoPop du LAF. Tout d'abord, les descriptions du DiCoPop sont extraites du DiCo de fa�on enti�rement automatique, sans intervention des lexicographes pour ce qui est de la � p�dagogisation � des descriptions lexicales de la base source. Ensuite, et cela est fondamental, le DiCoPop n'existe, en tant que dictionnaire, que de fa�on virtuelle. Les descriptions lexicographiques qu'obtiennent les utilisateurs du DiCoPop sont construites � la vol�e, en r�ponse aux requ�tes particuli�res adress�es � la base. Le DiCoPop est donc bien un dictionnaire virtuel, au sens de Atkins (1996). Cette caract�ristique du DiCoPop offre les trois avantages suivants :
+Dans ce qui pr�c�de, nous avons bri�vement tent� de pr�senter et d�fendre les trois id�es suivantes :
+Plut�t que d'offrir un panorama g�n�ral de ce qui se fait en lexicologie et lexicographie dans le cadre du transfert des savoirs lexicographiques, nous avons pr�f�r� nous concentrer sur l'explicitation de nos propres id�es et des efforts que nous avons entrepris en ce sens. En effet, il nous semble, peut-�tre � tort, que l'id�e m�me de la n�cessit� d'un transfert des savoirs lexicographiques vers le domaine de l'enseignement et apprentissage du vocabulaire est tr�s peu r�pandue. Selon ce que nous savons, elle est essentiellement mise en pratique en didactique des langues dans le cadre d'exercices ponctuels de r�daction d'articles ou de parties d'articles de dictionnaire (d�finition, etc.) qu'�laborent les enseignants de langue. Ajoutons que, g�n�ralement, ces exercices sont con�us sans qu'il soit fait appel � une mod�lisation suffisamment compl�te des savoirs lexicographiques. Nous serions personnellement tr�s heureux de recevoir toute information sur des projets et des initiatives p�dagogiques allant dans le m�me sens que les id�es que nous d�fendons ici.
+Remerciements +Les travaux de l'Observatoire de linguistique Sens-Texte (OLST) de l'Universit� de Montr�al mentionn�s ici sont financ�s par le Fonds qu�b�cois de recherche sur la soci�t� et la culture (FQRSC) et par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� + par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+On illustrera quelques-unes des probl�matiques associ�es � la th�matique � Histoire, Epist�mologie, R�flexivit� � par la notion de � grammaire philosophique �. L'allusion au tournant linguistique en philosophie est transparente dans le titre de cette contribution. L'id�e n'est pas de renverser le sens de cette entreprise, mais plut�t d'emprunter, � partir de la linguistique, le m�me chemin dans l'autre sens. Si le tournant linguistique en philosophie se fondait sur l'id�e que l'acc�s privil�gi� aux concepts passe par leur expression linguistique partag�e, mon id�e est qu'une description exhaustive des expressions linguistiques complexes et de leur contenu a besoin d'une voie d'acc�s � des syst�mes de concepts ind�pendants de l'expression linguistique.
+Comme le montre une �tude syst�matique des contenus conflictuels, la structure interne des signifi�s complexes a une racine double (Prandi 1987) : la capacit� des structures syntaxiques d'imposer un moule cr�ateur aux concepts convoqu�s, mais aussi le r�le jou� par un syst�me de relations conceptuelles �tablies ind�pendamment dans la mise en place des relations s�mantiques. Dans cette optique, les contenus conflictuels - les contenus d'expressions comme Le soleil versait sa lumi�re sur le Mont Blanc (H.-B. De Saussure) - sont � consid�rer comme des observatoires privil�gi�s des facteurs de la connexion des contenus complexes et des facteurs de la signifiance. Dans un contenu coh�rent - Jean versait du vin dans son verre -, les deux facteurs, la connexion syntaxique formelle et la coh�rence des concepts, dessinent exactement le m�me r�seau de relations, ce qui rend tout � fait impossible un partage des t�ches et des responsabilit�s. Dans les signifi�s conflictuels, par contre, la connexion formelle force les concepts convoqu�s dans une relation qu'ils refusent. De ce fait, les relations nou�es par chacun des deux facteurs se dissocient, rendant possible leur �tude s�par�e.
+L'�tude des contenus conflictuels exalte la capacit� des structures syntaxiques formelles d'imposer un moule ind�pendant au concepts, s'inscrivant dans la tradition de la Philosophie des formes symboliques (Cassirer 1922), mais souligne aussi avec force une organisation ind�pendante des concepts dans des r�seaux coh�rents. Comme il y a une syntaxe des expressions fond�e sur le crit�re de la bonne formation, il y a une syntaxe des concepts fond�e sur le crit�re de la coh�rence. D'apr�s cette syntaxe, il est coh�rent de verser une substance liquide ou de l'argent, mais il n'est pas coh�rent de verser la lumi�re.
+A la diff�rence du contenu des expressions, l'exp�rience des choses est tautologiquement coh�rente. Dans un texte, nous pouvons surprendre la lune en attitude de r�ve ; dans la vie, cette exp�rience est inaccessible. Cette remarque banale entra�ne une cons�quence. Tant que nous sommes confin�s dans le monde de l'exp�rience, la coh�rence est simplement assum�e comme allant de soi ; m�me si elle �tait remise en question, les crit�res qui la fondent resteraient obscurs. Si nous nous tournons vers le monde des expressions, et que nous nous penchons sur les contenus conflictuels, au contraire, la coh�rence des concepts est remise en question, alors m�me que ses crit�res deviennent accessibles. Parcourant � rebours les trames de l'incoh�rence, nous d�couvrons en filigrane le r�seau des conditions de la coh�rence. C'est un bon exemple des raisons qui ont pouss� les philosophes � se tourner vers les expressions.
+Le privil�ge indiscutable de l'expression linguistique dans l'exp�rience de l'incoh�rence et dans l'�tude de ses conditions, cependant, n'implique pas que la syntaxe des concepts fasse partie de la structure de la langue. Depuis Chomsky (1965) cette id�e s'est impos�e comme allant de soi, et il s'agit seulement de savoir si les conditions de coh�rence - appel�es restrictions de s�lection dans le jargon des linguistes - appartiennent � la syntaxe, selon la tradition de Carnap (1932) relanc�e par Chomsky, ou plut�t au lexique, comme il est normal de penser aujourd'hui (McCawley 1970(1971); Lakoff 1971; Wierzbicka 1980 : 87; Dik 1989(1997 : 91); Geeraerts 1991).
+En fait, les conditions de coh�rence n'appartiennent ni � la syntaxe ni au lexique, car elles sont totalement �trang�res � la structure de la langue. Elles forment un syst�me de pr�suppos�s conceptuels qui r�glent en premier lieu la coh�rence de notre comportement spontan� - l'attitude naturelle dont parle Husserl (1913) - et par l� la coh�rence de nos concepts partag�s, et des signifi�s des mots et des expressions. Personne n'adresse des questions � la lune ; pour les m�mes raisons, le contenu de l'expression La lune r�ve (Baudelaire) est re�u comme incoh�rent. Ce syst�me de pr�suppos�s n'est ni un objet de connaissance ni une structure cognitive : l'attitude intentionnelle partag�e qui investit ces structures n'est pas une attitude th�orique mais pratique, � savoir une attitude de confiance. Il s'agit de pr�suppos�s auxquels nous faisons une confiance aveugle, comme � un terrain solide sur lequel nous marchons. Comme tels, il ne sont ni remis en question ni argument�s, ni m�me explicitement exprim�s. Ce syst�me de pr�suppos�s forme la partie la plus qualifiante de notre ontologie naturelle partag�e (Prandi 2004 : Ch. 8).
+L'ontologie naturelle est une sorte de constitution qui fonde la l�galit� conceptuelle de notre forme de vie, y compris notre comportement symbolique. Sur le plan structural, la l�galit� grammaticale et la l�galit� conceptuelle sont totalement autonomes. Sur le plan fonctionnel, par contre, l'activit� symbolique de l'�tre humain n'est concevable que sur le fond de l'ontologie naturelle et des syst�mes de concepts coh�rents qu'elle fonde. D'o� l'int�r�t de l'analyse philosophique des concepts pour le linguiste. D�s qu'il quitte le domaine des structures strictement formelles, et qu'il s'engage sur un parcours fonctionnel, il est pouss� � int�grer la grammaire des formes avec une composante philosophique, � savoir, une grammaire des concepts form�e par un syst�me de concepts coh�rents et par les conditions de leur coh�rence.
+La syntaxe des concepts joue d'abord un r�le passif � l'�gard des expressions, qui consiste � d�tecter les contenus conflictuels. Mais elle joue aussi un r�le actif : elle alimente le raisonnement coh�rent, qui est pr�t � prendre la rel�ve du codage dans la mise au point des relations s�mantiques en dehors du noyau de la phrase. De ce fait, l'id�e d'une interaction entre structures grammaticales et structures conceptuelles, inspir�e par l'observation des contenus conflictuels, ouvre des perspectives nouvelles dans l'�tude des contenus complexes coh�rents.
+L'id�e que dans la structure d'une phrase un noyau structural solide se combine avec des couches p�riph�riques plus floues n'est pas en elle-m�me nouvelle, mais elle peut �tre d�finie sur des bases nouvelles. Dans la tradition issue de Tesni�re (1959) et prolong�e par les grammaires fonctionnelles (par exemple, Dik 1989 (1997)), le crit�re de d�marcation entre le noyau de la phrase et les couches p�riph�riques est un crit�re fonctionnel, qui se fonde sur la structure du proc�s mis en place dans la phrase, et co�ncide avec la distinction entre arguments et circonstants, ou satellites. Une r�flexion sur les conditions doubles, formelles et conceptuelles, de la signifiance, justifie par contre la pertinence d'un crit�re interne, fond� sur une diff�rence de r�gime de codage, et notamment sur la distinction entre un codage relationnel et un codage ponctuel des diff�rentes couches du proc�s.
+Chaque phrase contient un noyau qualifi� form� par un r�seau de relations grammaticales - par exemple le sujet, l'objet direct, l'objet pr�positionnel, l'objet indirect - qui sont � la fois vides de contenu et cod�es ind�pendamment des concepts convoqu�s, et qui de ce fait sont capables de contraindre les concepts dans un � moule rigide � (Blinkenberg 1960). Dans ces conditions, le noyau du proc�s n'est pas en premier lieu le reflet d'un concept complexe ind�pendant, mais une construction active de la part de l'expression, comme le prouve la possibilit� formelle de signifi�s incoh�rents (Husserl 1901 (1962 : 4�me Recherche)). A la diff�rence d'un contenu coh�rent - par exemple Jean r�ve - un contenu incoh�rent - par exemple La lune r�ve - ne peut pas �tre con�u comme le reflet dans l'expression d'un concept ind�pendant. Nous parlons en ce cas de codage relationnel : le noyau d'une phrase code le noyau d'un proc�s comme un r�seau de relations - comme un tout. Une expression donn�e - par exemple l'expression nominale la lune - ne code pas imm�diatement un r�le mais une relation grammaticale - le sujet - qui � son tour est pr�te � recevoir un r�le � partir du contenu relationnel du terme principal du pr�dicat - notamment du verbe. De ce fait, le r�f�rent du sujet d'un verbe comme r�ver est oblig� d'assumer le r�le d'experiencer du r�ve ind�pendamment de sa coh�rence conceptuelle.
+En dehors de ce noyau, chaque phrase est pr�te � accueillir des couches d'expressions p�riph�riques, ou marges (Thompson, Longacre 1985), dont la pr�sence et la structure ne se justifient que par leur aptitude � porter � l'expression des relations conceptuelles coh�rentes accessibles ind�pendamment. Cela implique qu'une expression donn�e n'entre pas dans une structure unitaire de phrase gr�ce � ses propri�t�s formelles, mais en tant qu'expression au service d'une certaine relation conceptuelle, ins�parable de celle-ci. Cette fracture est enregistr�e par la terminologie, qui se r�f�re explicitement � des relations conceptuelles comme l'instrument, la cause ou les relations spatiales ou temporelles. Le sens du codage se renverse : au lieu d'entra�ner les concepts convoqu�s dans un r�seau de relations grammaticales qui les pr�c�dent, la structure de l'expression complexe se met au service d'un concept complexe accessible ind�pendamment. Nous parlons en ce cas de codage ponctuel : avant d'entrer dans une structure grammaticale, chaque expression code directement et imm�diatement un r�le du proc�s.
+Du fait qu'il est instrumental vis-�-vis d'un syst�me de relations conceptuelles coh�rentes, le codage ponctuel se pr�sente comme une grandeur gradu�e. Le degr� de codage d�pend du contenu du mot de liaison, qui peut r�pondre � sa destination fonctionnelle dans une mesure variable. Pour rester dans le domaine des pr�positions, il y en a qui codent pleinement une certaine relation conceptuelle, mais il y en a aussi qui s'arr�tent en de�� d'un codage plein ou qui se poussent bien au-del�. En cas de surcodage, l'expression linguistique ne se limite pas � faire affleurer une relation conceptuelle accessible ind�pendamment, mais lui impose un profil s�mantique plus fin. En cas de sous-codage, l'expression r�ussit dans la mesure o� une relation conceptuelle pertinente est accessible ind�pendamment du codage au raisonnement coh�rent du destinataire - � l'inf�rence. La pr�position malgr� est un exemple de codage plein : dans Je sortirai malgr� la pluie, malgr� ne code ni plus ni moins qu'une relation concessive. La pr�position avec, par contre, est un exemple de sous-codage. Elle n'arrive � coder pleinement aucun r�le, et si elle peut �tre utilis�e dans l'expression, ce n'est que dans la mesure o� une relation conceptuelle coh�rente est accessible par inf�rence. Situ�e � la p�riph�rie d'une phrase comme Jean a coup� le bois, par exemple, l'expression avec une hache introduit l'instrument, alors que l'expression de la m�me forme avec Pierre code le collaborateur de l'agent. Situ�e � la p�riph�rie d'un proc�s comme Jean s'est sauv�, elle perd son r�le instrumental. L'expression est au service de relations conceptuelles accessibles ind�pendamment et se plie � leur coh�rence. L'inf�rence relaie le codage : il s'agit du ph�nom�ne connu en litt�rature comme � enrichissement inf�renciel � (K�nig, Traugott 1988; Hopper, Traugott 1993 : 74 ; Kortmann 1997). Nous aborderons plus bas le probl�me, plus complexe, du surcodage.
+L'interaction entre sous-codage et raisonnement inf�renciel n'est pas un ph�nom�ne marginal, mais le mode de fonctionnement le plus typique de l'expression en dehors du noyau, o� le codage plein est plut�t l'exception que la r�gle. Cela impose une r�flexion sur le statut de l'inf�rence. Si l'inf�rence est con�ue comme une strat�gie pragmatique, fond�e sur des donn�es contingentes, elle nous porte en dehors de la s�mantique des expressions complexes. Mais si elle se fonde sur cette m�me charpente de concepts de longue dur�e qui forme la constitution conceptuelle de notre forme de vie, elle fournit � l'analyse s�mantique une base tout aussi solide que la grammaire des formes.
+L'inf�rence qui prend la rel�ve d'un codage insuffisant est g�n�ralement identifi�e avec ce type d'inf�rence que Grice (1975) appelle implicature conversationnelle, et que Sperber et Wilson (1986) ont d�crit dans le cadre de la th�orie de la pertinence. Or, celle-ci est en effet une strat�gie pragmatique, qui remonte du signifi� d'un �nonc� � une intention communicative sur le fond d'une configuration contingente de facteurs rassembl�s sur la base d'un crit�re de pertinence � son tour contingent. Transf�rant ce mod�le dans le domaine de l'enrichissement inf�renciel, Kortmann (1997 : 203) parle de � pragmatic processes of intepretative enrichment �, qui pour Hopper et Traugott (1993) donnent lieu � une forme de � pragmatic polysemy �. Mais l'inf�rence est-elle vraiment ins�parable d'une motivation contingente, et donc pragmatique ?
+L'inf�rence, d�crite par Aristote (Analytiques Premiers, II, 70a), est une forme de raisonnement naturel qui remonte d'une constellation de pr�misses tenues pour vraies � une cons�quence � son tour tenue pour vraie ou, plus typiquement, pour probable. L'inf�rence n'est pas une strat�gie linguistique ou li�e de fa�on particuli�re � l'expression linguistique, mais une strat�gie cognitive plus g�n�rale qui est pr�te � utiliser, parmi ses pr�misses, des contenus d'expressions tenus pour vrais. Si je vois que la fen�tre donnant sur les toits est ouverte et que le chat a disparu, par exemple, je peux en inf�rer, sur le fond d'un certain nombre de donn�es contingentes, que le chat s'est sauv� par la fen�tre. A la seule condition que les donn�es pertinentes soient partag�es, la r�ponse � La fen�tre est ouverte � � ma question sur le chat m'autorise � inf�rer le message � Le chat s'est sauv� par la fen�tre �. Si je vois Jean muni d'une hache s'attaquer � un tas de gros bois, j'en conclue, sur la base d'un r�seau de concepts partag�s, qu'il va se servir de la hache comme d'un instrument. La m�me inf�rence, je suis pr�t � la tirer si mon interlocuteur me dit qu'il va couper le bois avec la hache, � la seule condition que je partage avec lui la structure conceptuelle de l'action humaine et la relation entre l'agent et l'instrument.
+Comme les exemples le montrent, l'inf�rence interagit avec la communication verbale � deux niveaux distincts et se fonde sur deux ordres de pr�misses distinctes.
+D'une part, l'inf�rence peut �tablir une relation entre le signifi� d'une expression et le message qui lui est confi� dans des circonstances donn�es, mais elle peut aussi tracer des relations dans le contenu d'une expression ou entre contenus d'expressions. En raison de la fonction qu'elles remplissent, nous pouvons distinguer au moins deux formes diff�rentes d'inf�rence, que nous proposons d'appeler inf�rence externe et interne.
+L'inf�rence externe porte sur la relation extrins�que, de nature indexicale (voir Prandi 1992 ; 1995b ; 2000 ; 2004), entre le signifi� d'une expression linguistique et la valeur de message contingent dont elle se charge dans des circonstances donn�es. Elle r�pond � la question : � Qu'est-ce que le locuteur veut dire en utilisant cette expression ayant ce signifi� ? �, ou � Quelle est la valeur de cette expression dans ce texte particulier ? �. Dans ce cas, l'expression signifiante est interpr�t�e en bloc comme un indice attirant l'attention du destinataire sur un message contingent. C'est ce genre d'inf�rence qui est �tudi� dans le cadre de la th�orie de la pertinence.
+L'inf�rence interne contribue � la mise au point d'un signifi� complexe. Elle r�pond � la question : � Quel est le signifi� de cette expression ? �. La mise au point du contenu d'une expression est une d�marche qui ne rel�ve pas de la dimension indexicale et contingente, et donc pragmatique, de l'acte de communication, mais de la dimension symbolique, et donc de longue dur�e, de l'expression. C'est ce genre d'inf�rence qui est pertinent pour l'enrichissement inf�renciel d'un contenu complexe sous-cod�.
+D'autre part, cette diff�rence de fonction se double �lectivement d'une diff�rence dans la nature des pr�misses. Il y a notamment une corr�lation tendancielle entre l'inf�rence externe et une constellation contingente de donn�es contextuelles et entre l'inf�rence interne et un syst�me de relations conceptuelles stables, de longue dur�e. Pour remonter du signifi� de l'expression La fen�tre est ouverte au message � Le chat s'est sauv� �, le destinataire du message se fonde sur une constellation contingente d'informations sur un chat particulier et sur la position d'une fen�tre donn�e qu'il partage avec le locuteur et qu'il tient pour pertinentes dans les limites de cette situation de discours. Le crit�re de l'inf�rence externe est donc la coh�rence textuelle et discursive (en anglais, coherence), qui est une donn�e contingente relevant de la pragmatique. Pour relier l'instrument � une action, tout au contraire, le sujet de l'acte d'inf�rence s'appuie sur un syst�me de mod�les cognitifs coh�rents et de conditions de coh�rence qu'il partage dans la longue dur�e avec une communaut� culturelle tout enti�re ind�pendamment de la situation contingente de discours. Le crit�re de l'inf�rence interne est donc la coh�rence conceptuelle (en anglais, consistency), qui rel�ve d'une grammaire des concepts.
+Ce passage est strat�gique pour l'id�e de grammaire philosophique. Les bases contingentes de l'inf�rence externe ne peuvent pas faire l'objet d'une description syst�matique. Elles peuvent seulement �tre illustr�es par des exemples significatifs. Les bases stables de l'inf�rence interne, tout au contraire, peuvent faire l'objet d'une analyse syst�matique, comme il se fait dans la tradition de la m�taphysique descriptive (Strawson 1959). De ce fait, une analyse rigoureuse des r�seaux de concepts coh�rents sous-tendant l'expression linguistique - une v�ritable syntaxe des concepts r�gie par le crit�re de la coh�rence - peut �tre associ�e � la grammaire des formes comme l'une des sources de la structure s�mantique des expressions complexes.
+Comme je suis oblig� d'illustrer le tout par la partie, je vais concentrer mon attention sur les relations transphrastiques, et notamment sur le microsyst�me de concepts coh�rents form� par la cause, le motif de l'action et le but.
+Traditionnellement �tudi�es dans le cadre de la phrase complexe comme autant de signifi�s de propositions subordonn�es dites circonstancielles, les relations transphrastiques sont en fait des relations conceptuelles coh�rentes - des ponts conceptuels entre proc�s. D�crire les relations transphrastiques, donc, c'est d'abord d�finir le profil conceptuel de ces relations, pour explorer ensuite dans toute son �tendue l'�ventail de leurs moyens d'expression (� 3.1).
+Contrairement � ce que l'on pourrait penser, une telle approche n'appauvrit pas l'�tude de l'expression, mais l'enrichit d'une fa�on impressionnante.
+Si l'�tude des relations transphrastiques r�pond � un crit�re grammatical, le r�pertoire se restreint : c'est ce qui arrive dans les approches traditionnelles, o� des concepts comme la cause ou le but se r�duisent au contenus d'autant de propositions subordonn�es dites circonstancielles. Vu du c�t� des concepts, le r�pertoire des moyens d'expression s'�largit jusqu'� inclure des ressources d'ordre textuel et lexical (� 3.2.).
+De plus, la plupart des expressions ne se limitent pas � coder une relation conceptuelle donn�e, mais greffent sur un tronc conceptuel commun des structures s�mantiques sp�cifiques, en quelque cas d'une richesse impressionnante (� 3.3).
+S'inspirant d'une distinction purement grammaticale entre propositions dites causales comme (1, 3, 4) et propositions dites finales comme (2), on souligne traditionnellement la distinction entre la relation de cause et la relation de but, alors qu'on ignore compl�tement la distinction entre causes et motifs de l'action (3), qui est interne � la forme dite causale :
+1. La rivi�re a d�bord� parce qu'il a beaucoup plu.+
2. Jean a achet� les clous pour r�parer l'�tag�re.+
3 Jean a achet� un nouveau v�lo parce que l'ancien s'�tait cass�.+
En fait, la relation pertinente en termes conceptuels est la distinction entre la cause et les motifs (Danes 1985). La cause trouve sa place dans notre cat�gorisation spontan�e des �v�nements du monde des ph�nom�nes et de leurs relations impersonnelles, alors que les motifs renvoient aux actions accomplies par des �tres humains libres et responsables, capables d'�valuer et de d�cider. A partir de cette distinction, le but se r�duit, en termes strictement conceptuels, � un type de motif. Un motif peut �tre ou r�trospectif, fond� sur l'�valuation d'un fait pass�, comme (3), ou prospectif, fond� sur une pr�vision ou une intention du sujet portant sur le futur. Dans les limites de la phrase complexe, le motif prospectif co�ncidant avec le contenu d'une intention admet deux formes d'expressions : une forme finale comme (2) et une forme causale comme (4), qui se rapproche de l'expression d'un motif r�trospectif comme (3) et par l� de l'expression d'une cause comme (1) :
+4. Jean a achet� les clous parce qu'il avait l'intention de r�parer l'�tag�re.+
Les exemples nous montrent qu'une m�me forme d'expression peut neutraliser des diff�rences conceptuelles aussi lourdes que la cause (1) et le motif (3, 4), alors qu'une seule relation conceptuelle - le motif prospectif co�ncidant avec une intention - peut �tre confi�e � des formes d'expression aussi diff�rentes que (2) et (4). Sur la base de consid�rations de ce genre, la relation biunivoque entre relations conceptuelles et types de propositions subordonn�es, qui r�duit l'�tude traditionnelle � une liste, est bris�e.
+Une fois qu'un microsyst�me de concepts coh�rents a �t� d�fini, l'�ventail des moyens d'expression de chaque relation peut �tre d�crit sur la base de deux param�tres. Observons les exemples suivants :
+5. La rivi�re s'est gonfl�e parce que le d�gel a commenc�.+
5a. Depuis que le d�gel a commenc�, la rivi�re s'est gonfl�e.+
6. Le d�gel a commenc� et la rivi�re s'est gonfl�e.+
6a. Le d�gel a commenc� et depuis la rivi�re s'est gonfl�e.+
6b. Le d�gel a commenc� et � cause de cela la rivi�re s'est gonfl�e.+
7. Le d�gel a commenc�. La rivi�re s'est gonfl�e.+
7a. Le d�gel a commenc�. Depuis la rivi�re s'est gonfl�e..+
7b. Le d�gel a commenc�. A cause de cela la rivi�re s'est gonfl�e.+
8. Jean a achet� le Guide Michelin dans le but de passer ses vacances en Normandie.+
8a. Jean a achet� le Guide Michelin avec l'intention (le projet, le r�ve) de passer ses vacances en Normandie.+
9. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie, et a achet� le Guide Michelin.+
9a. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie, et dans ce but (avec ce projet (d�sir, r�ve...) il a achet� le Guide Michelin.+
10. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie. Il a achet� le Guide Michelin.+
10a. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie. Dans ce but (avec ce projet (d�sir, r�ve...) il a achet� le Guide Michelin.+
D'une part, nous avons l'opposition entre la connexion grammaticale dans le cadre d'une phrase complexe (5, 5a, 6, 6a, 6b, 8, 8a, 9, 9a) et la coh�rence d'un fragment de texte form� par deux �nonc�s ind�pendants (7, 7a, 7b, 10, 10a), le cas �ch�ant soutenue par des moyens coh�sifs, et notamment par des relations anaphoriques (7a, 7b, 10a). La disponibilit� de strat�gies textuelles montre que la grammaire elle-m�me est une option pour la connexion transphrastique. S'il est vrai qu'il y a des relations conceptuelles qui se nouent ind�pendamment de la connexion formelle, cela implique que la grammaire des concepts exc�de la juridiction de la grammaire des formes.
+D'autre part, tant dans la juxtaposition que dans la coordination et dans la phrase complexe, l'expression ne co�ncide pas avec le simple codage, mais r�sulte d'une interaction tr�s riche entre codage et raisonnement inf�renciel motiv� par la structure d'un syst�me de concepts coh�rents partag�s.
+La simple juxtaposition, tout d'abord, montre que les relations conceptuelles transphrastiques peuvent �tre exprim�es en l'absence de codage du fait qu'elles sont directement accessible au raisonnement inf�renciel. Dans les cas o� la juxtaposition contient des relateurs anaphoriques, tous les degr�s de codage - du sous-codage (7a) au surcodage (10a) - sont accessibles en l'absence de connexion grammaticale. Les m�mes ressources anaphoriques sont pr�tes � appuyer la coordination, pr�tant leur aide � une connexion grammaticale typiquement pauvre en contenu (6a, 6b, 9a).
+Ensuite, m�me � l'int�rieur des structures pr�sentant une charpente grammaticale solide, le codage linguistique de la relation n'est pas une donn�e homog�ne. En pr�sence de sous-codage, le contenu de la relation n'est atteint que si un compl�ment inf�renciel prend la rel�ve d'un codage insuffisant (5a, 6, 6a). A l'extr�mit� oppos�e, l'expression linguistique ne se limite pas n�cessairement � coder une relation conceptuelle accessible ind�pendamment, mais elle est en mesure de greffer sur celle-ci une composante s�mantique sp�cifique : c'est le cas du surcodage, sur lequel nous allons nous arr�ter un peu (8a, 9a, 10a).
+Pour identifier des r�seaux coh�rents de relations conceptuelles, il faut donc abandonner l'id�e d'une relation biunivoque entre expressions et contenus. D'une part, un syst�me de concepts coh�rents est accessible ind�pendamment de telle ou telle expression ; de l'autre, l'expression ne se limite pas � rendre accessibles des concepts, mais elle est capable d'enrichir leur profil d'un surplus s�mantique.
+L'exemple le plus int�ressant qui illustre ce dernier point vient du domaine de la finalit� (Gross, Prandi 2004). Sur le plan strictement conceptuel, nous l'avons vu, le but se r�duit � un motif prospectif co�ncidant avec le contenu d'une intention. Cette relation conceptuelle est pr�te � entrer dans quatre moules formels diff�rents : la forme dite causale (11), la forme dite finale (12), la coordination (13) et la juxtaposition (14) :
+11. Jean a achet� le Guide Michelin parce qu'il veut passer ses vacances en Normandie.+
12. Jean a achet� le Guide Michelin dans le but de passer ses vacances en Normandie.+
13. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie, et a achet� le Guide Michelin.+
14. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie. Il a achet� le Guide Michelin.+
Dans chacun de ces moules, nous pouvons rencontrer � tour de r�le des dizaines de noms pr�dicatifs, que G. Gross (1998) a regroup� en quatre classes caract�ris�es par des propri�t�s distributionnelles sp�cifiques : les m�taphores locatives, comme but ou objectif ; les noms li�s � la vision, comme vue ou perspective ; les noms d'intention consciente, comme intention, volont�, propos ou projet ; les noms de sentiments, comme d�sir, r�ve ou illusion :
+11a. Jean a achet� le Guide Michelin parce qu'il avait comme but (il avait en vue, il avait l'intention, il ressentait le d�sir) de passer ses vacances en Normandie.+
12a. Jean a achet� le Guide Michelin dans le but (en vue, avec l'intention, dans le d�sir) de passer ses vacances en Normandie.+
13a. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie, et dans ce but (en vue de ce propos, avec cette intention, avec ce r�ve) a achet� le Guide Michelin.+
14a. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie. Dans ce but (en vue de ce propos, avec cette intention, avec ce r�ve) l a achet� le Guide Michelin.+
Si nous pensons que chaque nom pr�dicatif peut recevoir diff�rents verbes supports et �tre modifi� par plusieurs adjectifs, il est facile de constater que les formes d'expression disponibles pour la seule relation de but reviennent � plusieurs centaines, et que chacune de ces expressions impose � la m�me structure conceptuelle un profil s�mantique sp�cifique.
+Comme les philosophes ont ressenti le besoin de dessiner la trame des concepts parcourant leur expression linguistique, le linguiste s'aper�oit qu'une description rigoureuse du signifi� des expressions demande un acc�s direct, ind�pendant du codage linguistique, � un syst�me de concepts coh�rents et � leurs conditions de coh�rence. Ainsi, le cercle ouvert par le tournant linguistique en philosophie se boucle : s'il est impossible d'�tudier les concepts comme si l'expression n'existait pas, il n'y a pas plus de sens � �tudier l'expression en oubliant qu'elle ne b�tit ses structures s�mantiques sp�cifiques ni sur la � n�buleuse � dont parlait Saussure (1916) ni sur le � sable � de Hjelmslev (1943), mais sur une couche solide de concepts partag�s. Le dialogue ininterrompu entre l'expression linguistique et les concepts partag�s ne se fonde pas sur la primaut� de l'un des partenaires, mais conna�t une infinit� de points d'�quilibre, o� le dosage exact de codage et de raisonnement motiv� par la structure des concepts s'ouvre � la recherche empirique. C'est pour cette t�che que je propose d'emprunter � une noble tradition l'appellatif de 'grammaire philosophique'.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� + par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+A l'�vidence, la cat�gorie de � r�cent � n'est pas une cat�gorie historiographique bien construite : entre pass�, pr�sent et avenir, elle semble ne pas d�cider. Pr�sent comme dilat�? Pass� non accompli? Futur en g�sine ?
+Pourtant, cela n'a pas emp�ch� les historiens de la fin du si�cle dernier de s'approprier d'une certaine mani�re cette modalit� temporelle en cr�ant par exemple un Institut du Temps Pr�sent. Celui-ci vise � prendre en charge, pr�cis�ment, un pass� pas tout � fait pass� (un � pass� qui ne passe pas � parfois...) et donc � historiciser ce qui ne se manifeste pas � par soi m�me � comme historique. La question que pose le � r�cent � est donc celle de l'historicit�. En quoi consiste au juste la fameuse � distance � historique cens�e rendre possible la r�flexivit� (pour reprendre l'un des termes de notre session du colloque)?
+Il n'est �videment pas question de r�pondre ici � cette question, mais seulement d'en faire l'horizon sur lequel les probl�mes pos�s ici apparaissent. Une grande partie des propositions parvenues concernent en effet le XXe si�cle, certaines, ce qu'on peut appeler l'actualit� m�me des sciences du langage. On peut voir dans ce fait un besoin de mise en perspective qui est en m�me temps un besoin d'orientation, on peut se demander aussi pourquoi ce besoin n'est pas ressenti de mani�re plus fr�quente, on peut enfin s'interroger sur les motivations et la nature de ce recours au pass�.
+Au fond, il n'est pas s�r que l'int�r�t pour le pass� des th�ories linguistiques � r�centes � soient fondamentalement diff�rent de celui qui anime les historiens d'un pass� plus s�rement � r�volu �. A cela plusieurs raisons :
+- Dans les disciplines � faible cumulativit�, l� o� � le taux de r�inscription � des connaissances est faible, un �tat pass� (et/ou oubli�) de la discipline peut acqu�rir dans l'actualit� une pertinence qu'il n'avait plus.
+- L'historicit� n'est pas le d�roulement temporel de la chronologie. Le d�veloppement de l'histoire des id�es linguistiques des quarante derni�res ann�es montre que la connaissance historique d�pend a) de la documentation disponible, b) de la capacit� des historiens � nouer des � connexions d'intrigue � plausibles, contr�lables, �valuables.
+- Si le � pass� � n'est pas � l'histoire �, il faut donc reconna�tre que le recours des grammairiens et linguistes du pass� � l'histoire est lui-m�me variable dans le temps, divers dans ses modalit�s et int�r�ts.
+ +C'est ce point que nous voudrions envisager ici cette cat�gorie du � r�cent � en prenant un exemple qui touche � la mani�re dont - pour combien de temps encore? - de nombreux linguistes se r�f�rent encore activement ou r�activement au pass� r�cent de la linguistique : le saussurisme et le structuralisme.
+Dans un premier temps, il semble in�vitable de reconna�tre que tout recours au pass� n'est pas encore de l'histoire au sens moderne du terme, c'est-�-dire au sens o� on commence � l'entendre v�ritablement au XVIIIe si�cle.
+Au XVIe si�cle, renvoyer � une Autorit� du pass� (en s'en recommandant ou en s'en d�marquant), pour asseoir la l�gitimit� de son propre discours, peut ne manifester qu'une volont� de dialogue entre des opinions que le temps n'affecte pas en profondeur. Comme l'a montr� montre B. Colombat � propos de Linacre (1524), Scaliger (1540), Ramus (1569), Sanctius (1587), une doxographie sans v�ritable profondeur historique, un recueil d'opinions o� modernes et anciens dialoguent � �galit� dans un espace de discussion fondamentalement contemporain constitue une sorte de recueil de � v�rit�s � et � d'erreurs � dont l'�ge, la succession dans une temporalit� irr�versible � valeur causale, explicative, n'importent gu�re. Dans un tel cadre, l'erreur comme la v�rit� ne sont pas directement produites par une historicit� quelconque mais par un syst�me axiologique de valeurs qui peut toujours �tre r�actualis� dans une chronologie r�versible. Pour l'historien de la linguistique d'aujourd'hui, il s'agit alors et d'un m�me mouvement de reconstruire ce syst�me de r�f�rences pour l'indexer, et de prendre conscience dans le m�me temps que, ce faisant, il historicise ce qui ne l'�tait pas ; les conditions de l'observation transformant ici la nature m�me de l'objet de l'enqu�te.
+A l'autre extr�mit� du spectre, dans la science moderne telle qu'elle se met en place au cours du XIXe si�cle et telle qu'elle se r�alise au XXe si�cle, c'est incontestablement l'id�e de progr�s qui r�gle de mani�re relativement paradoxale le rapport des th�ories linguistiques � leur pass�.
+- D'un c�t� en effet s'installe un mode d'exposition vraisemblablement emprunt� aux sciences de la nature et qui passe par un � expos� historique � des questions trait�es. On trouve ce dispositif d'exposition dans la plupart des sciences humaines et l'expos� historique, ouvre, � l'image des trait�s m�dicaux ordinaires, et pour ne prendre qu'un seul exemple familier, L'interpr�tation des r�ves de Freud.
+La charni�re des XIXe et XXe si�cles est une p�riode particuli�rement f�conde en r�trospection de ce type. Cet effort r�trospectif, quand il est le fait des linguistes eux-m�mes, trouve sa place dans un moment de crise de la discipline et s'ins�re parfois dans des dispositifs annexes (pr�faces : Delbr�ck 1880, avertissements, Meillet 1903, chapitres d'ouvrages Whitney, 1875...). De plus en plus souvent, pourtant, ils semblent faire l'objet d'ouvrages complets (Benfey 1869, Raumer 1870, Bursian 1883...) qui r�glent l'empan de l'enqu�te historique (court / moyen / long terme) sur deux finalit�s compl�mentaires :
+- D'une part, revenir aux noeuds qui ont scell� la crise en restituant les donn�es qui ont scand� le d�veloppement scientifique, qui en ont constitu� les acquis, qui en ont install� les apories, les obstacles surmont�s ou restant � surmonter. Or, il nous semble que c'est � ce moment de cl�ture d'une p�riode relativement longue pour les sciences du langage de cumulativit� des r�sultats scientifiques, et alors m�me que cette cumulativit� de la grammaire historique et compar�e est menac�e par la crise des lois phon�tiques, que l'histoire �merge comme une pi�ce essentielle d'un dispositif critique, moins tourn� vers le pass� comme source de valeurs scientifiques que comme appui pour de nouvelles fondations et refondations (la linguistique g�n�rale).
+- Est-ce un hasard, d'autre part, si c'est � la charni�re des deux si�cles, et � l'issue de cette crise, que s'affirme avec le plus d'insistance et selon une th�matique promise � un long avenir dont il faudrait faire l'histoire fine la revendication d'autonomie de la discipline linguistique, autonomie qui ne cessera d'�tre � la fois reprise, disput�e et contest�e dans la post�rit� saussurienne tout particuli�rement, mais aussi au-del�?
+En 1916 en tous cas, Bally et Sechehaye n'h�sitaient pas � ouvrir leur version du Cours de linguistique g�n�rale sur le bref et fameux � coup d'oeil sur l'histoire de la linguistique � qui pr�c�de significativement le chapitre consacr� � l'examen des � Mati�res et t�ches � de la linguistique �, et celui qui d�finit � L'objet de la linguistique �.
+Le caract�re partial de ce court expos� est bien connu : histoire ad hoc (dont Saussure n'a �videmment pas l'exclusivit�) qui vise avant tout � installer le � nouveau � (la linguistique est une science historique, le point de vue � grammatical � est d�finitivement d�pass�, la diachronie n'est pas l'histoire...) comme socle d'une discipline qu'on ne peut r�duire � son pass� et qui pr�pare � une v�ritable conversion de point de vue. Comme on sait, c'est la s�miologie - c'est-�-dire une discipline � constituer enti�rement - qui constitue selon Saussure l'avenir ou, plus exactement, l'id�al r�gulateur, de la linguistique g�n�rale � venir.
+La r�daction de ce chapitre par Bally et Sechehaye exprime donc bien s�r d'abord la volont� des deux r�dacteurs de poser Saussure en Ma�tre : cette � historiographie � n'est pas loin d'une hagiographie indirecte. Mais au-del�, si l'on tient compte du bref paragraphe qui, dans le cours, projette l'avenir de la linguistique sur celui de la s�miologie, on voit bien que ce recours � l'histoire n'est qu'une pi�ce d'un dispositif disciplinaire d'ensemble pour lequel la ma�trise de la temporalit� du d�veloppement scientifique est devenue un enjeu conscient, de premier plan. Ce fameux � coup d'oeil � n'est pas une introduction dans un sens purement rh�torique, il est un agencement strat�gique de la m�moire en vue de l'avenir m�me de la discipline.
+Pour l'historien de la linguistique d'aujourd'hui, que faire de ce type de repr�sentation du pass� ? On peut (on doit) en d�noncer la partialit� et la fausset� relative. On doit sans doute en aussi restituer la logique, la finalit�, l'efficacit� au del� de sa lettre m�me.
+Or, dans l'historiographie de Saussure et du saussurisme, il a servi tant�t � avaliser une rupture radicale avec la linguistique historique et compar�e, tant�t � r�tablir au contraire une continuit� avec elle. Dans l'h�ritage saussurien, il a servi � argumenter (non sans contradictions et h�sitations) l'id�e d'une refondation compl�te de la discipline (Cf. J. L. Chiss et C. Puech, 1999). Dans les diff�rentes versions du structuralisme, � partir de la fin des ann�es vingt, c'est Saussure lui m�me et le Cours qui vont devenir la r�f�rence sinon unique, du moins principale et principielle d'Ecoles qui moduleront la � r�f�rence � Saussure � � partir de la matrice disciplinaire dont elles font leur � h�ritage � (Puech - 2000). C'est d'une certaine mani�re cette � matrice � qui est aujourd'hui encore discut�e de toutes parts. On notera enfin que ce bref � coup d'oeil historique sur l'histoire de la linguistique � est comme vectoris� par la distinction entre langage langue et parole, c'est-�-dire la triple distinction qui sera � la fois la plus reprise et la plus discut�e dans la post�rit� saussurienne, le texte saussurien (le Cours et non les sources manuscrites) fournissant � la fois une base de ralliement et de dispersion aux diff�rentes �coles du structuralisme (Prague, Copenhague, New-York...) et � la � sortie � du structuralisme.
+On pourrait sans doute suivre cette division en Ecoles � partir d'une r�f�rence commune, caract�ristique � bien des �gards d'une organisation � moderne � de la production scientifique, et noter que le r�le (ind�finiment discutable et d'ailleurs ind�finiment discut�) d�volu � Port-Royal par le g�n�rativisme, t�moigne �galement � sa mani�re d'un usage � strat�gique � du pass� dans la constitution de th�ories, dans l'�mulation scientifique, et l'acquisition d'un statut culturel des r�sultats et hypoth�ses les plus contemporaines par � filiation �. Du m�me coup, cette notion de � filiation � demanderait elle-m�me � �tre questionn�e. Sa teneur en historicit� n'est jamais �vidente, ni m�me acquise : la relation privil�gi�e � un fondateur (qui n'est lui m�me qu'une r�f�rence sans r�f�rence assignable) ne peut �tre historique qu'en apparence. Vraisemblablement, elle rel�ve davantage de l'ordre de la l�gitimit� et de la l�gitimation que de l'ordre d'une historicit� causale. Du point de vue qui est le n�tre - celui d'une �pist�mologie historique descriptive et neutre - elle invite � se pencher sur le r�le r�el des � textes fondateurs � dans l'histoire des id�es linguistiques. Pour reprendre l'exemple tant d�battu du Cours de linguistique g�n�rale et de son r�le dans l'histoire des id�es linguistiques contemporaines, il me semble qu'on a aujourd'hui deux mani�res de consid�rer son statut :
+- ou bien on consid�re que c'est le Cours qui a effectivement jou� un r�le s�minal dans la gen�se des diff�rents structuralismes comme si le texte poss�dait en lui-m�me et de mani�re virtuelle son historicit�, le principe de son devenir ;
+- ou bien on cherche la productivit� historique de ce texte dans la mani�re dont on y a renvoy�, dont on s'y est r�f�r� en cherchant � caract�riser le plus pr�cis�ment possible les � modes de r�f�rences � et les reconstructions dont il a �t� l'objet dans des contextes scientifiques, culturels, institutionnels les plus divers.
+Dans le premier cas, on voit bien que la r�f�rence � un texte du pass� ne nous fait pas quitter un pr�sentisme profond�ment anhistorique : tout tient dans la lecture d'un texte et dans les lectures de lectures qui en ont �t� faites, la question de la litt�ralit� du texte se confondant avec celle de sa v�rit� et rien n'emp�chant de penser qu'une bonne lecture ou un retour au vrai texte (celui qu'on nous avait cach�, qu'on avait d�figur�, qu'on a retrouv� par hasard, qu'on va retrouver...), permettra de faire retour au Saussure authentique, et permettra �galement de dessiner pour la linguistique une avenir dont elle avait �t� abusivement priv�e. Il ne suffit plus alors qu'� s'auto-proclamer le h�rault de cet avenir ind�finiment ouvert... (cf. F. Rastier - 2004, P. Bouissac - 2001 qui l'un et l'autre plaident pourtant pour un retour � historique � � Saussure. Avec quel sens ici tu terme histoire ?).
+Dans le second cas, il s'agira plut�t de consid�rer le texte de 1916 comme une matrice projective et productive, assez puissante pour ordonner une s�rie de projets scientifiques apparent�s (la linguistique des Cercles, le structuralisme � g�n�ralis� �, les s�miologies, etc.) apparent�s, mais aussi assez fondamentalement concurrents et dispers�s. (Pour ce point de vue � minoritaire �, cf. Puech 2000 et 2005, Trabant, 2005).
+Ceci obligerait � pr�ciser quel type de d�termination temporelle implique avec elle la notion � d'h�ritage � et devrait conduire � un r�-examen du r�gime historiographique complexe qui commande le � destin � du texte saussurien.
+A) D'abord, on pourrait faire valoir que les traditions grammaticales se sont toujours instaur�es dans le long terme de processus ininterrompus de transmission, � partir de textes canoniques (parfois explicitement cit�s, parfois non). C'est en ce sens qu'on peut prendre toute la mesure de � l'h�ritage � l�gu� par le Donat � travers plusieurs si�cles de tradition grammaticale en Occident. On montrerait facilement que le CLG ne poss�de pas ce statut : d'une part, le recul manque, la p�riode est trop courte, qui nous s�pare du point d'origine. Ensuite, l'h�ritage grammatical ne se transmet qu'� travers des pratiques p�dagogiques institu�es de longue dur�e dont l'ouvrage de Saussure ne participe pas, ou du moins pas de la m�me mani�re. Certes, il y eut bien un impact de la linguistique saussurienne dans la disciplinarisation scolaire/universitaire de la linguistique, et le CLG est bien, d�s son inaccessible origine, un cours. Mais l'action de r�formation des �tudes grammaticales, men�e en partie seulement sous l'�gide de la linguistique saussurienne dans les ann�es 60 en France, s'est pr�cis�ment op�r�e sous le signe d'un refus ou d'un amendement (r�ussi ou non) de la tradition...
+B) Ensuite, si la diffusion du Cours a accompagn� de pr�s l'�mergence d'une � conscience disciplinaire � de la linguistique depuis le premier congr�s international des linguistes � La Haye au moins en 1928, c'est sous le signe d'une internationalisation/unification des pratiques de recherche, � un niveau principiel tellement g�n�ral, qu'il est bien difficile de faire apr�s-coup le partage entre h�ritiers l�gitimes et ill�gitimes, fid�les et infid�les, plut�t attach�s � la lettre ou plut�t � l'esprit (cf.infra). L'hypoth�se la plus vraisemblable est que le Cours a fourni apr�s-coup, une r�f�rence d�territorialis�e et pol�mique � des entreprises le plus souvent concurrentes et tardivement per�ues sous l'intitul� unique du � structuralisme � (ce qu'on a appel� la linguistique des � cercles �). Cette �tiquette a toutes les chances d'�tre en grande partie trompeuse, elle fait partie int�grante, n�anmoins de l'histoire du CLG. D'une certaine mani�re, il n'y a jamais eu de saussurisme au sens de Prague, Copenhague, Paris sans une saussurologie minimale : ex�g�se valorisante, inventaire discriminant du patrimoine l�gu�, emphatisation de certains aspects au d�triment d'autres aspects...
+C) Ce qui nous conduit au troisi�me point : la pluralisation des figures de Saussure. C'est elle qu'on invoque plus ou moins implicitement aujourd'hui quand on oppose Gen�ve et Paris : le Saussure de l'indispensable � saussurologie � genevoise (pour parler vite) ne co�nciderait que tr�s partiellement - parfois pas du tout - avec celle du � h�ros th�orique � parisien.
+On remarquera que cette id�e d'un Saussure pluriel poss�de elle-m�me son histoire. Elle est apparue d�s les ann�es 70 avec l'image des deux Saussure, celui du Cours et celui des Anagrammes, et elle est �troitement li�e en France � la philologie saussurienne de J. Starobinski, relay�e par les paragrammes de J. Krist�va, diffusant largement le portrait en dyptique du Saussure diurne et nocturne. Mais on peut se demander si cette d�multiplication des figures de Saussure n'a pas commenc� bien plus t�t, m�me si c'est avec des valorisations diff�rentes, voire, parfois, oppos�es. Quant on �tudie les comptes-rendus du CLG (cf. Chiss 1978, in Normand e.a. 1978) qui ont accueilli les premi�res �ditions, on s'aper�oit qu'on a sans doute toujours oppos� Saussure � lui-m�me et du m�me coup non seulement Gen�ve � Paris ou Paris et Gen�ve � Leipzig, mais Gen�ve � Gen�ve. On pouvait faire valoir, plus ou moins explicitement, que le Saussure du Cours �tait le Saussure nocturne (le th�oricien sp�culatif) auquel on pouvait opposer le Saussure cristallin, positif et g�nial du M�moire (cf. le compte-rendu de H. Schuchardt, in Normand op. cit p. 174 - 181), comme plus tard, et dans une perspective invers�e, on opposera le Saussure du Cours � celui des Anagrammes, � celui de la correspondance avec Flournoy ou, plus r�cemment, � celui des L�gendes germaniques... La d�multiplication des figures de Saussure passe par l'interpr�tation toujours r�trospective et/ou projective d'un texte certes mutil� par sa premi�re �dition, mais dont on peut douter qu'une �dition compl�te retire certaines des caract�ristiques les plus remarquables qui ont sans doute fait sa productivit� et son destin labile.
+D) Parmi ces caract�ristiques, il me semble donc qu'on peut quatri�mement isoler celles qui se pr�tent le plus � ce jeu interpr�tatif/projectif, le mieux � m�me de produire de l'historicit�, ind�pendamment de la volont� et des vraies � intentions � de l'auteur.
+a) Il s'agit ici d'abord d'un style �pist�mologique qu'on pourrait qualifier de � minimaliste �. En simplifiant, on pourrait risquer l'id�e que les principales interpr�tations du CLG se sont appuy�es sur le jeu des dichotomies minimales qu'il met en place (dans la version Bally/Sechehaye) soit pour rajouter un terme � son � dualisme � (comme lorsque G. Guillaume fait valoir les droits du � discours � � c�t� de ceux de la � langue � ou de la � parole �), soit pour restituer d'une mani�re ou d'une autre la dignit� th�orique de la branche pr�tendument exclue de ses dualismes (la diachronie � c�t� de la synchronie pour Jakobson et surtout Troubetzskoi, ou Martinet, la parole pour Benveniste et d�j� pour Bally), soit pour les radicaliser comme semble le faire Hjelmslev avec la distinction forme/substance. Dans tous ces cas ici �voqu�s de mani�re trop d�sinvolte et qu'on pourrait facilement compl�ter, le Cours appara�t non comme un manuel doctrinal, mais comme une r�flexion principielle qui demande � �tre compl�t�e parce qu'elle ne semble jamais accorder quoi que ce soit d'une main, sans retirer une contrepartie n�gative de l'autre. Ce style minimaliste est un style d�ceptif qui ne semble pouvoir promettre qu'en frustrant. On ne peut s'emp�cher de le rapprocher de celui d'un contemporain moins visible, V. Henry, qui donnait lui aussi, et en son nom propre, � lire un trait� de linguistique g�n�rale en 1896 � travers trois antinomies, et de se demander ce qui � la fin du XIXe si�cle commande � ce style � critique � dans la r�flexion � la fois g�n�rale et technique sur le langage dont Saussure est le principal mais non l'unique exemple.
+b) Le Cours de Bally et Sechehaye laisse d�j� percevoir sa place dans une situation de crise des savoirs, crise que la post�rit� aura tendance � oublier, comme elle aura tendance � oublier la dimension critique/r�flexive du projet s�miologique saussurien. On sait que la nouveaut� de celui-ci n'appara�tra gu�re aux yeux des contemporains, et A. Meillet ne le mentionne m�me pas dans son compte-rendu. Par contre, quand Saussure sera devenu, r�trospectivement, une borne de la m�moire des sciences humaines dans leur version structuraliste, la s�miologie pourra passer alors pour un paradigme unificateur et transdisciplinaire. On oublie alors que, dans le Cours, la s�miologie n'appara�t que comme un axe r�formateur de la psychologie et de la sociologie, plus g�n�ralement, de toute discipline � condition qu'elle s'occupe � de la valeur � et non comme un projet positiviste de totalisation de disciplines d�finitivement entr�es dans la voie royale de la science. T. de Mauro a not� les h�sitations (des �diteurs ? de Saussure ?) concernant les termes de � psychique � et de � psychologique � dans le Cours. Quant � l'affirmation du � caract�re social (interne) des faits linguistique �, elle prend place (Durkheim/Tarde, entre autres) au sein de discussions principielles de la sociologie en voie de constitution. Ici aussi, les conditions de la scientificit� sont, chez Saussure, essentiellement restrictives, � la fois enthousiasmantes et d�ceptives
+c) Enfin, il faudrait pouvoir mesurer de mani�re syst�matique les effets de reformulation (et de reformulation de reformulations) dont le Cours a �t� l'objet d�s sa parution et de toutes parts. Il s'est constitu� l�, sans nulle doute, une grille de lecture privil�giant nettement les th�ses saussuriennes au d�triment des d�marches, emp�chant de percevoir la complexit� historique de la r�ception du CLG dans des travaux comme ceux de Ch. Bally, G. Gougenheim ou G. Guillaume (entre autres), � la fois continuateurs de Saussure et inassimilables pourtant au structuralisme...auquel Saussure lui-m�me est sans doute �tranger. D�s 1917, dans son compte-rendu du Cours (� Les probl�mes de la langue � la lumi�re d'une th�orie nouvelle �), A. Sechehaye inaugure un certain type de r�f�rence � Saussure : il � ram�ne �, selon ses propres termes, la doctrine de Saussure � un certain nombre de � th�ses � (langue/parole, arbitraire, point de vue s�miologique, valeur...), dont il montre � la fois le caract�re inaugural... et l'insuffisance.
+Minimalisme �pist�mologique, crise des savoirs, constitution d'une vulgate qui va bien au del� du travail d'�dition de Bally et Sechehaye sont bien des caract�ristiques du corpus saussurien qui ont largement contribu� � faire de lui un outil historique de � disciplinarisation � des savoirs linguistiques pour le XX� si�cle. C'est cet outil de disciplinarisation qu'on ne cesse de reprendre � partir des ann�es 30 pour en discuter les th�ses, en mesurer l'apport proprement cognitif, certes, mais aussi pour en r�p�ter des versions fig�es ou s'en d�marquer, ou le prolonger dans une dynamique incessante de � reprise �.
+E) C'est pourquoi, cinqui�mement, alors que s'ach�ve une partie du travail de � reconstruction � du corpus saussurien (R. Godel, R. Engler, Komatsu, S. Bouquet...), il devrait devenir possible d'en mesurer les effets. L'un d'entre eux me para�t paradoxal : plus le � vrai visage � de Saussure se dessine, et plus les choix de Bally et Sechehaye apparaissent pour ce qu'ils sont : des choix dont les motivations doivent �tre interrog�es de mani�re plus sophistiqu�e que ce que l'on fait en g�n�ral � partir de l'alternative trahison/fid�lit� ou d'autres consid�rations plus psychologiques qu'historiques. On sait que Bally et Sechehaye ont d�velopp� une conceptualit� linguistique qui n'est en rien un ajout ou un prolongement de l'oeuvre (connue) de Saussure. Comment expliquer alors que les � omissions � des deux �diteurs concernent tout particuli�rement les domaines et types d'approche qu'ils ont le plus constamment privil�gi�s dans leurs oeuvres respectives : la psychologie et la linguistique de la parole pour Sechehaye depuis Programme et m�thodes de la linguistique th�orique (1908), ouvrage d�di� � Saussure, la linguistique de la parole et la � stylistique � pour C. Bally ? Chez ce dernier, il s'est agi d'abord de constituer la linguistique de la parole non pas en compl�tant et en syst�matisant le CLG, mais en d�pla�ant r�solument le champ conceptuel de Saussure. La stylistique initialement envisag�e par son auteur comme une � province � annex�e au domaine de la langue saussurienne, appara�t ult�rieurement comme une �tape qui m�ne de la linguistique psychologique � une v�ritable th�orie linguistique de l'�nonciation.
+D'ailleurs, selon quelle n�cessit� Bally et Sechehaye devraient-ils �tre des linguistes saussuriens ? Les �diteurs du Cours n'ont pas �t� form�s � l'�cole saussurienne, mais en Allemagne, comme Saussure lui-m�me (P. Wunderli 1982). Ce n'est que par t�l�ologie r�trospective et sans doute par hypostase des principes saussuriens h�rit�s � travers le prisme de leurs r�interpr�tations ult�rieures, qu'on en vient � oublier le fond des d�bats de la fin du XIXe si�cle sur lequel s'enl�vent les � d�cisions th�oriques � de Saussure : l'omnipr�sence de la cat�gorie plurielle de � parlers �, l'importance red�couverte en particulier avec la s�mantique de Br�al de la notion de � sujet parlant �, les �bauches multiples de pragmatiques (cf. B. Nerlich, 1986) et de th�ories des actes de langage... Sans doute l'�tude syst�matique des sources confirme-t-elle du m�me coup que les � d�cisions � saussurienne telles qu'elles apparaissent dans le Cours r�dig� communiquent plus �troitement avec cette constellation de probl�mes des th�ories du langage que ne le laissent croire les r�interpr�tations tardives et les �pist�mologies correctives (Saussure n'a pas vu que...) ult�rieures.
+F) Enfin, on sait que tout h�ritage, tout exercice d'un droit de succession, commence par un inventaire explicite et exhaustif des biens transmissibles; et il est clair que la philologie saussurienne pratiqu�e � Gen�ve rel�ve d'un tel inventaire. Pourtant, il me semble que cet indispensable inventaire parce qu'il suit - et de loin - et non pr�c�de la diffusion large du Cours, pose deux probl�mes. D'une part, celui de l'existence d'un h�ritage implicite : Saussure aurait transmis m�me ce qu'il n'aurait pas transmis. D'autre part, celui d'un h�ritage tellement g�n�ral qu'il s'en trouve comme � d�mat�rialis� �. Dans les deux cas, c'est � nouveau l'esprit de Saussure qui frappe, et � coups redoubl�s.
+- Dans le premier cas, il s'agit de la tentation tr�s forte de faire du � vrai � Saussure le � programmateur � de pans entiers de la linguistique moderne : ceux qui, pr�cis�ment, n'avaient cru pouvoir s'instituer l�gitimement que contre le programme saussurien. On fera valoir, par exemple, que le concept de � valeur in praesentia � qu'on trouve d�velopp� dans les sources (et qui est n�glig�e dans le Cours) a valeur de programme :
+� Peut-on dire, face � sa th�orie syntagmatique de la valeur, que, de par sa non- �laboration de la notion de � parole � (ou de � discours �), Saussure a manqu�, dans son programme, � poser les concepts �pist�mologiques propres � permettre des th�ories de la comp�tence syntaxique, de la pragmatique linguistique ou de l'analyse du discours ? C'est tout le contraire : son concept de � valeur in praesentia � dessine le programme de ces linguistiques. Aussi, si d'autres - que ce soient des syntacticiens,, des s�manticiens ou des pragmaticiens - ont th�matis� des concepts �pist�mologiques li�s � cette valeur in praesentia qui n'apparaissent pas dans le Cours et qui n'apparaissent qu'en pointill� dans les textes originaux, il serait injuste qu'ils en sachent mauvais gr� au ma�tre genevois et revendiquent ici une rupture d'avec son programme �pist�mologique : il est ais� de montrer que leur linguistique s'est, au contraire, essentiellement b�tie sur ce programme .� (S. Bouquet, 1997 : 344 - 345)
+Mais que vaut alors la notion � d'�pist�mologie programmatique � ? La notion de � programme � ? Ne revient-elle pas ici � une forme moderne et pseudo-scientifique de la pr�destination ? M�me si - c'est �galement notre cas- on n'accorde � la notion � d'influence � qu'une valeur historiographique tr�s faible en raison de son t�l�ologisme (il n'y a chez l'influenc� que ce qui se trouvait � l'origine chez � l'influent �), l'id�e d'un tel � programme � agissant � distance et sans support n'aboutit-elle pas � une d�historicisation non moins radicale ? A une h�ro�sation renouvel�e du penseur, l� ou le travail critique aurait d� nous faire sortir de la l�gende (legenda = � ce qui doit �tre lu �) ?
+- Dans le second cas, c'est la question de la continuit� du saussurisme � Gen�ve m�me qui est en question. On sait que - de l'aveu des genevois eux-m�mes - ce topos en effet crucial reste probl�matique depuis Sechehaye 1927, jusqu'� O. Amsterdamska (1987), en passant - entre autres - par Sechehaye (1940), H. Frei (1945), R. Godel (1961), R. Amacker (1976), Wunderli (1982). La filiation institutionnelle � la chaire de linguistique g�n�rale de Saussure � Prieto suffit-elle � assurer une continuit� conceptuelle vraiment op�ratoire ? Comment mesurer cette derni�re ? En 1961, R. Godel d�fend l'id�e d'une Ecole saussurienne de linguistique sp�cifique � Gen�ve. Cet exercice n�cessite un avertissement pr�alable qui d�passe les simples pr�cautions rh�toriques :
+� Pour les linguistes saussuriens, les principes pos�s par le CLG ne sont pas des dogmes [...], ils sont selon une expression de Saussure lui-m�me des � points de vue sur le langage �
+Ce relativisme du � point de vue � conduit � la d�finition d'une sorte de saussurisme minimal en cinq points fondamentaux, noyau dur de l'h�ritage, en somme :
+- la primaut� de la langue sur la parole
+- la distinction rigoureuse de la diachronie et de la synchronie
+- la conception de la langue/syst�me et institution
+- la double nature du signe
+- l'arbitraire du signe et sa motivation par combinaison syntagmatique
+Si ces cinq points d�finissent le minimum de l'h�ritage, ils d�finissent �galement des t�ches, et, l� encore, un programme : d�velopper des � principes � qui ne sont qu'esquiss�s par le Cours, en �prouver la solidit� en les mettant � l'�preuve de l'analyse d'autres syst�mes, les comparer surtout � d'autres syst�mes explicatifs en s'appuyant sur la saussurologie scientifique (�dition critique de R. Engler).
+Or, ces cinq articles de foi et leurs avenants sont-ils ceux de la charte fondatrice d'une � Ecole � ? Ne peut-on l�gitimement penser que bien des entreprises, diversement localis�es et se r�clamant ou non de Saussure, pourraient se r�clamer de ce programme ? Mieux, celles qui n'y souscrivent pas � la lettre ne peuvent-elles n�anmoins s'y inscrire, tant il est vrai que ces principes ont fourni, de fait, dans la post�rit� saussurienne, le cadre � partir duquel des r�visions et critiques donneront � la discipline la physionomie que Saussure n'�tait pas (selon ses h�ritiers m�mes) en mesure, d'embl�e de lui donner, lui qui en aurait fourni cependant la meilleure esquisse ? De ce point de vue, si la linguistique saussurienne est la linguistique de � l'Ecole de Gen�ve �, Gen�ve n'est- elle pas la capitale sinon du monde, du moins du monde de la linguistique ? Quoi qu'il en soit, la d�marche de Godel indique, m�me si c'est par d�faut, l'une des voies souhaitables de l'historiographie de la linguistique � partir de Saussure : qu'est-ce qu'une �cole ? Une �cole linguistique ? Quel rapport existe-t-il en linguistique entre th�orisation(s), enracinement national et linguistique � l'�ge de la science, au moment de l'internationalisation des normes pr�sidant � la recherche ?
+Au terme de ce trop rapide parcours (pour de plus amples d�veloppements, cf. J. L. Chiss et C. Puech, 1987, 1997, 1999) dont on aura compris qu'il ne vise en rien � d�valuer le travail sur les sources, mais au contraire � l'inclure � sa place dans le continent du saussurisme en essayant de voir en quoi il est susceptible d'en faire bouger les repr�sentations convenues et r�p�titives, il est peut-�tre temps d'�num�rer quelques unes des difficult�s que pr�sente � notre sens l'historiographie saussurienne.
+- La premi�re tient sans doute aux anachronismes qui scandent les diff�rents avatars de la r�ception de Saussure. Le Saussure auquel font r�f�rences les th�ses des ann�es 30 (� La Haye ou Prague principalement, puis Copenhague �galement) est d�j� m�tabolis� dans des pr�occupations qui ne sont plus tout � fait celles de la gen�se du Cours, et qui ont leur trajectoire propre dans l'univers des slavisants (Cf. S�riot, 1999). Le structuralisme linguistique est d�j� une autre histoire, � la recherche d'une l�gitimit� par les origines, qui �prouve le besoin d'une borne de m�moire disciplinaire pour s'installer, conqu�rir sa place, en gagner de nouvelles, affirmer sa pr��minence au centre � partir de la p�riph�rie. Le long dialogue de Jakobson avec Saussure tout au long de sa carri�re ne dit pas autre chose : Saussure est un commencement dont on ne peut se passer, mais n'est qu'un commencement qu'il faudra rectifier, voire recommencer. Troubetzkoi sera plus radical encore dans cette voie...
+Avec le structuralisme g�n�ralis� de l'apr�s-seconde guerre mondiale, ce mode de r�f�rence � Saussure ne fera que s'accentuer et se radicaliser : le Cours ne joue alors son r�le de r�f�rence absolue (une r�f�rence qui n'est pas elle-m�me r�f�r�e), qu'� travers une s�rie ind�finie de m�diations, de lectures de lectures, de prismes disciplinaires dont les int�r�ts de connaissance sont infiniment divers : Levi-Strauss lit Saussure � travers Jakobson, Merleau-ponty � travers G. Guillaume et L�vi-Strauss, puis Martinet, Lacan � travers Merleau-Ponty et Jakobson, Derrida � travers Hjelmslev, etc.
+Par contraste, la lecture de certains comptes-rendus du Cours (Bloomfield, Meillet, Vendry�s, Sechehaye, Schuchardt...) montrent � quel point la r�ception � imm�diate � a �t� subordonn�e � des probl�matiques (celle d'une linguistique sociale, d'une psycholinguistique, d'une linguistique historique, celle du changement linguistique, de la syntaxe...) qui reviennent toutes � la mani�re de d�finir la linguistique g�n�rale, et qui conduisent le plus souvent � regretter soit l'absence de consid�rations sociologiques plus affirm�es (Meillet, Vendry�s � sa mani�re), soit une � abstraction transcendante � (A. Sechehaye), soit l'historien comparatiste de nagu�re (Schuchardt)... dans tous les cas � rabattre la nouveaut� du Cours sur l'actualit� et le pass� imm�diat d'un Kampfplatz.
+- La deuxi�me difficult� r�side dans la tentation, certes en partie l�gitime, de ne retenir du travail des �diteurs que l'op�ration soustractive de tri dans les mat�riaux dont ils disposaient, ou les lacunes de leur information. La connaissance approfondie des sources ne permet-elle pas aujourd'hui de voir aussi la contrepartie positive de ces choix discriminants et de ces ignorances dans toute leur positivit� ? En particulier, Bally et Sechehaye ont au moins pris soin de retenir dans les mat�riaux choisis ce qui concerne l'horizon de r�trospection de l'entreprise de Saussure (dans le � coup d'oeil sur l'histoire de linguistique �), son lien avec la d�finition de l'objet, de la m�thode et de la th�orie de l'objet, sans oublier - m�me s'ils ne le font que de mani�re r�ductrice - l'horizon de projection (la s�miologie) ; bref, tout ce qui constitue une discipline comme cristallisation de probl�mes historiques, conceptuels et culturels.
+Il n'y a sans doute pas l� l'unit� d'une � doctrine � linguistique dont le contenu serait transmissible par cumul et capitalisation (la voie ordinaire de constitution des h�ritages...) sans perte ni reste, ni non plus sans doute un � programme � qui n'aurait attendu que sa r�alisation, mais il y a s�rement par contre une matrice disciplinaire qui pouvait �tre r�investie, transform�e, �tendue et contest�e. Le structuralisme lui aura donn� forme et extension pour un moment. Elle n'appara�t peut-�tre aujourd'hui pour ce qu'elle est... que parce qu'elle est en train de se d�faire sous nos yeux.
+- C'est pourquoi, enfin, il conviendrait sans doute - mais est-ce toujours possible ? troisi�me difficult� - de commencer par distinguer dans l'aval du Cours ce qui rel�ve d'une r�ception proprement dite, qui s'int�gre donc dans un � horizon d'attente � balis� par des concepts op�ratoires repris, �valu�s, m�connus et/ou critiqu�s et ce qui rel�ve de � l'h�ritage � � proprement parler, c'est � dire de cette valorisation r�trospective d'une origine qui nous pr�sente le pass�, parfois tardivement, sous la figure paradoxale de notre avenir anticip�.
+ +exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� + par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+M�me si le nombre de participants � notre section semble prouver le contraire, on peut quand m�me constater que la formation des mots du fran�ais a connu un certain renouveau depuis deux d�cennies. Renouveau qui, en France, a trouv� son impulsion surtout, au d�but, gr�ce � l'activit� infatigable de Danielle Corbin, d�c�d�e pr�matur�ment, et de son groupe de recherche � Lille III, mais qui entre temps a atteint d'autres villes universitaires comme Paris ou Toulouse, pour ne nommer que les plus importantes.
+Ce renouveau toutefois a concern� presque exclusivement l'�tude de la formation des mots dans le fran�ais actuel. La Bibliographie Linguistischer Literatur (Francfort : Klostermann 1976ss.) contient, bon an mal an, une vingtaine de travaux d�di�s � la formation des mots du fran�ais, dont le nombre de ceux qui sont �crits dans une perspective diachronique ne d�passe que rarement 10 pour cent, et il y a des ann�es o� aucun travail diachronique n'est recens�. Il n'en a pas toujours �t� ainsi. Dans la bibliographie raisonn�e de Schpak-Dolt (2003), par exemple, qui inventorie 665 travaux sur la morphologie fran�aise - flexion incluse - publi�s entre 1875 et 1950, l'approche diachronique est encore tr�s largement pr�pond�rante. Il n'est pas difficile d'identifier la raison de cette inversion de tendance spectaculaire en faveur de la synchronie : le structuralisme, le g�n�rativisme et, plus g�n�ralement, 68, du moins dans les pays de langue allemande, ont port� un coup dur � l'�tude de l'ancien fran�ais.
+Une autre diff�rence voyante entre les deux bibliographies concerne le m�talangage : tandis que la moiti� des contributions recens�es par Schpak-Dolt sont �crites en allemand, plus de 90% des travaux r�cents sont �crits en fran�ais. Le fait qu'une portion si importante des travaux de l'�poque diachronique, dont la consultation est toujours recommendable, ait �t� �crite en allemand constitue certainement un obstacle ult�rieur pour les francophones qui voudraient se d�dier � l'�tude de l'histoire de la formation des mots en fran�ais.
+Le fran�ais ne dispose pas de manuels � jour sur la formations des mots. C'est sans doute la lacune la plus douloureuse de notre domaine de recherche. Les manuels r�cents sont tous de type p�dagogique, et ne permettent donc nullement au lecteur de se faire une image fid�le de l'�tat de la recherche, ni de la bibliographie existante. L'intention p�dagogique de ces manuels comporte aussi une approche presque exclusivement synchronique.
+Pour la diachronie, il faut toujours recourir � Nyrop (1908) et, si on lit l'allemand, � Meyer-L�bke (1921). Ces deux manuels, tr�s m�ritoires en leur temps, ne refl�tent plus, sur beaucoup de points, l'�tat actuel de la recherche. De l'�l�gant manuel de Meyer-L�bke, il existe bien une �dition mise � jour en 1966, par les soins de son �l�ve J. M. Piel, mais celui-ci, malheureusement, ne s'est pas montr� � la hauteur de la t�che (v. les comptes-rendus substantiels de H�fler 1967, Bork 1968, J�nicke 1969).
+La situation n'est pas plus r�jouissante en ce qui concerne la description synchronique d'�tats de langue pass�s. Les grammaires de l'ancien fran�ais n'incluent pas, normalement, de chapitre sur la formation des mots. Buridant (2000 : 14) dit que des "contraintes �ditoriales" l'auraient emp�ch� de retenir, dans sa Grammaire nouvelle de l'ancien fran�ais (Paris : Sedes 2000) un dernier chapitre consacr� � la morphologie d�rivationnelle. Entre temps, on peut du moins consulter ses Prol�gom�nes (Buridant 2000), qui font le tour des travaux existants et des multiples probl�mes m�thodologiques li�s � un tel projet, notamment la prise en compte des dimensions diatopique (dialectes, script�) et diaphasique (genres textuels).
+Si les manuels de Nyrop et de Meyer-L�bke sont aujourd'hui obsol�tes, ce n'est pas tellement pour des raisons m�thodologiques - la conception analogique de la formations des mots qui est � leur base est toujours d'actualit� (v. l'expos� de G. Dal � cette table ronde) -, mais parce que le grand essor de la lexicographie historique du fran�ais a eu lieu apr�s leur publication.
+Dans ce contexte, il faut, bien s�r, mentionner en premier lieu le Franz�sisches Etymologisches W�rterbuch (B�le : Zbinden 1928ss.), l'oeuvre monumentale initi�e par W. von Wartburg et poursuivie aujourd'hui sous la direction de J.-P. Chauveau, dont la consultation toutefois n'est pas ais�e : c'est encore une fois l'allemand qui constitue pour beaucoup de non-germanophones l'obstacle le plus important pour son usage dans l'�tude diachronique de la formation des mots, mais rappelons que les gloses du moins sont donn�es en fran�ais. Pour l'ancien fran�ais, � part le Dictionnaire de l'ancienne langue fran�aise (10 voll., Paris : Vieweg 1881 - 1902) de F. Godefroy, signalons l'ach�vement, sous l'�gide de H. H. Christmann, de l'Altfranz�sisches W�rterbuch (11 voll., Wiesbaden : Steiner 1925 - 2002) d'A. Tobler et E. Lommatzsch. L'�tude de la suffixation est grandement facilit�e par le Dictionnaire inverse de l'ancien fran�ais de D. G. Walker (Ottawa 1982), bas� sur le Tobler/Lommatzsch. Le Dictionnaire �tymologique de l'ancien fran�ais (T�bingen : Niemeyer 1974ss.), commenc� par K. Baldinger, ne couvre jusqu'� maintenant que les lettres H � JOR. Concernant l'�poque qui va de 1330 � 1500, le Dictionnaire du Moyen Fran�ais est, lui aussi, d�sormais achev� et disponible sur internet. Pour le xvie, on dispose depuis longtemps du Dictionnaire de la langue fran�aise du seizi�me si�cle (7 voll., Paris : Champion 1925 - 67) d'E. Huguet. Et pour les Temps Modernes, le Tr�sor de la Langue Fran�aise informatis� met � disposition une masse d'informations qui attend, elle aussi, d'�tre mise � profit dans des �tudes monographiques sur l'histoire de la formation des mots. Les notes �tymologiques de ce dictionnaire, d'ailleurs, sont en train d'�tre mises � jour dans le cadre du projet TLF-�tym. � cette s�rie extraordinaire de dictionnaires, s'ajoute un nombre important de textes accessibles d�sormais �lectroniquement, comme ceux de Frantext ou de Blum (2001).
+Ces dictionnaires sont sans doute bien connus des participants de notre section. Si je les ai �num�r�s de nouveau ici, c'est pour donner plus de force au paradoxe suivant : comment se fait-il que la langue qui dispose des meilleurs dictionnaires historiques et �tymologiques du monde affiche un score si maigre en ce qui concerne l'�tude diachronique de la formation des mots ? Les �tudes monographiques d'envergure qui exploitent � fond ces tr�sors lexicographiques se comptent en effet sur les doigts de la main. Dans ce qui suit, je mentionnerai bri�vement quelques travaux r�cents qui s'inscrivent dans la perspective diachronique (ou la description synchronique d'un �tat de langue pass�), en me limitant essentiellement aux vingt derni�res ann�es.
+Comme �tude exemplaire qui a mis � profit les richesses du FEW, � d�faut d'un exemple plus r�cent, je signalerai un travail qui remonte d�j� aux ann�es 70, Lindemann (1977), d�di� au remplacement de -eresse par -euse et -trice au xvie si�cle suite � la d�cadence des noms d'agents en -ere. Cette th�se de doctorat, qui se base sur un d�pouillement exhaustif du FEW, suit une approche onomasiologique : elle �tudie de pr�s une cat�gorie d�rivationnelle, en l'occurrence la f�minisation des noms de personnes, et essaie de d�gager les restrictions des suffixes en lice et les causes de la d�ch�ance de l'un et du triomphe des autres. Cette �tude constitue toujours un mod�le � suivre.
+Les suffixes tomb�s en disgr�ce dans la langue standard, d'ailleurs, se sont souvent conserv�s dans les dialectes. C'�tait aussi le cas de -eresse (v. Lindemann 1977 : 46ss. et Lechanteur 1999 ; sur -eur, Lachance 1988). La prise en compte des dialectes est souvent fondamentale pour la reconstruction des �tats de langue anciens. Ce sont les dialectes de la langue d'o�l, p. ex., qui m'ont fourni dans Rainer (2005b) la solution au probl�me �pineux de la relation entre noms d'agents et noms d'instruments en -eur : tandis que l'usage instrumental a traditionnellement (v. Baldinger 1972) �t� consid�r� comme le r�sultat d'une extension m�taphorique � partir du sens agentif, l'absence de telles extensions dans les dialectes nous fournit la preuve qu'il n'y a jamais eu d'extension m�taphorique en latin vulgaire ou en protoroman. La "polys�mie" agent/instrument est donc le r�sultat d'autres m�canismes (emprunts, ellipses). Les dialectes sont aussi cruciaux quand il s'agit de faire l'histoire des suffixes populaires et argotiques (v., p. ex., Buchwald 1992, Baldinger 1995 sur -zingue, 1997 sur -uche, R�zeau 1997 - 98 et Roch� 2002, 2008 sur -ouille).
+L'approche s�masiologique domine dans l'�tude r�cente de M. Roch� (v. Roch� 2006) sur le suffixe -ier, fortement polys�mique, en ancien fran�ais. Cette �tude, qui s�duit par la finesse et le r�alisme de son analyse s�mantique, peut aussi servir d'antidote � la pratique, port�e � des extr�mes invraisemblables dans Corbin/Corbin (1991) mais aussi omnipr�sente dans les travaux d'inspiration guillaumienne, de vouloir � tout co�t r�duire la polys�mie des suffixes � un signifi� unitaire � un niveau "abstrait". Je ne veux certes pas plaider pour une multiplication pr�ter necessitatem des entit�s, mais l� o� les sens concrets observables dans les textes ne sont plus d�rivables automatiquement et naturellement par des inf�rences pragmatiques � partir d'un sens abstrait (Wortbildungsbedeutung, en allemand), il vaut mieux opter pour la polys�mie. Les locuteurs, contrairement � certains linguistes, n'ont pas peur de la polys�mie, au contraire : une �tude attentive de l'�volution s�mantique des affixes � travers les temps montre souvent une tendance inexorable � la fragmentation s�mantique (v. Rainer 2003, et plus g�n�ralement sur les m�canismes du changement s�mantique dans la formation des mots, Rainer 2005a).
+Dans des cas concrets, il est souvent difficile de d�cider combien de sens exactement on peut ou doit attribuer � un affixe particulier. Ce probl�me est au centre de Martin (2006), qui se base sur les mat�riaux du DMF, qu'il a lui-m�me dirig�, et propose d'en distinguer trois sens au lieu d'un seul ou de deux, comme le voulait la tradition, � savoir '�loignement', 'inversion' et 'extraction', sens qui sont issus respectivement des pr�fixes latins de-, dis- et ex- (renforc� par de-/des-). � part les pr�fixes, l'ancienne langue se servait aussi couramment de "pr�verbes" pour moduler le sens des verbes (v. Buridant 1995, Turcan 2001), usage qui, en fran�ais moderne, s'est atrophi�. Mais il existe aussi, en fran�ais, des constructions comparables du type aller dehors, tomber dessus, etc., constructions qui se trouvent � mi-chemin entre syntaxe et formation des mots et qui ont attir� l'attention derni�rement des sp�cialistes d'un grand nombre de langues, dont aussi une langue soeur du fran�ais, l'italien (v. Cini � para�tre). Il serait d'un grand int�r�t d'approfondir les �tudes du ph�nom�ne en fran�ais, tant d'un point de vue typologique que de celui de la reconstruction de l'�volution du latin aux langues romanes.
+La perspective romane est essentielle pour bien appr�cier certains ph�nom�nes de la formation des mots en fran�ais, surtout dans une perspective diachronique. Je me limiterai ici � attirer l'attention sur Bork (1990), qui rejette l'analyse traditionnelle selon laquelle les compos�s VN seraient le r�sultat de la r�analyse de phrases � l'imp�ratif et propose d'�tablir une filiation directe entre ce type de compos�s et les compos�s latins du type Verticordia 'tourne-coeur(s)' (surnom de V�nus). Les sp�cialistes ont �t� unanimes � louer les qualit�s philologiques de ce livre, mais sont rest�s divis�s sur la substance (pour : Lindner 2003 : 131, L�dtke 2005 : 274 - 279 ; contre : L�fstedt 1994, Gather 2001 : 192 - 209).
+La langue fran�aise �crite, comme on sait, a commenc� � int�grer des mots latins d�s les tout premiers textes. L'�tude diachronique de la formation des mots se voit donc pratiquement toujours devant la t�che de d�terminer l'�tendue de l'influence latine dans l'�volution d'un affixe ou type compositif particulier. La plupart du temps, cette influence est �vidente pour des raisons formelles, mais il existe aussi des cas plus subtils. Buridant (2000 : 16 - 17), p. ex., fournit des observations int�ressantes sur la concurrence, en ancien fran�ais, entre -ere/-eor et les constructions p�riphrastiques du type cil qui + verbe : avant la relatinisation massive en moyen fran�ais, ces derni�res �taient utilis�es fr�quemment pour rendre des noms d'agents latins en -tor quand un d�riv� fran�ais correspondant faisait d�faut. Un probl�me d'un autre ordre a �t� trait� par Thibault (1989 : 85 - 110), � savoir les techniques adopt�es par le fran�ais dans l'adaptation des mots latins en -uus (-�us, -eus et -ius, d'ailleurs, ont caus� le m�me genre de probl�mes ; v. hebr�us > h�breu, pharis�us > pharisien, pygm�us > pygm�e, etc.).
+L'influence du latin a connu des hauts et des bas, mais elle n'a jamais cess� compl�tement. Une �poque de latinisation intense a �t� celle de l'essor des sciences, qui commence au xviie si�cle et dure jusqu'au xixe, quand le latin est abandonn� d�finitivement comme langue scientifique dans la plupart des pays europ�ens. � cette �poque, ce n'est plus le latin classique qui fournit les mod�les, mais le latin scientifique. Les lexicographes et morphologues continuent � sous-estimer fortement le r�le du latin � cette �poque, pour la simple raison qu'il n'y a pas de dictionnaire du latin scientifique qu'ils pourraient consulter, comme il y en a pour le latin du Moyen �ge et, depuis quelque temps, aussi pour la Renaissance (v. Hoven 1994). Dans l'�tude diachronique de la formation des mots dans certaines langues de sp�cialit�s particuli�rement latinisantes, comme celles de la m�decine ou de l'histoire naturelle, il ne reste que de retourner aux sources latines (v. Rainer 2003, � para�tre a et b), ce qui d'ailleurs depuis quelque temps est grandement facilit� par Google Books. G�n�ralement, les termes fran�ais sont de simples calques du latin scientifique, mais parfois la situation s'av�re plus compliqu�e : ainsi j'ai pu montrer (v. Rainer 2007) que le fr. mammif�re, malgr� son caract�re latinisant, et contrairement � ce qu'en disent certains dictionnaires �tymologiques, n'est pas un calque de mammifer, qui n'a jamais �t� en usage dans le latin scientifique, mais une formation latinisante fran�aise. Du point de vue de la formation des mots, il s'agit d'�tudier quand et � quel point les diff�rents types latins ont �t� int�gr�s dans le syst�me de la formation des mots du fran�ais. C'est un autre vaste champ pratiquement vierge, dont l'�tude est fondamentale pour am�liorer le traitement lexicographique des mots savants mais aussi leur traitement synchronique dans la formation des mots.
+Pour terminer, j'insisterai surtout encore une fois sur la situation privil�gi�e dont jouissent, en principe, les �tudes diachroniques sur la formation des mots en fran�ais gr�ce � l'�tat excellent de la lexicographie historique et �tymologique. � cela s'ajoute le privil�ge, que le fran�ais partage avec ses langues soeurs, d'avoir une langue m�re bien document�e, le latin, et de pouvoir compter en plus, en France, avec la tradition la plus solide d'�tude de la formation des mots du latin. Si l'on se d�cidait � exploiter � fond ces atouts, le fran�ais devrait tout naturellement occuper le r�le de leader dans l'�tude diachronique de la formation des mots au sein de la linguistique mondiale.
+ +libre de droits
+ANNODIS
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+pour la cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+Les noms et les adjectifs que nous regrouperons sous l'�tiquette commune d' � ethniques � posent � la morphologie constructionnelle des probl�mes qui passent g�n�ralement inaper�us dans la mesure o� ils n'affectent pas la forme des unit�s concern�es. Comment construire l'un par rapport � l'autre Fran�ais et fran�ais, Russe et russe ? Comment relier ces lex�mes � un nom de pays qui est tant�t en amont (France) tant�t en aval (Russie) ? Comment rendre compte du fait que, quelle que soit sa forme, l'adjectif renvoie aussi bien au pays (les paysages fran�ais, la plaine russe) qu'� ses habitants (le caract�re fran�ais, l'�me russe) ? Dans une publication ant�rieure (Roch�, 2005), nous avons �bauch� une description d'ensemble du syst�me et �voqu� le r�le qu'y joue la conversion. Apr�s avoir rappel� ces donn�es, on se propose de poursuivre ici cette exploration en observant, dans un premier temps, la double � dimension paradigmatique � (van Marle, 1985) dans laquelle s'int�grent ces formations : celle du paradigme lexical que constituent les ethniques dans leur ensemble et celle du paradigme d�rivationnel qui regroupe chacun d'entre eux avec le nom de pays, le nom de langue et les adjectifs correspondants. On s'int�ressera ensuite � deux s�ries de d�riv�s construits sur les ethniques - pr�fix�s en anti- et suffix�s en -isme et en -iste - qui h�ritent de certaines caract�ristiques du syst�me et manifestent � leur tour le r�le de la marque morphologique dans la structuration du lexique.
+On appellera � ethniques � les noms de peuples (Russe, Tzigane), les gentil�s construits sur un nom de pays ou de r�gion historique ou g�ographique (Italien, Pi�montais) et les adjectifs correspondants (russe, tzigane, italien, pi�montais), � l'exclusion des gentil�s construits sur un nom de ville ou de circonscription administrative. Le corpus constitu� pour ce travail rassemble 1090 d�nominations, dont 830 suffixales. Pour simplifier les notations, les noms de personnes et les adjectifs seront donn�s uniquement sous leur forme de citation (masculin singulier). Il va de soi que, sauf � �tre �pic�nes, ils sont syst�matiquement variables en genre.
+Le syst�me que constituent ces lex�mes peut se pr�senter morphologiquement, en fran�ais contemporain, sous quatre formes :
+(1) Tzigane N : tzigane Adj "de Tzigane"+
(2) Russe N : russe Adj "de Russe"+
Russie : russe Adj "de Russie"+
(3) France : fran�ais Adj "de France"+
Fran�ais N : fran�ais Adj "de Fran�ais"+
(4) Hongrois N : hongrois Adj "de Hongrois" Hongrie : hongrois Adj "de Hongrie"+
Dans le type (1), il n'y a pas de nom de pays (ou il n'est pas usuel). Dans le type (2), le nom de pays est form� sur le nom de peuple, par suffixation (Russie, Arabie, Birmanie, Turquie...) ou par composition (Angleterre, Pays Basque, Tha�lande, Kurdistan...). Dans le type (3), le noms des habitants est form�, par suffixation, sur le nom de pays (Fran�ais, Za�rois, Tunisien, Andorran, Chypriote, Emirati...). Dans le type (4), les finales de l'un et de l'autre ne permettent pas d'orienter la relation constructionnelle. Formellement, les deux d�nominations peuvent �tre identiques (Corse / Corse, Suisse / Suisse...), prendre les apparences d'une alternance flexionnelle (Lorrain / Lorraine, Argentin / Argentine...), faire alterner deux suffixes par troncation r�ciproque (Hongrois / Hongrie, Albanais / Albanie...), opposer une finale quelconque � une finale suffixo�de (Breton / Bretagne, Catalan / Catalogne...), etc. Le plus familier est le type (3), parce qu'il est commun aux gentil�s form�s sur les noms de villes et qu'il correspond � la vision contemporaine du monde, structur� en Etats bien d�limit�s. Mais le type (1) et le type (2) sont plus fondamentaux, et ils ont longtemps �t� majoritaires. Le type (4) r�sulte de divers al�as historiques sur lesquels nous reviendrons.
+Dans tous les cas, on observe un certain nombre de points communs que nous pr�senterons sch�matiquement (pour une argumentation plus d�taill�e, voir Roch� (2005)) :
+(5) Hongrois "habitant de la Hongrie" : Hongrie "pays des Hongrois"+
Russe "habitant de la Russie" : Russie "pays des Russes"+
Fran�ais "habitant de la France" : France "pays des Fran�ais"+
Ainsi, en d�pit des diff�rences entre les divers types et des multiples variantes de d�tail, le syst�me contemporain des ethniques et des noms de langues est remarquablement unifi� et coh�rent. Cette structure est le r�sultat de la pression lexicale qui s'exerce sur le lex�me construit du fait de son appartenance � deux paradigmes :
+Nous verrons successivement comment ces deux types de paradigmes se sont constitu�s pour les ethniques, et comment ils peuvent entrer en conflit.
+M�me quand il est complet et qu'il comporte un nom de pays et un nom de langue, le paradigme d�rivationnel dans lequel s'inscrit un ethnique est, en fran�ais comme dans les autres langues romanes, particuli�rement �conome. Six lex�mes (nom de peuple ou d'habitants, nom de pays, nom de langue, plus les trois adjectifs de relation correspondants) partagent deux formes seulement, voire une seule (Corse / corse). Comment en est-on arriv� l� ?
+Au d�part, il y a le fait que les principaux suffixes sp�cialis�s (-ais, -ois) et privil�gi�s (-ien, -ain) sont sous-sp�cifi�s quant � l'opposition Nom / Adjectif. Cela ne va pas de soi a priori. L'allemand oppose syst�matiquement un suffixe -er nominal � un suffixe -isch adjectival (�sterreicher N "Autrichien" / �sterreichisch Adj "autrichien"). En latin, si les d�riv�s en -anus sont � la fois nom et adjectif, ceux en -icus sont seulement adjectifs ; et lorsque les deux sont en concurrence sur une m�me base, ils ont tendance � de sp�cialiser (asianus comme nom d�signant une personne, par exemple, et asiaticus comme adjectif). En fran�ais donc, form�s avec le m�me suffixe, Fran�ais N "habitant de la France" et fran�ais Adj "de la France" ont la m�me forme.
+C'est sans doute cette caract�ristique qui a entra�n� la deuxi�me : la formation d'un adjectif de relation par conversion quand le primitif est le nom de peuple : Russe N : russe Adj "de Russe". Ceci non plus n'�tait pas �vident. Le recours � la conversion, pour ce type de formations, est g�n�ralement soumis � des conditions qui ne sont pas toutes r�unies ici. Ce qui nous fait dire que la conversion est en l'occurrence un moyen de sauvegarder le parall�lisme avec le type Fran�ais N / fran�ais Adj. L'allemand (Russe N "Russe" : russisch Adj "de Russe"), le latin (Gallus N "Gaulois" : gallicus Adj "de Gaulois") recourent syst�matiquement, dans ce cas, � la suffixation.
+Troisi�me caract�ristique : une fois pos� ce premier adjectif de relation, il est r�investi, ou plut�t sa forme est r�investie pour l'autre adjectif de relation. Dans le type (3), la forme construite- par suffixation- pour fran�ais "de France" va �tre r�utilis�e pour fran�ais "de Fran�ais". Dans le type (2), la forme construite- par conversion- pour russe "de Russe" va �tre r�utilis�e pour russe "de Russie". Ce ph�nom�ne, � la diff�rence des pr�c�dents, semble assez g�n�ral. Il y a quelques exemples de suffixation en cha�ne quand la base est un nom de ville- it. Roma : Romano N "Romain" : romanesco Adj "de Romain" (distinct de romano Adj "de Rome", mais r�serv� � certains emplois), al. Berlin : Berliner N "Berlinois" : berlinerisch Adj "de Berlinois" (distinct de berlinisch Adj "de Berlin") -, mais l'allemand, comme l'italien ou le fran�ais, op�re g�n�ralement le m�me transfert. Quand le nom de personne est construit (�sterreicher "Autrichien"), l'adjectif construit sur le nom de pays (�sterreichisch "d'Autriche") renvoie aussi au nom de personne (�sterreichisch "d'Autrichien"). Quand c'est le nom de pays qui est construit (Russland "Russie"), l'adjectif construit sur le nom de personne (russisch "de Russe") renvoie aussi au nom de pays (russisch "de Russie"). �sterreicherisch est attest� (� propos de la langue autrichienne), russl�ndisch �galement, mais ils ne sont pas usuels. En n�erlandais, o� le nom d'habitant est �galement tant�t construit (Amerikaan "Am�ricain", Israeliet "Isr�lien"), tant�t non construit (Noor "Norv�gien", Belg "Belge"), l'adjectif construit sur ce nom (Amerikaans, Israelietisch, Noors, Belgisch) est repris syst�matiquement pour renvoyer au nom de pays (resp. Amerika, Israel, Noorwegen, Belgi�...). En latin enfin, gallicus pourrait, formellement, �tre construit sur Gallia aussi bien que sur Gallus mais l'ant�riorit� de Gallus invite � y voir le m�me processus : form� d'abord sur Gallus, gallicus est r�investi pour renvoyer � Gallia. Sym�triquement, asiaticus construit sur Asia renvoie �galement � Asianus.
+Derni�re �tape : le nom de langue et l'adjectif qui y renvoie. L'un et l'autre, on l'a dit, ont la m�me forme que les autres adjectifs de relation, quelle que soit la fa�on dont ils sont construits. Les rares exceptions (h�bra�que) sont des restes du syst�me latin sur lequel nous reviendrons.
+Ainsi, � plusieurs niveaux, se manifeste un � principe d'�conomie � de port�e plus g�n�rale, qui fait que la langue, plut�t que de construire une forme nouvelle, r�utilise une forme d�j� existante. L'adjectif de relation �lectoral, par exemple, form� sur �lecteur, renvoie normalement � ce nom (les listes �lectorales sont des "listes d'�lecteurs'), mais il sert �galement d'adjectif de relation � �lection (le droit �lectoral traite de tout ce qui concerne les �lections) � la place de ��lectionnel, qui devrait logiquement prendre place dans l'abondante s�rie des d�riv�s en -el construits sur un nom en -ion.
+(6)�lire : �lecteur : �lectoral "qui concerne les �lecteurs" (listes �lectorales)+
: " "qui concerne les �lections" (droit �lectoral)+
�lire : �lection : ��lectionnel+
R�sultat : une discordance entre la compositionnalit� formelle et la compositionnalit� s�mantique du mot construit.
+Ce d�calage peut en entra�ner un autre par rapport � l'instruction propre au suffixe. Hors contexte, d�bats �ducatifs serait compris comme "(d�bats) qui �duquent". Mais dans la phrase � En France, les d�bats �ducatifs sont trop souvent r�duits aux d�bats sur l'�cole. � (Le Monde, 23.03.2007 : 23), il s'agit de d�bats "qui concernent l'�ducation".
+(7)�duquer : �ducatif "qui �duque" (jeux �ducatifs)+
: " "qui concerne l'�ducation" (d�bats �ducatifs)+
�duquer : �ducation ��ducationnel+
Le d�riv� en -if construit sur la base verbale est r�utilis� comme adjectif de relation pour renvoyer au d�riv� en -ion appartenant au m�me paradigme. Autre exemple : les � probl�mes �rectiles � �voqu�s par un sexologue sur France-Inter (06.01.2005) ne sont pas les probl�mes susceptibles de surgir mais ceux qui concernent l'�rection.
+A c�t� de ces manifestations ponctuelles, les adjectifs en -iste donnent un exemple d'application syst�matique du principe d'�conomie comparable � celui des ethniques. Leur valeur propre est identique � celle des noms en -iste : axiologique (esclavagiste "favorable � l'esclavage") ou agentive (r�cidiviste "qui r�cidive"). Mais ils servent �galement d'adjectif de relation pour renvoyer tant�t � la base (l'�poque tsariste), tant�t au d�riv� en -isme (les th�ories tsaristes), tant�t au d�riv� nominal en -iste (les milieux tsaristes). V�rification indirecte : il n'y a pratiquement pas d'adjectifs de relation en -al ou en -ique construits sur des d�riv�s en -isme ou en -iste. Sauf exception, les adjectifs en -ismal ou en -ismique sont construits sur des bases d�motiv�es (rhumatismal, cataclysmique...). Quant aux finales en -istique, elles ne sont pas le r�sultat d'une d�rivation en cha�ne (linguistique renvoie � langue, pas � linguiste), -istique est simplement une variante de -ique. Mais- autre manifestration du principe d'�conomie- s'il y a d�j�, dans le m�me paradigme, un adjectif de relation construit sur le primitif, il pourra �tre r�utilis� pour renvoyer au d�riv� en -isme. C'est ainsi que les adjectifs alcoolique, palustre ou gigantesque, qui, normalement, renvoient respectivement � alcool, marais et g�ant, peuvent servir d'adjectif de relation � alcoolisme, paludisme et gigantisme :
+� [des] exc�s alcooliques r�p�t�s � (Robida, in Rob.)+
� des acc�s palustres courts et rapproch�s � (Quillet, in TLF)+
� Gigantisme et acrom�galie sont en effet une seule et m�me affection [...] elle donne naissance au type gigantesque lorsqu'elle se d�veloppe avant la soudure des �piphyses; elle �volue au contraire vers le type acrom�galique quand elle appara�t plus tard. � (TLF s.v. acrom�galie).+
Les adjectifs, logiquement, sont plus souvent concern�s par le principe d'�conomie : d�nu�s de capacit� r�f�rentielle directe, ils ont davantage de plasticit� s�mantique. Mais on trouve �galement des exemples parmi les noms, avec les m�mes effets de d�calage dans la compositionnalit� du mot construit ou par rapport aux caract�ristiques (s�mantiques ou cat�gorielles) du suffixe. Le d�veloppement r�cent d'assistanat au sens de "condition d'assist�", "syst�me d'assistance", est sans doute une � r�cup�ration � de assistanat "fonction d'assistant". Dans la s�rie des noms de sportifs construits sur le nom de l'arme avec laquelle ils pratiquent l'escrime (�p�e, fleuret, sabre), � c�t� de �p�iste et de fleurettiste on trouve sabreur, qui reprend une d�nomination ant�rieure construite (avec un autre sens) sur le verbe sabrer. �chappant au paradigme des d�riv�s en -iste, elle rejoint celui des noms de sportifs construits avec le suffixe -eur sur un verbe ou un nom d'activit�. Application syst�matique de ce principe dans la s�rie des d�riv�s en -isme et en -iste : l'existence, dans le m�me paradigme d�rivationnel, d'un adjectif de relation en -ien bloque la formation d'un d�riv� en -iste (la forme en -ien en tient lieu) et r�ciproquement l'existence d'un d�riv�s en -iste bloque g�n�ralement la formation d'un adjectif de relation en -ien (la forme en -iste en tient lieu), alors que les deux suffixes ne sont pas �quivalents (cf. Roch�, 2007).
+(8a)Staline : stalinien Adj "de Staline"+
: " N Adj "partisan de Staline", "favorable � Staline"+
Staline : �staliniste+
(8b)L�nine : l�niniste N Adj "partisan de L�nine", "favorable � L�nine"+
: " Adj "de L�nine"+
L�nine : l�ninien+
Ici encore, la dimension lexicale - l'influence du paradigme d�rivationnel - l'emporte sur la logique constructionnelle.
+Revenons aux ethniques pour observer maintenant le paradigme lexical qu'ils constituent. Lorsqu'ils sont form�s sur le nom de pays, ils sont marqu�s comme tels soit par un suffixe sp�cifique- -ais ou -ois le plus souvent (Congolais, B�ninois), -(i)ote (Chypriote), -ite (Y�m�nite), -i (Emirati), etc. -, soit par un suffixe dont c'est un emploi privil�gi�- -ien et -ain principalement (Canadien, Cubain). Lorsque le nom de peuple est le primitif, en revanche, sa forme est impr�visible (Russe, Turc, Arabe...) et ne permet pas de le caract�riser. D'o� la tendance � doter le nom de peuple originel d'une finale suffixale qui va l'int�grer dans le paradigme : Anglais se substitue � Angle, Danois � Dane, Finnois � Finn, Hongrois � Hongre, etc. Il s'agit l� du ph�nom�ne d' � hypercaract�risation diachronique � depuis longtemps mis en �vidence (cf. Malkiel, 1957 - 1958) : un lex�me d�j� caract�ris� par son sens tend � l'�tre �galement par sa forme, si les deux se sont pas conjointement marqu�s d'embl�e. Ou, en d'autres termes, d'une � int�gration paradigmatique � (Corbin, 1987). Cette forme tr�s particuli�re de suffixation- s�mantiquement tautologique- est exactement semblable � l'exemple classique des noms d'arbres du type peuplier (form� sur l'afr. peuple, qui avait d�j� le m�me sens). Dans certains cas, le suffixe sert directement d'habillage � un emprunt (Malais, Iroquois, Illinois), comme pour le non moins classique pal�tuvier. D'autres d�nominations (Gascon, Breton) s�lectionnent un ancien cas r�gime de pr�f�rence au cas sujet (Gasc, Bret sont �galement attest�s) parce qu'il leur donne une apparence suffixale et les agr�ge � un paradigme en -on (Wallon, Frison, Saxon, Teuton) qui s'�tend lui aussi par int�gration paradigmatique (Lapon, Letton).
+Une variante consiste � construire par suffixation un nouvel ethnique sur le nom de pays construit lui-m�me sur le primitif : Malais : Malaisie : Malaisien. D'o� les nombreux doublets : Finnois / Finlandais, Somali / Somalien, Az�ri / Azerba�djanais, Tha� / Tha�landais, etc. Ils peuvent servir � distinguer le groupe ethnique proprement dit, d'un c�t�, et les citoyens d'un Etat, de l'autre : tous les Az�ris ne sont pas Azerba�djanais et tous les Malaisiens ne sont pas Malais. Mais dans la pratique ils tendent � �tre interchangeables, avant que l'un chasse l'autre. On trouve sur la Toile de nombreuses attestations de � gouvernement tha� �, � gouvernement malais �, � gouvernement az�ri � alors qu'on attendrait normalement � tha�landais �, � malaisien �, � azerba�djanais �. Ainsi se continue sous nos yeux le processus historique qui a fait passer les ethniques du type (1) au type (2) puis au type (3). Un peuple sans territoire attitr� (type (1)) s'installe dans un � pays � auquel il faut donner un nom (type (2)) ; et quand ce pays devient un Etat au sens moderne du terme les individus ne sont plus per�us comme les membres d'un peuple mais comme les habitants de cet Etat (type (3)). Si les Espagnols sont aujourd'hui les habitants de l'Espagne, l'Espagne (Hispania) a d'abord �t� le pays des Hispani. Et ainsi de l'Italie, de la France, etc.
+La place manque pour �tudier le r�le des diff�rents suffixes dans ce double mouvement. D'une fa�on g�n�rale, leur distribution d�pend en grande partie de crit�res phonologiques. Les bases en /i/ donnent � 88 % des d�riv�s en -ien (italien, estonien, bolivien, tanzanien, fidgien...). Que ces d�nominations soient, souvent, emprunt�es � d'autres langues europ�ennes n'y change rien : il est vraisemblable que les m�mes conditionnements y sont � l'oeuvre. Proprement fran�aise, la r�partition des deux variantes qu'�taient, � l'origine, -ais et -ois est identique � celle qu'a observ�e Pl�nat (� para�tre) pour les gentil�s construits sur un nom de commune fran�aise. Dans notre corpus, sur 152 d�nominations en -ais ou en -ois, un radical dont la derni�re voyelle est une voyelle d'avant donne 31% de d�riv�s en -ais et 69% de d�riv�s en -ois tandis qu'un radical dont la derni�re voyelle est une voyelle d'arri�re donne 76% de d�riv�s en -ais et 24% de d�riv�s en -ois. Ainsi en Afrique, face � soudanais, gabonais, congolais, burundais, s�n�galais, etc. les seuls ethniques en -ois sont b�ninois et za�rois. En Asie orientale, chinois et tonkinois s'opposent de fa�on pr�visible � japonais et ta�wanais. Mais balinais a suivi sans doute le mod�le de javanais, comme atjehnais et sumatranais (m�me consonne �penth�tique). Pour l'Allemagne, seul -ois est pr�sent, quelle que soit la voyelle qui pr�c�de (badois, hessois, brandebourgeois...). Parce que des bases en -bourg ne pouvaient donner que des d�riv�s en -bourgeois et que ceux-ci ont entra�n� les autres ? Pour des raisons historiques, si tous ces ethniques sont apparus au m�me moment dans l'�volution phon�tique de -ais / -ois ? Quoi qu'il en soit, ces exemples font appara�tre un � effet de s�rie �, voire un simple effet de rime, une diffusion de proche en proche o� l'histoire se m�le � la g�ographie. Les d�nominations en -on �num�r�es plus haut dessinent un arc de cercle qui va des Pyr�n�es � la Baltique, dans lequel s'ins�rent parfaitement percheron, augeron, beauceron et braban�on (et en s'�cartant un peu berrichon et bourguignon). Toutes les bases en -land(e) donnent des d�riv�s en -ais (hollandais, irlandais, finlandais, tha�landais, groenlandais...), alors que s�par�ment des radicaux en -an(e) ou en -ad(e) peuvent �tre suivis d'un autre suffixe (iranien, tchadien).
+Dans certains cas, le mouvement qui s'�tait amorc� selon l'un des deux sch�mas pr�c�dents n'a pas abouti mais a laiss� des traces dans des expressions complexes (feu gr�geois, poulet basquaise...), des nominalisations d�motiv�es (mongolien "trisomique", turquoise "pierre fine", persiennes "contrevents"...), des emplois particuliers (slavon comme nom de langue). Pendant un certain temps, une d�nomination suffixale, construite sur le nom de peuple ou le nom de pays, a concurrenc� la d�nomination originelle. Elle avait vocation � la supplanter dans tous ses emplois, y compris nominal. Mongolien s'est dit des habitants de la Mongolie et Russien de ceux de la Russie. Basquaise, d'apr�s les dictionnaires, sert de f�minin � Basque comme Suissesse � Suisse. Mais le nom de peuple primitif a r�sist�, la nouvelle d�nomination ne s'est pas impos�e et ce qu'il en reste est tomb� ou tombe en d�su�tude. Les Russes sont toujours des Russes et les Basques (des deux sexes) sont rest�s (ou redevenus) des Basques. Cas particulier : persien ne s'est pas impos� mais son concurrent persan a eu plus de chance, jusqu'� ce qu'iranien le rel�gue dans un r�le historique ou comme nom de langue tandis que perse subsistait pour la Perse antique.
+D'autres d�nominations (gomme arabique, Golfe Persique, acide prussique, italiques...) repr�sentent, avec les doublets n�o-classiques d�j� mentionn�s (germanique, hispanique, helv�tique...), un cas de figure nettement diff�rent. Le suffixe -ique n'est pas, � la diff�rence des pr�c�dents, un suffixe sp�cialis�, il forme des adjectifs de relation en g�n�ral. Cons�quence essentielle : ces d�nominations sont rest�es, sauf exception, cantonn�es � un usage adjectival. La plupart sont des formations grecques ou latines utilis�es pour des r�f�rents anciens ou antiquisants (guerres m�diques, limes germanique, colonnes doriques), comme formes suppl�tives (Conf�d�ration Helv�tique, relations germano-polonaises) ou pour des emplois particuliers (dans pays germaniques, �tudes hispaniques, par exemple, l'adjectif a une port�e plus large que celle d'allemand ou espagnol et sert en quelque sorte de collectif). Les d�nominations fig�es ou d�motiv�es cit�es plus haut t�moignent, jusqu'en fran�ais classique, d'un usage plus large de certains de ces adjectifs h�rit�s (arabique, indique, persique...). Italique, par exemple, est dans (lettres) italiques un �quivalent d'italien. D'autres sont des formations modernes, via le latin scientifique en g�n�ral, mais ne se sont implant�es plus ou moins durablement que dans des expressions complexes du vocabulaire savant : acide prussique en chimie, selle turcique en anatomie, mer Baltique... Seul, semble-t-il, balkanique reste d'un emploi libre mais il constitue un cas particulier dans la mesure o� il r�f�re non � un Etat ou � un peuple mais � une r�gion g�ographique.
+A c�t� du suffixe � savant � -ique, le suffixe � populaire � -esque a jou� un temps le m�me r�le. Arabesque, barbaresque, grecquesque, mauresque, sarrasinesque, tartaresque, tudesque, turquesque sont attest�s et s'�taient un temps plus ou moins diffus�s. Il n'en reste que des traces infimes, mais ils sont int�ressants � la fois par leur existence et par leur �chec. Malgr� quelques emplois nominaux (les Barbaresques, Mauresque comme f�minin de Maure), ils sont comme les d�riv�s en -ique essentiellement adjectivaux. Ils t�moignent donc que la tendance � construire des ethniques sp�cifiquement adjectivaux n'est pas seulement une subsistance n�o-classique, une continuation du syst�me latin dans le registre savant. Elle r�pond, sous une autre forme, au m�me besoin de caract�risation, d' � int�gration paradigmatique � que la formation de d�riv�s en -ais, -ois, -on � partir d'un nom de peuple (supra, � 2.2). L'adjectif est � marqu� � comme tel par son appartenance aux vastes paradigmes des adjectifs de relation en -ique ou en -esque.
+Mais cette logique d'int�gration de l'adjectif dans un paradigme lexical typiquement adjectival entre en conflit avec celle du paradigme d�rivationnel qui tend � imposer dans chaque famille une forme identique pour l'adjectif et pour le nom de personne (supra, � 2.1). Arabique et arabesque ont vocation � remplacer arabe comme adjectif, mais ils ne peuvent pas s'imposer si Arabe subsiste comme nom, parce que leur coexistence donnerait un paradigme d�rivationnel h�t�rog�ne. Pour la m�me raison, gr�geois et turquois, qui avaient commenc� � se diffuser comme adjectifs, n'ont pas pu se maintenir parce que Grec et � Turc avaient r�sist� comme noms. Il n'y a pas de place pour arabesque et gr�geois � c�t� d'arabe Adj et de grec Adj, et ils ne peuvent pas les �liminer si Arabe N et Grec N subsistent.
+Les d�riv�s en anti- qui expriment une id�e d'opposition (m�dicament antigrippe / antigrippal "contre la grippe"), essentiellement adjectivaux mais souvent nominalis�s, sont caract�ris�s, comme les d�riv�s en pr�- ou en post-, par un � principe de copie � (Dell, 1970 ; Corbin, 1987 ; Levkovych, 2004) qu'on peut sch�matiser ainsi : s'il existe d�j� un adjectif form� sur la base, le d�riv� lui emprunte son suffixe (antiparlementaire "contre le parlement", antigouvernemental "contre le gouvernement", etc.) ; s'il n'y en a pas, le pr�fixe est la seule marque (antihalo "contre l'effet de halo", antipuces "contre les puces"). Les nombreux doublets (antigrippe / antigrippal) attestent que le suffixe est (g�n�ralement) facultatif et que la base de antiparlementaire, par exemple, est bien le nom parlement et pas l'adjectif parlementaire.
+Le principe de copie est une manifestation exemplaire de la double dimension paradigmatique de la d�rivation et de la tendance � l'hypercaract�risation. Tous les d�riv�s en anti- sont marqu�s s�mantiquement par le pr�fixe. Sur le plan cat�goriel, la marque n'est pas indispensable : (brigade) antigang, (centre) antipoison(s) sont clairement des adjectifs. Mais quand il est pr�sent, le suffixe traduit la composante cat�gorielle de la d�rivation et int�gre le r�sultat dans un paradigme lexical homog�ne. Que cette marque cat�gorielle soit obligatoirement emprunt�e � un autre membre du paradigme d�rivationnel illustre d'une autre fa�on le principe d'�conomie �nonc� plus haut. Y compris au d�triment de l'instruction s�mantique du suffixe mobilis�. Il s'agit, le plus souvent, d'un suffixe formateur d'adjectifs de relation, donc s�mantiquement neutre, mais antid�presseur "contre la d�pression", par exemple, reprend le suffixe instrumental de d�presseur "qui abaisse", anti-fermentescible "contre la fermentation" le suffixe modalisateur de fermentescible "susceptible de fermenter", etc.
+La d�rivation en anti- est une des plus productives et les dictionnaires ne recueillent qu'une petite partie des d�riv�s construits � partir d'un ethnique ou d'un nom de pays qu'ont peut relever sur la Toile. Ils partagent les caract�ristiques qu'on vient de r�sumer. Formellement, ils sont g�n�ralement construits sur l'adjectif. Anti-allemand, anti-russe, anti-am�ricain sont beaucoup plus fr�quents que anti-Allemagne, anti-Russie, anti-Etats-Unis ou anti-Allemands, anti-Russes, anti-Am�ricains. Mais comme l'adjectif qui renvoie au nom de pays est formellement identique � celui qui renvoie au nom de personne, anti-am�ricain, par exemple, signifie � la fois "contre les Etats-Unis" et "contre les Am�ricains". Il y a des contextes o� la distinction ne serait pas pertinente, mais ailleurs l'ambigu�t� de ces d�riv�s oblige � expliquer, par exemple, si l'on est tax� d'anti-am�ricanisme, qu'on peut �tre contre les Etats-Unis, en tant qu'Etat repr�sent� par son gouvernement, sans �tre contre les Am�ricains.
+Comme la pr�fixation en anti-, la suffixation en -isme ou en -iste � partir d'un ethnique, d'un nom de pays ou d'un nom de langue (italianisme, japonisme, angliciste...) est particuli�rement f�conde. Et tout autant la combinaison des deux (anti-am�ricanisme). Dans ces formations, les confusions formelles et s�mantiques propres au syst�me des ethniques sont encore accrues du fait de la polyvalence de ces deux suffixes, auxquels plusieurs mod�les constructionnels sont attach�s (cf. Roch�, en pr�paration). C'est cette imbrication que nous voudrions maintenant essayer de d�m�ler.
+Un premier mod�le de d�rivation en -isme instaure une relation axiologique par rapport � la base et nominalise cette relation (l'esclavagisme est "le fait d'�tre favorable � l'esclavage"), tandis que la d�rivation en -iste correspondante construit le nom de la personne qui y est impliqu�e (l'esclavagiste est "celui qui est favorable � l'esclavage"). Conform�ment � ce mod�le, le d�riv� en -isme peut d�signer un mouvement politi-que, culturel ou d'opinion en relation avec le pays ou ses habitants, et le d�riv� en -iste ses partisans (ou, en tant qu'adjectif, qualifier ce qui le concerne) :
+(9)catalanisme "autonomisme catalan" / catalaniste "partisan du catalanisme"+
scandinavisme "syst�me politique qui s'inspire de la communaut� ethnique et linguistique des pays scandinaves"+
italianisme "go�t pour ce qui vient d'Italie"+
Un deuxi�me mod�le sert � construire des noms d'action ou d'activit� en -isme (exorcisme, alpinisme) et, parall�lement ou isol�ment, des noms d'agent en -iste (exorciste, alpiniste, pianiste). Dans le domaine qui nous int�resse, le d�riv� en -isme d�signera l'�tude de la langue et de la civilisation concern�es et le d�riv� en -iste ceux qui s'y adonnent :
+(10)indianisme "�tude des langues et des civilisations de l'Inde"+
oc�aniste "sp�cialiste des langues et civilisations oc�aniennes"+
germaniste "linguiste sp�cialis� dans l'�tude des langues germaniques"+
Le troisi�me mod�le construit, � partir d'un adjectif ou d'un nom de personne, un nom de qualit� en -isme (parall�lisme, dilettantisme) sans correspondant en -iste. A partir d'un ethnique, le d�riv�, comme ceux en -it� (ivoirit�) ou en -itude (belgitude), d�signera le caract�re de ce qui est propre au pays et � ses habitants :
+(11)germanisme "caract�re germanique et plus particuli�rement allemand de quelque chose ou de quelqu'un"+
italianisme "caract�re semblable � celui qui est propre � l'Italie et aux Italiens"+
celtisme "ensemble des caract�res particuliers aux Celtes"+
Ou bien, � partir de l'adjectif correspondant au nom de langue, il d�signera un idiotisme ou un emprunt :
+(12)am�ricanisme : "idiotisme am�ricain (par rapport � l'anglais)"+
italianisme "expression italienne emprunt�e par une autre langue"+
proven�alisme "particularit� propre au proven�al".+
La base - le lex�me qui sert de point de d�part � la d�rivation - est logiquement, suivant le cas, tant�t le nom de pays ou celui des habitants, tant�t le nom de langue, tant�t l'un ou l'autre des adjectifs correspondants. Compte tenu des nombreuses homonymies qui caract�risent le syst�me et de divers accidents morphophonologiques, le r�sultat formel, cependant, est souvent le m�me. Un latiniste, par exemple, �tudie le latin (N) tandis qu'un latinisme est une tournure typiquement latine (Adj). Mais le radical - la forme � laquelle est concat�n� le suffixe - est identique dans les deux cas. A cause de l'haplologie, scandinavisme peut �tre construit sur Scandinavie aussi bien que sue scandinave. Il n'en reste pas moins que, le plus souvent, le nom de pays est diff�rent du nom de personne, du nom de langue et des adjectifs. Des d�rivations sur Italie et italien, sur Japon et japonais devraient donner respectivement italisme et italianisme, japonisme et �japonaisisme. Or deux faits massifs caract�risent les d�riv�s construits sur les uns et les autres :
+Si l'on y regarde de plus pr�s, on constate que la forme du d�riv� d�pend principalement de celle de l'adjectif (qui est aussi, rappelons-le, celles du nom de personne et du nom de langue). Trois ensembles se dessinent (on laissera de c�t� les finales rarement repr�sent�es et les exceptions, qui ne remettent pas en cause le classement propos�) :
+D'un point de vue morphologique, l'�limination des segments -ais- et -ois- est logique : ces suffixes � populaires � sont incompatibles avec la suffixation � savante � que sont les d�rivations en -isme et en -iste. Le ph�nom�ne est le m�me devant -it� et -itude (Dal & Namer, 2005). Devant -isme et -iste, il se double d'une difficult� phonologique : une finale en -aisisme ferait se succ�der deux sifflantes trop rapproch�es. Pour les m�mes raisons, le traitement de ces bases est identique devant -iser : japonais donne japoniser et non �japonaisiser. La troncation de -ien- s'il s'agit bien d'une troncation- est plus paradoxale. Son yod est certes ind�sirable � peu de distance du /i/ du suffixe, mais ailleurs, au contraire, c'est une base en -ien ~ -ian qui se substitue � la base attendue (dans le type Hegel : h�g�lianisme vs Kant : kantisme, cf. Roch�, 2007). Le traitement de -ique est encore plus d�routant. D'un point de vue phonologique, sa tronca-tion est logique et attendue : favoris�e par l'identit� de la voyelle (pour ce qui la concerne, on pourrait parler d'haplologie), elle �vite la rencontre des deux sifflantes due � la spirantisation. En dehors de la pr�sente s�rie, le type romantique : roman-tisme est beaucoup plus fr�quent que le type catholique : catholicisme. Mais parall�lement le segment -ic- est maintenu l� o� il pourrait �tre facilement �vit� (celticisme, doublet de celtisme) ou introduit via une base suppl�tive latine ou latinisante (gallicisme, anglicisme, belgicisme, flandricisme, sinicisme, basquicisme...), comme le segment -(t)(a)c- dans la s�rie rhotacisme, lambdacisme, iotacisme (ibid.).
+Sur le plan prosodique, certaines diff�rences de traitement semblent logiques. M�diter-ran�en (6 syllabes) a plus de chances d'�tre tronqu� que cor�en (3 syllabes). D'o� m�diterra-n�-isme face � cor�aniste, tandis qu'europ�en, de longueur interm�diaire, donne aussi bien europ�isme qu'europ�anisme. Parmi les bases suppl�tives en -ique ~ -ic-, les trisyllabes germanic-, hispanic-, helvetic- sont tronqu�es (d'o� germanisme, hispanisme, helv�tisme) tandis que les dissyllabes anglic-, gallic-, nordic- ne le sont pas (d'o� anglicisme, gallicisme, nordicisme). Tous aboutissent ainsi au m�me calibre, qui est aussi celui de latinisme ou d'hell�nisme et qui est obtenu dans flandricisme et basquicisme par l'introduction d'un segment parasite, dans belgicisme par le choix de la base Belgique plut�t que belge. A partir d'une base en -ien, en revanche, si l'on s'attend � trouver lac�d�monisme plut�t que �lac�d�monianisme, pourquoi dorisme, par exemple, plut�t que �dorianisme, alors qu'italianisme, alg�rianisme, canadianisme ont des bases plus longues ? D'une fa�on g�n�rale, un examen syst�matique des bases en -ien montre que, pour elles, le facteur prosodique n'est pas pertinent. S'il intervient, c'est en renfort d'autre �l�ments.
+Il faut tenir compte, en effet, en amont de la finale adjectivale, de la forme qui subsiste lorsque l'adjectif est tronqu� ou qu'il est remplac� par le nom de pays. Et revenir, par exemple, sur le couple Inde / indien : indianiste vs Oc�anie / oc�anien : oc�aniste. Indianiste et oc�aniste sont plus proches du gabarit optimal, pour un d�riv�, que ne le seraient �indiste et �oc�anianiste : base dissyllabique, d�riv� trisyllabique (cf. Pl�nat & Roch�, 2003). Mais aussi, et surtout, oc�aniste a deux avantages d�terminants sur son comp�titeur �oc�anianiste :
+Les facteurs phonologiques, par cons�quent, ne sont pas seuls en cause, puisque sur ce plan on rel�ve un certain nombre d'incoh�rences, mais ils sont souvent d�terminants. Et ils le sont d'autant plus s'ils tendent � renforcer certaines s�ries lexicales.
+Cette observation invite � se tourner vers les ensembles qu'on voit se dessiner en parcourant le corpus, dans lesquels une identit� formelle correspond � une parent� g�ographique ou culturelle : dorisme, ionisme, �olisme, sur des bases tronqu�es en -ien (ou en -i-que) d�signant (ou qualifiant) des dialectes grecs ; h�bra�sme, arama�sme, chalda�sme pour le Proche Orient ancien ; gallicisme, belgicisme, flandricisme... Mais on butte imm�diatement sur atticisme, par exemple, qui appartient � la troisi�me s�rie pour la forme, � la premi�re pour le sens. A y regarder de plus pr�s, cependant, le paradoxe n'est qu'apparent. H�rit� du grec, atticisme a �t� introduit tr�s t�t en fran�ais (16e s.) et a servi de mod�le imm�diat � gallicisme, au moment o� sont forg�s �galement francisme, latinisme et italianisme. Anglicisme (17e s.), hispanisme et germanisme (18e s.) ont suivi. Tous ces d�riv�s utilisent les bases latines ou latinisantes disponibles, comme il est logique pour ce type de formation, avec pour les bases en -ic- une diff�rence de traitement (tronca-tion ou spirantisation) conditionn�e par le facteur prosodique mentionn� plus haut. Les s�ries de d�riv�s en -icisme, -ianisme, -anisme sont ainsi en germe. Les �rudits qui forgent flandri-cisme et belgicisme, � la fin du 18e si�cle et au d�but du 19e, ne font que transposer un des mod�les. Sur la lanc�e, wallonicisme et bruxellicisme viendront m�me concurrencer wallonisme et bruxel-lisme. Parall�lement, les hell�nistes, qui ont trouv� en grec δωρισμός "langage dorien, prononciation dorienne", l'adaptent directement en dorisme et sur ce mod�le forgent ionisme et �olisme. Quant � arama�sme et chalda�sme, ils s�lectionnent comme base arama-�que et chada�que plut�t qu'aram�en et chald�en � cause d'h�bra�sme (16e s.), qui suit lui-m�me le mod�le de juda�sme, emprunt m�di�val, via le latin, au grec ιο� δαϊσμός. Ainsi une m�me cause produit des effets diff�rents. Trois d�riv�s- αττικισμός, δωρισμός, ιο� δαϊσμός- construits r�guli�rement en grec et emprunt�s � des �poques et dans des conditions diff�rentes servent de leader words pour amorcer des s�ries lexicales dans lesquelles une parent� formelle renforce la coh�rence s�mantique ou culturelle. Ce r�le de leader word n'est pas r�serv�, d'ailleurs, au prototype historique de la s�rie : si atticisme est � l'origine de celle des idiotismes en -icisme, le relais a �t� pris par gallicisme et anglicisme, dont la diffusion contribue largement � l'�tendre.
+A cet effet de s�rie sont li�es les quelques diff�renciations s�mantiques qu'on peut observer entre formes concurrentes, dans les doublets ou les triplets mentionn�s plus haut. Les d�riv�s en -icisme d�signent plut�t des idiotismes, tandis que les noms de mouvements d'opinion privil�gient une forme directement associ�e � l'adjectif ethnique ou au nom de pays. Mais la r�partition est loin d'�tre syst�matique. Francisme, qui a d�sign� un mouvement politique fascisant dans les ann�es 1930, a �t� employ� d�s l'origine pour "gallicisme" et est encore abondamment attest� dans ce sens. Inversement, belgicisme, par exemple, pourra �tre employ� pour un nom de qualit� renvoyant � belge ( � Qu'ils [les �crivains belges] �crivent la langue de leur �ducation, mais qu'ils ne rougissent pas si elle est parfois teint�e de belgicisme, tremp�e dans les originalit�s locales. � (Gourmont, in TLF s.v.)) ou pour un courant d'opinion ( � La d�fense des francophones et de la langue fran�aise, en dehors du belgicisme unilingue, commence d�s la fin de ce cadre. Divers organismes le repr�sentent, comme la Ligue contre la flamandisation de Bruxelles dans les ann�es 30. � (fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_wallon)). L'effet de s�rie s�lectionne une forme li�e � une acception (-icisme pour un idiotisme, par exemple), mais cette forme est ensuite disponible pour les autres acceptions.
+En fait, le choix des formes, quand plusieurs sont possibles, ou leur distribution, dans les doublets, d�pendent surtout du niveau de langue. Les bases suppl�tives ou allomorphis�es sont privil�gi�es dans le discours � savant � et le niveau soutenu tandis que des locuteurs plus frustes ou d'autres contextes utiliseront des formes plus proches de la base- qu�b�quisme et turquisme plut�t que qu�b�cisme et turcisme, autrichianisme plut�t que austriacisme, allemandisme et francisme (voire fran�aisisme) � la place de germanisme et gallicisme. Si les formes en -ianiste sont fr�quentes parmi les noms de sp�cialistes, y compris sur des bases longues (indon�sianiste, cal�donianiste, polyn�sianiste...) ce n'est pas que ces d�riv�s s�lec-tion-neraient sp�cialement la base adjectivale alors que les autres p�f�reraient la base nomi-nale, mais simplement parce que ces lex�mes apparaissent dans des contextes � savants � tandis que les formations en anti-, par exemple, sont fr�quentes dans des contextes journalistiques ou des forums de discussion.
+L'effet de s�rie peut aussi s'exercer de l'ext�rieur, � partir d'un autre paradigme sp�cialis� de d�riv�s en -isme. A c�t� de mac�donisme "mouvement politique", qui adopte la forme- attendue compte tenu de la longueur de la base et du segment qui pr�c�de le suffixe, mac�donianisme, qui d�signe sp�cifiquement un courant religieux, viole les contraintes d'euphonie pour rejoindre la s�rie des d�riv�s en -ianisme construits sur un anthroponyme et appartenant au m�me domaine (arianisme, nestorianisme, p�lagia-nisme...).
+D'une fa�on g�n�rale, dans les deux ensembles, tr�s vastes et diversifi�s, que constituent les d�riv�s en -isme et en -iste, la dimension paradigmatique de la d�rivation se manifeste par une tendance � �largir la marque formelle en amont du suffixe pour constituer des s�ries sp�cialis�es. Plus la rime est riche, mieux le d�riv� est per�u comme appartenant � un paradigme donn�. De la m�me fa�on qu'une finale en -ianisme est privil�gi�e pour une doctrine philosophique ou religieuse, une finale en -anisme (apr�s consonne) ou en -icisme le sera pour un d�riv� construit sur un ethnique ou sur un nom de langue. Reste � d�terminer par quelle manipulation morphophonologique ce r�sultat est obtenu.
+L'int�gration du d�riv� dans une des s�ries que nous venons d'�voquer, � l'int�rieur du paradigme lexical, peut �tre r�alis�e de deux mani�res : en jouant sur le choix de la base (nom de pays plut�t qu'adjectif ou l'inverse) ou gr�ce � une manipulation morphophonologique (ajout d'un segment parasite ou, beaucoup plus souvent, troncation). Nous avons jusqu'� maintenant �voqu� cette question avec prudence � cause de l'ambigu�t� du type japonisme, palestinisme, etc. : une d�rivation sur le nom de pays (Japon, Palestine) donne le m�me r�sultat qu'une d�rivation sur l'adjectif (japonais, palestinien) amput� de sa derni�re rime, comme dans la suffixation substitutive (les types valise : valoche, b�tonnier : b�tonnat, (Saint) Thomas (d'Aquin) : thomisme, etc.).
+Quelques cas particuliers, cependant, permettent de distinguer les deux solutions. Europ�isme et asiatisme ne peuvent pas �tre construits formel-lement sur Europe et Asie : une d�rivation directe aurait donn� �europisme et �asisme. Ils ne peuvent �tre construits que sur europ�en et asiatique, moyennant une troncation de la derni�re rime. Britannisme et ga�lisme, h�bra�sme et finnisme, peuvent difficilement �tre construits sur d'autres bases que britannique et ga�lique, h�bra�que et- finnois. La troncation, l� aussi, est �vi-dente. Mais elle ne suffit pas � expliquer h�bra�ste, par exemple. Si un h�bra�sme est une tournure typiquement h�bra�que, un h�bra�ste est quelqu'un qui �tudie l'h�breu. S�mantiquement, lexicalement, la base est ici le nom. Il y a donc eu � la fois, dans ce cas, substitution de h�bra�que � h�breu puis troncation pour former le radical de h�bra�ste. Le processus est le m�me dans un d�riv� comme europ�iste lorsqu'il d�signe- dans la bouche de leurs adversaires- les partisans de l'Europe int�gr�e. La base lexicale est le nom Europe, auquel l'adjectif europ�en- tronqu�- a �t� substitu�.
+Inversement, bavi�risme, champagnisme, flandrisme, guat�malisme, monaco�sme, p�rigordisme ne peuvent �tre construits que sur Bavi�re, Champagne, Flandres, Guatemala, Monaco, P�rigord et pas sur une troncation de bavarois, champenois, flamand, guat�malt�que, mon�gasque, p�rigourdin. Mais en passant d'une province � l'autre, c'est bourguignonisme qu'on trouvera et pas �bourgo-gnisme, catalanisme et pas �catalognisme, proven�alisme et pas �provencisme, m�me quand il s'agit d'un mouvement politique li� � la r�gion et non d'un idiotisme li� � la langue. Toutes choses �gales par ailleurs, le d�riv� est construit tant�t sur la base nominale, tant�t sur la base adjectivale sans qu'on puisse rendre compte de ce chass�-crois� par l'effet d'une troncation.
+D'une fa�on g�n�rale, les ph�nom�nes de troncation sont incontestablement attest�s dans notre corpus mais ils ne suffisent pas � expliquer les faits observ�s. Il faut revenir � l'autre type de paradigmes, les paradigmes d�rivationnels, et admettre, suivant les cas, tant�t que la base nominale (nom de pays ou nom de langue) s'est substitu�e � la base adjectivale, tant�t que la base adjectivale s'est substitu�e � la base nominale. Des exemples comparables peuvent �tre observ�s dans d'autres secteurs de la d�rivation en -isme et en -iste. Dans le type h�g�lianisme d�j� mentionn�, le d�riv� est construit lexicalement sur le noms de personne Hegel et non sur l'adjectif h�g�lien, m�me nominalis� (l'h�g�lianisme est la philosophie de Hegel, comme le kantisme est celle de Kant, et pas celle des h�g�liens). De nombreux d�riv�s en -alisme et en -arisme ne peuvent pas �tre construits, s�mantiquement, sur l'adjectif en -al ou en -aire qui semble �tre leur base : le personnalisme est une philosophie fond�e sur la personne et non sur ce qui est personnel (cf. Roch�, en pr�paration). Dans tous ces exemples, comme dans l'exemple n�erlandais analys� par Booij (1997 : 50), o� l'adjectif de relation Chomskyaans "de Chomsky" est construit non sur ce nom mais sur Chomskyaan "partisan de Chomsky", c'est � une � substitution paradigmatique � qu'on assiste : un membre du paradigme d�rivationnel s'est substitu� � un autre comme base du d�riv� � former.
+Substitution paradigmatique et troncation aboutissent au m�me r�sultat dans les cas o� un mot comme japonisme ne peut �tre construit que sur japonais (s'il d�signe une particularit� de la langue, par exemple). Mais les deux ph�nom�nes ne se situent pas sur le m�me plan. La troncation est d'ordre morphophonologique et ob�it � des conditionnements principalement phonologiques (prosodiques ou segmentaux). La substitution paradigmatique est d'ordre lexical et rejoint le principe d'�conomie mis en �vidence plus haut : l� o� l'on attendrait deux d�riv�s, construits l'un sur le nom de pays et l'autre sur l'adjectif ou le nom de langue, une m�me forme sert pour les deux. Les notions de troncation et de substitution paradigmatique sont donc s�par�ment n�cessaires puisque, on l'a vu, certains cas de figure ne rel�vent que de l'une ou de l'autre. Et celle de substitution paradigmatique est plus � g�n�ralisante � puisqu'elle se traduit par diverses manifestations formelles (dont un allongement de la base dans le type h�g�lianisme, par exemple) et pas seulement par un accourcissement.
+Si le conditionnement de la construction des lex�mes �tait uniquement affaire de r�gles morphologiques, et command� par les seules caract�ristiques cat�gorielles et s�mantiques de chaque d�rivation, il serait identique pour tous les d�riv�s. On constate au contraire, d�s qu'on observe un corpus un peu �tendu, que le choix du proc�d�, celui de l'affixe, le traitement morphophonologique de sa concat�nation � la base d�pendent aussi de deux s�ries de facteurs : les contraintes phonologiques de � bonne formation �, que l'on n'a fait qu'entrevoir ici sans approfondir leurs effets faute de place, et les contraintes lexicales qui tendent � renforcer l'insertion du mot construit dans les deux paradigmes auxquels il est destin� � appartenir. Une finale en -icisme, par exemple, ne devrait r�sulter que d'une base en /ik/ spirantis�e. On a vu cependant qu'elle pouvait �tre � la fois attractive, pour des raisons lexicales, au point de se trouver dans des d�riv�s dont la base ne comportait pas elle-m�me une finale en -ique (le type flandricisme) ; et r�pulsive, pour des raisons phonologiques, si bien que la finale de la majorit� des bases en -ique est tronqu�e (le type germanisme). Dans la formation des ethniques et des d�riv�s auxquels ils servent de base, la dimension lexicale se traduit par une m�me tendance � la structuration dans chacun des paradigmes concern�s, mais selon des modalit�s diff�rentes. Les paradigmes d�rivationnels tendent � adopter la m�me structure, dans laquelle le principe d'�conomie joue un r�le d�terminant : m�me forme, dans les ethniques, pour le nom de personne, le nom de langue et les trois adjectifs de relation, dont seul se distingue le nom de pays ; m�me forme pour les d�riv�s en anti- et les d�riv�s en -isme, qu'ils soient construits sur le nom de pays ou sur l'ethnique. Dans les paradigmes lexicaux, la marque morphologique renforce la coh�rence s�mantique et un m�me effet de s�rie, � partir de leader words, se traduit par un effet de rime qui contribue tant�t au choix de l'affixe tant�t � son renforcement par une homophonie du segment qui pr�c�de. Mettre en �vidence le r�le des leader words revient � souligner le poids de l'histoire, mais la vision diachronique n'est pas la seule � devoir en tenir compte. La trace de l'histoire est pr�sente dans le lexique existant � un moment donn�, donc dans la synchronie actuelle, qui fa�onne la cr�ativit� lexicale et ses modalit�s morphophonologiques.
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les dictionnaires informatis�s ouvrent un acc�s nouveau � la connaissance du lexique. Si l'apport de ces outils documentaires � la s�mantique a �t� plus sp�cialement soulign� (Martin, 2001), on aimerait ici en indiquer une autre exploitation possible, orient�e vers une description diachronique du lexique. La premi�re approche se focalise sur la rubrique � D�finition � du dictionnaire ; celle que l'on propose s'appuie sur la date de publication du dictionnaire et sur la rubrique � �tymologie �, quand elle existe. Id�alement, les informations contenues dans cette rubrique devraient permettre de constituer des ensembles lexicaux en fonction de la date de premi�re attestation, de la langue d'origine, de l'�tymon, des morph�mes d�rivationnels. Dans la r�alit� actuelle, les dictionnaires informatis�s n'offrent pas toujours la possibilit� m�me d'une requ�te �tymologique, parce qu'ils n'ont pas n�cessairement jug� utile de fournir des informations de cette nature. Quand ils l'offrent, ils sont loin d'ouvrir les diff�rents acc�s que constitue chaque caract�ristique �tymologique. Le Tr�sor de la langue fran�aise informatis� (TLFi), le Nouveau petit Robert �lectronique (PRE) et le Nouveau Littr� �lectronique (NLE) esquissent pourtant les premiers lin�aments de ce type d'investigation. Les r�sultats de chacun � une m�me requ�te �tymologique r�v�lent des disparit�s. Sans doute la qualit� du balisage, et parfois de l'enqu�te �tymologique, peut-elle �tre mise en cause, mais plus souvent ces disparit�s r�v�lent des d�cisions lexicographiques diff�rentes, c'est-�-dire des questions linguistiques non r�solues. On indiquera dans un premier temps les limites actuelles des recherches par crit�re �tymologique dans les dictionnaires informatis�s. � travers deux �tudes de cas : la recherche par langue d'origine et la recherche par date, on montrera cependant comment le TLFi, le PRE et le NLE peuvent d'ores et d�j� constituer non seulement un instrument, mais aussi un aiguillon pour l'histoire du lexique.
+Le succ�s d'une recherche �tymologique dans un dictionnaire informatis� d�pend � la fois des informations contenues dans le texte des articles et du balisage que les informaticiens-linguistes y ont op�r�. La premi�re limite de cette recherche r�side dans la pr�sence m�me de l'information �tymologique : de ce point de vue, lexicographie ancienne et lexicographie moderne ne pr�sentent pas les m�mes normes. La seconde, qui ne concerne que les dictionnaires modernes, se trouve dans les choix de balisage et leur degr� de pr�cision.
+Le souci �tymologique n'est apparu que progressivement chez les lexicographes. Les � Dictionnaires d'autrefois �, pour reprendre la d�nomination choisie par les concepteurs d'une pr�cieuse base de donn�es lexicographiques, ne comportent pas de rubrique � �tymologie �. Leur forme informatis�e, aussi minutieuse soit-elle (Wionet, Tutin, 2001) ne peut donc pas directement permettre de navigation par ce type de crit�re. Deux biais toutefois rendent possibles leur exploitation dans une perspective d'histoire du lexique : l'exploitation des dates de publication des dictionnaires et les informations de nature �tymologique dispers�es dans le texte des articles.
+� la faveur de leur r�union dans une m�me base de donn�es, on peut comparer leur nomenclature : on saisira ainsi le moment de la lexicographisation d'un mot ou d'un sens nouveaux. Si la base Dictionnaires d'autrefois permet ce type d'enqu�te, son maillage, avec sept dictionnaires pour parcourir cinq si�cles, reste cependant un peu l�che. � cet �gard, la base informatis�e du Petit Larousse de 1905 � 2005, en cours d'�laboration au Laboratoire � Lexiques, Dictionnaires et Informatique � (Cergy-Pontoise), devrait procurer des r�sultats beaucoup plus fins, du moins pour le 20e si�cle. Valoriser, par le d�veloppement de telles bases de donn�es, un patrimoine lexicographique qui constitue � une sp�cificit� fran�aise au coeur de la galaxie Gutenberg � (Pruvost, 2000 : 10), c'est aussi donner un tremplin � la description diachronique du lexique fran�ais.
+M�me si les dictionnaires anciens ne consacrent pas syst�matiquement une rubrique sp�cifique � l'�tymologie, certains, comme par exemple le Dictionnaire critique de la langue fran�aise de l'abb� F�raud (1787 - 1788), jugent utile de signaler la langue d'origine d'un mot emprunt�. Les recherches en plein texte ouvrent d�s lors une voie d'investigation. On pourra par exemple reprendre sur de nouveaux frais l'enqu�te men�e par John Humbley, il y a une vingtaine d'ann�es, sur les anglicismes dans le Dictionnaire critique de F�raud (Humbley, 1986). La recherche en plein texte du mot : anglicisme dans la base de donn�es du Dictionnaire critique permet de rep�rer 10 mots que l'enqu�te traditionnelle n'avait pas relev�s (coalition, compassioner, d�pravit�, disgr�cieux, empi�tement, inconsistance, inofficieux, non-sens, prescriptions, spontan�ment) ; celle du mot : anglais en fournit encore 11 de plus (bambou, importation, importer, interlope, lord, paquebot, ponche, redingote, toste, toster, vote). UneDes �tude plus large sur le traitement des emprunts dans les dictionnaires d'autrefois pourra, gr�ce � leur informatisation, trouver un aboutissement rapide.
+Le TLFi offre une grande richesse dans le balisage g�n�ral des articles : les crit�res de recherche, regroup�s en 30 � Types d'objet � (par exemple : Synonymes, Domaine g�n�ral, Construction, Indicateur) sont d�termin�s par l'utilisateur, qui pourra ainsi, dans le type Domaine g�n�ral sp�cifier l'objet � vestimentaire �, ou dans le type Indicateur sp�cifier � populaire �. Toutefois, pour la rubrique � �tymologie �, un seul � Type d'objet � a �t� retenu : la Langue emprunt�e. Les autres informations, sur les dates et sources de premi�re attestation, sur l'�tymon, sur la formation du mot, n'ont pas �t� balis�es et ne sont accessibles que par une recherche en plein texte, par le � Type d'objet � Paragraphe. Sans doute la rubrique � �tymologie � ne donnait-elle pas encore pleine satisfaction aux concepteurs du TLFi : une �quipe de l'ATILF travaille actuellement � une r�vision des notices �tymologiques, dont l'aboutissement est annonc� pour 2014 (Steinfeld, Petrequin, Evrard, 2005).
+Les notices r�vis�es sont publi�es sur le web au fur et � mesure de leur r�daction : actuellement 150 notices sont consultables � l'adresse : www.atilf.fr/tlf-etym. Une interrogation commode par � classes �tymologiques � est mise en place ; trois classes ont �t� pr�vues : � le lexique h�r�ditaire �, � les transferts linguistiques �, � les formation fran�aise �, avec, pour chacune, une sous-cat�gorisation rigoureuse. L'interrogation par date n'est cependant pas pr�vue, et l'information diachronique ne reste accessible que par la recherche en plein texte.
+Le NLE a, du point de vue des requ�tes �tymologiques, suivi cet exemple de prudence. Si, avec 11 crit�res de recherche, il permet des requ�tes diversifi�es (notamment par Domaine, Usage, Code grammatical), la requ�te � �tymologie � n'informe que sur la langue d'origine. Quelque 150 langues ont �t� distingu�es, avec un luxe de finesse dans la cat�gorisation ; pour le grec par exemple, le NLE ne d�finit pas moins de 14 sous-cat�gories. Quelques cat�gorisations prometteuses ont �t�, bien qu'externes � la notion de � Langue d'origine �, ins�r�es dans la liste : les cat�gories � Nom propre � et � �tymologie populaire �. Si elles ne fournissent pas pour l'instant de r�sultats consid�rables - trois r�sultats seulement pour la requ�te � �tymologie= �tymologie populaire � -, il suffirait de compl�ter les indications port�es dans la rubrique � �tymologie � pour r�colter de meilleures moissons.
+Cette rubrique ne comporte pas, dans le NLE, d'indication sur la date de premi�re attestation. Le Littr� ne donnait pas de date de premi�re attestation, mais seulement des indications d'usage, par si�cle. Une approche diachronique est cependant possible par la requ�te � Anciennet� �, qui exploite la pr�sence de deux strates r�dactionnelles dans le NLE. Elle met en �vidence d'une part les mots qui se trouvent dans l'�dition de 1874, mais sont sortis d'usage, et d'autre part ceux qui sont pr�sents dans la nouvelle �dition, mais ne l'�taient pas dans celle de 1874. Le NLE permet par exemple de lister 11 interjections sorties d'usage, de ahi � tarare, en passant par diablezot et morguienne. Men�e � plus grande �chelle, la requ�te par � Anciennet� � met � jour deux �tats synchroniques du lexique, celui de 1874 et celui de 2004/2006, tel que Littr�, puis les r�dacteurs du NLE les ont per�us.
+Les concepteurs du PRE ont �t�, concernant les dates de premi�re attestation, moins circonspects que ceux du TLFi : ils tirent parti, d�s � pr�sent, des informations contenues dans la rubrique � �tymologie � du PRE. Ont �t� balis�es non seulement la langue emprunt�e, mais aussi la date de premi�re attestation ; une recherche par intervalle entre deux dates a �t� rendue possible, ainsi qu'une recherche en plein texte limit�e � la rubrique � �tymologie �. Ce dernier type de requ�te permet d'extraire du dictionnaire l'ensemble des mots issus du m�me �tymon. Quelques interrogations par des m�tatermes, comme sigle, sont �galement possibles. Ainsi, une requ�te par � Mots de l'�tymologie � avec le mot sigle fournit une liste des 145 articles ; en retranchant sigl� et siglaison, dont l'�tymologie mentionne sigle en tant qu'�tymon et non en tant que descripteur, on obtient la liste des 143 sigles retenus comme entr�es par le PRE.
+Les requ�tes par � Mots de l'�tymologie � se r�v�lent cependant d�cevantes � cause de l'absence de syst�maticit� dans l'emploi des m�tatermes : si un effort a �t� fait pour sigle, acronyme et mot-valise, on constatera que suffixe, pr�fixe, compos�, nom propre, attraction, ou encore m�tath�se, ne sont utilis�s que de fa�on �pisodique ; suffixe par exemple ne semble employ� que dans les �tymologies non triviales. Ainsi lira-t-on dans l'�tymologie de chauffard : � 1897 ; de chauff(eur) et suffixe p�j. -ard �, mais dans celle de chauffeur seulement : � 1680 ; de chauffer �. Une plus grande syst�maticit� dans l'emploi des m�tatermes donnerait �videmment plus de valeur aux listes constitu�es � partir de ce type de requ�te. � l'heure actuelle, c'est donc seulement sur la langue d'origine que l'on peut mener l'enqu�te � la fois dans le TLFi, le NLE et le PRE, pour proc�der � une analyse comparative des r�sultats.
+On utilisera ici la comparaison des r�sultats pour mettre en �vidence les probl�mes certes informatiques, mais aussi linguistiques, qui fragilisent la fiabilit� des requ�tes par langue emprunt�e.
+Le balisage de la langue emprunt�e pr�sente, dans les trois dictionnaires contemporains, des anomalies. Par exemple, le mot mah-jong, pourtant signal� dans le TLFi et le NLE comme � mot chinois � dans la rubrique � �tymologie � de l'article qui lui est consacr�, n'est trouv� ni dans le TLFi, par la requ�te � chinois � dans le type d'objet � Langue emprunt�e �, ni, dans le NLE, par la requ�te � �tymologie= chinois � : les listes des r�sultats doivent �tre compl�t�es par une fastidieuse recherche en plein texte. Dans le TLFi, le rep�rage de la langue-cible n'est pas toujours des plus ais�s : ainsi pour trouver les mots issus de l'ancien scandinave, il ne convient pas de saisir � ancien scandinave �, ni � norrois �, ni � ancien nordique �, mais � a. nord. �.
+Dans le PRE, le balisage des emprunts a �t� syst�matiquement revu. Toutefois, la mention de l'origine �trang�re pour les locutions calqu�es, introduit dans les listes obtenues des mots que l'on peut percevoir comme des intrus. Apparaissent par exemple dans la liste des emprunts au chinois :
+Ce n'est pas ici la r�alisation technique du balisage qu'il faut incriminer, mais son manque de finesse : en l'�tat actuel, il ne permet pas de distinguer les emprunts des calques, et renvoie aux contours donn�s � la d�finition linguistique de l'emprunt (Tournier, 1985 ; Sablayrolles, 2000 ; Jacquet-Pfau, 2003).
+Ces quelques imperfections des requ�tes par langue emprunt�e �tant prises en compte, exp�rimentons la recherche par langue emprunt�e sur un exemple : les emprunts au russe. Dans le TLFi, la requ�te par le Type d'objet � Langue emprunt�e � et l'objet : � Russe � ne fournit que 46 r�sultats. Elle doit �tre compl�t�e par une recherche en plein texte, par le Type d'objet � Paragraphe � et l'objet � Russe �. Dans le NLE, la requ�te � �tymologie=Russe � ram�ne 47 r�sultats ; elle doit de m�me �tre compl�t�e par la requ�te � Mot du texte=russe �. Dans le PRE en revanche, la requ�te �tymologique choisissant pour crit�re la langue russe ram�ne 96 r�sultats, dont quelques-uns, comme personnalit� ou perspective, surprennent. Personnalit� figure en fait dans la liste seulement parce que le PRE signale que la collocation culte de la personnalit� est une adaptation du russe ; et perspective est pr�sent � cause de l'emploi de perspective au sens de � grande avenue rectiligne �, qui est la traduction d'un mot russe. Ces mots seraient � prendre en consid�ration dans une �tude sur les calques, mais, comme les deux autres dictionnaires ne les ont pas int�gr�s, il est pr�f�rable dans cette �tude de les laisser de c�t�. Les trois dictionnaires fournissent, apr�s corrections, une liste d'environ 80 mots. Si les trois ensembles comportent une intersection, chacun pr�sente un sous-ensemble sp�cifique : comment expliquer ces diff�rences ?
+Une particularit� bien connue du TLFi tient � sa documentation d'orientation principalement litt�raire. Elle explique notamment la pr�sence des emprunts introduits au 19e si�cle par la vogue des romans russes traduits en fran�ais : pour cette p�riode, les r�dacteurs du TLFi ont, contrairement � ceux du NLE et du PRE, choisi de retenir les mots : tcherkesse attest� dans Frantext chez Alain Fournier et Romain Gary, barine (Gaston Leroux, Paul Bourget, Camus), sotnia (Leroux, Kessel) et naga�ka (Kessel, Cavanna).
+La documentation de Littr� �tait, elle aussi, � dominante litt�raire. Le NLE, comme le TLFi, et contrairement au PRE, retient kirghiz, introduit en fran�ais par la traduction d'un roman de Pouchkine. Il est le seul � mentionner byline, � �pop�e populaire russe �.
+La documentation du TLFi diff�re de celle du NLE et du PRE par sa date. Le dernier russisme enregistr� par le TLFi est samizdat (1971) ; le PRE et le NLE ont pu ajouter cinq emprunts post�rieurs : tokamak, nomenklatura, refuznik, glasnost, perestro�ka. La post�riorit� de publication n'explique cependant pas tout. Enregistr� par le PRE et le NLE, le mot goulag, par sa date de premi�re attestation, 1938, aurait sembl� susceptible de constituer une entr�e du TLFi ; il ne figure pourtant pas dans la nomenclature. C'est sans doute ici l'usage qui a guid� les r�dacteurs du TLF. Jusqu'en 1981 en effet, goulag n'est mentionn� dans Frantext qu'en citation du titre de l'ouvrage de Soljenitsyne : il n'a pas encore acquis le statut de nom commun autonome, ce qui justifie l'abstention des r�dacteurs du TLF. Dans un autre domaine, on pourrait de m�me s'�tonner que le TLFi, contrairement au PRE et au NLE, ne comporte pas d'entr�e datcha (1843), ni blini (1883) : l� encore, l'usage au moment de la publication du dictionnaire peut expliquer ces choix ; les modes immobili�res et alimentaires ont d�termin� l'enregistrement de ces emprunts dont la premi�re attestation est ancienne, mais l'entr�e dans l'usage plus r�cente.
+Le TLFi et le NLE se montrent plus accueillants � l'�gard des ethnonymes que le PRE : ils enregistrent tch�r�misse, peuple d'origine finnoise et kirghiz, peuple nomade d'Asie centrale ; le TLFi retient en outre : oss�te, peuple indo-europ�en du Caucase central, et tcherkesse, peuple du nord-ouest du Caucase. Alain Rey et Josette Rey-Debove justifient la mise � l'�cart des ethnonymes de la fa�on suivante :
+Les noms propres de personne (anthroponymes) ou de lieux (toponymes) produisent de nombreux d�riv�s, adjectifs ou noms ordinaires. Ces mots sont embarrassants pour le lexicographe dans la mesure o� les noms propres sont internationaux et donc translinguistiques. Ce n'est qu'une question d'usage, rien n'emp�che de produire des adjectifs fran�ais � partir de tous les noms allemands ou arabes d'une encyclop�die, par exemple. D'autre part la plupart de ces d�riv�s n'ont pas v�ritablement de sens linguistique : ils d�signent par leur radical et signifient seulement par leur suffixe. (Rey, Rey-Debove, 1993 : 13)+
Deux arguments sont avanc�s : premi�rement, la production des ethnonymes est virtuellement non limit�e aux lex�mes effectivement attest�s, � ce n'est qu'une question d'usage � ; deuxi�mement, ces d�riv�s n'ont pas � v�ritablement de sens � car � leur radical �, c'est-�-dire le nom propre, � d�signe �, et ne signifie pas. Ces deux arguments peuvent �tre contest�s. On peut s'�tonner de voir balay�e d'un revers de main la question de l'usage dans un dictionnaire de langue : le TLFi et le NLE ont pr�f�r� mentionner, non pas tous les ethnonymes virtuellement possibles, mais ceux dont l'emploi est attest�.
+Le second argument repose sur une conception classique du nom propre, d�velopp�e par Stuart Mill et reprise par Kripke : cette conception, selon laquelle le nom propre serait d�pourvu de sens, est aujourd'hui mise en d�bat (Siblot, 1995 ; Leroy, 2004). Le TLFi et le NLE manifestent une plus grande ouverture � ce que Paul Siblot appelle la � signifiance � des noms propres : ce choix linguistique les am�ne � inclure dans leur nomenclature non seulement les ethnonymes cit�s ci-dessus, mais aussi des mots � r�f�rent unique comme kremlin, pour lequel le TLFi donne la d�finition : � R�sidence des tsars � Moscou �, tandis que le PRE l'�carte.
+La r�flexion linguistique sur l'emprunt a souffert, dans la perspective synchronique longtemps privil�gi�e par la linguistique, d'un certain d�sint�r�t ; pour Saussure en effet, � le mot emprunt� ne compte plus comme tel, d�s qu'il est �tudi� au sein du syst�me � (Saussure, 1915 : 42). On per�oit dans la pr�sentation lexicographique des emprunts une h�sitation entre description diachronique et synchronique.
+Se voulant outil de transmission d'un patrimoine historique, les trois dictionnaires choisissent en principe une description diachronique ; pourtant, des flottements apparaissent dans la description des emprunts dont la morphologie est accessible en synchronie. Pour le TLFi, d�cembriste et planifier sont des russismes, alors que le PRE y voit des d�riv�s de d�cembre et de planifier ; inversement, pour le PRE, d�faitisme et vernalisation sont des russismes, tandis que, pour le TLFi, il s'agit de d�riv�s de d�faite et de vernal. Selon le NLE, aucun de ces mots ne serait emprunt� au russe. Tous, de fait, sont form�s sur des �tymons latins : m�me si ce sont des locuteurs russes qui ont cr�� le d�riv�, le r�dacteur a pu �tre tent� de n�gliger une �tymologie quelque peu contre-intuitive. L'int�r�t r�cent des linguistes pour la notion d'�v�nement linguistique (Guilhaumou, 2006) am�nera peut-�tre � ne pas sous-estimer l'importance de l'acte de cr�ation, et � trancher plus nettement en faveur d'une description diachronique.
+Une h�sitation de m�me nature appara�t dans la description des mots-voyageurs. Pour le TLFi, cosaque et polatouche sont des emprunts au polonais, qui les emprunte lui-m�me au russe ; le PRE signale leur origine russe, sans mentionner leur passage par le polonais. Inversement, le PRE ne mentionne pour tsarine que l'emprunt � l'allemand, tandis que le TLFi n'indique que l'origine russe. Il est �videmment un peu surprenant de voir le mot tsarine d�crit comme un emprunt � l'allemand, mais si l'on veut serrer au plus pr�s les �tapes du transfert lexical, il importe de conna�tre la langue de transmission.
+La comparaison des listes fournies par les trois dictionnaires informatis�s r�v�le donc une double instabilit�. La premi�re est inh�rente � la nature de l'outil de recherche : le dictionnaire ne donne pas un recensement exhaustif des emprunts qu'a pu faire, au cours de son histoire, le fran�ais, mais retient seulement ceux qu'il juge utiles � l'usager contemporain : de l�, par exemple, la pr�sence de datcha et blini dans le PRE et le NLE, mais pas dans le TLFi. Une seconde instabilit� est due � des incertitudes dans l'analyse linguistique : les ethnonymes ont-ils leur place dans un dictionnaire de langue ? Les mots-voyageurs doivent-ils �tre pr�sent�s comme des emprunts � la langue qui les a cr��s ou � la langue qui les a transmis ? Si le dictionnaire tranche clairement en faveur d'une lexicologie diachronique, il devra tenir indiquer les diff�rentes �tapes du parcours et articuler le balisage des langues � celui des dates de premi�re attestation.
+La contribution la plus �vidente du dictionnaire � la connaissance de l'histoire du lexique est la datation de la premi�re attestation d'une forme lexicale ou de ses changements de sens. La requ�te par date de premi�re attestation n'est actuellement possible que dans le PRE.
+Si, g�n�ralement, la rubrique � �tymologie � indique une seule date de premi�re attestation, il est deux situations o� elle en mentionne deux, voire davantage.
+Lorsque la forme graphique du mot a �volu�, le PRE donne la date de la forme stabilis�e en fran�ais moderne, et indique la date de premi�re attestation de la graphie initiale : par exemple, pour kopeck, il donne comme date de premi�re attestation : 1806, et signale : � copec ; 1607 �.
+Une autre situation de pluri-datation se pr�sente lorsqu'il y a d�calage entre la premi�re attestation du mot et son entr�e dans l'usage. Ainsi, pour aristocrate, le PRE donne : � 1550 ; r�pandu en 1778 � et, avec une autre pr�sentation, pour patriotique : � 1750 ; hapax 1532 �. Or les deux datations ont �t� balis�es : ainsi, aristocrate et patriotique seront ramen�s � la fois par une requ�te sur le 16e si�cle, et par une requ�te sur le 18e ; de m�me, kopeck appara�tra � la fois dans les listes du 17e et du 19e si�cle. D�s lors, une hi�rarchisation dans le balisage des dates semble souhaitable ; elle suppose qu'ait �t� men�e en amont une r�flexion linguistique sur ce qu'il convient de consid�rer comme l'entr�e du mot dans la langue.
+Dans une perspective d'histoire du lexique, le d�veloppement de la notion d'�v�nement linguistique, avec la dimension sociale et institutionnelle qu'il comporte, semble devoir conduire � privil�gier la date o� le mot est � r�pandu � dans l'usage, donc � pr�f�rer pour aristocrate et patriote la seconde date. En revanche kopeck peut tr�s bien avoir �t� r�pandu dans l'usage avec une graphie variable, et la premi�re datation peut sembler plus pertinente. La r�ponse du lexicographe � la question de la datation requiert � la fois une r�flexion th�orique sur la constitution de la norme lexicale, et un travail d'analyse de discours sur l'archive.
+Dans l'�tat actuel de son �laboration, le PRE fournit d�s � pr�sent un outil utile � l'historien du lexique, et permet de mener des investigations d'une amplitude qu'il lui aurait �t� difficile d'atteindre sans le secours du dictionnaire informatis�. Pour en donner une illustration, proc�dons � une recherche compar�e des emprunts du fran�ais au n�erlandais et � l'allemand du 16e au 20e si�cle.
+Une interrogation par p�riode de 50 ans permet d'�valuer rapidement l'�volution de ces emprunts. Le travail le plus long r�side dans la correction des r�ponses contestables, n�cessaire � cause des h�sitations que nous avons not�es plus haut :
+enregistrement des calques, comme surhomme (1892), pour traduire �bermensch,+
enregistrement de la langue d'origine alors que ce n'est pas la langue par laquelle le mot est entr� en fran�ais : par exemple, commodore appara�t dans les r�sultats de la requ�te des mots issus du n�erlandais au 18e si�cle, alors qu'il s'agit d'un emprunt certes du 18e si�cle, mais � l'anglais (qui l'avait emprunt� au n�erlandais) ;+
double enregistrement des mots dont la graphie a �volu�, comme asticoter, qui figure � la fois dans les r�sultats du 18e et du 17e si�cle, parce que la rubrique �tymologie signale la graphie dasticoter, attest�e d�s 1642 ;+
double enregistrement des mots dont la date de premi�re attestation est d�cal�e par rapport � la date d'entr�e dans l'usage, comme L.S.D., sigle form� en allemand � partir du mot Lysergs�uredi�thylamid, attest� d�s 1948, mais r�pandu seulement en 1966.+
Apr�s ces corrections, on obtient les r�sultats suivants :
+ +Tableau 1
+La grande �poque des emprunts au n�erlandais correspond au � si�cle d'or � des Pays-Bas. En 1681, l'Acte de La Haye proclame l'ind�pendance des Provinces unies, qui se lib�rent du joug espagnol. Les Hollandais d�veloppent leur puissance maritime et disputent, souvent avec succ�s, aux Espagnols et aux Portugais leurs possessions coloniales. Le pays est prosp�re et ouvert aux r�fugi�s politiques ou religieux.
+Les emprunts � l'allemand se situent, pendant la p�riode du 16e au 18e si�cle, � un niveau comparable � ceux du n�erlandais. C'est � partir du d�but du 19e si�cle qu'ils franchissent un seuil quantitatif. Du 19e si�cle jusqu'au d�but du 20e si�cle, au moment du plus grand rayonnement scientifique et philosophique de l'Allemagne, les emprunts � l'allemand restent � un niveau �lev�, et amorcent leur d�clin dans le premi�re moiti� du 20e si�cle.
+Les listes obtenues permettent de pr�ciser la nature des emprunts. Sur la p�riode 16e-18e si�cle, emprunts au n�erlandais et emprunts � l'allemand s'opposent nettement par leur domaine : alors que les premiers sont li�s � la puissance maritime des Provinces unies, les seconds ressortissent du vocabulaire de la mine.
+Les emprunts au n�erlandais manifestent en effet de deux mani�res le rayonnement des Provinces unies sur les mers :
+d'une part, ils rel�vent du vocabulaire sp�cialis� de la mer : d�s le 16e, on importe des noms de poisson (fl�tan, �glefin) ; puis au 17e si�cle, ce sont plut�t des mots qui nomment les parties du bateau (foc, rouf),+
le n�erlandais, d'autre part, sert d'interm�diaire entre le fran�ais et les mots venus des comptoirs : comme th�, venu du chinois (ou du malais), et palissandre venu d'un cr�ole de Guyane. De la m�me mani�re, il sert d'interm�diaire pour diffuser les d�nominations portugaises de relias lointaines, comme dans le cas de sargasse, ou de pamplemousse.+
� la m�me �poque, c'est pour nommer les ressources de la terre que le fran�ais recourt � l'allemand, avec cobalt, gangue au 16e, castine, zinc, bismuth au 17e, quartz, blende, hornblende, pechblende, spath, feldspath, mispickel, gneiss au 18e. L'exploitation des ressources mini�res des montagnes hercyniennes, de part et d'autre de la for�t noire, s'est inspir�e du mod�le allemand.
+Comme le n�erlandais, l'allemand peut �tre une langue de transmission. Le facteur historique d�terminant n'est pas alors la puissance maritime, mais la guerre : les transferts lexicaux sont pass�s par les mercenaires allemands, qui servent sous le commandement fran�ais depuis le 15e si�cle, auxquels ce sont ajout�s, apr�s leur d�faite � Marignan, les Suisses. Sont ainsi emprunt�s � l'allemand : obus (du tch�que haufnice), sabre et hussard (du hongrois szablya et huszar, � le vingti�me �, parce qu'en 1458 le gouvernement hongrois ordonna la lev�e d'un homme sur huit pour former une cavalerie), uhlan (du polonais oglan).
+Matelots et soldats, mais aussi main d'oeuvre en qu�te de travail, ont au fil des si�cles laiss� des traces dans la langue populaire. Les apports du n�erlandais sont quantitativement modestes, mais r�guliers :
+au 16e si�cle : ripaille, dr�le,+
au 17e, gribouiller, gredin, micmac,+
au 18 e, cambuse, bastringue,+
au 19 e, gribiche (� m�g�re �), vaser (� pleuvoir �),+
au 20e, margaille (� bagarre, d�sordre �).+
Ceux de l'allemand, plus nombreux, t�moignent d'une circulation linguistique constante, particuli�rement riche au 19e si�cle, lorsque, de part et d'autre du Rhin, la R�volution industrielle jette sur les routes des ouvriers itin�rants � la recherche d'embauche. On rel�ve :
+au 16e si�cle : chenapan, brinde (devenu bringue au 19e si�cle)+
au 17e, glass (� verre d'une boisson alcoolis�e �), nouille,+
au 18e, asticoter, drille, loustic, schnaps,+
au 19e, chnouf (� drogue �), turne (� chambre �), estourbir, schlague (� coup �), nase, chlinguer, arp�te (� jeune couturi�re apprentie �), flingue, clamser, schproum (� dispute violente �), mouise.+
Dans un contexte historique d'affrontement, le 20e si�cle multiplie les emprunts servant de d�nominations famili�res et p�joratives des Allemands, avec fritz, fridolin, fris� ; de l'argot des camps restent Kapo, Stalag, Oflag.
+� partir de la fin du 18e si�cle, un nouveau type d'emprunt appara�t : les emprunts form�s par les savants allemands sur des bases latines ou grecques. Des domaines scientifiques tr�s vari�s sont concern�s ; on en donnera ici seulement quelques illustrations, choisies parmi les emprunts du 19e si�cle :
+la chimie : benzine, �mulsine, barbiturique,+
la m�decine : leuc�mie, embolie, hom�opathie,+
la philosophie : no�me, d�terminisme, pragmatisme,+
et, bien s�r, la linguistique : morphologie (cr�� par Goethe d'abord pour la botanique), ortho�pie, stylistique, syntactique, s�masiologie.+
Certes, du point de vue de la morphologie lexicale, ces mots ne pr�sentent pas de caract�re germanique (Jacquet-Pfau, Moreaux, 1998), mais, du point de vue de l'histoire de la langue, l'interrogation par le dictionnaire informatis� met en �vidence un moment de forte influence du discours savant allemand sur le lexique fran�ais.
+ +Les dictionnaires informatis�s facilitent, et donc favorisent une approche historique du lexique fran�ais. Adoss�s � une riche documentation �tymologique, ils sont susceptibles de donner � voir sa structuration diachronique. Certes, les balisages actuels, encore timides ou imparfaits, pourront �tre am�lior�s ; plus fondamentalement, la repr�sentation de la structure diachronique dessin�e par les dictionnaires ne co�ncide pas exactement avec sa r�alit� historique : les dictionnaires ne retiennent dans leur nomenclature que les mots qu'ils jugent pertinents dans le discours contemporains, et, du fait de cette s�lection, renvoient de l'histoire du lexique une image d�form�e. Mais cette image elle-m�me, variable d'un dictionnaire � l'autre, �volutive, constitue la trace m�morielle active du pass� linguistique (Paveau, 2006) et fait elle-m�me partie de la description du fran�ais. Aux diachroniciens de comparer les images successives donn�es par les dictionnaires, et de confronter ces repr�sentations � l'histoire du lexique telle qu'ils peuvent la reconstituer, notamment gr�ce � l'informatisation des dictionnaires anciens. Forte d'une tradition lexicographique exceptionnelle (Pruvost, 2000 : 9 - 11), la linguistique fran�aise a aujourd'hui, avec les dictionnaires informatis�s, l'opportunit� de d�velopper un secteur des sciences du langage longtemps rel�gu� au second plan par le primat d'un structuralisme synchroniste.
+ + + +exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� + par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Mes recherches sur les noms propres m'ont amen� � lire des travaux de philosophie analytique, d'anthropologie, de psychologie ou encore de critique litt�raire. Le nom propre int�resse ces disciplines � divers degr�s et il est �vident qu'il n'est pas n�cessairement observ� sous un angle identique. Le probl�me principal qui se pose demeure toutefois la question de son sens. Si l'on estime assez fr�quemment en logique qu'il n'a aucun sens, il devient extr�mement riche de sens pour de nombreux ethnologues. On pourrait penser qu'il ne s'agit que d'un effet de prisme li� au fait que ces deux disciplines ne consid�rent pas le nom propre sous le m�me angle, mais ce paradoxe se retrouve au sein m�me des sciences. La linguistique en donne la preuve car, entre la position de Br�ndal qui adopte un point de vue millien - c'est-�-dire li� au vide de sens - et celle de Br�al, pour qui le nom propre a plus de sens que le nom commun, il existe un foss� incommensurable. Pourtant, les principaux arguments avanc�s par les uns et par les autres, sont le plus souvent recevables. Il est certain qu'une personne qui se nomme Paul Petit n'est pas fatalement petit, mais il est �galement paradoxal d'affirmer que Berlusconi n'a aucun sens alors que berlusconien ou l'antonomase le nouveau Berlusconi en ont.
+Ces pol�miques r�currentes cachent deux types de probl�mes terminologiques : tout d'abord, on range sous le nom de sens trois �l�ments bien diff�rents : l'�tymologie (ou la motivation dans la perspective synchronique), la signification et le sens. On note ensuite une prolif�ration de termes dans ce d�bat : sens, signification, r�f�rence, d�signation, contenu, contenu informatif, d�notation, connotations, intension, extension, etc. Les termes sont nombreux, il leur arrive de se chevaucher ou de s'opposer, mais il est finalement difficile de trouver un terrain d'entente � leur sujet.
+Il ne s'agit pas pour moi d'affirmer avec l'�cole viennoise de terminologie qu'il est indispensable de normaliser l'�criture scientifique. Il me semble par contre �vident que de nombreux probl�mes d'interpr�tation proviennent de cette confusion : la polys�mie des termes sens et signification existe, et s'il n'est pas question de les supprimer, il faut toutefois en prendre conscience. Nous verrons dans un deuxi�me temps ce qu'implique la notion de sens dans diff�rentes disciplines, puis nous tenterons de prouver qu'une distinction nette entre �tymologie, signification et sens permet une clarification n�cessaire.
+Ogden et Richards recensent dans The Meaning of Meaning vingt-trois significations de signification (Touratier, 2000 : 10) et cette liste n'est pas exhaustive. Parmi toutes les d�finitions publi�es, on note des �l�ments qui s'opposent les uns les autres et qui peuvent aussi �tre tr�s �loign�s des pr�occupations linguistiques : si d'apr�s Wittgenstein, la signification d'un mot est son usage dans le langage, pour Schlick, la signification d'un signe est �quivalente � la m�thode de sa v�rification et pour Frege, elle rel�ve du mode de donation de l'objet. En linguistique, les d�finitions sont elles aussi vari�es : au sein d'une m�me ligne de pens�e, Baldinger (1984 : 72) estime que sa vision de la signification (� S�m�me (objet mental) li� � un signifiant �) est diff�rente de celle d'Ullman (� Relation entre un concept et une forme �). Bref, il est difficile de trouver un terrain d'entente sur cette question de la signification et une recherche sur la d�finition de sens donnerait probablement des r�sultats similaires.
+La relation entre ces deux termes est �galement probl�matique car, si pour Lerat (1983 : 5), sens et signification sont synonymes, ils sont bien distincts chez Hag�ge (1985 : 293). Toutefois, lorsqu'ils sont distincts, ils peuvent correspondre � des concepts diff�rents : le sens de Robert Martin correspond � la signification de Hag�ge et sa signification au sens de l'auteur de L'homme de paroles. J'opterai pour cette derni�re d�finition car elle demeure la plus traditionnelle dans le paysage fran�ais. En effet, on trouve la d�termination du sens comme � signification d'un discours � dans les dictionnaires de Fureti�re et de Tr�voux puis dans l'Encyclop�die sous les plumes de Diderot, Du Marsais et Beauz�e (qui poursuivra dans cette voie pour L'Encyclop�die m�thodique). Cette distinction entre signification et sens ressemble en partie � celle �tablie par Arnauld et Nicole entre signification propre et id�es accessoires car la signification est g�n�ralement d�sign�e comme une forme stable, ind�pendante des contextes, alors que le sens varie selon ces m�mes contextes.
+Pour illustrer les difficult�s terminologiques rencontr�es, on notera que les id�es accessoires des Messieurs de Port-Royal sont d�sormais appel�es des connotations et que la question de la polys�mie est �vidente avec ce dernier terme : entre un philosophe - Mill - qui affirme que les noms propres n'ont pas de connotations et un linguiste - Jespersen - qui estime que les noms propres ont �norm�ment de connotations, on a non seulement un hiatus, mais aussi un �norme probl�me terminologique : Mill et Jespersen ne parlent tout simplement pas la m�me langue. L'opposition qu'�tablit Mill entre d�notation et connotation est identique � l'opposition classique entre extension et intension. La connotation est alors la somme des traits essentiels pour d�finir un terme. Les connotations de Jespersen sont au contraire des traits accidentels, de la valeur ajout�e. � cette diff�rence s'ajoutent bien d'autres d�finitions des connotations, de Hjelmslev � Martinet, mais nous n'aurons pas le temps de nous y attarder..
+Un autre facteur est � prendre en compte : celui de la traduction des travaux par diff�rents professionnels. Parfois, un m�me terme allemand ou anglais est traduit par sens chez un premier traducteur, par signification ou un autre terme chez un second, mais cette question ne se limite pas au passage d'une langue � l'autre comme nous venons de le voir avec les termes sens, signification et connotations. La polys�mie et la pr�sence d'acceptions idiosyncrasiques (quelquefois li�es � la nature particuli�re du travail universitaire) sont des probl�mes suffisamment cons�quents pour passer rapidement sur cette dimension traductionnelle.
+Une fois ces probl�mes de d�nomination pos�s, le probl�me du sens (et de la signification) n'est certainement pas r�gl�. Sens est un terme employ� dans toutes les disciplines, mais rien ne prouve que ce soit un concept commun � ces disciplines, que lorsqu'en linguistique on tente de circonscrire le sens de telle ou telle lexie, on adopte le m�me point de vue qu'en logique ou en psychologie. Ce que nous avons vu avec les diff�rents sens de signification tendrait plut�t � d�montrer le contraire. Nous allons donc observer quelques d�finitions du sens des noms propres dans plusieurs disciplines pour faire ressortir leurs sp�cificit�s.
+La majorit� des ethnologues affirme que les noms sont porteurs de sens. Dans de nombreuses soci�t�s, le nom propre est, au m�me titre que le corps, une partie de la personne ; il est donc courant de changer de nom selon les �tapes de sa vie (pubert�, mariage, naissance d'un enfant, mort d'un parent), pour que chaque nom soit en accord avec la personnalit� de celui qui le porte. Comme le relate Eliade (1959 : 73 - 74), la modification du nom � la suite d'une c�r�monie d'initiation est une coutume archa�que universellement r�pandue (Terre de Feu, Australie, etc.). L'�tymologie du nom est �galement essentielle. Ainsi, celui qui porte le nom de l'ours poss�de la force de l'ours ou entre dans une relation particuli�re avec cet animal.
+Le sens dont nous parlent les ethnologues rel�ve de ce qu'on pourrait nommer un � sens magique � et qui n'est pas recevable d'un point de vue scientifique. Ce sens magique est d�crit dans d'autres disciplines, en histoire ou en psychologie, car il semble, aux yeux du commun des mortels, presque � naturel �. Encore aujourd'hui, il suffit de fr�quenter les boutiques de souvenirs pour trouver des bols ou des porte-clefs expliquant que toutes les Jennifer ont telle ou telle qualit�.
+En plus de sa th�orie du nom propre classificateur, L�vi-Strauss (1962 : 245 - 246) a �crit que l'�tymologie du pr�nom pouvait avoir une influence psychologique : chaque pr�nom poss�de, consciemment ou inconsciemment, une connotation culturelle qui impr�gne l'image que les autres se font du porteur, et qui, par des cheminements subtils, peut contribuer � modeler sa personnalit� de mani�re positive ou n�gative. D'autres �tudes prouvent que cette influence concerne la personne mais aussi son entourage. Par exemple, Garwood (1976 : 484) a expos� que les enseignants avaient des a priori distincts selon le pr�nom des enfants : ceux qui poss�dent les pr�noms dont les connotations sont jug�es comme satisfaisantes obtiennent de meilleures notes.
+Qu'il soit r�el ou non, ce � sens psychologique � semble inabordable pour le linguiste et les outils et m�thodes dont il dispose.
+Le point de vue de Bourdieu n'est pas psychologique mais sa conclusion est d'une certaine mani�re proche de celle de L�vi-Strauss car, en recevant un nom, on h�rite �galement d'un programme impos� par la soci�t� (et qui peut/doit avoir une influence psychologique) :
+L'institution d'une identit�, qui peut-�tre un titre de noblesse ou un stigmate (� tu n'es qu'un... �), est l'imposition d'un nom, c'est-�-dire d'une essence sociale. Instituer, assigner une essence, une comp�tence, c'est imposer un droit d'�tre qui est un devoir �tre (ou d'�tre). C'est signifier � quelqu'un ce qu'il est et lui signifier qu'il a � se conduire en cons�quence. (1982 : 125 - 126).+
Ce r�le social de l'anthroponyme se retrouve dans les cas de changements de patronyme. Ajouter � son nom de famille une particule ou un patronyme noble (d'Estaing par exemple) a une vis�e �vidente. Petit (1994 : 104) cite �galement le cas des personnages c�l�bres disparus sans descendance m�le et dont le nom sera ajout� au patronyme initial en raison de leur rayonnement : Raiga-Clemenceau, Salles-Eiffel, Nussy-Saint-Sa�ns, etc.
+Le � sens sociologique � que pr�sente Bourdieu pose exactement le m�me probl�me que le � sens psychologique � : il est en quelque sorte un sens prospectif. Le second point soulev� par les sociologues est plus commod�ment utilisable en linguistique puisqu'il touche directement des formes linguistiques : le morph�me de employ� dans un patronyme marque une origine noble ; il est alors ais� pour la fiction de classifier un personnage comme faisant partie d'une certaine couche de la soci�t�.
+Un nouveau probl�me terminologique se pose en abordant les rivages de la logique : si Mill employait des noms propres grammaticaux pour ses exemples, les noms propres de Frege et de Russell sont tr�s diff�rents de la d�finition classique. Ainsi, pour Frege, la capitale de l'empire allemand ou Ce qui augment� de 2 donne 4 sont des noms propres puisqu'ils d�signent un objet singulier. La d�finition de Russell est d'un autre ordre : les noms propres logiques se limitent � ceci et cela, les seuls termes qui soient des symboles simples et irr�ductibles � l'analyse. Je limiterai in�vitablement cette �tude aux noms propres qui seront reconnus comme tels en linguistique.
+Bien qu'il ne soit pas le premier � se pencher sur la question, on juge g�n�ralement que le d�bat logique sur les noms propres d�bute au xixe si�cle avec le Syst�me de logique de Mill. Sa th�se est c�l�bre : les noms propres n'ont pas de signification car ils n'ont aucune connotation, ils sont semblables � une marque de craie sur un mur. M�me lorsque l'�tymologie est visible, elle ne peut �tre prise en compte : il n'est donc pas essentiel que la ville de Dartmouth soit situ�e � l'embouchure de la Dart. Certes, les liens magiques entre le nom et le porteur sont coup�s, mais refuser toute forme de sens et, dans la comparaison avec la marque de craie, leur retirer implicitement tout statut linguistique, est une position trop tranch�e : Mill jette tout simplement le b�b� avec l'eau du bain. Il reconna�t dans un autre passage que les noms propres ont au moins une fonction d'�tiquette, mais en clamant haut et fort ce manque de sens, il se limite � une conception logique de la signification qui fera flor�s en philosophie analytique et encore plus en linguistique. G. Guillaume a ainsi d�crit le nom propre en tant qu'as�mant�me et a �t� depuis repris par divers linguistes, pas n�cessairement guillaumiens. On peut �galement lire dans le Bon usage (1993 : 108) que les � mots ayant une signification deviennent des noms propres lorsqu'on les emploie pour d�signer, en faisant abstraction de leur signification �, ce qui pourrait laisser penser que la distinction entre le nom propre et les autres cat�gories serait uniquement s�mantique et que tout mot sans signification deviendrait par cons�quent un nom propre. M. Noailly (1987 : 71) va, entre autres, ajouter que le nom propre se compose uniquement d'un signifiant et n'a aucun signifi�, une option inacceptable d'un point de vue saussurien puisqu'il n'y a pas de signe sans ses deux faces et donc pas de signifiant puisqu'il n'existe que par son union avec le signifi�.
+La cons�quence imm�diate de ce manque suppos� de signification, c'est in�vitablement l'�viction du syst�me de la langue. Cette id�e appara�t au xviiie si�cle avec Harris et se perp�tue aujourd'hui chez McCawley (1968) ou Moeschler & Reboul qui ajoutent que les noms propres � ne rel�vent pas, � proprement parler, de la linguistique � (1994 : 166 - 167). Mais, alors, de quelle discipline rel�vent-ils ? Une fois cette sentence assen�e, il serait int�ressant de les voir traiter linguistiquement un exemple tel que C'est Byzance ! o� le nom propre porte le poids s�mantique.
+Le manque d'exemples r�els est un reproche qui pourrait �tre adress� � la majorit� des auteurs qui estiment que le nom propre n'a aucun sens. Une autre critique pourrait �tre adress�e aux logiciens qui ma�trisent parfois mal les concepts linguistiques. Ainsi, pour montrer que les noms propres n'ont pas de signification, Katz (1977 : 12) affirme que bunny et rabbit sont synonymes et ont la m�me signification, au contraire de Mark Twain et Samuel Clemens. La synonymie de ces deux mots en anglais est toute relative, mais il est surtout impossible de dire qu'ils ont la m�me signification au regard du bilingue Collins/Robert qui donne respectivement les traductions Jeannot Lapin et lapin.
+Enfin, il est amusant d'observer les exemples choisis par les partisans du vide de sens des noms propres. � une �poque o� la guerre froide s�vissait encore, le kripk�en Yagisawa (1984 : 202) invente un nom d'espionne : il ne choisit pas un nom am�ricain, norv�gien ou malien mais russe avec Natasha Uratov. Comment expliquer ce choix si le nom propre est enti�rement vide ?
+En raison de son absolutisme, la th�se de J.S. Mill va faire na�tre par r�action d'autres conceptions philosophiques du nom propre. Ainsi, pour B. Bosanquet (1999 : 47), un mot ne peut �tre non-connotatif, ou sans intension pour reprendre le terme le plus courant, puisque le couple intension / extension est indivisible. Puisque l'�tymologie ne peut y �tre int�gr�e, il ne demeure plus qu'une forme minimale de signification (John est le nom d'un homme et pas d'une montagne ou d'une machine � vapeur [ibid. : 49]) mais suffisante pour ne pas laisser vide une des deux parties du couple intension / extension. Selon cette conception, le nom Natasha Uratov comporterait quelques traits s�mantiques li�s au fait qu'il s'agit d'une femme, probablement d'origine russe.
+Sans qu'elle apparaisse sous la forme d'une th�orie au sens strict, cette id�e se retrouvera en linguistique chez des auteurs aussi oppos�s que Frei ou Chomsky. En effet, dans les courants formalistes tel que le g�n�rativisme, il est d'usage de classer Nixon dans les noms de personnes et Amsterdam dans les noms de villes. On pourrait m�me penser que cette th�orie est souvent sous-entendue au sein d'autres : lorsque Jakobson �crit que � J�r�me signifie quelqu'un nomm� J�r�me � (1990 : 6), cela implique que J�r�me est un nom de personne (� quelqu'un �).
+Une autre option anti-millienne consiste � juger que c'est l'exp�rience qui cr�e la signification du nom propre : d'apr�s Jevons (1920 : 43), John Smith n'a pratiquement pas de signification tant que l'on ne conna�t pas le John Smith en question. Ensuite, au fil des ann�es, la signification s'accro�t jusqu'au point o� le nom propre devient, d'apr�s Joseph (1931 : 151), plus riche s�mantiquement que le nom commun. Les linguistes pr�-saussuriens ont en majorit� choisi cette voie. Ainsi, Sweet (1877 : 470) �crit que John comprend au moins deux attributs, � humain � et � masculin �, mais qu'il signifie beaucoup plus pour ceux qui connaissent ce John. La conclusion de cette th�orie, donn�e par Br�al (1924 : 182), est que les noms propres sont les plus significatifs de tous les mots, �tant les plus individuels.
+Cette id�e disparut en partie avec le structuralisme, r�apparaissant uniquement chez quelques auteurs comme Barthes ou plus r�cemment les prax�maticiens, qui pensent eux aussi que les noms propres sont sans doute plus charg�s de sens que les noms communs (Fabre, 1987 : 15). Il est toutefois difficile d'expliquer comment les noms propres dans leur int�gralit� pourraient �tre plus significatifs que les noms communs. D'un point de vue linguistique, le principal d�faut de cette th�orie est de lier presque exclusivement le sens � la connaissance du r�f�rent.
+�galement en opposition � Mill, Frege affirme que � le nom propre doit avoir un sens (dans l'usage que je fais du mot), sans quoi il serait une suite de sons vide et appel� � tort un nom. � (1994 : 147). Dans une note de bas de page de son article Sinn & Bedeutung, le logicien allemand explique que le sens d'un nom tel qu'Aristote pourrait �tre l'�l�ve de Platon et le ma�tre d'Alexandre le Grand. Dans sa version vulgaris�e, cette th�orie revient � dire qu'� chaque nom propre correspond une (ou plusieurs) description(s) d�finie(s).
+Cette vision descriptive, qui est certainement d�fendable en philosophie analytique, n'a pas rencontr� un grand �cho en linguistique, ce qui est compr�hensible puisque, entre autres d�fauts, elle est incompatible avec les usages vocatifs et d�nominatifs du nom propre (Jonasson, 1994 : 116).
+Si l'on estime que le nom propre n'est li� � aucun contenu s�mantique, une des solutions revient � insister sur le lien direct entre le nom et la personne qui le porte. Dans l'optique atomiste, les noms propres n'ont pas la moindre connotation, Russell va donc rejeter la pr�sentation de l'objet pr�n�e par Frege pour s'en tenir � une r�f�rence directe : la signification de Sarkozy est une personne particuli�re. Dans le Tractatus, Wittgenstein identifie lui aussi la signification du nom avec son r�f�rent : � Le nom signifie [bedeutet] l'objet. L'objet est sa signification � (1961 : �3.203).
+Cette vision a �t� critiqu�e en philosophie analytique par Strawson (1971 : 9), pour qui Russell a confondu la signification et la r�f�rence et en linguistique par Kleiber (1981 : 356) qui a bien not� qu'une phrase telle que � l'Everest est le Chomolungma � n'est pas tautologique, bien que les deux noms propres renvoient au m�me r�f�rent.
+On glisse vite de ce sens r�f�rentiel � ce que Schaff (1960 : 337) appelle l'hypostase linguistique, c'est-�-dire l'id�e que s'il y a un nom, il doit y avoir un �tre r�el que ce nom d�signe : de Reichenbach � Kripke en passant par Lejewski, on a affirm� que P�gase ou Sherlock Holmes ne sont pas des noms propres car ils ne renvoient � aucun r�f�rent r�el, une conclusion totalement inacceptable pour le linguiste.
+La th�orie de la r�f�rence directe est encore active en logique � la suite du succ�s de la th�orie de Kripke. En linguistique, elle est �videmment nulle et non avenue : on peut incorporer la notion de � r�f�rent reconstruit � � la mani�re de Hag�ge (1985 : 216), mais le signe est avant tout une relation entre un signifiant et un signifi�.
+Cependant, d'un point de vue linguistique, il est plus ais� de conserver une approche r�f�rentialiste tout en distinguant Everest et Chomolungma : il suffit de comparer les deux signifiants pour les discriminer. Puisque les noms propres ont une forme graphique, il est possible de conserver l'id�e d'un sens r�f�rentiel tout en distinguant les diff�rentes appellations d'un m�me r�f�rent. C'est le point de vue de Funke (1925 : 77), pour qui le nom propre n'est qu'une �tiquette, � la mani�re des cotes des livres dans une biblioth�que. La meilleure �tiquette pour un Fran�ais serait pourtant son num�ro de s�curit� sociale, mais m�me lui a des �l�ments signifiants tels que le sexe et l'�ge.
+La derni�re possibilit� de sauvegarder le vide s�mantique des noms propres est de rel�guer tout ce qui peut �tre signifiant � la pragmatique. On note cette id�e chez divers logiciens comme Peirce � la fin de sa carri�re, mais c'est principalement en linguistique qu'elle a fait fortune pour �tre aujourd'hui la th�orie dominante. Ainsi, C. Kerbrat-Orecchioni (1977 : 178 - 179) pense que si les noms propres sont informatifs, ce n'est pas gr�ce au sens, tel que l'on entend d'habitude ce mot, mais gr�ce aux connotations. On peut enfin expliquer certains ph�nom�nes de discours mais au prix du paradoxe d'un nom d�pourvu de sens mais ayant tout de m�me du sens et d'une s�paration nette entre s�mantique et pragmatique.
+Arbitraire est un autre terme g�n�ralement malmen� dans le d�bat sur les noms propres. Pendlebury (1990 : 519) affirme que si les noms propres sont rigides, c'est parce qu'ils sont arbitraires. Dans sa d�finition classique en linguistique, l'arbitraire touche toutes les cat�gories grammaticales, des cat�gories qui ne sont pourtant pas � rigides � selon la vulgate kripk�enne.
+En linguistique, Cornulier est face � un dilemme : il refuse de consid�rer que la signification de Jean soit /humain m�le/ et de M�dor /chien m�le/ mais leur comportement dans le discours t�moigne du contraire. Il va alors affirmer que � les noms propres ne sont pas tous enti�rement arbitraires, ils sont partiellement class�s ou contraints [...] � (2004 : 32). Certes, arbitraire est polys�mique, mais il est difficile de croire que mont Blanc puisse �tre moins (ou plus) arbitraire que rouge-gorge.
+Pour r�gler cette question du sens, une autre solution consiste � ajouter un nouveau terme. Celui qui revient le plus souvent, mais sous des aspects diff�rents, est celui de contenu. Ainsi, d'apr�s Ziff (1960 : 94), que le nom propre n'ait pas de sens n'implique pas l'adh�sion � la th�orie de Mill car, s'il n'a pas de sens, il n'est pas pour autant vide puisqu'il a des connotations. Toutefois, puisque les connotations changent selon les personnes, Ziff sugg�re de remplacer ce terme par la notion plus pr�cise de � contenu informatif � (information-content) (ibid. : 97), un contenu qui ne d�pend pas des croyances des personnes comme les connotations mais de la situation d'�nonciation. Si dans le corpus, le nom du chat Witchgren appara�t dans des environnements tels que � ...veut son repas �, � ...cherche de la nourriture � ou � ...a faim �, le � contenu informatif � de Witchgren nous dira qu'il s'agit d'un chat affam� (ibid. : 100).
+Choisir le terme de contenu revient principalement � mettre en lumi�re le choix d'insister sur la ligne de fracture entre nom propre et nom commun. Ainsi, pour Nicolaisen (1995 : 387), d�fenseur de la th�se de l'onomasticon, les noms propres n'ont pas de signification (meaning) comme les autres parties du discours mais un contenu (content). La notion de contenu de M.-N. Gary-Prieur est encore diff�rente, mais s'explique �galement par le caract�re ontologique particulier des noms propres : ce contenu comprend l'ensemble des propri�t�s li�es au r�f�rent du nom propre. Un adverbe ou une pr�position ne peuvent donc avoir de contenu selon cette d�finition.
+Ces exemples prouvent que la question du sens des noms propres est probl�matique et il serait sans doute possible de recenser d'autres types de sens si l'on se penchait sur d'autres parties du discours telles que les verbes ou les interjections. Comme le remarque Rey (1976 : 27), on oppose plus souvent sens (ou signification) � d�signation (ou d�notation) que sens � signification. Cette opposition nous semble pourtant plus constructive en insistant sur la notion de contexte. Jespersen (1971 : 77) est le premier � avoir not� que les milliens s'appesantissaient sur la valeur lexicale des noms propres hors contexte et que, dans cette situation, deux noms communs homonymes (jar et jar) n'�taient pas non plus d�finissables. D'apr�s la distinction signification / sens classique, la signification concernerait le signe pris hors contexte et le sens ce m�me signe consid�r� en tant qu'�l�ment d'un texte : la logique s'int�resserait donc en priorit� � la signification du nom propre, la linguistique � son sens et l'onomastique � son �tymologie en raison de sa m�thode diachronique.
+Diverses erreurs sont dues � des confusions entre ces concepts, entre signification et sens mais aussi entre �tymologie et signification. Ainsi, des logiciens tels que Stroll (1998 : 528) ou Lauener (1995 : 114) ne font pas la distinction entre les deux, ce qui pousse ce dernier � �crire que, puisqu'il y a des boulangers qui s'appellent Boucher et des bouchers qui s'appellent Boulanger, on h�sitera � admettre que les noms propres ont un sens au-del� de leur r�f�rence. Cette conclusion na�ve d�montre la n�cessit� de bien distinguer les trois notions.
+La notion d'�tymologie est essentiellement li�e � une approche diachronique telle que celle de l'onomastique. Dans un ouvrage pr�c�dent (Vaxelaire, 2005), j'ai s�par� physiquement les th�ses des onomasticiens de celles des linguistes, alors que les premiers se consid�rent pourtant comme des linguistes. Ce choix �tait uniquement fond� sur la diff�rence de nature des travaux, l'�tymologie �tant une donn�e dont le linguiste peut faire l'�conomie dans divers cas. Nous verrons toutefois dans le chapitre 3.3. qu'en linguistique synchronique, la motivation, qui est le versant synchronique de l'�tymologie, est souvent � prendre en compte.
+La distinction classique entre �tymologie savante et �tymologie populaire est li�e � ce couple �tymologie/motivation, puisque l'�tymologie populaire consiste � d�celer ou � cr�er une motivation dans un terme opaque. Ainsi, lorsque certains avancent que la Gaule avait ce nom parce que ses habitants allaient � la p�che pour se nourrir, ils transposent une homonymie dans un �tat de langue en une concordance qui serait valable diachroniquement. L'�tymologie populaire a une longue tradition, de la Bible � Brisset en passant par le Cratyle ou Isidore de S�ville, et correspond � une recherche souvent mystique de la signification originale ou supr�me. L'opacit� de certains noms pourrait �tre compar�e � un masque dont il faudrait les d�barrasser pour d�couvrir leur vrai visage.
+Si la distinction entre les deux types d'�tymologie est perceptible (l'une serait du c�t� de la science, l'autre de celui de la superstition), il ne faut pas oublier que la vulgarisation de notions scientifiques provoque r�guli�rement une perte de pr�cision. La recherche �tymologique sur les noms propres s'est d�velopp�e en raison de l'int�r�t grandissant pour la g�n�alogie, mais si l'on observe les sites Internet li�s � cette recherche, on y aper�oit une confusion entre �tymologie et signification (on lit ainsi que Vincent � signifie celui qui vainc, le vainqueur �). Cette m�prise est si r�pandue qu'elle explique en partie le rejet de l'attribution d'une signification aux noms propres dans le discours philosophique ou linguistique.
+La signification de noms propres tels que Boucher ou Paris est fortement limit�e puisque ne peuvent a priori en faire partie ni des �l�ments li�s � l'�tymologie (s'appeler Boucher n'entra�ne aucune fatalit� quant � sa profession), ni d'autres li�s aux connaissances encyclop�diques sur le r�f�rent (que j'habite ou non � Paris ne modifie pas la signification de ce nom). La position de Frei (cf. note 13) me semble la plus sage puisqu'elle permet de conserver le signifi� tout en montrant qu'il ne contient que quelques s�mes.
+L'id�e qu'un nom propre puisse contenir des s�mes a d�j� �t� critiqu�e. Ainsi, Lerat (1983 : 72) estime qu'il n'y a pas de s�me /m�ridionalit�/ dans Savignac par rapport � Savigny. Pourtant, lorsque l'on demande � quelques Fran�ais de placer Savignac sur une carte, ils choisissent invariablement le Sud-Ouest : le fait de rapprocher les toponymes en -ac de cette r�gion est culturellement partag� en France. Dans un article de Lib�ration (13/01/00), l'auteur d�crit un couple de voleuses comme des �Bonnie et Bonnie � � la petite semaine. Bonnie contient donc n�cessairement le trait /f�minin/ pour ce journaliste. Le nombre de s�mes inh�rents d'un anthroponyme est faible : /anim�/, /humain/, le genre comme le montre l'exemple de Bonnie, la langue d'origine, dans un cas particulier tel que Saint Thomas, on pourrait rajouter un trait /sacr�/, mais gu�re plus.
+Le sens des lexies d�pend de leur contexte, ce qui explique qu'un m�me nom propre peut avoir un sens riche ou pauvre selon ses emplois. D'autres traits, que l'on peut d�crire en tant que connotations ou s�mes aff�rents selon les �coles, vont en effet s'ajouter aux quelques traits inh�rents pr�c�demment cit�s.
+Plusieurs critiques insistent sur le caract�re non-linguistique de ces traits : on affirme g�n�ralement qu'ils rel�vent de l'encyclop�die et non de la langue ou, � la mani�re de Br�ndal, qu'ils sont li�s � la psychologie. Il nous semble �vident qu'ils ne sont pas du ressort de la Langue, mais ils interviennent pourtant au niveau de l'interpr�tation des textes.
+Lorsque le contexte est minime, par exemple dans les insultes comme sale Hitler, ce sont principalement les connaissances encyclop�diques qui permettent de comprendre l'�nonc�, m�me si le mot sale permet de comprendre qu'il s'agit d'une insulte. Cependant, c'est le plus souvent le contexte qui va dicter la lecture :
+Moi qui voue des cultes aux meilleurs Am�ricains, d'Edgar Poe � Robert Crumb (je vous fais gr�ce pour cette fois de tous les jazzmen imaginables), je dois sans cesse me souvenir que ces �tats, unis souvent pour le pire, ont nourri dans leur sein des g�n�raux Sheridan et Schwarzkopf, des Walt Disney, des Elvis Presley... (Nabe, Non, Monaco, �ditions du Rocher, 1998, p. 231)+
Si les connotations habituelles de Walt Disney et d'Elvis Presley sont plut�t positives, cet extrait, qui les classe dans la cat�gorie oppos�e aux � meilleurs Am�ricains �, ne laisse pas de doute sur la pr�sence d'un trait n�gatif dans ces noms. Il n'est d'ailleurs pas forc�ment n�cessaire de conna�tre le r�f�rent des noms pour comprendre ce que veut dire l'auteur. Ainsi, dans une �mission de France Inter (26/01/04), Ph. Val dresse une liste des admirateurs de Platon : Staline, Hitler, Pol Pot, l'Ayatollah Khomeiny, Franco, Mao Ts� Toung, Fidel Castro et l'Observatoire des m�dias fran�ais. La pr�sence de sept noms de dictateurs indique que l'Observatoire des m�dias contient lui aussi un s�me commun n�gatif avec ces personnages. Cette interpr�tation sera partag�e par tous les francophones, m�me - ou surtout - par ceux qui ne connaissent pas cet Observatoire, car il s'agit d'un ph�nom�ne textuel et certainement pas psychologique comme le pense Br�ndal.
+Cette approche textuelle du sens r�fute donc les th�ories logiciennes, � l'instar de celle de Kripke, sur la n�cessit� du vide de sens : ce n'est pas parce que deux personnes ont des visions diff�rentes d'une m�me personne qu'il doivent n�cessairement employer une �tiquette vide. Des philosophes ont reproch� � d'autres de traiter Walt Disney et d'Elvis Presley comme je le fais puisque ce sens est idiosyncrasique et que Nabe ne parlera pas de � la m�me personne � avec un admirateur de Presley, mais c'est justement l� que se situe la distinction entre la signification, globalement partag�e par les locuteurs d'une langue et le sens, exprim� par une personne ou un groupe.
+Il devient inutile d'affirmer que tel ou tel nom propre n'a aucun sens ou, � l'inverse, � plus de sens qu'un nom commun. Dans un programme, le nom Batofar ne d�borde pas de sens (par exemple : � Keiji Haino, Batofar, 25/05/99, 60 francs �). Le contexte laisse supposer qu'il s'agit d'une salle de spectacle, mais il est difficile d'aller plus loin (la r�f�rence plus ou moins �vidente � un bateau pourrait laisser penser qu'il s'agit d'autre chose que d'une salle). Dans cet emploi, Batofar est pratiquement une �tiquette, ce qui se per�oit au niveau syntaxique puisqu'il s'utilise sans d�terminant, contrairement � son emploi habituel (� Rien de tel qu'une soir�e au Batofar. �).
+Un autre avantage de l'approche textuelle est de pouvoir dissocier les jeux sur l'�tymologie de la pens�e magique. Lorsque le Canard Encha�n� �crit que � Le Cr�dit Lyonnais s'est pris les pieds dans le Tapie � (05/10/05), il n'est �videmment pas question de cr�er un lien entre la personne et l'objet, mais simplement de jouer sur une homophonie. La remotivation des noms est courante dans ce journal. Dans l'exemplaire du 25 avril 2007, un journaliste titrait � propos des soucis financiers du Front National : � Le "Paquebot" a �t� coul�... par la Marine ! �. Le jeu de mot r�side dans la pr�sence d'un s�me /maritime/ qui n'a initialement aucun lien avec le b�timent et le pr�nom, mais qui dans ce contexte devient incontournable par sa diss�mination dans les deux noms et le verbe.
+Si l'�tymologie n'a pas � �tre convoqu�e dans la signification d'un anthroponyme, elle peut devenir une partie int�grante de son sens dans ce type de remotivation. Un exemple de Rastier (1997 : 319) illustre parfaitement comment le d�figement a une incidence sur le fonctionnement s�mantique du nom : � la suite du d�m�nagement de la DGSE, Le Parisien a titr�, dans son �dition sp�ciale du 15/09/93, � La Piscine d�m�nage � Noisy-le-Sec � en jouant r�ciproquement sur l'�tymologie du surnom des services secrets (donn� en raison de sa proximit� avec la piscine des Tourelles) et d'un �l�ment du nom de la ville de banlieue.
+Les cas officiels de modification de nom en France ont pour la plupart le but d'obscurcir un patronyme ayant des connotations d�sagr�ables. On pense ici aux homonymies avec des noms communs (l'acteur Jean-Paul Comart dont le vrai nom �tait Connart) mais aussi des noms propres (de nombreux Hitler ont chang� de patronyme). Bien qu'ils n'aient qu'une signification minime, ces patronymes sont chang�s pour �viter des d�figements non souhait�s, donc des effets de sens.
+La d�ception engendr�e par la majorit� des th�ories du sens des noms propres provient principalement de la non prise en compte du contexte (l'observation d'exemples r�els offre pourtant de nouvelles pistes, parfois insoup�onn�es). De plus, certaines th�ories insistent uniquement sur la signification des noms propres, qui est tr�s limit�e, et d'autres ne diff�rencient pas suffisamment sens et signification et aboutissent � la conclusion que les noms propres ont plus de sens que les noms communs. Le sens d'un nom propre n'est pas son r�f�rent (m�me si des connaissances sur celui-ci peuvent faire partie du sens), pas plus que son �tymologie (elle peut, elle aussi, intervenir dans le sens de certains �nonc�s par le biais de la motivation), mais une construction li�e � diff�rents �l�ments. L'analyse des noms propres doit donc se faire au cas par cas et, d'un point de vue �pist�mologique, la conscience de cette tripartition entre �tymologie, signification et sens demeure valable pour toutes les cat�gories de mots.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+L'islam est � la fois un syst�me politique et social, et une religion monoth�iste, dont le messager est selon la religion Mahomet en Arabie au viie si�cle. Il rassemblerait aujourd'hui entre 1 et 1,8 milliard de fid�les,2 appel�s musulmans. C'est, chronologiquement parlant, le troisi�me grand courant monoth�iste de la famille des religions abrahamiques, apr�s le juda�sme et le christianisme avec lesquels il poss�de un certain nombre d'�l�ments communs, et avant le baha�sme.
+Au niveau mondial, l'islam est la seconde religion en nombre de fid�les, apr�s le christianisme et devant l'hindouisme. Il se veut une r�v�lation arabe de la religion d'Adam, de No�, J�sus et de tous les proph�tes. Ainsi il se pr�sente comme un retour � la religion d'Abraham (appel� Ibrahim par les musulmans) du point de vue de la croyance, le Coran le d�finissant comme �tant la voie d'Ibrahim (millata Ibrahim).
+Le livre sacr� de l'islam est le Coran. Le dogme islamique assure qu'il contient le recueil de la r�v�lation d'Allah, transmise oralement par son proph�te Mahomet. Selon les musulmans, cette r�v�lation se poursuivit durant 23 ann�es, par l'interm�diaire de l'archange Gabriel, par le biais de r�ves, comme dans le cas d'Abraham, et par inspiration divine. Le Coran reconna�t l'origine divine de l'ensemble des livres sacr�s des monoth�ismes, bien que les musulmans consid�rent commun�ment qu'ils sont, dans leurs �critures actuelles, le r�sultat d'une falsification : le Suhuf-i-Ibrahim (les Feuillets d'Abraham), la Tawrat (le Pentateuque ou la Torah), le Zabur de David et Salomon (identifi� au Livre des Psaumes) et l'Injil (l'�vangile).
+Outre le Coran, la majorit� des musulmans se r�f�re � des transmissions de paroles, actes et approbations de Mahomet, r�cits appel�s hadiths. Cependant, les diff�rentes branches de l'islam ne s'accordent pas sur les compilations de hadiths � retenir comme authentiques. Le Coran et les hadiths dits � recevables � sont deux des quatre sources de la loi islamique, la charia, les deux autres �tant l'unanimit� (ijma') et l'analogie (qiyas).
+L'islam se r�partit en plusieurs courants, notamment le sunnisme, qui repr�sente entre 80 et 85 % des musulmans, et le chiisme rencontr� principalement en Irak et en Iran.
+Le mot � islam � est la translitt�ration de l'arabe XXXXXX isl�m signifiant : � soumission �, � all�geance �, sous-entendant � � Dieu �. Il s'agit d'un nom d'action (en arabe XXXXX ism fi'l), d�riv� d'une radical s�mitique, s.l.m qui d�signe l'acte de se soumettre d'une mani�re volontaire, de faire all�geance.
+Le mot � islam � avec une minuscule d�signe la religion dont le proph�te est Mahomet. Le terme d'� Islam � avec une majuscule d�signe l'ensemble des peuples musulmans, la civilisation islamique dans son ensemble mais ne fait plus partie du langage courant.
+Le nom d'agent (en arabe XXXXX ism f�'il) d�riv� de cette racine est XXXXX muslim � celui qui se soumet �, � l'origine du mot fran�ais musulman. Le mot � Musulman � avec une majuscule d�signait au sein de l'ex-Yougoslavie une des communaut�s nationales et la d�signe encore dans certains des �tats qui en sont issus.
+Le mot � islamique � renvoie � l'islam en tant que religion et en tant que civilisation. L'islamisme est une doctrine politique qui vise � l'expansion de l'islam.
+L'islam comporte, selon les sources entre 0,9 et 1,4 � 1,8 milliard de croyants, soit entre 14 % et 21 % de la population mondiale en 2007. La diffusion de l'islam, hors du monde arabe, s'explique par les migrations et les conversions.
+L'islam est la seule religion dont le nom figure dans la d�signation officielle de plusieurs �tats, sous la forme de � R�publique islamique �. Toutefois, ces �tats ne sont pas les seuls o� l'imbrication du civil et du religieux est conforme � ce que veut la charia comme en Arabie saoudite.
+Il peut se produire une confusion entre Arabes et musulmans, principalement � cause de deux facteurs : l'origine arabe de l'islam et la place centrale qu'occupe la langue arabe dans cette religion. Il y a environ 300 millions d'Arabes, dont la grande majorit� est musulmane. Au final, 20 % des musulmans vivent dans le monde arabe, un cinqui�me sont situ�s en Afrique subsaharienne, et la plus grande population musulmane du monde est en Indon�sie. D'importantes communaut�s existent au Nigeria, Bangladesh, Afghanistan, Pakistan, en Iran, en Chine, en Europe, dans l'ancienne Union sovi�tique, et en Am�rique du Sud. Il y a environ sept millions de musulmans aux �tats-Unis et environ 5 millions en France selon les sources principalement issus de l'immigration auxquels il faut ajouter les conversions, dont le nombre est tr�s difficile � d�terminer d'autant qu'il y a des conversions en sens inverse et des apostats.
+ +Les cinq piliers de l'islam sont la foi en un Dieu unique (tawhid), Allah, et la reconnaissance de Mahomet comme �tant son proph�te ; l'accomplissement de la pri�re quotidienne, la salat ; la charit� envers les n�cessiteux, la zak�t ; le respect du je�ne lors du mois de ramadan ; et le hajj, le p�lerinage � La Mecque au moins une fois dans sa vie, si on en a les moyens mat�riels et physiques.
+La chahada (� d�claration de foi �), �quivalent du cr�do chr�tien, consiste en une phrase tr�s br�ve : � Je t�moigne qu'il n'y a de vraie divinit� qu'Allah et que Mahomet est Son messager. �
+Mahomet a d�fini la croyance (ou la foi) par une parole qui signifie : � La foi (Iman) est que tu croies en Dieu, en Ses anges, en Ses livres, en Ses messagers et en la r�alit� du jour dernier et que tu croies en la r�alit� de la destin�e, qu'elle soit relative au bien ou au mal �.
+Dans la jurisprudence religieuse, l'adh�rent � l'islam est nomm� mouslim (musulman) et l'adh�rant � l'iman est nomm� mou'min (croyant), sans pour autant faire de dissociation entre les deux car ces deux termes sont jug�s indissociables et compl�mentaires du point de vue religieux.
+En effet, l'imam Abou Hanifah (mort en 150H/767G) a explicit� la position musulmane concernant le rapport entre l'imam et l'islam en ces paroles : � Ils sont comme le revers et le plat de la main �, c'est-�-dire qu'ils sont ins�parables, et par cons�quent tout musulman (mouslim) est consid�r� comme croyant (mou'min) et vice-versa.
+Les juristes musulmans ont dit que sans une acceptation totale de la foi (iman) par le coeur, l'appartenance de quiconque � l'islam est invalide. De m�me, toute conversion � l'islam n'est valable que par la foi (iman) dans le coeur et additionn�e de la prononciation verbale des deux � t�moignages de foi � (Ach-Chahadah) � savoir par exemple � Je t�moigne qu'il n'y a de vraie divinit� que Dieu et je t�moigne que Mouhammad est le Proph�te de Dieu �.
+Cependant, il existe plusieurs degr�s de croyants (mou'minoun). En effet, les musulmans pratiquant parfaitement les prescriptions religieuses sont consid�r�s comme des � croyants complets � alors que les autres sont dits � croyants incomplets � ou � croyants faibles de foi �.
+Dans l'islam, la croyance et la pratique sont intimement li�es. En effet, les versets coraniques d�crivent souvent le croyant mou'min comme �tant � celui qui croit et pratique de bonnes oeuvres �. Bien �videmment, il est alors question du mou'min complet. Toutefois ce lien met en lumi�re le fait que la spiritualit� et l'action sont donc deux �l�ments fondamentaux qui participent de l'�tre du croyant. Les actes sont donc le reflet de la foi.
+Le fondement doctrinal de l'islam est que Dieu (Allah en arabe) est unique. L'unicit� de Dieu (tawhid) se d�compose en trois branches :
+L'unicit� dans l'adoration (tawhid al Oulouhiya) (Ou, la foi en la divinit� d'Allah) C'est le fait de vouer tout acte d'adoration � Allah, en toute exclusivit�.
+� Je n'ai cr�� les djinns et les hommes que pour qu'ils M'adorent �(Coran. Sourate 51, verset 56)+
L'adoration telle que la d�finit Ibn Taymiyya est :
+� Un terme qui englobe tout ce qu'Allah aime et agr�e comme oeuvre apparente ou cach�e �+
� C'est � ceux qui ne croient pas en l'au-del� que revient le mauvais qualificatif, tandis qu'� Allah Seul est le qualificatif supr�me et c'est Lui le Tout Puissant et le Sage �(Coran. Sourate 16, verset 60)+
Ces trois branches de l'unicit� sont indissociables et forment � elles trois, le Tawhid, ou le premier pilier de la foi. Les th�ologiens musulmans affirment que les versets qui donneraient en apparence des organes ou un emplacement � Allah ne doivent pas faire sujet de comparaison avec une cr�ature. Dieu est d�crit dans le Coran � plusieurs reprises. A titre d'exemple, les versets suivants :
+� Dis : "Il est Allah, Unique. Allah, Le Seul � �tre implor� pour ce que nous d�sirons. Il n'a jamais engendr�, n'a pas �t� engendr� non plus. Et nul n'est �gal � Lui". �(Coran. Sourate 112)+
� Allah! Point de divinit� � part Lui, le Vivant, Celui qui subsiste par lui-m�me "al-Qayyum". Ni somnolence ni sommeil ne Le saisissent. A lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Qui peut interc�der aupr�s de Lui sans Sa permission? Il conna�t leur pass� et leur futur. Et, de Sa science, ils n'embrassent que ce qu'Il veut. Son Tr�ne "Kursiy" d�borde les cieux et la terre, dont la garde ne Lui co�te aucune peine. Et Il est le Tr�s Haut, le Tr�s Grand. �(Coran. Sourate 2, verset 255)+
Selon un hadith, il est mentionn� que Allah a quatre-vingt-dix-neuf noms parfaits (asma'ou l-Lahou l-housna) r�v�l�s par Dieu, qui permettent au musulman qui les connaitrait par coeur et les utiliserait, d'entrer au paradis. Le Coran cite des noms/attributs comme al-'ahad (Celui Dont les perfections sont sans rapport avec les caract�ristiques des cr�atures) ou ar-rabb (Celui � Qui nous nous devons d'ob�ir), Al-Malik (Celui � Qui ce monde appartient en r�alit� et en totalit� et Celui Dont la domination est absolue et exempte de toute imperfection) qui ne sont pas cit�s dans le hadith pr�c�dant. Un autre hadith affirme qu'Allah poss�de un nom inconnu des gens du commun. Selon une version de ce hadith, ce nom est qualifi� de XXXXX "Al-Adham" qui veut dire "le plus grand" ou "le plus noble"14.
+Le Coran affirme l'existence des anges, � messagers � d'Allah, en tr�s grand nombre et remplissant diff�rentes fonctions sur Terre et dans les cieux, leur demeure. L'ange Gabriel joue un r�le d'une importance consid�rable en islam. Les anges ex�cutent ou transmettent les ordres d'Allah.
+ +Selon la doctrine musulmane, les �critures r�v�l�es sont au nombre de 104, dont les plus connues sont le Coran (qour'�n) r�v�l� � Mahomet, la Torah (tawr�t) r�v�l�e � Mo�se, les Psaumes (zabo�r) r�v�l�s � David, l'�vangile (inj�l) r�v�l� � J�sus. Selon les musulmans, le Coran est le dernier des livres r�v�l�s, car Mahomet est pour eux le dernier proph�te et, de toutes ces �critures r�v�l�es, seul le texte du Coran demeure intacte. Le texte des autres livres r�v�l�s aurait �t� falsifi�s sur Terre et pr�serv�s dans les cieux.
+Le Coran (XXXXX al qour�n, � lecture �) est le livre le plus sacr� des musulmans. C'est le premier livre connu � avoir �t� �crit en arabe, qu'il a contribu� � fixer. Il est cens� regrouper une part du message divin qui, selon la croyance musulmane, a �t� transmis � Mahomet. Les historiens retiennent le fait qu'il a �t� �crit apr�s la mort de Mahomet par Abou-Bakr et Omar vers 6331.
+Selon le r�cit religieux musulman, cette transmission de l'archange Gabriel � Mahomet aurait eu lieu de mani�re fragmentaire par voie auditive, par la voie du r�ve proph�tique ou par la voie de "l'inspiration divine", durant une p�riode de vingt-trois ans. Apr�s des d�bats houleux, le calife al-Mamum � Bagdad, vers 820 proclame le Coran, manifestation de l'attribut de Allah appel� "Kalam de Allah", par dogme, incr��, �ternel et inimitable. Le d�bat se prolongera jusqu'au ixe si�cle. Ibn Hanbal, aux prises avec une v�ritable inquisition musulmane, ayant assign� le r�le des autres �crits - hadith, sunna - d�clare finalement le Coran incr�� de la premi�re � la derni�re page. Il ne peut donc pas avoir �t� �crit, pr�c�d�, ni prolong�. Son origine n'est pas humaine. La seule �tude du texte se r�sume � l'apprendre par coeur et � en rechercher le sens transmis, et � le mettre en pratique. Il est au coeur de la pratique religieuse de chaque musulman. Pour celui-ci, le Coran est un livre saint qui n'a pas subi d'alt�ration apr�s sa r�v�lation, car Dieu a promis que ce livre durerait jusqu'� la fin des temps : le texte ainsi que sa signification sont pr�serv�s sur Terre, c'est-�-dire qu'ils existent est sont d�tenus par la majorit� selon un hadith de Mahomet, mais cela n'emp�che en rien l'existence de mauvaises interpr�tations chez ceux qui ne sont pas "vers�s dans la science".
+Le Coran est divis� en cent quatorze chapitres nomm�s sourates, de longueurs variables. Ces sourates sont elles-m�mes compos�es de versets nomm�s �y�t (pluriel de l'arabe �yah, � preuve �, � r�v�lation �).
+La plupart m�morisent au moins une partie du Coran dans sa langue originale, l'arabe. Cette partie correspond aux versets n�cessaires pour faire les pri�res quotidiennes. Ceux qui ont m�moris� le Coran en entier sont connus sous le nom de h�fiz (pluriel huff�z). Il existe plusieurs traduction du Coran de l'arabe en langues �trang�res. Certains musulmans pensent que le Coran n'existe que dans sa version originale en langue arabe et que les traductions �tant d'origine humaine sont imparfaites et faillibles et aussi en raison de caract�ristiques polys�miques proprement intraduisibles de l'arabe, et enfin parce que le contenu aurait �t� inspir� juste dans cette langue. Ils consid�rent donc les traductions comme des commentaires ou des interpr�tations de sa signification, et non comme le Coran lui-m�me. De nombreuses versions modernes pr�sentent le texte arabe sur une page et la traduction sur la page lui faisant face. Selon certains enseignants de l'universit� Al-'Azhar du Caire, penser � reproduire le Coran dans une langue autre que l'arabe est en soi un p�ch�, mais l'explication et l'explicitation du livre dans toute autre langue que l'arabe ou en arabe (afin de faire comprendre le texte original) est permis s'il est r�alis� par quelqu'un comprenant non pas les mots selon la langue mais selon les r�gles de la religion.
+Les musulmans consid�rent que l'envoi des proph�tes est une cl�mence et une gr�ce d'Allah pour ses cr�atures, car la raison � elle seule ne permet pas de conna�tre tout ce qui sauve dans l'au-del�. Leur fonction principale est donc de montrer aux gens le chemin, la voie (la charia) qui m�ne au bonheur �ternel. Et pour prouver leur v�racit�, Allah les a appuy�s par des faits hors du commun, � savoir les miracles qui constituent des d�fis implacables que personne ne peut contrecarrer ni imiter.
+Tous les proph�tes d'Allah ont fait valoir un bon comportement et une conduite exemplaire. Ils sont n�cessairement immunis�s contre la m�cr�ance, les grands p�ch�s et les petits p�ch�s refl�tant une bassesse de caract�re, ceci avant et apr�s la mission proph�tique. Le premier est Adam et le dernier est Mahomet.
+Les textes expliquent que Adam a inaugur� la fonction proph�tique, tandis que c'est par Mahomet, le dernier, qu'elle a �t� cl�tur�e. Leur nombre est tr�s grand, citons quelques-uns : Abraham (Ibr�h�m), David (D�wo�d), Isaac (Ish�q), Isma�l (Ism�'�l), Jacob (Ya'qo�b), Jean-Baptiste (Yahy�), Jethro (Chou'ayb), Job (Ayyo�b), Jonas (Yo�nous), Joseph (Yo��ouf), Loth (Lo�t), Mo�se (Mo���), No� (No�h), Salomon (Soulaym�n), Zacharie (Zakariyy�), J�sus (Issah).
+ +Selon l'islam tous les proph�tes sont musulmans et ont tous appel� les gens � entrer dans sa religion. En effet, sa signification est croire en un Dieu unique sans rien lui associer et de croire au message de Mahomet envoy� pour son �poque.
+Le chef religieux, politique et militaire arabe Mahomet (XXXX en arabe), dont le nom est parfois aussi transcrit par Mohammed, Muhammad, etc. en fran�ais est le fondateur de l'islam et de la communaut� musulmane (oumma). Il est consid�r� comme le dernier proph�te du monoth�isme par les musulmans et il n'est reconnu comme proph�te que par cette communaut�. Ils ne le consid�rent pas comme le fondateur d'une nouvelle religion, mais pensent qu'il est le dernier d'une lign�e de proph�tes de Dieu (du monoth�isme) et consid�rent que sa mission est de restaurer la foi monoth�iste originale d'Adam, Abraham et d'autres proph�tes, foi qui avait �t� corrompue par l'homme au cours du temps 19.
+Selon le Coran, pendant les 23 derni�res ann�es de sa vie, Mahomet dicte des versets, qu'il re�oit d'Allah par l'interm�diaire de l'ange Gabriel (Jibril), � des fid�les de plus en plus nombreux convaincus par ce nouveau message. Le contenu de ces r�v�lations sera compil� moins de 20 ans apr�s la mort de Mahomet en un ouvrage, le Coran, livre saint des musulmans.
+Les hadiths sont les paroles ou actes de Mahomet consid�r�s comme des exemples � suivre par la majorit� des musulmans. Les �coles de jurisprudence madhhabs consid�rent les recueils de hadiths comme des instruments importants permettant de d�terminer la sunna, la � tradition � musulmane. Le hadith �tait � l'origine une tradition orale qui rapportait les actions et coutumes de Mahomet. Cependant, � partir de la premi�re fitna, au viie si�cle, ceux qui ont re�u les hadiths ont commenc� � questionner les sources des paroles. Leur cr�dibilit� est g�n�ralement proportionnelle au cr�dit des t�moins qui les ont rapport�s. Cette cha�ne de t�moins est appel�e isnad. Il est g�n�ralement admis que c'est pendant le r�gne du calife Umar II, au viiie si�cle, qu'ont commenc� les transcriptions par �crit de grands recueils de hadiths, qui se sont stabilis�s au si�cle suivant. Ces recueils sont, encore aujourd'hui, pris comme r�f�rences dans les sujets en rapport avec le fiqh ou l'histoire de l'islam. Les authentiques sont admis par l'ensemble des musulmans sunnites.
+Une grande majorit� de sunnites consid�rent les hadiths comme des suppl�ments et des clarifications essentielles au Coran. Dans la jurisprudence islamique, le Coran contient le germe de nombreuses r�gles de comportement attendues d'un musulman. Cependant, de nombreux sujets, religieux ou profanes, ne sont pas encadr�s par des r�gles coraniques. Les musulmans croient donc qu'en examinant le mode de vie, ou sunna, de Mahomet et ses compagnons, ils pourront d�couvrir les comportements � imiter et ceux � �viter. Les penseurs musulmans trouvent utiles de savoir comment Mahomet ou ses compagnons ont expliqu� les r�v�lations, ou � quelle occasion Mahomet les a re�ues. Parfois, cela clarifiera un passage qui semblerait obscur autrement. Le contexte pouvant totalement bouleverser le sens que l'on peut donner � un verset. Les hadiths sont aussi une source historique et biographique.
+Ils sont consid�r�s comme une source d'inspiration religieuse, alors que certains musulmans consid�rent que le seul Coran est suffisant. Les chiites ont en effet plus de r�serves � leur �gard car ils montrent que Mahomet n'a pas parl� des choses qui sont fondamentales dans le courant chiite, ce qui fait qu'ils ont �labor� leurs propres ouvrages. Entre autres, ils n'�prouvent pas de g�ne � la reproduction de visages humains, comme ceux de personnalit�s cultes telles Ali et Hussein, alors que plusieurs hadiths laissent penser que cela est proscrit par Mahomet.
+Les musulmans croient qu'un certain nombre d'�v�nements surviennent apr�s la mort dont les plus importants sont :
+La majorit� des musulmans croient � la question, au supplice et � la f�licit� de la tombe. Ceci n'est pas mentionn� dans le Coran mais dans la sunna. Selon cette derni�re, apr�s la mort, toute personne sera questionn�e dans sa tombe par deux anges du nom de Mounkar et Nakir : � Qui est ton Seigneur ? Qui est ton proph�te ? Quelle est ta religion ? �. Les musulmans pieux r�pondront correctement � ces questions et auront la f�licit� dans leur tombe, tandis que les non-musulmans et certains musulmans d�sob�issants n'y r�pondront pas correctement et seront ch�ti�s.
+La pr�destination fait partie des fondements essentiels de l'islam. Elle consiste � croire que tout ce qui se produit dans ce monde - qu'il s'agisse de nos actes volontaires ou involontaires - est pr�destin� par Allah. Sa volont� se r�alise toujours selon sa sagesse �ternelle. Ainsi, toute chose - bonne ou mauvaise - qu'Allah a su qu'elle existera se r�alisera en temps voulu. Et celle dont Allah n'a pas voulu l'existence, ne se r�alisera pas. Par cons�quent, si tous les gens se mobilisent pour nous faire profiter d'un bienfait ou pour nous causer un mal qui ne nous a pas �t� prescrit, ils n'y parviendront pas.
+Allah a tout prescrit dans le � tableau pr�serv� � (al-lawhou al-mahfo�dh) comme l'apprend le Coran : � C'est Nous (Allah) qui ressuscitons les morts. Nous faisons inscrire ce qu'ils ont fait et les cons�quences de leurs oeuvres. Et Nous avons d�nombr� toute chose dans un Tableau clair.�23
+La loi islamique fournit un ensemble de r�gles prescrivant ce que les musulmans doivent manger. Ces r�gles sp�cifient ce qui est halal (hal�l), c'est-�-dire l�gal. Ces r�gles se trouvent dans le Coran, qui d�crit aussi ce qui est ill�gal ou haram (har�m). Il existe aussi d'autres r�gles venant s'ajouter � celles-ci qui ont �t� �mises dans des fatwas par des mujtahids; mais elles ne sont suivies que par leurs propres disciples et non l'ensemble des musulmans.
+La loi islamique interdit aux musulmans de consommer de l'alcool, de boire ou de manger du sang et ses produits d�riv�s, et de manger la viande d'animaux carnivores ou omnivores comme le porc, le singe, le chien ou le chat (les poissons piscivores ne sont pas consid�r�s comme carnivores). Pour que la viande d'un animal terrestre soit halal, il faut que l'animal soit abattu de mani�re ad�quate par un musulman ou par des � gens du livre � tout en mentionnant le nom de Dieu (Allah en arabe). L'animal ne doit donc pas �tre tu� en l'�bouillantant ou par �lectrocution et la carcasse doit �tre saign�e avant d'�tre consomm�e. Diff�rentes r�gles s'appliquent aux poissons. En g�n�ral, les poissons � �caille sont toujours halal, bien que certaines fatwas d�clarent les poissons d�pourvus d'�cailles (comme le poisson-chat) et les coquillages comme haram. Les r�gles d'interdiction concernant les animaux peuvent �tre contourn�es quand un musulman risque de mourir de faim et qu'aucune nourriture halal n'est disponible.
+L'abattage rituel islamique est appel� dhabiha (dhabihah) D'apr�s certaines fatwas, l'animal ne peut �tre abattu que par un musulman. Cependant, d'autres fatwas consid�rent que d'apr�s le verset 5 :5 du Coran, l'abattage peut �tre fait par des � gens du livre �. La viande kasher est consid�r�e comme halal.
+Les sunnites ne sacralisent pas d'ic�nes. Selon un hadith de Mahomet, la mal�diction de Dieu s'abat sur toute personne produisant (par le dessin, la sculpture...) un �tre dot� d'�me y compris les animaux, car cela est consid�r� par eux comme allant contre l'esprit du monoth�isme. Un certain aniconisme voire un iconoclasme plus ou moins strict existe donc dans l'islam. Ainsi, les musulmans se servent plut�t de versets du Coran calligraphi�s comme par exemple dans le palais de l'Alhambra, des formes g�om�triques (arabesques) ou de repr�sentation de la Ka'ba pour d�corer les mosqu�es, les maisons et les lieux publics.
+On associe souvent le symbole du croissant et de l'�toile � l'islam. Il s'agit � l'origine du symbole de l'Empire byzantin, repris � sa chute par l'Empire ottoman.
+Un des symboles islamiques est la couleur verte. Du temps de Mahomet, les premiers drapeaux brandis par les guerriers musulmans �taient verts. L'attrait de cette couleur est simple : les Arabes �tant un peuple du d�sert, le paradis a pour eux �t� d�crit comme verdoyant, o� des sources d'eau couleraient en abondance, o� les fid�les y porteront des habits de soie verts (Coran 18 :31). Avant l'islam, la l�gende d'al-Khadir (celui qui est vert), t�moigne de l'importance de cette couleur pour ce peuple. Enfin, Mahomet aurait d�clar� que le vert �tait sa couleur pr�f�r�e et portait souvent des habits et un turban de cette couleur. Autrefois, seuls les califes �taient autoris�s � porter un turban de cette couleur. On retrouve la symbolique du vert comme symbole du panarabisme aujourd'hui.
+Les califes (arabe XXXXX signifiant � successeur � ou � repr�sentant �) ) d�signent les successeurs de Mahomet. Le porteur du titre a pour r�le de garder l'unit� de l'islam et tout musulman lui doit ob�issance, dans le cadre de la charia : c'est le dirigeant de l'oumma, la communaut� des musulmans.
+ +Un diff�rend entre sunnites et chiites conduira le califat � se diviser en deux visions tr�s distinctes : les premiers consid�rent que le calife doit �tre �lu pour ses qualit�s morales et islamiques, et cela en d�pit de ses origines. Les seconds consid�rent que seul un successeur filial de Mahomet peut pr�tendre � ce titre. Un seul calife aurait donc de grandes difficult�s � diriger l'ensemble de l'actuelle communaut� musulmane.
+Mahomet est mort sans d�signer de successeur et sans laisser un syst�me pour en choisir un, mais plusieurs actes ont pouss� l'unanimit� des musulmans de l'�poque � conclure qu'il pr�f�rait Abu Bakr (de son vivant m�me lorsqu'il �tait malade, il lui a demand�, et � personne d'autre, de diriger la pri�re). Par cons�quent, le califat a �t� �tabli. Le calife a pour r�le de garder l'unit� de l'islam et tout musulman lui doit ob�issance : c'est le dirigeant de l'oumma, la communaut� des musulmans. Le titre khalifat rasul Allah, signifiant � successeur du messager de Dieu � est devenu le titre courant.
+Les chiites ne reconnaissent que le quatri�me calife, �tant Ali, p�re de tous les imams. Les chiites estiment que le calife suivant, Yazid Ier a �t� coupable de la mort d'Hussein, et par l� toute succession de califes aurait perdu sa l�gitimit�.
+Certains califes �taient souvent appel�s amir al-mu'minin XXXXXXXX � commandeur des croyants �. Le titre a �t� raccourci et francis� en � �mir �.
+Aucun des premiers califes n'a dit avoir re�u des r�v�lations divines, comme ce fut le cas pour Mahomet, soucieux de rester dans le droit chemin et craignant Allah. Mahomet �tant le dernier proph�te, aucun des califes n'a dit �tre un nabi, � proph�te � ou un rasul � messager divin �. Les r�v�lations faites � travers Mahomet ont rapidement �t� codifi�es et �crites dans le Coran, qui a �t� accept� comme autorit� supr�me, limitant ainsi ce que le calife pouvait diriger. Cependant, les premiers califes �taient les chefs spirituels et temporels de l'islam, et insistaient sur le fait que l'ob�dience au calife en toutes choses �tait la marque d'un bon musulman. Le r�le est devenu cependant strictement temporel avec l'ascension des oul�mas, et l'�loignement de certains califes de la pratique pure de la religion.
+Apr�s les quatre premiers califes (Abou Bakr, Omar, Uthman et Ali ibn Abi Talib), le titre a �t� revendiqu� de mani�re controvers�e par les Omeyyades, les Abbassides et les Ottomans, ainsi que par d'autres lign�es en Espagne, en Afrique du nord et en �gypte. La plupart des dirigeants musulmans portaient simplement le titre de sultan ou �mir, et pr�taient all�geance � un calife qui avait souvent peu d'autorit�. Le titre n'existe plus depuis que la r�publique de Turquie a aboli le califat ottoman en 1924.
+Alors que le califat a �t� un sujet de discorde entre dirigeants musulmans, il a �t� peu �voqu� depuis 1924. De nombreux musulmans souhaiteraient le r�tablissement du califat, mais des restrictions ainsi que l'activit� politique de nombreux pays � majorit� musulmane, combin�s aux obstacles pratiques � l'unification de plus de cinquante �tats-nations en une seule institution ont limit� les efforts pour le faire revivre.
+La charia est la loi islamique. Le Coran est la source principale de la jurisprudence islamique (fiqh). Pour les Sunnites, la sunna n'est pas un texte en soi comme le Coran, mais signifie l'ensemble des actes et paroles du proph�te. La place des hadiths fait l'unanimit� dans la loi islamique. Tous les religieux admettent de contredire leurs jugements personnels si un hadith authentique va � l'encontre de ce jugement. Deux ouvrages compilent les hadiths authentiques : le "sahis" de Bukhari et celui de Muslim, mais aussi de r�cents travaux gigantesques de l'imam AL-Albani. L'Ijma et le qiyas (raisonnement analogique) sont g�n�ralement consid�r�s comme les sources tertiaires et quaternaires de la charia, mais ceci est contest� par certains religieux selon qui seuls les hadiths et le coran sont source de loi, comme certains hanbalites.
+La loi islamique couvre tous les aspects de la vie, depuis les sujets tr�s g�n�raux de gouvernement et de relations �trang�res jusqu'aux sujets de la vie quotidienne. Les lois islamiques qui ont �t� inscrites express�ment dans le Coran sont appel�es hudud et traitent sp�cifiquement des cinq crimes de vol, attaque, intoxication, adult�re et fausse accusation d'adult�re, le meurtre �tant class� au dessus de ces cinq crimes et juste au-dessous de l'associationisme. Pour chacun de ces crimes, une punition appel�e hadd est pr�vue. Le Coran d�taille aussi les lois portant sur l'h�ritage, le mariage, les compensations pour blessures et meurtres, ainsi que des r�gles r�gissant les f�tes, la charit� et la pri�re. Cependant, ces prescriptions et ces prohibitions peuvent �tre tr�s larges, donc leur application en pratique peut varier. Les penseurs musulmans, oul�mas, ont �labor� des syst�mes de loi bas�s sur ces r�gles larges, s'appuyant aussi pour cela sur les hadiths et leurs interpr�tations.
+Quand des musulmans sont divis�s sur un sujet particulier, ils peuvent demander assistance � un mufti (juge islamique), qui peut leur donner des conseils sur la charia et les hadiths.
+Pour les musulmans le Coran a �t� r�v�l� par Allah ce qui en fait la premi�re source de l�gislation dans l'islam.
+Les hadiths, l'ensemble des dires et faits du Proph�te, est la seconde source de l�gislation. La sunna (� tradition �) a �t� rassembl�e et class�e par les savants sunnites dans plusieurs oeuvres comme Mohammed al-Bukhari.
+La troisi�me source de l�gislation est l'unanimit�, al ijmaa. Cela en se r�f�rant � une citation de Mahomet qui dit que les musulmans ne font pas l'unanimit� sur quelque chose de faux.
+La quatri�me source est l'analogie, al-qiy�s (XXXXX litt�ralement � la mesure �) qui permet de tirer le jugement d'une chose pour laquelle il n'y a pas de l�gislation � partir du jugement d'une chose analogue.
+Il est � noter que certaines de ces sources de l�gislation ont �t� mises en oeuvre apr�s la mort de Mahomet et sont consid�r�es comme illicites (haram) par d'autres groupes de l'islam organis�s en rite ou madhhab.
+Il n'y a pas de clerg� dans le sunnisme. L'imam n'est pas un pr�tre mais bien un membre de la communaut� musulmane qui conduit la pri�re : il est � celui qui se met devant pour guider la pri�re � et n'est pas forc�ment un th�ologien : en arabe, l'imam veut dire � chef � ou � guide �, et dans le sunnisme, il suffit que le chef soit musulman, sage, connaissant les piliers de l'islam et ait appris une grande partie du Coran par coeur pour �tre � la t�te d'une communaut�, d'un �tat. Le muezzin, celui qui fait l'appel � la pri�re, n'est pas un pr�tre non plus.
+L'islam reconna�t divers niveaux de comp�tences religieuses parmi ses fid�les : L'explication du Coran se nomme tafs�r. Et l'ijtih�d est la recherche de solutions nouvelles � partir des textes de r�f�rence pour r�pondre aux probl�matiques des populations musulmanes sur leurs affaires religieuses (XXXX [`ib�d�t], pratiques cultuelles, pl. de XXXX [ib�da]) ou sociales (XXXX [mu`�mal�t], � comportements �, pl. de XXXXX [mu`�mala]) dans une condition sociale, politique ou �conomique in�dite.
+Les savants ex�g�tes sont consid�r�s comme les � successeurs � des proph�tes.
+ + +Le chiisme orthodoxe de la secte usuli (clerg� des ayatollah) reconna�t, a contrario, un clerg� � plusieurs niveaux hi�rarchiques, tandis que le sunnisme rejette cette id�e d'un clerg� central jouant le r�le d'interm�diaire oblig�. Par bien des aspects, l'islam, pour sa partie sunnite, est une religion d�centralis�e .
+En Europe et dans certains pays musulmans, les gouvernements r�clament un alignement de la formation des imams sur la formation des ministres des autres religions, c'est-�-dire trois ou quatre ans d'�tude au minimum.
+L'an 1 de ce calendrier a d�but� le premier jour de l'h�gire, le 1er Mouharram (le 15 ou le 16 juillet 622 de l'�re chr�tienne, selon les auteurs th�ologiens ; la premi�re �poque est dite � astronomique �, la seconde � civile �). Ce calendrier a �t� adopt� dix ans apr�s cet �v�nement. On indique qu'une date est donn�e dans ce calendrier en ajoutant la mention (calendrier musulman), (calendrier h�girien), (�re musulmane) ou (�re de l'H�gire); ou en abr�g�, (H) ou (AH) (du latin anno Hegirae). Ce calendrier est caract�ris� par des ann�es de 12 mois lunaires qui sont plus courtes que les ann�es solaires. Une ann�e lunaire compte 11 jours de moins qu'une ann�e solaire. Chaque mois d�marre au premier croissant de Lune visible � partir de la nouvelle Lune : selon l'endroit d'o� est effectu�e l'observation, le mois peut d�marrer plus ou moins t�t.
+Les croyants se partagent en trois branches principales : le sunnisme rassemble environ 90 % des musulmans, le chiisme environ 10 %, l'ibadisme moins de 1 %.
+La relation directe de l'homme � Dieu par le Coran et la libert� religieuse va amener une multiplication des tendances religieuses. L'absence de clerg� permet l'existence de diff�rentes normes juridiques, et diff�rentes �coles religieuses. � la mort du proph�te, des diff�rences religieuses importantes et la conqu�te arabe fulgurante provoquent des rivalit�s politiques. Beaucoup de questions sur la libert� de l'homme, le p�ch�, la foi, etc. conduisent � la constitution de th�ologies musulmanes qui essayent de donner des r�ponses aux questions et aux probl�mes non d�taill�s par les textes divins, et de faire face aux d�fis de la vie humaine.
+Le sunnisme (de sunna, � tradition �) est le courant consid�r� orthodoxe, et de loin le plus r�pandu. Le sunnisme s'organise lui-m�me en diff�rentes �coles juridiques. Il y en a aujourd'hui quatre, mais il y en a eu d'autres dans le pass�. Ces �coles s'acceptent les unes les autres, organisant ainsi un relatif pluralisme en mati�re de normes juridiques mais ont une foi commune. Ce sont, dans l'ordre de leur apparition : le hanafisme (de Ab� Hanif�, 700 - 767) ; le mal�kisme (de Mal�k Ibn Anas qui v�cu entre 712 et 796) ; le chaf�isme de Al-Shafi'i 768 - 820) ; le hanbalisme de Ibn Hanbal (781 - 856). Ces quatre �coles ont donn� forme � plusieurs groupes musulmans sunnites. Les sunnites se font appeler ahlou s-sounnah par opposition aux diff�rents groupes consid�r�s �gar�s.
+ +Le chiisme est divis� en diff�rentes branches, dont les trois principales sont le chiisme duod�cimain (90 % des chiites) que l'on peut s�parer en deux grands groupes, les � orthodoxes �, tels les usuli (clerg� d'ayatollah, la plus r�pandue), akhbari, shayki, et les � h�t�rodoxes �, tels les alaouites ou � Nusayri � de Syrie, les al�vis de Turquie, les Ahl-e Haqq d'Iran et Irak, les Shabak, Kakai, Kirklar etc. ; le chiisme septimain (ou isma�lien) ; le chiisme quintimain ou zaydisme du Y�men ; et enfin les druzes de Syrie / Isra�l / et du Liban.
+Le Kharidjisme se divise � son tour en diverses communaut�s et tendances (Sufrites, Ibadites, etc). De nos jours la seule tendance kharidjite qui ne s'est pas �teinte ou marginalis�e est l'ibadisme. Il se retrouve dans le sultanat d'Oman (qui pratique un ibadisme d'�tat), et dans quelques r�gions du maghreb tr�s localis�es : en Alg�rie (chez les Berb�res de Gharda�a) et en Tunisie (�le de Djerba).
+Un quatri�me courant, qui s'est �teint au moyen-�ge, le motazilisme, est une �cole interpr�tative rationaliste, en conflit avec le sunnisme naissant, est apparu � la fin du califat Omeyyade, au milieu du viiie si�cle, et a �t� �radiqu� au xie si�cle par le sunnisme, en particulier par les Acharites (disciples de al-Ach'ari 873 - 935). Cette �cole, dont des textes ont �t� red�couverts au xixe si�cle, conna�t une petite r�surgence depuis cette date chez certains intellectuels, mais sans base populaire notable.
+Une th�ologie populaire s'est aussi d�velopp�e dans le maraboutisme, lequel pratique le culte des saints, polyth�isme expliquant le fait que ce courant soit rejet� par l'unanimit� des sunnites. En effet, ce genre de culte est passible de la peine de mort selon la charia. Le mot � marabout � vient de l'arabe mur�bit, qui d�signe un homme vivant dans un rib�t, un couvent fortifi�. Ces religieux tr�s mystiques jouent � la fois les r�les de pr�dicateur, de sorcier, d'�ducateur et de chef politique. Ils sont investis de pouvoirs surnaturels ; leur pratique du Coran, dans des civilisations o� l'�criture a �t� apport�e par l'islam, les dote en effet d'un pouvoir sacr�. Ils ont trouv� un terrain de pr�dilection en Afrique o�, d�s le xvie si�cle, les souverains convertis r�clament des marabouts aux autorit�s arabes. Vivant des dons de croyants, les marabouts form�s � l'�cole coranique enseignent l'islam classique, non sans lui ajouter des pratiques populaires et supersticieuses, voir magiques, rejoignant parfois des croyances animistes traditionnelles de l'Afrique. La r�putation de leurs pouvoirs miraculeux les apparente alors plus � des sorciers qu'� des imams. Le culte des saints qui caract�rise d�sormais le maraboutisme a �largi le sens du mot � marabout �, qui a fini par d�signer le saint vivant ou mort, le monument qui abrite sa tombe, les successeurs du saint, etc. Ils sont consid�r�s non-musulmans par l'islam orthodoxe.
+Pour compl�ter la pr�sentation de la religion musulmane, on ne peut �luder les pratiques populaires de l'islam. Souvent issues de syncr�tismes avec les religions pr�islamiques, elles sont encore tr�s pr�sentes dans les soci�t�s rurales traditionnelles, qui m�langent animisme, culte des anc�tres, et religion r�v�l�e, s'exprimant essentiellement, en ce qui concerne l'islam, � travers des � confr�ries musulmanes �. Ces mouvements ou confr�ries s'apparentent grossi�rement aux ordres religieux chr�tiens non clo�tr�s. Certains sont condamn�s par l'islam qui les trouve h�t�rodoxes et r�instauratrices des vestiges archa�ques de croyances supersticieuses. Il faut �galement mentionner l'apparition, au xxe si�cle, des musulmans r�form�s ou lib�raux qui visent � un aggiornamento g�n�ral.
+Dans un premier temps, ce terme d�signe un emplacement ou un local r�serv� � l'int�rieur d'une structure plus vaste o� les soufis (mystiques) pouvaient se retirer comme le laisse entendre le sens de la racine du mot arabe (angle ou recoin).
+Par la suite, le mot d�signe un complexe religieux comportant une mosqu�e, des salles r�serv�es � l'�tude et � la m�ditation ainsi qu'une auberge pour y recevoir les indigents. On y effectue les pratiques spirituelles et on y enterre les saints fondateurs des confr�ries soufies.
+La communaut� soufie (XXXX [r�bita]) se regroupe dans un ribat (XXXX [rib�t]) parfois fortifi�. Au Maghreb, ces communaut�s se sont d�velopp�es dans le cadre urbain sous la forme des zaou�as. Les membres de ces confr�ries se font parfois appeler marabouts (XXXX [marb�t] ou XXXX [mur�bit]).
+Le terme � soufi � appara�t pour la premi�re fois dans la seconde moiti� du viiie si�cle de l'h�gire pour d�signer des asc�tes.
+Les soufis sont des mystiques musulmans qui prient, je�nent, portent des v�tements rugueux (l'arabe s�f, signifie � bure �, � laine �, car les premiers asc�tes musulmans furent ainsi d�sign�s � cause des v�tements de laine qu'il portaient ; (ils peuvent porter le muruga, manteau fait de morceaux rapi�c�s symbolisant le fagr, c'est-�-dire l'illusion du monde).
+Le soufisme peut �tre consid�r� comme une doctrine �sot�rique de l'islam et un mouvement mystique et asc�tique ayant influenc� les dissidences chiites. Elle connait son d�veloppement maximum � Bagdad entre 750 et 950. Le soufisme est donc une forme mystique de l'islam, suivi par certains musulmans (ceux qui sont alors appel�es soufistes). Les soufis consid�rent g�n�ralement que suivre la loi ou la jurisprudence islamique (fiqh) n'est que le premier pas sur le chemin de la soumission parfaite. Ils se concentrent sur des aspects internes ou plus spirituels de l'islam, comme la perfectibilit� de la foi ou la soumission de l'�go (nafs). La plupart des ordres soufis, ou tariqas, se rapprochent soit du sunnisme, soit du chiisme. On les trouve dans tout le monde islamique, du S�n�gal jusqu'� l'Indon�sie. Leurs croyances font l'objet de critiques, souvent formul�es par les salafistes voire par le reste des sunnites, qui consid�rent que certaines de leurs pratiques sont contre la lettre de la loi islamique.
+En Afrique noire, il existe deux grandes confr�ries, la al-q�diriyya, fond�e en 1166, surtout active du Moyen-Orient � l'Inde, et la al-tidj�niyya, fond�e au Maghreb � la fin du xviiie si�cle par Ahmed Tiij�n� (mort en 1815) et r�pandue en Afrique subsaharienne. Ces deux tar�qa (doctrines) professent l'adh�sion sans restriction aux pr�ceptes coraniques. (pri�res, aum�ne, jeun, p�lerinage � la mecque, eviter de faire du tort � son prochain, amour...etc) le tidjanisme.
+La Madaniyya est une confr�rie sunnite reli�e au patrimoine du proph�te Mahomet par une cha�ne de transmission traversant quinze si�cles. Elle est fond�e tout au d�but du xxe si�cle par le Cheick Muhammad b. Kal�fa al-Madan� (1888/1959). Apr�s son retour de Mustagh�nim (Alg�rie) o� il a pass� trois ans en compagnie de son ma�tre Ahmad al-'Al�w�, il s'installe en Tunisie et d�bute une vie spirituelle qui allait durer 40 ans, pass�s dans la diffusion de la voie spirituelle. Il commence ses pr�ches et discours dans les campagnes et les zones rurales avant de s'attaquer aux grandes villes de la Tunisie. Selon l'�tude de S. Khlifa, il laisse entre cinq et sept milles disciples ainsi qu'une dizaine d'ouvrages �dit�s. Toute sa vie durant, il n'a cess� de former les aspirants, de purifier les �mes et d'instruire ses disciples notamment par les sciences religieuses classiques telles que le droit musulman, la th�ologie musulmane et la langue arabe. Il laisse une litt�rature abondante ax�e sur la moralit� religieuse, la spiritualit� sunnite et l'imp�ratif d'observer les pr�ceptes de l'islam. En outre son ex�g�se coranique de certaines sourates et versets (Sourate al-W�qi'a, al-F�tiha, quelques versets de sourates al-N�r), il compose un recueil de po�sie et un commentaire de rh�torique. Sa doctrine spirituelle se distingue par son insistance sur le caract�re indissociable entre la haq�qa (le savoir �sot�rique) et la sar�'a (le savoir exot�rique). Une attention particuli�re est accord�e � la morale de la conduite spirituelle et en particulier � l'�gard du proph�te, du cheikh et des autres croyants. Il en va de m�me pour la solidarit� sociale et les oeuvres de charit� qui occupent une place de choix dans son enseignement. Les r�unions quasi quotidiennes, hebdomadaires et annuelles (� l'occasion de la nativit� du proph�te) permettent d'exhorter les disciples � accomplir les devoirs religieux, de former un ordre soud� .
+ +Les Druzes (arabe : Darazi XXXX, pl. dur�z XXXX), population du proche-Orient professant une religion musulmane h�t�rodoxe (branche de l'Isma�lisme), sont �tablis dans le sud du Liban, dans le sud de la Syrie (o� ils occupent notamment la zone montagneuse du Hawran, connue sous le nom de djebel Druze) et dans le nord de l'�tat d'Isra�l, en Galil�e. Le druzisme est une doctrine philosophique bas�e sur l'initiation et la recherche du c�t� �sot�rique de la religion musulmane.
+Leur interpr�tation de l'islam est secr�te et n'est r�v�l�e aux fid�les qu'apr�s divers degr�s d'initiation, elle s'appuie sur la croyance en la m�tempsycose. En effet, certains versets du Coran sont parfois interpr�t�s comme allant dans le sens de la m�tempsycose. Par exemple au verset 28 de la deuxi�me sourate, "La Vache" (Al-Baqara), il est dit : � Comment pouvez-vous renier Dieu alors qu'il vous a donn� la vie, alors que vous en �tiez priv�, puis Il vous a fait mourir, puis Il vous a fait revivre et enfin vous retournerez � Lui �. Ils sont estim�s a environ 1 million d'individus.
+La naqshbadiya, fond�e au xive si�cle, est encore bien implant�e en R�publique autonome du Daghestan et au Turkm�nistan. Fond�e par Muhammad Baha' al-dd�n Naqshband, elle concerne environ 10% des musulmans pratiquant dans ces r�gions et 300 000 personnes en ex-Union sovi�tique. La confr�rie a aussi des membres dans les r�gions telles que la Chine ou l'Afghanistan. Elle s'est illustr�e par sa r�sistance � des ann�es d'ath�isme d'�tat. Lors de l'initiation (talq�n), le disciple s'engage par serment � suivre la voie (al-tar�qa) qui le m�nera � Dieu. Un dipl�me lui est donn�. Une c�r�monie rituelle hebdomadaire, des pri�res suppl�mentaires, des veilles, des je�nes, des p�lerinages constituent la pratique. Les membres versent jusqu'� 30% de leur salaire � la communaut�.
+Fond�e au d�but du xixe si�cle, est active en Libye et dans les r�gions sahariennes.
+Fond�e � D�troit en 1931, sous le nom de Allah Temple of Islam, par Wallace D. Ward (v.1877 - 1934), l'association Nation of Islam, r�serv�e aux Noirs, repose � l'origine sur des croyances parfois �loign�es de l'islam orthodoxe, m�me si elle respecte les cinq pri�res quotidiennes et l'interdiction de consommer du porc ou de l'alcool. Aujourd'hui, cependant, le mouvement qui a pris le nom de World Community of Islam in the West (W.C.I.W.), puis celui de American Muslim Mission (A.M.M.), avant de se d�centraliser compl�tement, est entr� dans le sunnisme. En outre, la plupart des restrictions raciales ont �t� abolies.
+Mirz� Ghul�m Ahmad (v. 1839 - 1908), un musulman n� � Q�diy�n au Panj�b, fonde la communaut� religieuse organis�e, l'ahmadiyya. Il fait la paix avec les Anglais et stoppe tout autre pros�lytisme en se pr�sentant comme une r�apparition du Messie (J�sus pour les chr�tiens, Avat�r de Vishnou pour les hindous). � sa mort, ses adeptes �lisent un calife et vivent en communaut� ind�pendante. Aujourd'hui encore, tr�s dynamiques, les Ahmad�s sont environ 500 000, dont la moiti� au Pakistan et le reste en Inde, au Nigeria, au Surinam, aux �tats-Unis, etc. Ils ont �t� d�clar�s non musulmans et pers�cut�s en Afghanistan, au Pakistan, et en Arabie saoudite.
+Fond� en 1927, en Inde, par Muhammad Ilyas, un �rudit musulman. Le Jama'at al-tabl�gh est une association cosmopolite dirig�e aujourd'hui par des Arabes. Elle se fixe pour objectif de ramener � une pratique stricte de l'islam les musulmans �gar�s : � l'islam va s'�tendre o� s'�tendent le jour et la nuit, et Dieu ne va pas quitter une maison sans que cette religion n'y entre. �
+Pacifique et apolitique, ce courant pr�cheur s'appuie sur des groupes de missionnaires de nationalit�s diff�rentes pour faire du porte-�-porte (la al-jawla, la � tourn�e �) et r�pandre les id�es du tabl�gh (la � proclamation �). Les principes en sont fort simples : la profession de foi, la pri�re, la connaissance de Dieu, l'intention sinc�re et le respect du musulman. Des voyages de plusieurs jours � plusieurs semaines (khouroudj) sont aussi organis�s dans le but de r�pandre la religion musulmane.
+Le groupe des fr�res musulmans est fond� en 1928 par Hassan el Banna en �gypte. Il est d�termin� � lutter contre "l'emprise la�que occidentale" et "l'imitation aveugle du mod�le europ�en" : son but est de passer par la politique pour instaurer un r�gime fond� sur l'islam dans tout pays o� ils seraient implant�s.
+La Mecque (Makkah) en Arabie saoudite, abrite la Ka'ba (� le Cube �). Selon la tradition, il est le premier lieu de culte, b�ti par Adam (Adam) sur Terre, puis reconstruit par Ibrahim (Abraham). Jusqu'� l'av�nement de l'islam, il �tait d�di� au dieu arabe Houbal, qui �tait v�n�r� par des rites de circonvolution autour de la pierre noire. Tout musulman se doit d'y faire un p�lerinage au moins une fois dans sa vie s'il en a la capacit� physique et financi�re.
+M�dine (Almadinah), est la ville o� �migra Mahomet apr�s s'�tre enfui de La Mecque, est la deuxi�me ville sainte de l'islam.
+J�rusalem (al-Qods) est la troisi�me ville sainte. C'est l'endroit vers lequel le proph�te Mahomet aurait effectu� le voyage nocturne et l'ascension. Le p�lerinage sunnite n'est admis que vers ces trois villes
+Les chiites reconnaissent deux autres lieux saints : Nadjaf, en Irak et Kerbala, lieu du martyre d'Hussein, petit-fils du proph�te Mahomet et fils de Ali, troisi�me im�m, ainsi que ses compagnons, venus � Kerbala pour d�fendre l'imam�t c'est-�-dire la succession par l'imam Ali gendre du proph�te et Hussein son fils (Hassan, son fr�re ain� ayant �t� tu�). Ce martyre est le mythe fondateur du chiisme. Tous les ans, a lieu la comm�moration de ce massacre, � Kerbala.
+Les musulmans d'�thiopie rajoutent � cette liste une quatri�me ville sainte, celle d'Harar.
+L'islam reconna�t tous les p�res fondateurs du juda�sme (Mo�se, David, Salomon) comme des proph�tes, sans pour autant s'y limiter, et �tablit d'une mani�re g�n�rale les proph�tes comme moyens pour Dieu de rappeler les hommes vers la foi en Lui et un comportement de droiture.
+�s� (J�sus de Nazareth) est un proph�te, dont le retour est attendu � la fin des temps. Il y a une controverse parmi les musulmans quant � l'existence de l'Ant�christ. Ce dernier n'est pas mentionn� dans le Coran, mais certains hadiths parlent de lui et du fait que J�sus le combattra et d�truira les croix � la fin des temps.
+L'attitude de l'islam par rapport � ces deux � religions du Livre � ant�rieures consiste � la fois � les respecter, leur reconna�tre une certaine v�rit�, et les consid�rer comme ayant �t� corrompues au fil du temps par les passions des hommes (manipulations servant des besoins politiques, injustice, exc�s, etc.) (sourate 17, 30...). Mahomet, consid�r� comme le dernier proph�te par cette religion, �tant appel� � r�tablir le message dans sa v�rit� primordiale, c'est-�-dire telle que d�finie par Ibrahim.
+L'apostasie dans l'islam vers une autre religion, quelle qu'elle soit, est fortement prohib�e dans le Coran et dans la pratique religieuse.
+L'islam est apparu en Arabie au viie si�cle sous l'impulsion du proph�te Mahomet. Un si�cle apr�s sa mort, un empire islamique s'est �tendu de l'oc�an Atlantique dans l'ouest vers l'Asie centrale dans l'est. Celui ci n'est pas rest� unifi� longtemps ; le nouveau r�gime a rapidement fini en guerre civile (voir Fitna) et plus tard affect�e par une deuxi�me Fitna. Ensuite, il y eut des dynasties rivales r�clamant le califat, ou la conduite du monde musulman, et beaucoup d'empires islamiques furent gouvern�s par un calife incapable d'unifier le monde islamique.
+En d�pit de ce morcellement de l'islam en tant que communaut� politique, les empires des califes d'Abbassides, l'empire moghol et les Seldjoukides �taient parmi les plus grands et les plus puissants au monde. Les Arabes produisirent bon nombre de centres islamiques, de scientifiques, d'astronomes, de math�maticiens, m�decins et d'illustres philosophes pendant l'�ge d'or de l'islam (voir Sciences et techniques islamiques ). La technologie s'�panouit ; un investissement soutenu dans les infrastructures, telles que des syst�mes d'irrigation et des canaux; et surtout, l'importance de lire le Coran produisuirent un niveau relativement �lev� de l'instruction parmi la population.
+Plus tard, aux xviiie si�cle et xixe si�cle, plusieurs r�gions islamiques tomb�rent sous les puissances imp�riales europ�ennes. Apr�s la premi�re guerre mondiale, les restes de l'Empire ottoman furent partag�s sous forme de protectorats europ�ens.
+Bien qu'affect�e par diverses id�ologies, telles que le communisme, pendant une bonne partie du xxe si�cle, l'identit� islamique et la pr�pond�rance de l'islam sur des questions politiques augment�rent au cours de la fin du xxe si�cle et le d�but du xxie si�cle. La croissance rapide, les int�r�ts occidentaux dans des r�gions islamiques, les conflits internationaux et la globalisation influenc�rent l'importance de l'islam dans le moulage du monde du xxie si�cle.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+L'affaire Dreyfus a pour origine une erreur judiciaire sur fond d'espionnage et d'antis�mitisme, dont la victime est le capitaine Alfred Dreyfus (1859 - 1935), fran�ais et alsacien d'origine, et Juif. Cette affaire a boulevers� la soci�t� fran�aise pendant douze ans, de 1894 � 1906.
+La r�v�lation de ce scandale, dans � J'Accuse...! �, un article d'�mile Zola en 1898, provoque une succession de crises politiques et sociales uniques en France. � son paroxysme en 1899, elle r�v�le les clivages de la France de la Troisi�me R�publique. Elle divise profond�ment et durablement les Fran�ais en deux camps oppos�s, dreyfusards et anti-dreyfusards. Cette affaire est le symbole moderne et universel de l'iniquit� au nom de la raison d'�tat. Enfin, elle suscite de tr�s violentes pol�miques nationalistes et antis�mites diffus�es par une presse influente.
+� la fin de l'ann�e 1894, le capitaine de l'arm�e fran�aise Alfred Dreyfus, polytechnicien, Juif d'origine alsacienne, accus� d'avoir livr� aux Allemands des documents secrets, est condamn� au bagne � perp�tuit� pour trahison et d�port� sur l'�le du Diable. � cette date l'opinion comme la classe politique fran�aise sont unanimement d�favorables � Dreyfus.
+Certaine de l'incoh�rence de cette condamnation, la famille du capitaine, derri�re son fr�re Mathieu, tente de prouver son innocence, engageant � cette fin le journaliste Bernard Lazare. Parall�lement, le colonel Georges Picquart, chef du contre-espionnage, constate en mars 1896 que le vrai tra�tre avait �t� le commandant Ferdinand Walsin Esterh�zy. L'�tat-Major refuse pourtant de revenir sur son jugement et affecte Picquart en Afrique du Nord.
+Afin d'attirer l'attention sur la fragilit� des preuves contre Dreyfus, sa famille contacte en juillet 1897 le respect� pr�sident du S�nat Auguste Scheurer-Kestner qui fait savoir, trois mois plus tard, qu'il a acquis la conviction de l'innocence de Dreyfus, et qui en persuade �galement Georges Clemenceau, ancien d�put� et alors simple journaliste. Le m�me mois, Mathieu Dreyfus porte plainte aupr�s du minist�re de la Guerre contre Walsin-Esterh�zy. Alors que le cercle des dreyfusards s'�largit, deux �v�nements quasi simultan�s donnent en janvier 1898 une dimension nationale � l'affaire : Esterh�zy est acquitt�, sous les acclamations des conservateurs et des nationalistes ; �mile Zola publie J'Accuse...!, plaidoyer dreyfusard qui entra�ne le ralliement de nombreux intellectuels. Un processus de scission en deux de la France est entam�, qui se prolonge jusqu'� la fin du si�cle. Des �meutes antis�mites �clatent dans plus de vingt villes fran�aises. On d�nombre plusieurs morts � Alger. La R�publique est �branl�e, certains la voient m�me en p�ril, ce qui incite � en finir avec l'affaire Dreyfus pour ramener le calme.
+Malgr� les men�es de l'arm�e pour �touffer cette affaire, le premier jugement condamnant Dreyfus est cass� par la Cour de cassation au terme d'une enqu�te minutieuse, et un nouveau conseil de guerre a lieu � Rennes en 1899. Contre toute attente, Dreyfus est condamn� une nouvelle fois, � dix ans de travaux forc�s, avec, toutefois, circonstances att�nuantes. �puis� par sa d�portation de quatre longues ann�es, Dreyfus accepte la gr�ce pr�sidentielle, accord�e par le pr�sident �mile Loubet. Ce n'est qu'en 1906 que son innocence est officiellement reconnue au travers d'un arr�t sans renvoi de la Cour de cassation, d�cision in�dite et unique dans l'histoire du droit fran�ais. R�habilit�, le capitaine Dreyfus est r�int�gr� dans l'arm�e au grade de commandant et participe � la Premi�re Guerre mondiale. Il meurt en 1935.
+Les cons�quences de cette affaire sont innombrables et touchent tous les aspects de la vie publique fran�aise : politique (elle consacre le triomphe de la IIIe R�publique, dont elle devient un mythe fondateur tout en renouvelant le nationalisme), militaire, religieux (elle ralentit la r�forme du catholicisme fran�ais, ainsi que l'int�gration r�publicaine des catholiques), social, juridique, m�diatique, diplomatique et culturel (c'est � l'occasion de l'affaire que le terme d'intellectuel est forg�). L'affaire a �galement un impact international sur le mouvement sioniste au travers d'un de ses p�res fondateurs : Th�odore Herzl et de par l'�moi que ses manifestations antis�mites vont provoquer au sein des communaut�s juives d'Europe centrale et occidentale.
+Il ne faut pas confondre dreyfusards, dreyfusiens et dreyfusistes.
+En 1894, la IIIe R�publique est vieille de vingt-quatre ans. Le r�gime politique de la France vient d'affronter trois crises (le boulangisme en 1889, le scandale de Panam� en 1892, et la menace anarchiste, r�duite par les � lois sc�l�rates � de juillet 1894) qui n'ont fait que l'affermir. Les �lections de 1893, centr�es sur la � question sociale �, ont consacr� la victoire des r�publicains de gouvernements (un peu moins de la moiti� des si�ges) face � la droite conservatrice, ainsi que la force des radicaux (environ 150 si�ges) et des socialistes (environ 50 si�ges).
+L'opposition des radicaux et des socialistes pousse � gouverner au centre d'o� des choix politiques orient�s vers le protectionnisme �conomique, une certaine indiff�rence � la question sociale, une volont� de briser l'isolement international, avec l'alliance russe et le d�veloppement de l'Empire. Cette politique de centre provoque l'instabilit� minist�rielle, certains r�publicains de gouvernement rejoignant parfois les radicaux, ou certains orl�anistes rejoignant les l�gitimistes, et cinq gouvernements se succ�dent de 1893 � 1896. Cette instabilit� gouvernementale se double d'une instabilit� pr�sidentielle : au pr�sident Sadi Carnot, assassin� le 24 juin 1894, succ�de le mod�r� Jean Casimir-Perier qui d�missionne le 15 janvier 1895 et est remplac� par F�lix Faure.
+Suite � l'�chec du gouvernement radical de L�on Bourgeois en 1896, le pr�sident nomme Jules M�line, homme du protectionnisme sous Ferry. Son gouvernement prend acte de l'opposition de la gauche et de certains r�publicains (l'Union progressiste notamment) et fait en sorte de toujours obtenir le soutien de la droite. Tr�s stable, il cherche � apaiser les tensions religieuses (ralentissement de la lutte anticl�ricale), sociales (vote de la loi sur la responsabilit� des accidents du travail) et �conomiques (maintien du protectionnisme) en conduisant une politique assez conservatrice. C'est sous ce gouvernement stable qu'�clate r�ellement l'Affaire Dreyfus.
+L'affaire Dreyfus se place dans le cadre de l'annexion de l'Alsace et de la Moselle, d�chirure qui alimente tous les nationalismes les plus extr�mes. La d�faite traumatisante de 1870 semble loin, mais l'esprit revanchard est toujours pr�sent. De nombreux acteurs de l'affaire Dreyfus sont d'ailleurs alsaciens. Les militaires exigent des moyens consid�rables pour pr�parer le prochain conflit, et c'est dans cet esprit que l'alliance franco-russe � contre nature � du 27 ao�t 1892 est sign�e, sur la base d'une convention militaire. L'arm�e s'est relev�e de la d�faite, mais elle est encore en partie constitu�e d'anciens cadres socialement aristocrates et politiquement monarchistes. Le culte du drapeau et le m�pris de la R�publique parlementaire sont deux principes essentiels � l'arm�e de l'�poque. La R�publique a beau c�l�brer son arm�e avec r�gularit�, l'arm�e ignore la R�publique.
+Mais depuis une dizaine d'ann�es, l'arm�e conna�t une mutation importante, dans le double but de la d�mocratiser et de la moderniser. Des polytechniciens concurrencent efficacement les officiers issus de la voie royale de Saint-Cyr, ce qui am�ne des dissensions, amertumes et jalousies parmi ceux des sous-officiers qui s'attendaient � des promotions au choix. La p�riode est aussi marqu�e par une course aux armements qui touche principalement l'artillerie, avec des perfectionnements concernant l'artillerie lourde (canon de 120 court et de 155 court, Mod�les 1890 Baquet, � nouveaux freins hydropneumatiques), mais aussi et surtout, la mise au point de l'ultra secret canon de 7510.
+Signalons ici le fonctionnement du contre-espionnage militaire, alias � Section de statistiques �. Le Renseignement, activit� organis�e et outil de guerre secr�te, est une nouveaut� de la fin du xixe si�cle. La Section de statistiques est cr��e en 1871 mais ne compte alors qu'une poign�e d'officiers et de civils. Son chef en 1894 est le lieutenant-colonel Jean Sandherr, saint-cyrien, alsacien de Mulhouse, antis�mite convaincu. Sa mission militaire est claire : r�cup�rer des renseignements sur l'ennemi potentiel de la France, et l'intoxiquer avec de fausses informations. La Section de statistiques est �paul�e par les � Affaires r�serv�es � du quai d'Orsay, le minist�re des Affaires �trang�res, anim�e par un jeune diplomate, Maurice Pal�ologue. La course aux armements am�ne une ambiance d'espionnite aigu� dans le contre-espionnage fran�ais � partir de 1890. Aussi, l'une des missions de la section consiste � espionner l'ambassade d'Allemagne, rue de Lille, � Paris, afin de d�jouer toute tentative de transmission d'informations importantes � cet adversaire. D'autant que plusieurs affaires d'espionnage avaient d�j� d�fray� la chronique d'une presse friande de ces histoires m�lant le myst�re au sordide. Ainsi en 1890, l'archiviste Boutonnet est condamn� pour avoir vendu les plans de l'obus � la m�linite. L'attach� militaire allemand � Paris est en 1894 le comte Maximilien von Schwartzkoppen, qui d�veloppe une politique d'infiltration qui semble avoir �t� efficace.
+Depuis le d�but 1894, la Section de statistiques enqu�te sur un trafic de plans directeurs concernant Nice et la Meuse, men� par un agent que les Allemands et les Italiens surnomment Dubois. C'est ce qui l'am�ne aux origines de l'affaire Dreyfus.
+Le contexte social est marqu� par la mont�e du nationalisme et de l'antis�mitisme. Cette croissance de l'antis�mitisme, tr�s virulente depuis la publication de La France juive d'�douard Drumont en 1886 (150 000 exemplaires la premi�re ann�e), va de pair avec une mont�e du cl�ricalisme. Les tensions sont fortes dans toutes les couches de la soci�t�, attis�es par une presse influente et pratiquement libre d'�crire et de diffuser n'importe quelle information, f�t-elle injurieuse ou diffamatoire. Les risques juridiques sont limit�s si la cible est une personne priv�e. L'antis�mitisme n'�pargne pas l'institution militaire qui pratique des discriminations occultes. Jusque dans les concours, avec la fameuse � cote d'amour �, notation irrationnelle, dont Dreyfus a fait les frais � l'�cole d'application de Bourges. T�moin des fortes tensions de cette �poque, la vogue du duel, � l'�p�e ou au pistolet, provoquant parfois la mort d'un des deux duellistes. De brillants officiers juifs, atteints par une s�rie d'articles de presse de La Libre Parole, accus�s de � trahir par naissance �, d�fient leurs r�dacteurs. Ainsi en est-il du capitaine Cremieu-Foa, Juif alsacien et polytechnicien qui se bat sans r�sultat. Mais le capitaine Mayer, autre officier juif, est tu� par le marquis de Mor�s, ami de Drumont, dans un autre duel ; d�c�s qui d�clenche une �motion consid�rable, tr�s au-del� des milieux isra�lites. La haine des juifs est d�sormais publique, violente, aliment�e par un br�lot diabolisant la pr�sence juive en France qui ne repr�sente alors que 80 000 personnes au plus en 1895 (dont 40 000 � Paris), tr�s int�gr�s, plus 45 000 en Alg�rie. Le lancement de La Libre Parole, dont la diffusion estim�e est de 200 000 exemplaires en 1892 permet � Drumont d'�largir encore son audience vers un lectorat plus populaire, d�j� tent� par l'aventure boulangiste dans le pass�. L'antis�mitisme diffus� par La Libre Parole, mais aussi par L'�clair, Le Petit Journal, La Patrie, L'Intransigeant, La Croix, en puisant dans les racines antis�mites des milieux catholiques, atteint des sommets.
+L'origine de l'affaire Dreyfus, bien que totalement �claircie depuis les ann�es 1960, a suscit� de nombreuses controverses pendant pr�s d'un si�cle. Il s'agit d'une affaire d'espionnage dont les intentions sont rest�es obscures jusqu'� nos jours. De nombreux historiens parmi les plus �minents expriment plusieurs hypoth�ses distinctes sur l'affaire, mais tous arrivent � une conclusion unique : Dreyfus �tait innocent de tout crime ou d�lit.
+Les personnels du Service de Renseignements militaire (SR) ont affirm� de mani�re constante qu'en septembre 1894, la � voie ordinaire �, avait apport� au contre-espionnage fran�ais une lettre, surnomm�e par la suite � le bordereau �. Cette lettre-missive, partiellement d�chir�e en six grands morceaux, �crite sur du papier pelure, non sign�e et non dat�e, �tait adress�e � l'attach� militaire allemand en poste � l'ambassade d'Allemagne, Max von Schwarzkoppen. Elle �tablissait que des documents militaires confidentiels, mais d'importance relative, �taient sur le point d'�tre transmis � une puissance �trang�re.
+Cette prise semble suffisamment importante pour que le chef de la � Section de statistiques �, le mulhousien Jean Sandherr, en informe le ministre de la Guerre, le g�n�ral Auguste Mercier. Le SR soup�onne en effet des fuites depuis le d�but de l'ann�e 1894, et recherche son auteur. Le ministre, violemment attaqu� dans la presse pour son action jug�e incomp�tente, semble vouloir tirer parti de cette affaire pour rehausser son image. Il diligente imm�diatement deux enqu�tes secr�tes, l'une administrative et l'autre judiciaire. Pour trouver le coupable, le raisonnement est simple sinon grossier : le cercle de recherche est arbitrairement restreint � un suspect en poste ou un ancien collaborateur � l'�tat-Major, n�cessairement artilleur, et officier stagiaire.
+Le coupable id�al est identifi� : le capitaine Alfred Dreyfus, polytechnicien et artilleur, de confession isra�lite et alsacien d'origine, issu de la m�ritocratie r�publicaine. Au tout d�but de l'affaire, on insiste plut�t sur les origines alsaciennes de Dreyfus que sur son appartenance religieuse. Celles-ci n'�taient pourtant pas exceptionnelles, puisqu'on privil�giait les officiers de l'est de la France pour leur double connaissance de la langue allemande et de la culture germanique. Mais l'antis�mitisme, qui n'�pargne pas les bureaux d'�tat-Major, devient rapidement le centre de l'affaire d'instruction, remplissant les vides d'une enqu�te pr�liminaire incroyablement sommaire. D'autant que Dreyfus �tait � ce moment-l� le seul officier juif �tant pass� r�cemment par l'�tat-Major g�n�ral.
+De fait, la l�gende du caract�re froid et renferm�, voire hautain de l'homme, et de sa � curiosit� �, jouent fortement contre lui. Ces traits de caract�re, les uns faux, les autres naturels, rendent plausibles toutes les accusations en transformant les actes les plus ordinaires de la vie courante dans un minist�re, en faits av�r�s d'espionnage. Ce d�but d'instruction partial et partiel am�ne une multiplication d'erreurs qui conduisent au mensonge d'�tat. Ceci au travers d'une affaire o� l'irrationnel l'emporte sur le positivisme pourtant en vogue � cette �poque :
+� D�s cette premi�re heure s'op�re le ph�nom�ne qui va dominer toute l'affaire. Ce ne sont plus les faits contr�l�s, les choses examin�es avec soin qui forment la conviction ; c'est la conviction souveraine, irr�sistible, qui d�forme les faits et les choses. � - Joseph Reinach+
Pour confondre Dreyfus, les �critures du bordereau et du capitaine sont compar�es. Personne n'est comp�tent en mati�re d'analyse d'�critures � l'�tat-Major. Entre alors en sc�ne le commandant du Paty de Clam, homme original qui se pique d'expertise graphologique. Mis en pr�sence de lettres de Dreyfus et du bordereau le 5 octobre, du Paty conclut d'embl�e � l'identit� des deux �critures. Apr�s une journ�e de travail compl�mentaire, il assure dans un rapport que, malgr� quelques dissemblances, les ressemblances sont suffisantes pour justifier une enqu�te. Dreyfus est donc � l'auteur probable � du bordereau pour l'�tat-Major.
+Le g�n�ral Mercier tenant un coupable, il met exag�r�ment en valeur l'affaire, qui prend le statut d'affaire d'�tat pendant la semaine pr�c�dant l'arrestation de Dreyfus. En effet, le ministre consulte et informe toutes les autorit�s de l'�tat. Malgr� les conseils de prudence et les objections courageusement exprim�s par Gabriel Hanotaux lors d'un petit conseil des ministres, il d�cide de poursuivre. Du Paty de Clam est nomm� officier de police judiciaire charg� d'une enqu�te officielle.
+Pendant ce temps plusieurs informations sont ouvertes parall�lement, les unes sur la personnalit� de Dreyfus, les autres consistant � s'assurer de la r�alit� des identit�s d'�criture. L'expert Gobert n'est pas convaincu, trouve de nombreuses diff�rences et �crit m�me que � la nature de l'�criture du bordereau exclut le d�guisement graphique �. D��u, Mercier fait alors appel � Alphonse Bertillon, l'inventeur de l'anthropom�trie judiciaire, mais nullement expert en �critures. Il n'est d'abord pas plus affirmatif que Gobert, en n'excluant pas une copie de l'�criture de Dreyfus. Mais par la suite, sous la pression des militaires, il affirme que Dreyfus s'est autocopi� et d�veloppe sa th�orie de l' � auto-forgerie �.
+Le 13 octobre, sans aucune preuve tangible et avec un dossier vide, le g�n�ral Mercier fait convoquer le capitaine Dreyfus pour une inspection g�n�rale, en � tenue bourgeoise �, c'est-�-dire en civil. L'objectif de l'�tat-Major est de gagner la preuve parfaite en droit fran�ais : l'aveu. Cet aveu serait obtenu par effet de surprise, en faisant �crire une lettre inspir�e du bordereau au coupable sous la dict�e.
+Le 15 octobre 1894 au matin, le capitaine Dreyfus subit cette �preuve, mais n'avoue rien. Du Paty tente m�me de lui sugg�rer le suicide en pla�ant un revolver devant Dreyfus, mais l'accus� refuse d'attenter � ses jours, affirmant qu'il � veut vivre afin d'�tablir son innocence �. L'espoir des militaires est d��u. Du Paty de Clam fait tout de m�me arr�ter le capitaine et l'inculpe d'intelligence avec l'ennemi afin qu'il soit traduit devant un Conseil de guerre. Dreyfus est incarc�r� � la prison du Cherche-midi � Paris.
+Mme Dreyfus est inform�e de l'arrestation le jour m�me, par une perquisition de l'appartement du jeune couple. Elle est terroris�e par du Paty qui lui ordonne de garder le secret sur l'arrestation de son mari, et lui affirme m�me : � Un mot, un seul mot et c'est la guerre europ�enne ! �54. En toute ill�galit�, Dreyfus est mis au secret dans sa prison, o� Du Paty l'interroge jour et nuit afin d'obtenir des aveux, ce qui �choue. Le capitaine est soutenu moralement par le premier dreyfusard : le commandant Forzinetti, commandant les prisons militaires de Paris.
+Le 29 octobre, l'affaire est r�v�l�e par le journal antis�mite d'�douard Drumont, La Libre Parole, dans un article qui marque le d�but d'une tr�s violente campagne de presse jusqu'au proc�s. Cet �v�nement place l'Affaire sur le terrain de l'antis�mitisme, qu'elle ne quitte plus jusqu'� sa conclusion d�finitive.
+Le 1er novembre, Mathieu Dreyfus, le fr�re d'Alfred, appel� d'urgence � Paris, est mis au courant de l'arrestation. Il devient l'artisan du combat difficile pour la lib�ration de son fr�re. Sans attendre, il se met � la recherche d'un avocat, et retient l'�minent p�naliste Edgar Demange.
+Le 3 novembre, � contre coeur, le g�n�ral Saussier donne l'ordre d'informer. Il a tous les pouvoirs pour arr�ter la machinerie, mais il ne le fait pas, peut-�tre par confiance exag�r�e en la justice militaire. Le commandant Besson d'Ormescheville, rapporteur aupr�s du Conseil de guerre, r�dige un rapport � charge dans lequel les � �l�ments moraux � de l'accusation (qui vont de ragots concernant les moeurs de Dreyfus et sa pr�tendue fr�quentation de � cercles-tripots � � sa connaissance de l'allemand et sa � m�moire remarquable �) sont d�velopp�s bien plus longuement que les � �l�ments mat�riels �, dont la raret� m�me sert � la charge : � c'est une preuve de culpabilit�, car Dreyfus a tout fait dispara�tre �. Le manque complet de neutralit� de l'acte d'accusation conduit �mile Zola � le qualifier de � monument de partialit� �.
+Le 4 d�cembre, avec ce dossier vide, Dreyfus est renvoy� devant le premier Conseil de guerre. Le secret est lev� et Me Demange peut pour la premi�re fois acc�der au dossier. Apr�s sa lecture, la confiance de l'avocat, qui a pu constater le n�ant du dossier d'instruction, est absolue. L'accusation ne repose en effet que sur l'�criture d'une pi�ce unique, le bordereau, � propos de laquelle les experts se contredisent, et sur de vagues t�moignages indirects.
+Pendant les deux mois pr�c�dant le proc�s, la presse se d�cha�ne. La Libre Parole, L'Autorit�, Le Journal, Le Temps racontent toute la vie suppos�e de Dreyfus au travers de mensonges et de mauvais romans. C'est aussi l'occasion pour les titres extr�mistes comme La Libre Parole ou La Croix, de justifier leurs campagnes pr�alables contre la pr�sence de Juifs dans l'arm�e, sur le th�me � On vous l'avait bien dit ! �67. Cette p�riode longue est surtout le moyen pour l'�tat-Major de pr�parer l'opinion et de faire pression indirectement sur les juges. Ainsi le 8 novembre, le g�n�ral Mercier va jusqu'� d�clarer Dreyfus coupable dans une interview au Figaro. Lui r�plique le 29 novembre un article d'Arthur Meyer dans Le Gaulois, dans lequel est condamn� le r�quisitoire fait contre Dreyfus et demand� : � Quelle libert� restera-t-il au Conseil de Guerre appel� � juger ce pr�venu ? �.
+Des joutes d'�ditorialistes ont lieu au sein d'un large d�bat � propos de la question du huis clos. Pour Ranc et Cassagnac qui repr�sentent la majorit� de la presse, le huis clos est une manoeuvre basse dans le but de permettre l'acquittement de Dreyfus, � car le ministre est un l�che �. La preuve c'est � qu'il rampe devant les Prussiens � en acceptant de publier des d�mentis de l'Ambassadeur d'Allemagne � Paris. Mais pour d'autres journaux, comme L'�clair du 13 d�cembre, � le huis clos est n�cessaire pour �viter un casus belli �, alors que pour Judet dans Le Petit Journal du 18, � le huis clos est notre refuge inexpugnable contre l'Allemagne � ou le Chanoine de La Croix du m�me jour, il faut � le huis clos le plus absolu �.
+Le proc�s s'ouvre le 19 d�cembre � treize heures, le huis clos �tant presque imm�diatement prononc�. Ce huis clos n'est d'ailleurs pas conforme juridiquement puisque le commandant Picquart et le pr�fet Louis L�pine sont pr�sents � certaines audiences en violation du droit, mesure qui permet n�anmoins aux militaires de ne pas divulguer le n�ant du dossier au grand public et d'�touffer les d�bats. Conform�ment aux pr�visions, le vide du dossier appara�t nettement pendant les audiences. Les discussions de fond sur le bordereau montrent que le capitaine Dreyfus ne pouvait pas en �tre l'auteur. D'autre part, l'accus� lui-m�me clame son innocence, et se d�fend point par point avec �nergie et logique. Au surplus, ses d�clarations sont appuy�es par une dizaine de t�moignages � d�charge. Enfin l'absence de mobile pour le crime est une s�rieuse �pine dans le dossier d'accusation. Dreyfus �tait en effet un officier tr�s patriote et tr�s bien not� par ses chefs, et surtout tr�s riche, il n'avait donc aucune raison tangible de trahir. La justification par la jud�it� de Dreyfus, seule retenue par la presse de droite, ne saurait pourtant l'�tre par un tribunal.
+Alphonse Bertillon, qui n'est pas expert en �critures, est pr�sent� comme un savant de premi�re importance. Il avance la th�orie de l'auto-forgerie � l'occasion de ce proc�s et accuse Dreyfus d'avoir imit� sa propre �criture, expliquant les diff�rences graphiques par l'emploi d'extraits de l'�criture de son fr�re Mathieu et de son �pouse Lucie. Cette th�orie, bien que consid�r�e plus tard comme farfelue et sid�rante semble avoir un certain effet sur les juges. De plus, le commandant Hubert-Joseph Henry fait une d�claration th��trale en pleine audience. Il affirme qu'une suspicion de fuites existait depuis le mois de f�vrier 1894 � propos d'une trahison � l'�tat-Major et � qu'une personne honorable � accusait le capitaine Dreyfus. Il jure sur l'honneur que le tra�tre est Dreyfus, en d�signant le crucifix accroch� au mur du tribunal. Dreyfus sort de ses gonds et exige d'�tre confront� � son accusateur anonyme, ce qui est refus� par l'�tat-Major. L'incident a un effet incontestable sur la Cour, compos�e de sept officiers qui sont � la fois juges et jur�s. Toutefois, l'issue du proc�s est incertaine. La conviction des juges a �t� �branl�e par l'attitude ferme et les r�ponses logiques de l'accus�. Les juges partent d�lib�rer. Mais l'�tat-Major a encore une carte en main pour faire pencher la balance d�finitivement contre Dreyfus.
+Les t�moins militaires du proc�s alertent le commandement sur les risques d'acquittement. Dans cette �ventualit�, la Section de statistiques avait pr�par� un dossier, contenant, en principe, quatre preuves � absolues � de la culpabilit� du capitaine Dreyfus, accompagn�es d'une note explicative. Le contenu de ce dossier secret est incertain encore de nos jours, car aucune archive dressant la liste des pi�ces ne nous est parvenue. Des recherches r�centes indiquent l'existence d'une num�rotation induisant la pr�sence d'une dizaine de documents. Parmi ceux-ci, des lettres � caract�re �rotico-homosexuel (Lettre Davignon entre autres) posent la question des m�thodes d'intoxication du Service de statistiques et de l'objet de ce choix documentaire.
+Le dossier secret est remis au d�but du d�lib�r�, en toute ill�galit�, au pr�sident du Conseil de guerre le colonel �milien Maurel, sur ordre du ministre de la Guerre, le g�n�ral Mercier. Plus tard, au proc�s de Rennes de 1899, le g�n�ral Mercier a expliqu� que la nature m�me des pi�ces soumises interdisait leur divulgation dans l'enceinte du tribunal. Ce dossier contenait, outre des lettres sans grand int�r�t, dont certaines �taient truqu�es, une pi�ce rest�e c�l�bre sous le nom de � Canaille de D... �.
+C'�tait une lettre de l'attach� militaire allemand, Max von Schwarzkoppen � l'attach� militaire italien Alessandro Panizzardi intercept�e par le SR. La missive �tait cens�e accuser d�finitivement Dreyfus, puisque d'apr�s ses accusateurs, il �tait d�sign� par l'initiale de son nom. En r�alit�, la Section de statistiques savait que la lettre ne pouvait pas �tre attribu�e � Dreyfus, et si elle le fut, ce fut par intention criminelle. Le colonel Maurel a affirm� au second proc�s Dreyfus que les pi�ces secr�tes n'avaient pas servi � emporter l'adh�sion des juges du Conseil de guerre. Mais il se contredit en affirmant qu'il a lu un seul document, � ce qui fut suffisant �.
+Le 22 d�cembre, apr�s plusieurs heures de d�lib�ration, le verdict tombe. � l'unanimit� des sept juges, Alfred Dreyfus est condamn� pour trahison � � la destitution de son grade, � la d�gradation militaire, et � la d�portation perp�tuelle dans une enceinte fortifi�e �, c'est-�-dire au bagne en Guyane. Dreyfus n'est pas condamn� � mort car la constitution de 1848 avait aboli la peine capitale pour crime politique. Pour les autorit�s, la presse et le public, les quelques doutes d'avant proc�s sont dissip�s. La culpabilit� est certaine ; � droite comme � gauche, on regrette l'abolition de la peine de mort pour crime de trahison. L'antis�mitisme atteint des sommets dans la presse et se manifeste dans des populations jusqu'� pr�sent �pargn�es. M�me Jean Jaur�s regrette la douceur de la peine dans une adresse � la Chambre, et �crit : � un troupier vient d'�tre condamn� � mort et ex�cut� pour avoir lanc� un bouton au visage de son caporal. Alors pourquoi laisser ce mis�rable tra�tre en vie ? �
+Le 5 janvier 1895, la c�r�monie de la d�gradation se d�roule dans une cour de l'�cole militaire � Paris. Les t�moins signalent la dignit� de Dreyfus, qui continue de clamer son innocence. Ici vient se greffer ce que l'on surnomme � la l�gende des aveux �. Avant la d�gradation, dans le fourgon qui l'amenait � l'�cole militaire, Dreyfus aurait confi� sa tra�trise au capitaine Lebrun-Renault. Il appara�t qu'en r�alit�, le capitaine de la Garde r�publicaine s'�tait vant� et que Dreyfus n'avait fait aucun aveu. Du fait de la nature de l'affaire, touchant � la s�curit� nationale, le prisonnier est mis au secret dans une cellule en attendant son transfert. Le 17 janvier, il est transf�r� au bagne de l'�le de R�, o� il est maintenu plus d'un mois. Il a le droit de voir sa femme deux fois par semaine, dans une salle allong�e, chacun � un bout, le directeur de la prison au milieu. Le 21 f�vrier, il embarque sur le vaisseau Ville-de-Saint-Nazaire. Le lendemain, le navire fait cap vers la Guyane.
+Le 12 mars, apr�s une travers�e p�nible de quinze jours, le navire mouille au large des �les du Salut. Dreyfus reste un mois au bagne de l'�le Royale, puis il est transf�r� � l'�le du Diable le 14 avril. Avec ses gardiens, il est le seul habitant de l'�le, logeant dans une case de pierre de quatre m�tres sur quatre. Hant� par le risque de l'�vasion, le commandant du bagne fait vivre un enfer au condamn� alors que les conditions de vie sont d�j� tr�s p�nibles. Dreyfus tombe malade, secou� par les fi�vres qui s'aggraveront d'ann�e en ann�e.
+Dreyfus est autoris� � �crire sur un papier num�rot� et paraph�. Il subit la censure du commandement de m�me que lorsqu'il re�oit du courrier de sa femme Lucie, par lequel ils s'encouragent mutuellement. Le 6 septembre 1896, les conditions de vie d'Alfred Dreyfus s'aggravent encore : il est mis � la double boucle, supplice obligeant le for�at � rester sur son lit, immobile, les chevilles entrav�es. Cette mesure est la cons�quence de la fausse information de son �vasion, r�v�l�e par un journal anglais. Pendant deux longs mois, elle plonge Dreyfus dans un profond d�sespoir. � ce moment, il est persuad� que sa vie s'ach�vera sur cette �le lointaine.
+Mathieu Dreyfus, le fr�re a�n� d'Alfred Dreyfus, est convaincu de l'innocence du condamn�. Il est le premier artisan de la r�habilitation de son fr�re, et passe tout son temps, toute son �nergie et sa fortune � rassembler autour de lui un mouvement de plus en plus puissant en vue de la r�vision du proc�s de d�cembre 1894, malgr� les difficult�s de la t�che : � Apr�s la d�gradation, le vide se fit autour de nous. Il nous semblait que nous n'�tions plus des �tres comme les autres, que nous �tions comme retranch�s du monde des vivants. �
+Mathieu essaie toutes les pistes, y compris les plus �tonnantes. Ainsi, gr�ce au docteur Gibert, ami du pr�sident F�lix Faure, il rencontre au Havre une femme qui, sous hypnose, lui parle pour la premi�re fois d'un � dossier secret �. Le fait est confirm� par le pr�sident de la R�publique au docteur Gibert dans une conversation priv�e.
+Petit � petit, malgr� les menaces d'arrestation pour complicit�, les filatures, les pi�ges tendus par les militaires, il r�ussit � convaincre divers mod�r�s. Ainsi, le journaliste de gauche Bernard Lazare se penche sur les zones d'ombre de la proc�dure. En 1896, Lazare publie � Bruxelles le premier opuscule dreyfusard. Cette publication n'a que peu d'influence sur le monde politique et intellectuel, mais elle contient tant de d�tails que l'�tat-Major suspecte le nouveau chef du SR, Picquart, d'en �tre responsable.
+La campagne en faveur de la r�vision, relay�e petit � petit dans la presse de gauche antimilitariste, d�clenche en retour une vague d'antis�mitisme tr�s violente dans l'opinion. La France reste alors tr�s majoritairement antidreyfusarde. Le commandant Henry, � la Section de statistiques, est de son c�t� conscient de la fragilit� du dossier d'accusation. � la demande de sa hi�rarchie, le g�n�ral de Boisdeffre, chef d'�tat-Major g�n�ral, et le g�n�ral Gonse, il est charg� de faire grossir le dossier afin d'�viter toute tentative de r�vision. Incapable de trouver la moindre preuve, il d�cide d'en fabriquer une a posteriori.
+Le vrai coupable de la trahison est d�couvert par hasard de deux mani�res distinctes ; par Mathieu Dreyfus d'une part, en recueillant la d�nonciation du banquier Castro, et par le SR d'autre part, � la suite d'une enqu�te. Le colonel Sandherr �tant tomb� malade, le lieutenant-colonel Georges Picquart est affect� � la t�te du SR en juillet 1895. En mars 1896, Picquart, qui avait suivi l'affaire Dreyfus d�s son origine, exige d�sormais de recevoir directement les documents vol�s � l'ambassade d'Allemagne, sans interm�diaire. Il y d�couvre un document surnomm� le � petit bleu � : une carte t�l�gramme, jamais envoy�e, �crite par von Schwartzkoppen et intercept�e � l'ambassade d'Allemagne d�but mars 1896. Celle-ci est adress�e � un officier fran�ais, au commandant Walsin-Esterh�zy, 27 rue de la Bienfaisance - Paris. Par ailleurs, une autre lettre au crayon noir de von Schwartzkoppen d�montre les m�mes relations d'espionnage avec Esterhazy. Mis en pr�sence de lettres de cet officier, Picquart s'aper�oit avec stup�faction que son �criture est exactement la m�me que celle du � bordereau � qui a servi � incriminer Dreyfus. Il se procure le � dossier secret � remis aux juges en 1894, et devant sa vacuit�, acquiert la certitude de l'innocence de Dreyfus. Tr�s �mu par sa d�couverte, Picquart diligente une enqu�te en secret, sans l'accord de ses sup�rieurs. Elle d�montre qu'Esterh�zy avait connaissance des �l�ments d�crits par le � bordereau � et qu'il �tait bien en contact avec l'ambassade d'Allemagne. Il est �tabli que l'officier vendait aux Prussiens de nombreux documents secrets dont la valeur �tait cependant assez faible.
+Walsin-Esterh�zy est un ancien membre du contre-espionnage fran�ais o� il avait servi apr�s la Guerre de 1870. Il avait travaill� dans le m�me bureau que le commandant Henry de 1877 � 1880118. Homme � la personnalit� trouble, � la r�putation sulfureuse, cribl� de dettes, il est pour Picquart, un tra�tre probable anim� par un mobile certain : l'argent. Picquart communique alors les r�sultats de son enqu�te � l'�tat-Major, qui lui oppose : � l'autorit� de la chose jug�e �. D�sormais, tout est fait pour l'�vincer de son poste, avec l'aide de son propre adjoint le commandant Henry. Il s'agit avant tout, dans les hautes sph�res de l'Arm�e, de ne pas admettre que la condamnation de Dreyfus puisse �tre une grave erreur judiciaire. Pour Mercier, puis Zurlinden, et l'�tat-Major, ce qui est fait est fait, on ne revient jamais en arri�re. Il convenait alors de s�parer les affaires Dreyfus et Esterh�zy.
+La presse nationaliste lance une violente campagne contre le noyau dur naissant des dreyfusards. En contre-attaquant, l'�tat-Major se d�couvre et r�v�le des informations, ignor�es jusque-l�, sur le � dossier secret �. Le doute commence � s'installer et des figures des milieux artistiques et politiques s'interrogent. Picquart tente de convaincre ses chefs de r�agir en faveur de Dreyfus, mais l'�tat-Major semble sourd. Une enqu�te est instruite contre lui, il est surveill�, �loign� dans l'Est, puis mut� en Tunisie � dans l'int�r�t du service �.
+C'est le moment que choisit le commandant Henry pour passer � l'action. Le 1er novembre 1896, il fabrique un faux, le � faux Henry �, en conservant l'ent�te et la signature d'une lettre quelconque de Panizzardi, en r�digeant lui-m�me le texte central :
+� J'ai lu qu'un d�put� va interpeller sur Dreyfus. Si on demande � Rome nouvelles explications, je dirai que jamais j'avais les relations avec ce Juif. C'est entendu. Si on vous demande, dites comme �a, car il ne faut pas que on sache jamais personne ce qui est arriv� avec lui. �+
C'est un faux assez grossier. Les g�n�raux Gonse et Boisdeffre, sans se poser de questions, am�nent cependant la lettre � leur ministre le g�n�ral Billot. Les doutes de l'�tat-Major concernant l'innocence de Dreyfus s'envolent. Fort de cette trouvaille, l'�tat-Major d�cide de prot�ger Esterh�zy et de pers�cuter le colonel Picquart, � qui n'a rien compris �. Picquart, qui ignore tout du faux Henry, se sent rapidement isol� de ses coll�gues militaires. Litt�ralement accus� de malversations par le commandant Henry, il proteste par �crit et rentre � Paris.
+Picquart se confie � son ami, l'avocat Louis Leblois, � qui il fait promettre le secret. Ce dernier en parle pourtant au vice-pr�sident du S�nat, l'alsacien Auguste Scheurer-Kestner, lequel est � son tour touch� par le doute. Sans citer Picquart, le s�nateur r�v�le l'affaire aux plus hautes personnalit�s du pays. Mais l'�tat-Major soup�onne quand m�me Picquart d'�tre � l'origine des fuites. C'est le d�but de l'affaire Picquart, une nouvelle conspiration de l'�tat-Major contre l'officier.
+Le commandant Henry, pourtant adjoint de Picquart, mais jaloux, m�ne de son propre chef, une op�ration d'intoxication afin de compromettre son sup�rieur. Il se livre � diverses malversations (fabrication d'une lettre le d�signant comme l'instrument du � syndicat juif � voulant faire �vader Dreyfus, truquage du � petit bleu � pour faire croire que Picquart a effac� le nom du r�el destinataire, r�daction d'un courrier nommant Dreyfus en toutes lettres).
+Parall�lement aux investigations du colonel Picquart, les d�fenseurs de Dreyfus sont inform�s de l'identit� de l'�criture du � bordereau � avec celle d'Esterh�zy en novembre 1897. Mathieu Dreyfus avait fait afficher la reproduction du bordereau, publi�e par Le Figaro. Un banquier, Castro, identifie formellement cette �criture comme celle du commandant Walsin-Esterh�zy, son d�biteur, et pr�vient Mathieu. Le 11 novembre 1897, les deux pistes se rejoignent, � l'occasion d'une rencontre entre Scheurer-Kestner et Mathieu Dreyfus. Ce dernier obtient enfin la confirmation du fait qu'Esterh�zy est bien l'auteur du bordereau. Le 15 novembre, sur ces bases, Mathieu Dreyfus porte plainte aupr�s du minist�re de la Guerre contre Walsin-Esterh�zy. La pol�mique �tant publique, l'arm�e n'a plus d'autre choix que d'ouvrir une enqu�te. Fin 1897, Picquart, revenu � Paris, fait conna�tre publiquement ses doutes sur la culpabilit� de Dreyfus, du fait de ses d�couvertes. La collusion destin�e � �liminer Picquart semble avoir �chou�. La contestation est tr�s forte et vire � l'affrontement. Afin de discr�diter Picquart, Esterh�zy envoie sans effet des lettres de plainte au Pr�sident de la R�publique.
+Le mouvement dit dreyfusard, anim� par Bernard Lazare, Mathieu Dreyfus, Joseph Reinach et Auguste Scheurer-Kestner s'�largit. �mile Zola, inform� mi-novembre 1897 par Scheurer-Kestner du dossier, est convaincu de l'innocence de Dreyfus et s'engage officiellement. Le 25 novembre, le romancier publie M. Scheurer-Kestner dans Le Figaro, premier article d'une s�rie qui en compte trois. Devant les menaces de d�sabonnements massifs de ses lecteurs, le directeur du journal cesse de soutenir Zola. De proche en proche, fin novembre-d�but d�cembre 1897, les �crivains Octave Mirbeau, dont le premier article para�t trois jours apr�s celui de Zola, et Anatole France, l'universitaire Lucien L�vy-Bruhl, le biblioth�caire de l'�cole normale sup�rieure Lucien Herr, qui convainc L�on Blum et Jean Jaur�s, les auteurs de La Revue blanche, dont Lazare conna�t bien le directeur Thad�e Natanson, les fr�res Clemenceau Albert et Georges s'investissent dans le combat pour la r�vision du proc�s. Blum tente fin novembre de faire signer � son ami Maurice Barr�s une p�tition demandant la r�vision du proc�s, mais ce dernier refuse, rompt avec Zola et Blum d�but d�cembre, et commence � populariser le terme d' � intellectuels �. Cette premi�re rupture est le pr�lude � une division des �lites cultiv�es, apr�s le 13 janvier.
+Si l'Affaire Dreyfus occupe de plus en plus les discussions, le monde politique ne le reconna�t toujours pas, et Jules M�line d�clare en ouverture de s�ance de l'Assembl�e nationale, le 7 d�cembre : � il n'y a pas d'affaire Dreyfus. Il n'y a pas en ce moment et il ne peut pas y avoir d'affaire Dreyfus. �
+Le g�n�ral de Pellieux est charg� d'effectuer une enqu�te. Celle-ci tourne court, l'enqu�teur �tant adroitement manipul� par l'�tat-Major. Le vrai coupable, lui dit-on, est le lieutenant-colonel Picquart. L'enqu�te s'achemine vers un non-lieu, quand l'ex-ma�tresse d'Esterh�zy, Mme de Boulancy, fait publier dans Le Figaro des lettres dans lesquelles il exprimait violemment, une dizaine d'ann�es plus t�t, toute sa haine de la France et son m�pris de l'Arm�e fran�aise. La presse militariste vole au secours du tra�tre au travers d'une campagne antis�mite sans pr�c�dent. La presse dreyfusarde r�plique, forte des nouveaux �l�ments en sa possession. Georges Clemenceau, dans le journal L'Aurore, se demande :
+� Qui prot�ge le commandant Esterh�zy ? La loi s'arr�te, impuissante devant cet aspirant prussien d�guis� en officier fran�ais. Pourquoi ? Qui donc tremble devant Esterh�zy ? Quel pouvoir occulte, quelles raisons inavouables s'opposent � l'action de la justice ? Qui lui barre le chemin ? Pourquoi Esterh�zy, personnage d�prav� � la moralit� plus que douteuse, est-il prot�g� alors que tout l'accuse ? Pourquoi un honn�te soldat comme le lieutenant-colonel Picquart est-il discr�dit�, accabl�, d�shonor� ? S'il le faut nous le dirons ! �+
Bien que prot�g� par l'�tat-Major et donc par le gouvernement, Esterh�zy est oblig� d'avouer la paternit� des lettres francophobes publi�es par Le Figaro. Ceci d�cide le bureau de l'�tat-Major � agir : une solution pour faire cesser les questions, les doutes et les d�buts de demande de justification doit �tre trouv�e. L'id�e est d'exiger d'Esterh�zy qu'il demande lui-m�me � passer en jugement et �tre acquitt� afin de faire cesser les bruits et de permettre le retour de l'ordre. C'est donc pour le disculper d�finitivement, selon la vieille r�gle � Res judicata pro veritate habetur �, qu'Esterh�zy est pr�sent� le 10 janvier 1898 devant un Conseil de guerre. Le huis clos � retard� � est prononc�. Esterh�zy est pr�venu des sujets du lendemain avec des indications sur la ligne de d�fense � tenir. Le proc�s est peu r�gulier : les constitutions de parties civiles demand�es par Mathieu et Lucie Dreyfus leur sont refus�es, les trois experts en �critures ne reconnaissent pas l'�criture d'Esterh�zy dans le bordereau et concluent � la contrefa�on. L'accus� lui-m�me est applaudi, les t�moins � charge, hu�s et conspu�s, Pellieux intervenant pour d�fendre l'�tat-Major sans qualit� l�gale. Le v�ritable accus� est le colonel Picquart, sali par tous les protagonistes militaires de l'Affaire. Esterh�zy, est acquitt� � l'unanimit� d�s le lendemain, apr�s trois minutes de d�lib�r�. Sous les vivats, il a du mal � se frayer un chemin vers la sortie o� l'attendent 1 500 personnes.
+Par erreur, un innocent a �t� condamn�, mais par ordre, le coupable est acquitt�. Pour beaucoup de r�publicains mod�r�s, c'est une atteinte insupportable aux valeurs fondamentales qu'ils d�fendent. L'acquittement d'Esterh�zy am�ne donc un changement de la strat�gie dreyfusarde. Au lib�ralisme respectueux de Scheurer-Kestner et Reinach, succ�de une action plus combative et contestataire. En r�action � l'acquittement, d'importantes et violentes �meutes antidreyfusardes et antis�mites ont lieu dans toute la France. On attente aux biens et aux personnes.
+Fort de sa victoire, l'�tat-Major arr�te le lieutenant-colonel Picquart sous l'accusation de violation du secret professionnel, suite � la divulgation de son enqu�te � son avocat qui l'aurait r�v�l�e au s�nateur Scheurer-Kestner. Le colonel, bien qu'il soit mis aux arr�ts au fort du Mont-Val�rien, n'abdique pas et s'engage de plus en plus dans l'Affaire. � Mathieu qui le remercie, il r�plique s�chement qu'il ne � fait que son devoir �. Le commandant Esterh�zy, est mis rapidement � la r�forme, et devant les risques qui p�sent � son �gard, s'exile en Angleterre o� il termine ses jours confortablement dans les ann�es 1920151. Esterh�zy a b�n�fici�, au moment de � L'Affaire �, d'un traitement de faveur de la part des hautes sph�res de l'Arm�e qui s'explique assez mal, sinon par le d�sir de l'�tat-Major de vouloir �touffer toute vell�it� de remise en cause du verdict du Conseil de guerre qui avait condamn� le capitaine Dreyfus en 1894.
+Zola donne le 13 janvier 1898 une nouvelle dimension � l'affaire Dreyfus, qui devient l'Affaire. Premier grand intellectuel dreyfusard, il est alors au sommet de sa gloire : les vingt volumes des Rougon-Macquart ont �t� diffus�s dans des dizaines de pays. C'est une sommit� du monde litt�raire, et en a pleinement conscience. Au g�n�ral de Pellieux, il affirme pendant son proc�s :
+� Je demande au g�n�ral de Pellieux s'il n'y a pas diff�rentes fa�ons de servir la France ? On peut la servir par l'�p�e ou par la plume. M. le g�n�ral de Pellieux a sans doute gagn� de grandes victoires ! J'ai gagn� les miennes. Par mes oeuvres, la langue fran�aise a �t� port�e dans le monde entier. J'ai mes victoires ! Je l�gue � la post�rit� le nom du g�n�ral de Pellieux et celui d'�mile Zola : elle choisira ! �
+Scandalis� par l'acquittement d'Esterh�zy, Zola d�cide de frapper un coup. Il publie en premi�re page de L'Aurore, un article de 4 500 mots sur six colonnes � la une, en forme de lettre ouverte au pr�sident F�lix Faure. Clemenceau trouve le titre : � J'Accuse...! �. Vendu habituellement � trente mille exemplaires, le journal diffuse ce jour l� pr�s de trois cent mille copies. Cet article fait l'effet d'une bombe. Le papier est une attaque directe, explicite et nominale. Tout ceux qui ont complot� contre Dreyfus sont d�nonc�s, y compris le ministre de la Guerre, l'�tat-Major. L'article comporte de nombreuses erreurs, majorant ou minorant les r�les de tel ou tel acteur, mais Zola n'a pas pr�tendu faire oeuvre d'historien.
+� J'Accuse...! � apporte pour la premi�re fois la r�union de toutes les donn�es existantes sur l'Affaire. Le but de Zola est de s'exposer volontairement afin de forcer les autorit�s � le traduire en justice. Son proc�s servirait d'occasion pour un nouvel examen public des cas Dreyfus et Esterh�zy. Il va ici � l'encontre de la strat�gie de Scheurer-Kestner et Lazare, qui pr�naient la patience et la r�flexion. Devant le succ�s national et international de ce coup d'�clat, le proc�s est in�vitable. � partir de ce moment critique, l'Affaire suit deux voies parall�les. D'une part, l'�tat utilise son appareil pour imposer la limitation du proc�s � une simple affaire de diffamation, afin de le dissocier des cas Dreyfus et Esterh�zy, d�j� jug�s. D'autre part, les conflits d'opinion tentent de peser sur les juges ou le gouvernement, pour obtenir les uns la r�vision et les autres la condamnation de Zola. Mais l'objectif du romancier est atteint : l'ouverture d'un d�bat public aux assises.
+Le 15 janvier, Le Temps publie une p�tition r�clamant la r�vision du proc�s. Y figurent les noms d'�mile Zola, Anatole France, �mile Duclaux, le directeur de l'Institut Pasteur, Daniel Hal�vy, Fernand Gregh, F�lix F�n�on, Marcel Proust, Lucien Herr, Charles Andler, Victor B�rard, Fran�ois Simiand, Georges Sorel, puis le peintre Claude Monet, l'�crivain Jules Renard, le philosophe �mile Durkheim, l'historien Gabriel Monod, etc. Dans L'Aurore du 23 janvier, Clemenceau, au nom d'une � pacifique r�volte de l'esprit fran�ais �, reprend positivement le terme d' � intellectuels �. Le 1er f�vrier, Barr�s fustige ceux-ci dans le Journal. L'anti-intellectualisme devient un th�me majeur des intellectuels de droite, qui reprochent aux dreyfusards de r�fl�chir au-del� des int�r�ts de la nation, argument qui se retrouve tout au long des ann�es qui suivent, et qui constitue le fond du d�bat public : la pr�f�rence entre Justice et V�rit� ou d�fense de la nation, pr�servation sociale et raison sup�rieure de l'�tat. Cette mobilisation des intellectuels ne se double pas dans un premier temps de celle de la gauche politique : le 19 janvier, les d�put�s socialistes prennent leurs distances face aux � deux factions bourgeoises rivales �.
+Le g�n�ral Billot, ministre de la Guerre, porte plainte contre Zola et Alexandre Perrenx, le g�rant de L'Aurore, qui passent devant les Assises de la Seine du 7 au 23 f�vrier 1898. La diffamation envers une autorit� publique est alors passible des Assises, alors que l'injure publique prof�r�e par la presse nationaliste et antis�mite n'am�ne que tr�s peu de poursuites, et surtout quasiment aucune condamnation. Le ministre ne retient que trois passages de l'article, soit dix-huit lignes sur plusieurs centaines. Il est reproch� � Zola d'avoir �crit que le Conseil de guerre avait commis une � ill�galit� [...] par ordre �. Le proc�s s'ouvre dans une ambiance de grande violence : Zola fait l'objet � des attaques les plus ignominieuses �, tout comme d'importants soutiens et f�licitations
+Fernand Labori, l'avocat de Zola, fait citer environ deux cents t�moins. La r�alit� de l'Affaire Dreyfus, inconnue du grand public, est diffus�e dans la presse. Plusieurs journaux publient les notes st�nographiques in extenso des d�bats au jour le jour, ce qui �difie la population. Celles-ci constituent pour les dreyfusards un outil primordial pour les d�bats post�rieurs. Cependant, les nationalistes, derri�re Henri Rochefort, sont alors les plus visibles et organisent des �meutes, for�ant le pr�fet de police � intervenir afin de prot�ger les sorties de Zola � chaque audience.
+Ce proc�s est aussi le lieu d'une v�ritable bataille juridique, dans laquelle les droits de la d�fense sont sans cesse bafou�s. De nombreux observateurs prennent conscience de la collusion entre le monde politique et les militaires. � l'�vidence, la Cour a re�u des instructions pour que la substance m�me de l'erreur judiciaire ne soit pas �voqu�e. Le pr�sident Delegorgue pr�textant l'allongement de dur�e des audiences, jongle sans cesse avec le droit pour que le proc�s ne traite que de la diffamation reproch�e � Zola. Sa phrase � la question ne sera pas pos�e �, r�p�t�e des dizaines de fois, devient c�l�bre.
+Zola est condamn� � un an de prison et � 3 000 francs d'amende, la peine maximale. Cette duret� est imputable � l'atmosph�re de violence entourant le proc�s : � La surexcitation de l'auditoire, l'exasp�ration de la foule mass�e devant le palais de Justice �taient si violentes qu'on pouvait redouter les exc�s les plus graves si le jury avait acquitt� M. Zola. � Cependant, le proc�s Zola est plut�t une victoire pour les dreyfusards. En effet, l'Affaire et ses contradictions ont pu �tre largement �voqu�es tout au long du proc�s, en particulier par des militaires. De plus, la violence des attaques contre Zola, et l'injustice de sa condamnation renforcent l'engagement des dreyfusards : St�phane Mallarm� se d�clare � p�n�tr� par la sublimit� de [l']Acte [de Zola]172 � et Jules Renard �crit dans son journal : � � partir de ce soir, je tiens � la R�publique, qui m'inspire un respect, une tendresse que je ne me connaissais pas. Je d�clare que le mot Justice est le plus beau de la langue des hommes, et qu'il faut pleurer si les hommes ne le comprennent plus. � Le s�nateur Ludovic Trarieux et le juriste catholique Paul Viollet fondent la Ligue pour la d�fense des droits de l'homme. Plus encore que l'affaire Dreyfus, l'affaire Zola op�re un regroupement des forces intellectuelles en deux camps oppos�s.
+Le 2 avril, une demande de pourvoi en cassation re�oit une r�ponse favorable. Il s'agit de la premi�re intervention de la Cour dans cette affaire judiciaire. La plainte aurait en effet d� �tre port�e par le Conseil de guerre et non par le ministre. Le procureur g�n�ral Manau est favorable � la r�vision du proc�s Dreyfus et s'oppose fermement aux antis�mites. Les juges du Conseil de guerre, mis en cause par Zola, portent plainte pour diffamation. L'affaire est d�f�r�e devant les assises de Seine-et-Oise � Versailles o� le public passe pour �tre plus favorable � l'Arm�e, plus nationaliste. Le 23 mai 1898, d�s la premi�re audience, Me Labori se pourvoit en cassation en raison du changement de juridiction. Le proc�s est ajourn� et les d�bats sont repouss�s au 18 juillet. Labori conseille � Zola de quitter la France pour l'Angleterre avant la fin du proc�s, ce que fait l'�crivain, accompagn� de sa femme. Les accus�s sont de nouveau condamn�s. Quant au colonel Picquart, il se retrouve � nouveau en prison.
+L'acquittement d'Esterh�zy, les condamnations d'�mile Zola et de Georges Picquart, et la pr�sence continue d'un innocent au bagne, ont un retentissement national et international consid�rables. La France expose un arbitraire �tatique contredisant les principes r�publicains fondateurs. L'antis�mitisme fait des progr�s consid�rable, et les �meutes sont courantes pendant toute l'ann�e 1898. Cependant, les hommes politiques en restent encore au d�ni de l'Affaire. En avril et mai 1898, ils sont surtout pr�occup�s par les �lections l�gislatives, apr�s lesquelles Jaur�s perd son si�ge de d�put� de Carmaux. La majorit� reste mod�r�e, et un groupe parlementaire antis�mite appara�t � la Chambre. Cependant, la cause dreyfusarde est relanc�e.
+En effet, Godefroy Cavaignac, nouveau ministre de la Guerre et anti-r�visionniste farouche, veut d�montrer d�finitivement la culpabilit� de Dreyfus, en � tordant le cou � au passage � Esterh�zy, qu'il tient pour � un mythomane et un ma�tre chanteur �. Il est absolument convaincu de la culpabilit� de Dreyfus, renforc� dans cette id�e par la l�gende des aveux, apr�s avoir rencontr� le principal t�moin, le capitaine Lebrun-Renault. Cavaignac a l'honn�tet� d'un doctrinaire intransigeant, mais ne conna�t absolument pas les dessous de l'Affaire, que l'�tat-Major s'est gard� de lui enseigner. Il avait eu la surprise d'apprendre que l'ensemble des pi�ces sur lesquelles l'accusation se basait n'avaient pas �t� expertis�es, Boisdeffre ayant � une confiance absolue � en Henry. Il d�cide d'enqu�ter lui-m�me, dans son bureau avec ses adjoints, et rapatrie le dossier secret qui compte alors 365 pi�ces.
+Le 7 juillet 1898, lors d'une interpellation � la Chambre, Cavaignac fait �tat de trois pi�ces � accablantes, entre mille �, dont deux n'ont aucun rapport avec l'Affaire, et l'autre est le faux d'Henry. Le discours de Cavaignac est efficace : les d�put�s l'ovationnent et votent l'affichage du discours avec la reproduction des trois preuves dans les 36 000 communes de France � 572 voix. Les antidreyfusards triomphent, mais Cavaignac a reconnu implicitement que la d�fense de Dreyfus n'avait pas eu acc�s � toutes les preuves : la demande en annulation formul�e par Lucie Dreyfus devient recevable. Le lendemain, le colonel Picquart d�clare dans Le Temps au pr�sident du Conseil : � Je suis en �tat d'�tablir devant toute juridiction comp�tente que les deux pi�ces portant la date de 1894 ne sauraient s'appliquer � Dreyfus et que celle qui portait la date de 1896 avait tous les caract�res d'un faux. �, ce qui lui vaut onze mois de prison.
+Le 13 ao�t au soir, le capitaine Cuignet, attach� au cabinet de Cavaignac, qui travaille � la lumi�re d'une lampe, observe que la couleur du l�ger quadrillage du papier de l'ent�te et du bas de page ne correspondent pas avec la partie centrale. Cavaignac tente encore de trouver des raisons logiques � la culpabilit� et la condamnation de Dreyfus mais ne tait pas sa d�couverte. Un conseil d'enqu�te est form� pour enqu�ter sur Esterh�zy, devant lequel celui-ci panique et avoue ses rapports secrets avec le commandant du Paty de Clam. La collusion entre l'�tat-Major et le tra�tre est r�v�l�e. Le 30 ao�t, Cavaignac se r�signe � demander des explications au colonel Henry, en pr�sence de Boisdeffre et Gonse. Apr�s une heure d'interrogatoire men� par le ministre lui-m�me, Henry s'effondre et fait des aveux complets. Il est plac� aux arr�ts de forteresse au Mont-Val�rien et se suicide le lendemain en se tranchant la gorge avec un rasoir. La demande de r�vision d�pos�e par Lucie Dreyfus ne peut plus �tre repouss�e. Pourtant, Cavaignac affirme : � moins que jamais ! �187, mais le pr�sident du Conseil, Henri Brisson, le force � d�missionner. Malgr� son r�le, apparemment totalement involontaire, dans la r�vision du proc�s de 1894, il reste un antidreyfusard convaincu et fait une intervention m�prisante et blessante envers Dreyfus au proc�s de Rennes.
+Les antir�visionnistes ne se consid�rent pas battus. Le 6 septembre, Charles Maurras publie un �loge d'Henry dans La Gazette de France, qu'il qualifie de � serviteur h�ro�que des grands int�r�ts de l'�tat �. La Libre Parole, journal antis�mite de Drumont, propage la notion de � faux patriotique �. Le m�me journal lance en d�cembre une souscription au profit de sa veuve, afin d'�riger un monument � la gloire d'Henry. Chaque donation est accompagn�e de remarques lapidaires sur Dreyfus et les dreyfusards, souvent injurieuses. 14 000 souscripteurs, dont 53 d�put�s, envoient 131 000 francs. Le 3 septembre 1898, le pr�sident du Conseil, Brisson, incite Mathieu Dreyfus � d�poser une demande en r�vision du Conseil de guerre de 1894. Le gouvernement transf�re le dossier � la Cour de cassation, pour avis sur les quatre ann�es de proc�dures pass�es.
+La France est r�ellement divis�e en deux, mais aucune g�n�ralisation n'est possible : la communaut� juive s'engage peu, les intellectuels ne sont pas tous dreyfusards, les protestants sont partag�s, des marxistes refusent de soutenir Dreyfus. Le clivage transcende les religions et milieux sociaux, comme l'illustre la c�l�bre caricature de Caran d'Ache � Un d�ner en famille �.
+Henry est mort, Boisdeffre a d�missionn�, Gonse n'a plus aucune autorit� et du Paty a �t� tr�s gravement compromis par Esterh�zy : pour les conjur�s, c'est la d�b�cle. Le gouvernement est d�sormais pris entre deux feux : la loi et le droit contre la pression nationaliste de la rue et du commandement sup�rieur qui se reprend. Cavaignac, d�missionn� pour avoir continu� � r�pandre sa vision antidreyfusarde de l'Affaire, se pose en chef de file antir�visionniste. Le g�n�ral Zurlinden qui lui succ�de, influenc� par l'�tat-Major, rend un avis n�gatif � la r�vision le 10 septembre, confort� par la presse extr�miste pour laquelle, � la r�vision, c'est la guerre �. L'obstination du gouvernement, qui vote le recours � la Cour de cassation le 26 septembre, am�ne la d�mission de Zurlinden, remplac� aussit�t par le g�n�ral Chanoine. Celui-ci, lors d'une interpellation � la Chambre, donne sa d�mission, la confiance �tant refus�e � Brisson, contraint lui aussi � la d�mission. L'instabilit� minist�rielle entra�ne une certaine instabilit� gouvernementale.
+Le 1er novembre, le progressiste Charles Dupuy est nomm� � la place de Brisson. En 1894, il avait couvert les agissements du g�n�ral Mercier aux d�buts de l'affaire Dreyfus ; quatre ans plus tard, il annonce qu'il suivra les arr�ts de la Cour de cassation, barrant la route � ceux qui veulent �touffer la r�vision et dessaisir la Cour. Le 5 d�cembre, � la faveur d'un d�bat � la Chambre sur la transmission du � dossier secret � � la Cour de cassation, la tension monte encore d'un cran. Les injures, invectives et autres violences nationalistes font place aux menaces de soul�vement. Paul D�roul�de d�clare : � S'il faut faire la guerre civile, nous la ferons. �198
+Une nouvelle crise survient au sein m�me de la Cour de cassation, d�s lors que Quesnay de Beaurepaire, pr�sident de la chambre civile, accuse la chambre criminelle de dreyfusisme par voie de presse. Il d�missionne le 8 janvier 1899 en h�ros de la cause nationaliste. Cette crise aboutit au dessaisissement de la chambre criminelle au profit des chambres r�unies. C'est le blocage de la r�vision.
+En 1899, l'Affaire occupe de plus en plus la sc�ne politique. Le 16 f�vrier 1899, le pr�sident de la R�publique F�lix Faure meurt. �mile Loubet est �lu, une avanc�e pour la cause de la r�vision, le pr�c�dent pr�sident en �tant un farouche opposant. Le 23 f�vrier, � la faveur des fun�railles de F�lix Faure, D�roul�de tente un coup de force sur l'�lys�e. C'est un �chec, les militaires ne se ralliant pas. Le 4 juin, Loubet est agress� sur le champ de course de Longchamp. Ces provocations, auxquelles s'ajoutent les manifestations permanentes de l'extr�me-droite, bien qu'elle ne mettent jamais r�ellement la R�publique en danger, cr�ent un sursaut r�publicain qui conduit � la formation d'un � gouvernement de d�fense r�publicaine � autour de Waldeck-Rousseau le 22 juin. Les r�publicains progressistes antidreyfusards, tel M�line, sont rejet�s � droite. L'affaire Dreyfus a conduit � une recomposition claire du paysage politique fran�ais.
+La Cour de cassation examine l'affaire, dans un contexte de campagnes de presse � l'encontre de la chambre criminelle, les magistrats �tant constamment tra�n�s dans la boue dans les journaux nationalistes depuis le scandale de Panam�. Le 26 septembre 1898, apr�s un vote du Cabinet, le garde des Sceaux saisit la Cour de cassation. Le 29 octobre, � l'issue de la communication du rapport du rapporteur Alphonse Bard, la chambre criminelle de la Cour d�clare � la demande recevable et dit qu'il sera proc�d� par elle � une instruction suppl�mentaire �.
+Le rapporteur Louis Loew pr�side. Il est l'objet d'une tr�s violente campagne d'injures antis�mites, alors qu'il est protestant alsacien, accus� d'�tre un d�serteur, un vendu aux Prussiens. Malgr� les silences complaisants de Mercier, Billot, Zurlinden et Roget qui se retranchent derri�re l'autorit� de la chose jug�e et le secret d'�tat, la compr�hension de l'Affaire augmente. Cavaignac fait une d�position de deux jours, mais ne parvient pas � d�montrer la culpabilit� de Dreyfus. Au contraire il le disculpe involontairement par une d�monstration de la datation exacte du bordereau (ao�t 1894)203.
+Puis Picquart d�montre l'ensemble des rouages de l'erreur puis de la conspiration. Dans une d�cision du 8 d�cembre 1898 en repr�sailles au dessaisissement qui s'annonce, Picquart est �cart� du Conseil de guerre par la chambre criminelle. C'est un nouvel obstacle aux volont�s de l'�tat-Major. Une nouvelle campagne de presse furieusement antis�mite �clate � l'occasion de cet �v�nement, alors que L'Aurore du 29 octobre titre � Victoire � dans les m�mes caract�res que � J'Accuse...! �206. Le travail d'enqu�te est tout de m�me repris par la chambre criminelle. Le � dossier secret � est analys� � partir du 30 d�cembre, et la chambre demande la communication du dossier diplomatique, ce qui est accord�.
+Le 9 f�vrier, la chambre criminelle rend son rapport en mettant en exergue deux faits majeurs : il est certain qu'Esterh�zy a utilis� le m�me papier pelure que le bordereau et le dossier secret est totalement vide. Ces deux faits majeurs an�antissent � eux seuls toutes les proc�dures � l'encontre d'Alfred Dreyfus. Mais parall�lement, pour faire suite � l'incident de Beaurepaire, le pr�sident Mazeau instruit une enqu�te sur la chambre criminelle, qui aboutit au dessaisissement de celle-ci � afin de ne pas la laisser porter seule toute la responsabilit� de la sentence d�finitive �, ce qui prive la chambre criminelle de la poursuite des actions qui d�couleraient de son rapport.
+Le 28 f�vrier, Waldeck-Rousseau s'exprime au S�nat sur le fond et d�nonce la � conspiration morale � au sein du gouvernement et dans la rue. La r�vision n'est plus �vitable. Le 1er mars 1899, le nouveau pr�sident de la chambre civile de la Cour de cassation, Alexis Ballot-Beaupr� est nomm� rapporteur pour l'examen de la demande de r�vision. Il aborde le dossier en juriste et d�cide d'un suppl�ment d'enqu�te. Dix t�moins compl�mentaires sont interrog�s, lesquels affaiblissent encore la version de l'�tat-Major. Dans le d�bat final et par un mod�le d'objectivit�, le pr�sident Ballot-Beaupr� d�montre l'inanit� du bordereau, la seule charge contre Dreyfus. Le procureur Manau abonde dans le sens du pr�sident. Me Mornard qui repr�sente Lucie Dreyfus plaide sans aucune difficult� ni opposition du parquet.
+Le 3 juin 1899, les chambres r�unies de la Cour de cassation cassent le jugement de 1894 en audience solennelle. L'affaire est renvoy�e devant le Conseil de guerre de Rennes. Les cons�quences sont imm�diates : Zola, exil� en Angleterre, revient en France, Picquart est lib�r�, Mercier est accus� de communication ill�gale de pi�ces. Par cet arr�t, la Cour de cassation s'impose comme une v�ritable autorit�, capable de tenir t�te � l'arm�e et au pouvoir politique. Pour de nombreux Dreyfusards cette d�cision de justice est l'antichambre de l'acquittement du capitaine ; ils oublient de consid�rer que c'est de nouveau l'arm�e qui le juge. La Cour, en cassant avec renvoi, a cru en l'autonomie juridique du Conseil de guerre sans prendre en compte les lois de l'esprit de corps.
+Le prisonnier n'est en rien au courant des �v�nements qui se d�roulent � des milliers de kilom�tres de lui. Ni des complots ourdis pour que jamais il ne puisse revenir, ni de l'engagement d'innombrables honn�tes hommes et femmes � sa cause. L'administration p�nitentiaire filtre les informations qu'elle jugeait confidentielles. � la fin de l'ann�e 1898, il apprend avec stup�faction la dimension r�elle de l'Affaire, dont il ne sait rien : l'accusation de son fr�re contre Esterh�zy, l'acquittement du tra�tre, l'aveu et le suicide d'Henry, ceci � la lecture du dossier d'enqu�tes de la Cour de cassation qu'il re�oit deux mois apr�s sa publication. Le 5 juin 1899, Alfred Dreyfus est pr�venu de la d�cision de cassation du jugement de 1894. Le 9 juin, il quitte l'�le du Diable, cap vers la France, enferm� dans une cabine comme un coupable qu'il n'est pourtant plus. Il d�barque le 30 juin � Port Haliguen, sur la presqu'�le de Quiberon, dans le plus grand secret, � par une rentr�e clandestine et nocturne �. Apr�s cinq ann�es de martyre, il retrouve le sol natal, mais il est imm�diatement enferm� d�s le 1er juillet � la prison militaire de Rennes. Il est d�f�r� le 7 ao�t devant le Conseil de guerre de la capitale bretonne.
+Le g�n�ral Mercier, champion des antidreyfusards, intervient constamment dans la presse, pour r�affirmer l'exactitude du premier jugement : Dreyfus est bien le coupable. Mais imm�diatement, des dissensions se font jour dans la d�fense de Dreyfus. Ses deux avocats sont en effet sur des strat�gies oppos�es. Me Demange souhaite se tenir sur la d�fensive et obtenir simplement l'acquittement de Dreyfus. Me Labori, brillant avocat de 35 ans, offensif, cherche � frapper plus haut ; il veut la d�faite de l'�tat-Major, son humiliation publique. Mathieu Dreyfus a imagin� une compl�mentarit� entre les deux avocats. Le d�roulement du proc�s montre l'erreur, dont va se servir l'accusation, devant une d�fense si affaiblie.
+Le proc�s s'ouvre le 7 ao�t 1899 dans un climat de violence inou�e. Rennes est en �tat de si�ge. Les juges du Conseil de guerre sont sous pression. Esterh�zy, qui a avou� la paternit� du bordereau, en exil en Angleterre, et du Paty, se sont faits excuser. Dreyfus appara�t, l'�motion est forte. Son apparence physique bouleverse ses partisans et certains de ses adversaires. Malgr� sa condition physique d�grad�e, il a une ma�trise compl�te du dossier, acquise en seulement quelques semaines. Tout l'�tat-Major t�moigne contre Dreyfus sans apporter aucune preuve. On ne fait que s'ent�ter et on consid�re comme nuls les aveux d'Henry et d'Esterh�zy. Le proc�s tend m�me � d�raper, dans la mesure o� les d�cisions de la Cour de cassation ne sont pas prises en compte. On discute notamment du bordereau, alors que la preuve a �t� apport�e de la culpabilit� d'Esterh�zy. Pourtant, Mercier se fait huer � la sortie de l'audience. La presse nationaliste et antidreyfusarde se perd en conjectures sur son silence � propos de la � preuve d�cisive � (le pseudo bordereau annot� par le Kaiser, dont personne ne verra jamais aucune preuve), dont il n'avait cess� de faire �tat avant le proc�s.
+Le 14 ao�t, Me Labori est victime d'un attentat sur son parcours vers le tribunal. Il se fait tirer dans le dos par un extr�miste qui s'enfuit et ne sera jamais retrouv�. L'avocat est �cart� des d�bats pendant plus d'une semaine, au moment d�cisif de l'interrogatoire des t�moins. Le 22 ao�t, son �tat s'�tant am�lior�, il est de retour. Les incidents entre les deux avocats de Dreyfus se multiplient, Labori reprochant � Demange sa trop grande prudence. Le gouvernement, devant le raidissement militaire du proc�s, pouvait agir encore de deux mani�res pour infl�chir les �v�nements ; en faisant appel � un t�moignage de l'Allemagne ou par l'abandon de l'accusation. Mais ces tractations en arri�re-plan sont sans r�sultats. L'ambassade d'Allemagne adresse un refus poli au gouvernement. Le ministre de la guerre, le g�n�ral Gaston de Galliffet, fait envoyer un mot respectueux au commandant Louis Carri�re, commissaire du gouvernement. Il lui demande de rester dans l'esprit de l'arr�t de r�vision de la Cour de cassation. L'officier feint de ne pas comprendre l'allusion et aid� de l'avocat nationaliste Auffray, �me v�ritable de l'accusation, il fait un r�quisitoire contre Dreyfus. Du c�t� de la d�fense, il faut prendre une d�cision, car l'issue du proc�s s'annonce mal, malgr� l'�vidence de l'absence de charges contre l'accus�. Au nom du pr�sident du Conseil, Waldeck-Rousseau, aid� de Jaur�s et Zola, Me Labori est convaincu de renoncer � sa plaidoirie pour ne pas heurter l'arm�e. On d�cide de jouer la conciliation en �change de l'acquittement que semble promettre le gouvernement. Mais c'est un nouveau jeu de dupes. Me Demange, seul et sans illusions, assure la d�fense de Dreyfus, dans une atmosph�re de guerre civile.
+� Paris, les agitateurs antis�mites et nationalistes d'Auteuil sont arr�t�s. Jules Gu�rin et ceux qui se sont enfuis et retranch�s dans le Fort Chabrol sont assaillis par la police.
+Le 9 septembre 1899, la Cour rend son verdict : Dreyfus est reconnu coupable de trahison mais � avec circonstances att�nuantes � (par 5 voix contre 2), condamn� � dix ans de r�clusion et � une nouvelle d�gradation. Contrairement aux apparences, ce verdict est au bord de l'acquittement � une voix pr�s. Le code de justice militaire pr�voyait en effet le principe de minorit� de faveur � trois voix contre quatre.
+Ce verdict absurde a les apparences d'un aveu coupable des membres du Conseil de guerre. Ils semblent ne pas vouloir renier la d�cision de 1894, et savent bien que le dossier ne repose que sur du vent. Mais on peut aussi interpr�ter cette d�cision comme un verdict habile, car les juges, tout en m�nageant leurs pairs ainsi que les mod�r�s angoiss�s par les risques de guerre civile, reconnaissent implicitement l'innocence de Dreyfus (peut-on trahir avec des circonstances att�nuantes ?)222.
+Le lendemain du verdict, Alfred Dreyfus, apr�s avoir beaucoup h�sit�, d�pose un pourvoi en r�vision. Waldeck-Rousseau, dans une position difficile, aborde pour la premi�re fois la gr�ce. Pour Dreyfus, c'est accepter la culpabilit�. Mais � bout de force, �loign� des siens depuis trop longtemps, il accepte. Le d�cret est sign� le 19 septembre et il est lib�r� le 21 septembre 1899. Nombreux sont les dreyfusards frustr�s par cet acte final. L'opinion publique accueille cette conclusion de mani�re indiff�rente. La France aspire � la paix civile et � la concorde � la veille de l'exposition universelle de 1900 et avant le grand combat que la R�publique s'appr�te � mener pour la libert� des associations et la la�cit�.
+C'est dans cet esprit que le 17 novembre 1899, Waldeck-Rousseau d�pose une loi d'amnistie couvrant � tous les faits criminels ou d�lictueux connexes � l'Affaire Dreyfus ou ayant �t� compris dans une poursuite relative � l'un de ces faits �. Les dreyfusards s'insurgent, ils ne peuvent accepter que les v�ritables coupables soient absous de leurs crimes d'�tat, alors m�me que Zola et Picquart doivent toujours passer en jugement. Malgr� d'immenses protestations, la loi est adopt�e. Il n'existe alors plus aucun recours possible pour obtenir que l'innocence de Dreyfus soit reconnue ; il faut d�sormais trouver un fait nouveau pouvant entra�ner la r�vision.
+Les r�actions en France sont vives, faites de � stupeur et de tristesse � dans le camp r�visionniste. Pourtant d'autres r�actions tendent � montrer que le � verdict d'apaisement � rendu par les juges est compris et accept� par la population. Les R�publicains cherchent avant tout la paix sociale, pour tourner la page de cette longue affaire extr�mement pol�mique. Aussi, les manifestations sont tr�s peu nombreuses en province, alors que l'agitation persiste quelque peu � Paris. Dans le monde militaire, l'apaisement est aussi de rigueur. Deux des sept juges ont vot� l'acquittement. Ils ont refus� de c�der � l'ordre militaire implicite. Ceci est aussi clairement per�u. Dans une apostrophe � l'arm�e, Galliffet annonce : � l'incident est clos �.
+Des manifestations anti-fran�aises ont lieu dans vingt capitales �trang�res ; la presse est scandalis�e. Les r�actions sont de deux ordres. Les Anglo-saxons, l�galistes, se focalisent sur l'affaire d'espionnage et contestent assez violemment ce verdict de culpabilit� sans arguments positifs � son �dification. � ce titre, le rapport du Lord Chief Justice d'Angleterre, Lord Russell of Killowen, � la reine Victoria le 16 septembre 1899, est un symbole de la r�percussion mondiale de l'Affaire en Grande-Bretagne. Le magistrat anglais, qui s'�tait rendu en observateur � Rennes, critique les faiblesses du Conseil de Guerre :
+� Les juges militaires � n'�taient pas familiers de la loi � [...]. Ils manquaient de l'exp�rience et de l'aptitude qui permettent de voir la preuve derri�re le t�moignage. [...] Ils agirent en fonction de ce qu'ils consid�raient comme l'honneur de l'arm�e. [...] ils accord�rent trop d'importance aux fragiles all�gations qui furent seules pr�sent�es contre l'accus�. Ainsi conclut-il : Il parait certain que si le proc�s de r�vision avait eu lieu devant la Cour de cassation, Dreyfus serait maintenant un homme libre. �+
En Allemagne et en Italie, les deux pays largement mis en cause par les proc�s contre Dreyfus, c'est le soulagement. M�me si l'Empereur d'Allemagne regrette que l'innocence de Dreyfus n'ait pas �t� reconnue, la normalisation des relations franco-prussiennes qui s'annonce est vue comme une d�tente bienvenue. Aucune des nations n'a int�r�t � une tension permanente. La diplomatie des trois puissances, avec l'aide de l'Angleterre, va s'employer � d�tendre une atmosph�re qui ne se d�gradera � nouveau qu'� la veille de la Premi�re Guerre mondiale.
+Cette conclusion judiciaire a aussi une cons�quence funeste sur les relations entre la famille Dreyfus et la branche ultra des dreyfusistes. Fernand Labori, Jaur�s et Clemenceau, avec le consentement du g�n�ral Picquart, reprochent ouvertement � Alfred Dreyfus d'avoir accept� la gr�ce et d'avoir mollement protest� � la loi d'amnistie. En deux ans apr�s cette conclusion, leur amiti� se finissait ainsi, avec de sordides calculs.
+Pr�f�rant �viter un troisi�me proc�s, le gouvernement d�cide de gracier Dreyfus, d�cret que signe le pr�sident Loubet le 19 septembre 1899, apr�s de multiples tergiversations. Dreyfus n'est pas pour autant innocent�. Le processus de r�habilitation ne sera achev� que six ann�es plus tard, sans �clat ni passion. De nombreux ouvrages paraissent pendant cette p�riode. Outre les m�moires d'Alfred Dreyfus, Reinach fait para�tre son Histoire de l'Affaire Dreyfus, et Jaur�s publie Les Preuves. Quant � Zola, il �crit le troisi�me de ses �vangiles : V�rit�. M�me Esterh�zy en profite par des confidences et vend plusieurs versions diff�rentes des textes de sa d�position au consul de France.
+Le 29 septembre 1902, Zola, l'initiateur de l'Affaire, le premier des intellectuels dreyfusards, meurt asphyxi� par la fum�e de sa chemin�e. Son �pouse, Alexandrine, en r�chappe de justesse. C'est le choc dans le clan des dreyfusards.
+Anatole France, qui a exig� que Dreyfus soit pr�sent aux obs�ques, alors que le Pr�fet de police souhaitait son absence � pour �viter les troubles �, lit sa c�l�bre oraison fun�bre � l'auteur de J'Accuse...! :
+� Devant rappeler la lutte entreprise par Zola pour la justice et la v�rit�, m'est-il possible de garder le silence sur ces hommes acharn�s � la ruine d'un innocent et qui, se sentant perdus s'il �tait sauv�, l'accablaient avec l'audace d�sesp�r�e de la peur ? Comment les �carter de votre vue, alors que je dois vous montrer Zola se dressant, faible et d�sarm� devant eux ? Puis-je taire leurs mensonges ? Ce serait taire sa droiture h�ro�que. Puis-je taire leurs crimes ? Ce serait taire sa vertu. Puis-je taire les outrages et les calomnies dont ils l'ont poursuivi ? Ce serait taire sa r�compense et ses honneurs. Puis-je taire leur honte ? Ce serait taire sa gloire. Non, je parlerai. Envions-le : il a honor� sa patrie et le monde par une oeuvre immense et un grand acte. Envions-le, sa destin�e et son coeur lui firent le sort le plus grand. Il fut un moment de la conscience humaine. �+
Les �lections de 1902 avaient vu la victoire des gauches. C'est Jean Jaur�s, r��lu, qui relance l'Affaire le 7 avril 1903 alors que la France la pensait enterr�e � jamais. Dans un discours, Jaur�s �voque la longue liste des faux qui pars�ment le dossier Dreyfus, et insiste particuli�rement sur deux pi�ces saillantes :
+Devant ces faits nouveaux, le g�n�ral Andr�, nouveau ministre de la Guerre, m�ne une enqu�te � l'instigation d'�mile Combes, assist� de magistrats. L'enqu�te est men�e par le capitaine Targe, officier d'ordonnance du ministre. � l'occasion de perquisitions � la Section de statistiques, il d�couvre de tr�s nombreuses pi�ces dont la majorit� sont visiblement fabriqu�es. En novembre 1903, un rapport est remis au garde des Sceaux par le ministre de la Guerre. C'�tait le respect des r�gles, d�s lors que le ministre constate une erreur commise en Conseil de guerre. C'est le d�but d'une nouvelle r�vision, avec une enqu�te minutieuse qui s'�tend sur deux ans.
+Les ann�es 1904 et 1905 sont consacr�es aux diff�rentes phases judiciaires devant la Cour de cassation. La cour emploie trois moyens (causes) � la r�vision :
+Concernant l'�criture du bordereau, la cour est particuli�rement s�v�re � l'encontre de Bertillon qui a � raisonn� mal sur des documents faux �. Le rapport d�montre que l'�criture est bien d'Esterh�zy, ce que ce dernier a d'ailleurs avou� entre-temps. Enfin, la Cour d�montre par une analyse compl�te et subtile du bordereau l'inanit� de cette construction purement intellectuelle, et une commission de quatre g�n�raux dirig�e par un sp�cialiste de l'artillerie, le g�n�ral Sebert, affirme � qu'il est fortement improbable qu'un officier d'artillerie ait pu �crire cette missive �.
+Le 9 mars 1905, le procureur g�n�ral Baudouin rend un rapport de 800 pages dans lequel il r�clame la cassation sans renvoi et fustige l'arm�e. Il amorce un dessaisissement de la justice militaire qui trouve sa conclusion seulement en 1982237. Il faut attendre le 12 juillet 1906 pour que la Cour de cassation, toutes chambres r�unies, annule sans renvoi le jugement rendu � Rennes en 1899 et prononce � l'arr�t de r�habilitation du capitaine Dreyfus �. Les antidreyfusards crient � la r�habilitation � la sauvette. Mais le but est �videmment politique : il s'agit d'en finir et de tourner la page d�finitivement. Rien ne peut entamer la conviction des adversaires de Dreyfus. Cette forme est donc la plus directe et la plus d�finitive. Ce qui est annul� est non seulement l'arr�t de Rennes, mais toute la cha�ne des actes ant�rieurs, � commencer par l'ordre de mise en jugement donn� par le g�n�ral Saussier en 1894. La Cour s'est focalis�e sur les aspects juridiques uniquement et constate que Dreyfus ne doit pas �tre renvoy� devant un Conseil de guerre pour la simple raison qu'il n'aurait jamais d� y passer, devant l'absence totale de charges.
+� Attendu, en derni�re analyse, que de l'accusation port�e contre Dreyfus, rien ne reste debout ; et que l'annulation du jugement du Conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse � sa charge �tre qualifi� crime ou d�lit ; d�s lors, par application du paragraphe final de l'article 445 aucun renvoi ne doit �tre prononc�. �+
Dreyfus est r�int�gr� partiellement dans l'arm�e, au grade de chef d'escadron (commandant), par la loi du 13 juillet 1906. Ses cinq ann�es d'incarc�ration ne sont pas prises en compte pour la reconstitution de sa carri�re, et il ne peut plus pr�tendre � un grade d'officier g�n�ral. Cette d�cision brise tout espoir d'une carri�re digne de ses r�ussites ant�rieures � son arrestation de 1894. Il est donc contraint � une douloureuse d�mission en juin 1907. Les magistrats ne pouvaient rien contre cette ultime injustice volontairement commise. Le droit et l'�galit� avaient �t� encore une fois bafou�s. Dreyfus n'a jamais demand� aucun d�dommagement � l'�tat, ni dommages-int�r�ts � qui que ce soit. La seule chose qui lui importait, c'�tait la reconnaissance de son innocence.
+Le 4 juin 1908, � l'occasion du transfert des cendres d'�mile Zola au Panth�on, Alfred Dreyfus est la cible d'un attentat. Louis-Anthelme Gr�gori, journaliste d'extr�me droite, adjoint de Drumont, tire deux coups de revolver et blesse Dreyfus l�g�rement au bras. Il s'agissait, pour l'Action fran�aise, de perturber au mieux cette c�r�monie en visant � les deux tra�tres � : Zola et Dreyfus. Mais aussi de refaire le proc�s Dreyfus au travers d'un nouveau proc�s, une revanche en quelque sorte. Le proc�s aux Assises de la Seine, d'o� Gr�gori sort acquitt�, derni�re d'une longue s�rie de fautes judiciaires, est l'occasion de nouvelles �meutes antis�mites que le gouvernement r�prime mollement.
+Officier de r�serve, Dreyfus participe � la guerre de 1914 - 1918 au camp retranch� de Paris, comme chef d'un parc d'artillerie, puis affect� au Chemin des Dames et � Verdun. Il termine sa carri�re militaire au grade de colonel. Il meurt le 12 juillet 1935 � l'�ge de soixante-seize ans dans l'indiff�rence g�n�rale. Le colonel Picquart est lui aussi r�habilit� officiellement et r�int�gr� dans l'arm�e au grade de g�n�ral de brigade. Il est m�me ministre de la Guerre de 1906 � 1909 dans le premier gouvernement Clemenceau. Il meurt en 1914 d'un accident de cheval.
+L'affaire Dreyfus a-t-elle laiss� une trace ? Quel h�ritage la soci�t� fran�aise peut-elle retirer de ces douze ann�es ? Pour certains, l'affaire Dreyfus a marqu� la soci�t� fran�aise au fer rouge. Tous les compartiments de la soci�t� sont touch�s, certains sont boulevers�s.
+L'affaire fait revivre l'affrontement des deux France. Toutefois, cette opposition a servi l'ordre r�publicain, selon tous les historiens. On assiste en effet � un renforcement de la d�mocratie parlementaire et � un �chec des forces monarchistes et r�actionnaires. L'excessive violence des partis nationalistes a rassembl� les r�publicains en un front uni, qui met en �chec les tentatives de retour � l'ordre ancien. � court terme, les forces politiques progressistes, issues des �lections de 1893, confirm�es en 1898, en pleine affaire Dreyfus, disparaissent en 1899. Le choc des proc�s Esterh�zy et Zola am�ne une politique dreyfusienne dont le but est de d�velopper une conscience r�publicaine et de lutter contre le nationalisme autoritaire qui s'exprime lors de l'Affaire. Car la progression d�sinhib�e d'un nationalisme de type populiste est une autre grande cons�quence de l'�v�nement dans le monde politique fran�ais, et ce m�me s'il n'est pas n� avec l'affaire Dreyfus, puisque le nationalisme est th�oris� par Maurice Barr�s d�s 1892. Le nationalisme conna�t des hauts et des bas, mais parvient � se maintenir en tant que force politique, sous le nom d'Action fran�aise, jusqu'� la d�faite de 1940, lorsque apr�s cinquante ans de combat, elle acc�de au pouvoir et peut, vieux r�ve de Drumont, � purifier � l'�tat avec les cons�quences que chacun sait. On note � cette occasion le ralliement de nombreux r�publicains � Vichy, sans qui le fonctionnement de l'�tat e�t �t� pr�caire, montrant en cela la fragilit� de l'institution r�publicaine dans des circonstances extr�mes. � la lib�ration, Charles Maurras, condamn� le 25 janvier 1945 pour faits de collaboration, s'�crie au verdict : � C'est la revanche de Dreyfus ! �
+Elle am�ne par effet de r�action, l'autre cons�quence, une mutation intellectuelle du socialisme. Jaur�s est un dreyfusard tardif (janvier 1898), convaincu par les socialistes r�volutionnaires. Mais son engagement devient r�solu, aux c�t�s de Georges Clemenceau � partir de 1899, sous l'influence de Lucien Herr. L'ann�e 1902 voit la naissance de deux partis : le Parti socialiste fran�ais, qui rassemble les jaur�siens, et le Parti socialiste de France, sous influence de Guesde et Vaillant. Les deux partis fusionnent en 1905 en une Section fran�aise de l'Internationale ouvri�re (SFIO).
+Par ailleurs, 1901 voit la naissance du Parti r�publicain radical-socialiste, premier parti politique moderne con�u comme une machine �lectorale de rassemblement r�publicain. Il a une structure permanente et s'appuie sur les r�seaux dreyfusards. La cr�ation de la Ligue fran�aise pour la d�fense des droits de l'homme et du citoyen est contemporaine de l'affaire. C'est le creuset d'une gauche intellectuelle extr�mement active au d�but du si�cle, conscience de la gauche humaniste.
+Cons�quence finale sur le plan politique, le tournant du si�cle voit un renouvellement profond du personnel politique, avec la disparition de grandes figures r�publicaines, � commencer par Auguste Scheurer-Kestner. Ceux qui � la fin du si�cle ont pu peser fortement sur les �v�nements de l'affaire ont d�sormais disparu, laissant la place � des hommes nouveaux dont l'ambition est de r�former et de corriger les erreurs et d�fauts.
+Socialement, l'antis�mitisme est au devant de la sc�ne. Pr�existant � l'affaire Dreyfus, il s'�tait exprim� lors des affaires du Boulangisme et du canal de Panam�. Mais il �tait restreint � une �lite intellectuelle. L'affaire Dreyfus r�pand la haine raciale dans toutes les couches de la soci�t�, mouvement certes initi� par le succ�s de La France juive de Drumont en 1886, mais �norm�ment amplifi� par les divers �pisodes judiciaires et les campagnes de presse pendant pr�s de quinze ans. L'antis�mitisme est donc d�s lors officiel et expos� dans de nombreux milieux, y compris ouvriers. Des candidats � l'�lection l�gislative se pr�valent de l'antis�mitisme comme mot d'ordre aux �lections l�gislatives. Cet antis�mitisme est renforc� par la crise de la s�paration des �glises et de l'�tat � partir de 1905, l'amenant probablement � son paroxysme en France. Le passage � l'acte est permis par l'av�nement du r�gime de Vichy, qui laisse libre cours � l'expression d�brid�e et compl�te de la haine raciale. Au sortir de la guerre, la monstruosit� de la solution finale s'impose � tous, muselant jusqu'� nos jours l'expression d'un antis�mitisme qui peut s'exprimer de temps � autres au travers de d�clarations des partis nationalistes, d'autant plus fracassantes qu'elles sont devenues rarissimes. La persistance d'un sentiment antis�mite r�siduel en France, para�t toujours d'actualit� � en juger par certains crimes et d�lits qui, de temps � autre, peuvent d�frayer la chronique.
+Autre cons�quence sociale, le r�le renforc� de la presse. Pour la premi�re fois, elle a exerc� une importante influence sur la vie politique fran�aise. On peut parler d'un quatri�me pouvoir, d�s lors qu'elle se substitue � tous les organes de l'�tat. Surtout que la haute tenue r�dactionnelle de cette presse est principalement issue du travail d'�crivains et de romanciers, qui utilisent les journaux comme un moyen r�volutionnaire d'expression. La puissance de cette presse a tr�s certainement port� les hommes politiques � l'action, � l'exemple d'un Mercier qui para�t avoir pouss� au proc�s Dreyfus en 1894 pour plaire � La Libre Parole qui l'attaquait f�rocement. Cela dit, le r�le de la presse est limit� par la diffusion des titres, � la fois importante � Paris et faible � l'�chelle nationale. L'ensemble du tirage de la presse nationale para�t tourner autour de quatre millions et demi d'exemplaires, ce qui relativise fortement son influence r�elle. On assiste par ailleurs en 1899 � la parution d'une presse sp�cifique destin�e � coordonner la lutte (dans le camp dreyfusiste), avec le Journal du Peuple de S�bastien Faure.
+Le choc de l'affaire Dreyfus a un impact �galement sur le mouvement sioniste � qui y trouve un terrain propice � son �closion �.
+Le journaliste austro-hongrois Th�odore Herzl ressort profond�ment marqu� de l'affaire Dreyfus dont il suit les d�buts comme correspondant de la Neue freie Presse de Vienne et assiste � la d�gradation d'Alfred Dreyfus en 1895. � L'affaire [...] agit comme un catalyseur dans la conversion de Herzl �. Devant la vague d'antis�mitisme qui l'accompagne, Herzl se � convainc de la n�cessit� de r�soudre la question juive �, qui devient � une obsession pour lui �. Dans Der Judenstaat (l'�tat des Juifs), il consid�re que � si la France - bastion de l'�mancipation, du progr�s et du socialisme universaliste - p[eut] se laisser emporter dans un maelstr�m d'antis�mitisme et laisser la foule parisienne scander � � mort les Juifs ! �, o� ces derniers peuvent-ils encore �tre en s�curit� - si ce n'est dans leur propre pays ? L'assimilation ne r�soudra pas le probl�me parce que le monde des gentils ne le permettra pas, comme l'affaire Dreyfus l'a si clairement d�montr� �. Le choc est d'autant plus fort qu'ayant v�cu toute sa jeunesse en Autriche, pays antis�mite, Herzl a choisi d'aller vivre en France pour l'image humaniste dont se pr�vaut le pays de Voltaire, � l'abri des exc�s extr�mistes.
+Il organise d�s 1897, le 1er congr�s sioniste � B�le et est consid�r� comme l'� inventeur du sionisme en tant que v�ritable mouvement politique �257. L'affaire Dreyfus marque aussi un grand tournant dans la vie de nombreux Juifs d'Europe centrale et occidentale, tout comme les pogroms de 1881 - 1882 l'avaient fait pour les Juifs d'Europe orientale.
+L'affaire Dreyfus se distingue par le nombre important d'ouvrages publi�s � son sujet. Une partie importante de ces publications rel�ve de la simple pol�mique et ne sont pas des livres historiques. Mais ces ouvrages sont consult�s dans le cadre d'�tudes psycho-sociales de l'affaire.
+Le grand int�r�t de l'�tude de l'affaire Dreyfus r�side dans le fait que toutes les archives sont ais�ment disponibles. Bien que les d�bats du Conseil de guerre de 1894 n'aient pas �t� pris en st�nographie, les comptes-rendus de toutes les audiences publiques des nombreux proc�s de l'affaire peuvent �tre consult�s. Par ailleurs, un grand nombre d'archives sont facilement accessibles aux Archives nationales et aux Archives militaires du fort de Vincennes.
+Une litt�rature contemporaine de l'affaire a �t� publi�e entre 1894 et 1906. � commencer par l'opuscule de Bernard Lazare, premier intellectuel dreyfusard : malgr� des erreurs factuelles, il reste un t�moignage des �tapes vers la r�vision.
+L'ouvrage de Joseph Reinach, l'Histoire de l'affaire Dreyfus en sept volumes, qui commence � para�tre en 1901 et se termine avec l'index en 1911, a �t� la r�f�rence jusqu'� la publication des travaux d'histoire scientifique livr�s � partir des ann�es 1960. Il contient de tr�s nombreuses informations exactes, malgr� quelques interpr�tations g�n�ralement contest�es sur le pourquoi de l'affaire.
+D'autre part, il existe des � m�moires instantan�s � de t�moins directs, comme le livre antis�mite et mensonger d'Esterh�zy, ou celles d'Alfred Dreyfus lui-m�me dans Cinq ann�es de ma vie. Il s'agit de t�moignages de nature � compl�ter le panorama de l'affaire.
+Le pr�cis de l'affaire Dreyfus par � Henri Dutrait-Crozon �, pseudonyme du colonel Larpent est la base de toute la litt�rature antidreyfusarde post�rieure � l'affaire, jusqu'� nos jours. L'auteur y d�veloppe la th�orie du complot, aliment� par la finance juive, pour pousser Esterh�zy � s'accuser du crime. Sous des dehors scientifiques, on y retrouve un �chafaudage de th�ories qu'aucune preuve ne soutient.
+La publication des carnets de Schwartzkoppen, en 1930, am�ne un �clairage sur le r�le coupable d'Esterh�zy dans l'affaire et disculpe du m�me coup Alfred Dreyfus, s'il en �tait besoin. La droite nationale conteste la valeur de ce t�moignage ambigu et impr�cis, mais la plupart des historiens le retient comme source valide.
+La p�riode de l'Occupation jette un voile sur l'affaire. La Lib�ration et la r�v�lation de la Shoah am�nent une r�flexion de fond sur l'ensemble de l'affaire Dreyfus. Jacques Kayser (1946), puis Maurice Pal�ologue (1955) et Henri Giscard d'Estaing (1960) relancent l'affaire sans grandes r�v�lations, avec une d�marche g�n�ralement jug�e insuffisante sur le plan historique.
+C'est Marcel Thomas, archiviste pal�ographe, conservateur en chef aux Archives nationales, qui en 1961, apporte, par son Affaire sans Dreyfus en deux volumes, un renouvellement complet de l'histoire de l'affaire, appuy�e sur toutes les archives publiques et priv�es disponibles. Son ouvrage est le socle de l'ensemble des �tudes historiques ult�rieures.
+Henri Guillemin, la m�me ann�e, avec son Enigme Esterh�zy, semble trouver la clef de � l'�nigme � dans l'existence d'un troisi�me homme (en plus de Dreyfus et Esterh�zy), explication qu'il partage momentan�ment avec Michel de Lombar�s, puis l'abandonne quelques ann�es plus tard.
+Jean Doise, normalien et sp�cialiste des arm�es, malgr� de solides r�flexions et descriptions, tente d'expliquer l'affaire par la gen�se du canon de 75 mm dans Un secret bien gard�, mais ses hypoth�ses conclusives sont regard�es de mani�re tr�s critique.
+Jean-Denis Bredin, avocat et historien, livre L'Affaire en 1983, reconnue comme la meilleure somme sur l'affaire Dreyfus. L'int�r�t de l'ouvrage porte sur une relation strictement factuelle et document�e des faits et une r�flexion polyforme sur les diff�rents aspects de cet �v�nement.
+Il revient enfin � Vincent Duclert d'avoir livr� en 2005 la premi�re Biographie d'Alfred Dreyfus, en 1 300 pages, parmi une dizaine d'autres publications sur l'affaire Dreyfus, incluant la correspondance compl�te d'Alfred et Lucie Dreyfus de 1894 � 1899.
+Enfin, l'affaire Dreyfus a fourni le pr�texte � de nombreux romans. La derni�re oeuvre d'�mile Zola (1902), V�rit�, transpose l'affaire Dreyfus dans le monde de l'�cole. Anatole France publie L'�le des pingouins (1907) qui relate l'affaire au livre VI : � L'Affaire des quatre-vingt mille bottes de foin. �265 D'autres auteurs y contribueront, comme Roger Martin du Gard, Marcel Proust ou Maurice Barr�s.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Albert Einstein, n� le 14 mars 1879, Ulm (Wurtemberg) et d�c�d� le 18 avril 1955 Princeton (New Jersey) est un physicien qui fut successivement allemand, puis apatride (1896), suisse (1901), et enfin helv�to-am�ricain (1940)1. Il publie sa th�orie de la relativit� restreinte en 1905, et une th�orie de la gravitation dite relativit� g�n�rale en 1915. Il contribue largement au d�veloppement de la m�canique quantique et de la cosmologie, et re�oit le prix Nobel de physique en 1921 pour son explication de l'effet photo�lectrique. Son travail est notamment connu pour l'�quation E=mc�, qui �tablit une �quivalence entre la mati�re et l'�nergie d'un syst�me.
+Son p�re, Hermann Einstein, est n� le 30 ao�t 1847 � Buchaun, et meurt le 10 octobre 1902 � Milan. Il �pouse Pauline Koch le 8 ao�t 1876. Trois ans plus tard, le 14 mars 1879, Albert Einstein na�t dans leur appartement � Ulm en Allemagne ; c'est leur premier enfant. Son int�r�t pour la science est �veill� dans son enfance par une boussole � l'�ge de cinq ans, et le livre La Petite Bible de la g�om�trie, � treize ans.
+Il fait ses �tudes primaires et secondaires � la Hochschule d'Aargau en Suisse, o� il obtient son dipl�me le 30 septembre 1896. Il a d'excellents r�sultats en math�matiques, mais refuse de s'instruire en biologie et en sciences humaines, car il ne per�oit pas l'int�r�t d'apprendre des disciplines qu'il estime d�j� largement explor�es. Il consid�re alors la science comme le fruit de la raison humaine et de la r�flexion. Il demande � son p�re de lui donner la nationalit� suisse afin de rejoindre sa famille �migr�e � Milan en Italie.
+Il entre � l'�cole polytechnique f�d�rale de Zurich (ETH) en 1896 apr�s y avoir cependant rat� son premier examen d'entr�e. Il s'y lie d'amiti� avec le math�maticien Marcel Grossmann, qui l'aide plus tard en g�om�trie non euclidienne. Il y rencontre aussi Mileva Maric, sa premi�re �pouse. Il obtient avec justesse son dipl�me en 1900 s'avouant lui-m�me dans son autobiographie, � incapable de suivre les cours, de prendre des notes et de les travailler de fa�on scolaire �.
+Au cours de cette p�riode, il approfondit ses connaissances en autodidacte par la lecture de livres de r�f�rence, comme ceux de Boltzmann, de Helmholtz et de Nernst. Son ami Michele Besso l'initie aux id�es de la M�canique de Ernst Mach. Selon plusieurs biographies, cette p�riode de 1900 � 1902 est marqu�e par la pr�carit� de sa situation : il postule � de nombreux emplois sans �tre accept�. La mis�re d'Albert Einstein pr�occupe son p�re qui tente en vain de lui trouver un poste. Albert se r�signe alors � s'�loigner du milieu universitaire pour trouver un emploi dans l'administration. En 1901, il publie son premier article scientifique dans les Annalen der Physik, et cet article est d�di� � ses recherches sur la capillarit�.
+Le premier enfant d'Albert Einstein, Lieserl, na�t � la fin de l'ann�e 1902. Son existence fut longtemps ignor�e des historiens, et il n'existe aucune information connue sur son devenir. Albert et Mileva se marient en 1903, son p�re lui ayant finalement donn� sa permission sur son lit de mort. En 1904, le couple donne naissance � Hans-Albert, puis Eduard Einstein en 1910.
+En 1902, il est embauch� � l'Office des brevets de Berne, ce qui lui permet de vivre correctement tout en poursuivant ses travaux. Durant cette p�riode, il fonde l'Acad�mie Olympia avec Conrad Habicht et Maurice Solovine, qui traduisit plus tard ses oeuvres en fran�ais. Ce cercle de discussion se r�unit au 49 de la rue Kramgasse, et organise des balades en montagne. Einstein partage le r�sultat de ses travaux avec Conrad Habicht et lui envoie les articles qu'il publie pendant l'ann�e 1905 concernant les fondements de la relativit� restreinte, l'hypoth�se des quanta de lumi�re et la th�orie du mouvement brownien, et qui ouvrent de nouvelles voies dans la recherche en physique nucl�aire, m�canique c�leste, etc. L'article portant sur le mouvement brownien prend appui sur des travaux qu'Einstein d�veloppe plus tard et qui aboutissent � sa th�se, intitul�e Eine neue Bestimmung der Molek�ldimensionen (� Une nouvelle d�termination des dimensions mol�culaires � en allemand), et � son dipl�me de doctorat le 15 janvier 19062.
+En 1909, Albert Einstein est reconnu par ses pairs, en particulier Planck et Nernst qui souhaitent l'inviter � l'Universit� de Berlin. Le 9 juillet 1909, il est distingu� docteur honoris causa par l'universit� de Gen�ve. Les offres d'emplois se multiplient. En 1911, il est invit� au premier Congr�s Solvay, en Belgique, qui rassemble les scientifiques les plus connus. Il y rencontre entre autres Marie Curie, Max Planck et Paul Langevin. En 1913, Albert est nomm� � l'Acad�mie des sciences de Prusse.
+En 1914, il d�m�nage en Allemagne et habite � Berlin de nombreuses ann�es. Les propositions d'emploi qu'il re�oit lui permettent de se consacrer tout entier � ses travaux de recherche. Mileva et Albert se s�parent, et ce dernier commence � fr�quenter une cousine berlinoise, Elsa. � l'ouverture du conflit de la Premi�re Guerre mondiale, il d�clare ses opinions pacifistes. La ville de Berlin s'�tait engag�e � lui fournir une maison, mais Albert Einstein obtient finalement un terrain sur lequel il fait construire une maison � ses frais. Situ� � Caputh, pr�s du lac de Havelsee, l'endroit est calme et lui permet de faire fr�quemment de la voile.
+En 1916, il publie un livre pr�sentant sa th�orie de la gravitation, connue aujourd'hui sous le nom de la relativit� g�n�rale. En 1919, Arthur Eddington r�alise la mesure de la d�viation que la lumi�re d'une �toile subit � proximit� du Soleil, cette d�viation �tant une des pr�visions d�coulant de cette th�orie. Cet �v�nement est m�diatis�, et Einstein entreprend � partir de 1920 de nombreux voyages � travers le monde. En 1925, il est laur�at de la m�daille Copley, et en 1928, il est nomm� pr�sident de la Ligue des Droits de l'homme. En 1935, il devient laur�at de la M�daille Franklin.
+La situation s'assombrit en Allemagne dans les ann�es 1920, et il subit des attaques visant ses origines juives et ses opinions pacifistes. Sa s�curit� est menac�e par la mont�e des mouvements nationalistes dont celle du parti nazi. Peu apr�s l'arriv�e d'Hitler au pouvoir, au d�but 1933, il apprend que sa maison de Caputh a �t� pill�e par les nazis, et il d�cide de ne plus revenir en Allemagne. Apr�s un court s�jour sur la c�te belge, il s'installe aux �tats-Unis, o� il travaille � l'Institute for Advanced Study de Princeton. Ses recherches visent � �laborer une th�orie unifiant la gravitation et l'�lectromagn�tisme, mais sans succ�s, ce qui le d�tourne peut �tre d'autres recherches dans des domaines plus fructueux.
+Le 2 ao�t 1939, il r�dige une lettre � Roosevelt qui contribue � enclencher le projet Manhattan.
+Einstein meurt le 18 avril 1955 d'une rupture d'an�vrisme, et l'autopsie r�v�le que son cerveau est marqu� d'une hypertrophie de l'h�misph�re gauche. Ses cendres sont �parpill�es dans un lieu tenu secret, conform�ment � son testament. Mais en d�pit de ses derni�res volont�s, son cerveau et ses yeux sont pr�serv�s par le m�decin l�giste ayant effectu� son autopsie.
+Son fils Eduard, atteint d'une possible schizophr�nie, passe la majeure partie de sa vie dans une clinique en Suisse, et son autre fils Hans-Albert devient ing�nieur en Californie.
+L'ann�e 1905 est une ann�e fructueuse pour Einstein, quatre de ses articles �tant publi�s dans la revue Annalen der Physik :
+Le premier article, publi� en mars, expose un point de vue r�volutionnaire sur la nature corpusculaire de la lumi�re, par l'�tude de l'effet photo�lectrique. Einstein l'intitule : Sur un point de vue heuristique concernant la production et la transformation de la lumi�re. Il y relate ses recherches sur l'origine des �missions de particules, en se basant sur les travaux de Planck qui avait, en 1900, �tabli une formule d'un rayonnement quantifi�, c'est-�-dire discontinu. Planck avait �t� contraint d'aborder le rayonnement lumineux �mis par un corps chaud d'une mani�re qui le d�concertait : pour mettre en ad�quation sa formule et les r�sultats exp�rimentaux, il lui avait fallu supposer que le courant de particules se divisait en blocs d'�nergie, qu'il appela quanta. Bien qu'il pens�t que ces quanta n'avaient pas de v�ritable existence, sa th�orie semblait prometteuse et plusieurs physiciens y travaill�rent. Einstein r�investit les r�sultats de Planck pour �tudier l'effet photo�lectrique, et il conclut en �non�ant que la lumi�re se comportait � la fois comme une onde et � la fois comme un flux de particules. L'effet photo�lectrique a donc fourni une confirmation simple de l'hypoth�se des quanta de Max Planck. En 1920, les quanta furent appel�s les photons.
+Deux mois plus tard, en mai, Einstein fait publier un deuxi�me article sur le mouvement brownien. Il explique ce mouvement par une entorse compl�te au principe d'entropie tel qu'�nonc� � la suite des travaux de Newton sur les forces m�caniques : selon lui, les mol�cules tireraient leur �nergie cin�tique de la chaleur. Cet article fournit une preuve th�orique (v�rifi�e exp�rimentalement par Jean Perrin en 1912) de l'existence des atomes et des mol�cules. Le mouvement brownien a �t� expliqu� au m�me moment qu'Einstein par Marian Smoluchowski, et par Louis Bachelier en 1900.
+Le troisi�me article est plus important, car il repr�sente la rupture intuitive d'Einstein avec la physique newtonienne. Dans celui Sur l'�lectrodynamique des corps en mouvement, le physicien s'attaque au postulat d'un espace et d'un temps absolus, tels que d�finis par la m�canique de Newton, et � l'existence de l'�ther, milieu interstellaire inerte qui devait soutenir la lumi�re comme l'eau ou l'air soutiennent les ondes sonores dans leurs d�placements. Cet article, publi� en juin, am�ne � deux conclusions : l'�ther n'existe pas, et le temps et l'espace sont relatifs. Le nouvel absolu qu'Einstein �difie est d�tach� de la nature quantitative de ces deux notions que sont l'espace et le temps, mais sont li�s par la conservation de leur relation � travers les diff�rents r�f�rentiels d'�tudes. Les cons�quences de cette vision r�volutionnaire de la physique, qui d�coule de l'id�e qu'Einstein avait de la mani�re dont les lois physiques devaient contraindre l'univers, ont bouscul� tant la physique th�orique que ses applications pratiques. L'apport exact d'Einstein par rapport � Henri Poincar� et quelques autres physiciens est aujourd'hui assez disput� (voir Controverse sur la paternit� de la relativit�).
+Le dernier article, publi� en septembre, donne au titre L'inertie d'un corps d�pend-elle de son contenu en �nergie ? une r�ponse c�l�bre : la formule d'�quivalence masse-�nergie, E=mc�. C'est un r�sultat de la toute nouvelle relativit� restreinte, dont d�coulent un vaste champ d'�tudes et d'applications : physique nucl�aire, m�canique c�leste, et armes et centrales nucl�aires, par exemple.
+En 1916, Einstein publie sa th�orie dite de la relativit� g�n�rale. Son ancien condisciple Marcel Grossmann l'aide dans ses travaux en lui apportant ses connaissances en g�om�trie diff�rentielle : ils publient un article sur les tenseurs de Ricci et de Riemann-Christoffel en 1913. En octobre 1914, Einstein publie un article sur la g�om�trie diff�rentielle, et en juin 1915, il donne des conf�rences � l'universit� G�ttingen devant Hilbert et Klein.
+Les � �quations du champ � sont la cl� de vo�te de cette th�orie. Elles d�crivent le comportement du champ de gravitation (la m�trique de l'espace-temps) en fonction du contenu �nerg�tique et mat�riel. La th�orie de la relativit� ainsi que ses ouvrages de 1905 et 1916 forment la base de la physique moderne.
+La relation entre Einstein et la physique quantique est remarquable : d'un c�t�, certaines de ses th�ories sont la base de la physique quantique, en particulier son explication de l'effet photo�lectrique ; d'un autre c�t�, il refuse beaucoup d'id�es et d'interpr�tations de la m�canique quantique plus tard. L'opposition entre le groupe d'Einstein et Erwin Schr�dinger et celui de Niels Bohr et Werner Heisenberg se situait � la fronti�re de la physique et de la philosophie.
+En 1927, invit� au cinqui�me congr�s Solvay, il a de nombreuses conversations avec Niels Bohr � ce sujet. Il dit alors : � Gott w�rfelt nicht � (� Dieu ne joue pas aux d�s �) pour marquer son opposition � l'interpr�tation probabiliste de la physique quantique, ce � quoi Niels Bohr r�pondit : � Qui �tes-vous Albert Einstein pour dire � Dieu ce qu'il doit faire ? �. Le paradoxe quantique qu'il pr�cise plus tard avec Podolsky et Rosen � Princeton reste aujourd'hui tr�s important.
+Pour v�rifier la relativit� g�n�rale, une mesure de la d�viation des rayons lumineux aux alentours d'une masse, lors d'une �clipse solaire est envisag�e. La premi�re exp�dition est programm�e en 1915, mais est rendue impossible par la Premi�re Guerre mondiale. En 1919, Arthur Eddington r�alise la fameuse mesure. Il annonce que les r�sultats sont conformes � la th�orie d'Einstein. Il appara�t bien plus tard qu'en raison du temps nuageux, la marge d'erreur �tait bien sup�rieure au ph�nom�ne � mesurer. Stephen Hawking explique dans Une Br�ve histoire du temps que ce genre de faux bon r�sultat est courant quand on sait � quoi s'attendre. Comme entre-temps, d'autres mesures avaient confirm� la d�viation de la lumi�re, le prestige de la relativit� g�n�rale n'en fut pas �branl�.
+Les positions politiques prises par Einstein sont marqu�es par ses opinions pacifistes, qu'il relativise parfois, par exemple en d�conseillant l'objection de conscience � un jeune Europ�en lui ayant �crit pendant les ann�es 1930, � pour la sauvegarde de son pays et de la civilisation �. En 1913, il est cosignataire d'une p�tition pour la paix que trois autres savants allemands acceptent de signer. Einstein �prouve une forte antipathie vis � vis des institutions militaires : � Si un homme peut �prouver quelque plaisir � d�filer en rang aux sons d'une musique, je m�prise cet homme... Il ne m�rite pas un cerveau humain puisqu'une moelle �pini�re le satisfait. � Einstein est li� � de nombreuses causes pacifistes, car il se montre ouvert aux propositions multiples de soutien qu'il re�oit, et accepte souvent de s'engager pour les causes qu'il juge juste.
+Pendant la guerre froide, il s'exprime contre la course aux armements et appelle, par exemple avec Bertrand Russell et Joseph Rotblat, les scientifiques � plus de responsabilit�s, les gouvernements � un renoncement commun � la prolif�ration des armes atomiques et � leur utilisation, et les peuples � chercher d'autres moyens d'obtenir la paix (cr�ation du Comit� d'urgence des scientifiques atomistes en 1946, Manifeste Russell-Einstein en 1954). Il s'est plusieurs fois exprim� sur sa conviction de la n�cessit� de cr�er un �tat mondial.
+Le 2 ao�t 1939, il r�dige une lettre � Roosevelt qui contribue � enclencher le projet Manhattan. En 1945, lorsqu'il comprend que les �tats-Unis vont r�aliser la premi�re bombe atomique de l'histoire, il prend l'initiative d'�crire une nouvelle fois � Roosevelt pour le prier de renoncer � cette arme. Apr�s la guerre, Einstein milite pour un d�sarmement atomique mondial, jusqu'au seuil de sa mort en 1955, o� il confesse � Linus Pauling : � j'ai fait une grande erreur dans ma vie, quand j'ai sign� cette lettre [de 1939]. �
+Einstein apporte un soutien marqu� aux mouvements sionistes. En 1920, il accompagne ainsi le chef de file sioniste Chaim Weizmann aux �tats-Unis au cours d'une campagne de r�colte de fonds. Il se rend �galement en Palestine mandataire dans le cadre de l'inauguration de l'universit� h�bra�que de J�rusalem � laquelle il l�gue plus tard ses archives personnelles. Ses apparitions donnent un prestige politique � la cause sioniste. Suite � une invitation � s'�tablir � J�rusalem, il �crit dans son carnet de voyage que � le coeur dit oui (...) mais la raison dit non �. Selon Tom Segev, Einstein appr�cie son voyage en Palestine et les honneurs qui lui sont faits. Il marque n�anmoins sa d�sapprobation en voyant des Juifs prier devant le mur des lamentations ; Einstein commente qu'il s'agit de personnes coll�es au pass� et faisant abstraction du pr�sent.
+Il a une vision clairvoyante de l'�volution de la situation entre les deux guerres en Allemagne : � Pour l'instant, je suis un savant allemand, mais si je viens � devenir une b�te noire, je serai un juif suisse �. Il re�oit des menaces de mort d�s 1922. De violentes attaques ont lieu contre sa th�orie de la relativit� en Allemagne et en Russie. Philipp Lenard, � chef de la physique aryenne ou allemande � attribue � Friedrich Hasen�hrl la formule E=mc� pour en faire une cr�ation aryenne. Einstein d�missionne - juste � temps - de l'acad�mie de Prusse en 1933, et il est exclu de celle de Bavi�re. Cette ann�e-l�, Einstein est en voyage � l'�tranger, et il choisit de ne pas revenir en Allemagne, o� Hitler a pris le pouvoir en janvier. Apr�s un s�jour en Belgique, il d�cline une proposition de la France de l'accueillir comme professeur au Coll�ge de France, et part pour les �tats-Unis, � Princeton.
+Apr�s la Seconde Guerre mondiale, son engagement vis � vis des communaut�s juives et Isra�l, est nuanc�e par ses opinions pacifistes. Il pr�face le Livre Noir, recueil de t�moignages sur l'extermination des juifs en Russie par les nazis pendant la guerre. Et en d�cembre 1948, il co-signe une lettre condamnant le massacre de Deir Yassin commis par des combattants isra�liens de l'Irgoun et du Lehi pendant la Guerre de Palestine de 1948.
+Ben Gourion lui propose en 1952 la pr�sidence de l'�tat d'Isra�l, qu'il refuse : � D'abord, si je connais les lois de l'univers, je ne connais presque rien aux �tres humains. De plus, il semble qu'un pr�sident d'Isra�l doit parfois signer des choses qu'il d�sapprouve, et personne ne peut imaginer que je puisse faire cela. �
+Einstein s'est exprim� sur ses convictions socialistes en 1949, en pleine p�riode du maccarthysme, dans un essai intitul� Pourquoi le Socialisme, publi� dans la Monthly Review. Il lui semble que le principe du gouvernement des peuples par eux-m�mes, le fait de travailler pour eux-m�mes, est plus propice � l'�panouissement individuel que celui de l'exploitation du grand nombre par une minorit�. Mais il est d��u par ce qu'il peut apprendre de l'Union sovi�tique, et il consid�re que les peuples doivent s'engager d'abord dans le pacifisme, afin de mettre en place des conditions favorables � une �volution vers le socialisme. Sa correspondance r�v�le qu'il voit un rapprochement entre le maccarthysme et les �v�nements des ann�es 1930 en Allemagne. Il �crit au juge charg� de l'affaire Rosenberg pour demander leur gr�ce, et il aide de nombreuses personnes qui souhaitent immigrer aux �tats-Unis. Contact� par William Frauenglass, un professeur d'anglais de lyc�e suspect� de sympathies communistes, il r�dige un texte d�non�ant ouvertement le maccarthysme et encourageant les intellectuels � r�sister � ce qu'il qualifie de � mal �. Le FBI ouvre un dossier sur lui, disponible aujourd'hui sur leur site internet. Joseph McCarthy lui-m�me attaque Einstein au Congr�s en le traitant � d'ennemi de l'Am�rique �. Sa secr�taire, Helen Dukas, est soup�onn�e d'espionnage au service de l'URSS. Les m�dias am�ricains se montrent virulents dans leur traitement de l'affaire, et seules quelques personnalit�s, comme Bertrand Russell, prennent sa d�fense. L'affaire est finalement class�e en 1954, aucune preuve concluante n'ayant �t� apport� pour �tayer ces accusations.
+Einstein a rencontr� un grand nombre de personnalit�s majeures de son �poque, dans les domaines scientifique, politique et artistique, et il a laiss� une correspondance tr�s riche. Il entretient par exemple longtemps une relation amicale avec la reine �lisabeth de Belgique, avec qui il joue du violon. Il s'est toujours �tonn� de sa c�l�brit� et de ses effets.
+Sa premi�re �pouse, Mileva Maric est atteinte de coxalgie, qui la rend boiteuse. C'est aussi une jeune femme brillante, �l�ve du Polytechnicum. Elle tombe enceinte alors qu'ils ne sont pas encore mari�s, et elle accouche chez ses parents en Serbie d'une fille, Lieserl. Einstein se montra tr�s dur avec sa compagne suivante, Elsa. Ils faisaient chambre � part et il lui arrivait de lui interdire son bureau, se faisant presque servir : � Je traitais ma femme comme une employ�e, mais une employ�e que je ne pouvais pas cong�dier[r�f. n�cessaire]. �
+Il voit peu son fils Hans-Albert qui, � l'�ge adulte, travaille en Californie. La sant� mentale de son autre fils, Eduard, se d�t�riore brutalement alors qu'il est �g� de vingt ans, et il doit �tre intern� une premi�re fois � Zurich en 1930. Son p�re lui rend une derni�re visite en 1933. D'abord critique envers la psychanalyse, il refuse que son fils Eduard suive un nouveau traitement psychanalytique[r�f. n�cessaire], mais il finit par accepter l'essentiel des id�es de Sigmund Freud. En 1933, il choisit Sigmund Freud pour publier un �change de lettres intitul� Pourquoi la guerre ?
+Einstein �crit plusieurs textes traitant des relations entre science et religion. Dans son article paru en 1930, Einstein distingue trois formes de religion : la premi�re est due � la crainte et � une incompr�hension de la causalit� des ph�nom�nes naturels, d'o� l'invention d'�tres surnaturels. La deuxi�me est sociale et morale. La troisi�me qu'Einstein appelle "religiosit� cosmique" est une contemplation de la structure de l'univers. Elle est compatible avec la science et n'est associ�e � aucun dogme, ni croyance. Einstein d�clare �tre religieux, mais seulement dans ce troisi�me sens qu'il voit dans le mot religion.
+Lorsqu'en 1929, le Rabbin Herbert S. Goldstein lui demande "Croyez-vous en Dieu ?", Einstein r�pond "Je crois au Dieu de Spinoza qui se r�v�le lui-m�me dans l'ordre harmonieux de ce qui existe, et non en un Dieu qui se soucie du destin et des actions des �tres humains". Einstein a souvent utilis� le mot Dieu, cependant le sens qu'il donnait � ce mot fait l'objet de diverses interpr�tations. Une partie du clerg� a consid�r� que les vues d'Einstein �taient compatibles avec la foi. � l'inverse, le Vatican d�nonce alors � un authentique ath�isme m�me si il est dissimul� derri�re un panth�isme cosmique �. Si Einstein rejette les croyances traditionnelles, il se distingue personnellement des ath�es et r�p�te qu'il est � un non-croyant profond�ment religieux. � Dans une lettre adress�e au philosophe Eric Gutkind, Einstein �crit : � Le mot Dieu n'est pour moi rien de plus que l'expression et le produit des faiblesses humaines, la Bible un recueil de l�gendes, certes honorables mais primitives qui sont n�anmoins assez pu�riles. Aucune interpr�tation, aussi subtile soit-elle peut selon moi changer cela �. Einstein r�pondra d'ailleurs � un journaliste lui demandant s'il croit en Dieu : � D�finissez-moi d'abord ce que vous entendez par Dieu et je vous dirai si j'y crois. �16.
+Un militant de l'ath�isme comme Richard Dawkins consid�re �galement que la position d'Einstein �tait seulement de l'ath�isme po�tiquement embelli. Lors de la campagne d'affichage de slogans en faveur de l'ath�isme sur les bus de Londres en 2008 (soutenue par Dawkins), une citation d'Einstein fut utilis�e. Cela provoqua des protestations, car cette utilisation a tendance � assimiler Einstein � un ath�e.
+La philosophie n'est pas l'un de ses domaines de pr�dilection, mais Albert Einstein marque son int�r�t pour la vision de l'humanit� que propose Friedrich Nietzsche, et certaines id�es pr�sentes dans les r�flexions de Spinoza. N�anmoins, il apporte une nouvelle vision du monde moderne par ses travaux scientifiques comme par ses ouvrages non scientifiques. Ainsi, dans son ouvrage Comment je vois le monde publi� en 1934, un an apr�s son installation aux �tats-Unis, Albert Einstein pr�sente sa vision de l'humanit�, et pose la question de la place de la science vis-�-vis de l'humanit�. Ces travaux ont pu avoir une certaine influence sur des philosophes comme Martin Heidegger ou Jean-Paul Sartre.
+Contrairement � la citation qui lui est attach�e par de nombreuses publications, en particulier celle de l'astrologue �lizabeth Teissier, Einstein ne croyait pas en l'astrologie.
+La citation apocryphe qui lui est attribu�e est : � L'astrologie est une science en soi, illuminatrice. J'ai beaucoup appris gr�ce � elle et je lui dois beaucoup. Les connaissances g�ophysiques mettent en relief le pouvoir des �toiles et des plan�tes sur le destin terrestre. � son tour, en un certain sens, l'astrologie le renforce. C'est pourquoi c'est une esp�ce d'�lixir de vie pour l'humanit�. �
+Ce faux a pour origine le Huters astrologischer Kalender de 1960, publi� en 1959. La phrase a donc �t� forg�e environ cinq ans apr�s la mort d'Einstein 19.
+Son opinion n�gative sur l'astrologie est exprim�e dans une introduction �crite en 1951 pour l'ouvrage de Carola Baumgardt 20. Einstein rappelle que Kepler avait su accepter l'id�e que l'exp�rience seule pouvait d�cider de la validit� d'une th�orie math�matique, aussi belle soit-elle. Il cite alors l'astrologie comme illustration, dans la pens�e kepl�rienne, d'un reste de mani�re de penser animiste et t�l�ologiquement orient�e omnipr�sente dans les recherches "scientifiques" de l'�poque.
+Albert Einstein soutient la cause v�g�tarienne. Il consid�re le v�g�tarisme comme un id�al sans pourtant le pratiquer lui-m�me malgr� quelques probl�mes de conscience. Ses arguments se basent principalement sur des raisons de sant�, mais il croit �galement � l'effet b�n�fique du r�gime v�g�tarien sur le temp�rament des hommes. Un an avant sa mort, il d�cide de mettre en pratique ses id�es et entame un r�gime v�g�tarien.
+En 1978, le journaliste Steven Levy apprend par son employeur le journal New Jersey Monthly que le cerveau du savant aurait �t� conserv� et lui demande de le r�cup�rer.
+Levy est accompagn� par un cam�raman durant sa qu�te et le film est diffus� dans les ann�es 1990 � la t�l�vision en France. Apr�s une longue enqu�te, il le retrouve en effet � Wichita, Kansas, chez le pathologiste qui avait proc�d� � son extraction, le Dr Thomas Harvey. Cette information souleva l'int�r�t des m�dias.
+Le Dr Harvey d�clara qu'il n'avait rien trouv� de particulier dans la structure physique du cerveau d'Einstein pouvant expliquer son g�nie. Mais de plus r�centes �tudes, parues notamment dans Science et Vie, concluent que le cerveau d'Einstein poss�dait un nombre �lev� d'astrocytes. Les chercheurs � qui l'on doit cette d�couverte ignorent si cela est responsable de son intelligence �tant donn� que les astrocytes auraient �t� n�glig�es dans les recherches neurologiques s'int�ressant avant tout aux neurones.
+Une �tude approfondie de la structure du cerveau r�v�le �galement que la scissure de Sylvius pr�sente une inclinaison particuli�re, augmentant la taille de la zone du raisonnement abstrait au d�triment de la zone du langage, ce qui pourrait expliquer qu'Einstein n'ait su parler que tr�s tard.
+Einstein a aussi invent� des appareils et d�pos� de nombreux brevets en collaboration avec des amis :
+Un einstein est une unit� de mesure �gale au nombre d'Avogadro fois l'�nergie d'un photon (lumi�re). Il existe un �l�ment chimique : l'einsteinium.
+2005 fut l'ann�e mondiale de la physique, mais aussi l'ann�e d'Einstein, en comm�moration du centenaire de l'annus mirabilis.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+L'Art (du latin Ars, artis � habilet�, m�tier, connaissance technique �note 1) est une activit� humaine, ou le produit de cette activit�, consistant � arranger entre eux divers �l�ments en s'adressant d�lib�r�ment aux sens, aux �motions et � l'intellect.
+Les d�finitions de ce concept varient selon les �poques et les lieux, et aucune d'entre elles n'est universellement accept�e. C'est pourquoi les produits et pratiques artistiques ont toujours �t� class�s diversement selon les cultures, les auteurs et les institutions. Selon l'usage le plus courant du mot au xxie si�cle, l'art englobe principalement les produits de � beaux arts � tels que l'architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la danse et la po�sie, auxquels on ajoute fr�quemment le cin�ma, la gravure, le th��tre, la photographie, la bande dessin�e, la t�l�vision, voire l'art num�rique. La classification des arts n'est pas universelle et � part pour le 7e art (le cin�ma) qui a eu un succ�s particulier, une classification unanime semble impossible, voire sans int�r�t.
+En Europe, la conception de l'art comme production par des artistes d'objets que l'on s'accorde � trouver beaux, ou du moins stimulants pour les sens, date du xviiie si�cle. De nos jours, le relativisme l'emporte et on abandonne le notion de beau pour ne voir dans l'art qu'une cr�ation de l'homme. L'art contemporain ayant pour simple objectif d'�tre une cr�ation, il ne cherche pas � �tre beau mais existe par le simple acte de la cr�ation artistique qui s'oppose � la simple nature.
+De tout temps, la philosophie s'est interrog�e sur la nature de l'art.
+Platon dans l'Ion et l'Hippias majeur ou Aristote dans XXX s'interrogent sur l'art en tant que beau. Toutefois, l'esth�tique antique diff�re parfois notablement des esth�tiques post�rieures et le mot grec XXXXX (techn�), qui est l'�quivalent le plus proche du fran�ais art, d�signe dans la Gr�ce antique l'ensemble des activit�s soumises � certaines r�gles. Il englobe donc � la fois des savoirs, des arts et des m�tiers. Les muses grecques ne sont pas toutes associ�es aux arts tels qu'ils seront d�finis par la suite et la po�sie, par exemple, n'est pas une � techn� �.
+La civilisation romaine ne distingue pas non plus clairement le domaine de l'art de celui des savoirs et des m�tiers bien que Cic�ron et Quintilien y aient contribu� par leurs r�flexions. Ainsi, chez Galien, le terme d'� art � d�signe un ensemble de proc�d�s servant � produire un certain r�sultat :
+� Ars est systema pr�ceptorum universalium, verorum, utilium, consentientium, ad unum eumdemque finem tendentium.2 �+
� L'art est le syst�me des enseignements universels, vrais, utiles, partag�s par tous, tendant vers une seule et m�me finnote 2. �+
Dans cette acception du mot, qui a pr�valu jusqu'� la fin du Moyen �ge, l'art s'oppose � la fois � la science con�ue comme pure connaissance, ind�pendante des applications, et � la nature qui produit sans r�fl�chir. � l'id�e de r�gle de production s'ajoute la consid�ration de l'effort requis dans cette activit�. Lorsque le mot est employ�, il lui est g�n�ralement attach� une �pith�te que le pr�cise pour former des expressions telles que � arts lib�raux �, � arts m�caniques �, � art militaire �, etc.2 Et s'il arrive parfois que les arts lib�raux soient vis�s par l'emploi du mot non qualifi� � ars �, on est encore bien loin du sens contemporain ; l'astronomie �tait un � art lib�ral � tandis que le spectacle de � theatrica � restait un � art m�canique �.
+Jusqu'� la Renaissance, il n'y a pas de diff�rence pr�cise entre l'artiste et l'artisan : on appelle � artiste � un artisan dont la production est d'une qualit� exceptionnelle. La diff�rence ne commencera � devenir plus pr�cise que lorsque les artistes commenceront � s'�manciper des corporations pour faire all�geance aux acad�mies et � la commande nobiliaire. C'est alors que le sens maintenant familier du mot � art � commence � se d�gager : Non seulement de nombreuses techniques s'en s�parent, mais de plus, apr�s la d�couverte des r�gles de la perspective, l'aspect visuel y prendra une importance croissante.
+C'est du si�cle des Lumi�res que date la notion d'art aujourd'hui commun�ment admise. Partant d'une r�flexion sur les sens et le go�t, une conception bas�e sur l'id�e de beaut� finit par s'�tablir. Avec Emmanuel Kant, l'esth�tique acquiert son sens propre d'une th�orie l'art dont le mouvement romantique donnera les exemples paradigmatiques. L'importance de l'observation de r�gles passe alors au second plan tandis que l'intention de l'artiste, qui vise nos sens et nos �motions, devient primordiale.
+Mais le xxe si�cle, par ses pratiques et ses id�ologies, remet en question tout ce qui avait pu �tre retenu au si�cle pr�c�dent. Il conteste en particulier l'existence d'une essence de l'art qui se retrouverait � travers les �ges et les civilisations, et donc le r�ve d'une d�finition universelle. Il souligne �galement le caract�re parfois ambigu du rapport entre � beaut� � et � art �, par exemple lorsque l'oeuvre d'art repr�sente la nature de mani�re effrayante, voire repoussante.
+C'est pourquoi le discours europ�en contemporain sur l'art comporte un risque d'anachronisme dans la mesure o�, selon ce discours, l'art impliquerait une intention qui n'existe pas forc�ment en d'autres �poques ou en d'autres lieux. L'Art pr�historique par exemple, se r�f�re � des �l�ments artistiques comme des peintures ou des sculptures, mais aucun texte ne pr�cise si ces �l�ments �taient destin�s � la contemplation, � des c�l�brations rituelles ou � d'autres usages. Dans certaines cultures (par exemple indienne ou chinoise), de tels textes existent, mais il est difficile de d�terminer dans quelle mesure les concepts utilis�s, notamment ceux traduits en fran�ais par les mots � juste � ou � beau �, sont identifiables � ceux utilis�s en Occident. L'introduction d'une hypoth�se d'art inconscient ou involontaire pourrait permettre de contourner ce type de difficult�s.
+On donne souvent des listes plus ou moins compl�tes de domaines constitutifs de l'art, en notant ce qu'� la suite de Wittgenstein on appelle des � ressemblances familiales � : l'art devient alors un ensemble de pratiques et de r�sultats qui partagent un certain nombre de traits, bien qu'aucun d'entre eux ne soit universel.
+La liste classique des arts, telle que propos�e au xixe si�cle par Hegel dans Esth�tique ou philosophie de l'art, continue cependant de servir de r�f�rence : Elle indique que les principaux arts sont au nombre de cinq : architecture, sculpture, peinture, litt�rature, musique. � partir d'eux, par combinaison ou par prolongement, on parvient � une liste plus exhaustive qui peut inclure par exemple la danse, le cin�ma (souvent nomm� � septi�me art �), la bande dessin�e, l'op�ra, la photographie, etc.
+Les diff�rentes conceptions de l'art et les difficult�s de l'aborder dans sa globalit� se r�percutent sur les conceptions de son histoire.
+Dans sa conception la plus classique, l'histoire de l'art s'est constitu�e au xixe si�cle en adoptant sans questionnement le progressisme et les valorisations de son temps. Dans cette optique naturaliste, qui consid�re l'art comme une constante de l'humain, elle d�crit les instances qui d�voilent l'� essence � de l'art � travers les diff�rentes �poques.
+L'anthropologie de l'art est par exemple une science sociale qui s'attache � �tudier les productions plastiques et picturales des soci�t�s humaines dites � traditionnelles �, � sans �criture � ou � primitives �.
+Mais cette hypoth�se d'une autonomie des ph�nom�nes artistiques et de leur d�veloppement intelligible a �t� progressivement d�laiss�e au profit d'une vision beaucoup plus contextualiste et sociale. Comme le note Antoine Hennion, � La m�thode de la sociologie de l'art et celle de l'histoire de l'art s'opposent l'une � l'autre �, la premi�re tend � �liminer ce que la seconde essaie au contraire d'�paissir. Dans ce cadre, l'histoire de l'art ne peut �videmment se construire qu'en tenant compte des �volutions de la notion d'art et elle est par cons�quent sans cesse � reconstruire.
+Une autre difficult� est li�e au fait que relater les �volutions de l'art n�cessite de proc�der � des regroupements, le plus souvent par aires g�ographiques et par p�riodes historiques. Or la pertinence de telles d�limitations est toujours � relativiser : � quel moment, par exemple, s�parer l'Antiquit� tardive du Moyen �ge ? Faut-il pr�senter l'art de l'�gypte ptol�ma�que aux c�t�s de celui de l'antiquit� grecque ? Ou encore, si l'on convient de consid�rer la po�sie comme un art, faut-il ou non pr�senter les po�mes de L�opold S�dar Senghor du c�t� des arts africains ?
+Cons�quences de ces divergences de vues, les querelles sur la classification des arts sont nombreuses dans l'histoire de l'art et dans l'esth�tique. Claude Roy r�sume ainsi ce pluralisme de la notion d'art, dont pourtant la dimension religieuse et symbolique est toujours centrale :
+� La notion d'art, qu'il s'agisse de l'art n�gre, de l'art cr�tois ou de l'art impressionniste, reste � la fois impr�cise, ineffable et irritante. L'art, c'est ce qui maintient vivante l'idole morte en tant qu'idole. L'art c'est ce qui dans un objet continue � servir quand il ne sert plus � rien11. �+
Si l'on consid�re que l'art consiste � b�tir, � sculpter, � r�aliser des motifs ornementaux, l'existence d'un art pr�historique semble indiscutable. En revanche, si l'on voit dans l'art une sorte de luxe destin� aux mus�es et aux expositions, il est probable que les premiers peuples n'y aient jamais song�. Enfin, si l'on consid�re, plus g�n�ralement, que l'art consiste � s'adresser aux sens et aux �motions de ceux qui en sont les spectateurs, il est difficile de ne pas qualifier d'artistes les auteurs d'un certain nombre de productions pr�historiques, comme les c�l�bres fresques de la grotte de Lascaux.
+Quelle �tait la fonction exacte des sculptures et des peintures r�alis�s par ces artistes ? Nous ne le savons pas avec certitude, m�me si les hypoth�ses de fonctions rituelles, magiques, symboliques ou d'enseignement ont souvent �t� envisag�es. Le travail de l'artiste aurait alors probablement eu comme vis�e premi�re une efficacit� � pratique �, sans exclure pour autant une certaine recherche esth�tique.12.
+L'Afrique rec�le d'innombrables arts locaux qui refl�tent une grande vari�t� de cultures qui ne cessent d'�voluer au fil du temps. Ces cr�ations ont �t� consid�r�es comme de v�ritables objets d'art surtout � partir du d�but du xxe si�cle, notamment sous l'influence des peintres cubistes. La d�couverte de cet art a alors notablement influenc� l'art moderne occidental.
+De nos jours, la plupart des oeuvres africaines appartiennent � des collectionneurs priv�s car, dans le pass�, les mus�es ont n�glig� cet art. Depuis, les cotes pour des objets anciens authentiques se sont envol�esnote 3, et l'UNESCO en est venu � interdire depuis le d�but des ann�es 1990 l'exportation de masques et de statues en dehors du continent africain.
+Le masque en bois, qui repr�sente le plus souvent un esprit a longtemps �t� consid�r� comme l'objet typique qui symbolisait le mieux l'art africain. Mais progressivement d'autres formes sont venues au jour et en 1966 eut lieu le premier festival mondial des Arts n�gres de Dakar, pr�sentant au monde la richesse de l'art africain, avec des artistes comme Ousman Sow, Assane N'Noye, Paul Ahyi ou Ashira Olatunde.
+Depuis 1989, une biennale d'art africain contemporain se tient r�guli�rement � Dakar.
+L'exemple du continent asiatique montre bien la difficult� d'�tablir des classifications d'histoire de l'art bas�es sur des continents et des p�riodes historiques.
+Comment pr�senter avec une certaine coh�rence un ensemble aussi large et aussi h�t�rog�ne que celui qui r�unit :
+et bien d'autres...
+Et d'ailleurs, les Arts d'Islam ne sont-ils pas aussi africains ? L'Art bouddhique n'est-il pas de nos jours �galement produit en Europe ?
+La culture olm�que, entre 1200 av. J.-C. et 500 av. J.-C., premi�re des grandes civilisations de la M�soam�rique, est particuli�rement connue pour la richesse iconographique et la qualit� technique de son art, qui fut une r�f�rence et un h�ritage pour toutes les cultures post�rieures. L'art olm�que se manifeste par une grande ma�trise de la sculpture et de la ciselure. Les artistes olm�ques �laboraient leur art dans l'argile, la pierre et le bois ainsi que sur quelques peintures rupestres.
+L'art maya se d�veloppe durant la p�riode pr�classique (1500 avant J.-C. � 250 apr�s J.-.C), lors de l'�poque I et II. Il re�ut les influences de la civilisation olm�que. D'autres civilisations m�soam�ricaines, incluant Teotihuacan et les Tolt�ques, l'affect�rent et il atteignit son apog�e durant la p�riode de la civilisation classique ou �poque III (environ 200 � 900 apr�s J.-C.). Les Mayas sont c�l�bres pour leur utilisation du jade, de l'obsidienne et du stuc.
+Les artisans azt�ques (1300 - 1519) excellaient dans l'art du masque en pierre, h�rit� des Tolt�ques, dont on faisait un usage fun�raire ou religieux. Ils rev�taient de peintures les parois de leurs temples et de leurs palais.
+L'Art am�rindien est la forme d'art originaire d'Am�rique du Nord. Aucune des langues autochtones d'Am�rique du Nord n'a, semble-t-il, de mot correspondant au concept occidental d'art. Pourtant, les objets con�us par ses artisans sont aujourd'hui consid�r�s comme des oeuvres d'art � part enti�re.
+Bien que celle-ci soit g�ographiquement situ�e en Afrique, l'Art de l'�gypte antique, n� il y a environ cinq mille ans, est l'une des principales sources de l'art en Europe. Il combine des r�gles strictes de r�gularit� g�om�trique et une observation aigu� de la nature. Ses oeuvres n'�taient pas destin�es � �tre admir�es par les vivants. On les pla�ait dans les tombes des rois, puis progressivement dans celles de personnages de moindre importance sociale, afin d'aider l'�me des d�funts � rester vivante.
+Mais l'art europ�en doit aussi beaucoup � l'Art de la Gr�ce antique. Dans ses premiers temps, aux alentours du xe si�cle av. J.-C., il est extr�mement sobre et g�om�trique. Par la suite, il s'inspire cons�rablement des r�gles �tablies par l'art �gyptien, notamment en peinture et en sculpture.
+Aux alentours du vie si�cle av. J.-C. se produisit une v�ritable r�volution artistique : Les artistes commencent � s'affranchir des r�gles de l'art �gyptien, qui imposaient de repr�senter chaque partie d'un ensemble (d'un corps humain par exemple) sous son angle le plus reconnaissable, au prix parfois de positions peu vraisemblables de l'ensemble. S'affranchissant de ces r�gles, ils se permettent de repr�senter un pied de face ou de cacher un bras sur un personnage repr�sent� de profil : leurs peintures et leurs sculptures deviennent ainsi moins st�r�otyp�es, plus naturelles.
+Vers la fin du vie si�cle av. J.-C., les artistes grecs sont toujours de simples artisans, mais un public de plus en plus nombreux s'int�resse � leurs oeuvres. On compare les m�rites des diff�rentes �coles d'art, des ma�tres des diff�rentes cit�s. Certains d'entre eux, comme Praxit�le deviennent extr�mement c�l�bres. Un peu plus tard survient une autre �volution : alors que jusqu'ici les artistes s'effor�aient d'�viter de donner � leurs visages une expression trop pr�cise, on commence alors � leur faire exprimer des sentiments et le r�gne d'Alexandre le Grand voit l'apparition d'un art du portrait que l'Art de la Rome antique reprendra et d�veloppera plus encore.
+L'art m�di�val couvre un ensemble large de temps et de lieux, sur plus de mille ans d'histoire de l'art en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Cela inclut de nombreux mouvements de l'art et p�riodes, art r�gional ou national, genres, renaissances, m�tiers d'artistes, et les artistes eux-m�mes.
+Les historiens de l'Art classifient l'art m�di�val en p�riodes et mouvements principaux, les relations entre ces p�riodes sont parfois plus subtiles. Ceux-ci sont l'Art celtique, l'Art pal�ochr�tien, l'Art des migrations, l'Art pr�roman et l'Art roman, l'Art gothique, l'Art byzantin et l'Art islamique. En plus de cela, chaque � nation � ou culture au Moyen �ge avait son propre style artistique et ceux-ci ont une existence individuelle, comme l'Art anglo-saxon ou l'Art viking.
+L'art m�di�val comporte de nombreuses techniques, comme la mosa�que et la sculpture.
+L'immense majorit� de l'art qui nous est parvenu de cette p�riode rel�ve du domaine du religieux et renvoie � un cadre qui incorpore � la fois une pens�e th�ologique ou cosmogonique et des fonctions proprement liturgiques. � cet aspect strictement religieux, il convient encore d'ajouter une dimension sociale ou civique. Ainsi, une oeuvre pourra �tre �tudi�e et comprise sous ces diff�rents aspects : un contenu proprement th�ologique qui s'exprimera souvent par des choix iconologiques de la part du ou des cr�ateurs ; une fonction liturgique ou c�r�monielle concr�te qui sera une contrainte mat�rielle de l'oeuvre, d�finissant parfois sa forme, sa structure ou ses dimensions ; une fonction publique d'exaltation du commanditaire, du donateur ou du r�cipiendaire.
+Pour les historiens, l'�poque moderne - on dit parfois les � Temps modernes � - couvre la p�riode historique qui commence avec la fin du Moyen �ge. Les historiens fran�ais la font se terminer avec la R�volution fran�aise. Cette convention sp�cifiquement fran�aise ne sera pas utilis�e dans ce chapitre, dans lequel on a pr�f�r� utiliser la convention internationale qui fait se terminer l'�poque moderne 75 ans avant le pr�sent.
+On fait habituellement commencer la Renaissance artistique en Italie au xve si�cle. Les Italiens nomment cette p�riode le quattrocento. Elle se prolonge au xvie si�cle o� elle atteint alors, dans de nombreux pays d'Europe, son apog�e. Si elle red�couvre la mythologie et l'art antique, elle ne constitue pourtant pas un retour en arri�re : les techniques nouvelles, le nouveau contexte politique, social et scientifique permettent aux artistes d'innover. On red�couvre et on perfectionne consid�rablement la perspective. On d�veloppe la technique de la peinture � l'huile. Alors qu'au Moyen �ge la cr�ation artistique �tait essentiellement tourn�e vers Dieu et la religion chr�tienne, c'est l'homme que la Renaissance artistique place au centre de ses pr�occupations. Pour la premi�re fois, l'art p�n�tre dans la sph�re du priv� : Les oeuvres ne sont plus seulement command�es par le pouvoir religieux ou s�culier ; elles entrent dans les maisons bourgeoises.
+On appelle habituellement � baroque � le style qui a succ�d� � la Renaissance au d�but du xviie si�cle, mais ce mot n'a �t� employ� que bien plus tard, par des auteurs qui trouvaient ce style grotesque et qui estimaient que les �l�ments de l'art antique n'auraient jamais du �tre employ�s autrement qu'� la mani�re des Grecs et des Romains. L'architecture baroque utilise plus de courbes et de volutes, elle se lance dans le grandiose, comme dans le cas du palais de Versaillesnote 4 qui sera imit� dans toute l'Europe. La peinture utilise plus de couleurs et de lumi�re. La musique de cette �poque voit appara�tre l'op�ra. Ce mouvement atteint son apog�e dans l'Europe catholique des ann�es 170020.
+Dans le courant du xviiie si�cle, d'abord en Angleterre, on commence � remettre en question les habitudes du classicisme. Certains connaisseurs, souhaitant se distinguer des autres, sont en recherche d'originalit�, notamment dans le domaine de l'architecture qui cherche une nouvelle inspiration jusque vers la Chine et l'art gothique. � la fin du si�cle et au d�but du suivant, le romantisme s'efforcera de r�habiliter le sentiment face � la raison : Des artistes comme Turner �voquent, � travers leur repr�sentations de la nature, les �motions de l'homme face aux puissances qui le d�passent.
+Ce rejet des traditions donne naissance a de nombreux mouvements, dont chacun se pare comme d'un �tendard d'un nouveau nom en � -isme � (r�alisme, naturalisme, impressionnisme, symbolisme, ...). Il a aussi pour cons�quence une complexit� plus grande des rapports entre les artistes et les acheteurs d'oeuvres d'art : L'artiste ne souhaite plus n�cessairement s'adapter aux go�ts de ses clients. S'il le fait, il a parfois le sentiment de faire des concessions humiliantes. Mais s'il pr�f�re travailler dans un splendide isolement, il risque d'�tre r�duit � la mis�re. Bient�t certains artistes en viennent � se consid�rer comme appartenant � une esp�ce diff�rente et � afficher avec vigueur leur m�pris des conventions et de la respectabilit�. Au xixe si�cle, le gouffre se creuse entre les artistes � succ�s et les non-conformistes, qui furent surtout appr�ci�s apr�s leur mort.
+L'Art moderne na�t � la fin du xixe si�cle et au d�but xxe si�cle. Il voit appara�tre en peinture les figures de Picasso, Matisse, Miro, Max Ernst et de nombreux mouvements comme le surr�alisme, l'Oulipo, la Nouvelle vague. Des architectes comme Frank Lloyd Wright osent privil�gier l'organisation des pi�ces � l'ornement des fa�ades et abandonnent le dogme de la sym�trie.
+En France, avec la modernit�, les peintres se d�tachent peu � peu du syst�me des salons et de l'emprise de la bourgeoisie. Les grands collectionneurs contemporains, les galeries et les critiques jouent un r�le important. Le march� de l'art s'internationalise.
+Marcel Duchamp repr�sente l'objecteur fondateur de l'art conceptuel. Il ne se rattache pas plus � ses pr�curseurs que son intention n'est d'�tablir un art de l'objet. Ce qu'il cherche au contraire c'est sortir de l'art. Pourtant les ready-made de Duchamp (dont il est le concepteur) et ses objets cin�tiques apportent une nouvelle dimension � la conscience esth�tique, ainsi qu'une immense contribution � l'historiographie de la sculpture moderne, bien contre sa volont�.
+Dans le domaine de la peinture, un pas d�cisif est franchi dans les ann�es 1910 lorsque Kandinsky ose l'art abstrait, qui ne repr�sente pas des sujets ou des objets du monde naturel, r�el ou imaginaire, mais seulement des formes et des couleurs pour elles-m�mes.
+� cette �poque, m�me lorsqu'ils ne renoncent pas aussi radicalement � la repr�sentation d'un sujet, de nombreux artistes estiment que ce qui compte en art, c'est d'abord la forme, le sujet ne venant qu'en second. Ils sont en recherche perp�tuelle de nouveaut�. Avec le surr�alisme, ils cherchent m�me � cr�er quelque chose de plus vrai que la r�alit� elle-m�me, � tenter d'atteindre une � r�alit� sup�rieure �.
+Plus on se rapproche de notre �poque et plus il devient difficile, au milieu des modes �ph�m�res, de distinguer les r�alisations qui, par leur influence, rel�vent de l'histoire de l'art 29. Quelques grandes lignes de l'art de l'�poque contemporainenote 5 semblent cependant pouvoir �tre trac�es.
+En peinture, � partir des ann�es 1950, certains artistes concentrent leur recherches sur l'acte physique de peindre et r�alisent des oeuvres abstraites en peignant, �gouttant ou projetant de la couleur sur la toile. La structure du tableau r�sulte alors de l'intuition de l'artiste mais aussi des divers comportements de la couleur (coulures...). Peindre apparait alors comme un moment d'existence irr�fl�chi et pulsionnel et l'oeuvre est un t�moignage du corps vivant, en action et en mouvement dans l'instant. Ce mouvement sera d�nomm� tachisme, expressionnisme abstrait ou encore action painting aux �tats-Unis. L'am�ricain Jackson Pollock se fera particuli�rement remarquer par cette technique. Il n'est pas sans �voquer la calligraphie chinoise dans sa recherche d'un jaillissement rapide et spontan�.
+Beaucoup d'artistes contemporains sont fascin�s par les effets de � texture � et renoncent � l'emploi de la peinture pour d'autres mati�res, dans des productions qui se situent parfois � mi-chemin de la peinture et de la sculpture. Le Op Art, notamment avec Vasarely, accorde un int�r�t particulier � l'interaction des formes et des couleurs visant � produire des sensations de relief ou de mouvement. Plus pr�s de nous encore, dans les ann�es 1960, le pop art utilise des symboles populaires et prend en compte l'influence de la publicit�, des magazines, des bandes dessin�es et de la t�l�vision dans les soci�t�s de consommation. Par des techniques industrielles, il remet en cause le principe d'unicit� d'une oeuvre d'art. Ainsi Andy Warhol reproduit les siennes par centaines, parfois m�me par milliers.
+Plus g�n�ralement, l'art contemporain est travers� par les concepts et les th�mes qui agitent la soci�t� contemporaine : la d�mat�rialisation de l'oeuvre (Yves Klein), l'�cologie profonde (Hundertwasser), la propagande visuelle et la publicit� (Warhol), l'entreprise oeuvre d'art ou vice-versa (Hybert), la fascination pour la r�volution technique et les bio-technologies (Eduardo Kac), la chirurgie esth�tique et la re-cr�ation corporelle de soi (Orlan), le graffiti, le slam, le piercing, le rap, etc.
+Toutefois, la course effr�n�e � la nouveaut� et le triomphe du modernisme conduisait les non-conformistes � une contradiction : � Fallait-il �tre non-conformiste comme tout le monde? �30 Ceci explique peut-�tre qu'on assiste depuis la fin des ann�es 1970 � un retour du figuratif et � l'apparition d'une autre attitude, plus que d'un (encore) nouveau style, parfois d�nomm�e post-modernisme.
+L'art d'Oc�anie comprend les productions, anciennes ou contemporaines, des peuples de M�lan�sie, de Micron�sie, de Polyn�sie, ainsi que celles des peuples traditionnels d'Australie et de Nouvelle-Z�lande et d'autres �les du Pacifique. En revanche, on ne classe pas dans cette cat�gorie les productions des artistes australiens et n�o-z�landais d'origine occidentale.31
+Son histoire d�bute lorsque la premi�re vague de migrants, venus d'Asie du Sud-Est, s'installe en Australie et en Nouvelle-Guin�e, il y a probablement environ 50 000 ans. Les plus anciennes oeuvres d'art qu'on ait retrouv� d'eux sont des figures de pierre, des mortiers et des pilons orn�s de motifs zoomorphes m�l�s � des figures anthropomorphes.31.
+Vers 1500 avant J.-C. appara�t la civilisation Lapita (du nom d'un site arch�ologique de Nouvelle-Cal�donie). Il s'agit d'une civilisation originale, notamment pour ses d�cors � poterie, qui semble �tre apparue sur les �les Bismarck, au nord-est de la Nouvelle-Guin�e. Elle est associ�e aux peuples austron�siens qui allaient conqu�rir l'Oc�anie �loign�e � partir de l'Oc�anie proche, � l'origine du groupe linguistique oc�anien. Plusieurs centaines de sites arch�ologiques lapita ont �t� retrouv�s dans une aire allant de la Nouvelle-Guin�e jusqu'aux �les Samoa (archipel de Bismarck, �les Salomon, Vanuatu, Nouvelle-Cal�donie, Fidji, Tonga, Samoa, Wallis et Futuna).
+Dans chaque archipel, cette culture s'est adapt�e � son milieu particulier et a connu son �volution propre, mais elle n'a pas perdu pour autant son unit�. L'ensemble des �les du Pacifique a ainsi conserv� une certaine homog�n�it� culturelle.
+ +La philosophie de l'art d�signe � la fois l'int�r�t presque constant des philosophes pour l'art depuis l'Antiquit� et une discipline plus ou moins con�ue comme autonome depuis la fin du xviiie si�cle. Pour l'historien de la philosophie Michel Blay, il convient de distinguer deux approches de la philosophie de l'Art. D'une part elle recouvre tout le corpus des textes philosophiques qui, depuis l'Antiquit� grecque, abordent la question de l'esth�tique (de Platon � Kant en somme) ; d'autre part il s'agit de la discipline n�e avec Schelling au d�but du xixe si�cle.
+L'apport de l'antiquit� tourne autour de la notion de � mim�sis �, avec Platon dans Sophiste, et surtout avec Aristote, dans sa Po�tique. La mim�sis est selon lui l'art de repr�senter la r�alit�; l'Art serait donc repr�sentation du r�el et du Beau. Cependant, c'est avec la mise � l'�cart du concept de mim�sis que � la premi�re th�orie de l'art comme activit� du g�nie �merge chez Kant �. En plus de distinguer les diff�rents arts, Kant permet de d�placer le principe intime du caract�re artistique vers le p�le de la r�ception, l'assimilant � l'id�e esth�tique en tant qu'expression de l'entendement et de l'imagination.
+Dans son cours intitul� Philosophie de l'art (1802 - 1803), Schelling rejette le nom d'esth�tique et annonce que seule la philosophie est � m�me de d�velopper une � vraie science de l'art �. Un autre grand nom concernant la philosophie de l'art est celui d'Hegel, qui, dans son Esth�tique (1828 - 1829) montre que le but de cette discipline est le Beau et l'Art, entendus comme distincts de la religion et de la philosophie. La p�riode moderne est domin�e par deux courants majeurs. Le premier, repr�sent� par Adorno pose la question de l'autonomie de l'art, notamment vis-�-vis du social. Theodor W. Adorno, h�ritier de la pens�e de Karl Marx, conclut que sans le social l'art ne peut exister. Le second courant est celui de l'esth�tique analytique. Il pose le probl�me de la d�finition de l'art. Les usages du mot sont analys�s par Ludwig Wittgenstein alors que son fonctionnement comme pratique est �tudi� par Nelson Goodman.
+Le xviiie si�cle voit l'�mergence d'une conscience de l'art, comme le si�cle pr�c�dent avait r�v�l� la conscience du sujet. N�e de la modernit� philosophique, l'esth�tique reste une discipline philosophique qui malgr� ses tentatives ne s'est pas �mancip�e en science de l'art. Ce n'est que par simplification qu'on s'accorde � dire que l'esth�tique (philosophie des sens et de l'art) est une r�flexion sur l'art, car l'objet de cette r�flexion n'est pas donn� d'avance. De fait ce sont les pratiques artistiques elles-m�mes qui sont devenues r�flexives et de nos jours il n'est gu�re possible de s�parer l'oeuvre d'art du discours qui la fonde : � esth�tique � et � artistique � sont deux adjectifs pratiquement interchangeables.
+Cependant � l'origine Alexandre Baumgarten, l'auteur � qui l'esth�tique doit son nom, avait consid�r� � l'art esth�tique �. Selon son id�e, la beaut� fournissait l'occasion � la connaissance perceptible de parvenir � son accomplissement parfait : un art du beau �tait l'�quivalant de la th�orie b�tie sur la causalit�. Une m�diation s'effectuait par ce troisi�me terme, � la beaut� �, introduit entre art et esth�tique.
+Tout comme le regard moderne s'est exerc� � d�couvrir un certain art primitif, l'esth�tique a d�couvert des pr�curseurs chez des auteurs anciens. Par exemple le dialogue de Platon Hippias majeur porte traditionnellement le sous-titre De la beaut� et il est devenu un texte canonique de l'esth�tique. Alors il n'est gu�re �tonnant de trouver qu'il anticipe certaines questions dont on d�bat encore de nos jours. Les textes issus des civilisation non europ�ennes peuvent aussi �tre soumis � une pareille lecture et de cette mani�re on reconstruit aussi, par exemple, une esth�tique chinoise ou indienne.
+Tant qu'on concevait l'art comme une activit� r�gl�e, le besoin d'un syst�me pour juger de ses r�sultats ne se faisait pas sentir. Ce n'est que r�trospectivement que les divers Arts po�tiques �crits depuis l'antiquit� sont devenus repr�sentatifs d'une esth�tique normative. La Querelle des Anciens et des Modernes montre qu'en fait le caract�re conventionnel des normes ou r�gles �tait bien per�u. La premi�re �bauche de l'esth�tique a �t� une tentative de naturaliser l'art et cette tentation reste toujours vivace.
+C'est � Emmanuel Kant que l'on doit la solution de compromis qui, sous une forme ou une autre, est actuellement en cours. Selon son id�e originale, � le g�nie est la disposition inn�e de l'esprit par laquelle la nature donne les r�gles � l'art. �35. Si la beaut�, ou plut�t l'id�e de beaut�, intemporelle et universellement valable, liait l'art au discours qui le concerne, l'innovation (artistique ou esth�tique) fait probl�me. Accepter l'apparition de g�nies, d�finis par leur � talent naturel �, ouvre la voie au changement ; l'art reste une activit� soumise � certaines r�gles, mais celles-ci peuvent changer. L'esth�tique qui �tait r�duite par Baumgarten � la perception se d�veloppe en jugement sur le per�u.
+Ce jugement ne s'appuie cependant pas sur des concepts d�finis. Le � Beau � est universel sans concept. C'est dire au fond que c'est l'oeuvre g�niale qui donne un nouvel aper�u sur le � Beau �. L'oeuvre belle n'est pas r�ductible � un concept, mais constitue une Id�e esth�tique, qui donne � penser, mais est inexponible, transcende l'entendement. Kant interpr�te le sentiment esth�tique comme le fruit d'un rapport inconceptualisable entre nos facult�s, l'intuition, l'imagination et la raison. C'est dire que le � Beau � s'enracine dans l'unit� profonde de la personne humaine, � laquelle l'exp�rience n'a pas acc�s. De plus, et Hegel le critiquera, Kant accorde un primat du � Beau � naturel sur le Beau artistique. Ou plut�t, le g�nie humain fait partie de la nature.
+De l'approche kantienne on peut d�river une bonne partie des vues et pratiques artistiques ult�rieures. On notera plus particuli�rement l'idiosyncrasie de ceux qu'une partie de la soci�t� accepte comme grands artistes, la transgression con�ue comme acte esth�tique ou les manifestes et autres programmes par lesquels les mouvements artistiques modernes s'affirmentnote 6.
+Cette fa�on de proc�der en instaurant un troisi�me terme, beaut�, g�nie, culture ou autre, entre ce que l'on nomme � art � et ce que l'on appelle � esth�tique � parvient tout au plus � diff�rer le probl�me car � chaque fois revient la question ; qu'est ce que la beaut�, le g�nie ou la culture ? Comment s'accorde-t-on sur la validit� de la r�ponse ? Que l'art propose ses oeuvres � une esth�tique ou que l'esth�tique circonscrive le domaine de l'art, il y a l� une circularit� que l'on �vite difficilement sans faire appel aux dimensions historiques et sociales de ces ph�nom�nes.
+Sans que la distinction soit claire, on peut soutenir que les th�ories de l'art traitent ce sujet d'une mani�re plus g�n�rale que l'esth�tique. Par exemple une th�orie sociologique de l'art a �t� propos�e par Pierre Bourdieu, une th�orie s�miologique par Nelson Goodman, etc. Un m�me auteur pr�sente parfois les deux approches comme par exemple Hegel qui consid�re l'esth�tique dans un cours sp�cial tandis que sa philosophie affirme que l'art est une forme en d�perdition.
+Le projet inachev� de Theodor W. Adorno est paru sous le titre Th�orie esth�tique. Un point de distinction utile est de noter qu'une esth�tique peut �tre normative, ce qu'une th�orie ne saurait �tre. L'�nigme de l'art, qui est son propre, est ainsi devenue aussi son objet d'�tude � l'�poque contemporaine :
+� Toutes les oeuvres d'art, et l'art en g�n�ral sont des �nigmes. Le fait que les oeuvres disent quelque chose et en m�me temps le cachent, place le caract�re �nigmatique sous l'aspect du langage. (...) L'exemple typique de cela c'est celui, avant tous les autres arts, de la musique, qui est � la fois �nigme et chose tr�s �vidente. Il n'y a pas � r�soudre, il s'agit seulement de d�chiffrer sa structure. Mais le caract�re �nigmatique ne constitue pas le dernier mots des oeuvres; au contraire, toute oeuvre authentique propose �galement la solution de son �nigme insoluble.39 �
+Le seul point sur lequel les th�ories de l'art s'accordent est qu'il s'agit d'un fait humain, et d'une pratique sociale. Deux grandes alternatives sont possibles selon qu'on accorde � cette pratique un r�le subordonn� ou autonome. Envisager la subordination est une approche r�ductionniste; elle propose g�n�ralement une vue de l'art comme communication - repr�sentation ou expression. Dans l'autonomie, que l'on compare � celle des jeux, l'art se propose comme � activit� autot�lique �, c'est-�-dire sans autre but que lui-m�me, ce que r�sume la c�l�bre formule de � l'art pour l'art �. Les artistes et ceux qui gravitent autour de l'art ont de bonnes raisons pour d�fendre des conceptions de ce type et leur strat�gies th�oriques ont souvent recours � une des deux options oppos�es : renvoyer � une ontologie propre - l'art serait li� � l'aspect sp�cifique de l'�tre - ou, paradoxalement, se faire nominaliste en insistant qu'il y a des oeuvres d'art mais non � de l'art �. Les r�ductionnismes, issus principalement d'autres milieux, tiennent g�n�ralement que c'est par exag�ration qu'on arrive � ces vues-limites.
+Aujourd'hui, l'art �tablit une relation qui permet d'englober dans une m�me interaction, dans un m�me �change, une oeuvre, son cr�ateur et le r�cepteur, le destinataire de cette oeuvre (spectateur, auditeur, etc.)41. Les diff�rentes formes que peuvent rev�tir cette m�diation concr�tisent certaines relations entre l'homme et la nature, c'est-�-dire entre un esprit humain et son environnement. Une pens�e � la fois consciente et inconsciente, individuelle et collective, un esprit libre et imaginatif communique avec le monde ext�rieur. Hegel, dans ses Le�ons sur l'esth�tique, a tent� de d�finir la transcendance de cette relation en posant a priori, que : � Le beau artistique est plus �lev� que le beau dans la nature [puisqu'il] d�gage des formes illusoires et mensong�res de ce monde imparfait et instable la v�rit� contenue dans les apparences, pour la doter d'une r�alit� plus haute cr��e par l'esprit lui-m�me. �
+Chercher la v�rit� derri�re l'apparence. Peut-on envisager finalit� plus captivante ? L'art devient alors le prolongement de l'action. Cette philosophie de l'action, d�velopp�e notamment par Hannah Arendt, �merge quand le geste artistique devient l'exp�rience d'une relation particuli�re. Aussi l'art ne cherche-t-il pas � imiter ou � reproduire, mais � traduire une r�alit� m�tasensible. Il peut alors faire poindre le spirituel dans le champ de l'exp�rience commune.
+En art du moins, la forme n'est donc pas un principe �tranger au contenu, et qui y serait imprim� du dehors, mais la loi de son d�veloppement, devenue transparente. Elle n'est pas pens�e par le spectateur, ce qui voudrait dire qu'elle est de l'ordre du concept, et donc �trang�re � la perception proprement dite, qu'elle ne se donne pas � voir.
+Paul Val�ry pouvait �crire que � la belle architecture tient de la plante. La loi de croissance doit se sentir. De m�me la loi de m�nagement des ouvertures. - Une fen�tre ne doit pas �tre un trou perc� comme par un vilebrequin dans une planche, mais �tre comme l'aboutissement de lois internes, comme la muqueuse et les model�s des orifices naturels. �
+Avant d'�tre transcrite dans la notation, la m�lodie existe comme d�ploiement m�me du son, exploitation de certaines possibilit�s insoup�onn�es de ce mat�riau. La couleur ne remplit pas l'espace impressionniste, mais en est la vibration. La po�sie ne consiste pas � imposer � la langue une signification pr��tablie, ni � produire des bouts rim�s. Elle laisse plut�t la parole aux mots eux-m�mes, comme si elle n'�tait le discours de personne. Il s'agit de r�v�ler un mouvement inh�rent � une dimension sensible du monde. L'art donne � voir comment le sensible s'engendre : le regard du peintre demande � la lumi�re, aux ombres, � la couleur � Comment ils s'y prennent pour faire qu'il y ait soudain quelque chose, et cette chose ? � (L'oeil et l'esprit, Merleau-Ponty).
+L'art ne se contente donc pas de copier la nature. Pour autant, il ne se d�tourne pas d'elle, mais remonte jusqu'� la source. Dans la peinture de C�zanne, rappelle Merleau-Ponty, il ne s'agit jamais de la couleur en tant que simulacre des couleurs de la nature, mais de la dimension de couleur, o� notre cerveau et l'univers se rejoignent. L'artiste est sensuel, il aime saisir la personnalit� propre, le visage des choses et des mati�res, comme le petit morceau de mur jaune dont parle Proust � propos de Vermeer.
+C'est justement parce que la nature morte n'est pas la pomme, mais la repr�sentation de la pomme, que pour la premi�re fois je puis la voir au lieu de la penser ou de la croquer, consid�rer son aspect, et non son essence ou son utilit�. C'est en ce sens que l'art d�r�alise son objet, comme le souligne Sartre, � la suite de Kant. La mer est pour le peintre impressionniste une surface color�e, une apparence, et non le milieu de vie des organismes marins. Dans Qu'est-ce que la litt�rature ?, le m�me Sartre peut, sans contradiction, montrer que c'est la po�sie qui constitue pour la premi�re fois le mot en objet, en chose, quand il n'�tait auparavant qu'un organe d'exploration du monde, comme les antennes des insectes.
+C'est que � l'art de voir (au sens dessin et peinture) est oppos� au voir qui reconna�t les objets � (Paul Val�ry). Le visible est sensuel, lui aussi : tenu ainsi � distance, il brille pourtant des feux de nos propres d�sirs.
+�tre attentif au sensible, c'est encore, comme nous y invite Henri Focillon dans sa Vie des formes (1934), �tudier les possibilit�s propres d'un mat�riau, comme le bois, la pierre, le fil d'encre du calligraphe. Prenons pourtant ici le mot � mat�riau � en un sens plus large : l'architecture gothique est tout autant faite de lumi�re, ou de verticalit�, que de pierre. D'un point de vue esth�tique, le temps et l'espace eux-m�mes sont l'�toffe de l'exp�rience, comme une langue celle de la pens�e. Ce ne sont pas seulement des formes abstraites. Et, certes, l'art ne se contente pas d'explorer les soubassements de l'exp�rience sensible, il tire de la connaissance intime de cette logique, ou de cette g�om�trie, des structures et des effets insoup�onn�s d'abord.
+La notion de � repr�sentation � d�pend de la question que l'on se pose au d�but de la probl�matique et au commencement de l'art lui-m�me avant la pr�histoire pendant le Cretac� prend un sens tout particulier si l'on veut saisir le sens de l'oeuvre d'art, et son rapport � la beaut�. L'oeuvre de l'art est une forme de � re-pr�sentation �, c'est-�-dire qu'elle pr�sente autrement la r�alit� de l'univers. L'oeuvre d'art ne vit pas de son rapport plus ou moins ad�quat au r�el, mais des affects qu'elle produit ; par exemple, les toiles de Munch ne repr�sentent pas une forme de tristesse, mais produisent un sentiment, une �motion, qui pour certains s'appelle la tristesse, pour d'autres l'abomination. C'est peut-�tre parce qu'elle est productrice d'affects, et qu'elle est � elle seule un � univers �, que l'oeuvre d'art est belle (l'art contemporain est beau quand on a accroch� � l'initiation que l'artiste cherche � nous procurer). Ou alors, comme le fait Danto, il faut �carter la beaut� qui, pour les anciens n'�tait qu'un crit�re de conformit� de l'oeuvre aux jugements esth�tique. C'est ce qu'il explique, � travers l'analyse de certaines oeuvres contemporaines.
+C'est la grande difficult� des arts de notre �poque : ils sont souvent li�s par des directions intellectuelles et des exp�rimentations qui ne peuvent pas �tre lisibles directement et sans connaissance de leur gen�se : ce sont des friches de d�couvertes qui deviendront peut-�tre de vraies oeuvres aux yeux des machines humanis�es (post-futurisme).
+Jamais une oeuvre jeune n'est comprise sans avoir assimil� sa g�n�alogie. Cependant on remarquera que le terme d' "art" est trop couramment appliqu� � toute m�diatisation spectaculaire, et cela � son d�triment.
+Les m�diations artistiques d�passent et transcendent tous les probl�mes de la connaissance du monde. L'�tude des ph�nom�nes physiques et l'�volution des technologies y jouent un r�le important, puisqu'elles influencent souvent les outils de cr�ation. Une exp�rimentation artistique, parall�le � l'exp�rimentation scientifique, vient ainsi fonder l'�laboration d'une nouvelle esth�tique, soutenue par la place croissante des techniques dans la vie quotidienne.
+L'art pourrait donc servir � reproduire des concepts �ternels con�us ou imagin�s par la seule contemplation. L'origine de l'art provient bien de la connaissance des id�es et des choses, mais transcende cette connaissance pour la pr�senter autrement, devenant de ce fait repr�sentation. Si tant est que l'art se fixe des objectifs (ce qui va bien s�r contre sa nature), un des buts marquants de l'art serait donc de communiquer la connaissance profonde acquise non seulement par les sens, mais aussi par l'esprit. L'art de pure imitation sera toujours tr�s loin du vrai : l'oeuvre ne peut �tre aussi belle que la chose r�elle ; elle est d'un autre ordre, et n'en saisira jamais qu'une toute petite partie. L'imitation de la nature ne traduit jamais son niveau de beaut�, cependant que la repr�sentation artistique d�voile un absolu propre � l'artiste, une v�rit� de notre espace naturel et inimitable puisque personnel.
+Mais cette production n'est pas obligatoirement de nature volontaire. Contrairement aux autres productions humaines, l'acte de cr�ation se situe le plus souvent hors du champ de la conscience. Il nous permet d'acc�der � une communication du spirituel, de l'intemporel, de l'universel. Nietzsche pense �galement que l'art doit servir � masquer ou � embellir tout ce qui est laid dans la nature humaine. Pourtant, aujourd'hui, certains arts n�s de la modernit�, tel le cin�ma, cherchent autant � embellir la nature humaine, qu'� mettre en �vidence toute sa noirceur dans l'espoir peut �tre d'en extraire les germes de l'incompr�hension et de l'intol�rance.
+Le cin�ma, en limite de l'art, donne � voir des cr�dibilit�s quotidiennes, qui mettent � jour, comme le roman, mais en plus restreint, une exp�rience humaine que nous ne saurions d�couvrir autrement.
+Cette logique conduit l'art vers une n�cessit�, v�cue de l'int�rieur par l'artiste. La musique, plus que � l'art d'organiser les sons � refl�te l'expression d'une entit� sonore � autre �, d'une forme irr�elle et non conceptualisable de la communication ; elle est une imagination totale, qui r�unit � la fois de nouvelles repr�sentations et une conception neuve de leur construction. Comme les autres arts, elle exprime le rationnel et l'irrationnel, mais en s'�cartant du mythe ou de la magie.
+Tous les processus cr�atifs op�rent, par l'esprit m�me qui les guide, une catharsis qui garantit un d�passement des limites pos�es � la connaissance du monde. La symbiose sensorielle qui nourrit l'action cr�atrice n'est que la forme �l�mentaire de la repr�sentation qui inf�re l'imaginaire.
+En tant qu'approche diff�rente, plus tourn�e vers l'esprit que vers la pens�e, l'art doit in�luctablement d�boucher sur le prolongement de l'oeuvre d'une nature dominatrice et confin�e � des transformations �volutionnistes. Tentant de s'affranchir de ces limites de la pens�e humaine, l'art retrouve la substance spirituelle, quasi mystique, quasi magique, de la cr�ation. Cette volont� d'apaiser notre soif de connaissance n'est pas obligatoirement malsaine. Mythe et magie ne sont pas fonci�rement des �chappatoires aux manques de rationalit� des �v�nements qui nous entourent, m�me s'ils sont, pour certains, des aveux de faiblesse, des limitations transfigur�es.
+Ils peuvent parfois marquer aussi la recherche d'une spiritualit� absente. L'art en revanche est lui toujours une n�cessit� d'exprimer le monde de cette fa�on-l�. Il ne cherche pas � remplacer la r�alit� par une autre entit� de meilleure consistance ; il ne cherche pas non plus � transgresser des limites inh�rentes � notre nature, mais il cherche � les transcender. L'art cherche � utiliser le monde des sens pour p�n�trer dans un monde de l'esprit, ou peut-�tre m�me dans celui de l'�me. Ce faisant, l'art cherche l'immanent derri�re le permanent. Il essaye de prouver que le potentiel humain ne se r�duit pas � la transformation, mais qu'il a conquis la dimension de la cr�ation.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les attentats du 11 septembre 2001 (abr�viations : 11/9, 11-Septembre et, en anglais, 9/11) sont une s�rie d'attentats-suicides commis par le r�seau terroriste Al-Qaida dans le nord-est des �tats-Unis le mardi 11 septembre 2001. Quatre avions de ligne sont d�tourn�s, trois d'entre eux sont projet�s contre des immeubles hautement symboliques : les tours jumelles du World Trade Center � Manhattan, � New York, et le Pentagone, si�ge du d�partement de la D�fense des �tats-Unis, � Washington. Les tours se sont effondr�es moins de deux heures plus tard entra�nant l'immeuble du Marriott World Trade Center dans leur chute. La tour 7 du WTC s'est effondr�e dans l'apr�s-midi en raison d'incendies et des d�g�ts occasionn�s par la chute des Twin Towers. Le quatri�me avion s'est �cras� en rase campagne � Shanksville, en Pennsylvanie.
+La Commission nationale sur les attaques terroristes contre les �tats-Unis a �t� cr��e en 2002 pour expliquer comment ces attentats ont pu se produire et pour �viter que cela ne se reproduise[1]. Dans son rapport[2] publi� fin ao�t 2004, elle �tablit la responsabilit� du r�seau Al-Qaida, en affirmant que les dix-neuf pirates de l'air impliqu�s dans ces attentats-suicides en �taient membres et que le commanditaire en �tait Oussama Ben Laden. Ce dernier s'est f�licit� de ces attaques dans des vid�os diffus�es en novembre et d�cembre 2001[3]. Oussama Ben Laden avait �t� d�sign� comme responsable le plus probable par les autorit�s am�ricaines d�s le soir du 11 septembre.
+Ces attentats ont �t� v�cus presque en temps r�el par des centaines de millions de t�l�spectateurs � travers le monde, les images de l'avion heurtant la deuxi�me tour du World Trade Center ayant �t� diffus�es en direct, ainsi que l'effondrement complet en quelques secondes des trois tours du WTC � Manhattan. Le choc psychologique a �t� consid�rable au plan international. Ces attentats ont g�n�r� des effets puissants et persistants, notamment politiques et �conomiques. Le gouvernement am�ricain a institu� une l�gislation s�curitaire et, en d�non�ant un nouvel � Axe du Mal �, s'est lanc� dans une � guerre contre le terrorisme �.
+Les victimes directes de ces �v�nements ont �t� chiffr�es � 2 973 morts et 24 disparus. Plusieurs milliers de personnes bless�es et des milliers d'autres, notamment parmi les secouristes, sont atteintes de maladies engendr�es par l'inhalation de poussi�res toxiques.
+Avec leur charge (partielle) en carburant estim�e � 46 000 litres chacun, les avions, deux Boeing 757 et deux Boeing 767 ont �t� utilis�s comme bombes incendiaires volantes. Des quatre avions d�tourn�s, seul le vol UA93 ne put atteindre sa cible, s'�tant �cras� dans une mine � ciel ouvert d�saffect�e de la Pennsylvanie alors qu'il se dirigeait vers la capitale.
+Quelques passagers et membres d'�quipage ont pu passer des appels t�l�phoniques, principalement du vol UA93, mentionnant la pr�sence de pirates de l'air arm�s de couteaux � lame r�tractable (Box cutter en anglais), qu'ils ont utilis�s pour menacer ou tuer du personnel naviguant et des passagers lors de la prise de contr�le de l'avion . Un t�moin rapporte aussi l'utilisation d'un produit chimique de type gaz lacrymog�ne utilis� dans le vol American 11 pour tenir les passagers � l'�cart de la premi�re classe. La commission nationale sur les attaques terroristes contre les �tats-Unis, a pu �tablir que deux des pirates de l'air avaient r�cemment achet� des couteaux multifonction Leatherman. Des menaces de bombe ont �t� faites sur trois des avions (pas sur l'American 77).
+Selon l'�tude du NTSB de l'hiver 2001 - 2002, rendue publique en ao�t 2006, les vols UA175 et AA11 �taient programm�s pour d�coller � une minute d'intervalle, mais le premier quitta le sol avec 16 minutes de retard et atteignit sa cible tr�s exactement 16 minutes apr�s que l'AA11 a frapp� la tour Nord, la dur�e de vol ayant �t� de 49 minutes (48 minutes pour AA11).
+Ces parcours ne correspondent pas � un souci de minimiser le temps d'exposition � la r�action de la d�fense a�rienne : apr�s la prise de contr�le par les kamikazes, le vol 11 fut maintenu 13 minutes durant dans une direction (le Nord-Ouest) qui l'�loignait de son objectif. Ce choix se retrouve pour le vol 175 avec son large d�tour au-dessus du New Jersey pour revenir sur Manhattan par le Sud.
+Ce trait est �galement partag� par les vols AA77 et UA93 : le caract�re tardif de la prise de contr�le des avions (apr�s 26 et 45 minutes) r�sultait en un �loignement important de leur cible.
+Les proc�dures r�glant la coordination entre l'aviation civile et le Commandement de la d�fense a�rospatiale de l'Am�rique du Nord (NORAD), en place depuis les ann�es 1960. Au matin du 11 septembre, seul 14 avions de chasse �taient disponible pour prot�ger l'espace a�rien des �tats-Unis contigus 8.
+Les espaces de temps offerts par les d�tournements furent cons�quents : prenant comme signal d'alarme le radio-mutisme du vol AA11 (8 h 14), � l'instant des impacts successifs, 33, 49, 83 et 112 minutes se sont �coul�es. Aucun des avions de chasse ayant �t� mis en oeuvre n'a �t� capable d'interf�rer avec les vols pirat�s.
+Le NORAD a soutenu que cette faillite majeure du syst�me de protection de l'espace a�rien �tait due aux d�lais pris pour transmettre les incidents de vol (24 et 39 minutes pour les vols AA11 et AA77) ou leur non transmission . Reprenant les donn�es du NORAD, la Commission Kean exposa que les militaires auraient �t� avertis quelques minutes seulement avant les impacts des vols AA11 et AA77, et apr�s les impacts pour les autres. Cependant, les choix op�r�s par le NORAD suscit�rent des interrogations. Selon la d�position du 13 septembre du g�n�ral Myers, confirm�e par la conf�rence de presse du vice-pr�sident Dick Cheney du 16, aucun avion de chasse n'aurait �t� mis en oeuvre avant l'impact du vol AA77 contre le Pentagone (9 h 37). La chronologie du NORAD, publi�e le 18, indiquait que des chasseurs avaient d�coll� � 8 h 44 et 9 h 30. Selon la Commission Kean, les premiers chasseurs, des F-15 du 101st Figther Squadron du Massachusetts ANG d�coll�rent � 8 h 52, 38 minutes apr�s le d�tournement du vol AA11 d'Otis, proche de Boston, �loign�e de 240 km.
+Apr�s qu'ils eurent grimp� en altitude et vol� au quart de leur vitesse maximale en attendant de savoir o� se trouvaient le ou les avions de lignes qu'ils devaient intercepter, car ceux-ci, transpondeurs d�branch�s, avaient disparu des �crans utilis�s pour le contr�le du trafic a�rien, ils se trouvaient � 114 km de New-York lorsque le vol UA175 percutait la tour Sud. Apr�s avoir atteint New-York � 9 h 11, ils furent affect�s � patrouiller l'espace a�rien new-yorkais. Pendant ce temps, le NORAD faisait d�coller trois chasseurs F-16 de la base de Langley, situ�e 210 km au sud de Washington. Celle d'Andrews, � 15 km de la capitale, dont trois chasseurs F-16 n'emportant que des munitions d'entrainement participaient � un exercice en Caroline du Nord ce matin-l� re�ut de son c�t� l'ordre par les services secrets de pr�parer une patrouille arm�e. Mais une demi-heure plus tard, � la r�ception de l'ordre de la Pr�sidence de faire d�coller ces chasseurs suite � l'attentat contre le Pentagone, ils n'�taient toujours pas pr�ts. Volant � 35 % de leur capacit�, les chasseurs de Langley arriv�rent au Pentagone 12 minutes apr�s l'impact du vol AA77 au moment o� trois F-16 non arm�s d�collaient d'Andrews, quarante cinq minutes apr�s la mise en alerte .
+Bien que le non respect des proc�dures d'alerte f�t ainsi point� du doigt, il n'y eut aucune enqu�te publique et aucune sanction � l'encontre des responsables de la FAA. L'�chec du NORAD n'emp�cha pas non plus les hauts responsables, tels les g�n�raux Eberhard et Myers, d'�tre confirm�s dans leurs fonctions, voire promus. Cet �chec �tait aggrav� par le fait que le WTC avait �t� reconnu comme cible privil�gi�e d�s l'explosion du camion charg� d'explosifs de 1993. En 1994, un expert commandit� par le Pentagone soulignait la valeur symbolique des tours et envisageait qu'une attaque terroriste consisterait certainement en � des actions multiples et simultan�es �. Durant les deux ann�es pr�c�dant les attentats, le NORAD effectua des exercices dans lesquels des avions de ligne d�tourn�s �taient utilis�s contre divers objectifs, dont le WTC. Par ailleurs, les services de renseignements de plusieurs pays, europ�ens entre autres, avaient plusieurs mois auparavant pr�venu leurs homologues am�ricains d'une pr�paration de d�tournements d'avions civils sur le territoire des USA.
+� partir de 9 h 49, tous les vols commerciaux aux �tats-Unis sont annul�s (et tous les vols internationaux volant en leur direction d�tourn�s sur le Canada), et les a�roports de Los Angeles et San Francisco ferm�s. Les 4 500 avions civils alors en vol sont forc�s d'atterrir en urgence et l'aviation civile reste clou�e au sol jusqu'au 14 septembre.
+L'US Navy annonce � 14 h 51 le d�ploiement de deux porte-avions et d'autres navires venant de la base navale de Norfolk au large de New-York et de Washington et d'un groupe a�ronaval au large de Los Angeles.
+Environ deux heures apr�s le dernier crash, une centaine de chasseurs patrouillaient dans l'espace a�rien am�ricain et, depuis le 14 septembre, une op�ration baptis� Noble Eagle doit assurer la couverture a�rienne 24 h sur 24 des �tats-Unis. Celle-ci a co�t� 40 milliards d'Euro pour ses sept premi�res ann�es et use s�rieusement personnels et mat�riel
+Parmi les unit�s militaires d�ploy�es en renfort sur le lieu du d�sastre, une unit� de guerre bact�riologique de la garde nationale des �tats-Unis fut charg�e d'analyser l'air afin de d�terminer si des germes pathog�nes avaient �t� r�pandus. Mise en alerte quelques minutes apr�s le second impact, elle confirma � 20 h 30 l'absence de risques en ce domaine.
+Environ dix-sept mille quatre cents personnes se trouvaient dans les deux tours au moment des collisions et la plus grande partie d'entre elles a eu la possibilit� d'�vacuer les lieux avant leur destruction.
+Il s'agissait du deuxi�me attentat touchant le complexe depuis sa mise en service, le premier attentat datant de 1993.
+� 8 h 46 (heure locale) (soit 13 h 46 en UTC), le vol AA11 percutait quasi perpendiculairement en son centre la face nord-est de la tour jumelle Nord, son inclinaison (25�) r�sultant en une emprise sur cinq �tages (93 � 97). Anim� d'une vitesse estim�e � 710 km/h, l'avion laissait dans la fa�ade son empreinte partielle (35 m�tres pour 48 m�tres d'envergure), les extr�mit�s des ailes n'occasionnant que des d�g�ts superficiels. Les dommages occasionn�s � la structure externe ont �t� chiffr�s � trente-six poteaux sectionn�s (douze en moyenne par �tage atteint, soit 5 % des deux cent quarante du pourtour). Les dommages sur la structure centrale restent inconnus et non �tablis (� eux seuls, les quarante-sept poteaux centraux supportaient 60 % de la charge statique). Selon le rapport de la FEMA qui reprend � son compte l'opinion d'experts exprim�e le 11 septembre lors d'interviews, le sommet des tours se serait d�plac� de six � huit m�tres au moment des impacts. Mais, d'apr�s l'�tude qui fit suite des ing�nieurs commandit�s par le NIST, le d�placement maximal de la tour Sud (au niveau de l'impact), obtenu par simulation, n'aurait �t� que de quarante centim�tres, r�sultat que confirment les calculs du professeur Bazant du MIT (quarante-cinq centim�tres).
+Seule une petite partie de train d'atterrissage ressortit par la face oppos�e, apr�s avoir perdu environ 95 % de son �nergie, et sera retrouv�e � un coin de rue, quelques 385 m�tres plus loin. Le FBI affirmera avoir retrouv� � proximit� le passeport intact de l'un des kamikazes (Satam Al Suqami). Avec tous les ascenseurs en panne et les escaliers rendus impraticables, les personnes situ�es au-dessus des �tages atteints furent pi�g�es et enfum�es.
+Les d�g�ts constat�s dans le hall du rez-de-chauss�e, rapport�s notamment par les pompiers (vitres et portes d'ascenseurs souffl�es, plaques de marbre murales d�coll�es) et secouristes (personnes br�l�es) sont habituellement attribu�s au k�ros�ne pulv�ris� autour du 95e �tage, lequel aurait alors parcouru les quelque quatre cents m�tres d'une cage d'ascenseur, accordant � sa combustion en atmosph�re libre la capacit� de produire une puissante onde de choc. Selon ces t�moins, les ascenseurs concern�s �taient ceux du centre, dits locaux, qui desservaient les �tages inf�rieurs et les sous-sols.
+� 9 h 03, le vol UA175 p�n�trait de biais (15� environ) la face sud-ouest de la tour Sud, � quelque sept m�tres de son centre. L'�v�nement a pu �tre largement enregistr� par les t�l�diffuseurs qui couvraient l'attentat contre la tour Nord.
+Selon le rapport publi� par la FEMA, la vitesse de l'avion �tait estim�e � 870 km/h, ce qui lui accordait 50 % de plus d'�nergie que le vol AA11. Mais, frappant la tour entre les �tages 78 et 83, il laissait une empreinte plus courte (26 m�tres d'envergure) malgr� un angle de g�te plus important (38�) car � ce niveau la structure ext�rieure �tait (deux fois) plus r�sistante qu'au niveau de l'�tage 95. L'angulation de la direction de vol a fait que la moiti� tribord de l'appareil ne pouvait pas rencontrer la structure interne des poteaux porteurs, permettant ainsi � des parties de moteur, de train d'atterrissage et de carlingue de ressortir par l'angle est du b�timent et d'�tre retrouv�s jusqu'� quatre cents m�tres de distance. L'avion sectionna vingt-cinq colonnes de la structure externe (onze par �tage en moyenne, soit 5 % du pourtour), dommages auxquels il faut ajouter ceux r�alis�s dans l'angle oriental par la sortie des morceaux de moteur et de train droits. L'empreinte laiss�e par l'avion avait une surface tout � fait comparable � celle de WTC. Les dommages subis par la structure centrale sont tout aussi inconnus que ceux de la tour Nord, au moins un escalier resta praticable.
+� 9 h 3821, Le vol AA77 a p�n�tr� la partie centrale de l'aile occidentale du Pentagone, l'avion filant � la vitesse estim�e de 850 km/h. L'avion p�n�tra au centre d'une section en ach�vement de r�novation, la fa�ade ext�rieure venant d'�tre renforc�e pour r�sister � une attaque terroriste (poteaux d'acier, couverture de kevlar). La rang�e de colonnes d'acier fut d�truite sur une largeur d'une dizaine de m�tres � hauteur du rez-de-chauss�e. Tout un ensemble de colonnes de soutien des �tages en b�ton fut �galement d�truit imm�diatement en arri�re de l'impact, mais aussi � une distance cons�quente, sectionn�es � la base. D'o� l'effondrement de la section d'�tages une demi-heure plus tard. � cent m�tres de l'impact, exactement dans l'axe de vol, une perforation circulaire de 2,3 m�tres de diam�tre avait �t� faite par l'un des r�acteurs dans le mur interne de l'anneau C du b�timent, marqu� au-dessus de l'orifice d'un important d�p�t de r�sidus gazeux de combustion et de traces d'une onde de choc (vitres bris�es). L'impact et le feu initi� par le carburant qui s'est rapidement r�pandu dans la structure ont tu� les 64 personnes de l'avion ainsi que 125 occupants du Pentagone.
+Instantan�ment lib�r� par l'�clatement des ailes contre les fa�ades des tours, le k�ros�ne (autour de trente-cinq mille litres par avion) se r�pandit largement avec les d�bris dans la direction donn�e par les impacts jusqu'� ressortir en partie par la fa�ade d'entr�e et celles oppos�es, s'enflamma suite � de nombreux court-circuits �lectriques au sein des immeubles et des r�acteurs eux-m�mes, formant d'�normes boules de feu (br�lant ainsi 20 % du combustible) allant du jaune � l'orang�, (du � la combustion des particules de l'�l�ment carbone engendrant des feux qui allaient se d�placer au fur et � mesure de l'�puisement des combustibles (selon le NIST, le maximum d'�chauffement r�sultant de la combustion d'une partie du k�ros�ne - 40 % - et de l'ameublement �tait atteint vingt minutes apr�s l'impact)), et de l'embrasement de nouveaux mat�riaux. Cette combustion rapide provoqua une p�nurie d'oxyg�ne, les fum�es, grises et l�g�res suite aux boules de feu, virant au noir au bout d'un quart d'heure. Nulle part ne fut constat� de rougissement de parties en acier (� partir de 700 �C), ni m�me d'�clatement de vitres (au-dessus de 600 �C), m�me � proximit� des br�ches de sortie des pi�ces d'avions o� devaient s'�tre accumul�s les d�bris de toutes sortes (meubles, �quipement...), t�moignant de la relative faiblesse des incendies. Analys�s par le NIST, les �chantillons de poutres externes des �tages impact�s indiquent pour la plupart une exposition � une temp�rature maximale de 250 �C, une faisant exception avec une temp�rature sup�rieure, mais en dessous de 600 �C. Les calculs r�alis�s par cet organisme ont indiqu� des temp�ratures maximales d'environ 500 �C23. Ces r�sultats sont coh�rents avec les donn�es d'exp�rimentations r�alis�es par l'industrie m�tallurgique o� des feux d'hydrocarbures dans des parkings n'ont pas �t� capables d'�chauffer les poutres d'acier non prot�g�es � plus de 360 �C.
+La puissance de ces feux reste par ailleurs tr�s inf�rieure � celle d'incendies de tours r�pertori�s, tel celui du One Meridian Plaza (sur huit �tages, pendant dix-huit heures) ou de la First Interstate Bank (sur cinq �tages, durant trois heures et demie). Quant aux effets de ces feux, il faut souligner que le r�le des protections passives anti-incendies est appr�ci� dans la perspective d'une � r�sistance au feu � qui n'indique pas le temps durant lequel un immeuble doit rester debout, mais celui durant lequel l'incendie doit �tre contenu dans l'espace o� il a pris naissance .
+Malgr� l'�puisement imm�diat de l'essentiel du k�ros�ne, la m�diocrit� des feux � l'effondrement et l'aspersion d'eau sur les gravats accumul�s, des zones de hautes temp�ratures (au-dessus de 700 �C) ont persist� des jours durant d'apr�s une �tude de la US Geological Survey. Cent jours apr�s, ces foyers �taient encore actifs.
+Les feux rest�rent contenus dans les espaces oppos�s � l'impact, � l'exception d'un surgissement au 105e �tage qui exhiba l'unique �mergence de flammes du b�timent. L'effondrement de la tour Sud induit une r�activation des feux � l'int�rieur du b�timent (fum�e plus volumineuse et plus grise). La b�ance laiss�e par l'impact, mettant � � vue � le coeur du b�timent, resta en permanence un trou noir, signalant ainsi l'absence d'incendie au niveau de la cage des services.
+L'inclinaison de l'impact fit que le k�ros�ne de l'aile droite ressortit par les fa�ades en trois �normes boules de feu. Il s'ensuivit que l'incendie cons�cutif fut bien moindre que pour la tour Nord et resta tr�s localis� au coin est avec cependant un ph�nom�ne inhabituel mentionn� par le NIST : peu avant l'effondrement fut enregistr� un flash lumineux intense suivi, plusieurs minutes durant, d'un �coulement de m�tal en fusion.
+Au moment de l'effondrement, les feux donnaient des indications d'�touffement, seule une fum�e noire �tant visible, qui s'�chappait du b�timent. L'�quipe de pompiers qui �tait arriv�e au 78e �tage avait signal� la pr�sence de deux feux r�siduels et demand� l'envoi de lances pour les �teindre. Quelques minutes plus tard, la tour s'effondrait avant que put �tre transmis l'ordre d'�vacuation �mis par le poste de commandement des urgences situ� dans le WTC. Au moins dix-huit personnes qui �taient situ�es dans les �tages sup�rieurs avaient pu entre temps traverser sans difficult� la zone sinistr�e par l'un des trois escaliers du noyau de services (o� sont group�es les colonnes de la structure interne de soutien).
+Atteinte par des d�bris m�talliques chauds projet�s sur sa face sud (en son tiers oriental) lors de l'effondrement de la tour Nord, ce gratte-ciel de quarante-sept �tages abritait quelques incendies, avec des flammes sporadiquement et partiellement visibles (niveaux 11 � 13 et 28 � 30)27. En ao�t 2008, le NIST a publi� un rapport concernant l'effondrement de WTC, concluant que le feu en �tait la cause principale.
+L'incendie cons�cutif � l'impact fut relativement violent mais circonscrit � la partie nord de l'aile frapp�e (dans le sens de l'axe de vol). Les pompiers ne purent jusqu'� 13 h 00 approcher la zone d'impact en raison de son intensit� et il �tait encore actif dix-huit heures plus tard. Il a �t� constat� que des vitres ont �t� liqu�fi�es, du b�ton fendu et que l'arri�re d'un camion pompier, � poste face � l'h�liport au moment de l'impact, eut l'arri�re partiellement fondu, t�moignages d'une temp�rature �lev�e (proche de 1 500 �C).
+� 9 h 58, cinquante-six minutes apr�s avoir �t� atteinte, la tour Sud s'effondrait. C'est la perplexit� qu'exprimait le visage du chef de bataillon Joseph Pfeffer dans son poste de commandement, au rez-de-chauss�e de la tour Nord, film� par les fr�res Naudet. Cette incr�dulit� est �galement exprim�e dans le recueil de t�moignages de la Mairie. �tant d�j� intervenus � l'occasion d'un incendie et d'un attentat aux explosifs, les pompiers new-yorkais poss�daient une parfaite connaissance des immeubles et croyaient qu'ils �taient aptes � soutenir de tels impacts. D'ailleurs, John Skilling, chef de l'�quipe d'ing�nieurs concepteurs du World Trade Center, avait d�clar� en 1993 que les tours avaient �t� calcul�es pour r�sister � la collision d'un Boeing 707 ou d'un DC-8, en pleine charge et volant � 950 km/h (la vitesse de croisi�re maximale). Il avait ajout� que l'impact r�sulterait � seulement en dommages locaux qui ne pouvaient causer l'effondrement ni de d�g�ts cons�quents � l'immeuble �. Frank Demartini, superviseur du chantier de construction, qui avait ses bureaux au 88e �tage de la tour Nord et y p�rit suite � sa d�cision d'aider � l'�vacuation des occupants pi�g�s, avait pr�cis�, lors d'un entretien du 25 janvier 2001, que les tours pouvaient probablement soutenir plusieurs impacts d'avions de ligne gr�ce � leur conception. Selon ces ing�nieurs, toutes les colonnes ext�rieures d'un c�t� de l'immeuble, ainsi que celles proches des coins adjacents, pouvaient m�me �tre sectionn�es que cela n'emp�cherait pas la structure en � tube � de continuer � remplir parfaitement sa fonction.
+� 10 h 28, trente minutes apr�s la tour Sud, c'�tait sa jumelle qui s'effondrait d�truisant le Marriott World Trade Center fortement endommag� par la chute de la tour Sud et, � 17 h 25, la tour WTC.
+Une caract�ristique commune aux trois effondrements est qu'ils se firent, selon les indications donn�es par la FAQ no 6 du NIST, le rapport de la FEMA ou les calculs du professeur Bazant (11 - 12 s, 9 - 10 s et 6,3 - 6,5 s respectivement pour les tours WTC, WTC et WTC), en un temps l�g�rement sup�rieur � celui d'une chute dans le vide (8 - 9 s, 7,5 - 9 s et 6 s), indiquant une absence de r�sistance des structures porteuses centrales, ce que l'ing�nieur expert en structures b�ton Bazant exprime en parlant de la chute des �tages sup�rieurs dans un tube vide . Une autre est la production de jets de gaz et poussi�res jaillissant des fa�ades, au moins dix �tages au-dessous du front de destruction pour les jumelles, dans les �tages pour WTC. Une troisi�me est la sym�trie � peu pr�s parfaite de ces destructions.
+Dans un rayon de cent trente m�tres environ, quantit� de vitres des immeubles furent d�truites par l'onde de choc g�n�r�e par la destruction des tours jumelles.
+Quelques minutes apr�s la derni�re communication avec l'�quipe de pompiers qui, ayant atteint le 78e �tage, portait secours aux bless�s et s'appr�tait � �teindre deux foyers r�siduels, le chef pompier Ganci, recevait le messager du bureau des urgences (OEM), Steve Moscillo. Il fut stup�fait d'entendre que � les immeubles allaient s'effondrer et qu'il fallait les �vacuer � (interrog� par ABC News, le maire Giuliani, membre de l'OEM, reconnaissait qu'il n'avait fait que transmettre cette information et l'origine de cette pr�vision reste inconnue). Quelques minutes plus tard, la section au-dessus de l'impact s'inclinait vers le Sud, une rotation qui traduisait la perte totale du soutien de la structure interne, la r�sistance de la partie intacte de la structure externe (le � tube �), mais moindre du secteur endommag�. Puis, apr�s une acc�l�ration jusqu'� un angle d'environ 25�, cette rotation cessa brusquement, laissant la place au d�veloppement d'un �norme nuage � �ruptif � qui progressa � l'identique au long de la tour jusqu'� son pied, des �l�ments lourds (plusieurs dizaines de tonnes) �tant projet�s � cent vingt m�tres de distance, les plus l�gers � plus de quatre cents m�tres, le contenu des �tages (ciment des sols, pl�tre des cloisons, meubles, �quipement, �tres humains) �tant r�duits en poussi�re ou fragments. La plupart des vestiges se sont ainsi trouv�s r�partis autour du pied de la tour et sur les immeubles environnants.
+La destruction de la tour Nord s'est produite avec les m�mes caract�ristiques que celle de sa jumelle, mis � part le fait que la partie sommitale s'est effondr�e imm�diatement - sans r�sistance - et de mani�re � peu pr�s verticale, apr�s que l'antenne - soutenue par la structure centrale - a oscill� sur sa base et pr�c�d� le mouvement de chute globale. La propulsion continue des vestiges pulv�ris�s ou fragment�s vers l'ext�rieur (au minimum 300 000 tonnes), c'est-�-dire leur non accumulation en tas dans l'empreinte de la tour, est le ph�nom�ne qui a permis la survie de rares rescap�s (20 personnes) surpris dans les �tages inf�rieurs qui se sont retrouv�s soit � la surface des d�bris, soit enfouis � quelques m�tres de profondeur, permettant � la plupart d'entre eux (16 personnes) de s'�chapper des lieux imm�diatement ou apr�s quelques dizaines de minutes d'effort.
+Plus d'une vingtaine de t�moignages - essentiellement de pompiers - exposent que, vers 16 heures, l'�vacuation du b�timent fut ordonn�e pour la raison qu'il allait s'effondrer. Les d�clarations du propri�taire, Larry Silverstein, indiquent que, en accord avec les chefs des pompiers, la lutte contre les feux devait �tre abandonn�e, en raison du risque d'embrasement des r�serves d'hydrocarbures situ�es dans les �tages inf�rieurs. Pour qualifier la d�cision qu'il venait de prendre, il utilisa l'expression � pull it � (litt�ralement : � tirez-le � ; en raccourci : � tirons-le � pour let's pull it ou � on le tirera � pour we'll pull it). L'alerte est donn�e comme quoi cet immeuble allait s'effondrer, vers 17 heures, la cha�ne de t�l�vision BBC annonce que cette tour vient de s'effondrer et appelle en direct sa journaliste sur place pour en parler alors que l'on peut voir derri�re elle cette tour toujours debout. Ce n'est qu'� 17 h 25 que les pompiers assist�rent � la chute verticale de l'immeuble, le bloc central qui en surplombait le sommet disparaissant d'abord. Un nuage de poussi�res se d�veloppa � partir de la base, le b�timent descendant tel quel, comme s'il s'enfon�ait dans le sol, l'effondrement cr�ant un puits d'aspiration rendu visible par l'entra�nement de la fum�e des feux. Contrairement � ce qui fut constat� pour les tours jumelles, les vestiges se retrouv�rent en tas, dans l'empreinte de l'immeuble, les murs de la partie basse couch�s vers l'int�rieur. La m�diatisation de cet effondrement fut tr�s faible, et le rapport de la commission Kean ne fait pas mention de la tour WTC.
+Entre octobre 2001 et janvier 2002 ont �t� recueillis les r�cits de cinq cent trois pompiers et sauveteurs gr�ce � Thomas Von Essen, responsable du secteur incendies � la mairie de New York. Pendant trois ans, ces enregistrements sont rest�s inaccessibles malgr� les demandes des familles de victimes. Tra�n� en justice par le New York Times, le maire de la ville, Michael Bloomberg, a �t� finalement contraint de les rendre publiques en ao�t 2005.
+Au moins 2 986 personnes ont donc �t� tu�es.
+Pr�s de 1 360 personnes dans la tour Nord et 600 dans la tour Sud ont �t� bloqu�es au-dessus et au niveau des impacts. Confront�es � une situation d�sesp�r�e due � la fum�e, environ deux cents d'entre elles ont pr�f�r� sauter dans le vide, s'�crasant dans les rues et sur les toits des b�timents adjacents. D'autres encore ont tent� d'atteindre le toit dans l'espoir d'un sauvetage par h�licopt�re et se sont heurt�es � des portes d'acc�s verrouill�es. Seules dix-huit purent s'�chapper de la tour Sud.
+Sur les 2 780 personnes ayant perdu la vie dans les tours jumelles, seuls 293 corps ont �t� retrouv�s. Pr�s du quart des 20 000 fragments d'os et de tissus r�cup�r�s a pu �tre attribu�, laissant sans trace quelque 1 151 disparus, rapportait l'agence Associated Press. Ce travail d'identification �tait achev� au d�but 2005. En avril 2006, trois cents fragments osseux (de longueur inf�rieure � 2 cm) �taient d�couverts dans les d�bris accumul�s sur le toit de l'immeuble de la Deutsche Bank, situ� � quelque cent trente m�tres au sud de WTC. L'institution qui r�alisa cette identification en utilisant les marqueurs ADN, le National Criminal Justice Reference Service, avait rapport� � le degr� incroyable de fragmentation [des corps], avec une moyenne de seulement sept fragments r�cup�r�s par victime �.
+Avec l'effondrement des tours jumelles du World Trade Center, quatre autres b�timents sur le site du WTC et quatre stations de m�tro ont �t� d�truits ou tr�s endommag�s. Au total, vingt-cinq b�timents ont �t� endommag�s.
+Les gigantesques nuages de poussi�re g�n�r�s par ces destructions ont induit les plus grands mouvements de panique que la ville de New York ait connue. Ils ont en effet envahi tout le sud de la p�ninsule de Manhattan et m�me travers� le East River pour atteindre Brooklyn. Il y a eu de nombreux bless�s et un certain nombre de disparus, peut-�tre m�me des morts (jamais confirm�). Dans un autre domaine, la police de New York a enregistr� beaucoup de vols des boutiques et magasins du quartier des affaires ainsi que des d�gradations volontaires.
+Parmi les milliers de personnes affect�s depuis de probl�mes pulmonaires, d�ficience respiratoire, cancers (environ 30042), quelques centaines se sont adress�es aux tribunaux pour obtenir r�paration, estimant les institutions responsables de leur �tat par dissimulation de la pollution atmosph�rique.
+Une �tude conduite en 2002 en partie par le State department of health's office of managed care a montr� qu'� l'ouest de Brooklyn les asthmatiques se plaignaient 2,4 fois plus d'asthme aggrav� que dans le reste de la ville apr�s le 11 septembre . Et 1,5 fois plus se sont rendus � l'h�pital pour ce type de probl�mes .
+En 2006, un seul d�c�s par fibrose pulmonaire a �t� officiellement attribu� � Ground Zero apr�s autopsie (60 personnes seraient mortes suite � ce type d'infection selon le Dr Levin du World Trade Center Medical Monitoring Programs au Mt Sinai Hospital 44). A ce jour beaucoup de nouveaux cas de m�sot�lyomes (affection due � l'amiante), ou asbestose sont d�tect�s. Ils sont cons�cutifs � ce qu'on appelle localement � le syndrome du World Trade Center � .
+L'effondrement des tours a dispers� dans l'atmosph�re de Manhattan de nombreux polluants dangereux : de la dioxine, du plomb (dans les 50 000 ordinateurs de chaque tour), de l'amiante, du mercure (dans les dizaines de milliers de tubes fluorescents), de l'am�ricium 241 (radioactif pr�sent dans les milliers de d�tecteurs de fum�e) et de la fibre de verre dans des quantit�s importantes. Ainsi que des polycarbonates dans une concentration 75 000 fois celle qui ait jamais �t� mesur�e auparavant (dans un atelier du port) et des poussi�res ultra fines � un taux encore jamais constat�.
+L'EPA a enregistr� des pics de concentration anormalement �lev�s d'autres compos�s organiques volatiles comme l'�thylbenz�ne, le propyl�ne, le styr�ne, et le tolu�ne, ainsi que du 1,3-diphenylpropane 45. Des produits a�rosols sous forme de particules inhabituellement fines, probablement associ�es � des hautes temp�ratures sous les d�bris, furent d�tect�s par l'�quipe de Thomas Cahill de l'Universit� de Californias Davis comme le soufre, le silicone, l'aluminium, le cuivre, le nickel, le fer, le baryum, et le vanadium. Le niveau moyen de concentration de benz�ne dans l'air enregistr� par l'EPA d'octobre � novembre 2001 �tait de 18 000 ppb avec un pic � 180 000 ppb d�but novembre 48.
+L'Agence de Protection de l'Environnement �tait en charge d'�valuer les risques et la dangerosit� de l'air. Plusieurs mois apr�s, l'EPA enregistrait encore des taux �lev�s de dioxine. Christine Todd Whitman, administrateur de cet organisme, avait alors, avec cinq communiqu�s dans les dix jours qui suivirent, garanti le caract�re sain de l'atmosph�re de Manhattan, ainsi que de l'eau de la ville. Le 21 ao�t 2003 cependant, l'Agence rendait public un rapport sign� par l'Inspecteur G�n�ral Nikki Tinsley exposant les modifications impos�es par l'administration Bush aux �nonc�s de prudence r�dig�s pour pr�venir du danger repr�sent� par les poussi�res, compl�t� par une �tude de 2004 des documents par le Sierra Club o� l'Agence se voit reprocher de n'avoir pas d'office mis en garde le public, avant toute mesure de pollution, en raison de la connaissance qu'elle avait du danger pr�sent� par certains mat�riaux constituant les immeubles. L'EPA envisagea m�me de classer 'secret'les documents relatifs � cette pollution. Les plaintes de malades ont �t� accept�es par les juges Deborah Batts et Alvin Hellerstein en f�vrier et octobre 2006.
+Le 8 mars 2007, � la demande de Jerrold L. Nadler, le �9/11 Heroes Health Improvement Act of 2007� devrait apporter 1,9 milliard de dollars (1,4 milliard d'euros) pour financer l'�valuation et des solutions aux probl�mes de sant� induits par le 11 septembre.
+Par ailleurs, L'association de la sant� mentale de New York indique d�but 2006 que 12 000 personnes ont sollicit� une aide psychologique depuis 2002 suite � ce drame .
+D�s le 11 septembre, les m�dias pr�sentaient les explications d'experts, la plupart des ing�nieurs de structures, professeurs d'universit�, tels que Hyman Brown ou Richerd Ebeltoft pour qui les incendies, ayant d�gag� une chaleur intense (proche de 1 500 �C), avaient fait fondre l'acier des structures. Le lendemain, un article du New Scientist soutenait une th�se identique. Cette explication par le � feu infernal �, reprise un mois plus tard dans le Scientific American, bien qu'ayant b�n�fici� de ces cautions, disparut du d�bat avec la publication d'�tudes ult�rieures.
+Le 12 septembre, dans une revue technique de r�f�rence, le Journal of Engineering Mechanics ASCE paraissait un article du Pr Bazant, sommit� mondiale des structures en b�ton, intitul� : � Pourquoi le WTC s'est-il effondr� ? Une premi�re analyse �, dans lequel il exposait que � les tours furent vou�es � l'effondrement lorsque la majorit� des colonnes de soutien au niveau d'un m�me �tage se trouv�rent chauff�es � 800 �C, perdant alors leur capacit� � tenir leur charge � . Cet article est � l'origine de la th�orie de l'effondrement progressif des �tages, d�truits en cascade par la chute des blocs d'�tages situ�s au-dessus des impacts. Puis, le magazine Scientific American a fait para�tre le 9 octobre un article exploitant les r�sultats d'une simulation effectu�e par des ing�nieurs des structures du MIT, � Quand les tours jumelles s'effondr�rent �. Le param�tre essentiel qui sous-tend les interventions de plusieurs experts en structures aurait �t� l'intensit� des incendies qui, avec leur dur�e (hypoth�se de l'accumulation de la chaleur dans les masses m�talliques), aurait fini par faire perdre sa r�sistance � la structure centrale de soutien. Le mod�le de simulation utilis� n'a cependant pas �t� publi�, emp�chant ainsi son �valuation.
+La th�se peut �tre r�sum�e comme l'a fait Jon Magnusson, directeur d'une firme oeuvrant dans le g�nie civil : � C'est la force de la gravitation qui a finalement vaincu la r�sistance de la structure. Lorsque les derniers niveaux ont commenc� � s'effondrer, ils ont brutalement pes� sur les niveaux directement inf�rieurs, ajoutant la force de l'impact � leur propre poids. Il s'en est suivi une v�ritable r�action en cha�ne, dans laquelle non seulement le poids, mais aussi la vitesse augmentait rapidement. Aucune structure ne pouvait r�sister � cela, aussi robuste soit-elle. Mais c'est le feu qui a permis � la gravit� de finalement l'emporter contre la r�sistance intrins�que des deux tours �,59.
+Le rapport command� par la FEMA � l'�quipe d'�valuation du comportement des immeubles (BPAT), intitul� WTC building Performance Study, �tait publi� en mai 2002. Il pr�sente une explication de l'effondrement des tours jumelles par l'intensit� des incendies, lesquels avaient fini par affaiblir et d�former la structure m�tallique d'un �tage au point qu'il rompit ses attaches aux structures porteuses, entra�nant sa chute, laquelle provoqua successivement celle des �tages inf�rieurs (� pancake theory �). Quant aux structures porteuses, elles auraient �t� incapables de se maintenir, priv�es du support apport� par les �tages.
+Pour ce qui est de la tour WTC, le rapport concluait, apr�s huit mois d'�tude, � la n�cessit� d'un effort de recherche, d'analyse et d'enqu�te au vu du r�sultat provisoire selon lequel � la meilleure hypoth�se [celle des d�g�ts suite aux incendies] ne repr�sente qu'une faible probabilit� d'occurrence � (ch.5 - 7, p.5 - 31). Pourtant, une analyse microstructurale d'un �chantillon de poutre montra une � d�t�rioration rapide et inattendue �, r�sultante de trois ph�nom�nes : une oxydation, une sulfuration et une temp�rature proche de 1 000 �C61.
+Cependant, ces th�ories des feux comme origine des trois effondrements se heurtaient au fait qu'il n'existe pas d'exemple d'effondrement de gratte-ciel � structure m�tallique suite � un incendie, aussi intense et durable qu'il ait �t�, l'exemple le plus probant �tant celui du One Meridian Plaza de Philadelphie, en 1991. Par ailleurs, le travail du BPAT avait �t� r�alis� sans les plans pertinents, aboutissant � une repr�sentation erron�e des structures porteuses centrales. Le gouvernement, sous la pression exerc�e par les associations de familles de victimes, se r�solut � commanditer une seconde �tude, qu'il confia au NIST.
+Durant trois ann�es, cet organisme �tatique fit effectuer (par les m�mes firmes expertes en structures que la FEMA avait charg�es de sous-traitance) un travail de mod�lisation des �tages atteints, des avions, de leur approche et des structures ext�rieure et interne des tours, utilis� dans une s�rie de simulations des impacts et incendies, et d�livra un rapport d�finitif concernant les tours jumelles en octobre 2005. Deux ans plus tard, le travail concernant la tour WTC, qui a �t� confi� en sous-traitance � la soci�t� ARA avec l'instruction de limiter l'�tude aux �tages 8 � 46, n'a toujours pas abouti.
+Son �tude a �t� restreinte � la s�quence des �v�nements qui ont enclench� la chute des blocs d'�tages situ�s au-dessus des impacts. La th�orie pr�sent�e attribue l'effondrement � une combinaison de destruction de colonnes centrales par les avions, d'affaissement important des planchers (1 m) et de perte de r�sistance des colonnes intactes, ce par �chauffement (une temp�rature atteignant 700 �C), �chauffement rendu possible par la d�faillance de l'isolation anti-incendie de toutes les colonnes, constitu�e d'un flocage fibreux (rempla�ant l'amiante) qui n'aurait pas r�sist� aux impacts. Le processus �tant le suivant : avec la tenue de leurs attaches aux structures porteuses (conclusion inverse de celles de la FEMA), l'affaissement des planchers tire les colonnes externes vers l'int�rieur, les faisant plier et, �ventuellement, se briser. L'�valuation de ce travail est rendu impossible par le refus du NIST de publier les simulations des effondrements que demandent des ing�nieurs civils ind�pendants. Cependant, la mod�lisation des structures internes est affect�e des m�mes insuffisances que celles qui avaient �t� constat�es pour les travaux du BPAT (ainsi, le mod�le montre les 47 colonnes centrales comme identiques alors que 16 d'entre elles �taient doubles des autres) et les simulations des impacts utilisent pour les deux tours le m�me mod�le de structure interne, conduisant � l'obtention de d�g�ts plus importants pour WTC (niveau 80) que pour WTC (niveau 95). Mais surtout, le NIST n'a pas cherch� � rattacher ces simulations aux r�sultats des tests qu'il avait fait r�aliser sur la tenue des planchers (qui n'ont manifest� qu'une fl�che de 10 cm), sur la r�sistance au feu de la structure centrale sous charge maximale par le laboratoire Underwriters (quatre essais durant 2 heures sans effet notable), sur la tenue de l'isolant thermique sous l'impact de balles d'armes � feu (pas de d�crochage), ni des analyses et calculs relatifs aux temp�ratures atteintes, au plus de 500 �C)64. Enfin, la faiblesse intrins�que de la m�thode choisie par le NIST reste la prise en compte de la seule section atteinte par les impacts, �vitant ainsi la probl�matique de la non r�sistance des structures porteuses, notamment interne, au-dessous des �tages frapp�s par les avions. Cette probl�matique est �cart�e avec le postulat selon lequel � une fois engag�e, la chute des �tages sup�rieurs ne pouvait plus �tre interrompue �(p.144 - 145).
+L'attentat ayant caus� la mort du commandant Massoud le 9 septembre 2001 est per�u par nombre d'observateurs comme un pr�ambule � ces attaques. Celles-ci furent attribu�es le jour m�me par les autorit�s am�ricaines, l'ensemble des mass m�dias et la quasi totalit� des gouvernements �trangers au r�seau terroriste Al-Qaida dirig� et financ� par Oussama Ben Laden, lequel avait, pour le compte de la CIA, �t� recrut� avec d'autres par les services secrets d'Arabie saoudite pour exacerber la r�sistance moudjahiddin contre les troupes de l'Union sovi�tique durant la premi�re guerre d'Afghanistan avant de se retourner contre les occidentaux en 1991. Les enqu�teurs estiment que l'op�ration a �t� imagin� par Khalid Cheikh Mohammed, en s'inspirant de l'Op�ration Bojinka. Dans les jours qui ont suivi les attentats, le r�gime taliban au pouvoir en Afghanistan a d�menti l'implication de Ben Laden, de m�me que l'int�ress� qui sugg�re que les juifs ou les services secrets am�ricains sont responsables des attentats.
+L'enqu�te de police sur ce crime f�d�ral fut confi�e par l'Ex�cutif au Bureau F�d�ral d'Enqu�te (FBI). Il re�ut l'enti�re maitrise des divers aspects de ces �v�nements : des lieux, des vestiges, des t�moignages des personnes et de toute communication d'informations vers le public.
+Apr�s que le vol 77 s'est �cras� contre le Pentagone, des agents du FBI confisquent les enregistrements des cam�ras de surveillance de l'h�tel Sheraton, de la station service CITGO, ainsi que de l'organisme de r�gulation de la circulation automobile. Le FBI a rendu publique les vid�os de la station service, qui n'ont pas film� les attaques. Alors que l'incendie faisait rage, ils pass�rent au peigne fin les alentours pour r�cup�rer les d�bris projet�s par l'explosion, les vestiges � l'int�rieur (pour certains �vacu�s sous b�che), et les bo�tes noires.
+En Pennsylvanie, c'est le responsable local du FBI qui organisa le bouclage et l'investigation du site o� finit le vol 93. Les bo�tes noires qui avaient �t� remises au NTSB pour leur d�chiffrage furent r�cup�r�es par les services du FBI. Ce sont eux qui interdirent aux contr�leurs a�riens de Cleveland de r�v�ler quoi que ce soit de ce qu'ils avaient pu voir sur leurs �crans. Ils contraignirent �galement au silence les employ�s des compagnies a�riennes et confisqu�rent les enregistrements des communications entre les vols d�tourn�s et le sol .
+� l'�tranger, l'Intelligence Community am�ricaine et les services de police et de renseignement de plusieurs nations participent � l'enqu�te.
+D�s novembre 2001, plusieurs personnes sont arr�t�es � travers le monde dans le cadre de cette enqu�te dont Imad Eddin Barakat Yar en Espagne et Khalid Cheikh Mohammed, consid�r� comme l'organisateur des attaques qui est interpel� au Pakistan en 2003.
+Concernant le site du WTC � Manhattan, 750 agents du FBI et plus de 400 autres policiers ont utilis� l'USS Intr�pid (CV-11), un ancien porte-avions transform� en navire-mus�e comme quartier-g�n�ral pour d�buter leurs investigations 72.
+L'enqu�te du FBI, appel�e PENTTBOM 73, a �t�, selon les dires de l'Agence, la plus importante et la plus complexe de l'histoire du FBI, mettant en jeu plus de 7 000 agents. Dans les 72 heures apr�s les attaques, le FBI proposait les noms des 19 pirates de l'air d�c�d�s.
+Apr�s six mois de travail, Robert Mueller, directeur du Bureau, indiquait que � les pirates n'ont laiss� derri�re eux aucun document. Nos recherches n'ont abouti � la d�couverte d'aucun document, ni ici aux �tats-Unis, ni parmi le tr�sor de donn�es mis au jour en Afghanistan ou ailleurs, mentionnant de quelque mani�re le complot du 11 septembre �. Les pirates de l'air ont en effet exploit� les vuln�rabilit�s du syst�me pour ne pas �tre rep�r�s : cabines t�l�phoniques, t�l�phones portables, cartes pr�pay�es, financement des frais en plusieurs fois, par des sommes faibles, � travers les r�seaux immat�riels. Mueller indique que l'enqu�te a �tabli � la preuve, claire et d�finitive, que Al-Quaida �tait derri�re ces attentats �. D'autres responsables du FBI, tel que Dale L. Watson, ont fait ce m�me type de d�claration. Concernant Ben Laden, Rex Tomb, chef de l'Investigation Publicity, lors d'une interview de 2006, a avanc� que le FBI ne disposait pas de preuve tangible - � hard evidence � - pour le relier au 11 Septembre.
+Si la responsabilit� d'Al-Qaida dans ces attentats est confirm�e par la plupart des m�dias occidentaux, des gouvernements et des sp�cialistes, la pol�mique sur la nature de ces �v�nements, ses causes, et les responsabilit�s en jeu n'a pas manqu� d'appara�tre rapidement. D�s le d�but de l'ann�e 2002, le livre L'Effroyable Imposture du Fran�ais Thierry Meyssan, remettant en cause l'explication institutionnelle des attentats, a connu une diffusion internationale. Depuis, d'autres auteurs comme Jimmy Walter, Webster G. Tarpley ou David Ray Griffin ont �galement publi� des livres sur ce sujet. Internet est le lieu privil�gi� d'exposition de ces th�ses divergentes via de nombreux sites qui proposent des documents sous forme d'images d'archives, de vid�os et d'entretiens. Des documentaires, dont le plus connu est Loose Change, ont �galement �t� consacr�s � ces questions. Tous ont en commun de pr�senter des r�futations de certains aspects de la version - qualifi�e d'� officielle � par leurs soins - des �v�nements du 11 Septembre. Certains affirment ou supposent l'implication - passive ou active et � un degr� plus ou moins grand - du gouvernement am�ricain, affirmant que certains faits observ�s ou rapport�s ne sont pas pris en compte par ladite version ou ne sont pas expliqu�s par elle. Pour ces auteurs, les attentats auraient fourni le pr�texte � l'administration Bush de modifier radicalement les politiques int�rieure et ext�rieure des �tats-Unis, notamment avec les dispositions l�gislatives du Homeland Security Act et des Patriot Act 1 et 2, et justifi� les invasions militaires de l'Afghanistan et de l'Irak qui ont suivi, projets qui n�cessitaient, selon les principes de la guerre psychologique, un �v�nement d�clencheur pour �tre mis en place.
+Quelques hommes politiques soutiennent ouvertement cette hypoth�se comme l'ancien chef d'�tat italien Francesco Cossiga, qui affirme que les � attaques � sur les tours du World Trade Center ont �t� mises en sc�ne par les services secrets am�ricains et du Proche-Orient, ou encore l'ancien ministre allemand Andreas von B�low, qui a consacr� un livre � cette question, et le d�put� europ�en italien Giulietto Chiesa. En janvier 2008, le d�put� japonais Yukihisa Fujita a expos� ses doutes devant les commissions de la d�fense et des affaires �trang�res de son pays.
+Les promoteurs de ces th�ories les disent de plus en plus pr�sentes dans l'opinion publique am�ricaine suite aux manifestations r�p�t�es des familles de victimes et aux conf�rences organis�es par ces auteurs marginaux, avec parfois l'aide des m�dias locaux ou r�gionaux.
+Ces th�ories sont d�nonc�es par leurs adversaires comme � conspirationnistes �, n�ologisme utilis� pour d�signer en particulier les partisans d'une th�orie du complot int�rieur. De nombreux sites, en anglais, en fran�ais ainsi que dans d'autres langues, d�noncent ce qui leur semble �tre des arguments fallacieux des conspirationnistes.
+Pour l'historien Jean-Michel Lacroix, � la strat�gie de George Bush consiste [apr�s le 11 Septembre] � capitaliser sur l'�motion collective et la psychose s�curitaire en se posant en "d�fenseur du monde libre" au risque de prendre une posture imp�riale et d'alimenter une vision manich�enne du bien et du mal �.
+� 1. Condamne cat�goriquement dans les termes les plus forts les �pouvantables attaques terroristes qui ont eu lieu le 11 septembre 2001 � New York, Washington (DC) et en Pennsylvanie et consid�re de tels actes, comme tout acte de terrorisme international, comme une menace � la paix et � la s�curit� internationales ;+
2. Exprime ses plus profondes sympathies et condol�ances aux victimes et � leurs familles ainsi qu'au peuple et au gouvernement des �tats-Unis d'Am�rique. �+
Jacques Chirac, pr�sident de la R�publique Fran�aise au moment de ces �v�nements, a tenu un discours t�l�vis� sur TF1 � 21 h 30 le 11 septembre 2001 dans lequel il d�clarait :
+� La France, plus que jamais unie � l'Am�rique, s'associe � la douleur de toutes les familles apr�s ces attentats monstrueux, il n'y a pas d'autre mot pour qualifier et pour condamner de tels actes de terrorisme. �+
L'�moi provoqu� par les attentats a produit des r�actions de tous ordres :
+L'impact militaire le plus direct est l'invasion de l'Afghanistan, d�sign� comme le si�ge op�rationnel d'Al-Qua�da, d�s le mois d'octobre 2001 et le renversement du r�gime des Talibans quelques mois plus tard par les forces arm�es am�ricaines, britanniques, canadienne, fran�aises, et autres.
+Ce renversement et l'�tablissement d'un gouvernement de transition s'accompagne de l'arrestation de nombreux musulmans pr�sum�s terroristes, intern�s dans des camps diss�min�s autour de la plan�te, ce qui provoquera les vives r�actions de nombreuses ONG, dont Amnesty International. La cr�ation de la prison de Guantanamo s'explique en partie par cet afflux important de prisonniers.
+Un second impact militaire d'importance est l'invasion de l'Irak et le renversement du r�gime de Saddam Hussein en 2003 par les forces arm�es am�ricaines et britanniques. Bien que l'Iraq de Saddam Hussein n'ait pas particip� aux attentats du 11 septembre, le r�gime baasiste a �t� d�sign� par l'administration am�ricaine comme un soutien actif du terrorisme international et un d�tenteur d'armes de destruction massive, malgr� l'absence de preuves sur le terrain. Le r�gime de Saddam Hussein a �t� remplac� par un r�gime plus d�mocratique, notamment par la tenue d'�lections et une repr�sentation de la majorit� chiites par rapport aux sunnites. L'invasion de l'Irak provoquera de houleux d�bats � l'ONU et des manifestations � travers le monde, protestant contre les v�ritables raisons qui seraient d'ordre �conomique et strat�gique (ind�pendance �nerg�tique vis-�-vis de l'Arabie saoudite notamment).
+Il est � remarquer que le candidat George W. Bush s'�tait engag� pendant sa campagne sur le fait que les �tats-Unis ne prendraient pas l'initiative d'op�rations militaires nouvelles hors de leur territoire national. Les �v�nements du 11 septembre lui donnaient donc � nouveau les coud�es franches dans ce domaine.
+Plusieurs plaintes ont �t� d�pos�es par des victimes des attentats contre plusieurs personnes, �tats, soci�t�s et organismes aux �tats-Unis et � l'�tranger.
+Le 5 novembre 2001, une plainte avec constitution de partie civile a �t� d�pos�e aupr�s du Parquet de Paris par la famille de Thierry Saada, une des cinq victimes fran�aises des attentats.
+Le 15 ao�t 2002, environ 600 proches des victimes d�posent une plainte devant le tribunal f�d�ral de Washington contre sept banques �trang�res, huit fondations islamiques, huit particuliers dont trois membres de la famille royale saoudienne (Prince Sultan Ben Abd el-Aziz, ministre de la D�fense, Prince Turki al-Fay�al al-Saoud, ancien chef du renseignement et Prince Mohammad al-Fay�al al-Saoud, directeur de la Faisal Islamic Bank), deux entreprises et contre le gouvernement soudanais, accus�s d'avoir financ� Al Qa�da90.
+Une autre le 3 septembre 2002 � la cour du district sud de New-York.
+Des actions judiciaires ont �t� autoris�es en septembre 2002 par le juge Alvin Hellerstein contre les compagnies a�riennes dont les avions ont �t� d�tourn�s, Boeing ainsi que les propri�taires du World Trade Center pour n'avoir pu pr�venir les attentats ainsi que contre le Port Authority of New York and New Jersey qui n'a pu fournir de plans d'�vacuation appropri�s.
+Le juge f�d�ral Harold Baer a d�clar� l'Irak co-responsable avec Al-Qaida des attentats du 11 septembre dans son arr�t� du 7 mai 2003 et a accord� 104 millions de dollars (92 millions d'euros) de dommages et int�r�ts aux familles de victimes des attaques du 11 Septembre et le 22 septembre 2005, un juge f�d�ral new-yorkais, Richard Casey, a re�u la plainte d�pos�e contre l'International Islamic Relief Organization, une organisation caritative impliqu�e dans le financement de r�seaux islamistes.
+Aux �tats-Unis, la seule personne � avoir �t� jug�e jusqu'� pr�sent pour son implication directe avec les attentats du 11 Septembre est le Fran�ais Zacarias Moussaoui. Arr�t� moins d'un mois avant les attaques, il a �t� accus� par les autorit�s f�d�rales am�ricaines d'avoir eu connaissance des attentats � venir mais de n'avoir pas communiqu� ses informations. Le 3 mai 2006, au terme de deux mois de proc�s, il a �t� reconnu coupable par le jury du tribunal f�d�ral d'Alexandria en Virginie de six chefs d'accusation de complot en liaison avec les attentats terroristes du 11 Septembre et condamn� � la prison � perp�tuit�, sans possibilit� de remise de peine.
+En Allemagne, le marocain Mounir al-Motassadeq arr�t� le 28 novembre 2001, est condamn� une premi�re fois � quinze ans de prison en 2003 pour complicit� dans ces attaques. Remis en libert� en f�vrier 2006 apr�s que sa condamnation a �t� cass�e, il voit sa premi�re peine confirm�e par le tribunal de Hambourg le 8 janvier 2007.
+En Espagne, le Syrien Imad Eddin Barakat Yarkas, chef de la cellule locale d'Al-Qaida est arr�t� le 13 novembre 2001, inculp� de conspiration en vue des attentats de septembre 2001. Il est condamn� le 26 septembre 2005 � vingt-sept ans de prison.
+Khalid Cheikh Mohammed et Ramzi ben Al-Shaiba, soup�onn�s d'�tre les organisateurs des attentats, sont en d�tention � Guantanamo depuis septembre 2006. Ils avaient revendiqu� l'organisation logistique des attentats dans un entretien accord� en mai 2002 et diffus� � la t�l�vision qatarie Al-Jazira les jeudi 5 et dimanche 8 septembre 2002. En mars 2007, ils passent devant une commission militaire charg�e de d�terminer leur statut. Leur proc�s devant un tribunal militaire am�ricain install� dans la base navale am�ricaine de Guantanamo avec trois autre coaccus�s s'est ouvert le 5 juin 2008. Le Monde souligne que � les audiences se tiennent dans le cadre d'une justice militaire d'exception �. Khaled Cheikh Mohammed, Ali Abd al-Aziz Ali et Wallid ben Attash ont plaid� coupable le 8 d�cembre 2008.
+La plupart des analystes �conomiques consid�rent que les attentats du 11 septembre ont �t� � l'origine d'un ralentissement �conomique significatif (ou de l'amplification du freinage important qui avait �t� amorc� par l'�clatement de la bulle Internet en l'an 2000).
+L'effet durable sur le monde ne peut pas �tre encore mesur� pour savoir si ce fut un catalyseur (du sens de l'Histoire) ou un changement. Les m�dias de masse maintiennent une pression vers l'inqui�tude et la parano�a.
+Selon le � WorldEconomic Report � du Fonds mon�taire international de d�cembre 2001, l'US National Income and Products Accounts �value les destructions et les d�penses qui leur sont directement li�es, apr�s le 11 septembre, � 24,1 milliards de dollars am�ricain.
+Le 23 mai 2007, sept assureurs des tours du World Trade Center ont trouv� un accord extra-judiciaire avec le promoteur du complexe du World Trade Center, Larry Silverstein. Les compagnies Swiss Re, Travelers Companies, Zurich American Insurance Company, Allianz Global Risks Insurance Company, Employers Insurance Company of Wausau, et Royal Indemnity Company paieront au total 2,1 milliards de dollars au lieu des 7 milliards r�clam�s apr�s les attentats. 103,104
+Plus de 40 000 employ�s se sont retrouv�s au ch�mage et des milliers d'entreprises (particuli�rement dans le secteur tertiaire) ont disparu ou subi des pertes consid�rables suite � la destruction de ce centre d'affaires, qui �tait l'un des plus actifs de la plan�te. De nombreuses compagnies ont quitt� Downtown pour s'installer � Brooklyn, Midtown, ou dans le Connecticut.
+Les compagnies a�riennes mondiales, surtout celles des �tats-Unis, d�j� en difficult� depuis quelques ann�es, ont largement souffert de la chute de fr�quentation de leurs lignes et des travaux de s�curit� entrepris apr�s ce quadruple d�tournement, malgr� les aides des pouvoirs publics. Les primes d'assurance des immeubles et celles des avions de ligne ont fortement augment�.
+Les mesures l�gislatives vot�es dans la foul�e des attentats du 11 septembre ont apport� un surcro�t de puissance � l'ex�cutif am�ricain, aux services secrets (dont la CIA) et la police f�d�rale (Federal Bureau of Investigation), ainsi qu'aux militaires (budget du Pentagone notamment).
+L'USA PATRIOT Act a �t� soumis aux parlementaires d�s le 24 septembre et vot� le 26 octobre. Deux s�nateurs qui se sont employ�s � freiner l'adoption de ce projet, Patrick Leahy, pr�sident de la Commission judiciaire du S�nat, et Tom Daschle, chef de la majorit� s�natoriale, furent les cibles d'envois d'enveloppes charg�es d'anthrax militaire. Sous la simple affirmation de participation � la lutte anti-terroriste, le FBI se voit attribuer le pouvoir d'espionner les associations politiques et religieuses sans que celles-ci soient suspect�es d'activit�s criminelles. Le gouvernement peut trainer en justice les possesseurs de fichiers et de donn�es qui r�v�leraient qu'ils ont d� proc�der � des r�quisitions d'informations. Il peut faire proc�der � des perquisitions et saisir les documents et effets poss�d�s par des citoyens. Sans devoir se justifier, il peut faire emprisonner quiconque, y compris des citoyens, ce ind�finiment et sans proc�s, sans que ces personnes soient accus�es, ni qu'elles puissent �tre confront�es � celles qui auraient d�pos� contre elles. Le FBI ni la CIA ne sont contraints de r�pondre de leurs actions devant les �lus. Cette libert� d'action ainsi accord�e aux services secrets et � la police est toujours l'objet de d�bats sur la sc�ne politique et dans l'opinion, car per�ue comme oppos�e aux droits civiques.
+Le Homeland Security Act a �t� pr�sent� au Congr�s dans les mois qui ont suivi et a �t� vot� le 25 novembre 2002. Il regroupe en une seule structure (le Homeland Security Department) une vingtaine d'agences f�d�rales comme la FEMA, les Douanes, les Services Secrets... Il met en avant une d�finition du � terrorisme interne � tellement vague [r�f. insuffisante] qu'elle permettrait d'y inclure les militants politiques radicaux. Cette loi reprend le contenu d'un rapport de la commission dite Hart-Rudman (US Commission on National Security for the 21st Century) cr��e en 1998 sous la pr�sidence de Bill Clinton, intitul� Road Map for national Security : Imperative for Change. Le Total information Awarness office (TIA), qui mat�rialise un projet de la Defense Advanced Research Projects Agency (une structure du Pentagone), se proposait de constituer une banque de 300 millions de fiches, regroupant les informations de sources publiques et priv�es sur chaque Am�ricain. Il autorise les r�unions secr�tes des Conseils pr�sidentiels, la dispense de justification intervenant en opposition avec la loi 92 - 463 sur la transparence des r�unions de l'ex�cutif. Il garantie l'immunit� � quiconque fournit � une agence f�d�rale des informations relatives � des failles ou faillites, m�me suite � n�gligence ou faute. Il permet, par transaction commerciale, l'acc�s par l'administration � des fichiers constitu�s par des firmes priv�es sur des citoyens, contournant ainsi la protection donn�e par le IVe amendement.
+Enfin, le military commissions Act, sign� le 18 octobre 2006 par le pr�sident Bush, abroge, et avec effet r�troactif, le droit des personnes, jusqu'alors reconnu dans les trait�s internationaux sign�s par les �tats-Unis, en d�finissant une nouvelle classe d'individus, les � combattants ill�gaux �. Ceux-l� peuvent �tre ind�finiment d�tenus, sans l'obligation de fournir un acte d'accusation, sont exclus de la protection accord�e par les Conventions de Gen�ve, peuvent �tre soumis � des tortures psychologiques et physiques. Plusieurs rapports d'Amnesty International ont d�nonc� cette violation des droits de la d�fense et ces pratiques de d�tention arbitraire.
+Fin 2007, une loi sp�cifique �tait en cours d'examen par le Congr�s (loi sur la radicalisation violente et la pr�vention du terrorisme int�rieur), loi destin�e � lutter contre les id�ologies et � croyances extr�mistes qui ont pour but de faciliter la violence visant � promouvoir des changements politiques, religieux ou sociaux �. Est sp�cifiquement vis� Internet qui � a aid� � faciliter [sic] une radicalisation violente (...) en procurant aux citoyens am�ricains un acc�s aux larges et continuels courants de propagande en relation avec le terrorisme �. Cette l�gislation para�t largement inspir�e des travaux de Brian Michael Jenkins (de la RAND Corporation) sur le terrorisme : � dans leur campagne internationale, les Jihadistes vont rechercher des terrains communs avec les forces gauchistes, anti-am�ricaines et anti-mondialisation, qui, � leur tour, verront dans les Islamistes radicaux des camarades face au m�me adversaire �. Une note de l'�tude de la RAND Corporation intitul�e � Tendances du terrorisme � (ch.4) attire l'attention sur les �cologistes, anti-mondialistes et anarchistes, les d�signant comme terreaux de terroristes potentiels.
+Plus d'1,8 million de tonnes de d�bris et gravats ont �t� enlev�es du site du World Trade Center. En 2004, l'ancien site du World Trade Center, rebaptis� ground zero, est d�blay� et pr�t � accueillir une nouvelle construction, la Freedom Tower, pour laquelle un concours architectural a �t� ouvert pour un m�morial, un lieu de vie et d'activit�s.
+Un nouveau 7 World Trade Center a �t� inaugur� en 2006 mais en 2008,� malgr� le vacarme des grues et des pelleteuses, pas un seul des ambitieux projets de reconstruction n'a �merg� � quatre ans de la date officielle de finalisation �110.
+
Vingt-quatre tonnes d'acier r�cup�r� sur le site du WTC sont utilis�es pour la construction du USS New York (LPD-21), un navire de guerre de la classe San Antonio, rebaptis� ainsi en la m�moire des victimes.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Une bicyclette, aussi appel�e un v�lo en langage courant, est un v�hicule terrestre compos� de deux roues align�es - d'o� elle tire son nom. La force motrice est fournie par son conducteur (le cycliste) en position assise ou couch�e, parfois debout, par l'interm�diaire de p�dales faisant office de paliers de vilebrequin. La bicyclette est l'un des principaux moyens de transport dans de nombreuses parties du monde. Sa pratique, le cyclisme, constitue � la fois un usage quotidien, un loisir populaire et un sport.
+L'ordre de grandeur habituel des vitesses de d�placement � bicyclette est de 16 � 32 km/h environ. Sur un v�lo de course rapide, un cycliste raisonnablement entra�n� peut atteindre environ 70 km/h sur un parcours horizontal, durant de courtes p�riodes (sprints). La plus grande vitesse jamais atteinte sur du plat, sans utiliser d'�cran a�rodynamique, a �t� atteinte par le Canadien Sam Whittingham en 2008, constituant le record du monde avec 132,5 km/h, sur son v�lo couch� hautement a�rodynamique. Ceci constitue le record toutes cat�gories pour les v�hicules � propulsion humaine.
+Par rapport � la marche � pied, le v�lo est trois fois plus efficace � effort �gal et entre trois et quatre fois plus rapide. On a �galement calcul� qu'en termes de conversion en mouvement de l'�nergie issue de la nourriture, il s'agit d'une forme de locomotion plus efficace que celle de n'importe quel organisme biologique (l'organisme biologique le plus efficace au kilom�tre est le martinet et le second est le saumon).
+L'histoire de la bicyclette pourrait remonter au mythique Comte Mede de Sivrac suppos� inventeur du c�l�rif�re en 1790. La gen�se de ce mythe a �t� racont�e par Jacques Seray.
+L'histoire commence en 1817, ann�e o� le baron allemand Karl Drais von Sauerbronn invente sa Laufmaschine ou � machine � courir � qui sera pr�sent�e � Paris la m�me ann�e (Brevet d'importation fran�ais d�pos� par Louis-Joseph Dineur au nom du Baron Drais le 17 f�vrier 1818 : � Machine dite v�locip�de. �). La draisienne de 1817 poss�dait deux roues align�es, reli�es � un cadre en bois par des fourches, la roue avant pouvant pivoter lat�ralement. Cet engin connut un certain succ�s, en particulier au Royaume-Uni et aux �tats-Unis. La draisienne et les engins qui lui ressemblaient furent connus sous divers noms, comme hobby horse, dandy horse, biciped ou trottinette. Ils tenaient plus de cette derni�re, dans la mesure o� le seul moyen de propulsion �tait de prendre appui au sol pour fournir une pouss�e.
+On pourrait consid�rer que la draisienne fait partie de la pr�histoire de la bicyclette et que son histoire proprement dite commence avec les v�locip�des � p�dale. Les historiens retiennent la date de 1861 pour l'apparition des p�dales, ann�e o� Pierre Michaux, serrurier en voiture � fa�on, commence la fabrication des premiers v�locip�des � p�dale. Il appelle cette p�dale � p�divelle � (brevet fran�ais n� 80 637 d�pos� par Pierre Michaux le 24 avril 1868 : � Perfectionnement dans la construction des v�locip�des. �) et en g�n�ralise la fabrication en cr�ant son entreprise en 1865, la � Maison Michaux � qui devient � La Compagnie parisienne � en 1869. On peut parler, � partir de 1867, de succ�s populaire. Apparaissent les courses de v�locip�des, les clubs, les journaux... Des engins similaires au v�locip�de Michaux eurent beaucoup de succ�s aux �tats-Unis apr�s 1866, lorsque Pierre Lallement, ancien associ� de Pierre Michaux, obtint un brevet am�ricain pour une machine qu'il appela � bicycle �. Quelques-uns surnomm�rent la machine boneshaker (� secoueuse d'os �), en raison de la conception des roues, en bois cercl�es de fer. Les garnitures de roues en caoutchouc dur apparurent en 1869 et am�lior�rent sensiblement le confort de l'engin.
+Apr�s la guerre de 1870, le perfectionnement des v�locip�des va se poursuivre surtout en Angleterre. La roue avant devint plus grande, et la roue arri�re diminua de taille. Ce genre de bicyclette connut un succ�s foudroyant. Le premier grand-bi, appel� Ordinary apparut en 1872. En Angleterre, il fut surnomm� Penny Farthing (d'apr�s la taille respective de ces deux pi�ces de monnaie).
+Un inventeur fran�ais eut l'id�e d'utiliser les fourreaux de sabre devenus inutiles pour remplacer les profil�s pleins par ces tubes. Cela permit d'all�ger consid�rablement l'ensemble.
+En 1884, John K. Starley de la soci�t� the Coventry Sewing Machine Company (� soci�t� des machines � coudre de Coventry �), qui deviendra Rover, inventa la � bicyclette de s�curit� � avec des roues de taille raisonnable et une transmission par cha�ne. Le cycliste y est install� � l'arri�re, ce qui rend presque impossible la chute de type � soleil � o� le cycliste est catapult� par-dessus la roue avant (brevet anglais n� 1 341 d�pos� par John K. Starley le 30 janvier 1885 Improvements in roller bearings for velocipedes, carriages, or like light vehicles or light machinery).
+Un engrenage plus grand � l'avant (le plateau) qu'� l'arri�re (le pignon) fait tourner la roue arri�re plus vite que les p�dales ne tournent, ce qui permet � ce type d'engin d'aller vite m�me sans une roue g�ante.
+John Boyd Dunlop inventa le pneumatique en 1888 (brevet fran�ais n� 193 281 d�pos� par John Boyd Dunlop le 1er octobre 1888 : � Garniture de jante applicable aux roues de v�hicules. �). Cela contribua � am�liorer encore le confort du cycliste.
+Les bicyclettes de s�curit� de 1890 ressemblaient d�j� beaucoup aux bicyclettes actuelles. Elles avaient des pneumatiques de taille comparable � ceux d'un v�lo moderne, des roues � rayons, un cadre en tubes d'acier et une transmission par cha�ne. La seule chose qui leur manquait �tait un syst�me de changement de vitesses.
+Dans les ann�es 1890 ce nouveau mod�le de bicyclette a �largi la cible des utilisateurs potentiels. De plus, les bicyclettes devinrent un produit industriel, r�duisant leur prix � un point qui les rendait abordables aux ouvriers. Cela conduisit � une � folie de la bicyclette �, qui fut � l'origine d'une �volution sociale importante (voir ci-dessous).
+En 1903 na�t le tour de France. Le premier gagnant de cette grande �preuve est Maurice Garin.
+Les syst�mes � plusieurs vitesses commenc�rent � �tre utilis�s dans les comp�titions de v�lo dans les ann�es 1930.
+Le v�locar appara�t dans les ann�es 1930, v�lo couch� et anc�tre de la v�lomobile.
+Les d�railleurs se d�veloppent durant les ann�es 1950.
+Enfin, les v�lomobiles renaissent � la fin des ann�es 1980.
+Les bicyclettes courantes sont constitu�es d'un ensemble de pi�ces facilement identifiables.
+Le cadre en est la partie principale, il consiste g�n�ralement en un triangle sur lequel le poids du cycliste est r�parti � partir du point d'appui de la selle, associ� � un second triangle plus petit sur lequel est mont� la roue arri�re : ce second triangle se compose de haubans (arr�te ext�rieure du triangle arri�re) et de bases (base du triangle arri�re). La roue avant est fix�e au cadre par une fourche, la partie haute de celle-ci est mont�e sur des roulements � billes au travers d'un tube presque vertical � l'avant du cadre. Ces roulements � billes constituent le jeu de direction. Le sommet de la fourche constitue une potence � laquelle est fix� le guidon. La fourche peut �tre suspendue. De nombreux mod�les de v�los modernes sont par ailleurs con�us sans haubans fixes, remplac�s par un syst�me suspendu. Ce syst�me peut prendre des formes diverses et vari�es, de l'utilisation d'articulations bas�es sur des roulements, jusqu'� l'emploi de mat�riaux flexibles (titane notamment) qui autorisent une d�formation progressive. De tels v�los � tout-suspendus � sont con�us pour la pratique en terrain in�gal comme le VTT pour apporter un confort suppl�mentaire.
+L'�nergie est fournie par le cycliste par l'interm�diaire de ses pieds, avec lesquels il appuie sur les p�dales, reli�es � un ou plusieurs engrenages au niveau du p�dalier : le ou les plateaux. L'engrenage arri�re, le pignon (mais il y a souvent plusieurs pignons de tailles diff�rentes fix�s ensemble, on parle alors de cassette) est mont� sur la roue arri�re par un m�canisme � cliquet anti-retour : la roue-libre. La transmission du mouvement entre un plateau et un pignon est assur�e par la cha�ne. En fonction du type de pratique pour laquelle le v�lo est con�u, la cassette peut �tre � plate � comme sur un v�lo de route, ce qui veut dire qu'entre deux pignons successifs, il n'y a qu'une dent de plus sur le plus grand ; sur d'autres types de v�los comme les VTT, le nombre de dents peut augmenter bien plus vite entre les pignons successifs. L'ensemble des �l�ments compris entre les p�dales et la roue arri�re est d�sign� par le terme de transmission. Les roues elles-m�mes sont munies de pneumatiques, ou pneus, afin d'accro�tre le confort du cycliste, et de diminuer les contraintes subies par la m�canique.
+La possibilit� de changer de vitesses constitue l'une des avanc�es majeures de la technique cycliste. Le travail des jambes est plus efficace � certaines vitesses de rotation (ou cadences) du p�dalier. Disposer d'une possibilit� de s�lection plus �tendue des rapports de vitesses entre plateaux et pignons permet au cycliste de conserver sa cadence de p�dalage la plus proche d'une valeur d�sir�e. C'est pourquoi les v�los de route sont �quip�s de pignons � plats �, de mani�re � permettre au cycliste de bien contr�ler sa cadence en fonction du petit nombre de configurations de terrain qu'il pourra usuellement rencontrer. C'est un dispositif simple qui pousse la cha�ne lat�ralement de mani�re � l'obliger � changer de pignon (ou de plateau pour le d�railleur avant). Les c�t�s des pignons eux-m�mes ont une forme sp�cifique avec des indentations aux dimensions des maillons de la cha�ne, pour � attraper � la cha�ne lorsqu'elle est pouss�e contre le pignon, l'engageant ainsi sur les dents de ce pignon. Le syst�me est consid�rablement plus simple que les syst�mes plus anciens comme la bicyclette � trois vitesses, mais tarda � conqu�rir le march�, en raison de la diff�rence fondamentale avec tous les syst�mes de changement de vitesses utilis�s auparavant.
+L'un des plus importants organes d'un v�lo est le syst�me de freinage. Il est compos� de deux poign�es de frein ind�pendantes, commandant chacune une m�choire venant appliquer des tampons en caoutchouc sur la jante par l'interm�diaire de c�bles de frein. Les c�bles sont la plupart du temps prot�g�s dans des gaines. Certains syst�mes de freinage, pour plus de performance, sont bas�s sur le principe du frein � disque, ou du frein � tambour, int�gr� dans le moyeu.
+Depuis les ann�es 1950, la plupart des syst�mes de freinage sont d�riv�s de la conception des m�choires � tirage lat�ral invent�e par Campagnolo. Les deux bras de la m�choire se resserrent lorsque le c�ble, fix� � l'extr�mit� d'un des bras et passant par l'extr�mit� de l'autre est tendu. La pression des tampons appliqu�s par la jante s'�quilibre gr�ce � un ressort qui r�partit l'effort entre les deux bras de m�choires.
+L'usage de plus en plus fr�quent de pneumatiques plus gros sur les VTT a fini par poser un probl�me : la jante et son pneumatique devenaient trop larges pour passer entre les m�choires de freins. Dans un premier temps, le syst�me cantilever a apport� une r�ponse � ce probl�me. Les bras de la m�choire devenaient ind�pendants, tout en �tant reli�s par un c�ble court de r�partition de l'effort de freinage. Le c�ble de commande vient alors se fixer au milieu du c�ble de r�partition. Cependant ce syst�me pr�sente quelques faiblesses : si la fixation du c�ble de commande n'est pas centr�e, l'effort est mal r�parti entre les bras, et si le connecteur se d�croche, le c�ble de r�partition peut bloquer la roue brutalement en se coin�ant dans les dessins du pneumatique, ce qui peut entra�ner un accident si cela se produit sur la roue avant.
+Une solution plus adapt�e au probl�me de la largeur des pneumatiques est le v-brake. Le c�ble est fix� de mani�re � �tre dirig� vers le haut de mani�re � ne pas pouvoir retomber sur le pneumatique, et transmet en outre de bien meilleure fa�on la puissance de freinage impuls�e par la poign�e de frein, tout en �tant un peu plus facile � centrer lors du montage.
+Les pneumatiques peuvent �tre fix�s de deux mani�res sur les jantes : soit coll�s (on parle alors de boyaux), soit mont�s sur une encoche qui fait le tour de chaque c�t� de la jante (pneumatiques classiques). La largeur et les sculptures des pneumatiques sont adapt�es en fonction de l'usage du v�lo : fins et lisses pour la course, plus �pais et avec de nombreux crampons pour le VTT, etc.
+En Am�rique du Nord et dans les autres r�gions o� le sol g�le pendant l'hiver, il est possible d'installer des pneus dot�s de pointes m�talliques. Ceux-ci assurent une plus grande adh�rence sur des surfaces glac�es et les adeptes de ce moyen de d�placement peuvent ainsi circuler pendant
+Les mat�riaux utilis�s pour la fabrication des bicyclettes sont proches de ceux utilis�s en a�ronautique, l'objectif dans les deux cas �tant d'obtenir une structure l�g�re et r�sistante. Presque tous les v�los d'avant les ann�es 1970 �taient faits d'un alliage d'acier et de chrome : le chromaloy (ou chromoloy). Au d�but des ann�es 1980 l'aluminium connut un certain succ�s, notamment en raison de la baisse de son co�t.
+� ce jour, ce m�tal est probablement le plus utilis� pour des v�los de milieu de gamme. Dans le haut de gamme on utilise la fibre de carbone et le titane, mais ces mat�riaux sont on�reux. Chaque type de mat�riau utilis� pour le cadre a ses avantages et ses inconv�nients, bien que pour une g�om�trie de cadre donn�e, l'ensemble des bicyclettes poss�dent des qualit�s similaires dans leur comportement g�n�ral.
+Les diff�rences les plus flagrantes entre mat�riaux apparaissent lorsqu'on compare leur tenue dans le temps, leur esth�tique, leur capacit� � �tre r�par�s et leur poids. Comme la rigidit� du cadre dans le plan vertical, m�me pour un mat�riau tr�s �lastique, est d'un ordre de grandeur sup�rieur � celui de la rigidit� des pneumatiques et de la selle, le confort du v�lo se r�sume plut�t � un probl�me de choix de la selle, de la g�om�trie du cadre, des pneumatiques et de r�glage g�n�ral du v�lo.
+Il faut signaler une composante importante des v�los : c'est l'�quipement de signalisation, constitu� par une lampe blanche vers l'avant, une rouge vers l'arri�re, le plus souvent aliment�es par un alternateur, et de r�flecteurs orang�s destin�s � compl�ter la visibilit� du cycliste, notamment par le c�t�, parfois fix�s sur les rayons des roues pour augmenter leur visibilit� par le mouvement. Enfin, les v�los disposent en g�n�ral d'une sonnette actionn�e au guidon, et qui les distingue clairement des avertisseurs de v�hicules automobiles.
+L'a�rodynamique est red�couverte pour r�aliser des v�los encore beaucoup plus rapides : les v�los couch�s et les v�lomobiles, qui permettront de battre les records de vitesse et d'augmenter le confort.
+Bien que r�parer un v�lo soit simple dans son principe, nombre de pi�ces sont relativement complexes et certains pr�f�rent d�l�guer la maintenance de leur engin � des professionnels. Toutefois, beaucoup de personnes pr�f�rent entretenir leur v�lo autant que possible, que ce soit pour �conomiser de l'argent, ou tout simplement pour le plaisir de bricoler, par passion pour le v�lo.
+La v�lodiversit� a toujours �t� pr�sente depuis l'histoire des cycles. Elle r�appara�t plus clairement encore depuis la renaissance des v�los couch�s.
+Quelques bicyclettes sont embl�matiques de leur histoire telles :
+De nombreuses innovations ont transform� la bicyclette. On voit ainsi l'apparition de machines :
+De ces diff�rentes innovations d�coulent un certain nombre de pratiques cyclistes :
+Il existe des bicyclettes de forme insolite 3. Comme par exemple des v�los style Harley Davidson pour Biker en manque de p�trole.
+Avec plus d'un milliard et demi de bicyclettes circulant sur la plan�te, le v�lo est toujours le moyen de transport le plus utilis� au monde. L'apparition du v�lo aurait provoqu� ou acc�l�r� plusieurs �volutions de soci�t�.
+N�anmoins, le nombre moyen de kilom�tre parcouru par personne et par an varie fortement selon les r�gions et les pays. En Europe (voir graphique)
+Sous sa forme � deux roues avec un cadre compos� de deux triangles dos � dos, la bicyclette (quasiment identique � celle que nous utilisons maintenant) a procur� aux femmes une mobilit� sans pr�c�dent, facilitant ainsi leur �mancipation. Dans les ann�es 1890 l'engouement pour le cyclisme chez les femmes a �t� � l'origine de la cr�ation d'une mode de v�tements comme les jupes-pantalons qui ont aid� les femmes � se lib�rer du corset et d'autres v�tements contraignants.
+La bicyclette a �t� utilis�e par diff�rentes arm�es dans des r�giments d'infanterie cycliste.
+En ville, en Europe, mais surtout en Chine et dans certains pays d'Asie du Sud-Est, les bicyclettes ont r�duit la concentration de population du centre-ville en donnant aux travailleurs un moyen d'effectuer des d�placements pendulaires entre des habitations individuelles en banlieue proche et les lieux de travail de la ville. Le recours aux chevaux a �galement diminu� dans la m�me p�riode. La bicyclette, combin�e aux cong�s, permit aux gens de voyager dans leur pays d'origine, avec une grande autonomie, � une �poque o� l'automobile restait un moyen de transport on�reux accessible seulement aux classes sup�rieures.
+Une proportion croissante de la population l'utilise comme un moyen de transport pour de courtes distances[r�f. n�cessaire], surtout dans des villes dens�ment peupl�es o� la circulation est congestionn�e, et o� les co�ts d'usage et de stationnement de l'automobile comme la demande en qualit� environnementale ont rendu l'usage de l'automobile moins int�ressant. Cette tendance s'est acc�l�r�e avec le processus de vieillissement de la population des banlieues proches de nombreuses villes. De plus en plus de villes construisent maintenant des am�nagements cyclables comme des pistes ou des bandes cyclables le long des rues, pour faciliter et favoriser l'usage du v�lo tant comme moyen de locomotion au quotidien que comme loisir.
+La bicyclette est toujours l'un des v�hicules individuels les plus utilis�s dans de nombreux pays en voie de d�veloppement. L'image de la ville asiatique fourmillant de v�los est un clich� fr�quemment rencontr�, bien qu'en r�alit� la bicyclette ait tendance � y avoir de moins en moins de succ�s.
+Selon le magazine The Economist, l'une des raisons principales de la prolif�ration de bicyclettes fabriqu�es en Chine sur les march�s ext�rieurs � ce pays serait la tendance des Chinois � pr�f�rer de plus en plus l'automobile et les deux-roues motoris�s.
+En France, notamment dans les grandes villes, et comme dans les pays qui utilisent beaucoup le v�lo, le vol est assez fr�quent, ce qui a conduit � la mise en place de meilleurs moyens d'anti-vols. Ainsi aux Pays-Bas (comme en France, en Scandinavie et en Allemagne) une institution v�rifie la fiabilit� des anti-vols 4.
+D'autres moyens de transport tentent de s'adapter � la cohabitation avec la bicyclette en fournissant des moyens favorisant la compl�mentarit� des modes : syst�me de transport de v�los sur les bus, dans les trains, etc. Pour r�duire les risques de vol, de nombreux parcs � v�los s'�quipent d'arceaux ou de mini-garages � v�los (consignes � v�lo).
+Premi�rement, la fabrication industrielle des bicyclettes avec cadre en double triangle dos � dos a n�cessit� la mise au point de techniques avanc�es de travail du m�tal pour la production des cadres, et de composants comme le roulement � billes et les engrenages. Ces techniques ont permis plus tard de d�velopper des pi�ces m�caniques qui furent utilis�es dans les premi�res automobiles et en a�ronautique. Un exemple d'une telle �volution est celui des fr�res Wright, qui ont fait leurs d�buts en tant que fabricants de bicyclettes.
+L'usage du v�lo a entra�n� l'organisation sur le plan politique des cyclistes et des amateurs de bicyclette, sous forme de groupes de pression, pour promouvoir aupr�s des institutions la cr�ation d'un r�seau routier rev�tu, bien entretenu et cartographi�.
+Tant le mod�le d'organisation de ces groupes de pression que celui des routes elles-m�mes facilita plus tard le d�veloppement de l'usage d'un autre v�hicule � roues : l'automobile. Dans certaines soci�t�s occidentales, la bicyclette fut rel�gu�e apr�s la Seconde Guerre mondiale au rang de jouet pour les enfants, et il en fut ainsi durant plusieurs ann�es, notamment aux �tats-Unis. Dans certains pays occidentaux, en particulier aux Pays-Bas et en Allemagne, la bicyclette continua d'�tre utilis�e couramment comme moyen de transport.
+Le v�lo est un moyen de d�placement �conome en �nergie, peu dangereux et occupant peu d'espace. Il a une faible empreinte �cologique (s'il est utilis�). En milieu urbain, pour les d�placements courts il est une bonne alternative � l'automobile. Pour les d�placement plus longs ou pour se rendre � son travail, toujours en milieu urbain, il constitue un excellent compl�ment aux transports en commun, car il d�multiplie l'aire desservie.
+Un r�seau dit v�loroutes et voies vertes, paneurop�en est en cours de constitution pour que les cyclistes puissent se d�placer sans danger au travers de toute l'Europe, tout en ayant un acc�s facilit� � des lieux de restaurations. Au Qu�bec, un projet similaire appel� la route verte a �t� inaugur� en 2007, et couvre le territoire habit� d'est en ouest de la province. En Europe, de nombreuses r�gions sont am�nag�es � l'intention des cyclistes, mais les diff�rences nord-sud et ville-campagne restent tr�s importantes. Ce sont surtout les Pays-Bas et le Danemark qui se distinguent : les villes de Groningue et de Copenhague sont souvent cit�es en exemple. Et pourtant, selon certaines sources, c'est la ville de Ferrare, dans le Nord de l'Italie, qui aurait la proportion de cyclistes la plus �lev�e au monde.
+La pratique du v�lo apporte des bienfaits en termes de sant� publique, parce qu'il s'agit d'un exercice physique d'intensit� moyenne : c'est pr�cis�ment ce qu'il faut pour r�duire les risques de maladies cardiovasculaires. La pratique quotidienne du v�lo est �galement recommand�e par l'OMS ou la Commission europ�enne dans la lutte contre l'ob�sit�. Aux Pays-Bas, une �tude command�e par le minist�re n�erlandais des Transport montre que dans ce pays un travailleur sur trois va r�guli�rement au travail � v�lo. Ceux qui utilisent un v�lo tous les jours ouvr�s sont statistiquement moins souvent malades et donc plus rentables pour leurs employeurs. Si l'on consid�rait que les deux autres tiers rassemblaient des personnes en moins bonne sant�, celles-ci se porteraient mieux en pratiquant le v�lo. Le ministre a suite � cette �tude pr�vu 70 millions d'euros en 2009 pour am�nager des pistes cyclables facilitant les trajets domicile travail et pour des mesures d'accompagnement des cyclistes (augmentation des parcs � v�los s�curis�s dans les gares).
+Le cycliste est aussi moins expos� aux polluants de l'air que les autres usagers de la route. M�me sur une route circulante, il aspire moins de gaz que les automobilistes parce qu'il roule sur le c�t� de la chauss�e et parce que la prise d'air des v�hicules est g�n�ralement plus proche des pots d'�chappement que le nez du cycliste - o� les taux de pollution sont plus faibles. Sa position sur�lev�e lui permet d'�chapper � certains polluants qui sont plus lourds que l'air. Sans compter que les cyclistes peuvent profiter de leur flexibilit� pour explorer des parcours qui �vitent les grands axes de circulation.
+Ce gain en termes de sant� est toutefois contrebalanc� - dans certains pays plus que dans d'autres - par le risque d'accident.
+Les pays comptant le plus de cyclistes sont les moins dangereux pour les amateurs de la petite reine. Dans un article publi� en 2007 dans la revue Injury Prevention, des chercheurs anglais ont compar� les risques subis par des cyclistes �g�s de 10 � 14 ans dans huit pays. R�sultat : les Pays-Bas et la Norv�ge sont les pays les plus s�rs, suivis de la Suisse et de l'Allemagne. En queue de classement, on trouve la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Z�lande. Les usagers de la route sont disciplin�s dans ces pays, mais le cyclisme y est peu r�pandu. Le surcro�t d'accidents proviendrait du fait que les automobilistes n'ont pas suffisamment l'habitude de c�toyer des cyclistes.
+Ces r�sultats confirment ce que d'autres chercheurs, notamment su�dois et am�ricains, postulent depuis le d�but des ann�es 2000 : si on multiplie le nombre de cyclistes par dix, le nombre d'accidents n'est multipli� "que" par quatre. Il serait donc souhaitable que le nombre de cyclistes augmente, pour des raisons de s�curit�.
+En Suisse, pays au relief accident�, chaque ann�e, deux fois moins de personnes meurent � v�lo qu'� moto[r�f. n�cessaire], alors que les cyclistes effectuent davantage de d�placements que les motards (la statistique inclut les scooters d�s 125 cm� parmi les motos). Par kilom�tre parcouru, les motards et scoot�ristes sont 18 fois plus expos�s � un accident mortel que les automobilistes, les cyclistes 7 fois plus, et les pi�tons 6 fois plus. Si l'on calcule le risque de d�c�s par heure, se d�placer � v�lo reste plus risqu� que de rouler en voiture, mais l'heure de v�lo est 7 � 8 fois moins dangereuse que l'heure de moto ou de scooter.
+Ce qui r�unit cyclistes et motards, c'est que dans la plupart des accidents les concernant, une automobile est impliqu�e et c'est l'automobiliste qui est fautif (refus de priorit�, heurt par l'arri�re). Les cyclistes sont moins expos�s que les motards car ils roulent moins vite, ils entendent mieux les bruits de leur environnement, et leur v�hicule est plus l�ger. Dans la plupart des pays des guides sont disponibles, qui rappellent les consignes de prudences et bonnes pratiques 13.
+Au Danemark, une �tude tenant compte de tous les points positifs et n�gatifs li�s � la pratique du v�lo a montr� que le risque de mourir dans l'ann�e est r�duit d'un tiers chez les personnes qui se rendent au travail � v�lo, compar� � celles qui utilisent un autre moyen de transport. L'activit� physique quotidienne apporte donc un gain plus important que le risque d'accident.
+En France, le d�cret no95 - 93715 d'ao�t 1995 relatif � la pr�vention des risques r�sultant de l'usage des bicyclettes pr�cise la nature d'un v�lo : � On entend par bicyclette tout produit comportant deux roues et une selle, et propuls� principalement par l'�nergie musculaire de la personne mont�e sur ce v�hicule, en particulier au moyen de p�dales �. Conseils et r�glementation concernant le cycliste sur le site du minist�re de l'Int�rieur [3]
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+On appelle � Cathares � (du grec ancien XXXXXX / kathar�s, � pur �) les adeptes d'un mouvement religieux chr�tien m�di�val. Le nom a �t� donn� par les ennemis de ce mouvement, jug� h�r�tique par l'�glise catholique et adopt� tardivement par les historiens. D'autres sources rappellent que ce nom, propos� pour la premi�re fois par le moine Eckbert de Sch�nau (en Rh�nanie), serait un jeu de mot associant ces h�r�tiques avec des adorateurs du diable (catus), repr�sent� sous la forme d'un chat blanc ail�. Enfin, Michel Roquebert, propose dans son ouvrage 2, l'hypoth�se d'une erreur de Alain de Lille qui aurait confondu le terme catharos (pur) et kataroos (�coulement) qui a donn� en fran�ais le mot catarrhe, pris dans le sens d'un � suintement de la doctrine h�r�tique �. � Communaut� � deux niveaux �, les adeptes de ce mouvement se nommaient eux-m�mes � Bons Hommes �, � Bonnes Dames � ou � Bons Chr�tiens �, mais �taient appel�s � Parfaits � par l'Inquisition, qui d�signait ainsi les � parfaits h�r�tiques �, c'est-�-dire ceux qui avaient re�u le � consolament �, c'est-�-dire l'imposition des mains et faisaient la pr�dication, par opposition aux simples � fid�les � h�r�tiques.
+Principalement concentr� en Occitanie, dans les comt�s de Toulouse et de B�ziers-Albi-Carcassonne le catharisme subit une violente r�pression arm�e � partir de 1208 lors de la croisade contre les Albigeois puis, condamn� au IVe concile de Latran en 1215, durant un si�cle, la r�pression judiciaire de l'Inquisition.
+On a longtemps h�sit� sur les liens entre le catharisme et le bogomilisme. Ces deux doctrines furent consid�r�es alors comme proches du manich�isme, car le clerg� romain disposait d'ouvrages de r�futation, notamment ceux d'Augustin, ancien manich�en lui-m�me. Le bogomilisme subsistera en Bosnie, o� il aurait �t� la religion officielle jusqu'� la conqu�te turque, � la fin du xve si�cle. La th�se de filiation directe est aujourd'hui contest�e, m�me si les historiens admettent l'existence d'�changes et de convergences des doctrines. Le dernier colloque de Mazamet (2009) vient de confirmer les liens entre cathares et bogomiles, ainsi que les origines doctrinales des deux, qui remontent aux premiers si�cles du christianisme (Paul, Marcion, Valentin). M�me si le d�veloppement du catharisme semble appuyer l'id�e d'une expansion depuis l'Europe centrale, il n'est pas prouv� � ce jour qu'il s'agisse bien de la r�alit�.
+Des communaut�s h�r�tiques sont apparues en Europe occidentale vers l'an Mil, sous diff�rents noms selon les r�gions : manich�ens, orig�nistes, piphles, publicains, tisserands, bougres, patarins, albigeois, en Allemagne, en Flandre, en Champagne, en Bourgogne. Le fait que les relev�s doctrinaux soient conformes � la base de la doctrine cathare (au sens large du terme) permet de relier ces diff�rentes �mergences, m�me si la r�pression les a fait dispara�tre de ces r�gions. La pr�sence de l'�v�que de France � Saint F�lix Caraman, cit� dans la Charte de Ninquinta (aujourd'hui largement authentifi�e), prouve les liens entre ces communaut�s du nord et celles d'Occitanie.
+Les r�actions des autorit�s civiles ou eccl�siastiques et des populations expliquent cette g�ographie du catharisme et sa persistance dans le Midi. Selon Michel Roquebert, cette tol�rance religieuse est peut �tre due � une longue cohabitation avec d'autres confessions : arianisme de la p�riode wisigothe, proximit� de l'Espagne islamique, pr�sence de nombreux juifs. Pour ce qui est de l'Italie du Nord, l'implantation du catharisme, tr�s diff�rent de celui qui se d�veloppa en France, profite du conflit entre le pape et l'empereur.
+C'est dans ces r�gions que les Bons Hommes se sont organis�s en communaut�s d'hommes ou de femmes dirig�es par des anciens, des diacres et des �v�ques. Ces communaut�s �taient constitu�es de plusieurs �maisons�. On y aurait souvent pratiqu� des m�tiers li�s � l'artisanat local, et fr�quemment le tissage, en r�f�rence aux premi�res communaut�s chr�tiennes. Plusieurs communaut�s constituaient une �glise, ou dioc�se cathare, � la t�te duquel se trouvaient des �v�ques.
+Au milieu du xiie si�cle (1167), les �glises cathares �taient au nombre de huit cents en France. Au xiiie si�cle, en 1226, un nouvel �v�ch� fut cr��, celui du Raz�s, dans la r�gion de Limoux. Ces �glises �taient ind�pendantes. Elles ne reconnaissent pas d'autorit� sup�rieure � celle des citoyens, comme celle du pape pour l'�glise romaine. Les maisons de �parfaits� �taient r�unies sous l'autorit� d'un diacre, et chacune �tait dirig�e par un ancien ou une prieure. L'�v�que �tait lui-m�me assist� par un �fils majeur� et un �fils mineur�, qui �taient choisis parmi les diacres, et qui prenaient sa succession, le fils mineur rempla�ant le fils majeur, qui devenait �v�que, � sa mort; cela se produisit fr�quemment lorsque la pers�cution commen�a. Les femmes pouvaient obtenir le consolament, et acc�der ainsi � la vie de parfait. M�me si elles n'�taient pas habituellement charg�es de la pr�dication, comme les hommes, quelques exemples montrent qu'elles pouvaient assurer toutes les missions d�volues aux bons hommes : pr�dication, notamment aux femmes, ou en association avec un homme, participation aux disputes (Esclarmonde) et consolament, notamment pendant la r�pression inquisitoriale. Par contre, nous n'avons pas trace de bonne femme diacre ou �v�que.
+Par cette organisation, les Cathares ont voulu reproduire fid�lement celle de l'�glise primitive, telle qu'elle est d�crite dans le Nouveau Testament, dans les �p�tres de Saint-Paul, et dans les Actes des ap�tres, principalement.
+Le catharisme ne s'appuie pas sur une th�ologie puisqu'il consid�re que Dieu, inconnaissable et non accessible, est absent de ce monde. Cette doctrine est le fruit d'un travail de recherche scripturaire, prenant en compte le Nouveau Testament, notamment l'�vangile selon saint Jean et celui selon saint Luc, dont au moins la moiti� est aujourd'hui consid�r�e comme le reliquat de l'�vang�lion de Marcion de Sinope, lui-m�me �crit selon la pr�dication de Paul de Tarse. C'est une interpr�tation tr�s diff�rente des �vangiles de celle de qu'en fait l'�glise catholique. Les cathares s'appuient aussi sur de nombreux �crits (Paul, Marcion, Livre des deux principes, rituels, etc.) et s'inspirent de courants de pens�e plus anciens (paulinisme, gnosticisme), tout en gardant, sur bien des points, de notables distances avec ces philosophies ou religions, auxquelles le catharisme ne peut �tre assimil� d'un bloc. En effet, les cathares n'ont jamais parl� de Mani, de Sophia ou des �ons, et se diff�rencient r�ellement des �crits de Paul et de Marcion, repr�sentant une �volution doctrinale, de celle de ces deux p�res de l'�glise.
+Les cathares recherchent le sens originel du message du Christ. Leur foi se base sur les principes suivants :
+Cette vision de la constitution de l'univers visible constitue le mythe de la chute du tiers des anges ou, selon les interpr�tations, de la troisi�me partie de leur composition : �tre, �me, et corps subtil. Introduits dans des corps charnels fabriqu�s par Lucifer, ces �tres sont diff�rents de l'�me qui est de cr�ation mal�fique, et qui assure la survie du corps charnel;
+Cette cr�ation, issue d'un cr�ateur imparfait et non �ternel, est imparfaite et corruptible. Elle a eu un commencement et elle aura une fin.
+Cette fin surviendra quand le Mal s'�tendra sur la cr�ation et que les esprits auront r�ussi � s'extraire de leur prison charnelle pour retourner � Dieu. Alors, le Mal ayant perdu les avantages du m�lange, redeviendra N�ant. Le Mal est donc vainqueur dans le temps mais, son accomplissement constitue sa perte. Il est donc vaincu dans l'�ternit�.
+Les deux principes ne sont donc pas de m�me nature et de m�me puissance. Il ne s'agit donc pas d'un dualisme manich�en, ni d'un dith�isme, mais d'un dualisme comparable � celui de l'�glise de Rome, sauf qu'au lieu d'�tre eschatologique, centr� sur la fin des temps et la division du monde entre paradis et enfer, il est originel, centr� sur la bonne cr�ation, qui seule subsistera � la fin des temps.
+Le Christ, fils de Dieu, et envoy� par Lui, est venu pour leur r�v�ler leur origine c�leste et pour leur montrer le moyen de retourner aux cieux. Ainsi, le Christ est uniquement l'envoy� du P�re (aggelos : ange, messager) venu apporter le message du salut aux hommes. Il ne s'est pas soumis au Mal par l'incarnation, et est demeur� un pur esprit (doc�tisme). Marie ne l'a jamais enfant�.
+La diff�rence fondamentale entre catharisme et catholicisme porte sur le fait que, pour les premiers, Dieu subit le mal en ne punissant personne, alors que pour les seconds, Dieu subit le mal et sauve les p�cheurs qui le veulent, mais pas ceux qui rejettent son pardon.
+Les cathares du Moyen �ge sont en accord sur l'essentiel de leurs croyances, et les l�g�res variantes observ�es (absolus ou dyarchiques, et mitig�s ou monarchiques) n'avaient pas de r�percussion.
+Les cathares, se consid�rant alors comme les seuls vrais disciples des ap�tres, adoptent le mod�le de vie, les rites et les sacrements, des premi�res communaut�s chr�tiennes. Ils s'appuient principalement sur les enseignements du Nouveau Testament, leur unique pri�re �tant le Notre P�re. Ils consid�rent que toutes les pratiques et sacrements instaur�s par l'�glise catholique romaine tout au long du Haut Moyen �ge, n'ont aucune valeur :
+De m�me que dans certains courants de l'�glise chr�tienne primitive, l'id�al cathare est bas� sur une vie asc�tique, alors que le sacrement du mariage aurait �t� cr�� tardivement afin de permettre aux fid�les d'�tre chr�tiens dans le mariage, leur donnant la possibilit� d'acc�der au salut sans suivre la voie monastique.
+Ils n'attachent pas d'importance aux �glises b�ties qui ne sont pas pour eux les seuls lieux du culte car la parole du Christ peut �tre enseign�e partout o� se r�unissent les fid�les.
+Leur seul sacrement est le bapt�me, ou consolament.
+Le sacrement du consolament (consolation, en occitan du latin consolamentum) ou � bapt�me d'esprit et du feu � par imposition des mains, comme pratiqu� par le Christ, est le seul � apporter le salut en assurant le retour au ciel de la seule partie divine de l'homme : l'esprit. Il est le point de d�part d'un choix de vie en accord avec la doctrine (justice et v�rit�), permettant � la nature divine de l'imp�trant de se d�tacher partiellement de la nature mondaine et d'acc�der au salut. Le consolament officialise donc le choix du novice ou du mourant � mener une vie chr�tienne. Il n'est que la reconnaissance d'un �tat et non un apport d'une qualit� ext�rieure. Ce sacrement joue un r�le fondamental dans les communaut�s cathares car il est � la fois sacrement d'ordination et de viatique (extr�me-onction), alors appel� � consolament des mourants �.
+Le consolament est conf�r� par un membre de la hi�rarchie et engage celui qui le re�oit dans une vie religieuse qui, comme toute ordination, suppose la prononciation de voeux et le respect d'une R�gle : pratique de l'asc�se, engagement � ne pas manger de la viande, la pratique de la morale �vang�lique : interdiction de jurer, de mentir, de tuer. Il fait d'un croyant cathare un Bon Homme ou une Bonne Dame, membre du clerg�, pr�dicateur, capable d'apporter lui-m�me le consolament aux mourants.
+Il �tait donc aussi administr� aux mourants qui en faisaient la demande, c'est-�-dire aux simples croyants qui n'avaient pas franchi le pas de l'ordination durant leur vie, mais souhaitaient rencontrer le Saint-Esprit, leur donnant une chance d'acc�der au salut, avant de mourir. Les pri�res des parfaits apr�s la mort du consol� pouvaient durer encore quatre jours, et si le mourant survivait, il devait alors embrasser la vie de parfait avec les contraintes associ�es.
+�tant ordonn�s, les parfaits entrent dans un ordre religieux, mais sans sortir du si�cle. Ils sont en effet astreints au travail manuel pour vivre, ce qui leur donne un avantage consid�rable pour leur pr�dication, en les maintenant au contact de la population qu'ils vont instruire directement, via des traductions en langue vernaculaire, contrairement au clerg� catholique qui refuse tout contact direct du peuple avec les textes sacr�s. Cela leur rapportera �galement, tout simplement, l'argent du produit de leur travail, argent qui leur permettra par exemple de se d�placer et, avec les dons et les legs, de cr�er les conditions de l'existence d'une hi�rarchie. Par contre la pauvret� personnelle �tait prescrite.
+Les cathares vivaient dans des � maisons de parfaits �, int�gr�es aux villes et aux villages, qui leur permettaient de rencontrer la population et de pr�cher, et leur servaient d'atelier. Des jeunes y �taient envoy�s par leurs parents simples fid�les ou d�j� ordonn�s, pour leur formation en vue de leur propre ordination.
+Tout parfait rejoignait une maison de parfaits, et y travaillait de ses mains, y compris par exemple les nombreuses �pouses nobles et leur prog�niture qui firent partie des rangs des cathares. Le sacrement de mariage n'�tant pas reconnu, elles se s�paraient simplement de leur mari, g�n�ralement lui-m�me simple croyant.
+Le consolament des mourants pouvait �tre conf�r� dans les maisons des parfaits, dans laquelle le consol� �tait transport� et mourait.
+Lorsque vint le temps des pers�cutions, les parfaits durent se cacher chez des fid�les, mais ils y pay�rent toujours leur nourriture par le travail manuel, plus le pr�che et l'enseignement.
+Se rapprochant des premiers chr�tiens, les cathares croyaient que le salut passait par une vie de religion. Afin de ne pas procr�er, c'est � dire cr�er un nouveau corps - d'essence mauvaise - ils �taient astreints � la chastet� et refusaient la procr�ation, ils devaient constamment aller par deux personnes du m�me sexe : chacun avait son s�ci, ou compagnon, ou sa s�cia, pour les femmes. Cette pr�dication au coin du feu de deux personnes de m�me sexe conduira � l'accusation de bougrerie (homosexualit�) fr�quemment enregistr�e dans les registres de l'Inquisition. En r�alit�, cette fa�on de vivre toujours au moins � deux tenait � la conviction que l'esprit seul ne peut �viter de se fourvoyer alors qu'avec - au moins - un compagnon ou une compagne, les errements sont plus faciles � combattre.
+Ils ne devaient pas mentir, s'abstenir de tout vice, de toute m�chancet�, �tre simplement de Bons Chr�tiens selon les �vangiles, ce qui conduisit in�vitablement � l'�dification des chr�tiens, bien que le catharisme touch�t essentiellement une population bourgeoise ou noble, sauf dans la derni�re p�riode. Les parfaits ne devaient �videmment pas tuer, mais cela s'appliquait �galement aux animaux.
+L'interdiction de mentir, ainsi que l'interdiction de jurer, fut largement utilis�e par les inquisiteurs pour identifier et pourchasser les bons chr�tiens.
+Ils devaient s'abstenir de toute consommation de produits de la fornication. En cela ils s'interdisaient toutes viandes ainsi que le lait et les produits d�riv�s.
+Le je�ne �tait de pratique courante mais, le je�ne le plus strict pr�voyait du pain et de l'eau. L'endura, qui conduisit des "bons hommes" � la mort, est un je�ne suivant le consolament et qui a pu conduire certains "bons chr�tiens" � la mort pendant l'inquisition en raison de situation particuli�res (mourants ou bless�s consol�s in extremis).
+Derni�re obligation faite surtout aux hommes : la pr�dication. Les parfaits devaient pr�cher le salut par l'ordination du consolament et la morale �vang�lique. Cette pr�dication se faisait dans les maisons ateliers, mais �galement �tant invit�s par des fid�les ou sur la place publique.
+Finalement, trois car�mes annuels �taient pratiqu�s.
+Leur obstination, leur anticl�ricalisme intransigeant, leur opposition � la hi�rarchie catholique, � laquelle ils reprochent sa richesse ostentatoire et ses abus de pouvoir, valent aux cathares de s'attirer les foudres de l'�glise romaine, d'autant plus que leur m�pris pour le corps et leur conception nihiliste de l'existence �taient per�us comme �minemment dangereuse. Ils sont condamn�s comme h�r�tiques. Ainsi que beaucoup d'autres mouvements dissidents ou contestataires, les cathares deviennent l'objet d'une lutte permanente. L'�glise romaine tente d'en � purifier � la chr�tient� occidentale en excluant syst�matiquement tout individu ou groupe mettant en p�ril le projet de soci�t� chr�tienne qu'elle construit depuis le d�but du xe si�cle. Un crit�re qui sera souvent utilis� est leur refus du mariage, qui permettra de les nommer orgiaques et impies. Une pri�re des confr�ries corses porte toujours une mention de cette r�putation de � satanales �, lorsqu'elle dit, � chandeliers triangulaires aux cierges �teints �, �cho des vices qui se pratiquaient pr�tendument dans les �glises, une fois les cierges souffl�s, et qui renvoie � toutes les peurs de la sorcellerie, des messes noires, etc.
+L'�glise catholique confie aux cisterciens, au xiie si�cle, puis, avec plus de succ�s, au xiiie si�cle, aux ordres mendiants (aux franciscains et au nouvel ordre des dominicains, ayant re�u leur constitution en 1216) le soin de combattre ce danger de l'h�r�sie. Les cathares sont difficiles � convaincre. La pr�dication ou le d�bat doctrinal instaur�s � cette fin dans le Midi de la France par l'�glise tourne court pour le moment, malgr� la pr�dication de Saint Dominique, qui fut par la suite mise en valeur par l'�glise.
+Pr�texte : expliquer l'assassinat du l�gat du pape
+Face � cet �chec de faire dispara�tre cette h�r�sie, le pape Innocent III lance en 1208 contre les � Albigeois �, ou cathares, la premi�re croisade qui se d�roulera sur le territoire de la chr�tient� occidentale. Avec la Croisade contre les Albigeois, il s'agit pour l'�glise de mater une h�r�sie, mais aussi en partie, pour le pouvoir central de la royaut� fran�aise, de soumettre les seigneurs du Sud, ses vassaux trop ind�pendants. N�anmoins Philippe Auguste, le roi de France, ne voudra jamais participer personnellement � cette croisade, mais il laissera ses vassaux libres de toutes actions. La guerre durera vingt ans (1209 - 1229). Il faut savoir que les domaines que tenaient le comte de Toulouse �taient d'une richesse enviable. Simon de Montfort, un seigneur ambitieux, prit la t�te des troupes lev�es par le pape et r�ussit � mettre � son nom tous les titres et possessions du comte de Toulouse, Raymond VI, comme le lui permettait la croisade.
+La lutte arm�e pour pacifier le Languedoc se poursuivit dans le Midi tout au long du xiiie si�cle. Elle est relay�e sur un plan spirituel par l'institution de l'Inquisition, cr��e en 1231 pour traquer la � d�pravation h�r�tique �, et convaincre les cathares de revenir vers la foi chr�tienne. Ajouter ici le sort de la premi�re croisade, la reprise du pouvoir par le comte de Toulouse, la remise des titres de propri�t� au roi de France par le successeur de Guillaume de Monfort, la deuxi�me croisade � laquelle participe le roi de France, et l'annexion des territoire du Sud-Ouest � la couronne de France.
+La t�che de l'Inquisition fut facilit�e par le refus du serment que pratiquaient les cathares. Ainsi, lorsqu'un inquisiteur interrogeait un parfait, les plus convaincus �taient faciles � d�tecter. Les inquisiteurs (surtout les Dominicains) notaient soigneusement tous les interrogatoires et ainsi tous les Bons Hommes furent l'un apr�s l'autre arr�t�s suite, souvent, aux r�v�lations de leurs pairs. De plus, un cathare ne pouvait �tre sacr� que par un parfait et les mourants ne pouvaient recevoir l'Absolution (consolamentum des mourants) que des mains d'un parfait. Que ce soit une tactique d�termin�e ou pas, l'Inquisition, en faisant dispara�tre le clerg� cathare, fit dispara�tre le culte avec lui, ce qui �tait le but recherch�.
+Le sac de B�ziers La ville de B�ziers abritait des cathares ; elle �tait tenue par les Trencavel, vassaux des comtes de Toulouse - excommuni�s par le pape en raison de leur trop grande tol�rance envers les Cathares. La m�moire Biterroise conserve une place particuli�re � une date pendant cette p�riode : le 22 juillet 1209. Ce jour-l�, la Croisade des Albigeois, contre les Cathares, se traduisit par le sac, l'incendie de B�ziers et le massacre une partie de sa population (cathares comme chr�tiens, ici il n'est plus question de lutte religieuse mais de combattre les hommes de seigneurs excommuni�s et rebelles) en l'�glise de La Madeleine. On l'a baptis� � Lo gran mazel � (� la grande boucherie �)
+Le moine allemand C�saire de Heisterbach (dont R�gine Pernoud pr�cise qu'il est un auteur � peu soucieux d'authenticit� �) relate dans son Livre des Miracles qu'il �crit dix ans apr�s les faits, qu'Arnaud Amaury, le l�gat du pape, � qui on demandait comment diff�rencier les cathares des bons catholiques de B�ziers pour les �pargner, d�clara � Tuez-les tous, Dieu reconna�tra les Siens. � Ne figurant dans aucune autre source, la phrase est certainement apocryphe.
+C'est davantage dans la menace politique qu'ils repr�sentaient qu'il faut trouver la v�ritable explication. D'autres chercheurs estiment que les Giovannali sont une branche de la dissidence franciscaine sans lien avec le catharisme.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Au niveau th�orique, le communisme est une conception de soci�t� sans classe, une organisation sociale sans �tat, fond�e sur la possession commune des moyens de production et qui peut �tre class�e comme une branche du socialisme ou plut�t � comme but � du socialisme.
+Au niveau politique, le communisme d�signe une vari�t� de mouvements qui affirment chercher � �tablir � terme une telle soci�t�. Parmi les communistes, on trouve une consid�rable vari�t� d'interpr�tations, principalement port�es par les courants marxistes, mais aussi anarchistes et chr�tiens. La premi�re division s'est op�r�e entre anarchisme et marxisme au sein de la Premi�re Internationale. N�anmoins, les courants communistes qui se sont le plus distingu�s par leur influence sur l'ordre politique mondial depuis le d�but du xxe si�cle sont d'influence marxiste, directement (Manifeste du Parti communiste) ou indirectement (l�ninisme). La lutte des classes joue un r�le central dans la th�orie marxiste (et �galement dans d'autres tendances communistes). L'�tablissement du communisme correspond dans cette th�orie � la fin de toute lutte des classes, la division des �tres humains en classes sociales ayant disparu.
+Karl Marx, d�fendant la n�cessit� de l'autonomie du mouvement ouvrier et de l'internationalisme, soutenait que la soci�t� ne pouvait d'un coup �tre transform�e depuis le mode de production capitaliste vers le mode de production communiste. Elle n�cessitait une p�riode de transition que Marx a parfois d�crit comme la p�riode r�volutionnaire de dictature du prol�tariat. Dans le Manifeste du Parti communiste, il d�finit le communisme comme � une association o� le libre d�veloppement de chacun est la condition du libre d�veloppement de tous �. La soci�t� communiste imagin�e par Marx, �mergeant d'un capitalisme largement d�velopp�, n'a jamais �t� �tablie, et demeure th�orique.
+Au niveau historique, le mot � communisme � est souvent utilis� pour d�signer les r�gimes politiques et �conomiques gouvern�s par des partis se r�clamant du communisme. Certains de ces r�gimes se revendiquaient comme des � dictatures du prol�tariat �.
+La notion de communisme est tr�s controvers�e et d�signe souvent des r�alit�s diff�rentes selon les personnes qui l'utilisent. Le concept de communisme est l'objet d'un d�bat s�mantique, selon deux axes qui interf�rent :
+Le terme communisme vient du terme latin communis, ce qui est commun � un groupe, auquel s'adjoint le suffixe � -isme � d�signant une doctrine. La commune serait �galement un des termes d�finissant le cadre du groupe (de ce qui lui serait commun) dans lequel se d�finit le communisme.
+Divers usages existent autour du terme � communisme �. Ainsi, il est n�cessaire de reprendre l'historique du mot et de s�parer les diff�rents courants ainsi que les diff�rents concepts utilis�s.
+En 1845, dans L'id�ologie allemande, pour Marx et Engels, � le communisme n'est pas un �tat de choses qu'il convient d'�tablir, un id�al auquel la r�alit� devra se conformer. � Ils appellent � communisme le mouvement r�el qui abolit l'�tat actuel des choses. Les conditions de ce mouvement r�sultent des donn�es pr�alables telles qu'elles existent actuellement. �3
+En 1847, Friedrich Engels d�finit ce mouvement r�el dans les � Principes du communisme �. Ainsi, � le communisme est l'enseignement des conditions de la lib�ration du prol�tariat. �4.
+On d�signe parmi les premiers � marxistes � en France les Guesdistes comme Jules Guesde et Paul Lafargue qui ne se sont jamais d'ailleurs revendiqu�s comme marxistes ; contrairement et probablement aux Broussistes dans les ann�es 1870 et � certains H�g�liens dans les ann�es 1890 5 et � autres amis de ce genre � dont Marx a dit : � je ne suis pas marxiste. �.
+Marx critiqua ainsi les visions encore utopique de ces mouvements dont leur sentiment vont historiquement en France au socialiste Joseph Proudhon et au r�volutionnaire Auguste Blanqui m�me parmi les Guesdistes ("marxistes fran�ais"). Par ailleurs, vers la fin de sa vie, n'a-t-il pas dit de ces gendres que Longuet �tait le dernier des proudhonniens et de Lafargue le dernier des boukaninistes ? De plus, les guesdistes, trop enthousiastes de cette nouvelle pens�e, pr�voient contrairement � Karl Marx une victoire rapide et facile contre les m�faits du capitalisme. Ainsi, pour les autres socialistes, les guesdistes font preuve d'un messianisme parce qu'ils citent constamment Marx soit d'une mani�re trop simpliste, soit comme un pr�tre citant la Bible.
+Cependant, dans son Introduction de la Guerre Civil, Engels �crit que la Commune de Paris a sonn� le glas des �coles prudhonniennes et du blanquisme puisque ces �lus, majoritaires, ont fait le contraire de leur pens�e, c'est-�-dire essayer de construire selon Marx le Communisme ; et qu'� partir de 1891, � c'est maintenant la th�orie de Marx qui y r�gne chez les � possibilistes � non moins que chez les � marxistes �. Ce n'est que chez les bourgeois � radical � qu'on trouve encore des prouddhonniens. �.
+Ainsi, tandis que le proudhommisme e�t perdu de l'influence, est-ce cependant la pens�e marxiste qui pr�domine dans les milieux ouvriers fran�ais ? M�me avec la diffusion du marxisme par Guesde et Lafargue dans le prol�tariat, c'est le sentiment anarchiste par "l'action directe" et la Propagande par le fait qui pr�dominent. Les �v�nements de Fourmies en 1891 exalt� par l'anarchiste Renard, les lois sc�l�rates en 1893, la formation de la CGT en 1895 (domin� par des syndicalistes r�volutionnaires libertaires) l'attestent.
+Et, comme le dira, en 1896, Wilhelm Liebknecht dans ces Souvenirs sur Marx : � Il n'y avait alors au sein de la classe ouvri�re elle-m�me qu'une infime minorit� qui se f�t hauss�e jusqu'au socialisme ; et parmi les socialistes eux-m�mes, les socialistes dans l'esprit scientifique de Marx - dans l'esprit du manifeste communiste - n'�taient qu'une minorit�. Le gros des ouvriers, dans la mesure o� ils s'�taient �veill�s � la vie politique en g�n�ral, �taient encore plong�s dans la brume des aspirations et des formules d�mocratiques sentimentales qui caract�risaient le mouvement de 1848 aussi que ses levers et baissers de rideau. �.
+Le communisme est souvent assimil� au mouvement marxiste.
+Cependant, le marxisme n'est qu'une composante du communisme tout comme l'arnarchisme. Selon Jules Guesde, les marxistes se posent en � double qualit� de communiste - comme but - et de collectiviste - comme moyen - �6.
+Ces derniers se font appeler les collectivistes. En effet, dans son sens ancien, le communisme prescrivait la mise en commun de tous les biens. C'est par � collectivisme � qu'on d�signait les doctrines de mise en commun des seuls moyens de production.
+Cependant, � Le collectivisme ne se distingue pas du communisme scientifique, tel qui est sorti de la critique ma�tresse de Karl Marx. Si cette appellation a pr�valu en France, c'est que, pour les besoins de notre propagande, il y avait lieu de nous distinguer des divers syst�mes communistes qui, forg�s de toutes pi�ces par des hommes de plus ou moins de bonne volont� ou de g�nie, versaient tous dans l'utopie. �7
+Ainsi, peu apr�s la commune de Paris en 1871, et jusqu'en 1917, les marxistes se sont d�sign�s comme � collectivistes � et la majorit� des anarchistes comme � communistes �, du fait que le premier courant voulait utiliser un �tat dirig� par les travailleurs et la collectivisation comme outil de transition, au contraire du second qui voulait utiliser directement des moyens libres et autonomes pour atteindre le but recherch�.
+Cependant, selon le fran�ais Paul Lafargue le terme de � Collectivisme est un mauvais synonyme belge pour communisme. Le communisme a un pass� historique et a eu pour repr�sentants au d�but du si�cle Owen et Fourier. En 1847, Marx et Engels ont publi� le Manifeste communiste, document incomparable au XIX�me si�cle... Enfin, le mot ne fait rien l'affaire si nous propageons les id�es du communisme. �8
+Les r�gimes politiques qui �taient en place dans l'Union sovi�tique et dans le � bloc communiste � sont commun�ment d�sign�s aujourd'hui sous le nom de � r�gimes communistes �. En URSS, on d�signe du nom de � communiste � les membres du parti et seulement eux. La qualification � communiste � de ces r�gimes est contest�e principalement par des communistes ou sympathisants. Des marxistes et des anarchistes, ont analys� d�s leur apparition ces pays comme des r�gimes � capitalistes d'�tat �. Les trotskystes estiment qu'il s'agit d'une monstrueuse d�g�n�rescence d'un � �tat ouvrier � issu de la R�volution russe. La majorit� des communistes (staliniens) reconnurent longtemps ces r�gimes comme d�coulant de leurs id�es. Les adversaires du communisme consid�rent que la nature autoritaire ou totalitaire de ces r�gimes d�coule logiquement de l'id�ologie communiste.
+Les dirigeants de ces pays les d�claraient � socialistes �. Ce terme fut le plus commun�ment utilis� dans ces pays, o� �tait pratiqu�e une planification �conomique. Le � socialisme � fut d�fini par des th�oriciens l�ninistes comme l'�tape pr�liminaire et n�cessaire vers le communisme, la soci�t� id�ale sans classes ni propri�t�. Ce r�gime fut appel� aussi au d�part la dictature du prol�tariat, terme abandonn� vers 1936 pour le � socialisme triomphant � et ensuite, vers les ann�es 1970, le � socialisme d�velopp� �.
+Une soci�t� communiste se d�finit au plan th�orique comme une soci�t� sans classes, sans salariat et sans �tat. L'URSS, ses r�publiques composites et satellites et tous les pays socialistes n'ont jamais r�alis� l'id�al communiste, m�me selon les th�ories staliniennes : ils se disaient � en route vers � le communisme.
+Les bases du communisme sont beaucoup plus complexes que l'on pourrait le penser. Ainsi Marx lui-m�me n'est pas le cr�ateur du socialisme ou communisme. Bien d'autres auteurs y avaient pens� avant lui, Rousseau avance d�j� l'id�ologie comme dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'in�galit�, o� il explique que l'invention de la propri�t� est nuisible "Gardez-vous d'�couter cette imposteur; vous �tes perdus, si vous oubliez que les fruits sont � tous, et que la terre n'est � personne". On peut aussi citer Gracchus Babeuf. Le communisme s'appuie aussi sur le philosophe allemand Kant.
+Sur le plan de l'organisation sociale et �conomique, le mot communisme conjecture l'organisation d'une soci�t� :
+Des difficult�s th�oriques et pratiques se posent pour l'instauration du communisme :
+En URSS, les individus parvenant � ma�triser le syst�me politique charg� de g�rer l'appareil de production ont form� spontan�ment ce que L�on Trotski a appel� la "bureaucratie", et Mikha�l Voslenski la "nomenklatura". Poursuivant des fins propres (int�r�t personnel et/ou int�r�t de classe) et non l'int�r�t g�n�ral, ce groupe a utilis� le r�gime � son profit. Pour pr�venir de tels dangers (que les l�ninistes estiment pr�sents surtout peu de temps apr�s l'instauration de � l'�tat ouvrier �) il faudrait un contr�le de l'ensemble de la population sur les diff�rents responsables, � tous les niveaux, et leur r�vocabilit� (c'�tait la revendication des ouvriers et soldats des ann�es 1920 en Russie sovi�tique : � Tout le pouvoir aux Soviets ! �).
+Le passage d'une soci�t� non communiste � une soci�t� communiste constitue un moment d�licat : les moyens divergent selon les tendances existantes au sein du mouvement communiste, n�anmoins la p�riode r�volutionnaire (avec toutes les cons�quences d'une r�volution) est une base commune, m�me si les moyens pour la r�aliser ne le sont pas.
+Dans la th�orie marxiste, le communisme est l'aboutissement ultime de l'�volution des soci�t�s humaines de la commune primitive � l'esclavagisme, de l'esclavagisme au f�odalisme, du f�odalisme au capitalisme, du capitalisme au socialisme par la r�volution, et du socialisme (qui n'a pas fini de s'affranchir de toutes les traces du capitalisme ni la propri�t� priv�e de biens meubles ou immeubles familiaux) au communisme (o� il n'y a plus ni propri�t� priv�e, ni classes). Celui-ci ne pourrait alors en fin de processus qu'embrasser l'humanit� enti�re.
+Des exp�riences, notamment en Espagne en 1936 dans une p�riode r�volutionnaire, dans des collectivit�s (il existera aux alentours de 3000 collectivit�s dans toute l'Espagne) aragonaises ou catalanes (et dans d'autres r�gions), ont effectu� des r�alisations partiellement communistes (en laissant, et de mani�res diverses selon la situation de chaque collectivit�, aux petits propri�taires, lorsque cela ne g�nait en rien les moyens de r�aliser la subsistance des collectivit�s, la libert� de garder leurs biens ou de s'associer ou non aux collectivit�s).
+Par ailleurs, dans les pays � r�gime dit � marxiste-l�niniste � d'inspiration sovi�tique, l'�tape dite � r�volutionnaire � a donn� naissance � des r�publiques dites � populaires � ou � d�mocraties populaires �, l'�volution ult�rieure, apr�s � liquidation des classes exploiteuses � devant aboutir � des � r�publiques socialistes � (certains de ces �tats estim�rent y �tre parvenus), et finalement � une seule � r�publique communiste � mondiale. Les intitul�s officiels de ces �tats �taient cens�s refl�ter l'�tat d'avancement de leurs soci�t�s vers l'objectif communiste. Les appellations de courtoisie officielles refl�taient elles aussi la situation de chaque interlocuteur par rapport � cet objectif : quiconque �tait cens� le poursuivre �tait un � camarade � ; quiconque y consentait passivement �tait un � citoyen � ; quiconque ne le poursuivait pas �tait un � monsieur � ou une � madame � (interlocuteurs �trangers issus des pays non-communistes) et quiconque s'y opposait �tait un � ennemi de classe � ou � du peuple �.
+C'est sur la fa�on d'organiser ce passage progressif � une soci�t� communiste que les courants se s�parent en plusieurs approches :
+Selon Marx, la Commune de Paris, malgr� toutes les imperfections qu'elle comportait, a �t� l'exp�rience historique la plus proche du communisme, par la mise en place d'un d�but de d�mocratie v�ritable.
+Des anarchistes appelleront les associations de travailleurs � se f�d�rer de mani�re autonome. Errico Malatesta d�veloppe dans le gradualisme r�volutionnaire la n�cessit� de l'autonomie du mouvement ouvrier, afin d'�viter toute avant-garde �clair�e, ou de futurs gouvernements � ouvriers �. L'entraide (pour r�aliser les moyens � l'�mancipation sociale) et la lutte r�volutionnaire directe (pour se lib�rer de l'exploiteur et de ses soutiens) afin de mener � des conditions favorables � la r�alisation du communisme. Le communisme est consid�r� par les anarchistes, selon la situation, comme une �conomie r�alisable aussit�t la r�volution entreprise ; des auteurs comme Pierre Kropotkine exposeront des possibilit�s d'�conomies communistes, dont la prise au tas, organis�e de mani�re communale.
+On doit �galement citer des valeurs ou id�es invent�es ou reprises � son compte par le communisme :
+Le mot communisme d�signe une id�e mais aussi des mouvements politiques, divers et contradictoires, qui militent pour l'av�nement d'une soci�t� sans classe sociale, sans salariat, sans propri�t� priv�e de moyens de production, sans �tat et sans capitalisme. L'objectif proclam� est la libert� et l'�galit� de l'homme.
+On trouve parmi les mouvements politiques qui se revendiquent du communisme aussi bien des anarchistes que des marxistes ou des mouvements de lutte ouvri�re.
+Les r�gimes s'�tant d�clar�s � socialistes � ou � en route vers le communisme � : l'Union sovi�tique, les pays autod�sign�s comme "d�mocraties populaires" d'Europe centrale et orientale, la R�publique d�mocratique allemande (RDA), la Chine, Cuba, le Cambodge, le Vietnam, l'Afghanistan, l'Angola, la Cor�e du Nord se revendiquaient du � marxisme-l�ninisme �, courant qualifi� par les autres communistes de Stalinisme, y compris apr�s la � d�stalinisation � de 1956 (qui n'a concern� ni la Chine de Mao, ni la Cor�e du Nord, ni l'Albanie). Ces �tats se sont livr�s au b�illonnement de l'opposition, pouvant aller jusqu'� l'�limination physique, � un contr�le pratiquement absolu de la soci�t� et � la destruction de toute libert� d'expression. Toutefois, � plusieurs reprises, il y a eu dans ces r�gimes des dirigeants qui tent�rent de r�aliser un "socialisme � visage humain" dans le but de s'approcher de l'id�al communiste par la d�mocratie et en r�pondant aux aspirations des peuples : ce fut par exemple le cas de d'Imre Nagy en Hongrie, d'Alexandre Dubcek en Tch�coslovaquie ou de Mikha�l Gorbatchev en URSS. Tous �chou�rent, � pris entre l'enclume stalinienne et le marteau capitaliste � selon l'expression de Dubcek en 1989.
+Le mouvement politique anticapitaliste na�t dans les ann�es 1840. Port� par une classe ouvri�re d�mographiquement croissante et pauvre, il se d�veloppe plus tard au sein de l'AIT, dont il est l'un des principaux courants. Au lendemain de la d�faite de la Commune de Paris en 1871, c'est la scission entre marxistes et anarchistes autour de la question de la m�thode pour �liminer la propri�t� individuelle caract�ristique du capitalisme : les marxistes estiment n�cessaire une p�riode de transition avec collectivisation des propri�t�s, sous le contr�le d'�tat � socialiste � devant d�p�rir progressivement ; alors que les anarchistes pr�nent une abolition directe de la propri�t�, tout en organisant la f�d�ration �conomique des moyens de production et de consommation. Le mouvement communiste est donc compos� � l'origine de deux branches politiques principales : anarchistes communistes et marxistes.
+Sur les diff�rents mouvements historiques et/ou politiques ayant appliqu� le communisme ou s'�tant r�f�renc�s au communisme (en tant que th�orie �conomique et sociale), et proposant diff�rents moyens (R�publique, �tatisme, f�d�ralisme, pr�ceptes de la Bible, conseillisme, communalisme, syndicalisme, r�volutions, spontan�isme, etc.), plus ou moins compl�mentaires, pour r�aliser ce communisme :
+La famille est, selon certains communistes chr�tiens, un groupement ayant des aspects communistes (bien qu'une majorit� des communistes refusent la famille comme r�alit� communiste, du fait entre autres de l'h�ritage).
+Les critiques du communisme visent � la fois les fondements th�oriques du communisme et les politiques men�es dans les faits par les r�gimes communistes.
+Lors d'un s�jours � la Prison Sainte-P�lagie le 10 ao�t 1883, Jules Guesde en r�ponse � la vision caricaturale de l'�conomiste lib�ral Paul Leroy-Beaulieu envers le socialisme sort trois brochures, le Collectivisme au Coll�ge de France dans lequel il r��dite des articles de son journal L'�galit� datant de 1881 et 1882. Ces articles sont regroup�s sous le titre ironique de "Le�on � un professeur". Dans son avertissement, il explique pourquoi il ressort ces articles : c'est en effet � � seul fin d'�tablir que, contre nos conclusions collectivistes ou communistes, il est plus facile de trouver des juges et des g��liers que des argumentations �.
+Sur les fondements th�oriques, il est reproch� au communisme de pr�ner la � r�volution ouverte � ou le � renversement violent � de la soci�t� par la r�volution et de mettre en place une soci�t� fond�e sur la contrainte, bien que pour les hommes et femmes de la soci�t�, ils existent d�j� des contraintes.
+ +Ainsi, Yves Guyot qualifie-t-il le collectivisme de � tyrannique � en 1893 tandis que le communisme en rejetant la propri�t� priv�e s'oppose � la d�claration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : � Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la libert�, la propri�t�, la s�ret�, et la r�sistance � l'oppression. � Max Stirner, un des fondateurs de l'anarcho-individualisme, �crivait ainsi qu'� en abolissant la propri�t� personnelle, le communisme ne fait que me rejeter plus profond�ment sous la d�pendance d'autrui, autrui s'appelant d�sormais la g�n�ralit� ou la communaut� �.
+En 1876, dans une brochure du Parti ouvrier, Jules Guesde leur r�pond : � Pas de spoilation, mais au contraire, maintien de la propri�t� r�ellement personnelle existante, ou cr�ation pour les sans-propri�t� d'aujourd'hui, de la copropri�t� de demain. Nous sommes aujourd'hui le seul parti plus que d�fenseurs, cr�ateur de la propri�t� pour tous. �17.
+Les �conomistes lib�raux Ludwig von Mises et Friedrich Hayek ont �galement d�velopp� une critique du communisme en tant qu'�conomie planifi�e, estimant qu'une � �conomie communiste � ne pouvait pas exister, en particulier � cause du rejet du m�canisme des prix et de la loi de l'offre et de la demande. Mises �crivit ainsi dans Socialisme en 1922 : � Du fait de la destruction du syst�me des prix, le paradoxe de la � planification � tient � ce qu'il est impossible d'y faire un plan, faute de calcul �conomique. Ce que l'on d�nomme �conomie planifi�e n'est pas une �conomie du tout. C'est tout juste un syst�me de t�tonnements dans le noir. � L'�conomiste hongrois J�nos Kornai poursuivit la critique �conomique du communisme et de l'�conomie planifi�e, condamn�e � �tre une � �conomie de la p�nurie � selon lui, non � cause de d�fauts temporaires mais � cause des probl�mes fondamentaux de la th�orie.
+Le communisme est critiqu� pour les cons�quences humaines, �conomiques, politiques ou environnementales entrain�es par les r�gimes communistes. Un collectif d'historiens s'est livr� � un recensement des victimes des r�gimes marxistes-l�ninistes dans Le Livre noir du communisme et St�phane Courtois qui en dirigea les travaux �crit dans la pr�face que � [l]e total approche la barre des cent millions de morts. �18 (chiffre contest� par plusieurs historiens dont une partie des co-auteurs de l'ouvrage). Sont �galement critiqu�es les cons�quences �conomiques avec la moindre progression de la prosp�rit� des peuples sous un r�gime communiste, en particulier � partir de la comparaison entre RDA et RFA ou Cor�e du Nord et Cor�e du Sud. Par ailleurs, la remise en cause des libert�s fondamentales et le culte de la personnalit� des dirigeants ont �t� soulign�s.
+Enfin, les cons�quences environnementales comme l'ass�chement de la mer d'Aral � la suite des d�cisions prises par le gouvernement sovi�tique ont pu �tre soulign�es par certains auteurs.
+cf les oeuvres d'Alexandre Zinoviev.
+L'originalit� de Alexandre Zinoviev est � d'avoir observ� la r�alit� sovi�tique, d'avoir per�u comment le communiste id�aliste �tait vaincu par le communisme r�el et d'en avoir conclu que la soci�t� sovi�tique excluait tout possibilit� de cr�er le communisme id�al � (in Les confessions d'un homme en trop).
+Bien que les ph�nom�nes communalistes selon Alexandre Zinoviev soient visibles dans toutes les soci�t�s aussi bien communistes et qu'occidentalistes, c'est en Union Sovi�tiques et probablement dans tous les pays avec un syst�me social communiste (communiste r�el) que ces ph�nom�nes suivant les lois sociales et de la nature humaine jaillissent aux quotidiens dans la vie de millions de gens d'une fa�on extr�me et pouss�e � outrance.
+� Le stalinisme historique (ou simplement stalinisme) est la forme sous laquelle la soci�t� communiste s'est cr�� en Union Sovi�tique sous l'impulsion de Staline, de ces lieutenants et de tous ceux qui ex�cutaient leurs volont�s et agissaient conform�ment � leurs id�es et directives (ces derniers peuvent �tre qualifi�s de � staliniens historiques �. La soci�t� communiste n'est pas le produit de la volont� d'un homme. Elle surgi en ob�issant � des lois sociales objectives, qui se sont r�v�l�es � travers l'activit� de certains individus, de sorte qu'elles ont prise porte la marque de Staline et des staliniens �19+
Et, � Contrairement � une opinion r�pandue, la soci�t� communiste ne s'est pas form�e sur la base d'un projet marxiste, mais en fonction de lois r�gissant l'organisation des masses humaines en une communaut� unique. �20+
� De chacun selon ses moyens, � chacun selon ses besoins � est l'adage de groupes politiques ou encore certains syndicats comme la CGT qui l'ont inclut dans la Charte d'Amiens depuis 1912. Il provient de La critique du programme socialiste allemand de Gotha de 1875, �crite par Karl Marx.
+La formule exacte est � De chacun selon ses capacit�s, � chacun selon ses besoins ! �21 entre guillemets. D'apr�s cette critique, elle doit-�tre port�e ou pourrait-�tre port�e � dans une phase sup�rieure de la soci�t� communiste. � une fois le communisme achev�. Et, Selon L�nine, dans L'�tat et la R�volution de 1917, � L'�tat pourra s'�teindre compl�tement quand la soci�t� aura r�alis� le principe �.
+Cependant, L�nine pose le probl�me de � Par quelles �tapes, par quelles mesures pratiques l'humanit� s'acheminera-t-elle vers ce but supr�me, nous ne le savons ni ne pouvons le savoir. �25
+En, 1936, L�on Trotsky va s'en servir comme levier contre le constitution sovi�tique et plus particuli�rement contre le premier titre, � dit De la structure sociale en URSS, qui se termine par ces mots : "Le principe du socialisme : De chacun selon ses capacit�s, � chacun selon son travail, est appliqu� en URSS" �. 26. Staline aurait, donc, trouv� une solution � la r�alisation concr�te de l'adage par � De chacun selon ses capacit�s, � chacun selon son travail �. Pour Trotsky, ce syst�me mise en place est La R�volution trahie et � � tous ces �gards, l'�tat sovi�tique est bien plus pr�s du capitalisme arri�r� que du communisme. �26.
+En 1882, pour Jules Guesde, � de chacun selon ses forces, � chacun selon ses besoins � est un � vieux clich� - pr�tendu communiste �.
+Dans un article de son journal L'�galit�, il y �crit que cet adage a �t� d�tourn� � en vain � par � un de ces p�res � (de l'adage) qu'est Louis Blanc. Or, Louis Blanc est le cr�ateur des Ateliers nationaux, bien qu'il pr�nait pour la cr�ations des ateliers sociaux. Ces id�es associatives sous l'�gide de l'�glise ont �t� d�pass�es par les id�es de Karl Marx et de Proudhon. C'est de Louis Blanc selon l'article, que l'adage a �t� repris � leur compte par certains socialistes du Parti ouvrier fran�ais. Cependant, aujourd'hui, on pense que ces partisans l'aurait reprise de la Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier allemand datant de 1875, mais d'une fa�on chang�e.
+La formule collectiviste qu'il faut employer pour Jules Guesde est : � De chacun selon les n�cessit�s de la production, � chacun selon son temps de travail. �31. Certains du parti ouvrier de son �poque l'opposent donc � leur formule, selon Guesde, "associative" : � de chacun selon ses forces, � chacun selon ses besoins �.
+Pour Jules Guesde : � ce n'est donc pas les intentions qu'il incrimine. Il ne l 'en prends comme toujours -qu'� la conclusion, qui n'est pas seulement fausse, mais pleine de p�ril. �32. Et � Quant � la soci�t� communiste, qui ne deviendra une r�alit� vivante ... et qui sortira de l'ordre collectiviste avec des producteurs ou des hommes transform�s par les conditions nouvelles du travail, elle n'aura pas d'autre devise que celle inscrite par Rabelais � la porte de son abbaye de Th�l�me : fais ce que vouldras. �32
+D'apr�s ce que rapporte Alexandre Zinoviev dans Les Confessions d'un homme en trop, cet adage ou une parti de celle-ci, � � chacun selon ces besoins � est souvent discut� � son �cole de Moscou des ann�es 1930. En effet, puisque le communisme (dit le communisme r�el par Zinoviev) a �t� r�alis� pleinement dans la vision politique russe, l'�tape suivante est d'aller vers � De chacun selon ses capacit�s, � chacun selon ses besoins ! � ou plut�t vers sa forme sovi�tique.
+Dans les ann�es 1930, des questions d'Alexandre Zinoviev, � 12 ou 13 ans telle que � Fallait-il entendre par l� n'importe quel besoin ou bien seulement les besoins minimaux? Comment les besoins seraient-ils d�finis, qui les fixerait et qui contr�lerait leur satisfaction? �34 �taient en effet trop d�routantes et g�nantes aux adultes dans cette ambiance que le syst�me a construit.
+Ainsi, Zinoviev ayant v�cu dans l'atmosph�re en cette Russie de l'�poque, rapporte que certaines questions et probl�mes ne doivent pas �tre mis en �vidence puisque le communisme r�el en URSS est suppos� parfait et donc non sujette � la critique ou aux soul�vements. Et, m�mes si les �l�ves apprennent les histoires des r�voltes et r�volutions de l'histoire de l'humanit�, il faut �tre esclave pour avoir l'honneur de se soulever. Cependant, dans un monde martel� de perfection, on ne le doit pas, sinon sans �tre pris, dans ce cas, pour un contre-r�volutionnaire ou un ren�gat. De ce fait et entre autres, ce communisme r�el va � l'encontre du communisme id�al.. Ainsi, Zinoviev adulte, remarque que � dans le collectivisme sovi�tique r�el, le principe "� chacun selon son travail" �tait viol� plus souvent qu'il n'�tait observ� �
+A travers l'histoire de Jules Guesde en 1885 et dans les ann�es 1930 par le t�moignage de Alexandre Zinoviev, l'expression qui au d�part a �t� d�finie selon des valeurs du communisme par Karl Marx peut-�tre d�tourn�e dans sa forme, sa signification et son application.
+En effet, � Marx usait, pour d�finir la soci�t� communiste, de la formule c�l�bre : "De chacun selon ses forces, � chacun selon ses besoins." Les deux propositions sont indissolublement li�es. "De chacun selon ses forces", cela signifie, dans l'interpr�tation communiste et non capitaliste, que le travail a cess� d'�tre une corv�e, pour devenir un besoin de l'individu ; que la soci�t� n'a plus � recourir � la contrainte; que les malades et les anormaux peuvent seuls se d�rober au travail. Travaillant selon leurs forces, c'est-�-dire selon leurs moyens physiques et psychiques, sans se faire violence, les membres de la communaut�, b�n�ficiant d'une haute technique, rempliront suffisamment les magasins de la soci�t� pour que chacun puisse y puiser largement "selon ses besoins" sans contr�le humiliant. La formule du communisme, bipartite mais indivisible, suppose donc l'abondance, l'�galit�, l'�panouissement de la personnalit� et une discipline tr�s �lev�e. �26
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les fourmis (famille des formicid�s - Formicidae - ) sont des insectes sociaux + formant des colonies, appel�es fourmili�res, parfois extr�mement complexes, + contenant de quelques dizaines � plusieurs millions d'individus. Certaines + esp�ces forment des � colonies de colonies � ou supercolonies. Les fourmis sont + class�es dans l'ordre des hym�nopt�res, comme les gu�pes et les abeilles. Les + termites, parfois appel�s fourmis blanches, sont de l'ordre des dictyopt�res + (sous-ordre des isopt�res). Ils ne sont donc pas des fourmis, bien qu'ils leur + ressemblent.
+Les premi�res fourmis connues seraient apparues � la fin du Cr�tac� et seraient + une �volution des gu�pes du jurassique. Morphologiquement, elles se distinguent + des autres insectes principalement par des antennes avec un coude marqu� et par + un p�doncule en forme de perle form� des premiers segments abdominaux (qui sont + joints au thorax chez les gu�pes). Ce p�tiole intercal� donne � l'abdomen une + plus grande mobilit� par rapport au reste du corps (c'est la forme du p�tiole + qui permet de d�terminer l'esp�ce de la fourmi � coup s�r). � l'exception des + individus reproducteurs, la plupart des fourmis sont apt�res (sans ailes). Elles + se sont adapt�es � presque tous les milieux terrestres et souterrains (on en a + trouv� jusqu'au fond d'une grotte de 22 km de long en Asie du Sud-est), sans + toutefois avoir colonis� les milieux aquatiques et les zones polaires et + glaciaires permanentes.
+Les oeufs sont pondus par une ou parfois plusieurs reines (les esp�ces de fourmis + poss�dant une seule reine sont appel�es monogynes et celles poss�dant plusieurs + reines sont dites polygynes). Certaines esp�ces peuvent tol�rer, lorsque la + colonie est cons�quente, deux reines tellement �loign�es qu'elles ne se + rencontrent jamais (on parle alors d'esp�ce olygynes). La plupart des individus + grandissent pour devenir des femelles apt�res et st�riles appel�es ouvri�res. + P�riodiquement, des essaims de nouvelles reines et de m�les, g�n�ralement + pourvus d'ailes, quittent la colonie pour se reproduire. Les m�les meurent + ensuite rapidement, tandis que les reines survivantes, f�cond�es, fondent de + nouvelles colonies ou, parfois, retournent dans leur fourmili�re natale.
+Elle varie fortement selon l'esp�ce et l'environnement, �tant notamment li�e + � la disponibilit� en nourriture.
+La Formica yessensis, une esp�ce de fourmi des bois, a construit une colonie + de 45 000 nids sur 1250 ha � Hokkaido (Japon), abritant plus d'un million de + reines et 306 millions d'ouvri�res.
+Les fourmis se d�veloppent par m�tamorphose compl�te, en passant par trois + stades successifs : oeuf, larve, nymphe (parfois pupe ou cocon, + principalement chez les Formicinae) puis adulte (sans croissance � l'�tat + adulte). La larve, priv�e de pattes, est particuli�rement d�pendante des + adultes. Les larves et les pupes doivent �tre maintenues � temp�rature + constante pour assurer leur d�veloppement et sont souvent d�plac�es parmi + les diverses chambres de couv�e de la fourmili�re. Les diff�rences + morphologiques majeures entre les reines et les ouvri�res, et entre les + diff�rentes castes d'ouvri�res quand elles existent, sont induites par le + r�gime alimentaire au stade larvaire. Quant au sexe des individus, il est + g�n�tiquement d�termin� : si l'oeuf est f�cond�, l'individu est alors + diplo�de et l'oeuf donnera une femelle (ouvri�re ou reine); s'il ne l'est + pas, l'individu est haplo�de et forme un m�le
+Une nouvelle ouvri�re passe les premiers jours de sa vie adulte � s'occuper + de la reine et des jeunes. Ensuite, elle participe � la construction et au + maintien du nid, puis � son approvisionnement et � sa d�fense. Ces + changements sont assez brusques et d�finissent des castes temporelles[r�f. + n�cessaire]. C'est-�-dire que les ouvri�res se regroupent selon l'activit� + commune qu'elles auront � un stade de leur vie.
+Chez certaines fourmis, il existe �galement des castes physiques. Selon leur + taille, les ouvri�res sont mineures, moyennes ou majeures, ces derni�res + participant plut�t � l'approvisionnement. Souvent les fourmis les plus + grandes sont disproportionn�es : t�te plus grande et mandibules plus fortes. + Chez quelques esp�ces, les ouvri�res moyennes ont disparu, et il existe une + grande diff�rence physique entre les petites et les g�antes, appel�es + parfois soldats bien que leur r�le d�fensif ne soit pas n�cessairement + pr�pond�rant.
+Parmi les 11 800 esp�ces connues environ (on estime � plus de 20 000 le + nombre total d'esp�ces), la plus grande (30 mm de long) est Dinoponera + quadriceps chez laquelle la reproduction d'une ouvri�re aboutit, + invariablement, � la mort en pleine action de son soupirant : encore + accoupl�e, elle lui sectionne l'abdomen. Puis retourne au nid, toujours + munie des pi�ces g�nitales de sa br�ve rencontre, ce qui la rend non + r�ceptive aux avances des autres m�les.
+Toutes sortes de comportements sont observ�s chez les fourmis, le nomadisme + en est l'un des plus remarquable. Les fourmis l�gionnaires d'Am�rique du Sud + et d'Afrique notamment ne forment pas de nid permanent, mais alternent + plut�t entre des �tapes de vie nomade et des �tapes o� les ouvri�res forment + un nid provisoire (le bivouac) � partir de leurs propres corps. La plupart + des fourmis forment des colonies stationnaires, creusant d'habitude dans le + sol ou une cavit�. Les colonies se reproduisent par des vols nuptiaux comme + d�crit plus haut, ou par la fission (un groupe d'ouvri�res creuse simplement + un nouveau trou et �l�ve de nouvelles reines). Les membres de diff�rentes + colonies sont identifi�s par l'odeur et habituellement les intrus sont + attaqu�s, avec des exceptions notables. D'autres m�thodes de d�veloppement + de nouvelles colonies ont �t� observ�es :
+Concernant la reproduction, la Wasmannia auropunctata a la possibilit� assez + exceptionnelle d'avoir deux modes de multiplication : la reproduction ou la + multiplication asexu�e par clonage.
+Un pour cent des esp�ces de fourmis recens�es dans le monde sont des + fourmis sans reine. Elles vivent dans des colonies tr�s r�duites o� des + ouvri�res se reproduisent de temps � autre. On peut citer Streblognathus + peetersi, une fourmi vivant en Afrique.
+Citons :
+Le privil�ge de la reproduction est le fruit d'une organisation + hi�rarchique, o� la gamergate, individu dominant de la colonie, occupe + cette place centrale. Son privil�ge reproductif pourra �tre remis en + cause par des rivales au cours de joutes ph�romonales et d'agressions + ritualis�es.
+Chez les Pon�rin�s, les reines ne se distinguent g�n�ralement que + difficilement des ouvri�res ; le passage d'une caste � l'autre se + fait plut�t par des formes de transition. Elles diff�rent des autres + fourmis par la base de l'abdomen : le p�tiole se compose d'un + segment avec un noeud, et l'anneau abdominal qui suit est s�par� du + gastre par une encoche tr�s nette. Reines et ouvri�res poss�dent un + aiguillon. Les nymphes sont toujours envelopp�es par un cocon. Cette + sous-famille habite surtout les pays chauds. En France, elle est + repr�sent�e par 7 esp�ces.
+Esp�ces particuli�rement connues en France : Ponera coarctata (fait + partie des "Fourmis sans reine" cit�es plus haut).
+Les Myrmicin�s se distinguent facilement des autres fourmis par leur + p�tiole abdominal. Il se compose toujours de deux segments en forme + de noeuds qui correspondent aux 1er et 2nd segments abdominaux. + Reines et ouvri�res poss�dent un aiguillon, et certaines esp�ces + peuvent infliger des piq�res tr�s douloureuses. Les nymphes ne sont + pas envelopp�es d'un cocon comme chez la plupart des fourmis � + �caille (myrmicin�s, dolichod�rin�s, formicin�s). En France, on + trouve 106 esp�ces de Myrmicin�s.
+Esp�ces particuli�rement connues en France : Myrmica scabrinodis, + Myrmica Rubra, Tetramorium caespitum, Leptothorax Tuberum, + Diplorhoptrum fugax ( ou Solenopsis fugax), Crematogaster + scutellaris, Pheidole pallidula, Messor sp.
+Les repr�sentants de cette sous-famille peu nombreuse (9 esp�ces en + France) poss�dent un p�tiole � �caille, mais celle-ci est basse et + inclin�e vers l'avant, contrairement � celui des Formicin�s, que + nous verrons par la suite. Le gastre, ou abdomen, n'est compos� que + de 4 segments chez les reines et ouvri�res. Aiguillon atrophi�, + nymphes nues.
+Esp�ces particuli�rement connues en France : Tapinoma erraticum.
+Chez les Formicin�s, le p�tiole entre thorax et abdomen forme une + �caille plate et dress�e. Le gastre, derri�re le p�tiole, se compose + de 5 segments chez les ouvri�res et les reines, contraiment aux + dolichod�rin�s. L'aiguillon est atrophi� mais les glandes � venin + sont totalement d�velopp�es ; l'acide formique est rejet� l'abdomen + relev�, apr�s que les mandibules aient inflig�es une blessure. Chez + presque toutes les esp�ces, les nymphes sont envelopp�es d'un cocon. + Ce cocon ne fait d�faut que chez les Camponotus truncatus, une + esp�ce rare. 55 esp�ce des Formicin�es sont pr�sentes en France. +
+Tr�s important, il m�rite un paragraphe. Ce genre comprend de petites + esp�ces dont les ouvri�res ne poss�dent en g�n�ral que des ocelles � + peine d�velopp�es. Les articles des antennes, du 2nd au 6e, sont + toujours nettement plus courts que l'avant-dernier d'entre eux. La + plupart des esp�ces se nourrissent principalement de miellat (de + pucerons ou de conchenilles). Ces fourmis sont les traditionnelles + fourmis noires des jardins, qui appr�cient les fruits et les + liquides sucr�s.
+Esp�ces particuli�rement connues en France : Camponotus ligniperda, + Lasius sp., Formica rufa, Formica sanguinea, Polyergus rufescens. +
+Source : Cette partie de l'article, � partir de "Sous-familles", vient de + "Identification de Sous-familles", par Grey, forum akolab et forum + myrmecofourmis. Travail de documentation � partir de documents de Bert + H�lldobler, Luc Passera.
+Les fourmis poss�dent un comportement que l'on retrouve chez les poussins + consistant � rassembler un grand nombre d'individus afin de cr�er une colonie + fonctionnelle et rapide.
+La communication entre les fourmis se fait surtout au moyen de produits + chimiques volatiles appel�s ph�romones, �mises par diverses glandes, parfois + dans une substance lipophile qui recouvre naturellement tout le corps de la + fourmi. Comme d'autres insectes, les fourmis sentent avec leurs antennes. + Celles-ci sont assez mobiles, ayant - comme mentionn� plus haut - une + articulation coud�e apr�s un premier segment allong� (le scape), leur + permettant d'identifier aussi bien la direction que l'intensit� des odeurs. + Ce syst�me d'orientation olfactif est combin� avec des composantes visuelles + (points de rep�re, position du soleil), capacit� � mesurer la distance + parcourue.
+L'utilisation principale des ph�romones r�side dans la d�finition et le + rep�rage de � pistes � olfactives destin�es � guider les fourmis vers des + sources de nourriture (voir ci-dessous). Les ph�romones sont aussi m�lang�es + avec la nourriture �chang�e par trophallaxie, informant chacune sur la sant� + et la nutrition de ses cong�n�res. Les fourmis peuvent aussi d�tecter � quel + groupe de travail (par exemple le fourragement ou la maintenance de nid) + l'une ou l'autre appartient. De m�me, une fourmi �cras�e ou attaqu�e + produira une ph�romone d'alerte dont la concentration �lev�e provoque une + fr�n�sie agressive chez les fourmis � proximit� ou dont une concentration + plus faible suffit � les attirer. Dans certains cas, les ph�romones peuvent + �tre utilis�es pour tromper les ennemis, ou m�me pour influencer le + d�veloppement des individus. Ainsi, la reine produit une ph�romone sp�ciale + en l'absence de laquelle les ouvri�res commenceront � �lever de nouvelles + reines.
+Certaines fourmis �mettent des sons, on parle alors de stridulations + (friction de la r�pe, form�e d'un alignement de c�tes, de stries, de dents, + d'�pines, et du grattoir, qui consiste en une saillie ou un bord vif, qui + produit la stridulation, un peu comme le ferait un clou grattant sur une + lime ou l'ongle passant sur les dents d'un peigne). Ces sons permettent + alors d'attirer d'autres ouvri�res pour, par exemple, porter une proie trop + lourde pour un individu isol�. Cette m�thode est toutefois moins efficace + que la piste de ph�romones, comme l'a montr� G.D dans sa fameuse exp�rience + du m�me nom.
+D'autres utilisent aussi la communication visuelle, de moins en moins + r�pandue. Chez les Tetraponeras par exemple, lorsque les larves ont un + besoin en nourriture, elles remuent simplement la t�te pour que, rapidement, + une ouvri�re intervienne pour lui ingurgiter de la nourriture liquide de + bouche � bouche. Chez les Tisserandes, lorsqu'une ouvri�re se lance dans la + construction d'un nouveau nid, elle commence par agripper une feuille pour + la courber. Elle sera imm�diatement rejointe par son entourage qui aura + aper�u la sc�ne et qui l'aidera dans sa t�che. C'est ainsi qu'elles pourront + rejoindre les bords de deux feuilles pour les tisser entre elles.
+La majorit� des fourmis pratiquent la trophallaxie, le processus alimentaire + au cours duquel une fourmi r�gurgite une partie de la nourriture qu'elle a + ing�r�e dans son jabot social pour la restituer � une autre fourmi. Le genre + Messor a la particularit� de n'avoir pas de jabot social et de ne pas faire + de trophallaxies.
+Les fourmis attaquent et se d�fendent en mordant et, pour certaines esp�ces, + en projetant de l'acide formique (formicinae) qui fait fondre la chitine des + insectes, ou d'autres substances pouvant engluer un adversaire, ou encore en + piquant � l'aide d'un aiguillon (qui chez quelques esp�ces reste piqu� avec + la glande � venin dans la peau de la victime).
+Chez la plupart des esp�ces, la colonie a une organisation sociale complexe + et est capable d'accomplir des t�ches difficiles (exploiter au mieux une + source de nourriture, par exemple). Cette organisation appara�t gr�ce aux + nombreuses interactions entre fourmis, et n'est pas dirig�e - contrairement + � une id�e r�pandue - par la reine. On parle alors d'intelligence + collective, pour d�crire la mani�re dont ce comportement collectif complexe + appara�t, gr�ce � des r�gles individuelles relativement simples.
+Dans les colonies de fourmis, le � comportement global � n'est donc pas + programm� chez les individus, on dit qu'il �merge de l'encha�nement d'un + grand nombre d'interactions locales entre les individus et leur + environnement.
+Un exemple classique de comportement collectif auto-organis� est + l'exploitation des pistes de ph�romones. Une fourmi seule n'a pas + l'intelligence n�cessaire pour choisir le plus court chemin dans un + environnement complexe. De fait, c'est la colonie dans son ensemble (du + moins, les individus impliqu�s dans le fourragement) qui va choisir ce + chemin.
+En 1980, Jean-Louis Deneubourg a pu v�rifier exp�rimentalement qu'une colonie + de fourmis (de l'esp�ce Lasius niger) disposant de deux chemins de longueurs + diff�rentes pour rallier une source de nourriture, choisissait plus souvent + le chemin le plus court. Il d�crit ainsi ce ph�nom�ne :
+� (...) un � �claireur �, qui d�couvre par hasard une source de + nourriture, rentre au nid en tra�ant une piste chimique. Cette piste + stimule les ouvri�res � sortir du nid et les guide jusqu'� la source de + nourriture. Apr�s s'y �tre aliment�es, les fourmis ainsi recrut�es + rentrent au nid en renfor�ant � leur tour la piste chimique. Cette + communication attire vers la source de nourriture une population de plus + en plus nombreuse. Un individu qui d�couvre une source de nourriture y � + attire � en quelques minutes n cong�n�res (par exemple 5) ; chacun de + ceux-ci y attirent � leur tour n cong�n�res (25), et ainsi de suite. + �+
Si l'on consid�re plusieurs chemins pour se rendre sur le lieu + d'approvisionnement, on comprend que les individus empruntant le plus court + reviendront plus vite � la fourmili�re que ceux qui auront pris le plus + long. C'est ainsi que ce chemin comportera une trace olfactive de plus en + plus forte par rapport aux autres et sera donc pr�f�r� par les fourmis.
+On conna�t depuis d'autres exemples de ce type, comme la construction du nid, + la r�partition du couvain dans celui-ci, l'entassement des cadavres de la + colonie, l'organisation en � supercolonies �, etc.
+Une estimation du nombre de fourmis vivant aujourd'hui sur terre � un instant + donn� est environ 10 millions de milliards d'individus. Les fourmis + constitueraient 1 � 2 % du nombre d'esp�ces d'insectes, mais pr�s de 20% de + leur biomasse. Chaque individu ne p�se que de 1 � 10 milligrammes, mais + leur masse cumul�e est environ quatre fois sup�rieure � celle de l'ensemble + des vert�br�s terrestres.. Environ 12 000 esp�ces de fourmis sont + r�pertori�es en 2005, mais on en d�couvre r�guli�rement, essentiellement en + zone tropicale et dans la canop�e (qui n'est explor�e que depuis quelques + dizaines d'ann�es). Seules 400 esp�ces sont connues en Europe, alors qu'on + peut compter jusqu'� 40 esp�ces diff�rentes sur un seul m�tre carr� de for�t + tropicale en Malaisie (668 esp�ces compt�es sur 4 hectares � Born�o, et 43 + esp�ces sur un seul arbre de la for�t p�ruvienne amazonienne, soit presque + autant que pour toute la Finlande ou les �les Britanniques). Environ huit + millions d'individus ont �t� compt�s sur un hectare d'Amazonie + br�silienne[r�f. n�cessaire], soit trois � quatre fois la masse cumul�e des + mammif�res, oiseaux, reptiles, et amphibiens vivant sur cette surface. Elles + jouent un r�le majeur dans le recyclage des esp�ces et dans la formation et + la structuration des sols. Plusieurs esp�ces vivent en symbiose avec des + bact�ries, des champignons, des animaux (papillons ou pucerons par exemple) + ou avec des arbres ou des fleurs.
+Les fourmis produisent naturellement, notamment pour prot�ger leurs oeufs et + leurs cultures des champignons, des insecticides, des fongicides, des + bact�ricides, des virucides et une batterie de mol�cules complexes dont les + fonctions ne sont pas toutes connues. Elles font partie des premi�res + esp�ces pionni�res et montrent des capacit�s �tonnantes de terrassement, de + colonisation et de r�silience �cologique, et m�me de r�sistance � la + radioactivit�.
+Les ouvri�res de l'esp�ce Atta d'un seul nid peuvent mobiliser et + r�partir sur 100 m�tres carr�s jusqu'� 40 tonnes de terre. Certaines + esp�ces jouent un r�le au moins aussi important que celui des lombrics + pour les couches superficielles du sol ; ce sont de 400 � 800 kg de sol + qui sont creus�s, mobilis�s, transport�s, ma�onn�s pour construire un + nid climatis� dans le d�sert, et 2,1 tonnes en Argentine par Camponotus + punctulatus. De nombreuses esp�ces d�colmatent et acidifient le sol + rendant mobilisables des nutriments autrement moins biodisponibles. + Elles enfouissent de la mati�re organique et remontent en surface un sol + fragment� en petites particules propices � la croissance des graines. + Les fourmis contribuent � la fois � homog�n�iser et a�rer le sol, � + l'enrichir en surface et en profondeur, tout en diversifiant les + habitats en fonction de la proximit� de la fourmili�re.
+Les fourmis jouent un r�le p�dologique majeur, elles prot�gent certains + arbres de parasites. La fourmi rousse des bois Formica polyctena est + ainsi prot�g�e par la loi dans plusieurs pays, � juste titre puisqu'elle + consommerait 14 500 t d'insectes par an, rien que dans les for�ts + alpines d'Italie, conservant des � �lots verts � autour de leurs nids + lors des �pisodes de d�foliation).
+D'autres esp�ces cultivent des parasites des plantes (pucerons ou + cochenilles dont elles exploitent le miellat) Elles prot�gent aussi + certaines esp�ces qui leur fournissent abri ou nourriture. Elles + contribuent � disperser et � faire germer de nombreuses graines, pr�s de + 100 % des graines d'une euphorbe m�diterran�enne sont transport�es par 3 + ou 4 esp�ces de fourmis qui consomment l'�lai�some charnu et gras de la + graine en rejetant le reste, sans affecter sa capacit� germinative[r�f. + n�cessaire]. Dans un m�me environnement, une prairie avec fourmili�res + est plus productive que celle qui en est d�pourvue. De nombreuses + �piphytes d�pendent des fourmis ou sont favoris�es par leur pr�sence. + Pour les attirer, ces �piphytes leur offrent du nectar et/ou un abri en + �change d'une protection contre divers pr�dateurs et parfois d'une aide + � la dispersion des graines (certaines fourmis (Crematogaster ou + Camponotus) v�g�talisent leurs nids et fabriquent des jardins suspendus + en incorporant des graines d'�piphytes dans les parois de leurs nids + faits de fibres ou pulpe de bois m�ch�es) Elles d�fendent activement + leurs jardins et en tirent un nectar extrafloral, un abri suppl�mentaire + et peut-�tre une protection microclimatique.
+Certaines esp�ces causent cependant des d�g�ts � certaines plantes + cultiv�es par l'�levage des pucerons et cochenilles. Des esp�ces + introduites et tr�s invasives ne sont pas combattues par les fourmis + locales du pays d'arriv�e (elles ne les reconnaissent pas comme + dangereuses). C'est une cause de r�gression de la biodiversit�, par + r�gression ou disparition d'esp�ces de fourmis concurrentes ou d'esp�ces + d'autres r�gnes.
+Certaines esp�ces de fourmis tisserandes sont depuis longtemps + introduites dans les cultures fruiti�res pour d�fendre les fruits + d'attaques d'insectes, des fourmis du genre Ectatomma � petits effectifs + mais � nids nombreux (11 000 nids/ha comptabilis�s dans les plantations + de caf� ou cacao au Chiapas au Mexique patrouillent en permanence et + mangeraient annuellement 16 millions de proies pour Ectatomma + tuberculatum et 15 fois plus (260 millions) pour Ectatomma ruidum.les + Solenopsis invicta d�fendent la canne � sucre de certains parasites + majeurs, comme la Wasmannia auropunctata prot�ge les cocotiers des + punaises, mais ces esp�ces sont souvent invasives et provoquent des + piq�res tr�s douloureuses.
+Les fourmis jouent un r�le majeur de n�crophage, m�me en pleine ville et + en zone temp�r�e pour des oiseaux, rats, souris et autres petits animaux + morts par exemple. En nettoyant rapidement les cadavres dont elles ne + laissent souvent que les os, cuticules dures ou ar�tes elles emp�chent + la lib�ration dans l'environnement de nombreux propagules de microbes + pathog�nes.
+On estime que 90 % au moins des cadavres d'insectes, dans la nature + finissent dans des fourmili�res, avant d'�tre recycl�s dans le sol.
+Les fourmis se nettoient sans cesse et s'enduisent, elles, leurs reines + ainsi que leurs oeufs de mol�cules bact�ricides, virucides et + antifongiques. Les fourmis charg�es d'�liminer les cadavres du nid, les + excr�ments et autres d�chets sont souvent des ouvri�res en fin de vie ou + des individus qui restent dans les endroits consacr�s aux d�chets et + n'ont plus de contacts directs avec les autres fourmis. Certaines + esp�ces s'enduisent de bact�ries filamenteuses "amies" qui repoussent + d'autres bact�ries, pathog�nes. Cependant, leurs �levages de pucerons + peuvent induire l'infestation des plantes par des champignons, via le + miellat ou les piq�res faites dans les feuilles.
+L'industrie, pharmaceutique notamment, s'int�resse aux nombreuses + substances synth�tis�es par les fourmis. Des fourmili�res reconstitu�es + et circulant dans des salles et couloirs de plastique sont utilis�s + comme moyen p�dagogique. La fourmi en tant qu'individu ou soci�t� + int�resse �galement les cybern�ticiens ou les scientifiques qui + travaillent sur l'auto-organisation.
+Certaines pollutions, dont celles par les pesticides affectent de nombreuses + esp�ces, mais c'est surtout l'introduction d'autres esp�ces de fourmis, + invasives, et la destruction de leurs habitats (for�ts, prairies, savanes et + brousses temp�r�es, savanes, bocage) qui sont les premi�res menaces. Leurs + pr�dateurs naturels sont nombreux, des mouches parasites, aux mammif�res tels + que le pangolin ou le tamanoir qui sont des consommateurs sp�cialis�s, de + nombreux animaux les consomment �pisodiquement, le faisan ou l'ours brun en + Europe, ou encore les chimpanz�s, qui savent utiliser des brindilles pour aller + les chercher dans leur nid, sans jamais mettre en p�ril les esp�ces, + semble-t-il.
+Les fourmis arboricoles se d�pla�ant le long des branches ou sur les feuilles + dans la canop�e de la for�t courent le risque d'�tre balay�es par le vent, la + pluie, ou m�me par un singe qui passe. On a observ� en 2005 que les fourmis + arboricoles survivent en se comportant en "parachutistes". Lorsqu'elles tombent, + elles se mettent en position pattes �cart�es, comme les parachutistes qui + contr�lent leur chute en inclinant leurs membres et leur corps. Ces fourmis + glissent avec les pattes ant�rieures et l'abdomen orient�s vers le tronc + d'arbre, effectuant souvent des virages � 180� en direction de la cible dans les + airs.
+Les Formicidae sont n�s il y a 120 millions d'ann�es depuis des insectes + apparent�s aux gu�pes. D�s lors, de nombreuses esp�ces sont apparues en se + sp�cialisant aussi bien pour la vie souterraine que arboricole, voire les deux. + La sous-famille Martialinae, dont la seule esp�ce membre en 2008 est Martialis + heureka, pourrait �tre � l'origine de toutes les autres sous-familles.
+Les rapports entre humains et fourmis sont tr�s variables. D'une part, les + fourmis ont souvent �t� utilis�es dans des fables et des histoires enfantines + pour repr�senter l'acharnement au travail et l'effort coop�ratif. Elles peuvent + aussi �tre per�ues comme utiles pour nettoyer des insectes parasites et a�rer le + sol. D'autre part, elles peuvent devenir sources de nuisances mineures ou + parasites elles-m�mes quand elles envahissent les maisons, les cours, les + jardins et les champs. La fourmi Tetraponera colonise un arbre creux le Barteria + surnomm� au Gabon l'arbre de l'adult�re. On y attachait les femmes adult�res + dans le temps. La morsure d'une fourmi �tant aussi douloureuse que celle d'une + gu�pe mais moins durable.
+Avec la mondialisation des �changes commerciaux et des transports, plusieurs + esp�ces sont devenues invasives. Une certaine esp�ce, appel�e fourmi tueuse, a + tendance � attaquer des animaux beaucoup plus grands qu'elle dans sa qu�te de + nourriture ou dans la d�fense de ses nids. Les attaques sur l'homme sont rares, + mais les piq�res et les morsures peuvent �tre tr�s douloureuses et + incapacitantes si elles sont r�p�t�es, avec un choc anaphylactique possible pour + quelques esp�ces dangereuses. Les fourmis peuvent aussi �tre source de probl�me + lorsqu'elles sont introduites dans des zones g�ographiques o� elles ne sont pas + indig�nes (comme Linepithema humile, la fourmi d'Argentine, formant la + supercolonie qui va des c�tes italiennes aux c�tes espagnoles en passant par la + France, soit plus de 6 000 km12, et exterminant les esp�ces indig�nes). Les + fourmis de feu peuvent par exemple attaquer et tuer de jeunes alligators du + Mississippi au sortir de l'oeuf.
+La fourmi d'Argentine ou Linepithema humile, d�crite pour la premi�re fois en + 1868, a profit� des �changes commerciaux pour s'expatrier et coloniser le Sud + des �tats-Unis d�s 1891, l'Europe en 1904, l'Afrique du Sud en 1908 et + l'Australie en 1939. Il est probable qu'elle atteignit les c�tes + m�diterran�ennes en 1920 par le biais de plantes � fleur.
+En 2002, des entomologistes europ�ens ont constat� que la fourmi d'Argentine + avait envahi l'Europe du Sud sur 6 000 km du nord de l'Italie jusqu'� la Galice + et le Portugal, en passant par le sud de la France. Cette colonie est la plus + grande jamais observ�e dans le monde. La deuxi�me se situe en Catalogne.
+Le changement d'environnement de ces fourmis serait � l'origine de leur tr�s + grande coh�sion. En effet, lorqu'elles sont en Argentine, les colonies de + Linepithema Humile ne comptent qu'un seul nid. C'est l'absence de pr�dateur en + Europe qui a permis � ces fourmis d'augmenter la densit� des nids et donc les + �changes entre les ouvri�res de ceux-ci, entra�nant un appauvrissement de la + diversit� g�n�tique des g�nes de reconnaissance des individus au sein de leur + nid. Les fourmis d'Argentine apprirent la diplomatie, et les diff�rents nids ne + s'entretu�rent plus. Au fil du temps, la densit� des nids permit la cr�ation + d'une supercolonie, et deux individus d'un bout � l'autre de cette m�galopole de + fourmis peuvent se reconna�tre au premier coup de ph�romones, comme �tant de la + m�me fratrie.
+Les fourmis d'Argentine ne sont pas dangereuses pour l'homme mais elles nuisent � + l'�cosyst�me originel de l'Europe du Sud: elles d�truisent les bourgeons des + arbres et prennent la place des fourmis europ�ennes. La seule fa�on d'emp�cher + l'expansion de cette supercolonie serait de d�truire l'esprit de + l'unicolonialit� qui unit les nids de fourmis. Cet esprit d'�quipe est condamn� + � dispara�tre une fois l'objectif de la super colonie atteint: coloniser un + maximum de territoire. La deuxi�me supercolonie en Catalogne serait plus + belliqueuse que la premi�re et pourrait bien chercher � l'�liminer.
+En 2004, des scientifiques am�ricains ont remis en cause l'id�e d'appauvrissement + g�n�tique. L'�tude de Deborah Gordon sur une supercolonie pr�sente en + Californie, publi�e dans la revue Ecology, a r�v�l� que la coop�ration des + fourmis aurait donc pour origine un r�gime alimentaire commun.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+La Grande D�pression, dite aussi crise de 1929, est la p�riode de l'histoire am�ricaine qui suivit le Jeudi noir du 24 octobre 1929, jour o� survint le krach boursier (les march�s boursiers new-yorkais s'effondr�rent de mani�re durable le lundi 28 octobre 1929, le lundi noir). Les �v�nements de cette journ�e d�clench�rent une d�pression �conomique mondiale qui mena � une importante d�flation et � un accroissement significatif du ch�mage.
+Apr�s le Jeudi noir le 24 octobre, aux �tats-Unis, l'un des probl�mes principaux �tait qu'avec la d�flation, une m�me somme d'argent permettait d'acqu�rir de plus en plus de biens au fur et � mesure de la chute des prix. Dans ces conditions, les agents �conomiques ont individuellement int�r�t � :
+L'�conomie entre dans un destructif cercle vicieux, qui durera plusieurs ann�es. La chute se traduit aussi dans les cours de bourse : l'indice Dow Jones est pratiquement divis� par 10 entre son plus haut de 1929 et son plus bas en 1932. Dans l'�clatement de la bulle sp�culative, trop de plans d'investissements se sont av�r�s insolvables, voire frauduleux.
+La crise boursi�re d�g�n�re tr�s vite en crise bancaire. Prises en tenaille entre l'effondrement de la valeur de leurs actifs (parfois trop engag�s dans des affaires douteuses, mais m�me des entreprises honorables et solides sont massacr�es), les d�fauts de remboursement de leurs emprunteurs, et la r�duction de leur activit� de cr�dit, des banques font faillite au premier faux pas et finalement en 1932, le syst�me bancaire s'effondre. Avec la d�confiture du syst�me bancaire, et la population s'accrochant au peu de monnaie qu'elle poss�dait encore, il ne resta pas assez de liquidit�s sur le march� pour qu'une quelconque activit� �conomique puisse inverser la tendance.
+En 1933, la production industrielle am�ricaine avait baiss� de moiti� depuis 1929. Entre 1930 et 1932, 773 �tablissements bancaires firent faillite
+Aux �tats-Unis, le taux de ch�mage augmente fortement au d�but des ann�es 1930 : il atteint 9 % en 1930. Le pays compte quelque 13 millions de ch�meurs en 1932. En 1933, lorsque Roosevelt devient pr�sident, 24,9 % de la population active est au ch�mage et deux millions d'Am�ricains sont sans-abri.
+Les manifestations de la faim se multiplient. En mars 1930, 35 000 personnes d�filent dans les rues de New York. En juin 1932, les Anciens Combattants r�clament le paiement des pensions � Washington DC : ils sont violemment d�log�s par les soldats. Une grande gr�ve dans le secteur du textile �clate en 1934. Dans les campagnes, la situation �conomique se d�grade, notamment � cause de la s�cheresse et du Dust Bowl (1933 - 1935). En 1933, la diminution de 60 % des prix agricoles affecte durement les agriculteurs (effet ciseaux). La ruine des fermiers des Grandes Plaines poussent des milliers de personnes � s'installer dans les �tats de l'Ouest. Face � la mis�re qui grandit, l'influence communiste progresse dans les milieux populaires.
+La diffusion de la crise se fera par deux canaux.
+Comme les banques am�ricaines ont alors des int�r�ts dans de nombreuses banques et bourses europ�ennes et qu'elles rapatrient d'urgence leurs avoirs aux �tats-Unis, la crise financi�re se propage progressivement dans toute l'Europe.
+Parall�lement, les �changes �conomiques internationaux subissent de plein fouet d'abord le ralentissement qui commence aux USA, ensuite l'effet n�gatif des r�actions protectionnistes, d'abord des USA, puis de tous les autres pays quand ils sont touch�s � leur tour ; la France et le Royaume-Uni tentent de se replier sur leurs colonies, mettant au point la � pr�f�rence imp�riale �, interdite lors de la Conf�rence de Berlin (1885) mais largement pratiqu�e apr�s 1914.
+Les relations �conomiques �tant � l'�poque bien moindre qu'aujourd'hui, ces r�percussions mettront du temps � se diffuser : par exemple la France sera touch�e � partir du second semestre de 1930, soit six mois plus tard. L'Italie est touch�e � partir de 1931.
+Les r�actions gouvernementales en Europe ne seront pas plus ad�quates que celles aux USA. En France la crise sera aggrav�e par les mesures d�flationnistes (baisse des prix et des salaires) des gouvernements Tardieu et Laval, bien que ceux-ci tenteront, de fa�on limit�e, quelques grands travaux (dont l'�lectrification des campagnes). En Allemagne, le taux de ch�mage atteint des sommets (plus de 25 % de la population active en 1932), alimentant la d�sillusion et la col�re de la population, et c'est en promettant de r�gler le probl�me de la crise qu'Adolf Hitler parvint au pouvoir le 30 janvier 1933.
+En Am�rique du Sud, en Asie et en Afrique, se produit la � crise des produits de dessert � li�e � la forte baisse du pouvoir d'achat en Europe et en Am�rique du Nord. Au Br�sil, pour limiter la m�vente et faire grimper les cours, le caf� est br�l� dans les locomotives.
+Le monde entier est touch� except� l'Union sovi�tique de Staline, prot�g�e par son syst�me �conomique autarcique.
+La r�flexion �conomique a posteriori a port� d'une part sur les causes imm�diates de la crise et d'autres part sur les raisons de la transformation de la r�cession en d�pression.
+Les innombrables �crits sur la crise de 1929 n'ont pas permis de dessiner une explication g�n�ralement admise de sa survenue. Les ouvrages qui lui sont consacr�s sont le plus souvent normatifs ou descriptifs et tr�s peu explicatifs. Chaque �cole a tir� un tant soit peu la couverture en faveur de ses th�ses g�n�rales. Charles Kindleberger distingue les explications qui reposent sur une cause ou une origine unique (unicausales) de celles, telles la sienne, reposant sur la conjonction de plusieurs facteurs
+Pour Charles Kindleberger, la crise a deux grandes origines : � une importante instabilit� latente du syst�me, et l'absence d'un stabilisateur �. Le syst�me �conomique mondial �tait devenu instable en partie parce que l'Angleterre avait perdu sa pr��minence et que les �tats-Unis refusaient d'assumer leur r�le. Selon lui, le pays qui a la pr��minence doit assurer la stabilit� �conomique en assumant cinq fonctions
+C'est sans doute la plus compl�te en ce sens qu'elle couvre largement la p�riode ant�rieure � la crise et explique la plupart des sympt�mes constat�s.
+L'�conomiste J. Rueff voit l'origine des difficult�s dans l'�tablissement d'un syst�me de Gold Exchange Standard par la conf�rence de G�nes au d�but des ann�es 1920. Dans le syst�me de l'�talon-or tout d�ficit de la balance des paiements provoque une sortie d'or et une restriction proportionnelle du cr�dit. Cet effet sera stabilisateur et permettra un retour vers l'�quilibre. Dans un syst�me d'�talon de change or o� une monnaie privil�gi�e peut �tre conserv�e comme r�serve mon�taire, le pays privil�gi�, lorsque sa balance est d�ficitaire, voit sa monnaie revenir chez lui et servir de base par l'interm�diaire du multiplicateur de cr�dit � de nouveaux cr�dits qui aggravent les d�ficits. Le Gold Exchange standard a donc tendance � accroitre sans limite l'endettement du pays privil�gi�. Dans le cas des �tats-Unis avant 1929 l'endettement global s'est mis � grimper de plus en plus vite jusqu'� d�passer 370% du PIB. L'efficacit� marginale du capital a baiss�. La sp�culation a remplac� l'investissement industriel. La bourse a connu une expansion aussi spectaculaire qu'intenable. Au final c'est toute la pyramide de dettes qui s'est �croul�e, d'autant plus vite et fort qu'elle �tait plus haute. Comme cette pyramide avait ses racines dans les d�s�quilibres financiers mondiaux, c'est le monde entier qui a �t� atteint et les circuits �conomiques internationaux ont �t� �lectrocut�s provoquant les sauve-qui-peut que l'on sait.
+Cette explication donn�e dans son livre sur les p�ch�s mon�taires de l'Occident, se retrouvera dans l'explication des difficult�s d'un autre syst�me de Gold Exchange standard, celui de Bretton Woods et de la crise de 1974 et la p�riode de stagflation ult�rieure. Certains �conomistes actuels voient le m�me m�canisme de double pyramide de dettes � la source de la crise �conomique de 2008 - 2009.
+L'�cole autrichienne d'�conomie soutient �galement que c'est la cr�ation mon�taire effr�n�e dans les ann�es 1920 par le tout jeune syst�me de r�serve f�d�rale qui a conduit � une bulle inflationniste vou�e fatalement � l'�clatement. � L'effondrement fut l'aboutissement fatal des pressions exerc�es pour abaisser le taux d'int�r�t au moyen de l'expansion du cr�dit. � (Ludwig von Mises). Son explication est institutionnelle comme celle de J. Rueff mais plus orient� vers l'existence d'une banque centrale, que l'�cole autrichienne conteste violemment.
+Les mon�taristes, repr�sent�s par Milton Friedman, d�noncent la politique mon�taire restrictive mise en place par la FED � partir de 1928, qui entra�ne une p�nurie de cr�dits. Cette erreur serait � l'origine de la crise. La FED aurait au contraire d� fournir des liquidit�s au syst�me bancaire : le rench�rissement du cr�dit a forc� les sp�culateurs boursiers � retirer leur �pargne, ce qui a entrain� la faillite de pr�s de 5000 banques aux �tats-Unis.. Ce serait donc un exc�s de r�gulation mon�taire qui serait � l'origine de la crise.
+ +Les �tats-Unis apr�s une phase de tr�s forte croissance depuis les difficult�s d'avant guerre ont accumul� la richesse du monde (l'Europe �tant ruin�e) et cette richesse n'a pas �t� assez diffus�e dans la soci�t� malgr� des th�ories comme le fordisme. La concentration de la richesse a r�duit les possibilit�s de consommation que l'appareil de production permettait. John Maynard Keynes a donn� une certaine caution � cette explication en expliquant que les riches d�pensaient proportionnellement moins que les pauvres. Une concentration de la richesse provoquerait ainsi un �quilibre de sous emploi. Cette vision n'explique ni la m�canique d'emballement de 1928 - 1929 ni les modalit�s d�taill�es de la crise elle m�me et en particulier ses dimensions internationales : la concentration de la richesse en Europe dans les ann�es 1920 apr�s les destructions de 1914 est rien moins qu'�tablie.
+C'est �videmment la th�se des marxistes qui reprennent les th�ses de Marx de la sur-accumulation du capital et de la baisse du taux de profit qui sont � l'origine des multiples crises survenant dans le syst�me capitaliste : la sur-accumulation du capital entra�ne une surproduction de biens de production par rapport aux biens de consommation. La crise de 1929 est vue comme "finale". Nikolai Kondratiev qui ne la voyait que cyclique et circonstancielle sera fusill� par Staline !
+Une explication proche est celle des � th�oriciens de la r�gulation � qui pens�rent que les �conomies d�velopp�es ont �t� d�stabilis�es par les progr�s de l'organisation scientifique du travail. Le taylorisme a en effet permis une augmentation tr�s importante de la production : Robert Boyer a ainsi calcul� que la production par t�te a augment� en France de 6% par an entre 1920 et 1960. En revanche, les salaires r�els ont progress� de seulement 2% par an en France sur la m�me p�riode, ce qui explique l'apparition d'une situation de surproduction et le d�clenchement de la crise. Ces th�ses malthusiennes sont rest�es marginales.
+C'est la fr�n�sie boursi�re et l'irresponsabilit� des banquiers qui ont pr�t� sans retenue aux sp�culateurs qui est � l'origine de la crise. Mal r�gul�e, l'activit� des banques a conduit non plus � financer l'�conomie r�elle mais la sp�culation malsaine. La hausse boursi�re �tait intrins�quement intenable. Lors que la bourse a d�viss� les pr�ts bancaires n'ont pu �tre rembours�s, la panique s'est install�e et la ru�e vers les banques a provoqu� le blocage du syst�me mon�taire et financier. 8000 banques feront faillites de 1929 � 1934. L'�conomie s'est brutalement arr�t�e. Cette th�orie passe tr�s vite sur les aspects internationaux, bien que la crise de 1929 ait �t� mondiale. Et pourquoi diable une crise de sp�culation s'est d�velopp�e � cette date et seulement aux �tats-Unis ? J.K Galbraith qui a �t� le principal porteur de ces id�es a dans son livre, la crise de 1929, plut�t une attitude descriptive et ironique que v�ritablement explicative.
+Dans cette vision la crise n'est qu'un �pisode de plus du cycle �conomique d'une dizaine d'ann�es. Il n'aurait pris son allure de d�pression qu'� la suite de mauvaises r�actions de la part de l'�tat F�d�ral am�ricain (attentisme : "la reprise est au coin de la rue") ou de la nouvelle banque centrale, la FED, qui aurait restreint le cr�dit l� o� il fallait ouvrir les vannes. D'autres dans la m�me approche cyclique supposeront comme Kondratieff que la crise a �t� particuli�rement longue et violente par l'effet de mouvements de longues p�riodes sur l'innovation. L'innovation se serait tarie alors que l'�lectrification et les chemins de fer avaient �t� les moteurs de la croissance pr�c�dente ils auraient fini par s'arr�ter. Les observateurs modernes pensent plut�t la p�riode comme ayant �t� riche en innovation : t�l�phonie fixe, TSF, d�but m�me de la t�l�vision, automobile, aviation, �lectrom�nager, publicit�, nouvelles id�es de management, etc.
+ +C'est la th�se d�fendu par Lionel Robbins
+ +Parmi de nombreux textes qui mettent l'accent sur des � fautes �, l'expiation des fautes en cas de grand malheur est un classique de l'humanit� depuis l'origine des temps, on peut citer celle de l'�conomiste Lionel Robbins dans son ouvrage La Grande D�pression 1929 - 1934, Payot, 1935. La crise �tait in�vitable � cause des exc�s commis dans la p�riode pr�c�dente :
+Apr�s les exc�s doit venir la purge si n�cessaire et qu'il faut laisser se d�rouler sans entraves. La crise vient assainir la situation �conomique et lui permettra de repartir sur des bases plus solides. Le plus vite la purge compl�te, le plus vite la reprise.
+La longueur et la gravit� de la crise qui verra la ruine de nombreuses familles, le d�veloppement d'un immense ch�mage, la faillite de milliers de banques et celle de dizaines de milliers d'entreprises a conduit � mettre en cause la mani�re dont les politiques �conomiques ont �t� conduites. Les certitudes qui se sont d�gag�es ont pu laisser croire qu'une crise de type 1929 ne serait plus possible aujourd'hui car d�sormais on savait.
+L'accusation d'aveuglement et de pusillanimit� est bien montr� par l'affirmation du Pr�sident de la Bourse de Wall Street qui s'exprime ainsi en (septembre 1929) : � Bien des gens n'ont pas compris que c'en est apparemment fini des cycles �conomiques tels que nous les avons connus. Quant � moi, je suis convaincu de l'essentielle et fondamentale solidit� de la prosp�rit� am�ricaine �.
+Ensuite l'id�e constamment r�p�t�e que la prosp�rit� �tait � round the corner � et qui expliquait qu'on ne fit rien a �t� mise syst�matiquement en cause. La critique Keyn�sienne � partir de son livre majeur expliquera que lorsqu'un �quilibre de sous emploi s'est install� seul l'investissement public permet de retrouver le plein emploi. Ces id�es n'�taient pas celles du temps, o� on attendait plut�t d'une baisse des prix et des salaires les conditions de la reprise.
+ +On a vu que pour les mon�taristes la FED avait tout faux avant la crise. Elle continuera � agir � contretemps apr�s son d�clenchement. Beaucoup d'auteurs comme notamment Ben Bernanke, l'actuel pr�sident de la FED, qui fera sa th�se universitaire sur ce th�me, consid�rent qu'elle aurait du alimenter massivement les banques en monnaie-banque centrale au lieu de maintenir la ligne de conduite orthodoxe qui proposait moins de laxisme plut�t qu'une inondation de cr�dits. Cette pens�e est devenu un cr�do qu'Alan Greenspan puis Ben Bernanke lui m�me allaient appliquer comme pr�sident de la FED avec d�termination � chaque crise am�ricaine � partir de 1987.
+ +Des mesures protectionnistes (par exemple, la Hawley-Smoot Tariff Act) entra�n�rent une augmentation des droits de douane sur les importations, afin de prot�ger les producteurs locaux (mis en danger par la comp�tition internationale). En r�ponse � cette politique, d'autres pays augment�rent � leur tour leurs droits de douane, mettant en tr�s mauvaise posture les soci�t�s am�ricaines qui vivaient de l'exportation. Cela conduisit � une suite d'augmentations des droits de douane qui fragmenta l'�conomie mondiale. D'une fa�on plus g�n�rale les grands empires, britannique et fran�ais, se replient sur eux-m�mes et ne recherchent plus le commerce international devenu trop dangereux, faute de monnaie mondiale.
+Pour Jacques Sapir, cette explication ne tient pas : il explique que � la chute du commerce international a d'autres causes que le protectionnisme �. Il fait remarquer que � la production int�rieure des grands pays industrialis�s r�gresse [...] plus vite que le commerce international ne se contracte. Si cette baisse avait �t� la cause de la d�pression que les pays ont connue, on aurait d� voir l'inverse. � De plus, � si la part des exportations de marchandises dans le produit int�rieur brut (PIB) passe de 9,8% � 6,2% pour les grands pays industrialis�s occidentaux de 1929 � 1938, elle �tait loin, � la veille de la crise, de se trouver � son plus haut niveau, soit les 12,9% de 1913 �.
+Il ajoute
+� Enfin, la chronologie des faits ne correspond pas � la th�se des libre-�changistes. [...] L'essentiel de la contraction du commerce se joue entre janvier 1930 et juillet 1932, soit avant la mise en place des mesures protectionnistes, voire autarciques dans certains pays, � l'exception de celles appliqu�es aux �tats-Unis d�s l'�t� 1930, mais aux effets tr�s limit�s. En fait ce sont les liquidit�s internationales qui sont la cause de la contraction du commerce. Ces liquidit�s s'effondrent en 1930 (-35,7%) et 1931 (-26,7%). Or on voit la proportion du tonnage maritime inemploy� augmenter rapidement jusqu'� la fin du premier trimestre 1932, puis baisser et se stabiliser �+
Ind�pendamment de la question du protectionnisme l'explosion du syst�me mon�taire international d�fini � la conf�rence de G�nes conduit � des red�finitions des valeurs en or des principales devises et � une suite de d�valuations qui faussent les termes de l'�change international et provoquent des troubles sur tous les march�s de biens et de services internationaux.
+On constatera que ces quatre contestations des politiques men�es dans les ann�es 1930 sont � la base des politiques suivies actuellement : gonflement des liquidit�s par la banque centrale, refus du protectionnisme, refus (verbal mais acceptation de facto) des d�valuations comp�titives, activisme d'�tat via des plans de relance massifs.
+Le pr�sident Herbert Hoover tenta sans grand succ�s de rem�dier � la crise. Ses adversaires d�mocrates le surnommaient le � Do nothing �.
+En novembre 1932, les �tats-Unis �lisent Franklin Delano Roosevelt pour remplacer Hoover � la t�te de l'�tat. Le taux de ch�mage approchait alors les 25% de la population active. Roosevelt prit ses fonctions en mars 1933 et lan�a plusieurs programmes nationaux afin d'accro�tre le volume de liquidit�s et r�duire le ch�mage (c'est ce que l'on nomma le New Deal).
+La cour supr�me s'opposa dans un premier temps � cet interventionnisme �conomique tr�s fort, contraire � sa jurisprudence pr�c�dente, avant de s'y rallier en 1937, par l'arr�t West Coast Hotel Co. v. Parrish.
+Le New Deal offrit une r�ponse politique forte aux attentes sociales n�s du d�sastre humain de la crise dont t�moigne par exemple Les Raisins de la col�re de Steinbeck. Il redonne espoir aux Am�ricains et Roosevelt sera r��lu en 1936, 1940 et 1944, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale il est vrai pour 1944. Il fournit aussi aux �tats-Unis des infrastructures - routes, am�nagements hydro�lectriques - encore utilis�es � l'heure actuelle.
+Le New Deal est souvent cr�dit� d'avoir permis de surmonter la crise. Ce point de vue, g�n�ralement admis jusque vers les ann�es 1960, est aujourd'hui contest� par les �conomistes. Lorsque survint la Seconde Guerre mondiale, soit 8 ans apr�s les d�buts du New Deal, les �tats-Unis �taient encore en pleine crise. Certains affirment que l'instabilit� inh�rente des march�s �conomiques causa une crise si profonde, que m�me les interventions du New Deal, aussi pertinentes soient-elles, n'auraient pas pu r�tablir rapidement la situation. D'autres estiment que, la crise de 1929 correspondant � la p�riode de l'histoire am�ricaine o� l'intervention du gouvernement fut la plus forte, on pourrait raisonnablement penser que l'action du gouvernement n'a fait qu'accentuer la d�pression, plut�t que d'y rem�dier. Ils tirent entre autres arguments du fait qu'apr�s un redressement initial, l'�conomie a replong� � partir de 1937, � peu pr�s au moment o� la Cour supr�me a permis au New Deal de prendre plus d'ampleur. La th�se moderne dominante est que la crise fut en fait caus�e notamment par la politique mon�taire de la "Fed", trop restrictive, et qu'elle pris fin lorsque cette politique cessa pour redevenir plus accommodante. La Fed elle-m�me s'est ralli�e � cette th�se et g�re maintenant toutes les crises comparables en cons�quences. Cette th�se n'est pas accept�e par un �conomiste tel que Charles Kindleberger pour deux raisons : d'une part son explication ne repose que sur une seule cause et d'autre part, il conteste la p�riode (1929 - 1933) prise comme base de r�f�rence N 1
+ +L'Allemagne suivit d�s le d�but des ann�es 30 une politique diff�rente des recettes de l'orthodoxie lib�rale dominante � l'�poque. Sous la responsabilit� financi�re de Herr Schacht elle se lance dans une politique d'investissement massif, au d�part principalement avec des objectifs civils. Galbraith �crira dans son livre sur "la monnaie" que la politique allemande fut � cette �poque une politique keyn�sienne compl�te avant l'heure. La doctrine de Keynes est en effet qu'il faut r�tablir par une politique d'investissement public l'�quilibre perdu entre �pargne et investissement. C'est de cette �poque que date le r�seau d'autoroutes allemand (dont l'�quivalent en France ne sera construit que trente ans plus tard). Cette politique est men�e sans aucune inflation, ce qui vaudra une r�putation durable au ministre des finances, malgr� son r�le dans l'appareil nazi. Le plein emploi est quasiment revenu avant m�me qu'Hitler oriente l'�conomie allemande vers la production militaire, qui d'ailleurs, est largement r�alis�e ... en Union Sovi�tique pour contourner les trait�s. le Pacte Germano-Sovi�tique a �t� pr�c�d� par une longue et secr�te coop�ration militaire. Il va de soi que l'Allemagne sortira de la guerre ruin�e.
+La situation est diff�rente en Italie o� l'exemple allemand n'est suivi que tr�s partiellement et o� les aventures coloniales ext�rieures absorbent une partie importante de l'�nergie nationale. Elle sortira �galement de la guerre ruin�e.
+La France, principalement agricole, subit la crise de plein fouet, les exportations �tant pratiquement arr�t�es. Elle se replie sur son Empire. Les troubles sociaux et politiques qui aboutissent au Front populaire ne permettent pas l'�laboration d'une politique constante. Alfred Sauvy dans son "histoire �conomique de la France entre les deux guerres" constate que les "quarante heures" bloque la reprise qui commen�ait � se manifester. L'effort de production militaire est tardif et n'a qu'une influence marginale sur l'activit�. La France sortira de la guerre pill�e et ruin�e.
+La situation est peu ou prou la m�me au Royaume Uni qui a tent� de revenir � un taux de change en or intenable pour la Livre avant m�me 1929 et qui a connu une stagnation plus longue que les autres. La politique d'armement ne commence vraiment que tr�s peu de temps avant la guerre et ne peut �tre consid�r�e comme la m�thode qui a permis de sortir de la crise. Elle sortira de la guerre victorieuse mais ruin�e.
+Le Japon connait une p�riode d'avant guerre tr�s diff�rente des d�mocraties du fait de son expansionnisme militaire et de l'encadrement rigoureux de la population. Elle manque de p�trole pour ses entreprises. La guerre avec les Etats-Unis sera largement provoqu�e par l'embargo d�cid� par ce pays sur les exportations p�troli�res vers le Japon. Le pays sortira ruin� par la guerre.
+Les �tats-Unis connurent une p�riode de forte activit� pendant la guerre de quarante avec le retour au plein emploi, la mobilisation des hommes jeunes �tant compens�e par le recours massif � la main d'oeuvre f�minine dans les usines d'armement. D'�normes investissements furent faits dans beaucoup de domaines qui donn�rent un avantage technologique au pays apr�s guerre. Lorsque la guerre arriva � son terme, le retour des millions de soldats dans leurs foyers imposa une p�riode de r�ajustement de l'�conomie. C'est cette transition qu'�tait cens�e faciliter le G.I. Bill. Au total ce fut le seul pays important � ne pas sortir ruin� de la guerre. La guerre avait �galement permis � des �conomistes keyn�siens, sous l'influence de Hansen, de peupler l'administration qui se dote pendant la p�riode des moyens en hommes, en id�es et en droit, de son action. La paix retrouv�e ils mirent en place une politique de d�pense publique qui ne se rel�chera plus.
+Ces exemples montrent que la mont�e vers la guerre ne sera nulle part le secret de la fin de la crise de 1929. La guerre marquera une rupture dans les mentalit�s, provoquera un besoin de reconstruction intense pendant une dizaine d'ann�e, provoquera une concentration du pouvoir �conomique dans l'Etat qui est d�sormais partout charg� du droit au travail et � la s�curit� sociale. Tous les gouvernements deviennent "keyn�siens". L'orthodoxie d'avant 1929 est morte.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+La guerre est un conflit arm� opposant au moins deux groupes militaires organis�s + r�guliers 1. Elle se traduit ainsi par des combats arm�s, plus ou moins + d�vastateurs et implique directement ou indirectement des tiers. Elle qualifie + donc tous les conflits, qui ont pour principales caract�ristiques, la force + physique, les armes, la tactique, la strat�gie ou la mort de certains de ses + participants (soldats, r�sistants, Franc-tireur etc.) ou de tiers (civils, + employ�s et membres des associations d'aide humanitaire, etc.).
+Le sens commun veut que la guerre soit aussi vieille que l'humanit�. Certains + estiment[r�f. n�cessaire] que chez l'Homme, la guerre est une forme extr�me de + communication, un � commerce � dans sa signification profonde ou exacte de mise + en commun, de partage et d'�change (ici d'agressivit�), la guerre �conomique + pouvant alors, sous une apparence plus socialement et �thiquement acceptable, + satisfaire d'autres app�tits de pouvoirs que ceux qui animaient les auteurs des + guerres ethniques, de religions, de classe, etc. Les armes des nouveaux conflits + seraient alors la capacit� � trouver et manipuler l'argent, l'influence et + l'information.
+Dans le contexte du droit international les bellig�rants combattant des groupes + irr�guliers (rebelles, arm�e ill�gale...) remplacent souvent le terme guerre par + conflit arm�, grande op�ration de police, lutte contre le terrorisme, + pacification, etc.
+Toutes les guerres laissent des s�quelles, socio-psychologiques, �conomiques et + environnementales qui souvent constituent le germe ou le ferment d'une prochaine + guerre, produisant un cercle vicieux entretenu par la haine, le non-respect, la + peur de l'autre ou de l'avenir, et la difficult� � n�gocier.
+Pour l'anthropologue Ren� Girard la guerre est une forme de rivalit� + mim�tique entre groupes, dans laquelle la violence est orient�e vers + l'ext�rieur de la communaut�. L'anthropologue Marvin Harris 2 de la Columbia + University a propos� une th�orie sur les origines de la guerre dans les + soci�t�s non-�tatiques, tribales et villageoises. L'id�ologie dominante dans + notre soci�t� tend � bl�mer l'individu pour la guerre sur la base + suppos�ment biologique d'une � violence inn�e � de la � nature humaine � (le + p�ch� originel) ou de l'� instinct de mort �. C'est un point de vue simple + et simpliste qui nous lave de toute responsabilit� dans notre conduite + envers autrui. Si la guerre �tait naturelle, il n'y aurait pas besoin de + tant d'efforts de propagande pour dresser les uns et les autres � + s'entretuer. Le dressage ici se rapporte � ce que l'Anglais nomme par � + basic training � d�s l'enfance dans la famille, la parent�, l'�cole, le + milieu social et � travers les jeux et les divertissements apparemment les + plus inoffensifs, le rejet et le d�ni de l'autre, la comp�tition et la + coop�ration.
+Harris r�pertorie quatre th�ories, selon lui les plus communes sur l'origine + de la guerre :
+Dans cette perspective et en couvrant � la fois les soci�t�s non-�tatiques et + les soci�t�s �tatiques, la guerre appara�t comme la forme et le moment (� la + fois comme instant et comme rapport de forces) de violence extr�me d'un vol + organis� dont l'objet peut �tre physique, imaginaire ou symbolique.
+Tant du point de vue de l'attaquant que de l'attaqu�, la guerre semble + pouvoir contribuer � maintenir ou restaurer la coh�sion sociale d'un + groupe ou pays. Car le fait est que dans l'Histoire, nombre de guerres + furent d�clench�es sous un pr�texte dans le but unique (et souvent + r�ussi) de resserrer les rangs derri�re le destin sup�rieur de la patrie + en cherchant l'� union sacr�e �, et soutenir celui qui apparait alors + comme son meilleur d�fenseur : le chef. Ainsi Otto von Bismarck qui + r�vait de l'unit� allemande incita t-il la guerre franco-allemande de + 1870. Rappelons que l'Allemagne n'�tait � l'�poque qu'une conf�d�ration + d'�tats ind�pendants, et que la guerre permit d'unifier l'Empire + allemand sous la couronne prussienne, ce qui fut l'av�nement de + l'Allemagne bismarckienne qui domina seule l'Europe continentale pendant + pr�s de trente ans.
+Harris veut d�montrer que les gens, les hommes surtout, sont �lev�s dans + le culte et la croyance de la guerre comme une activit� anoblissante, + flamboyante et glorieuse, avec un substitut qui est la comp�tition + sportive collective. L'histoire montre qu'on peut �tre �lev� � prendre + plaisir � pourchasser d'autres personnes et � les tuer, � les d�tester + et les ha�r ou bien � se r�volter contre les r�sultats de tels actes. Si + on croit que les valeurs belliqueuses sont sources des guerres, alors le + probl�me crucial et critique devient celui de sp�cifier les conditions + dans lesquelles des personnes sont amen�es � valoriser et � r�v�rer la + guerre. La th�orie de la guerre comme jeu trouve l� sa limite. Comme + activit� ludique, le jeu est une repr�sentation du type � th��tral � et + pr�pare � la guerre en la glorifiant et en la valorisant.
+Du point de vue de la nature humaine d�crite par ses "pulsions" + d'origines g�n�tiques, biologiques et/ou culturelles acquises, la + pulsion de meurtre pourrait ou voudrait expliquer, au-del� de la pulsion + de mort que l'humain est programm� pour tuer. � Instinct �, comme + ailleurs � Dieu � seraient alors des principes explicatifs passe-partout + pour justifier absolument et d�finitivement ce que nous ne comprenons + pas.
+La th�orie de l'instinct de mort ou pulsion de mort n�glige (aussi bien + dans la signification fran�aise de � ne pas savoir � que dans la + signification anglaise de � ne pas vouloir savoir �) l'environnement + bio-physico-chimique et le contexte culturel, historique et social dans + lesquels les tueries et les guerres prennent place. L'argument de la � + nature humaine �, r�incarnation du d�terminisme g�n�tique de la + sociobiologie qui va aussi loin que proclamer le viol comme un acte + logique dans l'int�r�t du � succ�s reproductif � du violeur, se + contredit lui-m�me car guerre et tueries ne sont pas universellement et + de tous les temps admir�es et pratiqu�es par les humains.
+De plus, il y a d'�normes distinctions entre les � lois de la guerre � (� + diff�rentes �poques et dans diff�rentes soci�t�s) et, par ailleurs la + quantit� de violences distribu�e. La th�orie d'un universel � instinct + de meurtre � est insoutenable m�me dans une soci�t� en guerre.
+L'�tre humain est bien entendu capable de devenir dangereusement agressif + en apprenant � jouir et � se r�jouir de la guerre et de l'exercice de la + cruaut�. Mais, � comment et quand nous devenons agressif sont plut�t + sous le contr�le de nos cultures que de nos g�nes � �crit Harris (p. + 54), dans le vieux d�bat scientifique entre l'inn� et l'acquis (ou du + d�terminisme g�n�tique contre le d�terminisme culturel).
+De nombreux animaux gr�gaires ont des comportements d'agression qui, + lorsqu'ils s'expriment collectivement, peuvent �voquer la guerre. Il s'agit + g�n�ralement d'animaux territoriaux qui disposent aussi parfois de + comportements �voquant la n�gociation. Ainsi certains insectes sociaux + (fourmis, termites, etc) vivant en colonies forment de v�ritables arm�es, + disposant d'individus que nous nommons "soldats" charg�s de d�fendre la + colonie, puis attaquent leurs ennemis dans des combats violents. Les + rapports entre fourmili�res voisines ne sont pas toujours tr�s harmonieux. + Des luttes territoriales terribles opposent des combattants avec piti�. Un + chercheur n�erlandais, Mabelis, s'est passionn� pour les guerres que se + livrent des colonies de fourmis rousses. Au printemps, quand le nid sort de + sa torpeur hivernale, les ouvri�res fourrageuses vont explorer les environs. + Quand elles rencontrent un nid voisin apparent�, de type super-colonie, des + �changes de nourriture ou des transports de mat�riaux peuvent s'effectuer + entre les nids. Mais s'il s'agit d'une colonie �trang�re, des combats + �clatent entre les ouvri�res. L'intensit� du combat va crescendo car chaque + colonie recrute au fur et � mesure de nouvelles combattantes. Les combats + durent toute la journ�e et se soldent par la mort de milliers de fourmis. + C'est au cours de telles guerres que les territoires des colonies �voluent. + D'apr�s certains biologistes, ces guerres entre fourmis permettraient aux + colonies de se procurer des prot�ines � une �poque o� les proies sont encore + tr�s rares. Les arts martiaux se sont en Asie beaucoup inspir� des attitudes + et moyens de d�fense des animaux. Cependant, le sentiment durable de + vengeance, qui a chez l'Homme entretenu des guerres durant des si�cles ou + d�cennies leur semble inconnu.
+Selon le th�oricien prussien Carl von Clausewitz (1780-1831) :
+� la guerre est le prolongement de la politique par d'autres moyens. + �+
Cette th�orie pose qu'un conflit arm� est � la suite logique d'une tentative + d'un groupe pour prot�ger ou augmenter sa prosp�rit� �conomique, politique + et sociale au d�pens d'un autre ou d'autres groupe(s) � (Harris, p. 54). + C'est la d�finition de la guerre imp�riale ou �tatique, o� l'attaquant se + battrait pour �lever son niveau de vie au d�triment des autres (les int�r�ts + �conomiques sous-jacents peuvent �tre enfouis et cach�s derri�re et par des + alibis politiques, raciaux et religieux). Dans cette approche l'�tat + n'existerait que par son organisation politique - imp�rialiste � l'usage + interne ou externe - capable de r�aliser des guerres de conqu�te + territoriale, d'agencement �conomique et de colonisation. Par cette + continuit� politique, la guerre est aussi un �l�ment incontournable des + relations humaines, et donc une chose � laquelle il faut �tre pr�t, ce que + traduit le proverbe romain : Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, + pr�pare la guerre), ou bien l'aphorisme de Nicolas Machiavel : � une guerre + pr�visible ne se peut �viter, mais seulement repousser �. Cette d�finition + rejoint les antiques id�es de la civilisation chinoise : la guerre n'est + qu'un des moyens pour imposer sa volont� � un groupe ou � l'inverse y + r�sister. Comme ce moyen est le plus risqu� et le plus co�teux, la victoire + la plus int�ressante est celle qui ne se voit pas, l'adversaire n'ayant pas + perdu la face, ce qui pourrait �tre une des d�finitions de la diplomatie. La + guerre est souvent une fa�on de ressouder une communaut� contre un ennemi + commun, de justifier une forte discipline, voire d'acqu�rir ou conserver une + gloire politiquement n�cessaire � un pouvoir se voulant charismatique . Ces + raisons rendent la guerre fr�quente dans les dictatures et les �tats o� les + hommes voient leurs certitudes troubl�s par une brutale �volution politique + (ethnique), �conomique ou technique. Il arrive cependant, bien que ce soit + plus rare, que des d�mocraties se fassent la guerre entre elles aussi (voir + th�orie de la paix d�mocratique).
+Les guerres internes � un pays en cause mettant aux prises une partie de la + population contre l'autre sont qualifi�es de guerres civiles. Chacun voit + dans son ennemi, et m�me en celui qui voudrait rester neutre, un tra�tre + avec lequel il n'est plus possible de cohabiter et avec lequel aucun + compromis territorial n'est possible (comme cela serait possible avec un + ennemi �tranger). C'est pourquoi l'unique issue envisag�e est bien souvent + l'an�antissement de l'autre et de ses alli�s r�els ou potentiels (y compris + femmes et enfants), avec emploi de la terreur, ce qui rend ces guerres + meurtri�res et sans merci. Le statut juridique d'une guerre civile ne permet + pas aux puissances �trang�res et aux institutions internationales, comme + l'ONU d'intervenir, comme la France pour les � intelligence � ou Guerre + d'Alg�rie pour r�gler les diff�rends. Inversement, une guerre �trang�re est + d�guis�e en guerre civile pour masquer l'agression �trang�re, comme la + France a d�guis� sa reconqu�te coloniale en guerre civile avec la cr�ation + d'Un �tat vietnamien ind�pendant en 1948, durant la Premi�re Guerre + d'Indochine d'ind�pendance et comme les �tats-Unis qui ont � aid� � la + R�publique du Vi�t Nam en lutte contre la R�publique D�mocratique du Vi�t + Nam pendant la Deuxi�me Guerre d'Indochine ou Guerre du Vietnam de + r�unification.
+Il faut et il suffit simplement de fabriquer un gouvernement � sa solde qui + demande l'aide pour intervenir en toute l�galit� dans les affaires + int�rieures d'un �tat souverain.
+La guerre n'est pas une simple manifestation de la violence humaine, elle est un + fait social, qui demande une organisation des hommes, une convergence de leur + force, vers un objectif unique. Comme toute organisation de la soci�t�, elle est + hi�rarchis�e, et se d�compose donc en une structure � deux niveaux principaux : + le niveau politique qui initie la guerre lorsqu'on la juge souhaitable ou du + moins n�cessaire, et le niveau tactique, celui de la bataille et du rapport de + force qui, par la fortune des armes, donnera raison politiquement � celui des + deux bellig�rants qui aura su faire fl�chir l'autre. Par sa violence, son + inhumanit�, son co�t qui peut condamner � la mis�re des g�n�rations, la guerre + imposa le niveau interm�diaire qu'est la strat�gie, pour rendre plus efficace et + plus soutenable le terrible effort de guerre, pour le rationaliser et le rendre + plus � rentable �. Un conflit se d�compose donc ainsi :
+Si l'on soustrait de la guerre l'aspect psychologique de la haine et de la + violence (ce que l'on fait, comme vu plus haut, dans la th�orie classique), + la volont� politique pr�c�de n�cessairement la volont� de violence + elle-m�me, et plus encore la r�alisation de cette violence. La guerre + commence alors bien avant qu'on l'imagine pouvoir �clater, puisqu'elle nait + en amont sur le papier, d'ambitions et de n�cessit�s rationnelles.
+� La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens � + - G�n�ral Carl von Clausewitz+
La violence est donc un outil dont dispose la politique pour arriver � ses + fins. G�n�ralement elle n'est qu'un dernier recours dans le cadre d'une + strat�gie plus globale (regroupant tous les moyens d'action), car l'objectif + du strat�ge est d'imposer sa volont�, et non pas de gagner des batailles. + C'est ce que d�fend Sun Zi :
+� L'id�al est que votre adversaire se plie � votre volont� sans que + vous ayez � utiliser la force � - L'Art de la guerre+
et � Clausewitz de surench�rir :
+� Le conqu�rant aime toujours la paix ; il entre volontiers + tranquillement dans notre pays [m�me s'il n'a pas � faire la guerre] + �+
Dans les pays d�velopp�s et d�mocratiques, o� l'�tat se caract�rise de plus + en plus par sa fonction abstraite "d'administrateur de la soci�t�", on peut + effectivement penser que cette appr�ciation de la guerre comme calcul froid + de la n�cessit� politique correspond � la r�alit�. Cependant, lorsque la + pouvoir se confond avec la personnalit� de celui qui l'exerce, la + rationalit� de la volont� politique � tendance � laisser place � + l'irrationalit� de l'autocratie, car un despote sera beaucoup plus enclin � + consid�rer la guerre comme une affaire personnelle. Mais l'on remarque que + m�me dans ce dernier cas, on ne peut affirmer que la politique n'est pas � + l'initiative du conflit, puisqu'en dictature la volont� personnelle devient + la substance m�me de la politique.
+� La guerre �clate lorsque les �tats n'ont plus une conscience claire + de leurs devoirs, une intelligence nette de leurs droits, une notion + exacte de leurs int�r�ts respectifs. Ils ne peuvent plus arriver � une + entente commune, ils ne peuvent plus accepter les lois que leur tra�ait + le droit des gens en temps de paix : ils s'y soustraient. La guerre est + l'acte politique par lequel des �tats, ne pouvant concilier ce qu'ils + croient �tre leurs devoirs, leurs droits et leurs int�r�ts, recourent � + la lutte arm�e, et demandent � cette lutte de d�cider lequel d'entre eux + �tant le plus fort pourra en raison de sa force imposer sa volont� aux + autres � - Funck-Brentano et Sorel, Pr�cis du droit des gens, Paris, + Plon, 1900, p. 74+
Par sa nature destructrice, la guerre implique un co�t tr�s important, et il + faut des motivations cons�quentes et suffisantes pour initier un conflit. + Comme tous les ph�nom�nes sociaux extr�mes, ces motivations sont en bonne + part de nature psychologique, mais la volont� de destruction s'est peu � peu + rationalis�e au cours du temps pour devenir un outil au service de la + volont� politique. Celles-ci peuvent-�tre :
+� ces motivations mat�rielles et r�fl�chies qui peuvent encourager le recours + � la force, s'ajoute d'autres motivations d'origines psychologiques et plus + instinctives, d'autant plus courantes que le pouvoir est personnalis� :
+On peut d�crire l'origine de la violence en politique de la mani�re + logique gr�ce au sch�ma suivant : quand la politique souhaite obtenir + quelque chose d'un groupe social sur lequel elle n'a pas autorit� (ce + peut �tre un autre �tat), il lui faut son acceptation, ce que l'on nomme + la d�cision en strat�gie. La seule et unique mani�re d'y parvenir est de + convaincre (voir la section niveau strat�gique) l'autre qu'il est de son + int�r�t de r�pondre favorablement aux demandent qui lui sont faites :
+Dans les deux cas le but est de rendre rentable l'acceptation des + conditions impos�es, et si la r�ponse est n�gative, c'est que le refus + semble pr�f�rable. Si l'argument de la menace lui-m�me ne fait pas son + effet, deux solutions se pr�sentent alors :
+Il faut donc en conclure, et c'est essentiel, que lors d'un litige entre + des entit�s politique ind�pendantes, toute d�cision et toute situation + qui r�sultera de la confrontation de leurs volont�s respectives, y + comprit l'usage de la violence, aura �t� consid�r�e par tous les + protagonistes comme �tant le choix le meilleur.
+La strat�gie est selon le G�n�ral Andr� Beaufre :
+� l'art de la dialectique des volont�s employant la force pour + r�soudre leur conflit. � - Introduction � la Strat�gie, Armand Colin, + 1963, p. 34+
Alors que le niveau politique formule une volont�, le r�le de la strat�gie + est de r�fl�chir au moyens d'amener l'adversaire � y r�pondre favorablement, + ce que l'on nommera la d�cision. Pour le G�n�ral Beaufre, dans la + dialectique des volont�s, la d�cision est un �v�nement d'ordre psychologique + que l'on veut produire chez l'adversaire : le convaincre qu'engager ou + poursuivre la lutte est inutile. Le but de la strat�gie est donc:
+� d'atteindre la d�cision en cr�ant et en exploitant une situation + entrainant une d�sint�gration morale de l'adversaire suffisante pour lui + faire accepter les conditions qu'on veut lui imposer. � - Introduction � + la Strat�gie, Armand Colin, 1963, p. 36+
On admet g�n�ralement que le but de la strat�gie est ni plus ni moins que de + "gagner la guerre", d'o� la formule pr�t�e � Clausewitz de "la d�cision par + la bataille victorieuse". La r�alit� est plus subtile : n'oublions pas que + la d�cision est psychologique, et qu'il faut "convaincre qu'engager ou + poursuivre la lutte est inutile", d'o� cette r�flexion de L�nine analysant + Clausewitz : "retarder les op�rations jusqu'� ce que la d�sint�gration + morale de l'ennemi rende � la fois possible et facile de porter le coup + d�cisif". Ainsi, il ne suffit pas d'�tre le plus fort pour gagner la guerre, + mais de d�moraliser le pouvoir adverse et c'est ce qu'apprirent � leurs + d�pens les �tats-Unis lors des guerres du Vi�t Nam, de Somalie, + d'Afghanistan ou encore d'Irak. D'ailleurs, la strat�gie dans les guerre + insurrectionnelles devient de plus en plus un cas d'�cole, et elle sera + pr�sent�e ci-apr�s.
+L'art de la strat�gie r�side pr�cis�ment dans la subtile confrontation + entre d'une part, les capacit�s d'influence sur l'adversaire, positives + ou n�gatives, et d'autre part, l'�valuation des co�t inh�rents aux + moyens � disposition pour effectuer cette influence. L'influence peut + �tre n�gative pour l'adversaire : destruction de ses forces et de ses + biens, ou peut �tre positive : proposition de trait� de commerce, + n�gociation avantageuse ; la conjonction de ces moyens d'influence doit + permettre une meilleure efficacit� au rapport des co�t qu'impliquent + chaque combinaison possible, entre techniques d'influence n�gative et + positive, c'est donc "jouer de la carotte et du b�ton", en fonction des + prix et de l'efficacit� de la carotte et du b�ton. Pour l'exemple, on + peut imaginer qu'une phase destructrice qui apparaisse catastrophique � + l'ennemi, soit suivie d'une proposition de paix dot�e d'avantages + inattendus, prof�rant alors un caract�re providentiel � ce qui ne sont + que des exigences. Nous voyons qu'ici, la strat�gie tient � un choix + subtil, �manant d'une r�flexion qui vise � faire converger vers un + objectif des moyens parfois contradictoires, ce choix constitue l'art de + la strat�gie.
+L� est donc l'intelligence de la strat�gie, ses moyens sont de complexes + combinaisons de techniques d'influence, mais pour les �laborer, il faut + analyser l'effet moral d�cisif et savoir qui on veut convaincre. Dans + le cas d'un gouvernement central, on peut choisir d'agir directement sur + ses dirigeants et sur ce qui fait leur capacit� d'influence (attaquer ou + arr�ter les personnes dirigeantes, leur administration, ou plus souvent + leur propre capacit� d'action : l'arm�e ennemie), ou bien sur un tiers + qui a une influence sur eux (une organisation internationale comme + l'ONU, des alli�s influents, ou la population : solution + particuli�rement efficace dans une d�mocratie ou une soci�t� tr�s + divis�e politiquement ou ethniquement). S'il faut convaincre non pas un + gouvernement unique et centralis�, mais une constellation de + personnalit�s ou un groupe (population, ethnie, groupe religieux, + mouvance id�ologique...), la strat�gie comporte d'autant plus de + variables et de complexit� que le pouvoir adverse est d�centralis� voir + totalement explos�, car dans ce cas la d�cision doit �tre obtenue d'un + ensemble d'individus, avec tout l'arc en ciel de sensibilit� et + d'intelligence strat�gique qui le compose.
+Il y a victoire de la strat�gie lorsque l'adversaire d�cide de stopper ou + de ne pas engager le combat, c'est-�-dire, d�s lors qu'il y a + d�moralisation de son pouvoir d�cisionnaire. Or, suivant qu'un conflit + est inter�tatique ou insurrectionnel, qu'il est de l'�re pr�-nucl�aire + ou post-nucl�aire, les moyens susceptibles d'arriver � cette fin sont + tr�s diff�rents.
+Le paradigme de la guerre industrielle entre �tats monopolise grandement + la r�flexion strat�gique encore aujourd'hui. Car il est tentant de + penser que disposer d'une arm�e "puissante" selon les crit�res + traditionnels (une arm�e de masse) autorise � se sentir pr�muni de tous + les types de guerre. L'arm�e am�ricaine, de tr�s loin la plus puissante + au monde selon la d�finition classique, ne peut pourtant se permettre + d'obtenir la d�cision que tr�s rarement et difficilement dans les + conflits insurrectionnels, autrement dit, elle ne peut pas gagner une + guerre non conventionnelle avec des strat�gies conventionnelles. Et + c'est ce qu'a d�montr� le G�n�ral Petraeus � travers ses r�flexions sur + la guerre contre-insurrectionnelle.
+Les raisons de ce paradoxe encore mal compris sont les suivantes : la + capacit� des arm�es et plus g�n�ralement des politiciens � obtenir la + d�cision a subi des mutations consid�rables au cours de l'histoire, en + particulier en raison de l'�volution des possibilit�s op�rationnelles + qui r�sultaient de l'armement, de l'�quipement (�volutions des + technologies) et des m�thodes de guerre et de ravitaillement, mais + surtout � cause des strat�gies pr�f�r�es par l'adversaire en fonction de + ses propres caract�ristiques politiques et sociales. Or cette �volution + in�luctable fut rarement comprise, au contraire, l'�volution � + g�n�ralement surpris les deux adversaires, qui durent en t�tonnant + rechercher les solutions nouvelles menant � la d�cision. De l� vient + l'id�e que "les strat�ges se pr�parent toujours pour la guerre + pr�c�dente". L'exemple le plus surprenant pourrait �tre celui de la + ligne Maginot, gigantesque structure � objectif d�fensif h�rit�e des + dogmes de la Premi�re Guerre mondiale (guerre d�fensive de position), + totalement incapable de prot�ger la France de la strat�gie de guerre + �claire offensive des arm�es nazies (guerre offensive et d�cisive tr�s + dynamique, m�canis�e et a�roport�e).
+L'�volution la plus importante de ces derni�res d�cennies parait �tre + l'apparition de la force nucl�aire, dont les caract�ristiques + foudroyantes ont totalement boulevers�es les lois de la guerre, d'o� la + naissance d'une nouvelle strat�gie ; mais l'atome n'est pas la seule + r�volution, et strat�gie de gu�rilla, utilis�e par le terrorisme, est + elle aussi capable de mettre en �chec des arm�es industrielles + conventionnelles.
+Sont analys�es ci-dessous les trois strat�gies principales, s'adaptant + chacune aux moyens dont on dispose et � l'ennemi � combattre. Aucune + n'est meilleure que l'autre dans l'absolu, et aucune ne peut s'adapter � + toutes les situations.
+Dans la strat�gie militaire classique, la guerre fut toujours + comprise comme un rapport de force inter�tatique. Ainsi Hegel, + contemporain des guerres napol�oniennes qui devaient redessiner la + carte de l'Europe, comprend la dynamique des rapports de forces + entre nations comme la mati�re m�me de l'histoire. L'histoire est + alors le th��tre de la lutte des �tats pour l'h�g�monie, o� chacun + se doit d'�tre le plus fort sous peine de disparaitre.
+Nation contre nation, front contre front, strat�ges contre strat�ges, + la guerre inter�tatique a cette caract�ristique jusqu'� la Seconde + Guerre mondiale de voir se r�pondre en miroir des logiques de guerre + pratiquement sym�triques. La d�cision � l'�tat pur est celle qui + r�sulte de la bataille victorieuse, et toute la strat�gie classique + a pour objectif de gagner la guerre en terrassant l'ennemi sur le + champ de bataille. Dans cette logique d'�quilibre des forces, une + faiblesse, un calcul qui s'av�re faux, ou une manoeuvre inventive et + d�cisive, peut d�cider du sort de la guerre, tout l'art de la + strat�gie classique est un jeu d'�quilibriste o� chacun s'efforce de + pallier ses points faibles et de gagner en sup�riorit�.
+Le g�n�ral Beaufre examine les solutions principales employ�es dans + le jeu de la strat�gie, il en d�nombre trois :
+Le paradigme de la guerre inter�tatique con�oit la puissance comme + synonyme de masse. Tout doit �tre massifi�, densifi�, les armes + comme les hommes. D�s l'Antiquit�, les arm�es se battaient en rangs + serr�s pour plus d'efficacit�, � la fois tactique, mais aussi + logistique (resserr� autour de son chef, le groupe entendait ses + ordres et agissait comme un seul homme avec une grande coh�rence). + Et ce fut donc naturellement que la guerre devint industrielle au + xixe si�cle, lors de la r�volution industrielle. Les armes sont + fabriqu�es en tr�s grand nombre, et leur m�canique est grandement + am�lior�e (mitrailleuse, canon ray�), parall�lement � leur + efficacit� sur le champ de bataille. De m�me, les moyens de + transports tels que le train et les navires � vapeur permirent la + massification des troupes en des temps records sur des th��tres + d'op�rations tr�s �loign�s. En 1904, la Russie transporta sur rail + une arm�e de plusieurs centaines de millier d'hommes sur 6500 + kilom�tres par del� les espaces perdus et d�mesur�s de Sib�rie, afin + de rencontrer les arm�es japonaises de Mandchourie.
+� La plan�te enti�re, au d�but du XXe si�cle �tait devenue + une seule entit� maill�e par les r�seaux de transports et de + transmissions, des chemins de fer, des navires � vapeur et des + t�l�graphes. Et � l'int�rieur de cette entit�, les structures + civiles et militaires de chaque nation sont devenues �troitement + interconnect�es. En temps de guerre, les chemins de fer seraient + r�quisitionn�s et les hommes mobilis�s. Les nations �taient + m�res pour les guerres mondiales � - G�n�ral Sir Rupert + Smith,L'utilit� de la force, Economica, p. 69, ISBN : + 978-2-7178-5366-7+
Nous avons vu ci-dessus que l'approche indirecte �tait parfois + pr�conis�e par des th�oriciens classiques, puisque le G�n�ral + Beaufre la citait parmi ses solutions pr�f�r�es, car elle a + l'avantage de d�router l'adversaire avec peu de moyens : � l'id�e + centrale de cette conception est de renverser le rapport des forces + oppos�es par une manoeuvre et non par le combat. Au lieu d'un + affrontement direct, on fait appel � un jeu plus subtil destin� � + compenser l'inf�riorit� o� l'on se trouve � . L'approche indirecte + �tait alors un outil subtil mis � disposition de la strat�gie + classique, mais � a trouv� son application en strat�gie totale sous + une forme diff�rente dans tous les conflits o� l'un des adversaire + [...] avait des moyens inf�rieurs � ceux qui pouvaient lui �tre + oppos�s. � Autrement dit, la strat�gie indirecte est l'arme du + pauvre, et celle pr�f�r�e par l'insurg�.
+La strat�gie classique fut th�oris�e � l'�re napol�onienne, puisque + que c'est l'empereur qui lui donna ses lettres de noblesse. Mais la + strat�gie de ce que le jargon militaire nomme les conflits de basse + intensit�, c'est-�-dire les conflits o� ne s'opposent pas deux + arm�es centralis�es et sym�triques, mais o� au moins un bellig�rant + (voire les deux) se constitue d'individus �manant directement de la + soci�t� civile menant plus une gu�rilla qu'une v�ritable guerre, vit + ses premi�res manifestations s�rieuses en Espagne en luttant + justement contre les troupes de l'Empire, entre 1808 et 1814. Le + peuple appelait �a la � petite guerre �, de guerra (nom pour guerre) + et illa (suffixe diminutif). On voit donc la gu�rilla, seule + solution des peuples face � la force classique, se d�velopper et + remporter des succ�s pr�cis�ment au moment o� cette derni�re montre + tout son prestige.
+Le g�n�ral Sir Rupert Smith dit � ce sujet :
+� [...] des groupes de combat, petits, mobiles et souples, + issus de la population, cach�s et soutenus par celle-ci, + s'ing�niaient � harceler les arm�es ennemies sup�rieures en + force, tout en �vitant toute confrontation sur une grande + �chelle. Par la poursuite de cette guerre, l'objectif politique + �tait de conserver l'identit� politique de la population, m�me + sous occupation, en soutenant sa volont� de continuer � + combattre et � r�sister.[...]Priv�es de la force du nombre, et + des armes pour s'opposer � une arm�e en campagne, les gu�rillas + pr�f�rent �viter les batailles rang�es. L'embuscade et le raid + repr�sentent leur modes de combats favoris. � - L'utilit� de la + force, p. 153+
Cette strat�gie est une r�ponse � la faiblesse tactique des + gu�rill�ros (peu d'hommes, peu d'entrainement, peu d'armes), et la + r�gle d'or jamais d�mentie de tout combattant insurg� vise � palier + cette faiblesse : toujours �viter de se trouver dans une position + dans laquelle l'ennemi pourrait nous forcer � combattre. Il convient + donc d'�viter d'occuper des infrastructures, des positions visibles, + ou m�me simplement du terrain (choses que convoite g�n�ralement une + arm�e classique) de fa�on � ne pas se trouver encercl� et de ne pas + avoir � lutter sur un front fixe � homme contre homme.
+L'imaginaire collectif consid�re encore aujourd'hui l'arme atomique + comme une menace pour la paix, mais si le risque de prolif�ration + nucl�aire vers des pays irresponsables et � craindre, il est + absolument n�cessaire de comprendre que dans toute l'histoire de la + guerre (dont les conflits furent de plus en plus terribles et + meurtriers au fur et � mesure de l'�volution des techniques de + combats), aucune strat�gie n'a autant oeuvr� pour la diplomatie et le + statu quo, et contre la violence, que la dissuasion nucl�aire. La + bien nomm�e Guerre Froide, qui avait tous les ingr�dients (situation + g�opolitique, d�testation mutuelle, rapport de force id�ologique...) + pour d�g�n�rer en conflit mondial, fut un exemple de guerre + impossible.
+Pour comprendre pourquoi l'apparition de l'arme nucl�aire a n�cessit� + l'invention d'une nouvelle approche strat�gique, il faut rappeler en + quoi elle d�truit le paradigme de la guerre classique :
+Du fait de cette double caract�ristique, l'arme atomique produit deux + ph�nom�nes enti�rement nouveaux :
+On d�nombre habituellement quatre types de protection possibles + contre ce danger sans pr�c�dant :
+Ces quatre directions furent exploit�es concurremment avec des + fortunes diverses et ont fini par se combiner dans des formules + strat�giques tr�s compliqu�es, mais on peut dire que celle qui + semble, et de loin, la plus dissuasive est sans conteste la + quatri�me (menace de riposte nucl�aire en cas d'offensive), � tel + point qu'on la nomme pr�cis�ment la dissuasion nucl�aire.
+Le principe de la dissuasion nucl�aire est fort simple : toute + agression trop directe envers une puissance nucl�aire expose + l'agresseur � une riposte cataclysmique et absolument insoutenable, + un pays non-nucl�aire ne peut donc en aucun cas s'attaquer + frontalement � une telle puissance. On nomme �galement �quilibre de + la terreur ou MAD en anglais (Mutually Assured Destruction ou � + Destruction mutuelle assur�e �) une situation plus pr�cise : lorsque + deux puissances sont nucl�aires, toute agression atomique de l'une + expose l'agresseur � une riposte destructrice d'une ampleur au moins + �quivalente, ainsi le d�clenchement des hostilit�s est a priori + impossible. Car le fait d'�tre agresseur ne prof�re aucun avantage + particulier comme ce pouvait �tre le cas dans la strat�gie + classique, �tre attaquant ou attaqu� signifie de toute fa�on la + destruction, d'o� l'exigence constante de garantir la paix.
+Et la solution la plus efficace trouv�e pendant la Guerre Froide pour + garantir la s�curit� du monde, fut justement, par le Trait� ABM (ABM + pour anti-missiles balistiques) sign� en 1972, de limiter non pas + les capacit� offensives de chacun des deux camps, mais de limiter + les capacit�s d�fensives. En effet, le meilleur gage de paix �tait + de pr�server � tout prix la destruction mutuelle assur�e, et ainsi + d'interdire l'utilisation g�n�ralis�e de ces nouvelles technologies + des ann�es soixante-dix des missiles intercepteurs. Ceci montre � + quel point la tr�s contre-intuitive dissuasion nucl�aire est l'une + des meilleures assurances imaginable pour s�curit� du monde, y + compris lorsque celui-ci �tait divis� par la confrontation + est-ouest.
+Pour paraphraser Paul Valery- la guerre est un conflit social opposant des + hommes qui ne se connaissent pas aux d�pens d'homme qui ne se connaissent + que trop bien sans jamais s'�tre vraiment battu.
+Les responsables des nations ont consid�r� depuis longtemps que l'�ventualit� + des guerres �tant fr�quente, il convenait de s'y pr�parer. La pr�paration de + ces guerres se fait le plus souvent par l'entra�nement d'une ou plusieurs + arm�es. Apr�s la deuxi�me guerre mondiale, les �tats ont cr�� l'ONU qui + d�veloppe par la coop�ration et la diplomatie des strat�gies de pr�paration + et de maintien de la paix (avec, l'aide de contingents de casques bleus + lorsque le stade du conflit arm� est atteint).
+Depuis l'histoire de la lib�ration de l'Inde, qui s'est termin�e au milieu du + XX si�cle, le Mahatma Gandhi a fait �cole aupr�s de certains courants + minoritaires qui r�fl�chissent � des moyens �non-violents� pour r�gler les + conflits entre nations. Ils cherchent � r�former les r�flexes ancestraux des + nations et des peuples vis-�-vis des guerres.
+John Foster Dulles, alors Ministre des Affaires �trang�res du Pr�sident + Eisenhower, a d�clar� qu'il y e�t deux moyens pour soumettre un pays, par la + force des armes et par le contr�le de son �conomie.
+Jacob Bronowski - math�maticien, philosophe et po�te r�fugi�s en Angleterre + et aux �tats-Unis durant les ann�es 1930-40 a estim� que la guerre �tait le + r�sultat de la conjonction d'une technologie appropri�e et de la logique du + pillage. L'agriculture avec la domestication des animaux et des plantes a + fait sortir l'humanit� de l'errance perp�tuelle. La domestication du cheval + s'ins�rerait alors dans cette logique du pillage, le cheval permettant � des + nomades de faire des razzias chez des cultivateurs fix�s � leurs terres, et + aux temps des semailles et des r�coltes et voler le fruit de leur travail. + La frayeur suscit� par ces cavaliers serait la source de la l�gende du � + centaure �. Une tradition de pillage et d'ailleurs de guerre par des + cavaliers a persist� en de nombreux lieux et �poques, en Afrique, Am�rique + et Asie.
+On peut m�me consid�rer que l'�tat de guerre est naturel, et que c'est la + paix qui r�sulte d'une construction, motiv�e par les plus grands gains d'un + mauvais compromis que de la plus grande victoire. La r�gulation et le + traitement de la guerre sont l'un des sujets majeurs pour les acteurs + politiques et religieux et depuis quelques ann�es par l'Organisation des + Nations unies et d'autres institutions internationales et des organisations + non gouvernementales.
+En 1933, � l'initiative de la Soci�t� des nations, Albert Einstein a + questionn� Sigmund Freud :"Pourquoi la guerre ?"11 et, au terme d'une longue + r�ponse, Freud conclut son courrier "Tout ce qui travaille au d�veloppement + de la culture travaille aussi contre la guerre".
+Des th�oriciens ont �mis l'hypoth�se que la guerre �tait aussi une n�cessit� + naturelle pour r�guler la population humaine. C'est une id�e qui semble + assez commun�ment partag�e, qui voudrait que malgr� son � intelligence � + l'humanit� ne saurait se r�guler autrement, mais cette th�orie est infirm�e + par au moins deux faits ;
+Dans Les silences du colonel Bramble Andr� Maurois voit la guerre comme + aussi in�vitable que les mouvements d'un dormeur dans son sommeil : + suite � un immobilisme prolong�, des parties du corps �prouvent des + soucis qui se cumulent avec le temps d'approvisionnement en ressources, + et la souffrance engendr�e d�clenche une tentative de retournement + brutale. Apr�s s'ensuit un nouveau calme, temporaire, � l'issue duquel + le cycle recommence.
+� Les guerres sont un ph�nom�ne barbare, profond�ment immoral, + r�actionnaire et contraire aux int�r�ts du peuple � - D�claration + devant le tribunal de Francfort, f�vrier 1914.+
Ils ont cherch� des moyens nouveaux moyens de r�solution non-violente des + conflits, s'appuyant notamment sur la pol�mologie et la signature et + ratification de trait�s de paix et de conventions internationales. Mais ces + outils restent fragiles.
+Les principes du d�veloppement durable visent par un partage des ressources, + en amont et plus solidairement, � att�nuer les tensions entre groupes. Ils + d�pendent cependant du bon vouloir et des possibilit�s qu'ont les pouvoirs + et les habitants � les appliquer.
+La convention de La Haye interdit l'incorporation dans les arm�es de la + population d'un territoire occup�. Le pouvoir nazi a donc fait usage + d'une ruse : � partir du 25 ao�t 1942, il a conf�r� la citoyennet� + allemande � un nombre croissant de Fran�ais d'Alsace et de Moselle � + commencer par les hommes (les Malgr�-nous).
+Le philosophe Hugo Grotius s'est pench� sur le sujet de la guerre juste et a + publi� le livre De jure belli ac pacis (Le droit de la guerre et de la paix) + qui explique que pour qu'une guerre soit juste, elle doit �tre en accord + avec les conditions suivantes:
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le terme hippie dont baba cool est, plus tard, devenu un synonyme, d�signe les femmes et les hommes qui, entre les ann�es 1965 et 1975, ont globalement rejet� le mode de vie traditionnel de leurs parents. Les hippies font partie d'un mouvement de contre-culture caract�ristique de cette d�cennie qui s'est poursuivi de mani�re moins radicale plus tard. Apparu au sein de la g�n�ration nombreuse du baby-boom de l'apr�s-guerre, ce mouvement eut un impact d'autant plus grand sur des soci�t�s occidentales auparavant vieillissantes.
+Le terme hippie trouverait son origine dans un vocable africain, hip, que certains pensent �tre un terme wolof (hipi signifiant � ouvrir ses yeux �), repris dans le mot hipster d�signant les amateurs de bebop des ann�es 1940.
+Une autre origine du terme parfois donn�e est une d�rivation de l'acronyme H.I.P., d�signant un quartier de San Francisco, le Haight-Ashbury Independant Property, occup� par les hippies.
+L'acronyme serait �galement un jeu de mot avec hype signifiant � d�contract�, branch�, dans le coup �. Comme le hipster, le hippie devait en effet �tre � cool �.
+Cependant, les hippies n'utilisaient pas ce terme pour se d�signer eux-m�mes, ils se disaient plut�t freaks ou heads voire acid heads (les monstres ou les t�tes).
+La premi�re occurrence du mot dans les m�dias semble �tre trouv�e dans un num�ro du Time de novembre 1964 �voquant l'usage de drogue d'un jeune homme de 20 ans qui avait fait scandale.
+M�me si le ph�nom�ne hippie na�t v�ritablement aux �tats-Unis au d�but des ann�es 1960, on en trouve les pr�mices au moins d�s le xixe si�cle.
+Le mouvement hippie est consid�r� par l'historien de l'anarchisme Ronald Creagh comme la derni�re r�surgence spectaculaire du socialisme utopique, qui se caract�rise par une volont� de transformation de la soci�t� non pas par une r�volution politique, ni sur une action r�formiste impuls�e par l'�tat, mais sur la cr�ation d'une contre-soci�t� socialiste au sein m�me du syst�me, en mettant en place des communaut�s id�ales plus ou moins libertaires. Cette filiation est revendiqu�e par certains d'entre eux, comme par exemple les Diggers de San-Francisco dont le nom est une r�f�rence � un collectif de squatteurs du xviie si�cle.
+Selon Patrick Rambaud, l'un des piliers d'Actuel, acteur et observateur du mouvement soixante-huitard fran�ais � Les communaut�s ne sont pas n�es dans les ann�es 1960 aux �tats-Unis en France et en 70 en France. �a existait au xixe si�cle avec Fourier, Cabet qui part en Floride fonder l'Icarie, et m�me les pirates du xvie si�cle ! � 7. Les liens sont parfois m�me structurels entre communaut�s socialistes utopiques et hippies � l'exemple de Joan Baez, qui aurait �t� �lev�e dans la Ferrer Colony de Stelton (New Jersey).
+En Allemagne �galement d�s 1896, la Lebensreform inspir�e du paganisme ancien, avec les wandervogel et les naturmensch, pr�c�dait les hippies de plusieurs d�cennies. Adolf Just ouvrit son premier centre en 1896 dans les montagnes du Harz et publia son livre best-seller �Retour � la nature �, qui devint le mod�le des � enfants de la nature � la m�me ann�e. Les images de l'�poque, si elles n'�taient pas en noir et blanc, pourraient donner l'impression d'avoir �t� prises dans une communaut� hippies des ann�es 1960 aux �tats-Unis. Un immigrant allemand, Bill Pester, s'installa en 1906 � Palm Canyon en Californie dans une hutte pour vivre un mode de vie en tout point identique � celui qui allait surgir au sein de la soci�t� am�ricaine soixante ans plus tard. Un autre allemand, Maximillian Sikinger, s'installa � Santa Monica Mountains � partir de 1935 pour inspirer les am�ricains � devenir des � Nature Boys � (naturmensch) et fut tr�s actif au sein du mouvement hippie des ann�es 1960.
+Les pr�curseurs directs dans les ann�es 1950 sont les beatniks, dont les figures embl�matiques telles que William Burroughs, Allen Ginsberg et Jack Kerouac furent des r�f�rences pour le mouvement hippie. Ils veulent vivre une �vasion hors de l'Am�rique post-nucl�aire et consommatrice bien-pensante, notamment sous l'influence du jazz et du mouvement surr�aliste dont les membres ont trouv� refuge � New York pendant la guerre. Ils m�nent une vie lib�r�e, faite de sexe, de musique et de d�placements constants : Sur la route �tait un livre embl�matique de cette qu�te, il le restera pour les hippies, bien que Kerouac se d�sint�ressa du mouvement. Allen Ginsberg par contre en resta proche, et inspira entre autres Bob Dylan.
+Aux �tats-Unis, les d�buts du mouvement se situent autour des ann�es 60 dans un contexte de contestation et de refus de l'ordre �tabli (les surf bohemians, sans constituer un mouvement v�ritable, ont d�j� toutes les caract�ristiques des hippies d�s le d�but des ann�es 1950) ; les manifestations contre la guerre du Vi�t Nam et les �meutes des Noirs dans les grandes villes am�ricaines f�d�rent une partie de la jeunesse. Mais cette g�n�ration, n�e juste apr�s la Seconde Guerre mondiale, refuse aussi le conformisme, la soumission au pouvoir et aux canons de l'art. Elle cherche � fuir la soci�t� de consommation en mettant en avant des valeurs �cologistes et �galitaires inspir�es des philosophies orientales et primitives.
+Beaucoup des aspirations hippies sont h�rit�es des �crivains de la Beat generation, �galement consid�r�s comme pr�curseurs du mouvement car eux aussi exprimaient une rupture avec la soci�t� de masse. A l'id�al d'une vie centr� sur la libert�, le sexe et la musique, les hippies ajoutent le psych�d�lisme et sa recherche de nouvelles perceptions par l'usage de drogues.
+Timothy Leary pr�ne la r�volution psych�d�lique par le LSD - � cette �poque encore l�gal - et en 1964 Ken Kesey fonde les Merry Pranksters avec qui il sillonne les �tats-Unis dans un bus d�cor� par leurs soins afin d'organiser des acid tests.
+La m�diatisation des Merry Pranksters entra�ne la naissance de communaut�s psych�d�liques comme Haight-Ashbury � San Francisco ou l'East Village � New York.
+� partir de 1965, de nombreux hippies commencent � s'installer � San Francisco, dans le quartier de Haight-Ashbury. Les diggers assurent l'intendance, en pratiquant entre autres la r�cup�ration des surplus de la ville, et distribuant gratuitement nourriture, soins et LSD. L'essor des communaut�s hippies inqui�te les autorit�s. La Californie interdit l'usage du LSD le 6 octobre 1966, rapidement suivie par le reste du pays. L'image populaire du LSD change et devient celle d'un produit dangereux.
+En 1967, de grands rassemblements ont lieu � Haight-Ashbury. D'abord, en janvier, le happening g�ant du Human Be-In rassembla des centaines de personnes venues lire de la po�sie, �tre ensemble et �couter de la musique. Au coucher du soleil, la foule se dirige vers la plage pour y passer la soir�e. Ce soir l�, la police profite de l'absence des habitants de Haight-Ashbury, pour arr�ter cinquante personnes, ce qui occasionna une p�riode de traque aux dealers de drogues douces.
+Des �tudiants des colleges et high schools commenc�rent � arriver � Haight-Ashbury durant leurs vacances de printemps 1967. Les dirigeants de la municipalit� �taient d�termin�s � arr�ter l'afflux de jeunes gens que leurs �coles avaient laiss� libres pour l'�t�, et, malgr� eux, attir�rent davantage l'attention sur l'�v�nement. Une s�rie d'articles d'actualit� dans les journaux locaux alerta les m�dias nationaux sur le mouvement hippie grandissant. Certains membres de la communaut� de Haight y r�pondirent en formant le Council of the Summer of Love, donnant � un mouvement cr�� par le bouche-�-oreille un nom officiel. Durant l'�t�, pas moins de 100 000 jeunes originaires du monde entier ont converg� dans le quartier d'Haight-Ashbury, � San Francisco, � Berkeley, et dans d'autres villes de la r�gion de San Francisco, pour se joindre � une version populaire de l'exp�rience hippie. L'�v�nement de l'�t� est le festival international de musique pop de Monterey qui rassemble 200 000 personnes et o� Jimmy Hendrix et The Who jouent pour la premi�re fois.
+Haight-Ashbury est alors victime de son succ�s : tandis que des hippies, de plus en plus jeunes, continuent d'affluer, les drogues dures y font leur apparition et les descentes de police se multiplient. Les hippies estimaient alors leur nombre � 300 000 dans tout le pays.
+En 1968, alors qu'aux �tats-Unis sous l'influence d'activistes comme Jerry Rubin et Abbie Hoffman une partie du mouvement hippie se radicalise et parle de r�volution, c'est en Europe qu'elle se concr�tise en actions.
+� cette �poque, le mouvement hippie est encore peu pr�sent en Europe continentale, o� il arrive par l'influence de sa musique. En France, les relais du courant hippie au d�but des ann�es 1960 �taient le magazine Rock & Folk ainsi que le Pop Club sur France Inter avec Patrice Blanc-Francard. Le magazine Actuel, la r�f�rence du mouvement en France, ne sera cr�� qu'en 1970.
+Cependant en France, aux Pays-Bas, comme dans de nombreux pays, les ann�es 60 virent �galement fleurir la contestation de l'ordre �tabli. D�s 1965, aux Pays-Bas, les provos d'Amsterdam pr�naient la circulation en v�lo. Ce mouvement de gauche invitait chacun � peindre son v�lo en blanc et � le laisser � la libre disposition des habitants, ou organise des manifestations lors du mariage de la reine Beatrix avec Claus von Amsberg, ancien membre des Jeunesses hitl�riennes. Souvent jug�s plus provocateurs, plus politis�s et militants que les hippies, ils sont parfois cr�dit�s des changements survenus � cette �poque en Europe.
+Pour Dany Cohn-Bendit, � sans les provos et l'exemple qu'ils ont donn� aux jeunes des autres pays, l'Europe d'aujourd'hui ne serait pas ce qu'elle est devenue. �22.
+Les paroles d'un jeune hippie fran�ais de ces ann�es-l� ne sont pas diff�rentes de celles d'outre-atlantique :
+� Ainsi vont les choses dans nos soci�t�s dites de consommation : pass�e l'adolescence, �ge irr�cup�rable mais dont on sait qu'il n'a qu'un temps, une certaine image de vous-m�me vous attend, tir�e d'ailleurs � plusieurs millions d'exemplaires ; elle vous guette d'autant plus t�t que votre famille ne dispose pas des ressources financi�res qui, quelques ann�es encore, vous garantiraient le droit � l'irresponsabilit�. Gare � vous si vous ne marchez pas ensuite. On vous culpabilisera d'abord ; quelques bonnes lois feront le reste. � - Pourquoi n'�tes-vous pas hippie?, de Bernard Plossu, p. 8+
Le mouvement est plus politis� qu'aux �tats-Unis, mais, m�me si des hippies furent bien pr�sents dans l'agitation de la Sorbonne, les �v�nements de mai 1968 en France sont issus de frustrations plus vastes.
+En ao�t 1969 eut lieu le festival de Woodstock, un festival de musique et un rassemblement embl�matique de la culture hippie. Il eut lieu � Bethel sur les terres du fermier Max Yasgur aux �tats-Unis, � une soixantaine de kilom�tres de Woodstock dans l'�tat de New York.
+Organis� pour se d�rouler du 15 au 17 ao�t 1969, et accueillir 50 000 spectateurs, il en accueillit finalement plus de 450 000, et se poursuivit un jour de plus, soit jusqu'au 18 ao�t 1969 au matin.
+Le festival accueillit les concerts de 32 groupes et solistes de musiques folk, rock, soul et blues. C'est un des plus grands moments de l'histoire de la musique populaire et a �t� class� parmi les � 50 Moments qui ont chang� l'histoire du Rock and Roll 23. �
+Contrairement aux �tats-Unis et l'Angleterre, les grands festivals rocks n'ont pas eu en France le m�me caract�re rassembleur. En 1967, le premier spectacle psych�d�lique � Paris, � la fen�tre rose �, n'attire encore que peu de monde. Le premier festival, refus� par plusieurs municipalit�s fran�aises, aura finalement lieu � Amougies, en Belgique, fin 1969. En 1971, un festival gratuit est organis� � Auvers-sur-Oise, mais s'il ressemble bien � celui de Woodstock � cause de la pluie et de la boue, il est finalement annul� dans la nuit � cause de divers probl�mes techniques alors que 20 000 personnes sont rassembl�es. Seul le festival de l'�le de Wight eut une ampleur comparable.
+� partir de 1968, les jeunes europ�ens prennent �galement la route, d'abord vers Ibiza, et vers Amsterdam qui devient la capitale europ�enne des hippies. C'est l� que Yoko Ono et John Lennon organisent en 1969 le premier � Bed-in for Peace �.
+Le Larzac, autre lieu de pr�dilection du mouvement, rassembla 60 000 personnes en ao�t 1973 dont une grande proportion de hippies pour une manifestation intitul�e � ouvriers et paysans, m�me combat �.
+Jack Weinberg, leader du � Free Speech Movement � dans les ann�es 1960, �tait l'auteur de la c�l�bre phrase � Ne faites pas confiance � quelqu'un de plus de trente ans � qui traduisait sans �quivoque la volont� de se distinguer de la g�n�ration pr�c�dente.
+Les hippies n'avaient pas le d�sir de contr�ler la soci�t�, contrairement aux r�bellions des g�n�rations pr�c�dentes, comme les wobblies ou les activistes de la nouvelle gauche. Bien que tr�s critiques, ils ne proposaient pas d'alternative � la soci�t�, le mot d'ordre �tait plut�t � faites ce que vous voulez faire et ne vous pr�occupez pas de ce que les autres en pensent � (� do your own thing and never mind what everyone else thinks �).
+Selon Chuck Hollander, expert en drogues pour la National Student Association au d�but des ann�es 1960
+� S'il existait un code hippie, on pourrait le pr�senter ainsi : faites ce que vous avez envie de faire, o� vous le voulez et quand vous le voulez. L�chez la soci�t� que vous avez connue. Explosez l'esprit de toutes les personnes rigides que vous rencontrez, branchez-les, sinon par la drogue, au moins par la beaut�, l'amour, l'honn�tet� et la rigolade �+
De mani�re g�n�rale, les hippies contestaient le mat�rialisme et le consum�risme des soci�t�s industrielles, et tout ce qui y �tait li�. Ils rejetaient en particulier les valeurs associ�es au travail et � la r�ussite professionnelle, ainsi que le primat des biens technologiques au d�triment des biens naturels. Ils aspiraient � une sorte de fraternit� universelle pour laquelle ils esp�raient trouver id�es et techniques dans des soci�t�s traditionnelles. Ce complexe id�ologique, essentiellement constitu� en une praxis, n'a pas r�ellement �t� th�oris� ; jamais non plus il n'a fait l'objet d'une homog�n�it� pratique parmi celles et ceux qui se reconnaissaient pourtant comme hippies.
+Les hippies remettaient en cause l'id�e d'autorit�, d'abord l'autorit� parentale, et tout ce qui en d�coulait : toute domination de l'un sur l'autre. Cherchant � �tablir d'autres rapports avec leurs propres enfants, les hippies adopt�rent les p�dagogies anti-autoritaires; dans les communaut�s naquirent des � �coles sauvages � ou � �coles parall�les �, et le livre Libres enfants de Summerhill traduit en fran�ais en 1971 fut un succ�s pendant toute la d�cennie.
+Ils refusaient aussi les fronti�res et la violence en g�n�ral; le mot � pigs � (porcs) �tait r�guli�rement utilis� � l'encontre des forces de l'ordre.
+Les Yippies sont des repr�sentants notoires de cette prise de position. Un de leurs fondateurs, Jerry Rubin, initiateur des manifestations contre la guerre du Vietnam, fut arr�t� et condamn� pour conspiration et incitation � l'�meute, il �crivit en particulier Do it! sc�narios de la r�volution. Per�us comme des � hippies avec des fusils �, ils �taient aux �tats-Unis la frange la plus radicale du mouvement.
+Peace and love, � paix et amour �, est l'expression du pacifisme hippie des ann�es 1960. Un autre slogan, issu de la guerre du Vi�t Nam, Make Love, not War, � faites l'amour, pas la guerre � a �t� repris par le courant hippie pour les m�mes raisons ; l'expression appara�t en 1974 dans la chanson Mind Games de John Lennon.
+Flower Power, � le pouvoir des fleurs �, est une autre expression pacifique qui trouve son origine dans le Summer of Love de 1967 � San Francisco. Consigne �tait alors donn�e de � porter des fleurs dans les cheveux �, comme l'illustre la chanson de Scott McKenzie San Francisco (Be Sure to Wear Flowers in Your Hair). Les hippies furent d�s lors commun�ment appel�s flower children, � enfants-fleurs �. L'ensemble de ces expressions cherchaient � traduire une opposition � la guerre et � la violence en g�n�ral, sans pour autant que les revendications soient toujours plus �labor�es ou v�ritablement th�oris�es.
+Apr�s les premi�res manifestions pacifiques contre la pollution en 1968 � San Francisco, et leur r�pression, de nombreux hippies rejoignirent des communaut�s rurales, et ce retour � la terre am�ne l'id�e d'un plus grand respect de la plan�te incluant produits bios, utilisation d'�nergies renouvelables et recyclage.
+Selon Timothy Leary �galement, les hippies sont � l'origine du mouvement �cologique dans le monde. L'hypoth�se Ga�a a �t� en effet formul�e par James Lovelock � cette p�riode o� les premi�res craintes pour l'environnement commen�aient � s'exprimer.
+La libert� sexuelle fait partie int�grante de l'id�ologie hippie. Elle pr�ne la l�galisation de la pilule contraceptive et le droit universel � l'avortement, ce qui va � l'encontre, aux Etats-Unis, de l'id�ologie conservatrice am�ricaine des autorit�s religieuses en majorit� chr�tiennes. Les hippies vivent alors en communaut� et ont des pratiques sexuelles diverses s'inspirant parfois du Kama sutra. Le mot d'ordre �tait � Free Love � (voir amour libre). Un rassemblement de 100 000 personnes � San Francisco en 1967 s'est appel� le � Summer of Love �. Il est g�n�ralement consid�r� que c'est au retour de ce rassemblement que les valeurs et le mode de vie du mouvement hippie ont commenc� � vraiment se diffuser.
+Selon Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Delannoy, � les communaut�s sont l'expression par excellence du movement : son infrastructure, l'ancrage social sans lequel il aurait vite �t� r�duit � une simple mode aussi extravagante qu'�ph�m�re. Les communaut�s sont sa signature au bas de l'histoire du XXe si�cle. �. Elles se comptait par milliers aux �tats-Unis vers 1969, au point que dans les Rocheuses les hippies furent pr�s d'�lire un des leurs comme sh�rif. En France, on en d�nombrait environ 500 au d�but des ann�es 1970.
+Il n'y eut pas d'unit� d'organisation entre ces communaut�s; les unes �taient des communaut�s urbaines, d'autres tent�rent de vivre d'agriculture et d'�levage et certaines n'�taient que des lieux de passage. Confront�es aux probl�mes de subsistance, et aux difficult�s de la vie en commun en r�inventant de nouvelles relations, la plupart eurent une dur�e d'existence assez br�ve.
+La plus vaste exp�rience europ�enne fut celle de la commune libre de Christiania (Danemark), Copenhague; cr��e en septembre 1971, elle existe encore en 2009. Au d�but du xxie si�cle, il existait encore une quarantaine de communaut�s hippies en Allemagne. En France, il n'en resterait qu'une � Charleval en Normandie.
+Les hippies recherch�rent un sens � la vie dans des spiritualit�s qu'ils jugeaient plus authentiques que les pratiques religieuses dont ils avaient h�rit�, s'aidant parfois de substances psychotropes. Le livre Les Portes de la perception (The Doors of Perception) d'Aldous Huxley (1954) fut une inspiration pour beaucoup (il a, entre autres, inspir� le nom du groupe The Doors).
+� Aujourd'hui, apr�s deux guerres mondiales et trois r�volutions majeures, nous savons qu'il n'y a pas de corr�lation n�cessaire entre la technologie plus avanc�e et la morale plus avanc�e. � - Aldous Huxley, Les Portes de la perception+
Selon certains t�moins de l'�poque, c'est au moment du Summer of Love de 1967 que furent fond�s les pr�mices du New Age. Les hippies avaient commenc� � explorer les traditions orientales, le bouddhisme, l'hindouisme et le taoisme et certains ouvrages populaires tentaient d'en faire une analyse syncr�tique � libre �, une mani�re d'aborder la spiritualit� qui allait devenir la marque du New Age.
+Les hippies trouvaient leur inspiration spirituelle chez des personnalit�s comme Gautama Bouddha qui, incarnant la n�gation du monde mat�rialiste en tant que seule voie possible d'atteindre le bonheur permanent, avait tourn� le dos au roi, son p�re, et voyageait comme un mendiant, Fran�ois d'Assise, qui abandonna �galement une famille riche pour vivre dans la pauvret� et dans la nature, et bien s�r le Christ (� a groovy cat � selon l'expression consacr�e), ainsi que Gandhi, Aldous Huxley et Tolkien.
+�l�ve d'Alan Watts, introducteur de la pens�e orientale � San Francisco, Gary Snyder, rejoint par Jack Kerouac puis plus tard par Allen Ginsberg, �galement vont populariser la pratique de la m�ditation, et plus g�n�ralement du Tao et du Bouddhisme Zen.
+Le LSD (ou � acide �) fut d�couvert en 1943 par Albert Hofmann dans le laboratoire suisse Sandoz mais sera d�clar� ill�gal aux �tats-Unis le 6 octobre 1966, ainsi que par l'ONU comme stup�fiant dans une convention de 1971. Jusqu'� cette interdiction sur le sol am�ricain, la firme Sandoz met le LSD � disposition des chercheurs sous la forme d'une pr�paration appel�e delysid. Le LSD appara�t d'abord comme prometteur dans le traitement de certaines maladies psychiatriques. Puis, il est popularis� comme �tant un traitement dit miraculeux par les m�dias � partir du milieu des ann�es 1950. Dans les ann�es 1960, il devient un ingr�dient du courant hippie.
+L'esth�tique psych�d�lique peut �tre assimil�e aux visions provoqu�es par le LSD qui provoque, en somme, une d�formation de la vision et entra�ne dans un �tat r�veur o� r�alit� et r�ve sont confondus. Le psychologue Timothy Leary, le chimiste Augustus Owsley Stanley III et le romancier Ken Kesey ont parmi d'autres encourag� la consommation de LSD. � cette �poque, � l'acide � a notamment �t� distribu� gratuitement lors des acid tests des Merry Pranksters. L'�crivain William S. Burroughs est consid�r� comme l'un des th�oriciens de la pratique junkie li�e � la mentalit� hippie. Dans Junky, il explique en quoi la drogue est une philosophie qui m�ne � ouvrir les portes de la perception et � d�couvrir l'� �quation de la came �. Le point culminant de l'usage du LSD aux �tats-Unis fut atteint � l'�t� 1967, au cours du Summer of Love (� �t� de l'amour �), qui vit des milliers de hippies se regrouper � Haight-Ashbury, un quartier de San Francisco. Dans le Golden Gate Park, � proximit� de Haight Ashbury, des grandes r�unions ou � love-in � (ou � be-in � �galement) et des concerts gratuits �taient organis�s par des groupes comme Grateful Dead, Jefferson Airplane ou Country Joe and the Fish.
+Il est possible de rattacher de nombreux courants artistiques � la consommation de psychotropes, aussi bien en musique (rock psych�d�lique, acid rock) que dans le dessin et la mode.
+Outre le LSD, le cannabis �tait aussi massivement consomm� par les hippies, en particulier sous sa forme la plus r�pandue, la Marijuana (qu'ils appelaient maryjane ou th�).
+Pour les hippies, le but de cette consommation de psychotropes est pr�sent� comme une volont� d'ouverture d'esprit et d'abolition des fronti�res mentales. Une �tude des ann�es 1960 de l'Universit� de Californie du Sud avait d�gag� trois tendances dans la communaut� hippie de l'�poque : Les � groovers � (les f�tards), qui prenaient du LSD pour faire la f�te et trouver des partenaires, les � mind trippers � (les touristes de l'esprit), qui portent des v�tements � fleurs et cherchent une th�rapie, et les � cosmic conscious � (les mystiques), � planant �, dont la consommation de drogue � est par nature eucharistique �.
+� La route des hippies � (Hippie trail) est une expression utilis�e pour �voquer les voyages entrepris par cette g�n�ration des ann�es 1960, principalement vers l'Europe et l'Asie. Le voyage se faisait fr�quemment par bus ou en auto-stop, les �tapes oblig�es �taient Amsterdam, Londres et les destinations Goa (Inde), Katmandou (N�pal) mais aussi la Turquie et l'Iran. Un des objectifs d�clar�s de ces voyages �tait la � qu�te de soi � ou � la recherche de Dieu � mais �galement la recherche de toutes nouvelles exp�riences. Des ouvrages comme sur la route de Jack Kerouac, ouvrage fondateur de la Beat Generation ont contribu� au mythe de � la route �45.
+En partie par r�bellion contre les usages, le hippie portait les cheveux longs, pour les hommes comme pour les femmes. Ces derni�res les portant g�n�ralement d�faits, sans aucun appr�t. La libert� du corps (Body freedom) est compl�mentaire � la libert� de l'esprit qu'il pr�conise. Les relations sexuelles lib�r�es, le naturisme sont des valeurs qui sont mises en avant dans son mode de vie.
+Les v�tements, aux couleurs vives, se voulaient choquants pour une �poque o� les tenues �taient assez uniformis�es et sombres. Leurs pantalons �taient � � pattes d'�l�phants �, style lanc� par les hippies californiens et l'influence de l'Orient leur avait donn� le go�t des sandales, des tuniques indiennes avec des motifs tr�s fleuris et color�s, des gilets afghans et du patchouli. Ils portaient de petites lunettes rondes, des bandeaux dans les cheveux, des colliers et des bracelets de perles. Ils pouvaient tout aussi bien �tre nus quand la situation le permettait. Le blue-jeans est �galement un v�tement embl�matique de la g�n�ration hippie, il est souvent port� peint, brod�, cousu, couvert de coquillages, de strass, de bijoux, de fleurs, et toujours avec les pattes d'�l�phant. � la fin des ann�es 70, de nombreux aspects vestimentaires hippies seront r�cup�r�s par la mode disco, adapt�s sous une forme plus urbaine. Par la suite, le port du pantalon en jeans est probablement le seul attribut vestimentaire hippie � avoir r�sist� au temps et aux diverses modes qui se sont succ�d�, puisqu'il est toujours rest� tr�s pr�sent depuis 40 ans.
+La musique est un �l�ment capital et f�d�rateur des hippies. Le ph�nom�ne hippie s�cr�te une esth�tique compl�te, musicale d'abord (Grateful Dead, Jimi Hendrix, The Doors, Pink Floyd, Crosby, Stills & Nash (and Young), Jefferson Airplane, Gong...) avec les premiers festivals, Monterey en 1967, Woodstock en 1969, l'�le de Wight en 1970, qui rassemblent des centaines de milliers de spectateurs ; mais aussi picturale, th��trale, etc. Une nouvelle g�n�ration de chanteurs appara�t, dont Bob Dylan, repr�sentant un nouveau genre musical : la protest song.
+Les hippies appr�cient la country, folk (Bob Dylan) ou le rock psych�d�lique (Janis Joplin), mais ils trouvent aussi leur inspiration beaucoup plus loin avec notamment Ravi Shankar, joueur de sitar indien qui participa au festival de Monterey. Ces s�lections musicales repr�sentent bien le mouvement par une volont� d'ouverture aux diff�rentes cultures et d'affranchissement des r�gles en vigueur.
+La r�volte contre l'ordre �tabli eut des cons�quences sur le mouvement hippie. Outre les poursuites pour usages ou possessions de drogues, des condamnations pour outrage aux moeurs r�pondirent � leurs provocations en ce domaine. Les communaut�s connurent diverses tracasseries, qu'elles soient ou non des squats.
+La � soci�t� de consommation � tant d�cri�e des hippies s'accommoda par contre fort bien de ce mouvement qu'elle ne voulut voir que comme un effet de mode. Les productions d�crivant les hippies furent des succ�s commerciaux, comme la com�die musicale Hair ou, pour les livres, L'antivoyage de Muriel Cerf. Le film du festival de Woodstock fut pr�sent� � Cannes, et les idoles pop connurent la gloire � Hollywood.
+Apr�s avoir moqu� les � Cheveux longs, id�es courtes � Johnny Halliday lui m�me s'afficha un temps en look hippie pour chanter J�sus Christ est un hippie.
+ +Le concert gratuit des Rolling Stones � Altamont en d�cembre 1969, qui se voulait un second Woodstock, rassembla 300 000 personnes � l'est de San Francisco. Mais plusieurs d�c�s lors de cet �v�nement, dont celui de Meredith Hunter, un jeune homme de 18 ans qui fut poignard� par un membre du service d'ordre constitu� de Hell's Angels (car il avait point� un revolver en direction de Mick Jagger), ainsi que l'adoption du style hippie par des personnalit�s comme Charles Manson et sa famille, condamn�s pour meurtres (dont celui de Sharon Tate) dans la r�gion de Los Angeles, port�rent un coup fatal au Peace and Love du mouvement. L'Am�rique choqu�e et une bonne partie des hippies eux-m�mes commenc�rent � prendre des distances sans pour autant que le mouvement disparaisse tout � fait.
+Le passage aux � drogues dures � et la mort de Jimi Hendrix, de Jim Morrison et de Janis Joplin, entre autres, � la suite d'abus d'alcool, de m�dicaments ou par overdose contribua grandement � l'impression de chute. Neil Young �crivit The Needle and the Damage Done (� l'aiguille et les dommages caus�s �) pour �voquer tardivement le probl�me.
+Avec la fin de la guerre du Vietnam, les m�dias perdirent leur int�r�t pour les hippies. Avec l'arriv�e du heavy metal, du disco et du punk, les hippies commenc�rent m�me � appara�tre ridicules.
+La plupart des hippies finirent par abandonner leur envie de r�g�n�rer le � vieux monde � et se rang�rent d�s la fin des ann�es 1970 et le courant des ann�es 1980. La trentaine venue, ils trouvent du travail, fondent une famille et s'int�grent dans la soci�t� de consommation qu'ils d�non�aient auparavant. Une �tude am�ricaine estimait que 40% des hippies californiens s'�taient rang�s, moins de 30% restant � en marge �. Jerry Rubin, devenu un des premiers actionnaires d'Apple, d�clarait en 1985 : � Non, je ne lutte plus contre l'�tat. Ce n'est plus la peine, ce n'est plus le bon combat .../... La meilleure, la seule fa�on aujourd'hui de combattre l'�tat, c'est de le remplacer. Et nous sommes assez nombreux pour le faire. �22.
+Dans les arts, la musique et le pop-art marqu�rent les esprits. Le slogan Flower Power (� pouvoir des fleurs �) �tait le symbole de la non-violence. La g�n�ration hippie a r�volutionn� la musique, l'art et a ouvert la voie � l'�cologie, � l'action humanitaire, au pacifisme, � la lib�ration sexuelle, au f�minisme, entre autres, lesquels sont autant de symboles d'une r�volution de la culture et des moeurs, aujourd'hui compl�tement int�gr�s dans les soci�t�s occidentales, sans que celles-ci aient forc�ment conscience de leurs origines hippies. Au d�but des ann�es 1990, la rencontre entre les derniers hippies de Goa et les disc-jokey internationaux, fans de musiques �lectroniques et issus, en partie, de la vague Acid house, a donn� naissance � la Trance-Goa ou trance psych�d�lique (psytrance), r�guli�rement jou�e depuis en rave party.
+Les hippies sont � l'origine de divers changements dans les moeurs occidentales, le principal concernant la sexualit�. En plus de la libert� exprim�e dans les relations amoureuses, les premiers sex-shop vendant divers jouets sexuels (Good Vibrations � San Francisco �tait le premier) et la diffusion des films pornographiques et leurs projections en salle de cin�ma sont apparues au sein de la communaut� hippie. Ils all�rent jusqu'� demander la l�galisation de la prostitution � une �poque o� la masturbation �tait publiquement condamn�e et o� personne n'aurait jamais ouvertement fait la promotion du plaisir. L'amour n'est plus honteux, et l'homosexualit� n'est plus un tabou; c'est � cette �poque que la premi�re Gay Pride � lieu � New York, et San Francisco demeurera la capitale des deux tendances.
+Le � mouvement hippie �, bien que peu structur�, portait en lui les germes d'un renouvellement inventif de la culture et du mode de vie des ann�es d'apr�s-guerre qui, par la r�ussite m�me de ses buts mat�rialistes, arrivait � un essoufflement particuli�rement perceptible par la jeunesse. Dans diff�rents domaines, des id�es nouvelles per�aient : l'autogestion, l'�cologie et le rejet des religions traditionnelles.
+Il est difficile de d�terminer pr�cis�ment quelle influence peut �tre exclusivement attribu�e aux hippies, mais ils sont, entre autres, cr�dit�s de divers apports, dont l'� auto-stop �, une mode vestimentaire encore en vogue au xxie si�cle, les communaut�s �cologiques et leurs propositions, la promotion d'un usage � r�cr�atif � de drogues, les coop�ratives etc.
+La r�volution hippie s'est rapidement �teinte malgr� le choc salutaire qu'elle apporta � la soci�t� de l'�poque. Selon certaines analyses, elle a souffert principalement du manque de discernement dans l'attaque des institutions qui �taient toutes mises dans le m�me panier. En se coupant de possibles ressources, � cause de ce qui pouvait �tre per�u comme de la parano�a, elle ne pouvait que dispara�tre. La pr�dominance des drogues dans la culture et les communaut�s hippies ainsi que les d�c�s qui en ont r�sult� ont terni l'id�al des premiers temps. L'explosion de libert� s'est faite au d�triment d'un projet structur� dont l'absence a fini par provoquer la dissolution du mouvement.
+Le s�nateur de New-York, Robert Kennedy, pr�sentait en 1967 la revendication hippie de cette mani�re : � Ils veulent �tre reconnus comme des individus dans une soci�t� o� l'individu joue un r�le de moins en moins important. Voil� une combinaison difficile �. Cet individualisme est pourtant pass� dans les moeurs et l'arriv�e du n�o lib�ralisme aurait pour certains r�cup�r�, en les d�naturant, les valeurs hippies.
+Contenu soumis � la GFDL
exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
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ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
Pour Fernand Braudel (la Dynamique du capitalisme, 1985), le capitalisme est une � civilisation � aux racines anciennes, ayant d�j� connu des heures prestigieuses, telles celles des grandes cit�s-�tats marchandes : Venise, Anvers, G�nes, Amsterdam, etc. mais donc les activit�s restent minoritaires jusqu'au XVIIIe si�cle. Werner Sombart (Le capitalisme moderne, 1902) date quant � lui l'�mergence de la civilisation bourgeoise et de l'esprit d'entreprise du XIVe si�cle, � Florence.
+Comme le montre Braudel, on trouve d�s le Moyen �ge des premi�res manifestations du capitalisme commercial en Italie et aux Pays-Bas. Le commerce maritime avec l'Orient, suite aux croisades, a enrichi les cit�s italiennes, tandis que les Pays-Bas, � l'embouchure du Rhin, font le lien entre l'Italie et l'Europe du Nord domin�e par la ligue hans�atique. Dans les grandes cit�s, les marchands de draps et de soieries adoptent des m�thodes de gestion capitalistes. Ils effectuent des ventes en gros, �tablissent des comptoirs et vendent leurs produits dans l'ensemble des grandes foires europ�ennes. Ils se fournissent en mati�res premi�res aussi bien en Europe qu'au Levant. Dans cette �poque troubl�e du Moyen �ge, ils r�glent leurs paiements par lettres de changes, moins dangereuses que le transport de m�taux pr�cieux. C'est donc logiquement que se d�veloppent, en parall�le du capitalisme commercial, les premi�res activit�s bancaires du capitalisme financier : d�p�ts, pr�ts sur gage, lettre de change, assurance pour les navires.
+Ces capitalistes s'enrichissent si bien qu'ils �tendent leur emprise �conomique sur l'ensemble de l'Occident chr�tien, cr�ant ainsi ce que Braudel appelle une � �conomie-monde �. Dans son analyse, Braudel distingue l'� �conomie de march� � du capitalisme, ce dernier constituant une sorte de � contre-march� �. Selon lui, l'�conomie de march� (c'est � dire l'�conomie locale � cette �poque) est domin�e par les r�gles et les �changes loyaux, parce que soumise � la concurrence et � une relative transparence, le capitalisme tente de la fuir dans le commerce lointain afin de s'affranchir des r�gles et de d�velopper des �changes in�gaux comme nouvelles sources d'enrichissement.
+On peut remarquer que d�s l'Antiquit�, des syst�mes identiques avaient �t�s mis en place par les Ph�niciens, les Grecs, les Carthaginois, les Romains. Ces syst�mes �taient toutefois davantage marqu�s par l'imp�rialisme et l'esclavagisme que par le capitalisme. � travers le monde, d'autres formes de capitalisme commercial se d�veloppent de mani�re pr�coce � l'�poque f�odale (sous la dynastie Ming en Chine par exemple).
+Dans les grandes villes sp�cialis�es d'Europe, l'artisanat, tourn� essentiellement vers l'exportation, est domin� par les grands n�gociants et drapiers, si bien que les rapports �conomiques entre artisans et marchands s'apparentent � du salariat. Les n�gociants contr�lent � la fois l'apport de mati�res premi�res en amont et la vente des produits finis en aval.
+La population urbaine se diff�rencie d�j� en plusieurs classes �conomiques distinctes, riches pour certaines, pauvres pour d'autres. La ville de Florence en est le parfait exemple : on y trouve tr�s t�t des banquiers qui d�veloppent des succursales � travers l'Europe et asservissent l'industrie � leur recherche du profit. Parmi eux de grandes familles, telle celle des M�dicis, cr�ent les premiers rapports � privil�gi�s � entre le monde des affaires et le monde politique
+Selon Fernand Braudel, l'apparition des premi�res bourses remonte au XIVe si�cle dans ces cit�s italiennes o� le commerce est permanent (contrairement aux foires m�di�vales se d�roulant sur des p�riodes restreintes) et o� se concentrent l'essentiel des activit�s financi�res.
+C'est toutefois la cr�ation en 1409 de la bourse de Bruges, un h�tel d�di� � l'�change de marchandises, lettres de change et effets de commerce, qui marque un tournant dans le d�veloppement des activit�s financi�res. La place s'impose rapidement gr�ce � l'ouverture de son port, � la renomm�e de ses foires commerciales et au climat de tol�rance et de libert� dont profitent marchands et investisseurs de toutes origines. Ce sont ces m�mes atouts qui permettront ensuite � la place d'Anvers (cr��e en 1460) de se d�velopper au d�but de la Renaissance. On pouvait lire � son fronton : Ad usum mercatorum cujusque gentis ac linguae (� � l'usage des marchands de tous les pays et de toutes les langues �).
+Max Weber (dans l'�thique protestante et l'esprit du capitalisme en 1905) consid�re que l'�mergence du capitalisme moderne date de la R�forme. Sur la base d'un constat sociologique, il lie l'esprit du capitalisme moderne � la mentalit� protestante et le voit donc comme le r�sultat d'une �volution lente issue de la R�forme, et plus g�n�ralement de l'�volution religieuse se faisant dans le sens d'un � d�senchantement du monde �. On remarque d'ailleurs que des formes sporadiques de capitalisme financier avaient �t� d�velopp�es depuis bien longtemps par les Lombards et les juifs, non soumis aux contraintes religieuses du catholicisme. C'est d'ailleurs � ces derniers que Werner Sombart (le Capitalisme moderne) attribuera la gen�se du capitalisme moderne.
+Selon Weber, le capitalisme occidental correspond � l'apparition d'un esprit nouveau, d'une r�volution culturelle. Weber emploi alors le terme capitalisme moderne � pour caract�riser la recherche rationnelle et syst�matique du profit par l'exercice d'une profession. � Plus que la richesse, dont le d�sir n'est pas nouveau, c'est l'esprit d'accumulation qui s'impose comme vecteur d'ascension sociale.
+Cette nouvelle �thique se diffuse gr�ce � l'�mergence de nouvelles valeurs : l'�pargne, la discipline, la conscience professionnelle. Cette derni�re permet par exemple l'apparition d'une �lite ouvri�re qui, au-del� du salaire, se soucie de la qualit� de son oeuvre. Le travail devient une fin en soi. En parall�le �merge un personnage embl�matique, l'entrepreneur, qui recherche une r�ussite professionnelle profitable � la soci�t� dans son ensemble.
+Le contexte favorable � cette �volution des valeurs est celui de la R�forme. Pour Max Weber, l'�thique du m�tier vient du luth�ranisme qui encourage chaque croyant � suivre sa vocation, et qui fait de la r�ussite professionnelle un signe d'�lection divine. En effet, les croyants ordinaires, sachant qu'ils n'ont pas la ma�trise de leur salut (logique de la pr�destination), tentent ardemment de trouver dans leur vie priv�e des signes de cette pr�destination, telle la r�ussite professionnelle, afin d'att�nuer leur angoisse vis-�-vis de la mort et du jugement qui la suit. Par ailleurs le rapport direct � dieu pr�n� par la religion protestante acc�l�re le processus de � d�senchantement du monde � (en supprimant nombre de pratiques religieuses par exemple), ce qui concourt � l'�mergence de la rationalit�. D�j�, Karl Marx avait remarqu� un processus de d�mystification en �crivant :
+� La bourgeoisie (...) a noy� les frissons sacr�s de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalit� � quatre sous dans les eaux glac�s du calcul �go�ste. �(Manifeste du Parti Communiste, 1848).
+Cette rationalisation permet l'apparition de nouveaux dogmes qui fondent l'esprit du capitalisme :
+� La r�pugnance au travail est le sympt�me de l'absence de gr�ce. �,� Le temps est pr�cieux, infiniment car chaque heure perdue est soustraite au travail qui concourt � la gloire de Dieu. �(Max Weber, l'�thique protestante et l'esprit du capitalisme).
+Max Weber illustre ses propos d'un texte de Benjamin Franklin, r�v�lateur selon lui des nouvelles mentalit�s :
+� Celui qui perd cinq shillings perd non seulement cette somme, mais aussi tout ce qu'il aurait pu gagner en l'utilisant dans les affaires, ce qui constituera une somme d'argent consid�rable, au fur et � mesure que l'homme jeune prendra de l'�ge. �Advice to a young tradesman, 1748
+Les th�ses de Weber ont �t� tr�s critiqu�es. Le lien entre le dogme de la pr�destination et l'esprit du capitalisme est tr�s paradoxal, vu qu'il revient pour un fid�le a rechercher des signes d'�lection tandis que le dogme affirme la pr�destination comme de toute mani�re imp�n�trable. Des historiens infirment quant � eux la concomitance des deux ph�nom�nes (Braudel par exemple, qui date le capitalisme d'une p�riode ant�rieure � la R�forme).
+D'apr�s Lewis Mumford (Techniques et civilisations, 1950), le syst�me technique de la Renaissance annonce le futur �conomique du monde occidental.
+Le XVe si�cle vit par exemple la mise au point de l'imprimerie � caract�res mobiles (la � typographie �) par Gutenberg. Soucieux de pr�server autant qu'il se peut les secrets de ses recherches, contraints � des emprunts mon�taires importants, il est en quelque sorte l'arch�type des futurs capitalistes. Son objectif est de r�pondre � une demande insatisfaite : la demande de culture des esprits de moins en moins analphab�tes de la Renaissance. Au besoin de publications � grande �chelle de livres majeurs va rapidement suivre la demande d'une production plus diversifi�e. La diffusion de Bibles � usage personnel contribue � l'essor de la R�forme, tandis que celle-ci accro�t en retour la demande. En partie permise par les progr�s de la m�tallurgie, la typographie lui fournit en retour des d�bouch�s. Int�r�t pour la m�canique, pr�mices de � standardisation �, productions de grandes s�ries, soucis de la � productivit� � et esprit d'innovation? S'il faudra bien attendre des avanc�es similaires dans l'industrie textile pour conna�tre le d�collage industriel, l'imprimerie montre bien que le terreau du capitalisme est plus ancien. Au sujet de l'imprimerie, Max Weber fait remarquer qu'elle existait depuis bien longtemps en Chine et s�rement en Inde, mais comme de nombreuses techniques, h�rit�es parfois de l'Antiquit� (la force de la vapeur �tait par exemple connue dans l'�gypte antique), elle a d� attendre de pouvoir s'ins�rer dans un ensemble de techniques coh�rentes et compl�mentaires pour pouvoir s'imposer. Elle ne le fit d'ailleurs pas sans rencontrer d'opposition, notamment de la part des copistes m�di�vaux.
+Voir l'article Syst�me technique.
+Le nouveau syst�me technique qui se met en place � la Renaissance permet l'�mergence de certains principes du capitalisme moderne comme l'am�lioration de la productivit�, l'�conomie de main d'oeuvre, l'augmentation de la production en volume et sa diversification ou encore l'investissement. Il s'appuie sur quelques innovations de rupture comme le haut fourneau, l'imprimerie ou le syst�me bielle-manivelle, la mont�e en puissance des grands secteurs industriels (m�tallurgie, exploitation mini�re) et l'utilisation courante d'une source d'�nergie (hydraulique). Ce syst�me, qui persistera jusqu'au milieu du XVIIIe si�cle, entra�nera l'adoption d'un syst�me social correspondant pour �tre au final le terreau d'un capitalisme naissant et le tombeau du r�gime f�odal qui n'aura pas su s'inscrire dans cette mutation en profondeur.
+� partir du XVIe si�cle, la pens�e �conomique n'est plus domin�e par les th�ologiens, mais par des penseurs la�cs qui se soucient en premier lieu de la puissance de l'�tat : les mercantilistes. Afin d'assurer l'expansion de la richesse du Prince, les valeurs religieuses sont oubli�es. Peu importe que l'usure soit un p�ch� ou non, les gouvernants ne se soucient plus que telle ou telle politique commerciale ne soit pas chr�tienne : seule compte la Raison d'�tat. Cette pens�e n'est pas celle du capitalisme, vu qu'elle ne se soucie que de l'importance de la puissance de l'�tat et non du d�veloppement de la richesse priv�e. Toutefois, d'abord parce qu'elle contribue � �liminer les valeurs religieuses, ensuite parce qu'elle peut trouver int�r�t au d�veloppement des affaires priv�es, elle pr�pare les �volutions futures. Souvent la cr�ation de monopoles par l'�tat constituait un compromis entre l'enrichissement des marchands et la mainmise de la puissance publique sur les activit�s les plus lucratives. Ce fut par exemple le cas des diff�rentes Compagnies des Indes.
+Au XVIIe si�cle, la Hollande acquiert d'importants comptoirs en Inde et d�veloppe le commerce des �pices, du poivre en particulier ; elle s'est �tabli au Japon et commerce avec la Chine. Elle devient le nouveau centre de l'� �conomie-monde � selon Braudel. En 1602, elle fonde la premi�re Compagnie des Indes Orientales : c'est la premi�re grande � soci�t� par actions �. Ses dividendes s'�levaient souvent � 15, voir 25 %. De 3 100 florins, les actions mont�rent � 17 000 florins � la fin du si�cle. Elles �taient soumises � d'incessantes sp�culations, aliment�es par les rumeurs les plus infond�es, voire des campagnes de d�sinformation organis�es. La Compagnie �met aussi des obligations. La Compagnie anglaise des Indes orientales prend le relais et le mod�le inspire la cr�ation de compagnies dans l'industrie m�tallurgique, textile, papier...
+En parall�le, l'afflux d'or depuis les colonies d'Am�rique permet � partir du XVIe si�cle une stimulation des �changes, un perfectionnement des m�thodes de paiement et des techniques mon�taires. Les premi�res monnaies divisionnaires sont frapp�es, les monnaies fiduciaires connaissent une importante expansion, les premiers billets apparaissent. Dans le reste du monde, les �changes restent limit�s par l'usage de � monnaies m�talliques dans l'enfance �.
+La Hollande conna�t aussi la premi�re bulle sp�culative de l'Histoire, c'est la Tulipomanie. Dans les ann�es 1630, le prix des tulipes conna�t une forte envol�e, l'oignon atteignant parfois le prix d'une maison bourgeoise. Lorsque celui-ci dev�nt manifestement irrationnel, le premier krach de l'Histoire se produisit.
+Toutefois, l'�mergence du capitalisme est plus souvent associ�e aux pr�mices de la r�volution industrielle, et en particulier au XVIIIe si�cle. Les formes de propri�t� priv�e des moyens de production et de salariat se d�veloppent durant cette p�riode.
+Dans le domaine artisanal, le capitalisme conna�t des formes ant�rieures � l'usine ou � la manufacture. L'agriculture induit des p�riodes de faible activit� (la morte saison surtout) et les manufacturiers des villes s'int�ressent rapidement � cette main d'oeuvre r�guli�rement oisive. Le travail � domicile, ou � domestic system �, va se d�velopper. Il permet aux artisans et manufacturiers de sous-traiter une partie de leur production aux familles paysannes. Dans le cadre plus sp�cifique du � putting-out system �, les entrepreneurs fournissent aux travailleurs ruraux (et toujours � domicile) des mati�res premi�res, voire des outils, puis viennent r�cup�rer en �change d'un salaire le produit transform�, qui sera parfois achev� dans les ateliers urbains. Ce syst�me a, par exemple, un int�r�t majeur dans le cadre de la production textile. Si on ne peut qualifier de telles m�thodes de capitalistes, elles sont bien annonciatrices des futurs rapports sociaux entre employeurs et salari�s.
+Les innovations des d�buts de la r�volution industrielle restent accessibles aux petits artisans (cf. image de la � spinning-jenny � ci-contre) et ne requi�rent pas encore la concentration du capitalisme industriel. On assiste pourtant � de premi�res grandes concentrations sporadiques, sans lien avec le machinisme mais li�es � des productions particuli�res, comme par exemple l'impression sur toile. Cette derni�re n�cessite des terrains �tendus afin de blanchir les toiles, des pi�ces immenses o� les s�cher. Elle requiert un outillage diversifi� et complexe, et entra�ne des stocks importants de toiles et de colorants. Enfin, elle n�cessite le regroupement d'ouvriers sp�cialistes dans des t�ches distinctes. Finalement, de nombreuses formes de productions, pas encore m�canis�es, entra�nent les premi�res grandes concentrations de capitaux et de la main-d'oeuvre.
+La question de l'accessibilit� du capital aux plus humbles est essentielle dans l'analyse marxiste. En effet, Marx distingue deux formes diff�rentes de propri�t� priv�e : celle du travailleur qui poss�de les moyens de la production qu'il met en oeuvre et celle de la bourgeoisie qui emploie la force de travail des prol�taires. La premi�re forme historique correspond au d�veloppement de l'artisanat et de la petite agriculture, elle permet le d�veloppement des qualifications. Puis la seconde forme, li�e � l'appropriation des moyens de production (voir l'Enclosure Act par exemple) par la bourgeoisie (ou la noblesse), permet l'apparition de la grande industrie, des grandes propri�t�s agricoles, du salariat et donc de l'ensemble des m�canismes qui fondent le mode de production capitaliste.
+Dans le domaine agricole, le syst�me f�odal perdure longtemps (le servage n'est aboli qu'en 1861 en Russie, ce qui en fait un cas exceptionnel). En 1727, l'Enclosure Act permet aux lords britanniques de s'approprier et de cl�turer les champs. Auparavant, la propri�t� revenait aux communes, et les champs �taient exploit�s par l'ensemble des paysans locaux qui profitaient ensemble des r�coltes. Toutefois les premi�res vagues d'enclosures sont plus anciennes et datent du XVe si�cle. Les bouleversements qu'elles provoquent marquent d�j� les esprits de l'�poque : Thomas More d�nonce d�j� dans Utopia (1516) les cons�quences sociales des balbutiements du capitalisme naissant et d�crit un monde alternatif, un nulle part imaginaire marqu� par un style de vie s'apparentant au communisme. Le long processus des enclosures et l'imposition des droits de propri�t� sur les champs va cr�er une distinction nette entre le propri�taire et le salari� (les anciens petits exploitants devenant les salari�s des landlords). La France conna�t dans ce domaine un ph�nom�ne diff�rent au d�but du XIXe si�cle : le Code Napol�on, qui disperse les terres entre les h�ritiers au moment du d�c�s, freine le d�veloppement des grandes propri�t�s du capitalisme agricole.
+En pleine transition d�mographique, cette appropriation est le fait d'un int�r�t nouveau pour le monde agraire de la part des �lites britanniques, qui souhaitent d�velopper une agriculture � haut rendement, et donc lucrative, sur le mod�le de la Hollande et des Flandres. Cette appropriation entra�nera imm�diatement une activit� et des investissements importants, du fait m�me de l'installation des cl�tures. Sur le mod�le des �les britanniques, la propri�t� priv�e des terres s'�tend � travers l'Europe et les Am�riques, non sans rencontrer des oppositions, notamment morales :
+� Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : ceci est � moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la soci�t� civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de mis�res et d'horreurs n'e�t point �pargn�s au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le foss�, e�t cri� � ses semblables : � Gardez-vous d'�couter cet imposteur ; vous �tes perdus si vous oubliez que les fruits sont � tous, et que la terre n'est � personne ! � �Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de l'in�galit�, 1755
+La l�gitimit� historique du capitalisme agraire se trouve essentiellement dans son effet direct : la R�volution agricole. Comme l'a montr� Max Weber, l'introduction de l'id�e de profit individuel a permis l'�mergence du rationalisme dans la production, source principale de la productivit� :
+� Lorsque les fruits sont � tous et que la terre n'est � personne, la terre ne produit que des bruy�res et des for�ts. �Jean-Baptiste Say
+Les progr�s de l'agriculture capitaliste ont �t� n�cessaires pour alimenter une population dont la croissance exponentielle (elle passe en Grande-Bretagne de 6 � 18 millions entre 1750 et 1850) faisait craindre aux plus pessimistes (Thomas Malthus en particulier) une fin d�sastreuse.
+Selon Braudel, le capitalisme ne peut s'�tablir profond�ment que l� o� les lois le lui permettent et assurent son �panouissement :
+� Il y a des conditions sociales � la pouss�e et � la r�ussite du capitalisme. Celui-ci exige une certaine tranquillit� de l'ordre social, ainsi qu'une certaine neutralit�, ou faiblesse, ou complaisance de l'�tat. �La Dynamique du Capitalisme
+La constitution des �conomies capitalistes telles que nous les connaissons a donc suppos� d'importants changements l�gislatifs instaurant la propri�t� priv�e du capital et un march� du travail. Pour Karl Marx, ces changements ne sont que la manifestation de la prise de pouvoir au sein de l'�tat de la bourgeoisie, une des �tapes essentielles de la lutte des classes.
+En Grande-Bretagne, le vote de l'Enclosure Act marque l'av�nement de la propri�t� priv�e du capital, il est suivi au XIXe si�cle de la lib�ralisation de l'actionnariat. En 1825, le Bubble Act, qui limitait la taille des entreprises, est abrog�. En 1856, la cr�ation de soci�t�s anonymes est lib�r�e de toute contrainte. C'est le d�but de la domination des th�ories du laissez-faire, souhaitant limiter l'intervention de l'�tat dans l'�conomie : id�ologie r�pandue en Grande-Bretagne par les auteurs de l'�cole classique anglaise .
+En France, suite aux mouvements r�volutionnaires de la capitale, les ch�teaux des campagnes sont assaillis � la fin juillet 1789 par les paysans qui contestent la propri�t� seigneuriale. Dans la nuit du 4 ao�t 1789, les privil�ges de la noblesse sont abolis et la propri�t� fonci�re est d�s lors ouverte � la bourgeoisie, tandis que la disparition de nombreux imp�ts d'Ancien R�gime permet de (re)lancer l'investissement. Le 26 ao�t, la propri�t� priv�e est, � sous les auspices de l'�tre supr�me �, reconnue dans la D�claration des droits de l'homme et du citoyen comme un droit inali�nable.
+Aux �tats-Unis, depuis la colonisation, la propri�t� priv�e des terres a �t� la r�gle. Toutefois, la l�gislation am�ricaine a pu se montrer tr�s favorable envers les moins riches et a su, gr�ce � l'immensit� du territoire, faire de la propri�t� priv�e de la terre une notion fondamentale d�fendue par les plus humbles (non esclaves). Une loi de 1862 accorde en effet la propri�t� priv�e de 160 arpents aux pionniers. Le Homestead Act, en offrant un jardin � cultiver aux Europ�ens d�munis, stimule les flux migratoires vers les �tats-Unis.
+En Grande-Bretagne, les �conomistes classiques de la fin du XVIIIe si�cle et du d�but XIXe si�cle vont concentrer leurs critiques sur les lois �tablies afin de permettre l'�mergence de lois favorisant le march�. H�rit�es du XVIIe si�cle, les poor laws britanniques offraient via les paroisses une assistance aux indigents en leur attribuant un travail dans des workhouses, voire leur faisaient la charit� de quelques denr�es n�cessaires � leur survie. Les grands classiques de l'�conomie (Adam Smith, Thomas Malthus et David Ricardo) s'acharnent contre ce syst�me qui emp�cherait la mobilit� des travailleurs. En 1834, la quasi-abrogation de ces lois contraint les pauvres � se rendre en ville afin d'�viter la famine, en trouvant par la vente de leur force de travail les ressources n�cessaires � leur survie.
+En France, la constitution du march� du travail et la libert� des capitaux est permise en juin 1791 par la Loi Le Chapelier, qui interdit toute libert� d'association : corporations, associations et coalitions (c'est-�-dire syndicats et gr�ves).
+Aux �tats-Unis, c'est le 13e amendement de la Constitution qui abolit l'esclavage le 18 d�cembre 1865, qui conclut la lib�ralisation du travail dans l'ensemble des secteurs d'activit�.
+Alors que la l�gislation favorise la bourgeoisie, la r�volution industrielle s'emballe au d�but du XIXe si�cle. Les productions de plus en plus importantes en volume, et les produits de plus en plus complexes, n�cessitent des investissements de plus en plus grands. C'est le cas dans l'industrie naissante, mais aussi dans l'agriculture o� de grosses machines (les moissonneuses batteuses d�s 1834) font leur apparition. L'�cart croissant entre le co�t de ces machines et les salaires, ainsi que la limitation des biens communs et la duret� du travail, contribuent � segmenter la soci�t� en deux groupes bien distincts : les propri�taires du capital, et ceux que Marx appellera plus tard les � prol�taires �. Les usines se d�veloppent, les paysans sont emmen�s de leurs campagnes pour rejoindre les villes et vendre leur force de travail dans l'industrie.
+En un si�cle, le triomphe du capitalisme industriel a transform� une soci�t� traditionnelle, rurale et agricole, en une soci�t� urbaine et industrielle. L'exode rural, combin� � l'explosion d�mographique, a d�peupl� les campagnes et les ouvriers sont venus s'entasser dans les banlieues des grandes cit�s industrielles. Cette concentration humaine, associ�e � la mis�re ouvri�re et au ch�mage de masse (l'� arm�e de r�serve � d�crite par Marx), contribue � l'�mergence de la conscience de classe au sein du prol�tariat. Auparavant une mis�re agricole au moins �gale, peut-�tre souvent pire n'entra�nait pas de tels probl�mes sociaux du fait de l'absence de concentration. Les paysages sont profond�ment transform�s, les � villes champignons � se multiplient, les grands centres �conomiques sont reb�tis (Paris par Haussmann), les r�gions charbonni�res sont d�figur�es...
+Toujours au plan social, le � capitalisme manag�rial � (Alfred Chandler, la Main visible des managers) �mergeant au tournant des deux si�cles provoque de nouvelles distinctions entre � propri�taires �, � entrepreneurs �, � ouvriers � et � gestionnaires �. D�s lors, les profits des propri�taires sont de moins en moins l�gitimes et s'apparentent � une rente, car il n'est plus seulement question de la r�mun�ration de leur talent d'entrepreneur. Toutefois, les riches familles de rentiers sont d�pass�es par les entrepreneurs de g�nie d�s la fin du XIXe (Siemens, Edison, Ford? et plus r�cemment Bill Gates), comme le fut en son temps la noblesse.
+Apr�s la Seconde Guerre mondiale, une p�riode de forte croissance �conomique, les � Trente Glorieuses � (Jean Fourasti�) en France, am�ne de nombreuses �conomies du Nord � la soci�t� de consommation, tandis que s'impose une classe moyenne et que les niveaux de vie ont tendance � s'uniformiser.
+Le dernier quart du XXe si�cle est marqu� par l'ouverture croissante des march�s financiers et par le nivellement des niveaux de vie. Les petits actionnaires se multiplient, l'actionnariat salari� se d�veloppe, ainsi que les fonds de pensions dans les pays anglo-saxons. Il semble que dans ses derni�res �volutions, le capitalisme veuille se montrer comme b�n�ficiant � un plus grand nombre qu'auparavant. Mais surtout, la fin du XXe si�cle est marqu�e par la chute du syst�me �conomique alternatif exerc� dans les pays du � bloc communiste � (dont certains estiment qu'ils constituaient en v�rit� une forme �tatique du capitalisme) ayant d�sormais des �conomies de transition. Le capitalisme est alors dominant sous sa forme lib�rale, mais des secteurs avec des modes de fonctionnement diff�rents coexistent (�conomie sociale, �conomie publique, professions lib�rales), celles-ci repr�sentent 50 � 60 % du PIB dans les pays d�velopp�s, ce qui rend relatif le poids de l'�conomie capitaliste dans ces soci�t�s.
+Selon Karl Polanyi (La Grande Transformation, Aux origines de notre temps, 1944), l'Occident a connu depuis la fin du XVe si�cle, une g�n�ralisation des relations de march�. Il note toutefois que la pr�pond�rance de celles-ci sur les relations traditionnelles, bas�es par exemple sur le don, le servage, le travail collectif ? ne devient effective qu'au XIXe si�cle. C'est en effet durant cette p�riode que se met en place en Occident une civilisation dont l'�conomie repose sur le march� autor�gulateur, l'�tat lib�ral, l'�talon-or comme syst�me mon�taire international, et l'�quilibre des puissances depuis la fin des guerres napol�oniennes.
+Pour d�crire cette transformation, K. Polanyi reprend l'exemple de l'av�nement du march� du travail en Grande-Bretagne. Le syst�me traditionnel encadrait le travail par d'importantes restrictions juridiques. Les corporations imposaient des r�gles, davantage bas�es sur la coutume que sur les lois du march�, concernant aussi bien les rapports entre ma�tres, compagnons et apprentis, que les conditions de travail ou les salaires. Ces derniers �taient par exemple annuellement �valu�s par des fonctionnaires.
+Encore en 1795, des juges de Speenhamland, un village de Grande-Bretagne, avaient d�cid� d'accorder des compl�ments de salaires, voire un revenu minimum aux indigents. Cette d�cision inspira la Grande-Bretagne enti�re et l'instauration d'un march� du travail, bas� sur l'id�e lib�rale que seul le travail doit �tre source de revenu, se heurtait � l'id�e charitable que quiconque a un � droit de vivre �. Cet obstacle, critiqu� par les classiques de l'�conomie et certaines philosophes utilitaristes fut finalement lev� en 1834 avec la disparition des poor laws (cf. supra).
+Le dogme du march� autor�gul� s'impose alors � la Grande-Bretagne (et par la suite au Royaume-Uni), et est compl�t� par de nouvelles mesures qui vont former un syst�me coh�rent propice � l'expansion du grand capitalisme. Afin de garantir la r�gulation du march�, on indexe l'�mission mon�taire sur l'encaisse-or en 1844. Cette discipline mon�taire, adopt�e par la plupart des nations dans la seconde moiti� du XIXe permet la stabilisation, ou l'autor�gulation, des balances des paiements, suivant le principe des points d'entr�e et de sortie d'or. Cette rigueur mon�taire induit une d�flation continue au XIXe qui n�cessite une baisse proportionnelle des salaires nominaux (afin de garantir les profits), que seules les dures lois du march� peuvent imposer aux travailleurs. De m�me, afin de garantir une stabilit� du pouvoir d'achat des travailleurs, malgr� la baisse des salaires nominaux, le libre-�change s'impose comme moyen d'alimenter la baisse des prix par l'importation de produits �trangers � moindres co�ts, d'o� l'abolition des corn laws (lois protectionnistes sur le bl�) en 1846 (cf infra).
+Le capitalisme reste au XIXe si�cle essentiellement familial (� l'exception de quelques grandes soci�t�s d�j� �voqu�es). Les noms des grandes familles industrielles et financi�res les plus connues de nos jours �voquent toujours cette p�riode : Rothschild, Schneider, Siemens, Agnelli,? C'est dans une optique familiale que se d�veloppe le grand capitalisme : on s'accorde pour �viter la dispersion de l'entreprise entre les h�ritiers, tandis que les � fusions � de l'�poque se font par l'entremise d'alliances matrimoniales.
+Dans la seconde partie du si�cle, une nouvelle bourgeoisie s'impose, non celle des propri�taires mais celle des dipl�m�s. En France par exemple, les Grandes �coles fournissent l'essentiel des nouveaux entrepreneurs (Armand Peugeot, Andr� Citro�n, etc.). Mais l'arriv�e de ces dipl�m�s � la t�te des grandes entreprises ne brise pourtant pas la tradition familiale :
+� Dans un cas de figure repris souvent dans les romans, l'ing�nieur brillant pouvait succ�der au patron apr�s avoir �pous� sa fille. �(Patrick Verley)
+Le d�veloppement de la l�gislation sur les soci�t�s anonymes (lib�ralisation totale en 1856 au Royaume-Uni, 1867 en France et 1870 en Prusse), permet progressivement � des capitaux anonymes de se joindre � ceux des grandes dynasties industrielles.
+Dans Capitalisme, socialisme et d�mocratie (1942), Joseph Schumpeter pr�voit que ces �volutions juridiques feront � terme dispara�tre la fonction d'entrepreneur-innovateur et qu'� au romantisme des aventures commerciales d'antan succ�de[ra] le prosa�sme �. La disparition de l'entrepreneur, entendu au sens du XIXe si�cle, m�ne selon Schumpeter � la disparition de l'initiative capitaliste. L'� �vaporation de la substance de la propri�t� � nuit � la vitalit� de l'�conomie, et de part ses succ�s m�mes, � l'�volution capitaliste, en substituant un simple paquet d'actions aux murs et aux machines d'une usine, d�vitalise la notion de progr�s �. Finalement, Joseph Schumpeter craint � l'�poque que le capitalisme disparaisse au profit du socialisme.
+Au XXe si�cle, les �volutions des productions, la taille des entreprises et la complexit� de leur gestion poussent de nombreux �conomistes � annoncer la fin du pouvoir des propri�taires du capital au profit des � gestionnaires � (managers). John Kenneth Galbraith pr�voit que le pouvoir au sein de l'entreprise passe � de fa�on in�vitable et irr�vocable, de l'individu au groupe, car le groupe est seul � poss�der les informations n�cessaires � la d�cision. Bien que les statuts de la soci�t� anonyme placent le pouvoir entre les mains de ses propri�taires, les imp�ratifs de la technologie et de la planification les en d�pouillent pour les transmettre � la technostructure. � On assiste � une � r�volution manag�riale � (corporate revolution), o� le manager prend le relais de l'entrepreneur. Les �quilibres entre les diff�rents caract�res du capitalisme en sont subtilement transform�s : l'objectif essentiel est d�sormais moins le profit (qui pr�occupait l'entrepreneur propri�taire) et les dividendes (soucis de l'actionnaire) que l'agrandissement de l'entreprise et de sa prosp�rit�, dont d�pendent la r�mun�ration et le prestige des managers. L'accumulation du capital devient la nouvelle priorit�.
+Les �volutions les plus r�centes de l'entreprise traduisent toutefois un retour en force des propri�taires. L'actionnaire redevient la finalit� de l'entreprise. Il ne s'agit g�n�ralement plus d'un individu, mais souvent de fonds de placement ou de fonds de pensions, ou de banques charg�es de faire fructifier l'�pargne des d�posants, exigeants qu'ils soient petits ou grands. La logique de la � rentabilit� financi�re � reprend l'avantage sur celle de la rentabilit� �conomique. Les plus � m�me de remplir ces nouveaux objectifs restent les managers qui, bien qu'ayant perdu leur pouvoir d'orientation au profit de ce qu'on appelle d�sormais la � gouvernance d'entreprise � (corporate governance), obtiennent des salaires toujours plus importants.
+Certains �conomistes contestent cette nouvelle puissance des actionnaires au sein de l'entreprise. Pour Joseph Stiglitz (Quand le capitalisme perd la t�te, 2004) les entreprises sont toujours aux mains des managers et des comptables qui ne fournissent pas aux actionnaires des donn�es r�elles sur la sant� des entreprises et n'h�sitent pas � voler ces derniers via des manoeuvres financi�res incomprises, en particulier la distribution de stock-option.
+Cette probl�matique s'illustre d�s les d�buts de la premi�re r�volution industrielle. Les modifications du travail et de son organisation engendr�es par l'arriv�e de machines entra�nent pour les travailleurs une source de ch�mage, mais surtout de d�qualification. Adam Smith (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776) reconna�t que le d�veloppement du machinisme et la division du travail abrutissent les Hommes et am�nent � les consid�rer comme de simples machines devant r�aliser un m�me geste simple toute la journ�e. En 1811, les ouvriers du Nottinghamshire se r�voltent, inspir�s par la l�gende du c�l�bre Robin des Bois, sous la direction d'un mythique Ned Ludd, pour d�truire les machines, devenues leurs ennemies. Il en fut de m�me en 1831, lors de la � r�volte des Canuts � (ouvriers de la soie Lyonnais).
+De fait, pour les capitalistes, la machine a longtemps prim� sur l'Homme. C'est ce dernier qu'on adapte. Lorsqu'un accident le prive d'un bras, on change l'Homme sans s'inqui�ter de l'ad�quation de la machine. Lorsque la machine et certains de ses composants sont d'acc�s difficiles, on emploie les enfants, dont la taille permet d'aller dans des endroits peu accessibles.
+D'un point de vue g�n�ral, les �tudes sur longues p�riodes ont montr� que le r�sultat de l'introduction des machines est plus complexe que l'unique concurrence envers le travailleur, puisqu'elle am�ne aussi � cr�er de nouveaux postes plus qualifi�s (apparition des ing�nieurs) en parall�le des anciens postes d'ouvriers. Plus tardivement, les machines ont aussi pu r�duire la p�nibilit� et la dur�e du travail lorsque leur conception prenait en compte cette approche. Elles ont aussi permis aux Hommes d'acc�der � une soci�t� o� les biens sont plus abondants gr�ce � l'augmentation de la productivit�. Certains auteurs, enthousiastes face � la forte productivit� des secteurs primaire et secondaire, confiants en la robotisation, n'h�sitent pas � proph�tiser � la fin du travail � (Jeremy Rifkin, 1996), et encouragent l'av�nement d'une �conomie essentiellement tourn�e vers les services � la personne (� la production de l'Homme par l'Homme � selon Robert Boyer).
+� D�sesp�r�s, r�duits � l'alternative de mourir de faim ou d'arracher � leur ma�tre par la terreur la plus prompte condescendance � leur demande. �Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776
+Sous la pression du d�veloppement du mouvement ouvrier et de la question sociale, le l�gislateur va devoir r�agir pour am�liorer les conditions de vie des travailleurs. Des lois vont progressivement am�liorer le temps de travail, les conditions de travail, le premier �ge du travail, l'acc�s aux soins, � la � retraite �, etc. D�s 1833 au Royaume-Uni avec le Factory Act, mais de fa�on tr�s progressive puisque la loi de 1833 ne fait que limiter � 9 h par jour le travail des enfants de moins de 13 ans. Ces progr�s humains ne se font donc que lentement, et dans le cadre d'un rapport de forces permanent.
+Cette p�riode voit aussi se d�velopper de nouvelles formes de solidarit� entre travailleurs qui s'auto-organisent pour faire face � un dur quotidien. Les formes modernes de l'�conomie sociale se d�veloppent en opposition au capitalisme et proposent des services aux salari�s. Dans un premier temps, les premi�res mutuelles servent � financer les enterrements, puis elles �tendent leur champ d'action au financement des jours de gr�ves, puis aux cong�s maladie et � la retraite.
+Certains grands patrons ne seront pas insensibles � la mis�re du monde ouvrier, et s'illustreront par leur paternalisme, par leur philanthropie et leurs m�thodes de travail tout aussi avant-gardistes que comp�titives. Robert Owen commen�a ainsi � poser les bases du mouvement coop�ratif dans son usine de New Lanark, en proposant � ses ouvriers aussi bien des cours du soir, que des jardins pour leurs enfants. En France, au Creusot, Schneider offre aussi divers services � ses salari�s, sans n�gliger toutefois de faire implanter une caserne.
+Plus tard, Henry Ford comprendra que l'insatisfaction de l'ouvrier, engendr�e par les m�thodes de travail tayloristes, se fait au d�triment de la productivit�, et proposera des salaires bien au-dessus du march� afin de limiter la rotation du personnel et de fid�liser une main-d'oeuvre devenue difficile � recruter sur des postes peu valorisants de travail � la cha�ne en une p�riode sans ch�mage. Cette pens�e se g�n�ralisera et aboutira au � compromis fordiste � des ann�es 1945 - 1970, p�riode sur laquelle la part des salaires dans la valeur ajout�e va progresser au d�triment de la part relative du profit. Toutefois, la productivit� toujours accrue des salari�s satisfaits de leurs salaires permet aux profits de s'accro�tre dans l'absolu : c'est ici qu'appara�t l'id�e de compromis. La fin du compromis fordiste, depuis les ann�es 1970 ou 1980 selon les pays, va cependant entra�ner un mouvement inverse toujours en cours, dans lequel la part du profit progresse rapidement au d�triment des salaires.
+Des mod�les d'organisation du travail plus r�cents, tel le � toyotisme �, invitent le salari� � faire part de ses r�flexions sur le processus de production, lui permettant d�s lors de reprendre un ascendant sur la machine, ou du moins d'en avoir l'illusion.
+L'opposition entre les grands capitalistes agricoles et d'autres parties de la population ne va malgr� la r�volution agricole pas tarder � se manifester. D�s 1776, Adam Smith �crit :
+� Les propri�taires, comme tous les autres hommes, aiment � recueillir l� o� ils n'ont pas sem�. �
+Le capitalisme agricole, qui cherche � alimenter la hausse des prix par le protectionnisme (via les Corn Laws), va alors s'opposer au capitalisme industriel. En 1810, l'�conomiste et parlementaire David Ricardo (Essai sur l'influence du bas prix du bl�) pense que l'ouverture du pays aux importations agricoles permettra, gr�ce � la faiblesse du prix des subsistances, de r�duire les salaires et donc de favoriser l'industrie. De fait, c'est bien un lobby d'industriels du textile (l'Anti Corn Laws League) qui, au terme d'une bataille politique incertaine contre les grands propri�taires fonciers, fera abroger les Corn Laws en 1846. Le capitalisme lib�ral remporta alors l'un de ses premiers triomphes.
+� l'inverse, aux �tats-Unis, le Sud, qui repose sur une agriculture esclavagiste, est libre-�changiste, tandis que le Nord, qui d�veloppe un capitalisme industriel, est protectionniste. Durant les d�cennies pr�c�dant la Guerre de S�cession, des propri�taires du Sud pr�textaient d'ailleurs que la condition de l'ouvrier du Nord n'�tait que rarement enviable � celle de l'esclave du Sud. Ils d�non�aient donc souvent l'app�tit que les capitalistes dissimulaient derri�re les discours abolitionnistes. L'imposition du capitalisme se traduisit donc par un ancrage profond de l'�conomie dans le protectionnisme qui a permis un essor rapide de nouveaux secteurs industriels.
+Selon Raymond Aron (Dix-huit le�ons sur la soci�t� industrielle, 1962), le capitalisme a besoin dans son �volution d'accro�tre la qualification de la main-d'oeuvre afin de garantir la p�rennit� de la croissance �conomique. Cette qualification accrue provoque l'�mergence des aspirations �galitaires. La soci�t� capitaliste conduit selon lui naturellement � la d�mocratie � parce qu'elle est fond�e non pas sur des in�galit�s de statut, sur l'h�r�dit� ou sur la naissance, mais sur la fonction remplie par chacun �. La d�mocratisation rend sensible la population au plein emploi, � la diminution du temps de travail, � la r�duction des in�galit�s de revenus, ce qui aboutit finalement � une intervention croissante de l'�tat et � l'apparition de nombreuses formes de contre-pouvoirs.
+Pour Joseph Schumpeter (Capitalisme, socialisme et d�mocratie, 1942), c'est l'apparition du capitalisme et l'�mergence d'une �lite bourgeoise qui a permis le succ�s de la d�mocratie en lui fournissant des hommes capables de mettre en place une structure bureaucratique efficace. Si le socialisme peut selon lui aussi �tre d�mocratique, il en est toutefois moins apte que le capitalisme :
+� Une classe dont les int�r�ts sont le mieux servis par une politique de non-intervention met plus facilement en pratique la discr�tion d�mocratique que ne sauraient le faire des classes qui tendent � vivre aux crochets de l'Etat. �(ibid.)
+Toutefois, pour des raisons similaires � celles expos�es plus tard par Raymond Aron, la d�mocratisation m�ne souvent � une socialisation de la d�mocratie et � un recul du capitalisme.
+Rosa Luxemburg consid�re que dans la soci�t� capitaliste � les institutions formellement d�mocratiques ne sont, quant � leur contenu, que des instruments des int�r�ts de la classe dominante �. Selon elle, la d�mocratie serait emp�ch�e par le fonctionnement du capitalisme, qui place une seule classe sociale � la direction de la soci�t�.
+Selon Michel Aglietta (R�gulation et crises du capitalisme, 1976), le succ�s du capitalisme aux �tats-Unis est li� au � mythe de la Fronti�re �. L'id�e originale de l'am�nagement d'un espace g�ographique gigantesque se serait transform�e en une id�ologie favorable au capitalisme : � celle exprimant la capacit� de la nation am�ricaine � polariser les activit�s industrielles dans un sens de progr�s. � L'assimilation de l'avantage de la grande industrie � la construction de la nation dans la conscience populaire aurait permis de justifier l'ensemble des d�gradations du processus de production (taylorisme puis fordisme) n�cessaires � la r�alisation des profits des capitalistes.
+� C'est pourquoi la bourgeoisie industrielle a pu faire avaliser ult�rieurement par l'ensemble de la nation les transformations technologiques induites par la plus-value relative en les pr�sentant comme l'�dification d'une � nouvelle fronti�re �. �(ibid.)
+Dans l'Histoire, le patriotisme serait donc un outil permettant de justifier les sacrifices des travailleurs au profit du grand capitalisme : c'est par exemple la conclusion que tireront certains poilus revenant des tranch�es de la Premi�re Guerre mondiale et constatant l'enrichissement nouveau de nombreux industriels. Voir la phrase d'Anatole France : � On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels �.
+Un des soucis majeurs de l'accumulation du capital mat�riel a �t� l'accumulation de pouvoir qu'elle signifiait. Les grandes manufactures ont donc longtemps �t� �troitement contr�l�es par l'�tat (on pense aux manufactures de Colbert) afin de limiter la constitution de formes de pouvoir priv�. La cr�ation de soci�t�s sans l'aval du Parlement n'est accord�e par exemple qu'en 1825 en Grande-Bretagne (abrogation du Bubble Act). La lib�ralisation compl�te de la cr�ation de soci�t�s par actions n'est achev�e qu'en 1856 au Royaume-Uni.
+Avant m�me la r�volution Russe, c'est aux �tats-Unis que se manifestent les premi�res oppositions entre le pouvoir politique et les grandes firmes capitalistes. Le capitalisme sous la forme du lib�ralisme �conomique appara�t et pr�ne la concurrence par une nouvelle organisation du march� comme gage d'efficacit�, tandis que les pr�c�dentes formes de capitalisme avaient une tendance � la concentration et � l'entente. Dans cette optique lib�rale, la cr�ation de monopoles est donc contrari�e par des lois anti-trust. Elles seront mis en pratique par Theodore Roosevelt qui s'opposera particuli�rement � Rockefeller et � J.P. Morgan. Plus t�t, les �tats du Sud avaient provoqu� la guerre de S�cession en proclamant leur ind�pendance, craignant de se voir imposer le mod�le du nord (oppos� � leur syst�me esclavagiste) par le gouvernement f�d�ral r�publicain d'Abraham Lincoln.
+Dans l'histoire r�cente, les tentatives de nationalisations des biens mat�riels des grandes firmes transnationales ont provoqu� la chute de certains gouvernements : celui de Salvador Allende en 1973 au Chili (renvers� par un coup d'�tat militaire d�cid� � Washington). En 1956, la nationalisation du Canal de Suez par le gouvernement �gyptien de Nasser, provoque l'entr�e en guerre de la France, du Royaume-Uni et d'Isra�l. � l'oppos�, de nos jours, les privatisations des entreprises s'accompagnent presque syst�matiquement de mouvements sociaux et de protestations. La question du capitalisme, de par sa nature juridique, est source de pressions et de d�s�quilibres politiques.
+Pour John Kenneth Galbraith :
+� Le syst�me industriel est inextricablement li� � l'�tat. Il n'�chappe � personne que, de bien des fa�ons, la grande entreprise moderne est un bras de l'�tat, et celui-ci, dans les circonstances importantes, est lui-m�me un instrument du syst�me industriel. � Le Nouvel �tat industriel, 1967
+Selon Galbraith, les grandes firmes am�ricaines de la seconde moiti� du XXe si�cle s'accaparent un pouvoir excessif afin de mettre en place � leur profit une �conomie planifi�e. Le danger de guerres ayant pour seul objet de fournir des d�bouch�s � l'industrie de l'armement est notamment �voqu�. Quelques ann�es plus t�t, le pr�sident am�ricain avait d'ailleurs d�clar� :
+� Nous ne devons jamais permettre que le complexe militaro-industriel ne menace nos libert�s ou le processus d�mocratique. � Dwight David Eisenhower, Dernier discours � la nation du pr�sident des �tats-Unis, le 29 janvier 1961
+Le lib�ralisme et ses th�ories les plus fondamentales sont par ailleurs remises en cause par le capitalisme industriel. Selon sa th�orie dite de la � fili�re invers�e �, c'est par exemple la consommation qui s'adapte � la production gr�ce au harc�lement et aux besoins cr��s par la publicit�. Il insiste donc sur la n�cessit� de l'existence de � pouvoirs compensateurs �, et sur le r�le essentiel de l'�ducation dans l'�mancipation de l'individu.
+Les liens entre le monde politique et les grandes entreprises font r�guli�rement l'objet de pol�miques. On pense par exemple � celles li�es � la guerre en Irak, ou aux critiques faites au mode de financement des campagnes �lectorales aux �tats-Unis.
+Tout au long du XXe si�cle, l'�panouissement du capitalisme a �t� remis en cause par les crises �conomiques et l'�mergence de mod�les �conomiques alternatifs : les guerres mondiales, le bloc communiste, le nazisme en Allemagne et surtout la crise �conomique des ann�es 1930.
+C'est en effet au cours de cette d�cennie que le capitalisme dut faire face aux d�fis les plus importants depuis son av�nement au XVIIIe si�cle. La crise amena une remise en question du � capitalisme sauvage � et du lib�ralisme. Par exemple, la th�orie �conomique alors dominante (keyn�sienne) pr�conisait l'intervention publique (John Maynard Keynes, Th�orie g�n�rale de l'emploi de l'int�r�t et de la monnaie, 1936) pour r�guler les dysfonctionnements d'un syst�me �conomique qu'elle qualifiait d'imparfait et de fondamentalement instable.
+Apr�s la Seconde Guerre mondiale, le d�veloppement des �tats providence s'accompagna d'une prise de contr�le par l'�tat des plus grandes soci�t�s industrielles, commerciales et bancaires dans de nombreux pays. Les syst�mes d'assurance priv�e furent quant � eux remplac�s par une prise en charge collective des risques � l'�chelle �tatique. On mit alors en place des �conomies mixtes, o� le capitalisme devait d�sormais non plus dominer, mais coexister avec des syst�mes �conomiques alternatifs.
+Toutefois, suite au choc p�trolier et � la crise �conomique des ann�es 1970, les fondements th�oriques de l'intervention publique et de la r�gulation du capitalisme furent boulevers�s. Le retour des politiques lib�rales et la privatisation de pans entiers de l'�conomie marqua le retour en force du capitalisme priv� comme syst�me dominant des �conomies de march�. Par ailleurs, les ann�es 1990 furent marqu�es par la disparition progressive des syst�mes alternatifs dans les pays de l'ancien bloc communiste et dans de nombreux pays en voie de d�veloppement.
+L'essor du capitalisme a �t� encourag� par le nationalisme �conomique et le mercantilisme (voir plus haut). Au d�but des ann�es 1950, Charles Wilson, PDG de General Motors, d�clarait � ce qui est bon pour General Motors est bon pour les �tats-Unis et r�ciproquement �. Un si�cle plus t�t, Karl Marx expliquait que le capitalisme requiert un march� prot�g� o� �couler ses produits, le nationalisme �tait dans un premier temps la meilleure mani�re de se le garantir :
+Le march� est la premi�re �cole o� la bourgeoisie apprend le nationalisme �.
+Depuis, la convergence des int�r�ts nationaux et de ceux du capitalisme est de plus en plus contest�e, et il semble que le capitalisme cherche � s'affranchir des contraintes nationales en se faisant le moteur de la mondialisation �conomique.
+L'histoire �conomique des diff�rentes nations depuis le XIXe si�cle a men� le capitalisme � prendre des formes diff�rentes d'un pays � l'autre.
+La croissance du capitalisme britannique au XIXe si�cle a �t� fortement marqu�e par un libre-�changisme m�l� � la tradition du mercantilisme commercial. Cette �volution contre-nature a men� � la constitution d'un empire colonial important et � une insertion tr�s pr�coce du pays dans la division internationale du travail (la part de la population agricole est devenue largement minoritaire au Royaume-Uni d�s le XIXe si�cle). Important depuis ses colonies les mati�res premi�res, le Royaume-Uni est devenu au XIXe si�cle l'� atelier du monde �. H�raut du lib�ralisme � travers un monde protectionniste, le Royaume-Uni a toutefois connu une parenth�se marqu�e par l'�mergence d'un �tat-providence important � la suite de la Seconde Guerre mondiale, avant de redevenir � partir des ann�es 1980 un des exemples du capitalisme lib�ral anglo-saxon.
+Si capitalisme am�ricain et capitalisme britannique sont d�sormais r�unis sous l'�tiquette � capitalisme anglo-saxon �, leurs histoires respectives sont pourtant diff�rentes. Le capitalisme am�ricain a �t� jusqu'� la fin de la Seconde Guerre mondiale marqu� par un protectionnisme important. � la fin du XIXe si�cle, le capitalisme am�ricain a connu une concentration importante dans la plupart des branches de l'�conomie, la constitution des trusts. Ainsi fusionnaient (ou s'alliaient) de leurs c�t�s les banques, de leurs c�t�s les compagnies p�troli�res, et ainsi de suite. Bien qu'on consid�re le mod�le am�ricain contemporain comme proche de celui du Royaume-Uni, c'est-�-dire comme ultra-lib�ral, l'�tat joue tout de m�me un r�le important dans le soutien de ses entreprises comme le montrent les interventions protectionnistes r�centes, les commandes importantes � certaines industries? ce qui pousse certains �conomistes � qualifier les �tats-Unis de pays mercantiliste.
+Le mod�le de l'Allemagne est plus r�cent, du fait m�me de la constitution plus tardive de cet �tat (1870). Il est depuis cette origine marqu� par une forte prise en charge sociale (depuis Bismarck), une forte intervention de l'�tat dans les activit�s �conomiques, et une concentration importante des entreprises, qui deviennent ainsi des konzern. Cette concentration s'est faite dans une logique totalement diff�rente de celle de la concentration am�ricaine, vu qu'elle a consist� dans le rapprochement de secteurs d'activit� diff�rents et compl�mentaires, comme par exemple une forte implication du secteur bancaire dans l'ensemble des grandes branches de l'�conomie. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec l'essor de la social-d�mocratie, l'Allemagne a aussi r�ussi � d�velopper un syst�me syndical efficace o� la collaboration entre entrepreneurs et repr�sentants du personnel assure une relative stabilit�, et un faible taux de gr�ves contrastant avec le taux de syndicalisation �lev�.
+Au Japon, les origines du capitalisme se trouvent dans l'intervention vigoureuse de l'�tat. C'est en effet l'�tat qui, centralisant les anciens revenus des grandes familles f�odales, va d�velopper l'industrie sous l'�re Meiji (� partir de 1868) avant de la confier � ces derni�res. Les principes du capitalisme nippon sont semblables � ceux du capitalisme allemand dans la fa�on dont sont concentr�es les entreprises. L'�tat joue toujours un r�le important dans l'�conomie, notamment via l'intervention du MITI. Au plan social, les grandes firmes entretiennent avec leurs salari�s des rapports privil�gi�s bas�s sur la s�curit� de l'emploi et en retour le d�vouement � l'entreprise de la part du salari�.
+Dans son ouvrage de 1991, Capitalisme contre capitalisme, Michel Albert a analys� les �volutions des deux grands mod�les, le mod�le � n�o-am�ricain � (ou anglo-saxon) et le mod�le � rh�nan � (Allemagne, mais aussi pays scandinaves, Autriche, Suisse, et partiellement le Japon).
+Pour Michel Albert, les performances �conomiques am�ricaines depuis l'arriv�e au pouvoir de Ronald Reagan en 1981 sont � relativiser. La forte croissance du capitalisme n�o-am�ricain est selon lui le fait d'acquis des ann�es ant�rieures � la lib�ralisation de l'�conomie op�r�e par ce pr�sident. Cette croissance a aussi �t� marqu�e par une accentuation du dualisme social et des in�galit�s, tandis que l'�conomie conna�t des d�s�quilibres dangereux (d�ficits budg�taires, ext�rieurs...) : � ils se jettent � corps perdu dans l'endettement pour la consommation, la jouissance imm�diate �. Par ailleurs l'�conomie est menac�e par la pr�pond�rance des march�s financiers et de leurs exigences.
+Au contraire le mod�le rh�nan accorde une part moins importante � l'�conomie de march� via l'intervention de divers organismes. Les salaires sont par exemple fix�s par les conventions collectives, l'anciennet�? Les grandes entreprises ne sont pas consid�r�es comme des biens marchands mais comme une communaut� � industrialio-financi�re � o� les banques prennent une responsabilit� de long terme. L'�conomie sociale de march� allemande incarne par ailleurs une synth�se entre le capitalisme et le socialisme. Moins g�n�rateur d'in�galit�s sociales, fond� sur des �quilibres �conomiques solides (on pense � la rigueur mon�taire allemande), le capitalisme rh�nan semble donc sup�rieur.
+Pourtant le capitalisme rh�nan conna�t de nombreuses difficult�s. La coh�sion sociale serait menac�e par la mont�e de l'individualisme tandis que la globalisation financi�re d�tourne les banques de leur r�le traditionnel. La confrontation des deux capitalismes tourne donc en faveur du moins performant (c'est l'opinion de Michel Albert), c'est � dire du mod�le n�o-am�ricain. Finalement, cette �volution a tendance � orienter le capitalisme fran�ais vers le mod�le anglo-saxon.
+Quoi qu'on pense des opinions de Michel Albert sur la qualit� de tel ou tel mod�le, on remarque que l'effondrement des soci�t�s socialistes n'a pas signifi� la disparition des alternatives entre syst�mes �conomiques diff�rents.
+L'�mergence du capitalisme au XVe si�cle co�ncide avec les premi�res grandes vagues de colonisations. Cort�s, lucide conqu�rant des Am�riques, d�clara � nous autres Espagnols souffrons d'un mal que seul l'or peut gu�rir �.
+L'influence de l'�conomie sur les rapports de puissance des �tats, soulign�s par les penseurs mercantilistes, poussera plusieurs si�cles plus tard certains � lier capitalisme et imp�rialisme. D�j� au XVIIIe si�cle, Voltaire, plut�t enthousiasm�, soulignait que les marchands �taient plus utiles � la puissance de leur pays que les nobles :
+� Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribu� � les rendre libres, et cette libert� a �tendu le commerce � son tour ; de l� s'est form�e la grandeur de l'�tat. C'est le commerce qui a �tabli peu � peu les forces navales par qui les Anglais sont les ma�tres des mers. Ils ont a pr�sent pr�s de deux cents vaisseaux de guerre. La post�rit� apprendra peut-�tre avec surprise qu'une petite �le qui n'a de soi-m�me qu'un peu de plomb, de l'�tain, de la terre � foulon et de la laine grossi�re, est devenue par son commerce assez puissante pour envoyer, en 1723, trois flottes � la fois en trois extr�mit�s du monde? � Lettres anglaises
+De fait, le Royaume-Uni impose violemment son commerce au monde au XIXe si�cle. Par exemple, celui de l'opium � la Chine (guerre de l'opium, 1838 - 1842)
+Au d�but du XXe si�cle, des penseurs, marxistes pour la plupart, ont associ� le ph�nom�ne de la multinationalisation des firmes et du colonialisme au d�veloppement du capitalisme, faisant de l'imp�rialisme son stade supr�me.
+En 1913, Rosa Luxemburg explique dans l'Accumulation du capital, que la reproduction du syst�me capitaliste n�cessite l'ouverture continuelle de nouveaux d�bouch�s et son implantation dans les r�gions g�ographiques dont il est encore absent. Ainsi selon Rosa Luxemburg, l'imp�rialisme m�ne in�vitablement � la guerre.
+Illustrant l'importance �conomique des colonies, o� plut�t refl�tant l'importance qu'on leur attribuait � l'�poque peut-�tre � tort, Jules Ferry d�clara � la Chambre que � la politique coloniale est fille de la politique industrielle �. En effet, au fur et � mesure de son d�veloppement et de l'�mergence �conomique de nouveaux pays, l'acc�s au march� et le partage des d�bouch�s deviennent de plus en plus probl�matiques. Mais la constitution de march�s coloniaux exclusifs est limit�e par la taille finie de la plan�te. Le temps du monde fini commence (selon l'expression du po�te Paul Val�ry) et les antagonismes entre les grandes puissances �conomiques ne peuvent s'en trouver qu'exacerb�es.
+De fait, des crises et des conflits opposent � plusieurs reprises le Royaume-Uni � la France (crise de Fachoda en 1898), les britanniques � des colons n�erlandais (guerre des Boers de 1899 � 1902), la France � l'Allemagne (au Maroc en 1905 - 1906 puis en 1911)? Jean Jaur�s, opposant � la premi�re guerre mondiale, d�clara que � le capitalisme porte la guerre comme la nu�e porte l'orage �.
+En 1916, L�nine explique dans l'Imp�rialisme, stade supr�me du capitalisme, que la concentration du capital m�ne � un stade de l'histoire du capitalisme marqu� par les positions de monopoles des grandes firmes industrielles et financi�res. Confront�es � la baisse tendancielle du taux de profit (th�orie marxiste qui estime que les taux de profits du capitalisme tendent � baisser naturellement sur le long terme), les grandes firmes tentent d'investir sur les march�s �trangers afin de retrouver de forts niveaux de profit. Les grandes firmes nationales s'entendent alors pour se partager le monde. L�nine prend par exemple le cas d'AEG (Allemagne) et de General Electric (�tats-Unis) dans le domaine de l'�lectricit�.
+� Ce qui caract�risait l'ancien capitalisme o� r�gnait la libre concurrence, c'�tait l'exportation des marchandises. Ce qui caract�rise le capitalisme o� r�gnent les monopoles, c'est l'exportation des capitaux. � (ibid.)
+La nature belliqueuse du capitalisme a �t� beaucoup discut�e. Nombre de lib�raux ont fait remarquer que l'imp�rialisme s'�tait aussi r�v�l� comme une tendance r�currente de l'Union sovi�tique. Dans les �tapes de la croissance �conomique (1960), Walt Whitman Rostow, pense que la guerre n'est pas proprement li�e au capitalisme, mais plus simplement au d�veloppement �conomique. L'�mergence d'une nouvelle puissance �conomique, qu'elle soit capitaliste ou autre, signifie l'apparition d'une ad�quation entre les �quilibres g�opolitiques pass�s et les rapports de forces nouveaux. La remise en question par la nation �mergente des trait�s pass�s m�ne naturellement � la guerre.
+Du point de vue de Fernand Braudel, si le capitalisme se fonde dans le commerce lointain, les colonies ont jou� un r�le positif. Toutefois la concomitance du colonialisme et du capitalisme n'est pas si �vidente dans les faits. Les grands empires coloniaux qu'ont �t� l'Espagne et le Portugal n'ont par exemple pas connu le d�veloppement du capitalisme industriel avant le XXe si�cle. Au contraire, des nations comme l'Allemagne et le Japon, et surtout les �tats-Unis, on su d�velopper un capitalisme efficace bien que ne poss�dant pratiquement pas de colonies.
+Certains historiens ont soulign� le r�le pervers des colonies dans le d�veloppement �conomique des m�tropoles. Ces derni�res, constituant des d�bouch�s � faciles �, ont jou� le r�le de march�s captifs, c'est � dire qu'elles ont d�courag� l'investissement mat�riel sur le territoire national en d�tournant d'importants volumes de capitaux vers l'ext�rieur.
+Certains[r�f. n�cessaire] estiment que les efforts de conqu�te, mais surtout d'am�nagement des territoires occup�s, ont co�t� davantage qu'ils n'ont rapport� aux �conomies capitalistes d'Europe. La th�orie de Karl Marx du � pillage colonial � est donc contest�e.
+En 1867, Karl Marx expliquait :
+� La d�couverte des contr�es aurif�res et argentif�res de l'Am�rique, la r�duction des indig�nes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conqu�te et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l'Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voil� les proc�d�s idylliques d'accumulation primitive qui signalent l'�re capitaliste � son aurore. �
+Marx voit dans la colonisation l'origine des capitaux n�cessaires � l'essor du capitalisme. Ils proviendraient :
+Dans une th�se dat�e de 1984, Empire colonial et capitalisme fran�ais, histoire d'un divorce, Jacques Marseille se demande si l'empire colonial a �t� un frein ou un moteur pour le d�veloppement du capitalisme fran�ais. Selon lui, l'importance de l'empire pour le capitalisme fran�ais n'a �t� qu'une apparence statistique. En effet, de grandes compagnies ont su profiter de la cr�dulit� des �pargnants pour s'attirer des capitaux qui ne prenaient souvent pas de formes mat�rielles dans les colonies. Par ailleurs, les produits import�s des colonies n'�taient pas des produits rares ni des produits dont les prix �taient substantiellement inf�rieurs aux cours mondiaux. � partir de la crise des ann�es 1930, ce sont les secteurs �conomiques en d�clin qui se sont accapar�s les march�s coloniaux, tandis que les secteurs sources d'innovation ne s'y sont en r�alit� que tr�s rarement int�ress�s. Certains estiment donc que l'empire n'a pas �t� la source du progr�s �conomique.
+Une prise de conscience de ce ph�nom�ne a progressivement renvers� l'opinion des �lites quant aux bienfaits du colonialisme, tandis que l'opinion publique, pourtant rapidement oppos�e au colonialisme, pour des raisons morales, conservait l'id�e que celui-ci �tait favorable � la France. Le probl�me des march�s captifs a d'abord �t� identifi� comme une source de d�motivation � l'innovation pour les entreprises nationales, cette derni�re n'�tant pas n�cessaire dans un contexte d'absence de concurrence de la part des pays �trangers. Le r�sultat serait alors de ce point de vue une perte de comp�titivit� face aux autres �conomies avanc�es. Seul le r�gime de Vichy a un temps pr�conis� le d�veloppement industriel des colonies, notant que le commerce avec des �conomies d�velopp�es �tait plus profitable que celui avec des pays sous-d�velopp�s. � la suite de la Seconde Guerre mondiale, les capitalistes ont c�d� au � complexe hollandais �. En effet, le constat de la croissance exceptionnelle de l'�conomie des Pays-Bas suite � l'abandon en 1949 de l'Indon�sie troublait la th�se couramment admise sur l'influence �conomique positive de l'empire.
+Finalement, la th�se de Jacques Marseille s'oppose � celle de Karl Marx sur le r�le du pillage colonial. Selon Marseille, il est notable que le d�veloppement r�cent du capitalisme a demand� au contraire un abandon des colonies, un � divorce par consentement mutuel � entre les deux parties : ce ne seraient donc pas des raisons �conomiques qui expliqueraient selon Marseille l'attachement des m�tropoles � certaines de leurs colonies, mais plut�t des raisons politiques et militaires. L'empire aurait en fait constitu� un � boulet � entravant la modernisation du capitalisme fran�ais. Si un des divorc�s en a largement profit�, la m�tropole, le cas du second est plus nuanc�. Si certaines anciennes colonies ont su d�velopper un capitalisme efficace suite � leur �mancipation, de nombreux pays, d'Afrique notamment, ont de nos jours des revenus par habitants inf�rieurs � ceux qu'ils avaient avant leur ind�pendance.
+Dans son ouvrage de 1994, Mythes et paradoxes de l'histoire �conomique, Paul Bairoch partage la th�se de Jacques Marseille :
+� A la veille de la premi�re guerre mondiale, 98% des minerais m�talliques utilis�s dans les pays d�velopp�s venaient du monde d�velopp� ; le chiffre �tait de 80% pour les fibres textiles et, comme nous l'avons vu, de plus de 100% pour l'�nergie. � (ibid.)
+Seuls quelques rares produits entra�naient une d�pendance vis � vis des colonies : le caoutchouc, les phosphates naturels? Au contraire, les pays du tiers monde �taient tr�s d�pendant des d�bouch�s de la m�tropoles, car bien que les m�tropoles fussent quasi autosuffisantes, les colonies quant � elles exportaient � plus de 90% des produits primaires.
+Paul Bairoch note toutefois que les cons�quences de la colonisation furent d�sastreuses : � Si l'occident n'a gu�re gagn� au colonialisme, cela ne signifie pas que le tiers monde n'y ait pas beaucoup perdu �. Les territoires colonis�s ne partag�rent pas la prosp�rit� de leur m�tropole et, d'apr�s Angus Maddison, le PIB de la plupart d'entre eux stagna entre 1820 et 1953.
+Faut-il imputer ce bilan au capitalisme ? Pour Karl Marx, � la richesse coloniale n'a qu'un seul fondement naturel : l'esclavage �, mais Paul Bairoch souligne que l'occident ne fut pas le seul colonisateur.
+Au sens de Braudel, il faut entendre � monde � comme un ensemble �conomique coh�rent. D�s lors, il peut coexister plusieurs � �conomies-monde �, qui forment diff�rents ensembles �conomiques. Ainsi les grandes cit�s marchandes sont-elles les centres d'ensembles �conomiques coh�rents � l'�chelle d'un continent, ou d'une mer (la M�diterran�e au XVIe si�cle pour les cit�s italiennes par exemple) :
+un morceau de la plan�te �conomiquement autonome, capable pour l'essentiel de se suffire � lui-m�me et auquel ses liaisons et ses �changes int�rieurs conf�rent une certaine unit� organique �.
+Ce n'est qu'avec la r�volution industrielle � la fin du XVIIIe si�cle que s'entame un processus qui fera de Londres le centre d'une � �conomie-monde � � l'�chelle mondiale. Elle sera plus tard d�pass�e par New York, vers 1929.
+L'�tude parall�le des deux termes n'est pas gratuite, car on tend � retrouver les caract�ristiques des � �conomies-monde � de la Renaissance dans l'�conomie mondiale actuelle.
+On peut donc consid�rer que c'est une longue �volution de sch�mas existant depuis la Renaissance qui a progressivement men� le capitalisme � constituer une �conomie mondialis�e.
+Les premi�res multinationales modernes datent du milieu du XIXe si�cle. � titre d'exemple, Samuel Colt r�alise le premier investissement am�ricain au Royaume-Uni en 1852 afin d'y faire produire son revolver. Singer, fabricant am�ricain de machines � coudre s'installe en Europe � partir de 1867. Ces entreprises, le plus souvent britanniques, ouvrent la voix de l'internationalisation de la production. Elles sont suivies dans les ann�es de la Grande d�pression (1873 - 1896) par un premier groupe de grandes firmes nationales : General Electric, AEG, Nestl�, Kodak, United Fruits,? En 1908, Henry Ford ouvre sa premi�re usine en Europe, � Manchester. La strat�gie d'installation sur les march�s �trangers � �t� par la suite modifi�e par la d�r�glementation et la modernisation des march�s financiers qui ont permis l'�change d'actifs financiers � l'�chelle de la plan�te. Les grands groupes fusionnent avec des firmes �trang�res (un des plus vieux exemples �tant Royal Dutch Shell, compagnie britannico-n�erlandaise fond�e en 1908). On peut par exemple noter que les entreprises � fran�aises � cot�es au CAC 40 sont en moyenne d�tenues � plus de 40 % par des investisseurs �trangers.
+Pour Robert Reich (l'�conomie mondialis�e, 1991), l'�conomie nation tend � dispara�tre au profit d'un r�seau mondial dans lequel les entreprises abandonnent la production standardis�e aux pays en d�veloppement, ce qui ne refl�tent pas une perte de comp�titivit� des pays riches (on peut noter par exemple que seul 10 % du prix d'un ordinateur est li� � sa production proprement dite), mais conservent le plus souvent les activit�s de conception. Enfin la production est dispers�e sur la plan�te afin de profiter des avantages de chaque r�gion.
+Du point de vue social, l'effet de cette mutation du capitalisme est un accroissement des in�galit�s au plan national. Les travailleurs les moins qualifi�s sont mis en concurrence avec ceux des pays du tiers monde, tandis que les � manipulateurs d'id�es � profitent de march�s gigantesques o� accro�tre leur profit. En effet l'id�e (logiciel, gestion, brevet,...), produite une fois, se multiplie � co�t quasi nul une infinit� de fois, ce qui entra�ne pour son concepteur un revenu proportionnel � la taille du march�.
+La perte de valeur du travail non qualifi� et m�me du capital mat�riel (de plus en plus d�localis� dans les pays pauvres) entra�ne une prise d'importance toujours croissante du capital immat�riel (la propri�t� intellectuelle) et de la connaissance technique et du savoir-faire des travailleurs (le capital humain).
+Au tournant des XIIIe et XIVe si�cles, se d�gage progressivement en Europe un nouveau concept : celui de privil�ge. Les privil�ges pr�sentent trois caract�ristiques :
+Mais c'est � Venise qu'appara�t le brevet sous sa forme moderne.
+Venise est � cette �poque un milieu cosmopolite, entreprenant et toujours en mouvement. Par ailleurs tout ce qui se rapporte � la gestion de l'eau et autres dispositifs aquatiques est leur domaine de pr�dilection. C'est pourquoi Venise aurait d�livr� en 1421 un privil�ge s'apparentant r�ellement � un brevet d'invention. Le nombre de privil�ges se multiplia au cours des cinquante ann�es qui suivirent et le syst�me s'�tendit � d'autres domaines pour devenir l'un des principaux moyens de transmission du progr�s commercial et industriel de la R�publique.
+En 1474 la proc�dure est suffisamment rod�e pour que les autorit�s d�cident, par un vote du S�nat (116 � oui � contre 10 � non � et 3 abstentions), d'int�grer l'exp�rience acquise en r�digeant une loi. Ce texte historique, connu sous le nom de � Parte Veneziana �, �nonce pour la premi�re fois les quatre principes de base justifiant la cr�ation de toute loi sur les brevets :
+Pour faire l'objet d'un privil�ge, l'invention doit �tre :
+Au Royaume-Uni, la premi�re loi sur les brevets d'invention (statute of monopolies) fut vot�e par le Parlement anglais en 1623. Depuis la Renaissance, de nombreuses cit�s reconnaissaient des privil�ges aux inventeurs. En France, l'Ancien R�gime leur assure aussi des droits. C'est Beaumarchais qui fera, durant la R�volution fran�aise, voter des � droits d'auteurs �. C'est le meilleur exemple du lien substantiel du capitalisme au Droit, car rien d'autre que la violence de l'�tat ne peut pr�venir la copie. Le Royaume-Uni de la r�volution industrielle se garantira l'exclusivit� de ses innovations en emp�chant la sortie de toute machine jusqu'en 1843.
+De nos jours, les brevets posent des probl�mes �thiques dans les domaines m�dicaux tandis que se pose la question de la brevetabilit� du vivant (le g�nome humain en particulier). Les brevets sur les logiciels, les algorithmes et les m�thodes d'affaires sont �galement de plus en plus critiqu�s, leurs d�tracteurs craignant un effet adverse sur l'innovation et par la m�me un danger pour le capitalisme (Proc�s Research In Motion vs Blackberry, Proc�s Microsoft vs Eolas, etc.). L'�volution des supports informatiques et des m�thodes d'�change, tel le � pair-�-pair � (peer-to-peer), montrent bien que la p�rennit� du capitalisme repose sur la volont� et la capacit� de l'�tat � assurer la protection de la propri�t� priv�e.
+Plus sp�cifiquement, il s'agit en r�alit� de pouvoir mon�tiser ce qui jusque l� n'avait qu'une valeur floue. Jusqu'� une �poque r�cente, la propri�t� intellectuelle �tait assur�e par le fait que sa violation n�cessitait des capitaux importants (usines de reproduction de CD, Usine destin�e � produire un produit qui viole un brevet, etc.) et surtout le produit fini (issu de la violation) �tait un produit physique. De ce fait, m�me si la notion de propri�t� intellectuelle n'�tait pas bien �tablie, un produit physique (dont la propri�t� n'�tait pas ambigue) venait la mat�rialiser et les contrefacteurs potentiels h�sitaient � investir du capital dans une entreprise qu'ils savaient condamnable (et donc condamn�e) � moyen terme. Le co�t de reproduction et surtout l'absence de nature 'physique' des biens contrefaits ont aujourd'hui fait sauter ces deux barri�res. Cette nouvelle situation a cr�� une n�cessit� pour le syst�me capitaliste : celle de d�finir clairement les bornes, les r�gles et les moyens de protection de la propri�t� intellectuelle afin de pouvoir la mon�tiser de fa�on fiable. L'�chec de ce processus entra�nerait des modifications profondes dans la structure du capitalisme actuel.
+On doit l'analyse la plus connue du � capital humain � � l'�conomiste am�ricain Gary Becker (Human Capital, 1964). Il d�finit l'ensemble des aptitudes et comp�tences accumul�es par l'individu et susceptibles de jouer un r�le dans le processus de production. C'est la forme de capital dont la prise en compte est la plus r�cente. Il joue un r�le croissant dans une soci�t� de plus en plus tertiaris�e et o� la recherche et les sciences ont une place cruciale.
+Ce capital est substantiel � l'individu et il semble donc improbable qu'on puisse l'en d�poss�der. Il existe toutefois des exceptions notables. Les salari�s quittant leur entreprise peuvent par exemple �tre soumis � une clause non-concurrence, les emp�chant alors de faire profiter de leur savoir une entreprise concurrente, et ce pour un certain temps. Mais le capital humain pose bel et bien de vrai probl�mes : la � fuite des cerveaux � par exemple (hauts dipl�m�s form�s aux frais d'un �tat et qui profitent � un autre). De m�me, le risque de perdre leurs salari�s d�courage les entreprises de leur offrir une formation on�reuse. Le capital humain repr�sente une forme de capital que le capitaliste ne peut pas encore s'approprier.
+Les �volutions d�crites par ses deux derniers paragraphes, acc�l�r�es par le processus de mondialisation, am�nent certains � consid�rer le passage dans un nouveau type d'�conomie (� �conomie du savoir � ou � capitalisme cognitif �) dans laquelle les droits de propri�t� sur le capital seraient plus limit�s. A titre d'exemple le philosophe altermondialiste d'inspiration marxienne Antonio Negri estime que :
+le travailleur, aujourd'hui, n'a plus besoin d'instruments de travail (c'est-�-dire de capital fixe) qui soient mis � sa disposition par le capital. Le capital fixe le plus important, celui qui d�termine les diff�rentiels de productivit�, d�sormais se trouve dans le cerveau des gens qui travaillent : c'est la machine-outil que chacun d'entre nous porte en lui. C'est cela la nouveaut� absolument essentielle de la vie productive aujourd'hui . �
+Cette th�se reste �minemment contest�e.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Homo sapiens (signifiant Homme sage en latin) est le nom binomial d�signant l'esp�ce humaine, il est l'appellation scientifique de ce qu'on nomme commun�ment l'Homme, l'humain ou encore l'�tre humain.
+Sur l'arbre du vivant, il appartient au r�gne animal, ordre des primates, et est le seul repr�sentant actuel du genre Homo, les autres esp�ces incluses dans ce genre, une quinzaine en l'�tat actuel des connaissances, �tant �teintes.
+Traditionnellement, on caract�rise les membres du genre Homo par la locomotion bip�de et l'aptitude � fabriquer des outils complexes. Le cerveau, par sa complexit�, rend aussi possible la capacit� � faire preuve d'abstraction et d'introspection. Au vue des d�bats scientifiques r�cents, il semble qu'il n'existe pas de d�finition biologique simple pour caract�riser les Homo ou Homo sapiens par rapports aux autres grands singes, et que la classification moderne doive se faire comme pour toute autre esp�ce vivante par la consid�ration de tout un ensemble de caract�ristiques biologiques.
+Toutefois, au niveau culturel, Homo sapiens se distingue par rapport � toute autre esp�ce existante par la complexit� de ses r�alisations techniques et artistiques, l'importance de l'apprentissage et de l'apport culturel dans le d�veloppement de l'individu, mais aussi par l'ampleur des transformations qu'il a occasionn�es sur son milieu et par un am�nagement important du territoire. Depuis l'acc�l�ration du d�veloppement de certaines soci�t�s humaines, � partir du N�olithique puis la p�riode de la � r�volution industrielle �, de nombreux paysages de la plan�te ont �t� modifi�s.
+Le mot fran�ais � homme � est une �volution du latin hominem, forme accusative de homo et se r�f�re avant toute chose � l'esp�ce Homo sapiens dans son ensemble. Le mot � homme �, dans une deuxi�me acception, d�signe aussi l'individu m�le. L'individu femelle est, quant � elle, d�nomm� � femme �.
+Certaines langues font la distinction entre l'homme � �tre humain � et l'homme � individu m�le � : par exemples le latin (homo = �tre humain et vir = �tre humain m�le), l'allemand (Mensch = �tre humain et Mann = �tre humain m�le). En fran�ais, certains dialectes (dont celui de France) utilisent indistinctement le terme � homme � tant�t pour parler du m�le, tant�t pour parler de l'esp�ce, alors que d'autres (comme celui du Qu�bec) pr�f�reront les termes g�n�riques � personne � et � humain � pour d�signer un membre de l'esp�ce et r�serveront la d�nomination � homme � pour parler du m�le humain adulte. Les droits de l'homme, par exemple, sont d�nomm�s ainsi dans de nombreux pays francophones, mais, au Qu�bec, on parle plut�t de � droits de la personne �.
+Toutefois, on peut remarquer l'emploi de la majuscule (Homme) pour distinguer l'esp�ce (Homo Sapiens) de l'�tre humain m�le (homme).
+Le nom Homo sapiens rel�ve de la terminologie scientifique introduite par Carl von Linn�, �labor�e pour sa classification syst�matique des esp�ces : la d�nomination binomiale. En dehors de l'usage qui en est fait pour cette d�nomination le mot latin � homo � doit porter une minuscule lorsqu'il est utilis� uniquement en tant que mot latin. Lorsqu'il est utilis� en tant que nom biologique de genre (� Homo �), c'est-�-dire le premier terme de la d�nomination, il doit porter la majuscule. La d�nomination scientifique compl�te de l'esp�ce humaine est, suivant cette terminologie : Homo sapiens, Linn� 1758.
+La signification des diff�rents �l�ments de cette d�nomination est la suivante :
+Toutefois, en pratique, en zoologie, le nom et l'ann�e sont rarement pr�cis�s.
+Jusqu'en 2003, l'esp�ce Homo sapiens �tait subdivis�e en deux groupes distincts, consid�r�s comme deux sous-esp�ces, dont l'une �tait l'esp�ce humaine actuelle, et l'autre, une esp�ce cousine �teinte, celle de l'homme de N�andertal. Comme pour toute sous-esp�ce la cons�quence terminologique a �t� de cr�er des noms trinomiaux en rajoutant un adjectif, toujours latin (et en italique), apr�s le nom d'esp�ce. C'est ainsi que l'esp�ce humaine �tait appel�e Homo sapiens sapiens. Bien que souvent encore entendue, cette terminologie n'est plus en vigueur pour la majorit� des scientifiques. En effet, n'�tant pas une terminologie constitutive, mais r�f�rentielle, elle est le r�ceptacle �volutif qui refl�te l'�tat des connaissances et la place de l'homme dans la compr�hension que celui-ci a du monde : de nouvelles connaissances ou une nouvelle compr�hension pourront produire une nouvelle classification, qui pourra conduire � une nouvelle d�nomination.
+Le deuxi�me atout de cette terminologie est, depuis Linn�, d'avoir offert un langage commun. Par del� les noms vernaculaires propres � chaque langue pour d�signer l'esp�ce humaine ou les membres de celle-ci : Human, Mensch, Ser humano... et parfois multiples au sein d'une m�me langue : l'esp�ce humaine, l'homme, l'humain ; Homo sapiens se pr�sente comme un vocable de r�f�rence, certes de nature scientifique, mais qui a su par ailleurs acqu�rir une notori�t� d�passant celle du jargon.
+Les recherches en pal�ontologie humaine ou pal�oanthropologie, ainsi que des �tudes en g�n�tique aboutissent � l'id�e que la population originelle pour tous les humains se situait en Afrique, il y a tr�s approximativement 200 000 ans.
+La classification des ossements fossiles dans l'esp�ce Homo sapiens, est r�alis�e par le rapprochement des morphologies osseuses comme :
+De plus ces caract�res propres doivent �tre combin�s � d'autres caract�res comme un volume c�r�bral important : entre 1 400 et 1 600 cm3. Par exemple le � r�cent � fossile de l'homme de Flores n'a pu �tre attribu� � Homo sapiens en raison d'un volume c�r�bral de seulement 400 cm3.
+Leur datation et la d�limitation de zones g�ographiques de r�partition sont de pr�cieux renseignements sur nos origines. Elles permettent de faire des d�ductions ou d'affiner les hypoth�ses. La pr�cision de cette science est limit�e car elle est d�pendante des �l�ments osseux et mat�riels mis au jour au fur et � mesure des fouilles. Ces d�couvertes ne permettent pas aujourd'hui � la pal�ontologie d'expliquer avec pr�cision o�, quand, et comment est n� le premier repr�sentant d'Homo sapiens. On sait n�anmoins, qu'Homo sapiens trouve son origine dans l'arborescence �volutive des hominin�s se trouvant en Afrique. Alors que l'homme de N�anderthal a fait son apparition en Europe depuis 250 000 ans, Homo sapiens n'aurait migr� depuis l'Afrique vers l'Europe et l'Asie que vers la fin des grandes glaciations vers -40 000 ans. Tous deux ont �t� contemporains l'un de l'autre, mais les conditions de leur rencontre et les d�tails de leurs � relations � ne sont pas connus. L'homme de N�anderthal est une esp�ce �teinte alors que Homo sapiens s'est maintenu, a colonis� tous les continents terrestres, a commenc� � s'implanter sur divers astres (la Lune, pr�paration de l'implantation sur la plan�te Mars) du syst�me solaire et m�me � projeter des outils (sondes Voyagers et Pioneers) au-del� de celui-ci.
+C'est en Afrique que les plus vieux ossements ont �t� d�couverts. Aujourd'hui, les pal�ontologues donnent � Homo sapiens un �ge d'environ 200 000 ans puisque les plus vieux ossements retrouv�s sont deux cr�nes dat�s de -195 000 ans, et appel�s Omo 1 et Omo 2 ; viennent ensuite ceux de l'homme d'Herto encore appel� Homo sapiens idaltu, dat�s d'environ -154 000 ans.
+Ensuite viennent les ossements de Qafzeh et Skhul en Isra�l/Palestine dat�s respectivement de -97 000 et -80 000 ans.
+Les plus c�l�bres sont ceux de l'homme de Cro-Magnon, dat�s de -35 000 ans et d�couverts en France.
+Jusqu'en 2003, l'esp�ce Homo sapiens �tait subdivis�e en deux sous-esp�ces, Homo sapiens sapiens et Homo sapiens neanderthalensis. Les r�sultats d'analyses g�n�tiques ont conduit la plupart des auteurs � consid�rer ce dernier taxon comme une esp�ce � part enti�re, nomm�e Homo neanderthalensis. L'homme moderne et ses anc�tres imm�diats ne sont plus consid�r�s comme des Homo sapiens sapiens mais comme des Homo sapiens, dont ils sont les seuls repr�sentants.
+Les �tres humains actuels appartiennent � cette seule esp�ce, et sa subdivision en races est g�n�ralement consid�r�e comme non pertinente, d'un point de vue biologique. Le 21 d�cembre 2005 la plan�te Terre a vu l'esp�ce humaine atteindre 6,5 milliards de repr�sentants.
+Les comparaisons entre diff�rentes populations humaines actuelles des s�quences de l'ADN mitochondrial et du chromosome Y sugg�rent fortement que tous les humains actuels ont une origine commune situ�e en Afrique. Les comparaisons avec l'homme de N�anderthal semble confirmer qu'il n'y aurait pas eu de croisement avec cette esp�ce, mais l'hypoth�se n'est pas encore compl�tement exclue.
+Du point de vue scientifique, l'apparition de l'homme r�sulte d'une �volution biologique � partir d'esp�ces anc�tres, d'abord des eucaryotes, puis des vert�br�s, des t�trapodes et aussi des mammif�res arboricoles pr�sentant une allure g�n�rale semblable aux singes actuels. Cette �volution depuis notre anc�tre commun le plus r�cent avec les chimpanz�s est relativement bien document�e gr�ce aux fossiles, bien que des lacunes importantes existent; le fait que les deux esp�ces de chimpanz�, Pan troglodytes et Pan paniscus, soient consid�r�s comme les esp�ces vivantes les plus proches de l'Homme est aussi �tablie par la phylog�n�tique.
+Les s�parations des lign�es ayant men� aux diff�rentes esp�ces de primates actuels, dont le genre Homo, se sont produites de mani�re successive. La s�paration la plus r�cente entre la lign�e humaine et celle d'une autre esp�ce de primate a �t� la bifurcation des Hominin�s en Hominines (lign�e humaine) et Panines (lign�e des chimpanz�s). Selon David Reich de la Harvard Medical School � Boston, cette s�paration s'est faite il y a moins de 6,3 millions d'ann�es. Toutefois, ces travaux indiquent �galement que cette s�paration a �t� progressive, car la comparaison des s�quences des chromosomes X de l'Homo sapiens et du chimpanz� montre des similitudes qui semblent refl�ter une p�riode de r�-hybridation entre des Hominines et des Panines. Une hybridation significative entre au moins une esp�ce de chimpanz� d'une part, des esp�ces d'australopith�que et probablement des esp�ces d'homme d'autre part, conduisant � des �changes de g�nes entre les deux tribus, a d� exister pendant peut-�tre quatre millions d'ann�es selon les auteurs de ces travaux.
+Les m�canismes orientant cette �volution ne sont pas encore enti�rement compris, mais la s�lection naturelle semble avoir jou� un r�le important : l'environnement aurait guid� notre �volution r�cente bien que les facteurs environnementaux responsables n'ont pas encore tous �t� identifi�s.
+Les th�ories scientifiques se sont d'abord centr� sur l'�volution de la taille du cerveau qui aurait pr�c�d� en temps les autres �volutions adaptatives de l'�tre humain (th�orie du singe au gros cerveau). Toutefois la d�couverte de Lucy qui avait une d�marche d�j� bip�de mais un cerveau de faible volume vint infirmer cette hypoth�se, la bip�die �tant de loin plus ancienne voire archa�que tandis que l'augmentation du volume c�r�bral �tant un ph�nom�ne plus r�cent. Des empreintes de pas fossilis�es datant de 3,75 millions d'ann�es (trouv�es � Laetoli en Tanzanie) montrent une bip�die archa�que. Des empreintes comparables aux n�tres datant de 1,51 � 1,52 millions d'ann�es (trouv�es au Kenya � Ileret).
+Par sa capacit� � ma�triser des techniques lui permettant d'affronter des conditions climatiques difficiles, l'�tre humain vit dans quasiment tous les milieux terrestres et sous quasiment toutes les latitudes. Seules certaines r�gions extr�mes, comme l'Antarctique, ne sont pas colonis�es de mani�re permanente.
+On estime qu'en 2009 l'humanit� compte 6,789 milliards d'individus.
+Les esp�ces actuellement les plus proches de l'humain sont les deux esp�ces de chimpanz� : Pan troglodytes (le chimpanz� commun) et Pan paniscus (le bonobo). Dans leur proximit� phylog�n�tique � l'homme viennent ensuite le gorille et l'orang-outan. Le g�nome des humains ne diff�re que de 0,27 % de celui des chimpanz�s, et de 0,65 % de celui des gorilles. Ces chiffres conduisent � estimer que notre lign�e s'est s�par�e de celle des chimpanz�s il y a environ cinq millions d'ann�es, et des gorilles il y a environ sept millions d'ann�es.
+La d�marche phylog�n�tique part de l'id�e que la vie �volue des formes les plus simples aux plus organis�es, avec acquisition de plus en plus de caract�ristiques nouvelles, m�me si des pertes secondaires de caract�res peuvent se produire au sein des lign�es. Ainsi, l'esp�ce humaine fait partie, comme toute autre esp�ce du vivant, de plusieurs groupes embo�t�s dont chacun est caract�ris� par un caract�re nouveau, qui se rajoute � ceux d�j� accumul�s. Notre esp�ce est class�e dans :
+Dans le groupe des primates, Homo sapiens fait partie des :
+Parmi toutes les esp�ces cit�s ci-dessus, aucune n'est � inf�rieure � � aucune autre. Seuls les degr�s de parent� diff�rent, en allant des esp�ces les plus �loign�es jusqu'aux esp�ces les plus proches de nous.
+ +On entend souvent : � l'homme descend du singe �. Cette phrase est en fait fausse : l'humain partage avec les singes actuels des anc�tres communs, qu'on ne conna�t pas encore. L'Homo sapiens serait en fait l'esp�ce actuelle la plus proche des chimpanz�s, et inversement. Donc, parmi toutes les esp�ces vivantes actuelles, il n'y aurait aucun anc�tre, mais simplement des esp�ces qui sont plus ou moins apparent�es entre elles. Du point vue scientifique, les humains ne sont pas � plus �volu�s � que les chimpanz�s. Ils ne sont pas � sup�rieurs � aux autres �tres vivants, ni aux singes, ni aux bact�ries ; chaque esp�ce est adapt�e � son milieu. Parler en termes de sup�riorit� d'une esp�ce rel�ve de jugements de valeur.
+Selon Jean-Marie Schaeffer, on a longtemps estim�, en sociologie et en philosophie, que l'esp�ce humaine �tait � part dans le monde vivant. Dans son ouvrage La fin de l'exception humaine, il estime que l'esp�ce humaine doit �tre consid�r�e de la m�me mani�re que les autres esp�ces � pour appr�hender la complexit� de notre psychisme et de nos relations sociales �.
+La notion du propre de l'homme rel�ve � la fois de la philosophie et de la science, notamment la pal�oanthropologie et la sociobiologie, et a une grande importance religieuse.
+Les plus anciennes traces de r�flexion sur la sp�cificit� de l'homme remontent � l'Antiquit�. Par la suite, � de nombreuses reprises, les scientifiques et les penseurs ont tent� de d�finir le propre de l'homme par des caract�ristiques anthropocentriques aujourd'hui d�pass�es :
+� Ainsi, m�me dans le cadre des th�ories modernes de l'�volution, qu'on appelle n�odarwinisme ou th�orie synth�tique de l'�volution - terme invent� pas Julian Huxley - et qui domine la pens�e �volutionniste entre 1947 et 1977, les �volutionnistes s'efforcent de r�server une place � part � l'homme, �tant entendu que si son corps � �volu�, il reste que ce qui fait l'humain �chappe aux lois de l'�volution13. �+
Durant les d�veloppements de la science moderne, les � sp�cificit�s � avanc�es comme �tant propres � l'homme ont tour � tour �t� remise en question. Ainsi, il fut avanc� que le propre de l'homme �tait l'usage de l'outil, et il fut aussi question de la culture, qui semblait seulement exister chez notre esp�ce animale. Toutefois, les d�couvertes r�centes montrent que les grands singes manient eux aussi des outils, et sont capable de transmettre des �l�ments de culture. Le caract�re bip�de exclusif de l'homme est lui aussi remis en question : la bip�die aurait pu pr�-exister parmi l'anc�tre commun des homino�des, dans ce cas ce n'est pas la lign�e humaine qui aurait acquis la bip�die, mais ce seraient les lign�es existantes de grands singes qui l'auraient perdue. Le rire a lui aussi �t� souvent pr�sent� comme �tant le propre de l'Homme mais de nombreuses recherches le montrent comme appartenant �galement aux grands singes et m�me aux rats.
+Du point de vue de la biologie, cette question peut sembler peu pertinente si l'on prend l'angle d'approche de la sociobiologie : elle est � �vidente � par sa pr�sence. Par contre, la pal�oanthropologie apporte une r�ponse int�ressante � la question, tout en se concentrant sur les aspects biologiques de l'Homo sapiens. Une citation de Pascal Picq r�sume cette position scientifique :
+� L'humain est bien une invention des hommes, qui repose sur notre h�ritage �volutif partag�, mais n'est pas une �vidence pour autant. Homo sapiens n'est pas humain de fait.15 �+
Homo sapiens peut �tre pr�sent� sommairement comme �tant un mammif�re terrestre ; dress� sur deux membres inf�rieurs, qui constituent la base de son corps, en proportion environ de moiti�, prolong�s, en haut, par le tronc, le cou, puis la t�te. Disposant de deux membres sup�rieurs, se terminant chacun par une main, ce qui lui permet de saisir et manipuler ; d'une taille � l'�ge adulte pouvant aller d'environ 80 cm � environ 2,50 m dans les deux extr�mes du nanisme et du gigantisme (plus couramment de 1,40 � 2 m) ; disposant d'organes sexuels ; � la couleur de peau empruntant les degr�s du noir, du marron, du beige ou du ros�, pouvant �tre recouvert de poils par endroits, de forme allant du fris� au lisse et dont la couleur est, ind�pendamment de la couleur de la peau, de teintes noire, brune, blonde, rousse ou blanche ; aux yeux aux teintes du marron, du bleu, du vert ou du gris...
+L'�volution vers Homo sapiens se caract�rise par les �l�ments suivants :
+Les liens entre ces �l�ments, leur valeur adaptative, et leur r�le dans l'organisation sociale est sujet � d�bat parmi les anthropologues. La taille moyenne des hommes, aujourd'hui, en France, est de 1,75 m, et celle des femmes de 1,62 m, pour des masses respectives moyennes de 75 et 61 kg. Les donn�es individuelles sont tr�s variables autour de ces moyennes, avec une forte influence de facteurs environnementaux, des comportements et des r�gimes nutritionnels. Les moyennes elles-m�mes varient beaucoup selon les populations et les �poques.
+Les jeunes naissent avec une masse autour de 3 kg, et une taille d'environ 50 � 60 cm, apr�s une gestation de neuf mois. Totalement d�pendants � la naissance, leur croissance dure plusieurs ann�es. La maturit� sexuelle survient entre 12 et 15 ans. La croissance des gar�ons continue souvent jusque vers 18 ans (la croissance se termine vers 21 - 25 ans avec la solidification de la clavicule). L'esp�rance de vie est tr�s d�pendante des conditions mat�rielles et de la disponibilit� de soins m�dicaux. L'esp�rance de vie se situe aujourd'hui autour de 75 ans dans les pays les plus riches, et est inf�rieure � 40 ans dans les plus pauvres. Des cas isol�s de long�vit� approchent 120 ans, et la personne ayant v�cu le plus longtemps sans doute possible sur son �ge est la fran�aise Jeanne Calment, qui a v�cu plus de 122 ans.
+L'�tre humain poss�de 23 paires de chromosomes (contre 32 pour le cheval).
+Bien que les premi�res manifestations de pr�occupations esth�tiques ou symboliques soient attribuables � l'homme de N�andertal durant le Pal�olithique moyen, les plus anciennes repr�sentations humaines authentifi�es comme telles sont le fait d'Homo sapiens et peuvent �tre dat�es du Pal�olithique sup�rieur (vers 40 000 � 10 000 ans BP). Ainsi � l'Aurignacien (vers 40 000 � 28 000 ans BP), faci�s culturel le plus ancien et attribuable � l'homme anatomiquement moderne en Europe, sont associ�es les statuettes de Vogelherd, de Geissenkl�sterle et de Hohlenstein-Stadel qui restituent des figures en ronde bosse repr�sentant des mammouths, des f�lins, des ours, des chevaux et des hommes. On note aussi dans l'art pari�tal, comme � la grotte Chauvet, la repr�sentation de vulves f�minines ainsi que d'individus mi-homme mi-bison. Puis au Gravettien (29 000 � 22 000 ans BP) sont sculpt�es des figures f�minines dites v�nus pal�olithiques. Au Magdal�nien (19 000 � 10 000 ans BP), les repr�sentations humaines sur paroi ou sur objet se font plus fr�quentes.
+L�onard de Vinci, avec ses dessins d'anatomie, est le premier � �tudier le corps humain avec un oeil m�dical, suivi par Michel-Ange (voir par exemple le � David � ci-dessous) ; ses tableaux s'efforcent de repr�senter le corps de l'homme avec la pr�cision de la masse organique qui le compose.
+Le jeudi 30 mars 2006 s'est tenu � l'UNESCO un colloque ayant pour th�me � L'esp�ce humaine peut-elle se domestiquer elle-m�me ? �. Le directeur g�n�ral de l'UNESCO, Monsieur Matsuura, avait alors expos� les deux enjeux de cette question : l'enjeu scientifique, mais �galement l'enjeu �thique, et exposa ainsi la probl�matique : � Pour la premi�re fois de son histoire, l'humanit� va donc devoir prendre des d�cisions politiques, de nature normative et l�gislative, au sujet de notre esp�ce et de son avenir. Elle ne pourra le faire sans �laborer les principes d'une �thique, qui doit devenir l'affaire de tous. Car les sciences et les techniques ne sont pas par elles-m�mes porteuses de solutions aux questions qu'elles suscitent. Face aux d�rives �ventuelles d'une pseudo-science, nous devons r�affirmer le principe de dignit� humaine. Il nous permet de poser l'exigence de non-instrumentalisation de l'�tre humain �. L'esp�ce humaine ainsi appr�hend�e dans sa vuln�rabilit� g�n�tique pose la question de son statut juridique : Est-elle un sujet de droit ? Est-elle prot�g�e en elle-m�me ? Comment est-elle prot�g�e ?
+Paradoxalement, alors que les conf�rences insistent de plus en plus sur l'esp�ce humaine et sur son devenir, les textes internationaux ne prot�gent pas pour le moment l'esp�ce humaine par un dispositif qui lui serait express�ment rattach�.
+Les quelques rares textes qui font mention de l'esp�ce humaine le font dans leur pr�ambule, au titre de fondement g�n�ral aux dispositions du corps du texte, qui ne vise donc pas directement � prot�ger l'esp�ce humaine elle-m�me ; ainsi peut-on lire dans le pr�ambule de la D�claration sur la race et les pr�jug�s raciaux adopt�e par acclamation le 27 novembre 1978 � la vingti�me session de la conf�rence g�n�rale de l'Organisation des Nations unies pour l'�ducation, la science et la culture � Paris pour fonder la non hi�rarchisation de ses membres : alin�a 5 : � Persuad�e que l'unit� intrins�que de l'esp�ce humaine et, par cons�quent, l'�galit� fonci�re de tous les �tre humains et de tous les peuples, reconnue par les expressions les plus �lev�es de la philosophie, de la morale et de la religion, refl�tent un id�al vers lequel convergent aujourd'hui l'�thique et la science, �. Il ne faut ici pas confondre la protection de l'esp�ce humaine en tant que telle, et l'interdiction de la hi�rarchisation de ses membres qui est pr�cis�ment l'objet des dispositions de la D�claration.
+La Convention pour la protection des Droits de l'homme et de la dignit� de l'�tre humain � l'�gard des applications de la biologie et de la m�decine : Convention sur les Droits de l'homme et la biom�decine �labor�e au sein du Conseil de l'Europe, convention dite d'Oviedo du 4 avril 1997, fait �galement r�f�rence � l'esp�ce humaine dans l'alin�a 10 de son pr�ambule : � Convaincus de la n�cessit� de respecter l'�tre humain � la fois comme individu et dans son appartenance � l'esp�ce humaine et reconnaissant l'importance d'assurer sa dignit�; �. L'esp�ce humaine est de premier abord pr�sent�e de nouveau comme attribut d'un sujet de droit pour fonder la protection de celui-ci ; toutefois, la probl�matique du Directeur G�n�ral de l'UNESCO trouve dans le corps de la convention une r�sonance au sein de l'article 13 de la convention, intitul� � Interventions sur le g�nome humain � situ� sous le Chapitre IV relatif au � G�nome humain �. En effet, cet article �nonce qu' � Une intervention ayant pour objet de modifier le g�nome humain ne peut �tre entreprise que pour des raisons pr�ventives, diagnostiques ou th�rapeutiques et seulement si elle n'a pas pour but d'introduire une modification dans le g�nome de la descendance. �. Ce texte se pr�occupe explicitement, non pas seulement de la d�finition g�n�tique de l'individu lui-m�me, mais �galement de sa descendance � travers son patrimoine g�n�tique, et, par l� m�me, de l'esp�ce. La protection ainsi �labor�e n'est cependant pas absolue. En effet, le texte ne retient la modification du g�nome de la descendance comme illicite que dans la mesure o� cette modification n'est pas le but poursuivi ; a contrario, si le g�nome de la descendance n'est pas la motivation directe de la modification du g�nome, cette modification est licite dans les cas gouvern�s par � des raisons pr�ventives, diagnostiques ou th�rapeutiques � relatives � la personne subissant l'intervention.
+La proc�dure se d�compose traditionnellement en une Signature par un pl�nipotentiaire (Chef d'�tat, Ministre des affaires �trang�res...) et une Ratification, qui consiste en une confirmation de cette signature, par l'organe comp�tent propre � chaque �tat, qui lie ainsi, de fa�on effective, l'�tat au Trait�. Ainsi, une convention internationale n'a th�oriquement valeur de droit positif que si, apr�s avoir �t� sign�e, elle a �t� ratifi�e (en droit fran�ais la ratification est le fait du Pr�sident de la R�publique, conform�ment � l'article 52 de la Constitution, apr�s autorisation du Parlement selon les cas �num�r�s � l'article 53 de la Constitution). La port�e de cette protection est donc tr�s relative.
+La valeur juridique de ces trait�s d�pend de la compr�hension propre � chaque syst�me juridique de ce qui constitue une atteinte � l'esp�ce humaine. La France a adopt� r�cemment une des premi�res l�gislations sp�cifiques visant explicitement � prot�ger l'esp�ce humaine.
+La loi du 29 juillet 1994 relative au corps humain (une des lois dites bio�thiques) a introduit, dans le droit fran�ais, la disposition selon laquelle � Nul ne peut porter atteinte � l'int�grit� de l'esp�ce humaine � (article 16 - 4 1er alin�a Code civil fran�ais). Cette disposition figure parmi les principes g�n�raux devant gouverner les recherches scientifiques et les pratiques m�dicales (articles 16 � 16 - 9 c.civ.). D'importants d�bats existent sur la port�e et la signification pratique � donner � cette interdiction : en effet, les alin�as subs�quents de l'article 16 - 4 �noncent les interdictions de l'eug�nisme, du clonage reproductif (cette interdiction a �t� introduite par la loi bio�thique du 7 ao�t 2004), et de la modification des � caract�res g�n�tiques dans le but de modifier la descendance de la personne �. Ainsi, le premier alin�a doit-il �tre interpr�t� ind�pendamment des autres, ce qui reviendrait � distinguer l'interdiction de porter atteinte � l'int�grit� de l'esp�ce humaine, l'interdiction des pratiques eug�niques et l'interdiction du clonage, auquel cas le premier alin�a demeure �nigmatique ? Ou ce premier alin�a doit-il �tre interpr�t� � la lumi�re des alin�as subs�quents, auquel cas l'int�grit� de l'esp�ce humaine serait atteinte par la r�alisation d'actes d'eug�nisme ou de clonage ?
+Une r�ponse semble pouvoir exceptionnellement �tre recherch�e dans la traduction p�nale de ces interdictions : en effet, ce sont les m�mes textes qui figurent dans le Code civil fran�ais et dans le code p�nal, textes qui ont �t�, de surcro�t, introduits par les m�mes lois. Prot�g�e p�nalement depuis 1994 � l'article 511 - 1 du code p�nal, dans le livre qui prot�geait les animaux des s�vices graves (le Livre V du code p�nal), l'esp�ce humaine a re�u par la loi bio�thique du 7 ao�t 2004 une protection renforc�e, les dispositions la prot�geant ayant �t� d�plac�es en partie dans le livre II, lui faisant partager � pr�sent l'intitul� du Titre I qui r�primait les crimes contre l'humanit�, soit : � Des crimes contre l'humanit� et contre l'esp�ce humaine �, et lui consacrant le Sous-titre II intitul� � Des crimes contre l'esp�ce humaine � regroupant les articles 214 - 1 et suivant.
+L'enjeu de ces dispositions est de pr�server les sp�cificit�s biologiques de l'esp�ce humaine que sont toutes ses caract�ristiques g�n�tiques :
+Les crimes contre l'esp�ce humaine peuvent �tre consid�r�s comme le deuxi�me ensemble d'infractions les plus grave du syst�me juridique fran�ais, apr�s les crimes contre l'humanit�, apparaissant en deuxi�me position (apr�s les crimes pr�cit�s) dans l'�nonciation des infractions dans le code p�nal, et l'action publique se prescrivant, par exception au droit commun (10 ans pour les crimes), par un d�lais de 30 ans (ce d�lai ne commen�ant par ailleurs � courir qu'� la majorit� de l'enfant qui serait n� du clonage), l'action publique relative aux crimes contre l'humanit� �tant, quant � elle, imprescriptible. On peut, par ailleurs, voir dans les crimes contre l'esp�ce humaine le compl�ment de la protection de l'homme initi�e par les crimes contre l'humanit�, ces derniers prot�geant l'homme dans sa dimension m�taphysique : le respect de son humanit� et de sa dignit�, et les crimes contre l'esp�ce humaine prot�geant l'homme dans sa dimension mat�rielle : sa d�finition g�n�tique et sa sp�cificit� biologique.
+Une �quipe internationale de chercheurs a d�montr� que l'arriv�e d'Homo Sapiens sur le Sahul (Australie, Nouvelle Guin�e, Tasmanie) avait pris quelque 20 000 g�n�rations. Ces hommes sont � l'origine des Aborig�nes d'Australie, �tant rest�s quelque 50 000 ans isol�s des autres populations. Cette �tude a �t� r�alis�e en comparant les ADNmt et les chromosome Y de centaines d'Aborig�nes et de Malaisiens. Cela r�fute formellement la th�se qui postulait qu'Homo Erectus aurait converg� vers un homo sapiens tout comme le d�veloppement qui avait lieu en afrique.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Jules C�sar (latin : CAIVS-IVLIVS-CAESAR-IV � sa naissance, IMPERATOR-CAIVS-IVLIVS-CAESAR-DIVVS- � sa mort) est un g�n�ral, homme politique et �crivain romain, n� � Rome le 12 ou le 13 juillet 100 av. J.-C. et mort le 15 mars 44 av. J.-C. (aux Ides de Mars).
+Son destin exceptionnel marqua le monde romain et l'histoire universelle : ambitieux et brillant, il s'appuya sur le courant r�formateur et d�magogue pour son ascension politique ; strat�ge et tacticien habile, il repoussa les fronti�res romaines jusqu'au Rhin et � l'oc�an Atlantique en conqu�rant la Gaule, puis utilisa ses l�gions pour s'emparer du pouvoir. Il se fit nommer dictateur � vie, et fut assassin� peu apr�s par une conspiration de s�nateurs. Il fut divinis� et son fils adoptif Octave, vainqueur de Marc Antoine acheva la r�forme de la R�publique romaine, qui laissa place au principat et � l'Empire romain.
+C�sar affirmait avoir pour anc�tre Iule (ou Ascagne), fils d'�n�e et de Cr�use, amen� en Italie par son p�re apr�s la chute de Troie. Ce fondateur d'Albe-la-Longue �tait consid�r� comme le cr�ateur de la vieille famille des Iulii qui, selon l'empereur Claude, se joignit ensuite aux patriciens de Rome. Par ce lignage, C�sar revendiqua, lorsqu'il pronon�a l'�loge fun�bre de sa tante Julia, une ascendance remontant � V�nus.
+Les Iulii historiquement connus furent une famille patricienne d'importance mineure, qui exer�a quelques consulats mais ne faisait pas partie, au Ier si�cle av. J.-C., de la cinquantaine de familles de la nobilitas qui fournissaient la plupart des consuls. Les Julii connurent des revers de fortune, et Jules C�sar grandit dans une maison assez modeste du bas quartier de Subure, de mauvaise r�putation.
+Caius Julius C�sar, le futur Jules C�sar, na�t vers 100 av. J.-C., fils de Caius Julius Caesar III et de Aurelia Cotta, �galement d'origine patricienne. Malgr� les sources historiques, la date pr�cise de cette naissance reste incertaine : le 12 juillet ou le 13 juillet 100 av. J.-C.10,11,12,13 ou 102 av. J.-C.14,15.
+Selon Tacite, en m�lant d�vouement maternel et ferme discipline, sa m�re Aurelia donne � Caius et ses deux soeurs Julia une �ducation exemplaire. Cic�ron attribuera � cette �ducation familiale et � des �tudes assidues l'�l�gance du latin de C�sar et la qualit� de son �loquence. Plutarque et Su�tone souligneront aussi son art des relations en soci�t� tout au long de sa vie : amabilit� et politesse envers ses h�tes, prodigalit� sans retenue, savoir-vivre et bonne tenue dans les banquets (Caton, qui pourtant le d�teste, lui accorde qu'il est le seul ambitieux qui ne s'enivre pas), conversation brillante et cultiv�e. Ces qualit�s de s�duction seront ses premiers atouts dans la vie publique romaine.
+Son p�re, Caius Julius Caesar III, ne d�passe pas, dans sa carri�re politique, le rang de pr�teur en 92 av. J.-C., et meurt subitement un matin en mettant ses chaussures, C�sar est alors �g� de quinze ans. Son oncle, Sextus Julius Caesar III, obtient le consulat en 91 av. J.-C. mais meurt au si�ge d'Asculum lors de la Guerre sociale.
+La jeunesse de Jules C�sar s'inscrit dans un contexte de violentes luttes politiques qui opposent les optimates aux populares. Les premiers maintiennent une ligne conservatrice et aristocratique qui place le s�nat romain au coeur de la R�publique. Les seconds veulent satisfaire les revendications sociales et accorder plus de place politique aux Italiens et aux provinciaux.
+Jules C�sar grandit ainsi au milieu de troubles sanglants (Premi�re guerre civile) : combats de rue � Rome en 88 av. J.-C. entre les partisans de Caius Marius, chef des populares, et ceux de Sylla, puis victoire des l�gions de Sylla sur les marianistes aux portes de Rome en 82 av. J.-C., suivie d'impitoyables chasses � l'homme contre les proscrits du camp adverse.
+Ses relations familiales placent Jules C�sar parmi les populares dans le jeu politique romain. Sa tante Julia fut l'�pouse du consul Marius et lui-m�me �pouse en 84 av. J.-C. Cornelie Cinna la fille de Cinna, successeur de Marius. Malgr� ces alliances familiales, Jules C�sar ne semble pas s'�tre joint aux marianistes les plus extr�mistes lors de la guerre civile qu'ils men�rent contre Sylla. Il est possible que C�sar ait suivi les mod�r�s lorsqu'ils se rallient � Sylla. En 84 av. J.-C. C�sar est choisit - ou est candidat - au sacerdoce de flamen dialis (premier pr�tre de Jupiter) suite au suicide de Lucius Cornelius Merula durant les proscriptions marianistes. Ce poste honorifique lui interdit toute activit� guerri�re, donc d'entreprendre le Cursus honorum.
+Sylla exige que C�sar divorce de Cornelie Cinna et rompe ainsi ses derniers liens avec les marianistes. C�sar refuse, et doit se cacher, jusqu'� ce que de puissants protecteurs, dont son oncle Aurelius Cotta, fassent fl�chir Sylla et cesser la traque. Sylla lui a entre-temps bloqu� sa nomination comme Flamen Dialis et les interdits qui l'accompagnaient (ainsi que la dot de sa femme et une partie de son h�ritage). Prudent, C�sar quitte Rome. Il s'enr�le vers 80 av. J.-C. dans l'arm�e et rejoint avec le pr�teur Marcus Minucius Thermus le th��tre d'op�rations militaires en Asie, o� Lucullus assi�ge Mytil�ne, capitale de Lesbos qui s'�tait ralli�e � Mithridate VI. C�sar re�oit mission de demander au roi de Bithynie Nicom�de IV le renfort de sa flotte. Su�tone se fait l'�cho d'une rumeur sur la r�putation de C�sar, rapportant qu'il aurait eu des relations sexuelles passives avec Nicom�de, vice le plus m�prisable aux yeux des Romains. Cette suspicion, qui peut �tre une lourde et classique plaisanterie entre soldats, plut�t qu'une r�alit� ind�montrable, suivra C�sar, depuis les commentaires insultants de ses adversaires jusqu'� son triomphe final.
+Lors de la prise de Mytil�ne, C�sar accomplit un exploit que les historiens ne pr�cisent pas, mais qui lui vaut en r�compense une couronne civique, la plus glorieuse d�coration militaire, habituellement d�cern�e pour avoir sauv� au combat la vie d'un concitoyen. C�sar sert encore en Cilicie sous les ordres de Servilius Isauricus, puis est d�mobilis�.
+� la mort de Sylla en 79 av. J.-C., C�sar demeure quelque temps en Asie. Selon Plutarque, lors de son trajet sur la mer �g�e, il est enlev� par des pirates de Cilicie qui le font prisonnier durant 38 jours sur l'�le de Farmakonisi et r�clament une ran�on de vingt talents d'or. C�sar d�clare en valoir cinquante, et promet de revenir ex�cuter les pirates apr�s sa lib�ration, ce qu'il fait effectivement. Puis il perfectionne son �loquence aupr�s du c�l�bre rh�teur grec Molon de Rhodes.
+De retour � Rome, il d�bute sa vie publique par un coup d'audace : il attaque en justice le proconsul Gnaeus Cornelius Dolabella qui vient d'achever son mandat en Mac�doine, et l'accuse de concussion. Malgr� l'�loquence de C�sar et les nombreux t�moins � charge qu'il cite, la cible a trop de poids politique : Dolabella est acquitt�, probablement par solidarit� de classe avec ses juges tous issus du S�nat. C�sar tente une seconde et brillante attaque contre Gaius Antonius Hybrida, qui faillit r�ussir. Antonius dut recourir � l'intervention des tribuns de la pl�be pour �chapper � une condamnation.
+C�sar d�veloppe activement ses relations, d�pensant beaucoup en r�ceptions, et entame le parcours politique classique (cursus honorum) : tribun militaire, questeur en 69 av. J.-C. en Espagne, puis �dile en 65 av. J.-C., il capte la faveur du peuple en r�tablissant le pouvoir des tribuns de la pl�be et en relevant les statues de Marius. Charg� de l'organisation des jeux, il emprunte massivement pour en donner de spectaculaires, alignant selon Plutarque le nombre record de 320 paires de gladiateurs.
+Parall�lement, C�sar poursuit son activit� judiciaire, pour des causes qui flattent le courant des populares. En 64 av. J.-C., il intente des proc�s contre d'anciens partisans de Sylla, fait condamner Lucius Liscius et Lucius Bellienus, pay�s pour avoir ramen� la t�te de proscrits. Mais il �choue contre Catilina, les jur�s se refusant � condamner un membre de la vieille famille des Cornelii. L'ann�e suivante en 63 av. J.-C., avec l'aide du tribun de la pl�be Titus Labi�nus, C�sar tente un coup juridique extravagant en accusant de haute trahison le vieux s�nateur syllanien Gaius Rabirius pour des faits anciens de trente-sept ans : le meurtre du tribun de la pl�be Saturninus. L'affaire est sans pr�c�dent depuis le l�gendaire proc�s d'Horace. Cic�ron assure la d�fense de Rabirius (Pro Rabirio), mais les deux juges d�sign�s par le pr�teur ne sont autres que C�sar lui-m�me et son cousin Sextus. Rabirius est condamn�, mais fait appel au peuple romain, son jugement devant les comices est report� puis l'affaire est finalement abandonn�e.
+C�sar se fait �lire en 63 av. J.-C. au titre de pontifex maximus gr�ce � une campagne financ�e par Crassus. Il d�pense d'importantes sommes d'argent et contracte de nombreuses dettes, afin de remporter les suffrages des comices tributes, contre deux rivaux redoutables (Servilius Isauricus et Q. Catulus), plus �g�s et plus dignes que lui. Selon l'usage, C�sar s'installe dans la demeure du pontife � la Regia, et exercera la fonction de grand Pontife jusqu'� sa mort.
+D�sign� pr�teur urbain pour l'ann�e suivante au moment de la conjuration de Catilina (63 av. J.-C.)32, il ne fait rien pour la pr�venir et est soup�onn� de connivence. Salluste, qui est un partisan de C�sar, attribue ces soup�ons � des manoeuvres calomnieuses de Q. Catulus et C.Pison, adversaires politiques de C�sar. Appien consid�re pour sa part que Cic�ron n'ose pas mettre en cause C�sar en raison de sa popularit�. Lors du vote au S�nat sur le sort des complices de Catilina, C�sar s'oppose � leur ex�cution imm�diate en plaidant l'ill�galit� d'une ex�cution sans jugement, mais son avis est mis en minorit� apr�s l'intervention de Caton.
+Envoy� comme propr�teur en B�tique (Espagne) en 60 av. J.-C., il ne peut partir qu'apr�s avoir donn� des cautions � ses cr�anciers. Son d�part pr�cipit� de Rome est motiv� par sa volont� d'�chapper � une action judiciaire �ventuellement engag�e � la fin de sa charge. C�sar m�ne son premier commandement par une offensive contre les peuples ib�res encore insoumis. Apr�s avoir pacifi� la province, il revient � Rome afin d'y d�filer en triomphe pour son succ�s militaire puis de briguer le consulat. Mais les pr�paratifs du triomphe lui imposent de stationner hors de Rome, tandis qu'il doit y �tre pr�sent pour poser sa candidature dans les d�lais. Il demande une d�rogation, que Caton fait tra�ner en palabres. C�sar doit choisir, et renonce � son triomphe pour viser le consulat.
+L'homme le plus en vue � cette date est Pomp�e, apr�s sa victoire en Orient contre le roi Mithridate VI Eupator. Cette campagne a permis � Rome de s'�tendre en Bithynie, au Pont et en Syrie. Pomp�e revient couvert de gloire avec ses l�gions mais conform�ment � la r�gle, il les licencie apr�s avoir re�u le triomphe, en 61 av. J.-C..
+Au fa�te de la gloire, Pomp�e demande des terres pour ses anciens soldats et la confirmation des avantages qu'il a promis pour les cit�s et princes d'Orient, mais le S�nat refuse. C�sar exploite opportun�ment la d�ception de Pomp�e, le rapproche de Crassus, et forme avec eux le premier triumvirat. Cet accord secret scelle une alliance entre les trois hommes, chacun s'abstenant de r�aliser des actions nuisibles � l'un des trois. C�sar renforce peu apr�s cette alliance en mariant sa fille Julia � Pomp�e.
+Gr�ce au financement de sa campagne �lectorale par Crassus, C�sar est �lu consul en 59 av. J.-C., en ralliant notamment � sa cause Lucius Lucceius un de ses �ventuels comp�titeurs. Durant son mandat, il ne laisse � son coll�gue le conservateur Marcus Calpurnius Bibulus qu'une ombre d'autorit�. Bibulus et Caton multiplient les actions d'obstruction contre C�sar, mais ils sont chass�s du forum lors de la promulgation d'une loi agraire. Suite � cet incident, Bibulus se retire chez lui jusqu'� la fin de son mandat, laissant le pouvoir � C�sar qui l'exerce seul. L'historien romain Su�tone rapporte quelques vers d�crivant la situation politique :
+� Ce que C�sar a fait, qui d'entre nous l'ignore ? - Ce qu'a fait Bibulus, moi je le cherche encore. �+
C�sar peut d�sormais l�gif�rer comme un tribun, selon l'expression de Plutarque, satisfaire les revendications des populares, rendre des gages � Pomp�e et gagner de nouveaux soutiens aupr�s des chevaliers et des provinciaux : passant outre les protestations des s�nateurs Lucullus et Caton, il fait ratifier les initiatives de Pomp�e qui avait r�organis� les principaut�s du Moyen-Orient sans demander l'avis du S�nat ; il promulgue plusieurs lois agraires : distribution aux v�t�rans de Pomp�e de parcelles des terres publiques (l'ager publicus), faisant de Capoue une colonie romaine, achat de terres � des particuliers qui sont ensuite distribu�es � 20 000 citoyens pauvres. La diminution d'un tiers du fermage d� par les publicains � l'�tat est une aubaine pour les chevaliers, affairistes et banquiers (lex de publicanis). Sa loi contre la concussion (lex Iulia de repetundis) permet enfin de sanctionner d'amendes les gouverneurs de province qui monnayent leurs interventions ou se livrent � des exactions financi�res. Enfin, il place le S�nat sous le contr�le de l'opinion publique, en faisant publier les comptes-rendus de s�ance (Actus senatus).
+Cette activit� politique va de pair avec une activit� mondaine soutenue : Su�tone pr�te � C�sar entre autres ma�tresses les �pouses de Crassus et Pomp�e, et, ce qui para�t mieux attest�, Servilia la demi-soeur de Caton. Plus officiellement, C�sar �pouse Calpurnia, fille de Calpurnius Pison, consul d�sign� pour l'ann�e suivante, ce qui lui assure une future protection politique. C�sar se fait un autre alli� dans la personne de Clodius Pulcher, qui avait pourtant courtis� sa pr�c�dente �pouse, en satisfaisant une requ�te qui lui tenait � coeur : troquer son rang de patricien pour celui de pl�b�ien et postuler ainsi � l'�lection de tribun de la pl�be.
+C�sar profite de sa popularit� pour pr�parer l'�tape suivante de sa carri�re : normalement, le S�nat prolonge le mandat d'un consul par le proconsulat d'une province pour un an. C�sar contourne cette r�gle avec l'aide du tribun de la pl�be Vatinius : celui-ci fait voter par le peuple un pl�biscite qui confie � C�sar et pour cinq ans deux provinces, la Gaule cisalpine et l'Illyrie, avec le commandement de trois l�gions (lex Vatinia). Pour sauver une apparence d'autorit�, le S�nat lui accorde en plus la Gaule transalpine et une quatri�me l�gion.
+Su�tone rapporte que C�sar, se vantant devant le S�nat d'�tre enfin parvenu � ses objectifs, et promettant une victoire �clatante en Gaule, re�ut un outrage d'un de ses nombreux adversaires qui s'�cria � Cela ne sera pas facile � une femme �. C�sar r�pliqua que cela n'avait pas emp�ch� S�miramis de r�gner sur l'Assyrie, et les Amazones de poss�der jadis une grande partie de l'Asie.
+D�s la fin de son consulat, C�sar gagne rapidement la Gaule, tandis que le pr�teur Lucius Domitius Ahenobarbus et le tribun de la pl�be Antistius le citent en justice pour r�pondre � l'accusation d'ill�galit�s commises pendant son mandat. En fin juriste, C�sar fit objecter par les autres tribuns qu'il ne pouvait �tre cit� en application de la loi Memmia, qui interdisait toute poursuite contre un citoyen absent de Rome pour le service de la R�publique. Pour �viter toute autre mise en cause devant la justice, C�sar s'appliquera durant son proconsulat � demeurer dans ses provinces. Il passe ainsi chaque hiver en Gaule cisalpine, o� il re�oit partisans et solliciteurs et s'assure chaque ann�e d'avoir parmi les �lus � Rome des magistrats qui lui soient favorables. La gestion de ses affaires � Rome m�me est confi�e � son secr�taire Lucius Cornelius Balbus, un chevalier d'origine espagnole, avec qui il �changera par pr�caution des courriers chiffr�s.
+D�s le d�but de son proconsulat, C�sar engage la conqu�te de la Gaule en profitant de la migration des Helv�tes en mars 58 av. J.-C.. Cette exp�dition militaire est motiv�e par ses ambitions politiques, mais aussi par des int�r�ts �conomiques qui associent les Romains � certaines nations gauloises clientes de Rome (�duens, Arvernes, etc.).
+Tout en menant ses campagnes, C�sar maintient ses relations avec la classe politique romaine : Quintus, fr�re de Cic�ron commande une l�gion en Belgique, Publius et Marcus, les fils de Crassus interviennent en Belgique puis en Aquitaine ; Lucius Munatius Plancus, et Marc Antoine seront � Al�sia.
+A Rome, les conservateurs r�agissent � la guerre que m�ne C�sar : son affrontement contre le germain Arioviste, qui a la qualit� d'ami du peuple romain, accord�e lors du consulat de C�sar, a scandalis� Caton, qui proclame qu'il faut compenser cette trahison de la parole romaine en livrant C�sar aux Germains. C�sar se justifiera longuement dans ses Commentaires en d�taillant ses n�gociations pr�liminaires avec l'agressif Arioviste, lui faisant m�me dire que � s'il tuait [C�sar], il ferait une chose agr�able � beaucoup de chefs politiques de Rome, ainsi qu'il (Arioviste) l'avait appris par les messages de ceux dont cette mort lui vaudrait l'amiti� �.
+En 56 av. J.-C., Lucius Domitius Ahenobarbus, candidat au consulat soutenu par Caton et par Cic�ron, met � son programme la destitution et le remplacement de C�sar. Toujours oblig� de se cantonner en Gaule, C�sar r�unit � Lucques Crassus, Pomp�e et tous les s�nateurs qui les soutiennent. Ils renouvellent tous trois leur accord et d�finissent un partage des provinces. Ahenobarbus et Caton sont agress�s en plein forum et emp�ch�s de faire campagne. Pomp�e et Crassus profitent de l'appui de C�sar pour remporter les �lections et �tre �lus pour un second consulat en 55 av. J.-C. 57. Cic�ron a des obligations envers Pomp�e, que celui-ci lui rappelle vertement par l'interm�diaire de son fr�re Quintus. Cic�ron s'incline et soutient la prorogation du gouvernement de C�sar pour cinq nouvelles ann�es
+� l'issue de leur consulat en 54 av. J.-C., chacun re�oit le gouvernement d'une province : Crassus part en Asie chercher une gloire militaire qui �gale celles de Pomp�e et de C�sar, l'Espagne et l'Afrique sont attribu�es � Pomp�e, qui pr�f�re rester � Rome, centre du pouvoir, et envoie ses l�gats gouverner. Sur les quatre l�gions qui lui sont attribu�es, Pomp�e en pr�te deux � C�sar, qui a besoin de renforts.
+Pendant son second mandat, en 55 av. J.-C., C�sar traverse la Manche et r�alise une premi�re incursion en Bretagne (l'actuelle Grande-Bretagne), terre inconnue et quasi mythique pour les Romains de l'�poque. Ult�rieurement, il r�alise un autre exploit par une d�monstration militaire au-del� du Rhin. Mais � partir de l'hiver 54/53, la situation en Gaule se d�t�riore, et des r�voltes se multiplient.
+En 53 av. J.-C., la d�faite et la mort de Crassus et de son fils Publius � la bataille de Carrhes contre les Parthes, et la mort de Julia, fille de C�sar et �pouse de Pomp�e, et de l'enfant qu'elle avait eu de Pomp�e d�font les liens du triumvirat. C�sar propose � Pomp�e la main de sa petite-ni�ce Octavie, et demande en mariage la fille de Pomp�e, mais ces offres d'alliances matrimoniales n'aboutissent pas.
+Le d�but de l'ann�e 52 av. J.-C. est difficile pour C�sar : la r�volte en Gaule se g�n�ralise sous l'impulsion de l'Arverne Vercing�torix. � Rome, les d�sordres sont tels que Pomp�e est nomm� consul unique, avec l'assentiment de Caton et des conservateurs. Pomp�e �pouse Corn�lie, la jeune veuve de Publius Crassus et la fille du conservateur Metellus Scipion, qu'il prend au milieu de l'ann�e comme coll�gue au consulat. Pomp�e est d�sormais le d�fenseur du clan des conservateurs.
+En 52 av. J.-C., Jules C�sar remporte une victoire d�cisive au si�ge d'Al�sia, o� il re�oit la reddition de Vercing�torix. En 51 av. J.-C., apr�s avoir �touff� les derniers foyers de r�volte, C�sar affirme la souverainet� de Rome sur les territoires de la Gaule situ�s � l'ouest du Rhin.
+Selon Velleius Paterculus, en neuf campagnes, on n'en trouverait � peine une o� C�sar n'aurait pas m�rit� le triomphe, et il massacra plus de quatre cent mille ennemis et en fit prisonniers un plus grand nombre encore. Pour Plutarque, la conqu�te de la Gaule fut l'une des plus grandes victoires de Rome et place son commandant C�sar au rang des plus illustres g�n�raux romains, tels les Fabius, les M�tellus, les Scipions.
+� En moins de dix ans qu'a dur� sa guerre dans les Gaules, il a pris d'assaut plus de huit cents villes, il a soumis trois cents nations diff�rentes, et combattu, en plusieurs batailles rang�es, contre trois millions d'ennemis, dont il en a tu� un million, et fait autant de prisonniers. �67+
Tandis qu'il termine son mandat de proconsul, C�sar pr�pare son retour � Rome par la conqu�te de l'opinion romaine : il r�pond aux critiques sur sa conduite de la guerre par la publication de ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, sobre compte-rendu o� il se pr�sente � son avantage, puis en 51 av. J.-C., il annonce la construction d'un magnifique et nouveau forum, financ� par le butin des Gaules. L'objectif du C�sar est maintenant de se pr�senter aux �lections de 50 av. J.-C. pour un second consulat en 49 av. J.-C., conform�ment � la loi qui impose un intervalle de dix ans entre chaque consulat. Pour �viter l'attaque en justice que lui a jur� Caton et qui l'emp�cherait de faire campagne, il lui faut conserver son mandat de proconsul en Gaule, et �tre candidat malgr� son absence de Rome.
+� Rome, les conservateurs vont tout faire pour emp�cher le projet de candidature de C�sar. En 50 av. J.-C., C�sar m�ne sa politique � distance depuis la Gaule cisalpine : il fait �lire Marc Antoine tribun de la pl�be pour l'ann�e suivante. Soldant les dettes du tribun de la pl�be Curion, il le fait l�cher Pomp�e et passer de son c�t�. Enfin, il neutralise un des consuls, Lucius Aemilius Paullus, en lui versant des fonds n�cessaires � la r�fection de la basilique Aemilia sur le forum. En revanche son lieutenant Servius Sulpicius Galba, candidat au consulat pour 49 est battu, et les consuls �lus Lucius Cornelius Lentulus Crus et Caius Claudius Marcellus lui sont farouchement hostiles. Les conservateurs s'activent eux aussi, et prennent des contacts avec Labi�nus, le meilleur lieutenant de C�sar.
+� la fin de l'ann�e 50 av. J.-C., les premi�res passes d'armes restent dans la voie l�gale et se d�roulent au S�nat. Le tribun Curion propose que Pomp�e et C�sar licencient simultan�ment leurs troupes, les consuls s'y opposent. Le S�nat d�cide que Pomp�e et C�sar envoient chacun une l�gion pour pr�parer la guerre contre les Parthes. Pomp�e choisit la Ire l�gion, qu'il avait pr�t�e � C�sar, C�sar renvoie la XVe, et doit se dessaisir ainsi de deux l�gions (il en conserve n�anmoins neuf, dont une l'accompagne en Gaule cisalpine tandis que les autres hivernent en Gaule). Pomp�e envoie ces deux l�gions prendre leurs quartiers d'hiver en Italie du sud. En chemin, leurs officiers se livrent � un intense travail de d�sinformation, affirmant que C�sar �tait devenu odieux et d�test� par ses soldats, et induisent Pomp�e � le sous-estimer.
+Toujours par l'interm�diaire de Curion et Marc Antoine, d�sormais tribun, C�sar tente une nouvelle proposition : il accepte de ne conserver que deux l�gions et le gouvernement de la Gaule cisalpine et de l'Illyrie, pourvu qu'on accepte sa candidature au consulat. Malgr� la recherche d'un compromis par Cic�ron, Caton refuse qu'un simple citoyen impose ses conditions � l'�tat, le nouveau consul Lentulus s'emporte et fait expulser du S�nat Curion et Marc Antoine. L'historien Velleius Paterculus accusera Curion d'�tre responsable de cette rupture, tandis que Appien pr�sentera Marc Antoine comme l'initiateur du clash. Selon Plutarque, � C'�tait donner � C�sar le plus sp�cieux de tous les pr�textes � : s'en prendre aux tribuns de la pl�be, les repr�sentants sacro-saints du peuple ! Le S�nat d�cr�te que C�sar doit abandonner son poste de gouverneur et revenir � Rome en simple particulier.
+C�sar peut se pr�senter comme la victime de l'acharnement des conservateurs et comme le d�fenseur des tribuns de la pl�be. Prenant l'initiative de l'ill�galit�, il d�cide en janvier 49 av. J.-C. de p�n�trer en armes en Italie, et franchit le Rubicon, rivi�re marquant la fronti�re entre l'Italie et la Gaule cisalpine. Plutarque et Su�tone mettent en sc�ne ce tournant historique et attribuent � C�sar la citation � Alea jacta est � (� Le sort en est jet�. �), signifiant qu'il tentait la destin�e. Pour C�sar, il n'y a plus que deux issues : la mort et le d�shonneur ou la victoire et le pouvoir. Il mise sur l'audace et la rapidit� de ses d�placements militaires et sur l'exp�rience et la fid�lit� de ses l�gions, et se d�marque des atrocit�s de la pr�c�dente guerre civile par sa politique de cl�mence, n'exer�ant ni proscriptions ni repr�sailles.
+C�sar progresse rapidement vers Rome sans rencontrer de r�sistance, et ajoute � ses forces les trois l�gions que Pomp�e avait commenc� � lever. Pomp�e r�cup�re des troupes � Capoue, et se replie sur Brindisi d'o� il �crit � tous les gouverneurs de provinces de mobiliser contre C�sar. Les consuls, Caton, Bibulus et m�me les s�nateurs mod�r�s comme Cic�ron fuient en h�te, rejoignent Pomp�e � Brindisi et s'embarquent pour Dyrrachium en �pire. Sans flotte, C�sar ne peut les poursuivre.
+Pendant les quelques jours qu'il passe � Rome, il rassure les s�nateurs rest�s sur place, offre au peuple une distribution de bl�, promet un don de 75 deniers � chaque citoyen et accorde la citoyennet� romaine aux habitants de la Gaule cisalpine. Reconnaissant, le peuple le fera d�signer dictateur pendant son absence. Assur� du soutien de l'Italie, il confie la gestion de Rome � L�pide, envoie Curion s'emparer de la Sicile et de la Sardaigne, garantissant le ravitaillement de Rome en bl�, lib�re l'ex-roi juif Aristobule II afin de l'envoyer en Syrie avec deux l�gions et emp�cher Pomp�e de mobiliser des troupes. Mais les partisans de Pomp�e empoisonnent Aristobule. C�sar va lui-m�me en Hispanie soumettre les l�gats de Pomp�e. Quand l'ann�e 49 av. J.-C. se termine, C�sar est ma�tre de l'Italie, des Gaules et des Espagnes, mais ses lieutenants ont subi des revers : Curion s'est fait tuer en Afrique, Gaius Antonius a �t� fait prisonnier en Illyrie, et son meilleur lieutenant Titus Labienus a rejoint le camp de Pomp�e, qui a lev� une arm�e sur les provinces d'Orient et les royaumes alli�s de Rome. La flotte pomp�ienne contr�le l'Adriatique, pr�te � d�barquer en Italie.
+L'ann�e suivante en janvier 48 av. J.-C., C�sar est officiellement �lu consul ; poursuivant sa strat�gie fond�e sur l'initiative et la rapidit� de mouvement, il prend un risque consid�rable en traversant l'Adriatique pendant l'hiver et surprend Pomp�e en �pire. Mis en difficult� lors du si�ge de Dyrrachium o� il a enferm� Pomp�e pendant quatre mois, C�sar doit se replier, attirant Pomp�e en Thessalie. En ao�t 48 av. J.-C., pouss� par son entourage, Pomp�e accepte la bataille rang�e. Malgr� l'avantage du nombre, il est battu � Pharsale. Cic�ron et Brutus se rendent � C�sar, qui les accueille chaleureusement. Caton et Labienus fuient en Afrique, Pomp�e se r�fugie en Asie, puis � Chypre d'o� il gagne l'�gypte, pensant trouver de l'aide chez le jeune pharaon dont il avait autrefois prot�g� le p�re.
+C�sar parvient � Alexandrie d�but octobre 48 o� il trouve le corps de Pomp�e, assassin� sur l'ordre du jeune Ptol�m�e XIII. C�sar passe l'hiver 48/47 � Alexandrie, et la guerre s'engage alors entre Ptol�m�e et C�sar. Ce dernier n'a qu'un faible effectif et doit mener un combat difficile ; lors d'un engagement dans l'�le de Pharos, il est m�me oblig� de fuir � la nage. Il sort vainqueur de l'affrontement en mars 47, et d�tr�ne le jeune souverain au profit de Cl�op�tre VII et du plus jeune de ses fr�res.
+D'�gypte, C�sar se rend en Asie (juillet - ao�t 47 av. J.-C.), afin de r�primer Pharnace II, fils de l'ancien roi du Pont Mithridate, qui a profit� de la guerre civile pour reconqu�rir des territoires et r�affirmer son autorit�. Le cinqui�me jour de son arriv�e, en quatre heures de combat et en une seule bataille (Bataille de Z�la), C�sar �crase et d�tr�ne Pharnace. � cette occasion il �crivit au S�nat ces mots c�l�bres : Veni, vidi, vici pour exprimer la facilit� avec laquelle il �tait venu � bout de son adversaire.
+De retour en Italie, C�sar doit faire face � l'insubordination des soldats cantonn�s en Campanie. Il les re�oit � Rome, et parvient � les ramener � l'ordre sous la menace de les licencier.
+Puis, C�sar passe en Afrique fin 47 av. J.-C., o� il passe l'hiver. Il d�truit � la bataille de Thapsus l'arm�e r�publicaine que commandent Metellus Scipion et Caton d'Utique et leur alli� le roi numide Juba Ier (f�vrier 46 av. J.-C.)84 ; Metellus Scipion et Juba meurent dans la bataille, Caton se suicide � Utique pour �viter d'�tre captur�, Titus Labienus se r�fugie en Espagne. L'annexion de la Numidie s'ajoute aux conqu�tes de C�sar.
+Lorsque C�sar revient � Rome, la paix est revenue, l'Italie n'a pas connu les atrocit�s des pr�c�dentes guerres civiles. Tous les �crivains loueront la cl�mence de C�sar, qui a accueilli sans restriction les pomp�iens qui se rendaient et n'a exerc� aucune proscription contre la classe politique. C�sar peut annoncer au peuple que l'annexion des Gaules et de la Numidie et le protectorat sur l'�gypte vont permettre d'obtenir du bl� et de l'huile en abondance et d�finitivement r�soudre les probl�mes de ravitaillement de Rome.
+En ao�t et septembre 46, C�sar c�l�bre par un quadruple triomphe ses victoires sur les Gaules, le Pont, l'�gypte et la Numidie. La dur�e et le faste des c�r�monies, l'�normit� du butin �clipsent tous les triomphes pr�c�dents. � chaque c�r�monie, C�sar v�tu de pourpre parcourt en char la Voie Sacr�e, suivi du butin, des captifs, des soldats qui ont toute libert� pour scander les plaisanteries les plus os�es sur son compte. Pour monter au Capitole offrir un sacrifice au temple de Jupiter Capitolin, le char de C�sar passe entre deux rang�es d'�l�phants qui tiennent des flambeaux.
+C�sar offre au peuple des repr�sentations th��trales, des courses, des joutes d'athl�tes, des spectacles de chasse et de gladiateurs, des reconstitutions de combat terrestre et nautique, cette derni�re est la premi�re naumachie montr�e � Rome. Des banquets publics r�unissent pr�s de 200 000 convives. La vente du butin rapporte plus de 600 millions de sesterces, et l'argent est distribu� � flot : les 75 deniers que C�sar avait promis sont donn�s � chaque citoyen, avec 25 deniers de plus pour compenser le retard, les l�gionnaires re�oivent 24 000 sesterces chacun, et des lots de terre. Les loyers de moins de 1000 sesterces � Rome et moins de 500 sesterces en Italie sont annul�s.
+La plupart des revendications des populares sont maintenant satisfaites, et C�sar entreprend les r�formes n�cessaires � l'administration du monde romain. Il fait proc�der � un recensement, et ajuste � la baisse le nombre d'allocataires des distributions de bl�. Il compense cette mesure en installant 80 000 citoyens pauvres et des soldats d�mobilis�s dans de nouvelles colonies dans les provinces, dont Carthage et Corinthe qu'il fait reconstruire.
+La paix ne dure que quelques mois. En 46 av. J.-C., les derni�res forces du parti pomp�ien s'insurgent en Espagne, men�es par Pomp�e le Jeune, fils de Pomp�e, et Titus Labienus. Consul pour la quatri�me fois, C�sar arrive � marches forc�es en Espagne en d�cembre 46 av. J.-C.. Cette guerre est longue et sans merci, avec des ex�cutions de part et d'autre. C�sar ach�ve en avril 45 av. J.-C. ses derniers adversaires � Munda, dans la bataille la plus acharn�e des guerres civiles. Retard� par une maladie, son jeune neveu Octave le rejoint en Espagne malgr� les dangers du trajet, geste que C�sar appr�cie hautement. Dans le dernier testament qu'il r�dige, il d�clare adopter Octave et le d�signe comme h�ritier principal avec comme autre h�ritier Quintus Pedius, son autre neveu qui a combattu � ses c�t�s en Espagne.
+Revenu � Rome en octobre 45 av. J.-C., C�sar y c�l�bre son cinqui�me triomphe. C�sar commet l� une erreur politique que Plutarque soulignera : la r�gle veut qu'un triomphe honore une victoire sur un peuple ennemi de Rome, ce qui n'est pas le cas dans cette guerre civile. Ni Pomp�e vainqueur de Sertorius, ni Sylla vainqueur des marianistes n'avaient c�l�br� de triomphe. De plus, C�sar accorde deux autres triomphes, � Fabius et son neveu Quintus Pedius. L� encore, c'est une entorse aux usages qui r�servent le triomphe au g�n�ral dot� de l'imperium et non � ses lieutenants.
+C�sar, nomm� dictateur pour dix ans, est d�sormais le centre du pouvoir ; il reconstitue les effectifs du S�nat, en radie quelques s�nateurs responsables de concussion dans leur province, et y inscrit des Gaulois cisalpins et des Espagnols, une premi�re qui marque le d�but de la promotion des provinciaux. Il nomme lui-m�me les magistrats, sauf les tribuns de la pl�be et les �diles pl�b�iens, encore �lus, et d�signe des consuls pour quelques jours de charge seulement. Obtenir un titre, un avantage ou une faveur d�pend de son approbation. Ainsi, Cic�ron par des discours emplis d'adulation o� il qualifie la cl�mence de C�sar de � divine � fait gracier plusieurs de ses amis.
+Cic�ron propose de d�cerner � C�sar des honneurs, les autres s�nateurs suivent en une surench�re de plus en plus excessive. Ainsi C�sar re�oit le nom de Liberator et le titre d'Imperator transmissible � ses descendants, quoiqu'il n'ait plus d'enfant. Il r�forme le calendrier, on renomme le mois de Quintilis de son nom de famille. Pomp�e avait eu l'honneur de porter les embl�mes du triomphe, robe pourpre et couronne de lauriers, lorsqu'on c�l�brait des jeux � Rome. C�sar re�oit le m�me honneur, mais � titre permanent ; il peut si�ger sur un si�ge plaqu� d'or. Certains privil�ges accord�s par les s�nateurs vont jusqu'� l'extravagance, comme l'autorisation d'avoir commerce avec toutes les femmes qu'il voudra. Pour l'historien Dion Cassius, les s�nateurs agissent par exc�s de flatterie, ou par raillerie. Plus pr�occupant, selon Plutarque, c'est pour certains une manoeuvre destin�e � d�consid�rer C�sar et le rendre odieux, et se pr�parer plus de pr�textes de l'attaquer un jour.
+En nommant lui-m�me les magistrats sup�rieurs, C�sar arr�te le cycle corrupteur des campagnes �lectorales ruineuses financ�es par l'extorsion financi�re sur les provinces, et soulage enfin la charge de celles-ci ; mais ceci r�duit les profits des brasseurs d'argent que sont les publicains et remplace la comp�tition politique par un arbitraire et une flagornerie indigne qui suscitent des oppositions : pour l'ann�e 44 av. J.-C., C�sar d�signe Marc Antoine comme consul et Marcus Junius Brutus et Cassius comme pr�teurs. Selon Plutarque, la d�ception de Cassius qui esp�rait le consulat est une des raisons qui l'am�nent � comploter. Tous les historiens romains le pr�sentent comme l'instigateur principal du complot contre C�sar. Cassius regroupe peu � peu une coterie d'opposants, d'anciens pomp�iens graci�s par C�sar, mais �galement, notent les historiens modernes, des c�sariens qui ont servi lors de la guerre des Gaules. Ces derniers redoutent vraisemblablement l'exp�dition militaire que pr�pare C�sar contre les Parthes qui serait suivie d'un retour par la Scythie et la Germanie.
+Les comploteurs cherchent en Marcus Junius Brutus le chef symbolique id�al : il porte le nom mythique de Brutus qui chassa Tarquin le Superbe, le dernier roi qui r�gna sur Rome en tyran. Neveu et admirateur de Caton, Brutus, souvent tenu pour sto�cien mais en r�alit� bien plus proche de l'Acad�mie pouvait de surcro�t trouver dans ses convictions philosophiques des raisons d'agir contre un "tyran". Il a �pous� Porcia, fille de Caton et veuve de Bibulus, et par cons�quent il est l'h�ritier moral des derniers r�publicains. Toutefois, C�sar l'a combl� de faveurs et l'a nomm� pr�teur urbain. Les comploteurs m�nent donc une approche psychologique : ils pars�ment chaque jour le tribunal que pr�side Brutus de messages anonymes qui invoquent le Brutus chasseur de roi : � Brutus, tu dors, tu n'es pas le vrai Brutus ! �. Ensuite, Cassius convainc Brutus d'agir contre C�sar. Pr�senter Brutus comme l'inspirateur du complot contre C�sar permet de f�d�rer d'autres opposants.
+Les rumeurs de complot parviennent � C�sar, qui ne s'en soucie pas, r�pondant qu'il est au courant, ou m�me en plaisante : quand on l'informe que Brutus complote, C�sar r�torque en se pin�ant � Il attendra bien la fin de cette carcasse ! �.
+Le 14 f�vrier 44 av. J.-C., le S�nat conf�re � C�sar la dictature perp�tuelle. Son pouvoir est d�sormais sans limite, m�me l'intercessio des tribuns ne peut s'exercer sur son imperium. Tout espoir d'une abdication comme celle de Sylla et d'un retour � la R�publique d'avant la guerre dispara�t. C�sar prend alors des d�cisions surprenantes : il d�cr�te une amnistie g�n�rale, et licencie sa garde personnelle.
+Autre incons�quence aux yeux des historiens romains, C�sar n�glige les pr�sages : avertissements des devins, mise en garde pour la p�riode allant jusqu'aux Ides de Mars, cauchemar de son �pouse Calpurnia la veille des ides. Tout au plus, apprenant les signes n�fastes observ�s sur les victimes offertes en pr�liminaire de la r�union au s�nat, C�sar se r�sout � ne prendre aucune d�cision importante ce jour-l�104.
+Les conjur�s ont pr�vu leur attentat aux Ides de Mars (15 mars de l'an 44 av. J.-C.), au d�but de la r�union du S�nat dans la Curia Pompeia sur le Champ de Mars. Seul C�sar est vis�, Marc Antoine qui accompagne C�sar est attir� � l'�cart par des faux solliciteurs, tandis que C�sar est entour� par le groupe des conjur�s. M�tellus s'assure que C�sar ne porte aucune protection, et tous l'assaillent : il tombe perc� de 23 coups de poignard. Le coup ultime vient de Brutus. Les derniers mots de C�sar auraient �t� pour ce dernier � Toi aussi, mon fils �.
+Pas moins de onze auteurs antiques ont rapport� l'attentat, avec plus ou moins de d�tails. Si le fait est bien connu, l'analyse de ses causes est d�licate. Officiellement, les conjur�s ont �limin� C�sar pour l'emp�cher de devenir roi et pour sauver la R�publique. L'accusation d'aspirer � la royaut� �tait le proc�s d'intention quasi rituel des conservateurs romains pour �liminer tout homme politique trop favorable aux revendications populaires. Les �crivains romains ont relev� comme autant d'indices ce qui peut �tayer cette suspicion :
+Plutarque affirme que C�sar voulait d�truire la R�publique et devenir roi. Parmi les historiens modernes, J�r�me Carcopino suit cet avis, et Jo�l Schmidt voit dans cette liste autant de gestes voulus par C�sar pour sonder l'opinion romaine sur l'id�e de le couronner roi. D'autres historiens modernes sont plus circonspects dans l'interpr�tation des �l�ments cit�s par Plutarque et Su�tone : pour Marcel Le Glay, il est difficile de s�parer la r�alit� et la rumeur, et si C�sar n'a pas voulu lui-m�me la royaut�, certains dans son entourage l'ont voulu, et les Romains l'ont cru ou ont feint de le croire. Christol et Nony rappellent que C�sar � sut toujours donner le change sur ses intentions r�elles � et consid�rent que ce probl�me n'est pas soluble. Plus encore, Ronald Syme estime que ce probl�me � n'a pas � �tre pos�. C�sar fut tu� pour ce qu'il �tait, non pour ce qu'il aurait pu devenir. En rev�tant la dictature � vie, il semblait �carter tout espoir de retour � un gouvernement normal et constitutionnel. Le pr�sent �tait insupportable, l'avenir bouch�. �116.
+Mais Su�tone complique les analyses sur la fin de C�sar en ouvrant une autre piste : C�sar aurait eu la mort qu'il souhaitait. L� encore, Su�tone produit ses indices :
+Des historiens modernes ont d�velopp� cette th�se, justifiant l'attitude de C�sar par sa perception d'une maladie qui le diminuait. N�anmoins, les pr�f�rences pour une mort br�ve et impr�vue sont apr�s tout banales, et selon R�gis Martin, la croyance de C�sar en sa chance protectrice (Fortuna) et sa certitude que sa perte provoquerait la guerre civile peuvent aussi expliquer sa conduite.
+C�sar d�signa dans son testament trois h�ritiers, les petits-fils de ses soeurs, � savoir Octave, Lucius Pinarius Scarpus et Quintus Pedius. Il l�gua les trois quarts de son h�ritage au premier et le quart restant aux deux autres. Dans la derni�re clause de son testament, C�sar adopta Octave, le futur empereur Auguste, et lui donna son nom. Enfin, il l�gua au peuple romain ses jardins pr�s du Tibre et trois cents sesterces par t�te.
+Le 20 mars, un b�cher fut dress� sur le champ de Mars, pr�s de la tombe de sa fille Julia, et l'on imagine �videmment l'effet dramatique de cette proximit�. Le corps du C�sar, couch� sur un lit d'ivoire tendu de pourpre et d'or, fut d'abord d�pos� dans une chapelle dor�e, �difi�e sur le forum, devant la tribune aux harangues. � sa t�te, sa toge ensanglant�e �tait expos�e sur un troph�e. Comme le corps reposait, face vers le ciel, et ne pouvait �tre vu, on �leva au-dessus de lui une effigie de cire grandeur nature, afin que la foule p�t contempler les vingt-trois blessures (trente-cinq selon d'autres auteurs) qui lui avaient �t� sauvagement inflig�es au corps et au visage. Pour souligner l'ignominie de ce crime, Marc Antoine fit lire, en guise d'oraison fun�bre, la liste des honneurs qui avaient �t� d�volus � C�sar, ainsi que le serment qu'avaient pr�t� les s�nateurs de d�fendre sa vie. On chanta des vers parmi lesquels revenaient, pour susciter la compassion, une citation emprunt�e au Jugement des Armes de Pacuvius : � Fallait-il les sauver pour qu'ils devinssent mes meurtriers ? � (compte tenu de la mansu�tude dont C�sar avait obstin�ment fait preuve � l'�gard de Brutus, c'�tait particuli�rement bien choisi).
+Chavir�e par l'habile et path�tique mise en sc�ne, la foule en col�re entassa autour du lit fun�bre le bois arrach� aux boutiques avoisinantes et tout ce qui lui tombait sous la main pour construire un b�cher d'apoth�ose, comme elle l'avait fait quelques ann�es plus t�t pour les fun�railles de Clodius. Les v�t�rans de ses l�gions y jet�rent leurs armes et certaines femmes les bijoux qu'elles portaient. Les Juifs, qui n'oubliaient pas que C�sar leur avait permis de relever les murs de J�rusalem abattus par Pomp�e, se r�unirent plusieurs nuits de suite autour de son tombeau pour le pleurer.
+On raconte que lorsque Caius Matius organisa des jeux fun�raires en juillet -44 � l'occasion de l'anniversaire de sa naissance, une com�te se mit � briller dans le ciel (apparition �galement attest�e par les astronomes chinois) et l'Etna entra en �ruption, faisant de sa mort un bouleversement cosmique. � l'emplacement o� il fut incin�r�, son petit-neveu et fils adoptif, le futur Auguste, fit �riger un temple. De nos jours, on vient parfois de fort loin pour y d�poser quelques fleurs, un po�me, une bougie et perp�tuer le souvenir de celui qui voulut �tre � le premier dans Rome �... La plaque comm�morative appos�e par la ville � l'intention des visiteurs, emprunte � Appien son r�cit de l'�v�nement :
+� ...et on le ramena sur le Forum, l� o� se trouvait l'ancien palais des rois de Rome ; les pl�b�iens rassembl�rent tous les objets de bois et tous les bancs dont regorgeait le Forum, et toutes sortes d'autres choses analogues, puis par-dessus mirent les ornements tr�s abondants de la procession, plusieurs rapport�rent encore de chez eux quantit� de couronnes et de d�corations militaires : ensuite ils allum�rent le b�cher et pass�rent la nuit en foule aupr�s de lui ; c'est l� qu'un premier autel fut �rig�, et que maintenant se trouve le temple de C�sar, qui, juge-t-on, m�rite d'�tre honor� comme un dieu... �+
Le complot n'atteignit cependant pas ses objectifs. Le consul Marc Antoine avait �t� �pargn�, � la demande de Brutus. L�pide, qui stationnait avec des troupes � proximit� de Rome et Octave qui se trouvait en Epire �taient hors d'atteinte. En revanche, l'attentat contre C�sar guida les pr�tendants � sa succession sur la conduite � tenir : ils firent symboliquement rayer la dictature des magistratures romaines, et la remplac�rent par un triumvirat quinquennal. La politique de cl�mence avait prouv� son danger suicidaire, les triumvirs commenc�rent une vague de proscriptions sanglantes suivie par 14 ans de guerre civile, contre les assassins de C�sar, contre Sextus Pomp�e, puis entre triumvirs. Octave finit par l'emporter en 31 av. J.-C., et devint Auguste, ma�tre unique et absolu de l'Empire. Il confirma et continua les r�formes entam�es par C�sar, organisant un Empire pacifi�, stabilis� et g�r� avec plus d'�quit�. Comme Auguste et la plupart des empereurs � sa suite, Jules C�sar fut divinis� apr�s sa mort.
+C�sar n'�tait pas seulement un grand g�n�ral et un grand homme d'�tat, il excellait �galement dans l'art oratoire et dans l'�criture. Des divers �crits qu'il avait compos�s, il ne nous reste que ses Commentaires (Commentarii rerum gestarum) :
+Ces oeuvres constituent le mod�le du genre des m�moires historiques, m�me si leur objectivit� est discut�e par les historiens. En effet, ces ouvrages servent la propagande politique de C�sar, et par cons�quent leur exactitude peut �tre mise en doute.
+On y joint g�n�ralement, les ouvrages suivants m�me s'ils ont probablement �t� r�dig�s par Aulus Hirtius :
+C�sar �crivit aussi en -45 l'Anticato, r�plique au pan�gyrique que Cic�ron pronon�a en faveur de Caton d'Utique, � le dernier r�publicain �. Cet ouvrage, aujourd'hui perdu, est connu par les citations de Cic�ron (ad Atticum, 13, 50, 1), Tacite (Annales, 4, 34), Su�tone (Caesar, 56, 3), Plutarque (Caesar, 54), Appien, Juv�nal et Dion Cassius.
+Enfin et plus curieusement, il r�digea un trait� de grammaire De analogia, en deux livres, dans lequel il expose des th�ories grammaticales argument�es sur l'analogie (d'o� le titre de l'ouvrage), ainsi qu'un po�me intitul� le Voyage.
+C�sar semble �galement avoir �crit plusieurs essais dans sa jeunesse (�loge d'Hercule, une trag�die d'OEdipe, un Recueil de mots remarquables), mais Auguste interdit leurs publications, apr�s la mort du dictateur. Selon l'historien Pierre Grimal, ces trois oeuvres perdues ont probablement �t� �crites en grec.
+Jules C�sar devenu dictateur reprend certaines r�formes administratives entreprises une g�n�ration plus t�t par le pr�c�dent dictateur Sylla. De nouveau, il faut adapter les institutions � l'extension de la puissance romaine qui r�sulte des conqu�tes en Orient et en Gaule, et offrir des charges � ses partisans :
+Pour l'administration des provinces, C�sar veut �viter les mandats de cinq ans qu'il a pratiqu�, ainsi que Pomp�e ; il limite la dur�e des charges de gouverneur : un an pour un propr�teur, deux ans pour un proconsul. L'organisation des municipes italiens est pr�cis�e par une loi-cadre, dont une copie nous est parvenue, les Tables d'H�racl�e.
+Ces r�formes seront conserv�es par Auguste, elles lui permettront de disposer d'une nombreuse �lite, n�cessaire � l'administration d'un Empire.
+L'activit� de b�tisseur de C�sar se manifeste plusieurs fois dans sa carri�re politique. � chaque fois, ses r�alisations, toujours spectaculaires, sont destin�es � renforcer son prestige et sa popularit�.
+� la fin de la guerre des Gaules en 51 av. J.-C., C�sar entame sa campagne �lectorale pour une future candidature au consulat. Pomp�e avait construit le premier th��tre romain en pierre � Rome et une nouvelle curie quelques ann�es auparavant. C�sar lance � son tour un projet de b�timent public prestigieux : un nouveau forum, au nord de l'ancien, ouvrant son cot� est sur l'Argil�te. Il est financ� par le butin des Gaules, et commence par l'achat des terrains, pour une somme de cent millions de sesterces selon Su�tone. Ce Forum Julium suit un plan similaire � celui du forum de Pomp�i qui date de la m�me p�riode : une longue esplanade rectangulaire ferm�e par une enceinte bord�e de portiques, au fond de laquelle s'�l�ve le temple de V�nus. Selon Appien, la d�dicace de ce temple aurait fait suite au voeu de C�sar d'�lever un temple � V�nus Victorieuse s'il �tait vainqueur � Pharsale. Devant ce temple, il se fit repr�senter par une statue �questre.
+Ce nouveau forum cr�e ainsi une architecturale originale en combinant l'agora hell�nistique et le temple romain sur podium, formule qu'adopteront tous les forums imp�riaux ult�rieurs.
+Ma�tre sans partage de Rome � partir de 46 av. J.-C., C�sar a d�sormais tous les moyens de sa politique. Il commence par des am�nagements de circonstance pour les jeux c�l�brant son triomphe : agrandissement des extr�mit�s du cirque, construction d'un stade pour les lutteurs sur le champ de Mars, creusement d'un bassin au bord du Tibre pour une naumachie.
+Les travaux entrepris sur le vieux forum voient la reconstruction de la curia Hostilia, incendi�e en 52 av. J.-C. par les partisans de Clodius Pulcher. D'autres projets plus ambitieux sont envisag�s : la construction de la plus grande basilique de Rome sur l'emplacement de la vieille basilique Sempronia, l'�dification d'un temple de Mars, et d'un second th��tre en pierre. Tous ces chantiers seront suspendus pendant les guerres civiles. Octave devenu Auguste les m�nera � leur terme en achevant la grande basilique Julia et le th��tre de Marcellus, et en d�diant un temple de Mars vengeur.
+Pour d�congestionner une Rome surpeupl�e, C�sar en repousse les limites administratives et �largit le p�rim�tre sacr� du pomoerium � un mille romain (1,5 km) des anciennes murailles de la ville. Cette mesure fut � peine suffisante, car Auguste agrandit encore ce p�rim�tre une g�n�ration plus tard en cr�ant les 14 r�gions de Rome.
+Toujours pour la gestion de Rome, C�sar fait recenser la population urbaine, selon une m�thode in�dite et originale : les citoyens ne sont plus convoqu�s par tribus pour d�filer devant les services de recensement. Le recensement est organis� quartier par quartier, et ce sont les propri�taires des immeubles de location qui doivent d�clarer leurs locataires. La m�thode dut �tre efficace, car Auguste la reprendra. Sans pr�ciser les r�sultats de ce d�nombrement, Su�tone dit qu'il permit de ramener de 320 000 � 150 000 le nombre de b�n�ficiaires de distributions gratuites de bl� instaur�es par Clodius Pulcher en 58 av. J.-C..
+Un ultime projet de loi de C�sar destin� � am�liorer quelque peu la circulation dans une agglom�ration aux rues �troites et encombr�es interdit la circulation de jour � tout v�hicule � roue, � l'exception des chars de procession lors des c�r�monies et des charrettes d'entrepreneurs, n�cessaires aux chantiers urbains. Cette loi fut vot�e apr�s la mort de C�sar, et resta en vigueur plusieurs si�cles, d�montrant sa n�cessit�. Depuis C�sar, la nuit romaine fut r�serv�e au transit des marchandises, pour le grand dam des dormeurs, et les r�criminations de Martial et Juv�nal.
+Les guerres civiles men�es par C�sar lui imposent de forts besoins financiers, pour entretenir de plus en plus de l�gions, qui se d�placent d'un secteur � l'autre de l'Empire. Il se dote donc � partir de 49 av. J. C. d'un atelier mon�taire qui suit ses d�placements sur les th��tres d'op�ration, et frappe les esp�ces mon�taires dont il a un besoin croissant. Cette pratique n'est pas nouvelle, le S�nat romain l'avait autoris� pour les grands corps exp�ditionnaires de Lucullus ou de Pomp�e en Orient, mais C�sar se l'arroge en s'emparant de la r�serve d'or de la R�publique. De surcro�t, C�sar apporte deux grandes innovations, qui servent sa politique, que ses successeurs Octave et Marc Antoine p�renniseront, et qui s'institutionnaliseront sous l'Empire romain :
+Rome n'avait �mis de monnaies en or que temporairement, essentiellement aux moments les plus difficiles de la Deuxi�me Guerre punique et en puisant dans les r�serves de m�tal pr�cieux th�sauris�es par le S�nat . L'�mission d'aureus renoue donc avec l'id�e de puiser dans les r�serves pour sauver la R�publique. De plus, la forte valeur de cette monnaie (un aureus pour 25 deniers d'argent ou 100 sesterces) facilite les importantes gratifications aux soldats de C�sar et contribue � leur prestige.
+Les motifs qui apparaissent sur les monnaies �mises par C�sar participent � sa propagande : outre son nom ou son portrait, une premi�re sous la R�publique, figurent principalement les motifs suivants :
+Les fonctions de Pontifex maximus exerc�es par C�sar comportait la fixation du d�but de chaque ann�e. C�sar la met � profit pour r�former le calendrier romain, pour que la dur�e moyenne de l'ann�e soit exactement de 365,25 jours, la meilleure approximation connue � l'�poque en occident. Il donne ainsi son nom de famille au calendrier julien. L'historien romain Su�tone pr�cise cette modification du calendrier effectu�e par C�sar :
+� Il r�gla l'ann�e sur le cours du soleil, et la composa de trois cent soixante-cinq jours, en supprimant le mois intercalaire, et en augmentant d'un jour chaque quatri�me ann�e. Pour que ce nouvel ordre de choses p�t commencer avec les calendes de janvier de l'ann�e suivante, il ajouta deux autres mois suppl�mentaires, entre novembre et d�cembre, � celle o� se fut cette r�forme ; et elle fut ainsi de quinze mois, avec l'ancien mois intercalaire, qui, selon l'usage, s'�tait pr�sent� cette ann�e-l�. �95.+
Le nom de C�sar, pris par Octave comme fils adoptif de J. C�sar, devint par la suite un titre que port�rent tous les empereurs et les princes romains, quoique �trangers � la famille des C�sars. Il fut ensuite attribu� aux h�ritiers pr�somptifs de l'empire, usage qui devint une r�gle � partir de Diocl�tien. Depuis cette �poque les empereurs prirent le titre d'Auguste et s'adjoignirent avec le titre de C�sar un prince qui devait leur succ�der. Le nom de C�sar a donn� le mot � Kaiser � en allemand, ainsi que le mot � Tsar � (ou � Czar �) en russe et en bulgare.
+Pline l'Ancien a avanc� que le surnom de Caesar pourrait venir du fait qu'un des ascendants de C�sar soit n� par c�sarienne (caesar, aris : enfant n� par incision). En revanche et quoi qu'en dise Pline l'Ancien, la naissance de C�sar lui-m�me par c�sarienne est invraisemblable, car sa m�re v�cut encore une vingtaine d'ann�es apr�s sa naissance.
+Une tradition populaire postule que c'est � la suite d'un exploit accompli pendant la Premi�re Guerre punique par un repr�sentant de la gens Julia, qui avait vaincu au cours d'un combat un �l�phant de l'arm�e carthaginoise, en lui tranchant les jarrets, qu'on l'aurait honor� du surnom de Caesor, � trancheur �. Puis le terme punique k�sar, � �l�phant �, donna caesar, et le sobriquet devint h�r�ditaire. La d�couverte de monnaies �mises au d�but de la guerre civile, repr�sentant un �l�phant pi�tinant un serpent (ou un carnyx) au-dessus du nom � Caesar �, semble �tayer cette th�se. Cet anc�tre glorieux serait � placer aux environs de 250 av. J.-C.. Mais le premier membre de la gens Julia � �tre enregistr� de mani�re historiquement fiable est Sextus Julius Caesar qui fut pr�teur en 208 av. J.-C..
+Enfin, une derni�re hypoth�se �mise par Sextus Pompeius Festus consid�re que le premier C�sar de la gens Julia aurait eu �t� surnomm� ainsi � cause d'une abondante chevelure, en latin caesaries.
+L'auteur latin Spartianus dans son ouvrage Vie d'Aelius, fait une synth�se des diff�rentes origines possibles du nom C�sar :
+� Les conjectures auxquelles a donn� lieu le nom de C�sar, le seul titre qu'ait port� le prince dont j'�cris la vie, me paraissant devoir y �tre rapport�es, je dirai que, suivant l'opinion des plus doctes et plus savants auteurs, ce mot vient de ce que le premier qui fut ainsi nomm� avait tu� dans un combat un �l�phant, animal appel� Caesa dans la langue des Maures ; ou de ce qu'il fallut, pour lui donner le jour, faire � sa m�re, qui �tait morte avant de le mettre au monde, l'op�ration appel�e c�sarienne ; ou de ce qu'il naquit avec de longs cheveux ; ou enfin de ce que ses yeux �taient d'un bleu c�leste et d'une vivacit� extraordinaire. Mais il faut proclamer heureuse la n�cessit�, quelle qu'elle f�t, de cr�er un nom devenu si fameux, et qui durera l'�ternit� du monde. �+
Le p�re de Jules C�sar, Caius Julius Caesar III, n� vers 135 av. J.-C. et mort en 85 av. J.-C., est le fils de Caius Julius Caesar II. Issu d'une famille patricienne comptant plusieurs consuls (Sextus Julius Caesar II et Sextus Julius Caesar III) il exerce au cours de sa vie les fonctions de questeur (99 av. J.-C. ou 98 av. J.-C.), pr�teur (92 av. J.-C.) puis gouverneur d'Asie (91 av. J.-C.). Il meurt brusquement de cause naturelle � Pisae en 85 av. J.-C.19.
+Sa m�re Aurelia Cotta, n�e en 120 av. J.-C. et morte en 54 av. J.-C. ou 53 av. J.-C.146, est issue d'une famille patricienne et consulaire (ses trois fr�res furent consuls). Pour Tacite et Plutarque, elle incarne la matrone romaine, exemplaire par l'�ducation et le d�vouement qu'elle porte � ses enfants et � sa famille et en particulier � son fils. Devenue veuve en 85 av. J.-C., elle ne se remarie pas et continue d'habiter avec ce dernier.
+� l'exception de C�sar, Caius Julius Caesar III et Aurelia Cotta ont eu deux autres enfants, deux filles, Julia Caesaris � Maior � (l'ancienne) et Julia Caesaris � Minor � (la jeune).
+Les informations concernant Julia Caesaris � Maior � sont peu nombreuses. Su�tone confirme l'existence de cette derni�re car elle aurait selon lui particip� � l'accusation de Clodius Pulcher poursuivi pour sacril�ge et adult�re. Elle avait au moins un fils, car diff�rents auteurs mentionnent la part r�serv�e � cet enfant dans le testament de C�sar.
+Julia Caesaris � Minor � na�t en 101 av. J.-C. et meurt en 51 av. J.-C.153. Elle �pouse Marcus Atius Balbus, originaire d'Aricie et est la m�re de Atia Balba Caesonia et la grand-m�re d'Octave, qui sera adopt� par C�sar et deviendra l'empereur Auguste.
+Selon Su�tone, Cossutia fut la premi�re femme de C�sar, dont il divor�a pour �pouser Cornelia (la m�re de sa fille Julia) pour des motifs politiques : � et quoiqu'on l'e�t fianc�, d�s son enfance, � Cossutia, d'une simple famille �questre, mais fort riche, il la r�pudia, pour �pouser Corn�lie, fille de Cinna, lequel avait �t� quatre fois consul (dimissa Cossutia quae familia equestri sed admorum dives praetextato desponsata furat...) �1 154.
+L'examen des rares sources et la compilation des �tudes sur le sujet m�nent � d�gager l'hypoth�se suivante. C�sar, venant juste de rev�tir la toge virile, a �pous� Cossutia, issue d'une riche famille de l'ordre �questre, entre juillet 85 av. J.-C. et juillet 84 av. J.-C. (sans doute � l'instigation de ses parents et pour des raisons financi�res, la famille n'�tant pas sp�cialement riche) et en divor�a l'ann�e suivante, sous le consulat de Lucius Cornelius Cinna, dont il �pousa la fille, Cornelia (un choix plus personnel traduisant une orientation politique qui ne s'est jamais d�mentie par la suite, C�sar, bien qu'encore tr�s jeune �tant devenu le chef de famille � la mort de son p�re).
+Plutarque, quant � lui, n'apporte pas une solution satisfaisante, car le r�cit qu'il fait de la vie de C�sar comporte certaines incoh�rences :
+� Au retour de sa questure, il �pousa en troisi�mes noces Pompeia ; il avait de Corn�lia, sa premi�re femme, une fille, qui par la suite fut mari�e au grand Pomp�e. � Le passage comporte une contradiction que Napol�on III avait d�j� relev�e en son temps. Enfin, si Pompeia Sylla est la troisi�me femme de C�sar, et Corn�lia sa premi�re, Plutarque ne mentionne pas l'identit� de sa seconde �pouse. Il semble plus vraisemblable que Corn�lia fut la seconde �pouse de C�sar et Cossutia sa premi�re.
+En 68 av. J.-C., apr�s avoir exerc� les fonctions de questeur en Hispanie, C�sar �pouse Pompeia Sylla, car sa premi�re femme Corn�lia �tait morte l'ann�e pr�c�dente.
+Cinq ans plus tard, en 63 av. J.-C., C�sar est �lu pontifex maximus et d�cide de divorcer suite aux relations suppos�es entre sa femme et un jeune patricien, Clodius Pulcher.
+Enfin, en 59 av. J.-C., il �pouse Calpurnia Pisonis avec laquelle il restera li� jusqu'� sa mort en 44 av. J.-C..
+Cornelia Cinna lui donne son unique enfant l�gitime, une fille pr�nomm�e Julia, qui na�t en 83 av. J.-C. ou 82 av. J.-C. et �pouse Pomp�e en 60 av. J.-C.. Elle meurt en 54 av. J.-C..
+Au cours de son s�jour en �gypte, C�sar entretient des relations avec Cl�op�tre VII qui accouchera plus tard (vers 47 av. J.-C., ou plus probablement vers 44 av. J.-C.) d'un enfant, Ptol�m�e XV dit C�sarion. Cependant, la paternit� de C�sar envers cet enfant est discut�e par les historiens et semble d�j� �tre l'objet d'une pol�mique peu de temps apr�s la mort du dictateur. C�sarion est assassin� tr�s jeune (15 ou 17 ans) par Auguste, le fils adoptif de C�sar et premier empereur romain.
+En 46 av. J.-C., C�sar, sans descendance l�gitime, adopte son petit-neveu Octave par testament qui, selon l'usage romain en cas d'adoption, est d�sormais appel� Caius Julius C�sar Octavianus (Octavien). Il deviendra plus tard Auguste, premier empereur de Rome.
+Enfin, C�sar est peut-�tre le p�re de Brutus, qu'il aurait eu avec Servilia Caepionis en 85 av. J.-C.. En effet, Plutarque dans son oeuvre, Vie de Brutus, rapporte la bienveillance de C�sar envers celui-ci158 et la croyance qu'il avait acquise d'�tre le p�re naturel, l'enfant �tant n� durant la p�riode o� il fr�quentait Servilia Caepionis.
+D'apr�s l'historien latin Su�tone, C�sar s�duit de nombreuses femmes tout au long de sa vie et plus particuli�rement celles issues de la haute soci�t� romaine.
+Il aurait ainsi s�duit Postumia, la femme de Servius Sulpicius, Lollia, la femme d'Aulus Gabinius et Tertulla, la femme de Marcus Crassus. Il semble avoir �galement fr�quent� Mucia la femme de Pomp�e.
+C�sar entretient des relations particuli�res avec Servilia Caepionis, m�re de Brutus, qu'il semblait particuli�rement appr�cier. Ainsi, Su�tone rapporte les divers pr�sents et avantages qu'il offrit � sa bien-aim�e, dont notamment une magnifique perle d'une valeur de six millions de sesterces. L'amour de Servilia pour C�sar est publiquement connu � Rome.
+Le penchant de C�sar pour les plaisirs de l'amour semble �galement attest� par ces quelques vers chant�s par ses soldats, lors de son triomphe � Rome au retour de ses campagnes en Gaule, et rapport�s par Su�tone :
+� Citoyens, surveillez vos femmes : nous amenons un adult�re chauve Tu as forniqu� en Gaule avec l'or emprunt� � Rome. �+
C�sar a des relations amoureuses avec Euno�, femme de Bogud, roi de Mauritanie.
+Cependant, sa relation avec Cl�op�tre VII est rest�e plus c�l�bre. Su�tone rapporte que C�sar a remont� le Nil avec la reine �gyptienne et l'a fait venir � Rome en la comblant d'honneurs et de pr�sents. C'est aussi un bon moyen pour lui de tenir l'�gypte, o� trois l�gions sont pr�sentes, et dont le r�le dans l'approvisionnement en c�r�ales de l'Italie commence � devenir pr�pond�rant. Toujours est-il que Cl�op�tre est pr�sente � Rome au moment de l'assassinat de C�sar et qu'elle rentre rapidement dans son pays apr�s le meurtre.
+Selon l'historien grec Plutarque la sant� de C�sar �tait fragile, ce dernier �tant en effet sujet � de fr�quents maux de t�te et � des attaques d'�pilepsie,168,169.
+Cette faiblesse de C�sar et son mauvais �tat de sant� semblent �galement �tre attest�s par Su�tone,172,173. Toutefois, Su�tone souligne aussi l'endurance de C�sar � la marche ou � la nage lors de ses campagnes.
+D'autres auteurs font �tat, quant � eux, de malaises survenus � la toute fin de sa vie.
+N�anmoins, C�sar n'aurait pas pu commander aussi efficacement ses troupes en Gaule s'il avait �t� en mauvaise sant�. Quelle que soit la maladie l'affectant, il ne semble l'avoir �prouv�e que tardivement. Les attestations de son � �pilepsie � datent seulement des derni�res ann�es de sa vie (� Thapsus et peut-�tre � Munda). S'il en avait �t� autrement, Cic�ron qui ne le portait pas dans son coeur, ne se serait s�rement pas priv� de l'attaquer sur le sujet comme il l'a fait � propos d'une pr�tendue aventure avec le roi Nicom�de IV de Bithynie.
+De plus, il faut se souvenir que le diagnostic des maladies n'ob�issait pas aux m�mes crit�res qu'aujourd'hui et que des sympt�mes ressemblant � ceux d�crits tr�s impr�cis�ment par Plutarque et Su�tone peuvent �tre dus � de nombreuses autres causes (hypoglyc�mie, malaise vagal, coup sur la t�te, tumeur etc.). Certaines de ces affections peuvent �galement s'accompagner d'une alt�ration du comportement et il semble que cela ait �t� le cas pendant les derniers mois que C�sar passa � Rome avant d'�tre assassin�. La lecture de ces documents, qui n'ont pas �t� r�dig�s par des contemporains, ne permet pas de trancher de mani�re d�finitive.
+Il est �galement fort probable qu'un filtrage des sources de l'�poque ait �t� op�r� par Auguste, censurant tout ce qui ne s'inscrivait pas dans le cadre de sa propagande (y compris et surtout les oeuvres de C�sar autres que les Commentaires). C�sar est mort entre 56 et 58 ans, ce qui constitue un �ge honorable et une longue dur�e de vie pour l'�poque. La vie tumultueuse qu'il a men�e, aura s�rement laiss� des traces, �tant donn� qu'il ne se m�nageait pas.
+Jules C�sar fait partie des personnages historiques les plus saillants de la culture mondiale. Sa popularit� ne cesse de cro�tre d�s le xiie si�cle avec la diffusion du motif des Neuf Preux, neuf grandes figures historiques ou mythiques qui incarnent l'id�al du roi chevalier. De cette tradition subsiste encore aujourd'hui le roi de carreaux de nos jeux de cartes.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+L�onard de Vinci (Leonardo di ser Piero da Vinci �couter, dit Leonardo da Vinci), n� � Vinci le 15 avril 1452 et mort � Amboise le 2 mai 1519, est un peintre florentin et un homme d'esprit universel, � la fois artiste, scientifique, ing�nieur, inventeur, anatomiste, peintre, sculpteur, architecte, urbaniste, botaniste, musicien, po�te, philosophe et �crivain.
+Apr�s son enfance � Vinci, L�onard est �l�ve aupr�s du c�l�bre peintre florentin Andrea del Verrocchio. Ses premiers travaux importants sont r�alis�s au service du duc Ludovic Sforza � Milan. Il oeuvre ensuite � Rome, Bologne et Venise et passe les derni�res ann�es de sa vie en France, � l'invitation du roi Fran�ois Ier.
+L�onard de Vinci est souvent d�crit comme l'arch�type et le symbole de l'homme de la Renaissance, un g�nie universel et un philosophe humaniste dont la curiosit� infinie est seulement �gal�e par la force d'invention. Il est consid�r� comme un des plus grands peintres de tous les temps et peut-�tre la personne la plus talentueuse dans le plus grand nombre de domaines diff�rents ayant jamais v�cu.
+C'est d'abord comme peintre que L�onard de Vinci est reconnu. Deux de ses oeuvres, La Joconde et La C�ne, sont des peintures tr�s c�l�bres, souvent copi�es et parodi�es, et son dessin de l'Homme de Vitruve est �galement repris dans de nombreux travaux d�riv�s. Seules une quinzaine d'oeuvres sont parvenues jusqu'� nous ; ce petit nombre est d� � ses exp�rimentations constantes et parfois d�sastreuses de nouvelles techniques et � sa procrastination chronique. N�anmoins, ces quelques oeuvres, jointes � ses carnets, qui contiennent des dessins, des diagrammes scientifiques et des r�flexions sur la nature de la peinture, sont un legs aux g�n�rations suivantes d'artistes seulement �gal� par Michel-Ange.
+Comme ing�nieur et inventeur, L�onard d�veloppe des id�es tr�s en avance sur son temps, depuis l'h�licopt�re, le char de combat, le sous-marin jusqu'� l'automobile. Tr�s peu de ses projets sont construits, ou m�me seulement r�alisables de son vivant, mais certaines de ses plus petites inventions comme une machine pour mesurer la limite �lastique d'un c�ble entrent dans le monde de la manufacture. En tant que scientifique, L�onard de Vinci a beaucoup fait progresser la connaissance dans les domaines de l'anatomie, du g�nie civil, de l'optique et de l'hydrodynamique.
+L�onard de Vinci est n� le samedi 15 avril 1452 � � la troisi�me heure de la nuit �, c'est-�-dire trois heures apr�s l'Ave Maria, soit 22 h 303, au ch�teau de Vinci pr�s de Florence, d'une relation amoureuse ill�gitime entre son p�re, Messer Piero Fruosino di Antonio da Vinci, notaire, chancelier et ambassadeur de la R�publique florentine et descendant d'une riche famille de notables italiens, et sa m�re, Caterina, une humble fille de paysans, dans le petit village toscan d'Anchiano, un village situ� � deux kilom�tres de Vinci, sur le territoire de Florence en Italie. Une �tude en 2006 note qu'il semble probable que Caterina soit une esclave venue du Moyen-Orient.
+L�onard, ou plut�t Lionardo selon son nom de bapt�me, est baptis� puis passe ses cinq premi�res ann�es chez son p�re � Vinci, o� il est trait� comme un enfant l�gitime. Il a cinq marraines et cinq parrains, tous habitant le village. Il re�oit une instruction et acquiert ainsi la lecture, l'�criture et l'arithm�tique. N�anmoins, il n'�tudie pas s�rieusement le latin, base de l'enseignement traditionnel, et une orthographe chaotique montre que cette instruction n'est pas sans lacune : en tout cas, elle ne fut pas celle d'un universitaire.
+� cette �poque, les conventions d'appellation modernes ne se sont pas encore d�velopp�es en Europe. Seules les grandes familles font usage du nom de leur appartenance patronymique. L'homme du peuple est d�sign� par son pr�nom auquel on adjoint toute pr�cision utile : le nom du p�re, le lieu d'origine, un surnom, le nom du ma�tre pour un artisan, etc. Par cons�quent, le nom de l'artiste est Leonardo di ser Piero Da Vinci, ce qui signifie Leonardo, fils de ma�tre Piero De Vinci ; n�anmoins le � Da � porte une majuscule afin de distinguer qu'il s'agit d'un patronyme. L�onard lui-m�me signe simplement ses travaux Leonardo ou Io, Leonardo (� Moi, L�onard �). La plupart des autorit�s rapportent donc ses travaux � Leonardo sans le da Vinci. Vraisemblablement, il n'emploie pas le nom de son p�re parce qu'il est un enfant ill�gitime. � Vinci � provient du nom des � vinchi �, plantes assimilables � des joncs, utilis�es dans l'artisanat toscan et poussant pr�s du ruisseau Vincio.
+En 1457, il a 5 ans quand sa m�re se marie avec Antonio di Piero Buti del Vacca da Vinci, un paysan de la ville, avec lequel elle aura cinq enfants. Il est alors admis dans la maison de la famille de son p�re, du village de Vinci, qui, entre-temps, a �pous� une jeune fille d'une riche famille de Florence, �g�e de 16 ans, Albiera degli Amadori. Celle-ci, sans enfants, reporte toute son affection sur L�onard, mais elle meurt tr�s jeune en couches en 14643. Consid�r� d�s sa naissance comme un fils � part enti�re par son p�re, il ne fut cependant jamais l�gitim�. Son p�re se maria quatre fois et lui donna dix fr�res et deux soeurs l�gitimes venus apr�s L�onard. Il aura de bons rapports avec la derni�re femme de son p�re, Lucrezia Guglielmo Cortigiani, et laissera une note l'appelant � ch�re et douce m�re �3.
+Sa grand-m�re paternelle, Lucia di ser Piero di Zoso, c�ramiste et proche de L�onard, est peut-�tre la personne qui l'initia aux arts. Un pr�sage connu rapporte qu'un milan venu du ciel aurait fait un vol stationnaire au-dessus de son berceau, la queue de l'oiseau le touchant au visage.
+Giorgio Vasari, le biographe du xvie si�cle des peintres de la Renaissance, raconte, dans Le Vite (1568), l'histoire d'un paysan local qui demanda � ser Piero que son talentueux fils peigne une image sur une plaque. L�onard peignit une image repr�sentant un dragon crachant du feu, si r�ussie que ser Piero la vendit � un marchand d'art florentin, qui lui-m�me la revendit au duc de Milan. Entre-temps, apr�s avoir r�alis� un b�n�fice, ser Piero acheta une plaque d�cor�e d'un coeur transperc� d'une fl�che, qu'il donna au paysan.
+Le jeune L�onard est proche de la nature, qu'il observe avec une vive curiosit� et s'int�resse � tout. Il dessine d�j� des caricatures et pratique l'�criture sp�culaire en dialecte toscan. Giorgio Vasari, dans sa biographie de L�onard, raconte une anecdote sur les premiers pas dans la carri�re artistique de celui qui allait devenir un des plus grands peintres de la Renaissance. Un jour, le p�re de L�onard, ser Piero, � prit plusieurs de ses dessins et les soumit � son ami Andrea del Verrocchio qu'il pria instamment de lui dire si L�onard devait se consacrer � l'art du dessin et s'il pourrait parvenir � quelque chose en cette mati�re. Andrea s'�tonna fort des d�buts extraordinaires de L�onard et exhorta ser Piero � lui permettre de choisir ce m�tier, sur quoi, ser Piero r�solut que L�onard entrerait � l'atelier d'Andrea. L�onard ne se fit pas prier ; non content d'exercer ce m�tier, il exer�a ensuite tous ceux qui se rattachent � l'art du dessin. � C'est ainsi que L�onard est plac� comme �l�ve apprenti � partir de 1469 dans un des plus prestigieux ateliers d'art de la Renaissance de Florence sous le patronage d'Andrea del Verrocchio � qui il doit sa formation multidisciplinaire d'excellence, o� il c�toie d'autres artistes comme Sandro Botticelli, Le P�rugin et Domenico Ghirlandaio. En effet, jusqu'en 1468, L�onard est recens� comme r�sident de la commune de Vinci mais il est tr�s souvent � Florence o� son p�re travaille.
+Verrocchio est un artiste renomm� tr�s �clectique : orf�vre et forgeron de formation, peintre, sculpteur et fondeur qui travaille notamment pour le riche m�c�ne Laurent de M�dicis. Les commandes principales sont des retables et des statues comm�moratives pour les �glises. Cependant, les plus grandes commandes sont des fresques pour les chapelles, comme celles cr��es par Domenico Ghirlandaio et son atelier pour la Chapelle Tornabuoni et de grandes statues telles que les statues �questres de Gattamelata par Donatello et Bartolomeo Colleoni de Verrocchio. L�onard travaille �galement avec Antonio Pollaiuolo dont l'atelier est proche de celui de Verrocchio.
+Apr�s un an pass� au nettoyage des pinceaux et autres petits travaux d'apprenti, L�onard est initi� par Verrocchio aux nombreuses techniques pratiqu�es dans un atelier traditionnel, bien que certains artisans soient sp�cialis�s dans des t�ches telles que l'encadrement, les dorures et le travail du bronze. Il a donc eu l'occasion d'apprendre notamment des bases de la chimie, de la m�tallurgie, du travail du cuir et du pl�tre, de la m�canique et de la menuiserie, ainsi que des techniques artistiques de dessin, de peinture et de sculpture sur marbre et sur bronze. Il est �galement initi� � la pr�paration des couleurs, � la gravure et � la peinture des fresques. Par la suite, Verrocchio confie � son �l�ve, qu'il trouve exceptionnel, le soin privil�gi� de terminer ses tableaux. Mais la formation re�ue lors de son apprentissage � l'atelier Verrochio semble plus large encore. L�onard acquiert la connaissance du calcul algorithmique et il cite les deux abacistes florentins les plus en vue, Paolo Toscanelli del Pazzo et Leonardo Chernionese. Plus tard, L�onard para�t bien faire allusion � la Nobel opera de arithm�tica, de Piero Borgi, imprim�e � Venise en 1484, et qui repr�sente bien la science de ces �coles d'abaques.
+Il n'y a pas d'oeuvre de L�onard connue pendant cette p�riode mais, selon Vasari, il aurait collabor� � une peinture nomm�e Le Bapt�me du Christ (1472 - 1475)12. C'est d'ailleurs, selon la l�gende, � cause de la qualit� du petit ange peint par Vinci pour ce tableau que Verrocchio, se sentant surpass� par son jeune assistant, d�cide de ne plus peindre. Selon la tradition qui veut que ce soit l'apprenti qui prenne la pose, L�onard aurait servi de mod�le � la statue en bronze de David de Verrocchio. Il est �galement suppos� que l'Archange Rapha�l dans l'oeuvre Tobie et l'Ange de Verrocchio est le portrait de L�onard.
+En 1472, � l'�ge de 20 ans, il est enregistr� dans le � Livre rouge � de la guilde de saint Luc, c�l�bre guilde des artistes peintres et des docteurs en m�decine de Florence, le Campagnia de Pittori. Il y a quelques traces de cette p�riode de la vie de L�onard, dont la date d'un de ses premiers travaux, un dessin fait � la plume et � l'encre, Paysage de Santa Maria della neve (1473). Par la suite, sa carri�re de peintre d�bute par des oeuvres imm�diatement remarquables telles que L'Annonciation (1472 - 1475). Il am�liore la technique du sfumato (impression de brume) � un point de raffinement jamais atteint avant lui.
+Il est toujours mentionn� en 1476 comme assistant de Verrocchio, car, m�me apr�s que son p�re lui eut mis en place son propre atelier, son attachement � Verrocchio est tel qu'il a continu� � collaborer avec lui. Pendant cette p�riode, il re�oit des commandes personnelles et peint son premier tableau, La Madone � l'oeillet (1476).
+L�onard s'affirme presque tout de suite comme un ing�nieur : en 1478, il offre de soulever, sans en causer la ruine, l'�glise octogone de Saint-Jean de Florence, le baptist�re actuel, pour y ajouter un soubassement.
+Les archives judiciaires de 1476 montrent que, avec trois autres hommes, il a �t� accus� de sodomie, pratique � l'�poque ill�gale � Florence, mais tous ont �t� acquitt�s des charges retenues, probablement gr�ce � l'intervention de Laurent de M�dicis. Ce document partant d'une accusation anonyme ne permet cependant pas d'affirmer avec certitude que L�onard �tait homosexuel.
+Deux ann�es plus tard, � 26 ans, il quitte son ma�tre apr�s l'avoir brillamment d�pass� dans toutes les disciplines. L�onard de Vinci devient alors ma�tre-peintre ind�pendant.
+En 1481, le monast�re de San Donato lui commande L'Adoration des mages (1481), mais L�onard ne terminera jamais ce tableau, probablement d��u ou vex� de ne pas �tre choisi par le pape Sixte IV pour la d�coration de la chapelle Sixtine du Vatican � Rome, o� il est en concurrence avec plusieurs peintres. Le n�oplatonisme en vogue � l'�poque � Florence joue peut-�tre �galement un r�le dans son d�part vers une ville plus acad�mique et pragmatique comme Milan. Cela est probablement plus en phase avec son esprit, bas� sur un d�veloppement empirique, gr�ce � ses multiples exp�riences.
+Vinci peint La Vierge aux rochers (1483 - 1486) pour la confraternit� de l'Immacul�e Conception � la chapelle San Francesco Grande de Milan, mais ce tableau sera au centre d'un conflit entre l'auteur et ses commanditaires pendant plusieurs ann�es. En effet, L�onard s'engage avec le droit de pouvoir copier l'oeuvre mais cela lui est refus� par la suite, il est donc contraint de stopper son travail, provoquant du retard. Le probl�me ne sera r�solu que par des d�cisions de justice et les interventions d'amis.
+� Florence, le travail de L�onard ne passe pas inaper�u. Laurent de M�dicis apprend que L�onard a cr�� une lyre argent�e en forme de t�te de cheval. Impressionn� par son travail, il envoie L�onard � Milan comme �missaire et pour qu'il travaille pour le m�c�ne et duc de Milan, Ludovic Sforza. Le but de cette manoeuvre est de rester en bonnes relations avec ce rival important. Il est tr�s probablement accompagn� par le musicien Atalante Migliorotti. Il �crit �galement une lettre � Ludovic, lettre qui figure dans le codex Atlantico, qui d�crit les nombreuses et diverses choses merveilleuses qu'il pourrait faire dans le domaine de l'ing�nierie et informe le seigneur qu'il peut aussi peindre. Ce texte est bien dans la tradition des ing�nieurs qui l'ont pr�c�d�, il reprend le m�me programme, les m�mes curiosit�s et les m�mes recherches : d�sormais, c'est bien en ing�nieur que L�onard va vivre et travailler. Sforza l'emploie � des t�ches diverses sous le titre mythique d'� Apelle florentin �, r�serv� aux grands peintres. L'artiste est ainsi � ordonnateur de f�tes et spectacles aux d�cors somptueux � du palais et invente des machines de th��tre qui �merveillent le public ; il peint plusieurs portraits de la cour milanaise. L�onard de Vinci est port� sur la liste des ing�nieurs des Sforza et lorsqu'on l'envoie � Pavie, il est qualifi� d' � ingeniarius ducalis �. Mais des contacts avec les cercles �clair�s de Milan lui montrent �galement toutes les lacunes de sa formation.
+Il s'occupe �galement de l'�tude pour le d�me de la cath�drale de Milan et d'une version en argile pour faire un moule pour le � Gran Cavallo � (� Il Cavallo �, le cheval de L�onard), une imposante statue �questre en l'honneur de Francesco Sforza, le p�re et pr�d�cesseur de Ludovic, faite de soixante-dix tonnes de bronze, ce qui constitue une v�ritable prouesse technique pour l'�poque. Cette statue reste inachev�e plusieurs ann�es, Michel-Ange reconnaissant lui-m�me qu'il est incapable de la fondre. Lorsque L�onard finit la version en argile pour le moule et ses plans pour le processus de fonte, le bronze pr�vu pour la statue est utilis� � la cr�ation de canons pour d�fendre la ville de l'invasion de Charles VIII de France.
+En 1490, il participe � une sorte de congr�s d'architectes et d'ing�nieurs, r�unis pour l'ach�vement du D�me de Milan et fait la connaissance d'un autre ing�nieur dont la renomm�e est bien �tablie, Francesco di Giorgio Martini. Ce dernier l'emm�ne � Parme, avec Giovanni Antonio Amadeo et Luca Fancelli, o� on lui a demand� une autre consultation pour la construction de la cath�drale.
+C'est � cette �poque que L�onard r�fl�chit � des projets techniques et militaires. Il am�liore les horloges, le m�tier � tisser, les grues et de nombreux autres outils. Il �tudie aussi l'urbanisme et propose des plans de cit�s id�ales. Il s'int�resse � l'am�nagement hydraulique et un document de 1498 le cite comme ing�nieur et charg� de travaux sur les fleuves et les canaux. Bien que vivant � Milan entre 1493 et 1495, L�onard a not� dans ses documents d'imposition qu'il a, � sa charge, une femme appel�e Caterina. � la mort de celle-ci, en 1495, la liste d�taill�e des d�penses relatives � ses fun�railles laisse � penser que c'�tait sa m�re plut�t qu'une servante.
+Vers 1490, il cr�e une acad�mie portant son nom o� il enseigne pendant quelques ann�es son savoir tout en notant ses recherches dans de petits trait�s. La fresque La C�ne (1494 - 1498) est peinte pour le couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie. En 1496, Luca Pacioli arrive � Milan ; L�onard de Vinci se lie tout de suite d'amiti� et r�alise pour lui les planches grav�es de la Divina proportione. Un peu plus tard, en 1498, il r�alise le plafond du ch�teau des Sforza.
+En 1499, lorsque les troupes de Louis XII de France prennent le Duch� de Milan et destituent Ludovic Sforza, qui s'enfuit en Allemagne chez son neveu Maximilien Ier du Saint Empire, sa statue �questre en argile est d�truite par les Fran�ais, qui l'utilisent comme cible d'entra�nement. Louis XII revendique ses droits � la succession des Visconti. Louis XII envisage de d�couper le mur repr�sentant La C�ne pour l'emporter en France, comme l'imaginera �galement Napol�on Ier quelques si�cles plus tard. Avec la chute de Sforza, L�onard entre au service du comte de Ligny, Louis de Luxembourg, qui lui demande de pr�parer un rapport sur l'�tat de la d�fense militaire de la Toscane. Le retour inopin� de Ludovic Sforza modifie ses projets et, avec son assistant Salai, il fuit Milan en f�vrier 1499 pour Mantoue puis Venise.
+En mars 1499, L�onard de Vinci est alors employ� comme architecte et ing�nieur militaire par les V�nitiens, qui cherchent � prot�ger leur cit�. Il �labore des m�thodes pour d�fendre la ville d'une attaque navale des Turcs avec, notamment, l'invention d'un scaphandre � casque rudimentaire. Les Turcs n'attaquant pas, l'invention ne sera jamais utilis�e et, fin avril, il est de retour � Florence. Il �tudie les cours d'eau du Frioul et propose un rel�vement du cours de l'Isonzo par des �cluses, de fa�on � pouvoir inonder toute une r�gion qui couvrait les approches de Venise.
+En avril 1500, il revient � Venise pour deux mois, apr�s avoir s�journ� � Mantoue, en compagnie du moine math�maticien Luca Pacioli, o� il fut fortement remarqu� pour un portrait d'Isabelle d'Este. Une lettre du 14 avril 1501, par laquelle Fra Pietro da Nuvolaria r�pond � la duchesse de Mantoue, indique que � ses exp�riences math�matiques l'ont tellement d�tourn� de la peinture, qu'il ne peut plus supporter le pinceau. � Ainsi, L�onard de Vinci poursuivait bien des recherches plus larges. Il s�journe dans le couvent de la Santissima Annunziata en 1501 et re�oit la cons�cration pour l'esquisse pr�paratoire La Vierge, l'Enfant J�sus avec sainte Anne et saint Jean Baptiste, une oeuvre qui provoque une telle admiration que � hommes et femmes, jeunes et vieux � viennent la voir � comme s'ils participaient � un grand festival �. Il fait un bref s�jour � Rome � la villa d'Hadrien � Tivoli. Il travaille La Madone aux fuseaux pour Florimond Robertet, le secr�taire d'�tat de Louis XII de France.
+En 1502, il est appel� par le prince C�sar Borgia, duc de Valentinois et fils du pape Alexandre VI, avec le titre de � capitaine et ing�nieur g�n�ral �. Il s�journe dans les Marches et la Romagne pour inspecter les forteresses et les territoires nouvellement conquis, remplissant ses carnets de ses multiples observations, cartes, croquis de travail et copies d'ouvrages consult�s dans les biblioth�ques des villes qu'il traverse. Il rencontre Nicolas Machiavel, � espion � de Florence au service de Borgia.
+Le 18 octobre 1503, il retourne � Florence o� il remplit les fonctions d'architecte et d'ing�nieur hydraulicien. Il se r�inscript � la guilde de saint Luc et passe deux ann�es � pr�parer et faire La bataille d'Anghiari (1503 - 1505), une fresque murale imposante de sept m�tres sur dix-sept, avec Michel-Ange faisant La bataille de Cascina sur la paroi oppos�e. Les deux oeuvres seront perdues, la peinture de Michel-Ange est connue � partir d'une copie d'Aristotole da Sangallo en 154224 et la peinture de L�onard est connue uniquement � partir de croquis pr�paratoires et de plusieurs copies de la section centrale, dont la plus connue est probablement celle de Pierre Paul Rubens. Un feu utilis� pour s�cher plus rapidement la peinture ou la qualit� du mat�riel semblent �tre � l'origine de l'alt�ration de l'oeuvre, laquelle a par la suite probablement �t� recouverte par une fresque de Giorgio Vasari.
+L�onard est consult� � plusieurs reprises comme expert, notamment pour �tudier la stabilit� du campanile de San Miniato al Monte et lors du choix de l'emplacement du David de Michel-Ange o� son avis s'oppose � celui de Michel-Ange. C'est � cette p�riode qu'il pr�sente � la cit� de Florence son projet de d�viation de l'Arno destin� � cr�er une voie navigable capable de relier Florence � la mer avec la ma�trise des terribles inondations. Cette p�riode est importante pour la formation scientifique de L�onard qui, dans ses recherches hydrauliques, pratique l'exp�rience. En 1504, il revient travailler � Milan, qui est d�sormais sous le contr�le de Maximilien Sforza, gr�ce au soutien des mercenaires suisses. Beaucoup des �l�ves et des adeptes les plus en vue dans la peinture connaissent ou travaillent avec L�onard � Milan, y compris Bernardino Luini, Giovanni Antonio Boltraffio et Marco d'Oggiono. Son p�re meurt le 9 juillet, et L�onard est �cart� de l'h�ritage en raison de son ill�gitimit�, mais son oncle fera plus tard de lui son l�gataire universel. La m�me ann�e, Vinci r�alise des �tudes anatomiques et tente de classer ses innombrables notes. L�onard commence � travailler La Joconde (1503 - 1506 puis 1510 - 1515), qui est habituellement consid�r�e comme un portrait de Mona Lisa del Giocondo, n�e Lisa Maria Gherardini. Cependant, de nombreuses interpr�tations au sujet de ce tableau sont encore discut�es.
+En 1505, il �tudie le vol des oiseaux et r�dige le codex de Turin. D�sormais, observations, exp�riences et reconstructions a posteriori se succ�dent. Une ann�e plus tard, le gouvernement de Florence lui permet de rejoindre le gouverneur fran�ais de Milan Charles d'Amboise, qui le retient aupr�s de lui malgr� les protestations de la seigneurie. L�onard est tiraill� entre Fran�ais et Toscans ; il est press� par le tribunal de finir La Vierge aux rochers avec son �l�ve Ambrogio de Predis alors qu'il travaille sur La bataille d'Anghiari.
+Le peintre devient l'unique h�ritier de son oncle Francesco en 1507, mais les fr�res de L�onard entament une proc�dure pour casser le testament. L�onard fait appel � Charles d'Amboise et Florimond Robertet pour qu'ils interviennent en sa faveur. Louis XII de France est � Milan, et L�onard est de nouveau l'ordonnateur des f�tes donn�es dans la capitale lombarde.
+En 1508, il vit dans la maison de Piero di Braccio Martelli avec le sculpteur Giovanni Francesco Rustici � Florence mais part habiter � Milan, � la Porta Orientale dans la paroisse de Santa Babila. Louis XII revient bient�t en Italie et entre � Milan en mai 1509. Presque aussit�t, il dirige ses arm�es contre Venise, et L�onard suit le roi en qualit� d'ing�nieur militaire ; il assiste � la bataille d'Agnadel. � la mort du gouverneur Charles d'Amboise en 1511 et apr�s la bataille de Ravenne en 1512, la France quitte le Milanais. Cette seconde p�riode milanaise permet � L�onard de Vinci d'approfondir ses recherches en science pure. La parution en 1509 du De expendentis et fugiendis rebus de Giorgio Valla eut certainement une grande influence sur lui.
+En septembre 1513, L�onard de Vinci part pour Rome travailler pour le pape L�on X, membre de la riche et puissante famille des M�dicis. Au Vatican, Rapha�l et Michel-Ange sont tous deux tr�s actifs � ce moment. Devant le succ�s des Sangallo, L�onard ne se voit confier que de modestes missions et semble n'avoir particip� ni � la construction des nombreuses forteresses romaines qui marqueront l'�volution de la poliorc�tique, ni � l'embellissement de la capitale. Pire, sa peinture elle-m�me ne semble plus de mise, et il se r�fugie dans une autre sp�cialit�, peut-�tre sa pr�f�r�e, l'hydraulique, avec un projet d'ass�chement des marais pontins, appartenant au duc Julien de M�dicis. L�onard ex�cute, en 1514, la s�rie des � D�luges �, qui est une r�ponse partielle � la version offerte par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.
+� Les M�dicis m'ont cr��, les M�dicis m'ont d�truit �, �crivit L�onard de Vinci, sans doute pour souligner les d�ceptions de son s�jour romain. Sans doute pensait-il que jamais on ne lui laisserait donner sa mesure sur un chantier important. Sans doute connaissait-on aussi son instabilit�, son d�couragement rapide, sa difficult� � terminer ce qu'il avait entrepris.
+En septembre 1515, le nouveau roi de France Fran�ois Ier reconquiert le Milanais par la bataille de Marignan. En novembre 1515, L�onard se penche sur un nouveau projet d'am�nagement du quartier M�dicis � Florence. Le 19 d�cembre, il est pr�sent � Bologne pour la r�union entre Fran�ois Ier et le pape L�on X9,27,28. Francois Ier charge L�onard de concevoir un lion m�canique pouvant marcher et dont la poitrine s'ouvre pour r�v�ler des lys. On ne sait pas pour quelle occasion ce lion a �t� con�u, mais il peut avoir �t� li� � l'arriv�e du roi � Lyon ou aux pourparlers de paix entre le roi et le pape.
+Il part travailler en France en 1516 avec son assistant artiste peintre Francesco Melzi et Salai o� son nouveau m�c�ne et protecteur, le roi de France Fran�ois Ier l'installe au manoir de son enfance, le clos Luc�, � proximit� du ch�teau d'Amboise, la demeure de l'�poque du roi, en tant que � premier peintre, premier ing�nieur et premier architecte du roi � avec une pension annuelle de mille �cus. Peut-�tre � la cour de France, s'int�ressait-on plus au peintre, � l'artiste qu'� l'ing�nieur et, jusque l�, seuls des Fran�ais s'�taient attach�s l'illustre Florentin en qualit� d'artiste : en Italie il n'avait jamais �t� engag� que comme ing�nieur. En lui donnant le clos Luc�, Fran�ois Ier dit � L�onard : � Fais ce que tu veux �. Il n'est pas le premier artiste � recevoir cet honneur ; Andrea Solario et Fra Giovanni Giocondo l'avaient pr�c�d� quelques ann�es avant. Fran�ois Ier est fascin� par L�onard de Vinci et le consid�re comme un p�re. Le manoir et le ch�teau d'Amboise �taient d'ailleurs reli�s par un souterrain permettant au souverain de rendre visite � l'homme de science en toute discr�tion. L�onard projette la construction d'un nouveau palais � Romorantin avec le d�tournement d'un fleuve dans la Sauldre. Il esquisse un projet de canal entre la Loire et la Sa�ne et organise des f�tes, comme celle que le roi donne au ch�teau d'Argenton en octobre 1517 en l'honneur de sa soeur.8
+Le 23 avril 1519, L�onard de Vinci, malade depuis de longs mois, r�dige son testament devant un notaire d'Amboise. Il demande un pr�tre pour recevoir sa confession et lui donner l'extr�me onction. Il est emport� par la maladie le 2 mai 1519, au Clos Luc�, � l'�ge de 67 ans. La tradition selon laquelle il mourut dans les bras de Fran�ois Ier repose peut-�tre sur une interpr�tation erron�ment litt�rale d'une �pitaphe rapport�e par Giorgio Vasari. Cette �pitaphe, qui n'a jamais �t� vue sur aucun monument, contient les mots � Sinu Regio �, qui peuvent signifier, au sens propre sur la poitrine d'un roi, mais aussi, dans un sens m�taphorique, dans l'affection d'un roi, et peuvent n'�tre qu'une allusion � la mort de L�onard dans un ch�teau royal. De plus, � cette �poque, la cour est au ch�teau de Saint-Germain-en-Laye, o� la reine accouche du roi Henri II de France, le 31 mars, et les ordonnances royales donn�es le 1er mai sont dat�es de cet endroit. Le journal de Fran�ois Ier ne signale d'ailleurs aucun voyage du roi jusqu'au mois de juillet. Pour finir, l'�l�ve de L�onard de Vinci, Francesco Melzi, auquel il l�gue ses livres et ses pinceaux et qui est d�positaire de son testament, �crit au fr�re du grand peintre une lettre o� il raconte la mort de son ma�tre. Pas un mot n'y fait allusion � la circonstance mentionn�e plus haut qui, si elle avait �t� av�r�e, n'aurait certainement pas �t� oubli�e.
+Selon ses derni�res volont�s, soixante mendiants suivent son cort�ge et il est enterr� � la chapelle Saint-Hubert, qui est dans l'enceinte du ch�teau d'Amboise et domine la ville.
+L�onard de Vinci, toute sa vie c�libataire et n'ayant jamais eu ni femme ni enfants, l�gue l'ensemble de son oeuvre consid�rable pour la faire publier � son disciple pr�f�r� et �l�ve depuis ses 10 ans, Francesco Melzi. Il lui offre notamment ses manuscrits, carnets, documents et instruments. Apr�s l'avoir accompagn� en France, il reste pr�s de L�onard de Vinci jusqu'� sa mort et g�re son h�ritage pendant les cinquante ann�es suivant la mort de son ma�tre. Cependant, il ne publiera rien de l'oeuvre de L�onard et de nombreuses peintures, dont la Joconde, se trouvaient encore en sa possession dans son atelier. Les vignes de L�onard seront divis�es entre Salai, un autre �l�ve et disciple tr�s appr�ci� par L�onard et entr� � son service � l'�ge de 15 ans, et son servant Battista di Vilussis. Le terrain sera l�gu� aux fr�res de L�onard, et sa servante re�ut un manteau noir � bords de fourrure.
+C'est le d�but de la dispersion et la perte des deux tiers des cinquante mille documents originaux multidisciplinaires r�dig�s en vieux toscan et crypt�s par L�onard de Vinci. Chaque carnet, manuscrit, page, croquis, dessin, texte et note est consid�r� comme une oeuvre d'art � part enti�re. Il ne resterait que treize mille documents environ.
+Vingt ans apr�s la mort de L�onard, Fran�ois Ier dira au sculpteur Benvenuto Cellini :
+� Il n'y a jamais eu un autre homme n� au monde qui en savait autant que L�onard, pas autant en peinture, sculpture et architecture, comme il �tait un grand philosophe34. �+
L�onard commence son apprentissage avec Andrea del Verrocchio en 1466, ann�e o� le ma�tre de Verrocchio, le grand sculpteur Donatello, meurt. Le peintre Paolo Uccello, dont les premi�res exp�riences avec la perspective influenc�rent le d�veloppement de la peinture des paysages, est alors tr�s �g�. De m�me, les peintres Piero della Francesca et Fra Filippo Lippi, le sculpteur Luca della Robbia et de l'architecte et �crivain Leon Battista Alberti ont environ 60 ans. Les artistes les plus renomm�s de la g�n�ration suivante sont le ma�tre de L�onard : Andrea del Verrocchio, Antonio Pollaiuolo et le sculpteur Mino da Fiesole.
+La jeunesse de L�onard se d�roule dans une maison de Florence orn�e des oeuvres de ces artistes et par les contemporains de Donatello, Masaccio dont les fresques figuratives et r�alistes sont impr�gn�es d'�motion, et Lorenzo Ghiberti, dont les Portes du Paradis montrent la complexit� des compositions, alliant travaux architecturaux et soin des d�tails. Piero della Francesca a fait une �tude d�taill�e de la perspective et est le premier peintre � faire une �tude scientifique de la lumi�re. Ces �tudes et les trait�s de Leone Battista Alberti doivent avoir un profond effet sur les jeunes artistes, et en particulier sur les propres observations de L�onard et ses oeuvres d'art,37.
+La repr�sentation du nu de Masaccio montrant Adam et �ve quittant le paradis, avec Adam sans ses organes g�nitaux masqu�s par une feuille de vigne, cr�e une image tr�s expressive des formes humaines qui influencera beaucoup la peinture, notamment parce qu'elles sont exprim�es en trois dimensions par une utilisation novatrice de la lumi�re et de l'ombre, que L�onard d�veloppera dans ses propres oeuvres. L'humanisme de la Renaissance influen�ant le David de Donatello peut �tre vu dans les peintures les plus tardives de L�onard, en particulier Saint Jean Baptiste.
+Florence est dirig�e � l'�poque par Laurent de M�dicis et son jeune fr�re Julien, tu� par la conjuration des Pazzi en 1478. Ludovic Sforza, qui gouverne Milan entre 1479 et 1499 et chez qui L�onard a �t� envoy� comme ambassadeur de la cour des M�dicis, est aussi son comptemporain. C'est �galement par l'interm�diaire des M�dicis que L�onard fait la connaissance d'anciens philosophes humanistes dont Marsile Ficin, partisan du n�oplatonisme, et Cristoforo Landino, auteur de commentaires sur les �crits classiques. Jean Pic de la Mirandole est �galement associ� � l'acad�mie des M�dicis. L�onard �crit plus tard dans la marge d'un journal � Les M�dicis m'ont fait et les M�dicis m'ont d�truit � ; mais le sens de ce commentaire reste discut�.
+Bien que l'on cite ensemble les trois � g�ants � de la haute Renaissance, L�onard de Vinci, Michel-Ange et Rapha�l ne sont pas de la m�me g�n�ration. L�onard a 23 ans quand Michel-Ange est n� et 31 ans � la naissance de Rapha�l. Rapha�l mourra en 1520, une ann�e apr�s de Vinci et Michel-Ange vivra encore quarante-cinq ans.
+Gian Giacomo Caprotti da Oreno, dit � il Salaino � (� le petit diable �) ou Salai, a �t� d�crit par Giorgio Vasari comme � un gracieux et beau jeune homme avec des cheveux fins et boucl�s, en lequel L�onard �tait grandement ravi �. Salai entre au service de L�onard en 1490 � l'�ge de 10 ans. Leur relation n'est pas facile. Un an plus tard, L�onard fait une liste des d�lits du gar�on, le qualifiant de � voleur �, � menteur �, � t�tu � et � glouton �. Le � petit diable � avait vol� de l'argent et des objets de valeur � au moins cinq reprises, et avait d�pens� une fortune en v�tements, dont vingt-quatre paires de chaussures. N�anmoins, les carnets de L�onard des premi�res ann�es de leur relation contiennent beaucoup d'images de l'adolescent. Salai est rest� son serviteur et son assistant durant les trente ann�es suivantes.
+En 1506, L�onard prend comme �l�ve Francesco Melzi, �g� de 15 ans, fils d'un aristocrate Lombard. Melzi devient le compagnon de vie de L�onard et il est consid�r� comme son �l�ve favori. Il se rend en France avec L�onard et Salai, et reste avec lui jusqu'� sa mort. Salai quitte cependant la France en 1518 pour retourner � Milan. Il y construit une maison dans le vignoble de la propri�t� de L�onard qu'il s'est finalement vu l�guer. En 1525, Salai meurt d'une mort violente, soit assassin�, soit � la suite d'un duel.
+Salai ex�cute un certain nombre de tableaux sous le nom d'� Andrea Salai �, mais, bien que Giorgio Vasari pr�tende que L�onard � lui a appris beaucoup de choses sur la peinture �, son travail est g�n�ralement consid�r� comme �tant de moindre valeur artistique que celui des autres �l�ves de L�onard, comme Marco d'Oggiono ou Giovanni Antonio Boltraffio. En 1515, il peint une version nue de La Joconde, dite � Monna Vanna �. � sa mort en 1525, la Joconde appartenant � Salai a �t� �valu�e � cinq cent cinq lires, ce qui est une valeur exceptionnellement �lev�e pour un portrait de petite taille.
+Giovanni Antonio Boltraffio et Marco d'Oggiono rejoignent l'atelier de L�onard lorsqu'il est de retour � Milan, mais de nombreux autres �l�ves moins connus tels que Ambrogio de Predis, Bernardino dei Conti, Francesco Napoletano ou encore Andrea Solario sont aussi pr�sents.
+L�onard de Vinci a eu beaucoup d'amis qui sont reconnus dans leurs domaines respectifs ou ont eu une influence importante sur l'Histoire. Il s'agit notamment du math�maticien Luca Pacioli avec qui il a collabor� pour un livre, C�sar Borgia au service duquel il a pass� deux ann�es, Laurent de M�dicis et le m�decin Marcantonio della Torre. Il a rencontr� Nicolas Machiavel, avec qui il d�veloppera plus tard une �troite amiti�, et Michel-Ange avec qui il a �t� rival. Parmi ses amis, se trouvent �galement Franchini Gaffurio et Isabelle d'Este. L�onard semble ne pas avoir eu d'�troites relations avec les femmes, sauf avec Isabelle. Il a fait un portrait d'elle, au cours d'un voyage qui le mena � Mantoue, qui semble avoir �t� utilis� pour cr�er une peinture, aujourd'hui perdue. Il �tait �galement ami de l'architecte Jacopo Andrea da Ferrara jusqu'� son assassinat.
+Au-del� de l'amiti�, L�onard garde sa vie priv�e secr�te. De son vivant, ses capacit�s extraordinaires d'invention, son � exceptionnelle beaut� physique �, sa � gr�ce infinie �, sa � grande force et g�n�rosit� �, la � formidable ampleur de son esprit �, telles que d�crites par Vasari, ont attis� la curiosit�. De nombreux auteurs ont sp�cul� sur les diff�rents aspects de la personnalit� de L�onard. Sa sexualit� a souvent �t� l'objet d'�tudes, d'analyses et de sp�culations. Cette tendance a commenc� au milieu du xvie si�cle et a �t� relanc�e au cours des xixe et xxe si�cles, notamment par Sigmund Freud.
+Les relations les plus intimes de L�onard sont avec ses �l�ves : Salai et Francesco Melzi. Melzi a �crit que les sentiments de L�onard �taient un m�lange d'amour et de passion. Il a �t� d�crit depuis le xvie si�cle que ces relations �taient d'un caract�re �rotique. Depuis cette date, on a beaucoup �crit au sujet de son homosexualit�, voire de sa p�d�rastie pr�sum�e et du r�le de cette sexualit� dans son art, en particulier dans l'impression androgyne et �rotique qui se manifeste dans Bacchus et plus explicitement dans un certain nombre de ses dessins.
+L�onard est passionn� par la nature et les animaux au point d'en devenir v�g�tarien et d'acheter des oiseaux en cage pour leur rendre leur libert�. Il est �galement tr�s bon musicien. Il est admis que L�onard �tait gaucher et ambidextre, ce qui expliquerait son utilisation de l'�criture sp�culaire.
+Malgr� la relative r�cente prise de conscience et l'admiration vou�e � L�onard comme scientifique et inventeur, son immense renomm�e de la plus grande partie de ces quatre cents derni�res ann�es a repos� sur ses r�alisations en tant que peintre et sur une poign�e d'oeuvres, authentifi�es ou lui �tant attribu�es qui ont �t� consid�r�es comme faisant partie des plus beaux chefs-d'oeuvre jamais cr��s.
+Ces peintures sont c�l�bres pour de nombreuses raisons et qualit�s qui ont �t� beaucoup imit�es par les �tudiants et discut�es tr�s longuement par les connaisseurs et les critiques. Parmi les qualit�s qui font des travaux de L�onard des pi�ces uniques sont souvent cit�es les techniques novatrices qu'il a utilis�es dans l'application de la peinture, sa connaissance approfondie de l'anatomie humaine et animale, de la botanique et la g�ologie mais aussi son utilisation de la lumi�re, son int�r�t pour la physiognomonie et la fa�on dont les humains utilisent le registre des �motions et les expressions gestuelles, son sens de la composition et son sens subtil des d�grad�s de couleurs. Il ma�trisait notamment la technique du � sfumato � et le rendu des ombres et des lumi�res. Toutes ces qualit�s sont r�unies dans ses tableaux les plus connus, La Joconde, La C�ne et La Vierge aux rochers.
+L�onard a r�alis� de tr�s nombreux portraits de femmes, mais un seul portrait d'homme, celui d'un musicien, a �t� retrouv� � ce jour. On lui pr�te souvent la phrase suivante : � Le personnage le plus digne d'�loges est celui qui, par son mouvement, traduit le mieux les passions de l'�me �, qui explique bien sa pens�e de peintre. Cependant, il a aussi dessin� des croquis caricaturaux de ses contemporains dans la mode du grotesque.
+L�onard est c�l�bre pour ses dessins et ses peintures dans lesquels il introduit une conception innovante de la perspective. Vinci estimait que les arts picturaux forment une science. Mais l'utilisation, souvent suppos�e, du nombre d'or dans son oeuvre n'est pas av�r�e. Son travail sur les proportions, � l'image de l'Homme de Vitruve, se limite � l'usage de fractions d'entiers.
+Les premiers travaux de L�onard de Vinci commencent avec Le Bapt�me du Christ peint avec Andrea del Verrocchio, � qui il est attribu�, et ses autres �l�ves. Deux autres peintures semblent dater de cette p�riode � l'atelier, qui sont tous les deux des � Annonciations �. L'un est petit, large de cinquante-neuf centim�tres pour seulement quatorze de haut. Il s'agit d'une pr�delle se pla�ant � la base d'une composition plus large, et, dans ce cas, pour un tableau de Lorenzo di Credi duquel il fut s�par�. L'autre est un travail beaucoup plus important, de deux cent dix-sept centim�tres de large.
+Dans ces deux annonciations, L�onard a d�peint la Vierge Marie assise ou agenouill�e � la droite de l'image, et un ange de profil s'approchant d'elle par la gauche. Un gros travail est fait sur les mouvements des v�tements et les ailes de l'ange. Bien que pr�c�demment attribu�e � Domenico Ghirlandaio, l'oeuvre est d�sormais presque universellement attribu�e � de Vinci.
+Dans le tableau le plus petit, Marie d�tourne ses yeux et plie ses mains dans un geste qui symbolise la soumission � la volont� de Dieu. Dans le tableau le plus grand cependant, Marie ne semble pas aussi docile. La jeune femme, interrompue dans sa lecture par ce messager inattendu qu'est l'ange, place son doigt dans livre saint pour rep�rer l� o� elle en est et l�ve la main dans un geste de salutation ou de surprise. Son calme semble montrer qu'elle accepte son r�le de m�re de Dieu, non pas avec r�signation mais avec confiance. Dans ce tableau, le jeune L�onard pr�sente le visage humaniste de la Vierge Marie, reconnaissant le r�le de l'humanit� dans l'incarnation de Dieu. Ce dernier tableau a visiblement �t� travaill� par plusieurs personnes, puisque certaines discontinuit�s de style sont perceptibles, comme une � erreur � de perspective sur le bras droit de Marie, le pr� fleuri comme une broderie ou bien les ailes de rapace de l'ange. Le style du lutrin du tableau pourrait �tre un clin d'oeil au style du tombeau de Pierre de M�dicis r�alis� par Verrochio en 1472.
+Dans les ann�es 1480, Vinci re�oit deux tr�s importantes commandes et commence � travailler � une autre oeuvre qui est �galement d'une grande importance en termes de composition. Malheureusement, deux des trois oeuvres n'ont jamais �t� termin�es et la troisi�me a �t� si longue � cr�er qu'elle fut soumise � de longues n�gociations sur son ach�vement et son paiement. L'un de ces tableaux est Saint J�r�me. Liana Bortolon, dans son livre The Life and Times of Leonardo (1967), associe ce tableau � une p�riode difficile de la vie de L�onard. Les signes de la m�lancolie peuvent se lire dans son journal : � Je pensais que j'apprenais � vivre ; j'apprenais seulement � mourir. �9.
+La composition du tableau est tr�s inhabituelle, m�me s'il est vrai que certaines parties de celui-ci furent d�coup�es. Le tableau d�peint la p�nitence de J�r�me de Stridon dans le d�sert. P�nitent, J�r�me occupe le milieu de l'image, le corps l�g�rement en diagonale. Sa posture agenouill�e prend une forme trap�zo�dale, avec un bras tendu vers le bord ext�rieur de la peinture et son regard allant dans la direction oppos�e. Jack Wasserman souligne le lien entre cette peinture et les �tudes anatomiques de L�onard. Au premier plan de l'ensemble s'�tend son symbole, un grand lion, dont le corps et la queue effectuent une double courbe � travers la base de l'image. L'autre caract�ristique int�ressante est l'aspect superficiel du paysage de pierres rocailleuses o� se trouve le personnage.
+L'affichage audacieux et novateur de la composition, avec les �l�ments du paysage et le drame personnel, appara�t �galement dans le grand chef-d'oeuvre inachev� qu'est L'Adoration des mages, une commande des moines de San Donato � Scopeto. C'est un tableau � la composition tr�s complexe, et L�onard a fait de nombreux dessins et �tudes pr�paratoires, y compris une tr�s d�taill�e pour la perspective lin�aire d'une ruine d'architecture classique qui sert de toile de fond � la sc�ne. Mais, en 1482, L�onard part � Milan, � la demande de Laurent de M�dicis, afin de gagner les bonnes gr�ces de Ludovic Sforza. Il abandonne donc son tableau.
+Le troisi�me travail important de cette p�riode est La Vierge aux rochers qui a �t� command�e � Milan pour la confr�rie de l'Immacul�e Conception. La peinture, faite avec l'assistance des fr�res, devait combler un grand retable, d�j� construit. L�onard a choisi de peindre un passage de l'enfance du Christ tir� des �vangiles apocryphes, lorsque le petit Jean le Baptiste, sous la protection d'un ange, a rencontr� la sainte Famille sur la route de l'�gypte. Dans cette sc�ne, telle qu'elle a �t� peinte par L�onard de Vinci, Jean reconna�t et v�n�re J�sus comme le Christ. Le tableau montre des personnages gracieux s'agenouillant en adoration devant le Christ dans un environnement sauvage et un paysage rocheux. Le tableau est quasiment aussi complexe que la peinture command�e par les moines de San Donato, m�me s'il a seulement quatre personnages et non cinquante et s'il d�peint un paysage plut�t qu'un fond architectural. Le tableau a �t� achev� mais, en fait, deux versions de la peinture ont �t� faites, celle qui est rest�e � la chapelle de la confr�rie, et l'autre qu'a emport�e L�onard en France. Mais les fr�res n'ont pas eu leur peinture avant le si�cle suivant. Une seconde version de ce tableau, avec l'ajout des aur�oles et du b�ton de Jean le Baptiste sera faite quelques ann�es plus tard.
+La plus c�l�bre peinture de L�onard pour la p�riode des ann�es 1490 est La C�ne. Elle est peinte directement sur un mur du couvent Santa Maria delle Grazie � Milan. La peinture repr�sente le dernier repas partag� par J�sus et ses disciples avant sa capture et sa mort. Il montre pr�cis�ment le moment o� J�sus d�clare : � l'un de vous va me trahir �. L�onard d�peint la consternation que cette d�claration a caus� � l'ensemble des douze disciples de J�sus.
+Matteo Bandello a observ� L�onard au travail et il �crit, dans une de ses nouvelles, que, certains jours, il peint de l'aube au cr�puscule sans m�me s'arr�ter pour manger, et puis ne peint plus les trois ou quatre jours suivants. Selon Vasari, cela provoque l'incompr�hension du p�re sup�rieur, le prieur, qui chasse le peintre, jusqu'� ce que L�onard demande au duc de Milan Ludovic Sforza d'intervenir. Vasari d�crit �galement comment Vinci doute de sa capacit� � peindre proprement les visages de J�sus et de Judas, disant au duc qu'il a peut-�tre utilis� le moine pour mod�le.
+Lorsque la fresque est achev�e, elle est salu�e comme un chef-d'oeuvre de conception et de caract�risation, obtenant m�me plus tard l'admiration de Pierre Paul Rubens et de Rembrandt. L'oeuvre a �t� restaur�e sans cesse, la peinture se d�tachant du support en pl�tre. La peinture s'est d�t�rior�e rapidement, de telle sorte qu'avant m�me le centi�me anniversaire de sa cr�ation, elle a �t� d�crite par un t�moin comme � totalement d�vast�e �. L�onard, au lieu d'utiliser la technique �prouv�e de la fresque, a utilis� la � technique de la tempera �, un proc�d� de peinture utilisant le jaune d'oeuf comme m�dium pour lier les pigments, alors que le support est principalement � gesso �, un type de craie fait de carbonate de calcium min�ral, ce qui a produit une surface sujette � la moisissure et � l'�caillage. Malgr� ces d�boires, la C�ne est rest�e l'une des oeuvres d'art les plus reproduites.
+Parmi les oeuvres cr��es par L�onard dans les ann�es 1500 se trouve un petit portrait connu sous le nom de La Joconde (1503 - 1506) ou de, notamment pour les anglophones, � Mona Lisa �. Le tableau est connu, en particulier, pour l'insaisissable sourire sur le visage de la femme, dont les experts s'accordent � dire qu'il s'agit de Lisa Gherardini. La qualit� de la peinture est peut-�tre li�e au fait que l'artiste a subtilement ombr� les coins de la bouche et les yeux, afin que la nature exacte du sourire ne puisse �tre d�termin�e. La qualit� des ombres pour lesquelles le travail est r�put� a �t� appel� � sfumato � ou � la fum�e de L�onard �. Giorgio Vasari a �crit que � le sourire est si agr�able qu'il semble divin plut�t qu'humain ; ceux qui l'ont vu ont �t� tr�s surpris de constater qu'il semble aussi vivant que l'original �. N�anmoins, pendant longtemps, les experts ont g�n�ralement admis que Vasari a pu n'avoir jamais connu la peinture autrement que par sa renomm�e car il l'a d�crite comme ayant des sourcils. Une analyse spectroscopique � haute r�solution a permis de confirmer l'hypoth�se de Daniel Arasse qui, dans son livre Leonardo da Vinci (1997), discutait de la possibilit� que L�onard ait pu avoir peint le visage avec des sourcils, mais qu'ils ont ensuite �t� enlev�s, notamment parce qu'ils n'�taient pas en vogue au milieu du xvie si�cle. Effectivement, La Joconde aurait eu des sourcils et des cils qui ont par la suite �t� enlev�s.
+Les autres caract�ristiques de ce travail sont la s�v�rit� vestimentaire, laissant les yeux et les mains non concurrenc�s par d'autres d�tails, le paysage de fond spectaculaire, le travail des couleurs et la nature de la technique de peinture tr�s douce employant des huiles, mais pos�es un peu comme la tempera et m�lang�es � la surface de sorte que les coups de pinceaux semblent indissociables. Vasari a exprim� l'avis que la fa�on de peindre ferait m�me � le plus confiant des ma�tres [de la peinture]... d�sesp�rer et perdre courage �. L'�tat de conservation remarquable et le fait qu'il n'y ait aucun signe visible de r�parations ou de surcouches repeintes sont extr�mement rares pour une peinture de cette p�riode.
+Dans La Vierge, l'Enfant J�sus et sainte Anne, la composition reprend de nouveau le th�me de personnages dans un paysage que Jack Wasserman, dans son livre Leonardo da Vinci (1975), qualifie de � saisissant par sa beaut� � et renvoie � la peinture inachev�e de saint J�r�me avec le personnage faisant un angle oblique avec l'un de ses bras. Ce qui rend La Vierge, l'Enfant J�sus et sainte Anne si rare est la pr�sence de deux ensembles dans une perspective diff�rente mais se superposant. Marie est assise sur les genoux de sa m�re, sainte Anne. Elle se penche en avant pour prendre dans ses bras l'enfant J�sus qui joue avec un agneau, signe de l'imminence de son propre sacrifice. Ce tableau, qui a �t� copi� � plusieurs reprises, a influenc� Michel-Ange, Rapha�l et Andrea del Sarto et, � travers eux, Pontormo et Le Corr�ge. Le style de la composition a �t� adopt� en particulier par les peintres v�nitiens Le Tintoret et Paul V�ron�se.
+Vinci n'a pas �t� un peintre prolifique, mais il l'a �t� comme dessinateur, remplissant ses journaux de petits croquis et de dessins d�taill�s afin de garder une trace de tout ce qui avait attir� son attention. En plus de ses notes, il existe de nombreuses �tudes pour ses peintures, dont certaines peuvent �tre consid�r�es comme pr�paratoires � des travaux tels que L'Adoration des mages, La Vierge aux rochers et La C�ne. Son premier dessin dat� est un paysage, Paysage de la vall�e de l'Arno (1473), qui montre la rivi�re, les montagnes, le ch�teau Montelupo et les exploitations agricoles au-del� de celui-ci dans le plus grand d�tail.
+Parmi ses c�l�bres dessins, il y a l'homme de Vitruve, une �tude des proportions du corps humain, la T�te de l'ange, La Vierge aux Rochers et La Vierge, l'Enfant J�sus avec sainte Anne et saint Jean Baptiste, qui est un grand carton (160 � 100 cm) en craie blanche et noire sur un papier de couleur de sainte Anne. Ce th�me de sainte Anne sera, avec la sainte Famille, la dominance de l'oeuvre de L�onard de 1500 � 1517. Ce dessin emploie la technique subtile du sfumato, � la mani�re de La Joconde. L�onard ne semble jamais avoir fait une peinture � partir de ce dessin, mais un tableau assez proche en est La Vierge, l'Enfant J�sus et sainte Anne.
+Les autres dessins d'int�r�t comprennent de nombreuses �tudes g�n�ralement d�nomm�es � caricatures � parce que, bien qu'exag�r�es, elles semblent �tre bas�es sur l'observation de mod�les vivants. Giorgio Vasari rapporte que, si L�onard voyait une personne qui avait un visage int�ressant, il la suivait toute la journ�e pour l'observer. Il existe de nombreuses �tudes de beaux jeunes hommes, souvent associ�es � Salai, avec le visage rare, tr�s admir� et caract�ristique que l'on appelle le � profil grec �. Ces visages sont souvent en contraste avec ceux d'un guerrier. Salai est souvent d�peint dans des costumes et des d�guisements. L�onard est connu pour avoir con�u des d�cors pour des processions traditionnelles. D'autres dessins, souvent minutieux, montrent des �tudes de draperies. Le Mus�e L�on-Bonnat de Bayonne conserve un dessin de L�onard de Vinci repr�sentant Bernardo di Bandino Baronchelli (un des assassins de Julien de Medicis lors de la conjuration des Pazzi), apr�s sa pendaison � l'une des fen�tres du Palazzo del Capitano di Giustizia � Florence, le 29 d�cembre 1479.
+L'humanisme de la Renaissance ne lie pas les sciences et les arts. Cependant, les �tudes de de Vinci en sciences et en ing�nierie sont aussi impressionnantes et novatrices que son travail artistique, enregistr�es dans des carnets de notes comprenant quelque treize mille pages d'�criture et de dessins, qui associent art et philosophie naturelle (le base de la science moderne). Ces notes ont �t� r�alis�s et mises � jour quotidiennement pendant toute la vie et les voyages de L�onard. Continuellement, il s'efforce de faire des observations du monde qui l'entourait, conscient et fier d'�tre, comme il se d�finissait, un � homme sans lettres �, autodidacte et lucide sur les ph�nom�nes naturels souvent bien �loign�s de ce qui �tait appris � l'�cole.
+Ces journaux sont pour la plupart r�dig�s dans une �criture sp�culaire, plus commun�ment appel�e � �criture en miroir �. La raison peut avoir �t� davantage un besoin pratique, pour �tre plus rapide, que pour des raisons de chiffrement comme cela est souvent sugg�r�. Comme L�onard �crivait avec sa main gauche, il devait �tre plus facile pour lui d'�crire de droite � gauche.
+Ses notes et dessins, dont les plus anciens sont dat�s de 1475, montrent une grande vari�t� d'int�r�ts et de pr�occupations, mais aussi certaines listes quelconques d'�picerie ou de ses d�biteurs. Il y a des compositions pour des peintures, des �tudes de d�tails et de tapisseries, des �tudes de visages et d'�motions, des animaux, des b�b�s, des dissections, des �tudes botaniques et g�ologiques, des machines de guerre, des machines volantes et des travaux architecturaux.
+Ces carnets de notes - initialement des feuilles volantes de diff�rentes tailles et de diff�rents types, donn�es par ses amis apr�s sa mort - ont trouv� leur place dans les collections importantes comme celles expos�es au ch�teau de Windsor, au mus�e du Louvre, � la Biblioth�que nationale d'Espagne, � la Biblioth�que ambrosienne de Milan, au Victoria and Albert Museum et � la British Library de Londres. La British Library a mis une s�lection � partir de ses notes (BL Arundel MS 263) sur l'Internet dans les pages de son site abordant ce chapitre. Le Codex Leicester est le seul grand travail scientifique de Vinci qui soit entre les mains d'un propri�taire priv� (Bill Gates).
+Les journaux de L�onard semblent avoir �t� destin�s � la publication, car beaucoup de feuilles ont une forme et un ordre qui en faciliteraient l'�dition. Dans de nombreux cas, un seul th�me, par exemple, le coeur ou le foetus humain, est trait� en d�tail � la fois dans les mots et les images, sur une seule feuille. Ce mode d'organisation minimise �galement la perte de donn�es dans le cas o� les pages seraient m�lang�es ou d�truites. La raison pour laquelle ces journaux n'ont pas �t� publi�s alors que L�onard �tait encore en vie est inconnue, mais certains estiment que la soci�t� n'�tait pas pr�te pour cela, notamment l'�glise vis-�-vis de ses travaux anatomiques.
+L'approche de la science par L�onard est tr�s li�e � l'observation : si � la Science est le capitaine, la pratique est le soldat �. Sa science, ses recherches scientifiques ne portent exclusivement que sur les parties qu'il a pratiqu�es en technicien. L�onard de Vinci a essay� de comprendre un ph�nom�ne en le d�crivant et en l'illustrant dans les plus grands d�tails, en n'insistant pas trop sur les explications th�oriques. Ses �tudes sur le vol ou le mouvement de l'eau sont sans doute ce qu'il y a de plus remarquable � ce sujet. Comme il manquait d'instruction initiale en latin et en math�matiques, les chercheurs contemporains ont largement ignor� le savant L�onard, bien qu'il ait appris par lui-m�me le latin.
+Dans les ann�es 1490, il a �tudi� les math�matiques � la suite de Luca Pacioli et a fait une s�rie de dessins de solides r�guliers dans une forme squelettique afin de les faire graver pour son livre Divina Proportione (1509)13. Il est alors particuli�rement fascin� par l'id�e de l'absolu et de l'universel. Cependant, sa culture math�matique est celle d'un praticien : elle a les objectifs limit�s des abacistes de son temps, il p�n�tre avec peine la g�om�trie des Grecs, sa perspective est celle de tous les th�oriciens de son temps. N�anmoins, L�onard a con�u un instrument � syst�me articul� destin� � construire une solution m�canique du probl�me d'Alhazen, probl�me essentiellement technique, et qui t�moigne d'une connaissance approfondie des propri�t�s des coniques.
+De m�me, la m�canique de L�onard est celle de ses contemporains, avec ses faiblesses, ses incertitudes, ses erreurs et il ne para�t pas qu'il ait apport� beaucoup de d�couvertes en la mati�re. Sa physique est assez confuse et vague. Il ne fut certainement jamais artilleur et n'a pas de th�orie relative � la balistique. Pourtant, comme l'attestent certains de ses sch�mas, L�onard de Vinci eut peut-�tre l'intuition, comme on pouvait l'observer sur un jet d'eau, qu'il n'existait pas de partie rectiligne dans la trajectoire d'un projectile d'artillerie contrairement � ce qui �tait couramment admis � l'�poque. Mais il s'arr�ta tr�s vite sur une voie que Tartaglia puis Benedetti allaient suivre et qui mena � Galil�e 8
+Si Alberti ou Francesco di Giorgio Martini se pr�occup�rent de la solidit� des poutres, jamais ils n'avaient cherch� de formulations math�matiques. L�onard de Vinci s'int�resse au probl�me de la flexion, sans doute � l'aide d'exp�riences, et parvient � d�finir des lois, encore imparfaites, de la ligne �lastique pour des poutres de diff�rentes sections, libres ou encastr�es dont le probl�me de Galil�e (probl�me du balcon). Ce faisant, il �limine le module d'�lasticit� et le moment auquel avait pourtant fait allusion Jordanus Nemorarius
+Sa chimie se borne � la mise au point d'un alambic et aux quelques recherches d'alchimie qu'il pratiqua � Rome.
+Paul Val�ry met en avant la mani�re dont L�onard de Vinci a d�couvert intuitivement par l'observation � le premier germe de la th�orie des ondulations lumineuses �, sans cependant pouvoir la valider de mani�re exp�rimentale : � L'air est rempli d'infinies lignes droites et rayonnantes, entrecrois�es et tiss�es sans que l'une n'emprunte jamais le parcours d'une autre, et elles repr�sentent pour chaque objet la vraie forme de leur raison (de leur explication). �58.
+L�onard de Vinci �tudia aussi beaucoup la lumi�re et l'optique ; en hydrologie, la seule v�ritable loi qu'il ait formul� est celle du d�bit des cours d'eau.
+Il semble que, � partir du contenu de ses carnets, il ait envisag� de publier une s�rie de trait�s sur une grande vari�t� de sujets. � plusieurs reprises il mentionne un projet de trait� de l'eau, mais qui para�t avoir �t� si consid�rable dans sa pens�e qu'il semblait irr�alisable. Un trait� d'anatomie aurait �t� observ� au cours d'une visite par le secr�taire du cardinal Louis d'Aragon en 1517. Les aspects de son travail sur les �tudes de l'anatomie, de la lumi�re et des paysages ont �t� rassembl�s pour la publication par son �l�ve Francesco Melzi et finalement publi�s en 1651 en Italie, longtemps apr�s sa mort, sous le nom de Trait� de la peinture par L�onard de Vinci,60. Selon Daniel Arasse, le trait� a �t� publi� en France bien plus tard mais eut soixante-deux �ditions en cinquante ans, ce qui fait que L�onard est souvent consid�r� comme � le pr�curseur de la pens�e universitaire fran�aise sur l'art �.
+La formation initiale de L�onard � l'anatomie du corps humain a commenc� lors de son apprentissage avec Andrea del Verrocchio, son ma�tre insistant sur le fait que tous ses �l�ves apprennent l'anatomie. Comme artiste, il est rapidement devenu ma�tre de l'anatomie topographique, en s'inspirant de nombreuses �tudes des muscles, des tendons et d'autres caract�ristiques anatomiques visibles. Il pose les bases de l'anatomie scientifique, diss�quant notamment des cadavres de criminels dans la plus stricte discr�tion, pour �viter l'Inquisition. Les conditions de travail sont particuli�rement p�nibles � cause des probl�mes d'hygi�ne et de conservation des corps.
+Comme artiste connu, il a re�u l'autorisation de diss�quer des cadavres humains � l'h�pital de Santa Maria Nuova � Florence et, plus tard, dans les h�pitaux de Milan et de Rome. De 1510 � 1511, il a collabor� dans ses recherches avec le m�decin Marcantonio della Torre et, ensemble, ils ont compil� un ensemble de travaux th�oriques sur l'anatomie avec plus de deux cents dessins de L�onard. Il a �t� publi� sous le nom peu �vident de Trait� de la peinture en 1680.
+L�onard a dessin� de nombreux squelettes humains, des os, ainsi que les muscles et les tendons, le coeur et le syst�me vasculaire, l'action de l'oeil, les organes sexuels et d'autres organes internes. Ces observations contiennent parfois des inexactitudes dues aux connaissances de l'�poque, il n'a par exemple jamais entrevu la circulation du sang. Il a fait l'un des premiers dessins scientifiques d'un foetus dans l'ut�rus et la premi�re constatation scientifique de la rigidit� des art�res suite � une crise cardiaque. Comme artiste, L�onard observa de pr�s les effets de l'�ge et de l'�motion humaine sur la physiologie, en �tudiant en particulier les effets de la rage. Il a �galement dessin� de nombreux mod�les dont certains avec d'importantes d�formations faciales ou des signes visibles de maladie.
+Il a aussi �tudi� et dessin� l'anatomie de nombreux animaux. Il a diss�qu� des vaches, des oiseaux, des singes, des ours et des grenouilles, comparant la structure anatomique de ces animaux avec celle de l'homme. Il �tudia �galement les chevaux.
+� Combien de biographies n'a-t-on pas �crites, qui ne mentionnent cette activit� scientifique ou technique que pour montrer l'�tendue d'un savoir qu'on veut universel [...] Tout ceci n'a pu se faire que p�niblement, par une recherche constante de ce qu'avaient �crit les anciens ou les pr�d�cesseurs imm�diats [...] Et faute de conna�tre tout ce pass� qui l'avait fait, on a pr�sent� L�onard comme un inventeur f�cond � - Les ing�nieurs de la Renaissance Bertrand Gille+
L�onard de Vinci s'inscrit dans le courant technicien de la Renaissance et, comme tel, il eut des pr�d�cesseurs imm�diats ou plus lointains parmi lesquels on peut citer Konrad Kyeser, Taccola, Roberto Valturio, Filippo Brunelleschi, Jacomo Fontana ou encore Leon Battista Alberti � qui il doit sans doute beaucoup.
+Certains furent des personnalit�s plus puissantes, des esprits plus complets, des curiosit�s plus larges encore. C'est le cas de Francesco di Giorgio Martini, qui fut son sup�rieur lors de la construction du d�me de Milan et � qui il emprunta certainement beaucoup. �tant sans doute moins occup� par ses r�alisations que ce dernier du fait d'un carnet de commandes moins rempli, L�onard de Vinci sera � la fois plus prolixe mais surtout capable d'un changement de m�thode.
+L�onard est consid�r� comme le pr�curseur de nombre de machines modernes et, au-del� de l'�tonnement �prouv� face � l'imagination prospective de l'auteur, on peut vite constater que le fonctionnement r�el de la machine n'a pas d� �tre son souci premier. Comme le moine Eilmer de Malmesbury au xie si�cle qui avait oubli� la queue dans sa machine volante, les inventions de L�onard butent sur de nombreuses difficult�s : l'h�licopt�re s'envolerait comme une toupie, le scaphandrier s'asphyxierait, le bateau � aubes n'avancerait pas... De plus, dans ces �pures, L�onard ne pose jamais le probl�me de la force motrice.
+Dans une lettre adress�e � Ludovic Sforza, il pr�tend �tre capable de construire toutes sortes de machines � la fois pour la protection de la ville et pour le si�ge. Quand il a fui � Venise en 1499, il a trouv� un emploi d'ing�nieur et a d�velopp� un syst�me de barri�res mobiles pour prot�ger la ville contre les attaques terrestres. Il a �galement eu pour projet de d�tourner la circulation de l'Arno afin d'irriguer les champs toscans, de faciliter le transport et m�me de g�ner l'approvisionnement maritime de Pise, la rivale de Florence.
+Ses carnets pr�sentent un grand nombre d'� inventions �, � la fois pratiques et r�alistes, notamment des pompes hydrauliques, des m�canismes � manivelle comme la machine � tailler les vis de bois, des ailettes pour les obus de mortier, un canon � vapeur, le sous-marin, plusieurs automates, le char de combat, l'automobile, des flotteurs pour � marcher sur l'eau �, la concentration d'�nergie solaire, la calculatrice, le scaphandre � casque, la double coque ou encore le roulement � billes. La paternit� de la bicyclette est quant a elle tr�s controvers�e.
+Un examen attentif de ces �pures indique cependant que nombre de ces techniques furent, soit emprunt�es � quelques pr�d�cesseurs imm�diats (la turbine hydraulique � Francesco di Giorgio Martini, la cha�ne articul�e pour la transmission des mouvements � Taccola...), soit l'h�ritage d'une tradition encore plus ancienne (le martinet hydraulique est connu au xiiie si�cle, les siphons et aqueducs sont visibles chez Frontin, les automates de divertissement d�crit par les m�caniciens grecs...)8. Pourtant L�onard fut aussi novateur ; il est sans doute l'un des premiers dans le cercle des ing�nieurs de l'�poque � s'int�resser au travail m�canique du m�tal et en particulier de l'or, plus mall�able. Avec la machine volante, les quelques machines textiles, pour lesquels la r�gularit� des mouvements mis en oeuvre lui permettent d'appliquer son sens de l'observation, signent son originalit�. Le m�tier m�canique, la machine � carder et celle � tondre les draps font sans doute de L�onard, le premier qui chercha � m�caniser une fabrication industrielle. La machine � polir les miroirs, qui supposait la solution d'un certain nombre de probl�mes pour obtenir des surfaces r�guli�res, planes ou concaves, a �t� imagin�e pendant son s�jour romain alors qu'il �tudiait la fabrication des images. Paradoxalement, L�onard de Vinci s'int�ressa peu � des inventions que nous jugeons aujourd'hui tr�s importantes telles que l'imprimerie, m�me s'il est un des premiers � nous donner une repr�sentation d'une presse d'imprimerie.
+Si la guerre peut r�pondre � une n�cessit�, elle est � pazzia bestialissima �18 (une � folie sauvage �). Il �tudie donc les armes tout en gardant du recul quant � leur utilisation.
+En 1502, L�onard a dessin� un pont de deux cent quarante m�tres dans le cadre d'un projet de g�nie civil pour le sultan ottoman Bayezid II d'Istanbul. Le pont �tait destin� � franchir l'embouchure du Bosphore connue sous le nom de la � Corne d'Or �. Beyazid ne poursuit pas le projet, car il estime que cette construction serait impossible. La vision de L�onard a �t� ressuscit�e en 2001 quand un petit pont bas� sur sa conception a �t� construit en Norv�ge. Le 17 mai 2006, le gouvernement turc a d�cid� de construire le pont de L�onard pour la Corne d'Or63.
+Pendant la majeure partie de sa vie, L�onard a �t�, comme Icare, fascin� par le vol. Il a produit de nombreuses �tudes sur ce ph�nom�ne en s'inspirant des oiseaux et des plans de vol de plusieurs appareils, dont les pr�mices d'h�licopt�re nomm�es la � vis a�rienne �, le parachute et un deltaplane en bambou. Sur ce nombre, la plupart �taient irr�alisables, mais le deltaplane a �t� construit, et, avec l'ajout un empennage pour la stabilit�, a vol� avec succ�s. N�anmoins, il semble probable qu'il estimait que les syst�mes proches des chauves-souris avaient le plus gros potentiel. Il inventa �galement la soufflerie a�rodynamique pour ses travaux.
+Le mus�e du clos Luc� � Amboise, le mus�e Il Castello situ� au ch�teau de comtes Guidi de Vinci et le Mus�e des Sciences et des Techniques L�onard de Vinci de Milan contiennent de nombreuses maquettes, des objets grandeur nature bas�s sur l'�tude de ses carnets et des explications sur son travail.
+De Vinci a �galement �tudi� l'architecture. Il est influenc� par les travaux de Filippo Brunelleschi et a projet� de sur�lever le baptist�re Saint-Jean de Florence ou de cr�er une tour-lanterne pour la cath�drale de Milan. Il utilise souvent la forme octogonale pour les b�timents religieux et le cercle pour les militaires. Suite � la peste qui frappe Milan vers 1484 et 1485, il con�oit une ville parfaite th�orique avec des axes de circulation optimaux et des conditions de vie de qualit�, sa vision n'est pas marqu�e par des distinctions sociales mais fonctionnelles, tels des organes dans un corps humain. Il travaille �galement sur les jardins. N�anmoins, beaucoup de ses travaux sur l'architecture seront perdus.
+On doit reconna�tre � L�onard de Vinci un besoin de rationaliser inconnu jusqu'alors chez les techniciens. Avec lui la technique n'est plus affaire d'artisans, de personnes ignorantes et de traditions plus ou moins valables et plus ou moins comprises par ceux qui �taient charg�s de l'appliquer.
+C'est d'abord par les �checs, par les erreurs, par les catastrophes qu'il essaie de d�finir la v�rit� : les l�zardes des murs, les affouillements destructeurs des berges, les mauvais m�langes de m�tal sont autant d'occasions de conna�tre les bonnes pratiques.
+Progressivement, il �labore une sorte de doctrine technique, n�e d'observations, bient�t suivies d'exp�riences qui furent parfois conduites sur de petits mod�les. Harald H�ffding pr�sente sa pens�e comme un m�lange d'empirisme et de naturalisme. En effet si pour L�onard de Vinci � La sagesse est la fille de l'exp�rience �, elle permet de v�rifier constamment ses intuitions et th�ories car � L'exp�rience ne se trompe jamais ; ce sont vos jugements qui se trompent en se promettant des effets qui ne sont pas caus�s par vos exp�rimentations �.
+La m�thode de L�onard de Vinci a certainement consist� dans la recherche de donn�es chiffr�es et son int�r�t pour les instruments de mesure en t�moigne. Ces donn�es �taient relativement faciles � obtenir dans le cas des poutres en flexion par exemple, beaucoup plus compliqu�es dans le domaine des arcs ou de la ma�onnerie. La formulation des r�sultats ne pouvait �tre que simple, c'est-�-dire exprim�e le plus souvent par des rapports. Cette recherche effr�n�e de l'exactitude est devenue la devise de L�onard de Vinci, � Hostinato rigore - obstin�e rigueur �. C'est n�anmoins la premi�re fois qu'on voit appliquer de telles m�thodes dans les m�tiers o� on dut longtemps se contenter de moyens irraisonn�s d'appr�ciation.
+Ce faisant, L�onard en est arriv� � pouvoir poser des probl�mes en termes g�n�raux. Ce qu'il cherche avant tout ce sont des connaissances g�n�rales, applicables dans tous les cas, et qui sont autant de moyens d'action sur le monde mat�riel. Pour autant sa � science technique � reste fragmentaire. Elle s'attache � un certain nombre de probl�mes particuliers, trait�s tr�s �troitement, mais il y manque encore la coh�rence d'ensemble qu'on trouvera bient�t chez ses successeurs.
+Pour lui, cette recherche dans tous les domaines de la science et de l'art est normale car tout est li�. Sa curiosit� et son activit� perp�tuelle sont un moyen de garder un esprit vivace car � Le fer se rouille, faute de s'en servir, l'eau stagnante perd de sa puret� et se glace par le froid. De m�me, l'inaction sape la vigueur de l'esprit �. L�onard de Vinci consid�re la peinture par exemple comme l'expression visuelle d'un tout, l'art, la philosophie et la science sont selon lui indissociables, pouvant expliquer en partie son approche de polymathe et � Qui bl�me la peinture n'aime ni la philosophie ni la nature �. En proposant une � synth�se par la beaut� �, L�onard de Vinci illustre � lui seul ce que fut le grand courant d'innovation de la Renaissance.
+L�onard de Vinci pense que l'homme doit s'engager activement � combattre le mal et faire le bien car � Celui qui n�glige de punir le mal aide � sa r�alisation �. Il indique �galement qu'il ne se fait aucune illusion sur la nature de l'homme, et de la fa�on dont il pourrait utiliser ses inventions, comme il le fait en pr�ambule � une pr�sentation du sous-marin :
+� Je ne d�cris pas ma m�thode pour rester sous l'eau ni combien de temps je peux y rester sans manger. Et je ne les publie et ne les divulgue pas, en raison de la nature mal�fique des hommes, qui les utiliseraient pour l'assassinat au fond de la mer en d�truisant les navires en les coulant, eux et les hommes qu'ils transportent �68.+
L�onard de Vinci place �galement la r�compense morale bien au-dessus des r�compenses mat�rielles :
+� Ce ne sont pas les richesses, qui peuvent �tre perdues. La vertu est notre vrai bien et la vraie r�compense de son possesseur. Elle ne peut �tre perdue, elle ne peut nous abandonner, sauf quand la vie s'enfuit �65.+
L�onard de Vinci incarne parfaitement l'esprit de la Renaissance, �poque des � Grandes D�couvertes �. G�nie universel, curieux de tout, parfois vu comme un personnage entre Faust et Platon, il a consacr� sa vie � la recherche de la connaissance. Il imagine de multiples appareils et machines, dont la premi�re � machine volante �, qui resteront au stade de dessins. Plus qu'en tant que scientifique proprement dit, L�onard de Vinci a impressionn� ses contemporains et les g�n�rations suivantes par son approche m�thodique du savoir, du savoir apprendre, du savoir observer, du savoir analyser. La d�marche qu'il d�ploie dans l'ensemble des activit�s qu'il aborde, aussi bien en art qu'en technique - les deux ne se distinguant d'ailleurs pas dans son esprit - notamment en horlogerie, proc�de d'une accumulation pr�alable d'observations d�taill�es, de savoirs diss�min�s �� et l�, qui tend vers un surpassement de ce qui existe d�j�, avec la perfection pour objectif. Bon nombre des croquis, notes et trait�s de L�onard de Vinci ne sont pas � proprement parler des trouvailles originales, mais sont le r�sultat de recherches effectu�es dans un souci encyclop�dique, avant l'heure. L�onard de Vinci se classe mal et c'est en ce sens qu'il a paru exceptionnel.
+De son vivant, L�onard a d�j� une renomm�e telle que le roi de France l'a ramen� dans son pays comme un troph�e, et a affirm� l'avoir accompagn� dans sa vieillesse et l'avoir tenu dans ses bras quand il est mort ; affirmation qui semble n�anmoins fausse quant � sa mort, malgr� le tableau de Dominique Ingres sur ce th�me.
+L'int�r�t pour de Vinci n'a jamais diminu� depuis cette p�riode. Giorgio Vasari, dans Le Vite, dans son �dition de 1568 introduit son chapitre sur L�onard de Vinci avec les mots suivants :
+� Dans le cours normal des �v�nements, beaucoup d'hommes et de femmes sont n�s avec des talents remarquables ; mais, parfois, d'une mani�re qui transcende la nature, une seule personne est merveilleusement dot�e par le paradis avec beaut�, la gr�ce et le talent dans une telle abondance qu'il laisse les autres hommes loin derri�re. Tous ses actes semblent inspir�s et, de fait, tout ce qu'il fait vient clairement de Dieu plut�t que de comp�tences humaines. Tout le monde reconna�t que c'�tait vrai pour L�onard de Vinci, un artiste d'une beaut� physique �tonnante, qui a affich� une gr�ce infinie dans tout ce qu'il a fait et qui cultivait son g�nie si brillamment que tous les probl�mes qu'il a �tudi�s, il les r�solvait avec facilit�12. �+
L'admiration continue de L�onard qu'ont eu les peintres, les critiques et les historiens se refl�te dans de nombreux autres hommages �crits. Baldassare Castiglione, auteur du Livre du courtisan, �crit, en 1528 : � [...] Un autre des plus grands peintres de ce monde, qui regarde d'en haut son art dans lequel il est sans �gal [...] �69 tandis que le biographe connu sous le nom de Anonimo Gaddiano a �crit, vers 1540 : � Il fut si exceptionnel et universel qu'on peut le dire n� d'un miracle de la nature [...] �70.
+Le xixe si�cle a introduit une certaine admiration pour le g�nie L�onard, Johann Heinrich F�ssli �crivant en 1801 : � Ainsi fut l'aube de l'art moderne, lorsque L�onard de Vinci apparut avec une splendeur qui distan�ait l'excellence habituelle : compos� de tous les �l�ments qui constituent l'essence m�me du g�nie [...] �71, ce qui est repris par A. E. Rio, qui �crit en 1861 : � Il �tait au-dessus de tous les autres artistes gr�ce � la force et la noblesse de ses talents �. La vari�t� du champ d'application de L�onard, transmise par ses carnets est connue, ainsi que ses peintures. Hippolyte Taine �crit en 1866 : � Il ne peut sans doute pas y avoir dans le monde un exemple d'un g�nie si universel, si capable de s'�panouir, si empli de nostalgie envers l'infini, si naturellement raffin�, si autant en avance sur son propre si�cle et les si�cles suivants �. Le c�l�bre historien d'art Bernard Berenson �crit en 1896 : � L�onard est un artiste dont on peut dire avec une parfaite litt�ralit� : rien de ce qu'il a touch� ne s'est transform� en une chose d'une �ternelle beaut�. Qu'il s'agisse de la section transversale d'un cr�ne, la structure d'une mauvaise herbe ou une �tude des muscles, il l'a, avec son sens de la ligne et de la lumi�re et de l'ombre, � jamais transform�e en des valeurs qui communiquent la vie �. Charles Baudelaire le cite m�me dans Les Fleurs du mal (1857)75.
+L'int�r�t pour le g�nie L�onard s'est maintenu sans rel�che ; des experts �tudient et traduisent ses �crits, analysent ses tableaux en utilisant des techniques scientifiques, argumentent sur les oeuvres qu'on lui attribue et recherchent des oeuvres qui ont �t� enregistr�es mais jamais d�couvertes. La critique d'art Liana Bortolon �crit dans son livre The Life and Times of Leonardo (1967) : � En raison de la multiplicit� des int�r�ts qui l'ont incit� � poursuivre tous les domaines de connaissances, [...] L�onard peut �tre consid�r�, � juste titre, d'avoir �t� le g�nie universel par excellence et avec toutes les harmoniques inh�rentes � ce terme. L'homme est aussi mal � l'aise aujourd'hui face � un g�nie qu'il l'a �t� au xvie si�cle. Cinq si�cles se sont �coul�s et nous voyons encore L�onard avec une grande frayeur �. Les foules font toujours la queue pour voir ses plus c�l�bres oeuvres d'art : par exemple, le mus�e du Louvre doit une grande part de sa notori�t� � La Joconde.
+Avec le best-seller Da Vinci Code, roman m�lant faits historiques et artifices sc�naristiques, Dan Brown a donn� un nouvel �lan � l'int�r�t pour de Vinci en 2003. Le roman a �galement �t� adapt� au cin�ma par Ron Howard. D'apr�s un article du Monde, la bo�te de vitesse de la Tata Nano a �t� imagin�e � partir d'un mod�le L�onard de Vinci : il s'agit tout simplement d'une lanterne en forme de tronc de c�ne qu'il �tait sans doute difficile de manoeuvrer pour la laisser en contact avec la roue dent�e sur laquelle elle s'engrenait.
+En 2007, un couple de chercheurs italiens a �mis une hypoth�se sur la pr�sence d'une partition de musique cach�e � l'int�rieur de La C�ne. La disposition des mains des personnages et des pains sur la table donnerait une petite m�lodie.
+Le 26 avril 2008, un saut en parachute selon les croquis et texte datant de 1485 et r�alis� par Leonard de Vinci a �t� r�alis�. Le Suisse Olivier Vietti-Teppa, s'est �lanc� au-dessus de l'a�roport militaire de Payerne depuis un h�licopt�re en vol stationaire � 650 m�tres d'altitude avec un r�plique du parachute, fabriqu�e avec des mat�riaux modernes : il mesura une vitesse de chute de 3,9 m/s et put atterrir normalement. En 2000, le Britannique Adrian Nicholas avait �galement r�alis� un saut avec une r�plique du parachute, mais celui-ci �tant plus fid�le � l'original, il pesait 80 kg et pr�sentait des risques � l'atterrissage. L'homme avait abandonn� la r�plique en vol pour faire un atterrissage avec un parachute actuel.
+Le 18 d�cembre 2008, lors d'une restauration, du personnel du mus�e du Louvre � Paris d�couvre trois dessins, repr�sentant une t�te de cheval, un cr�ne et un enfant au dos de La Vierge, l'Enfant J�sus et sainte Anne, vraisemblablement de L�onard de Vinci.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+La libert� est la facult� d'agir selon sa volont� sans �tre entrav� par le pouvoir d'autrui. D'un point de vue philosophique, elle peut �tre d�finie comme la capacit� de se d�terminer soi-m�me � des choix contingents. Elle est d�finie, et est per�ue diff�rement selon la psychologie du sujet :
+Cette notion est � la fois con�ue comme une valeur abstraite et normative de l'action humaine et comme une r�alit� concr�te et v�cue. Ces deux perspectives se recoupent de diverses mani�res et peuvent provoquer des erreurs de cat�gories. Il existe ainsi de nombreuses confusions possibles � propos du terme de libert�. Il faut donc prendre soin de distinguer les diff�rents sens de ce mot.
+La libert� peut constituer un attribut de l'�tre humain, de sa volont�, et �tre la condition de droits naturels ou positifs, mais aussi de devoirs ; la r�alisation effective de l'acte volontaire peut n�anmoins comporter une dimension v�cue que l'on ne saurait r�duire � ce qui pr�c�de. Ces deux plans de l'existence humaine ne sont pas n�cessairement compatibles : par exemple, l'existence des libert�s juridiques est constatable, alors que la r�alit� (son existence dans nos actes) et l'essence (la conception que nous nous en faisons) de la libert� posent probl�me.
+Le premier point peut faire l'objet d'une enqu�te socio-politique ; son fondement m�taphysique et le second point concernent plus particuli�rement le probl�me philosophique de la libert�. Cet article sera donc divis� en deux parties pour en faciliter la lecture : une partie philosophique, traitant de ce qu'il y a de m�taphysique dans la notion de libert�, et une partie sociologique. Il faut cependant garder � l'esprit que les deux aspects se recoupent.
+Remarque : pour une introduction g�n�rale � cette notion, on peut lire du chapitre � Un concept clef de la m�taphysique � � � Les sens philosophiques fondamentaux du mot libert� �. Les chapitres suivants permettent d'approfondir la notion par la connaissance de ce que des philosophes en ont dit et par la diversit� des points de vue.
+La question de la libert� peut �tre consid�r�e comme une question m�taphysique par excellence dans la mesure o� elle concerne le statut de l'�tre humain au sein de la nature. La libert� qualifie en effet la relation de l'�tre humain en tant qu'agent et du monde physique, relation notamment consid�r�e dans son rapport � un d�terminisme suppos� ou r�el. Cette question concerne donc particuli�rement l'immanence et la transcendance de la volont� humaine par rapport au monde.
+La libert� s'oppose en g�n�ral (ce n'est donc pas toujours le cas) au d�terminisme, au fatalisme et � toute doctrine qui soutient la th�se de la n�cessit� du devenir. Le concept de libert� divise tr�s sch�matiquement les philosophes en deux camps : ceux qui en font le fondement de l'action et de la morale humaines (�picure, Descartes, Kant), et ceux qui nient une quelconque transcendance de la volont� par rapport � des d�terminismes tels que la sensibilit� (D�mocrite, Spinoza, Nietzsche) :
+� Il existait deux opinions sur lesquelles se partageaient les anciens philosophes, les uns pensant que tout se produit par le destin, en sorte que ce destin apportait la force de la n�cessit� (D�mocrite, H�raclite, Emp�docle, Aristote �taient de cet avis), les autres pour qui les mouvements volontaires de l'�me existaient sans aucune intervention du destin ; Chrysippe, en position d'arbitre officieux, me para�t avoir choisi la position interm�diaire ; mais il se rattache plut�t � ceux qui veulent voir les mouvements de l'�me lib�r�s de la n�cessit�. �+
- (Cic�ron, Du destin, �39)
+On dirait aujourd'hui qu'il y a une opposition entre physicalisme et mentalisme, i.e. entre la causalit� physique (physicalisme) � laquelle tous les �tres peuvent �tre r�duits et la causalit� mentale (mentalisme), qui peut �tre une th�orie mat�rialiste, tout en reconnaissant une action propre du mental. Dans le premier cas, il s'agit d'expliquer comment on peut naturaliser la volont�, sans reconduire un dualisme m�taphysique classique, et comment il est encore possible de parler d'action et de responsabilit�, alors que l'on en a supprim� la condition ; dans le second cas, il s'agit plut�t d'expliquer comment une causalit� mentale est possible qui �vite aussi ce dualisme souvent difficile � rendre intelligible. Un des points les plus int�ressants que met ainsi en lumi�re cette opposition, c'est le caract�re souvent difficile � d�terminer du concept de libert�.
+Le probl�me de la libert� surgit naturellement quand la raison humaine cherche � unifier les diff�rents �l�ments de sa repr�sentation du monde. En effet, si l'explication philosophique comprend la r�alit� dans son int�gralit�, au moins id�alement (et au contraire des sciences qui ont une partie seulement du monde pour objet), alors un effort d'unification de notre connaissance par une causalit� unique est exigible, et cela afin d'�viter les contradictions qui d�coulent de l'hypoth�se de l'existence de plusieurs causalit�s (psychique et physique) : il semble en effet impossible de penser l'interaction de deux causalit�s h�t�rog�nes. Ce probl�me a particuli�rement sollicit� la r�flexion des philosophes de l'antiquit�. La physique hell�nistique est ainsi nettement d�terministe. Mais cette unit� causale a soulev� et soul�ve encore de nos jours des probl�mes : si on unit les trois parties de la connaissance (physique, �thique, logique), et aujourd'hui les sciences humaines et les sciences de la nature, comment r�soudre l'antagonisme entre destin et libert� ? Le probl�me qui se pose est essentiellement d'ordre moral. Epicure fut contraint d'inventer le clinamen, et les sto�ciens invent�rent des raisonnements tr�s subtils pour tenter d'�chapper � ce qui ressemble � une cons�quence in�vitable de ce qu'on appelle aujourd'hui le physicalisme.
+L'unit� de nos repr�sentations serait alors une unit� logique. Mais la question se pose : si tout d�pend du destin, comment certaines choses peuvent-elles encore d�pendre de nous ? Ou bien la nature est seule ma�tresse des choses, ou bien l'homme est ma�tre lui aussi au sein de la nature. Cette contradiction dans notre connaissance est la troisi�me antinomie kantienne : suis-je libre, ou suis-je conduit par le destin ? La nature est ici entendue comme un pur encha�nement causal ; il s'agit alors de concilier les deux affirmations : responsabilit� morale et actes d�termin�s.
+Si on nie la causalit� naturelle, on fait appara�tre un concept de libert� qui implique la nouveaut� absolue dans l'ordre de la nature : la libert� humaine doit pouvoir ouvrir des possibles en produisant des actions non-d�termin�es, ind�pendantes notamment des inclinations de notre sensibilit�. Notre volont� n'a alors aucune cause ant�c�dente. Mais dans ce cas, la libert� n'est pas une r�alit� intelligible : la libert� sort du n�ant, elle constitue une sorte de miracle, d'o� le caract�re presque indicible de ce concept, puisque la libert� semble �tre dans ce cas au-del� de la port�e de l'intellect humain.
+Ainsi, en cherchant � unifier nos connaissances, soit on fait de l'homme un �tre d�termin�, dont la volont� est immanente � la nature (donc on cherche � naturaliser l'humain), soit on fait de l'homme un �tre transcendant, irr�ductible en particulier � sa nature animale.
+Une d�finition du sens commun serait : la libert� est de faire ce qu'on d�sire sans rencontrer d'obstacle. C'est l'absence de contrainte et l'ind�pendance, comme, par exemple, le vagabond non assujetti � un ordre social (Arthur Rimbaud, Jack Kerouac, etc). Carmen, dit, dans l'Op�ra de Georges Bizet : � Ce que je veux, c'est �tre libre et faire ce qui me plait �, � avoir pour pays l'univers et pour loi sa volont� �. Il faut se d�faire de la d�finition courante de la libert� : "Le pouvoir de faire ce que l'on veut." En faire une simple absence de limites, c'est se condamner � n'y voir qu'une illusion.
+C'est l'ivresse de la libert� :
+Mais cette libert� n'est pas la libert� au sens philosophique.
+En effet, contre la libert� ind�pendance, il existe au moins deux types de critiques :
+On remarque que dans cette conception philosophique de la libert�, les limites ne sont pas des limites contraignant la libert� de la volont� humaine ; ces limites d�finissent en r�alit� un domaine d'action o� la libert� peut exister, ce qui est tout autre chose.
+Nietzsche reprendra cette critique : '� Aussi longtemps que nous ne nous sentons pas d�pendre de quoi que ce soit, nous nous estimons ind�pendants : sophisme qui montre combien l'homme est orgueilleux et despotique. Car il admet ici qu'en toutes circonstances il remarquerait et reconnaitrait sa d�pendance d�s qu'il la subirait, son postulat �tant qu'il vit habituellement dans l'ind�pendance et qu'il �prouverait aussit�t une contradiction dans ses sentiments s'il venait exceptionnellement � la perdre. �
+Ces deux critiques mettent en lumi�re plusieurs points importants. En premier lieu, la libert� ne peut se r�duire � l'ind�pendance par rapport au monde ext�rieur ; il faut �galement une autonomie int�rieure r�elle par laquelle nous nous donnons volontairement des r�gles d'actions. Ainsi, alors que l'ind�pendance concerne les causes externes (d�finissant ce que je peux), l'autonomie concerne les causes qui sont la source de la volont� (d�finissant ce que je veux). La r�flexion philosophique int�riorise le probl�me et cherche � en trouver les conditions internes, en niant que la libert� soit d�pendante en quoi que ce soit du monde ext�rieur.
+En second lieu, il n'est pas certain que tout lien soit contraire � l'ind�pendance. �tre reli� n'est pas toujours n�gatif, car l'intersubjectivit� est peut-�tre plus fondamentale que l'ind�pendance du moi, dans la mesure o� le moi est relation aux autres. Ainsi, pour Friedrich Nietzsche (et de m�me pour Hegel), le toi est ant�rieur au moi. Il ne semble donc pas possible de concevoir une libert� ind�pendance comme un �tat monadique, o� l'individu serait une totalit� ferm�e, atome qui n'aurait que des relations qui lui seraient ext�rieures ou �trang�res. Les relations humaines seraient donc � la fois des sources de conflits et d'ali�nation, et des conditions de libert� sociale et politique.
+Paul Val�ry d�veloppe pour sa part l'id�e que � la libert� est l'un de ces d�testables mots qui ont plus de valeur que de sens, qui chantent plus qu'ils ne parlent, qui demandent plus qu'ils ne r�pondent, de ces mots qui font tous les m�tiers �.
+Pour faciliter l'exposition et la compr�hension du probl�me philosophique de la libert�, il est commode de partir de quelques mod�les fondamentaux, mod�les qui sont soit des conceptions majeures, soit des moments importants de l'histoire de la pens�e occidentale (cette liste n'est donc pas ferm�e) :
+Libre arbitre : propri�t� de la volont� (actus proprius), facult� de choix qui associe raison et volont�. C'est l'union de la spontan�it� et de l'intelligence.
+La libert�, c'est donc la spontan�it� �clair�e par la raison ; cette conception de la libert� n'est pas incompatible avec certaines formes de naturalisme.
+Libert� d'indiff�rence
+Libert� transcendantale : c'est la facult� par laquelle l'individu peut disposer de lui-m�me et d�terminer sa volont� en l'absence de toute contrainte physique, c'est-�-dire ind�pendamment de la causalit� naturelle (chez Kant par exemple). Est dit libre l'homme qui se gouverne selon sa raison. Cela sous-entend que l'individu doit �tre en mesure de faire preuve de discernement et d'un grand sens critique : l'homme libre se donne � lui-m�me des normes cognitives.
+Cette libert� a deux conditions : l'ind�pendance et la spontan�it�.
+Si cette libert� existe, alors il y a une diff�rence radicale entre l'homme et la nature.
+La libert� telle que nous l'entendons (comme propri�t� m�taphysique ou comme condition transcendantale de la volont�) �tait ignor�e des Anciens. Cela tient d'abord au fait que la volont� n'est pas pour eux une facult� � part du psychisme, et que le psychisme n'est pas lui-m�me une entit� s�par�e de l'exemplifier par un cheval (mais ce point devrait sans doute �tre discut� d'apr�s des th�ses r�centes sur l'intelligence et la sensibilit� animales).
+Une cons�quence importante de cette conception ancienne de l'�me, c'est que l'action, ou du moins un certain type d'actions, a, pour les Grecs, une dignit� moindre ; ce que montre par exemple l'esclavage et l'artisanat. Par nature, un �tre qui travaille n'est pas libre (Aristote, Politiques) car son activit� d�forme son corps et alt�re en cons�quence les qualit�s de son �me. Ce qui a de la valeur, la finalit� par excellence de l'activit� humaine, c'est la pens�e, l'activit� de l'intellect, con�ue comme la finalit� et le vrai bien de l'�me : la libert� de l'homme serait donc dans la contemplation qui n�cessite d'ailleurs des conditions de vie d'hommes libres. Cette libert� n'est pas contraire � la nature et � sa n�cessit�, puisqu'elle est la r�alisation parfaite de l'essence de l'homme (il ne faut donc pas confondre l'emploi qui est fait ici du mot libert� avec d'autres emplois qui sont faits ailleurs dans l'article).
+Le christianisme vient ensuite modifier cette conception, avec l'id�e d'un dieu qui est volont� et qui cr�e, l'id�e d'un dieu artisan (cf. Paul de Tarse). Cette id�e de l'artisan se rencontre d�j� chez Platon, mais sous une forme qui n'est pas cr�ationniste : la th�ologie antique fait plut�t de Dieu un intellect non impliqu� dans la cr�ation de la mati�re, m�me s'il peut y �tre engag�, par exemple pour y mettre de l'ordre. L'action va donc prendre de la valeur, ou changer de valeur, dans la mesure o� le libre arbitre est maintenant m�taphysiquement valoris� : cette valorisation a une origine morale, en particulier pour l'explication du p�ch�. Le prix � payer de la th�odic�e (pour conserver la volont� juste de Dieu), c'est la mal�diction de la libert� humaine, qui fait de l'homme un coupable par nature.
+Le liberum arbitrium chr�tien appara�t nettement chez Augustin d'Hippone (De Libero arbitrio). Sa finalit� �tait de fonder une th�odic�e ; ce concept permet en effet de disculper Dieu de la responsabilit� du mal (c'est l� l'invention de l'int�riorisation du p�ch� d�nonc�e par Friedrich Nietzsche). La motivation est donc th�ologique et non anthropologique. Par la suite, le libre-arbitre deviendra un trait fondamental de l'anthropologie de Thomas d'Aquin.
+On voit, par ce bref historique, que le probl�me de la libert� en Occident n'est pas s�parable de l'histoire du concept de Dieu. Ceci est encore valable m�me au xxe si�cle, chez Sartre par exemple (voir plus bas), lorsqu'il renverse le rapport de l'essence et de l'existence.
+Les diff�rentes conceptions vues ci-dessus nous font conna�tre plusieurs conceptions de la libert�. Mais le probl�me de savoir s'il y a quelque chose de tel que la libert� reste entier. Il y a un probl�me �pist�mique de la libert�, qui peut �tre envisag� d'un point de vue th�orique et d'un point de vue pratique.
+S'il y a quelque chose comme la libert�, quelle sorte de chose est-ce ? Est-ce une substance, une essence, une facult�, un acte, etc. ? Les auteurs examin�s plus haut nous ont d�j� fourni quelques r�ponses possibles.
+Comment en a-t-on connaissance ? Avoir connaissance de quelque chose comme la libert�, cela ne suppose-t-il pas en m�me temps d'avoir la preuve de son existence ? La libert� serait donc dans ce cas observable et devrait faire partie des ph�nom�nes. Pourtant si la libert� se manifeste en tant que ph�nom�ne empirique, il faut bien qu'elle se conforme aux lois de la nature. Or, cela semble bien �tre une contradiction. Il semble que rien de tel que la libert� ne puisse �tre donn� dans le monde ; mais il serait sans doute plus exact de conclure que la libert�, comme objet de connaissance, nous �chappe, et qu'elle n'est jamais un objet de notre exp�rience.
+Cette difficult� peut �tre contourn�e de plusieurs mani�res :
+Le transcendantalisme et le d�terminisme semblent donc s'entendre pour retirer la libert� de l'exp�rience humaine.
+Les probl�mes th�oriques soulev�s par le concept de libert� am�nent � se demander si la conscience de la libert�, ou l'exp�rience que nous en avons, porte d'une mani�re certaine sur une r�alit� ?
+Si oui, � quelle genre de r�alit� a-t-on affaire ? L'exp�rience semble manquer de consistance pour le d�terminer. En effet, si la conscience que nous avons de la libert� n'en est pas une connaissance, la libert� est soit une r�alit� m�taphysique soit un concept vide.
+Si conscience et connaissance sont deux choses diff�rentes, avoir conscience de quelque chose ne garantit pas son existence. Il faut donc plus que la conscience pour savoir si effectivement nous sommes libres. Ainsi, il peut sembler que non, notre exp�rience de la libert� ne porte pas sur une libert�, mais sur un type d'�tre dont la nature est hors de notre port�e.
+C'est pourquoi, pour certains philosophes, vouloir prouver la libert� par des faits ou des raisonnements est une absurdit� : � un homme qui n'a pas l'esprit g�t�, n'a pas besoin qu'on lui prouve son franc arbitre ; car il le sent. � (Jacques B�nigne Bossuet). La � preuve � de la libert� se ram�nerait donc � � l'�preuve � � d'un vif sentiment interne � (Leibniz), qui suffirait � en faire une donn�e imm�diate de la conscience (Bergson).
+La libert� serait donc d'abord un objet d'une intuition imm�diate et interne. Mais on retombe alors dans les difficult�s �voqu�es au d�but de cet article : le sentiment de la libert�, ou son intuition, n'est ni clair ni probant. L'ali�n� ou l'homme ivre peuvent s'imaginer agissant de leur propre chef ; bien plus, m�me un homme tenu pour sain d'esprit est susceptible de se faire de graves illusions sur son propre compte.
+C'est pourquoi le probl�me m�taphysique de la libert� tire en fait son importance des enjeux moraux qui en d�coulent.
+L'ensemble de cette probl�matique et les diff�rentes conceptions des philosophes du pass� permettent de voir plus pr�cis�ment en quoi la libert� est un concept m�taphysique fondamental : ses cons�quences morales sont en effet consid�rables.
+On voit bien ici en quoi une d�termination m�taphysique, en apparence tr�s sp�culative et difficile, peut se montrer d�cisive pour la vie, pour l'existence concr�te. En effet, on pose ou on nie que la libert� soit un attribut essentiel : la libert� est ou non constitutive de la nature humaine. Nier la libert�, ce serait donc supprimer l'essence de l'homme. Pratiquement, la question serait de savoir si cela revient � dire que nier la libert� est une perspective dans laquelle on ne voit pas de contraintes morales qui emp�chent quiconque de nier aussi l'humanit� d'un autre homme. � Tout est permis � dit Nietzsche, assumant cette n�gation anti-humaniste de l'essence de l'homme. Mais les doctrines de ce genre ont-elles n�cessairement ces cons�quences ? Nier la libert�, cela implique-t-il qu'il ne soit pas interdit de nier, opprimer, torturer ou d�truire l'autre ? Si, en effet, la libert� implique l'existence du devoir comme sa condition, sa suppression entra�nerait peut-�tre la suppression d'une distinction entre le bien et le mal :
+Renoncer � sa libert�, c'est renoncer � sa qualit� d'homme, aux droits de l'humanit�, m�me � ses devoirs. Il n'y a nul d�dommagement possible pour quiconque renonce � tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l'homme; et c'est �ter toute moralit� � ses actions que d'�ter toute libert� � sa volont�. (Rousseau, Le Contrat social).+
Sommes-nous plus libres sans les autres ? Comment penser la libert� par rapport aux libert�s ? La libert� pour tous est-elle une v�ritable libert� ? La r�alisation de la libert�, sa pratique politique, cr�e de nombreuses tensions.
+L'autonomie politique est incarn�e par la figure du citoyen, qui abandonne son ind�pendance naturelle pour se soumettre volontairement � des lois qui sont, au moins id�alement, les m�mes pour tous (Hobbes, Rousseau). C'est � cette condition que, selon cette th�orie, les hommes peuvent �tre libres ensemble. Mais les lois peuvent �tre ressenties comme une ali�nation de leur libert� par les individus.
+Il existe cependant un point de vue oppos� � cette vision de l'�ducation comme moyen de la libert�. Ainsi au xviiie si�cle, Jean-Jacques Rousseau d�fendait un paradigme du bon sauvage, consid�rant l'�ducation comme une domestication de l'homme, et la soci�t� comme un carcan. Ce point de vue, qui sera d�velopp� par Sigmund Freud dans son essai Malaise dans la civilisation (1929), a �t� discut� d�s la R�volution fran�aise. Un ouvrage comme Sa Majest� des mouches de William Golding sugg�re au contraire que l'homme priv� des contraintes sociales n'en devient pas n�cessairement meilleur.
+On distingue au niveau de l'individu plusieurs � types � de libert�s :
+La libert� n'est pas qu'individuelle, elle existe aussi � un niveau global, plus collectif, avec par exemple la libert� de la presse, qui permet une libre publication, sans subir de censure.
+Le mouvement ouvrier au xixe si�cle distingue libert� formelle et libert� r�elle. La notion de libert� collective repose en partie sur cette distinction.[r�f. n�cessaire]
+Les diff�rentes libert�s collectives :
+Paradoxalement, la notion de libert� peut parfois � ce niveau, nuire � la libert� de l'individu. Comme dans le cas de la libert� de la presse, par exemple. Ainsi les moyens techniques et financiers importants n�cessaires aujourd'hui aux organes d'information, en particulier radiophoniques ou audiovisuels, tendent � la formation de cartels pratiquant l'autocensure, r�duisant par l� m�me le pouvoir de contr�le et de critique de l'individu sur ces vecteurs d'information... L'abolition de la censure n'est donc plus un gage de libert�, car si les publications ne sont plus soumises � des d�cisions arbitraires, les vecteurs de l'information deviennent en revanche de moins en moins accessibles � la grande masse des individus, r�duisant de ce fait leur capacit� � exprimer leurs opinions, ainsi que la vari�t� des points de vue expos�s. C'est pour cette raison que la presse est consid�r�e comme le quatri�me pouvoir (� l'instar des pouvoirs ex�cutif, l�gislatif et judiciaire).
+D'apr�s leurs d�tracteurs, les brevets logiciels entra�neraient la formation de trusts surpuissants juridiquement qui seraient peu compatibles avec les libert�s individuelles.
+Des mouvements tels que l'Open Source ou Logiciel libre tendent � favoriser l'acc�s � la connaissance et aux techniques de mani�re universelle, ce qui, � l'heure de la mondialisation, repr�sente un �l�ment pour la d�fense des libert�s individuelles dans les pays �mergents, les rendant techniquement ind�pendants des pays � d�j� d�velopp�s �.
+L'acc�s � l'internet pose de nombreuses questions �thiques concernant, entre autres, les libert�s individuelles, mais aussi collectives. Il n'est pas souhaitable, notamment pour une entreprise qui souhaite prot�ger son capital intellectuel, de divulguer des informations sur le r�seau internet mondial. Il est n�cessaire d'�tablir des r�gles, et diff�rents niveaux d'acc�s et de confidentialit� pour les partenaires et les parties prenantes.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Linux, ou GNU/Linux, est un syst�me d'exploitation compatible POSIX. Linux est cr�� en 1991 par Linus Torvalds pour ordinateur.
+D�velopp� sur Internet par des dizaines de milliers d'informaticiens b�n�voles et salari�s, Linux fonctionne maintenant sur du mat�riel allant du modem au supercalculateur. Il existe de nombreuses distributions Linux ind�pendantes, destin�es aux ordinateurs personnels et serveurs informatiques, pour lesquels Linux est tr�s populaire. Elles incluent des milliers de logiciels, notamment ceux du projet GNU, d'o� la d�nomination GNU/Linux. Linux est �galement populaire sur syst�me embarqu�. La mascotte de Linux est le manchot Tux.
+En 1991, les compatibles PC dominent le march� des ordinateurs personnels et fonctionnent g�n�ralement sous les syst�mes d'exploitation MS-DOS, Windows et OS/2. Le microprocesseur Intel 80386, vendu depuis 1986, commence � �tre abordable. En 1991, aucun de ces trois syst�mes n'exploite correctement les capacit�s 32 bits et de gestion m�moire du 80386.
+Le projet GNU est connu pour avoir produit de nombreux logiciels libres, dont des commandes Unix, l'�diteur de texte Emacs et le compilateur C GCC. Ces logiciels sont g�n�ralement utilis�s sur des stations de travail fonctionnant sous UNIX propri�taire, car le noyau de syst�me d'exploitation Hurd n'est qu'� l'�tat de projet.
+En juin 1991, la Berkeley Software Distribution (BSD) sort la Networking Release 2 (Net/2), qui constitue un syst�me UNIX BSD libre presque complet. Mais un proc�s lanc� par Unix System Laboratories contre Berkeley Software Design fait peser des doutes sur le statut de cette distribution pendant presque deux ans.
+Le syst�me d'exploitation Minix est d�velopp� par le professeur Andrew Tanenbaum pour l'enseignement. Il est inspir� de UNIX, gratuit, ses sources sont disponibles mais non libres, et la simplicit� est privil�gi�e par rapport aux performances.
+En 1991, l'�tudiant finlandais Linus Torvalds, que la faible disponibilit� du serveur Unix de l'universit� de Helsinki indispose, entreprend d'�crire un noyau de syst�me d'exploitation qu'on appellera plus tard � noyau Linux �.
+Linus Torvalds fait alors son apprentissage sur le syst�me d'exploitation Minix. Comme l'auteur de Minix refuse d'int�grer les contributions visant � am�liorer Minix, Linus d�cide d'�crire un rempla�ant de Minix. Il commence par d�velopper un simple �mulateur de terminal, qu'il utilise pour se connecter via modem au serveur informatique de son universit�. Linus d�sire alors surtout comprendre le fonctionnement de son ordinateur, un compatible PC bas� sur un microprocesseur Intel 80386. Apr�s l'ajout de diverses fonctionnalit�s dont un syst�me de fichiers compatible avec celui de Minix, Linus oriente son projet vers quelque chose de plus ambitieux : un noyau aux normes POSIX.
+Le 5 octobre 1991, il annonce sur le forum Usenet news :comp.os.minix la disponibilit� d'une �bauche version 0.02 de son syst�me d'exploitation, la version 0.01 ayant eu une diffusion plus que confidentielle. Le message en question ainsi que sa traduction sont disponibles sur Wikisource.
+Depuis, des centaines de passionn�s et des entreprises, petites ou g�antes, sont venus participer au projet, dont Linus Torvalds est toujours le coordonateur. Eric S. Raymond d�crit dans un essai retentissant le mod�le de d�veloppement du noyau Linux et d'une partie des logiciels libres.
+Initialement appel� Freax par son cr�ateur, le projet trouve son nom d�finitif gr�ce � Ari Lemmke, administrateur du serveur FTP ftp.funet.fi, qui h�berge le travail de Linus Torvalds dans un r�pertoire nomm� Linux. C'est la premi�re apparition d'un terme compos� � partir de Linus et UNIX, qui deviendra par la suite une marque d�pos�e au nom de Linus Torvalds. Le manchot Tux, dessin� par Larry Ewing en 1996, devient le symbole du projet.
+Parmi les �tapes marquantes, on peut d'abord citer le lancement en octobre 1996 par Matthias Ettrich de l'environnement graphique KDE puis en ao�t 1997 par Miguel de Icaza de son concurrent GNOME, les deux �tant bas�s sur le syst�me de fen�trage X11 issu des travaux du Massachusetts Institute of Technology. Dans l'iceberg qu'est un syst�me d'exploitation grand public bas� sur le noyau Linux, les environnements de bureau, comme GNOME, KDE ou encore XFCE en forment la partie �merg�e, en contact direct avec l'utilisateur.
+Il y a �galement la prise en compte progressive de l'int�r�t commercial de Linux dont on peut citer quelques manifestations spectaculaires : le lancement en f�vrier 1998 de l'Open Source Initiative ; l'annonce en juillet 1998 du support d'Oracle Corporation qui porte et supporte sa c�l�bre base de donn�es sous GNU/Linux ; l'entr�e en bourse de Red Hat le 11 novembre 1999 ; celle de VA Linux le mois suivant qui marque le sommet d'une impressionnante bulle sp�culative ; le support massif apport� par le g�ant IBM qui y d�pense son 1er milliard en 2001 4., emploie en 2005 pr�s de 300 d�veloppeurs du noyau Linux, et organise � partir de 2003 la riposte l�gale lors de l'attaque du SCO Group qui affirmait poss�der des droits d'auteurs sur le noyau Linux (voir l'article SCO contre Linux) ; l'acquisition en octobre et novembre 2003 de Ximian puis de SuSE par l'entreprise am�ricaine Novell.
+C'est dans le monde des serveurs informatiques que GNU/Linux a eu le plus d'impact, notamment avec le tr�s populaire LAMP. Sur les serveurs, GNU/Linux a souvent �t� utilis� pour remplacer d'autres Unix et se retrouve �tre le seul acteur majeur avec Windows.
+Dans les syst�mes embarqu�s, GNU/Linux est fr�quemment utilis� avec les outils uClibc et BusyBox qui ont �t� d�velopp�s pour le mat�riel particuli�rement limit� en capacit� m�moire. En outre, le fait de pouvoir compiler le noyau Linux avec des options sp�cialement adapt�es au mat�riel cible donne aux d�veloppeurs de nombreuses opportunit�s d'optimisation.
+La principale originalit� de GNU/Linux par rapport � d'autres syst�mes d'exploitation concurrents - comme Mac OS, Microsoft Windows et Solaris - est d'�tre constitu� d'un noyau libre et de logiciels libres.
+Un logiciel libre n'est pas n�cessairement un logiciel gratuit, et inversement tout logiciel non-commercial n'est pas forc�ment libre. Ce ne sont pas non plus des logiciels libres de droits : c'est en vertu de leurs droits d'auteurs que les contributeurs d'un logiciel libre accordent les quatre libert�s, qui sont d'utiliser le logiciel sans restriction, d'�tudier le logiciel, de le modifier pour l'adapter � ses besoins et de le redistribuer sous certaines conditions pr�cises.
+Certaines licences sont bas�es sur le principe de copyleft, c'est-�-dire de r�ciprocit� : une oeuvre d�riv�e d'un logiciel sous copyleft doit � son tour �tre libre. C'est le cas de la licence libre la plus utilis�e, � commencer par le noyau Linux lui-m�me : la licence GNU GPL �crite par Richard Stallman.
+L'ouverture du code source, l'un des quatre crit�res correspondant � la notion de logiciel libre, a des avantages th�oris�s entre autres par Eric Raymond en mati�re de correction rapide des bogues qui sont la plaie de l'informatique, et notamment la correction des failles de s�curit�. C'est le refus du principe de s�curit� par l'obscurit�.
+Linux n'aurait pu se d�velopper sans la pr�sence de protocoles standardis�s utilis�s sur Internet. Un bon nombre de logiciels libres sont d'ailleurs des impl�mentations de r�f�rence, comme Apache.
+Les partisans des logiciels libres sont donc des partisans constants de l'interop�rabilit�. Ils mettent en avant les formats ouverts, des formats de donn�es dont les sp�cifications techniques sont publiques et sans restriction d'acc�s ni de mise en oeuvre, afin de ne pas d�pendre d'un seul logiciel.
+Citons dans cette optique Mozilla Firefox qui tente de respecter scrupuleusement les recommandations �mises par le World Wide Web Consortium, Jabber qui a donn� naissance au standard XMPP reconnu par l'Internet Engineering Task Force dans le domaine de la messagerie instantan�e ou encore les suites OpenOffice.org et KOffice qui ont lanc� le r�cent standard OpenDocument dans le domaine de la bureautique.
+Dans d'autres domaines, il n'existe pas d'organisme ou d'accord de standardisation reconnu. Le march� est alors morcel� entre divers vendeurs qui ont chacun leur technologie ou sous la domination d'un acteur �conomique pr�dominant qui ferme ses formats ou protocoles.
+Le premier cas de figure pr�vaut dans la guerre des messageries instantan�es et est r�gl� par des logiciels multiprotocoles comme Pidgin ou Kopete. Les formats des suites Microsoft Office successives et le protocole Common Internet File System qui permet de partager fichiers et imprimantes entre diff�rents ordinateurs d'un r�seau Microsoft Windows tombent dans la deuxi�me cat�gorie. Ces formats et protocoles sont souvent pas ou mal document�s. L'interop�rabilit� passe alors n�cessairement par la r�tro-ing�nierie.
+Cela peut n�cessiter un travail titanesque, pouvant �tre par ailleurs ill�gal aux �tats-Unis mais l�gal en Europe (tant qu'on reste dans le cadre de l'interop�rabilit�) ; aujourd'hui, OpenOffice.org permet de lire la tr�s grande majorit� des fichiers aux diff�rents formats .doc, et le logiciel Samba permet de participer aux r�seaux Windows.
+Plus probl�matiques du point de vue des logiciels libres sont les formats et protocoles n�cessaires � l'interop�rabilit�, mais verrouill�s techniquement et/ou l�galement : gestion des droits num�riques, brevets logiciels, Directive EUCD, Digital Millennium Copyright Act...
+Unifix Linux 2.0 de la soci�t� allemande Unifix (et Linux-FT de Lasermoon) sont �galement certifi�s POSIX.1 FIPS 151 - 26,7 (Federal Information Processing Standard). Noyau 1.2.139
+Sur le site Debian, ils expliquent � les normes de POSIX ne sont pas gratuites et la certification POSIX.1 (et FIPS 151 - 2) est tr�s ch�re �
+De nombreuses associations, connues sous le nom de Linux Users Group, Groupe d'Utilisateurs Linux (LUG ou GUL), cherchent � promouvoir GNU/Linux et par extension, les logiciels libres, par le biais de rencontres o� des d�monstrations de GNU/Linux sont faites, des formations, et pour ceux qui le souhaitent des installations sur leur ordinateur.
+De nombreuses communaut�s existent sur Internet afin d'aider les d�butants comme les professionnels. Citons le site lea-linux, le site d'informations collaboratif Linuxfr.org et le site Linux-Qu�bec, qui aide les utilisateurs qu�b�cois comme fran�ais dans leur apprentissage des bases de GNU/Linux gr�ce � un r�seau IRC tr�s actif. Et les projets Proselux et Parrains.Linux permettent aux linuxien(ne)s de se rencontrer pour s'entraider. De m�me il existe de nombreux sites regroupant des Tutoriels ainsi que des HowTos, comme lea-linux ou encore LinuxTuto.
+Les logiciels libres sont produits de mani�re collaborative, souvent ind�pendamment les uns des autres, et peuvent �tre librement redistribu�s. Il s'ensuit une particularit� du monde GNU/Linux : la s�paration fr�quente entre ceux qui produisent les logiciels et ceux qui les distribuent.
+On appelle distribution Linux une solution pr�te � �tre install�e par l'utilisateur final comprenant un noyau Linux, des programmes d'installation et d'administration de l'ordinateur, un m�canisme facilitant l'installation et la mise � jour des logiciels comme RPM ou APT ainsi qu'une s�lection de logiciels produits par d'autres.
+Une distribution peut par exemple choisir de se sp�cialiser (ou non) sur GNOME ou KDE. Elle est �galement responsable de la configuration par d�faut du syst�me (graphisme, simplicit�...), du suivi de s�curit� (installations de mise � jour) et plus g�n�ralement de l'int�gration de l'ensemble.
+La diversit� des distributions permet de r�pondre � des besoins divers qu'elles soient � but commercial ou non ; orient�e serveur, bureautique ou embarqu� ; orient�e grand-public ou public averti ; g�n�raliste ou sp�cialis�e pour un usage sp�cifique (pare-feu, routeur r�seau, grappe de calcul...) ; ou encore certifi�es sur un mat�riel donn�.
+Parmi les plus c�l�bres distributions, on peut citer Slackware, apparue en 1993, qui est aujourd'hui la plus ancienne distribution encore en activit�, toujours maintenue par Patrick J. Volkerding ; Debian, �dit�e par une communaut� de d�veloppeurs ; Red Hat, �dit�e par l'entreprise am�ricaine du m�me nom qui participe �galement au d�veloppement de Fedora Core ; ou encore SuSE, � l'origine une traduction allemande de Slackware, qui a depuis �volu�e en int�grant certains sous-syst�me issus de Redhat.
+De nombreuses autres distributions plus ou moins sp�cialis�es existent, �tant pour la plupart d�riv�es des projets sus-cit�s. Par exemple voici quelques distributions sp�cialis�es � environnement de bureau � : Ubuntu, �dit�e par Canonical Ltd qui est d�riv�e de Debian ; Mepis �galement bas�e sur Debian ; Zenwalk d�riv�e de Slackware ; Mandriva, d�riv�e de Red Hat, aujourd'hui �dit�e par la soci�t� fran�aise de m�me nom et impliqu�e dans plusieurs projets libres. Il existe �galement des distributions dites LiveCD, dont l'une des plus c�l�bres est Knoppix, qui offrent la possibilit� de d�marrer un syst�me d'exploitation Linux complet et d'acc�der � de nombreux logiciels � partir du support (CD ou DVD) sans installation pr�alable sur le disque dur, et sans alt�rer son contenu. Cette souplesse d'utilisation a fait qu'elles sont devenues un support tr�s populaire de d�monstration d'utilisation de Linux, et sont m�me utilis�es comme outils de maintenance syst�me.
+Un des enjeux qui se posent pour les distributions Linux est de nouer des partenariats avec des fabricants d'ordinateurs afin qu'il devienne facile de trouver un ordinateur pr�install� sous Linux. Car m�me si certaines distributions affirment avoir rendu l'installation d'un syst�me Linux aussi simple que celle des syst�mes d'exploitation concurrents, le simple fait d'avoir � �tre au courant qu'une alternative existe, d'�tre pr�t � accepter des changements dans ses habitudes et d'avoir � installer soi-m�me le syst�me constitue un d�savantage ind�niable par rapport � la situation privil�gi�e dont jouissent les distributeurs de Microsoft Windows et de Mac OS X. Le syst�me de Microsoft est en effet omnipr�sent et Apple est en m�me temps le fabricant des Macintosh.
+� d�faut, les usagers de Linux r�clament de pouvoir �tre rembours�s, lors de l'achat d'un ordinateur neuf, de la part du prix correspondant au syst�me d'exploitation et aux logiciels qu'ils n'ont pas l'intention d'utiliser, comme la loi de certains pays le permet. Si la soci�t� Apple s'est montr�e plusieurs fois coop�rative face � de telles demandes, le remboursement de Microsoft Windows est en g�n�ral long et difficile bien qu'actuellement une s�rie de jugements a permis � certains consommateurs de se faire rembourser par les fabriquants. Devant la difficult� d'obtenir ce remboursement bas� sur le CLUF, d�s 1998, les associations Linuxfrench et AFUL ainsi que Roberto Di Cosmo ont lanc� en r�action une action pour la d�taxe Windows.
+Cette situation existe en Europe et en Am�rique du Nord, mais pas dans certains pays d'Am�rique du Sud o� les distributions de Linux ont plus de parts de march� que Windows.
+D'apr�s l'entreprise IDC sp�cialis�e dans les �tudes de march�s, 24 % des serveurs et 3 % des PCs �taient vendus avec Linux en 2004. IDC pr�voit que le march� total des ordinateurs Linux sera de 35,7 milliards de dollars en 2008.15 Ces chiffres de ventes ne comptabilisent �videmment pas les entreprises et les particuliers qui choisissent d'installer eux-m�mes Linux apr�s l'achat d'un mat�riel fourni sans Linux.
+Une �tude de XiTi r�alis�e r�guli�rement sur les syst�mes utilis�s par leurs visiteurs de 19 000 sites web professionnels, donne, en f�vrier 2009, 93.82 % de part de march� � Windows (62,18 % � Windows XP et 28,90% � Windows Vista), 4,59 % � Mac OS X et 1,24 % � Linux.16.
+Part de Linux :
+Il existe d'autres approches et d'autres sources. Le fabricant de cartes graphiques canadien ATI, largement minoritaire sur le march� Linux en raison du manque de support 3D de ses cartes (il d�veloppe pourtant ses propres pilotes pour Linux), sur ce syst�me d'exploitation, estime que Linux repr�sente 3 % de ses ventes. Suite � son rachat par le fondeur AMD, ATI a ouvert les sp�cifications de ses cartes d�but 2008 afin que les d�veloppeurs de Mesa 3D puissent mieux int�grer la gestion de ses cartes.
+Les tableaux statistiques de w3schools donnent 2,2 % de parts de march� pour Linux en mars 2002 et 4.0 % de parts de march� en f�vrier 2009.17.
+Il est important de pr�ciser s'il s'agit de la part de march� des postes client.
+De par la filiation avec UNIX, la ligne de commande est toujours disponible dans Linux.
+Certaines distributions, notamment celles sp�cialis�es dans les serveurs ou certaines t�ches d'administration, utilisent uniquement la ligne de commande, en particulier pour sa faible consommation de ressources, due � l'absence d'interface graphique, mais surtout sa puissance d'action, li�e � l'interop�rabilit� des commandes et la possibilit� de g�n�rer des scripts.
+Pendant longtemps, de nombreuses op�rations de configuration n�cessitaient son utilisation, ce qui n'est plus vrai avec les distributions r�centes d�di�es � l'utilisation familiale.
+Les aides en ligne mentionnent cependant souvent la d�marche � suivre en ligne de commande, m�me lorsqu'une configuration graphique est possible : cette m�thode est plus universelle dans le monde Linux, et souvent plus facile � expliquer pour la personne qui aide, et son interlocuteur n'a qu'� copier-coller l'indication.
+Une interface graphique bien con�ue permet de nos jours d'accomplir la grande majorit� des t�ches bien plus agr�ablement, mais ce n'est pas toujours le cas, particuli�rement lorsque la t�che a un aspect r�p�titif ou non pr�vu.
+La ligne de commande, qui tire sa puissance de sa possibilit� de combiner � l'infini des sous-t�ches automatiques, et qui permet presque naturellement d'automatiser la t�che ainsi accomplie, peut alors se r�v�ler plus efficace que l'interface graphique.
+Scientifiques, ing�nieurs et d�veloppeurs comptent parmi ses plus fr�quents utilisateurs.
+Interface graphique et ligne de commande peuvent aussi se compl�ter l'une et l'autre : KDE est livr� avec un terminal tr�s ergonomique, et offre un m�canisme efficace (DCOP) pour piloter et donc automatiser toutes ses applications graphiques depuis la ligne de commande.
+Apple tr�s r�put� pour ses interfaces graphiques, MacOS �tant le premier syst�me commercialis� avec la gestion des fen�tre et de la souris, a �galement int�gr� un terminal en ligne de commandes compatible UNIX sur MacOS X.
+L'emploi du terme g�n�rique Linux est trompeur s'agissant de l'utilisation d'un ordinateur personnel. Il existe en r�alit� trois interfaces distinctes, aux caract�ristiques bien diff�rentes et formant chacune un tout autonome : l'approche traditionnelle centr�e autour d'un gestionnaire de fen�tres d'une part, l'environnement KDE et l'environnement GNOME d'autre part.
+Cependant, comme toutes ces interfaces sont bas�es sur X Window, leurs applications peuvent cohabiter et elles offrent des points communs dont l'affichage de fen�tres � distance (y compris via des protocoles compress�s et chiffr�s comme ssh et nox) et le copier-coller simplifi� : un texte s�lectionn� par la souris est automatiquement copi�, un clic milieu (ou un clic molette, ou sur les 2 boutons en m�me temps) suffit alors pour coller le texte � l'endroit d�sir�. Il n'y a donc jamais besoin du clavier pour effectuer un copier/coller sous X.
+Traditionnellement l'interface d'un syst�me d'exploitation bas� sur le noyau Linux �tait une interface sobre voire spartiate, centr�e autour d'un gestionnaire de fen�tres (il en existe de nombreux comme Window Maker ou IceWM) et d'une suite assez h�t�roclite d'applications.
+La fen�tre xterm permettant une utilisation en ligne de commande n'est en g�n�ral jamais loin, l'informaticien appr�ciant ses puissantes possibilit�s d'utilisation qui proviennent de la filiation de GNU/Linux avec UNIX.
+L'inconv�nient d'un tel syst�me est le temps n�cessaire � personnaliser un tel environnement, et surtout la non-standardisation des applications ainsi utilis�es. Les applications que l'on peut voir sur la copie d'�cran de droite (XMMS, RealPlayer, Mozilla Firefox, xterm, gaim, konqueror) suivent chacune leurs propres conventions : aspect, comportements, raccourcis claviers diff�rents ; les copier-coller et glisser-d�poser sont al�atoires...
+Si individuellement des applications comme vim ou emacs peuvent effectivement avoir des aspects brillants, l'ensemble disparate de toutes ces applications en fait un syst�me difficile � appr�hender. Le temps consacr� � apprendre une application et les r�flexes ainsi acquis ne peuvent �tre appliqu�s aux autres applications, un avantage �norme qu'apporte la standardisation de comportement des interfaces comme l'avait montr� le Macintosh. � titre d'exemple, le raccourci clavier utilis� pour quitter une application peut �tre : Ctrl + Q ou Ctrl + C - Ctrl + X ou Ctrl + C ou juste q ou Esc ou encore :qa! ou bye ou quit ou exit...
+L'utilisation d'un tel environnement r�gresse nettement ces derni�res ann�es avec la maturit� des alternatives pr�sent�es ci-dessous. Elle perdure n�anmoins chez des utilisateurs qui se sont faits � un tel syst�me, ou qui l'appr�cient car il leur permet d'utiliser un Linux r�cent m�me sur des ordinateurs anciens.
+L'�tat des lieux du pr�c�dent chapitre est d�crit dans un manifeste dat� de 1996 ayant pouss� Matthias Ettrich � fonder en r�action le projet KDE, puis Miguel de Icaza � fonder le projet GNOME l'ann�e suivante, qui s'inspirent de Mac OS et de Windows sur le plan de l'ergonomie logicielle et de la standardisation des comportements.
+Ces deux projets sont devenus les f�d�rateurs de Linux sur le poste de travail.
+Chacun offre en effet :
+Ces deux environnements de bureau ont atteint r�cemment une maturit� certaine, citons l'ann�e 2003 pour KDE, un peu plus tard pour GNOME. Tr�s actifs, ces deux projets ont n�anmoins l'intention de s'am�liorer nettement pour leurs prochaines versions majeures ; les efforts dans ce sens sont concentr�s au sein des projets Appeal pour KDE, et ToPaZ pour GNOME.
+Techniquement, ils reposent tous deux sur de nombreuses technologies communes, au premier rang desquelles le syst�me de fen�trage X11. Pour �viter de dupliquer certains efforts, une zone informelle de collaboration entre ces projets du nom de Freedesktop a �t� mise en place.
+C'est dans l'approche de l'ergonomie (celle-ci �tant relative au type d'utilisateur) et dans la conception du r�le d'un environnement du bureau qu'ils diff�rent : l'environnement KDE pousse loin la volont� d'int�gration entre les applications, poss�de de tr�s nombreuses fonctionnalit�s avanc�es et joue la carte de la configuration tout en veillant � avoir des bons choix par d�faut ; GNOME se veut plus �pur� et se consacre sur les t�ches essentielles (reprenant la philosophie making things just work). Chacun pla�t, par cons�quent, � un public diff�rent.
+On peut noter �galement la mont�e en puissance d'un troisi�me environnement de bureau appel� XFCE, qui vise � fournir un environnement complet bas� sur GTK+ comme GNOME, tout en restant plus l�ger que ce dernier ou KDE.
+La communaut� du Libre a produit un grand nombre de logiciels utilisables dans de nombreux domaines.
+Des exemples de logiciels donn�s � titre indicatif :
+La plupart des distributions Linux proposent un programme permettant de naviguer dans une liste de milliers de logiciels libres test�s et pr�configur�s sp�cialement pour une distribution. Ces programmes libres sont alors t�l�charg�s et install�s en un clic de souris, avec un syst�me de signature �lectronique garantissant que personne ne leur a ajout� de virus ou de spyware.
+Certains logiciels propri�taires importants ont �galement une version Linux. C'est le cas de Opera, Macromedia Flash Player, Acrobat Reader, NeroLinux ou Skype par exemple.
+La notion de portabilit� d�signe la capacit� d'un programme � �tre utilis� sous diff�rents syst�mes d'exploitation ou architectures.
+Enfin, il est possible d'utiliser des logiciels faits pour Microsoft Windows sur un poste Linux gr�ce � une impl�mentation de l'API Windows sous Linux comme WINE. Des offres commerciales bas�es sur WINE comme CrossOver Office permettent d'utiliser presque sans probl�mes des logiciels tels Microsoft Office et Adobe Photoshop issus du monde Windows.
+Il existe de nombreux jeux disponibles sous Linux, gratuits ou payants, libres ou propri�taires. L'offre comporte aussi bien des petits jeux de bureautique (cartes, d�mineur, �checs, golf) que des jeux commerciaux r�cents (Enemy Territory : Quake Wars)
+Certains jeux sont con�us pour tourner nativement sous Linux (Quake 3 par exemple), et d'autres peuvent �tre lanc�s � l'aide de programmes impl�mentant l'API Windows sous Linux. Il en existe plusieurs impl�mentations, dont certaines sp�cialement pour les jeux, permettant ainsi de faire fonctionner de nombreux jeux con�us pour Windows, dans des environnements comme Cedega et WINE (ex.World of Warcraft). Le dernier recours des joueurs linuxiens consiste tout simplement � utiliser parall�lement Windows sur le m�me ordinateur gr�ce au multiboot ou � la virtualisation.
+Les programmes les plus connus en mode texte accessibles depuis la ligne de commande comprennent vim, emacs, sed, apt... Une certaine partie d'entre eux peut aussi s'utiliser par l'interm�diaire d'une interface graphique.
+Par ailleurs, les programmes fonctionnant en mode console sont relativement nombreux. Les raisons sont multiples :
+L'utilisation de ces programmes peut s'av�rer difficile pour une personne n'�tant pas habitu�e � travailler en mode texte, des personnes venant de Windows par exemple. D'un autre c�t�, ils sont relativement pris�s par les utilisateurs avanc�s des syst�mes de type UNIX.
+Les logiciels qui utilisent une biblioth�que libre peuvent fonctionner sur Linux et sur toutes les plates-formes o� la biblioth�que est implant�e. Ces biblioth�ques peuvent ajouter une surcouche graphique sur des applications texte d�j� existantes comme c'est le cas de Vim, mais elles servent surtout � d�velopper des logiciels accessibles aux non-informaticiens et disposant des fonctionnalit�s autoris�es par les interfaces graphiques, comme le glisser-d�poser, les manipulations � la souris, etc.
+D'autres applications comme Blender ou Google Earth sont un cas � part car ils utilisent la biblioth�que OpenGL destin�e � la base � l'impl�mentation ainsi qu'� la gestion de programmes utilisant la 3D (mais aussi la 2D).
+Plusieurs logiciels d'�mulation existent permettant de simuler le fonctionnement de syst�mes d'exploitation concurrents ou des environnements de jeu.
+Les programmes Steem et ARAnyM �mulent une bonne partie des applications �crites pour les machines Atari, notamment les Atari ST et Atari TT, UAE (Unix Amiga Emulator) permet d'�muler le Commodore Amiga, Basilik les anciens Mac 68000 d'Apple. Tous ces �mulateurs �mulent les microprocesseurs de la famille 68000 de Motorola qui �quipaient ces ordinateurs, ainsi que les coprocesseurs sp�cialis�s de l'Amiga.
+MESS (souvent associ� a MAME) permet d'�muler de la m�me fa�on un grand nombre de micro-ordinateurs 8bits. Il existe �galement des �mulateurs sp�cialis�s pour chacun de ces micro-ordinateurs. Euphoric pour les Oric, FMSX pour les MSX, mais aussi des �mulateurs Spectrum, Commodore, etc.
+Des applications d�velopp�es pour Windows peuvent tourner sous un syst�me Linux via les applications Wine et son d�riv� commercial Cedega qui r�impl�mente le fonctionnement des principales API de Microsoft Windows. Le microprocesseur n'est pas �mul�, seul les fonctions des APS sont remapp�es � la vol�e sur les API utilis�es nativement dans Linux. Par exemple : DirectX utilise OpenGL, la gestion de l'impression est relay�e � CUPS ou LPR, des p�riph�riques USB � libusb, les tablettes graphiques � XInput, etc. Cela permet dans de nombreux cas des performances proche de l'execution native, tout en �vitant les probl�mes de certains pilotes de p�riph�riques inh�rent � Windows. Dans certains cas sp�cifiques, les performances de certaines applications peuvent se trouver d�grad�es. De nombreux utilitaires, applications de tous domaines et jeux tournent parfaitement, mais pas tous. Le site de Wine r�f�rence les applications fonctionnant et celles posant probl�mes.
+En outre, Linux ouvre �galement la possibilit� d'obtenir une parfaite s�paration entre plusieurs environnements virtuels tournant sur un seul ordinateur physique, en prenant en compte les modules de virtualisation pr�sents dans les processeurs r�cents comme AMD-V sur AMD et Intel-VT (ou IVT) sur Intel. Ces environnements de virtualisation permettent d'ex�cuter des environnements diff�rents ou plusieurs environnements similaires sur une m�me machine, tout en assurant une certaine s�curit� dans la s�paration des acc�s. Ce syst�me est utilis� depuis longtemps par les mainframes d'IBM. IBM a d'ailleurs port� Linux sur celles-ci afin de permettre � ses clients de continuer � les utiliser avec un syst�me plus moderne.
+Virtualbox est plut�t orient� poste de travail, permettant de faire tourner un syst�me Windows (par exemple) dans une fen�tre et ainsi de garder la stabilit� du syst�me Linux, tout en utilisant certaines applications disponibles sur ces syst�mes. Cela permet de migrer l'environnement de travail en douceur et sans probl�mes. Le syst�me h�te Linux n'est pas affect� par le syst�me virtuel. Il reste donc utilisable, m�me en cas de probl�mes que pourrait rencontrer le syst�me virtuel.
+Xen et VMware sont quant � eux plus orient�s serveur, ils donneront de meilleurs performances concernant l'ex�cution de machines virtuelles pour d�livrer des services.
+Il en existe �galement d'autres, comme Qemu ou encore Bochs qui lui �mule aussi le processeur, rendant le syst�me invit� beaucoup plus lent.
+La prise en charge de l'�quipement mat�riel est l'une des critiques principales faites � Linux. En effet, tous les mat�riels pour micro-ordinateurs ne sont pas forc�ment pris en charge directement par Linux et les pilotes d�velopp�s par les constructeurs et compatibles avec Linux ne sont pas toujours disponibles. Certains fabricants fournissent syst�matiquement des pilotes pour Microsoft Windows et Mac OS X, alors que sous Linux, la communaut� est souvent oblig�e de les d�velopper elle-m�me, souvent par r�tro-ing�nierie. Parfois, la communaut� pr�f�re d�velopper des pilotes libres stables bien que des pilotes propri�taires d�velopp�s par les constructeurs existent (c'est le cas pour les cartes graphiques ATI ou NVidia). Dans cette optique, les pilotes n�cessaires pour faire fonctionner pleinement un ordinateur sont int�gr�s � la plupart des distributions Linux. Ce sont les p�riph�riques de second niveau qui risquent dans certaines circonstances de ne pas avoir de pilotes disponibles, notamment certaines imprimantes, modems, webcams, etc. Cependant les utilisateurs de Windows ou MacOS sont parfois �galement confront�s � des probl�mes de pilotes lorsqu'ils installent une nouvelle version de leur syst�me et l'absence de code source emp�che une recompilation des pilotes propri�taires. Enfin, il arrive qu'il n'y ait des pilotes que pour Linux, et pas pour Windows ou Mac (supercalculateurs, serveurs internet haut de gamme, consoles de jeu PlayStation, anciens p�riph�riques dont le support � �t� arr�t� par les constructeurs...). Le mat�riel ancien peut �tre g�n�ralement recycl� sous Linux, car la p�rennit� des pilotes libres est �galement l'un des points forts de Linux.
+La premi�re raison de cette situation est le faible impact de Linux chez les particuliers, ce qui n'incite pas les fabricants � investir dans le d�veloppement de pilotes pour cet environnement. La seconde raison est le refus de certaines distributions (Fedora ou Debian, par exemple) d'embarquer des pilotes sous licences propri�taires, m�me quand ceux-ci existent, ce qui oblige l'utilisateur � les trouver et � les installer manuellement. Enfin, l'absence d'une API fixe dans le noyau Linux oblige les fabricants � d�livrer des binaires des pilotes adapt�s � chaque version du noyau[r�f. n�cessaire].
+Les utilisateurs qui travaillent sur plusieurs plates-formes et qui ont besoin de ces pilotes peuvent trouver des versions d�velopp�es par de tierces parties, mais de tels pilotes ne supportent g�n�ralement qu'un ensemble rudimentaire de fonctions, et n'apparaissent qu'apr�s la sortie du mat�riel, avec un certain temps de latence. Il existe cependant des m�canismes pour faire fonctionner certains pilotes d�velopp�s pour d'autres syst�mes d'exploitation (comme NdisWrapper).
+Les webcams sont, par exemple, particuli�rement concern�es par cette absence de pilotes, mais le protocole USB video device class ou UVC permet de r�pondre � ce probl�me avec de nombreuses webcams supportant ce protocole 29. Aujourd'hui de plus en plus de grands constructeurs font des efforts pour d�velopper ou fournir les informations pour le d�veloppement de pilotes libres pour Linux, comme Creative Labs pour ses webcams ou cartes sons 30, Intel (processeurs, chipsets 3D, cartes r�seau, etc.) ou des assembleurs (l'Am�ricain Dell 31 et le Ta�wanais Asus, pouss� par Intel 32, ainsi que les Chinois Lineo ou Everex vendent par exemple des ordinateurs avec Linux pr�install�, mais de nombreux autres composants n�cessitent de v�rifier la disponibilit� de pilotes avant l'achat, s'ils sont destin�s � une utilisation sous Linux.
+Aujourd'hui, Intel a une v�ritable strat�gie pour s'imposer sur le march� des Ultra-Mobile PC en proposant aux constructeurs une plateforme construite autour de GNU/Linux (projet Moblin), c'est le cas r�cent de la machine EeePC d'Asus et de plusieurs machines du m�me cr�neau.
+En raison de la parent� de GNU/Linux avec UNIX, GNU/Linux s'est impos� sur le march� des serveurs informatiques tr�s rapidement. Un point crucial a �t� la possibilit� d'utiliser un syst�me d'exploitation de type UNIX sur du mat�riel compatible PC, beaucoup moins cher que les solutions � base d'UNIX propri�taire et de mat�riel sp�cifique. De nombreux logiciels serveurs tr�s demand�s et tr�s utilis�s (serveur HTTP, base de donn�es, Groupware, serveur de messagerie �lectronique...) sont disponibles gratuitement, en g�n�ral sans aucune limitation, et fiables, la part de march� de Linux dans ce domaine a en cons�quence cr� rapidement.
+GNU/Linux ayant une r�putation de stabilit� et d'efficacit� dans la maintenance, il remplit les exigences pos�es � tout syst�me d'exploitation pour serveurs. De plus, la modularit� d'un syst�me bas� sur le noyau Linux permet l'exploitation de serveurs d�di�s � une t�che particuli�re. Le portage du noyau Linux sur de nombreux composants hardwares fait que Linux est aujourd'hui utilisable sur toutes les architectures utilis�es dans ce domaine. Le mat�riel utilisable est en cons�quence consid�rable. Les derniers IBM eServer p5 et IBM eServer i5 sont par exemple support�s par IBM avec un syst�me d'exploitation Linux et permettent d'y ex�cuter plusieurs syst�mes Linux en parall�le.
+La part de march� des serveurs Linux s'�tablit en 2004 � environ 10 % avec une forte croissance annuelle de 50 % [Information de l'article allemand ; sources � trouver]. Il est utilis� dans � peu pr�s tous les domaines. Un des exemples les plus connus est r�sum� par l'acronyme LAMP, o� Linux propulse un serveur web Apache associ� � la base de donn�es MySQL et au langage de programmation PHP (alternativement : Perl ou Python). Linux est �galement souvent utilis� comme serveur de fichiers, le plus souvent dans les r�seaux Windows gr�ce au serveur Samba, moins souvent sous NFS ou AppleShare.
+Linux, qui jouit d'une bonne r�putation en mati�re de s�curit� et de performance (passage � l'�chelle) est tr�s utilis� dans le domaine des r�seaux informatiques, par exemple comme passerelle, comme routeur ou comme pare-feu.
+La disponibilit� du code source, et la possibilit� qui en d�coule d'adapter le syst�me � une t�che pr�cise, a permis � Linux de faire son entr�e dans les centres de calculs. Sur ce march� des ordinateurs centraux, gros ordinateurs ultra-fiables optimis�s pour le traitement massif de donn�es, omnipr�sents dans les banques, les soci�t�s d'assurances et les grandes entreprises, Linux fait de plus en plus concurrence aux syst�mes UNIX propri�taires qui �taient autrefois la norme.
+Linux a �t� tr�s t�t utilis� dans le domaine des grappes de serveurs (en anglais : clusters), par exemple par le moteur de recherche Google d�s le milieu des ann�es 1990. Dans cette configuration, associ�e � la notion de grille de calcul, de simples ordinateurs tournant sous une distribution sp�cialis�e de Linux travaillent ind�pendamment au sein d'un grand r�seau d'ordinateurs.
+Les superordinateurs sont con�us pour atteindre les plus hautes performances possibles avec les technologies connues, en particulier en termes de vitesse de calcul. En novembre 2006, selon TOP33 Linux fait tourner 74% des cinq cents plus puissants ordinateurs du monde (contre 20 % pour UNIX) dont les plus puissants, les deux serveurs Blue Gene d'IBM (40 960 et 131 072 processeurs). En novembre 2007, c'est plus de 85 % des superordinateurs qui utilisent Linux, contre 6% pour UNIX et 1,20 % pour Windows. En novembre 2008 c'est 87.8 % des superordinateurs qui se trouvent sous Linux contre 4.60 % pour UNIX. http ://www.top.org/stats/list/32/osfam
+Linux se trouve aussi au coeur de nombreux appareils informatiques ou d'�lectronique grand public, et parfois sans que l'usager le sache. Il s'agit notamment d'�quipement r�seau et de petits appareils num�riques destin�s � la consommation de masse, �quip�s en g�n�ral d'un processeur sp�cialis� �conome en �nergie et d'une m�moire flash.
+Le succ�s de Linux dans ce domaine tient, ici comme ailleurs, � ce que les fabricants appr�cient de pouvoir d'une part adapter le logiciel � leurs besoins (consommation, interface, fonctions annexes, etc.), d'autre part de b�n�ficier de l'exp�rience et du travail d'une communaut� active. Linux est aussi appr�ci� dans ce domaine pour sa fiabilit�, sa r�sistance aux attaques des pirates informatiques sur les r�seaux et bien s�r sa gratuit�.
+Des forums de coop�ration sp�cialis�s aident les fabricants de ces produits en mettant � disposition instructions, programmes et exemples de codes, et en s'effor�ant de standardiser les interfaces de programmations de Linux dans l'embarqu�. L'OSDL a lanc� le 17 octobre 2005 la Mobile Linux Initiative pour acc�l�rer la progression de Linux dans ce domaine.
+Linux fait tourner plusieurs routeurs dont certains mod�les de Linksys, ainsi que divers terminaux fournis par des fournisseurs d'acc�s Internet (comme la Freebox en France).
+Linux se retrouve �galement sur une gamme de t�l�phones portables ("Linux phones" : Motorola, etc.), sur l'assistant personnel Sharp Zaurus et les tablettes Internet Nokia 770, Nokia N800 et Nokia N810. Dans le domaine des assistants de navigation personnels, les syst�mes GPS autonomes de TomTom sont con�us � partir d'une plate-forme Linux.
+Linux est utilis� dans des lecteurs de salon DivX, des t�l�viseurs et des d�codeurs TNT, sur des baladeurs audio comme ceux de SanDisk et sur les baladeurs multim�dias d'Archos.
+La GP2X de GamePark, console de jeux vid�o portable
+La PlayStation 3 de Sony utilise un syst�me d'exploitation avec le noyau Linux d�velopp� sp�cialement pour la machine.
+La Pandora (console), console de jeu "open source" qui a un syst�me d'exploitation Linux compil� pour processeurs ARM (r).
+Les raisons pour lesquelles Linux est r�put� avoir une bonne s�curit� informatique sont diverses et d�pendent �galement du domaine d'utilisation.
+Ainsi, sur le poste de travail, Linux b�n�ficie d'une stricte s�paration des privil�ges, ce qui dans la pratique n'est souvent pas utilis� avec des syst�mes concurrents. Une des cons�quences est qu'un ver ou virus informatique ne peut acc�der qu'� une partie des ressources et fonctionnalit�s d'un syst�me Linux, mais ni aux donn�es importantes du syst�me, ni aux donn�es d'�ventuels autres utilisateurs.
+Par comparaison avec d'autres syst�mes grand-public, Linux, et avant lui UNIX, s'est propag� d'abord parmi des gens poss�dant un solide bagage technique et sensibles aux probl�mes de s�curit� informatique d'autant plus que les premi�res vuln�rabilit�s informatiques sont apparues sous UNIX (1972) ainsi que les premiers virus et vers. Le d�veloppement de Linux s'est, par cons�quent, d�roul� dans un contexte o� la s�curit� �tait une question critique, comme en t�moigne le nombre de logiciels de qualit� dans ce domaine qui sont libres et originaires du monde Linux/UNIX.
+Dans le domaine des serveurs, le degr� de s�curit� d�pend, par comparaison, avant tout du degr� d'exp�rience qu'a l'administrateur syst�me. L�, Linux marque des points gr�ce � sa libert� d'utilisation, qui permet sans risque et sans surco�t de tester abondamment divers sc�narios sur d'autres ordinateurs, et d'y acqu�rir ainsi une exp�rience utile.
+Il existe une s�rie de distributions sp�cifiquement ax�es sur la s�curit�, et des initiatives telles que SELinux de la National Security Agency pour atteindre des niveaux de protection toujours plus hauts. Mais aussi, une s�rie de distribution ax�e sur l'anti-s�curit�, comme Damn Vulnerable Linux, pour sensibiliser les experts et les aspirants, aux probl�matiques de s�curit� sur ce syst�me d'exploitation.
+Un autre argument avanc� est la vari�t� des plates-formes mat�rielles support�es, ainsi que les solutions logicielles. Une faille de s�curit� touchant le plus populaire client email ne touchera qu'une fraction des linuxiens ; par contraste, une faille touchant Outlook Express peut toucher d'un coup une proportion �norme des utilisateurs de Windows. Cette th�se est d�velopp�e dans un rapport �crit par des sommit�s du domaine comme Bruce Schneier pour le compte de la CCIA et reprise par la soci�t� Gartner dans un document. Une partie est traduisible ainsi :
+� La plupart des ordinateurs tournent sous Microsoft(TM), et, par cons�quent, la plupart des ordinateurs du monde sont vuln�rables aux m�mes virus et aux m�mes vers au m�me moment. Le seul moyen d'�viter cela est d'�viter la monoculture logicielle dans le domaine des syst�mes d'exploitation pour les m�mes raisons raisonnables et �videntes pour lesquelles on �vite la monoculture en mati�re d'agriculture. Microsoft exacerbe ce probl�me via une panoplie de pratiques visant � verrouiller ses utilisateurs � sa plate-forme. L'impact sur la s�curit� de ce verrouillage est r�el et repr�sente une menace pour la soci�t�. �+
Enfin, le fait que Linux et nombre de logiciels tournant sous Linux soient des logiciels libres permet que son code source soit �tudi� d'un oeil critique par quiconque d�sirant le faire, que ce soit pour effectuer des adaptations, dans un cadre �ducatif, pour r�pondre aux int�r�ts priv�s d'une entreprise/institution ou par simple int�r�t personnel (pour en exploiter les vuln�rabilit�s par exemple). En relation avec cela, on entend souvent l'argument que les failles de s�curit� sont corrig�es plus rapidement, affirmation approuv�e et r�fut�e par diverses �tudes, en fonction g�n�ralement de leur source de financement. Enfin, la libert� des logiciels rend inutile le recours au piratage des logiciels, aux cracks ou autres sites warez tr�s populaires parmi les adeptes des autres syst�mes d'exploitation, et qui constituent un vecteur d'infection des ordinateurs.
+Reste que Linux n'est pas totalement insensible aux probl�mes de s�curit�, comme l'a montr� le ver Slapper en septembre 2002, premier du genre � toucher un nombre notable d'ordinateurs sous Linux, avant tout des serveurs web tournant sous Apache (6 000 � l'apog�e du ver).
+De plus Linux reste un syst�me d'exploitation vuln�rable comme tous les autres, ainsi pr�s de 4 900 vuln�rabilit�s ont �t� recens�es entre 2003 et 2008, celles-ci sont r�parties sur les diff�rentes distributions disponibles 37. Celles-ci ont �t�, pour la plupart, corrig�es assez rapidement, tandis que d'autres subsistent.
+La gestion num�rique des droits (DRM) concerne le domaine du multim�dia, et notamment la musique et les vid�os qui peuvent �tre achet�es sur Internet. Certaines oeuvres sont prot�g�es par des verrous num�riques, visant � contr�ler l'utilisation de l'oeuvre, par exemple en limitant le nombre d'�coutes ou de copies possibles. Ces DRM n�cessitent l'emploi d'une technologie particuli�re, qui est la propri�t� exclusive du fabricant et vendeur desdits DRM, ce qui explique que la lecture d'une oeuvre prot�g�e se trouve li�e � l'utilisation d'un programme sp�cifique. Les deux plus grand fabricants de syst�mes de gestion des droits num�riques, Microsoft et Apple, conditionnent l'usage des oeuvres prot�g�es par leurs syst�mes � l'utilisation respective de Windows Media Player, et de iTunes. Ces soci�t�s vendant leur propre syst�me d'exploitation, elles ne souhaitent pas proposer de version de leurs programmes pour Linux. Ainsi, il n'est souvent pas possible pour les utilisateurs de Linux d'acheter en ligne de la musique sur un site de t�l�chargement payant, ou d'�couter de la musique d�j� achet�e et t�l�charg�e.
+Il existe aussi des DRM sur les CD audio, mais ceux-ci sont beaucoup moins standardis�s et moins courants. La plupart sont con�us pour fonctionner avec les syst�mes d'exploitation de Microsoft et sont donc susceptibles d'�tre totalement inefficace pour un utilisateur de Linux.
+Il ne s'agit pas de limitations techniques, puisque des syst�mes de gestion libres existent 38. Voir aussi Linus Torvalds, selon lequel Linux et la gestion des droits ne sont pas incompatibles.39
+Brad Spengler d�veloppeur chez grsecurity accuse Linux de parfois centrer ses efforts sur les fonctionnalit�s au d�triment de la s�curit�. Il pr�tend que Linus Torvalds lui aurait dit ne pas �tre int�ress� par l'ajout d'options de s�curit� utiles pour �viter des d�bordements de tampon, car cela ralentirait le chargement des applications.
+Il reproche l'absence d'une personne charg�e officiellement de la s�curit�, avec qui il serait possible de communiquer en priv� en toute s�curit�. � la place la seule solution est d'envoyer un e-mail sur une liste de diffusion relative aux questions de s�curit� o� les failles d�couvertes sont parfois utilis�es � des fins malveillantes avant qu'une mise � jour de s�curit� ne soit diffus�e, alors que les usagers de Linux ne sont pas au courant de l'existence de cette faille.
+Enfin il remet en cause l'implantation du syst�me LSM depuis la version 2.6 du noyau qui aurait �t� implant� par laxisme et qui faciliterait l'insertion de rootkits invisibles au sein du syst�me en les faisant passer pour des modules de s�curit�, mais cela est devenu impossible depuis la version 2.6.2442. D'autres d�veloppeurs du noyau reprochent � ce syst�me de consommer des ressources non n�gligeables et de permettre le d�tournement de la licence GPL du noyau en y ajoutant des composantes propri�taires.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le mouvement rastafari (ou "rasta") est un mouvement religieux dont le nom provient de l'amharique Ras Tafari de ras, t�te (mais ici � leader, seigneur �), et Tafari, � Celui qui sera Craint �. Tafari est le pr�nom de naissance donn� � Hail� S�lassi� Ier, (de Haile, � puissance � et Selassie, � trinit� �, en amharique) empereur d'�thiopie de 1930 � 1974. Il est ainsi consid�r� comme un personnage sacr� du fait de son ascendance qui remonterait aux rois bibliques Salomon et David selon la tradition �thiopienne, mais �galement par la signification de son nom de naissance, comme de celui choisi par les pr�tres de l'�glise orthodoxe �thiopienne pour son sacrement. Le choix et la signification des noms ont en effet une importance primordiale dans la culture africaine.
+Le mouvement rastafari est assimil� par certains � une religion, par d'autres � une philosophie, voire � une id�ologie ou un syncr�tisme pour ses emprunts � la Bible. Les rastas, eux, le con�oivent comme un mode de vie, une fa�on de concevoir le monde et tout ce qui le constitue depuis sa cr�ation. Les croyants de ce mouvement sont des rastafariens, souvent appel�s par le diminutif � rastas �.
+L'usage du terme rastafarisme, bien que correct n'est pas accept� par les rastas car ils sont contre la classification de personnes et pr�nent l'unification des peuples. L'usage de la majuscule sur le terme "Rastafari" est pr�f�rable pour eux.
+Pour d'autres, le rastafarisme tirerait sa v�ritable origine du shiva�sme. Le shiva�sme fait partie de l'hindouisme. Shiva, divinit� primordiale dans l'Hindouisme, garde de longs cheveux en dreads. Il est toujours plong� en m�ditation.
+La religion chr�tienne est extr�mement pr�sente en Jama�que (plus de 80% de la population), notamment avec les �glises anglicane, m�thodiste, baptiste, catholique romaine, l'�glise de Dieu et, depuis les ann�es 1970, l'�glise �thiopienne orthodoxe.
+L'�vangile (gospel) est chant� avec ferveur le dimanche dans toute l'�le. Face � l'�mancipation de la mentalit� esclavagiste, puis du colonialisme, se sont cr��s, au d�but du xxe si�cle, diff�rents mouvements � �thiopianistes � o� l'interpr�tation occidentale de la Bible est parfois remise en cause.
+Les traditions des cultes africains interdits par les ma�tres ayant surv�cu sous forme d'Obeah (sorte de vaudou local ill�gal et redout�), du Kumina, et m�lang�es � la Bible, de la Pocomania ou
+Lorsque le Jama�cain Marcus Garvey �migre � Harlem, o� il devient un des premiers meneurs importants de la cause noire, il fait souvent allusion � l'�thiopie dans ses discours. Il �crit ainsi dans son principal ouvrage Philosophy & Opinions :
+� Laissons le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob exister pour la race qui croit au Dieu d'Isaac et de Jacob. Nous, les Noirs, croyons au Dieu d'�thiopie, le Dieu �ternel, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, le Dieu de tous les �ges. C'est le Dieu auquel nous croyons, et nous l'adorerons � travers les lunettes de l'�thiopie. �+
Marcus Garvey est pour beaucoup le premier proph�te noir du mouvement rastafarien. Il annonce la fin des souffrances du peuple noir et son retour aux racines : l'Afrique.
+En 1924, le r�v�rend James Morris Webb prononce un discours cit� par le quotidien conservateur Daily Gleaner : � Regardez vers l'Afrique, o� un roi noir sera couronn�, qui m�nera le peuple noir � sa d�livrance �.
+La presse coloniale d�nonce alors cette doctrine �thiopianiste � vulgaire � qu'ils attribuent � Garvey. Mais le 2 novembre 1930, en �thiopie, Tafari Makonnen, le Ras Tafari, est coiff� de la couronne sacr�e du negus� n�g�st (roi des rois) sous le nom de Ha�l� S�lassi� Ier (� Puissance de la Trinit� �). Il est le chef d'une des premi�res nations officiellement chr�tiennes de l'histoire, l'Abyssinie. Selon le livre sacr� Gloire des Rois (Kebra Nagast), retra�ant l'histoire de son antique dynastie, S�lassi� serait le descendant direct du Roi Salomon et de la Reine Makeda de Saba.
+Des repr�sentants prestigieux des pays occidentaux assistent au sacre tr�s m�diatis� de S�lassi�, qui est per�u par une communaut� d'agriculteurs �thiopianistes de Sligoville (Jama�que), le Pinacle, dirig� par Leonard Percival Howell (v�ritable fondateur du mouvement Rastafari), comme �tant l'accomplissement de la proph�tie attribu�e � Garvey.
+En effet, le � Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs � (1� Timoth�e 6 :15) de la Bible ressemble beaucoup aux titres traditionnels mill�naires de Sa Majest� Imp�riale Ha�l� S�lassi� Ier : � Empereur d'�thiopie, Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs, Lion Conqu�rant de la Tribu de Juda, �lu de Dieu, Lumi�re de l'Univers �. Puisant � la fois dans le marxisme, le christianisme, la culture africaine et plus tard l'hindouisme, Howell consid�re S�lassi� (ou � Jah �, de J�hovah) comme le messie et propose d�s lors une interpr�tation afrocentriste de la Bible.
+Cultivant le chanvre, consid�r� comme un sacrement (fum� dans les chalices) et le diffusant dans l'�le, il est arr�t� pour s�dition en 1933, puis il est intern� � l'asile � plusieurs reprises, alors que le Pinacle est d�truit maintes fois par la police. Diff�rents mouvements �thiopianistes de lib�ration, comme le mouvement Bobo de Prince Emmanuel, se d�veloppent parall�lement en Jama�que. Ils prennent pourtant peu � peu un nom g�n�rique, Rastafari, et visent, en partie, � restituer � l'homme noir le r�le important qu'il a jou� dans la civilisation, � commencer par la Bible, o� les anc�tres Juifs de S�lassi� seraient naturellement, comme lui, Noirs : Mo�se, J�sus, etc.
+Progressivement, et selon le voeu de J�sus et des Nazir�ens (Nombres 6 - 5), beaucoup de Rastafariens ne se coupent ni la barbe ni les cheveux, (lien) une coiffure souvent compar�e � la crini�re du Lion de Juda sacr�. Des � locks � (noeuds, boucles) ou � dread (�pouvante) locks � se forment ensuite naturellement dans leurs cheveux cr�pus.
+Ce signe de reconnaissance deviendra une mode internationale � partir de 1976. Proches de la terre, g�n�ralement les Rastas ne boivent pas d'alcool, le vin �tant proscrit (Nombres 6 - 3), ne touchent pas aux morts (beaucoup de Rastas ne font m�me jamais allusion � la mort, mais au contraire � chantent la vie �), sauf ceux de leur proche famille (L�vitique 21 - 1), et le corps humain est consid�r� comme l'�glise (Corinthiens 3 - 16, 17), rejetant ainsi le principe m�me des temples ou des �glises.
+D�sireux de se maintenir en bonne sant�, ils suivent en principe un r�gime sp�cial qu'ils appellent "I-tal" (vital) (G�n�se 1 :29 et 9 :4), qui se compose de riz, de fruits, de racines, de graines et de l�gumes. Ce r�gime exclut toute nourriture non biologique.
+Quant au nom "Rasta", il provient de celui, divin, de S�lassi� : le Ras (t�te, correspond �tymologiquement et protocolairement � son titre de duc) Tafari (son pr�nom). Leurs couleurs sont celles de l'�thiopie imp�riale (rouge, or et vert, couleurs de l'Afrique frapp�es du Lion de Juda).
+D�s lors, les Rastas, incompris, blasph�matoires, fumeurs de chanvre (la ganja, � l'herbe de la sagesse � qui aurait pouss� sur la tombe de Salomon) deviennent des parias maltrait�s. En 1954, le Pinacle est ras�, et ils s'installent � Kingston, � Back-o-Wall. Le nom de ce ghetto provient de sa situation g�ographique : il est attenant au mur d'un cimeti�re, et nombre de Jama�cains craignent de s'y installer par peur des � duppy � (fant�mes).
+Suite � la proph�tie annon�ant le couronnement d'un roi en Afrique, l'av�nement au pouvoir du monarque Ha�l� S�lassi�, sous le titre biblique de � Roi des rois, Seigneur des seigneurs, Lion conqu�rant de la tribu de Juda, Lumi�re du Monde � est apparu pour les rastas comme la r�v�lation d'un envoy� de Jah, qui les m�nerait � la lib�ration de leurs souffrances. Ainsi, il est commun�ment affirm� qu'Ha�l� S�lassi�, � l'image de J�sus, est Jah incarn�, Homme et Dieu.
+Cette croyance est tr�s importante dans la philosophie rasta, bien que souvent difficilement accept�e, y compris parmi les gens proches du mouvement. Ainsi l'artiste-producteur Yabby You, bien que tr�s mystique, a-t-il toujours refus� cette divinit�. La l�gende raconte qu'il tire son surnom de Jesus Dread du fait qu'il demandait aux chanteurs travaillant pour lui de mentionner J�sus au lieu de Selassi� dans leur paroles...
+Ha�l� S�lassi� lui-m�me n'a jamais reconnu le culte rasta envers sa personne, bien qu'il ait montr� sa reconnaissance envers les rasta en effectuant des donations de terre en �thiopie, puis en effectuant un voyage m�morable en Jama�que en 1966. Cette terre se nomme Shashamane : Haile S�lassi� offre cette terre dans les ann�es 50 � tous les membres de la diaspora noire qui d�sireront rentrer en Afrique par le biais de l'Ethiopian World Federation (EWF) dont il est le fondateur. Ce fut un acte pour remercier les Noirs am�ricains et carib�ens pr�sents lors de son couronnement � Addis-Abeba et qui essay�rent de sensibiliser l'opinion au sort de l'�thiopie apr�s l'invasion des troupes italiennes dans le pays. Ce terrain serait ainsi devenu pour certains Rastas le symbole du rapatriement en Afrique.
+Ainsi, aux dignitaires rastas rencontr�s lors de sa visite en Jama�que, r�pondant au d�sir de ceux-ci de retourner en Afrique, a-t-il fait la proposition suivante : � Ne rentrez en Afrique que lorsque vous aurez lib�r� tous les Jama�cains oppress�s dans leur pays. �
+Enfin, la vie et la mort d'Ha�l� S�lassi� poss�dent une dimension symbolique forte, en particulier dans sa mort et les p�rip�ties qui ont suivi. Pour les rastas, Hail� S�lassi� n'a pas disparu (Jah Live de Bob Marley). Voir sa page pour plus de d�tails sur la mort de S�lassi� et ses diff�rentes s�pultures.
+Ha�l� S�lassi� fait une visite officielle en Jama�que en avril 1966.
+A son arriv�e, des milliers de Rastas lui r�servent, � sa surprise, un impressionnant accueil. Le mouvement prendra par la suite encore plus d'ampleur, bien que S�lassi�, bienveillant avec les Rastas, ne pr�tende lui-m�me jamais �tre le dieu vivant.
+Cette visite a eu une forte r�percussion sur l'importance et la popularit� du mouvement Rasta. En effet, les autorit�s n'ont pas �t� en mesure de s�curiser la foule lors de l'arriv�e de l'avion officiel sur le sol Jama�cain. Celle-ci �tait tellement importante et excit�e � l'id�e de voir enfin le Roi des Rois, qu'il a fallu chercher un m�diateur pour la canaliser. Celui-ci sera incarn� par Mortimer Planno, tr�s connu � l'�poque pour ses enseignements Rasta, qui toucheront beaucoup Bob Marley entre autres. Ainsi, Mortimer Planno sera dor�navant pr�sent � chaque sortie publique d'Ha�l� S�lassi� durant ce voyage.
+Il va sans dire qu'une telle chose n'�tait absolument pas pr�vue par le protocole, et a consist� en une manifestation importante de la pr�sence des Rastas.
+D'autre part, cette visite a �t� pour beaucoup de Jama�cains l'occasion de se confronter aux diff�rentes croyances v�hicul�es par le mouvement, et de s'en faire sa propre id�e. Ainsi, lors de cette visite, Rita Marley, en observant la main d'Ha�l� S�lassi�, est persuad�e d'y avoir vu les stigmates du Christ. Bob Marley devint rasta cette m�me ann�e 1966. De retour en �thiopie Ha�l� S�lassi� Ier s'adresse � ses confidents en ces termes : � Il y a un gros probl�me en Jama�que...� En effet le roi d'�thiopie n'a jamais reconnu le culte rasta envers sa personne. Ce qui est interpr�t� par de nombreux rastas (et avec cet humour qui leur est propre) comme la manifestation d'une dignit� toute divine. � l'occasion de ce voyage Selassi� s'assit autour d'une table avec 32 rastas repr�sentant chacun une communaut�. La discussion est centr�e sur le th�me du retour en Afrique. S�lassi� leur offrira � cette occasion une terre �thiopienne, shashamany, jusqu'alors r�serv� aux Falashas (juifs �thiopiens). Mais seuls quelques rastas (principalement de la communaut� des Twelwes Tribes Of Isra�l) reviendront aux pays de leurs anc�tres.
+Back-o-Wall est ras� le 12 juillet 1966 avec violence. De plus en plus de musiciens de rocksteady puis de reggae, jusque-l� g�n�ralement proches de la soul am�ricaine et des �glises, transmettent le message rebelle rasta avec leurs chansons.
+Le style des trois tambours nyahbinghi jou� lors des c�r�monies rastas (grounations) se r�pand (Bob Marley en tirera une chanson, Selassie Is The Chapel). � partir de 1970, un courant rasta majoritaire traverse le reggae. Bob Marley fait d�couvrir au monde cette culture qui met en valeur l'histoire d'Afrique, m�connue malgr� son extraordinaire richesse. Les Rastas commencent alors � obtenir le respect dans leur pays malgr� une r�pression utilisant la prohibition de la d�tention de chanvre, punie de bagne malgr� une pratique r�pandue dans toute la population de l'�le.
+D'autre part, l'industrie musicale s'ouvre enfin au message Rasta dans la production de chansons Conscious aux paroles ouvertes au message des Rastas. Ainsi, jusqu'alors m�pris� par les producteurs et distributeurs de l'�le, le message Rasta commence, apr�s qu'un certain nombre de rastas, dont certains expuls�s de Back-o-Wall se sont install�s dans les ghettos de Kingston, comme Trenchtown, et apr�s la visite d'Ha�l� S�lassi�, � se faire sentir aupr�s de la population d�sh�rit�e de l'�le.
+Alors qu'auparavant, les producteurs, � l'instar de Duke Reid, les refusaient cat�goriquement, certains, comme Clement Seymour Dodd, dit Coxsone, ouvrent leur production aux compositions comportant un message spirituel et engag�, contrairement aux chansons d'amour qui pr�valaient durant l'�poque du rocksteady. Son studio, Studio One se met alors � produire des groupes et artistes aux paroles inspir�es du message Rasta, comme The Gladiators, The Abyssinians, ou encore Dennis Brown et bien d'autres encore. Le fait que Coxsone ait �t� un des seuls � tol�rer la consommation de chanvre dans son studio n'est certainement pas �tranger � la pr�sence � Studio One de ces groupes initiateurs du reggae roots.
+Si les Rastas perdent de l'influence chez les jeunes Jama�cains apr�s la disparition de Marley en 1981, ils restent tr�s pr�sents et font un retour massif, unanime, dans le reggae � partir de 1994 avec Garnett Silk, Buju Banton, Tony Rebel, Mutabaruka, Sizzla, etc. De nombreuses et diff�rentes tendances rasta cohabitent en Jama�que et sont parfois contradictoires. Les Bobo Ashanti, les Emmanuelites, les Ites, notamment, ainsi que des courants chr�tiens plus traditionnels.
+Les positions des individus se r�clamant rastas vont du racisme le plus primaire issu de la lutte contre l'esclavage et le colonialisme, ou d'un ethnocentrisme noiriste militant, garveyiste � outrance, parfois teint� de racisme, jusqu'� une philosophie universaliste profonde, o� la recherche de sa propre identit�, de son acceptation, de la tol�rance et de la nature humaine rejoint les philosophies et asc�ses orientales.
+L'organisation des Douze Tribus d'Isra�l tente de f�d�rer les Rastafariens, mais sans r�el succ�s. En 1997, un parti d'ob�dience Rasta cherche m�me � se pr�senter aux �lections.
+Pacifiques mais fiers, affichant g�n�ralement une certaine arrogance, les Rastas d�noncent la soci�t� pa�enne (les personnes sans conscience de l'aspect sprirituel de la vie et de la nature en g�n�ral), Babylone, et r�pandent leur culture dans le monde entier.
+La foi rasta permet avant tout � beaucoup de Jama�cains pauvres de retrouver une dignit� et un sens � leur vie difficile, en restant d�tach�s de l'identit� coloniale et ancr�s dans leurs racines africaines. L'id�e universelle de base �tant d'� �tre soi-m�me � et de � se conna�tre �.
+La culture et les pr�ceptes Rasta tendent � se cristalliser en une nouvelle religion organis�e, qui serait ainsi la plus importante n�e au vingti�me si�cle. Pour de nombreux Rastas, cette tendance est une d�rive.
+La culture rasta est un tout form� par l'agr�gation d'un certain nombre de croyances, de coutumes et de traditions. Il est ainsi vain de proposer une caract�risation exhaustive et universelle de la culture rasta. Celle-ci est au contraire bas�e sur la diff�rence et se revendique comme une unit� dans la diversit�.
+Cependant, il existe des points de rep�res caract�risant les croyances rasta, principalement le port des dread locks, la consommation de ganja, et les habitudes alimentaires, bien que ces caract�ristiques ne soient pas adopt�es par tous. Contrairement aux id�es re�ues, le Reggae n'est pas en soi une marque caract�ristique des croyances rasta, mais bien un vecteur servant le message, selon le concept ancestral tr�s courant dans ces cultures : la transmission orale. Le genre musical le plus proche des rastas est plut�t le Nyabinghi. Enfin, une grande partie de la culture rasta est directement inspir�e de la Bible, comme le concept de Babylone.
+Les rastas respectent la version de la bible accept�e par les anglicans (King James Bible), mais remettent en question certains passages, consid�rant que celle ci a �t� r��crite � l'avantage des blancs. Ils utilisent donc la Holy Piby, version de la bible r��crite au d�but du XXe si�cle par Robert Aathlyi Rogers, dont le but est de prouver que le Christ ainsi que l'ensemble des enfants d'Isra�l sont noirs.
+Les fondements de la culture rasta se trouvent dans la Bible. En effet, rasta est une spiritualit� revendiquant son attache aux fondements de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments. Les rastas se reconnaissent dans la Bible et s'en inspirent constamment. Ainsi, la coutume veut que la premi�re occupation d'un rasta au lever soit la lecture d'un chapitre de la Bible, selon l'adage : � A chapter a day keeps the devil away �, soit : un chapitre par jour tient le diable �loign�.
+Certains passages de la Bible sont tr�s importants dans les croyances rasta. Ainsi, le deuxi�me exode � Babylone, et la premi�re destruction du temple de J�rusalem est pour les rastas l'incarnation de leur exil d'Afrique, esclaves des Babyloniens modernes que furent les colons britanniques. Ainsi s'explique le concept de Babylone, qui est la m�taphore de l'exploitation des Juifs par les Babyloniens. Puis, par extension, le concept va s'�tendre � tous les aspects qu'ils rejettent dans la soci�t� import�e par les colons, comme le mat�rialisme, l'argent, le capitalisme, la police... Ici aussi, les limites du concept sont assez floues et peuvent varier d'un rasta � un autre...
+Toujours en s'inspirant de la Bible (J�r�mie 51), les rastas pensent souvent que la civilisation occidentale a perdu les valeurs fondamentales (la nature, le respect, l'amour de l'autre...) au profit d'une soci�t� bas�e sur l'argent, la r�ussite personnelle et de plus en plus �loign�e de la nature. Ainsi, de la m�me fa�on que Dieu avait d�truit la cit� de Babylone qui avait p�ch� par exc�s d'orgueil, les rastas proph�tisent la chute du syst�me (� shitstem �) de Babylone.
+Les textes de la Bible sont le fondement des croyances rasta, comme celui de Rivers of Babylon, psaume 137.
+Cependant ils pensent que la Bible ne repr�sente que la moiti� de leur histoire : � Half the story has never been told �. L'autre moiti� r�siderait dans le coeur de chacun.
+Un tr�s bon exemple de l'influence Biblique est le voeu de Nazarite. Les Rasta, pour expliquer leur mode de vie, se r�f�rent souvent au voeu de Nazarite, comme pr�sent� dans la Bible (Nombres 6 :1 - 21). Ce voeu, � caract�re temporaire, sanctifie la personne le suivant pour une certaine p�riode durant laquelle cette personne devra suivre certaines r�gles de vie. Ces r�gles sont pour la plupart celles auxquelles se r�f�rent les Rasta dans leur mode de vie. Elles sont, pour les plus caract�ristiques :
+Enfin, ce voeu est cens� rev�tir un caract�re temporaire, et le texte des Nombres pr�cise ensuite quand et comment le voeu doit s'achever. En particulier, un Nazarite ne devra pas croiser un homme mort, sous peine de devoir rompre son voeu. On retrouve cette id�e dans un certain nombre de chansons, illustr�e par cette phrase : � rasta don't go to no funeral �, soit � le rasta n'assiste � aucune fun�raille �. D'une mani�re g�n�rale, la mort constitue un tabou pour les rastas, et ils n'abordent ce th�me que d'une fa�on tr�s spirituelle et assez difficile � appr�hender pour le non-initi�.
+L'application stricte de ce voeu au mode de vie Rasta n'est pas sans porter � discussion. Avant tout, ce texte et les modalit�s d'applications du voeu de Nazarite, comme pour beaucoup de textes de l'Ancien Testament, pose la question du d�calage temporaire et culturel. En effet il n'y a qu'� consulter les d�marches � effectuer pour rompre le voeu pour comprendre qu'il ne saurait s'appliquer identiquement de nos jours. Ensuite, ce voeu est bien cens� �tre temporaire (sept ans), alors que le mode de vie Rasta lui devrait pouvoir se pratiquer toute sa vie durant.
+Ainsi, un autre point caract�ristique des Nazarites est le port des dreads, port qui est source de beaucoup de pol�miques. Le d�bat de savoir si les dreads sont n�cessaires � un Rasta est encore important de nos jours. Ainsi, certains Rastas pensent qu'un Rasta sans dreads n'en est pas un, d'autres, comme les membres des Twelve Tribes of Isra�l ou les Morgan Heritage (notamment avec le titre Don't haffy dread to be rastaman) pensent au contraire que Rasta est avant tout une philosophie de vie et qu'il est tout � fait possible d'�tre un Rasta sans porter de dreads, tandis que beaucoup de dreadlocks ne sont pas forc�ment le signe d'un Rasta.
+Enfin, il faut rappeler que le port des dreads est une mode qui s'est instaur�e dans les ghettos de Kingston, par une g�n�ration de rastas apparue apr�s la destruction du Pinacle. Le port des dreads n'�tait pas initialement la marque des adeptes de rasta, qui �taient alors les barbus car ils se laissaient pousser la barbe. Ainsi la r�ponse � la n�cessit� du port des dreads doit �tre trouv�e par chacun ; mais de nombreux rastas pensent que cette coiffure ne codifie plus l'appartenance � leur mouvement.
+Il n'existe aucune doctrine rasta �crite, ni m�me de synth�se g�n�rale. Les concepts de la spiritualit� rasta sont plut�t vari�s et de tradition orale. Le Kebra Negast qui retrace l'histoire de la dynastie salomonide �thiopienne, jusqu'au N�gus (Hail� Selassi�), est un ouvrage tr�s consid�r� par les �thiopiens amhara, et de r�f�rence pour les rasta, qui se consid�rent �thiopiens. Un grand nombre des concepts de la philosophie rasta (paix et amour) ont directement inspir� les artistes reggae dans les textes de leurs chansons. On peut proposer quelques exemples tr�s importants.
+Le mouvement Rasta est un mouvement de r�bellion et de lib�ration des consciences. Ainsi, le vocabulaire et le parler font intimement partie des champs de bataille du mouvement. C'est ainsi que les Rasta ont d�velopp� un nombre important de jeux de mots plus ou moins �vidents qui sont autant de fa�ons de marquer et de frapper les esprits sur les concepts qu'ils soutiennent. Ceci tend � cr�er un patois propre � la culture rasta, permettant aux diff�rents initi�s de se reconna�tre et de communiquer entre eux. On peut en proposer une liste non exhaustive :
+L'usage du pronom I et surtout du pronom I and I pour d�signer le locuteur est une habitude extr�mement r�pandue parmi les rastas. En effet, ceux-ci consid�rent chaque personne comme �tant l'�l�ment d'un tout. Ainsi, dans la tradition, la moiti� de la Bible n'a pas �t� �crite, et r�side dans le coeur de l'Homme. De cette mani�re, si un rasta �coute son coeur, quoi qu'il connaisse de la Bible �crite, il saura reconna�tre et �couter le message divin.
+Les deux I repr�sentent ainsi le soi commun pour le premier, et, pour le second, le soi divin, en connexion avec Jah. Beaucoup d'autres expressions rasta font ainsi r�f�rence � ce concept, comme � each and everyone �, et le fameux � stick a bush �, qui a inspir� un titre homonyme des Gladiators, litt�ralement : every hoe has its stick in the bush, soit chaque feuille a sa place sur le buisson, chaque feuille a sa diversit�, mais est membre du m�me arbre, dans lequel coule la m�me s�ve.
+Ce concept est fondamental pour expliquer l'unit� rasta malgr� les diff�rentes croyances et id�es.
+Bien que corollaire du concept pr�c�dent, il para�t important d'�claircir cette notion tant elle est importante et parce qu'elle justifie la n�gation de l'emploi du terme rastafarisme, pourtant correct en langue fran�aise.
+De la m�me mani�re que les rastas consid�rent l'unit� � travers la diversit�, ils rejettent tout le vocabulaire en -isme, comme capitalisme, communisme, christianisme, etc. En effet, ces mots sont vus comme la mani�re qu'a Babylone de regrouper les gens et d'�tablir des barri�res entre eux, rendant toute communication vaine, et entra�nant la m�connaissance et l'intol�rance. � We don't want your Ism-Skisms � signifiant que l'on refuse les cat�gorisations, qui sont sources de schismes entre individus.
+Les rastas vont ainsi inventer un grand nombre de mots qui refl�tent leur fa�on de voir le monde :
+Pour les Rastas, leurs racines sont en Afrique, dont ils ont �t� arrach�s pour �tre mis en esclavage dans la Babylone moderne. Ainsi, l'accomplissement des �critures implique le retour � la terre promise, qui est pour eux l'�thiopie.
+Cette r�f�rence � l'�thiopie comme terre promise et non � la Palestine s'explique par plusieurs r�f�rences, bibliques comme traditionnelles. Tout d'abord, les Rastas se souviennent de la Reine de Saba, Makheda, reine �thiopienne ayant visit� le roi Salomon, dont elle aurait eu un fils, Menelik, selon la tradition. De m�me, l'Arche de l'Alliance, contenant les tables de la Loi et le b�ton d'Aaron, dont la Bible perd la trace apr�s Salomon, se trouverait aujourd'hui dans une chapelle de l'�glise orthodoxe �thiopienne, apport�e directement par M�n�lik Ier. Salomon a confi� l'arche d'alliance � son fils ain�, selon la tradition h�bra�que, pour qu'il la pr�serve des convoitises. Menelik est reparti de Jerusalem, accompagn�s de plusieurs pr�tres de haut rang, dont les Falashas, Juifs noirs d'�thiopie sont les descendants.
+Enfin, la proph�tie annon�ant le couronnement d'un roi en Afrique, accomplie par l'av�nement au pouvoir de Ha�l� S�lassi�, acheva de confirmer l'�thiopie comme la terre promise, Zion, le Sion (prononc� Zayan en anglais) chant� par les psaumes.
+Il faut �galement noter que la version anglaise de la Bible utilise le terme � �thiopia � pour d�signer ce qui est aujourd'hui le continent africain et non le mot Afrique qui d�signait la province romaine d'Afrique en latin. L'origine du mot � Ethiopia � n'est pas connue avec certitude. Selon les sources, elle pourrait venir du en grec ancien Aithiops (XXXXX), signifiant � au visage br�l� �, ou bien �tre d�riv� de Ityopp'is un fils de Koush inconnu de la Bible, qui selon la l�gende fonda la ville d'Axoum. Voir l'article �thiopie pour plus de d�tails.
+Le mouvement rasta est souvent vu comme une variante locale de la grande vague hippie qui eut lieu dans le monde occidental au cours des ann�es 1970. Le message rasta se retrouve alors vu comme une manifestation d'amour et de paix universelle, comme pr�n� par les hippies.
+Bien que fondamentalement un message de paix et d'amour, le message rasta ne peut absolument pas se r�sumer � eux seuls. En effet, le mouvement rasta est avant tout un mouvement d'�mancipation des consciences, et, surtout de d�nonciation des d�rives d'un syst�me. De m�me que le reggae est une musique de rebelle, comme chant� par Bob Marley, le message rasta est avant tout un message de rupture et de r�bellion spirituelle.
+Si cette r�bellion spirituelle est souvent assimil�e � une forme d'action pacifique � l'image des mouvements de Gandhi ou de Martin Luther King, ce n'est pas vrai en g�n�ral. Peter Tosh, souvent qualifi� du Malcom X rasta, ne disait-il pas que tout le monde veut la paix alors que lui d�sire la justice ? (� Everyone is crying out for peace, none is crying out for justice � - Equal Rights, 1977).
+Enfin, les rastas ont un fort attachement aux textes sacr�s, � la m�ditation religieuse et recherchent en permanence � se rapprocher du lien ancestral qui les unit � l'Afrique et � leurs origines. En particulier, le traitement des femmes et des homosexuels est abord� d'une mani�re qui serait qualifi�e de traditionaliste.
+Il ne s'agit pas non plus de voir dans les rastas de dangereux rebelles pr�ts � prendre les armes pour d�truire la soci�t� moderne en vertu de valeurs obscurantistes, car ce n'est absolument pas le cas. Les rastas sont en majorit� de paisibles personnes. Simplement, et la musique le montre bien, le message rasta est plus proche d'un message de paix universel que d'un message de r�sistance, comme le reggae est plus proche du punk que du rock progressif...
+Une autre diff�rence notable entre le mouvement rasta et le mouvement hippie, se trouve dans l'origine sociologique de leurs adeptes : si les hippies sont g�n�ralement des jeunes issus de la classe moyenne voire des classes les plus ais�es, les rastafari sont quasi uniquement originaires des ghettos et des classes d�favoris�es.
+Initialement confin� au sein des communaut�s rasta, le message s'est petit � petit r�pandu dans le monde. La premi�re �tape d�terminante a �t� l'ouverture aux jeunes des ghettos de Jama�cains, form�s par l'exode rural, et remplis de jeunes essayant d'�chapper � la d�linquance, ne pas devenir des rude boys. La musique �tant, � cette �poque, tr�s importante dans la culture populaire, le message s'est ensuite naturellement adapt� aux compositions de l'�poque. On est ainsi progressivement pass� du rock steady, aux paroles ax�es sur les relations amoureuses puis � une musique plus spirituelle, le roots reggae. On constate tr�s bien ce changement avec des artistes comme Ken Boothe, Bob Marley ou encore Max Romeo.
+Enfin, l'av�nement du reggae comme musique populaire internationalement a permis l'expansion du message dans le monde entier s�duisant des gens de tous les continents. Ceci n'est pas sans poser des questions, en particulier sur la pertinence du message re�u, et sur son adaptation aux autres populations. En effet, les racines africaines d'un rasta noir sont peut-�tre plus �videntes que celles d'un europ�en blanc... De plus, une critique souvent formul�e � l'encontre des jeunes gens europ�ens blancs portant les dreadlocks est la dilution du message, celui-ci se teintant d'une couleur hippie plut�t �loign� du message d'origine. Ainsi, la question de la possibilit� de s'affirmer rasta lorsque l'on est blanc et europ�en est toujours ouverte, tout individu ayant la possibilit� de ressentir un besoin inconscient de revenir � un mode de vie et de penser plus authentiques. Rasta ne se borne pas � des limites ethniques, le mouvement se base sur une � livity �, mani�re de vivre et de se comporter qui remonte � la cr�ation de toute chose dont celle de l'Homme. La pens�e, la spiritualit� Rasta se veut universelle.
+Ainsi, il serait erron� de consid�rer que la philosophie rasta n'est pas reconnue en dehors de la Jamaique, et il est tout � fait possible de s'en inspirer de mani�re plus ou moins importante. Par exemple Max Cavalera, ancien chanteur du groupe de metal Sepultura et actuel chanteur de Soulfly s'inspire largement de la philosophie rasta dans ses paroles (I and I, Tribe, etc.) alors qu'il est blanc et qu'il pratique une musique, en d�pit de quelques emprunts, tr�s �loign�e du reggae.
+Le mouvement Baye Fall (Originaire du S�n�gal) est une branche de la confr�rie des Mourides (l'un des nombreux courants du Soufisme) fond�e par Cheykh Ibrahima Fall, lui m�me adepte de Cheikh Ahmadou Bamba. Culte qui voue un pouvoir total et une croyance absolue en Dieu et au marabout (guide spirituel/repr�sentant de Dieu sur terre "khalifatoul lahi fil ard").
+Ce mouvement d�veloppe une croyance au soufisme qui se rapproche de la mani�re rastafari, le repr�sentant de Dieu sur Terre n'est pas Ha�l� Selassi� mais le marabout du mouvement. On n'y retrouve pas les notions d'exil comme les jama�cains et peu de conceptions sont similaires au mouvement rasta, cependant, l'islam se reconnaissant comme la vraie h�riti�re de la religion des rois David et Salomon, on peut y voir, � cause des coutumes qui se ressemblent, une sorte de rastafarisme se disant "musulman".
+Forme de religion d�tach�e de toute possessions mat�rielles, ou l'on fait les choses pour Dieu et non pas pour ou en fonction des autres. Tout se partage, le don de soi est naturel, et la foi en l'humain est essentielle.
+Mode de vie confondu totalement avec le mode de vie religieux, qui se rapproche du mode de vie rasta, mais avec une plus grande importance vou�e au culte religieux. A la diff�rence des musulmans, les Baye Fall n'ont pas d'obligations de pri�res, le travail au service du Cheikh est �lev� au titre de culte religieux et le cheikh qui est leur ma�tre est d�sign� pour les conduire vers le Tout Puissant.
+Le dreadlocks demeurent l'une des plus grandes particularit�s de ces religieux, plusieurs versions expliquent son origine : C'est une initiation du Cheikh Ahmadou Bamba. Il avait pris l'habitude de conserver ses cheveux. Ses disciples ont d�cid� de perp�tuer cette habitude.
+Ces chevelures tirent leur origine des pr�tendus "saints" venus apr�s les fondateurs du soufisme.
+Les saints n'avaient pas de moyens pour se coiffer, leurs cheveux poussaient alors jusqu'� prendre la forme de dreadlocks.
+A l'instar des vrais rastas (et non pas certains porteurs de dreadlocks non-croyants qui utilisent des produits pour entretenir leurs cheveux), la coiffure Baye Fall est naturelle et entretenue de fa�on naturelle. Ce mouvement fait de plus en plus d'adeptes en Afrique de l'ouest (Mali, C�te d'Ivoire, S�n�gal, ...).
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Noam Chomsky, n� Avram Noam Chomsky le 7 d�cembre 1928 � Philadelphie en Pennsylvanie, est un linguiste et philosophe am�ricain. Professeur �m�rite de linguistique au Massachusetts Institute of Technology o� il a enseign� toute sa carri�re, il est connu dans le domaine scientifique comme le fondateur de la linguistique g�n�rative. Il est �galement devenu mondialement c�l�bre pour son engagement et ses �crits politiques dissidents ainsi que pour ses convictions anarchistes.
+Chomsky a commenc� � d�velopper sa th�orie de la grammaire g�n�rative et transformationnelle dans les ann�es 1950 en cherchant � d�passer aussi bien l'approche structuraliste, distributionnaliste que b�havioriste dans l'�tude du langage naturel. Visant � rendre compte des structures inn�es de la � facult� de langage �, cette th�orie est souvent d�crite comme la contribution la plus importante dans le domaine de la linguistique th�orique du xxe si�cle et on a parfois parl� de � r�volution chomskienne �. Pour r�pondre aux critiques d�velopp�es dans les ann�es 1970 envers son premier mod�le, Chomsky a propos� au d�but des ann�es 1980 une nouvelle version de sa th�orie bas�e sur une approche modulaire. Il a ensuite jet� les bases, au cours des ann�es 1990, de ce qu'il a appel� le � programme minimaliste �.
+Les recherches de Chomsky ont jou� un r�le crucial dans ce que l'on appelle la � r�volution cognitive �. Sa critique du Verbal Behavior (� Comportement verbal �) de Skinner en 1959, a remis en question l'approche comportementale de l'�tude de l'esprit et du langage, qui dominait dans les ann�es 1950. Son approche naturaliste de l'�tude du langage a �galement eu un grand impact en philosophie du langage et de l'esprit. Il a �galement �tabli la hi�rarchie de Chomsky, moyen de classification des langages formels en fonction de leur pouvoir de g�n�ration.
+En parall�le de sa carri�re de scientifique, Noam Chomsky m�ne une intense activit� politique et militante depuis le milieu des ann�es 1960 et sa prise de position publique contre la Guerre du Vi�t Nam. Sympathisant de la mouvance anarcho-syndicaliste et membre du syndicat IWW, il a donn� une multitude de conf�rences un peu partout dans le monde et a publi� de nombreux livres et articles dans lesquels il fait part de ses analyses historiques, sociales et politiques. Ses critiques portent tout particuli�rement sur la politique �trang�re des �tats-Unis d'Am�rique et le fonctionnement des mass m�dias.
+En 1992, d'apr�s le Arts and Humanities Citation Index, Chomsky a �t� plus souvent cit� qu'aucun autre universitaire vivant pendant la p�riode 1980 - 92, et occupe la huiti�me position dans la liste des auteurs cit�s,8,9. Il est consid�r� comme une figure intellectuelle majeure du monde contemporain, � la fois controvers�e et admir�e. Plusieurs livres et documentaires lui ont �t� consacr�s.
+Chomsky est n� � Philadelphie en Pennsylvanie. Son p�re, William Chomsky, �tait un sp�cialiste de l'h�breu originaire d'une ville d'Ukraine plus tard d�truite par les nazis. Sa m�re, Elsie Chomsky (n�e Simonofsky) venait de la future Bi�lorussie mais, contrairement � son mari, elle grandit aux �tats-Unis et parlait � l'anglais de New York �. Leur premi�re langue �tait le yiddish, mais selon Chomsky, dans sa famille, la parler �tait proscrit : celle-ci vivait en effet dans une sorte de � ghetto juif �, partag� entre une communaut� � yiddish � et une � h�breu �. C'est dans cette derni�re que sa famille l'a �lev�, � immerg� dans la culture et la litt�rature h�bra�ques �.
+Vers l'�ge de huit ou neuf ans, Chomsky passait chaque vendredi soir � lire de la litt�rature h�bra�que. Plus tard, il enseigna l'h�breu. En d�pit de cela, et de tout le travail linguistique effectu� durant sa carri�re, il a confi� : � la seule langue que je parle et �cris correctement est l'anglais �.
+Selon ses souvenirs, Chomsky �crivit son premier article pour le journal de son lyc�e en 1940 � propos de la menace de l'expansion du fascisme apr�s la chute de Barcelone. C'est � cet �ge qu'il se rapprocha des id�es anarchistes.
+� partir de 1945, il �tudie la philosophie et la linguistique � l'Universit� de Pennsylvanie, aupr�s des philosophes C. West Churchman et Nelson Goodman et du linguiste Zellig Harris. L'enseignement d'Harris comprenait sa d�couverte des transformations en tant qu'analyse math�matique de la structure du langage (fonctions math�matiques d'un sous-ensemble � un autre dans l'ensemble des phrases). Par la suite, Chomsky explique qu'elles sont des op�rations de la production d'une grammaire hors-contexte. Les id�es politiques de Harris furent �galement d�terminantes quant � l'orientation future de Chomsky.
+En 1949, Chomsky se marie avec la linguiste Carol Schatz (1930 - 200813). Ils ont deux filles, Aviva (n�e en 1957) et Diane (1960), ainsi qu'un fils, Harry (1967).
+Chomsky soutient sa th�se de linguistique � l'universit� de Pennsylvanie en 1955, apr�s avoir poursuivi ses recherches de 1951 � 1955 � Harvard en tant que Harvard Junior Fellow. Dans son m�moire, il commence � d�velopper certaines des id�es qu'il approfondit dans son livre de 1957, Structures syntaxiques'.
+Chomsky rejoint ensuite le Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 1955 gr�ce � l'appui de Roman Jacobson, comme professeur associ� au sein du laboratoire de recherche en �lectronique de l'institut qui travaille sur un projet de machine � traduire. En 1961, il est nomm� professeur dans le � D�partement de langues modernes et de linguistique �, cr�� pour accueillir le troisi�me cycle en linguistique mis sur pied par Morris Halle et lui-m�me.
+C'est vers 1965 que Chomsky prend la d�cision de s'engager dans le d�bat public et politique. C'est comme intellectuel qu'il devient l'un des principaux opposants � la guerre du Vi�t Nam avec la publication en f�vrier 1967 de son essai � Responsabilit�s des Intellectuels � dans la New York Review of Books. Dans cet essai, il insiste sur l'id�e que dans la mesure o� les intellectuels ont, compar� au reste de la population, plus facilement acc�s � la v�rit�, ils ont d'autant plus de responsabilit� face � elle. Depuis lors, Chomsky n'a pas cess� de publier ses analyses politiques et de donner de nombreuses conf�rences dans le monde entier. Ses critiques de la politique �trang�re am�ricaine, souvent reprises en dehors des �tats-Unis, l'ont expos� aux critiques nourries de la part des lib�raux am�ricains (mouvance �quivalente des gauches sociales-d�mocrates en Europe) et de la droite am�ricaine.
+Entre 1966 et 1976, il est titulaire de la chaire � Ferrari P. Ward de langues modernes et linguistique �. En 1976, il acc�de au titre rare d'Institute Professor. Chomsky a enseign� sans interruption au MIT durant ces cinquante derni�res ann�es.
+Profond�ment rationaliste, Chomsky rejette formellement le post-structuralisme et les critiques postmodernes de la science.
+L'adjectif �ponyme � chomskyen � a �t� cr�� pour d�signer ses travaux et ses id�es, mais ce terme est peu appr�ci� par Chomsky lui-m�me qui consid�re la � personnalisation � comme indue dans le domaine de la science.
+� Depuis la publication en 1957 de Structures syntaxiques, [Chomsky] exerce sur la linguistique une influence consid�rable. � Structures syntaxiques introduisait la grammaire g�n�rative. Cette th�orie consid�re que les expressions (s�quences de mots) ont une syntaxe qui peut �tre caract�ris�e (globalement) par une grammaire formelle ; en particulier, une grammaire hors-contexte �tendue par des r�gles de transformation. Les enfants sont suppos�s avoir une connaissance inn�e de la grammaire �l�mentaire commune � tous les langages humains (i.e. ce qui pr�sume que tout langage existant en est une sorte de restriction). Cette connaissance inn�e est appel�e � grammaire universelle �. Il est soutenu que la mod�lisation de la connaissance de la langue par une grammaire formelle explique la � productivit� � de la langue : avec un jeu r�duit de r�gles de grammaire et un ensemble fini de termes, les humains peuvent produire un nombre infini de phrases. Il existe et il existera donc toujours des phrases qui n'ont jamais �t� dites.
+The Principles and Parameters approach (P&P) (L'Approche des principes et des param�tres), d�velopp�e dans les Conf�rences (Pise, 1979), publi�es plus tard sous le titre Lectures on Government and Binding (LGB) s'inscrivent dans le prolongement du concept de grammaire universelle : les principes grammaticaux sous-tendant les langages sont inn�s et fix�s, les diff�rences entre les divers langages dans le monde peuvent �tre caract�ris�es en termes de param�tres programm�s dans le cerveau (tel le param�tre d'�lision, pro-drop parameter, qui indique quand un sujet explicite est toujours requis, comme en anglais, ou s'il peut �tre �lid�, comme en espagnol) souvent compar�s � des commutateurs (d'o� le terme de principes et param�tres utilis� pour qualifier cette approche). De ce point de vue, un enfant qui apprend une langue a seulement besoin d'acqu�rir les items lexicaux n�cessaires (mots, morph�mes grammaticaux et les tournures idiomatiques) et fixer les valeurs appropri�es des param�tres, ce qui peut �tre fait sur quelques exemples cl�s.
+Les partisans de cette conception arguent du fait que la vitesse avec laquelle les enfants apprennent des langues est inexplicablement rapide, � moins que les enfants n'aient une capacit� inn�e pour apprendre des langues. Les �tapes semblables que suivent tous les enfants � travers le monde quand ils apprennent des langues, et le fait que les enfants commettent des erreurs caract�ristiques quand ils apprennent leur premi�re langue, tandis que d'autres types d'erreur apparemment logiques ne se produisent jamais (et, selon Chomsky, elles devraient �tre attest�es si le m�canisme d'apprentissage utilis� �tait g�n�ral plut�t que sp�cifique � une langue) est �galement per�u comme une raison de l'inn��t�. Outre ces consid�rations g�n�rales, les arguments les plus convainquants en faveur de l'inn�it� d'un certain nombre d'aspects des syst�mes linguistiques d�rivent de l'analyse minutieuse de nombreuses propri�t�s linguistiques des langues les plus diverses qui sugg�rent tr�s fortement que ces propri�t�s, qui apparaissent de fa�on syst�matique chez les jeunes enfants, ne semblent pas d�couler de fa�on plausible des donn�es linguistiques auxquelles ils ont �t� soumis au cours de leur phase d'acquisition du langage. Ce dernier type d'argument est connu sous le nom d'argument � de la pauvret� du stimulus �. Comme le r�sument Michael Siegal, Olivier Pascalis et Stephen C. Want du d�partement de psychologie de l'Universit� de Sheffield : � Une exp�rience limit�e avec le langage est suffisante pour permettre le d�veloppement d'un langage structur� chez l'enfant. Selon le principe de la "pauvret� du stimulus" propos� par Chomsky, il existe de nombreuses preuves que l'acquisition de la grammaire se fait ind�pendamment de l'intelligence non verbale. Malgr� de grandes variations dans l'environnement langagier, l'apprentissage de la grammaire se fait dans un ordre fixe. �
+Plus r�cemment, dans son Minimalist Program (1995) (Programme minimaliste), tout en conservant le concept central des � principes et des param�tres �, Chomsky tente une r�vision importante des machines linguistiques impliqu�es dans le mod�le de LGB, les d�pouillant de tout sauf des stricts �l�ments n�cessaires, tout en pr�conisant une approche g�n�rale de l'architecture de la facult� du langage humain qui souligne les principes de l'�conomie et de la conception optimale, revenant � l'approche d�rivationelle de la g�n�ration, en opposition avec la majeure partie de l'approche repr�sentative du classique P&P .
+Les travaux de Chomsky ont exerc� une forte influence sur l'�tude de l'acquisition du langage, bien qu'une partie des chercheurs qui travaillent dans ce domaine aujourd'hui ne soutiennent pas ses th�ories et s'appuient davantage sur les processus d'�mergence ou les th�ories connexionnistes, ramenant la langue � un cas particulier des processus g�n�raux du cerveau.
+L'approche chomskyenne de la syntaxe, souvent qualifi�e de grammaire g�n�rative, est contest�e, surtout en dehors des �tats-Unis, mais b�n�ficie d'une certaine popularit�. L'analyse de Chomsky, largement abstraite, repose en grande partie sur l'examen minutieux de l'interface entre constructions et ruptures grammaticales dans le langage (� rapprocher des cas pathologiques, qui jouent un r�le similaire en math�matiques). De telles analyses grammaticales ne peuvent �tre r�alis�es finement que dans une langue ma�tris�e au mieux et les linguistes qui s'y int�ressent se consacrent donc souvent � leur langue maternelle pour des raisons pratiques. Il s'agit g�n�ralement de l'anglais, du fran�ais, de l'allemand, du n�erlandais, de l'italien, du japonais ou du mandarin. Cependant, comme le fait remarquer Chomsky : � La premi�re application de cette approche a port� sur l'h�breu moderne, �tudi� de mani�re relativement pr�cise vers 1949 - 50. La seconde, au milieu des ann�es 1950, concernait un idiome am�ricain indig�ne, le Hidatsa : elle fut la premi�re grammaire g�n�rative exhaustive. Le turc fit l'objet de la premi�re th�se de doctorat, au d�but des ann�es 1960. Ces travaux furent ensuite adapt�s � un large panel de langues. Le MIT devint de fait le centre international d'�tude des langues aborig�nes australiennes par l'approche g�n�rative [...] gr�ce aux travaux de Ken Hale, qui est �galement � l'origine de l'un des plus ambitieux programmes de recherche sur les langues indig�nes am�ricaines ; en fait, le premier programme faisant intervenir des indig�nes, amen�s � l'universit� pour se former � la linguistique afin qu'ils puissent travailler sur leurs propres langues, de mani�re bien plus profonde que tout ce qui avait jamais pu �tre r�alis� auparavant. Cela s'est poursuivi par la suite et est devenu un travail de r�f�rence sur la collection de langues la plus vari�e du point de vue typologique. �
+La th�orie de la grammaire g�n�rative se r�v�le parfois peu pertinente pour analyser des langues jamais �tudi�es auparavant. Cette approche a connu de nombreuses �volutions au fur et � mesure que le nombre de langues �tudi�es augmentait. La th�se des invariants (ou universaux) linguistiques conna�t pourtant un soutien de plus en plus important ; dans les ann�es 1990, Richard Kayne a par exemple sugg�r� que toutes les langues sous-tendent une structure Sujet-Verbe-Objet, ce qui aurait paru peu plausible dans les ann�es 1960. L'une des principales motivations d'une approche alternative comme l'approche typologico-fonctionnelle (souvent associ�e � Joseph Greenberg) est de confronter les hypoth�ses d'invariances linguistiques � l'�tude du plus grand nombre possible de langues, de classer les �carts constat�s et d'en induire des lois th�oriques. Bien qu'elle ait d�j� �t� appliqu�e � un grand nombre de langues, l'approche de Chomsky est trop m�ticuleuse et n�cessite une connaissance trop pointue des langues �tudi�es pour r�pondre � une telle m�thodologie.
+Le mod�le propos� dans Principes de phonologie g�n�rative (The Sound Pattern of English, 1968), �crit en collaboration avec Morris Halle, est aujourd'hui consid�r� comme d�pass�, y compris par Chomsky lui-m�me.
+Chomsky s'est rendu c�l�bre en �tudiant diff�rentes sortes de langages formels et leur capacit�s respectives � int�grer des caract�ristiques intrins�ques du langage humain. Ses travaux fondateurs sont � l'origine des � progr�s de la linguistique moderne �. La hi�rarchie de Chomsky d�compose les grammaires formelles en cat�gories de pouvoir d'expression croissant, c'est-�-dire en groupes successifs pouvant chacun g�n�rer une vari�t� de langages plus large que le groupe pr�c�dent. Il d�montra formellement que certains aspects du langage humain n�cessitent de recourir � une grammaire formelle plus complexe (en termes de hi�rarchie chomskyenne) que pour d'autres. Par exemple, alors que le groupe des langages r�guliers est suffisamment puissant pour mod�liser la morphologie de la langue anglaise, il ne l'est pas assez pour en mod�liser la syntaxe.
+La hi�rarchie de Chomsky constitue le r�sultat le plus important de la branche primordiale de l'informatique th�orique qu'est la th�orie des automates. Chaque niveau de grammaire est strictement isomorphe � un type particulier d'automate, le niveau z�ro correspondant aux machines de Turing, c'est-�-dire, � la puissance de calcul des ordinateurs.
+Les travaux linguistiques de Chomsky ont eu une influence majeure sur la psychologie et son orientation fondamentale dans la deuxi�me moiti� du xxe si�cle. Pour Chomsky, la linguistique est une branche de la psychologie cognitive, de v�ritables comp�tences en linguistique impliquent une compr�hension concomitante des aspects du processus mental et de la nature humaine. Sa th�orie de la grammaire universelle est vue par beaucoup comme un d�fi direct aux th�ories comportementalistes �tablies et a eu des cons�quences majeures dans la compr�hension de l'apprentissage du langage par les enfants et sur ce qu'est exactement la capacit� d'interpr�ter le langage.
+Beaucoup des principes les plus fondamentaux de cette th�orie ne sont pas accept�s par certains cercles de pens�e (m�me si ce n'est pas le cas des th�ories les plus importantes bas�es sur les principes et param�tres d�crits ci-dessus).
+En 1959, Chomsky publie un compte-rendu rest� c�l�bre du livre de B. F. Skinner Verbal Behavior dans lequel Skinner donne une explication sp�culative et comportementaliste du langage. Le comportement linguistique y est d�fini comme un comportement appris, avec pour cons�quence caract�ristique d'�tre transmis par le comportement d�j� appris par d'autres individus ; cette th�orie apporte une vision globale du comportement communicatif, bien plus large que celle g�n�ralement admise par les linguistes. L'approche de Skinner diff�re consid�rablement de la plupart des th�ories linguistiques traditionnelles sur la mise en valeur des circonstances dans lesquelles le langage est utilis� ; par exemple, demander de l'eau a pour lui une utilisation fonctionnellement diff�rente que d'associer l'eau au mot eau, ou encore que d'avoir � r�pondre � quelqu'un qui demande de l'eau... Ces utilisations fonctionnellement diff�rentes demandant chacune une explication diff�rente, l'approche contraste fortement avec les notions traditionnelles du langage et l'approche psycholinguistique de Chomsky qui se concentre sur les repr�sentations mentales des mots et les mots acquis qui, une fois appris, peuvent appara�tre dans toutes les fonctions.
+La critique de Chomsky dans son article de 1959, bien que touchant aux diff�rentes fonctions verbales, se r�sume plus largement � une attaque de la base m�me de l'approche de Skinner, � savoir la psychologie comportementale qu'en 1969 Chomsky, au d�tour d'un de ses premiers �crits politiques, qualifie de � nouvelle id�ologie coercitive, vaguement teint�e de science �28. L'essence des arguments de Chomsky est que l'application des principes comportementalistes, issus de la recherche animale, n'a aucun sens lorsqu'il s'agit de l'appliquer � des humains hors d'un laboratoire, et que pour comprendre un comportement complexe il faut avant tout reconna�tre qu'il y a dans le cerveau des entit�s inobservables qui en sont fondamentalement responsables.
+Cet article de Chomsky de 1959, qui remet en cause le comportementalisme radical de Skinner, a lui-m�me �t� critiqu� entre autres dans un article intitul� On Chomsky's Review of Skinner's Verbal Behavior de Kenneth MacCorquodale en 1970. Ces diff�rentes critiques notent des faits importants g�n�ralement non reconnus hors de la psychologie comportementale et estiment que Chomsky ne comprend ni la psychologie comportementale dans son ensemble ni comment le radicalisme comportementaliste de Skinner diff�re des autres variantes comportementalistes et qu'il fait des erreurs embarrassantes. Ils indiquent aussi que les personnes les plus influenc�es par cet article de Chomsky �taient d�j� substantiellement d'accord avec lui et ne l'ont peut-�tre m�me pas lu.
+La critique de Chomsky envers la m�thodologie de Skinner a pos� les jalons de la r�volution cognitive. Dans son livre de 1966 Cartesian Linguistics et dans d'autres travaux, Chomsky explique que l'�tude des facult�s du langage humain est devenue un mod�le pour les �tudes dans d'autres domaines de la psychologie. La majorit� des nouvelles conceptions �mises sur le fonctionnement de l'esprit sont issues d'id�es formul�es par Chomsky.
+Parmi celles-ci, trois id�es cl�s :
+Chomsky a postul� l'existence d'une � grammaire universelle � inscrite dans les tissus c�r�braux. En 2003, des chercheurs italiens et allemands font �tat, dans Nature Neuroscience, de leur identification d'une subdivision de l'aire de Broca sp�cialis�e dans le traitement de la grammaire.
+Niels Kaj Jerne, laur�at du prix Nobel de m�decine en 1984, a utilis� le mod�le g�n�ratif de Chomsky pour expliquer le syst�me immunitaire humain, faisant le lien entre structures grammaticales et prot�iques. Le discours de Jerne � la remise du Nobel s'est intitul� � la grammaire g�n�rative du syst�me immunitaire �.
+Dans ses ouvrages Illusions n�cessaires et La Fabrication du consentement, Chomsky s'attache � mettre en �vidence les processus par lesquels les m�dias tendent � maintenir les soci�t�s d�mocratiques dans un carcan id�ologique. Sa critique porte sur le fonctionnement global de l'institution m�diatique dans ses rapports avec les pouvoirs �conomique et politique. Chomsky montre comment les m�dias noient la masse �lectorale sous un flot d'informations beaucoup trop dense pour servir de support de r�flexion et qui converge, en d�finitive, vers des analyses � sens unique, fond�es sur des pr�suppos�s que l'on �vite soigneusement de remettre en question. C'est en particulier � travers l'analyse du traitement m�diatique des conflits arm�s que Chomsky d�voile la d�pendance des m�dias envers les pouvoirs �conomique et politique. En cherchant � d�mythifier la pr�tendue neutralit� des m�dias, Chomsky entend oeuvrer pour l'�mancipation et l'autod�fense intellectuelles de la soci�t�. Il pr�tend aussi que dans une soci�t� d�mocratique, la ligne politique n'est jamais �nonc�e comme telle mais est sous-entendue. Ainsi les � d�bats � se situent dans le cadre des param�tres implicites consentis et maintiennent dans l'ombre nombre de points de vue contraires. Avec Edward Herman il a propos� un mod�le de propagande bas� sur l'analyse du fonctionnement des m�dias am�ricains.
+Noam Chomsky a �t� engag� politiquement d�s sa jeunesse. Mais c'est son opposition � la Guerre du Vi�t Nam dans les ann�es 1960 qui l'a fait entrer dans la sph�re du d�bat public. Il a formul� de nombreuses analyses sur la politique et les affaires internationales, notamment dans les nombreux livres qu'il a consacr�s � ces questions. Elles ont �t� largement cit�es et font l'objet de d�bats. On peut notamment retenir :
+Deux mois apr�s les attentats du 11 septembre, Chomsky publie chez une petite maison d'�dition ind�pendante un petit livre intitul� 9 - 11. Il y explique notamment, comme le New York Times s'en fait l'�cho, que ces attaques sont d'� horribles atrocit�s � mais que � nous ne pouvons consid�rer les �tats-Unis comme des victimes que si nous nous pla�ons dans la perspective commode qui consiste � ignorer tout ce que ce pays et ses alli�s ont fait �41. Le livre devient un best-seller avec 300 000 exemplaires �coul�s en quelques semaines. Traduit en 23 langues et publi� dans 26 pays, il est devenu � l'une des meilleures ventes d'aucun autre �crivain politique vivant, comptabilisant des millions d'exemplaires vendus aux �tats-Unis et � l'�tranger �. Son second livre sur le sujet, Power and Terror. Post-9/11 Talks and Interviews, publi� en mars 2003 chez le m�me �diteur, devient lui aussi un best-seller.
+En f�vrier 2002, Chomsky s'invite au proc�s de de son �diteur turc Fatih Tas poursuivi pour avoir publi� des textes dans lesquels il d�nonce ce qu'il qualifie d'op�rations terroristes men�es contre la minorit� kurde par le gouvernement d'Ankara. R�clamant � �tre lui aussi plac� sur le banc des accus�s, il obtient l'acquittement de l'�diteur.
+Pour le journaliste Jean-Luc Porquet, qui rappelle que Chomsky � est un des intellectuels critiques les plus lus, �cout�s [et] discut�s au monde �, � [il] ne cesse de passer son pays, et plus largement les d�mocraties lib�rales, � la question : s'agit-il d'authentiques d�mocraties ? �46. Pour l'universitaire Jean Bricmont, qui a co-dirig� un � Cahier de L'Herne � consacr� � Chomsky, � dans un monde o� des cohortes d'intellectuels disciplin�s et de m�dias asservis servent de pr�trise s�culi�re aux puissants, lire Chomsky repr�sente un acte d'autod�fense. Il peut permettre d'�viter les fausses �vidences et les indignations s�lectives du discours dominant �. La Revue internationale et strat�gique, dans un compte rendu de son recueil d'articles publi� sous le titre De la guerre comme politique �trang�re des �tats-Unis, souligne que � Chomsky permet au lecteur de tenir une r�flexion critique sur les discours officiels, de ne pas se soumettre � la pens�e dominante �.
+Stanley Cohen, professeur de sociologie � la LSE, explique que Chomsky ne cherche pas � s'adresser aux puissants - � the Kissingers of the world � - qui savent tr�s bien ce qu'il en est, mais aux gens ordinaires qui ont besoin de savoir pour agir, et qu'il consid�re que � les intellectuels qui gardent le silence � propos de ce qu'ils savent, qui se d�sint�ressent des crimes qui bafouent la morale commune, sont encore plus coupables quand la soci�t� dans laquelle ils vivent est libre et ouverte. Ils peuvent parler librement, mais choisissent de ne rien en faire 49. �
+Une des prises de position les plus controvers�es de Chomsky concerne l'� affaire Faurisson �. Ancien professeur de litt�rature � l'universit� de Lyon, Robert Faurisson fut suspendu de ses fonctions � la fin des ann�es 1970 et poursuivi en justice parce qu'il avait, entre autres, ni� l'existence des chambres � gaz pendant la Seconde Guerre mondiale. Une p�tition pour d�fendre sa libert� d'expression fut sign�e par plus de cinq cents personnes, dont Chomsky. Pour r�pondre aux r�actions que suscita son geste, Chomsky r�digea alors un petit texte dans lequel il expliquait que d�fendre le droit pour une personne d'exprimer ses opinions ne revenait nullement � les partager. Cette position en mati�re de libert� d'expression est celle des Lumi�res et du premier amendement de la Constitution am�ricaine.
+Il donna son texte � un ami d'alors, Serge Thion, en lui permettant de l'utiliser � sa guise. Or Thion le fit para�tre, comme � avis �, au d�but du m�moire publi� pour d�fendre Faurisson. Chomsky n'a cess� de rappeler qu'il n'avait jamais eu l'intention de voir publi� son texte � cet endroit et qu'il chercha, mais trop tard, � l'emp�cher. � ce propos, Chomsky explique : � J'appris plus tard que ma d�claration devait appara�tre dans un livre dans lequel Faurisson se d�fend des charges qui devaient bient�t �tre retenues contre lui lors d'un proc�s. Bien que ceci ne fut pas mon intention, ce n'�tait pas contraire � mes instructions. Je re�us une lettre de Jean-Pierre Faye, un �crivain et militant anti-fasciste bien connu, qui �tait d'accord avec ma position mais me pressait de retirer ma d�claration car le climat de l'opinion en France �tait tel que ma d�fense du droit de Faurisson � exprimer son point de vue serait interpr�t�e comme un soutien pour ce dernier. Je lui �crivis que j'acceptai son jugement, et demandais que ma d�claration n'apparaisse pas, mais il �tait alors trop tard pour stopper la publication. � Au sujet de sa demande de non publication de sa d�claration, Chomsky pr�cise que � a posteriori, je pense que probablement je n'aurais pas d� faire cela. J'aurais d� dire "Ok, laissez [le texte] para�tre ainsi car il doit para�tre". Mais cela mis � part, je consid�re [ma prise de position] dans cette affaire comme non seulement anodine, mais surtout insignifiante compar�e � d'autres positions que j'ai prises sur la libert� d'expression �.
+L'historien fran�ais Pierre Vidal-Naquet, sp�cialiste du n�gationnisme, consid�re cependant que la p�tition sign�e par Chomsky allait plus loin que la simple d�fense de sa libert� d'expression (� laquelle par ailleurs l'historien fran�ais souscrit) : la p�tition pr�sentait la recherche et les conclusions de Faurisson comme s�rieuses et respectables. De plus, Vidal-Naquet reproche � Chomsky d'avoir qualifi� Faurisson de � sorte de lib�ral relativement apolitique � alors que les textes de ce dernier manifesteraient selon lui un antis�mitisme patent : � Vous aviez le droit de dire : mon pire ennemi a le droit d'�tre libre, sous r�serve qu'il ne demande pas ma mort ou celle de mes fr�res. Vous n'avez pas le droit de dire : mon pire ennemi est un camarade, ou un "lib�ral relativement apolitique". Vous n'avez pas le droit de prendre un faussaire et de le repeindre aux couleurs de la v�rit�. �52
+Pour Chomsky, comme l'analyse Justin Wintle, � la libert� d'expression est plus importante que n'importe quelle version des faits soutenue par l'ordre �tabli, quel que soit le rapport qu'elle puisse entretenir avec la v�rit� factuelle �.
+Aux �tats-Unis, il faut distinguer deux types qualitativement tr�s diff�rents de critiques : le premier, qui domine largement le second quantitativement, concerne les �crits et prises de position de Chomsky sur les questions de la politique am�ricaine et l'usage de sa puissance militaire ; le second concerne ses travaux en lingustique qui, m�me s'ils sont largement reconnus comme fondamentaux, ont fait l'objet de d�bats scientifiques. Le linguiste Timothy Mason explique par exemple que � si vous parcourez la toile, vous d�couvrirez que la majorit� des documents sur l'acquisition du langage - que ce soit pour une premi�re ou une seconde langue - est fortement nativiste et souvent consid�re comme un fait accompli que Chomsky et Fodor ont, pris ensemble, balay� toute possibilit� d'opposition. Dans le monde anglophone - les Fran�ais sont, par exemple, bien plus sceptiques - la Grammaire Universelle ou encore le module langagier r�gnent sans partage �55.
+Ses id�es �conomiques et politiques ont �t� �galement critiqu�es par le Ludwig von Mises Institute qui consid�re que malgr� le refus du marxisme par Chomsky, sa pens�e est tr�s inspir�e de celle de Marx. En outre, il la consid�re comme contradictoire en ce qu'elle refuse le capitalisme tout en pensant pouvoir en conserver les fruits.
+Noam Chomsky essuie �galement quelques critiques du mouvement anti-guerre am�ricain : le journaliste Jeffrey Blankfort lui reproche d'une part d'�carter les questions sur le 11-Septembre, d'autre part de s'�tre oppos� au MIT � la campagne de d�sinvestissement et finalement de sous-estimer l'importance du Congr�s sioniste sur le gouvernement am�ricain (via notamment l'influence de l'AIPAC),61.
+En France, Emmanuel Todd, qui d�fend dans son essai Apr�s l'empire la th�se que les �tats-Unis ne sont plus tout-puissants, consid�re Chomsky comme un � antiam�ricain structurel � qui n'a � aucune conscience de l'�volution du monde � et pour lequel � apr�s comme avant l'effondrement de la menace sovi�tique, l'Am�rique est la m�me, militariste, oppressive, faussement lib�rale, en Irak aujourd'hui comme au Vietnam il y a un quart de si�cle �62.
+Aux �tats-Unis, le journaliste Paul Bogdanor, a publi� sur son site un document intitul� les � The Top 200 Chomsky Lies � (les � 200 plus gros mensonges de Chomsky �). Sur ce point Richard Dawkins, �thologiste reconnu, a cependant reproch� � Bogdanor des erreurs, sa partialit� et la faible cr�dibilit� du document[r�f. n�cessaire]. Le politologue Philippe Moreau Defarges a parl� au d�but des ann�es 1980 de � rage manich�enne � � propos des �crits de Chomsky et Edward Herman sur la � Washington Connection �64. Dans le m�me esprit, Richard Posner critique le caract�re unilat�ral des critiques chomskyennes et voit dans son � anarcho-pacifisme � un exemple de l'erreur classique - commise selon lui par de nombreux intellectuels issus de l'universit� - qui consiste � confondre la politique et l'�thique personnelle.
+Sa critique des m�dias a �t� qualifi�e de � conspirationniste � par certains de ses critiques, bien que Chomsky lui-m�me s'en d�fende. Il ne pr�tend que produire une simple � analyse institutionnelle � et avance : � � mon avis, "th�orie de la conspiration" est devenu l'�quivalent intellectuel d'un mot de cinq lettres. C'est quelque chose que les gens disent quand ils ne veulent pas que vous r�fl�chissiez � ce qui se passe vraiment �. Des points de vue se sont oppos�s en France, au sein des gauches radicales, sur cette question.
+Au cours de sa carri�re, Chomsky a �t� invit� � donner des conf�rences dans de nombreuses universit�s : cycle de conf�rences sur John Locke � l'universit� d'Oxford (printemps 1969), conf�rence comm�morative sur Bertrand Russell � l'universit� de Cambridge (janvier 1970), conf�rence comm�morative Nehru � New Delhi (1972), conf�rence Huizinga � Leiden (1977), conf�rence comm�morative Davie sur la libert� acad�mique au Cap (1997).
+Chomsky a re�u des dipl�mes honorifiques de plus de trente universit�s un peu partout dans le monde. Il est membre de l'Acad�mie am�ricaine des arts et des sciences, de l'Acad�mie nationale am�ricaine des sciences et de la Soci�t� philosophique am�ricaine. Il appartient �galement � d'autres associations et soci�t�s priv�es aux �tats-Unis et ailleurs, et est notamment r�cipiendaire du prix de la contribution scientifique de l'Association am�ricaine de psychologie (1984).
+Il a re�u le prix Kyoto en 198868, la m�daille Helmholtz, le prix de la paix Dorothy Eldridge, et la m�daille Benjamin Franklin en sciences cognitives et de l'information. Il a re�u deux fois le prix Orwell accord� par le Conseil am�ricain des professeurs d'anglais pour ses � �minentes contributions � la sinc�rit� et la clart� du langage public � en 1987 et 1989 (� Distinguished Contributions to Honesty and Clarity in Public Language �).
+Chomsky a �t� reconnu � plus grand intellectuel vivant � par un sondage publi� en 2005 par le magazine britannique Prospect. Il a r�agi en d�clarant qu'il ne faisait pas tr�s attention aux sondages.
+Il a un nombre d'Erdos de quatre
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+L'op�ration Barbarossa (en allemand, Unternehmen Barbarossa), nomm�e en r�f�rence � l'empereur Fr�d�ric Barberousse, est le nom de code d�signant l'invasion par le IIIe Reich de l'URSS pendant la Seconde Guerre mondiale. D�clench�e le 22 juin 1941, elle ouvre le front de l'Est qui devient le th��tre d'op�ration principal de la guerre terrestre en Europe (de 1941 � 1945, 80% des pertes de la Wehrmacht sont subies sur le front russe) et le facteur crucial dans le succ�s ou la d�faite du Troisi�me Reich nazi. Ce front va �tre le th��tre des plus grandes et des plus sanglantes batailles terrestres de la Seconde Guerre mondiale. Cette invasion marque aussi un tournant dans la guerre, jusque-l�, encore assez localis�e et europ�enne. Elle va bient�t embraser le monde entier.
+La Wehrmacht poss�de une sup�riorit� initiale consid�rable en hommes (de 2 contre 1 au minimum) et en �quipements. Elle est mieux organis�e, bien mieux command�e et dispose, au moins jusqu'� la gigantesque bataille de Koursk de juillet 1943, d'une incontestable sup�riorit� tactique. Elle b�n�ficie de l'effet de surprise. L'Arm�e rouge, si elle est loin d'�tre pr�par�e au choc avec l'Allemagne, d�capit�e par les Grandes Purges, dispose cependant d'importantes r�serves humaines, d'avantages mat�riels certains (base industrielle, armements) et d'un patriotisme russe que Staline saura opportun�ment r�activer apr�s vingt ans de r�pression sous la f�rule d'un �tat en guerre permanente contre sa propre soci�t�. Le nazisme, qui ne laissera aux � Untermenschen � d'autre alternative que la mort ou l'esclavage, jouera �galement un r�le important dans le sursaut patriotique.
+>Comme en 1914, l'Allemagne entend agir rapidement : le plan Barbarossa fixe � quatre mois le d�lai n�cessaire � l'an�antissement militaire de la Russie, coeur n�vralgique de l'Union sovi�tique. En pratique, l'op�ration Barbarossa s'�tendra de juin 1941 � janvier/f�vrier 1942, l'�chec allemand de la bataille de Moscou �tant le dernier �pisode de la premi�re phase du conflit sur le front russe.
+Les justifications de cette invasion sont historiques (l'�chec du plan Schlieffen en 1914 qui a conduit au trait� de Versailles ressenti comme une humiliation par l'Allemagne de 1919), strat�giques (la conqu�te du Heartland russe comme levier de la domination globale du continent europ�en) et id�ologiques (la mise en oeuvre g�opolitique du nazisme), l'aboutissement affich� de la politique nazie �tant la conqu�te d'un espace vital � l'Est : le Lebensraum.
+La situation au printemps 1941 semble largement en faveur de l'Axe. La France a �t� vaincue en quelques semaines, le corps exp�ditionnaire britannique a �t� d�fait. Une majeure partie de l'Europe est occup�e. � l'Est, Adolf Hitler a mis en place des r�gimes alli�s de gr� ou de force : Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovaquie. Le seul ennemi en guerre qui lui tienne encore t�te est la Grande-Bretagne et son empire, qui r�sistent en grande partie gr�ce � une volont� collective incarn�e par Winston Churchill, mais elle n'a �t� sauv�e jusque-l� que par sa sup�riorit� navale. Au demeurant, la Grande-Bretagne ne constitue pas, en Europe continentale, une menace militaire terrestre suffisamment significative pour inqui�ter la Wehrmacht.
+Hitler conna�t les risques d'attaquer l'Union sovi�tique, mais il estime qu'il doit agir imm�diatement car, en 1941, l'Arm�e rouge est d�sorganis�e et profond�ment affaiblie par les grandes purges staliniennes. Toujours pas en guerre, les �tats-Unis d'Am�rique penchent cependant de plus en plus du c�t� des Alli�s. Invaincue, la Wehrmacht, fait figure de premi�re arm�e du monde en 1941. La situation semble donc favorable � la conqu�te du � Lebensraum �. Une seule puissance continentale peut encore emp�cher cette conqu�te : l'Union sovi�tique. Depuis la signature du Pacte germano-sovi�tique (1939), dans lequel l'URSS voit un moyen de se prot�ger apr�s les accords de Munich (Allemagne-France-Grande Bretagne) de 1938, et gr�ce auquel l'Allemagne et l'Union Sovi�tique se sont partag� le territoire de la Pologne, les deux pays, malgr� l'opposition inconciliable des id�ologies qui les dirigent, ont ostensiblement �tabli des relations amicales de fa�ade, et des relations commerciales qui profiteront surtout au Troisi�me Reich jusqu'en juin 1941.
+En d�clenchant l'op�ration Barbarossa, le r�gime nazi provoque l'ouverture d'un front auquel le Reich doit d�sormais consacrer l'essentiel de ses moyens militaires, de ses ressources industrielles et humaines. Engag�e dans une guerre totale contre l'Union sovi�tique, l'industrie de guerre allemande � tournera � au maximum de ses capacit�s et ne cessera de se d�velopper jusqu'au d�but de 1945 (ses d�penses militaires passeront de 35% de son PNB en 1940 � 65% en 1944). Non seulement l'Allemagne, premi�re puissance industrielle du continent, affecte la totalit� de ses ressources �conomiques � sa production de guerre, mais elle exploite �galement syst�matiquement � cette fin les ressources industrielles, �conomiques, d�mographiques de l'Europe occup�e.
+Du d�clenchement de � Barbarossa � aux derni�res �tapes de la guerre, en mars 1945, la Wehrmacht consacrera l'essentiel de ses ressources en hommes et en mat�riels au front de l'Est, sans jamais �tre en mesure, � partir de l'hiver 1941 - 1942, de prendre l'initiative, si ce n'est dans des secteurs de plus en plus �troits du front. En juillet 1943, lors de la gigantesque bataille de Koursk, � peine sept divisions et deux brigades (2,7% des forces allemandes) �taient engag�es face aux Am�ricains et aux Britanniques dans les affrontements de la guerre du d�sert. Le reste (91 divisions et 3 brigades) se trouvait cantonn� dans les territoires de l'Europe occup�e. Les Alli�s prendront pied en Afrique du Nord en novembre 1942 (d�barquement de 70 000 hommes � Alger et Oran), en Sicile en juillet 1943 (d�barquement de 160 000 hommes), en Italie � Salerne (sud de Naples) en septembre 1943 et � Anzio en janvier 1944, mais les moyens engag�s p�seront de peu de poids (la Wehrmacht aura 23 divisions en Italie d�but 1944) compar�s � la d�mesure des effectifs et des mat�riels pr�sents depuis juin 1941 sur le front russe. Durant les quatre ann�es que dura le conflit germano-sovi�tique il y eut, en permanence, une moyenne de 9 millions d'hommes simultan�ment impliqu�s dans les op�rations de ce front.
+Le cumul des pertes militaires de l'Union sovi�tique et de l'Allemagne nazie, dans sa guerre d'invasion de l'Union sovi�tique, se monte � 80% du total de toutes les pertes militaires enregistr�es sur le th��tre d'op�ration europ�en de 1940 � 1945. C'est sur le front russe que la Wehrmacht aura les reins bris�s, bien avant le d�barquement des Alli�s en France. Apr�s le d�barquement de Normandie d'un corps exp�ditionnaire en juin 1944, c'est encore � l'Est que les Allemands continueront � engager et � perdre la majorit� de leurs hommes. La comparaison des pertes subies par la Wehrmacht sur les deux fronts � partir de juin 1944 montre la part presque exclusive du front russe m�me apr�s ce d�barquement. Du 1er juillet au 31 d�cembre 1944, pendant cinq mois, lors de la grande offensive sovi�tique contre le groupe d'arm�es du Centre, les Allemands perdront chaque mois en moyenne 200 000 soldats et pr�s de 4 000 Hiwis, des auxiliaires �trangers (russes) de l'arm�e allemande. � l'Ouest, au cours de la m�me p�riode, c'est-�-dire apr�s le d�barquement alli� en France, la moyenne des pertes allemandes s'�l�vera � 8 000 hommes par mois soit un rapport de 1 � 25.
+Les pertes en vies humaines seront colossales et sans pr�c�dent, les conditions de vie seront effroyables pour les deux camps. En 2001, les historiens russes estimaient les pertes du conflit germano-sovi�tique � 26,2 millions de tu�s (environ 16% de la population de l'Union sovi�tique de 1940) dont plus de 11 millions de soldats et officiers (6,8 millions de tu�s directs et 3,8 millions de prisonniers de guerre d�c�d�s entre les mains de la Wehrmacht), et surtout 15,6 millions de civils puisque l'importance sans pr�c�dent des pertes civiles est d'abord la cons�quence d'une guerre d'an�antissement men�e en Union sovi�tique par le Reich nazi. 34 millions de Sovi�tiques furent mobilis�s dans les rangs de l'Arm�e rouge de 1941 � 1945. L'ampleur de l'engagement allemand fut gigantesque : quelques 20 millions d'Allemands port�rent, � un moment ou � un autre, l'uniforme de la Wehrmacht sur le front russe, de sorte que c'est toute la soci�t� allemande qui fut impliqu�e dans l'exp�rience de la guerre sur le front de l'Est. Celle-ci fut voulue comme une lutte � mort, exigeant un engagement sans limites, une ob�issance absolue, la destruction totale de l'ennemi. � ce titre, la guerre totale d�clench�e contre l'URSS constitue non seulement le sommet du r�gime nazi, mais aussi l'�l�ment essentiel de son image dans la m�moire collective des Allemands apr�s la guerre. Pour l'�crasante majorit� des soldats allemands, l'exp�rience de la guerre fut celle du front russe.2
+� la fin du mois de mars 1945, la totalit� des pertes de l'Ostheer (le nom de la Wehrmacht sur le front russe) s'�levait � 6 172 373 hommes (tu�s, mutil�s, disparus), soit pr�s du double de ses effectifs initiaux, au 22 juin 1941. Ce chiffre repr�sente 80 % des pertes subies par la Wehrmacht sur tous les fronts depuis le d�clenchement de l'invasion de juin 1941. En mai 1945, on d�nombre plus de 3 millions de prisonniers allemands d�tenus en Union sovi�tique. Tous camps confondus, les tu�s de l'Arm�e rouge, hors les 3,8 millions de prisonniers de guerre sovi�tiques d�c�d�s apr�s leur capture, constituent 52 % du total des pertes militaires en Europe, ceux de la Wehrmacht 28 % (moins de 2% pour l'arm�e nord-am�ricaine). Les pertes militaires de l'Union sovi�tique repr�sentent 85 % du total des pertes alli�es en Europe (Royaume-Uni 3,7 % - France 2,9 % - �tats-Unis 2,6 %). Enfin, le front ouvert en juin 1944 en France aura, militairement, environ 11 mois d'existence contre 47 mois pour le front russe ouvert en juin 1941.
+Les motivations allemandes pour attaquer sont triples. Motivation historique (r�parer l'humiliation de la d�faite non reconnue de la Premi�re Guerre Mondiale face � l'alliance russo-franco-britannique de 1914), motivation strat�gique car l'existence m�me de l'Union sovi�tique fait peser une menace sur les plans de domination globale du Troisi�me Reich, et motivation id�ologique et raciste car � la lecture de Mein Kampf d'Adolf Hitler, les projets allemands appara�ssent explicites s'agissant des ressortissants de la Russie sovi�tique. Les vastes espaces de l'Union sovi�tiques sont destin�s � �tre le Lebensraum, l'espace vital allemand, une fois d�barrass� de ses populations. Les populations urbaines doivent �tre extermin�es par la famine, celles rurales mises en esclavage pour fournir des surplus alimentaires destin�s � l'Allemagne et � la colonisation aryenne.
+L'id�ologue du parti nazi Alfred Rosenberg a d�j� pr�vu le d�coupage du territoire � conqu�rir. Quatre Reichskommissariat seront cr��s, � savoir : l'Ostland comprenant les pays baltes et la Bi�lorussie, celui d'Ukraine, le Kaukasus avec la zone autour des monts du Caucase et celui de Moskau pour le reste de la Russie europ�enne.
+Du fait de son caract�re �minemment politique, l'op�ration est principalement une cr�ation d'Hitler. L'�tat-major de la Wehrmacht est alors r�ticent car il craint de devoir combattre sur deux fronts simultan�ment (un front terrestre contre la Russie, un front maritime et a�rien contre la Grande-Bretagne). Mais le F�hrer, aur�ol� du prestige des victoires fulgurantes en Pologne et surtout en France, croit en son g�nie politique et militaire et refuse de leur pr�ter l'oreille. Oppos�, lui aussi, par principe, � la division de ses forces sur deux fronts qui fut, � ses yeux, la grande erreur du Reich lors de la Premi�re Guerre mondiale, il finit par se convaincre lui-m�me que le Royaume-Uni est � bout de souffle et demandera la paix une fois l'Union sovi�tique vaincue et d�mantel�e car il ne veut pas diff�rer plus longtemps sa grande conqu�te � l'Est. Il surestime ses forces, prenant en compte ses victoires �clairs contre la Pologne puis la France, et sous-estime celles de la Russie sovi�tique, du fait des faibles performances de l'Arm�e rouge au cours de la Guerre d'Hiver contre la Finlande (125 000 soldats sovi�tiques y p�rirent contre 48 000 hommes pour l'arm�e finlandaise). La pr�paration de l'arm�e allemande souffrira donc de plusieurs carences qui se r�v�leront fatales pour la r�alisation des objectifs de l'op�ration Barbarossa quand il deviendra �vident que la Blitzkrieg est inop�rante en Russie.
+La premi�re mention d'une invasion de la Russie sovi�tique appara�t dans la directive n�21 du F�hrer, mise en circulation restreinte fin 1940."Les arm�es allemandes, pr�cisait la directive, doivent �tre pr�tes, avant m�me la conclusion de la guerre contre l'Angleterre, � �craser la Russie sovi�tique � la faveur d'une rapide campagne"4. � l'�poque, la Luftwaffe n'a pas encore �t� mise en �chec au-dessus de l'Angleterre. La directive indique d�j� la date de l'invasion : le 15 mai 1941. D�s ce document, le plan de conqu�te et les objectifs � atteindre sont trac�s, avec la s�paration en deux du champ de bataille : le nord et le sud des marais du Pripet. Les deux groupes d'arm�es au nord doivent dans un premier temps d�truire le maximum de forces sovi�tiques en appliquant les tactiques de la Blitzkrieg, puis prendre d'abord L�ningrad et son port de guerre de Kronstadt, et seulement ensuite la capitale Moscou. Le groupe sud, lui, doit progresser vers Kiev, son flanc droit �tant couvert par l'arm�e roumaine et quelques divisions allemandes. Par la suite, les op�rations au sud ont pour objectif l'occupation du bassin du Donets (et au-del� le p�trole du Caucase). Le plan pr�par� par Hitler est ax� sur la destruction des forces sovi�tiques sur la fronti�re gr�ce � des encerclements r�alis�s � toute vitesse par des unit�s blind�es et � la capture des grands centres �conomiques. Il rencontre une certaine d�fiance de la part d'une partie de l'�tat-major de la Wehrmacht, davantage attach� � des strat�gies plus conventionnelles, o� la capture de la capitale politique, objectif symbolique, est pr�dominante. M�me si Hitler consid�re ces pr�occupations d'un autre temps, il conc�dera la poursuite simultan�e des objectifs que sont Moscou et L�ningrad. Lors de la mise en oeuvre de ce plan, le groupe Nord sera incapable de prendre L�ningrad seul, malgr� sa sup�riorit� en effectifs et en artillerie sur la faible garnison qui prot�ge la ville de Pierre le Grand et d�cidera de l'affamer.
+Hitler d�cide que le premier but � atteindre est l'an�antissement de l'Arm�e rouge le plus t�t possible, pour l'emp�cher de se replier et d'appliquer la politique russe traditionnelle de d�fense devant toute invasion majeure : la terre br�l�e. Pour ce faire, la Wehrmacht doit encercler, chaque fois qu'il sera possible, des portions importantes des forces sovi�tiques pour les an�antir.
+Le plan adopt� est une sorte de m�lange des deux strat�gies. Il pr�voit une attaque sur trois axes, avec du nord au sud :
+La campagne doit au final �tablir, avant l'hiver, un front qui partant de L�ningrad suivrait le cours de la Volga, jusqu'� son embouchure. D'ici l�, l'Allemagne compte sur une destruction compl�te de l'Arm�e rouge, car les effectifs engag�s seront incapables de mener les t�ches d'occupation du pays conquis et la tenue de ce gigantesque front, long de plusieurs milliers de kilom�tres. Le 12 ao�t 1941, le mar�chal Wilhelm Keitel, chef de l'Oberkommando de la Wehrmacht, indique dans sa directive 34a le principal objectif op�rationnel de l'offensive : L'objet des op�rations doit �tre de priver l'ennemi, avant la venue de l'hiver, de son gouvernement, de son armement et de son centre de communication dans la r�gion de Moscou, et de l'emp�cher ainsi de reconstituer ses forces et de faire fonctionner de fa�on ordonn�e ses organes de gouvernement.5
+Initialement fix�e au 15 mai 1941, l'invasion est finalement report�e au 22 juin afin de terminer les op�rations de conqu�te de la Gr�ce et de la Yougoslavie, rendues n�cessaires, dans l'esprit de Hitler, par le putsch de Belgrade de mars 1941 (suite aux d�boires de Mussolini en Gr�ce).
+L'in�luctabilit� d'une guerre avec une Allemagne nazie qui consid�re l'URSS comme son "espace vital" (en allemand Lebensraum) ne fait gu�re de doutes en URSS. Des efforts colossaux sont faits pour essayer de rattraper le retard industriel et militaire sur l'Allemagne (on peut ranger au titre de ces "efforts" les purges au sein de l'Arm�e rouge, qui l'ont pourtant, au moins � court terme, fortement affaiblie). Staline, conscient de l'inf�riorit� militaire de l'Union sovi�tique, esp�re parvenir � combler ce retard pendant le r�pit accord� par le pacte germano-sovi�tique. En particulier, il veille � ne c�der � aucune provocation allemande, comme les violations de l'espace a�rien sovi�tique par des avions de reconnaissance allemands, ainsi qu'� ne pas provoquer lui-m�me l'Allemagne en engageant des pr�paratifs de combats. En juin 1941, malgr� les risques croissants d'une attaque allemande, il refuse les mesures les plus �l�mentaires de pr�paration au combat, comme la cr�ation de fortifications de campagne, la dispersion des mat�riels et la mise en alerte de l'Arm�e rouge. C'est donc dans un relatif �tat d'impr�paration que l'attaque allemande du 22 juin surprend l'URSS.
+Vassili Grossman, t�moin direct du front, raconte dans ses � Carnets de guerre � : "Au moment o� la guerre a commenc�, beaucoup de commandants en chef et de g�n�raux �taient en vill�giature � Sotchi. Beaucoup d'unit�s blind�es �taient occup�es � changer les moteurs, beaucoup d'unit�s d'artillerie n'avaient pas de munitions, pas plus que, dans l'aviation, on n'avait de carburant pour les avions.... Lorsque, depuis la fronti�re, on commen�a � avertir par t�l�phone les �tats-majors sup�rieurs que la guerre avait commenc�, certains s'entendirent r�pondre : � Ne c�dez pas � la provocation �. Ce fut une surprise, au sens le plus strict, le plus terrible du terme"6.
+La surprise ne fut pas totale pour le pouvoir sovi�tique puisqu'il a �t� �tabli que l'espion Richard Sorge et les analystes su�dois men�s par Arne Beurling avertirent Staline de la date exacte de l'invasion allemande. Plus de 80 avertissements furent transmis, d'une mani�re ou d'une autre, � Staline, qui pr�f�rait croire que l'Allemagne n'attaquerait que plus tard. Il semble que Staline se soit ent�t� dans l'id�e qu'Hitler n'ouvrirait pas un second front sans en avoir fini avec l'Angleterre. Il refusa cat�goriquement toute mesure risquant d'�tre per�ue comme une provocation par le r�gime de Berlin.
+Les unit�s sont cruellement handicap�es par le manque d'officiers correctement form�s. L'arm�e a perdu la plupart de ses repr�sentants les plus comp�tents. Apr�s la � Grande Terreur � communiste de 1936 - 1938 (pr�s de 750 000 Russes fusill�s, et sans doute 200 000 morts dans les camps du Goulag) une grande partie de l'encadrement de l'Arm�e rouge a disparu. Ont �t� fusill�s : 11 000 officiers sur 70 000 (et plus de 20 000 sont intern�s dans les camps), 154 g�n�raux de division sur 186 (82%), 50 g�n�raux de corps d'arm�es sur 57 (88%), 13 commandants d'arm�es sur 15 (87%), la quasi-totalit� des mar�chaux (90%) et des amiraux (89%). Khroutchev devait souligner que cette �puration massive des cadres de l'arm�e avait �t� l'une des causes principales de l'�tat d'impr�paration des forces sovi�tiques en juin 1941 : "Tant d'hommes avaient �t� ex�cut�s que le haut commandement avait �t� d�vast�, ainsi que tous les �chelons du corps des officiers"7. � noter que cette �puration continuait alors m�me que l'invasion allemande se d�veloppait, ce qui faisait dire � Stepan Anastasovich Mikoyan : "Une grande guerre s'�tait engag�e, notre arm�e souffrait de lourdes pertes et essuyait des d�faites, et, dans le m�me temps, des chefs militaires exp�riment�s, au lieu d'�tre appel�s � sauver la situation, �taient mis � mort en toute h�te..."8.
+Les cons�quences sur la qualit� du corps des officiers sont tragiques. Au moment o� l'arm�e fran�aise s'effondre sous les coups de l'arm�e allemande, � peine 7,1% des officiers sovi�tiques poss�dent une formation militaire d�velopp�e ; pr�s de 25% sont dans des cours de formation acc�l�r�e et 12% n'ont aucune formation militaire. Plus d'un tiers des officiers sovi�tiques est donc incapable de remplir un commandement � la veille de l'attaque allemande. Le commandement est t�tanis�. En outre, beaucoup des officiers en place en 1941 ont d'abord �t� choisis pour leur fid�lit� au r�gime et non pour leur comp�tence. S'ajoutant aux consignes de mod�ration donn�es � l'�gard des pr�paratifs allemands, leur incomp�tence favorisa la d�sorganisation et le d�ploiement hasardeux des unit�s charg�es de la d�fense de la fronti�re. Les troupes �taient, en effet, pour la plupart plac�es trop pr�s de la fronti�re et s'appuyaient sur une ligne de fortification encore en cours de r�alisation, la Ligne Molotov. Enfin, les officiers sovi�tiques de 1941 sont plac�s sous l'autorit� des commissaires politiques de l'Arm�e rouge. Le contr�le de ces derniers sur les ordres d'op�rations ne sera lev� qu'� la mi-1943 (et apr�s Stalingrad, l'Arm�e rouge remet en vigueur les grades et les �paulettes de l'Arm�e Imp�riale de la monarchie).
+En outre, le jour de l'invasion, beaucoup d'unit�s sont paralys�es par des carences en mat�riels de guerre. Les armes individuelles ont �t� distribu�es en quantit�s insuffisantes. D�j�, en mars 1941, 30% seulement des unit�s blind�es disposaient des pi�ces de rechange n�cessaires � leur fonctionnement. Un mois avant l'attaque allemande, les g�n�raux signalaient que "l'ex�cution du plan pour la fourniture des �quipements militaires dont l'Arm�e rouge a un besoin si aigu est extr�mement peu satisfaisante".
+Pourtant, l'Union sovi�tique de 1941 est loin d'�tre un pays faible : l'industrialisation forc�e des ann�es 1930 lui permet de n'�tre d�pass�e que par les �tats-Unis en termes de production industrielle (industrie lourde principalement). Ses mat�riels militaires sont souvent � la pointe de l'industrie mondiale, comme par exemple les chasseurs I-16 ou le char T-26. Cependant, depuis 1939, l'industrie d'armement du pays traverse une crise de transition, les nouveaux mat�riels ont beaucoup de mal � entrer en production de masse. Les d�cisions politiques ne sont g�n�ralement pas �trang�res � ces difficult�s. Le d�clenchement de la guerre contraindra le syst�me sovi�tique � davantage d'efficacit�, comme le montre la rapide mont�e en puissance de nouveaux mat�riels de guerre performants. Consid�r� comme le meilleur char � tout emploi � de la Seconde Guerre Mondiale, le T-34 sera le tank le plus important des forces alli�es. Il influencera nettement tous les chars con�us ult�rieurement. Il sera le premier char capable de rivaliser et de surpasser ses adversaires tant par sa puissance de feu que par ses performances. Quand les premiers exemplaires de s�rie sortirent en juin 1940, il n'avait pas d'�quivalent. Produit en grand nombre dans diff�rentes usines en fonction de l'avanc�e de la Wehrmacht en territoire sovi�tique (usines de Stalingrad, de Kharkov, de Nizhnij Tagil, d'Omsk, etc.), il pesait 32 tonnes et emportait un �quipage de 4 hommes. Il existait � peine plus de 1 000 T-34 lorsque les Allemands attaqu�rent la Russie. Seuls 10 % des chars sovi�tiques �taient alors des T-34, mais � la mi-1943 ce taux montait � 60 % avant que le T-34 n'ait totalement remplac� en 1944 les mod�les les plus anciens. De 1941 � 1945, dans ses diff�rentes versions, l'industrie russe en produisit pr�s de 52 000 exemplaires.
+L'ampleur des �preuves qu'ont subi les Russes depuis la chute du tsarisme (guerre civile, suppression de la plupart des libert�s politiques et �conomiques, collectivisation forc�e, p�riodes de terreur, ex�cutions massives, d�portations) ont fini par forger un peuple dur � la souffrance et ayant, malgr� tout, appris � survivre dans les conditions les plus difficiles. Enfin, l'�conomie sovi�tique vit sous un r�gime permanent d'�conomie de guerre depuis l'av�nement du bolch�visme, ce qui facilitera, � partir de 1942, la mobilisation totale des ressources �conomiques pour faire la guerre au Troisi�me Reich.
+Le dispositif d'invasion de l'Axe est sans �quivalent dans l'histoire militaire (except� l'immense offensive sovi�tique de conqu�te de l'Allemagne lanc�e le 12 janvier 1945 avec 6,7 millions de combattants). Hitler a mobilis� 3 millions de soldats du Reich qui commencent � se d�ployer en f�vrier, en Prusse-Orientale, en Pologne, en Slovaquie et en Moldavie. L'Ostheer inclut �galement des divisions hongroises, roumaines et finlandaises (500.000 hommes pour ces trois nationalit�s) et, par la suite, italiennes (l'Italie aura jusqu'� 200 000 hommes sur le front) : soit 201 divisions dont 42 de pays satellites, 3 650 chars d'assaut (85 % des disponibilit�s en blind�s du Reich), 2 770 avions, plus de 47 000 canons et mortiers de campagne. L'Allemagne engage 159 divisions sur les 220 dont elle dispose alors (73 % des effectifs totaux de la Wehrmacht). Ce sont pour la plupart des troupes aguerries par les campagnes pr�c�dentes, bien �quip�es et bien motoris�es (600 000 v�hicules) gr�ce en particulier aux prises de guerre de la bataille de France. On note cependant l'utilisation en juin 1941 de 600 000 chevaux par les �quipages du train.
+Si ces effectifs sont sans pr�c�dent dans une guerre de conqu�te, ils semblent insuffisants au regard du potentiel de l'Union sovi�tique et des immensit�s russes. L'arm�e d'invasion compte seulement 800 chars de plus qu'au d�clenchement du "Fall Weiss" contre la France. Il reste que, sur les axes de p�n�tration et les points de perc�e, la sup�riorit� de la Wehrmacht en mat�riels et en effectifs est �crasante, dans un rapport de 4/5 contre 1 et que l'arm�e allemande est remarquablement rompue au combat tactique, capacit� qui fera cruellement d�faut aux troupes sovi�tiques au moins jusqu'� la bataille de Koursk. La Blitzkrieg est donc la carte ma�tresse qui d�cidera de l'issue du front que le Reich nazi d�cide d'ouvrir contre la Russie.
+L'Arm�e rouge dispose au total, en juin 1941, de 209 divisions d'infanterie dont 160 sont stationn�es en Russie occidentale, soit en principe 2,3 millions de soldats � effectifs pleins (en 1941 la division d'infanterie allemande compte � effectif au complet 16 500 hommes contre 14 474 pour la sovi�tique). En r�alit�, 144 divisions comptent seulement la moiti� de leurs effectifs et 65 un tiers. C'est donc � peine un peu plus d'un million de soldats, pris au d�pourvu, qui vont devoir s'opposer � la d�ferlante allemande sur un front de plusieurs milliers de kilom�tres. Les Sovi�tiques peuvent mettre en ligne 37 500 canons, 1 540 chasseurs de derni�re g�n�ration, mais un nombre consid�rable de vieux avions (7 500) et de tanks sont d�class�s. L'Arm�e rouge n'a plus, depuis leur dissolution par le pouvoir sovi�tique en 1939, de corps m�canis�s � opposer � la Wehrmacht, corps blind�s qui sont en grande partie une cr�ation du mar�chal Mikha�l Toukhatchevski (fusill� en juin 1937 - sa femme, sa m�re et son fils, �l�ve-officier, sont ex�cut�s �galement en 1937). Enfin, l'Union sovi�tique doit se garder sur deux fronts : une quarantaine de divisions devront rester stationn�es jusqu'en ao�t 1945 en Extr�me-Orient russe face aux arm�es japonaises qui occupent la Mandchourie.
+L'�tat-major allemand entend profiter � plein de la faiblesse militaire de la Russie sovi�tique. Hitler devait ainsi d�clarer au g�n�ral Jodl : " Nous n'avons qu'� donner un coup de pied dans la porte et toute cette structure pourrie s'effondrera"10. Pourtant, d'apr�s le rapport entre les effectifs humains engag�s et le nombre d'engins de guerre, la Wehrmacht sur le front russe (l'Ostheer) �tait moins moderne que son adversaire direct, l'Arm�e rouge, m�me si, comme leurs alli�s occidentaux, les Sovi�tiques et ce, malgr� les enseignements de Toukhatchevski, n'avaient pas encore appris � tirer le maximum de leur puissance mat�rielle. En juin 1941, sur les 3 648 chars qui se ruent sur la Russie sovi�tique seuls 444 appartiennent � un mod�le relativement r�cent (Panzer IV). Face � eux, se trouvent un million d'hommes, soutenus par 15 000 chars sur un stock total de 24 000, soit plus que tous les chars du reste du monde r�unis. Si la grande majorit� de ces engins �taient des mod�les p�rim�s, 1 861 d'entre eux �taient des chars T-34 et des chars lourds KV, sup�rieurs aux meilleurs engins produits � l'�poque en Allemagne.
+Les conditions sont donc tr�s favorables pour l'Allemagne nazie. Le dimanche 22 juin 1941, le rouleau compresseur allemand s'�branle. Les unit�s d'assaut franchissent la fronti�re et attaquent les premi�res lignes sovi�tiques. L'attaque terrestre est pr�c�d�e par la plus gigantesque attaque a�rienne de tous les temps, men�e par la majorit� des 2 770 avions engag�s en appui de ce front. Cette attaque commence � 3 h 40 et vise 66 a�rodromes sovi�tiques. Elle a des r�sultats d�sastreux pour l'Arm�e rouge, puisqu'elle donne � la Luftwaffe la ma�trise absolue du ciel sovi�tique pendant plusieurs semaines. Les bombardiers allemands trouvent les avions sovi�tiques align�s ailes contre ailes � leur base, g�n�ralement sans camouflage ni protection. La plupart du temps, l'alerte n'a m�me pas �t� donn�e et peu d'avions de chasse peuvent d�coller. Les pertes des VVS sont terribles : le soir, 1 489 appareils ont �t� d�truits au sol et 389 autres abattus en vol. La Luftwaffe ne perd que 63 avions le 22 et 150 les deux premiers jours de l'offensive.
+� 4 h 15, l'artillerie allemande se met � pilonner les positions avanc�es de la d�fense sovi�tique sur la fronti�re et, � 4 h 45, les premi�res unit�s terrestres franchissent celle-ci. La surprise chez les Sovi�tiques est totale, la Stavka avait bien �mis un ordre qui avertit les unit�s frontali�res de l'imminence de la guerre, mais la plupart des unit�s ne l'avaient pas re�u. La premi�re op�ration est men�e sur le front central, par un coup de main d'un corps franc de la 3e Panzerdivision, qui s'empare du pont de Koden, sur le Bug. Dans la matin�e, un pont de bateaux est lanc� � Drohizyn, 80 km plus au nord. La t�te de pont ainsi cr��e fut appuy�e par l'emploi de 80 chars Pz-III submersibles. La r�sistance des Sovi�tiques est assez d�cousue sur la plus grande partie du front. Elle est acharn�e sur quelques points, comme la citadelle de Brest-Litovsk d�fendue par les 6e et 42e divisions de tirailleurs, qui r�sistent, pratiquement sans eau, jusqu'� la fin juillet, bien qu'ayant �t� attaqu�e d�s le matin du 22 juin. Sans appui d'aucune sorte, les soldats sovi�tiques de la citadelle sont totalement encercl�s et sans espoir de secours puisque la nouvelle ligne de front est � 400 kilom�tres plus � l'est. Ils continuent � se battre en d�pit de la disproportion des forces et de l'emploi d'artillerie de si�ge lourde par les Allemands comme les mortiers de 620 mm. La seule 45e division d'infanterie affect�e � la prise de la forteresse d�plorera 482 tu�s (dont 80 officiers) et plus de 1 000 bless�s. Les Russes perdront environ 2 000 � 2 500 tu�s et autant de prisonniers. Mais par son action, cette r�sistance ralentit consid�rablement le mouvement des unit�s d'infanterie qui doivent emp�cher les troupes sovi�tiques de s'�chapper de la poche de Bialystok-Minsk.
+Pendant ce temps, malgr� quelques contre-attaques sovi�tiques, les unit�s m�canis�es du groupe d'arm�e centre franchissent Bug, et s'enfoncent dans les arri�res des unit�s de l'Arm�e rouge. Les deux groupes blind�s du centre m�nent alors, � partir du 26 juin, deux perc�es parall�les, pour finalement converger sur Minsk, le 9 juillet, cr�ant la poche connue sous le nom de Bialystok-Minsk, o� plus de 400 000 soldats sovi�tiques et d'�normes quantit�s de blind�s et de mat�riels sont pris au pi�ge. Relev�s par l'infanterie des 2e, 4e et 9e arm�es, les blind�s allemands continuent leur progression en direction de Smolensk. Ils franchissent la B�r�zina le 28 juin, ayant parcouru 600 kilom�tres depuis la fronti�re.
+Au Nord, le groupe d'arm�e de Leeb progresse tr�s rapidement gr�ce � l'attaque tr�s en profondeur du 56e corps d'arm�e motoris� du g�n�ral Erich von Manstein, qui s'empare du pont d'Ariogala situ� � 80 km dans la profondeur du dispositif sovi�tique, d�s 19 h 00, le 22 juin et renouvela l'exploit le 26, avec celui de Dunaburg, lui � 350 kilom�tres de la fronti�re, malgr� une contre-attaque des chars du 3e corps m�canis� sovi�tique contre la 6e Panzerdivision au village de Rossi�ny. La bataille de chars qui r�sulte de la rencontre des forces blind�es, fait rage pendant deux jours, l'Arm�e rouge y engage une centaine de chars de type KV-1 et KV-2, ce qui provoque une crise dans l'arm�e allemande, car ce char lourd est alors invuln�rable aux canons des chars et aux armes antichar allemands, l'usage de pi�ces d'artillerie de 88 et 105 mm employ�es en tir direct permet n�anmoins aux Allemands d'endiguer la r�sistance sovi�tique. L'offensive marque un temps d'arr�t, car Hitler et son �tat-major pr�f�rent que les blind�s attendent l'infanterie avant de poursuivre leur progression vers L�ningrad.
+Le groupe d'arm�e sud conna�t pour sa part une progression bien plus difficile. Dans ce secteur sont mass� le plus gros des chars de l'Arm�e rouge, dont de nombreux KV-1 et T-34. Bien que manquant compl�tement de coordinations, les contre-attaques blind�es co�tent cher aux Allemands. De plus, la Roumanie n'intervient qu'� partir du mois de juillet. Le 28 juillet, la situation empire brusquement pour les Sovi�tiques quand le 1er groupe blind� et la 17e arm�e font leur jonction, � l'est d'Uman enfermant dans une poche, la majeure partie des 6e et 12e arm�es sovi�tiques. Les troupes encercl�es r�sistent jusqu'au 8 ao�t, mais elles sont contraintes � la reddition. Les pertes sont terribles pour l'Arm�e rouge, avec environ 200 000 tu�s et 100 000 prisonniers.
+Le 10 juillet, le groupe d'arm�es centre a commenc� une op�ration d'encerclement contre les troupes d�fendant Smolensk, jalon important sur la route de Moscou; le Dniepr est atteint et franchi le 11 juillet ; Smolensk tombe le 16, les troupes sovi�tiques �tant coup�es de leurs arri�res. Mais cette fois, la r�duction de la poche form�e (323 000 soldats sovi�tiques) va se r�v�ler probl�matique : les troupes russes continuent � r�sister malgr� leur isolement. Suite � une forte contre-attaque, l'encerclement est m�me rompu temporairement. Les combats vont durer jusqu'au 10 septembre, l'Arm�e rouge ramenant constamment de nouvelles troupes fra�ches. Certes, ses pertes sont l� aussi tr�s importantes, mais la progression des Allemands est enray�e, et oblig�e de lutter pied � pied contre des troupes d�termin�es, l'arm�e allemande subit elle aussi une v�ritable h�catombe avec la perte de pr�s de 250 000 hommes (tu�s et bless�s). 310 000 soldats et officiers sovi�tiques sont faits prisonniers, beaucoup seront sommairement ex�cut�s. La bataille du chaudron de Smolensk porte � la Wehrmacht un coup dur dans sa progression vers l'est. Le g�n�ral Blumentritt rel�ve que "le comportement des troupes russes dans la d�faite contrastait terriblement avec celui des Polonais ou des Occidentaux. M�mes encercl�s, les Russes s'accrochaient et combattaient".
+� la mi-septembre, l'Arm�e rouge, suite aux terribles pertes qu'elle a subies, a �t� contrainte de se replier sur une ligne de d�fense derri�re la Divna et le Dniepr. Les arm�es allemandes ont regagn� leur libert� de mouvement avec la fin de la liquidation de la poche de Smolensk. Les g�n�raux r�clament une attaque en direction de Moscou, d�sormais � 400 km du front. Il semble certain aux g�n�raux allemands que, compte tenu de l'ampleur �norme de ses pertes, l'Arm�e rouge sera incapable de r�sister � une pouss�e dans cette direction. Hitler n'est pas de leur avis, il veut s'emparer de la r�gion industrielle du Donbass. Il voit �galement la possibilit� d'en finir avec les forces arm�es sovi�tiques qui ont mission de d�fendre l'Ukraine. Les arguments avanc�s par Hitler pour soutenir une avanc�e blind�e vers le Sud sont que les lignes d'approvisionnement de l'arm�e centre seraient expos�es sur un flanc de plus de 800 km si l'offensive continuait vers Moscou. En cons�quence, il ordonne au 2e groupe blind� de Guderian de se porter vers le sud pour rejoindre le 1er groupe blind� du feld-mar�chal von Kleist qui remonte du sud apr�s avoir travers� le Dniepr. Le 25 ao�t, la 3e division blind�e s'empare du point strat�gique qu'est le pont sur la Desna, pr�s de Novgorod-Severski. Lorsque les officiers d'�tat-major sovi�tiques prennent conscience du danger mortel qui se rue sur les arm�es du Sud, il est trop tard. Les deux pointes blind�es allemandes se rejoignent � Lokhvitsa. Un gigantesque encerclement est r�alis� autour de la r�gion de Kiev et des marais du Pripet dans lequel plus de 500 000 soldats sovi�tiques sont pris au pi�ge. Kiev, "la m�re des villes russes" dans la culture slave, tombe le 19 septembre et le reste de la poche suit dans le mois. Seuls 15 000 soldats et officiers parviennent � franchir le cordon allemand dont Nikita Khrouchtchev, le g�n�ral Semyon Timochenko et le mar�chal Boudienny. C'est le plus vaste encerclement militaire de l'Histoire. C'est aussi la plus grande d�faite militaire ponctuelle de l'histoire sovi�tique. Au terme de la bataille de Kiev, l'arm�e allemande a encore 200 000 tu�s, bless�s et disparus mais les Sovi�tiques perdent pr�s d'un million d'hommes (400 000 tu�s, 500 000 prisonniers ex�cut�s sur place ou que les Allemands laisseront mourir de faim avant de d�porter les survivants dans les camps d'Europe centrale).
+Partout, les unit�s de l'Arm�e rouge battent en retraite, d�pass�es par la rapidit� de l'invasion. La plupart des habitants des zones envahies sont effondr�s. "La population. Ils pleurent. Qu'ils soient en route, qu'ils soient assis, qu'ils soient debout pr�s des palissades, � peine commencent-ils � parler qu'ils pleurent, et on a soi-m�me envie de pleurer malgr� soi. Quel malheur!". Vassili Grossman. Pourtant, on commence � voir, �� et l�, des habitants r�server un accueil pr�venant aux troupes allemandes.
+La route du Donbass est ouverte pour le groupe d'arm�es sud, qui atteindra Rostov-sur-le-Don le 21 septembre, mais les divisions blind�es et motoris�es de la Wehrmacht sont tr�s �prouv�es par les deux f�roces batailles de la fin de l'�t�, et ce n'est que le 30 septembre que la progression peut reprendre en direction de Moscou. La saison des boues, la rapoutitsa, rend les routes impraticables, et provoque alors un arr�t des op�rations mobiles pendant pr�s de quinze jours, obligeant � patienter jusqu'aux premi�res gel�es pour reprendre le mouvement.
+Au Nord, les troupes allemandes, arrivent devant les premi�res lignes de d�fense de L�ningrad, au d�but du mois de septembre. La prise de la ville, dont la d�fense est organis�e par Joukov, s'av�re vite impossible malgr� les faibles moyens de d�fense de l'Arm�e rouge. Les Allemands s'abstenant d'un assaut direct, d�cident de l'investir progressivement pour l'affamer, avec l'aide des Finlandais, mais la ville, malgr� des pertes humaines colossales (700 000 civils p�rirent de faim et des bombardements), r�sistera en fait jusqu'� son d�gagement en 1944, au cours du si�ge le plus long et le plus impitoyable de l'histoire moderne.
+En quelques semaines � peine, les divisions allemandes ont progress� de 500 km vers le Nord, de 650 km vers l'Est, de 350 km vers le Sud-Est. De juin � octobre 1941, l'Ostheer (la Wehrmacht sur le front russe) a fait au total plus de 3 millions de prisonniers. Les premiers massacres en masse de Juifs, Russes et Tsiganes d�butent quelques semaines seulement apr�s le d�but de l'invasion.
+Les Allemands trouvent un pays las du sovi�tisme, mais les Einsatzgruppen massacrent syst�matiquement les Juifs (plus de 1 500 000 personnes, essentiellement des femmes et des enfants, seront assassin�es de 1941 � 1944) et multiplient les atrocit�s dans le cadre de ce qui ressemble � une guerre d'an�antissement.
+La population devient de plus en plus hostile � un envahisseur qui appara�t comme un ennemi venu pour an�antir et non pour lib�rer. Si les premi�res villes captur�es avaient sembl� accueillir favorablement l'envahisseur (en Ukraine en particulier), du fait de la lassitude face � la f�rocit� du r�gime stalinien et aux probl�mes des nationalit�s, les tr�s nombreux massacres de civils transforment rapidement cet a priori favorable. Les massacres de civils d�sarm�s et l'intention d�clar�e de r�duire les Slaves en esclavage retournent vite les populations. Le traitement inhumain r�serv� aux prisonniers de guerre a fini par filtrer. Les Allemands �prouvent des difficult�s croissantes � capturer des prisonniers, les soldats russes pr�f�rant lutter jusqu'� la mort plut�t que de mourir sommairement ex�cut�s. Les opposants au r�gime se persuadent qu'il s'agit d'une lutte � mort o� ils n'ont gu�re le choix du camp.
+Les troupes allemandes traversent des r�gions affreusement pauvres et d�sertes, et l'�tendue des espaces russes fait perdre tout son sens � la Blitzkrieg. Les lignes de communications de la Wehrmacht s'allongent d�mesur�ment. Assez rapidement, des groupes de partisans se forment sur les arri�res de la Wehrmacht, obligeant celle-ci � consacrer un partie importante de ses forces au maintien de ses routes de ravitaillement. Ce dernier rencontre de nombreux probl�mes, comme la diff�rence d'�cartement des voies de chemin de fer russes avec celles d'Europe occidentale. Apr�s des centaines de kilom�tres parcourus dans les plaines russes, le mat�riel est us� et en mauvais �tat. Surtout, le manque d'hommes disponibles, compte tenu de ses pertes, commence � poser un probl�me � la Wehrmacht. Apr�s plus d'un mois de combats, elle a d�j� perdu plus d'hommes qu'au cours de toutes ses campagnes � l'Ouest, tout en �tant tr�s loin d'avoir atteint ses objectifs op�rationnels. En septembre 1941, les divisions combattantes, alors au nombre de 142, d�clarent avoir perdu pr�s de 50 % de leurs forces initiales en hommes et en mat�riel et, en novembre, la plupart des formations d'infanterie ont perdu la moiti� de leurs effectifs.
+D�but septembre, les Allemands, bloqu�s par les boues, tiennent plusieurs conseils de guerre pour pr�voir la suite des op�rations, dont la conf�rence d'Orcha, � laquelle participe Hitler. Il est d�sormais clair que malgr� les pertes colossales inflig�es � l'Arm�e rouge, celle-ci n'a pas �t� d�truite. Sa combativit�, loin de s'�crouler, semble m�me s'accro�tre. Il appara�t que seul le groupe d'arm�es centre sera capable de reprendre la progression quand les routes seront de nouveau praticables. Malgr� l'aide des Finlandais, le groupe nord est incapable de mener un action de vive force contre L�ningrad, il arrive tout juste � maintenir un encerclement partiel et pr�caire, qui laisse passer le ravitaillement pour la ville par le lac Ladoga. Le groupe d'arm�es sud est soumis � une forte pression russe et le corps blind� de von Kleist a �t� contraint de passer � la d�fensive, voire de c�der du terrain comme � Rostov-sur-le-Don, aux portes du Caucase, face aux contre-attaques de Semyon Timochenko : c'est le premier recul allemand depuis le d�clenchement de l'invasion.
+Devant l'�chec in�luctable de Barbarossa, on pr�pare une op�ration de rechange pour essayer d'en finir avant l'hiver, l'op�ration Ta�fun (typhon). Hitler adopte, malgr� ses id�es pr�c�dentes, l'id�e qui veut que la prise de la capitale de l'adversaire doit briser sa volont� de r�sistance. Les objectifs initiaux de Barbarossa (la ligne Arkhangelsk-Kou�bychev) sont abandonn�s, ce qui rend d�sormais impossible la destruction de l'industrie de guerre sovi�tique mise � l'abri derri�re l'Oural. De plus, Staline a acquis la certitude, par les renseignements fournis par le r�seau Orchestre rouge et Richard Sorge, mais surtout par des communications qui ont �t� intercept�es, que la politique d'expansion japonaise n'a plus que des vis�es vers le Sud-Est asiatique et que le Japon s'appr�te � attaquer la flotte des �tats-Unis � Pearl Harbor. Les troupes fra�ches et exp�riment�es qui gardent la fronti�re extr�me-orientale en Sib�rie vont pouvoir �tre rapatri�es en Russie occidentale. De fin 1941 au d�but de 1942, pr�s de 400.000 "Sib�riens" sont ainsi transf�r�s vers l'ouest � bord de trains sp�ciaux mettant de une � deux semaines pour arriver � destination (sur ce total 250.000 soldats furent assign�s � la d�fense de Moscou).
+Fin octobre 1941, Adolf Hitler d�cide la bataille de Moscou, d�clarant � ses g�n�raux son intention de raser la ville jusqu'� ses fondations et d'en faire un immense lac artificiel. Il donne l'ordre le 14 octobre 1941 d'un double enveloppement de Moscou, avec pour objectif la jonction � Noginsk. Le Reich regroupe tous ses moyens disponibles en vue de l'assaut. Moscou renforce ses d�fenses : un demi-million d'hommes et de femmes creusent 8 000 km de tranch�es, 100 km de foss�s antichars.
+De novembre � d�cembre, la Wehrmacht engage 1,8 million d'hommes dans cette bataille (80 divisions mais � effectifs incomplets), soit plus de 50 % de toutes ses divisions, 30 % de son artillerie, sur un front de 600 km de large et de 250 km de profondeur. En deux semaines de combats, l'Arm�e rouge perd 700 000 prisonniers (poches de Viazma, d'Orel, de Briansk...), 1 200 chars et 5 000 canons. Le 7 novembre 1941, dans un discours rest� c�l�bre, prononc� sur la place rouge devant les troupes qui partent au front, Staline d�laisse l'id�ologie et en appelle aux valeurs et aux grandes figures historiques de la nation russe. Le front ("front" ou groupe d'arm�es dans la terminologie sovi�tique) de Kalinine, au nord de Moscou, lance sa contre-attaque le 5 d�cembre dans une neige de plus d'un m�tre d'�paisseur et par des froids de -20�C � - 30�C. L'offensive hitl�rienne est stopp�e � 30 kilom�tres de Moscou (non loin du faubourg de Khimki, � proximit� de l'actuel A�roport international Cheremetievo), gr�ce �galement � un terrible hiver pour lequel elle n'est pas �quip�e. Une contre-offensive men�e fin d�cembre par des bataillons sib�riens casse enfin le front allemand et rejette de 100 � 200 km en arri�re le groupe d'arm�es centre. Le 22 janvier, la bataille de Moscou est gagn�e par Joukov. Guderian est contraint � une retraite pr�cipit�e, abandonnant une grande partie de son mat�riel. L'arm�e allemande perd encore 615 000 hommes. C'est le retour de balancier. Jusqu'en janvier 1942, la Wehrmacht recule partout.
+Une �tude r�cente 12 r�evalue la bataille de Moscou et fait de celle-ci "la bataille la plus importante de la Deuxi�me Guerre mondiale et, de fa�on indiscutable, le plus vaste engagement militaire de tous les temps. En additionnant les effectifs des deux camps, environ 7 millions d'hommes furent engag�s, � un moment ou � un autre, dans ces combats. Sur ces 7 millions de soldats, 2,5 millions furent tu�s, faits prisonniers, port�s disparus ou assez gri�vement bless�s pour �tre hospitalis�s, avec des pertes beaucoup plus lourdes du c�t� sovi�tique que du c�t� allemand. Selon les archives militaires russes, 958.000 soldats sovi�tiques ont p�ri, ce qui comprend les tu�s, les disparus et les hommes faits prisonniers. Etant donn� le traitement que leur r�servaient les Allemands, la plupart des prisonniers de guerre sovi�tiques �taient, de fait, condamn�s � mort. De plus, 938.500 de leurs camarades furent hospitalis�s pour blessures, ce qui porte le total des pertes sovi�tiques � 1.896.500 hommes. Pour les Allemands, le total des pertes �tait de 615.000 hommes".
+Pr�s de 2 millions de Sovi�tiques se rang�rent du c�t� des allemands (Baltes, Ukrainiens, Russes, quelques Polonais enr�l�s de force entre autres) durant l'occupation de leur territoire, soit moins de 3 % de la population de la zone occup�e par le Reich dans la partie ouest de l'Union sovi�tique. En 1943, certaines divisions allemandes comptaient plus de 20 % d'auxiliaires russes (les Hiwis). Il y eut 2 divisions SS russes, les 2 divisions de l'arm�e Vlassov et le 15e SS Kosaken-Kavalerie-Korps constitu� de Cosaques du Don. Beaucoup agissaient par nationalisme, les pays baltes et l'est de la Pologne, qui faisaient partie de l'empire russe (monarchique) jusqu'en 1917, ayant �t� r�annex�s par l'Union sovi�tique en 1939.
+Exemple parmi d'autres du soutien que re�urent les envahisseurs de la part de certaines populations locales � certains endroits : les milices pro-germaniques �taient assez efficaces pour rendre inutiles des repr�sailles. Tel �tait le cas du district administratif autonome de Lokot, dans la r�gion d'Orel-Koursk, au sud de Briansk. Comptant 1 700 000 habitants, ce district fut d�fendu par une milice int�gralement russe en 1941 - 1942. Ici, la base de la collaboration �tait de nature politique (anti-communisme) et la milice de Lokot cr��e par le g�n�ral Rudolf Schmidt de la IIe Arm�e Panzer conjointement avec un ing�nieur russe (remplac� plus tard par le fameux Bronislaw Kaminski), fut connue sous le nom de Russkaya Osvoboditelnya Narodnaya Armiya (Arm�e de lib�ration russe). Certaines de ces milices, dans les pays baltes et en Ukraine en particulier, apport�rent aux autorit�s d'occupation un soutien non n�gligeable dans la politique d'extermination des populations juives.
+Un �l�ment capital des transactions fut que les SS avaient interdiction d'op�rer dans toute cette r�gion o� les Allemands accept�rent de s'abstenir de toute action de repr�sailles du fait des activit�s de la r�sistance qui se poursuivaient toujours. De tels arrangements, bien que g�n�ralement moins formels, �taient monnaie courante dans les r�gions occup�es par les Allemands. Ils trouvaient des avocats fervents parmi les officiers de la Wehrmacht. Les SS s'y opposaient de fa�on tout aussi v�h�mente, car ils refusaient d'armer des � sous-hommes �. Par la suite, la situation ayant empir� pour le Reich nazi et le besoin d'effectifs devenant criant, les SS furent amen�s � temp�rer leur refus initial. Ils s'opposaient toujours � la cr�ation de milices, mais seulement parce qu'ils voulaient recruter tous les hommes disponibles pour leurs nombreuses unit�s � ethniques �.
+Les Allemands r�ussissent � stabiliser la ligne de front de la Baltique � l'Ukraine au prix de pertes �normes en hommes et en mat�riels (l'essentiel des 3 500 chars engag�s est rest� sur le terrain - 50 % du mat�riel roulant est hors d'�tat de marche). Les divisions a�riennes ne disposent plus que de 25 � 50 % de leurs appareils de combat. La Luftwaffe se voit disputer la ma�trise du ciel avec la mont�e en ligne de nouveaux chasseurs russes (Mikoyan Mig 1, Sturmovik � tueur de chars �). L'infanterie d'invasion ne parvient pas � maintenir le contact avec ses fers de lance blind�s sur de longues distances. Compte tenu de ses pertes et de l'�tendue des espaces russes, l'arm�e allemande doit donc renoncer � la Blitzkrieg tout en devant faire face � un adversaire qui ne cesse de se moderniser. � ce moment, il appara�t que c'est � l'impr�paration des arm�es sovi�tiques de juin 1941, � l'effet de surprise, que le Reich doit d'avoir �vit� de graves difficult�s dans ses combats contre l'Arm�e rouge lors de l'invasion de juin 1941.
+Pour l'Allemagne, c'est en Russie que la Seconde Guerre Mondiale commence vraiment tant les pertes en hommes ont �t� faibles durant les campagnes de Pologne, de France ou des Balkans. Alors que pendant les deux premi�res ann�es de la guerre (1939 et 1940), 1 253 officiers seulement �taient morts au combat, entre juin 1941 et mars 1942, 15 000 officiers furent tu�s, ce qui indique un changement radical dans l'�volution des pertes. Au cours des six premiers mois de l'invasion, les pertes de l'Ostheer (la Wehrmacht sur le front russe) s'�lev�rent � 750 000 hommes, qui furent port�es � un million � la fin de mars 1942 dont plus d'un tiers de tu�s ou de disparus. Au total, lors de la premi�re ann�e de la campagne de Russie, le Reich perd 1,3 million d'hommes, sans compter les malades, soit 40 % des 3,2 millions d'hommes de l'Ostheer. Le manque g�n�ral d'hommes dans le Reich ne permet pas d'assurer les remplacements � une pareille �chelle.
+� la fin de 1941, la Wehrmacht s'est enfonc�e de 800 km en Union sovi�tique et a conquis plus d'un million cinq cent mille kilom�tre-carr�s de territoire sovi�tique, comptant 65 millions d'habitants (17 millions de personnes sont parvenues � fuir). En 1942, la longueur du front russe, de la Finlande au Caucase, passe � 6 200 km. L'Allemagne occupe alors l'Ukraine, la Bi�lorussie, une grande partie du nord de la Russie, soit plus de la moiti� de la Russie d'Europe (qui concentre 80 % des industries lourdes et de la population), acculant les Russes sur des zones moins peupl�es et les privant d'une grande partie de leur potentiel �conomique (de 60 � 70 %). Mais le Reich a perdu ses meilleures troupes.
+Les pertes de l'Arm�e rouge sont colossales : 1,5 million de tu�s, 4 millions de prisonniers dont 2 millions au moins seront an�antis. Fin 1941, les Allemands estiment avoir d�truit plus de 20 000 blind�s et 35000 canons sovi�tiques.
+C'est pourtant � ce moment que la soci�t� sovi�tique se lance dans une mobilisation de ses forces et de ses ressources, totale et �perdue, dans le cadre d'une �conomie de guerre d'une extr�me rigueur. Le 3 septembre 1941, le pouvoir sovi�tique d�cr�te la mobilisation de tous les hommes de plus de 18 ans. D�s l'automne 1941, plus de 2 000 groupes de partisans se constituent en territoire occup�. "Tout pour le front ! Tout pour la victoire !", "Encore plus d'armes pour le front" deviennent les slogans dans les usines. Les bureaux de recrutement de l'Arm�e rouge sont submerg�s par les volontaires d�sireux de se battre pour "la d�fense du sol natal". De nombreuses jeunes filles s'engagent dans l'Arm�e rouge (de 1941 � 1945 plus de 800 000 femmes ont combattu comme volontaires sur le front). La journ�e de travail monte � 12 heures par jour, voire davantage. Les d�c�s par �puisement au travail ne sont pas rares dans les usines. La l�gislation, d�j� tr�s dure, du 26 juin 1940 est encore aggrav�e par la loi du 26 d�cembre 1941, qui assimile tout changement de travail non autoris�, tout d�part ou toute absence injustifi�e � une d�sertion, passible des tribunaux militaires et sanctionn�e d'une peine de 5 � 10 ans de camp (plus de 900 000 personnes furent condamn�es en vertu de la loi du 26 d�cembre 1941). Un d�cret de f�vrier 1942 instaure la mobilisation totale des femmes �g�es de 15 � 45 ans, femmes dont la part dans la main-d'oeuvre industrielle passa de 37 � 60% entre 1941 et 1945.
+Entre juillet 1941 et janvier 1942, en Russie d'Europe, 17 millions de personnes participent dans des conditions ext�nuantes au d�montage et au transfert de plus de 1 500 grandes entreprises industrielles dans l'Oural, la Volga, l'Asie centrale (Kazakhstan surtout) et la Sib�rie; transfert n�cessitant la construction en quelques mois de plus de 10 000 km de voies ferr�es. Plus de 2 600 usines auront �t� �vacu�es et reconverties dans l'industrie de guerre. Leur remise en route, en plein hiver, n'exigera pas un effort moins gigantesque. Au terme d'op�rations titanesques d'une grande complexit� logistique, plus de 10 millions d'ouvriers prennent le chemin de l'Oural et, d�s le d�but de 1942, apr�s cet effort pharaonique dont il n'existe aucun �quivalent dans l'histoire industrielle de l'Europe, la production de guerre est remont�e � 48 % de son niveau de 1940. Alors qu'en 1940, 358 chars de dernier mod�le avaient �t� construits, au cours des six premiers mois de 1941 seulement leur nombre s'�leva � 1 503 et dans les six derniers mois de cette ann�e-l�, malgr� l'occupation par les Allemands du coeur industriel de la Russie, 4 740 chars dernier mod�le suppl�mentaires furent produits. D�s la fin de 1942, la Russie d�passe l'Allemagne dans sa production d'armements alors que la Wehrmacht occupe plus de 50 % de la Russie d'Europe. La production de blind�s et d'avions est alors le double (50 000) de la production allemande, en 1944 celle de canons usin�s est trois fois sup�rieure (122 000).
+L'op�ration Barbarossa se solde, fin 1941/d�but 1942, par une d�faite strat�gique consid�rable pour l'Allemagne puisqu'il appara�t, d�s ce moment, que le Troisi�me Reich n'avait peut-�tre pas les moyens de vaincre l'Union sovi�tique en juin 1941. En mai 1945, les fantassins sovi�tiques planteront leur drapeau au sommet du Reichstag, au terme d'une bataille de Berlin, qui fera 78 000 tu�s dans leurs rangs.
+Le g�n�ral Volkogonov, biographe de Staline, pouvait �crire en 1996 "Il serait difficile de trouver pire d�but � une guerre que ce mois de juin 1941. Toutes les autorit�s politiques et militaires majeures ont pens� que l'URSS ne pourrait pas survivre plus de trois mois. Mais le peuple sovi�tique leur a finalement donn� tort. Pourtant, le m�rite de cette incroyable capacit� de r�sistance allait �tre attribu� � la "sage direction" de Staline, la personne m�me la plus directement responsable de la catastrophe".15. Et Stepan Mikoyan de pr�ciser : "Nous avons gagn� la guerre en d�pit de la dictature de Staline".16.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le Pays basque ou Euskal Herria (parfois eskual herria) en basque est un territoire qui s'�tend de part et d'autre des Pyr�n�es occidentales sur plusieurs r�gions administratives dont le statut politique et juridique de chacune des provinces historiques varie en France et en Espagne, et couvre 20 551 km� o� habitent environ 3 millions de personnes.1
+Si par convention, on peut faire correspondre les 7 provinces traditionnelles (Zazpiak Bat), il est difficile d'en pr�ciser avec exactitude les contours car les fronti�res administratives ne co�ncident pas toujours avec les fronti�res ethniques et culturelles.2 Le Pays basque s'identifie que par convention et par construction sociale et politique, les provinces ont incontestablement un enracinement historique et politique mais celui-ci n'est pas fond� exclusivement ou m�me principalement sur un substrat culturel basque.2
+Le Pays basque se divise en 3 entit�s administratives : La Communaut� autonome du Pays basque (�galement d�not�e � Pa�s Vasco � en Espagne), est une communaut� autonome espagnole compos�e des trois seuls territoires historiques d'Alava, Guipuscoa et Biscaye et qui constituent 72% de la population totale. La Navarre qui repr�sente plus de 50% du territoire, et le Pays basque fran�ais inclus dans les Pyr�n�es-Atlantiques sont les deux autres entit�s administratives.
+Selon le contexte, l'expression � Pays basque � utilis�e en langue fran�aise peut d�signer l'ensemble de ce territoire ou seulement la partie nord des terres basques, soit le Pays basque fran�ais.
+C'est � l'unit� linguistique d'une grande partie de ses habitants que l'ensemble doit sont nom. En basque, le nom du pays est aussi �troitement li� � celui de sa langue. Pays basque se traduit par Euskal Herria (Pays basque) = Euskararen Herria (le pays de la langue basque), et Basque par euskaldun = Euskara dun (celui qui poss�de la langue basque). Tr�s peu de peuples se d�signent et d�signent leurs pays par la connaissance de leurs langues. Quant au mot Euzkadi, invent� par le p�re du nationalisme basque, Sabino Arana, au xixe si�cle, il d�signe la patrie basque. Les deux termes ont donc une port�e diff�rente. "Euskal Herria" est une notion plus g�ographique et culturelle, alors que "Euzkadi" est une notion politique : elle d�signe la nation basque.
+� l'heure actuelle, Euskadi est le nom basque de la Communaut� autonome du Pays basque form�e les provinces de l'Alava, la Biscaye et le Guipuscoa.
+Le Pays basque dans son sens large comprend sept territoires historiques. Quatre au sud des Pyr�n�es forment le Pays basque sud (ou espagnol) (Hegoalde) et trois au nord forment le Pays basque nord (Iparralde).
+Le Pays basque espagnol (Hegoalde) ou Pays basque sud comprend :
+L'Alava, la Biscaye, le Guipuscoa forment la Communaut� autonome du Pays basque (Euskal Autonomia Erkidegoa).
+Le Pays basque fran�ais (Iparralde) ou Pays basque nord comprend :
+Le Pays basque fran�ais forme une partie du d�partement des Pyr�n�es-Atlantiques (le d�partement ayant �t� constitu� � partir de ces pays et du B�arn pour l'essentiel).
+La c�te et les montagnes sont les paysages dominants du Pays basque.
+Trois provinces se partagent la c�te basque : le Labourd c�t� fran�ais et le Guipuscoa et la Biscaye c�t� espagnol. La r�gion est tr�s marqu�e par l'influence maritime et Bilbao et Bayonne en sont les deux villes rayonnantes. La c�te basque commence au sud de l'Adour avec des plages de sables fins qui correspondent au prolongement de la c�te landaise. � Anglet, � la chambre d'Amour, les longues plages se terminent et laissent la place � des falaises de 30 � 50 m de hauteur et � des petites plages enfonc�es dans des criques. Cette formation rocheuse provient du massif pyr�n�en qui rencontre le golfe de Gascogne au niveau de la fronti�re franco-espagnole (Pointe Sainte Anne, Cabo Higuer). Les formations g�ologiques sont tr�s h�t�rog�nes le long de la c�te. On rencontre du gr�s calcaire � la pointe Saint-Martin, des marnes bleues sur la c�te des basques, ou du flysh vers Bidart, dans la baie de Loya, � Hendaye ou � Zumaya. La c�te est alors tr�s d�coup�e et change inexorablement avec l'�rosion des pluies et de la mer. Au milieu des ces falaises, on trouve des plages �troites, assez rares et parfois compos�es de galets et des estuaires qui sont devenus les lieux privil�gi�s d'urbanisme.
+On observe une diff�rence nette entre la c�te basque fran�aise et la "costa vasca" (c�te basque espagnole). L'expansion de l'urbanisme est importante c�t� fran�ais � cause notamment du tourisme grandissant. Environ 5% de la c�te est libre de construction. C�t� espagnol, la c�te est plus pr�serv�e et moins urbanis�e. Cependant, la qualit� de l'urbanisation est beaucoup plus mauvaise que c�t� fran�ais et d�nature le littoral.
+La montagne domine tout le reste du territoire basque avec des hauteurs d�passant 400 m sur plus de la moiti� du pays. Ce sont les Pyr�n�es qui sont dans le centre du Pays basque et coupent ce dernier en deux, formant la fronti�re entre la France et l'Espagne. Le point culminant des Pyr�n�es basques est le pic d'Orhy � 2 017 m. � l'est, les Pyr�n�es sont hautes et parsem�es de for�t et de p�turages d'altitude avec des vall�es assez profondes. � l'ouest, la chaine Pyr�n�ene est plus calme et forme des plateaux herbeux et des sommets arrondis jusqu'� l'Oc�an. Au nord du massif, en Iparralde, les collines vertes dominent jusqu'� l'Adour. On y trouve des prairies, des bois et des champs cultiv�s de ma�s. Au-dessus de l'Adour se forme une plaine alluviale mar�cageuse appel�e les barthes. Au sud de la chaine axiale, en Navarre, les Pyr�n�es sont pr�sentes tout le long de la fronti�re et se prolongent jusqu'� la c�te basque espagnole avec des vall�es plus vertes et moins �troites. � l'ouest, dans la communaut� autonome basque, on trouve la cordill�re Cantabrique qui se prolonge vers Bilbao. Elle est form�e d'une succession de sierras : la sierra d'Aralar, la sierra d'Urbasa et la sierra d'Andia. Enfin, vers l'�bre, les plateaux disparaissent au profit d'une grande vall�e.
+Le climat du Pays basque est vari� et fortement influenc� par l'oc�an Atlantique. Le littoral b�n�ficie de l'influence du Gulf Stream, qui donne un climat temp�r� et des temp�ratures douces. La temp�rature annuelle moyenne est de 13 �C. Les vents dominants sont orient�s d'ouest en est et am�nent des pr�cipitations r�guli�res en hiver. Au sud, en Espagne, des vents du sud appel�s localement haize hegoa permettent de r�chauffer tout le pays. Les �t�s restent doux gr�ce � l'oc�an. Les pluies sont assez abondantes et tombent tr�s rapidement sous forme d'orages ce qui donne une v�g�tation riche et verte m�me en �t�. Vers le sud du Pays basque en Espagne, le climat devient plut�t m�diterran�en voire presque continental avec des hivers secs et froids et une v�g�tation plus d�sertique.
+La faune est tr�s vari�e sur ce vaste territoire. Les oiseaux sont tr�s pr�sents sur le littoral. On retrouve l'hirondelle de rochers qui niche dans les falaises, l'oc�anite temp�te qui est un oiseau devenu rare, ou le tournepierre � collier que l'on trouve tr�s fr�quemment sur les plages et les rochers. Le cormoran, le go�land, la mouette et l'hu�trier pie sont des oiseaux qui fr�quentent les c�tes basques. C'est aussi un lieu d'hivernage pour le macareux moine, le guillemot de Tro�l et le pingouin torda. La montagne est le refuge de nombreux rapaces comme le milan noir, la buse variable ou le vautour fauve.
+Des mammif�res sont familiers du Pays basque. Autrefois, l'ours brun peuplait les montagnes. Maintenant, on trouve des cerfs, des sangliers, des pottoks et des renards. De nombreux lapins de garenne font le bonheur des chasseurs de la r�gion.
+La flore du Pays basque est vari�e et diff�rente suivant l'altitude et le climat. Sur le littoral, la flore est adapt�e aux conditions maritimes de vent et de sel. On y trouve de la lande et de la prairie maritime avec des ajoncs, de la bruy�re, de la s�rapia langue et du crithme marin. Sur la c�te espagnole, les dunes sont fix�es gr�ce � des plantations de pins maritimes, des tamaris et de l'eucalyptus. Le paysage de collines est domin� par des prairies herbeuses et de la lande. En paysage montagnard, on trouve essentiellement des for�ts de ch�nes et de h�tres. Arbailles et Iraty sont les plus grandes for�ts de h�tres d'Europe. Au-dessus de 1800 m, la lande reprend le relais ainsi que les p�turages d'estive. On y retrouve le rhododendron et la myrtille.
+L'histoire du Pays basque commence � la pr�histoire tels en t�moignent les objets retrouv�s dans les grottes d'Isturitz et d'Oxocelhaya. De nombreux peuples c�toient l'actuel Pays basque. De nombreux historiens romains relatent aussi l'existence de nombreuses tribus diff�rentes des Celtes ou des Gaulois : Autrigons, Caristes, Vardules, B�rones, Vascons et Aquitains. Ces derniers collaborent sans doute pleinement avec les Romains. Au Moyen �ge, les Romains sont supplant�s par les Wisigoths qui ont envahi toute la p�ninsule et les Francs qui se trouvent au nord des Pyr�n�es. Au milieu se forme le territoire des Vascons. Ils ne se soumettent pas au roi des Francs et n'h�sitent pas � piller les villages au sud comme au nord. La particularit� basque d'une soci�t� ind�pendante et tr�s �galitaire appara�t alors � cette p�riode.
+Au viiie si�cle, l'invasion musulmane provenant du sud prend le territoire des Basques. Se forme alors le royaume de Pampelune, pr�lude du royaume de Navarre. Charlemagne conquit la ville de Pampelune d�truisant ses murailles. En 778 eut lieu la Bataille de Roncevaux, o� les Vascons qui, pour se venger, attaqu�rent l'arri�re-garde de l'arm�e franque de Charlemagne, privant ainsi de sa protection la constitution d'une zone d'influence carolingienne dans la vall�e de l'�bre, similaire aux marches hispaniques de Catalogne. Cette bataille donna naissance � la fameuse Chanson de Roland.
+Au ixe si�cle, c'est le d�but de la reconqu�te des terres prises par les musulmans (Reconquista) et le Pays basque fut alternativement partie du royaume de Navarre et du royaume de Castille. Des conflits existaient entre les commer�ants du Pays basque espagnol et les commer�ants de Bayonne. C'est aussi le moment de la mise en place des fueros (fors). En Espagne, il s'agit d'une charte accordant aux populations des privil�ges et des libert�s et issue d'une synth�se entre les lois romaines et wisigothes. Elles sont conclues entre le roi et une vall�e, une ville ou un village. Dans les provinces basques, il s'agit au contraire d'un texte que le seigneur jure de respecter pour obtenir l'ob�issance de son peuple. Les d�put�s des provinces basques y mettent par �crit les libert�s et les franchises que le peuple basque veut conserver.
+La province de Navarre sera la plus prosp�re sous le r�gne de Sanche le Grand au xie si�cle s'�tendant sur une partie de l'Aquitaine au nord et en Aragon � l'est. Au xiie si�cle, elle �clate mais chaque province conserve son syst�me de fueros. La Soule et le Labourd qui reviennent � l'Aquitaine tombent sous domination anglaise avec le mariage d'Ali�nor d'Aquitaine et du roi d'Angleterre. Et durant la guerre de Cent Ans, le Pays basque est �cartel� entre la France et l'Angleterre.
+� la fin du Moyen �ge, en 1521, la Navarre fut envahie par les troupes espagnoles et son territoire au sud des Pyr�n�es fut annex� � l'Espagne, moyennant promesse royale de respecter les fors de Navarre. Le royaume de Navarre sous domination de la Maison de Foix se r�duisait alors aux territoires au nord des Pyr�n�es. En 1659 est sign� le trait� des Pyr�n�es � Hendaye qui marque le rapprochement de l'Espagne et de la France, et la reconnaissance implicite de la fronti�re au Pays basque, qui s�pare donc d�finitivement en deux parties la Navarre.
+Pendant ce temps, les Basques particip�rent � la conqu�te de l'Am�rique gr�ce � la chasse � la baleine qui les emmena jusqu'aux terres de la Nouvelle-France. De nombreux marins et explorateurs sont issus des territoires basques.
+La large autonomie des provinces basques du nord toucha � sa fin avec la R�volution fran�aise, qui centralisa le gouvernement et abolit la totalit� des libert�s locales que garantissait l'Ancien R�gime. Au sud, le pouvoir des fueros est contest� par des �conomistes qui y voient un frein au d�veloppement �conomique. Lors d'une guerre de succession entre Isabelle II d'Espagne et son oncle Don Carlos, les avis sont partag�s sur les fueros entre ces deux h�ritiers du tr�ne. C'est la premi�re guerre carliste entre 1833 et 1876 qui d�chirent l'Espagne. Des gu�rillas des populations basques s'opposent aux arm�es des gouvernements lib�raux espagnols. Mais en 1876 les fueros sont abolis par ordre du roi et le pouvoir central est affirm�.
+Avec la fin des fueros, c'est le d�but du nationalisme avec rejet du pouvoir central qui veut �touffer la culture basque. En 1895, un premier mouvement nationaliste basque, EAJ/PNV, voit le jour et r�clame le retour des fueros et l'autonomie des provinces basques. Au nord comme au sud, le sentiment d'unit� basque est mis en valeur. Durant la Premi�re Guerre mondiale, de nombreux basques se r�fugient au sud. En 1930, des mouvements de gauche et du Front populaire �mergent dans les deux pays. En 1931, la r�publique est d�clar�e en Espagne et la droite prend le pouvoir.
+En 1936, d�bute la guerre civile espagnole. Les r�publicains pour s'assurer du soutien des basques d�clarent l'autonomie du Pays basque. Mais, cela s�me la discorde entre les partisans du Pays basque. La Navarre anti-r�publicaine soutient Franco tandis que la Biscaye et le Guipuscoa o� le Parti nationaliste basque (PNV) est puissant, soutiennent le pouvoir r�publicain en place. Franco attaque le Pays basque en 1937 et le bombardement de Guernica (immortalis� par un c�l�bre tableau de Picasso) fait de nombreuses victimes civiles. Le gouvernement autonome pr�sid� par Jos� Antonio Aguirre (PNV) s'exile � Bayonne lorsque Bilbao est prise. De nombreux exil�s rejoignent la partie fran�aise du Pays basque. 1939 marque la victoire de Franco et le d�but de la r�pression franquiste.
+La r�sistance basque rejoint les territoires du nord et en plus du PNV deux mouvements se forment : l'ETA (Euskadi ta Askatasuna) en 1959 au sud, vite influenc� par les id�es r�volutionnaires, et Enbata en 1963 au nord. Les mouvements se radicalisent et appellent � la violence. C'est le d�but du terrorisme. Avec l'arriv�e de Juan Carlos au pouvoir, des concessions sont faites par le gouvernement espagnol mais cela ne satisfait pas les r�volutionnaires qui veulent un peuple basque libre et socialiste. En 1979, le statut de la communaut� autonome basque est sign� par les provinces sauf la Navarre. Depuis, des institutions basques (parlement, gouvernement, syst�me �ducatif, radio-TV) sont mises en place.
+Le tourisme est la principale �conomie du Pays basque surtout pour la partie nord. Il repr�sente 20% du PIB pour le Pays basque fran�ais tandis que l'industrie r�duit cette proportion � 4% au Pays basque espagnol. Le tourisme est apparu au xixe si�cle avec l'arriv�e des premiers touristes � Biarritz venant go�ter aux bains marins. De nombreuses personnes c�l�bres comme Eug�nie l'�pouse de Napol�on III, le roi �douard VII d'Angleterre, Edmond Rostand et bien d'autres vedettes se rendront dans le Pays basque afin de profiter des bienfaits de la mer et du thermalisme. C�t� espagnol, la ville de Saint-S�bastien attire le plus grand nombre de touristes. Bilbao tire aussi son �pingle du jeu avec notamment son mus�e Guggenheim. La renomm�e de Saint-S�bastien vient des premiers souverains espagnols puis des riches Espagnols qui allaient en vacances dans cette belle ville c�ti�re. Enfin, les f�tes de San Fermin, qui se d�roulent au mois de juillet � Pampelune, sont consid�r�es comme l'une des plus grandes f�tes du monde, et attire plus de 2 millions de personnes chaque ann�e.
+L'attrait du Pays basque s'explique aussi par son climat cl�ment en �t�, mais aussi sa culture, ses traditions et son patrimoine. De nombreuses activit�s et de nombreux loisirs attirent les touristes. La nature permet de pratiquer la chasse et la p�che mais aussi les sports d'eau vive, la randonn�e et le VTT.
+La p�che est une activit� �conomique tr�s pr�sente en Pays basque comme en t�moigne les nombreux ports que l'on y trouve. Autrefois, les basques p�chaient activement la baleine dont on extrayait de nombreux produits d�riv�s comme le savon et l'huile. Mais, avec la rar�faction des baleines et l'interdiction de sa chasse, les basques se tournent vers la p�che � la morue au xixe si�cle. Le port de Saint-Jean-de-Luz est typique et permet de retrouver toute l'ambiance d'un port basque. Son activit� fut essentiellement tourn�e vers la sardine et le thon malgr� les rivalit�s avec les p�cheurs bretons sur ces produits.
+Au xxe si�cle, des rivalit�s opposent les p�cheurs espagnols aux p�cheurs fran�ais qui d�t�riorent les conditions de travail. De plus la r�glementation europ�enne et la rar�faction des ressources provoquent une crise importante dans la profession. Les p�cheurs s'organisent alors en coop�ratives puis modifient leurs zones de p�che en se d�pla�ant vers les c�tes africaines. Les bateaux-usines se d�veloppent pour permettre de r�aliser de plus grandes campagnes de p�che. Il existe tout de m�me un foss� entre les p�cheurs fran�ais et espagnols car ces derniers p�chent beaucoup plus que les p�cheurs du Pays basque fran�ais.
+Quelques industries sont issues directement de l'artisanat du Moyen �ge comme la tannerie du cuir � Hasparren, l'espadrille � Maul�on, le linge de table et les textiles dans le Pays basque fran�ais.
+On trouve � Saint-Jean-de-Luz au moins trois entreprises mondialement connues : la marque Quiksilver, le groupe Olano et le groupe m�dical B. Braun. On y trouve aussi une grande clinique des yeux, premi�re en Aquitaine, travaillant en collaboration avec celle de Toulouse.
+Au sud, l'ameublement et le travail du bois en Guipuscoa et en Biscaye sont tr�s pr�sents.
+Mais les plus grosses industries se situent autour du p�le Bayonne-Anglet-Biarritz et la c�te espagnole. Cette derni�re regroupe les mines de fer de Biscaye qui assurent 10% de la production mondiale et la sid�rurgie � Bilbao. C�t� fran�ais, le port de Bayonne est tr�s dynamique et assure les livraisons de soufre et du p�trole de Lacq vers l'ext�rieur. Il est aussi la plate-forme europ�enne de distribution des v�hicules Ford et General Motors fabriqu�s en Espagne et au Portugal. Enfin, on retrouve � Anglet l'usine de Dassault Aviation et la technopole de Izarbel.
+C�t� financier, Bilbao et Vizcaya se sont unis afin de cr�er la deuxi�me place financi�re de l'Espagne.
+Le Pays basque est une r�gion fortement rurale pour 90% de son territoire. Le ma�s domine les cultures agricoles du Pays basque fran�ais et les Pyr�n�es-Atlantiques sont le deuxi�me d�partement au niveau national en termes de production de ma�s. Mais, La production est fortement concurrentielle et subit des baisses du cours. Certains producteurs pr�f�rent se tourner vers des productions plus rustiques et de qualit� comme le piment d'Espelette, la cerise noire d'Itxassou, les pommes � cidre ou les produits biologiques.
+Le vin �tait tr�s pr�sent dans tout le Pays basque, seuls quelques terroirs demeurent aujourd'hui comme le vin d'Iroul�guy les vins de la Rioja, de Navarre et le txakoli autour de Guetaria. Quelques cultures d'olivier (arbre)s sont visibles dans le bassin de l'�bre. La Navarre est aussi une r�gion de mara�chage.
+Les r�gions montagneuses sont propices � l'�levage pour la production de fromage. Le Pays basque est notamment r�put� pour la diversit� des fromages de brebis, tant du cot� nord que du cot� sud avec des appellations prot�g�es telle que l'Ossau-Iraty, le Roncal ou l'Idiazabal.
+Outre un grand nombre de petits producteurs artisanaux, de grands groupes industriels sont install�s notamment en Pays basque fran�ais telle que Lactalis (fromagerie Pyr�n�from � Larceveau produisant le fromage Istarra ou le Petit Basque) ou le groupe Bongrain (fromagerie des Chaumes � Maul�on avec l'Etorki). Parmi les races ovines typiques de la r�gion, l'on trouve la manech t�te noire, la manech t�te rousse ou encore la basco-b�arnaise.
+Interrogation d'apparence provocatrice qui ouvre l'introduction de l'Histoire g�n�rale du Pays basque de Manex Goyenetche, cette question m�rite en effet d'�tre discut�e au pr�alable � l'�tude de ce territoire. D�pourvu d'unit� administrative et n'ayant jamais constitu� dans l'histoire un territoire politiquement uni, ne se confondant pas avec l'aire d'expansion de la langue basque, ce � Pays basque � d'aspect un peu artificiel est-il bien un concept qui fait sens ? Quand et comment s'est constitu�e cette id�e d'un territoire transfrontalier li� � l'identit� nationale basque ? Il convient donc de situer la gen�se de cette id�e d'Euskal Herria selon la terminologie basque pour en appr�cier la pertinence.
+Dans la litt�rature, plusieurs points de vue sur le sujet sont disponibles. Un auteur proche du nationalisme basque, Jean-Louis Davant ouvre avec une certaine ironie son Histoire du peuple basque en rapportant dans l'introduction un propos que lui aurait tenu en 1965 le pr�fet des Pyr�n�es-Atlantiques : � Le Pays basque, Monsieur, �a n'existe pas. � Implicitement pr�sente dans les critiques des milieux les plus oppos�s au nationalisme basque, sans doute davantage en Espagne qu'en France, cette position � extr�me � ne semble gu�re soutenue dans la litt�rature savante r�cente.
+De fa�on oppos�e, le m�me Jean-Louis Davant cite Fernando de Sarrailh de Yhartz, un nationaliste basque des plus virulents, pour qui le Pays basque doit �tre une � grande Vasconie � incluant toutes les terres qui auraient �t� basques un jour : Gascogne, r�gion de Jaca, Rioja et Bureba, tout en conc�dant que ces vues sont des plus minoritaires. En basque, le concept a une d�nomination sp�cifique : c'est le � Orok Bat �, qui signifie � Toutes unies �.
+Plus commune est la d�finition du Pays basque � partir d'un crit�re linguistique, autre choix qui conduit � refuser la d�finition la plus courante du concept et � en retirer notamment le sud de l'Alava et de la Navarre. Sur ce crit�re par exemple, la Grande Encyclop�die de Berthelot peut �crire au xixe si�cle que � ni Bayonne, ni Pampelune, ni Bilbao ne sont basques �. Tout en rapportant ce point de vue, Manex Goyenetche souligne qu'il n'est plus commun de nos jours o� l'id�e d'ethnicit� basque est largement accept�e et s'est nettement disjointe des crit�res d'appartenance linguistique.
+Le concept de � Pays basque � le plus couramment utilis� aujourd'hui au sens culturel, c'est donc bien celui dont traite l'article, le � Zazpiak Bat �, les � sept provinces � selon sa description traditionnelle. L'historique du concept est instructif : sa progressive mont�e en puissance est nettement post�rieure � celle de l'appellation courante de � Basques � pour d�nommer les habitants du lieu. Si celle-ci est attest�e d�s la Renaissance, la premi�re description g�ographique du pays semble remonter � 1643 dans le trait� de religion Gero de Pedro de Axular, premi�re source connue � �num�rer les � sept provinces � qui constituent le Pays basque. Elle reste isol�e, une occurrence suivante apparaissant dans l'Histoire des Basques r�dig�e pendant la p�riode de 1761 � 1766 par le Chevalier de B�la, et qui est la premi�re � d�crire cette liste comme celle des � sept provinces � (ou � pays particuliers �) en lesquelles il convient de � diviser � les Basques.
+C'est surtout au dernier tiers du xixe si�cle que le concept prend son essor, sous son nom basque d'Euskal Herria (m�me en espagnol, souvent contract� en Euskalherria) dans une litt�rature qui d�passe largement la sph�re nationaliste, tandis que se r�pand l'int�r�t pour les traditions r�gionales. L'expression � Pays basque � au singulier pour d�signer la totalit� de l'aire culturelle basque se r�pand � la m�me �poque dans les textes fran�ais.11
+Les Aquitains (Comme les Gascons), les Vardules, les Autrigons, les Caristes et surtout les Vascons sont � l'origine de la culture basque actuelle qui au cours des si�cles, a subi d'innombrables influences mais dont la langue ainsi que certaines us et coutumes en sont les fondements. De nos jours, la culture basque vit un v�ritable renouveau.
+L'identit� basque est comme partout, complexe et diff�rente selon les individus. Elle est � g�om�trie variable selon le lieu et le concept d'appartenance. L'influence navarraise, fran�aise ou espagnole est omnipr�sente et avoir une deux, voire trois identit�s diff�rentes est tr�s r�pandu dans la population. En Alava, par exemple o� seulement un quart de la population est bascophone, 79% se consid�rent Basque, donc la langue est un facteur identitaire parmi d'autres.
+La langue basque, ou euskara est une des composantes importantes de la culture basque. C'est une langue vivante qui est parl�e par plus de 800 000 personnes. On peut pr�sumer de son origine au pal�olithique si l'on se r�f�re aux r�centes recherches g�n�tiques et scientifiques, combin�es � la linguistique qui d�montrent que les Basques d'aujourd'hui sont les descendants les plus fid�les d'un groupe humain qui vivait dans le Pays basque actuel durant cette p�riode et qui surv�cut � la derni�re glaciation. On retrouve pourtant des liens grammaticaux avec de nombreuses langues de contr�es lointaines (Caucase, Inde dravidienne, Sib�rie) mais aucun lien d'�changes linguistiques avec la langue basque n'a encore �t� prouv�. Le basque est complexe car sa structure grammaticale est bas�e sur les d�clinaisons. Tous les mots d'une phrase se d�clinent et leur terminaison est diff�rente suivant leur r�le dans la phrase. De plus, le basque est une langue agglutinante, c'est-�-dire que l'on peut ajouter de nombreux suffixes pour en affiner sa compr�hension et son sens.
+Dans la communaut� autonome basque et le nord de la communaut� forale de Navarre, la langue basque est officielle avec l'espagnol, avec respectivement 99,4 % des enfants qui sont scolaris�s dans une �cole o� le basque est enseign� et 41,4 % en Navarre. Les m�dias aussi favorisent son expansion et son utilisation. Au contraire, en France, la langue est consid�r�e comme une langue minoritaire et seules des associations locales font des efforts de sauvegarde et de transmission de la langue. Seuls 21,7 % des enfants fran�ais du Pays basque sont scolaris�s dans une �cole basque dont les �coles maternelles repr�sentent plus de 35,5 % du total pour l'ann�e scolaire 2004 - 2005.
+Le Pays basque est connu pour ses f�tes et festivals qui se d�roulent toute l'ann�e. Cette particularit� peut s'expliquer par la vie autrefois rurale des habitants du Pays basque, par le catholicisme et aussi par un renouveau traditionnel encourag� par le tourisme important de la r�gion.
+La Soule est notamment r�put�e pour sa pastorale, repr�sentation th��trale. Elle est organis�e chaque ann�e par un village diff�rent.
+Il existe une communaut� basque aux �tats-Unis (pr�s de 100 000 personnes), essentiellement regroup�e dans les �tats de la Californie, le Nevada et l'Idaho. La ville d'Elko dans l'�tat du Nevada organise chaque mois de juillet un festival basque (National Basque Festival) avec des danses traditionnelles, des sp�cialit�s culinaires, des courses de taureaux et des �preuves de force. D'autres festivals tel que celui de Boise dans l'Idaho sont �galement r�put�s. Il existe aussi une f�te basque � Saint-Pierre-et-Miquelon, car des familles de p�cheurs basques y sont venues s'�tablir.
+Par ailleurs, la plus grande concentration de Basques se situe en Argentine (pr�s de 3 millions et demi de personnes soit 10 % de la population totale du pays), qui organise chaque ann�e, la Semana Nacional Vasca (la Semaine Nationale Basque). Trente pour cent de la population chilienne porte un nom de famille basque et 30 % de la population uruguayenne a des origines basques.
+Gr�ce � sa p�che traditionnelle on trouve sur les march�s du Pays basque une tr�s grande vari�t� de produits de la mer (anchois, daurades, louvines, crabes, araign�es de mer...)
+Avec une agriculture traditionnelle faite de petites exploitations, un climat et une g�ographie exceptionnels, le Pays basque dispose d'un large �ventail de produits du terroir (fromages, agneau, piments, vins...) Cependant, des influences gasconnes et b�arnaises se font sentir du c�t� de la France tandis qu'au sud on retrouve des influences espagnoles avec l'huile d'olive, la tomate et les poivrons.
+Dans la culture basque les soci�t�s gastronomiques ont toujours jou� un r�le primordial. Lieux de rencontre, les soci�t�s gastronomiques sont des associations de village, de quartier, ou socioprofessionnelles qui allient les diff�rentes structures de la culture basque (la langue basque, les danses et les chants basques, les sports basques, et bien s�r la gastronomie basque). La r�putation l�gendaire des Basques pour les d�fis et les concours fit le reste. Toutes les f�tes et rassemblements populaires sont pr�textes � des concours de cuisine, entre quartiers, villages, villes, soci�t�s gastronomiques ou entre amis. C'est ainsi que les tapas et pintxos (v�ritables plats traditionnels en miniatures) se sont d�velopp�s. Dans les bars de Donostia (Saint-S�bastien) comme dans tout le Pays basque on rivalise d'ing�niosit� pour cr�er les meilleures tapas et gagner les diff�rents concours.
+La cuisine basque utilise des produits de la mer comme le thon rouge (marmitako, plat d'origine galienne) frit g�n�ralement servi avec une piperade (une compote de tomates, de poivrons ou id�alement de piments doux, d'ail et d'oignons). La morue est cuisin�e � la Biscaye avec des tomates et des poivrons. D'autres sp�cialit�s � base de poissons sont cuisin�es dans le Pays basque : le merlu koxkera, la daurade d'Oihartzun, le ttoro (soupe de poisson sp�cialit� de Saint-Jean-de-Luz), les chipirons (sorte d'encornets cuisin�s avec leur encre) et le txanguro qui est un crabe farci.
+Le porc et l'agneau sont les viandes les plus consomm�es du Pays basque. Dans le Pays basque du sud, l'agneau est servi avec de la piperade et � Espelette on cuisine l'axoa qui est un plat � base de viande de veau avec du piment d'Espelette. La viande de porc est du cochon-pie qui a �t� �lev� en semi-libert� et nourri de glands. Le poulet est consomm� � la basquaise c'est-�-dire avec de la piperade.
+Le fromage basque est un fromage de brebis frais au lait cru. Trois appellations contr�l�es distinguent les fromages basques : l'Ossau-Iraty, le roncal et le Idiazabal. Le jambon dit "de Bayonne" est en r�alit� b�arnais et fabriqu� � partir de porcs des vall�es d'Ossau et d'Aspe. Ce jambon �tait historiquement sal� � Salies-de-B�arn puis export� via l'Adour depuis le port de Bayonne d'o� l'appellation abusive jambon de Bayonne qui perdure aujourd'hui. Aujourd'hui d'ailleurs, l'essentiel du jambon de Bayonne est fabriqu� dans le B�arn. Le porc, et en particulier le porc noir, n'a �t� introduit dans le Pays basque que dans les ann�es 1960 pour faire face � une grave crise agricole. Le foehn, vent sec de cette r�gion, permet lors du s�chage de faire p�n�trer le sel � l'int�rieur du jambon. Enfin, moins connus, les chichons, sorte de rillons et la ventr�che, poitrine s�ch�e et piment�e sont aussi des sp�cialit�s locales.
+C�t� alcool, quatre appellations existent dans le Pays basque : le vin d'Iroul�guy appellation du Pays basque nord, le vin blanc de txakoli, les vins de la Rioja et les vins rouges de la r�gion de Tudela, Tafalla et Estella. L'izarra et le patxaran sont des liqueurs basques.
+Au Pays basque les activit�s traditionnelles, force basque ou pelote basque c�toient les activit�s plus contemporaines comme le golf (8 parcours) ou le surf 14. La pelote basque est un sport tr�s ancien poss�dant de nombreuses sp�cialit�s avec autant de r�gles particuli�res. Le jeu de base se joue � main nue
+La maison basque ou etxe est typique et repr�sentative du Pays basque. Mais, on observe des diff�rences r�gionales comme en Labourd o� la maison est asym�trique au niveau de sa toiture ou en Basse-Navarre ou en Soule. Elle servait � accueillir les hommes et les b�tes sous le m�me toit.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+La p�dophilie d�signe une pr�f�rence sexuelle d'un adulte envers les enfants pr�pub�res ou en d�but de pubert�. Un p�dophile est une personne �prouvant ce type de pr�f�rence.
+Selon le crit�re de l'OMS, les adolescents de 16 ou 17 ans sont aussi class�s comme pedophiles, s'ils ont une pr�f�rence sexuelle persistante ou pr�dominante vers les enfants pr�pub�res au moins cinq ans plus jeunes qu'eux.
+En France, comme dans la plupart des soci�t�s modernes, ce type de pr�f�rence est consid�r� comme une perversion sexuelle (paraphilie) et les activit�s s'y rapportant sont condamn�es par la loi. Les passages � l'acte de p�dophiles, soit les relations sexuelles entre un adulte et un enfant au-dessous de la majorit� sexuelle constituent, juridiquement, des atteintes sexuelles sur mineur ou des agressions sexuelles sur mineur.
+Dans le langage courant, le terme p�dophilie a une forte connotation p�jorative : il est utilis� par extension pour d�signer l'abus sexuel sur mineurs au-dessous de la majorit� sexuelle, la pornographie infantile et la consommation de celle-ci3.
+La p�dophilie est class�e comme trouble de la pr�f�rence sexuelle (maladie mentale) par la classification internationale des maladies (CIM) et comme paraphilie par le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM).
+Le mot p�dophilie est form� sur les radicaux grecs paidos de XXXXXXX, "enfant" et philia de XXXXX, "amiti�". Il est apparu en 19686 et d�rive du nom commun � p�dophile � (fin XIXe), qui lui-m�me provient du n�ologisme � pedophilia erotica � propos� par le psychiatre autrichien Richard von Krafft-Ebing en 1886 dans son ouvrage Psychopathia Sexualis pour qualifier une attirance sexuelle envers les personnes impub�res ou en d�but de pubert� qui domine la sexualit� d'un individu sa vie durant.
+Si le mot p�d�rastie existe depuis 2 500 ans, le mot p�dophilie date des ann�es 1970.
+Il a �t� cr�� par un courant socio-politique post-soixante-huitard, proche de � l'�ducation alternative �, et qui r�fl�chissait sur la place de l'enfant dans la soci�t� et les relations adultes-enfants. On y trouvait des sociologues, des philosophes, des architectes, des �crivains, des �ducateurs, des enseignants, des m�decins, qui avaient en commun une curiosit� pour les organisations sociales qui mettaient l'enfance au centre de leurs pr�occupations.
+Malgr� une absence de tabous toute scientifique, ce courant intellectuel a voulu se d�marquer de la p�d�rastie, et �vacuer la dimension sexuelle des relations adultes-enfants. Il a donc invent� le mot � p�dophilie � qui, comme dit dans la d�finition �tymologique, vient du grec � paidos �, � enfant � et � philein �, � aimer �.
+Ce petit cercle intellectuel ne pouvait maintenir longtemps le sens s�mantique du mot p�dophilie dans sa stricte �tymologie. D�s que la langue vernaculaire a adopt� ce mot, elle en a fait l'�quivalent de � p�d�rastie �, r�introduisant une dimension sexuelle que ses cr�ateurs voulaient justement exclure. L'usage a rapidement adopt� ce sens nouveau, qui avait l'avantage de ne plus faire r�f�rence � la p�d�rastie culturelle grecque, et qui faisait plus � moderne �.
+Ainsi d�voy� et d�barrass� du pass�, le mot a eu un certain succ�s dans diverses publications savantes des ann�es 1980, notamment aupr�s des psychiatres (qui voyaient ressurgir l� la � pedophilia erotica � de la classification de Richard von Krafft-Ebing au xixe si�cle), en particulier dans la communaut� scientifique qu�b�coise, qui en a fait grand usage . Il permettait de parler des relations sexuelles adultes-enfants comme d'une perversit� m�dicale contemporaine, coup�e de toute ant�riorit� culturelle.
+Repass� dans le langage courant par ces publications, les m�dias s'emparaient du vocable dans les ann�es 1990, pour qualifier de neuf les affaires judiciaires de moeurs entre adultes et enfants. � ce stade de diffusion publique incontr�lable, bien peu savaient ce qu'il signifiait exactement. Les m�dias utilis�rent largement la d�clinaison � p�dophile �, pour qualifier les pr�venus concern�s.
+Vu la gravit� des affaires judiciaires de ces derni�res ann�es (entre autres les cas Dutroux, Fourniret...), le mot � p�dophile � a aujourd'hui pris le sens s�mantique courant de � violeur d'enfants �, voire d'assassin. Il est largement usit� par les m�dias, dont les titres font parfois des amalgames, certains � crimes p�dophiles � contemporains ne concernant pas des mineurs. Quant � la � p�dophilie �, la compr�hension courante du mot aujourd'hui associe le champ des relations adultes-enfants, et celui de la contrainte sexuelle sur autrui, qu'il s'agisse de sollicitation, de viol ou de meurtre.
+Par ailleurs, des d�rives dans l'emploi du terme tendent � s'appliquer � ce qui rel�ve en fait de la p�d�rastie dans des affaires judiciaires ou m�diatiques concernant des adolescents pub�res.
+Loin de leur origine, le mot � p�dophilie � - et sa d�clinaison � p�dophile � - sont aujourd'hui du registre du vocabulaire m�diatico-judiciaire. Dans beaucoup de l�gislations le terme � p�dophilie � n'est pas utilis� pour qualifier un crime ou un d�lit. Par exemple, en droit fran�ais il ne figure dans aucun texte de loi. (La position de la justice vis-�-vis des diff�rentes r�alit�s auxquelles peut se r�f�rer ce terme est pr�cis�e plus bas.)
+Les deux termes sont �galement utilis�s par des groupes de pression pour faire valoir leur point de vue dans un contexte �motionnel tr�s fort. Cet �cho renforce soit le sens de contrainte sexuelle sur l'enfant et souligne les aspects n�fastes de la pratique p�dosexuelle sur l'enfant. D'autres groupes plus lib�raux voient au contraire un bienfait pour l'enfant et militent pour une reconnaissance de ce principe. Selon eux, le probl�me est mal �tudi� et rel�ve de trop de pr�suppos�s moraux et sociaux discutables � leur go�t. La s�r�nit� du d�bat serait aveugl�e par une l�gislation aveugle et des comportements visc�raux. .
+Les milieux m�dicaux consid�rent que la p�dophilie rel�ve de la maladie, de la d�viance, de la perversit�, en un mot de la psychiatrie, et peut-�tre du soin. Il s'agit de la th�se la plus reprise dans le discours psychiatrique sur le sujet.8
+D'autres y voient enfin une menace pour nos soci�t�s, et souhaitent s'en prot�ger activement, voire radicalement. Des associations diverses s'y emploient, par une pr�vention aupr�s des enfants, voire du � d�pistage �, en faisant pression aupr�s des l�gislateurs pour intensifier � la lutte contre la p�dophilie �.
+La p�dophilie rassemble en psychiatrie tout ce qui a trait aux relations sexuelles adultes-enfants. Elle peut �tre h�t�rosexuelle, homosexuelle, ou mixte. Elle concerne des hommes comme des femmes de tous �ges. Elle peut coexister avec une sexualit� par ailleurs normale de l'adulte en cause, ou s'associer � une impuissance, une anomalie anatomique. Elle peut s'exercer au sein des familles, souvent dans le cadre de relations incestueuses, ou dans le cadre d'une fr�quentation usuelle des enfants, comme l'�cole, les mouvements de jeunes - ce que les psychiatres appellent des � structures facilitantes �, mais aussi au hasard des rencontres.
+Elle ne fait pas forc�ment l'objet d'un passage � l'acte, ou pas syst�matiquement. Le simple d�sir de relations sexuelles avec un enfant, m�me frustes, entre dans le cadre de la p�dophilie. Elle peut aussi d�passer le cadre de relations purement sexuelles, et s'associer � des vexations, des atteintes � la personne, voire des meurtres. Elle peut �tre un acte isol�, ou une habitude.
+En tous cas, elle se manifeste � la soci�t� par un d�sir ou un acte transgressif qui ne respecte pas la norme. L'adulte qui d�sire ou commet ce raptus social a en principe conscience de la gravit� de son d�sir ou de son acte, du foss� creus� avec le reste de la soci�t�, du renvoi � sa marginalit�, son isolement.
+La conscience de cette transgression - potentielle ou r�elle - est le plus souvent une culpabilit� douloureuse, et entra�ne chez l'adulte des m�canismes de r�solution vari�s sur le mode n�vrotique.
+Dans le cas du p�dophile n�vros�, on peut distinguer :
+Le p�dophile peut ne jamais passer � l'acte, retenu par la conscience de l'interdit ou la peur de la r�pression, se contenter d'images ou de fantasmes �rotiques. S'installe alors progressivement une d�pression, r�solutive de la mauvaise conscience et de la tension psychologique que leur inspire leur sentiment de culpabilit�. Ils peuvent alors demander spontan�ment l'aide de la psychiatrie (rare) pour partager leur fardeau et s'en d�barrasser, ou enfin trouver une r�solution plus d�finitive de leur contradiction int�rieure dans le suicide ou le passage � l'acte ;
+Certains p�dophiles peuvent fonder leurs fantasmes sur des images enfantines tr�s diverses : cela peut aller de la simple photographie d'enfant classique � la pornographie, en passant par des photographies familiales � la plage parfois � naturiste �, des photographies de catalogues pour v�tements d'enfants, des reportages sur des peuplades o� les enfants vivent nus, ou encore des repr�sentations artistiques parfois suggestives. Cette consommation d'images masturbatoires peut devenir une compulsion obsessionnelle et maladive.
+Enfin, certains p�dophiles peuvent chercher une sublimation de leurs d�sirs dans des d�rivatifs sociaux, culturels, artistiques ou p�dagogiques.
+Parfois le passage � l'acte est circonstanciel, et l'adulte n'a nullement cherch� � r�unir les conditions de ce passage � l'acte. Il s'est simplement laiss� aller, sans avoir sp�cialement conscience de d�sirs p�dophiles, d�rapant devant un enfant dont il pouvait interpr�ter l'attitude comme s�ductrice et la relation une fois consomm�e (g�n�ralement de simples attouchements dans ces cas-l�), l'adulte prend brutalement conscience de ce qu'il vient de commettre. Une tendance pr�alable � la p�dophilie est tr�s probablement en cause ;
+Certains adultes fourvoy�s ainsi accidentellement et �chaud�s s'en tiendront l�, et le silence retombera sur ce qui est probablement le cas le plus banal, le plus r�pandu et le plus discret de relations p�dophiles, dont la publicit� ne d�passera pas le cercle familial. Ces relations isol�es ne sont pas syst�matiquement mises en �vidence comme constitutives de traumatismes psychologiques graves pour l'enfant, elles sont souvent de d�couverte fortuite ult�rieure.
+L'acte commis, l'adulte peut aussi le nier � sa conscience, souvent par des constructions mentales qui visent � accr�diter la th�se d'un d�sir de l'enfant ou d'un consentement suppos�, visant � requalifier l'acte comme normal et naturel (� je n'avais pas conscience de faire du mal �). Ainsi justifi�, l'acte p�dophile peut se reproduire sans aucune mauvaise conscience, voire avec l'id�e (assez fr�quente) que cela � fait du bien � l'enfant �.
+Il existe par ailleurs des structures de personnalit�, notamment perverses (au sens psychiatrique), tr�s diff�rentes des cas ci-dessus. Il s'agit de sujets qui n'int�grent pas les interdits sociaux ou qui les contestent. L'acte p�dophile peut �tre un moyen de transgression sociale, volontaire et d�lib�r�e, il est revendiqu�.
+Ces p�dophiles ont souvent un discours parfaitement structur�, voire pros�lyte, pour justifier leur conduite, pr�sent�e comme �ducative et saine pour l'enfant. Le pervers p�dophile recherche volontairement la relation sexuelle avec un ou des enfants, parfois de fa�on syst�matique en passant des uns aux autres au fil du temps ou en entretenant des relations avec plusieurs enfants en m�me temps.
+Enfin, en dehors des p�dophiles pr�sentant une personnalit� n�vrotique, psychotique ou perverse, il existe aussi des pervers sadiques, capables d'atteintes physiques graves envers les personnes, voire de meurtre. Peu d'entre eux s'attaquent aux enfants, m�me si les cas de ce genre provoquent une �motion consid�rable, ils restent en r�alit� exceptionnels. Les psychiatres les consid�rent d'abord comme des psychopathes, auteurs de crimes sexuels (Marc Dutroux), pas comme des p�dophiles comparables aux pr�c�dents, m�me quand les enfants sont leurs victimes pr�f�rentielles.
+L'acte n�vrotique justifi�, parfois r�p�titif, et l'acte pervers revendiqu� ou syst�matique, repr�sentent la cohorte principale des cas judiciaris�s. En g�n�ral, il y a plusieurs victimes successives, car l'absence de violences directes sur l'enfant fait longtemps ignorer la situation. De plus, il s'agit souvent de personnes qui organisent leur vie dans des � contextes facilitants � en fr�quentant les structures de jeunes, qu'elles soient scolaires, sportives, etc. Les psychiatres s'accordent � reconna�tre que de tels p�dophiles usent rarement de violence mais plut�t de s�duction, et qu'en tous cas ils ne tuent pas. C'est sans doute l� qu'on peut parler de � p�domanie � (mot forg� par les mouvements de lutte contre la p�dophilie), c'est-�-dire de consommation compulsive d'enfants, au sens psychiatrique d'une manie.
+On a r�cemment �voqu� comme �tiologie de la p�dophilie le fait que certains sujets ont pu �tre traumatis�s dans leur enfance, en �tant eux-m�mes l'objet de raptus p�dophiliques. Si cela est souvent �voqu� devant les tribunaux comme circonstance att�nuante de la responsabilit�, le peu d'�tudes actuellement disponibles, souvent controvers�es, ne permet pas de trancher avec certitude.
+La psychiatrie descriptive, dont Richard von Krafft-Ebing est le pr�curseur, n'apporte aucune r�ponse � la question. M�me si le catalogue encyclop�dique des perversions sexuelles, illustr�es par des cas cliniques, s'est modifi� depuis, la psychiatrie clinique descriptive n'explique pas la p�dophilie, et ne pr�tend � aucune th�rapie. La Classification internationale des maladies de l'OMS d�finit la p�dophilie (code F65.4) comme une � pr�f�rence sexuelle pour les enfants, g�n�ralement d'�ge pr�pub�re ou au d�but de la pubert� �.
+Restent la psychiatrie comportementale et la psychiatrie biologique. Elles proposent des solutions, mais beaucoup de psychiatres restent dubitatifs sur le fondement des m�thodes et les r�sultats. La psychiatrie comportementale propose le reconditionnement, auquel on reproche son c�t� � Orange m�canique � violant la personne sans limite �thique claire, et la psychiatrie biologique propose la castration chimique, difficile � ma�triser m�me avec l'accord de l'int�ress�. Rappelons que la castration chirurgicale, propos�e �galement, est ill�gale en France.
+Dans les deux cas, il y a une s�rieuse difficult� pour garantir durablement la � gu�rison �, et surtout pr�venir les r�cidives. Malgr� l'arsenal de mesures d'accompagnement th�rapeutique que le droit a cr�� r�cemment, la pratique carc�rale consiste souvent � attendre 55 - 60 ans avant d'envisager des lib�rations conditionnelles, en se disant que la chute de la libido est la plus s�re garantie.
+Du reste, les experts-psychiatres sp�cialis�s dans ces affaires, souvent contest�s par leurs confr�res, qui leur reprochent leurs prises de positions sans nuances et dict�es par l'institution judiciaire, partagent entre eux cette conviction : � p�dophile un jour, p�dophile toujours �.
+Le psychanalyste Serge Andr�, dans une conf�rence princeps sur la p�dophilie faite � Lausanne en 1999 (lire l'article) apporte un certain nombre d'�l�ments de r�ponse sur le sujet de la p�dophilie, mais s'interroge longuement sur l'attitude de la soci�t� � ce propos, en particulier sur les manifestations monstres qui se sont produites sous le nom de � marches blanches �. On peut en rapprocher le fait, quand on tape � p�dophilie � sur un moteur de recherche Internet, de r�colter une �crasante majorit� de r�ponses d'associations ou de particuliers qui tiennent des discours enflamm�s sur le sujet, pour une large minorit� de r�ponse dans le champ de la psychiatrie ou de la psychanalyse.
+Ainsi, pour Serge Andr�, comme pour les autres psychanalystes qui participent au d�bat (et dont certains appartiennent � l'institution carc�rale), plus que la p�dophilie en elle-m�me c'est l'attitude ambigu� de la soci�t� qui pose probl�me - celle-ci se manifestant par diff�rents ph�nom�nes d'idol�trie sociale envers les enfants : jeunisme, adulescence mais aussi publicit�s �quivoques, etc. Il leur semble que l'importance qu'a prise cette question dans la soci�t� en fait un des �l�ments-clefs d'une reconstruction du pacte social contemporain.
+Beaucoup de psychanalystes expriment des r�ticences, voire un refus de traiter des p�dophiles, ce en quoi Serge Andr� constitue un cas � part.
+Au-del� de ce recadrage - signifiant - du sujet, les psychanalystes s'accordent � consid�rer les p�dophiles comme des pervers essentiellement (au sens psychanalytique), ni n�vrotiques, ni psychotiques, sans que cela soit pour autant pathologique. Il s'agit pour eux de structure de personnalit�, et non de maladie. Ils n'excluent pas les actes p�dophiles dans un cadre n�vrotique ou psychotique, mais la personnalit� perverse leur semble par essence co�ncider id�alement avec l'analyse qu'ils font des conduites p�dophiles. Ils parlent de � perversion p�dophile �, sans rien y voir de p�joratif.
+Si les psychanalystes trouvent compr�hensible qu'on r�prime l'abus sexuel et qu'on en enferme les auteurs, ils rechignent � apporter leur concours � l'institution judiciaire comme le font les psychiatres, car ils ne sont pas d'accord avec l'approche judiciaire, ni m�me psychiatrique, de la question.
+Ils ne contestent pas, du moins pour les rares qui acceptent de prendre en charge de tels patients, comme Serge Andr� et ses coll�gues, qu'ils puissent obtenir des r�sultats � th�rapeutiques � int�ressants. Mais ils se refusent � toute syst�matisation de � la p�dophilie �, qu'ils estiment illusoire, pour ne prendre en compte que l'auteur des faits (ou du d�sir), personne unique, dont l'histoire personnelle reste � d�nouer, entre autres sur ce comportement qui fait probl�me � la soci�t�.
+Il s'agit l� de l'attitude du courant le plus r�cent de la psychanalyse, � savoir les lacaniens. Il est impossible de r�sumer ici l'ensemble des d�bats engendr�s par cette conf�rence.
+Il y est fait au passage r�f�rence � la violence symbolique des contes pour enfants, pain b�nit de la psychanalyse. Sans �voquer ici la sexualit� de Lewis Carroll (Alice au pays des merveilles), ou l'ouvrage de Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de f�es, on peut quand m�me citer quelques figures de l'inconscient collectif qui ont � voir avec le sujet : l'arch�type de l'Ogre, dont Gilles de Rais, le sadique p�dophile, tend la main au Roi des aulnes, version Michel Tournier, sans oublier Le Joueur de fl�te de Hamelin des fr�res Grimm.
+Les th�ories de Sigmund Freud et certaines conclusions controvers�es du rapport Kinsey indiquent que le d�sir de plaisir physique - assimilable � une forme de plaisir sexuel - existe chez l'enfant. Les relations sexuelles chez les mineurs de moins de quinze ans (�ge moyen de la majorit� sexuelle) sont aussi un ph�nom�ne pouvant survenir, et ont fait l'objet de diff�rentes �tudes. Aucun �l�ment n'indique cependant qu'un enfant pr�pub�re puisse avoir la maturit� n�cessaire pour d�sirer consciemment avoir une relation sexuelle, et encore moins la d�sirer avec un adulte, ou r�sister au d�sir �ventuel de celui-ci.
+Les relations sexuelles entre un adulte et un enfant sont g�n�ralement consid�r�es comme repr�sentant pour ce dernier un �v�nement traumatique, potentiellement porteur de lourdes s�quelles psychologiques.
+Deux principes li�s au sujet font consensus dans les d�mocraties occidentales :
+Un autre principe est lui assez largement partag� :
+Dans l'�tendue des choses qu'il traite en mati�re de droit des personnes, et pour �clairer le sujet, le droit peut s'analyser en deux notions compl�mentaires :
+Cette analyse dichotomique appelle trois remarques :
+La m�decine contribue au d�bat en r�pondant � la question de la maturit� biologique par rapport � la sexualit�. Elle apporte la notion de pubert�, laquelle recouvre l'ensemble des modifications du corps humain qui le rendent apte � la reproduction. Ces modifications sont de l'ordre de l'anatomie (d�veloppement des organes et des caract�res sexuels), et de la physiologie (existence d'hormones induisant l'app�tence pour les activit�s sexuelles, apparition des r�gles). L'�ge d'apparition et de fin de la pubert� est en fait tr�s variable selon les individus, mais il y a consensus pour dire qu'elle commence rarement avant 10 ans, et qu'elle est g�n�ralement achev�e � 15 ans, avec un �ge m�dian vers 12 - 13 ans.
+Au-del� de la simple maturit� du corps envisag�e par la m�decine, se pose la question de la maturit� psychologique de l'individu. C'est une notion assez vague, o� l'on peut distinguer deux aspects :
+Ce qu'on peut en tout cas affirmer sur les deux alin�as pr�c�dents, c'est qu'ils sont tr�s d�pendants de l'�ducation et des circonstances de vie de chacun. Il existe des familles unies et sans histoires, au sein desquels les enfants sont prot�g�s et choy�s, et qui consid�rent l'�ducation sexuelle comme un tabou qu'on remet r�guli�rement � plus tard. Il existe des mineurs � l'abandon, tr�s t�t confront�s � de dures r�alit�s d'adultes, voire � une simple survie dans la solitude, qui deviennent adultes par n�cessit� avant l'�ge ordinaire dans nos soci�t�s. Entre ces deux tableaux extr�mes, tous les interm�diaires existent, et il n'y a que des cas particuliers.
+Les approches explicit�es ci-dessus forment l'essentiel des principes qui justifient la mani�re dont nos soci�t�s per�oivent la p�dophilie et sa pratique.
+Certaines fournissent des crit�res tr�s clairs d'appr�ciation, et prennent le dessus, d'autres sont plus difficilement utilisables.
+Elles reconnaissent les principes du droit � la protection de l'enfant qui ne peut pas avoir de libre arbitre et de capacit� de choix devant son manque de maturit� sexuelle et qui doit donc �tre prot�g� de certaines perversions. Le d�veloppement de sa sexualit� doit se faire dans un milieu �quilibr� et s�curis�.
+En cas de relations sexuelles adulte-enfant, il est victime, a subi un dol, a droit � r�paration. L'adulte doit �tre puni, et mis hors d'�tat de nuire.
+Ce sentiment tr�s largement partag� fait de la p�dophilie une transgression majeure et intol�rable de la norme de nos soci�t�s, donc une d�viation et plus g�n�ralement une perversion sexuelle.
+La relation sexuelle effective entre adulte et enfant, soit le passage � l'acte d'un p�dophile, est tr�s fortement condamn�e dans la plupart des l�gislations du monde, et reconnue comme un grave d�lit ou crime, une transgression majeure des droits fondamentaux de l'enfant sous le terme d'� abus sexuel sur mineur �. Il en va de m�me de la pornographie enfantine, aujourd'hui tr�s largement condamn�e y compris lorsqu'elle est d'imagination 12.
+Si les abus sexuels sur mineurs sont longtemps rest�s m�connus ou sous-estim�s dans les soci�t�s modernes, c'est � cause du silence qui les entourait. La nouveaut� tient au fait que, de nos jours, on �coute les enfants parler des relations sexuelles qui peuvent leur �tre impos�es par les adultes. Longtemps on crut que l'essentiel de ces r�cits relevaient du fantasme. Ainsi en �tait-il de Freud qui, dans le cas Bertha Pappenheim, crut discerner le fantasme quand elle lui parlait de son oncle attoucheur.
+Dans la majorit� des l�gislations la simple attirance sexuelle ainsi que les fantasmes ne sont pas r�prim�s par la loi, car ils appartiennent au domaine de la pens�e et du ressenti personnel.
+En revanche, dans la plupart des l�gislations du monde l'acte sexuel entre un adulte et un enfant est ill�gal et s�v�rement r�prim� vis � vis de l'adulte, consid�r� comme seul coupable et responsable. Contrairement aux lois sur l'agression sexuelle d'un adulte, l'absence de consentement de l'enfant n'est pas requis pour que l'infraction soit constitu�e : la relation sexuelle en elle-m�me est ill�gale. La s�paration entre ces deux formes de traitement de l'infraction sexuelle dans la loi est g�n�ralement fond�e sur une limite d'�ge, appel�e majorit� sexuelle, qui diff�rent en fonction des pays et des orientations sexuelles (la relation homosexuelle est souvent autoris�e plus tardivement que l'h�t�rosexuelle).
+Il existe �galement des lois r�primant la simple incitation d'un enfant � un acte sexuel. Par ailleurs, la production, consommation, �change et simple d�tention de mat�riel pornographique impliquant des enfants sont souvent interdites. Dans certains pays, cette derni�re loi s'applique �galement pour des oeuvres d'imagination (dessins, images virtuelles, etc.) Par exemple, l'article 163.1 du code criminel canadien interdit � toute repr�sentation photographique, film�e, vid�o ou autre, r�alis�e ou non par des moyens m�caniques ou �lectroniques �. D'autres l�gislations sont plus floues ou sujettes � interpr�tation sur ce point, comme l'article 227 - 23 du Code P�nal fran�ais qui incrimine toute repr�sentation d'un mineur lorsqu'elle poss�de un caract�re pornographique 14 : stricto sensus cel� s'applique �galement � des images imaginaires, mais la jurisprudence reste floue. Voir l'article Lolicon pour plus de d�tails. En France, les textes p�dopornographiques ne sont par contre pas interdits.15
+Eut �gard � l'�motion importante que causent les affaire d'abus sexuels sur enfants dans la plupart des soci�t�s, certaines l�gislations adoptent des lois d'exception parfois extr�mes pour r�primer avec plus de force les infractions sexuelles concernant des mineurs.
+En droit fran�ais, le terme de p�dophilie n'appara�t pas dans les codes et r�glement du droit et de la justice : les termes utilis�s pour d�crire l'infraction de relations sexuelle entre un majeur et un mineur sont atteinte sexuelle pour une relation avec consentement de l'enfant, agression sexuelle ou viol lorsque le consentement n'est pas reconnu. Il existe �galement des infractions de corruption de mineur pour l'incitation de mineur � des actes sexuels. L'�ge limite du mineur qui caract�rise l'infraction sexuelle (�ge de majorit� sexuelle) est de 15 ans en g�n�ral, 18 ans si le majeur est une personne ayant autorit� sur le mineur (professeur, parent...).
+La production, diffusion et d�tention d'images pornographiques impliquant des mineurs de moins de 18 ans est ill�gale en France. L'article de loi tel qu'il a �t� �crit en mai 2002 ne parle pas seulement de photographie, mais de tout type d'image : dessin, peinture, images virtuelles, etc. La jurisprudence a depuis fix� quelques exceptions, afin de prot�ger certains objets d'art ou historiques : peintures explicites datant de la Gr�ce antique, oeuvres d'art, etc. Toutefois la loi reste floue et sujette � interpr�tation sur ce point, ce qui pourrait attirer des probl�mes � certaines professions comme l'�dition ou la conservation de mus�es, et de faire �voluer la jurisprudence.
+Enfin, plusieurs lois d'exceptions existent pour les crimes ou d�lits de nature sexuels concernant les enfants : possibilit� de poursuivre en France un citoyen Fran�ais pour des crimes ou d�lits sexuels sur mineurs commis � l'�tranger (par exemple dans le cadre du tourisme sexuel), lev�e du secret professionnel en cas de connaissance d'une infraction, inscription sp�cifique dans un fichier d'empreintes g�n�tiques sur condamnation ou simple mise en examen, prescription courant � partir de la majorit� de la victime, obligation de soins une fois la peine de prison purg�e, d�tention dans un centre socio-m�dico-judiciaire une fois la peine purg�e, pour une dur�e d'un an reconductible, si la probable dangerosit� du criminel est d�cr�t�e.
+D'autres lois d'exception, souvent extr�mes, sont r�guli�rement propos�es par des acteurs sociaux ou politiques au gr� de l'�motion caus�e par l'actualit� : annulation de toute prescription, inscription des crimes sexuels comme crimes contre l'humanit�, r�tablissement de la peine de mort, etc.
+Tous les textes l�gislatifs fran�ais peuvent �tre consult�s sur ce site, plus particuli�rement dans la section Code p�nal.
+Le viol est un crime, jug� en Cour d'Assises alors que les autres infractions cit�es sont des d�lits, jug�s en tribunal correctionnel.
+Prescription : La prescription pour viols, agressions sexuelles, atteintes sexuelles sur un mineur de moins de 15 ans par un ascendant ou par une personne ayant autorit� est de 20 ans � partir de la majorit� de la victime. Articles 7 et 8 du Code de proc�dure p�nale.
+Par ailleurs, l'�ge l�gal � partir duquel le mariage est autoris� est de 18 ans pour filles et gar�ons depuis 2005 (il �tait de 15 ans pour les filles auparavant). La loi fran�aise n'�tablit aucune relation particuli�re entre les dispositions concernant la majorit� sexuelle et celles concernant le mariage.
+La l�gislation a �t� nettement durcie par une loi d'avril 2002 int�gr�e dans l'article 197 du code p�nal. D�sormais le t�l�chargement sur un disque dur et la copie de clich�s illicites, sur divers supports peuvent �tre assimil�s � des cas de fabrication d�j� r�prim�s sous l'ancien droit et s'ils sont obtenus depuis un site �tranger, ils constituent �galement un acte d'importation pouvant �tre sanctionn�. En revanche, une simple consultation non conserv�e ne serait pas directement sanctionn�e. Sans compter que les navigateurs (comme Safari) offrent d�sormais une option permettant de ne pas laisser de trace.
+Arr�t 6P.117/2004 et 6S.311/2004 du 11 octobre 2004
+D�cision-cadre 2004/68/JAI du Conseil du 22 d�cembre 2003 relative � la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la p�dopornographie
+Depuis la c�l�bre affaire Dutroux, les m�dias traitent de plus en plus souvent d'affaires dites de p�dophilie, contrastant ainsi avec un certain d�sint�r�t qui avait cours auparavant � ce sujet.
+Aujourd'hui les m�dias sont souvent accus�s de traiter ce th�me de fa�on trop �motionnelle, impr�cise et sans r�el travail journalistique, surtout lors de certaines affaire tr�s m�diatiques - par exemple l'affaire ado 71 et l'affaire d'Outreau, o� ils ont �t� accus�s d'enfreindre r�guli�rement la pr�somption d'innocence et d'instaurer un climat hyst�rique peu propice � une justice sereine et �quitable. Lors de ces affaires plusieurs pr�venus se sont suicid�s avant m�me leur jugement (dont certains qui se sont r�v�l�s innocents par la suite). Les m�dias ont �t� accus�s par un certain nombre de personnes (dont la Ligue des Droits de l'Homme) d'avoir provoqu� ces actes extr�mes par leur manque de pr�cautions et leurs accusations sans fondement.
+Parmi les injustices que cet emballement m�diatique et politique a provoqu�, on note l'affaire Alain Hodique, �poux de la directrice de l'�cole de Bucquoy est accus� en 2001 d'attouchement sur des �l�ves de son �pouse et incarc�r� un an. En 2007, la cour de cassation l'innocente. Cette affaire a eu d'autant plus de r�percussions que le ministre de l'Education d'alors, Jack Lang 17, avait repris � son compte les accusations d'une partie des villageois contre Alain Hodique.
+La stigmatisation sociale de la p�dophilie, et la gravit� des peines encourues en justice, en font parfois un moteur de chantage ou d'instrumentalisation.
+Depuis longtemps, les ballets roses ou bleus, expression d�signant des orgies au cours desquelles des adultes se livrent � des jeux sexuels avec des mineurs, filles (ballets roses) ou gar�ons (ballets bleus), ont form� la trame d'affaire r�elles, comme l'affaire des ballets roses en France en 1959, ou fantasm�es, telle que l'affaire des ballets roses en Belgique dans les ann�es 1970.
+On a constat� des cas d'instrumentalisation judiciaire de la p�dophilie par des parents en instance de divorce. De la m�me, il est arriv� que des enfants � r�glent leur comptes � � un enseignant (comme d�crit dans le livre Les Risques du m�tier). Il arrive aussi que de jeunes d�linquants, arr�t�s pour de petits d�lits, accusent des adultes de p�dophilie ou de recours � la prostitution de mineurs, pour se transformer en victimes.
+En France, l'affaire d'Outreau a d�fray� la chronique pour des charges abandonn�es au bout de plusieurs ann�es de prison pr�ventive . Sans oublier n�anmoins que des enfants furent bien victimes et que leurs tortionnaires furent condamn�s.
+L'instrumentalisation peut aussi �tre politique : Daniel Cohn-Bendit, en �voquant son pass� soixante-huitard dans un livre, a �t� accus� de p�dophilie des ann�es plus tard (voir cet article).
+Certains artistes �voquent la p�dophilie dans leurs oeuvres, ce qui provoque souvent des scandales. Des �crivains comme Gabriel Matzneff (Les Moins de seize ans) ou Tony Duvert (Prix M�dicis en 1973 pour Paysage de fantaisie) ont r�guli�rement �t� accus�s de faire l'apologie de la p�dophilie dans leurs oeuvres. Le Bon Sexe illustr�, �crit par ce dernier, se veut une critique f�roce du carcan normatif de l'�ducation sexuelle contemporaine. Plus r�cemment, en septembre 2002, la sortie du roman Rose Bonbon de Nicolas Jones-Gorlin a provoqu� une pol�mique suite � la plainte d�pos�e par une association de protection de l'enfance. D'autres auteurs, qui ont provoqu� des scandales � leur �poque, ont �t� absouts par leur c�l�brit� ou leur d�c�s : par exemple Vladimir Nabokov (Lolita), Roger Peyrefitte (Les Amiti�s particuli�res), Andr� Gide (L'Immoraliste) ou encore Henry de Montherlant (La Ville dont le prince est un enfant).
+Sur le plan de l'image, certains artistes d�peignent la figure de l'enfant sous un jour teint� d'�rotisme ou de sensualit� : on peut citer en mati�re de photographie les travaux de Bernard Faucon, Sally Mann ou Mike Tedder. Beaucoup d'artistes ont �lu l'enfant pour sujet principal ou occasionnel de leurs oeuvres, sans pour autant qu'il faille n�cessairement parler d'art � caract�re p�dophile d�s que de la sensualit� se d�gage. L'intention de l'artiste et les circonstances de la cr�ation d'une oeuvre sont des donn�es difficiles � �tablir. Une oeuvre d'art n'existe toutefois pas que par son auteur, et peut se transformer parfois de fa�on spectaculaire, entre autres par catharsis chez le p�dophile amateur d'art.
+En 2001, Emmanuelle Bercot �crit et r�alise le film Cl�ment dans lequel elle s'attribue le r�le principal, celui de Marion, une trentenaire qui s'�prend d'amour pour un ami de son filleul de treize ans, Cl�ment.
+En 2006, Yann Queff�lec publie Mineure (ISBN 2846281378), un roman dans lequel Sibylle, une jeune fille de treize ans, tente de s�duire Michel, un homme de cinquante-cinq ans, mari� et p�re de jumelles du m�me �ge. Il ne veut pas c�der, mais finira progressivement par succomber � son charme.
+Depuis quelque ann�es l'abus sexuel sur mineur, qui peut �tre une cons�quence de la p�dophilie, b�n�ficie d'une attention sociale intensive. De nombreuses associations se sont cr��es dans le but proclam� de prot�ger les enfants et de lutter contre l'abus sexuel. L'expression lutte contre la p�dophilie est souvent �voqu�e, bien que la p�dophilie soit une attirance sexuelle : l'action sociale peut lutter contre des actes d'abus sexuel, mais seule une approche m�dicale ou psychologique peut �ventuellement travailler � la disparition ou l'�volution d'attirances p�dophiles chez un �tre humain.
+Dans les ann�es 1970, certains mouvements de militantisme pro-p�dophile ont vu le jour en Europe du Nord et aux �tats-Unis. D'abord tr�s actifs, ils ont subi un certain nombre de revers dans diverses affaires judiciaires et m�diatiques, au point de quasiment dispara�tre dans les ann�es 1990. � partir de la fin du XXe si�cle, l'av�nement d'Internet leur a donn� une nouvelle force. Aux Pays-Bas existe un parti favorable � la p�dophilie, le PNVD, fond� par Ad Van den Berg, et comptant � ce jour trois membres connus : il demande l'abaissement de la majorit� sexuelle � 12 ans, et, � terme, son abolition � � terme, cette limite d'�ge devra dispara�tre totalement �, ainsi que la l�galisation de la pornographie enfantine dans un contexte bien pr�cis et encadr�.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le r�chauffement climatique, �galement appel� r�chauffement plan�taire, ou r�chauffement global, est un ph�nom�ne d'augmentation de la temp�rature moyenne des oc�ans et de l'atmosph�re, � l'�chelle mondiale et sur plusieurs ann�es. Dans son acception commune, ce terme est appliqu� au changement climatique observ� depuis environ 25 ans, c'est-�-dire depuis la fin du xxe si�cle.
+Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'�volution du climat (GIEC) est charg� d'�tablir un consensus scientifique sur cette question. Son dernier et quatri�me rapport, auquel ont particip� plus de 2 500 scientifiques de 130 pays, affirme que la probabilit� que le r�chauffement climatique depuis 1950 soit d'origine humaine est de plus de 90 %3. Ces conclusions ont �t� approuv�es par plus de 40 soci�t�s scientifiques et acad�mies des sciences, y compris l'ensemble des acad�mies nationales des sciences des grands pays industrialis�s.
+Le climat global de la Terre connait des modifications plus ou moins cycliques de r�chauffements alternant avec des refroidissements qui diff�rent par leur dur�e (de quelques milliers � plusieurs millions d'ann�es) et par leur amplitude. Depuis 800 000 ans, le climat terrestre a connu plusieurs de ces cycles. Plusieurs cycles de 100 000 ans environ se sont r�p�t�s au cours de cette p�riode. Chaque cycle commence par un r�chauffement brutal suivi d'une p�riode chaude de 10 000 � 20 000 ans environ, appel�e p�riode interglaciaire. Cette p�riode est suivie par un refroidissement progressif et l'installation d'une �re glaciaire. � la fin de la glaciation, un r�chauffement brutal amorce un nouveau cycle. Nous vivons actuellement depuis plus de 10 000 ans dans une p�riode interglaciaire (voir figure).
+Gr�ce � l'�tude des carottages de glace et plus pr�cis�ment de l'analyse de la composition isotopique de l'oxyg�ne pi�g� dans la glace, les temp�ratures atmosph�riques des cycles glaciaires de l'�re quaternaire ont pu �tre reconstitu�es. La carotte glaciaire la plus profonde a �t� for�e dans le cadre du projet Epica, en Antarctique, � plus de 3 500 m�tres de profondeur et permettant de remonter l'histoire du climat en Antarctique jusqu'� 800 000 ans. Les carottes de glace contiennent des bulles d'air et des indications sur la teneur en gaz de l'atmosph�re d'autrefois, ce qui montre que les temp�ratures globales sont li�es � la quantit� de gaz � effet de serre dans l'atmosph�re[r�f. n�cessaire].
+Les variations du climat sont corr�l�es avec celles de l'insolation, des param�tres de Milankovic, de l'alb�do, des cycles solaires et des concentrations dans l'atmosph�re des gaz � effet de serre comme le dioxyde de carbone et des a�rosols.
+Au cours du quaternaire, l'amplitude thermique a �t� de l'ordre de 10 �C, mais avec des hausses de temp�rature n'ayant jamais d�pass� de plus de 4 �C la temp�rature moyenne annuelle de la fin du xxe si�cle.
+En revanche pour les cycles plus anciens, comme durant le Permien, la temp�rature moyenne globale a atteint 22 �C soit 8 �C de plus par rapport � la moyenne actuelle, comme on peut le voir sur le graphique ci-contre. Durant ces p�riodes chaudes qui ont dur� plusieurs dizaines de millions d'ann�es, la Terre �tait d�pourvue de calottes polaires.
+� l'int�rieur des grandes fluctuations climatiques terrestres, se trouvent des variations plus br�ves et plus limit�es en intensit�. Ainsi, au cours du dernier mill�naire, est apparu une p�riode chaude aux xe et xie si�cles appel�e � optimum climatique m�di�val � : c'est l'�poque o� les navigateurs vikings d�couvrent et baptisent le Groenland (litt�ralement � Pays vert �) et fondent des colonies � l'extr�me sud de l'�le. De m�me, l'�poque des Temps Modernes (1550 - 1850) connut une p�riode de refroidissement que les historiens appellent le � petit �ge glaciaire � caract�ris� par des hivers tr�s rigoureux, dont le terrible hiver 1708 - 1709. Cette ann�e l�, les c�r�ales manqu�rent dans la plus grande partie de la France, et seuls la Normandie, le Perche et les c�tes de Bretagne ont pu produire assez de grain pour assurer les semences. Dans la r�gion parisienne le prix du pain atteignit, en juin 1709, 35 sous les neuf livres au lieu de 7 sous ordinairement. De nombreux arbres gel�rent jusqu'� l'aubier, et la vigne disparut de plusieurs r�gions de la France. Du 10 au 21 janvier, la temp�rature sous-abri se maintint � Paris aux environs de -20 �C, avec des minima absolus de -23 �C les 13 et 14 janvier ; le 11, le thermom�tre s'abaissa jusqu'� -16 �C � Montpellier et -17 �C � Marseille.
+Selon les reconstitutions de temp�ratures r�alis�es par les climatologues, la derni�re d�cennie du xxe si�cle et le d�but du xxie si�cle constituent la p�riode la plus chaude des deux derniers mill�naires (voir graphique). Notre �poque serait m�me un peu plus chaude (de quelques dixi�mes de degr�s) que ne le fut l'optimum climatique m�di�val.
+Les mesures terrestres de temp�rature r�alis�es au cours du xxe si�cle montrent une �l�vation de la temp�rature moyenne. Ce r�chauffement se serait d�roul� en deux phases, la premi�re de 1910 � 1945, la seconde de 1976 � aujourd'hui. Ces deux phases sont s�par�es par une p�riode de l�ger refroidissement. Ce r�chauffement plan�taire semble de plus corr�l� avec une forte augmentation dans l'atmosph�re de la concentration de plusieurs gaz � effet de serre, dont le dioxyde de carbone, le m�thane et le protoxyde d'azote.
+L'�l�vation de la temp�rature moyenne du globe entre 1906 et 2005 est estim�e � 0,74 �C (� plus ou moins 0,18 �C pr�s), dont une �l�vation de 0,65 �C durant la seule p�riode 1956 - 2006.
+La temp�rature moyenne plan�taire de 2001 � 2007 est de 14,44�C soit 0,21�C de plus de 1991 � 2000. � ce rythme l'augmentation est de 2,5�C en 100 ans.
+Plusieurs changements ont �t� observ�s dans le monde qui semblent coh�rents avec l'existence d'un r�chauffement climatique plan�taire. Cependant, le lien entre ce r�chauffement et les observations faites n'est pas toujours �tabli de fa�on s�re. En France c'est l'ONERC qui coordonne les observations.
+Selon le troisi�me rapport du GIEC, la r�partition des pr�cipitations s'est modifi�e au cours du xxe si�cle. En particulier, les pr�cipitations seraient devenues plus importantes aux latitudes moyennes et hautes de l'h�misph�re Nord, et moins importantes dans les zones subtropicales de ce m�me h�misph�re. D'autres experts estiment toutefois les donn�es actuelles trop rares et incompl�tes pour qu'une tendance � la hausse ou � la baisse des pr�cipitations puisse se d�gager sur des zones de cette ampleur. On observe �galement depuis 1988 une diminution notable de la couverture neigeuse printani�re aux latitudes moyennes de l'h�misph�re nord. Cette diminution est pr�occupante car cette couverture neigeuse contribue � l'humidit� des sols et aux ressou
+Plusieurs �tudes indiquent que les banquises sont en train de se r�duire. Le satellite sp�cialis� CryoSat-215, qui sera mis en orbite en 2009 apr�s l'�chec du premier satellite CryoSat en 2005, fournira des informations plus pr�cises sur les quantit�s de glace polaire.
+Des observations par satellite montrent que ces banquises perdent de la superficie dans l'oc�an Arctique. Par ailleurs, un amincissement de ces banquises, en particulier autour du p�le nord, a �t� observ�. L'�ge moyen des glaces sur la p�riode 1988 - 2005, est pass� de plus de six ans � moins de trois ans. La r�duction de l'�tendue moyenne de la banquise arctique depuis 1978 est de l'ordre de 2,7 % par d�cennie (plus ou moins 0,6 %), son �tendue minimale en fin d'�t� diminuant de 7,4 % par d�cennie (plus ou moins 2,4 %)12. Le r�chauffement dans cette r�gion est de l'ordre de 2,5 �C19 (au lieu de 0,7 �C en moyenne sur la plan�te), et l'�paisseur moyenne des glaces a perdu 40 % de sa valeur entre les p�riodes 1958 - 1976 et 1993 - 1997. 2007 marque un minimum de la banquise en �t�. Cette ann�e-l�, les observations satellitaires constatent une acc�l�ration de la fonte de la banquise arctique, avec une perte de 20 % de la surface de la banquise d'�t� en un an22. Les observations men�es pendant l'exp�dition Tara dirig�e sous l'�gide du programme europ�en Damocl�s (Developping Arctic Modelling and Observing Capabillities for Long-term Environmental Studies) de septembre 2006 � d�cembre 2007 indiquent que les modifications entam�es dans l'oc�an Arctique sont profondes et irr�versibles. Par ailleurs, le Groenland a vu ses glaciers se r�duire de 230 � 80 milliards de tonnes par an de 2003 � 2005, ce qui contribuerait � 10 % de l'�l�vation du niveau des mers.
+En Antarctique, les mesures par satellites, faites depuis 1979 ne montrent pas actuellement de diminution de surface, contrairement � la banquise Arctique. Cependant, on observe un certain nombre de ph�nom�nes exceptionnels. Ainsi, 3 500 km2 de la banquise Larsen B, (l'�quivalent en surface des deux tiers d'un d�partement fran�ais), se sont fragment�s en mars 2002, les premi�res crevasses �tant apparues en 1987. Cette banquise �tait consid�r�e comme stable depuis 10 000 ans. Au mois d'avril 2009, la plaque Wilkins, dont la superficie �tait nagu�re de 16 000 km2 s'est �galement d�tach�e.
+� quelques exceptions pr�s, la plupart des glaciers montagnards �tudi�s sont en phase de recul.
+Les glaciers de l'Himalaya reculent rapidement et pourraient dispara�tre dans les cinquante prochaines ann�es, selon des experts r�unis � Katmandou pour une conf�rence sur le r�chauffement climatique le 4 juin 2007[r�f. n�cessaire]. Les temp�ratures dans cette r�gion ont cr� de 0,15 �C � 0,6 �C tous les 10 ans au cours des 30 derni�res ann�es. De nombreux travaux documentent ce recul et cherchent � l'expliquer. Un tel recul semble tout � fait coh�rent avec un r�chauffement du climat. Cependant, cette hypoth�se n'est pas certaine, certains glaciers ayant commenc� � reculer au milieu du xixe si�cle, apr�s la fin du petit �ge glaciaire. L'avanc�e ou le recul des glaciers sont r�currents et li�s � de nombreux facteurs, parmi lesquels les pr�cipitations ou le ph�nom�ne El Ni�o jouent un r�le important. Par exemple le recul actuel de la mer de Glace � Chamonix d�couvre des vestiges humains du Moyen �ge, preuve que le glacier a d�j� recul� davantage que de nos jours � une p�riode historiquement proche.
+Il faut �galement souligner la quasi-absence de donn�es sur les glaciers himalayens. Par exemple, des donn�es fiables n'existent que pour 50 glaciers indiens, sur plus de 9 500.33
+Le climat, et en particulier les temp�ratures, ont un effet sur la date des r�coltes agricoles. Dans de nombreux cas, les dates de vendanges sont r�guli�rement avanc�es, comme en Bourgogne. De plus ces ph�nom�nes peuvent �tre d�crits sur plusieurs d�cennies car ces dates de vendanges ont �t� consign�es dans le pass� et archiv�es. De tels documents sont utilis�s pour d�terminer les temp�ratures � des p�riodes o� les thermom�tres n'existaient pas ou manquaient de pr�cision. Un r�chauffement climatique depuis le xxe si�cle est clairement �tabli par l'�tude de ces archives (ainsi, la date de d�but des vendanges � Ch�teauneuf-du-Pape a avanc� d'un mois en cinquante ans).
+Plusieurs �quipes de chercheurs ont observ� une modification de l'aire de r�partition de diff�rentes esp�ces animales et v�g�tales. Dans certains cas, en particulier lorsque cette aire se d�place vers le nord ou vers de plus hautes altitudes, le r�chauffement climatique plan�taire est parfois propos� comme cause de ces modifications. Par exemple, l'extension actuelle de l'aire de r�partition de la chenille processionnaire du pin, qui a atteint Orl�ans en 1992 et Fontainebleau en 2005, pourrait �tre due au r�chauffement climatique.
+Le consensus scientifique dans le dernier rapport AR4 du GIEC est que l'intensit� des cyclones tropicaux va probablement augmenter (avec une probabilit� sup�rieure � 66%).
+Une �tude publi�e en 2005, remise en question depuis par une seconde �tude, indique une augmentation globale de l'intensit� des cyclones entre 1970 et 2004, le nombre total de cyclones �tant en diminution pendant la m�me p�riode. Selon cette �tude, il est possible que cette augmentation d'intensit� soit li�e au r�chauffement climatique, mais la p�riode d'observation est trop courte et le r�le des cyclones dans les flux atmosph�riques et oc�aniques n'est pas suffisamment connu pour que cette relation puisse �tre �tablie avec certitude. La seconde �tude publi�e un an plus tard ne montre pas d'augmentation significative de l'intensit� des cyclones depuis 198642,43. Ryan Maue, de l'universit� de Floride, dans un article intitul� "Northern Hemisphere tropical cyclone activity", observe pour sa part une baisse marqu�e de l'activit� cyclonique depuis 2006 dans l'h�misph�re nord par rapport aux trente derni�res ann�es. Il ajoute que la baisse est probablement plus marqu�e, les mesures datant de trente ans ne d�tectant pas les activit�s les plus faibles, ce que permettent les mesures d'aujourd'hui. Pour Maue, c'est possiblement un plus bas depuis cinquante ans que l'on observe en termes d'activit� cyclonique.
+Par ailleurs, les simulations informatiques ne permettent pas dans l'�tat actuel des connaissances de pr�voir d'�volution significative du nombre de cyclones li� � un r�chauffement climatique.
+On observe un r�chauffement des oc�ans, qui diminue avec la profondeur. On estime que les oc�ans ont absorb� � ce jour plus de 80 % de la chaleur ajout�e au syst�me climatique. Ce r�chauffement entra�ne une mont�e du niveau de la mer par dilatation thermique des oc�ans. Diff�rentes donn�es obtenues � l'aide de mar�graphes et de satellites ont �t� �tudi�es. Leur analyse sugg�re que le niveau de la mer s'est �lev� au cours du xxe si�cle de quelques dizaines de centim�tres, et qu'il continue � s'�lever r�guli�rement. Le GIEC estime que le niveau de la mer s'est �lev� de 1,8 mm par an entre 1961 et 2003,48. Cette �l�vation du niveau de la mer peut aussi �tre observ�e indirectement par ses cons�quences sur l'environnement, comme c'est le cas au Nouveau-Brunswick.
+Dans le cadre du "syst�me ARGO", 3000 balises automatiques ont �t� r�parties dans tous les oc�ans en 2007 et permettront de suivre la temp�rature et la salinit� des oc�ans jusqu'� 2000 m�tres de profondeur. En Atlantique Nord, des chercheurs de l'Ifremer Brest ont confirm� les tendances au r�chauffement dans les couches de surface.
+Une �tude men�e conjointement par le Centre fran�ais de recherche pour l'ing�nierie de l'agriculture et de l'environnement (Cemagref) et par l'Institut Leibniz pour les sciences marines de Kiel, rendue publique le 20 juillet 2009 dans les Comptes-rendus de l'Acad�mie am�ricaine des Sciences, a conclu que la masse corporelle de certains poissons d'eau douce des fleuves et rivi�res europ�ens (truites, barbeaux...), ainsi que certaines populations de la mer Baltique et de la mer du Nord, a diminu� en moyenne de moiti� en un quart de si�cle, et ce en raison de l'�l�vation, due au ph�nom�ne de r�chauffement climatique, de la temp�rature des eaux.
+Selon le GIEC, le r�chauffement climatique est largement attribu� � un effet de serre additionnel d� aux rejets de gaz � effet de serre produits par les activit�s humaines, et principalement les �missions de CO252,53. L'origine humaine des gaz � effet de serre est confirm�e entre autres par l'�volution des composantes isotopiques du carbone dans l'atmosph�re. Les concentrations actuelles de CO2 d�passent de 35 % celles de l'�re pr�industrielle, surpassant de loin les taux des 600 000 derni�res ann�es. Elles sont pass�es de 280 ppm � l'�poque pr�-industrielle � 379 ppm en 2005, et celles de m�thane ont augment� de 150 %55.
+On assiste � une augmentation de 40 % de la vitesse de croissance du CO2 dans l'atmosph�re, augmentant de +1,5 ppm par an de 1970 � 2000, et de +2,1 ppm par an entre 2000 et 2007.
+Des experts du GIEC ont confirm� le 2 f�vrier 2007 que la probabilit� que le r�chauffement climatique soit d� � l'activit� humaine est sup�rieure � 90 %3. Leurs conclusions sont tir�es des r�sultats d'exp�riences avec des mod�les num�riques. En particulier, l'augmentation de la temp�rature moyenne mondiale depuis 2001 est en accord avec les pr�visions faites par le GIEC depuis 1990 sur le r�chauffement induit par les gaz � effets de serre. Enfin, un r�chauffement uniquement d� � l'activit� solaire n'expliquerait pas pourquoi la troposph�re verrait sa temp�rature augmenter et pas celle de la stratosph�re.
+L'hypoth�se d'un lien entre la temp�rature moyenne du globe et le taux de dioxyde de carbone dans l'atmosph�re a �t� formul�e pour la premi�re fois en 1894 par Svante Arrhenius. Mais c'est en 1979, lors de la premi�re conf�rence mondiale sur le climat, � Gen�ve, qu'est avanc�e pour la premi�re fois sur la sc�ne internationale l'�ventualit� d'un impact de l'activit� humaine sur le climat.
+L'effet de serre est un ph�nom�ne naturel : une partie du rayonnement infrarouge �mis par la Terre vers l'atmosph�re terrestre reste pi�g�e par les gaz dits � � effet de serre �, qui augmentent ainsi la temp�rature de la basse atmosph�re (troposph�re). Ces gaz sont essentiellement de la vapeur d'eau, et une infime partie est d'origine humaine. Sans cet effet, la temp�rature de surface de la Terre serait en moyenne de -18 �C ! Actuellement ce ph�nom�ne naturel se renforce car la quantit� de gaz � effet de serre a augment� ces derni�res ann�es, en particulier le CO2, naturellement en tr�s faible concentration dans l'atmosph�re par rapport � la vapeur d'eau ou au diazote (N2), ce qui d�s�quilibre le bilan radiatif de la Terre. Il a �t� prouv� par l'�tude isotopique du carbone dans l'air que cette augmentation des quantit�s de gaz � effet de serre est due � la combustion de mati�re carbon�e fossile.
+Selon les conclusions du rapport de 2001 des scientifiques du GIEC, la cause la plus probable de ce r�chauffement dans la seconde moiti� du xxe si�cle serait le � for�age anthropique �, c'est-�-dire l'augmentation dans l'atmosph�re des gaz � effet de serre r�sultant de l'activit� humaine. Selon les pr�visions actuelles, le r�chauffement plan�taire se poursuivrait au cours du xxie si�cle mais son amplitude est d�battue : selon les hypoth�ses retenues et les mod�les employ�s, les pr�visions pour les 50 ann�es � venir vont de 1,8 � 3,4 �C.
+Les mod�les num�riques ont �t� utilis�s pour estimer l'importance relative des divers facteurs naturels et humains au travers de simulations men�es sur des supercalculateurs, pour identifier le ou les facteurs � l'origine de la brutale hausse de temp�rature. Plusieurs hypoth�ses ont �t� test�es :
+Certaines de ces causes sont d'origine humaine, comme la d�forestation et la production de dioxyde de carbone par combustion de mati�re fossile. D'autres sont naturelles, comme l'activit� solaire ou les �missions volcaniques.
+Les simulations climatiques montrent que le r�chauffement observ� de 1910 � 1945 peut �tre expliqu� par les seules variations du rayonnement solaire (voir changement climatique) En revanche pour obtenir le r�chauffement observ� de 1976 � 2006 (voir graphique), on constate qu'il faut prendre en compte les �missions de gaz � effet de serre d'origine humaine. Les mod�lisations effectu�es depuis 2001 estiment que le for�age radiatif anthropique est dix fois sup�rieur au for�age radiatif d� � des variations de l'activit� solaire, bien que le for�age d� aux a�rosols soit n�gatif. Le point essentiel est que le for�age radiatif net est positif.
+De nombreux scientifiques estiment m�me que ce rapport n'est pas assez clair et qu'il faudrait d�s maintenant un programme international pour r�duire drastiquement les deux sources principales de gaz � effet de serre, le transport routier et les centrales � charbon.
+Bien qu'il existe un fort consensus dans la communaut� scientifique sur le r�le pr�dominant des activit�s humaines dans le r�chauffement climatique du dernier demi-si�cle, sa probabilit� �tant estim�e � plus de 90 %3 par le dernier rapport du GIEC en 2007, des personnalit�s contestent tout ou partie de cette th�se et attribuent le r�chauffement � des causes naturelles, li�es � l'activit� du Soleil. Par ailleurs, des critiques et controverses portent �galement sur les cons�quences du r�chauffement (voir le paragraphe Poursuite du r�chauffement climatique plus bas) et les actions � mener pour lutter contre (voir la section R�ponse des �tats plus bas).
+La pr�vision par les scientifiques de l'�volution future du climat est possible par l'utilisation de mod�les math�matiques trait�s informatiquement sur des superordinateurs. Ces mod�les, dits de circulation g�n�rale, reposent sur les lois g�n�rales de la thermodynamique et simulent les d�placements et les temp�ratures des masses atmosph�riques et oc�aniques. Les plus r�cents prennent aussi en consid�ration d'autres ph�nom�nes, comme le cycle du carbone.
+Ces mod�les sont consid�r�s comme valides par la communaut� scientifique lorsqu'ils sont capables de simuler des variations connues du climat, comme les variations saisonni�res, le ph�nom�ne El Ni�o, ou l'oscillation nord-atlantique. Les mod�les les plus r�cents simulent de fa�on satisfaisante les variations de temp�rature au cours du xxe si�cle. En particulier, les simulations men�es sur le climat du xxe si�cle sans int�grer l'influence humaine ne rend pas compte du r�chauffement climatique, tandis que celles incluant cette influence sont en accord avec les observations.
+Les mod�les informatiques simulant le climat sont alors utilis�s par les scientifiques pour pr�voir l'�volution future du climat, mais aussi pour cerner les causes du r�chauffement climatique actuel, en comparant les changements climatiques observ�s avec les changements induits dans ces mod�les par diff�rentes causes, naturelles ou humaines.
+Ces mod�les sont l'objet d'incertitudes de nature math�matique, informatique, physique, etc. Les trois principales sources d'incertitude mentionn�es par les climatologues sont :
+De fa�on plus g�n�rale, ces mod�les sont limit�s d'une part par les capacit�s de calcul des ordinateurs actuels, et le savoir de leurs concepteurs d'autre part, la climatologie et les ph�nom�nes � mod�liser �tant d'une grande complexit�. L'importance des investissements budg�taires n�cessaires sont aussi un aspect non n�gligeable de la recherche dans le domaine du r�chauffement climatique. Malgr� ces limitations, le GIEC consid�re les mod�les climatiques comme des outils pertinents pour fournir des pr�visions utiles du climat.
+Pour les climatologues regroup�s au sein du GIEC (IPCC en anglais), l'augmentation des temp�ratures va se poursuivre au cours du xxie si�cle. L'ampleur du r�chauffement attendu le plus probable est de � 1,8 � 3,4 �C.
+L'ampleur du r�chauffement pr�vu est incertaine ; les simulations tiennent compte :
+Afin de prendre en compte ce dernier param�tre dans leurs pr�visions, les climatologues du GIEC ont utilis� une famille de 40 sc�narios d'�mission de gaz � effet de serre d�taill�s dans le rapport SRES. Dans certains sc�narios, la croissance de la population humaine et le d�veloppement �conomique sont forts, tandis que les sources d'�nergie utilis�es sont principalement fossiles. Dans d'autres sc�narios, un ou plusieurs de ces param�tres sont modifi�s, entrainant une consommation des �nergies fossiles et une production de gaz � effet de serre moindres. Les sc�narios utilis�s comme hypoth�se de travail pour l'�laboration du troisi�me rapport du GIEC (2001) ne prennent pas en compte l'�ventualit� d'une modification intentionnelle des �missions de gaz � effet de serre � l'�chelle mondiale.
+Les incertitudes li�es au fonctionnement des mod�les sont mesur�es en comparant les r�sultats de plusieurs mod�les pour un m�me sc�nario, et en comparant les effets de petites modifications des sc�narios d'�mission dans chaque mod�le.
+Les variations observ�es dans les simulations climatiques sont � l'origine d'un �parpillement des pr�visions de l'ordre de 1,3 � 2,4 �C, pour un sc�nario (d�mographique, de croissance, de � mix �nerg�tique mondial �, etc.) donn�. Le type de sc�nario envisag� a un effet de l'ordre de 2,6 �C sur le r�chauffement climatique simul� par ces mod�les et explique une bonne partie de la marge d'incertitude existant quant � l'ampleur du r�chauffement � venir.
+Les pr�visions d'augmentation de temp�rature pour l'horizon 2 100 donn�es par le GIEC (SPM du AR4 2007) s'�chelonnent de 1,1 � 6,3 �C. Les experts du GIEC affinent leurs pr�visions en donnant des valeurs consid�r�es comme � les meilleures estimations �, ce qui permet de r�duire la fourchette de 1,8 � 4,0 �C. Et en �liminant le sc�nario A1F1, consid�r� comme irr�aliste, l'augmentation de temp�rature serait comprise entre 1,8 et 3,4 �C.
+Les scientifiques du GIEC consid�rent que ces pr�dictions sont les meilleures pr�dictions actuellement possibles, mais qu'elles sont toujours sujettes � des r�ajustements ou � des remises en cause au fur et � mesure des avanc�es scientifiques. Ils consid�rent qu'il est n�cessaire d'obtenir des mod�les plus r�alistes et une meilleure compr�hension des ph�nom�nes climatiques, ainsi que des incertitudes associ�es.
+Cependant, de nombreux climatologues pensent que les am�liorations � court terme apport�es aux mod�les climatiques ne modifieront pas fondamentalement leurs r�sultats, � savoir que le r�chauffement plan�taire va continuer et que son ampleur sera plus ou moins importante en fonction de la quantit� de gaz � effet de serre �mis par les activit�s humaines au cours du xxie si�cle, et ce en raison de l'inertie des syst�mes climatiques � l'�chelle plan�taire.
+Les derniers articles scientifiques montrent que l'ann�e 199874 a �t� la plus chaude de toute l'histoire de la m�t�orologie, que le r�chauffement s'acc�l�re - 0,8 �C en un si�cle, dont 0,6 �C sur les trente derni�res ann�es -, mais aussi d'apr�s l'analyse de s�diments marins, que la chaleur actuelle se situe dans le haut de l'�chelle des temp�ratures depuis le d�but de l'holoc�ne, c'est-�-dire 12 000 ans.
+Les mod�les utilis�s pour pr�dire le r�chauffement plan�taire futur peuvent aussi �tre utilis�s pour simuler les cons�quences de ce r�chauffement sur les autres param�tres physiques de la Terre, comme les calottes de glace, les pr�cipitations ou le niveau des mers. Dans ce domaine, un certain nombre de cons�quences du r�chauffement climatique sont l'objet d'un consensus parmi les climatologues.
+Une des cons�quences du r�chauffement plan�taire sur lesquelles s'accordent les scientifiques est une mont�e du niveau des oc�ans. Deux ph�nom�nes engendrent cette �l�vation :
+Selon le troisi�me rapport du GIEC, le niveau de la mer s'est �lev� de 0,1 � 0,2 m au xxe si�cle. La mont�e du niveau des eaux est due principalement au r�chauffement des eaux oc�aniques et � leur dilatation thermique. L'effet de la fonte des glaciers ne se ferait sentir qu'� beaucoup plus long terme, et celle des calottes polaires � l'�chelle de plusieurs si�cles ou mill�naires. De m�me que pour les temp�ratures, les incertitudes concernant le niveau de la mer sont li�es aux mod�les, d'une part, et aux �missions futures de gaz � effet de serre, d'autre part.
+L'�l�vation entre 1993 et 2003 est estim�e � 3,1 mm par an (plus ou moins 0,7 mm). L'�l�vation pr�vue du niveau de la mer en 2100 est de 18 � 59 cm, selon le 4e rapport du GIEC. Elle pourrait �tre de 2 m�tres en 2300.
+Une mont�e des eaux de quelques centim�tres n'a pas d'impact tr�s visible sur les c�tes rocheuses, mais peut avoir des effets tr�s importants sur la dynamique s�dimentaire des c�tes plates : dans ces r�gions, qui sont en �quilibre dynamique, la mont�e des eaux renforce les capacit�s �rosives de la mer, et d�place donc globalement l'�quilibre vers une reprise de l'�rosion qui fait reculer les c�tes. La mont�e du niveau moyen de la mer a ainsi des effets beaucoup plus importants que la simple translation de la ligne de c�te jusqu'aux courbes de niveau correspondantes.
+Selon le dernier rapport du GIEC, une augmentation des pr�cipitations aux latitudes �lev�es est tr�s probable tandis que dans les r�gions subtropicales on s'attend � une diminution, poursuivant une tendance d�j� constat�e, de sorte qu'� l'horizon 2025, un tiers de la population mondiale pourrait se trouver en �tat de stress hydrique.
+La circulation thermohaline d�signe les mouvements d'eau froide et sal�e vers les fonds oc�aniques qui prennent place aux hautes latitudes de l'h�misph�re nord. Ce ph�nom�ne serait, avec d'autres, responsable du renouvellement des eaux profondes oc�aniques et de la relative douceur du climat europ�en.
+En cas de r�chauffement climatique, le moteur qui anime les courants marins serait menac�. En effet, les courants acqui�rent leur �nergie cin�tique lors de la plong�e des eaux froides et sal�es, et donc denses, dans les profondeurs de l'oc�an Arctique. Or, l'augmentation de la temp�rature devrait accro�tre l'�vaporation dans les r�gions tropicales et les pr�cipitations dans les r�gions de plus haute latitude. L'oc�an Atlantique, en se r�chauffant, recevrait alors plus de pluies, et en parall�le la calotte glaciaire pourrait partiellement fondre (voir �v�nement de Heinrich). Dans de telles circonstances, une des cons�quences directes serait un apport massif d'eau douce aux abords des p�les, entra�nant une diminution de la salinit� marine et donc de la densit� des eaux de surface. Cela peut emp�cher leur plong�e dans les abysses oc�aniques. Ainsi, les courants tels que le Gulf Stream pourraient ralentir ou s'arr�ter, et ne plus assurer les �changes thermiques actuels entre l'�quateur et zones temp�r�es. Pour le xxie si�cle, le GIEC consid�rait dans son rapport 2007 comme tr�s probable un ralentissement de la circulation thermohaline dans l'Atlantique, mais comme tr�s improbable un changement brusque de cette circulation.
+Selon certaines th�ses[r�f. n�cessaire], un ph�nom�ne d'arr�t du Gulf Stream, d� au r�chauffement climatique, pourrait engendrer un effet paradoxal : par son in�gale distribution de la chaleur, une �re glaciaire en Europe et dans les r�gions � hautes latitudes. En effet, l'Europe se situe � la m�me latitude que le Qu�bec, et la seule diff�rence de climat semble r�sider dans le fait que l'Europe profite de l'apport thermique du Gulf Stream[r�f. n�cessaire]. L'�quateur, � l'inverse, accumulerait alors de la chaleur stimulant de ce fait la formation continuelle d'ouragans amenant des pr�cipitations de grande ampleur.
+Cette hypoth�se d'un refroidissement de l'Europe qui suivrait le r�chauffement global n'est cependant pas valid�e. En effet, il n'est nullement �tabli que le Gulf Stream soit la seule cause des hivers doux en Europe. Ainsi, Richard Seager a publi� en 2002 une �tude scientifique sur l'influence du Gulf Stream sur le climat. Ses conclusions sont sans appel : l'effet du Gulf Stream est, selon lui, un mythe et a un effet mineur sur le climat en Europe. La diff�rence entre les temp�ratures hivernales entre l'Am�rique du Nord et l'Europe est due au sens des vents dominants (vent continental glacial du nord sur la c�te Est de l'Am�rique du Nord et vent oc�anique de l'ouest en Europe) et � la configuration des Montagnes Rocheuses. M�me en cas d'arr�t du Gulf Stream, le climat de l'Europe occidentale serait comparable � celui de la c�te Ouest des �tats-Unis plut�t qu'� celui de la c�te Est.
+Les scientifiques du GIEC pr�voient, pour le xxie si�cle une diminution de la couverture neigeuse, et un retrait des banquises. Les glaciers et calottes glaciaires de l'h�misph�re nord devraient aussi continuer � reculer, les glaciers situ�s � moins de 3 400 m d'altitude pouvant �tre amen�s � dispara�tre.
+LesEn revanche, l'�volution de la calotte glaciaire antarctique au cours du xxie si�cle est plus difficile � pr�voir.
+Une �quipe de chercheurs a r�cemment mis en �vidence un lien entre l'activit� humaine et l'effondrement de plates-formes de glace dans l'Antarctique. Les r�chauffements locaux seraient dus � un changement de direction des vents dominants, cette modification �tant elle-m�me due � l'augmentation de la concentration de l'air en gaz � effet de serre et la d�gradation de la couche d'ozone en Antarctique � cause des CFC d'origine humaine.
+Toutefois, selon une lettre envoy�e au journal Nature, ces r�chauffements ne s'observent que localement. En effet, l'Antarctique connait globalement un climat de plus en plus froid et sa couverture glac�e est en expansion, les �l�vations de la temp�rature dans ces secteurs tr�s froids se r�v�lant favorables � une augmentation des pr�cipitations neigeuses donc � terme, � une augmentation des volumes de glace.
+Cependant, la quantit� de glace de l'Antarctique d�vers�e dans les mers a augment� de 75 % durant les dix ann�es pr�c�dant 2008. Ce ph�nom�ne risque de s'amplifier en raison de la disparition de la banquise qui cesse alors d'opposer un obstacle au d�versement des glaciers dans l'oc�an.
+Le quatri�me rapport d'�valuation du GIEC �nonce que � le r�chauffement anthropique de la plan�te pourrait entra�ner certains effets qui sont brusques ou irr�versibles, selon le rythme et l'ampleur des changements climatiques �.
+Des visions prospectives optimistes et moins optimistes cohabitent en 2009 : certains insistent sur le fait que les solutions techniques existent, et qu'il ne reste qu'� les appliquer (les maisons pourraient �tre isol�es, et produire plus d'�lectricit� qu'elles n'en consomment, les transports ma�tris�s, les villes pourraient �tre plus autonomes et d�polluer l'air). Au contraire, d'autres - tout en invitant � appliquer au plus vite ces solutions voire une d�croissance soutenable et conviviale - r�alertent, constatent que de 1990 � 2009, la tendance a �t� la r�alisation des fourchettes hautes d'�mission de gaz � effet de serre, conduisant aux sc�narios-catastrophe du GIEC, et estiment qu' il est temps de cesser de parler de � changement � pour d�crire une catastrophe
+La majorit� des climatologues pensent que les ph�nom�nes induits par l'�mission des gaz � effet de serre vont se poursuivre et s'amplifier. Le troisi�me rapport du GIEC insiste en particulier sur les points suivants :
+Les r�centes observations dans la zone arctique men�es sous l'�gide du programme europ�en Damocl�s (Developping Arctic Modelling and Observing Capabillities for Long-term Environmental Studies) ont cr�� une v�ritable surprise dans le monde scientifique. En effet, celles-ci montrent une diff�rence importante avec les pr�visions issues des diff�rents mod�les et sur lesquelles sont bas�es les conclusions du GIEC : ceci se traduit par une nette acc�l�ration des effets dus � l'augmentation des gaz � effet de serre en Arctique (fonte totale de la banquise en �t� d'ici 2020) 99,100.
+Les scientifiques nomment ainsi des emballements du syst�me climatique lorsqu'un seuil est d�pass�. On parle aussi de bombe � carbone. De telles r�troactions ont d�j� �t� observ�es lors de pr�c�dents r�chauffements climatiques, � la fin d'une �re glaciaire ; le climat peut ainsi, en quelques ann�es, se r�chauffer de plusieurs degr�s. Un exemple concerne les hydrates de m�thane. Le m�thane (CH4, qui n'est autre que le gaz naturel, � quelques � impuret�s � pr�s), est un gaz � effet de serre 23 fois plus r�chauffant que le CO2. Il se forme lorsque la d�composition de la mati�re organique s'effectue avec un manque d'oxyg�ne, et sous l'action de bact�ries, un processus nomm� m�thanisation. Les sols humides (marais) sont tr�s propices � cette cr�ation de m�thane, qui est alors lib�r� dans l'atmosph�re (cela peut donner lieu � des inflammations spontan�es et l'on peut observer des feux follets). Si le sol est gel�, le m�thane reste pi�g� dans la glace sous la forme d'hydrates de m�thane. Le sol de Sib�rie est ainsi un immense r�servoir de m�thane (sans doute trop diffus pour �tre exploit� industriellement) : le d�partement des �tudes g�ologiques des �tats-Unis a �valu� que ce r�servoir pouvait �tre de la m�me ampleur que tout le gaz, le p�trole et le charbon r�unis. Cependant, le magazine Science & Vie d'avril 2006 donnait plut�t comme valeur 1 400 Gt, comparativement � 5 000 Gt pour l'ensemble des combustibles fossiles. Si le sol se r�chauffe, la glace fond et lib�re le m�thane d�j� pr�sent initialement, ce qui a pour cons�quence un effet de serre plus marqu�, et par suite un emballement du r�chauffement climatique, qui fait fondre la glace encore plus vite... D'o� le nom de r�troaction.
+Une autre r�troaction serait le ralentissement et la modification des courants oc�aniques. L'oc�an capte aujourd'hui le tiers du CO2 �mis par les activit�s humaines. Mais si les courants oc�aniques ralentissent, les couches d'eau superficielles peuvent se saturer en CO2 et ne pourraient plus en capter comme aujourd'hui. La quantit� de CO2 que peut absorber un litre d'eau diminue � mesure que l'eau se r�chauffe. Ainsi, de grandes quantit�s de CO2 peuvent �tre relargu�es si les courants oc�aniques sont modifi�s. En outre, l'accumulation de CO2 dans les oc�ans conduit � l'acidification de ces derniers, ce qui affecte l'�cosyst�me marin et peut induire � long terme un relargage de CO2.
+Les moteurs de la circulation oc�anique sont de deux types : l'eau en se rapprochant des p�les se refroidit et devient donc plus dense. De plus, l'eau de mer qui g�le rejette son sel dans l'eau liquide (la glace est constitu�e d'eau douce), devenant au voisinage des calottes glaciaires encore plus dense. Cette eau plonge donc et alimente la pompe : l'eau plus chaude de la surface est aspir�e. L'eau du fond (froide) remonte dans les zones des tropiques et / ou �quatoriales et se r�chauffe, ceci en un cycle de plus de 1 000 ans.
+Si les calottes de glace fondent, la pompe se bloque : en effet, l'eau qui plonge provient de la calotte et non plus de l'eau refroidie en provenance des tropiques. Un effet similaire est observ� si les pr�cipitations augmentent aux hautes latitudes (ce qui est pr�vu par les mod�les) : l'eau qui plongera sera l'eau douce de pluie. � terme, une forte perturbation du Gulf Stream est envisageable.
+Au-del� des cons�quences directes, physiques et climatiques, du r�chauffement plan�taire, celui-ci influera sur les �cosyst�mes, en particulier en modifiant la biodiversit�. D'apr�s le GIEC, la capacit� de nombreux �cosyst�mes � s'adapter naturellement sera probablement d�pass�e par la combinaison sans pr�c�dent des :
+Le d�s�quilibre naturel qui s'en suivra pourrait entra�ner la disparition de plusieurs esp�ces animales et v�g�tales. C'est une pr�occupation dont les �tats, comme la France, commencent � tenir compte. Pour l'ensemble des populations humaines, ces effets � physiques � et � �cologiques � auront de fortes r�percussions. La tr�s grande complexit� des syst�mes �cologiques, �conomiques et sociaux affect�s par le r�chauffement climatique ne permet pas de faire des pr�visions chiffr�es comme pour la mod�lisation physique de la Terre.
+Au niveau biologique et �cologique, un consensus scientifique a �t� atteint sur les points suivants :
+Le GIEC pr�voit des cons�quences n�gatives majeures pour l'humanit� au xxie si�cle :
+Elles sont aussi associ�es au r�chauffement pr�vu au xxie si�cle :
+En ce qui concerne la France, l'�l�vation de temp�rature risque d'augmenter le nombre de canicules en 2100. Alors que le nombre de jours de canicule est actuellement de 3 � 10 par an, il pourrait s'�lever � une moyenne de 20 � 40 en 2100, rendant banale la canicule exceptionnelle de 2003,112.
+Les pr�cipitations seraient plus importantes en hiver, mais moindres en �t�. Les r�gions connaissant des dur�es de plus de 25 jours cons�cutifs sans pluie, actuellement limit�es au sud-est de la France, s'�tendraient � la moiti� ouest du territoire.
+La v�g�tation connaitrait une remont�e vers le nord. L'�pic�a risquerait de disparaitre du Massif Central et des Pyr�n�es. Le ch�ne, tr�s r�pandu dans l'Est de la France, verrait son domaine r�duit au Jura et aux Vosges, mais le pin maritime, actuellement implant� sur la fa�ade Ouest, s'�tendrait sur la moiti� ouest de la France et le ch�ne vert s'�tendrait dans le tiers sud, marquant une �tendue du climat m�diterran�en.
+Les cultures du midi m�diterran�en, telles que celle de l'olivier, pourraient s'implanter dans la vall�e du Rh�ne. On peut d�sormais trouver des oliviers en tant qu'arbres d'ornement sur toute la fa�ade sud-ouest de l'oc�an Atlantique, et ce jusqu'en Vend�e. Par contre, faute d'eau suffisante, la culture du ma�s serait limit�e � la partie nord et nord-est du territoire. Les c�r�ales verraient leur rendement augmenter si l'�l�vation de temp�rature ne d�passe pas 2 �C. Par contre, si elle �tait sup�rieure, les plantes cultiv�es auraient du mal � s'adapter et on pourrait craindre des difficult�s agricoles.
+Les chutes de neige seront moins abondantes, entra�nant un moindre approvisionnement en eau des fleuves, mais �galement des difficult�s d'ordre �conomique pour l'�conomie de montagne. Par exemple, les stations de ski situ�es � moins de 1 500 m d'altitude seraient amen�es � fermer leurs pistes et � se reconvertir.
+Face au r�chauffement climatique, l'Acad�mie des Sciences am�ricaine note, dans un rapport de 2002 : � il est important de ne pas adopter d'attitude fataliste en face des menaces pos�es par le changement de climat. (...) Les soci�t�s ont d� faire face � des changements du climat graduels ou abrupts durant des mill�naires et ont su s'adapter gr�ce � des r�actions diverses, telles que s'abriter, d�velopper l'irrigation ou migrer vers des r�gions plus hospitali�res. N�anmoins, parce que le changement du climat est destin� � continuer dans les prochaines d�cennies, d�nier la possibilit� d'�v�nements climatiques abrupts ou minimiser leur impact dans le pass� pourrait s'av�rer co�teux. �.
+Nombre de chercheurs pr�disent des cons�quences d�sastreuses en cas d'un r�chauffement de 1,5 � 7 �C, mais la plupart estiment qu'en limitant le r�chauffement global � 1 �C, les cons�quences seraient de grande ampleur mais resteraient acceptables.
+La mont�e du niveau de la mer, due essentiellement � la dilatation thermique des oc�ans, est �valu�e entre 18 et 59 cm d'ici 2 100 par le 4e rapport du GIEC. Elle inqui�te les populations de certaines �les de l'oc�an Pacifique ou de l'oc�an Indien qui pourraient se voir compl�tement submerg�es. � ce ph�nom�ne de mont�e des eaux s'ajoute un ph�nom�ne encore plus important de subduction (enfoncement des terres dans l'Oc�an) (voir notamment l'article sur l'archipel des Tuvalu et les �cor�fugi�s).
+Mais cette mont�e des eaux apparemment minime menace �galement les 20 % de la population mondiale vivant sur les littor
+L'accroissement de l'�vaporation devrait augmenter localement la pluviosit�, sauf dans les pays m�diterran�ens qui verraient la s�cheresse s'accentuer, dans un contexte o� la violence et / ou la fr�quence et gravit� des al�as climatiques pourraient cro�tre.
+En zone temp�r�e (hors des zones arides qui pourraient le devenir encore plus) et circumpolaire, dans un premier temps, la conjonction du r�chauffement et de l'augmentation du taux de CO2 dans l'air et les pluies pourrait accro�tre la productivit� des �cosyst�mes. L'agriculture du Nord des �tats-Unis, du Canada, de la Russie et des pays nordiques pourraient peut-�tre en profiter, mais des signes de d�p�rissement forestier semblent d�j� visible dans ces zones.
+Les satellites montrent que la productivit� de l'h�misph�re Nord a augment� depuis 1982, du fait de ce r�chauffement et de l'enrichissement de l'atmosph�re en CO2, mais aussi en partie � cause de l'eutrophisation des �cosyst�mes, les engrais d'origine humaine (phosphates et nitrates notamment) �tant entrain�s l� o� ces substances �taient beaucoup plus rares autrefois. L'augmentation de la biomasse n'est par ailleurs pas n�cessairement b�n�fique et comporte le risque de s'accompagner d'une r�gression de la biodiversit�. Enfin, au-del� d'un certain seuil, les mod�les du GIEC cal�s sur des tests en laboratoire et en ext�rieur, pr�disent qu'un taux de CO2 ne b�n�ficierait plus aux plantes, les effets n�gatifs pouvant alors l'emporter.
+Dans le sud de l'Am�rique du Nord, de la Chine, du Japon et de l'Europe, de longues s�cheresses, avec des �pisodes r�p�t�s de canicules pourraient induire des ph�nom�nes d'aridification puis de d�sertification et salinisation emp�chant l'agriculture, d�truisant les r�coltes ou les rendant tr�s co�teuses.
+De graves incendies pourraient massivement d�truire les cultures (en 2007, le feu a d�truit en Gr�ce de vastes zones agricoles dont des oliveraies). M�me sans incendies, l'augmentation de l'�vapotranspiration en �t�, li�e � une productivit� dop�e par le CO2, pourrait augmenter la sensibilit� d'un milieu aux s�cheresses et aggraver de ce fait le risque d'incendies de for�ts et de stress et maladies des arbres et des plantes cultiv�es.
+Une augmentation de la biomasse totale ne compenserait probablement pas un recul d'esp�ces cultiv�es, p�ch�es et chass�es. Le bilan global ne peut � ce jour �tre estim�, mais il pourrait �tre d�savantageux, m�me dans les zones o� les effets positifs se feraient le plus sentir. Pour le GIEC, mis en balance avec les effets n�gatifs, ces quelques aspects positifs ne permettent pas de consid�rer le r�chauffement climatique comme globalement b�n�fique.
+On ignore aussi � partir de quand les �cosyst�mes (marins notamment) r�agiront n�gativement � l'acidification des eaux qu'entra�ne la dissolution de quantit�s croissantes d'acide carbonique.
+Le Comit� �conomique et social europ�en dans son avis du 3 f�vrier 2009 note que des �tudes comparatives concluent � un bilan de l'agriculture bio en moyenne meilleur (au regard de la consommation de mati�res premi�res et d'�nergie et au regard du carbone stock� ou des �missions de gaz � effet de serre) que celui de l'agriculture dite conventionnelle, m�me si l'on tient compte des rendements moindres de l'agriculture bio, ce qui a justifi� que le gouvernement allemand, l'int�gre parmi les moyens de lutter contre le changement climatique). LE CESRE rappelle aussi qu'une agriculture r�orient�e et adapt�e pourrait selon divers sp�cialistes et ONG aussi contribuer � tamponner ou freiner les effets du r�chauffement (Cool farming)). Le comit� ne cite pas les agrocarburants comme une solution, citant le climatologue Paul Crutzen selon qui les �missions de protoxyde d'azote induites par la culture et production de biodiesel, suffisent, dans certaines conditions � faire que le m�thylester de colza puisse avoir des effets climatiques pires que ceux du diesel fait avec du p�trole fossile. Le comit�, pose aussi la question des fumures traditionnelles et se demande � si l'utilisation int�grale des plantes, telle qu'elle est pr�vue dans le cadre des biocarburants de la deuxi�me g�n�ration, ne risque pas de porter atteinte aux objectifs fix�s en mati�re de d�veloppement de la couche d'humus �, c'est-�-dire de contribuer � encore �puiser la mati�re organique des sols. Le comit� repose la question de l'�cobilan des biocarburants en citant une �tude comparative, de l'Empa qui a conclu qu'une Volkswagen Golf n�cessitait 5 265 m2 de colza pour parcourir 10 000 km avec du biodiesel, alors que 37 m2 de panneaux solaires (1/140�me de la parcelle de colza pr�c�dente) suffirait � produire assez d'�lectricit� pour parcourir la m�me distance.
+Selon une �tude r�cente, en 30 ans, un r�chauffement moyen de 0,5 �C a d�j� doubl� le taux de mortalit� des arbres des grandes for�ts de l'ouest am�ricain, en favorisant les s�cheresses et pullulations de ravageurs (dont scolytes qui ont par exemple d�truit environ 1,4 million d'hectares de pins dans le nord-ouest du Colorado). Le manque de neige induit un d�ficit hydrique et un allongement des s�cheresses estivales, avec multiplication des incendies, alertent les auteurs qui craignent des impacts en cascade sur la faune et les �cosyst�mes. L'augmentation de la mortalit� touche des arbres (feuillus et conif�res) de toutes les tailles et diff�rentes essences et � toutes les altitudes. Dans le nord-ouest am�ricain et le sud de la Colombie britannique (Canada), le taux de mortalit� dans les vieilles for�ts de conif�res a m�me doubl� en 17 ans (c'est une fois et demie plus rapide que la progression du taux de mortalit� des arbres des futaies californiennes o� ce taux a �t� multipli� par deux en 25 ans). L'acc�l�ration de la mortalit� a �t� moindre dans les for�ts de l'ouest ne bordant pas le Pacifique (dans le Colorado et l'Arizona), mais � un doublement de ce taux de mortalit� finira par r�duire de moiti� l'�ge moyen des arbres des futaies, entra�nant une diminution de leur taille moyenne �, estime T Veblen qui craint aussi une moindre fixation du CO2 de l'atmosph�re et qui appelle � � envisager de nouvelles politiques permettant de r�duire la vuln�rabilit� des for�ts et des populations �, notamment en limitant l'urbanisation r�sidentielles dans les zones vuln�rables.
+En France, selon les pr�vision de l'INRA, plusieurs essences ne survivront pas dans la moiti� sud de la France et plusieurs ravageurs des arbres pourraient continuer remonter vers le nord.
+Une diminution des glaces polaires arctiques ouvrirait de nouvelles routes commerciales pour les navires, et rendrait accessibles des ressources sous-marines de p�trole ou de mati�res premi�res, mais avec des cons�quences n�fastes sur nombre d'esp�ces, comme le plancton ou les poissons � haute valeur commerciale.
+L'acc�s � ces mati�res premi�res en des zones aujourd'hui non accessibles risque d'�tre source de conflit entre pays c�tiers de l'oc�an Arctique. Ainsi, les �tats-Unis et le Canada ont-ils protest� lorsque, le 2 ao�t 2007, la Russie planta son drapeau au fond de l'oc�an sous le p�le Nord.
+Un rapport de 700 pages de sir Nicholas Stern, �conomiste anglais, estime que le r�chauffement climatique entrainerait un co�t �conomique de 5 500 milliards d'euros en tenant compte de l'ensemble des g�n�rations (pr�sente et futures) ayant � en subir les cons�quences.
+En 2007, pour la premi�re fois, le World monuments fund (WMF, Fonds mondial pour les monuments) a introduit les modifications climatiques dans la liste des menaces pour 100 sites, monuments et chefs-d'oeuvre de l'architecture menac�s, les autres menaces principales �tant les guerres et conflits politiques, et le d�veloppement industriel et urbain anarchique.
+Des cons�quences des ph�nom�nes climatiques sont redout�es, non seulement sur l'�conomie, mais �galement sur la sant� publique : le quatri�me rapport du GIEC met en avant certains effets sur la sant� humaine, tels que � la mortalit� associ�e � la chaleur en Europe, les vecteurs de maladies infectieuses dans diverses r�gions et les allergies aux pollens aux latitudes moyennes et �lev�es de l'h�misph�re Nord �.
+Les changements climatiques pourront modifier la distribution g�ographique de certaines maladies infectieuses. Des temp�ratures �lev�es dans les r�gions chaudes pourraient r�duire l'extension du parasite responsable de la bilharziose. Mais le paludisme fait sa r�apparition au nord et au sud des tropiques. Aux �tats-Unis, cette maladie �tait en g�n�ral limit�e � la Californie, mais depuis 1990, des �pid�mies sont apparues dans d'autres �tats, tels le Texas, la Floride, mais aussi New York. Il est �galement r�apparu dans des zones o� il �tait peu fr�quent, telles le sud de l'Europe et de la Russie ou le long de l'oc�an Indien. On constate �galement que les moustiques et les maladies qu'ils transmettent ont gagn� en altitude.
+Sous les climats temp�r�s, le r�chauffement climatique r�duirait le nombre de d�c�s induit par le froid ou les maladies respiratoires. Cependant, l'augmentation de la fr�quence des canicules estivales augmenterait le nombre de d�c�s en �t�. Il est difficile de savoir quel sera le bilan global, et si une diminution de l'esp�rance de vie en d�coulera.
+Selon un rapport de 2003 command� par le Pentagone et selon un rapport de 2007 de l'UNEP, le r�chauffement climatique pourrait entra�ner des ph�nom�nes de d�stabilisation mondiale, avec des risques de guerre civile.
+La r�alit� du risque et du ph�nom�ne fait maintenant presque consensus. Nicholas Stern, en 2006, reconnaissait lui-m�me avoir sous-estim� l'ampleur du probl�me
+� La croissance des �missions de CO2 est beaucoup plus forte que pr�vue, les capacit�s d'absorption de la Plan�te se r�duisent et la vitesse des changements climatiques est plus rapide qu'envisag�e. �+
Face au probl�me, trois approches se compl�tent : lutte contre les �missions de GES, puits de carbone, et adaptation.
+L'effort international a d'abord vis� � r�duire le CO2 (gaz � longue dur�e de vie), alors qu'une action urgente sur les polluants � courte dur�e (dont le m�thane, l'ozone troposph�rique et le � carbone noir �) pourrait mieux r�duire le r�chauffement de l'Arctique. La r�duction du CO2 est aussi importante, mais ses effets se feront sentir � plus long terme (apr�s 2 100).
+La prospective �claire les gouvernements, entreprises et individus, qui gr�ce � la connaissance des tendances g�n�rales peuvent prendre des d�cisions politiques et strat�giques plus pertinentes pour limiter les impacts du changement climatique.
+Les rapports du GIEC sont la principale base d'information et discussions, dont dans le cadre du protocole de Kyoto et de ses suites (Bali, d�cembre 2007, etc.). L'augmentation pr�vue de 1,5 � 7 �C pour le si�cle � venir, pourrait �tre moindre si des mesures environnementales s�v�res �taient prises ou qu'un r�el comp�titeur aux �nergies fossiles �mergeait. En d�pit des succ�s dans le secteur des �nergies renouvelables, du nucl�aire et surtout d'un changement de mode de vie et de consommation, la recherche n'a pas encore offert d'alternative � court terme aux carburants fossiles. �nergie �olienne, �nergie hydro�lectrique, �nergie g�othermique, �nergie solaire, m�thanisation, �nergie hydrolienne, pile � combustible, �nergie nucl�aire, stockage g�ologique du dioxyde de carbone sont n�anmoins en rapide d�veloppement. Le gisement d'�conomies d'�nergie - les n�gawatts - est encore consid�rable.
+La soci�t� civile propose aussi des r�ponses, notamment via les campagnes et actions de lobbying des ONG et associations locales.
+En France, les ONG de protection de l'environnement et les associations concern�es se sont regroup�es au sein du R�seau Action Climat (RAC).
+Le r�chauffement climatique devrait se traduire par un temps plus instable (vagues de chaleur ou de froid, inondations ou s�cheresse, temp�tes et cyclones). De plus, d'apr�s le GIEC, la capacit� � s'adapter naturellement de nombreux �cosyst�mes sera probablement d�pass�e, causant massivement l' extinction des esp�ces, par la combinaison sans pr�c�dent de :
+Par cons�quent, afin de contrer les effets et les menaces du r�chauffement climatique les mesures � prendre devront concerner :
+La Convention Cadre des Nations unies sur les changements climatiques a �t� sign�e en 1992 lors du sommet de la terre � Rio de Janeiro. Elle est entr�e en vigueur le 21 mars 1994. Elle a �t� ratifi�e � ce jour par 192 �tats. Les parties � la convention cadre sur les changements climatiques se sont fix�s comme objectif de stabiliser la concentration des gaz � effet de serre dans l'atmosph�re � � un niveau qui emp�che toute perturbation anthropique dangereuse du climat �. Les pays d�velopp�s ont comme objectif de ramener leurs �missions de gaz � effet de serre en 2010 au niveau de 1990, cet objectif n'est pas l�galement contraignant.
+En 1997, les parties � la Convention cadre sur les changements climatiques des Nations unies (UNFCCC) ont adopt� le protocole de Kyoto, dont la nouveaut� consiste � �tablir des engagements de r�duction contraignants pour les pays dits de l'annexe B (pays industrialis�s et en transition) et � mettre en place des m�canismes dit � de flexibilit� � (march� de permis, mise en oeuvre conjointe et m�canisme de d�veloppement propre) pour remplir cet engagement. Le protocole de Kyoto est entr� en vigueur le 16 f�vrier 2005 suite � sa ratification par la F�d�ration de Russie.
+En juillet 2006, le protocole de Kyoto a �t� ratifi� par 156 �tats. Les �tats-Unis et l'Australie (voir infra) ne sont pas signataires. Les �tats-Unis sont pourtant le deuxi�me �metteur (20 % des �missions de gaz � effet de serre). Les pays de l'annexe B se sont engag�s � r�duire leurs �missions de six gaz � effet de serre (CO2, CH4, N2O, SF6, HFC, PFC) de 5,2 % en 2008 - 2012 par rapport au niveau de 1990. Cet objectif repr�sente en r�alit� une diminution d'environ 20 % par rapport au niveau d'�missions anticip� pour 2010 si aucune mesure de contr�le n'avait �t� adopt�e. Les objectifs de r�duction par pays vont d'une r�duction de 8 % pour l'Union europ�enne � une possibilit� d'augmentation de 10 % pour l'Islande.
+Apr�s la victoire des travaillistes aux �lections l�gislatives australiennes du 24 novembre 2007, le nouveau premier ministre Kevin Rudd a annonc� avoir ratifi� le protocole de Kyoto.
+Des pays en voie de d�veloppement fortement contributeurs aux �missions comme l'Inde, 5e �metteur mondial, et la Chine, 1re �mettrice, n'ont pas d'objectifs de r�duction car ils �taient consid�r�s comme insuffisamment industrialis�s et parce que leurs niveaux d'�missions ramen�s au nombre d'habitants sont extr�mement faibles. Le m�canisme dit � de d�veloppement propre � (MDP), instaur� par le protocole de Kyoto, permet aux investisseurs, en contrepartie d'un investissement propre dans un pays en d�veloppement, de gagner des � cr�dits carbone �. Ce m�canisme permet aux pays d�velopp�s d'avoir acc�s aux r�ductions � bas co�ts des pays en d�veloppement et donc de diminuer le co�t de leur engagement. Il permet aux pays en d�veloppement de b�n�ficier d'investissements propres. Il encourage les transferts de technologie. Le MDP apparait cependant insuffisant pour infl�chir profond�ment les trajectoires d'�missions de ces pays. L'absence d'engagement de r�duction des pays en d�veloppement est une des raisons avanc�es par les �tats-Unis pour justifier leur refus de ratifier le protocole. C'est pourquoi un des enjeux majeurs pour la p�riode apr�s Kyoto est de d�finir des modalit�s d'association de ces pays � l'effort commun de r�duction.
+L'Union europ�enne reste le 3e pollueur mondial apr�s la Chine et les �tats-Unis, mais dispose d'atouts pour lutter contre le r�chauffement.
+L'UE a lanc� en 2005 le march� de permis europ�en (1er march� de permis contraignant au niveau mondial). La Commission europ�enne va en 2007 - 2008 activer son observatoire de l'�nergie, rest�e embryonnaire, et publier (pr�vu en 2007) un � Livre vert � sur l'adaptation de l'UE au changement climatique, support de d�bat avant une prise de d�cision en 2008. La Directive sur le syst�me europ�en d'�change de droits d'�mission sera modifi�e en 2008, pour inclure notamment les �missions de l'aviation. La proposition sur les limites d'�mission des voitures (120 g de CO2 par km soit 12 kg de CO2 / 100 km147; rappelons que chaque automobile parcourt en moyenne 15 000 km/an) devrait �tre publi�e au second semestre de 2007. La DG Recherche doit proposer en novembre un plan europ�en, et des propositions de l�gislation sur les piles � combustibles et les avions � propres �. Des appels d'offre sur l'�nergie et le climat devraient �tre publi�s avant mi 2007. Le 29 juin 2007, la commission publie et met en consultation un Livre vert sur la question et sur les possibilit�s d'action de l'UECOM(2007) 354 final). Il pr�ne � la fois l'adaptation et l'att�nuation, l'am�lioration des connaissances (y compris sur les besoins et co�ts d'adaptation - Cf. 7e programme-cadre de recherche de l'UE (2007 - 2013), l'�laboration de strat�gies et d'�changes de bonnes pratiques entre pays, de nouveaux produits assurantiels (� d�riv�s climatiques �, � obligations catastrophe �, l'adaptation des march�s europ�ens des assurances (cf. directive � Solvabilit� II �) et des fonds � catastrophes naturelles � ainsi que des politiques agriculture et p�che, avec le d�veloppement d'une solidarit� interne � l'UE et avec les pays ext�rieurs touch�s. 50 millions E sont r�serv�s par la Commission pour 2007 - 2010 pour favoriser le dialogue et l'aide � des mesures d'att�nuation et d'adaptation cibl�es, dans les pays pauvres.
+La France a �galement (juillet 2007) publi� une Strat�gie nationale d'adaptation au changement climatique et envisagerait une gouvernance adapt�e, notamment dans le cadre du Grenelle de l'Environnement.
+L'UE dispose de ressources en �olien terrestre et offshore (d�j� 66 % de la puissance �olienne install�e dans le monde en 2006, essentiellement au Danemark qui produit ainsi pr�s de 40 % de sa puissance �lectrique) devant les �tats-Unis (16 %), l'Inde (8 %) et le Japon (2 %), en technologies solaires et d'un tiers du parc nucl�aire mondial. Cela la rend moins d�pendante des �nergies fossiles que la Chine et les �tats-Unis. La France, pays le plus nucl�aris�, reste cependant loin du record de 1961 o� 51 % de son �nergie �lectrique venait du renouvelable (hydro�lectrique).
+L'UE encourage aussi tous les acteurs � pr�parer leur adaptation au changement climatique.
+Deuxi�me pays pollueur derri�re la Chine, les �tats-Unis via l'administration de George W. Bush refus�rent de pr�senter de nouveau en juillet 2005 le trait� pour ratification parce qu'ils consid�rent que cela freinerait l'�conomie nationale et que le combat contre le r�chauffement climatique doit se faire non pas avec une simple r�duction des gaz � effet de serre, mais par une meilleure gestion de leur �mission.
+De nombreux �tats des �tats-Unis ont n�anmoins pris des mesures de restriction sur les gaz � effet de serre.
+Depuis 2001, les �tats du Texas, de la Californie, du New Hampshire, ont instaur� un dispositif de contr�le des �missions de gaz pour diff�rents secteurs industriels et �nerg�tiques. Le dispositif adopt� par la Californie, qui s'appliquera � partir de 2009, pr�voit r�duire les �missions de gaz polluants de 22 % en moyenne d'ici 2012 et de 30 % d'ici 2016.
+En outre, le principe des march�s des permis d'�mission consiste � accorder aux industriels � pollueurs � gratuitement, � prix fixe ou aux ench�res, des quotas d'�missions de CO2, que ceux-ci peuvent ensuite s'�changer. Chaque �metteur de CO2 doit alors v�rifier qu'il d�tient autant de permis d'�mission que ce qu'il va �mettre. Dans le cas contraire, il se trouve contraint ou bien de diminuer ses �missions, ou bien d'acheter des permis. Inversement, si ses efforts de maitrise des �missions lui permettent de poss�der un exc�dent de permis, il peut les vendre.
+De tels proc�d�s ont �t� r�alis�s pour r�duire les pluies acides aux �tats-Unis et ont connu des succ�s (programme � Acid rain �). Ce syst�me des march�s de permis d'�mission fait partie du dispositif du Protocole de Kyoto qui � la date de juillet 2006[13] n'est toujours pas ratifi� par les �tats-Unis.
+En 2004, le s�nateur r�publicain John McCain et le d�mocrate Joseph Lieberman d�posent un projet de loi visant � limiter les rejets dans l'atmosph�re ; soutenu par les grandes entreprises Alcoa, DuPont de Nemours et American Electric Power, il n'est pourtant pas adopt�.
+Les �tats-Unis financent avec la Chine, le Japon, la Russie et l'UE, le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), projet de recherche sur la fusion nucl�aire contr�l�e, men� � Cadarache (Sud de la France). Toutefois la production nette d'�nergie par fusion nucl�aire chaude reste � l'�tat d'espoir lointain : les pr�visions les plus optimistes des partisans du projet parlent de plusieurs dizaines d'ann�es. Certains voient plus d'espoir dans la production d'�nergie par r�actions nucl�aires en mati�re condens�e.
+Le 8 juillet 2008, George Bush signe un texte engageant les �tats-Unis � r�duire de moiti� des �missions des GES d'ici � 2050, � Toyako (Japon), dans le cadre d'une r�union du G8.
+Les d�cisions pour r�duire les �missions de CO2 sont prises par les �tats f�d�r�s : en 2005, 18 de ces �tats obligeaient les producteurs d'�lectricit� � utiliser en partie des sources d'�nergie renouvelables.
+En 2005, les maires de 136 villes am�ricaines, ont pris l'engagement d'appliquer les normes du protocole de Kyoto et � r�duire d'ici 2012 leurs �missions de gaz � effet de serre de 7 % par rapport � 1990.
+L'�tat du Nevada a pour objectif d'atteindre le seuil de 20 % de sa consommation en �nergie renouvelable, d'ici 2015, notamment gr�ce aux centrales solaires install�es dans le d�sert.
+En outre, � l'initiative du maire de Seattle, 166 grandes villes am�ricaines, dont New York et Boston, se sont engag�es solennellement � respecter le protocole de Kyoto en mars 2005.
+Alors que la population californienne repr�sente 12 % de la population am�ricaine, elle ne consomme que 7 % de l'�lectricit� produite dans le pays ; ainsi, la Californie se trouve � la premi�re place pour la rentabilit� �nerg�tique par personne. L'�tat s'est engag� � limiter les �missions de gaz � effet de serre : les objectifs annonc�s sont une diminution de 11 % avant 2010 et de 87 % avant 2050. Le 30 ao�t 2006, le gouvernement et le Parlement de Californie signent un accord pour diminuer la production de gaz � effet de serre, mettant l'�tat en conformit� avec le protocole de Kyoto. La d�cision AB32 (Global Warming Solutions Act) a �t� prise de r�duire d'un quart les �missions de gaz � effet de serre d'ici 2020. Des sanctions financi�res seront prises contre les industries qui ne respectent pas cet engagement. Un march� de permis d'�missions sera cr�� et contr�l� par l'Air Resources Board.
+La Californie s'est aussi engag�e � respecter des r�gles plus strictes sur la consommation et les pots d'�chappement de v�hicules neufs ; cette politique est imit�e par deux autres �tats de l'Ouest : Washington et Oregon. Le 20 septembre 2006, Bill Lockyer le ministre de la Justice de Californie, lance des poursuites judiciaires contre trois constructeurs automobiles am�ricains et trois japonais, et leur demande des dommages et int�r�ts pour la pollution qu'ils engendrent. Selon lui, les v�hicules automobiles repr�sentent 30 % des �missions de dioxyde de carbone de l'�tat.
+En 2005, le gouverneur r�publicain Arnold Schwarzenegger proposait que le budget de l'�tat de Californie finance � hauteur de 6,5 millions de dollars la construction de stations pour les v�hicules roulant � l'hydrog�ne.
+Le code d'�ducation de la Californie (chapitre IV, sections 8700 � 8784) insiste pour que les �l�ves soient sensibilis�s aux probl�mes de l'environnement.
+Gr�ce � son bon ensoleillement, la Californie d�veloppe l'�nergie solaire : l'�tat abrite des collecteurs cylindro-paraboliques dont la puissance atteint 80 MW, la plus grande centrale � tour comme Solar one puis Solar 2 ne d�passe pas 10 MW.
+Un projet de loi oblige les promoteurs immobiliers � installer un syst�me d'�nergie solaire sur 15 % des nouvelles maisons construites en Californie � partir de 2006. Le projet de loi pr�voit que, d'ici 2010, 55 % des maisons seront �quip�es en panneaux solaires. Le gouverneur Arnold Schwarzenegger avait fait campagne pour inciter � installer des syst�mes solaires dans la moiti� des maisons de l'�tat � partir de 2005.
+La centrale thermo-solaire Nevada Solar One est en construction depuis le 11 f�vrier 2006 � Boulder City. � terme, elle d�veloppera une puissance de 64 MW et sera la troisi�me du monde. Selon ses concepteurs, la centrale devrait permettre d'�liminer un volume de pollution �quivalent � la suppression d'un million de voitures en circulation sur le territoire des �tats-Unis.
+La Californie a adopt� une loi qui contraint les grands groupes automobiles � vendre des v�hicules respectant des normes strictes de rejets de CO2.
+La Californie est l'�tat o� l'�nergie �olienne est la plus d�velopp�e avec une capacit� de production de plus de 2040 MW install�s en 2004, loin devant le Texas (1293 MW). La principale r�gion de production se trouve au nord de l'�tat, � l'est de San Francisco.
+� 150 km au nord de San Francisco, 19 centrales g�othermiques (350 puits) sont contr�l�es par la soci�t� Calpine dans les comt�s de Lake et de Sonoma. Elles produisent environ 850 m�gawatts, c'est-�-dire presqu'autant qu'une petite centrale nucl�aire.
+Un point de d�bat est � quel degr� les nouveaux pays industrialis�s tel que l'Inde et la Chine devraient restreindre leurs �missions de CO2. Les �missions de CO2 de la Chine ont d�pass� celles des �tats-Unis en 2007,166 alors qu'elle ne produit que 5,4 fois moins de richesses que l'UE ou les �tats-Unis, et elle n'aurait d�, en th�orie, atteindre ce niveau qu'aux alentours de 2020. En 2007, la Chine est le premier producteur et consommateur de charbon, sa premi�re source d'�nergie, qui est extr�mement polluante. De plus, l'augmentation du niveau de vie accro�t la demande de produits � �nergivores � tels que les automobiles ou les climatisations.
+La Chine a r�pondu qu'elle avait moins d'obligations � r�duire ses �missions de CO2 par habitant puisqu'elles repr�sentent un sixi�me de celle des �tats-Unis. L'Inde, �galement l'un des plus gros pollueur de la plan�te a pr�sent� les m�mes affirmations, ses �missions de CO2 par habitants �tant pr�s de vingt fois inf�rieures � celle des �tats-Unis. Cependant les �tats-Unis ont r�pliqu�s que s'ils devaient supporter le co�t des r�ductions de CO2, la Chine devrait faire de m�me
+L'humanit� rejette actuellement 6 Gt (gigatonne = milliard de tonnes) d'�quivalent carbone par an dans l'atmosph�re, soit environ une tonne par habitant. On estime que les oc�ans en absorbent 3 Gt et qu'il faudrait donc abaisser les �missions de gaz � effet de serre de moiti� pour arr�ter d'enrichir l'atmosph�re, ce qui repr�sente une �mission moyenne de 500 kg d'�quivalent carbone par habitant. Chaque Fran�ais en �met environ deux tonnes, soit quatre fois plus qu'il ne faudrait. En dehors de mesures collectives, des personnalit�s ont esquiss� les gestes quotidiens � mettre en oeuvre, d�s aujourd'hui, pour limiter le r�chauffement climatique comme Jean-Marc Jancovici ou Al Gore.
+Quelques mesures rel�vent des �conomies d'�nergie, en particulier des �nergies fossiles :
+�viter de prendre l'avion. Un km en avion long courrier �met 60 g d'�quivalent carbone par personne. Un voyage intercontinental repr�sente pr�s des 500 kg d'�quivalent carbone. A fortiori, pour les voyages court-courrier (100 g d'�quivalent carbone par km et par personne), pr�f�rer le train ;
+Utiliser le moins possible les v�hicules automobiles (pr�f�rer la bicyclette ou les transports en commun chaque fois que possible). Une voiture �met entre 100 et 250 g d'�quivalent CO2 par km parcouru, soit entre 30 et 70 g d'�quivalent carbone. 20 000 km par an repr�sentent entre 600 et 1 400 kg d'�quivalent carbone. Si une automobile est n�cessaire, choisir le mod�le le moins polluant et le plus efficace possible (par exemple, certains constructeurs ont annonc� des v�hicules consommant moins de 1,5 L/100 km176,177) ;
+Atteindre une isolation optimale des b�timents, au mieux par le recours � l'architecture bioclimatique qui r�duit au maximum les besoins de chauffage (15 kWh/m2/an, les anciennes maisons �tant � 450 kWh/m2/an) et supprime le besoin de climatisation active, tout en am�liorant le confort de vie.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le scandale du Watergate est � l'origine une affaire d'espionnage politique qui d�bouche, en 1974, sur la d�mission du pr�sident des �tats-Unis Richard Nixon. L'affaire commence avec la r�v�lation par des journalistes du Washington Post de la pose de micros dans les locaux du Parti d�mocrate dans l'immeuble du Watergate � Washington en 1972. Elle se d�veloppe ensuite avec de nombreuses ramifications. Les investigations de journalistes et une longue enqu�te s�natoriale l�vent le voile sur des pratiques ill�gales � grande �chelle au sein de l'administration pr�sidentielle.
+L'affaire est � ce point marquante dans l'histoire am�ricaine qu'il est devenu courant d'utiliser le suffixe -gate pour d�signer d'autres scandales politico-financiers, comme par exemple le Coingate, l'Irangate, le Plamegate et le Nipplegate.
+L'ann�e 1972 est une ann�e d'�lection pr�sidentielle aux �tats-Unis. Dans le camp r�publicain, Richard Nixon se pr�sente pour un second mandat. Il peut se vanter d'une politique �trang�re inspir�e par Henry Kissinger et men�e avec succ�s : d�tente avec l'URSS (accords SALT), pr�paration de la � paix dans l'honneur � au Vi�t Nam (concr�tis�e par la signature du trait� de Paris en janvier 1973), en attendant le r�tablissement des relations diplomatiques avec la Chine. Cependant, le co�t en vies humaines d� � la politique men�e en Asie du Sud-Est, notamment l'invasion du Cambodge en 1970, suscite une vive agitation parmi la jeunesse, s'exprimant par des manifestations parfois violemment r�prim�es (fusillade de Kent State University).
+Sur le plan int�rieur, la politique de son administration se fonde sur le slogan de � la loi et l'ordre �, impliquant une justice stricte et r�pressive. Le Parti r�publicain avait subi une �crasante d�faite lors de l'�lection de 1964, mais son candidat d'alors, Barry Goldwater, a recentr� le parti sur des valeurs plus conservatrices, qui � terme, se sont davantage ancr�es dans les strat�gies �lectorales du Parti r�publicain. En outre, l'instauration des Droits civiques sign�s par le pr�sident Johnson (Civil Rights Act en 1964 et Voting Rights Act en 1965), am�liorant le statut de la minorit� afro-am�ricaine, a d�tourn� l'�lectorat traditionnellement d�mocrate du Vieux Sud (Deep South), favorable � la s�gr�gation, qui a bascul� du c�t� r�publicain. Les chances de l'emporter sont donc excellentes pour Nixon, qui avait �chou� en 1960, apr�s avoir �t� vice-pr�sident d'Eisenhower pendant huit ans.
+En face, le camp d�mocrate est affaibli par ses querelles internes. La pr�sidence de Lyndon Johnson (1963 - 1969) a �t� marqu�e par la guerre du Vi�t Nam ; des �meutes raciales dans les ghettos noirs (hot summers) ; et le projet de la Great Society, d�veloppant l'�tat-providence (�ducation, s�curit� sociale, lutte contre la pauvret�) au prix de co�teuses d�penses. En 1968, quatre tendances s'affrontent lors des primaires d�mocrates. Hubert Humphrey a l'appui des syndicats et de l'appareil du parti ; Robert Kennedy s�duit les minorit�s noire et catholique ; Eugene McCarthy porte les revendications des �tudiants et des pacifistes ; et enfin George Wallace, s�gr�gationniste du Sud, oppos� aux Droits civiques, se pr�sente comme candidat ind�pendant. Robert Kennedy part favori, mais est assassin� en juin 1968 (deux mois apr�s le leader noir Martin Luther King). C'est Humphrey qui est investi, au cours de la convention d�mocrate de Chicago en ao�t 1968, au milieu d'affrontements entre la police et des �meutiers anti-guerre, dont les � leaders � seront jug�s au cours du proc�s tumultueux dit des Chicago seven (septembre 1969-mars 1970). Hubert Humphrey est battu par Nixon lors de l'�lection pr�sidentielle de 1968 d'une courte t�te alors que George Wallace, le troisi�me homme, rafle cinq �tats du Sud.
+En 1972, le candidat le plus soutenu par l'appareil du parti au d�but de la primaire d�mocrate, Edmund Muskie s'effondre, notamment des suites de mauvais coups (dirty tricks) concoct�s par les hommes du Pr�sident, en particulier un scandale provoqu� par une lettre livr�e � la presse (Canuck letter). Celle-ci se r�v�lera plus tard �tre un faux, dans laquelle un � simple citoyen � dit avoir �t� t�moin d'une attitude anti-canadiens fran�ais de la part de Muskie, lettre publi�e avant les primaires dans le Massachusetts o� les Am�ricains d'origine franco-canadienne sont nombreux. C'est donc un candidat initialement inattendu, George McGovern, qui est investi lors de la Convention d�mocrate en juillet 1972. Il est un liberal (au sens am�ricain, c'est-�-dire de gauche), et � ce titre, ses chances de vaincre sont r�duites. Ses adversaires le d�peignent comme le � candidat des trois A � pour amnesty, abortion and acid (amnistie, avortement et acide). De plus, sa campagne commence mal : son candidat � la vice-pr�sidence, Thomas Eagleton, doit renoncer lorsque la presse r�v�le qu'il a effectu� des s�jours dans des h�pitaux psychiatriques.
+En mai 1972, John Edgar Hoover, directeur du FBI, meurt. Il occupait cette fonction, d�pendant du d�partement de la Justice (�quivalent du minist�re de la Justice) depuis 1924, ayant servi sous huit pr�sidents. C'est lui qui a d�velopp� cette agence gouvernementale, concentr� ses moyens pour la lutte contre le communisme, notamment pendant la p�riode du maccarthysme, tandis qu'il niait l'existence de la mafia, et g�n�ralisait les �coutes clandestines comme moyen d'investigation ou d'espionnage. En mai 1969, Nixon a mis � contribution le FBI pour enqu�ter par des �coutes clandestines sur les fuites dans la presse concernant les bombardements secrets sur le Cambodge qu'il a autoris�s en f�vrier.
+Depuis sa cr�ation, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et dans le contexte de la Guerre froide, la CIA a utilis� son savoir-faire dans plusieurs � coups �, dont les plus retentissants sont r�alis�s dans les ann�es 1950, lorsqu'Allen Dulles en est le directeur. En 1961, � la suite de l'�chec du d�barquement de la baie des Cochons, initi�e sous la pr�sidence Eisenhower, Dulles est d�mis de ses fonctions par le pr�sident John Kennedy. Son successeur est plus mod�r�, mais avec Richard Helms � partir de 1966, on en revient � un style et une motivation anticommuniste plus proches de ceux de Dulles. Avec l'arriv�e au pouvoir de Nixon, la CIA intensifie son programme de surveillance de milliers de citoyens am�ricains (Operation CHAOS), bien que toute activit� de renseignement de la CIA sur le territoire am�ricain soit interdite.
+Ces activit�s, quasiment inconnues du grand public am�ricain, commencent � appara�tre au grand jour au d�but des ann�es 1970, dans la presse, et au cours d'enqu�tes, � partir de 1970, du sous-comit� judiciaire des droits constitutionnels du S�nat. En juin 1971, le New York Times, puis le Washington Post, publient des extraits d'un rapport secret, les Pentagon Papers, qui lui ont �t� remis par Daniel Ellsberg, un expert de la RAND Corporation, think tank travaillant pour le d�partement de la D�fense. Ces documents �claircissent les prises de d�cisions gouvernementales et militaires pendant la guerre du Vi�t Nam, informant par exemple de la volont� du pr�sident Johnson d'intensifier le conflit, quand il promettait de ne pas s'y impliquer davantage. Il s'ensuit un bras de fer juridique entre le gouvernement de Nixon, qui veut interdire la diffusion d'informations confidentielles, et les deux journaux, qui obtiennent finalement gain de cause, apr�s d�cision de la Cour supr�me, au nom du Premier amendement de la Constitution, qui garantit la libert� de la presse.
+Le scandale du Watergate commence lorsque, dans la nuit du 17 juin 1972, cinq � cambrioleurs � (dont deux Cubains), rep�r�s par un agent de s�curit�, sont arr�t�s par la police dans l'immeuble du Watergate, au si�ge du Parti d�mocrate. Transportant du mat�riel d'�coute, des micros contact BTK Electronik de fabrication fran�aise, ces hommes ressemblent plus � des agents secrets qu'� des cambrioleurs. Sur des carnets d'adresses retrouv�s en leur possession, on trouve les coordonn�es d'un certain Howard Hunt. L'un d'entre eux, James McCord, attire particuli�rement l'attention : c'est un colonel r�serviste de l'arm�e de l'Air, un ancien du FBI et de la CIA, et surtout un membre du Comit� pour la r��lection du Pr�sident. Le FBI, dont le directeur Gray vient d'�tre nomm� par Nixon, ne poursuit pas l'enqu�te malgr� ces �l�ments troublants.
+Le 22 juin, le pr�sident Nixon �voque pour la premi�re fois l'affaire en d�clarant : � La Maison Blanche n'est impliqu�e en aucune mani�re dans cet incident l�. � Pendant les six mois qui suivent, l'affaire est oubli�e, et lors de l'�lection pr�sidentielle de novembre 1972, Richard Nixon remporte contre le d�mocrate George McGovern la deuxi�me plus �crasante victoire �lectorale de toute l'histoire des �tats-Unis.
+Deux journalistes du Washington Post, Carl Bernstein et Bob Woodward, enqu�tent pour d�m�ler un �cheveau compliqu� dont tous les fils conduiront � la Maison Blanche, � travers le Comit� pour la r��lection du pr�sident (CRP; se prononce "creep") de Richard Nixon. Jeunes journalistes d'investigation, ils utilisent beaucoup le t�l�phone et n'h�sitent pas � contacter plusieurs centaines d'interlocuteurs, creusant des pistes qui avaient d'abord sembl� maigres. Dans un premier temps, � partir des informations recueillies directement sur les cambrioleurs, ils parviennent � remonter les fils du financement occulte de la campagne �lectorale de Nixon en 1972, op�r� notamment par le biais d'interm�diaires au Mexique. Des informations essentielles leur sont alors communiqu�es par un informateur secret surnomm� Gorge Profonde (Deep Throat), qui ne r�v�lera publiquement son identit� que 30 ans plus tard. Il s'agissait de Mark Felt, le n�2 du FBI.
+Obs�d�s par l'affaire et suivis par leurs confr�res, Woodward et Bernstein (surnomm�s Woodstein) parviennent � �clairer l'affaire, avant qu'elle soit trait�e par la justice am�ricaine (le Department of justice �tant contr�l� par la maison Blanche), puis par une commission d'enqu�te s�natoriale ind�pendante. C'est l'un des cas les plus �vidents, dans l'histoire am�ricaine, de l'influence du � quatri�me pouvoir �.
+En janvier 1973, le juge du district de Columbia, John Sirica pr�side le proc�s des cinq cambrioleurs, ainsi que celui de leur chef, Howard Hunt (ancien agent de la CIA) et de leur commanditaire direct, Gordon Liddy (ancien du FBI et membre du Comit� pour la r��lection du pr�sident). Persuad� qu'ils ne disent pas toute la v�rit�, le juge prolonge l'enqu�te. L'un des accus�s, James McCord, �crit au juge une lettre dans laquelle il affirme s'�tre parjur� devant le tribunal, � cause de pressions �manant de la Maison Blanche, et indiquant que de hauts responsables sont impliqu�s.
+Une commission s�natoriale, dirig�e par le d�mocrate Sam Ervin, est alors mise sur pied pour enqu�ter sur l'affaire, avec les d�mocrates (majoritaires au S�nat) Herman Talmadge, Joseph Montoya, Daniel Inouye, et les r�publicains Howard Baker, Edward Gurney, Lowell Weicker. Ils sont assist�s par les conseillers Sam Dash (d�mocrate) et Fred Thompson (r�publicain).
+La commission d'enqu�te s�natoriale met en oeuvre des subpoena, c'est-�-dire des injonctions � compara�tre, avec l'�ventualit� de poursuites par une juridiction en cas de parjure ou si un quelconque acte ill�gal est r�v�l�.
+La Commission s�natoriale parvient, au cours d'une instruction qui dure un an et demi (mars 1973-ao�t 1974) � la conclusion que certains proches de Richard Nixon ont �t� coupables d'obstructions � la justice, faux t�moignages, �coutes clandestines, d�tournements de fonds, etc.23
+L'enqu�te a d�montr� que ce type de pratiques ne se r�sumait pas � des cas isol�s. L'affaire des Papiers du Pentagone en 1971, en fut �galement la d�monstration, quand un expert du Pentagone, Daniel Ellsberg fournit � la presse une copie d'un long rapport secret d�voilant des aspects dissimul�s de la guerre du Vi�t Nam. Le psychiatre d'Ellsberg avait ainsi �t� cambriol� par la m�me �quipe que celle du Watergate, men�e par Howard Hunt. Cette �quipe, sp�cialis�e dans la pose de mat�riel d'�coute, est surnomm�e, au cours de l'affaire, l'�quipe des � plombiers �.
+On apprit lors de l'enqu�te que des membres de ces �quipes, dont Howard Hunt, avaient �t� d�p�ch�s, le 18 juillet 1969, � Chappaquiddick, Massachusetts, aussit�t apr�s l'accident de voiture du s�nateur d�mocrate Ted Kennedy, qui co�ta la vie � l'une de ses collaboratrices, et brisa � jamais les ambitions pr�sidentielles du fr�re de l'ancien pr�sident Kennedy.
+Il fut �galement �tabli que l'administration Nixon avait constitu� une liste noire informelle d'adversaires pr�sum�s, � faire harceler par le fisc ou � discr�diter par des poursuites judiciaires. Cette liste a �t� compil�e par Charles Colson, conseiller sp�cial du pr�sident, accus� par John Dean d'avoir �galement projet� de placer une bombe dans les locaux de la Brookings Institution, pour y voler des documents.
+Sur la fin, la commission s�natoriale s'int�resse aux mouvements financiers li�s aux campagnes �lectorales, concernant notamment une contribution du milliardaire Howard Hughes de 100 000 dollars, et son d�tournement par Bebe Rebozo, interm�diaire et ami intime de Nixon. Cette partie de l'enqu�te ne fut pas men�e jusqu'� son terme.
+Les audiences, retransmises en direct � la t�l�vision � partir du 18 mai, ou faisant l'objet de larges comptes rendus dans les journaux, sont suivies par une grande partie du public am�ricain, qui se passionne pour les multiples rebondissements qui se succ�dent et qui r�v�lent un aspect inconnu des pratiques de l'institution supr�me.
+Au cours de l'enqu�te, trois t�moignages successifs sont des grands tournants du scandale, de v�ritables bombes. Le premier, celui de James McCord, a r�v�l� l'existence d'une �quipe d'espions au service de membres du staff de la Maison Blanche. Le deuxi�me, celui de John Dean, conseiller juridique de la pr�sidence, r�v�le, en juin, les conspirations s'�tant tram�es dans le Bureau ovale. Le troisi�me, celui d'Alexander Butterfield, haut-fonctionnaire, r�v�le en juillet qu'un syst�me d'�coute secret pourrait permettre d'en savoir plus.
+Tout part donc des aveux de James McCord, en f�vrier 1973, qui, dans un premier temps, mettent en cause John Mitchell, ancien procureur g�n�ral, John Dean, conseiller juridique du pr�sident, et Charles Colson. John Mitchell est le premier haut responsable mis en cause, en tant que pr�sident, en 1972, du Comit� pour la r��lection du pr�sident, qui a servi d'interm�diaire entre la Maison Blanche et les cambrioleurs, notamment pour le financement de leurs op�rations. Sa femme, Martha, se r�pand alors en accusations contre l'administration pr�sidentielle devant les journalistes.
+Le 27 avril, le directeur du FBI, Patrick Gray, d�missionne, apr�s qu'il a �t� r�v�l�, � la suite de son audition devant le S�nat pour ratifier sa r�cente nomination, qu'il a d�truit des documents relatifs � l'enqu�te sur le cambriolage.
+Le 30 avril, Bob Haldeman, chef de cabinet de la Maison Blanche, et John Ehrlichman, conseiller pour les Affaires int�rieures, d�missionnent. Surnomm�s ensemble � le mur de Berlin �, � cause de leur tendance � faire barrage autour du pr�sident en �cartant des collaborateurs ou visiteurs, ils �taient les deux principaux conseillers de Nixon. Il fut �tabli par l'enqu�te qu'ils �taient � l'origine, avec Charles Colson, qui a d�missionn� le 10 mars, des ordres donn�s � l'�quipe des � plombiers �, aussi bien pour le Watergate que pour le cas Ellsberg en 1971. John Dean est quant � lui renvoy� par la Maison Blanche, apr�s avoir refus� de signer un texte reconnaissant sa responsabilit� dans l'affaire du Watergate.
+Le m�me jour, l'Attorney General Richard Kleindienst d�missionne �galement. Kleindienst est remplac� par le secr�taire � la D�fense Elliot Richardson, qui nomme aussit�t un procureur sp�cial ind�pendant pour enqu�ter sur le Watergate. Archibald Cox, ancien n�3 du d�partement de la Justice sous Kennedy, accepte ce poste le 18 mai 1973.
+Le 3 juin, John Dean, qui refuse de servir de bouc �missaire, commence � t�moigner devant la Commission. Il compromet plusieurs membres de l'administration Nixon, dont Mitchell, Haldeman, Ehrlichman, Colson, et le pr�sident lui-m�me. Il r�v�le notamment que plusieurs r�unions ont eu lieu entre Nixon, Haldeman et Ehrlichman, pour superviser l'�touffement de l'affaire du Watergate, et discuter des sommes pouvant �tre engag�es pour inciter au silence les � plombiers � arr�t�s.
+Le 16 juillet 1973, Alexander Butterfield, adjoint de Bob Haldeman et t�moin surprise, r�v�le qu'il existait un syst�me d'�coute sophistiqu� enregistrant toutes les conversations, � l'insu des personnes concern�es, au sein du b�timent de l'ex�cutif supr�me. De tels enregistrements �taient d�j� ponctuellement pratiqu�s sous l'administration de Kennedy. Cette information est largement diffus�e par la presse, et implique la dissimulation de preuves de l'implication de Richard Nixon et de ses collaborateurs dans les �v�nements du Watergate. Le pr�sident tente de soustraire � l'enqu�te les bandes magn�tiques comportant les enregistrements des conversations men�es dans le bureau ovale, et rapport�es par les t�moins.
+Le procureur sp�cial ind�pendant, Archibald Cox, demande � la Maison Blanche la restitution, pour l'enqu�te, des bandes magn�tiques, afin de confirmer les aveux de John Dean. Nixon s'y oppose, au nom du � privil�ge de l'ex�cutif �, et demande � l'Attorney General, Elliot Richardson, de destituer Cox. Richardson, qui avait nomm� Cox, refuse, ainsi que son second, William Ruckelshaus. Ils d�missionnent le 20 octobre 1973. Cet �pisode, qui a provoqu� une profonde indignation dans l'opinion publique, reste c�l�bre dans l'histoire am�ricaine sous le nom de � massacre du samedi soir �.
+Archibald Cox, finalement d�mis de ses fonctions par Robert Bork, num�ro 3 du d�partement de la Justice, est aussit�t remplac� par Leon Jaworski, lequel r�clame � son tour les bandes, 64 d'entre elles pr�cis�ment. Nixon essaie de gagner du temps. Le 30 octobre 1973, il fait parvenir une partie des bandes, mais il y a un trou de 18 minutes � sur l'une d'entre elles. La secr�taire de Nixon, Rose Mary Woods, t�moigne qu'il s'agit d'une erreur de manipulation. Le 10 janvier 1974, un comit� d'expert d�sign� par le juge John Sirica, conclut � un effacement d�lib�r�. Nixon tente alors, dans les mois qui suivent, de ne remettre que des retranscriptions �crites de ces enregistrements, certains passages �tant censur�s ou pr�tendument inaudibles. Dans ces retranscriptions rendues publiques, de nombreux passages o� l'on entend le pr�sident sont tr�s ambigus, moralement compromettants, voire r�v�lateurs, mais pas suffisamment pour envisager des poursuites judiciaires.
+La r�sistance de Nixon concernant la restitution des bandes s'explique non seulement par le souci de dissimuler des informations compromettantes confirmant les d�clarations des t�moins, mais probablement aussi par l'image d�gradante des dessous du pouvoir et du pr�sident lui-m�me qu'elles pouvaient r�v�ler. � J'ai trouv� tout cela d�goutant �, d�clare John Sirica, juste apr�s avoir enfin entendu le contenu des bandes. Selon le journaliste et prix Pulitzer Seymour Hersh, les bandes auraient r�v�l� l'alcoolisme de Nixon et le r�le du conseiller � la s�curit� nationale (puis secr�taire d'�tat) Henry Kissinger, qui se serait charg� d'affaires urgentes lorsque le pr�sident �tait en incapacit� de les g�rer.
+Jaworski finit par demander � la Cour supr�me de se prononcer sur la l�gitimit� du pr�sident Nixon � s'opposer � la restitution des bandes magn�tiques. Le 24 juillet 1974, bien que form�e de quatre juges sur neuf nomm�s par Nixon, elle se prononce � l'unanimit� (moins une abstention) pour la restitution des bandes.
+Nixon est alors d�finitivement et compl�tement isol� politiquement. Le dos au mur et sans autre recours l�gal, la Maison Blanche remet donc les bandes fin juillet. L'une d'entre elles est surnomm�e Smoking Gun Tape. Il s'agit d'une conversation tenue six jours apr�s le cambriolage, le 23 juin 1972, entre Nixon et Haldeman. On entend le pr�sident autoriser explicitement ses collaborateurs � approcher le directeur de la CIA, Richard Helms, pour qu'il demande au directeur du FBI, Patrick Gray, d'enterrer l'enqu�te f�d�rale sur le cambriolage pour des raisons de s�curit� nationale.
+C'est la preuve d�cisive, non seulement des mensonges, mais surtout de la culpabilit� juridique de Nixon dans une conspiration criminelle ayant pour but de faire obstruction � la justice, motif justifiant amplement une proc�dure d'impeachment (destitution par le Congr�s), qui a de fortes chances d'aboutir. Les membres de son propre parti, dont Barry Goldwater, le pressent de d�missionner. Au fur et � mesure des r�v�lations, des foules de plus en plus nombreuses se sont pr�sent�es devant les grilles de la Maison Blanche ou au cours des d�placements du pr�sident, pour r�clamer son d�part.
+Les 27, 29 et 30 juillet, les membres de la Commission judiciaire de la Chambre des Repr�sentants votent sur les articles de l'impeachment du pr�sident, et retiennent les charges d'obstruction � la justice, abus de pouvoir et outrage au Congr�s.
+Nixon n'a jamais cess� de plaider son innocence, plaid�e jusqu'au bout par son porte-parole et conseiller en communication Ron Ziegler. Le 17 novembre 1973, le pr�sident avait prononc� un discours c�l�bre, d�clarant : I am not a crook (Je ne suis pas un escroc).
+Apr�s s'�tre farouchement d�fendu, il pr�f�re n�anmoins donner sa d�mission quand l'impeachment est engag� contre lui. Nixon est le seul pr�sident de l'histoire des �tats-Unis � avoir d�missionn�. Il quitte ses fonctions le 9 ao�t 1974, une semaine apr�s le d�clenchement de la proc�dure. Apr�s un discours devant le personnel de la Maison Blanche et les journalistes, il quitte en direct la Maison Blanche � bord d'Army One, l'h�licopt�re pr�sidentiel de l'US Army.
+Le vice-pr�sident Spiro Agnew ayant d�missionn� en 1973 pour une affaire de corruption distincte, c'est le nouveau vice-pr�sident, Gerald Ford, nomm� par Nixon qui lui succ�de imm�diatement. Sa premi�re action officielle, tr�s controvers�e, est de gracier Richard Nixon, ce qui a pour effet de stopper toute proc�dure. Nixon, avocat, n'en est pas moins radi� du barreau de l'�tat de New York en 1976.
+Quant aux enregistrements qui ont suscit� d'interminables batailles juridiques, le pr�sident Ford en donne le contr�le � Nixon, qui est le seul habilit� � donner les autorisations pour leurs consultations.
+� l'issue du proc�s des cambrioleurs en janvier 1973, plaidant coupable, Howard Hunt passe 33 mois en prison. Gordon Liddy, lui, est condamn� � une peine de 20 ans, mais est amnisti� 4 ans plus tard par le pr�sident Jimmy Carter.
+En novembre 1973, John Dean plaide coupable, devant le juge Sirica, d'obstruction � la justice. Il t�moigne contre Mitchell, Haldeman et Ehrlichman et b�n�ficie alors du m�me programme de protection que celui des t�moins contre le crime organis� ; il passe 4 mois en prison.
+Le 1er mars 1974, sept collaborateurs de Nixon, dont Haldeman, Ehrlichman, Colson et Mitchell, sont inculp�s pour conspiration dans le cadre de l'affaire du Watergate. En juin 1974 Charles Colson plaide coupable d'obstruction � la justice dans l'affaire Ellsberg. Il �vite ainsi d'autres poursuites, et ne passe que 7 mois en prison. En janvier 1975, John Ehrlichman et Bob Haldeman sont reconnus coupables de conspiration, obstruction � la justice et parjure ; ils passent 18 mois en prison. En f�vrier 1975, John Mitchell est reconnu coupable des m�mes crimes ; il passe 19 mois en prison.
+En tout, plus de 70 personnes ont �t� poursuivies en justice dans le cadre de ce scandale.
+L'identit� de l'informateur � Gorge profonde � (surnom donn� par Woodward en r�f�rence au film pornographique du m�me nom ayant connu un grand succ�s en 1972) est un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre. Au cours de l'affaire, plusieurs personnalit�s politiques c�l�bres, dont Henry Kissinger, George H. W. Bush, Ron Ziegler, John Dean, Alexander Haig ou Pat Buchanan ont �t� pr�sent�es comme �tant cet informateur secret,70,71.
+Les seules personnes connaissant son identit� sont les deux journalistes et leur r�dacteur en chef de l'�poque, Benjamin Bradlee. La v�ritable identit� de Gorge profonde est finalement r�v�l�e par le magazine am�ricain Vanity Fair du 31 mai 2005. Il s'agissait de W. Mark Felt, directeur adjoint du FBI sous Richard Nixon. �g� de 91 ans, il d�clare souhaiter � lib�rer sa conscience �. Le Washington Post confirme l'information quelques heures plus tard. Bob Woodward raconte qu'il connaissait Mark Felt depuis 1970, et que les relations entre le FBI et la Maison Blanche s'�taient s�rieusement d�grad�es. Il a �galement �t� fait mention du d�go�t de Felt pour les m�thodes de l'�quipe de Nixon et de son d�pit de ne pas avoir �t� nomm� � la t�te du FBI � la mort de John Edgar Hoover.
+Le Watergate est devenu l'une des plus c�l�bres affaires de l'histoire des �tats-Unis et est irr�m�diablement attach� au nom de Nixon. Il a durablement terni l'image de la fonction pr�sidentielle et accru la m�fiance des Am�ricains envers leurs dirigeants, d'autant plus que l'administration Nixon se r�clamait de � la loi et l'ordre �.
+Le scandale du Watergate en lui-m�me a en fait mis au jour toute une s�rie de scandales commis par l'administration Nixon, dont le mode de fonctionnement est devenu, au fil des r�v�lations, � le � grand scandale. Selon l'historien am�ricain Melvin Small, � les scandales de Nixon ont r�v�l� une tentative pour subvertir tout le syst�me politique am�ricain �.
+Cette affaire a redonn� un souffle au journalisme d'investigation, dont Woodward et Bernstein sont devenus les symboles. Elle a aussi aliment� significativement le cynisme dans les commentaires politiques.
+Le scandale, et en particulier les le�ons de l'�pisode du � massacre du Samedi soir � et ses cons�quences sur l'opinion publique, ont accru de facto l'importance du r�le du procureur sp�cial ind�pendant. Un aspect en est le renforcement de l'ind�pendance du pouvoir judiciaire. Mais cette �volution a parfois �t� jug�e excessive, notamment lors de l'instrumentalisation politique de la fonction, avec par exemple l'enqu�te men�e par le procureur Kenneth Starr contre Bill Clinton, lors du Monicagate.
+Les r�v�lations du Watergate ont pouss� � remettre en cause l'int�grit� de l'administration et notamment des agences gouvernementales de renseignement. Ce climat aboutit, en 1975 - 1976, � des commissions d'enqu�te au Congr�s, la Commission Pike (Chambre des repr�sentants) et la Commission Church (S�nat), qui r�v�lent certaines activit�s ill�gales de la CIA, comme le Projet MKULTRA, ou l'implication dans le renversement de plusieurs chefs d'�tat, dont l'assassinat fut l�galement interdit sous la pr�sidence de Gerald Ford. Les moyens op�rationnels de la CIA en sortent r�duits, et son r�le dans l'appareil de renseignements am�ricain diminue au profit de la National Security Agency.
+Le discr�dit du camp r�publicain profita aux d�mocrates, et notamment au candidat inattendu Jimmy Carter, gouverneur de la G�orgie et propri�taire d'une plantation de cacahu�tes, lors de l'�lection pr�sidentielle de 1976. Le courant conservateur du Parti r�publicain en a �galement profit� pour gagner plus d'influence au sein du parti et porter l'un des siens, Ronald Reagan, au pouvoir en 1980.
+Plusieurs commentateurs ont avanc� que ce scandale a affaibli la pr�sidence am�ricaine, voire la puissance am�ricaine elle-m�me dans les ann�es qui ont suivi. La chute de Saigon, en 1975, en serait une illustration. L'ind�pendance du Sud Vi�t Nam �tait garantie par le trait� de Paris sign� en 1973 pour le retrait des troupes am�ricaines, et Gerald Ford n'a pas donn� l'ordre � l'arm�e am�ricaine d'intervenir contre les troupes du Nord Vi�t Nam lorsque celles-ci ont envahi le Sud. Nixon n'avait pas h�sit� � ordonner des bombardements tr�s destructeurs lors d'une offensive du Nord au printemps 1972, pendant les n�gociations de paix.
+Pour d'autres commentateurs de la gauche am�ricaine, comme Noam Chomsky, l'impeachment ne fut prononc� contre Nixon que parce qu'il s'�tait attaqu� � aussi puissant que lui et non pour avoir utilis� des m�thodes ill�gales largement utilis�es contre d'autres �l�ments de la soci�t� jug�s trop subversifs pour l'ordre �tabli.
+Suite � ce scandale, les m�dias am�ricains ont pris l'habitude d'utiliser le suffixe � -gate � pour d�signer des affaires d'�tat, des actions ill�gales ou des mensonges des autorit�s gouvernementales am�ricaines : Irangate, Monicagate, etc. Cette habitude est �galement parvenue en France o� une affaire des ventes d'armes � l'Angola a �t� nomm�e � Angolagate � (terme cr�� par Le Monde en janvier 2001)87. Le mot � gate � signifie porte en anglais. Ce suffixe a m�me atteint le monde du sport, avec l'icegate, terme utilis� pour qualifier le scandale ayant entour� le r�sultat de la comp�tition de couples en patinage artistique aux Jeux Olympiques de Salt Lake City en 2002.88
+Le film d'Alan J. Pakula, Les Hommes du pr�sident (All the President's Men), tir� du livre du m�me nom, raconte l'histoire des journalistes qui ont d�voil� le scandale, et sorti deux ans seulement apr�s la fin du scandale. Le r�le de Bob Woodward est repris par Robert Redford, et celui de Carl Bernstein par Dustin Hoffman.
+Le film de Robert Zemeckis, Forrest Gump, fait un clin d'oeil � cet �v�nement, lorsque Forrest Gump de la fen�tre de sa chambre � Washington, surprend en pleine nuit � des lumi�res � dans l'immeuble Watergate.
+Le film biographique d'Oliver Stone, Nixon, octroie une large place aux �pisodes du Watergate vus de l'int�rieur de la Maison Blanche, en reprenant implicitement les th�ses selon lesquelles les bandes auraient d�voil� le langage grossier et agressif du pr�sident, et contenaient des r�f�rences � des op�rations occultes de la CIA.
+Le film historique Frost/Nixon du r�alisateur Ron Howard offre une large place � l'opposition entre Richard Nixon et David Frost, qui r�alise une s�rie d'entretiens du 37e pr�sident des �tats-Unis o� ce dernier d�clare au sujet du Watergate que, quoi que fasse le pr�sident, cela est l�gal et que son administration avait abandonn� le peuple am�ricain.
+Un reporter, � l'inventeur � du journalisme gonzo Hunter S. Thompson, qui ne cache pas son m�pris envers Nixon et ses hommes, donne une analyse d�cal�e et non moins passionn�e des auditions du Watergate pour le magazine Rolling Stone.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+La Scientologie, ou � �glise de Scientologie �, est une organisation dont les principes furent d�velopp�s aux �tats-Unis en 1952 par L. Ron. Hubbard. La premi�re �glise de Scientologie fut �tablie au New Jersey en d�cembre 1953. La Scientologie promeut une m�thode appel�e � dian�tique � par son fondateur et propose plus largement un ensemble de croyances et de pratiques relatives � la nature de l'homme et de sa place dans l'univers. Son statut juridique et l'appr�ciation de sa qualit� de religion suscitent de nombreuses pol�miques. Des �tats l'ont officiellement reconnue comme telle, alors que dans d'autres pays elle est consid�r�e comme une secte ou encore comme une simple organisation commerciale. Ses pratiques, au travers notamment de ses diff�rentes organisations satellites, ont �galement fait l'objet de controverses et de proc�dures judiciaires.
+Lafayette Ronald Hubbard (13 mars 1911, 24 janvier 1986), mieux connu sous le nom de Ron Hubbard, �tait un auteur de science-fiction et fantasy am�ricain .
+Le premier article de Ron Hubbard sur la dian�tique parut en mai 1950 dans le magazine Astounding Science-Fiction dont il �tait un auteur habituel. L'article avait �t� annonc� depuis plusieurs mois par le r�dacteur en chef John W. Campbell qui le pr�sentait comme un travail scientifique important 3.
+En parall�le paraissait, le 8 mai 1950, le livre Dian�tique : la science moderne de la sant� mentale. Ron Hubbard y d�clare avoir identifi� la source des maladies psychosomatiques, apr�s plusieurs ann�es de recherches personnelles. Pour lui, la dian�tique correspond � une approche scientifique et rationnelle de la psychologie.
+La m�thode de dian�tique connut un succ�s rapide. D�s juillet, le livre �tait un best-seller et des � clubs de dian�tique � se cr��rent un peu partout aux �tats-Unis pour exp�rimenter la m�thode d'audition d�crite par Hubbard. � ce moment, l'association psychiatrique am�ricaine exigea que la dian�tique soit soumise � une enqu�te scientifique.
+En 1952, Hubbard �largit la dian�tique en une philosophie la�que qu'il appela � scientologie � et la d�clara comme une religion en d�cembre 1953, date � laquelle la premi�re �glise de scientologie fut fond�e � Camden au New Jersey.
+� la fin des ann�es 1950, l'�glise de scientologie s'implante progressivement dans d'autres pays : en Nouvelle-Z�lande, en Afrique du Sud puis en France, � Paris, en 1959.
+En 1958, le fisc am�ricain remit en cause le statut religieux de la scientologie.
+Hubbard s'�tablit � cette �poque en Grande-Bretagne et, en 1959, acheta le manoir g�orgien de Saint Hill, situ� pr�s de la ville d' East Grinstead au Sussex, qui devint alors le si�ge mondial de la scientologie.
+La scientologie devint le sujet de controverses dans le monde anglophone vers le milieu des ann�es 1960. Dans l'�tat de Victoria en Australie, apr�s la constitution d'un rapport sur les activit�s du mouvement, une loi sur les pratiques psychologiques m�ne � l'interdiction de la scientologie dans cet �tat en 1965. Deux autres �tats australiens feront de m�me, mais ces lois furent d�clar�es inconstitutionnelles en 19695.
+� la m�me �poque, la Grande-Bretagne tenta d'interdire l'acc�s du pays aux scientologues �trangers et donc l'acc�s au centre de formation du si�ge international apr�s un rapport de la Chambre des communes britannique critiquant les m�thodes psychoth�rapeutiques de la scientologie et la consid�rant comme nuisible � la soci�t� et � la sant� des individus.
+La Nouvelle-Z�lande, l'Afrique du Sud et la province de l'Ontario au Canada men�rent �galement des enqu�tes publiques sur les activit�s de la scientologie.
+� partir de 1966, Hubbard commen�a � se d�sengager de la direction du mouvement. Il d�missionna en 1967 du poste de directeur ex�cutif, et fonda la � Sea Organisation � ou � Sea Org �, qui devint le groupe de gestion internationale de la Scientologie. L'office du gardien fut fond� en 1966.
+La Sea Org fut jusqu'en 1975 une organisation maritime dirig�e par Hubbard ; � cette date elle s'installa � Clearwater en Floride, qui devint le nouveau si�ge mondial de l'�glise de scientologie.
+En 1977 �clata aux �tats-Unis l'� affaire Snow White �, r�v�lant une op�ration mont�e par l'�glise pour purger les dossiers d�favorables sur la scientologie et son fondateur L. Ron Hubbard. Ce projet incluait une s�rie d'infiltrations et de vols de 136 organismes gouvernementaux, ambassades et consulats, ainsi que d'organismes priv�s critiques � l'�gard de la Scientologie, r�alis�e par des membres de l'�glise dans plus de trente pays.
+� cette occasion, le FBI d�couvrit des dossiers que l'�glise constituait sur ses ennemis potentiels,7, afin de les mettre hors d'�tat de lui nuire.
+Onze cadres haut plac�s de l'�glise furent inculp�s. Ils plaid�rent coupables ou furent reconnus comme tels par la Cour f�d�rale pour les d�lits d'obstruction � la justice, de cambriolage de bureaux du gouvernement, et de vol de documents et biens de l'�tat, et furent condamn�s � des peines de quatre � cinq ans de prison, et � des amendes de 10 000 dollars 8.
+En 1978, trois dirigeants du si�ge fran�ais, ainsi qu'Hubbard, furent convaincus d'escroquerie par le tribunal de Paris, lors d'un proc�s qualifi� de � proc�s du si�cle � par l'�glise.
+Suite � l'affaire Snowhite, l'Office du gardien fut supprim�, et les scientologues impliqu�s dans l'affaire furent d�mis de leurs responsabilit�s dans l'organisation. Le mouvement entreprit alors une restructuration : en 1981 est cr��e l'�glise scientologue internationale, qui est l'organe de direction, et en 1982 le Centre de technologie religieuse, sa structure religieuse, � qui Hubbard c�da ses droits sur les marques scientologues.
+Dans les ann�es 1980, apr�s la trag�die de Guyana et les plaintes des associations de familles concernant l'�glise de l'Unification, les �tats-Unis puis les �tats europ�ens s'inqui�t�rent des dangers des � nouveaux mouvements religieux � .
+De nouveaux rapports �tudiant les risques sectaires de divers mouvements furent alors produits, comme le rapport Vivien en France, qui pointait des pressions morales endettant les adeptes de la scientologie.
+En 1993, la situation changea aux �tats-Unis o� l'�glise de Scientologie fut reconnue comme religion par les services fiscaux 12.
+Cependant, en France, le rapport parlementaire de 1995 qui dressait une liste indicative des sectes tr�s controvers�e y d�signait la scientologie comme une secte. Un rapport de 1999 de la MILS la classait comme secte � absolue � et recommandait sa dissolution.
+Un rapport de la Chambre des repr�sentants belge (proposition de loi de deux parlementaires) n� 313/7 - 95/96 en date du 28 avril 1997 la classe comme faisant partie des mouvements sectaires nuisibles.
+En R�publique f�d�rale d'Allemagne �galement, une commission d'enqu�te parlementaire f�d�rale sur les � sectes et psychogroupes � la consid�re comme un � mouvement politique extr�miste � dont la forme de pens�e totalitaire est explicitement rapproch�e de la pens�e nazie.
+Les �tats-Unis r�agirent en 1999 en publiant un � rapport sur la libert� religieuse dans le monde � tr�s critique envers ces politiques nationales.
+Un rapport du parlement europ�en notait en 1997 que le reproche le plus r�p�t� envers la Scientologie est de tenter de noyauter les organes de l'�tat, mais qu'il n'avait pu �tre r�ellement prouv�. Il concluait que dans la plupart des pays d'Europe, les modifications de l'arsenal juridique n'�taient pas n�cessaires. C'est le point de vue qui fut adopt� par la plupart des pays, qui choisirent de ne pas cr�er de l�gislation sp�cifique, mais de ne traiter le ph�nom�ne sectaire qu'au travers de l'atteinte � l'ordre public.
+Dans ses �critures, la Scientologie se donne comme but : � Une civilisation sans folie, sans criminel et sans guerre, dans laquelle les gens capables puissent prosp�rer et les gens honn�tes puissent avoir des droits, et dans laquelle l'homme soit libre d'atteindre des sommets plus �lev�s. �17. La Scientologie se consid�re comme une � philosophie religieuse appliqu�e �. En d'autres termes elle se pr�sente comme une religion, tout en offrant des � solutions pour les probl�mes � de ses adeptes. La Scientologie, qui se d�finit elle-m�me comme une religion traditionnelle, se fonde sur la croyance selon laquelle l'homme a �t� cr�� pour travailler � son propre salut spirituel, et que ce n'est que dans cette optique qu'il peut comprendre pleinement sa relation avec Dieu. La Scientologie affirme aussi que l'homme est fondamentalement bon mais qu'� cause de son mental r�actif, source d'irrationalit�, il peut �tre conduit � agir de mani�re mauvaise. Ainsi, son � salut spirituel � d�pendrait de sa relation avec lui-m�me, avec ses semblables et du fait d'arriver � une � fraternit� avec l'univers �. La Scientologie affirme donner � l'individu le moyen de r�soudre par lui-m�me ses probl�mes, mettre de l'� ordre dans sa propre vie � et �galement lui permettre d'aider efficacement les autres. Le r�sultat obtenu se manifesterait par des progr�s concrets visant � d�barrasser la soci�t� de ce que la Scientologie estime �tre ses fl�aux (les drogues, l'illettrisme, le crime, la violence et l'intol�rance). Les �glises de Scientologie constitueraient alors, selon elles-m�mes, des points centraux, dont �maneraient programmes et activit�s.
+La scientologie consid�re que la motivation fondamentale de la vie est la survie, elle-m�me �tant situ�e sur une �chelle gradu�e allant de la mort � l'immortalit� potentielle. Cette motivation est appel�e la dynamique. Cette dynamique ou impulsion fondamentale se s�pare en 8 dynamiques (symbolis�es par la croix � 8 branches de la scientologie). L'homme aurait une impulsion � survivre sur chacune d'entre elles.
+Toutes ces dynamiques sont des divisions arbitraires de la dynamique fondamentale qui les englobe toutes.22.
+Selon les crit�res de la Scientologie, la vie des scientologues est cens�e s'am�liorer graduellement. De m�me, les scientologues affirment � progresser spirituellement � petit � petit. Ron Hubbard affirmait avoir d�velopp� une voie pr�cise d'�tude religieuse, consistant en une s�rie d'�tapes progressives et payantes, effectu�es dans une s�quence pr�cise qui aiderait l'individu � atteindre un �tat d'� existence tr�s �lev�e �. Cette � ascension � en scientologie permettrait � l'individu de comprendre de mieux en mieux ce que la Scientologie estime �tre � la nature spirituelle de l'homme � et sa relation avec ce que ce mouvement pense �tre � l'�tre supr�me � (� d�finir). Les adeptes sont cens�s � am�liorer leur vie � gr�ce � la Scientologie. Ils seraient plus heureux et auraient des relations et une vie de famille plus � positives �, et ils r�ussiraient mieux dans leur travail. Et � leur tour, gr�ce au pros�lytisme scientologiste, ils apporteraient leur contribution � la soci�t� en � am�liorant les conditions de vie �.
+L'�tude des ouvrages de Ron Hubbard fait partie de la vie des scientologues, qu'ils participent � des services religieux dans une �glise de scientologie ou qu'ils poursuivent leur �tude des � �critures � de la scientologie � domicile. (la collection compl�te des livres de R. Hubbard co�te 3175E 23) Ils les �tudient dans toutes les �glises de scientologie, sous la surveillance de superviseurs de cours, et sont encourag�s � continuer leur �tude de la religion � domicile, en suivant des cours par correspondance par exemple.
+L'audition constitue, aux yeux des scientologues, une � technologie spirituelle � dont l'application permet d'� am�liorer sa propre condition et son existence, ainsi que celles des gens de son entourage �. Selon les scientologues, l'audition constitue la pratique essentielle de la scientologie. Elle peut �tre dispens�e � des groupes de personnes lors d'un office dominical ou lors d'autres rassemblements religieux, ou � une seule personne lors de s�ances dirig�es par un ministre de scientologie, l'� auditeur �. Quand l'audition est donn�e individuellement, l'auditeur, par des questions r�p�t�es, aiderait la personne audit�e � examiner un moment particulier de son existence. Celle-ci deviendrait plus heureuse, plus confiante, plus consciente, plus ma�tresse de sa vie. L'auditeur utilise un � �lectropsychom�tre � ou �lectrom�tre qui est suppos� pouvoir mesurer l'�tat ou les changements d'�tat spirituel de la personne. L'�lectrom�tre permettrait �galement � l'auditeur d'aider la personne � localiser des domaines de d�tresse ou d'angoisse. Lorsque ces moments sont localis�s et examin�s par la personne audit�e, ceux-ci cesseraient d'avoir une influence indue sur leur vie pr�sente et la personne y gagnerait soulagement et autod�terminisme. L'audition est aussi dispens�e � des groupes lors d'offices du Dimanche et lors d'autres rassemblements, selon le m�me principe : l'auditeur dirige les activit�s de toute l'assistance. L'�glise de scientologie affirme augmenter consid�rablement le niveau de communication, de conscience et d'aptitude de tous les membres de l'assistance. L'audition de groupe permettrait aux participants de b�n�ficier gratuitement et r�guli�rement des avantages de l'audition. En fait, l'audition de groupe est gratuite lors des offices du dimanche, et peut �tre payante en dehors de ce cadre.
+Arnaud Palisson dans sa th�se de l'universit� de Cergy-Pontoise en droit p�nal a tent� de d�montrer que le caract�re extr�me de certains exercices place la scientologie � la limite de la l�galit� (exercice ill�gal de la m�decine, droit de l'enfance, code du travail, etc.). Pour le psychiatre Louis Jolyon West, cette technique est surtout une forme d'hypnose apte � faire entrer le sujet en transe 25. Certains d�tracteurs soutiennent que l'�glise de Scientologie, contrairement aux psychoth�rapies, � la m�decine ou � la confession catholique n'a pas de r�gles d�ontologiques lui interdisant d'exploiter les secrets que ses adeptes ont confi�s lors d'auditions ou en remplissant des questionnaires. L'organisation d�ment ces accusations et affirme consid�rer les communications entre un ministre de l'�glise et un paroissien comme sacro-saintes, ceci �tant stipul� par le � Code de l'auditeur � qui r�git toute s�ance d'audition.
+� l'inverse, les universitaires sp�cialistes des religions ayant �tudi� la scientologie, comme Bryan Wilson et R�gis Dericquebourg, d�crivent l'audition comme une forme de conseil pastoral permettant une plus grande compr�hension de sa spiritualit� et de sa relation avec l'�tre supr�me. Ils y voient une sorte de � m�thodisme � spirituel.28
+Dans la dian�tique et la scientologie, l'�tat Clair correspond � une condition dans laquelle une personne n'est plus soumise � des influences non souhait�es provenant de souvenirs pass�s, ni � des �motions et �pisodes traumatiques pass�s. Une personne Claire est donc � d�barrass�e de ces influences n�fastes �.
+Le fondateur, L. Ron Hubbard, d�finit le stade de � Clair � comme celui d'une personne qui n'aurait plus son propre � mental r�actif �29 et qui ne souffrirait donc plus des effets que ce mental r�actif peut causer. Ce stade de Clair serait atteint aux moyens de l'� audition � en dian�tique et scientologie.
+Un Clair serait rationnel dans ce sens qu'il formerait les meilleures solutions possibles � partir des donn�es qu'il d�tient et de par son propre point de vue. Le Clair n'aurait donc plus d'� engrammes �.30 Ceux-ci, lorsqu'ils sont � restimul�s �, feraient d�vier la justesse des raisonnements en y faisant entrer des donn�es fausses et cach�es. Le Los Angeles Times rapporte que L. Ron. Hubbard a �crit qu'il y a 75 millions d'ann�es notre univers fut organis� en une Conf�d�ration galactique de 76 plan�tes, dirig�e par le tout-puissant seigneur galactique Xenu. Xenu aurait fait exp�dier sur Terre par fus�es - ressemblant � des DC-8 - les 13,5 trillions d'habitants, les aurait mis dans des volcans, aurait fait exploser d'�normes bombes H et aurait ensuite soud� ensemble ces �mes d�sincarn�es, qu'il appelle des � th�tans de corps �. Les humains ne seraient donc pas seuls dans leur corps mais seraient compos�s d'eux-m�mes et de milliers de ces �mes parasites. Par ailleurs, il faut environ 200 000 euros pour apprendre � se d�barrasser de ces � th�tans de corps� . D'apr�s un opposant s'appuyant sur un t�moignage, l'histoire sur l'origine de l'humanit� aurait �t� con�ue � une �poque � laquelle Hubbard aurait consomm� beaucoup de drogue.
+L'histoire de Xenu ferait partie des doctrines secr�tes qui seraient enseign�es seulement aux membres avanc�s de l'Eglise. Cette derni�re n'�voque pas ouvertement ce mythe et va parfois jusqu'� nier son existence dans la pens�e scientologue. Naturellement, les personnes qui croient � cette cosmogonie sans �tre des adeptes de la scientologie sont tr�s rares. Il convient ici de rappeler qu'avant de fonder la Scientologie, Hubbard �tait un �crivain de science-fiction. L'auteur am�ricain de science-fiction et patron de presse Lloyd Eshbach, raconte que Hubbard lui aurait dit : � J'aimerais cr�er une religion. C'est l� o� se trouve l'argent �. L'�glise de Scientologie r�fute cette affirmation et soutient sur son site qu'� une fausse attribution fut reconnue par des tribunaux de justice en Allemagne �.
+Tous les dimanches, l'aum�nier conduit des services du culte ouverts � � tous les individus qui partagent l'espoir que l'homme vivra mieux et sera plus heureux dans le futur �. L'aum�nier c�l�bre aussi des mariages, des bapt�mes et des fun�railles pour ses adeptes et les membres de leur famille.
+Dans les pays appliquant une s�paration des �glises et de l'�tat, dans les �tats la�ques (comme la France, ou la Belgique), ou dans les pays ayant une religion officielle, ces c�r�monies n'ont pas de valeur l�gale.
+De nombreuses f�tes scientologiques (en) ponctuent l'ann�e civile, parmi lesquelles :
+N�e dans le monde anglophone, la scientologie a aujourd'hui une envergure mondiale. En 2008, elle essaye de s'�tendre dans toute l'Afrique (l'Afrique du Sud notamment, o� l'�glise de scientologie est reconnue comme association d'utilit� publique depuis le 3 d�cembre 2007).
+Le statut juridique de la Scientologie diff�re selon les pays o� elle est install�e : elle se pr�sente selon les �tats comme une organisation commerciale, une religion, un centre culturel de dian�tique ou bien une simple technique de d�veloppement personnel.
+Fr�d�ric Lenoir soulignait en 1998 la diff�rence de statut entre certains pays d'Europe dont la France, o� l'organisation �tait list�e comme � secte absolue �, et celle en Am�rique du Nord, o� l'�glise de Scientologie a �t� reconnue comme religion par les services fiscaux des �tats-Unis en 1993,40, et o� s'affichent parmi ses membres des personnalit�s telles que les acteurs John Travolta et Tom Cruise, les actrices Juliette Lewis et Catherine Bell, sans oublier Katie Holmes ainsi que les musiciens Isaac Hayes, Chick Corea et Beck... Ces Very Important People b�n�ficient d'un traitement � part au sein de l'organisation qui a cr�� pour eux des Celebrity centers.
+En septembre 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre du Budget, avait re�u � Bercy de fa�on tr�s m�diatis�e l'acteur Tom Cruise, scientologue av�r�. Durant des interviews pour l'�mission "90 minutes" diffus�e le 31 mai 2005 sur la chaine fran�aise canal+, Claude Gu�ant d�clare que la scientologie n'est pas un danger pour les personnes et Nicolas Sarkozy ne peut se d�cider si la scientologie est une secte ou non. En f�vrier 2008 � Emmanuelle Mignon, alors directrice de cabinet du pr�sident de la R�publique, [...] s'�tait interrog�e sur la pertinence de qualifier ce mouvement de "secte" �46
+L'�glise de scientologie chercherait � �tre reconnue comme une religion et effectue des demandes en ce sens dans de nombreux pays, avec des r�sultats divers. En Su�de, au Portugal et au Venezuela, elle a �t� reconnue officiellement comme une religion.
+Dans plusieurs pays, l'organisation a fait appel � la justice pour obtenir cette reconnaissance. En Espagne, en 2005 le minist�re de la Justice avait refus� l'inscription de l'�glise de Scientologie au registre des associations religieuses. En novembre 2007, apr�s deux ans d'instruction, l'Audience Nationale, haute instance juridique espagnole, a oblig� le minist�re de la Justice � enregistrer l'�glise sur le registre des associations religieuses, conf�rant � cette derni�re les m�mes privil�ges qu'aux catholiques.50,51
+Suite � cette d�cision de l'Audience nationale, la justice espagnole a inscrit la scientologie au registre l�gal des religions le 19 d�cembre 2007. 52 La ville de Moscou refusant d'enregistrer l'�glise comme association religieuse, la Cour europ�enne des droits de l'homme a consid�r�, � l'unanimit�, qu'il s'agissait d'une violation de l'article 11 (libert� de r�union et d'association) de la Convention europ�enne des droits de l'homme combin� avec l'article 9 (libert� de pens�e, de conscience et de religion) 53. D'apr�s l'arr�t, � Les autorit�s n'ont pas agi de bonne foi et ont manqu� � leur devoir de neutralit� et d'impartialit� envers la communaut� religieuse repr�sent�e par l'�glise requ�rante �.
+L'organisation scientologue a �galement obtenu le droit de c�l�brer les mariages dans plusieurs pays ce qu'elle consid�re comme une reconnaissance officielle de ce qu'elle serait une religion � part enti�re notamment en Afrique du Sud en Australie, en Inde, en Italie, au Mexique, en Nouvelle-Z�lande, � Ta�wan, en Tanzanie et au Zimbabwe.
+En Suisse, plusieurs tribunaux lui ont refus� l'appellation � religion � et l'ont d�sign�e comme exclusivement commerciale.
+En Grande-Bretagne, les services fiscaux consid�rent depuis 2000 l'�glise de scientologie comme une organisation sans but lucratif et l'ont exempt�e de TVA. Suite � cela, en 2006, un tribunal a tranch� en faveur de l'�glise face aux services fiscaux qui refusaient de rembourser la TVA vers�e de mani�re indue depuis 1977.59
+La situation de la scientologie pr�sente des caract�ristiques assez similaires en France et en Belgique, o� elle est r�guli�rement qualifi�e de secte depuis les travaux parlementaires respectivement en 1995 et 1997, sans que ce terme ne renvoie � une d�finition l�gale pr�cise; et o� elle est �galement poursuivie en justice dans des proc�s pour escroquerie durant depuis une dizaine d'ann�es. En France les diff�rentes organisations de scientologie ont le statut d'association � but non lucratif, certaines se d�clarent association cultuelle mais n'ont pas demand� � b�n�ficier des avantages attach�s � ce statut 60 d�finis par la loi de 1905; de m�me elles sont constitu�es en associations sans but lucratif en Belgique.
+En 1997, la Cour d'appel de Lyon a consid�r� que, pour juger des faits qualifi�s d'escroqueries ou de complicit�s d'escroqueries, commis dans le cadre d'activit�s de scientologues, � il est vain [...] de s'interroger sur le point de savoir si l'�glise de Scientologie constitue une secte ou une religion �.
+Suite � des perquisitions effectu�es en 1999 dans le cadre d'un proc�s pour escroquerie, l'�glise de Scientologie a fait appel en mars 2001 � l'intervention des Nations unies pour intervenir dans ce qu'elle consid�re comme une � campagne d'intimidation et de harc�lement � que les autorit�s belges lui feraient subir, en prenant pour cibles ses paroissiens belges et son bureau europ�en des Droits de l'Homme 62. Dans ce m�me proc�s, le parquet f�d�ral a annonc� en septembre 2007 le renvoi devant la justice de douze personnes physiques et de deux personnes morales : l'ASBL � �glise de Scientologie de Belgique � et le � Bureau des droits de l'homme de l'�glise de Scientologie � .
+En Allemagne, consid�r�e comme une secte en 1997, l'�glise de Scientologie inqui�te le gouvernement f�d�ral qui l'accuse de chercher � � exercer une influence totalitaire sur les institutions et la soci�t� 64 �. Elle fut d�chue par le gouvernement f�d�ral de son statut de communaut� religieuse et plac�e sous la surveillance de l'�tat, celui-ci jugeant que certaines activit�s de l'organisation de la Scientologie pouvaient porter atteinte � la d�mocratie et aux droits de l'homme. Consid�r�e comme une entreprise commerciale, toute mesure fiscale en sa faveur furent interdites et elle fut assujettie au r�gime des entreprises commerciales 65.
+En 1999, la Dianetic Stuttgart eV, sous-organisation de l'�glise de Scientologie, est reconnue par la Cour administrative de Stuttgart comme une association � but id�aliste et non comme une entreprise commerciale.
+En janvier 2003, le Bureau f�d�ral des finances a accord� aux neuf �glises de Scientologie une exon�ration sur l'argent donn� pour soutenir l'�glise de Scientologie internationale (l'�glise m�re bas�e � Los Angeles 67). Ces exemptions fiscales partielles sont li�es � sa reconnaissance d'utilit� publique aux �tats-Unis. En effet, il existe un accord entre les deux pays qui permet d'�viter la double imposition 68. La Scientologie n'est pas, pour autant, reconnue comme religion en Allemagne o� elle fait toujours l'objet de surveillance de la part des services de renseignement.
+Le 11 novembre 2004, le Tribunal administratif de Cologne a rejet� un recours de la Scientologie demandant la fin de cette surveillance. � ce sujet, le 24 mars 2004, 3 scientologues perdent un proc�s intent� contre l'Allemagne devant l'ONU 70.
+Le 13 janvier 2007, l'ouverture d'une filiale de l'�glise de Scientologie de 6 �tages sur 4000 m� � Berlin suscite de vives r�actions de la part du gouvernement et de la CDU, le parti de la chanceli�re Angela Merkel, concernant la politique du S�nat berlinois vis-�-vis des sectes. Le Land de Berlin est le seul des seize L�nder � avoir refus�, depuis 2003, de surveiller les agissements de l'�glise de Scientologie sur son territoire.
+En 2008, la conf�rence des ministres de l'Int�rieur de l'�tat et des L�nder avait demand� � l'organisme charg� de la protection de la constitution une enqu�te sur la scientologie pour d�terminer si elle repr�sentait une menace � la constitution allemande. Dans son rapport de 46 pages remis aux ministres de l'int�rieur, les protecteurs de la constitution ont parl� d'une � image de la situation pleine de lacunes � v�hicul�e par les anti-scientologues. Ils mettent en garde contre une � perte de r�putation pour les organismes gouvernementaux concern�s � lors d'une proc�dure contre la scientologie, et concluent que les statuts ni les autres prises de position de la scientologie � ne permettent de conclure que l'association poursuit des buts r�pr�hensibles �.
+L'�glise de scientologie internationale est depuis 1981 l'organe de direction de la scientologie. Les �glises implant�es dans les diff�rents pays du monde sont rattach�es � elle.
+Le Centre de technologie religieuse (Religious Technology Center ou RTC) est pr�sent� comme la structure eccl�siastique de la scientologie. Il a �t� cr�� en 1982 et est dirig� depuis 1987 par David Miscavige.
+L'Office des affaires sp�ciales (Office of Special Affairs ou OSA) est le service de communication de la scientologie.
+Il succ�de � l'Office du gardien, impliqu� en 1979 dans le scandale de l'op�ration Blanche Neige, une tentative d'infiltration du gouvernement am�ricain pour laquelle plusieurs scientologues furent condamn�s � des peines de prison 73.
+Selon les organisations de lutte contre les sectes 74, il serait le bureau officiel de la propagande scientologiste et constituerait m�me des fichiers.
+Une des caract�ristiques de l'�glise de scientologie est l'extr�me diversification de ses activit�s : �coles de dessin, de musique ou de management, groupes de pression � but humanitaire.
+Certains de ses d�tracteurs consid�rent que l'�glise de Scientologie fait feu de tout bois et change de statut en fonction des protections l�gales que cela lui offre : elle est une organisation commerciale lorsqu'elle peut attaquer pour violation de copyright ceux qui publient ses ouvrages confidentiels 78, elle est une religion dans les pays o� la libert� de culte permet tout, elle devient technique de d�veloppement personnel lorsqu'il s'agit d'approcher les entreprises ou dans les pays qui se d�fendent contre les sectes. Elle d�clare aussi �tre une Association ou Centre culturel de dian�tique (en Argentine, Colombie et Espagne), un Coll�ge Hubbard d'ind�pendance personnelle (en �cosse), un Centre culturel de dian�tique ou d'Am�rique latine (au Mexique), et un Institut de philosophie appliqu�e ou de technologie de dian�tique (au Mexique).
+Souvent, les noms choisis par l'organisation ressemblent aux noms d'autres organismes publics ou priv�s : pour les opposants � la Scientologie, ces noms sont destin�s � faire passer les organismes scientologues pour des services officiels ou pour des organismes aux noms semblables et d�j� connus du grand public, et ces activit�s sont soup�onn�es de servir de tremplin pour le recrutement de nouveaux adeptes, qui s'engageraient dans une activit� en ignorant les liens entre la Scientologie et ces organismes.
+Dans une vid�o officielle, l'�glise de Scientologie joue de ces ambig�it�s en pr�sentant des personnes qui la soutiennent. Les l�gendes incrust�es aux images mentionnent (sans jamais donner un nom) des fonctions vagues telles que � membre du cabinet du maire de Marseille � ou � Conseil des communaut�s europ�ennes �
+Chaque centre ou �glise de Scientologie, nomm� en interne � org (-anisation) �, met � la disposition de ses adh�rents de nombreux services et ouvrages consid�r�s comme des livres � caract�re religieux selon les adeptes : cinq cent mille pages, trois mille conf�rences enregistr�es, et une centaine de films, tous attribu�s au fondateur de la scientologie, Ron Hubbard. Les cours et ouvrages fournis constituent un ensemble de m�thodes, cens�es permettre de devenir plus � apte �, de m�thodes pour faire survivre la Scientologie en tant que mouvement et de mythologie propre a la Scientologie (dont les textes sur Xenu qui co�teraient pr�s de 50 000 euros[r�f. n�cessaire], et dont des versions sont diffus�es sur Internet ou Usenet principalement par des d�tracteurs mais aussi par des d�fenseurs de la Scientologie).
+R�cemment, l'�glise a enti�rement r��dit� ses ouvrages car la grande majorit� avait �t� alt�r�e et rendue incompr�hensible par les �diteurs (erreurs de transcription, de traduction, de ponctuation, pages m�lang�es, chapitres m�lang�s, paragraphes ajout�s/supprim�s/m�lang�s, etc.). Le travail sur la r��dition des ouvrages a �t� entam� en 2000 et a �t� annonc�e mondialement le 14 juillet 2007 lors d'un event (f�te ou litt�ralement �v�nement) vid�o o� les nouveaux livres ont �t� vendus pour la premi�re fois. Un test aurait �t� effectu� sur des scientologues qui ont lu les premiers les livres r��dit�s. Le temps de lecture des livres s'est r�duit de plusieurs jours en moyenne pour les anciens livres incompr�hensibles consid�r�s comme ardus par les scientologues eux-m�mes � quelques heures pour les livres r�cemment r��dit�s et retraduits. Le prix des livres varie entre 12 et 30 euros.81
+La critique la plus commune est que la scientologie ferait miroiter � ses adeptes la possibilit� d'atteindre un �tat qu'ils n'atteindront jamais, se contentant d'une progression perp�tuelle. Les adeptes, pour passer d'un grade � un autre, doivent suivre des stages et acheter des documents. � titre d'exemple pour un premier contact, une s�rie de 15 CD (conf�rences d'une heure par CD) datant de 1956, enregistr�e en pleine guerre froide, Le Congr�s de Washington sur les radiations et la confrontation est vendue actuellement environ 200 euros. Nombre de t�moignages montreraient la surprise, une fois pass� un niveau, de s'entendre dire que ce n'�tait qu'une �tape alors que ce devait enfin �tre l'�tat d'illumination attendu. Le co�t financier de l'�tape suivante serait bien plus �lev�.
+D'apr�s une enqu�te du mensuel Capital de mai 2009, l'Eglise de scientologie incite aussi ses adeptes � acheter toute une s�rie de produits et services � prix prohibitifs comme l'�lectrom�tre -qui n'est en fait qu'un ohmm�tre- (3800 euros), le stage de purification (1464 euros) ou l'heure d'audition (jusqu'� 400 euros). Selon Gilles Tanguy, le journaliste de Capital qui s'y est inscrit pour les besoin de l'enqu�te, chaque Eglise de scientologie fait ses comptes le jeudi. Et "la paie des vendeurs d�pend directement" du chiffre d'affaires qu'ils ont factur� aux adeptes. D'apr�s un site antiscientologue, le co�t financier impos� � une personne pour atteindre le niveau � OT8 �, le plus �lev� dispens� actuellement, pourrait �tre estim� grossi�rement (2005) � 400 000 euros.
+La Scientologie pr�conise l'abstinence de drogues et m�dicaments psychiatriques, et l'aspirine est d�conseill�e avant d'�tre audit�e. Cette attitude vis-�-vis de la m�dication correspond � une attitude plus large de rejet de certaines connaissances scientifiques conventionnelles, lesquelles sont remplac�es par la doctrine scientologique.
+La Scientologie rejette cat�goriquement la psychiatrie et la consid�re comme �tant une � industrie mortuaire �. Dans une exposition tenue � Jefferson City en janvier 2007, la Scientologie a accus� les psychiatres d'abuser sexuellement de leurs patients et d'�tre responsables de l'existence des attentats-suicide, dont ceux du 11 septembre 2001. La Scientologie affirme d�noncer depuis 1952 de nombreuses pratiques concernant le domaine de la sant� mentale : lobotomie et �lectrochocs en particulier, mais aussi toutes les pratiques consistant � traiter des probl�mes d'origine mentale simple avec des psychotropes ou des op�rations chirurgicales au niveau du cerveau entra�nant de graves troubles de comportement chez ceux qui les subissent. Ses adeptes arguent aussi que ces d�nonciations continues auraient provoqu� des r�actions de d�fense de la part de groupes dont les int�r�ts �taient concern�s.
+Les id�es de la Scientologie en la mati�re sont principalement diffus�es par la Commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH), qui serait � l'origine de propositions parlementaires relatives � la sant� mentale ; ce qui explique que d'autres critiques de la psychiatrie tentent de se d�marquer de la Scientologie. L'�glise de Scientologie dispose �galement, � Bruxelles, d'un Bureau europ�en des affaires publiques et des droits de l'homme. Le Collectif des m�decins et des citoyens contre les traitements d�gradants de la psychiatrie est rattach� � la Scientologie. Il s'agit d'une association non d�clar�e en pr�fecture de m�decins scientologues. Les opposants � la Scientologie consid�rent cela comme une guerre contre la psychiatrie et la psychologie de la part de la Scientologie. D'apr�s eux, la Scientologie se positionne comme une concurrente de ces sciences, par le d�veloppement de comp�tences et de techniques d'analyse des pratiques de communication et de soin des probl�mes mentaux des psychiatres. Ils l'accusent de mal plagier des techniques psychiatriques et d'utiliser des techniques dangereuses. Selon les scientologues, les psychologues et surtout les psychiatres cherchent � r�gler des probl�mes mentaux en s'attaquant � la mati�re (m�dicaments qui entra�nent des changements chimiques, op�rations, etc.).
+Les d�tracteurs sont appel�s dans le jargon de la Scientologie les � suppressifs �. Quand un adepte a un probl�me, les scientologues suspectent la pr�sence d'un suppressif dans ses relations, cherchent � savoir qui par l'audition, et en g�n�ral pr�conisent de ne plus rencontrer cette personne. De nombreuses histoires de s�parations entre mari et femme, parents et enfants, li�es � la scientologie en t�moignent. D'un autre cot�, des observateurs ind�pendants soulignent la faiblesse des arguments de certains de ces d�tracteurs ; ainsi, Marco Frenschkowsky (universitaire allemand), quoique oppos� lui-m�me � la scientologie, a �crit qu'il y avait peu de march�s plus lucratifs en Allemagne que d'�tre un ex-scientologue et d'attaquer la scientologie.88 D'apr�s lui ces � apostats �, apr�s quelques semaines de scientologie et sans avoir presque rien lu de cette philosophie publient de longs expos�s (pour le compte du � march� antisecte �) qui se ressemblent tous.
+Il existe de nombreux opposants � la scientologie � travers le monde. Pour la francophonie, citons Roger Gonnet, ancien membre de la scientologie et cr�ateur d'un site antiscientologue 89 o� il lui reproche entre autres d'�riger la diffamation (propagande noire selon les termes de Ron Hubbard) en principe de d�fense, ainsi que l'existence d'une soci�t� secr�te et d'un pouvoir centralis� dont la simple existence elle-m�me est � la limite de la l�galit�. Il signale des condamnations pour escroquerie comme dans le cas de contrats de travail d'une dur�e de 5 000 ans, qui peuvent s'apparenter � une forme d'esclavage ; les contrats ont parfois m�me une dur�e sup�rieure � un milliard d'ann�es. Il est r�guli�rement attaqu� par l'�glise de Scientologie � divers titres (diffamation sur des forums, absence de d�clarations � la CNIL). L'�glise de Scientologie a d�j� �t� condamn�e � indemniser Roger Gonnet apr�s avoir �t� d�bout�e, et il a aussi �t� condamn� � plusieurs reprises.92
+Des journalistes ou des chercheurs �tudiant la Scientologie se sont plaints d'�tre l'objet de harc�lement et de graves menaces : Paulette Cooper, auteur du premier livre critique connu sur le sujet, aurait �t� harcel�e dans le but de la pousser au suicide, de la faire interner ou incarc�rer dans le cadre d'une op�ration appel�e Freakout ; Paul Ari�s, auteur en 1999 de La Scientologie, une secte contre la r�publique, affirme avoir re�u des menaces de mort. D'apr�s les d�tracteurs, une fois pass� un certain nombre d'�tapes on pourrait se retrouver dans l'administration centrale de la scientologie, autrefois situ�e sur un bateau. L�, la scientologie entretiendrait une milice arm�e. L� aussi seraient centr�s les organismes de police de la scientologie : espionnage, sp�cialistes de la diffamation. Ces organisations scientologiques auraient souvent recours aux cambriolages, aux vols de courrier. On trouverait dans les textes d'Hubbard les ordres et la justification de tels actes.
+En 2006, la s�rie anim�e am�ricaine South Park diffus�e sur Comedy Central diffuse un �pisode nomm� Pi�g� dans le placard, qui parodie notamment les pr�ceptes de l'�glise concernant Xenu, ainsi que l'utilisation de stars au profit de l'image de la secte (Tom Cruise et John Travolta). L'�pisode rappelle �galement que L. Ron Hubbard �tait auteur de science-fiction. La fin se r�f�re au caract�re proc�durier de l'�glise, et tous ceux qui ont particip� � l'�pisode sont cr�dit�s John Smith et Jane Smith.
+D�but 2008, suite aux pressions et aux menaces de proc�s de l'organisation pour faire retirer de Youtube une vid�o montrant Tom Cruise en train de s'exprimer devant une assembl�e de scientologues, un groupe d'internautes, sous le pseudonyme collectif � Anonymous �, annonce d�clarer la guerre � la scientologie. Sous le nom de Projet Chanology, diverses attaques visant � perturber les sites Internet de l'organisation se sont succ�d� � partir du 14 janvier, en particulier des d�nis de service, des google bombing et la publication sur Internet de milliers de documents et rapports internes r�cup�r�s via le r�seau. Peu de temps apr�s, ce petit groupe est devenu une force plan�taire qui entend user de m�thodes pacifiques et festives pour d�noncer les mensonges de la scientologie.
+Une proc�dure a �t� ouverte en 1983 en France contre l'�glise de Scientologie, et une autre en 1989 pour � escroquerie � et � exercice ill�gal de la m�decine �. L'instruction de cette derni�re affaire, confi�e � la juge Marie-Paule Moracchini (d�saisie le 18 octobre 2000), avait tant tra�n� que les faits ont �t� d�clar�s prescrits par la juge d'instruction parisienne Colette Bismuth-Sauron en juillet 2002, soit 13 ans plus tard. Cette d�cision a �t� qualifi�e � l'�poque de � nouvelle victoire � par l'�glise de Scientologie.99 Au cours de cette instruction, un tome et demi de pi�ces du dossier avaient myst�rieusement disparu en plein Palais de Justice de Paris.100
+� la suite d'une nouvelle enqu�te commenc�e en 1998, deux structures proches de la Scientologie, l'Association spirituelle de l'�glise de scientologie et la librairie Scientologie espace libert� ont �t� renvoy�es en correctionnelle le 8 septembre 2008 par un juge parisien pour � escroquerie en bande organis�e �101,102. Le Parquet avait requis un non-lieu, estimant que � l'information n'a pas permis d'�tablir que les remises de fonds effectu�s par les plaignants aient proc�d� de d�marches frauduleuses � et � qu'il ne peut �tre consid�r� que l'incitation � faire du sauna, prendre des vitamines et courir pour se "purifier" constitue un d�lit d'exercice ill�gal de la m�decine �.103Ceci a �t� pr�sent� par l'avocat des parties civiles comme une � attitude complaisante � laissant entrevoir des motivations politiques. L'ordonnance de renvoi de l'�glise de scientologie en tant que personne morale devant le tribunal comporte les accusations suivantes : � multiples manipulations bancaires �, � surfacturations de produits vendus par les scientologues �, � dissimulation de ses gains �, et retient la circonstance de bande organis�e concernant les dirigeants fran�ais de la scientologie. L'ordonnance cite �galement des documents internes de la scientologie qui, selon elle, � ne laissent aucun doute sur la finalit� commerciale de l'action scientologue, d�notant une v�ritable obsession pour le rendement financier �. Le proc�s pour � escroquerie en bande organis�e � se tient � Paris en mai 2009. Une condamnation pourrait rendre possible la dissolution du mouvement en France, en application de la loi About-Picard. Le jugement sera rendu le 27 octobre 2009.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+En biologie, la s�lection naturelle est l'un des m�canismes qui guident l'�volution des esp�ces. Ce m�canisme est particuli�rement important du fait qu'il explique l'adaptation des esp�ces aux milieux. La th�orie de la s�lection naturelle permet d'expliquer et de comprendre comment l'environnement influe sur l'�volution des esp�ces et des populations en s�lectionnant les individus les plus adapt�s et constitue donc un aspect fondamental de la th�orie de l'�volution.
+De fa�on sommaire, la s�lection naturelle d�signe le fait que les traits qui favorisent la survie et la reproduction, voient leur fr�quence s'accro�tre d'une g�n�ration � l'autre. Cela d�coule logiquement du fait que les porteurs de ces traits ont plus de descendants, et aussi que ces derniers portent ces traits (puisqu'ils sont h�r�ditaires).
+Alors que plusieurs th�ories �volutives existaient d�j� sous le nom de transformisme, Charles Darwin (1809 - 1882) propose ce m�canisme que l'on d�signe sous le terme de darwinisme ou s�lection darwinienne. Le terme "s�lection naturelle" a �t� imagin� par Darwin par analogie avec la s�lection artificielle pratiqu�e par les humains depuis des mill�naires : les agriculteurs ou �leveurs choisissent � chaque g�n�ration les individus pr�sentant les meilleurs caract�ristiques pour les faire se reproduire. Le m�canisme de s�lection darwinienne permet donc d'expliquer de fa�on naturaliste la complexit� adaptative des �tres vivants, sans avoir recours au finalisme ni � une intervention surnaturelle, d'origine divine, par exemple.
+La th�orie de la s�lection naturelle telle qu'elle a �t� initialement d�crite par Charles Darwin, repose sur trois principes :
+En g�n�ral, dans une population d'individus d'une m�me esp�ce, il existe des diff�rences plus ou moins importantes entre ces individus. En biologie, on appelle caract�re, tout ce qui est visible et peut varier d'un individu � l'autre. On dit qu'il existe plusieurs traits pour un m�me caract�re. Par exemple, chez l'�tre humain, la couleur de la peau, la couleur des yeux sont des caract�res pour lesquels il existe de multiples variations ou traits. La variation d'un caract�re chez un individu donn� constitue son ph�notype. C'est l�, la premi�re condition pour qu'il y ait s�lection naturelle : au sein d'une population, certains caract�res doivent pr�senter des variations, c'est le principe de variation.
+Certains individus portent des variations qui leur permettent de se reproduire davantage que les autres, dans un environnement pr�cis. On dit qu'ils disposent d'un avantage s�lectif sur leurs cong�n�res :
+Dans les deux cas, l'augmentation de la capacit� � survivre et � se reproduire se traduit par une augmentation du taux de reproduction et donc par une descendance plus nombreuse, pour les individus porteurs de ces caract�ristiques. On dit alors que ce trait de caract�re donn� offre un avantage s�lectif, par rapport � d'autres. C'est dans ce principe d'adaptation uniquement, qu'intervient le milieu de vie.
+ +La troisi�me condition pour qu'il y ait s�lection naturelle est que les caract�ristiques des individus doivent �tre h�r�ditaires, c'est-�-dire qu'elles puissent �tre transmises � leur descendance. En effet certains caract�res, comme le bronzage ou la culture, ne d�pendent pas du g�notype, c'est-�-dire l'ensemble des g�nes de l'individu. Lors de la reproduction, ce sont donc les g�nes qui, transmis aux descendants, entra�neront le passage de certains caract�res d'une g�n�ration � l'autre. C'est le principe d'h�r�dit�.
+Ces trois premiers principes entra�nent donc que les variations h�r�ditaires qui conf�rent un avantage s�lectif seront davantage transmises � la g�n�ration suivante que les variations moins avantageuses. En effet les individus qui portent les variations avantageuses se reproduisent plus. Au fil des g�n�rations, on verra donc la fr�quence des g�nes d�savantageux diminuer jusqu'� �ventuellement dispara�tre, tandis que les variations avantageuses se r�pandront dans la population, jusqu'� �ventuellement �tre partag�es par tous les membres de la population ou de l'esp�ce. Par exemple, dans la population humaine, la bip�die est un caract�re commun � tous les �tres humains modernes.
+Cette histoire amusante n'a d'autre but que de bien fixer un point important de la th�orie darwinienne.
+Deux brontosaures voient un T-Rex avancer dans leur direction et se mettent � courir aussi vite qu'ils le peuvent. Puis l'un des deux dit � l'autre :
+� Pourquoi nous fatiguons-nous au juste ? Nous n'avons de toute fa�on pas la moindre chance d'arriver � courir plus vite qu'un T-Rex ! �+
Et l'autre lui r�pond cyniquement :
+� Je ne cherche pas � courir plus vite que le T-Rex. Je cherche juste � courir plus vite que toi ! �+
L'id�e est de rappeler que le processus concerne moins une comp�tition entre esp�ces, qu'une comp�tition � l'int�rieur de chaque esp�ce. C'est � partir de ce constat et de la d�couverte du conflit sexuel que Thierry Lod� d�veloppe l'hypoth�se que le conflit au sens large (conflit sexuel, conflit de reproduction, co�volution) serait un puissant vecteur d'�volution, n� de multiples interactions antagonistes. En fait, le r�le des interactions et des m�canismes co�volutifs est encore probablement sous-estim�.
+Lorsqu'on observe des esp�ces dans leur milieu de vie, elles semblent toutes �tre profond�ment adapt�es � chacun de leur milieu : le long cou et les longues pattes de la girafe sont en effet bien adapt�s pour attraper des feuilles hautes des acacias des savanes africaines. On pourrait tout aussi bien dire que ce sont les organismes non adapt�s qui n'ont pas surv�cu dans ce milieu.
+En outre, certaines variations avantageuses dans un environnement donn� peuvent devenir n�fastes sous d'autres conditions. Par exemple, dans un milieu enneig�, une fourrure blanche permet de ne pas �tre vu par ses futures proies ou ses pr�dateurs, mais si le milieu devient forestier et plus sombre, il n'y aura plus de camouflage et les individus porteurs de fourrure blanche perdront leur avantage s�lectif. La cons�quence de ce ph�nom�ne est donc qu'au fil des g�n�rations, par la s�lection naturelle, les caract�res observ�s dans une population seront plus ou moins adapt�s aux �volutions de son �cosyst�me.
+Autres exemples, chez les humains la couleur de la peau est une adaptation due � la s�lection naturelle, et non � un bronzage qui se serait � fix� � � tout jamais dans certaines populations. En zones ensoleill�es les individus � la peau claire ont plus de risque de d�velopper un cancer de la peau � cause des rayons UV, ils sont donc d�savantag�s car leur esp�rance de vie est moindre. En zones moins ensoleill�es ces individus seraient avantag�s car la lumi�re du soleil permet au corps de produire de la vitamine D, et de plus le corps �conomise de l'�nergie et des nutriments en fabriquant moins de m�lanine, le pigment de la peau.
+Les facteurs de l'environnement qui peuvent donc entra�ner une s�lection naturelle peuvent �tre :
+L'adaptation des esp�ces � leur niche �cologique peut parfois conduire deux esp�ces qui occupent un milieu similaire, � acqu�rir des ressemblances qui ne sont alors pas dues � leur �ventuelle parent�. On parle dans ce cas d'�volution convergente. Ce ph�nom�ne s'interpr�te comme le fait que les m�mes contraintes du milieu m�nent aux m�mes � solutions adaptatives �.
+Les yeux des vert�br�s et des c�phalopodes constituent l'un des exemples les plus frappants de convergence alors m�me que l'anc�tre commun de ces deux taxons ne poss�dait pas d'yeux complexes. ces deux lign�es ont �volu� vers des syst�mes optiques qui pr�sentent une tr�s forte similarit�. La diff�rence r�sidant surtout dans l'orientation des cellules sensorielles dans la r�tine
+De tels cas de convergence �volutive sont souvent mis en avant pour argumenter en faveur d'une conception adaptationniste de l'�volution par s�lection naturelle selon laquelle l'essentiel des caract�ristiques observ�es dans les esp�ces vivantes ne sont pas dues au hasard mais sont le r�sultat de diverses pressions de s�lection au cours de l'histoire �volutive des esp�ces.
+Pour qu'il y ait s�lection, encore faut-il que plusieurs variations d'un m�me caract�re soient pr�sentes dans la population afin que l'individu le plus adapt� l'� emporte � sur les autres. En effet, dans l'exemple ci-dessus, si la totalit� des individus sont identiques et porteurs de la variation ph�notypique � fourrure blanche �, en cas de r�chauffement climatique aucun individu ne pourra survivre, et l'esp�ce s'�teindra. En cas de modification de l'environnement, pour qu'une esp�ce survive, il faut qu'elle s'adapte par la s�lection naturelle. Il est donc indispensable, qu'avant le changement du milieu elle pr�sente en son sein une diversit� g�n�tique importante.
+La diversit� g�n�tique dans une population d'individus a pour origine des modifications de l'information g�n�tique dans l'ADN des cellules. Il s'agit :
+On peut ajouter aux modifications du g�nome cit�es plus haut, une autre source de diversit� g�n�tique, soient les migrations par lesquelles le stock g�n�tique dans une population donn�e se voit renouvel� par l'arriv�e d'autres membres de l'esp�ce porteuse d'un pool g�n�tique diff�rent.
+Les modifications g�n�tiques sont al�atoires : ce n'est pas l'environnement qui � dicte � quel g�ne doit muter, mais bien le hasard. C'est pour cela qu'on observe dans les populations beaucoup de variations inadapt�es au milieu de vie (par exemple, les maladies g�n�tiques rares). Une erreur courante consiste � croire que les modifications g�n�tiques sont une cons�quence de la s�lection naturelle. En revanche la s�lection naturelle a bien le pouvoir de cumuler les innovations adapt�es, ce qui aboutit � des adaptations complexes.
+C'est donc parmi la grande diversit� g�n�tique des individus, que vont ensuite �tre s�lectionn�s les ph�notypes et les all�les les plus adapt�s � l'environnement. Pour en faire la d�monstration on pourrait simplement montrer que les ph�notypes nouveaux �taient pr�sents avant le changement du milieu. Ceci n'est pas toujours �vident et quand bien m�me ce serait le cas, un m�canisme d'induction d'une mutation donn�e par l'environnement n'est pas � exclure. C'est gr�ce � une astuce math�matique que Luria et Delbr�ck montrent que ce sont bien les mutations pr�existantes dans une population de bact�ries qui sont s�lectionn�es quand on ajoute un virus.
+La g�n�tique mol�culaire n'existant pas � son �poque, Darwin ne pouvait prendre en compte les m�canismes mol�culaires � l'origine des nouveaux caract�res. Sa th�orie de la s�lection naturelle incluait donc l'hypoth�se de la transmission des caract�res acquis. Dans son ouvrage de 1868, La variation des animaux et des plantes sous l'effet de la domestication, il alla m�me jusqu'� proposer une th�orie pour cette transmission des caract�res acquis..
+Dans la th�orie initiale de Darwin telle qu'il l'expose dans L'Origine des esp�ces, ces variations entre les individus trouvent leur origine dans le fait que des individus acqui�rent des caract�ristiques diff�rentes au cours de leur vie. Ces caract�res acquis seraient alors transmis � leur descendance et cela expliquerait les variations observ�es et l'�volution des caract�ristiques de l'esp�ce. Toute autre source de variation reste pourtant acceptable, comme par exemple le hasard; en revanche, le probl�me qui se poserait alors serait de savoir comment emp�cher la dilution, puis l'�ventuelle disparition de ces caract�res s'ils ne sont pas "entretenus".
+La th�orie de l'h�r�dit� des caract�res acquis a �t� consid�r�e comme invalid�e par August Weismann � la fin du xixe si�cle. En r�ponse aux n�o-lamarckiens qui soutenaient le contraire, il montra que des mutilations n'�taient pas transmises. On en d�duisit abusivement qu'aucun caract�re acquis ne pouvait se transmettre, alors qu'une mutilation ne peut �tre assimil�e � une acquisition par l'organisme de fonctions nouvelles comme le voulait Lamarck. On ne peut prouver avec certitude l'impossibilit� d'h�r�dit� de caract�res acquis (une inexistence ne peut �tre prouv�e qu'en math�matiques, par l'absurde). On peut � d�faut en chercher s'il existe quelque exemple r�el r�futant cette impossibilit�. Ce qui serait le cas chez les oiseaux o� un seul ovaire, le gauche, peut se d�velopper. Il a bien fallu que des caract�res acquis soient devenus h�r�ditaires pour orienter l'�volution. Plusieurs recherches ont �t� men�es en ce sens au d�but du xxe si�cle, notamment par Paul Kammerer. Cela qui fait aussi l'objet de recherches dans le domaine de l'immunologie.
+Les caract�res inn�s sont bel et bien transmis au cours de la reproduction mais avec des variations qui suivent les lois de l'h�r�dit� mend�lienne, du nom de leur d�couvreur, Gregor Mendel (1822 - 1884) dont les travaux sur les lign�es de pois ne furent red�couverts qu'au d�but du xxe si�cle et �taient malheureusement ignor�s de Darwin. Mendel apporte pour le coup la r�ponse au probl�me de la dilution : un caract�re ne s'affaiblit pas; il est simplement transmis en tant que dominant, transmis en tant que r�cessif, ou �limin�; mais chez les individus qui le portent, il reste totalement pr�sent, ce qui assure sa p�rennit� s'il est favorable � son porteur (ou, pour �tre plus pr�cis, � la descendance de son porteur).
+La convergence entre la th�orie darwinienne et la th�orie de l'h�r�dit� donnera alors naissance au cours des ann�es 1930 � la g�n�tique des populations, en particulier gr�ce aux travaux th�oriques de Ronald Fisher. � la m�me p�riode, gr�ce aux exp�riences de Thomas Morgan et Theodosius Dobzhansky sur les mouches drosophiles, les m�canismes mol�culaires responsables des ph�nom�nes d'h�r�dit� g�n�tique commenceront � �tre identifi�s. L'une des d�couvertes majeures de la biologie sera alors de montrer que la diversit� g�n�tique qui garantit la vari�t� des ph�notypes est due � des modifications al�atoires du g�notype (mutations, recombinaisons g�n�tiques, ...) en particulier lors de sa transmission d'une g�n�ration � l'autre, au moment de la reproduction.
+M�me si ce n'est pas le m�canisme qui avait �t� envisag� par Darwin dans sa th�orie de la s�lection naturelle, il n'en reste pas moins que ces processus permettent de rendre parfaitement compte de la s�lection naturelle dans le cadre de ce qui est consid�r� comme la th�orie centrale de la biologie moderne, la th�orie synth�tique de l'�volution ou synth�se n�o-darwinienne qui fait le lien entre les m�canismes au niveau de la g�n�tique mol�culaire et les ph�nom�nes d'�volution � l'�chelle des populations.
+Ainsi la s�lection naturelle peut se "mesurer" gr�ce � des calculs statistiques.
+Il appara�t aujourd'hui �vident que tout organe ayant une fonction d�finie, par exemple la nageoire du poisson, est une adaptation � un milieu et le r�sultat d'une s�lection naturelle. Cependant la d�monstration scientifique doit, elle, passer par la mise en �vidence d'une corr�lation chiffr�e entre les variations d'un caract�re h�r�ditaire et celles d'un param�tre pr�cis de l'environnement. Parmi les exemples les plus c�l�bres, on peut citer :
+La s�lection naturelle produit aussi ses effets dans l'esp�ce humaine :
+L'homme peut aussi exercer involontairement une pression de s�lection sur certains organismes dont l'�volution, en retour, peut �tre n�faste pour l'�conomie ou la sant� humaine :
+Dans les exemples pr�c�dents, il s'agit d'esp�ces �voluant au gr� des am�liorations techniques humaines mais ce ph�nom�ne peut aussi s'observer dans les interactions biologiques entre deux esp�ces. Un exemple tr�s �tudi� d'une telle co�volution est le parasitisme de ponte chez les coucous. Dans ces esp�ces, le parent pond ses oeufs dans le nid d'autres oiseaux. D�s sa naissance, le jeune coucou expulse les oeufs pr�sents afin d'�tre le seul � b�n�ficier des soins prodigu�s par les parents de l'esp�ce h�te ainsi tromp�s. Parmi les esp�ces parasit�es, certaines ont �volu� des strat�gies antiparasitiques, en l'occurrence une aptitude � distinguer les oeufs de coucou de leurs propres oeufs. Cela a cr�� une pression de s�lection pour certaines esp�ces de coucou qui ont �volu� une forme de mim�tisme des oeufs de telle sorte que ceux-ci ressemblent �tonnamment aux oeufs de leurs h�tes. � leur tour, les esp�ces parasit�es (comme la pie-gri�che �corcheur) ont d�velopp� des capacit�s accrues de discrimination de leurs propres oeufs des oeufs mim�tiques du coucou, capacit� qui est absente chez des esp�ces non ou moins parasit�es.
+De tels ph�nom�nes de co�volution sont fr�quemment observ�s dans les cas de parasitisme mais parfois aussi dans certains cas de comp�tition intersp�cifique ou dans le cadre comp�tition intrasp�cifique de la s�lection sexuelle. La co�volution inter-sexes s'observent souvent en r�ponse � la s�lection sexuelle post-copulatoire : par exemple, dans certaines esp�ces d'oiseaux et d'invert�br�s, les p�nis des m�les ont une forme h�lico�dale qui fonctionne comme un goupillon �liminant la semence des autres m�les et leur permettant de d�poser leurs propres gam�tes au plus profond du vagin des femelles avec lesquelles ils s'accouplent afin de s'assurer la paternit� de la prog�niture ; dans ces m�mes esp�ces, on observe une augmentation proportionnelle de la taille du vagin avec une morphologie tout en sinuosit�s qui contrecarre les strat�gies reproductives des m�les.
+L'adjectif naturelle s'oppose chez Darwin au concept de s�lection artificielle connue et pratiqu�e depuis quelques milliers d'ann�es par les �leveurs. En effet les animaux d'�levage domestiques ou les esp�ces de plantes cultiv�es (vaches, chiens, roses...) constituent autant de variations � monstrueuses � absentes dans la nature. Elles sont le fruit de la lente s�lection d'individus int�ressants (pour les rendements, ou du point de vue esth�tique) par les �leveurs et les agriculteurs (voir �levage s�lectif des animaux). C'est cette observation qui permit � Darwin d'�mettre l'hypoth�se d'une s�lection op�r�e par la nature sur les esp�ces sauvages.
+Par exemple :
+La s�lection artificielle, malgr� son intense pression (�limination de tout g�niteur qui ne r�pond pas aux crit�res du choix), ne parvient pas, apr�s des pratiques mill�naires, � faire na�tre de nouvelles esp�ces. Les races ne s'isolent pas et peuvent s'hybrider sans perte ou baisse de f�condit�. La domestication et la culture r�v�lent les limites, assez �troites entre lesquelles l'esp�ce varie sans courir de p�ril, mais elles n'impriment pas un mouvement �volutif aux esp�ces qu'elles concernent.
+La s�lection darwinienne s'appuie sur de deux m�canismes conjoints. Le premier est la s�lection utilitaire (ou s�lection de survie ou s�lection �cologique) le second est la s�lection sexuelle. Dans le grand public, ce dernier aspect de s�lection sexuelle est souvent ignor� et on identifie la s�lection naturelle avec la s�lection de survie. Or c'est une erreur car ces deux m�canismes sont bien � l'oeuvre dans le monde vivant.
+La s�lection utilitaire correspond � un processus de tri entre individus en vertu de leur capacit� � survivre et/ou � �tre f�conds 10. Ce terme d�signe plus sp�cifiquement le m�canisme qui fait �voluer les esp�ces sous la pression "externe" de l'environnement ou "interne" de la comp�tition intrasp�cifique. En effet, elle repose sur l'id�e que pour pouvoir se reproduire, il faut d'abord survivre. Ce type de s�lection favorise donc les individus capables d'�chapper ou de se prot�ger des pr�dateurs mais aussi de r�sister aux parasites : c'est la comp�tition intersp�cifique. Il existe aussi une comp�tition intrasp�cifique : les individus d'une m�me esp�ce �tant en comp�tition entre eux pour trouver des ressources dans l'environnement, qu'il s'agisse de proies ou d'autres ressources non-nutritives comme des abris (terrier, nid, ...). Enfin, il y a des facteurs dits abiotiques qui s�lectionnent les individus les mieux capables de r�sister � l'environnement biotopique, aux conditions climatiques, etc.
+La s�lection sexuelle est un ph�nom�ne qui a lieu � une �tape diff�rente de la vie de l'individu. Elle d�signe le fait qu'il y a aussi une comp�tition au sein de chaque esp�ce pour acc�der aux partenaires sexuels dans le cadre de la reproduction sexu�e. Cet aspect de la th�orie fut pleinement d�velopp� par Darwin dans son ouvrage intitul� La Descendance de l'Homme. Dans le cadre de la s�lection sexuelle, il va donc se produire une comp�tition intra-sexe, entre les individus d'un m�me sexe, mais aussi inter-sexe, entre les sexes (les individus d'un sexe devant choisir avec quel individu de l'autre sexe ils vont s'accoupler). La s�lection sexuelle permet donc d'expliquer des caract�res ou des comportements qui p�nalisent la survie quand ils sont analys�s en dehors du contexte reproductif, comme la queue du paon, les bois des m�gac�ros.
+R�trospectivement, les modifications successives au cours des g�n�rations des populations peuvent sembler orient�es, comme si ces modifications �taient "tir�es" ou "pouss�es" dans une certaine direction. Par exemple, en suivant les observations de Darwin sur les pinsons des Galapagos, on peut observer que certaines esp�ces semblent suivre une tendance vers un �largissement du bec qui devient de plus en plus massif alors que chez d'autres esp�ces de pinsons, la tendance est plut�t vers un affinement du bec.
+Ce ph�nom�ne qui se manifeste comme une tendance apparente dans l'�volution d'une ou plusieurs esp�ces a re�u le nom de pression de s�lection. Ces pressions de s�lection sont 'orient�es' par les pressions dites int�rieures � l'esp�ce (s�lection sexuelle, comp�tition intrasp�cifique) et les pressions dites ext�rieures � l'esp�ce (limitation des ressources, modifications de l'environnement, pr�dateurs, parasites...), bref, tout ce qui influence la survie et la reproduction des individus.
+Les pressions de s�lection s'exercent diff�remment d'une esp�ce � l'autre ou d'un milieu �cologique � un autre, voire d'une sous-population d'individus � une autre. Ainsi il peut se produire au sein d'une m�me esp�ce une divergence si deux sous-populations sont soumises � des pressions de s�lection l�g�rement diff�rentes. Ces deux populations �volueront vers des formes diff�rentes qu'on appelle morphes et si le ph�nom�ne se poursuit dans le temps on peut aboutir � la formation de deux esp�ces distinctes, c'est la sp�ciation sympatrique. Les deux esp�ces occupent alors des niches �cologiques suffisamment distinctes pour qu'elles n'entrent plus directement en comp�tition l'une avec l'autre et suivent alors des "trajectoires" �volutives diff�rentes en r�ponse aux pressions de s�lection sp�cifiques auxquelles elles sont soumises.
+Les syst�mes vivants apparaissent comme tr�s complexes et sont des adaptations tellement pouss�es � un milieu que les humains y trouvent une source d'innovations techniques et industrielles (par exemple, les attaches scratch ou velcro, les industries pharmaceutique, et chimique). voir :bionique.
+Cette complexit� n'a pu voir le jour sans le pouvoir qu'a la s�lection naturelle d'accumuler les � bonnes � innovations g�n�tiques :
+Chaque innovation �volutive appara�t de mani�re al�atoire. La s�lection naturelle favorise ensuite chacun de ces petits "sauts" �volutifs (a, puis ab, puis abc... puis abcde). Elle permet ainsi l'apparition d'adaptations de plus en plus pouss�es (abcde). En effet, si le caract�re (a) n'avait pas �t� s�lectionn�, le caract�re (abcde) ne serait jamais apparu. Car (c) d�pend de (a). Un caract�re complexe, comme une enzyme, r�sulte d'une accumulation d'innovations s�lectionn�es successivement, et non de simples apparitions ind�pendantes, au hasard des innovations g�n�tiques (m�me si certains "sauts" �volutifs peuvent �tre plus ou moins importants ou graduels, voir �quilibre ponctu�). Donc la s�lection naturelle ne fait pas que favoriser les adaptations les plus complexes ; elle permet aussi leur apparition.
+Cela n'est valable que si la s�lection naturelle s'op�re de mani�re continue, ce qui est envisageable par une comp�tition intra-sp�cifique, que Malthus et Darwin estiment in�vitable dans une population. En effet les �tres vivants ont une tendance naturelle et universelle � se reproduire en plus grand nombre qu'� la g�n�ration pr�c�dente.
+Les simples innovations dues au hasard sur quelques g�n�rations ne suffisent pas � rendre compte de la complexit� des �tres vivants et de leur adaptation � leur milieu. Il faut la s�lection naturelle pour accumuler les petites innovations et pour en arriver � un organe aussi complexe que l'oeil de mammif�re, par exemple.
+Cela peut �tre une r�ponse aux critiques de certains n�o-cr�ationnistes, qui affirment que les syst�mes vivants (enzymes...) sont trop complexes et harmonieux pour que leur apparition ne soit due qu'� des mutations al�atoires, et que donc selon eux il n'aurait pas eu d'�volution.
+Comme toutes les autres esp�ces animales, l'esp�ce humaine est le produit de l'�volution et de la s�lection naturelle. Par exemple, on peut penser que la bip�die a offert dans le pass� un tel avantage s�lectif aux individus capables de se d�placer debout que les g�nes associ�s � ce mode de locomotion se sont r�pandus dans toute la population humaine.
+Il reste n�anmoins difficile de reconstruire le d�tail de l'histoire �volutive de notre esp�ce et en particulier d'identifier quels facteurs exacts et quels processus pr�cis ont pu intervenir dans l'�volution humaine (e.g., s�lection sexuelle, s�lection de groupe, s�lection culturelle, d�rive g�n�tique ...) Dans certains cas, il est n�anmoins possible d'identifier les pressions de s�lection et les adaptations r�sultant de la s�lection naturelle dans les populations humaines. L'un des exemples les plus document�s est la capacit� de r�sistance au paludisme. Les individus porteurs d'un g�ne entra�nant une anomalie de leurs cellules sanguines r�sistent mieux au parasite qui cause cette maladie. Par contre, leurs enfants courent le risque de souffrir de dr�panocytose s'ils h�ritent de ce g�ne des deux parents. L'avantage s�lectif fournit par la r�sistance au paludisme permet donc d'expliquer pourquoi dans les populations humaines o� ce parasite est end�mique (Afrique) se maintient l'all�le d'un g�ne pouvant entra�ner une maladie relativement grave.
+L'une des tentatives les plus d�cri�es d'appliquer la th�orie darwinienne � l'esp�ce humaine fut l'utilisation qu'il fut faite de la sociobiologie d�velopp�e par E.O. Wilson pour expliquer le comportement des esp�ces ultra-sociales (fourmis, termites, abeilles, ...). En effet, m�me s'il est vrai que l'une des caract�ristiques de l'�tre humain (et aussi d'autres primates) est son mode de vie tr�s social, la th�orie de Wilson n�cessite aussi un mode de reproduction et d'organisation sociale tr�s particulier dite eusocialit�, tr�s diff�rents de ce qu'on observe chez les humains. Comme s'en d�fend Wilson lui-m�me, il est donc absurde de vouloir appliquer directement les conclusions des travaux men�s sur ces esp�ces � l'esp�ce humaine. Toutefois certains outils th�oriques d�velopp�s initialement dans le cadre de la sociobiologie peuvent se r�v�ler parfaitement pertinents pour l'�tude de l'homme.
+Le d�fi majeur de la pal�oanthropologie reste n�anmoins de parvenir � un cadre th�orique pour expliquer l'�volution humaine au moyen de m�canismes plus riches que la seule s�lection naturelle. Or l'importance de ph�nom�nes comme la culture, la s�lection sexuelle, la d�rive g�n�tique reste difficile � �valuer :
+� Ainsi, m�me dans le cadre des th�ories modernes de l'�volution, qu'on appelle n�odarwinisme ou th�orie synth�tique de l'�volution, les �volutionnistes s'efforcent de r�server une place � part � l'homme, �tant entendu que si son corps a �volu�, il reste que ce qui fait l'humain �chappe aux lois de l'�volution. �+
Un exemple r�cent d'une telle difficult� concerne le r�le de la s�lection de groupe. Alors que ce m�canisme qui "favorise la survie du groupe au d�triment de la survie de l'individu" a �t� tr�s critiqu� dans l'�volution animale. Il semble que l'une des particularit�s de l'esp�ce humaine est que justement, des ph�nom�nes de s�lection multi-niveaux ont pu jouer un r�le important au cours de son �volution et en particulier dans l'�volution de sa psychologie.
+Tout comportement a une composante g�n�tique et h�r�ditaire. Il a �t� d�montr� que l'environnement pouvait agir sur l'�volution d'un comportement h�r�ditaire et inn�, chez certains animaux.
+Quant � la culture qui ne se transmet pas par l'ADN, mais par l'apprentissage, elle peut �galement �tre sujette � une s�lection. Par exemple, si j'ai un comportement qui m'apporte de la satisfaction, comme m'habiller � la mode, je le reproduirai et je l'enseignerai ou on m'imitera. Et inversement, ce comportement ne sera pas transmis, si cela ne donne pas satisfaction. La th�orie de la m�m�tique �mise par Richard Dawkins, d�signe ces entit�s, qu'on appelle m�mes, comme �l�ments de base de la s�lection que subit la culture, au m�me titre que le sont les g�nes pour l'�volution du vivant.
+En retour la culture peut entra�ner de nouvelles conditions de vie, et donc modifier la s�lection naturelle. Par exemple l'utilisation de lait de vache dans l'alimentation a favoris� les g�notypes tol�rants � la digestion du lactose (sucre pr�sent dans le lait).
+Ainsi, l'�volution de la culture serait le produit d'une interaction entre une s�lection naturelle et une s�lection culturelle [r�f. n�cessaire].
+Ainsi on peut envisager que ce mod�le d'�volution faisant jouer des r�troactions puisse suivre un cercle vicieux ou vertueux, ce qui entra�ne une �volution perp�tuelle et continue. � condition que les r�troactions soient positives. Ce mod�le est corrobor� par les observations : la culture humaine suit bien une �volution continue [r�f. n�cessaire], et les structures anatomiques qui ont permis cette �volution (volume cr�nien, structure du cortex) ont aussi �volu� de mani�re continue depuis 2 millions d'ann�es, au moins.
+La culture humaine, qui fait toute la singularit� de notre esp�ce, pourrait donc �tre le r�sultat d'un tel mod�le d'�volution, avec une certaine ind�pendance vis-�-vis de l'environnement, si on ne tient pas compte des modifications engendr�es par les humains eux-m�mes.
+E.O. Wilson parle de co-�volution des g�nes et de la culture. Mais cette approche est critiqu�e[r�f. n�cessaire].
+Cela est expliqu� par certains scientifiques dans la th�orie de la construction de niche : le comportement ou une autre activit� peut influencer sur l'environnement imm�diat (la niche �cologique) et, en retour, modifier la pression de s�lection naturelle.
+Lorsque les fr�quences de certaines variations h�r�ditaires changent uniquement � cause du hasard, on parle de d�rive, voire (si le groupe est tr�s r�duit) d'effet fondateur. Ces caract�res doivent �tre relativement neutres pour la s�lection naturelle (il n'y a ni avantage, ni d�savantage s�lectif). Si une m�me �volution se produit de mani�re r�p�t�e dans un m�me milieu au cours des g�n�rations, ce n'est pas la d�rive, mais on peut parler de s�lection.
+Dans le cadre de cette th�orie, tout syst�me dans lequel s'observeraient ces trois premiers principes donnerait lieu � un ph�nom�ne d'�volution par s�lection naturelle. Dans le monde vivant, la transmission h�r�ditaire de l'information g�n�tique, qui ob�it � ces trois principes, r�sulte donc dans une �volution des esp�ces par s�lection naturelle. Cependant, d'un point de vue th�orique, l'�volution par s�lection naturelle ne d�pend pas de la nature pr�cise des m�canismes qui permettent l'apparition de variations, la transmission h�r�ditaire et la traduction de l'information h�r�ditaire en caract�res ph�notypiques. Le fait que Darwin lui-m�me ignorait jusqu'� l'existence des g�nes illustre bien le distinguo qu'il convient de faire entre le cadre th�orique de la s�lection darwinienne et ses manifestations observables dans les �cosyst�mes terrestres.
+Par cons�quent, les ph�nom�nes �volutionnaires observ�s dans le monde vivant pourraient tout � fait se manifester dans d'autres syst�mes qui mettraient en oeuvre les trois principes fondamentaux de la s�lection darwinienne. C'est par exemple, l'hypoth�se faite en exobiologie selon laquelle des formes de vie extraterrestres pourraient �tre apparues sur la base de m�canismes fondamentaux diff�rents de ceux que l'on connait de la biologie terrestre. Au sein de telles formes de vie �voluant par s�lection naturelle, on devrait donc observer des ph�nom�nes similaires � ceux que l'on connait sur Terre : adaptation, co�volution, reproduction sexu�e...
+Les plus adaptationnistes des biologistes de l'�volution (comme Simon Conway Morris) ont ainsi propos� que les contraintes environnementales sont suffisamment fortes et similaires pour que les formes de vie extraterrestres devraient pr�senter d'importantes convergences �volutives avec la vie terrestre ; parmi lesquelles la pr�sence d'yeux, l'eusocialit�, ou des capacit�s cognitives complexes.
+Plus pr�s de nous, l'application des principes de la s�lection naturelle � la sph�re culturelle humaine a donn� lieu � la m�m�tique qui cherche � expliquer les variations, la transmission, et la stabilisation des ph�nom�nes culturels par analogie avec les esp�ces vivantes. Dans ce cadre th�orique, les m�mes sont les unit�s de s�lection, ou r�plicateurs, des ph�nom�nes culturels. La s�lection intervient sur les m�mes en fonction de leur capacit� � "survivre" c'est-�-dire � persister dans l'esprit des individus et de leur capacit� � "se reproduire", c'est-�-dire � passer d'un individu � un autre par l'imitation, la communication, l'enseignement, etc. � chaque reproduction, un m�me peut donc "muter" : � force d'�tre racont�e, une m�me histoire sera par exemple d�form�e, c'est le principe du t�l�phone arabe. Ainsi, malgr� les diff�rences notables entre la nature des r�plicateurs biologiques et culturels, certaines analogies peuvent �tre envisag�es : co�volution (y compris entre g�ne et m�me) ou formation de complexes de m�mes. La pertinence de l'application de la th�orie darwinienne aux ph�nom�nes culturels reste n�anmoins tr�s d�battue.
+Enfin on peut aussi citer l'exemple des algorithmes �volutionnaires utilis�s dans le domaine de l'optimisation en ing�nierie. Ceux-ci permettent de rechercher une solution � un probl�me donn� en mettant en comp�tition une population de solutions potentielles dont seules les meilleures sont conserv�es pour �tre recombin�es et donner naissance � une nouvelle g�n�ration de solutions.
+�tant donn� que dans cette m�thode la s�lection est le r�sultat d'une intervention humaine, ce cas rel�ve plut�t de la s�lection artificielle.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Les t�l�communications sont d�finies comme la transmission � distance d'informations avec des moyens � base d'�lectronique et d'informatique. Ce terme a un sens plus large que son acception �quivalente officielle � communication �lectronique �. Elles se distinguent ainsi de la poste qui transmet des informations ou des objets sous forme physique.
+Dans les d�buts des t�l�communications modernes, des inventeurs comme Antonio Meucci, Alexander Graham Bell ou Guglielmo Marconi ont mis au point des dispositifs de communication comme le t�l�graphe, le t�l�phone ou la radio. Ceux-ci ont r�volutionn� les moyens traditionnels tels que les pavillons ou le t�l�graphe optique Chappe.
+A l'�poque actuelle, les t�l�communications concernent g�n�ralement l'utilisation d'�quipements �lectroniques associ�s � des r�seaux analogiques ou num�riques comme le t�l�phone fixe ou mobile, la radio, la t�l�vision ou l'ordinateur. Celles-ci sont �galement une partie importante de l'�conomie et font l'objet de r�gulations au niveau mondial.
+Le mot t�l�communications vient du pr�fixe grec tele- (XXXX-), signifiant loin, et du latin communicare, signifiant partager. Le mot t�l�communication a �t� utilis� pour la premi�re fois en 1904 par �douard Estauni�, ing�nieur aux Postes et T�l�graphes, directeur de 1901 � 1910 de l'�cole professionnelle des Postes et T�l�graphes (anc�tre de l'�cole nationale sup�rieure des t�l�communications), dans son Trait� pratique de t�l�communication �lectrique.
+Les t�l�communications (abr�v. fam. t�l�coms), sont consid�r�es comme des technologies et techniques appliqu�es et non comme une science.
+On entend par t�l�communications toute transmission, �mission et r�ception � distance, de signes, de signaux, d'�crits, d'images, de sons ou de renseignements de toutes natures, par fil �lectrique, radio�lectricit�, liaison optique, ou autres syst�mes �lectromagn�tiques.
+Les moyens simples naturels anciens comme la parole ou les signaux � vue, permettent de communiquer � courte distance. Le besoin de communiquer � plus grande distance dans les soci�t�s humaines organis�es a amen� tr�s vite � d�velopper des t�l�communications primitives : tambours, signaux de fum�e, langage siffl�, etc..
+Certains de ces types de communications, comme les pavillons, s�maphores ou h�liographes sont encore utilis�s dans la marine, m�me si cet usage est devenu marginal.
+Bien que la communication par signaux optiques entre des points hauts soit tr�s ancienne, on doit � l'ing�nieur Claude Chappe la cr�ation � partir de 1794 du premier r�seau simple et efficace de transmission optique de messages. Ce r�seau qu'il a nomm� � t�l�graphe � fut d�velopp� sur les grands axes fran�ais et resta en service jusqu'en 1848.
+Le premier service commercial de t�l�graphe �lectrique fut construit par Charles Wheatstone et William Fothergill Cooke, et ouvrit en 1839. C'�tait une am�lioration du t�l�graphe �lectromagn�tique d�j� invent�. Samuel Morse d�veloppa ind�pendamment une version de t�l�graphe �lectrique, qu'il montra le 2 septembre 1837. Le code Morse �tait une avance importante sur le t�l�graphe de Wheatstone.
+Le premier c�ble t�l�graphique transatlantique fut achev� le 27 juillet 18665. Sa longueur �tait de 4200 km pour un poids total de 7000 tonnes.
+Le t�l�phone classique fut invent� ind�pendamment par Alexander Bell et Elisha Gray en 1876. Cependant, c'est Antonio Meucci qui inventa le premier dispositif permettant la transmission de la voix � l'aide d'une ligne parcourue par un signal.
+Le domaine des t�l�communications est un lieu de convergence et d'interaction entre les diff�rentes technologies et disciplines scientifiques.
+Les math�matiques et plus particuli�rement les math�matiques appliqu�es sont � la base du d�veloppement des th�ories du traitement du signal (modernisation des t�l�communications), de la cryptologie (s�curisation des �changes), de la th�orie de l'information et du num�rique.
+La physique a permis gr�ce au d�veloppement des math�matiques d'�difier la th�orie de l'�lectromagn�tisme. Sont apparus alors les premiers postes � gal�ne, puis les tubes � vides, les semi-conducteurs et l'opto-�lectronique, qui sont � la base de l'�lectronique.
+La chimie, par le biais de l'affinement des processus chimiques, a permis de r�duire le poids et d'allonger l'autonomie des batteries, autorisant l'emploi d'appareils portatifs de t�l�communications. De m�me, l'invention du laser a ouvert la voie aux communications par fibres optiques modernes.
+L'informatique fondamentale et appliqu�e quant � elle a r�volutionn� le monde de la communication � distance par le d�veloppement des langages de programmation et des programmes informatiques (g�nie logiciel) associ�s � la micro-�l�ctronique.
+Une liaison de t�l�communications comporte trois �l�ments principaux :
+Par exemple, en radiodiffusion, l'�metteur de radiodiffusion �met gr�ce � son antenne la voix ou la musique, qui passe dans l'espace sous forme d'onde �lectromagn�tique, jusqu'� un r�cepteur AM ou FM qui la restitue.
+Les liaisons de t�l�communications peuvent �tre monodirectionnelles, comme en radiodiffusion ou t�l�vision, ou bidirectionnelles, utilisant alors un �metteur-r�cepteur. Quand plusieurs liaisons sont interconnect�es entre plusieurs utilisateurs, on obtient un r�seau, comme par exemple le r�seau t�l�phonique ou internet.
+La transmission s'effectue par diff�rents m�dias selon les syst�mes. Historiquement le fil t�l�phonique fut le premier support de t�l�communication et permit le d�veloppement du t�l�graphe et du t�l�phone. Il est toujours le m�dia principal pour le raccordement aux r�seaux t�l�phonique et aux r�seaux informatiques (t�l�phone, fax, minitel, internet, ...), sous forme de paire(s) torsad�e(s).
+Le c�ble coaxial �tait le m�dia du haut d�bit avant l'apparition des fibres optiques, il est toujours utilis� dans les r�seaux industriels en raison de sa robustesse face aux perturbations. C'est aussi le support de pr�dilection pour les raccordement en radiofr�quence � l'int�rieur d'un �quipement, parfois remplac� par le guide d'onde pour les transmissions de micro-ondes de forte puissance.
+La fibre optique, qui raccorde progressivement les abonn�s en ville, est aussi le m�dia des c�bles sous-marins modernes. C'est un fil en verre ou en plastique tr�s fin qui a la propri�t� de conduire la lumi�re.
+La � radio �, qui peut �tre d�finie comme toute communication par l'interm�diaire de l'espace hertzien, a r�volutionn� les t�l�communications au d�but du xxe si�cle. C'est le m�dia de la radiodiffusion de programmes, des services de communications en radiot�l�phonie, des r�seaux de t�l�phonie mobile, du Wi-Fi, des loisirs radio comme le radioamateurisme, des liaisons par satellite de t�l�communications ou par faisceau hertzien, aussi bien que des simples t�l�commandes domestiques. La radio�lectricit� �tudie la transmission hertzienne, la propagation des ondes, les interfaces avec l'�metteur et le r�cepteur par l'interm�diaire des antennes.
+Les liaisons optiques dans l'espace, donc non guid�es par fibres, sont utilis�es en communications par satellites, ainsi que dans des applications aussi simples que les t�l�commandes audio-vid�o.
+Enfin, certains milieux ne peuvent �tre travers�s que par des ondes acoustiques, c'est le cas des communications dans les mines, ou entre plongeurs, qui s'effectue par ondes ultra-sonores.
+Quel que soit le m�dia de transmission, un �metteur convertit l'information en signal �lectrique, optique ou radio�lectrique adapt� au m�dia, en le modulant et en l'amplifiant. Inversement, un r�cepteur convertit le signal transmis en information utilisable.
+La technique de ces fonctions d'interface est donc tr�s d�pendante du m�dia, de la fr�quence d'utilisation, et surtout de la puissance n�cessaire pour compenser les pertes de propagation. Ainsi, la transmission sur une ligne Ethernet par exemple n'utilise que quelques circuits int�gr�s et du c�ble de faible section, alors qu'une liaison vers une sonde plan�taire demande des �metteurs de forte puissance et des antennes de plusieurs dizaines de m�tres.
+Dans un canal de transmission hertzien, le signal port� par l'onde radio�lectrique est att�nu� par la perte d'espace, les absorptions atmosph�riques et les pr�cipitations, et d�grad� par les diffractions et r�flexions. L'�quation des t�l�communications inclut tous ces facteurs et d�termine la puissance et les antennes n�cessaires.
+L'antenne radio�lectrique convertit les signaux �lectriques en onde radio�lectrique � l'�mission, et inversement en r�ception. De nombreux types d'antennes ont �t� d�velopp�es, selon la fr�quence d'utilisation, le gain n�cessaire et l'application, depuis les antennes miniatures int�gr�es aux t�l�phones mobiles, jusqu'aux paraboles g�antes de radioastronomie.
+Dans les applications bidirectionnelles, comme la radiot�l�phonie, les deux fonctions peuvent �tre combin�es dans un �metteur-r�cepteur. Un r�cepteur suivi d'un �metteur constituent un r�p�teur, par exemple sur un satellite de t�l�communication, ou dans un c�ble sous-marin.
+Le partage du m�dia entre utilisateurs se fait par les techniques d'affectation, de multiplexage et d'acc�s multiple.
+L'affectation de fr�quences par bande et par service sur le m�dia hertzien est la premi�re technique apparue pour emp�cher les brouillages mutuels.
+� l'int�rieur d'une bande de fr�quences, le multiplexage fr�quentiel est la division d'un m�dia de transmission en plusieurs canaux, chacun �tant affect� � une liaison. Cette affectation peut �tre fixe, par exemple en radiodiffusion FM, une station �met � 96,1 MHz, une autre � 94,5 MHz. L'affectation des fr�quences peut �tre dynamique comme en FDMA (Acc�s multiple par division en fr�quence), utilis�e par exemple lors de transmissions par satellite. Chaque utilisateur du canal y re�oit dans ce cas une autorisation temporaire pour une des fr�quences disponibles.
+En communications num�riques, le multiplexage peut �galement �tre temporel ou par codage :
+Le fonctionnement de ces techniques d'acc�s multiple n�cessitent des protocoles pour les demandes d'affectation, les adressages, dont le plus connu est le TCP/IP d'Internet.
+Le traitement du signal permet d'adapter l'information (sous forme de signal analogique ou num�rique) au m�dia de transmission et de la restituer apr�s r�ception.
+� l'�mission, les techniques de compression permettent de r�duire le d�bit n�cessaire, id�alement sans perte de qualit� perceptible, par exemple sur la musique (MP3) ou sur la vid�o (MPEG), les codages transforment le signal d'information binaire en une forme adapt�e � la modulation.
+� la r�ception, les op�rations inverses sont effectu�es : d�modulation, d�codage, correction et d�compression. La correction d'erreur permet, gr�ce � un ajout d'information redondante par un code correcteur, de diviser de plusieurs ordres de grandeur le taux d'erreur.
+Ces techniques varient selon que les signaux � transmettre sont analogiques, comme la musique, la voix, l'image, ou num�riques, comme les fichiers ou les textes. Un signal analogique varie contin�ment alors qu'un signal num�rique est une succession d'�tats discrets, binaires dans le cas le plus simple, se succ�dant en s�quence.
+Dans de nombreuses applications (TNT, t�l�phonie mobile, etc), le signal analogique est converti en num�rique, ce qui permet des traitements plus efficaces, en particulier le filtrage du bruit 8. Seuls la modulation, l'amplification et le couplage au m�dia restent alors analogiques.
+Un ensemble de liaisons et de fonctions permettant d'assurer un service, constitue un syst�me de t�l�communications.
+Ainsi le syst�me de satellites Inmarsat, destin� aux communications mobiles, comporte plusieurs satellites, plusieurs type de liaisons d'utilisateurs selon les d�bits et usages, des milliers de terminaux adapt�s, et des liaisons de t�l�mesure et de t�l�commande permettant le contr�le des satellites depuis les stations terrestres, celles-ci �tant �galement connect�es par des liaisons terrestres d�di�es.
+Un syst�me de t�l�communications peut avoir une architecture :
+Un r�seau de radiot�l�phonie de secours est un r�seau simple entre un central et des mobiles, g�r� par des proc�dures radio et des op�rateurs.
+Un r�seau commut� comme le r�seau t�l�phonique comporte des liaisons individuelles d'abonn� comme une ligne analogique ou une ligne RNIS, des centraux t�l�phoniques pour �tablir un circuit entre deux abonn�s et des liaisons haut d�bit pour relier les centraux t�l�phoniques.
+Un r�seau par paquet, comme Internet, comporte des routeurs qui aiguillent les paquets d'information d'une machine vers une autre d�sign�e par son adresse IP.
+Le transport de la voix par la t�l�phonie, fut la premi�re avanc�e des t�l�communications, juste apr�s les premiers t�l�graphes. Le t�l�phone est l'appareil qui sert � tenir une conversation bidirectionnelle avec une personne lointaine. Il est utilis� � titre priv�, pour garder le contact avec ses proches ou � titre professionnel, pour �changer des informations orales sans avoir � se rencontrer physiquement.
+La t�l�phonie qui repose sur le r�seau t�l�phonique permet �galement des services plus avanc�s tels que la messagerie vocale, la conf�rence t�l�phonique ou les services vocaux. La ligne t�l�phonique sert aussi de solution d'acc�s � Internet, d'abord avec un modem en bas d�bit, puis en haut d�bit gr�ce � l'ADSL.
+La radiot�l�phonie, c'est � dire la communication � distance sans fil, a d'abord �t� appliqu�e aux communications maritimes pour en accro�tre la s�curit�, puis militaires d�s la premi�re guerre mondiale, avant de devenir un media populaire avec la TSF. La radiot�l�phonie est encore le moyen principal de communication du contr�le a�rien, des liaisons maritimes par la radio maritime et des liaisons de s�curit� (police, secours). C'est aussi l'activit� principale du radioamateurisme.
+La radiodiffusion est la distribution de programmes � partir d'un �metteur vers des auditeurs �quip�s d'un r�cepteur. D'abord en modulation d'amplitude en basse fr�quence (GO) et moyenne fr�quence (PO), puis en modulation de fr�quence en VHF, elle �volue vers la radio num�rique, diffus�e par satellite ou en VHF terrestre.
+La t�l�phonie mobile est la possibilit� de t�l�phoner sans connexion filaire soit par une solution terrestre bas�e sur des zones de couverture de relais, soit par satellite. Le d�veloppement de ce moyen de communication est un ph�nom�ne de soci�t� remarquable de la fin du xxe si�cle. Le geste de t�l�phoner dans la rue devient banal, au point d'inqui�ter sur ses risques sanitaires et de cr�er un langage particulier, le langage SMS. En attendant de voir partout les programmes de t�l�vision sur mobile en cours de d�veloppement, l'acc�s � Internet est d�j� facile sur les derni�res g�n�rations de t�l�phones.
+La transmission d'images fixes par ligne t�l�phonique remonte au b�linographe, et est toujours utilis�e sous le nom abr�g� de fax, comme �change de pages photocopi�es, documents commerciaux ou technique. Le radiofacsimil� qui permet de transmettre des images par radio est utilis� surtout pour la diffusion de cartes m�t�o, soit directement depuis les satellites d'observation, soit retransmises vers les navires ou les terrains d'aviation.
+Apr�s le t�l�phone et la radio, la t�l�vision est pr�sente dans tous les foyers. Les for�ts d'antennes yagi et de paraboles ont envahi les villes, les cha�nes satellites, d'abord analogiques puis num�riques ont multipli� les programmes nationaux et internationaux.
+Les r�cepteurs modernes � plasma ou LCD fournissent des images de haute qualit� et la t�l�vision num�rique terrestre augmente encore le choix des usagers.
+La transmission d'images simultan�es � une liaison de t�l�phonie est possible gr�ce � la visioconf�rence utilisant des canaux � haut d�bit d�di�s, par la transmission � balayage lent analogique ou SSTV, immortalis�e par les premiers pas sur la lune, et par les techniques num�riques nouvelles, webcam sur internet ou t�l�phone mobile de derni�re g�n�ration.
+Le t�l�graphe est l'anc�tre des transmissions de donn�es et la premi�re application des t�l�communications : transmettre des caract�res, donc un message, par signaux optiques, puis sur une ligne puis par ondes radio (radiot�l�graphie). Le t�l�type puis le radiot�l�type l'ont automatis�.
+Un r�seau informatique est un ensemble d'�quipements reli�s entre eux pour �changer des informations. Quoique l'internet ne soit pas le seul syst�me de r�seau informatique, il en est presque devenu synonyme. La structure d'internet est complexe et peut se s�parer en plusieurs parties :
+La t�l�mesure, terrestre comme en hydrologie ou en m�t�rologie, ou spatiale comme les images m�t�osat ou celles des sondes plan�taires lointaines, permet la surveillance des installations industrielles, augmente notre connaissance de l'environnement, du climat ou de l'univers.
+La t�l�commande, la plus simple comme en domotique ou en HiFi et vid�o, ou la plus complexe comme celle des robots martiens, est la commande � distance sans fil, optique ou radio, g�n�ralement coupl�e � la t�l�mesure.
+Le signal radio�lectrique peut contenir d'autres informations, comme des param�tres permettant les calculs de position, le temps universel, la d�tection de cibles ou la cartographie du terrain.
+Quoique le radar ne soit pas � proprement parler un syst�me de communication, mais de t�l�d�tection, ses techniques combinent micro-onde, traitement du signal, radio�lectricit�, et peuvent �tre rattach�es au monde des t�l�communications.
+Initialement d�velopp� pour la d�tection des raids a�riens, le radar fut tr�s vite install� sur les navires, puis les avions.
+D'abord militaire puis civil, le contr�le a�rien et maritime utilisent intensivement le radar pour la s�curit�. Enfin le radar m�t�orologique permet de cartographier les pluies et nuages, y compris depuis les satellites d'observation.
+La radionavigation a permis, d�s les d�buts de la radio, d'aider � la navigation maritime puis a�rienne, gr�ce � la radiogoniom�trie et aux radiophares, puis aux syst�mes hyperboliques comme le LORAN. Les syst�mes de navigation par satellite comme le GPS sont devenus un �quipement courant des v�hicules, en attendant le d�veloppement du futur Galileo.
+Les syst�mes d'identification automatique comme l'AIS et de d�tection d'obstacle am�liorent la s�curit� de la navigation.
+La diffusion du temps universel et de signaux horaires est int�gr�e aux signaux de radionavigation GPS actuels, mais a longtemps �t� un service sp�cifique d'aide � la navigation astronomique, ou de synchronisation scientifique, par �missions HF comme le WWV, ou BF comme l'�metteur d'Allouis ou le DCF.
+Pour leurs t�l�communications, les militaires utilisent des m�thodes de discr�tion comme l'�vasion de fr�quence, et de cryptage, sur des r�seaux de radiot�l�phonie HF et VHF, ou des satellites d�di�s, comme Syracuse. les gouvernements utilisent �galement les techniques radio�lectriques dans un but de renseignement �lectromagn�tique, comme le syst�me Echelon d'�coute satellitaire 9, ou des syst�mes de brouillage et de contre-mesures radio�lectriques.
+Les t�l�communications repr�sentent un secteur d'activit� �conomique significatif.
+Les t�l�communications sont un �l�ment crucial de la soci�t� moderne. En 2006, l'industrie des t�l�communications repr�sentait un revenu de 1 200 milliards de dollars, soit 3 % du revenu mondial.
+� l'�chelle micro�conomique, les entreprises utilisent les t�l�communications pour construire leur activit�, comme les ventes en ligne, ou am�liorer leur efficacit�, comme les magasins traditionnels. Dans le monde entier, des services � domicile peuvent �tre obtenus sur simple appel t�l�phonique, des livraisons de pizzas au d�pannage. Dans les communaut�s les plus pauvres, le t�l�phone mobile sert aussi bien au Bangladesh qu'en C�te d'Ivoire pour n�gocier les ventes agricoles au meilleur prix du march�.
+En raison des avantages �conomiques d'une infrastructure correcte de t�l�communications, � laquelle une grande partie du monde n'a pas acc�s, l'�cart de d�veloppement par manque de t�l�communications, ou fracture num�rique, peut se creuser.
+Les t�l�communications modernes permettent de transmettre de l'image, du son et du texte dans le monde entier. Ces moyens techniques sont neutres par rapport � leur contenu. Cependant, les t�l�communications sont � l'origine de d�bats en termes d'uniformisation de la culture, d'identit� nationale ou, au contraire, de nouvelles possibilit�s d'expression, de communication permettant de s'affranchir des fronti�res et des espaces traditionnels.
+Le d�veloppement des moyens de transmission hertzien, terrestre puis satellitaire, a favoris� le d�ploiement � grande �chelle des m�dias de masse (radio, t�l�vision...) dans les soci�t�s 14, modifiant ainsi les modes de pens�e et les sch�mas culturels traditionnels. Par exemple, pendant la guerre froide, la radio re�ue internationalement en ondes courtes depuis les �metteurs am�ricains vers la RDA, russes vers l'Europe ou chinois install� en Albanie, a servi de m�dia de propagande entre deux id�ologies. La t�l�vision par satellite dont les paraboles garnissent les immeubles des banlieues europ�ennes, permet aux communaut�s minoritaires de garder leur lien culturel.
+Enfin, la convergence des r�seaux num�riques et des infrastructure de t�l�communications mondiales permet de se connecter au Web par le biais du r�seau Internet presque en tout point de la surface terrestre. Ce nouveau mode de communication transforme progressivement les mani�res d'�changer, de communiquer et de travailler 15 non seulement dans une soci�t� mais aussi entre soci�t�s de cultures diff�rentes.
+Cependant, on trouve aussi sur le Web par exemple des albums CD et des films avant leur mise en vente, ce qui provoque des r�actions restrictives, voire polici�res, des grands distributeurs. Les informations vraies ou fausses peuvent circuler en quelques jours, les groupes extr�mistes ou criminels peuvent s'organiser sans limitation.
+Les industriels des t�l�communications con�oivent et produisent des �quipements et des logiciels destin�s aux t�l�communications. Ils participent aussi � la normalisation en proposant de nouvelles solutions aux organismes de standardisation.
+Les constructeurs peuvent �tre des entreprises multinationales issues de plusieurs fusions-acquisitions comme Aastra, Alcatel-Lucent, Nokia-Siemens, ou des start-up comme Fortinet. Ils sont majoritairement d'Am�rique du Nord : Cisco, 3Com, Nortel, d'Europe : Alcatel-Lucent, Ericsson, Nokia ou de Chine (ROC ou RPC) : Huawei, ZTE,D-Link.
+Certains constructeurs se focalisent sur une technologie comme Extreme Networks sur l'Ethernet. D'autres, comme Cisco, essayent de couvrir toutes les technologies, tous les march�s (particulier, entreprise, op�rateur de t�l�communications), tous les services (support, installation, architecture, etc).
+Un op�rateur de t�l�communications est une entreprise qui commercialise des services en utilisant les infrastructures de t�l�communications. Ce peut-�tre une entreprise ind�pendante, ou une filiale d'un constructeur, qui loue une capacit� sur un r�seau pour vendre des abonnements et des connexions individuelles, ou encore une entreprise publique propr�taire du r�seau, comme les op�rateurs historiques europ�ens.
+L'interop�rabilit� entre �quipements ou syst�mes diff�rents n�cessite des standards et des protocoles de t�l�communications pr�cis qui �voluent en versions successives selon les avances techniques. Un fabricant dont une ou plusieurs innovations sont � la base d'une norme ou d'un standard, est assur� de prendre une avance significative sur son march�, les constructeurs d'�quipements tissent donc des liens tr�s �troits avec les organismes de normalisation et de standardisation.
+Parmi les principaux organismes de normalisation-standardisation mondiaux, citons :
+Pour optimiser l'utilisation du spectre de fr�quence et limiter les interf�rences entre syst�mes, les �tats s'accordent au niveau international :
+Chaque pays g�re ces r�glementations internationales � l'int�rieur de ses fronti�res, sous le contr�le d'administrations nationales :
+Le secteur des t�l�communications �tait historiquement li� � la puissance publique de chaque �tat et exploit� par cet �tat. Depuis les ann�es 1980 - 1990, un mouvement mondial de d�-r�glementation (ou d�-r�gulation) du secteur des t�l�communications est intervenu, amenant par exemple au d�groupage du r�seau t�l�phonique.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le RMS Titanic est un paquebot transatlantique britannique de la White Star Line, construit sous l'initiative de Joseph Bruce Ismay en 1907. Il a �t� con�u par l'architecte Thomas Andrews des chantiers navals Harland & Wolff. La construction d�bute en 1909 � Belfast en Irlande du Nord et se termine en 1912. C'est le plus luxueux et le plus grand paquebot jamais construit au moment de son lancement. Il appartient � la classe Olympic avec ses deux sister-ships, l'Olympic et le Britannic. Le Titanic est pourvu de seize compartiments �tanches servant � prot�ger le navire d'avaries importantes. Les m�dias lui ont ainsi donn� une r�putation de navire insubmersible.
+Lors de son voyage inaugural de Southampton � New York, il percute un iceberg sur le flanc tribord le 14 avril 1912 � 23 h 40 et coule le 15 avril 1912 � 2 h 20 au large de Terre-Neuve. Entre 1 490 et 1 520 personnes p�rissent, ce qui fait de cet �v�nement une des plus grandes catastrophes maritimes en temps de paix et la plus grande pour l'�poque.
+Son �pave est localis�e le 1er septembre 1985 par le professeur Robert Ballard. Elle git � 3 843 m�tres de profondeur � 650 km au sud-est de Terre-Neuve. L'histoire du paquebot a marqu� les m�moires, entra�nant la r�daction de nombreux ouvrages (historiques ou fictionnels) et la r�alisation de films dont Titanic de James Cameron, sorti en 1997, qui a entra�n� un regain d'int�r�t consid�rable au sujet du navire.
+Durant la fin de l'�t� 1907, pour concurrencer le Lusitania et le Mauretania, deux rapides paquebots de la Cunard Line, Lord William James Pirrie, associ� de la soci�t� des chantiers navals Harland & Wolff � Belfast, et Joseph Bruce Ismay, directeur g�n�ral de la compagnie maritime White Star Line, prennent la d�cision de construire une s�rie de trois paquebots capables de surpasser en confort, s�curit� et �l�gance ceux des autres compagnies maritimes concurrentes, qu'elles soient britanniques ou allemandes. Leurs noms, Olympic, Titanic et Gigantic (rebaptis� Britannic apr�s le naufrage de son jumeau) sont choisis par la suite.
+Les plans du Titanic et de l'Olympic (la construction du Gigantic doit d�buter plus tard) sont dessin�s dans les bureaux des chantiers navals Harland & Wolff sur Queen's Island � Belfast, en Irlande du Nord. � la t�te des op�rations se trouvent Alexander Montgomery Carlisle, directeur g�n�ral des chantiers navals et responsable des am�nagements, de la d�coration et des dispositifs de sauvetage des paquebots et Thomas Andrews, chef du D�partement Dessin et architecte naval. Au d�part en retraite d'Alexander Montgomery Carlisle, en 1910, Thomas Andrews prend sa place et devient ainsi Directeur G�n�ral des chantiers et de la conception.
+Le 31 juillet 1908, Joseph Bruce Ismay approuve le projet lors d'un d�placement � Belfast et signe une lettre d'accord avec les chantiers navals. Dans ce contrat est mentionn� le fait que les meilleurs produits doivent �tre utilis�s, et que les constructeurs doivent faire preuve de la plus grande ma�trise professionnelle.
+� l'automne 1908, les plans sont achev�s et les approvisionnements sp�ciaux ainsi que les �quipements non r�alisables par les chantiers Harland & Wolff sont command�s. Lord Pirrie fait agrandir les chantiers navals, notamment par la construction d'un immense portique qui est le plus grand �chafaudage du monde � l'�poque (256 m de long, 82 m de large et 52,60 m de haut ainsi que des grues de 69,50 m)13. Le 16 d�cembre 1908, la quille de l'Olympic est pos�e sur la cale de construction no 2. Elle porte le num�ro de chantier 400, la 400e commande re�ue par Harland and Wolff.
+Le 22 mars 1909, la quille du Titanic est pos�e sur la cale no 3, le num�ro de chantier �tant le 401. Les chantiers avancent tr�s vite et deux ans plus tard, au printemps 1911, la coque du Titanic est achev�e, elle est constitu�e de 2 000 t�les de trois centim�tres d'�paisseur maintenues par 3 millions de rivets.
+L'Olympic est lanc� le 20 octobre 1910 et le Titanic le 31 mai 1911, jour de l'anniversaire de Lord et Lady Pirrie qui assistent � la mise � l'eau du paquebot avec plus de 100 000 personnes : les employ�s des chantiers et leurs familles, des visiteurs, quelques personnalit�s et la presse sont pr�sents. Pour aider le Titanic � � glisser � dans l'eau, 20 tonnes de suif, d'huiles de vidange, de graisse de baleine et de savon sont �tal�s sur 2 cm le long des cales.
+Le Titanic, apr�s avoir r�ussi son lancement, est stopp� par six ancres retenues elles-m�mes par vingt-trois aussi�res en acier de 80 tonnes chacune et remorqu� � quai par cinq remorqueurs. Apr�s le lancement, invit�s, repr�sentants de la presse et personnalit�s sont convi�s � un d�je�ner donn� au Grand Central H�tel de Belfast. Au menu, pas moins de six plats et cinq desserts ou mises-en-bouche de cuisine fran�aise sont servis. Quant � Joseph Bruce Ismay et John Pierpont Morgan, ils quittent le repas pour se rendre sur l'Olympic qui doit subir ses essais en mer.
+Entre juin 1911 et mars 1912, plus de 3 000 professionnels (m�caniciens, �lectriciens, plombiers, �b�nistes, peintres, d�corateurs, ...) �quipent le Titanic des derni�res techniques navales et l'am�nagent avec des �l�ments d�coratifs et un mobilier somptueux. Le 18 septembre 1911, on annonce la date du voyage inaugural du paquebot, le 20 mars 1912.
+Mais, le 20 septembre, suite � une collision entre le croiseur de la Royal Navy, Hawke et l'Olympic lors de sa cinqui�me travers�e transatlantique, le Titanic doit �tre d�plac� et les 14 000 ouvriers travaillant � sa construction sont affect�s aux travaux de r�paration de l'Olympic, ce qui retarde consid�rablement la construction du paquebot. La White Star Line reporte le voyage inaugural au 10 avril. Le 30 novembre, une fois les r�parations de la coque de l'Olympic termin�es, celui-ci reprend son service et le Titanic rejoint sa cale s�che o� son armement se poursuivit. En janvier 1912, on installe les 4 chemin�es et le 3 f�vrier, les 3 imposantes h�lices sont pos�es sur le navire. Le 24 mars 1912, le Titanic est immatricul� � Liverpool, son port d'attache.
+Le 2 avril 1912, 78 chauffeurs et soutiers ainsi que 41 officiers et membres d'�quipage se trouvent � bord. � 6 h 00, le Titanic quitte son dock, tir� par quatre remorqueurs appartenant � la Red Funnel Line, sous le commandement d'Edward Smith, pr�c�demment commandant de l'Olympic. Toute la journ�e, le Titanic proc�de � des essais de vitesse et de manoeuvrabilit� (arr�ts d'urgence, mesures des qualit�s manoeuvri�res � diff�rentes vitesses). Durant ces essais, le Titanic montre qu'il peut stopper sur une distance de seulement trois fois sa longueur.
+� midi, les ing�nieurs, les repr�sentants du chantier et les repr�sentants du minist�re du commerce britannique inaugurent, en y d�je�nant, la salle � manger de 1re classe. Apr�s d'autres essais, le Titanic rentre � Belfast vers 18 h 00. Le nouveau paquebot ayant rempli toutes les exigences du gouvernement britannique, Francis Carruthers signe le certificat de navigabilit� no 131428, valable pour une dur�e d'un an19. Vers 20 h 00, le paquebot vire de bord et met le cap sur Southampton o� il est attendu dans la nuit du 3 au 4 avril.
+Apr�s avoir parcouru les 570 milles qui l'en s�parent, le Titanic arrive, peu avant minuit, au port de Southampton o� six remorqueurs de la Red Funnel Line l'attendent. Le navire accoste le quai no 44. Durant l'escale les chemin�es sont repeintes ainsi que le flanc b�bord de la coque. Une fois achev�, le Titanic a co�t� 1,5 million de livres soit 7,5 millions de dollars am�ricains � l'�poque (150 millions aujourd'hui).
+Le 10 avril 1912, � 12 h 15, le Titanic appareille de Southampton en Angleterre avec � son bord 953 passagers dont 31 trans-Manche et 886 membres d'�quipage. Lors de son d�part, il manque de peu de heurter le paquebot New York amarr� � un quai. Les remous caus�s par les h�lices du Titanic font rompre les amarres du New York, et ce dernier se rapproche rapidement du Titanic jusqu'� ce qu'il n'y ait plus que 2 m�tres qui les s�parent. Le commandant Edward Smith donne alors l'ordre de mettre les machines en arri�re toute, ce qui a pour effet de repousser le New York. Le Titanic quitte enfin Southampton avec une heure de retard. � 18 h 35, arriv� � Cherbourg en Normandie, 24 passagers trans-Manche d�barquent et 274 embarquent, principalement des 1re classe. Cependant le Titanic ne peut pas atteindre le port, car celui ci n'est pas assez profond pour la taille du paquebot. Ce sont donc deux navettes de la White Star Line, le Nomadic et le Traffic, qui se chargent de transborder les 274 passagers qui embarquent sur le Titanic. � 20 h 10, le paquebot appareille de Cherbourg pour Queenstown (aujourd'hui Cobh) en Irlande.
+Le 11 avril 1912, � 11 h 30, le Titanic arrive � Queenstown o� d�barquent sept passagers inter-ports et 120 passagers embarquent. Les passagers qui embarquent � ce moment l� sont en grande majorit� des passagers de 3e classes immigrant vers les �tats-Unis. � 13 h 30, le RMS Titanic quitte Queenstown pour New York avec � son bord 1 316 passagers et 885 membres d'�quipage. Le capitaine Edward Smith envisageait de prendre sa retraite apr�s cette travers�e ; il ne devait donc assurer le commandement du Titanic que pour cette unique fois.
+Le 12 avril 1912, � 19 h 45, le Titanic re�oit un message de La Touraine lui signalant un brouillard dense, une couche de glace �paisse, des icebergs et un navire abandonn� sur plusieurs points de l'Atlantique Nord. Ce message a �t� imm�diatement remis au commandant Edward Smith.
+Dans la journ�e du 13 avril 1912, le Titanic re�oit plusieurs messages lui signalant des icebergs, des growlers (petits icebergs de 1 m�tre par 5) et quelques champs de glace. Dans l'apr�s-midi, un incendie est �teint dans la salle des chaudi�res no 5. Il faisait rage depuis plusieurs jours (peut-�tre depuis le 2 avril) et avait �t� d�cel� le jour du d�part. Il ne s'agissait pas d'un fait inhabituel sur les navires de l'�poque mais celui-ci �tait d'une rare intensit� et une douzaines d'hommes ont �t� n�cessaires pour le ma�triser. � 22 h 30, le paquebot re�oit un avis du Rappahannock lui signalant un �pais champ de glace et plusieurs icebergs, la r�ception de ce message fut effectu�e par un officier.
+Le 14 avril 1912, alors que le Titanic a d�j� parcouru 1 451 milles (2 335 kilom�tres), le Caronia signale, vers 9 h 00, des glaces � 42�N, 49�O jusqu'� 51�O25. En d�but d'apr�s-midi, d'autres navires, dont le Baltic dela White Star signalent des glaces � peu pr�s au m�me endroit. Dans la soir�e, le Californian, envoie le m�me message. � 19 h 30, le paquebot re�oit trois nouveaux messages du Californian lui signalant de grands icebergs. � 22 h 00, la temp�rature ext�rieure devient nulle ainsi que celle de l'eau une demi-heure plus tard. � 22 h 55, le Californian, alors pris dans la glace � 20 milles au nord du Titanic, envoie un message � tous les navires alentour, parmi lesquels le Titanic.
+� 23 h 40, par 41�46' N et 50�14' O26, alors que le Titanic avance � 22,5 noeuds (41,7 km/h)27, le veilleur Frederick Fleet aper�oit un iceberg droit devant et le sigale � la passerelle. Le 1er officier William Murdoch, alors de quart, essaie de faire virer le navire vers b�bord et fait stopper les machines pour faire marche arri�re. Quelque 37 secondes plus tard, le navire vire mais l'iceberg le heurte par tribord et le choc fait tomber les rivets ouvrant ainsi une voie d'eau dans la coque sous la ligne de flottaison. Les portes �tanches sont alors imm�diatement ferm�es par Murdoch afin d'�viter une voie d'eau plus importante. Mais l'eau commence � envahir les cinq premiers compartiments du bateau. Or, le Titanic ne peut flotter qu'avec au maximum quatre de ses compartiments remplis d'eau. � 23 h 50, le niveau de la mer est d�j� mont� de 4 m�tres � la proue, les cinq premiers compartiments �tanches commencent � �tre inond�s ainsi que la chaufferie no 5.
+� 0 h 05, le commandant fait enlever les tauds des embarcations et rappeler l'�quipage. � 0 h 15, le premier appel de d�tresse est envoy� en signal CQD. � 0 h 25, l'ordre est donn� de faire monter les femmes et les enfants en premier dans les canots de sauvetage. � 0 h 45, le canot no 7 est affal� avec seulement 28 passagers contre 65 possibles et le signal CQD est transform� en SOS. Les officiers s'occupent de faire monter les femmes et les enfants en priorit� dans les canots, et les premi�res et secondes classes, �tant plus pr�s des canots, y ont plus facilement acc�s. Mais la capacit� des canots de sauvetage du Titanic n'est que de 1 178 personnes au total et il y a environ 2 200 personnes � secourir sur le paquebot. � intervalles r�guliers, jusqu'� 1 h 40, des fus�es de d�tresse sont envoy�es. Il en est de m�me pour les SOS qui sont envoy�s jusqu'� 2 h 17.
+� 2 h 17 l'orchestre s'arr�te de jouer juste avant la chute de la chemin�e avant. Peu apr�s, la grande verri�re se brise en entra�nant la destruction du Grand Escalier et donnant acc�s � l'eau � toutes les pi�ces de l'avant. � 2 h 18, les lumi�res du Titanic clignotent une derni�re fois puis s'�teignent. Un instant plus tard, le paquebot se brise en deux. Alors que la partie avant coule, la partie arri�re flotte pendant quelques instants et se remplit d'eau lentement jusqu'� ce qu'elle sombre � 2 h 2032{{}}33,34. La temp�rature de l'eau est alors de -3�C35.
+Beaucoup plus tard, � 3 h 30, les passagers des canots aper�oivent les feux du Carpathia. 40 minutes plus tard, le premier canot, le no 2, est r�cup�r� par le navire d'assistance. � 5 h 30, le Californian pr�venu par le Frankf�rt arrive sur les lieux du d�sastre. Le dernier canot, est r�cup�r� � 8 h 30, le second officier Charles Lightoller est le dernier � monter � bord. Le Carpathia met ensuite le cap sur New York � 8 h 50.
+Le lendemain du naufrage, le roi du Royaume-Uni, George V, adresse ses condol�ances aux familles des victimes par un t�l�gramme envoy� � Ismay. George V envoie � son tour un t�l�gramme au pr�sident am�ricain William Howard Taft. Armand Falli�res, pr�sident fran�ais, envoie un t�l�gramme � George V pour exprimer lui aussi ses condol�ances.
+Le 18 avril 1912, � 21 h 30, le RMS Carpathia d�barque � New York sous une pluie battante, les rescap�s de 3e classe d�barquent en dernier vers 23 h 00. Certains sont accueillis par leur famille, d'autres sont h�berg�s par des h�tels le temps de retrouver leurs proches ou de regagner le Royaume-Uni aux frais de la White Star Line. Certains rescap�s de 1re classe rentrent � leur domicile par train priv�.
+Le naufrage du Titanic fait environ 1 500 morts, les chiffres variant entre 1 491 et 1 51336,37,23 naufrag�s. Il y a donc environ 700 rescap�s. Les membres d'�quipages sont les plus touch�s puisque 76 % d'entre eux sont morts. �galement 75 % des troisi�me classe ont trouv� la mort. D'une fa�on plus g�n�rale, la principale diff�rence se situe entre les hommes et les femmes. Seul 25 % des femmes sont mortes dans le naufrage contre 82 % des passagers masculins. Cependant, plus de la moiti� des rescap�s sont des hommes. Les enfants sont davantage victimes que les femmes, 53 des 109 enfants � bord ayant p�ri.
+Le naufrage du Titanic a de nombreuses causes, tant naturelles qu'humaines. Son bilan, qui est l'un des plus lourds de l'histoire maritime, s'explique �galement par plusieurs facteurs.
+Les circonstances du naufrage sont en effet particuli�res. Il est en effet rare de trouve des icebergs dans cette r�gion de l'Atlantique au mois d'avril, mais la pr�sence de nombreuses glaces cette ann�e l� s'explique par un hiver particuli�rement doux. Ceci explique que le Titanic, qui navigue pourtant plus au sud que la route conseill�e, se soit dirig� droit vers un champ de glaces. De plus, la nuit est sombre, sans Lune et sans vent, ce qui rend plus difficile le rep�rage des icebergs. Ceci est aggrav� par l'absence de jumelles dans le nid-de-pie, suite � une n�gligance des officiers : selon Frederick Fleet, le veilleur qui a appre�u l'iceberg, des jumelles auraient permis de le voir � temps.
+De plus, les compartiments �tanches ne montent pas assez haut pour emp�cher la progression de l'eau, et l'acier composant certaines parties de la coque est tr�s cassant. La vitesse du navire au moment du choc �tait �galement trop �lev�e pour les circonstances (bien qu'en accord avec les r�gles de l'�poque). Malgr� une tentative de la part de la commission am�ricaine, aucune preuve n'a pu �tre fournie sur le fait qu'Ismay ait pouss� le commandant � aller plus vite.
+Enfin, le nombre �lev� de morts s'explique par le faible nombre de canots de sauvetage du navire, qui ne peuvent contenir que 1 178 personnes, mais aussi par le manque d'organisation dans leur chargement. Certains canots, comme le no 147, partent compl�tement vides et refusent de revenir sur les lieux du naufrge. Ceci explique que les canots soient, au final, remplis au trois quarts.
+Lors de la premi�re conf�rence sur la s�curit� en mer � Londres, le 12 novembre 1913, les mesures suivantes sont prises :
+Le d�sastre est un choc pour la communaut� internationale car il prouve � tous les peuples que l'homme et ses r�ussites technologiques peuvent �tre d�pass�s par les puissances de la nature. Il met �galement la lumi�re sur les insuffisances techniques de l'�poque : les examens modernes montrent en effet que l'acier de la coque et encore davantage les rivets autres que sur la partie centrale de la coque, continent trop de soufre mais pas assez de mangan�se, ce qui le rend trop cassant. L'attitude d�sinvolte et insouciante de ceux qui d�cident de la route et de la vitesse, bas�e sur leur confiance exag�r�e dans l'� insubmersibilit� � du bateau, contribue fortement � la perte du navire. Cependant, la plupart des marins exp�riment�s de l'�poque consid�rent que, par temps clair, il est plus s�r de naviguer vite.
+Une l�gende affirme que le gouvernail �tait trop petit et qu'un plus grand aurait pu sauver le paquebot. Bien qu'un gouvernail plus important e�t peut-�tre aid� � �viter la catastrophe, celui du Titanic n'�tait pas trop petit au regard de la l�gislation pour un navire de cette envergure. En fait, les dimensions du gouvernail pour un bateau de la taille du Titanic seraient toujours conformes aux normes navales en vigueur actuellement. Si le paquebot avait amorc� son virage cinq secondes plus t�t ou plus tard quand l'iceberg fut d�tect�, il n'aurait probablement pas sombr�. De plus, une autre l�gende affirme que le Titanic est le seul navire de son �poque � �tre d�ficient au regard du nombre de canots de sauvetage. En r�alit�, non seulement le navire est en conformit� avec la r�glementation britannique concernant le nombre de canots � bord, mais il va m�me au-del� de cette r�glementation. Le nombre minimum de canots de sauvetages est bas�, non sur le nombre de passagers mais sur le tonnage du navire ; le Titanic aurait pu se contenter de seize canots de sauvetage, or il en poss�de vingt. Tous les autres paquebots de l'�poque offrent �galement un nombre de canots de sauvetage tr�s insuffisant, mais l'objectif n'est pas de pouvoir contenir l'ensemble des passagers en cas de naufrage mais simplement d'assurer le transit vers un autre bateau dans le cadre d'une op�ration de sauvetage. La catastrophe du Titanic change d�finitivement cet �tat d'esprit. N�anmoins, m�me si le nombre de canots avait �t� suffisant pour embarquer tous les passagers, cela n'aurait probablement pas permis de sauver beaucoup de vies. En effet, durant le naufrage, qui est pourtant assez lent, l'�quipage a juste le temps de mettre � l'eau tous les canots dont il dispose.
+Le Titanic est long de 269 m�tres, large de 28 m�tres et haut de 53 m�tres, de la quille aux chemin�es. Son tonnage brut est d'environ 46 000 tjb, soit 1 000 de plus que l'Olympic. Il n�cessite environ 885 membres d'�quipage, et peut transporter 2 371 passagers r�partis en trois classes. Le paquebot transporte �galement du courrier. C'est pour cette raison qu'il porte parfois le sigle RMS.
+Les dix ponts du Titanic permettent de l'�lever au rang de plus grand paquebot jamais construit � son �poque. Sept de ses ponts (les ponts abritant des cabines destin�es aux passagers) sont d�sign�s par des lettres, de A � G (A �tant en haut et G en bas). Au dessus du pont A se trouve le pont des embarcations (ou pont sup�rieur). Le pont des ballast sert de base au navire, ainsi qu'aux salles des chaudi�res et des machines qui s'�tendent jusqu'aux ponts Orlop et G. Ces deux ponts comprennent �galement les cales et les r�serves d'eau et de nourriture du navire.
+Le Titanic, comme ses sister-ships de classe Olympic, est propuls� par une combinaison de deux types de machines. On trouve dans les profondeurs du paquebot 29 chaudi�res regroup�es dans six salles, qui alimentent en vapeur les machines alternatives � triple expansion situ�es dans la salle des machines (� l'arri�re des salles des chaudi�res), puis la turbine de la salle suivante. Les premi�res actionnent les deux h�lices lat�rales � trois pales du paquebot, tandis que la turbine fait tourner l'h�lice centrale � quatre pales. L'�nergie �lectrique n�cessaire au fonctionnement des diff�rents �quipements du navire est fournie par quatre dynamos de 400 kW56. La vapeur est ensuite �vacu�e par les trois chemin�es avant. La quatri�me, factice, sert quant � elle � am�liorer l'esth�tique du paquebot et � �vacuer la vapeur des cuisines.
+La passerelle de navigation du Titanic se trouve sur le pont sup�rieur, � environ 60 m�tres de la proue. Elle s'�tend sur toute la largeur du navire, et comprend deux timoneries (une ferm�e et une seulement couverte), deux ailerons de manoeuvre, une salle de navigation et la salle des cartes. En arri�re de la passerelle se trouvent les quartiers des officiers qui b�n�ficient de logements proportionnels � leur rang : le commandant Edward Smith b�n�ficie pour sa part d'une suite avec salon et salle de bains. � l'arri�re de la premi�re chemin�e se trouve une salle de radiot�l�graphie sans fil dont la veille est assur�e par deux op�rateurs radio (Jack Phillips et Harold Bride lors de l'unique travers�e du paquebot) dont les quartiers sont attenants. Les quartiers des chauffeurs et soutiers se trouvent quant � eux dans la proue du navire, et ceux-ci acc�dent � leur lieu de travail par un tunnel.
+La veille est assur�e depuis le nid-de-pie situ� sur le m�t avant, et le navire dispose �galement d'une passerelle d'accostage sur le pont de poupe. Une ligne t�l�phonique permet de communiquer entre le nid-de-pie, la timonerie, la plage arri�re, la salle des machines et le compartiment arri�re, am�liorant la rapidit� des manoeuvres du navire. Une autre ligne permet � certains passagers de premi�re classe de communiquer avec diff�rents services, notamment les offices.
+La coque du Titanic est divis�e en seize compartiments �tanches. La fermeture des douze portes �tanches, situ�es aux endroits ou un passage est n�cessaire � la bonne marche du navire, peut se faire par le biais d'un interrupteur situ� sur la passerelle. Elle peut �galement se faire automatiquement en cas de voie d'eau. Cependant, si les compartiments avant et arri�re montent jusqu'aux ponts D � B, les compartiments centraux ne d�passent pas le pont E. Ainsi, il est consid�r� que si deux compartiments adjacents sont inond�s, le navire peut rester � flot. Cette limite va jusqu'� quatre comprtiments si ce sont les compartiments avant du navireNote 4,65.
+Le navire est �galement �quip� d'un double-fond De plus, huit pompes capables d'�vacuer 400 tonnes d'eau par heure se trouvent � bord. Tout ceci entra�ne des rumeurs d'une pr�tendue � insubmersibilit� � du navire que la compagnie ne d�ment pas.. Cependant, de telles rumeurs sont loin de ne concerner que le Titanic : la compagnie avait d�j� qualifi� le Cedric, neuf ans plus t�t, de � pratiquement insubmersible �. La rumeur veut �galement qu'au moment de son lancement, un employ� ait d�clar� : � Dieu lui-m�me ne pourrait pas couler ce paquebot �.
+Le Titanic est �galement �quip� de 20 canots de sauvetage : 16 canots d'une capacit� de 65 personnes, deux canots � de secours � pour 47 personnes et quatre radeaux pliables de type Engelhardt ayant �galement une capacit� de 47 personnes. Les vingt canots peuvent ainsi contenir un total de 1 178 personnes, soit un tiers de la capacit� du navire. Ce faible nombre est toutefois sup�rieur � ce que demandent les lois de l'�poque. L'id�e de mettre des canots suppl�mentaires a �t� envisag�e par Alexander Carlisle, l'un des concepteurs du navire, mais Ismay rejetta l'id�e, pour ne pas encombrer le pont sup�rieur, et ne pas affaiblir l'image de fiabilit� de la compagnie. Cependant, pour �viter un co�t suppl�mentaire lors d'un �ventuel changement de r�glementation, Carlisle r�ussit � convaincre Ismay d'installer des bossoirs de type Wellin capables de faire descendre successivement plusieurs canots. Lors du naufrage, le 15 avril 1912, les canots de sauvetage n'embarquent que 711 des 2 200 personnes qui se trouvent � bord. Par la suite, les lois sont modifi�es pour obliger toutes les compagnies maritimes � avoir des canots de sauvetage en nombre suffisant.
+Le Titanic pr�sente un luxe et un confort in�gal�s pour l'�poque. Les installations de premi�re classe s'�tendent du pont des embarcations au pont E, et comprennent gymnase, fumoir, Restaurant � la Carte, Caf� v�randa, piscine, bains turcs et salon de lecture et de correspondance, ainsi qu'une promenade couverte. Certaines cabines sont �quip�es de salles de bains, et deux d'entre elles disposent m�me d'une promenade priv�e. Toutes ces cabines et installations sont reli�es par deux somptueux escaliers, celui situ� � l'avant �tant associ� � trois ascenceurs deservant les ponts A � E. La vaste salle � manger de premi�re classe se situe sur le pont D.
+Les passagers de deuxi�me classe ne sont pas en reste et b�n�ficient de cabines souvent �quivalentes � la premi�re classe d'autres navires, � l'arri�re des ponts D � G. Un escalier et un ascenceur desservent la totalit� de la hauteur du navire, leur donnant acc�s u pont des embarcations, � leur fumoir (pont B), leur biblioth�que (pont C), et leur salle � manger (pont D). Ils diposent �galement d'une promenade couverte.
+La troisi�me classe offre �galement un bon niveau en comparaison des autres navires, avec des cabines proposant de 4 � 8 couchettes, et de petits dortoirs pour les hommes c�libataires, � l'avant. Les femmes seules voyagent quant � elles � l'arri�re, et les familles sont regroup�es au centre. La salle � manger de troisi�me classe se trouve au pont F et dispose de sa propre cuisine (les deux autres classes partagent la leur), et les passagers disposent de deux espaces communs et d'un fumoir, ainsi que du pont de poupe.
+Sur les 1 316 passagers, 325 font partie de la premi�re classe, 285 de la seconde et la derni�re accueille 706 personnes, 922 passagers embarquent � Southampton ( Angleterre), 274 � Cherbourg ( France) et 120 � Queenstown ( Irlande).
+Les huit musiciens de l'orchestre (tous morts dans le naufrage) ne font pas partie de l'�quipage mais sont compt�s comme passagers de seconde classe.
+Le Titanic a � son bord un nombre important de personalit�s. Ainsi voyagent � bord Joseph Bruce Ismay (pr�sident de l'international Mercantile Marine Company et de la White Star Line) et Thomas Andrews (concepteur du navire), tous deux dans le but d'appr�cier les qualit�s et d�fauts du navire. Plusieurs grands noms am�ricains de la finance voyagent � bord : John Jacob Astor, l'homme le plus riche � bord (colonel, �crivain, inventeur, propri�taire d'h�tels), Benjamin Guggenheim, le � Roi du Cuivre �, Charles Hays, pr�sident d'une compagnie de chemin de fer canadienne, George Widener (h�ritier de la plus grande fortune de Philadelphie), Isidor Straus, propri�taie du grand magasin Macy's de New York, John Tayer, vice pr�sident d'une chemin de fer de Pennsylvanie, Henry Birkhardt Harris, producteur de th��tre, Charlotte Cardeza, riche �pouse d'un procureur et Margaret Brown, militante des droits de la femme et �pouse (s�par�e) d'un propri�taire de mines,92.
+Des aristocrates britanniques sont �aglement du voyage, comme Sir Cosmo Duff Gordon et son �pouse, Lucy, cr�atrice de mode, ainsi que la comtesse de Rothes. Des militaires de carri�re sont �galements pr�sents, comme les am�ricains Archibald Gracie (colonel et historien de la Guerre de S�cession), Archibald Butt (major, aide de camp des pr�sidents Roosevelt et Taft), ainsi que le su�dois Mauritz Hak�n Bj�rnstr�m-Steffansson.
+Des artistes et hommes de lettres sont �galement � bord, comme Jacques Futrelle, auteur de nouvelles polici�res, Dorothy Gibson, actrice de cin�ma muet, Francis David Millet, peintre et Helen Churchill Candee, �crivain, tous am�ricains, ainsi que Paul-Romain Marie L�once Chevr� sculpteur fran�ais. Le pr�tre irlandais Francis Browne passe �galement une nuit � bord avant de d�barquer � Queenstown. Devenu par la suite un photographe de renom, les clich�s qu'il a pris du navire sont une v�ritable source d'information sur les am�nagements du Titanic. Enfin, des sportifs particpent �galement au voyage : les am�ricains Richard Norris Williams et Karl Howell Behr. Le journaliste William Thomas Stead se trouve �galement � bord.
+Parmi les 885 personnes constituant l'�quipage du Titanic, 66 appartiennent � l'�quipage de pont (officiers, matelot, veilleurs, quartier-ma�tres) sont des m�caniciens (soutiers, chauffeurs, graisseurs, m�caniciens), et 471 hommes et 23 femmes font parte du personnel h�telier du navire (commissaires, stewards, op�rateurs radio etc.)117,118.
+Le Titanic est command� par Edward John Smith, 62 ans. Smith est le capitaine qui, de par sa popularit�, est affect� aux travers�es inaugurales des grands navires de la White Star Line depuis 1904120. Son commandant en second, Henry Tingle Wilde, a �t� mut� � bord � la veille du d�part, entra�nant un d�calage dans la hi�rarchie de l'�tat major du navire. William McMaster Murdoch, � l'origine commandant en second, devient de fait le premier officier du navire. De fait, Charles Herbert Lightoller, � l'origine premier officier, devient dexi�me officier � la place de David Blair qui quitte le navire.
+Le reste de la hi�rarchie reste inchang�. Herbert John Pitman occupe le poste de troisi�me officier officier, Joseph Grove Boxhall celui de quatri�me officier. Harold Godfrey Lowe occupe quant � lui le poste de cinqui�me officier. Enfin, James Paul Moody est le sixi�me officier du Titanic.
+Parmi eux, seuls Lightoller, Pitman, Boxhall et Lowe survivent au naufrage, et participent par la suite aux diff�rentes commissions d'enqu�te.
+D'autres membres d'�quipage ont jou� un r�le important durant le naufrage. Ainsi, Frederick Fleet et Reginald Robinson Lee sont les deux veilleurs (sur les six qui se relaient � bord) qui ont aper�u l'iceberg. John George Phillipset Harold Sydney Bride. Les six veilleurs du navire ont surv�cu, de m�me que Bride. Phillips a quant � lui disparu dans le naufrage.
+De nombreux projets d'exp�ditions pour retrouver le navire englouti ont vu le jour sans conna�tre le succ�s.
+L'�pave est finalement localis�e le 1er septembre 1985 � 1 h 05 par une exp�dition franco-am�ricaine dirig�e par Jean-Louis Michel de l'IFREMER et le Dr Robert D. Ballard de la Woods Hole Oceanographic Institution. Elle est localis�e � une profondeur de 3 821 m133, � 41�43'55"N 49�56'45"O, � 650 km au sud-est de Terre-Neuve. Le navire est bris� en deux �normes morceaux qui reposent sur le fond � quelques centaines de m�tres l'un de l'autre, s�par�s par un champ de d�bris. Des scientifiques affirment que l'�norme pression de l'eau dans les compartiments avant a commenc� � casser le bateau en bas vers le milieu, la section avant se remplissant d'eau et coulant en premier, l'arri�re flottant encore avant de couler un peu plus tard. La partie arri�re du bateau (30 000 tonnes), qui n'avait pas �t� con�ue pour supporter un tel poids, a cass� net (au milieu du bateau se trouvaient les pompes du r�ducteur-inverseur, qui �taient �normes).
+Le Dr Ballard et son �quipe n'ont enlev� aucun objet du site, consid�rant que cela �quivalait � un pillage de tombes. Pour la loi maritime internationale cependant, la r�cup�ration des objets est n�cessaire pour �tablir les droits de sauvegarde pour une �pave. Dans les ann�es suivant la d�couverte, le Titanic est l'objet de nombreux arr�ts juridiques concernant la propri�t� des objets et le site du naufrage lui-m�me. Beaucoup d'objets ont �t� sauv�s et sont visibles actuellement de fa�on permanente dans le mus�e maritime de Greenwich au Royaume-Uni.
+Les scientifiques affirment que les nombreuses plong�es depuis la red�couverte du bateau en 1985 ont acc�l�r� la d�gradation de l'�pave. La National Oceanic and Atmospheric Administration estime que � la coque et la structure du navire pourraient s'effondrer dans les cinquante prochaines ann�es �.
+Une pol�mique a lieu entre les d�couvreurs fran�ais et am�ricain. En effet, selon Paul-Henri Nargeolet, ancien responsable des moyens d'intervention de l'Ifremer et pilote du Nautile, l'�pave aurait �t� d�tect�e en 1977, durant la Guerre froide, par un navire hydrographique de la Royal Navy et figurait depuis sur les cartes secr�tes de la marine britannique que connaissait Robert Ballard. Finalement, apr�s la d�classification de certains dossiers militaires am�ricains, Robert Ballard r�v�la que le Titanic a �t� d�couvert suite � la recherche de deux sous-marins am�ricains perdus durant la guerre froide.
+La d�couverte et l'�tude scientifique de l'�pave permettent de mieux comprendre les circonstances exactes du naufrage, tout d'abord en donnant raison aux quelques t�moins qui ont affirm� avoir vu le navire se casser en deux juste avant le plongeon final. Plus r�cemment, en 1996, un sonar ultra-puissant a permis de voir les d�g�ts caus�s par l'iceberg dans la coque � l'avant du navire, � travers les s�diments du plancher oc�anique dans lesquels celle-ci est profond�ment enfonc�e, d'au moins 20 m�tres. Contrairement � ce que l'on croyait jusqu'alors, ce n'est pas une br�che de 100 m�tres de long mais six petites entailles � peine plus �paisses qu'un bras humain, r�parties approximativement le long du premier tiers avant du navire, qui ont caus� sa perte. Une �tude plus r�cente men�e par deux chercheurs am�ricains s'appuyant sur des analyses scientifiques de pi�ces extraites de l'�pave et sur l'examen des archives des chantiers navals Harland & Wolff conserv�es � Belfast, met en cause la qualit� des rivets utilis�s pour fixer les plaques d'acier de la coque � l'avant du navire. En effet, ceux-ci sont en fer et non en acier comme dans la partie centrale, en raison de l'impossibilit� des fournisseurs � suivre les rythmes et les quantit�s impos�s par le constructeur. La moindre r�sistance de ces rivets en fer explique que de nombreuses t�les se soient disjointes au contact de l'iceberg. Les auteurs de l'�tude supposent que des rivets en acier, plus r�sistants, auraient peut-�tre, sinon sauv� le navire, du moins accord� un d�lai suffisant pour permettre aux secours d'arriver � temps.
+Au final, le naufrage r�sulte de l'encha�nement d'une s�rie d'erreurs dont aucune n'est grave en soi, mais qui, ensemble, expliquent la catastrophe : d�fauts de construction minimes en apparence (rivets en fer, surface r�duite du gouvernail, cloisons �tanches pas assez hautes) absence de pr�cautions pr�ventives (canots en nombre insuffisant, vitesse excessive en d�pit des icebergs) n�gligence (jumelles des veilleurs �gar�es), tous d�tails contrastant fortement avec la campagne de promotion du voyage inaugural qui laissait supposer que rien n'avait �t� laiss� au hasard.
+Il existe un certain nombre de l�gendes � propos du Titanic. Certaines ne rel�vent probablement que de l'invention ou de la � folie �, mais d'autres sont des co�ncidences troublantes qui ont pr�t� � pol�mique.
+Quatorze ans avant le naufrage, l'�crivain Morgan Robertson �crit Le Naufrage du Titan, une nouvelle parue dans un ouvrage intitul� Futilit�. Apr�s le naufrage du Titanic, ce livre regagne en r�putation, apparaissant comme �tonnamment pr�monitoire et est r��dit� la m�me ann�e. Il existe en effet de grandes similitudes entre l'histoire du livre et la r�alit� : le navire, nomm� Titan, est le plus imposant au monde, est pr�sent� comme insubmersible gr�ce � ses 19 compartiments �tanches. De fait, il ne dispose que du nombre minimum de canots de sauvetage requis par la loi. Il heurte un iceberg, coule et la majorit� des passagers sont victimes du naufrage.
+Le journaliste britannique William Thomas Stead a men�, durant sa carri�re, de nombreux combats par le biais d'articles et de nouvelles. L'un d'entre eux concerne le manque de moyens de sauvetage � bord des paquebots. Il publie une premi�re nouvelle en 1886 intitul�e Comment le Paquebot Poste sombra au milieu de l'Atlantique, par un Survivant, racontant une collision entre deux navires dont les passagers ne sont pas tous sauv�s, faute de moyens de sauvetage. Stead conclut : � C'est exactement ce qui se produira si les paquebots sont lanc�s avec trop peu de canots �. Six ans plus tard, il publie De l'Ancien Monde au Nouveau, nouvelle dans laquelle il raconte un voyage fictif qu'il aurait fait � bord du paquebot (bien r�el) Majestic de la White Star Line sous le commandement d'Edward Smith. Au cours de la travers�e, le navire s'arr�te pour rep�cher les naufrag�s d'un paquebot ayant heurt� un iceberg. Stead conclut cette fois-ci en disant que � les oc�ans parcourus par de rapides paquebots sont jonch�s des os blanchis de ceux qui ont embarqu� comme nous et qui ne sont jamais arriv�s � bon port �137. Le 15 avril 1912, Stead se trouve � bord du Titanic, command� par Edward Smith, et meurt dans le naufrage.
+Lors de son d�part de Southampton, le Titanic manque d'entrer en collision avec le New York. Cet �v�nement a entra�n�, comme le raconte Lawrence Beesley (passager de seconde classe ayant par la suite racont� son histoire dans un ouvrage), des rumeurs et superstitions parmi les passagers et certains membres d'�quipage. Celles-ci sont amplifi�es lors de l'escale de Queenstown par l'apparition d'un soutier couvert de suie en haut de la quatri�me chemin�e. Beesley raconte m�me avoir rencontr� une am�ricaine qui lui a expliqu� que le naufrage �tait d� au fait d'avoir vu le soutier en question. Cependant, il �crit lui m�me que ce ne sont que des � superstitions malsaines �.
+Une l�gende affirme que John Jacob Astor IV aurait ramen� de son voyage de noces en �gypte une momie � bord du Titanic, d�clenchant ainsi la col�re des dieux. Une variante de la l�gende veut qu'une momie maudite ait �t�, apr�s avoir �t� cach�e dans un grenier pendant un certain temps, revendue � un riche am�ricain qui l'aurait embarqu�e sur le Titanic, entra�nant sa perte. Cependant, lors de la red�couverte de l'�pave, aucune trace de momie n'a �t� retrouv�e � bord, et aucune momie n'est mentionn�e dans le manifeste du navire.
+Le 13 avril 1935, un cargo britannique, transportant du charbon de Newcastle � Halifax, se trouve en pleine nuit pr�s de la zone o� le Titanic a sombr�. Un des veilleurs, William Reeves raconte en 1967 avoir �t� saisi soudainement d'une angoisse, comme alert� par un sixi�me sens. Il n'aurait pu s'emp�cher de crier � Obstacle droit devant ! � Un iceberg aurait jailli alors de l'obscurit�, et le cargo se serait arr�t� devant lui avant d'�tre bloqu� par les glaces. Selon Reeves, le navire se trouve alors � la position exacte du naufrage du Titanic. En r�alit�, ce cargo qui par co�ncidence s'appelait le Titanian �tait assez �loign� de la position du naufrage, et les rapports font �tat de d�g�ts lors d'une collision avec la glace.
+La m�me ann�e, le Titan de la Blue Funnel Line entre en collision avec un ponton flottant dans le port de Hambourg.
+L'histoire du Titanic a �t� illustr�e dans un tr�s grand nombre de films et de t�l�films. Le premier est Saved from the Titanic, un film am�ricain d'�tienne Arnaud mettant en sc�ne Dorothy Gibson, rescap�e du naufrage. Sorti en 1912, il n'en reste aucune trace suite � l'incendie des studios o� il �tait entrepos�, en 1914142. La m�me ann�e sort In Nacht und Eis, un film muet allemand de Mime Misu qui pr�sente cependant une histoire assez �loign�e de la r�alit�. 1915 voit �galement la production de Titanic, un film muet italien de Pier Angelo Mazzolotti avec Mario Bonnard, Giovanni Casaleggio et Luigi Duse.
+En 1943, Joseph Goebbels demande le tournage de Titanic, une superproduction destin�e � la propagande nazie, r�alis�e par Werner Klingler et Herbert Selpin avec Sybille Schmitz et Hans Nielsen. Le film, tourn� sur le Cap Arcona (un paquebot allemand dont le naufrage entra�ne 5 000 morts en 1945), est marqu� par l'emprisonnement et la mort de son pemier r�alisateur, herbert Selpin. Il ne sort finalement pas en Allemagne, Goebbels craignant de d�moraliser la population qui subit de nombreux bombardements britanniques.
+En 1953 sort Titanic, un film am�ricain de Jean Negulesco avec Barbara Stanwyck et Robert Wagner. 1958 voit l'arriv�e sur les �crans du film Atlantique, latitude 41� (A Night to Remember), film britannique de Roy Ward Baker avec Kenneth More et Ronald Allen. Adapt� du livre de l'historien Walter Lord, il a �t� r�alis� avec l'aide de certains acteurs du drame, dont le quatri�me officier Joseph Boxhall, ce qui en fait un des films les plus proches de la r�alit�.
+En 1979 sort S.O.S. Titanic, t�l�film am�ricano-britannique de William Hale avec David Janssen, Cloris Leachman et Susan Saint James. Le film est tr�s inspir� de l'ouvrage deLawrence Beesley The Loss of S.S. Titanic, et celui-ci est interpr�t� par David Warner qui joue �galement dans le film Titanic de 1997. L'ann�e suivante sort La Guerre des ab�mes (Raise the Titanic), film am�ricain de Jerry Jameson adapt� du roman de Clive Cussler, avec Jason Robards et Richard Jordan.
+En 1996, Le Titanic, un t�l�film am�ricain de Robert Lieberman avec George C. Scott, Peter Gallagher et Catherine Zeta Jones est produit. Mais le plus c�l�bre des films concernant le Titanic est le film de James Cameron, Titanic, sorti en 1997. Mettant en sc�ne Leonardo DiCaprio, Kate Winslet et Billy Zane le film remporte 11 Oscars et 1 845 034 188 $ de box office mondial. Ce film ravive l'int�r�t pour le Titanic, entra�nant la parution (et parfois la r��dition) de nombreux ouvrages, ainsi que des expositions, et la cr�ation e nombreux sites internet. Cameron produit �galement, en 2007, le documentaire Les fant�mes du Titanic concernant l'�pave du navire.
+En 2003 est �galement sorti un film d'animation italien, � la recherche du Titanic, par Orlando Corradi.
+Le naufrage du Titanic a �galement inspir� de nombreux romans s'inspirant plus ou moins fortement de son histoire.
+Deux bandes dessin�es ont �galement �t� �crites sur le sujet.
+Le Titanic a �galement r�ussi � s'imposer sur d'autres supports que le papier et les �crans. Ainsi, une com�die musicale a tenu l'affiche entre 1998 et 2000. Des jeux vid�o ont �galement �t� b�tis sur et autour de ce sujet, comme Titanic : une aventure hors du temps qui offre une reproduction fid�le du navire.
+L'histoire du Titanic a �galement inspir� une oeuvre au compositeur britannique Gavin Bryars, The Sinking of the Titanic (1969). Elle reprend notamment l'hymne Autumn qui a peut-�tre �t� jou� par les musiciens au moment du naufrage. Une pi�ce de th��tre de Jean-Pierre Ronfard, Titanic, raconte l'histoire de personnages existant comme Hitler ou Charlie Chaplin n'ayant jamais �t� sur le paquebot. Titanic est enfin le nom d'un po�me de Benjamin Fondane, dans le recueil Le Mal des Fant�mes.
+Contenu soumis � la GFDL
+exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
+ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
+ANNODIS
+projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, + dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
+objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
+encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
+http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
+Le vin de Champagne, �galement appel� champagne, est un vin effervescent bu dans le monde entier et aujourd'hui associ� au luxe et aux f�tes. Il tire son nom de la Champagne, une r�gion du nord-est de la France.
+Cette ancienne province historique produit �galement des vins tranquilles (non effervescents) qui portent des appellations diff�rentes, Coteaux Champenois (rouges, blancs ou ros�s) dont les plus c�l�bres sont produits sur les communes de Bouzy, Vertus, Damery et Ros� des Riceys produit exclusivement sur la commune des Riceys.
+N�anmoins, la Champagne produit en grande majorit� des vins blancs effervescents que l'on appelle tout simplement champagne, sans plus de pr�cisions. Ils sont produits essentiellement � base de chardonnay, de pinot noir et de pinot meunier, mais d'autres c�pages tr�s marginaux sont �galement autoris�s dans l'�laboration du champagne : l'arbane, le petit meslier, le pinot blanc et le Pinot gris vrai.
+Les champagnes sont des vins souvent synonymes de f�te ou de c�l�bration, b�n�ficiant d'un prestige reconnu de par le monde.
+La culture de la vigne en Champagne remonte � l'�poque gallo-romaine quand les Romains plantent les premiers ceps dans la r�gion.
+Le vignoble est par la suite conserv� gr�ce � l'int�r�t que lui porte le clerg�, en particulier celui de Reims et celui de Ch�lons-en-Champagne. C'est en effet l'abbaye de Saint Pierre au Mont, � Ch�lons-en-Champagne, qui planta de nombreuses vignes dans les domaines qu'elle poss�dait en Champagne.
+En l'an 1114, l'�v�que de Ch�lons-en-Champagne, Guillaume de Champeaux, fit r�diger la grande charte champenoise qui confirma cette abbaye dans toutes ses possessions agricoles et vinicoles. Cette charte, dont l'original est perdu mais dont une copie est conserv�e aux Archives de la Marne, est consid�r�e comme l'acte fondateur du vignoble de Champagne : par cette confirmation, toutes les conditions sont r�unies pour que le vignoble se d�veloppe en paix et puisse prosp�rer. D�s lors les moines n'ont pas cess� de cultiver la vigne et de produire du vin de plus en plus �labor�.
+Durant l'�poque f�odale, les vins de Champagne sont class�s parmi les � vins de France � consid�r�s comme produits dans le bassin parisien.
+Durant le r�gne d'Henri IV, il acquiert le nom de vin de Champagne sur Paris (mais cette d�nomination s'impose plus difficilement dans la r�gion, le terme champagne d�signant des terres non fertiles, qui ne peuvent servir que de p�turages aux moutons).
+Au cours du xviie si�cle, les vins de Champagne s�duisent de plus en plus d'amateurs dans les cours royales de France et d'Angleterre sous l'impulsion de certaines familles parisiennes qui poss�dent des terres en Champagne. Ce si�cle marque aussi une �volution des � vins de Champagne � correspondant au d�sir des consommateurs de vins gris, tr�s faiblement color�s mais qui, selon les vignerons, vieillissent tr�s mal en f�ts.
+Le champagne est donc rapidement mis en bouteille (vers 1660) afin d'assurer une meilleure conservation des ar�mes (avec un tirage avant la fin de la premi�re fermentation) mais devient en contrepartie naturellement p�tillant (surtout pour les champagnes ayant peu d'alcool, �tant peu color�s et dont le tirage est fait � l'�quinoxe de printemps). Ce caract�re effervescent cause beaucoup de soucis aux vignerons, � tel point qu'il est surnomm� � vin du diable � ou � saute-bouchon � � cause des bouteilles qui explosent ou des bouchons qui sautent sous la pression. Pour ces raisons, si les Anglais n'avaient pas �t� conquis par ce vin p�tillant, le champagne ne serait peut-�tre pas ce qu'il est aujourd'hui, car � cette �poque, les Anglais achetaient aux Champenois des tonneaux de vin effervescent en vrac qu'ils se chargeaient de mettre eux-m�mes en bouteilles. Ils avaient aussi observ� que la meilleure �poque pour provoquer la prise de mousse est le printemps. En 1676, un po�te londonien chantait � le champagne effervescent qui ranime rapidement les pauvres amants languissants. �
+En 1670, dom P�rignon (1638 - 1715), un moine cell�rier de l'abbaye b�n�dictine d'Hautvillers, va �tre le premier � pratiquer l'assemblage du raisin qui am�liore la qualit� du vin et en fait dispara�tre certains d�fauts. C'est aussi dom P�rignon qui introduit l'emploi du bouchon de li�ge maintenu � la bouteille par une ficelle de chanvre impr�gn�e d'huile, ce qui permet au vin de garder sa fra�cheur et sa mousse. De plus, il fait renforcer la bouteille en adoptant un verre plus �pais pour �viter que la bouteille n'explose, mais malgr� les efforts du moine, l'effervescence du vin reste empirique jusqu'aux recherches de Louis Pasteur sur la fermentation, au xixe si�cle. Les cray�res pr�s de son abbaye �taient utilis�es pour conserver le champagne � temp�rature et humidit� constante. Par la suite, d'autres caves furent creus�es en pleine craie.
+Selon le chanoine Jean Godinot qui �crivit en 1718 que � depuis plus de vingt ans le go�t des Fran�ais s'est d�termin� au vin mousseux �, le champagne effervescent aurait �t� donc commercialis� dans des bouteilles sp�cifiques pour la premi�re fois en France vers 1695. D'autres archives attestent que, en l'an 1729, � �pernay, Nicolas Ir�n�e Ruinart fonde � Reims, le premier n�goce en vin de Champagne effervescent, la maison Ruinart. En 1730 est fond�e la maison Chanoine Fr�res � �pernay.
+Durant le xviiie si�cle, le champagne commence � acqu�rir son rayonnement international, gr�ce aux propri�taires de c�l�bres maisons de champagne qui en assurent la promotion comme Florens-Louis Heidsieck ou Claude Mo�t, puis au xixe si�cle gr�ce � Pierre-Nicolas-Marie Perrier-Jou�t et � la famille Bollinger. De m�me, certaines femmes apr�s la mort de leur mari continuent le travail de celui-ci, entre autres Mme Pommery, Mme Perrier et Mme Clicquot (surnomm�e la � Grande Dame de Champagne �) qui contribuent elles aussi � la notori�t� du champagne. Le champagne fut m�me d�crit comme �tant le � vin de la civilisation � par Talleyrand.
+Avant qu'on apprenne � champagniser les vins blancs, ceux-ci �taient parfois (certaines ann�es) naturellement p�tillants. On retrouve une production de vins p�tillants naturels aux quatre coins de l'ancienne Champagne, aussi bien dans l'Aube (du c�t� de Bar-sur-Aube) qu'en Haute-Marne, o� le vin de Soyers (r�gion de Bourbonne-les-Bains), vin de c�page produit � partir du meslier dor� avait une typicit� reconnue, avant l'invasion du phyllox�ra en Europe et dans le monde.
+En 1860, le savant champenois Jules Salleron invente les premiers bouchons en agglom�r�, puis en 1882 invente le densim�tre pour mesurer le degr� alcoolique du vin afin d'�viter les exc�s de sucre ou de levure dans le processus de 2�me fermentation. En 1928, l'appellation champagne concernait seulement huit mille hectares et les exp�ditions se montaient � vingt-quatre millions de bouteilles.
+Le champagne est produit dans la zone viticole d�limit�e par la loi du 22 juillet 1927. Cette zone n'est pas d'un seul tenant :
+Il existe 4 zones de production de raisins qui regroupent les 17 terroirs de champagne.
+Sur un peu plus de trente mille hectares de vigne au total, c'est le vignoble le plus septentrional de France avec 60 � 80 jours de gel par an. Il doit sa richesse � son morcellement, chaque village constituant un cru c'est-�-dire le produit d'un terroir et d'un climat, il existe 302 crus. Les plus grandes caves de Champagne se trouvent � �pernay et � Reims.
+Quelques parcelles de l'appellation Champagne (20 ha) se trouvent en �le-de-France dans les communes de Citry, Nanteuil-sur-Marne et Sa�cy-sur-Marne (Seine-et-Marne). Le d�partement de la Haute-Marne, peut lui aussi revendiquer l'existence de quelques dizaines d'hectares de vignes.
+En 2008 un dossier visant � inscrire les paysages du Champagne sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO sera soumis aux autorit�s fran�aises.2
+Juste avant le d�but de la r�volution fran�aise, le vignoble champenois s'�tendait sur quelques 50 000 hectares. Dans la seconde moiti� du xixe si�cle, le vignoble conna�t avec 65 000 hectares son expansion maximale comprenant aussi 2 500 hectares dans le d�partement des Ardennes. Apr�s les fl�au du phyllox�ra et de la Grande guerre, le vignoble s'est r�duit � 12 000 hectares. Aujourd'hui, en 2007, le vignoble champenois s'�tend sur 32 341 hectares.
+Depuis 2003, une proc�dure visant � l'extension de la d�limitation de l'appellation a �t� lanc�e, cette nouvelle aire devrait �tre �tablie d'ici environ 10 ans.
+Cette proc�dure, dont le but est d'int�grer dans l'aire de production du vin de champagne quelques parcelles d�ment certifi�es d'une quarantaine de nouveaux villages, fait appel aux expertises des historiens pour rechercher des pratiques viticoles anciennes et � celles des g�ologues pour rechercher les parcelles concern�es soit par les marnes du kimm�ridgien, les craies blanches du campanien ou les s�diments du pal�oc�ne toutes terres qui doivent fonder le sous-sol des terres champenoises dignes de porter la vigne noble.
+La d�signation des parcelles devrait se faire � partir de 2009 avec le d�cret du Conseil d'�tat ent�rinant la nouvelle g�ographie des parcelles suppl�mentaires. La profession esp�re ainsi cr�er 2 � 3 000 nouveaux hectares en vignobles champenois. � 800 000 euros l'hectare, ce chantier devrait ouvrir une p�riode de recours et de chicanes judiciaires - certaines parcelles se sont vendues derni�rement � pr�s de 1,1 million d'euros. De ce fait ni les habitants, ni les autorit�s locales n'auront connaissance des localisations des parcelles ni de leur �tendue, avant la validation par l'Institut national des appellation d'origine. Selon le CIVC : � Transformer des hectares de bl� en hectare de vigne, c'est multiplier par 350 la valeur d'une parcelle cultivable �. Dans les villages, il se murmure qu'� ces prix l�, si le cimeti�re est install� sur une parcelle int�ressante, il ne faut pas h�siter � le d�placer.
+Parmi les villages potentiels Courcy, Courdemanges, Fismes, Montmirail dans la d�partement de la Marne, Bouilly, Fontvannes, Javernant, Montgueux dans le d�partement de l'Aube, Marchais-en-Brie dans le d�partement de l'Aisne et Champcourt, Harricourt dans le d�partement de la Haute-Marne. Les premi�res vignes des nouvelles parcelles devraient �tre plant�es vers 2015, pour une premi�re petite r�colte deux ans apr�s. De plus certains villages d�j� aujourd'hui sous appellation pourront voir leurs surfaces s'agrandir.
+Les terroirs champenois sont class�s en trois cat�gories, terroirs non class�s, terroirs � premier cru � et les autres qui donnent des champagnes � grand cru �.
+Ce classement permet de d�terminer le prix � payer au propri�taire de vignes pour son raisin. 100% correspond au � grand cru � et l'acheteur paye 100% du prix de r�f�rence. De 80 � 89%, les terroirs sont non class�s. De 90 � 99% il s'agit de premier cru et le prix pay� est en cons�quence et va de 90 � 99% du prix de r�f�rence du raisin. Autrefois, le classement allait jusqu'� 60%.
+Sur les 324 Crus qui composent la champagne, seuls 17 ont droit � l'appellation Grand Cru et 43 � celle de premier Cru.
+En 2006, l'hectare s'est �chang� en moyenne � 627 000 euros 4.
+En 2008, l'hectare de vigne s'est n�goci� autour d'un million d'euros
+Le champagne pr�sente plusieurs originalit�s parmi les grands vins fran�ais :
+Plusieurs c�pages de la famille des pinots sont autoris�s, dont trois principaux utilis�s :
+et des c�pages traditionnels (surfaces tr�s limit�es, quelques hectares) :
+Reste le cas du gamay qui n'est pas un pinot. Son utilisation est tr�s controvers�e par les producteurs et fait l'objet jusqu'� nos jours d'une autorisation temporaire dans le seul d�partement de l'Aube.
+Rendement : 160 kilogrammes de raisin produisent 102 litres de mo�t, qui apr�s les pertes en vinification (1,5 %) et au d�gorgement (0,5 %), donneront 100 litres de vin commercialisable, soit 133 bouteilles de 75 cl.
+Ainsi donc, le plus c�l�bre des vins blancs est majoritairement issu de raisins noirs.
+Le vin de Champagne est produit selon la m�thode traditionnelle, jadis appel�e m�thode champenoise, qui consiste principalement � op�rer une double fermentation du mo�t, la premi�re en cuves, la seconde dans les bouteilles m�mes, en cave, avec remuage r�gulier. La croyance populaire veut que cette m�thode soit l'invention de Dom P�rignon, moine de l'abbaye d'Hautvillers, pr�s d'�pernay. Aujourd'hui, les historiens s'accordent plut�t pour dire qu'il est � l'origine de la technique de l'assemblage.
+La premi�re fermentation, appel�e fermentation alcoolique est identique � celle que subissent les vins tranquilles (c'est-�-dire non effervescents). Elle peut �tre suivie, mais ce n'est pas toujours le cas, d'une fermentation malolactique. Les maisons Lanson, � Reims et, Senez, � Fontette, sont r�put�es pour ne pas pratiquer cette fermentation malolactique, pour garder au vin sa vivacit�. Le vin de base est le plus souvent vinifi� en cuve. Certains pr�f�rent n�anmoins travailler � l'ancienne et vinifier en f�t de ch�ne ; c'est le cas des maisons Krug et Bollinger.
+En d�but d'ann�e (qui suit la r�colte), les vins sont suffisamment clairs pour �tre go�t�s et proc�der � l'�tape de l'assemblage qui m�lange en proportions variant � chaque ann�e des vins de c�pages, terroirs et mill�simes diff�rents (aucune autre A.O.C. en France ne permet ce type de m�lange de vin de diff�rents mill�simes).
+Quoi qu'il en soit, au moment d'embouteiller le vin de base ainsi obtenu, on lui ajoute la liqueur de tirage, compos�e de levures et de sucre. Cela enclenchera la derni�re fermentation, dite prise de mousse. C'est cette deuxi�me fermentation qui va donner naissance aux bulles de dioxyde de carbone.La bouteille est alors bouch�e avec une capsule m�tallique analogue � celle des bouteilles de bi�re.
+Cependant, cette deuxi�me fermentation produit des lies abondantes dont on devra d�barrasser le vin par la suite.
+Suit alors la p�riode de vieillissement du vin en bouteilles d'une ann�e environ pour les non mill�sim�s � trois ans et plus pour les bouteilles mill�sim�es.
+Apr�s ce vieillissement, on rangeait autrefois les bouteilles sur des �tag�res appel�es � pupitres � o� elles �taient pench�es le goulot vers le bas. Chaque jour, les bouteilles �taient remu�es, c'est-�-dire tourn�es d'un quart de tour, d'un mouvement sec, afin de d�coller les lies de la paroi de la bouteille et de les faire descendre vers le goulot. Cette technique est devenue anecdotique chez les n�gociants mais se pratique encore chez les petits vignerons qui ne sont pas �quip�s de moyens d'automatisation. Au bout de quelque temps, toutes les lies sont rassembl�es dans le col, contre la capsule. Pour chasser le d�p�t, on g�le alors le col dans un bain de saumure � -25�C et on �te la capsule ; le d�p�t est expuls� par le gaz sous pression, c'est l'�tape du d�gorgement. Le volume de champagne ainsi perdu est remplac� par un m�lange de vieux vin et de sucre, appel� liqueur d'exp�dition : c'est l'�tape du dosage. La quantit� de sucre pr�sente dans la liqueur va d�terminer si le champagne sera brut, sec ou demi-sec.
+Il existe aussi des champagnes non dos�s : apr�s le d�gorgement, on compl�te le niveau de la bouteille avec du vin au lieu de la liqueur d'exp�dition. Ce sont des champagnes tr�s � nature �. On en trouvera par exemple aupr�s des maisons Drappier � Urville, Georges Vesselle � Bouzy, Laurent-Perrier � Tours-sur-Marne, Paul Goerg � Vertus, Piper-Heidsieck � Reims ou Ayala � A�.
+Une fois le d�gorgement effectu�, dos�e ou non, la bouteille de champagne sera bouch�e avec son c�l�bre bouchon de li�ge maintenu par son muselet avant d'effectuer en cave un ultime vieillissement (maturation) avant commercialisation.On pr�l�ve sur ce stock, au fur et � mesure des besoins les bouteilles qui sont alors �tiquett�es et mises en caisses pour exp�dition.
+Le vin de Champagne est le fruit d'une subtile �laboration effectu�e tout au long de sa vinification et qui va donner ses caract�ristiques au produit pr�t � �tre consomm�. Les choix faits par chaque Maison lors de ce processus d�termineront, outre le type de vin, la marque gustative de celle-ci vis-�-vis du public. Les bruts repr�sentent entre 80% et 85% de la production, mais il existe une douzaine d'autres vari�t�s de Champagne, dont certains confidentiels.
+La typicit� d'un champagne peut �tre d�termin�e :
+Le champagne ros� est parfois �labor� par � saign�e �. Dans ce cas, la coloration est obtenue par fermentation momentan�e avec les pulpes, suivie d'un pressurage, ce qui permet l'extraction des tanins et colorants de la peau. Une autre m�thode, plus utilis�e, est l'assemblage de vin blanc et de vin rouge.
+Les ros�s pour lesquels la demande est plus forte depuis quelques ann�es repr�sentent moins de 5% de la production. Au xixe si�cle un champagne rouge avait aussi �t� �labor�, voir #Le champagne rouge.
+Le ma�tre de chai permettra la fermentation malolactique s'il d�sire un champagne structur� ; il l'�vitera - et arr�tera donc la fermentation au terme de la fermentation alcoolique - s'il souhaite un vin plus vif.
+Comme son nom l'indique, c'est celui qui est le plus pratiqu�. Il est un m�lange de c�pages, de crus et de mill�simes, chacun des dosages �tant un choix des Maisons remis en question chaque ann�e afin de pr�server au fil des ans le style du vin de la Maison.
+C'est aussi durant cette �tape qu'est le plus fr�quemment r�alis� le champagne ros� par assemblage d'une cuv�e de vin blanc avec une cuv�e de vins rouges de Champagne.
+Mill�sim� : soumis � aucune r�glementation, le choix de ne s�lectionner qu'une ann�e unique dans l'�laboration de ces vins produit des champagnes atypiques, au caract�re marqu� et qui ne sont pas forc�ment dans la lign�e habituelle des Maisons mais dont la grande qualit� honore celles-ci. Ils repr�sentent autour de 5% de la production.
+Cuv�e de prestige : Ces cuv�es sp�ciales de grande qualit� sont encore plus li�es au choix des Maisons (certaines en font plusieurs) mais le march� est domin� par quelques stars. Elles sont la cat�gorie la plus hupp�e de la production et en repr�sentent � peu pr�s 5%.
+Blanc de blancs : c'est un vin issu du seul c�page blanc, le chardonnay, qui donne un champagne au go�t frais et d�licat.
+Blanc de noirs : �labor� � partir de raisins noirs, pinot noir ou meunier et caract�ris� par la force du premier et/ou le fruit� du second. Parmi les � blancs de noirs � mono-c�pages, il est bien plus fr�quent de trouver un 100% pinot noir qu'un 100 % meunier. Ces vins peinent � trouver leur public, c'est encore plus vrai avec le 100% meunier, c�page qui f�t longtemps majoritaire en Champagne ; il n'y a gu�re que la maison Krug pour t�moigner de l'int�r�t qu'elle lui porte.
+C'est la teneur en sucres de la liqueur d'exp�dition utilis�e � cette �tape qui d�termine la qualit� du vin : brut nature, brut, demi-sec, etc.
+Outre le type de c�page utilis� qui d�termine l'aptitude de garde du vin, quelques Maisons font le choix de ne commercialiser certaines cuv�es qu'au terme de plusieurs ann�es de maturation, laissant ainsi le vin d�velopper son ar�me qui marquera d'autant plus son caract�re par rapport au reste de la ligne.
+Enfin, on fabrique en Champagne des vins... autrement typiques :
+Le raisin de Champagne est �galement utilis� pour �laborer un ap�ritif, le ratafia et des digestifs : le marc de champagne et la fine de Champagne.
+La bouteille de champagne classique a une contenance de 75 cl ; elle est plus �paisse et r�sistante que les bouteilles de vin courantes afin de r�sister � une pression des gaz de six atmosph�res. Le fond du flacon est aussi fortement creus� pour la m�me raison, ce qui permet au remueur de bouteilles de pouvoir y glisser son pouce. Cependant une seule marque propose une bouteille � fond plat transparente, il s'agit de la c�l�bre cuv�e � Cristal de Roederer �. Le tsar Alexandre II de Russie qui craignait pour sa vie, avait exig� ce type de bouteilles afin de v�rifier facilement qu'aucune bombe ne soit dissimul�e dans le renforcement de la bouteille.
+Les n�gociants champenois ont cr�� au xixe si�cle une s�rie de bouteilles de diff�rentes contenances - � noter que pour les vins de Bordeaux, certains noms de bouteilles correspondent � des contenances diff�rentes -, seuls la demi-bouteille, la bouteille et le magnum sont couramment utilis�s pour l'�levage du vin, les autres formats sont g�n�ralement remplis avec du vin d�j� ferment� :
+Les contenances sup�rieures au j�roboam sont tr�s rares, bien que leur dimension et leur esth�tisme accentuent le caract�re festif des �v�nements, les flacons, fragiles et tr�s chers � produire, deviennent rapidement peu pratiques � manipuler. Toutes les bouteilles de contenance sup�rieure au j�roboam portent des noms bibliques, � l'exception du souverain (26,25 litres) et du primat (27 litres).
+Les flacons subissent un test de r�sistance � la pression avant de recevoir le vin. La valeur de r�f�rence est de 6 bars, soit 30 � 40% de plus que la valeur r�ellement obtenue dans le vin. Le test ne concerne qu'un �chantillon pour petits formats (jusqu'au magnum), mais est appliqu� � l'ensemble des flacons pour les autres formats.
+Le choix de noms bibliques restent pour le moment inexpliqu�. Certains ont voulu y voir l'empreinte des familles protestantes qui sont venues s'installer en Champagne. En fait, il semble que la source de cet usage soit beaucoup plus ancienne car d�s les ann�es 1370 on trouve la trace du � j�roboam �, appel� � roboam � et du � balthazar � dans l'oeuvre po�tique d'Eustache Deschamps 6.
+Certains n�gociants ont r�cemment introduit des flacons aux contenances encore plus extravagantes.
+Un moyen mn�motechnique rend les principales tailles de bouteilles dans l'ordre croissant de contenance : � Car de bon matin je remarquais sa banalit� � (Quart / Demi / Bouteille / Magnum / J�roboam / R�hoboam / Mathusalem / Salmanazar / Balthazar / Nabuchodonosor).
+Le bouchon de li�ge des bouteilles de champagne est c�l�bre pour sa forme en champignon bien plus complexe que celle cylindrique des bouchons utilis�s pour les autres vins. En fait, cette forme lui est conf�r�e par le goulot de la bouteille dans lequel il n'est que partiellement ins�r�.
+Il est, au moment de l'embouteillage, cylindrique et de fort diam�tre (31mm). Pour que le bouchon puisse entrer, il est n�cessaire de le mettre en place par compression (r�duction forte du diam�tre � 17mm) dans le col de la bouteille sur la moiti� de sa longueur, puis de l'�craser en forme de champignon pour recevoir le muselet. Ce bouchage � en force � permet de s'assurer que le bouchon ne sautera pas tout seul, sous la pression du gaz contenu dans le vin. Avec le temps, le bouchon perd son �lasticit� naturelle. La partie du bouchon situ�e au niveau du goulot est d�form� lors de l'�crasement n�cessaire � la mise en place du muselet et se dess�chera plus vite que celle en contact avec le vin. D'o� la forme au moment de l'ouverture de la bouteille, plus �troite au niveau du col. Cela est de plus favoris� par la diff�rence de qualit� des li�ges (de plus en plus chers) constituant le bouchon. En laissant tremper un bouchon usag�, il reprend en partie sa forme originelle.
+On distingue nettement, sur un bouchon, de par la diff�rence d'aspect des li�ges :
+Une fois assembl�s, meul�s et ponc�s, les bouchons font l'objet d'une s�lection individuelle et sont g�n�ralement trait�s en surface (paraffine solide), pour garantir leur �tanch�it� et favoriser leur introduction dans la bouteille.
+Au-dessus du bouchon, une plaque en fer-blanc est maintenue, avec le bouchon, par du fil de fer pr�form�, appel� muselet. Cette plaque emp�che le fil de fer de s'enfoncer dans le bouchon. Le muselet est repris sur la collerette du goulot, et maintient le bouchon qui ne peut alors plus �tre �ject� par la pression dans la bouteille. Les plaques de muselet (�galement appel�es � capsules � dans le langage courant) sont devenues l'objet d'une collection, la placomusophilie.
+Il existe un chocolat du nom de � bouchon de champagne � ayant la m�me forme que le bouchon et aromatis� au marc de champagne.
+Le vieux centre de la ville de Troyes est en forme de bouchon de champagne.
+En 2009, un nouveau type de bouchon de champagne fait son apparition. Nomm� Maestro, il permet d'ouvrir la bouteille avec facilit�, tout en conservant le bruit caract�ristique des anciens bouchons.
+L'Union des Maisons de Champagne (UMC) install�e � Reims regroupe les n�gociants en Champagne d�s 1882.
+Le Syndicat G�n�ral des Vignerons de la Champagne (SGV)install� � �pernay regroupe depuis 1904 les vignerons.
+Le Comit� interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) poss�de son si�ge � �pernay ; il a notamment pour r�le de g�rer l'appellation d'origine contr�l�e du Champagne. Officiellement cr�� par la loi du 12 avril 1941, cette interprofession entre les n�gociants et les vignerons existe informellement depuis 1919, date � laquelle les syndicats des deux professions prennent l'habitude de se r�unir, une fois, l'an pour discuter du prix du raisin afin de stabiliser le prix de vente du Champagne. Le CIVC est co-pr�sid� par le pr�sident du SGV et le pr�sident de l'UMC.
+Le VITeff (Biennale Internationale des Techniques champenoises et effervescentes) se tient � �pernay et dont la 10e est annonc�e pour 2008.
+La superficie constat�e en AOC lors des d�clarations de r�colte s'�tablit pour 2002 � 29,3 milliers d'hectares, dont 21,8 pour le d�partement de la Marne. � la vendange 2006, la superficie en production fut estim�e � 32 200 hectares.
+En 2007, le vignoble champenois s'est �tendu sur 32 341 hectares, dont 21 917 dans le d�partement de la Marne, 7 327 dans l'Aube et 3 097 dans l'Aisne et la Seine-et-Marne sur un total de 317 villages, auxquels pourraient s'ajouter 2 500 hectares actuellement non plant�s. L'Aube est le deuxi�me d�partement en superficie d'appellation champenoise.
+Voir le paragraphe sur la proc�dure d'extension.
+La production annuelle s'�tablit autour de 2,5 millions d'hectolitres, soit � peu pr�s 350 millions de bouteilles par an. Elle avait baiss� lors de la campagne 2001/2002 pour remonter � 2,4 Mhl en 2002/2003.
+Les stocks s'�l�vent en 2002/2003 � 3,4 Mhl, soit une disponibilit� totale de 5,8 Mhl. Ce chiffre est en l�g�re mais constante progression au cours des 10 derni�res ann�es.
+Les exp�ditions avaient connu un pic � 310 millions de bouteilles lors de la campagne 1998/1999, surtout vers l'�tranger, juste avant le passage � l'an 2000, suivi d'une baisse sensible. 2002/2003 confirme la reprise d�j� constat�e lors de la campagne pr�c�dente. Volume annuel de ventes se montent autour de 700 millions � 900 millions d'euros.
+Les exp�ditions, �valu�es en millions de bouteilles, ont repr�sent�
+Sur ce total, la r�partition par destination en 2004 a �t� la suivante :
+La r�partition par fili�re de vente en 2004 a �t� la suivante :
+Parmi les n�gociants, il existe 12 grands groupes qui p�sent ensemble plus de 170 millions de bouteilles (55% des exp�ditions de 2004). Ces groupes disposent � l'�tranger d'efficaces r�seaux de distribution et sont les locomotives de la profession. Lors des vingt derni�res ann�es une quarantaine de marques ont chang� de main pour rejoindre le plus souvent l'un de ces grands groupes et la concentration semble loin d'�tre termin�e.
+Source : Viniflhor (Office national interprofessionnel des fruits, des l�gumes, des vins et de l'horticulture).
+L'appellation � champagne � est une AOC, mais l'indication � Appellation d'origine contr�l�e � ne figure que tr�s rarement sur les �tiquettes des bouteilles de champagne. C'est la seule appellation, avec celle de cognac, qui est dispens�e de cette mention, car c'est le seul vignoble qui n'a pas de vin d�class� (tous les autres vignobles vendent AOC et vin d�class�).
+C'est une loi de 1927 qui d�finit, aujourd'hui encore, les crit�res d'attribution de l'AOC champagne. Mais depuis le 13 mars 2008, quarante communes, d�sign�es par un comit� d'experts, pr�tendent elles aussi � la prestigieuse appellation.
+Le mot � champagne � lui-m�me est �galement prot�g� avec une grande vigilance.
+Ainsi la commune de Champagne, 660 habitants, situ�e dans le canton de Vaud en Suisse a d� renoncer � mentionner le nom de Champagne sur les vins (non p�tillants) produits dans son terroir de 28 hectares, dans le cadre d'un accord international intervenu entre la Suisse et l'Union europ�enne en d�cembre 1998.
+Pour cette m�me raison, la firme Yves Saint-Laurent a d� interrompre le lancement d'un parfum qu'elle avait nomm� Champagne. Le nom du parfum a finalement �t� chang�, il est actuellement commercialis� sous le nom Yvresse.
+Aux �tats-Unis, m�me si l'appellation � champagne � est consid�r�e comme � semi-g�n�rique � par la loi am�ricaine et est autoris�e si elle est suivi de la mention du lieu de production (mais uniquement pour la commercialisation int�rieure), de nombreux producteurs am�ricains de m�thode traditionnelle - notamment ceux qui ont fait leur preuve sur le march� am�ricain - leur pr�f�rent d�sormais les appellations � m�thode champenoise � ou plus g�n�ralement la d�signation de � sparkling wine � (� vin p�tillant �). Paradoxalement, seuls certains producteurs am�ricains visant le march� bas et milieu de gamme utilisent encore la d�signation � champagne �, notamment Korbel, Tott ou Cook's.
+L'art champenois consiste � assembler des crus non pas � composer des mill�simes. Les cuv�es mill�sim�es ne d�passent jamais plus de 5% des ventes de champagne. Elles sont surtout un extraordinaire vecteur de communication pour doper les ventes et faire parler des marques. Les marques rivalisent d'id�es et organisent des �v�nements autour de leurs mill�sim�s pour faire parler d'elles.
+Selon le Comit� interprofessionnel des vins de Champagne, le mill�sime � est un outil de valorisation. La demande est toujours forte mais le vignoble champenois n'est pas extensible, la croissance ne peut donc se faire que dans le haut de gamme �. Une cuv�e mill�sim�e se vend en moyenne 30% � 40% plus cher que le brut et beaucoup plus dans le cas des cuv�es de prestige. La tentation est donc forte de mill�simer m�me quand l'ann�e ne le m�rite pas vraiment. Entre 1945 et 2004, la Champagne a mill�sim� 46 fois.
+Or, mill�simer n'est pas une d�marche sans risque, car selon Olivier Krug, � un mill�sime est une figure libre par rapport � un brut. Il refl�te le climat d'une ann�e, c'est une personnalit�, un caract�re �. Pour Beno�t Gouez de chez Mo�t & Chandon, � �laborer un mill�sime, c'est bousculer les codes d'une maison �.
+De par sa situation au coeur du vignoble champenois et du fait que des instances officielles (CIVC, SGV, VITeff) autant que de nombreuses maisons de Champagne (Mo�t & Chandon, Champagne Mercier, etc.) y soient install�es, la ville d'�pernay se pr�sente comme la capitale du Champagne.
+Cette boisson a acquis une forte notori�t� internationale en devenant un synonyme de luxe, �tant employ�e notamment pour c�l�brer les grandes occasions. La particularit� � effervescente � du champagne est un peu � l'origine de ce caract�re festif : on fait sauter le bouchon, plus rarement on sabre la bouteille, et la victoire est f�t�e dans de nombreux sports par l'aspersion de la foule � l'aide d'une bouteille de champagne agit�e par les vainqueurs depuis leur podium. C'est ainsi le cas en formule 1 ou lors des �tapes de l'�preuve cycliste du Tour de France (la loi �vin a supprim� cette coutume sur le Tour de France [1]). De m�me, le bapt�me des navires se fait traditionnellement en brisant une bouteille de champagne sur la coque.
+Un champagne jeune (12 mois � 3 ans) dispose d'ar�mes d'une grande fra�cheur qui peuvent correspondre � des parfums de fruits blancs ou rouges, d'agrumes, de fleurs blanches, de v�g�taux, de ferments (levure, mie de pain) ou encore � des senteurs min�rales. Pour le champagne plus mature (3 � 5 ans), les ar�mes sont plus ronds et forts et s'�tablissent dans le registre des fruits jaunes, secs ou cuits, d'alcools v�g�taux, d'�pices, de confiserie et de p�tisserie. Apr�s 5 ans le parfum est plus complexe et s'exprime au travers d'ar�mes de fruits tr�s m�rs ou confits, de parfums de sous-bois, de torr�faction, de grill� ou de miel.
+On peut lire sur une �tiquette de champagne la marque, le nom de l'�laborateur, le dosage (brut, sec, z�ro dosage, etc.), le mill�sime - ou en son absence, la commune d'origine des raisins, et parfois la cotation qualitative des raisins : � grand cru � pour les dix-sept communes qui ont le droit � ce titre ou � premier cru � pour les quarante et une autres. Le statut professionnel du producteur est obligatoire et se traduit par les caract�res suivants :
+Le vin de Champagne se boit en toutes occasions et il peut �tre le vin unique de tout un repas.
+En premier lieu, il est n�cessaire de savoir que lorsque l'on ouvre une bouteille de champagne, le bruit d'un bouchon qui saute se fait au d�triment de la sensation gustative, m�me si ceci est r�alis� au profit du c�t� festif. Il est donc primordial de renoncer au bruit et de toujours retirer le bouchon avec d�licatesse pour garder toute la saveur. Rappelons aussi qu'un bouchon de champagne incontr�l� peut atteindre une vitesse de pr�s de 15 m/s (soit 50 km/h).
+De mani�re toute aussi contrariante, un bouchon trop vite enlev� peut se solder par un jaillissement d'un jet mousseux caus� par une concentration de bulles excessive : on appelle cela un ph�nom�ne de � gerbage �. Bien que les pilotes de formule 1 r�alisent intentionnellement cette action en secouant fortement la bouteille avant de l'ouvrir, les Maisons de champagne se pr�occupent au contraire de pr�venir ce ph�nom�ne au sein de leurs usines. Sur leurs lignes de production, les bouteilles s'entrechoquent en permanence, agitent leur contenu et cr�ent ainsi de nouvelles bulles de gaz carbonique susceptibles de provoquer le gerbage � l'ouverture de la bouteille ; et ainsi occasionner une perte de champagne mais aussi ralentir la cadence de production de leurs bouteilles.
+Le champagne doit �tre servi frais, entre 6 et 8 �C lorsqu'il est jeune, jusqu'� 10 �C lorsqu'il est plus mature ou mill�sim�. On place la bouteille pendant 20 � 30 minutes dans un seau � champagne rempli � moiti� d'eau et de glace (pas plus d'une dizaine de cubes de glace). On peut �galement placer la bouteille au r�frig�rateur (surtout jamais dans le compartiment � glace et pire au cong�lateur).
+La temp�rature de service chez � Lasserre � qui est un grand restaurant o� le vin de Champagne est roi est de 9 �C. Les champagnes les plus anciens, au-del� de quinze ans d'�ge, peuvent �tre offerts � 14 ou 15 �C, c'est-�-dire, � la temp�rature d'une bonne cave.
+Qu'elle soit dans un seau � champagne ou au r�frig�rateur, la bouteille de champagne ne doit pas rester � la lumi�re et surtout pas �tre expos�e � la lumi�re de n�ons, car la lumi�re lui donne assez rapidement un go�t d�testable - ce conseil est valable pour tous les vins � bulles. Il est donc conseill� de couvrir ou d'emballer la bouteille d'un linge fin ou au mieux - de fa�on plus raffin�e - avec du papier de soie.
+On utilise de pr�f�rence une fl�te ou un verre dit � tulipe �, les coupes �tant accus�es de perdre l'ar�me du champagne ainsi que de laisser les bulles s'�chapper plus facilement. Les fl�tes sans pied historiquement issues des f�tes galantes du xviiie si�cle s'appelaient � libertines �.
+Il faut penser � changer les fl�tes chaque fois qu'on change de cru. La dose standard est 10 cl. Les sommeliers comptent 6 � 10 fl�tes pour une bouteille de 75 cl. Le contenant doit absolument �tre en verre ou cristal et surtout pas en plastique. Le plastique �tant hydrophobe, il ne permet pas aux bulles d'�tre fines et de p�tiller : elles restent coll�es aux parois.
+Pour un repas uniquement au vin de Champagne, la quantit� globale conseill�e pour tout le repas est d'� peu pr�s une bouteille par personne - ce qui repr�sente le double des quantit�s autoris�es en France pour conduire. On peut �valuer la r�partition conseill�e tout au long du repas comme suit :
+Le service du champagne, dit � � la champenoise �, suit un protocole particulier :
+Il �tait autrefois de tradition d'accompagner la d�gustation du champagne de petits biscuits longs et rectangulaires recouverts de sucre glace : les biscuits � la cuiller ou biscuits roses de Reims.
+De par sa teneur en alcool, la consommation excessive de vin de Champagne peut �tre nuisible pour la sant�. Sa consommation est sp�cialement d�conseill�e aux femmes enceintes, en raison des effets possibles de l'alcool sur le d�veloppement du foetus 13.
+Cependant, le vin de Champagne fut longtemps chaleureusement recommand� en oenoth�rapie au motif qu'il � dissipe les �tats naus�eux et soutient le moral �. Le chanoine Godinot en 1718, dans son trait� sur les vins de Champagne, assurait : � De tous les vins, il n'en est pas de meilleur pour la sant� qu'un vin gris de Champagne, ou couleur oeil de perdrix �.
+Ses qualit�s :
+Au xixe si�cle, quelques maisons �labor�rent du vin de Champagne effervescent de couleur rouge en ajoutant � du champagne blanc un quart ou un tiers de vin rouge tranquille, puis une part de liqueur d'exp�dition de couleur rouge. Ce type de produit fut interdit et la derni�re maison qui en �labora fut la maison F. Giesler en 1887.
+En 2007, on pouvait trouver sur les compagnies a�riennes suivantes :
+Le r�chauffement global de la plan�te aura sans aucun doute des cons�quences sur la culture de la vigne et sur l'industrie du champagne en particulier. Le climat septentrional et les sols calcaires permettent aux viticulteurs champenois d'avoir une production de qualit�. Non seulement un climat frais produit des vins �pres et l�gers n�cessaire pour la r�alisation d'un bon champagne mais en plus les sols calcaires apportent aux raisins une acidit� qui permet aux ar�mes de se d�velopper longuement au cours de la phase de vieillissement ; une �l�vation des temp�ratures et une longue saison chaude en Champagne modifieraient de ce fait les propri�t�s et le bon d�roulement du processus de vieillissement de ce vin.
+Au cours de l'�t� 2003, la France a connu les temp�ratures les plus chaudes jamais connues. Les faibles pr�cipitations et la chaleur ont non seulement provoqu� un dess�chement du raisin, mais elles ont �galement eu pour cons�quence une forte concentration de sucre dans les grains. Les niveaux d'acidit� ont chut� � mesure que le raisin se gorgeait de sucre, alors qu'un champagne � besoin d'une bonne acidit� pour bien vieillir et d�velopper ses ar�mes. La production de 2003 a �t� r�duite de 50% environ par rapport � une ann�e normale
+En 1961, Madame Bollinger r�pondit � un journaliste du London Daily Mail qui l'interrogeait sur sa consommation de Champagne
+� Je le bois lorsque je suis joyeuse et lorsque je suis triste. Parfois, je le prends quand je suis seule. Je le consid�re obligatoire lorsque j'ai de la compagnie. Je joue avec quand je n'ai pas d'app�tit, et j'en bois lorsque j'ai faim. Sinon je n'y touche jamais, � moins que je n'aie soif �.+
� Le champagne : c'est le seul vin qui laisse la femme belle apr�s boire �, disait de lui la Madame de Pompadour.
+� Si je n'�tais roi de France, je voudrais �tre prince d'Ay � aurait dit Henri IV.
+� Je ne peux vivre sans Champagne, en cas de victoire, je le m�rite ; en cas de d�faite, j'en ai besoin. � Napol�on Bonaparte
+Depuis la fin du xixe si�cle de nombreux artistes ont travaill� sur le th�me du vin de champagne. D�s le d�but le but est d'associer au champagne les id�es de luxe, de mondanit� et m�me d'�rotisme. Un travail sur l'authenticit� a aussi �t� abord�.
+Parmi les artistes : Andreis (Delbeck), Aubrey Beardsley (Piper-Heidsieck), Pierre Bonnard (France-Champagne), Leonetto Cappiello (Delbeck, De Castellane), Jules Ch�ret, Walter Crane, Ren� Gruau (Interprofession), Louis Th�ophile Hingre (Roederer, SN Grands vins d'Ay), L�o Kouper (De Castellane), Achille Mauzan (Pommery, Victor Clicquot), Alfons Mucha (Ruinart, Mo�t & Chandon), Toulouse-Lautrec, Raymond Savignac (De Castellane), Bernard Pag�s (Mailly Grand Cru).
+Voir aussi � �pernay le mus�e de l'affiche de la Maison de Castellane sur la th�me de la croix de Saint-Andr� son symbole.
+Lire : Jean-Marie Pin�on : Le Champagne dans l'art, Thalia �dition, 174 pages. Une s�lection de 71 oeuvres de peintres.
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