exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
Le lobbying n'est peut-�tre pas le plus vieux m�tier du monde, mais peu s'en faut. D�s l'instant o� des souverains ont eu besoin d'intendants et de conseillers pour g�rer leurs affaires et administrer leur politique, d'aucuns ont cherch� � les courtiser par le biais de leurs plus proches serviteurs. Il est int�ressant de noter qu'aussi bien en Europe qu'en Asie, rois et empereurs disposaient d'un vaste appareil destin� � entretenir membres de la cour et favoris. L'empereur chinois comme le shogun japonais �taient entour�s d'une foule de courtisans, et ceux qui �taient en qu�te de faveurs cherchaient souvent � soudoyer les hauts dignitaires pour peser sur leurs d�cisions.
Chaque fois que les pouvoirs publics envisagent des politiques propres � faire des gagnants et des perdants, opposants et partisans s'organisent pour d�fendre leurs int�r�ts. Cette joute entre groupes d'int�r�ts et adversaires politiques se livre dans la plupart des syst�mes politiques, d�mocratiques ou non, � tous les �chelons de l'administration, au niveau tant local que national.
Or aujourd'hui, pour ceux qui veulent infl�chir le cours des grandes d�cisions politiques, la premi�re sc�ne du monde, voire de l'Histoire, est � Washington, D.C., ville n�e d'une transaction politique entre forces oppos�es qui s'est sold�e par des gagnants et des perdants, mais o� certains ont r�cup�r� plus que leur mise. La gen�se de la cr�ation d'une nouvelle capitale dans les tous jeunes Etats-Unis d'Am�rique a ouvert la voie au lobbying et en a fait un terme incontournable de l'�quation de toutes les grandes d�cisions de l'Etat. Sous la pr�sidence du g�n�ral Washington, Alexander Hamilton, le secr�taire au Tr�sor, soucieux d'asseoir le cr�dit de la jeune nation, d�cide d'assumer les dettes h�rit�es de la r�volution. Thomas Jefferson et James Madison, deux de ses adversaires politiques, s'opposent � son plan, tout en faisant eux-m�mes l'objet d'un lobbying de la part des Etats et des groupes d'int�r�ts qui redoutent de voir leur prosp�rit� entam�e si la nation honore ses dettes. Mais Hamilton sait que ce qui importe davantage encore � Madison, c'est le d�bat sur le lieu d'installation du futur si�ge du Congr�s, pour lequel cinq sites sont envisag�s. Les sp�culateurs immobiliers ne pouvant que profiter de l'op�ration, quel que soit le site choisi pour le Capitole, Hamilton s'assure le soutien de ses adversaires sur la question du budget en se ralliant au projet d'installer la capitale f�d�rale dans une zone mar�cageuse sur le Potomac, � c�t� de la Virginie, Etat d'o� Madison et Jefferson sont originaires. Les amis de Madison en profitent et la fiert� de la Virginie s'en trouve confort�e. Le compromis politique n'est donc pas chose nouvelle, et souvent la d�finition de la politique officielle est le fruit de l'�pre rivalit� qui, en coulisses, oppose entre eux les responsables politiques l�gitimes, mais aussi les acteurs puissants et officieux, voire ill�gitimes, qui oeuvrent au sein de l'appareil politique.
Si les r�dacteurs de la Constitution des Etats-Unis n'ont pas pr�vu le lobbying dans leur trait� sur le gouvernement, les lobbyistes constituent pourtant un rouage essentiel de l'appareil d'Etat depuis le d�but de sa cr�ation. Dans son acception initiale, le terme de " lobbyiste " d�signe toute personne ou tout groupe qui essaie d'influer sur la politique ; mais, au fil du temps, il a �t� utilis� plus g�n�ralement pour qualifier tout simplement un agent d'influence r�mun�r�, un d�fenseur de dossiers, souvent avocat ou charg� de relations publiques, ou encore ancien membre du gouvernement, dont la connaissance des repr�sentants et des coulisses du pouvoir peut conf�rer � des int�r�ts priv�s l'avantage d'influer sur une d�cision politique.
Au S�nat comme � la Chambre des repr�sentants, la correspondance que re�oit le bureau d'un parlementaire est, en r�gle g�n�rale, codifi�e et enregistr�e diff�remment selon que le courrier postal ou �lectronique re�u fait partie d'un envoi massif ou qu'il est unique. Si le courrier provient du district ou de l'Etat d'origine du parlementaire, il b�n�ficie d'une attention plus grande que s'il �mane d'une lointaine localit�. Or, la cat�gorie qui se voit accorder une attention prioritaire est souvent qualifi�e de " point rouge ", ce qui signifie que le membre du Congr�s lit ce courrier et y r�pond souvent personnellement. Pour b�n�ficier du statut de " point rouge ", il ne suffit pas d'envoyer une proposition de mesure particuli�rement int�ressante et utile pour la collectivit� ; il vaut mieux effectuer des dons importants - du niveau maximal autoris� par la loi - sur le compte de campagne de l'�lu. On peut aussi aider � mettre sur pied un comit� d'action politique qui versera, toujours dans le respect de la l�galit�, des sommes importantes au parti politique dudit parlementaire, ou contribuera financi�rement � ce comit�. A l'�vidence, l'argent r�gne en ma�tre et il en a toujours �t� ainsi. Une participation financi�re permet de faire entendre sa voix, et les lobbyistes exercent leur influence en mobilisant leurs r�seaux traditionnels, mais aussi en exploitant leur aptitude � collecter des fonds et � susciter la contribution d'un grand nombre de " points rouges ", ainsi qu'en d�montrant leur capacit� � obtenir les r�sultats politiques escompt�s par leurs clients.
Les cabinets de lobbying de Washington - la l�gion des " points rouges " -sont concentr�s sur " K Street ", dans le district de Columbia. A vrai dire, " les lobbyistes d'entreprise ont tellement p�n�tr� dans la culture de la Cit� qu'on a parfois le sentiment qu'ils font partie de l'appareil d'Etat lui-m�me ". Le secteur du lobbying a pris d�sormais une place si importante que certains grands journaux de la presse nationale, comme le Washington Post, le National Journal et Roll Call, lui consacrent une rubrique sp�ciale.
L'arch�type du lobbyiste, tel qu'il a �t� croqu� aux Etats-Unis dans certaines des caricatures politiques les plus incisives du XXe si�cle, a longtemps �t� un personnage ventripotent qui fume le cigare et r�de dans l'ombre d'un homme politique dont il remplit les poches de dollars. Aujourd'hui, les lobbyistes sont devenus des acteurs plus sophistiqu�s du jeu politique. Toutefois, des efforts sont en cours pour endiguer le pouvoir de ces �minences grises et instaurer davantage de transparence sur les liens qu'ils entretiennent avec les responsables politiques. Auparavant, les lobbyistes avaient leurs entr�es dans les " vestiaires " du Congr�s, ces antichambres priv�es dont disposent les d�l�gations des partis dans chacune des deux chambres, ce qui n'est pas le cas du citoyen moyen. Ce privil�ge leur a �t� retir�, mais le monde des " points rouges " d�tient encore nombre de privil�ges officieux, en particulier au Congr�s, dont le simple citoyen ne b�n�ficie pas non plus. R�cemment, Chris Dodd (s�nateur d�mocrate, Connecticut), pr�sident du Senate Rules and Administration Committee (Commission s�natoriale des r�glements et de l'administration), a voulu une fois encore accro�tre les pr�rogatives des lobbyistes par rapport aux citoyens ordinaires pour ce qui est de leurs entr�es au Capitole : il a propos� un dispositif leur permettant d'y acc�der plus rapidement et plus ais�ment pour contacter les parlementaires et leurs collaborateurs - une sorte de coupe-file analogue � la carte propos�e aux VIP par la compagnie a�rienne United Airlines. N�anmoins, les relations financi�res entre responsables politiques et lobbyistes sont strictement r�glement�es : repas, voyages ou dons financ�s par des groupes d'int�r�ts par le biais des seconds au profit des premiers sont soit devenus illicites, soit d�sormais r�glement�s par plusieurs bureaux de contr�le d�ontologique au sein du Congr�s et de l'Ex�cutif.
Dans un article �crit apr�s la promulgation de l'interdiction de dons aux s�nateurs, en 1996, sous le titre " How to Still Make a Senator Smile? " (" Comment faire encore sourire un s�nateur ? "), j'examine comment le monde de l'influence peut encore induire en tentation les l�gislateurs et leurs �quipes, malgr� la profusion de r�gles et r�glements nouveaux qui ont �t� adopt�s aussi bien � la Chambre des repr�sentants qu'au S�nat concernant leurs liens avec les lobbyistes. C'est ainsi que la caf�t�ria du S�nat - et sa nourriture bon march� mais tout � fait honn�te - a remplac� les restaurants renomm�s pour devenir le lieu privil�gi� o� les lobbyistes invitent les collaborateurs personnels (staffers) des membres du Congr�s ou les parlementaires eux-m�mes, car c'est un endroit o� ils peuvent leur offrir un nombre illimit� de repas non enregistr�s sans d�passer la limite annuelle impos�e par les nouvelles r�gles. Le Code de d�ontologie du S�nat est un document de 562 pages qui recense ce qui est autoris� et ne l'est pas entre, d'une part, les s�nateurs et leurs collaborateurs et, d'autre part, les groupes d'int�r�ts. Une partie des dispositions concernant les dons est libell�e comme suit :
" Le terme "don" d�signe toute forme de gratification, de faveur, de remise, d'invitation, de pr�t ou d'exon�ration ou tout autre �l�ment ayant une valeur mon�taire. Il englobe les dons de services, de formation, de transport, d'h�bergement et de repas, qu'ils soient fournis en nature, par l'achat d'un billet, par un paiement anticip�, ou par le remboursement des d�penses engag�es. "
Toutefois, si certains collaborateurs personnels des parlementaires peuvent toujours continuer � b�n�ficier de repas offerts par des lobbyistes au service d'int�r�ts aussi divers que les droits de pacage, les licences d'utilisation du spectre �lectromagn�tique, la lev�e des sanctions unilat�rales visant Cuba ou le Soudan, ou l'exploration p�troli�re dans la r�serve naturelle de l'Alaska, les lobbyistes ont vu battre en br�che leur capacit� � inviter les parlementaires dans les meilleurs clubs et restaurants de Washington.
Sans entrer dans le d�tail des dispositions qui r�gissent d�sormais les rapports entre lobbyistes et membres du Congr�s ou de l'Administration, on constate n�anmoins que s'est mise en place une v�ritable " seconde �conomie " de l'influence politique. Au lieu de se contenter des contacts privil�gi�s et directs qu'ils entretiennent avec les membres de l'ex�cutif, les lobbyistes recourent de plus en plus � des forums de " sensibilisation des responsables publics " et � des think tanks (" laboratoires d'id�es ") pour d�marcher les parlementaires ou leurs assistants. Le code de d�ontologie autorise les collaborateurs politiques � assister � des r�unions " largement ouvertes " - d�finies comme �tant simplement celles auxquelles assistent un minimum de dix personnes - et � profiter des repas et autres avantages offerts � cette occasion. Il autorise aussi les parlementaires et leurs assistants � effectuer des voyages � l'int�rieur et � l'ext�rieur des Etats-Unis, aux frais de leur h�te, si l'objet de ces voyages rel�ve de leurs obligations et si le financement en est assur� par un organisme sans but lucratif s�lectionn� par un bureau de d�ontologie.
Fait �tonnant, malgr� cette exigence de contr�le d�ontologique, l'organisme de financement ne rencontre aucun probl�me et n'enfreint aucune loi s'il sert de vecteur � une op�ration de blanchiment d'argent pour le financement, par des entreprises ou des fonctionnaires �trangers, de programmes ou de voyages destin�s � des responsables publics. C'est ainsi que le gouvernement chinois peut inviter des membres du personnel du Congr�s en finan�ant un organisme sans but lucratif charg� de l'organisation de la visite et de l'invitation des assistants des parlementaires, voire, dans certains cas, des parlementaires eux-m�mes. Le gouvernement taiwanais fait voyager tous les collaborateurs invit�s des membres du Congr�s en premi�re classe sur China Airlines et leur offre un accueil pour VIP dans les meilleurs h�tels de Taipei, o� ceux-ci ont le privil�ge tout � fait inhabituel d'avoir chacun un serveur d'�tage personnel. C'est ainsi qu'un de ces collaborateurs, ayant chang� de domaine d'intervention au sein de l'�quipe d'un membre de la Chambre des repr�sentants, m'a fait savoir qu'il �tait " disponible " pour effectuer des visites partout dans le monde si celles-ci avaient trait � ses nouvelles responsabilit�s dans le domaine de la politique des t�l�communications. Nombre de programmes financ�s par des entreprises, voire par des gouvernements �trangers, offrent effectivement d'excellentes occasions de sensibiliser les participants aux dossiers de politique publique ; mais beaucoup ne sont en fait qu'un simple moyen de voyager aux frais de la princesse, et visent davantage � corrompre qu'� �clairer l'esprit et le choix des hauts responsables des politiques publiques.
Jeremy Azrael, analyste de la RAND Corporation, a beaucoup �crit sur les seconde et tierce �conomies de l'ex-Union sovi�tique et des nouveaux Etats ind�pendants d'Europe orientale, estimant que la corruption qui s'est manifest�e au sein de ces appareils politiques �tait une n�cessit� naturelle et pr�visible compte tenu de l'inad�quation de l'�conomie centralement planifi�e. Si l'Etat n'est pas en mesure d'assurer une distribution efficace de pain et de chaussures dans le pays, des march�s parall�les se mettent en place pour r�pondre � la demande. Certes, les r�gles de comportement jouent un r�le - le comportement �tant influenc� via la tactique de la carotte et du b�ton -, mais si les r�gles d'une �conomie politique vont trop � l'encontre de la demande de certains biens ou services, le fournisseur cherchera d'autres moyens de survivre et de prosp�rer. Un bon exemple d'une telle situation est offert par l'�conomie de la drogue aux Etats-Unis et dans d'autres syst�mes fortement r�gul�s de lutte contre la production et la consommation de drogues illicites. L'�conomie souterraine du secteur de la drogue outre-Atlantique semble en effet prosp�rer, et ce, malgr� l'�norme effort d'investissement d�ploy� par l'Administration pour lutter contre la production, l'offre et la distribution de drogues illicites. On peut aussi voir dans le vol de propri�t� intellectuelle pratiqu� en Chine un autre cas o� le dispositif de lois et r�glements n'est pas encore suffisamment �labor� pour battre en br�che l'�conomie illicite qui consiste � copier, produire et distribuer des copies pirat�es de disques compacts � succ�s, voire � publier une s�rie de nouveaux Harry Potter que J. K. Rowling n'a jamais �crits, sans parler des nombreuses copies pirat�es de ceux qui sont r�ellement de son cru.
En r�alit�, face au contr�le et � la r�glementation accrus du secteur du lobbying, les lobbyistes ont cherch� d'autres moyens de d�fendre leurs int�r�ts : or, l'une des strat�gies les plus habiles, d�j� employ�es par les entreprises et d'autres groupes d'int�r�t, consiste � se servir des think tanks pour relayer leurs propositions en mati�re de politiques publiques. La plupart des think tanks sont organis�s en vertu du droit am�ricain des soci�t�s selon les m�mes dispositions que celles r�gissant les organisations caritatives et �ducatives, ce que l'on appelle les " organisations 501(c) ". Si DaimlerChrysler veut sensibiliser des parlementaires ou leurs assistants au probl�me du non-respect par la Cor�e des termes de l'accord bilat�ral sur l'automobile pass� entre ce pays et les Etats-Unis, ou si la Biotechnology Industry Association veut faire valoir les raisons pour lesquelles le " principe de pr�caution " pr�n� par l'Europe sur les aliments et les produits g�n�tiquement modifi�s constitue une entrave � la recherche, au libre-�change et � la modernit�, ces deux organisations pourraient s'adresser, par exemple, � des organisations comme celle � laquelle j'appartiens - la New America Foundation, ou � d'autres comme la Heritage Foundation, la Brookings Institution, le Center for Strategic and International Studies (CSIS), le Cato Institute, le Carnegie Endowment ou l'American Enterprise Institute (AEI), pour qu'elles organisent un d�jeuner ou un colloque dans le but de " sensibiliser " les responsables publics � ces probl�mes. Ces groupes d'int�r�t sp�cifiques pourraient demander � une organisation sans but lucratif, telle que le Congressional Economic Leadership Institute ou la New America Foundation, de mettre sur pied un voyage � Sydney, en Australie, pour �tudier la probl�matique des biotechnologies, ou � S�oul ou Bruxelles pour comparer les caract�ristiques respectives du commerce europ�en et cor�en de l'automobile. Dans la mesure o� les membres du Congr�s disposent souvent, en propre, de budgets de mission pour leurs bureaux personnels ou pour les commissions auxquelles ils appartiennent, une tactique int�ressante employ�e par l'organisme sans but lucratif ou l'�quipe de liaison du groupe d'int�r�t concern� consiste � sensibiliser les �pouses desdits parlementaires aux dossiers de politique publique et � les faire participer simultan�ment � des voyages qui poursuivent les objectifs du bureau personnel de ces parlementaires ou de leur commission.
Suivant une tradition instaur�e au sein de la vieille Europe, des individus et des institutions fortun�s ont souvent mis sur pied des associations caritatives destin�es � aider les d�favoris�s. Londres regorge encore aujourd'hui de ces v�n�rables " fondations de bienfaisance " (les charities) cr��es pour �duquer la jeunesse, aider les sans-abri et s'attaquer � toutes sortes de maux sociaux. Sous une forme quelque peu diff�rente, ce type de fondation, issu d'une opulence r�volue, est l�gion en Italie, en France, en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe. Aux Etats-Unis, des particuliers fortun�s, d'Andrew Carnegie � Bill Gates, se sont acquitt�s de leurs responsabilit�s de citoyens privil�gi�s en cr�ant des fondations priv�es. La Ford Foundation de Henry Ford a �t� l'une des premi�res grandes fondations � s'engager dans les affaires du monde. Des lib�raux de la soci�t� civile comme Norman Lear et des politiciens conservateurs comme John Olin ont cr�� des fondations et des fonds destin�s � aider des projets et des individus s'inscrivant dans leurs camps politiques respectifs. Mais des entreprises ont fait de m�me. DaimlerChrysler, AT&T, Federal Expression, Philip Morris, Toyota, AIG Citigroup : partout dans le monde, des entreprises allouent des fonds issus de leur tr�sorerie propre ou de leurs fondations respectives, cr��es autour de leurs th�mes d'int�r�t sp�cifiques, pour financer aussi bien un orchestre philharmonique ou un bal d'investiture � l'issue de l'�lection pr�sidentielle, que des voyages ou des programmes de r�flexion politique destin�s aux responsables publics.
La soci�t� civile aux Etats-Unis regroupe un �ventail diversifi� d'acteurs et de points de vue qui couvrent tout l'�chiquier politique et s'affrontent pour avoir le dessus, les gagnants d'un jour pouvant �tre contraints � battre en retraite le lendemain. Partis politiques, m�dias, universitaires, institutions politiques publiques, syndicats, entreprises, responsables associatifs ou culturels, organismes de d�fense d'int�r�ts particuliers constituent ainsi l'un des plus riches tissus sociaux du monde. Pr�server la bonne sant� de la d�mocratie n�cessite, entre autres, d'emp�cher des monopoles de pouvoir, qu'ils soient financiers ou politiques, de d�s�quilibrer ce syst�me de concessions mutuelles entre adversaires. O� se situent les lobbyistes et leurs cabinets dans ce paysage ? En g�n�ral, ils sont d�nu�s de moralit� et pr�ts � d�fendre la plupart des dossiers en �change d'une r�mun�ration appropri�e. Il existe des lobbyistes de gauche comme de droite ; ils peuvent repr�senter des communaut�s, des Etats, des int�r�ts particuliers, des syndicats, des f�d�rations professionnelles et commerciales, ou des universit�s, car les lobbies couvrent tous les int�r�ts dont les politiques publiques sont susceptibles de faire des gagnants ou des perdants. Les lobbyistes ont envahi le syst�me, mais, en tant que groupe, ils sont pratiquement invisibles puisqu'ils ont rev�tu l'apparence de leurs clients. Comme l'a d�clar� Jonathan Rauch dans un entretien sur l'impossibilit� de distinguer entre l'emprise omnipr�sente des lobbyistes sur le gouvernement et l'int�r�t v�ritable des citoyens, " les lobbyistes sont des citoyens, les citoyens sont des lobbyistes ".
Toutefois, comme les outils du lobbying, et notamment leur facult� de solliciter des faveurs contre de l'argent, sont de plus en plus r�glement�s et transparents, les professionnels de l'influence ont d�couvert que les think tanks - qui sont eux aussi r�glement�s en th�orie, mais beaucoup moins en pratique - constituent un vecteur efficace pour promouvoir leurs dossiers.
Aux termes des r�gles de l'Internal Revenue Service (IRS), les organisations 501(c) b�n�ficient d'un r�gime fiscal particulier en tant qu'organisations au service de l'int�r�t public. Un �tablissement de soins palliatifs pour malades du sida, une �cole priv�e, les Boy Scouts d'Am�rique (BSA) sont autant d'institutions constitu�es en organisations sans but lucratif dont l'objet n'est pas officiellement de r�aliser des b�n�fices financiers mais bien de servir l'int�r�t public. Or les think tanks sont g�n�ralement r�gis par les m�mes dispositions du Code des imp�ts.
En tant qu'organisations 501(c) traitant de questions d'int�r�t public, les think tanks ne sont pas autoris�s � consacrer plus de 5 % de leurs ressources totales au lobbying et � la promotion de points du vue politiques. Ils doivent se doter d'un conseil d'administration et rendre librement accessibles le compte rendu des s�ances de ce conseil ainsi que les formulaires 990 de d�claration fiscale. Lors de la demande de statut d'organisation sans but lucratif, l'IRS v�rifie les r�gles d'adh�sion, notamment le caract�re non discriminatoire, les programmes envisag�s et le caract�re public, ainsi que les publications pr�vues et les modalit�s administratives qui en r�gissent le choix. Cependant, une fois le statut accord�, et tant qu'elle d�pose les d�clarations fiscales requises, l'organisation n'est que tr�s rarement soumise � des investigations concernant le respect du caract�re non lucratif de ses activit�s. L'une des rares exceptions � cette r�gle est le litige qui oppose de longue date l'IRS et l'Eglise de scientologie, constitu�e en association sans but lucratif d'int�r�t public. Si les r�gles r�gissant les organisations sans but lucratif, � la diff�rence de celles applicables aux entreprises classiques, int�ressent tellement les institutions actives dans le domaine des politiques publiques et les organismes � vocation sociale, c'est que les contributions qui leur sont vers�es par des particuliers, des entreprises et des fondations sont d�ductibles du revenu imposable. En d'autres termes, des particuliers fortun�s, inquiets par exemple de l'incidence n�gative que pourrait avoir pour leurs affaires une d�t�rioration des �changes commerciaux avec la Chine, peuvent soit donner de l'argent � des parlementaires, soit faire un don � des partis politiques, ni l'un ni l'autre n'�tant d�ductibles du revenu imposable ; mais ils peuvent aussi verser une contribution illimit�e � des think tanks pour que ceux-ci organisent � l'intention d'assistants parlementaires des d�ners, des colloques et des missions, ou encore subventionner des travaux de recherche d'un think tank sur les politiques publiques en vue de " sensibiliser " les responsables concern�s.
Cette pratique, souvent qualifi�e de " lobbying de fond ", est mise en oeuvre depuis de nombreuses ann�es. Elle l'a �t� au premier chef par Roger Milliken, magnat du textile de Caroline-du-Sud, qui a discr�tement combattu l'Accord de libre-�change nord-am�ricain (ALENA), l'Initiative concernant le bassin des Cara�bes (CBI), la l�gislation " acc�l�r�e " et autres r�glementations visant � s'attaquer aux protections dont b�n�ficiait le secteur du textile aux Etats-Unis. Si les efforts de Milliken ont souvent �chou�, sa fortune lui a permis de gagner du temps et de devenir en coulisses un acteur d�cisif de la sc�ne publique. Le soutien qu'il a apport� en sous-main � Ross Perot, en 1992 et 1996, a vraisemblablement co�t� leur �lection � l'ancien pr�sident George Bush et au s�nateur Robert Dole. Malgr� la fortune de Perot, ce furent en fait le financement par Milliken du Manufacturing Policy Project lanc� par Pat Choate et ses liens avec Pat Buchanan qui ont v�ritablement entrav� la capacit� du Parti r�publicain � lancer une offensive efficace contre Bill Clinton. Les tentatives cyniques mais couronn�es de succ�s de George W. Bush pour acheter le soutien de ceux qui �taient d�sireux de prot�ger l'industrie sid�rurgique ou de voir augmenter les subventions � l'agriculture - mesures allant toutes � l'encontre du message global des Etats-Unis en faveur du libre-�change et du lib�ralisme �conomique - visent aussi � emp�cher d'autres magnats de l'industrie du type de Roger Milliken de placer sur le chemin du pr�sident sortant, en les finan�ant, des adversaires susceptibles de le mettre en danger lors des �lections de 2004.
Les think tanks ont toujours re�u des contributions de particuliers, de fondations et d'entreprises d�fendant des causes politiques sp�cifiques. C'est ainsi que la Ford Foundation, soucieuse de r�habiliter � bien des �gards la m�moire de son fondateur, qui �tait antis�mite et p�tri de pr�jug�s divers, est devenue le champion des mesures anti-discriminatoires aux Etats-Unis. Les organisations qui ne respectent pas une diversit� ethnique et une repr�sentation des deux sexes effectives sur le plan quantitatif ne sont pas financ�es par cette fondation ; et celles qui s'interrogent sur la question, particuli�rement sensible, de savoir si de telles mesures ne sont pas devenues anachroniques ne b�n�ficient pas non plus d'une aide de la fondation, m�me si celle-ci est tout � fait favorable, par ailleurs, � tel ou tel projet desdites organisations. Il en va de m�me pour les entreprises et les syndicats. Aucune fondation li�e � un syndicat ne s'adressera � un think tank qui a produit force travaux de recherche en faveur du libre-�change mondial. Et des entreprises qui ont men� une guerre de tranch�e contre une politique de sanctions unilat�rales ne soutiendront pas des intellectuels ou des institutions qui consid�rent qu'actuellement une grande partie du monde profite de la situation cr��e par la d�cision des Etats-Unis de sacrifier des avantages �conomiques aux int�r�ts sup�rieurs de la s�curit� nationale.
S'il n'est pas nouveau que les think tanks re�oivent de l'argent d'instances d�fendant tel ou tel int�r�t politique, la culture de la soci�t� civile telle qu'elle existe aux Etats-Unis a fait que, globalement, les think tanks et les institutions de recherche ont longtemps constitu� les meilleures sources d'analyses objectives des politiques publiques. Ces �tudes d�fendaient bien s�r des points de vue divergents, mais leurs �clairages respectifs �taient �tay�s par une mise en perspective historique, des analyses, des donn�es empiriques, des mod�lisations, et des r�flexions strat�giques approfondies. Parall�lement, d'autres acteurs occupaient d'autres fonctions. Les m�dias servaient non pas � approfondir les dossiers mais � porter les faits sur la place publique et � informer les citoyens. Divers int�r�ts oppos�s poursuivaient des objectifs sp�cifiques plus limit�s mais n'�taient pas cens�s �tre la conscience intellectuelle du processus d'�laboration des politiques publiques. Les think tanks et, dans une certaine mesure, les universit�s sont essentiellement des centres de recherche et d'analyse politiques : or, ce sont pr�cis�ment cette fonction et la l�gitimit� dont les think tanks jouissent aupr�s de l'Administration et des m�dias que les lobbyistes se sont �vertu�s � s'approprier et � mettre au service de leurs propres strat�gies.
Cet article ne pr�tend pas pr�senter le type de donn�es " �volutives " propres � nourrir une r�flexion approfondie sur la corruption des think tanks par le secteur du lobbying. Il vise plut�t � d�gager de grandes tendances et � mettre en lumi�re la donne radicalement nouvelle introduite par l'inventivit� tous azimuts dont font preuve les lobbyistes pour trouver aupr�s des think tanks de nouveaux moyens d'atteindre leurs objectifs. Cette mutation s'explique par toutes sortes de raisons, la principale �tant tout simplement qu'aux Etats-Unis, le lobbying fait d�sormais l'objet d'un contr�le de plus en plus strict. Les efforts d�mesur�s d�ploy�s par le s�nateur McCain aux c�t�s de Trevor Potter, l'ancien pr�sident de la Commission des �lections f�d�rales (FEC), pour r�former le financement des campagnes �lectorales rendent encore plus difficile, quoique toujours possible, pour des int�r�ts sp�ciaux de verser pour des campagnes politiques des sommes pratiquement illimit�es sous forme de soft money, ces contributions aux partis qui �chappent au plafonnement, � la diff�rence de celles allou�es aux candidats. Bien entendu, les assistants des s�nateurs sont aujourd'hui contraints soit de s'accommoder des plafonds annuels auxquels sont soumis les repas auxquels ils sont convi�s, qui sont certes agr�ables mais en comit� restreint, soit d'obtenir des lobbyistes qu'ils leur offrent une multitude de repas " � moins de 10 dollars " � la caf�t�ria du Congr�s.
Le secteur des think tanks, pl�thorique � Washington, prosp�re essentiellement gr�ce aux milliards de dollars qui y sont inject�s. Malgr� le caract�re apparemment passionn� de nombre de batailles politiques auxquelles ils participent, les think tanks s'investissent de moins en moins dans des �tudes politiques approfondies destin�es � mieux �clairer le choix des d�cideurs, et s'attachent plut�t � creuser plus avant les orni�res d'un d�bat d�j� bien enlis� et menac� de paralysie par le pouvoir antagoniste des gagnants et des perdants potentiels, poursuivis sans rel�che par une arm�e de lobbyistes. La vuln�rabilit� croissante des think tanks, petits ou grands, face aux quatre volont�s de lobbies qui n'ont de cesse d'atteindre leurs vis�es politiques, s'explique en partie par leur prolif�ration acc�l�r�e et par le nombre croissant d'acteurs qui se partagent la masse de dollars consacr�e au champ politique.
Pour prosp�rer en tant qu'institution, un think tank est tenu de signer une sorte de pacte faustien qui consiste � accepter l'argent des donateurs tout en maintenant une apparence d'objectivit� et de s�rieux politiques, alors m�me qu'il ex�cute les ordres de tel ou tel lobbyiste. De surcro�t, le manque de moyens de l'IRS pour mener de v�ritables investigations sur le secteur sans but lucratif, conjugu� � la difficult� de faire pr�cis�ment la diff�rence entre le lobbying et ce que l'on qualifie d'" actions de sensibilisation " � l'intention des responsables publics et de leurs collaborateurs, vient nourrir le terreau sur lequel prosp�re la corruption des think tanks.
Lorsque je travaillais encore au S�nat, une fondation dont l'objet �tait de promouvoir le tennis en tant qu'activit� p�riscolaire m'avait invit� � assister au Legg Mason Tennis Championship dans l'une des luxueuses tribunes r�serv�es par IBM. L'invitation ne faisait aucune r�f�rence � cette entreprise, et il ne m'avait pas �t� signal� que j'avais �t� sp�cialement s�lectionn� par elle pour participer � cette manifestation caritative. Dans la tribune, pendant que l'on me r�galait de caviar, de champagne et de toutes sortes de mets d�licieux, j'ai rencontr� une quinzaine des plus prestigieux collaborateurs politiques du S�nat - chefs des assistants des commissions et des bureaux personnels des parlementaires - des deux partis, qui avaient presque tous aid� IBM et une coalition d'autres entreprises � faire adopter au S�nat une nouvelle disposition appel�e le Team Act visant � r�former une partie de la loi sur les relations du travail qui interdisait les n�gociations non r�glement�es entre un nombre restreint d'employ�s et la direction de l'entreprise sur des questions int�ressant l'ensemble des employ�s. En fait, on nous r�compensait pour nos bons et loyaux services.
Le Code de d�ontologie du S�nat comporte les exemples suivants :
Autrement dit, si, en tant que lobbyiste d'entreprise, vous voulez inviter le collaborateur d'un membre du Congr�s � un d�ner de gala organis� par un think tank comme la New America Foundation, vous n'avez pas le droit d'acheter des billets pour cette manifestation et de les donner � ce collaborateur ou � un parlementaire ; mais vous pouvez donner une liste de noms � l'organisation sans but lucratif et faire ainsi en sorte que celle-ci invite ledit collaborateur. Lors du d�ner de gala, le collaborateur se retrouvera tout naturellement assis � c�t� de vous. Cette pratique, qui est devenue extr�mement courante � Washington, n'est rien d'autre qu'une op�ration de blanchiment d'argent destin�e � contourner l'esprit du Code de d�ontologie. Les d�ners annuels organis�s par le Cato Institute, la Heritage Foundation et l'American Enterprise Institute - qui, de tous les �v�nements organis�s sur les dossiers de politiques publiques, figurent parmi les manifestations annuelles les plus courues de Washington -r�unissent une foule de responsables de l'Administration et du Congr�s dont la participation est pay�e par des entreprises qui ont blanchi les fonds consacr�s � leur soutien et � l'invitation de ces responsables par le biais du think tank.
Les invitations � d�ner que les lobbyistes avaient l'habitude d'adresser tout � fait ouvertement aux membres du Congr�s et � leurs principaux assistants passent d�sormais de plus en plus par des organisations sans but lucratif qui servent d'interm�diaires. Lorsque je travaillais au S�nat, ceux qui �taient parmi les plus friands de ces manifestations offertes par les lobbyistes proclamaient : " Nous respectons la lettre du Code, rien que la lettre. "
Mais la forme d'intervention en faveur de dossiers de politique publique que les lobbyistes ont d�sormais obtenue des think tanks rev�t un caract�re beaucoup plus ambitieux et subtil que des invitations � des d�ners en smoking ou des voyages � Bali ou Singapour. En effet, non seulement les think tanks r�alisent des travaux d'analyse politique ; mais, surtout, ils les diffusent tous azimuts dans le but de convaincre l'opinion publique et les responsables publics. C'est ainsi que les chercheurs principaux de la Brookings Institution ont la r�putation de produire des travaux beaucoup plus th�oriques que la plupart des conseillers politiques de Washington et qu'ils publient leurs analyses dans des livres plus fr�quemment que ceux de la Heritage Foundation, par exemple, qui recourent plut�t � l'envoi par t�l�copie de synth�ses politiques ou � la publication de points de vue dans les pages de libre expression du Washington Times et d'autres journaux ou magazines. Toutefois, au cours de la d�cennie 1990, le ph�nom�ne observ� dans le domaine du financement de la recherche-d�veloppement scientifique s'est produit dans celui de l'analyse des politiques publiques. Dans le champ scientifique, au lieu de financer la recherche fondamentale, les bailleurs de fond r�clament de plus en plus de recherches appliqu�es dont les objectifs sont plus pr�cis et moins incertains. De m�me, s'agissant des think tanks, alors que nombre d'organismes de financement, en particulier les entreprises, syndicats et fondations, semblaient se satisfaire d'un �ventail diversifi� de recherches sur les politiques, ils sont aujourd'hui de plus en plus demandeurs de r�sultats susceptibles de contribuer positivement � leur bilan financier. Les exemples abondent.
L'Economic Strategy Institute (ESI), qui �tait l'une des plus importantes institutions de Washington � travailler sur l'incidence des politiques micro�conomiques, s'est transform� pour devenir un cabinet-conseil constitu� en organisation sans but lucratif. Autrement dit, les entreprises ou les associations patronales venaient voir les principaux chercheurs de l'ESI pour des op�rations qui ressemblaient davantage � des avances sur honoraires pour service rendu qu'� des contributions en faveur d'une organisation au service de l'int�r�t public. Et ce n'est pas m�dire de cette institution puisque son directeur et son �conomiste en chef faisaient r�guli�rement r�f�rence, en public, aux comp�tences de l'ESI en mati�re de conseil et de lobbying.
Parmi les lobbyistes clients de cet institut figurait ainsi un groupe d'entreprises d�sireuses de produire des rapports intellectuellement solides pour contrer les initiatives en faveur de la lutte contre le r�chauffement climatique. Une fois, alors qu'il �tait question du d�bat tr�s vif qui voyait s'affronter dans le secteur des t�l�communications les op�rateurs longue distance et les op�rateurs locaux, tous deux toujours aux prises avec la lettre et l'esprit de la loi de 1996 sur les t�l�communications, plusieurs membres de l'ESI ont propos� de faire pencher la balance du c�t� de ceux qui apporteraient le soutien financier le plus important � l'institut. Cette histoire n'est pas unique en son genre et elle n'est m�me pas inhabituelle.
La Progress and Freedom Foundation re�oit une large part de son financement d'op�rateurs de t�l�communications locaux et d'entreprises oppos�es � l'h�g�monie de Microsoft dans le secteur de l'informatique ; pourtant, lors de sa cr�ation, cette fondation s'�tait fix� un objet beaucoup plus large que les questions de r�glementation dans les domaines des t�l�communications et de l'informatique. Les synth�ses politiques et les pages de libre expression publi�es par cette institution ressemblent pourtant fort � des plaidoyers qui pourraient avoir �t� r�dig�s par les entreprises ou les organisations professionnelles concern�es. Or, en l'occurrence, le rapport a �t� �labor� par une institution sans but lucratif qui b�n�ficie d'un r�gime fiscal sp�cial et est exempt�e de l'imp�t sur les soci�t�s. Autre exemple : dans un dossier o� s'affrontaient des soci�t�s am�ricaines de transport en messagerie express et une soci�t� �trang�re nouvelle venue sur le march� am�ricain, l'Economic Strategy Institute a organis� une r�union d'information � l'intention des d�cideurs publics et des m�dias et publi� un rapport sur les pratiques du nouveau venu sans en indiquer l'auteur. L'absence de nom tenait au fait que les lobbyistes de l'entreprise avaient r�dig� ce rapport et l'avaient publi� par l'interm�diaire de cet institut de recherche sans but lucratif.
Il s'agit l�, certes, d'exemples patents d'utilisation de l'appareil des organisations sans but lucratif par des int�r�ts particuliers pour promouvoir leur cause, mais de tels agissements sont relativement monnaie courante � Washington. La majorit� des observateurs estiment que l'ensemble des grandes institutions se livrent � ce genre de pratiques, m�me si ce n'est pas de fa�on aussi �vidente. Dans le domaine de la politique �trang�re, deux exemples d�montrent bien la vuln�rabilit� du secteur des think tanks face � la d�termination sans faille des lobbyistes.
Le premier est fourni par USA*Engage, un imposant organisme de lobbying qui a �t� cr�� pour combattre la prolif�ration des sanctions unilat�rales instaur�es par les Etats-Unis contre les pays qu'ils estimaient avoir menac� leurs int�r�ts vitaux de s�curit� nationale. Comme les sanctions des Etats-Unis contre le Soudan, Cuba, la Birmanie et d'autres pays ne s'accompagnaient pas de sanctions analogues de la part de nos principaux alli�s europ�ens et asiatiques, les entreprises am�ricaines se sont vues priv�es d'un grand nombre d'opportunit�s commerciales dans ces pays, opportunit�s sur lesquelles l'Allemagne, la France, le Japon et m�me Isra�l �taient pr�ts � bondir, d'autant que les multinationales am�ricaines �taient ligot�es par les d�cisions f�d�rales. La mobilisation des lobbyistes a permis de rassembler plus de 600 membres, dont des multinationales de renom comme Eastman Kodak, IBM, Unocal, Boeing, General Electric et Caterpillar. Ainsi que l'�crivait Jacob Heilbrunn, en 1998, dans une brillante analyse sur cet organisme : " USA*Engage, comme son nom l'indique, vise � �tablir une �quation entre commerce et internationalisme, sanctions unilat�rales et isolationnisme. Cette organisation n'est pas oppos�e � des sanctions multilat�rales : elle refuse simplement que les Etats-Unis fassent cavalier seul et qu'ils se retrouvent isol�s, qu'ils perdent des march�s et qu'ils s'ali�nent leurs alli�s. Ses responsables ajoutent que, loin d'�tre de cupides soutiens des dictatures, les entreprises sont les derniers internationalistes, rien moins que la nouvelle avant-garde de la d�mocratie. "
M�me en �tant totalement favorable aux objectifs de USA*Engage, on ne peut que consid�rer que ce projet-l� d�pendait en partie de sa capacit� � recruter des think tanks qui, � la fois, disposaient de praticiens renomm�s des politiques publiques, comme indiqu� pr�c�demment, et s'alliaient les meilleurs th�oriciens des Etats-Unis sur ces questions pour plaider en faveur des objectifs politiques de l'organisme, et non pour �tre des commentateurs impartiaux et non corrompus sur la totale absurdit� et les limites �videntes d'une application � grande �chelle de sanctions unilat�rales. Comme l'indique Heilbrunn, USA*Engage a financ� un rapport �labor� par l'Institute for International Economics (IIE), qui est sans doute la premi�re institution de Washington sp�cialis�e en politique macro�conomique, et l'a communiqu� aux m�dias lors d'une conf�rence de presse convoqu�e en avril 1997. De fait, rien dans le rapport �tabli par l'IIE ne va � l'encontre de la perspective g�n�rale adopt�e dans la plupart de ses rapports. Toutefois, si cet institut n'a certes pas r�dig� ce rapport avant la cr�ation de USA*Engage, il l'a toutefois �labor� � l'aide d'un financement ext�rieur - m�me si ce document est th�matiquement coh�rent avec ses autres travaux -, et il a franchi la ligne jaune en rendant publique une analyse politique lors d'une manifestation qui s'inscrivait dans une action de lobbying/sensibilisation destin�e � influencer les m�dias et le gouvernement.
Dans les milieux de Washington, la grande majorit� des protagonistes ne se soucient absolument pas de la distinction qui est faite ici entre, d'une part, la question du financement d'importants travaux de politique g�n�rale et du moment o� ils sont introduits dans le d�bat public, et, d'autre part, les lobbyistes qui en sont les commanditaires. On pourrait dire que l'IIE a profit� de l'op�ration lanc�e par USA*Engage, et non l'inverse. Le fond du probl�me, c'est que, m�me si, � bien des �gards, les objectifs de USA*Engage sont louables pour des gens convaincus des avantages du commerce n�o-lib�ral - et donc des limites inh�rentes aux arbitrages �conomiques et s�curitaires pour atteindre des objectifs de politique �trang�re ax�s sur des sanctions -, la mission de cet organisme de lobbying n'est pas de d�fendre des int�r�ts publics incontestables, alors que telle est celle de l'IIE, qui b�n�ficie d'avantages fiscaux pour ce faire. Heilbrunn indique aussi que USA*Engage et l'un de ses membres phares, la National Association of Manufacturers, ont financ� une �tude de la Georgetown University sur la " tr�s lourde facture � payer pour les int�r�ts commerciaux am�ricains ". L'influence de cet organisme de lobbying s'est fait aussi sentir dans un large �ventail de programmes et de synth�ses politiques �labor�s par le Cato Institute et la Heritage Foundation.
Un autre exemple de cette pratique - quoique sous une forme plus insidieuse et avec des objectifs totalement cyniques, ce qui n'est pas le cas des travaux de USA*Engage - est fourni par le cabinet de lobbying Jefferson Waterman International (JWI) qui, selon le journaliste Ken Silverstein, " a promu des despotes sur trois continents ". JWI se compose de responsables qui occupaient auparavant des postes importants dans le secteur de la s�curit� nationale au sein du gouvernement, notamment � la Central Intelligence Agency (CIA) ; il a souvent travaill� pour de grandes entreprises am�ricaines de l'industrie de l'�nergie et de la d�fense, tout en oeuvrant activement pour des gouvernements �trangers. Malheureusement, c'�tait aussi un protagoniste majeur de la coalition d'entreprises r�unies au sein de USA*Engage. Comme l'�crit Silverstein : " Un des premiers gros clients de JWI a �t� Franjo Tudjman, le pr�sident de la Croatie, qui a fait appel aux services de ce cabinet vers 1995 pendant la guerre en ex-Yougoslavie (...). Dans une note adress�e au dirigeant croate, Waterman �crivait que la politique �trang�re et de d�fense des Etats-Unis �tait " �labor�e au premier chef " par le pr�sident, sur la base de consultations avec le d�partement d'Etat, le Pentagone, le Conseil national de s�curit� (NSC) et la CIA. " Il importe (...) d'avoir dans toutes ces instances des contacts officiels et personnels aux niveaux appropri�s, ajoutait-il. Comme vous le savez, nous sommes bien plac�s pour vous aider dans ce domaine ". "
Jefferson Waterman a �galement inform� Tudjman qu'il assurerait le contr�le de son image dans les m�dias " quelle qu'en soit la difficult� ", et qu'il contribuerait � mobiliser les grands t�nors des think tanks sp�cialistes des politiques publiques en faveur du pr�sident croate si celui-ci jugeait n�cessaire de prendre le contr�le de territoires surveill�s par les Casques bleus des Nations unies. L'ensemble des objectifs et des vis�es de JWI apparaissent clairement dans les dossiers d�pos�s � la section charg�e de l'application de la loi sur l'enregistrement des agents �trangers, au Service de la justice p�nale du minist�re am�ricain de la Justice. N'importe qui peut �tudier de pr�s les dossiers sur les cabinets de lobbying et leurs strat�gies pour infl�chir les politiques au nom de leurs clients �trangers. Une consultation rapide de ces milliers de dossiers montre qu'il y est souvent fait r�f�rence au milieu des think tanks, � divers intellectuels sp�cialistes des politiques publiques dispos�s � offrir leurs services, et aux m�dias, comme autant d'acteurs susceptibles de monter au cr�neau sur ordre du lobbyiste. La fonction des think tanks sans but lucratif, qui est de servir l'int�r�t public, n'est absolument pas respect�e : au contraire, il ressort de ces documents que leur l�gitimit� et le r�le particulier qu'ils jouent dans l'�laboration des politiques sont assur�ment l� pour �tre exploit�s et r�cup�r�s sans coup f�rir � leur profit par le lobbyiste et son gouvernement client.
Il existe bien d'autres exemples de ce franchissement quotidien de la ligne jaune entre int�r�t g�n�ral et int�r�t particulier dans le cadre des collaborations et des rapports entre institutions sans but lucratif et lobbyistes. Parmi les cas r�cents, l'un des plus int�ressants concerne l'actuel " ambassadeur " des Etats-Unis � Taiwan, qui porte officiellement le titre de directeur de l'American Institute in Taiwan (AIT), organisation en principe sans but lucratif (aussi paradoxal que cela puisse para�tre) et remplissant toutes les fonctions d'une ambassade sans en �tre une, puisque les Etats-Unis ne reconnaissent plus la souverainet� de l'�le. Douglas Paal, le directeur de l'AIT, a �t� conseiller sp�cial pour l'Asie de l'Est du pr�sident George H.W. Bush. Quand il a quitt� ses fonctions, Douglas Paal a fond� son propre think tank, l'Asia Pacific Policy Center (APPC). D'apr�s une importante enqu�te sur Paal et ses activit�s, publi�e par Joshua Micah Marshall dans l'hebdomadaire The New Republic, la majeure partie de l'�quipe de Douglas Paal - c'est-�-dire les collaborateurs permanents du Centre eux-m�mes ! - pensait que l'APPC �tait un cabinet de conseil-lobbying. L'APPC a lanc� une lettre d'information dont l'abonnement annuel s'�levait � plusieurs milliers de dollars et qui �tait diffus�e essentiellement aupr�s d'importants organismes gouvernementaux asiatiques : ceux-ci pouvaient certes �tre int�ress�s par cette lettre, mais leur int�r�t �tait surtout de promouvoir la carri�re d'un proche du pr�sident.
L'APPC n'organisait pas de programmes sur les grands dossiers politiques � l'intention du public, pas plus qu'il ne publiait, via Internet ou d'autres supports, des documents d'information. Plusieurs personnalit�s mentionn�es comme faisant partie de son conseil d'administration, dont Brent Scowcroft, l'ancien parlementaire Dave McCurdy et l'ancien chef du Pentagone Frank Carlucci, firent part de leur �tonnement quand ils apprirent qu'ils apparaissaient comme administrateurs de l'APPC dans les formulaires 990 fournis � l'IRS par l'organisation de Douglas Paal. La derni�re ann�e o� des documents ont �t� fournis au fisc, les trois principaux bailleurs de fonds de cette organisation d'int�r�t public sans but lucratif �taient le gouvernement de Singapour, le JETRO (Japan External Trade Organization, organisme japonais du commerce ext�rieur relevant du minist�re japonais de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie), Itochu (maison de commerce japonaise) et Mitsui Marine & Fire Insurance (soci�t� d'assurance japonaise). L'APPC organisait de nombreux voyages � haut niveau en Malaisie pour des membres du Congr�s, en particulier du S�nat, voyages financ�s par des sources malaisiennes publiques et priv�es qui versaient directement des fonds sur les comptes bancaires du Centre en tant qu'organisateur agr�� des missions de parlementaires � l'�tranger, ce que le Comit� de d�ontologie du S�nat acceptait encore � cette �poque. D'aucuns affirment que Douglas Paal �tait g�n�reusement r�mun�r� par le vice-Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim qui �tait � l'�poque le dauphin du Premier ministre Mahathir. Les r�sultats de l'enqu�te de Joshua Marshall, qui remplirent un article de 4 500 mots dans un hebdomadaire phare, n'emp�ch�rent pas Douglas Paal d'�tre nomm� � Taipei, m�me si cet article a vraisemblablement retard� son d�part de plusieurs mois. La question qui se pose ici est que l'APPC, organisation cens�e �tre sans but lucratif, ne s'est pas comport�e comme les Boy Scouts d'Am�rique (BSA) ou la Brookings Institution, ou encore comme un �tablissement de soins palliatifs pour malades du sida ou d'autres institutions � vocation sociale. En un sens, on pourrait affirmer que son comportement rel�ve d'une forme de criminalit� d'entreprise car, � la diff�rence des organisations sans but lucratif, les cabinets de conseil sont soumis � l'imp�t sur les soci�t�s.
En 1997, j'ai r�dig� un projet de loi qui a �t� adopt� au S�nat mais n'a pas franchi le cap de la commission mixte paritaire, et qui aurait rendu obligatoire pour les organismes de relations publiques sans but lucratif de d�clarer s'ils recevaient de gouvernements �trangers, directement ou indirectement, des sommes sup�rieures � 10 000 dollars. Lors du d�bat sur ce projet de loi, l'American Civil Liberties Union l'a combattu au motif que les BSA ou d'autres organisations de ce type seraient tenus � cette d�claration s'ils recevaient des fonds de gouvernements �trangers, risquant ainsi de passer pour des agents �trangers, ce qui serait extr�mement dommageable pour leur activit�. C'est ainsi que rien n'a �t� fait pour r�gler un probl�me bien r�el, pourtant constat� par le Congr�s, � savoir qu'un nombre croissant d'organisations 501(c) sans but lucratif, au financement opaque, m�nent des actions de lobbying aupr�s du Congr�s sur des questions comme l'�tablissement de relations commerciales normales permanentes avec la Chine tout en pr�tendant qu'il s'agit d'" actions de sensibilisation des responsables publics ". La solution r�side dans la transparence, mais rares sont ceux qui ont trouv� une m�thode satisfaisante pour parvenir � une transparence plausible concernant le financement et les vis�es des institutions sans but lucratif, dont beaucoup ont �t� cr��es ou sont contr�l�es par des lobbies.
L'un des membres de la direction de l'American Enterprise Institute (AEI) m'a entretenu de ce projet de loi. Notre conversation s'est d�roul�e � peu pr�s en ces termes :
" AEI : Steve, le projet de loi du S�nat part � l'�vidence d'une bonne intention. La transparence concernant les financements �trangers est une question tr�s importante, mais vous omettez un �l�ment quand vous vous focalisez sur le montant en dollars au lieu de prendre en compte le pourcentage de budget que repr�sente l'aide allou�e.
" S. Clemons : J'entends bien, mais cela ne reviendrait-il pas � permettre aux grandes organisations, qui re�oivent des subventions relativement consid�rables, d'�chapper � cette obligation, et � contraindre les petites � d�clarer ces contributions ?
" AEI : Peut-�tre, mais s'agissant de l'AEI, par exemple, il se trouve que divers instituts de recherche de Taiwan ont �t� d'importants bailleurs de fonds de notre Asia Studies Center ; or, comme vous le savez sans doute, ces instituts sont eux-m�mes financ�s par le gouvernement taiwanais. Et, comme ce dispositif a �t� reconduit chaque ann�e, l'AEI figure d�sormais au budget du gouvernement taiwanais. Or, le montant global du financement que nous recevons de Taiwan, s'il est important pour une organisation de petite taille, est restreint par rapport � celle de notre Institut. Peut-�tre devriez-vous prendre en compte non pas le montant en dollars, mais un pourcentage du budget global, de l'ordre de 20 ou 30 % par exemple. "
Cette conversation a de quoi surprendre. Tout comme on peut s'�tonner que, malgr� le d�bat soulev� par le fait que Douglas Paal g�rait une organisation sans but lucratif comme un cabinet de conseil, une institution de premier plan comme l'AEI consid�re qu'en raison de sa taille, elle est � l'abri des influences et des vis�es lobbyistes de gouvernements �trangers. Bien entendu, Douglas Paal est un important intellectuel dans le d�bat sur les politiques publiques, qui voulait probablement faire de son centre une organisation de premier plan dans le domaine de l'analyse politique et qui se heurtait � des difficult�s pour r�unir le type de financement capable de lui donner toute latitude pour mener des travaux de recherche s�rieux. Et il a fait siens les objectifs � courte vue ax�s sur les seuls r�sultats financiers des bailleurs de fonds de l'APPC. Mais son organisation �tait globalement plus petite que l'Asia Studies Center de l'AEI, centre r�put� � Washington pour son soutien ind�fectible aux int�r�ts de Taiwan.
L'�tude du secteur du lobbying de Washington, notamment des organisations qui m�nent des travaux de politique �trang�re, ne doit plus se cantonner aux seules institutions elles-m�mes et aux relations qu'elles entretiennent et dont elles rendent compte consciencieusement comme leur en fait obligation le Lobbying Disclosure Act (loi de 1995 sur les groupes de pression ). Car une seconde �conomie s'est mise en place au sein de laquelle les lobbies profitent d'organisations sans but lucratif moins r�glement�es et qui m�nent des travaux sur les politiques publiques, les r�cup�rent, les d�tournent et les manipulent, voire en cr�ent de nouvelles. Souvent, ces think tanks servent de refuge � des responsables publics qui ont �t� remerci�s lors d'un changement de gouvernement et qui y attendent l'heure o� ils seront rappel�s � de hautes fonctions.
Dans cette analyse, ont �t� mis en lumi�re certains aspects structurels de la nouvelle donne introduite r�cemment par le secteur du lobbying dans le milieu des think tanks. Les questions soulev�es par cette mutation ont �t� explicit�es, car la communaut� des sp�cialistes des politiques publiques de Washington joue un r�le important dans ce jeu vigoureux mais subtil entre forces et int�r�ts antagonistes qui caract�rise ce que nous appelons la " soci�t� civile ". Laisser les lobbyistes infiltrer en toute libert� le secteur des organisations sans but lucratif oeuvrant dans le domaine des politiques publiques menace de saper d�finitivement la l�gitimit� des think tanks et le r�le important qu'ils jouent dans l'�laboration des politiques publiques. A l'instar de tant d'autres secteurs de la soci�t� qui sont tomb�s sous le coup d'accusations de corruption ou qui y ont succomb�, le secteur des think tanks n'est nullement � l'abri d'un tel risque.
Enfin, les probl�mes de corruption des think tanks sont syst�miques, donc difficiles � r�soudre. L'inqui�tante pratique du " lobbying de fond " et du trafic d'influence via des institutions de recherche m�rite d'�tre analys�e de fa�on approfondie et s�rieuse. L'IRS doit prendre des mesures � l'encontre des organisations sans but lucratif qui ne servent pas l'int�r�t public de fa�on cr�dible et qui, en r�gle g�n�rale, ont davantage pour fonction de procurer des revenus non imposables � leurs principaux dirigeants. De surcro�t, il convient d'accro�tre la transparence concernant les dons importants aux organisations sans but lucratif de fa�on � pouvoir �valuer les prestations de ces institutions � l'aune des fonds allou�s par leurs donateurs ou leurs " clients ", selon le cas. La New America Foundation fait un effort remarquable pour maintenir un �quilibre entre les bailleurs de fonds et �viter ainsi que tel ou tel ne cherche � infl�chir ses activit�s dans un sens ou dans l'autre. Toutefois, m�me cette organisation n'est pas totalement � l'abri de cabinets ou de fondations qui chercheraient � l'utiliser au service de leur cause politique. M�me si nous r�p�tons � l'envi, comme d'autres institutions, que nous n'entendons rien faire qui ne s'inscrive dans notre vision globale du monde et dans notre perspective de " centre radical ", la teneur de nos travaux et leur financement ou le moment choisi pour les publier sont parfois un peu trop �troitement imbriqu�s. Cette �tude n'entend pas se pr�valoir d'une quelconque sup�riorit�. Elle se veut � la fois une confession et une simple observation de comportements nouveaux dans le secteur des think tanks, induits par l'avidit� et l'inventivit� des lobbyistes de Washington. Cette �volution relativement r�cente m�rite un examen attentif pour �viter qu'elle ne sape la formidable dynamique de la soci�t� civile aux Etats-Unis.