exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
Le syst�me de gouvernement de l'Union europ�enne est unique. Ce simple fait exige des groupes de pression qu'ils recourent � des strat�gies vari�es tout en conservant � l'esprit les multiples contraintes qui r�sultent de la structure m�me de l'Union, de sa grande diversit� culturelle et politique, ainsi que des nombreux int�r�ts qui la traversent. Pendant longtemps, on accusa le syst�me europ�en de prise de d�cision d'�tre une sorte de " jardin secret " dont seuls les initi�s avaient la clef - malgr� les efforts affich�s de transparence des d�cisionnaires europ�ens. L'aspect herm�tique du syst�me europ�en r�sulte certes de cette absence de transparence � certains moments-clefs de la prise de d�cision, mais il d�coule aussi de la complexit� et de la sp�cificit� de ce syst�me ainsi que de son �loignement de la plupart des capitales nationales.
La premi�re caract�ristique importante du syst�me de gouvernance europ�en concerne son cadre l�gal, d�termin� par une s�rie de six (bient�t sept ?) trait�s dont l'application rel�ve des tribunaux, en particulier de la Cour de justice des Communaut�s europ�ennes (CJCE). Les trait�s d�finissent, et th�oriquement limitent, les comp�tences des institutions europ�ennes, bien qu'il faille admettre que toute initiative relevant d'une logique fond�e sur un approfondissement des principes du march� unique est susceptible d'�tre justifi�e par les articles 95 et 308 (anciennement 100a et 235 du trait� initial instituant la CEE). En pratique, il existe peu de contraintes emp�chant l'Union d'investir de nouveaux domaines politiques, � la condition expresse que tous les Etats membres y soient dispos�s et que la Commission et le Parlement europ�ens y apportent leur soutien. Il en va de m�me pour la politique �trang�re, les questions de s�curit�, les aspects judiciaires et les affaires int�rieures, si ce n'est que la Commission et le Parlement n'ont pas d'influence directe.
En second lieu, les instruments l�gislatifs utilis�s par l'Union ont des caract�ristiques dont les sp�cificit�s doivent �tre assimil�es par les organes de lobbying. La directive, adress�e par l'Union � tous les Etats membres, d�finit les objectifs d'une politique, mais en laisse les moyens � l'appr�ciation des gouvernements nationaux. Pour un groupe de pression, cela signifie qu'il peut promouvoir ses int�r�ts au moins � deux niveaux. Le r�glement s'applique � l'ensemble de l'Union et ne peut �tre modifi� par les gouvernements des Etats membres. Il est g�n�ralement assez d�taill� et pr�cis, et peut tr�s bien intervenir dans le cadre plus large d'une directive. Une d�cision de l'Union, pouvant provenir de la Commission, de la CJCE ou du Conseil des ministres avec ou sans le concours du Parlement europ�en, est obligatoire seulement pour ceux auxquels elle s'adresse - par exemple une entreprise ou un Etat membre, pris individuellement. Enfin, une recommandation de l'Union est un avis non contraignant souvent destin� � exprimer une pr�f�rence politique commune � la plupart des Etats membres, et peut �tre prise en consid�ration par la CJCE lorsque celle-ci se prononce sur une affaire.
Un troisi�me aspect qu'il faut garder � l'esprit concerne les emplacements g�ographiques. La plupart des principales institutions europ�ennes sont situ�es � Bruxelles, mais pas toutes. Le Luxembourg abrite la CJCE, la Banque europ�enne d'investissement (BEI) et le secr�tariat du Parlement europ�en. Strasbourg accueille les s�ances pl�ni�res du Parlement, qui exigent la pr�sence physique de plusieurs commissaires europ�ens, accompagn�s de leur �quipe, ainsi que de presque tous les d�put�s europ�ens, et donc de nombreux membres actifs de groupes de pression, tous contraints � un p�nible p�lerinage mensuel dans la capitale gastronomique de l'Europe ! Les agences para-�tatiques de l'Union sont �parpill�es dans tous les Etats membres, et les avant-postes de la recherche men�e en interne se trouvent en Belgique, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni.
Certaines des caract�ristiques les moins plaisantes des organisations internationales se retrouvent aussi dans le cas de l'Union. On observe une tendance � rechercher en permanence une r�partition �quitable des pr�rogatives, notamment pour l'attribution des postes politico-administratifs importants au sein des institutions europ�ennes. La CJCE a cat�goriquement condamn� toute nomination ou mutation qui ne serait pas fond�e sur le m�rite, mais cela ne semble pas avoir infl�chi beaucoup une pratique qui est devenue monnaie courante.
La prise de d�cision au sein de l'Union d�pend toujours des dispositions hybrides introduites par le trait� de Maastricht en 1992. Les principales politiques �conomiques communes ainsi que beaucoup d'autres sont �labor�es dans le cadre du premier pilier, la Communaut� europ�enne, et sont soumises aux exigences institutionnelles de l'Union. La Commission a l'initiative des propositions l�gislatives, que peuvent amender le Parlement europ�en et le Conseil des ministres. La CJCE juge toute infraction � la l�gislation ainsi adopt�e et tranche lorsqu'un doute appara�t dans des affaires particuli�res ou concernant les fondements m�mes du trait�. Le second des trois piliers d�finit la politique �trang�re et de s�curit� commune (PESC), dont l'objectif est d'assurer une plus grande coordination et une meilleure entente entre les Etats membres sur une s�rie de questions �trang�res, militaires et s�curitaires. La Commission et le Parlement ont une marge d'action tr�s limit�e au regard du second pilier, et la prise de d�cision rel�ve essentiellement des Etats, qui agissent � l'abri des regards. Bien que la PESC soit aujourd'hui repr�sent�e publiquement par Javier Solana, qui est attach� au Conseil des ministres, les opportunit�s offertes aux groupes de pression pour agir au niveau europ�en restent tr�s circonscrites. Dans la mesure o�, dans ce domaine, la plupart des d�cisions ne sont prises que lorsqu'un consensus a �t� trouv� au Conseil, la meilleure strat�gie � adopter pour ceux qui cherchent � avoir une influence sur ces politiques consiste � se rapprocher de certains gouvernements dans un cadre national. Ceci suppose que les repr�sentants des lobbies sachent ce qui est en cours de discussion au Conseil, et de telles informations (jug�es g�n�ralement confidentielles) sont souvent plus accessibles � Bruxelles qu'ailleurs. Dans leurs grandes lignes, ces consid�rations sont valables pour le troisi�me pilier qui recouvre les affaires judiciaires et int�rieures (voir l'annexe ci apr�s).
Le r�le des principales institutions europ�ennes est d�crit dans le document joint � cet article, mais quelques remarques compl�mentaires devraient permettre une meilleure compr�hension. Jusqu'en 2005, la Commission continuera � �tre dirig�e par aux moins 20 commissaires nomm�s par les Etats membres, mais son pr�sident (actuellement Romano Prodi) verra son r�le renforc� avec de plus amples pouvoirs pour remanier et r�organiser son �quipe, et une responsabilit� plus affirm�e devant le Parlement. Depuis la d�mission forc�e, le 16 mars 1999, de la Commission Santer, beaucoup consid�rent que la Commission a perdu de son influence et de sa confiance en elle. Sans doute s'efforce-t-elle de moins l�gif�rer et de trouver de nouvelles fa�ons d'impliquer davantage d'acteurs dans les d�cisions collectives (voir infra), mais son r�le de moteur du syst�me europ�en au regard de l'int�gration �conomique et politique demeure inchang�. La Commission est toujours directement responsable de la conduite des affaires dans des secteurs-clefs tels que les relations ext�rieures (dont le commerce international), la gestion des march�s agricoles et la politique de concurrence de l'Union, donnant ainsi son aval aux fusions et aux aides �tatiques, tout en traitant des affaires antitrust plus classiques.
En outre, la Commission, qui d�tient toujours l'" unique droit d'initiative " dans le syst�me politique de la Communaut�, repr�sente n�cessairement la premi�re �tape pour ceux qui ont des int�r�ts � promouvoir, dans la mesure o� elle reste l'initiatrice " par excellence " de la politique europ�enne. De surcro�t, c'est � la Commission que de tels groupes d'int�r�t doivent se plaindre s'ils estiment que la l�gislation europ�enne est trop contraignante ou mal appliqu�e dans les Etats membres, ou s'ils r�clament qu'une enqu�te soit ouverte sur des cas de dumping, de subventions �tatiques ill�gales ou de comportements anti-concurrentiels. C'est � elle qu'incombe la t�che d�licate de convaincre les Etats membres r�ticents de mettre en oeuvre les engagements communautaires pris � Bruxelles et, si n�cessaire, de conduire les gouvernements nationaux r�calcitrants devant la CJCE. C'est aussi la Commission qui, sur la base de d�cisions prises en accord avec le Conseil et le Parlement europ�ens, organise la distribution des subventions provenant des fonds structurels, des programmes de recherches et autres mannes communautaires.
Il se peut que l'�lectorat se d�sint�resse du Parlement europ�en (la participation lors des �lections de 1999 n'�tait que de 52 %), mais son pouvoir a �t� accru du fait des modifications introduites par les nouveaux trait�s. En effet, l'Acte unique europ�en de 1986 soumettait la plupart des mesures relatives au march� unique � un vote � la majorit� pond�r�e au Conseil et autorisait le Parlement, une fois exprim�es les opinions du Conseil, � exercer un droit de regard, et �ventuellement de veto. Le Parlement continue � rencontrer des probl�mes dans l'accomplissement de ses nombreuses attributions et souffre de son incapacit� � traiter convenablement toutes les questions importantes. Mais il a suffisamment de pouvoir, du fait de la nouvelle proc�dure de cod�cision o� il partage le dernier mot avec le Conseil des ministres, pour exercer, dans la plupart des cas, une influence cruciale lors de la phase finale de la prise de d�cision. Les derni�res �tapes, qui n�cessitent un processus de conciliation, offrent aussi d'importantes opportunit�s au lobbyiste astucieux et bien inform�. Quoique l'on accorde une grande attention aux s�ances pl�ni�res du Parlement, auxquelles se r�f�rent fr�quemment les commissaires et les repr�sentants du Conseil, le d�tail de ses travaux est effectu� par ses vingt comit�s permanents, dont le pr�sident et le rapporteur sont, dans chaque cas particulier, des acteurs importants.
Au Parlement europ�en, les partis politiques ressemblent plus � de vagues coalitions de gens de m�me sensibilit� ou de mouvements qui se trouvent porter le m�me nom. Sur les questions d'importance nationale, leur discipline interne est souvent mise � mal, bien qu'il existe des signes d'une coh�sion partisane croissante. Ce sont cependant les neuf groupes politiques du Parlement, notamment les deux formations les plus importantes, les chr�tiens-d�mocrates et les socialistes, qui y contr�lent la plupart des activit�s ainsi que le partage des pr�rogatives et des avantages (pr�sidences de comit�s, temps de parole lors des s�ances pl�ni�res) entre les diff�rentes sensibilit�s politiques. Dans la mesure o� il est peu probable qu'un groupe soit un jour susceptible d'�tre majoritaire au Parlement, et �tant donn� la n�cessit� impos�e par les trait�s de se prononcer � la majorit� absolue sur les principaux d�fis qui se pr�sentent aux autres institutions europ�ennes, le Parlement est le plus efficace lorsqu'il est capable d'�tablir un large consensus � travers les diff�rents groupes.
Le Conseil des ministres et le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union connu sous le nom de Conseil europ�en prennent aussi plus d'importance � mesure que le programme de l'Union s'�toffe. C'est notamment le Conseil, et non la Commission, qui pilote la PESC et les questions touchant aux affaires judiciaires et int�rieures (essentiellement la coop�ration polici�re, et la lutte contre le terrorisme et le crime organis�). Cependant le secr�tariat du Conseil ne s'accommode gu�re du lobbying dans la mesure o� il n'a pas le m�me pouvoir discr�tionnaire que la Commission. Ainsi, ceux qui ont des int�r�ts � promouvoir doivent s'efforcer de se faire entendre dans les capitales nationales ou aupr�s des d�l�gations permanentes des Etats membres � Bruxelles. Dans son travail, le Conseil est aujourd'hui subdivis� en trois sections : l'agriculture, la PESC... et le reste. Mais presque toutes les d�l�gations nationales viennent � ces r�unions avec des instructions de leur gouvernement. D'o� l'accent plac� sur les efforts de lobbying au niveau national pour faire pression sur le Conseil. Cela peut se r�v�ler particuli�rement fructueux si un Etat membre est sur le point d'en assumer la pr�sidence. En effet, chaque pr�sidence est amen�e � �laborer une s�rie d'objectifs pour la dur�e de son mandat, et elle a une influence sur l'ordre de priorit� des discussions lors des r�unions du Conseil qu'elle anime.
Le Conseil des ministres multiplie aussi les groupes de travail constitu�s de responsables nationaux qui examinent la l�gislation et d'autres questions. Il existe en permanence plus de 200 groupes de ce type en activit�. Bien qu'il ne soit pas possible d'exercer une pression directe sur ces groupes, des lobbyistes d�vou�s sont pr�sents " � leurs marges ", donnant leur avis aux �lus qui sortent de ces r�unions afin qu'ils puissent aider les responsables � mieux comprendre les implications des id�es qui ont �merg� au cours du d�bat.
La CJCE de Luxembourg n'est pas du tout r�ceptive aux formes habituelles du lobbying, mais son influence va croissant tandis que de plus en plus d'affaires sont port�es � sa connaissance (et � celle de sa cour adjointe, le Tribunal de premi�re instance). C'est le r�sultat logique de l'�largissement des comp�tences de l'Union et de l'inflation permanente qui caract�rise la l�gislation europ�enne. La CJCE peut cependant constituer une �tape importante dans les campagnes men�es par les groupes de pression, et elle a pris des d�cisions importantes au regard de la politique sociale et de celle de la concurrence, pour lesquelles la l�gislation existante reste incompl�te, obligeant ainsi � une interpr�tation des principes contenus dans les trait�s. Syndicats et entreprises ont fr�quemment port� des affaires devant elle afin d'�valuer ce que les droits et principes que renferment les trait�s et le droit jurisprudentiel signifient r�ellement dans la pratique. La d�cision rendue en 1986 dans l'affaire Nouvelles fronti�res, par exemple, a certainement acc�l�r� la d�r�gulation des services propos�s aux passagers des avions dans la Communaut� europ�enne. L'affaire Barber, en 1990, a eu pour effet de modifier radicalement les dispositions relatives aux r�gimes de retraite dans la plupart des Etats membres.
Ces commentaires visent � expliciter comment chacune des quatre grandes institutions europ�ennes prend part au processus de d�cision au sein de l'Union. Cependant, le lobbyiste doit aussi savoir o� r�side le pouvoir dans l'ensemble du syst�me politique. L'Union est clairement devenue un acteur politique plus important, � la fois internationalement et au regard de la politique int�rieure de chaque Etat membre. Le Conseil continue d'�tre le principal acteur politique sur la sc�ne europ�enne, mais sa marge de manoeuvre est limit�e par d'autres acteurs. Historiquement, les progr�s de la Communaut� et de l'Union europ�enne ont d�pendu du " dialogue " entre le Conseil et la Commission.
Les Commissions Delors (1985 - 1994) �taient r�put�es �nergiques, et il se peut que la rapidit� avec laquelle progressait l'int�gration ait inqui�t�, mais leurs actions se fondaient sur une �troite collaboration avec le Conseil. Depuis 1995, la Commission a perdu de sa confiance en elle, a �t� affaiblie par des scandales et est aujourd'hui absorb�e par sa propre r�forme. Cela a consid�rablement renforc� l'influence du Conseil, mais il reste que l'on ne peut envisager de v�ritables progr�s au sein de l'Union sans que la Commission soit de la partie. Dans le m�me temps, les pouvoirs du Parlement europ�en ont �t� progressivement renforc�s, notamment avec l'invention et l'extension de la proc�dure de cod�cision, mais aussi par rapport � la Commission, surtout depuis que celle-ci est affaiblie. Cela a encore accentu� le marchandage, men� dans la confidentialit�, entre les diff�rentes institutions. Ainsi, et alors que les principales institutions europ�ennes voudraient accro�tre leurs pouvoirs, la pr��minence du Conseil reste la principale caract�ristique du syst�me d�cisionnel de l'Union, et cela semble devoir durer.
Le r�le futur de la Commission et les diff�rentes mani�res d'�viter une centralisation excessive au sein de l'Union font l'objet d'un d�bat permanent. Une solution a consist� � s�parer un certain nombre d'agences europ�ennes ind�pendantes du noyau institutionnel de l'Union. Ces agences sont aujourd'hui une douzaine. De fait, la premi�re d'entre elles fut la Banque europ�enne d'investissement (BEI), cr�e en 1959, � Luxembourg. Elle a �t� d�lib�r�ment d�tach�e des autres institutions europ�ennes, bien qu'elle soit r�gie par des �l�ments du socle conventionnel, les Etats membres �tant directement impliqu�s dans la direction de cette banque � travers la nomination des membres de son conseil d'administration. Europol, form�e en marge de La Haye dans les ann�es 1990, comporte certaines similitudes avec la BEI, du fait de l'�troite participation des Etats membres � ses activit�s. Mais il s'agit l� d'exceptions au mod�le habituel des agences de l'Union, pour lequel la principale contribution des gouvernements nationaux se situe beaucoup plus en amont, lorsqu'il s'agit de s'assurer de l'installation d'une institution europ�enne sur le territoire national ! Apr�s cela, chaque agence travaille dans un cadre fix� par la l�gislation europ�enne, mais peut �videmment faire l'objet de pressions consid�rables de la part des entreprises - au premier rang desquelles on peut citer celles subies par l'Agence europ�enne pour l'�valuation des m�dicaments (EMEA), situ�e � Londres, qui d�livre les autorisations de commercialisation des produits m�dicaux pour l'ensemble de l'Union. Une autre agence m�rite d'�tre mentionn�e : l'Agence europ�enne pour l'environnement (AEE), situ�e � Copenhague. Son r�le consiste � surveiller l'�tat de l'environnement en Europe et � contr�ler la mise en place et l'efficacit� de la l�gislation environnementale europ�enne. Son travail repose en grande partie sur une coop�ration avec les autorit�s nationales de chaque Etat membre, une relation symbiotique se d�veloppant ainsi entre les deux niveaux. En fin de compte, si l'AEE se trouve insatisfaite des crit�res environnementaux d'un Etat membre, il est probable que ce m�contentement se r�pandra � travers le syst�me bruxellois et aura des cons�quences n�gatives pour le pays en question. Il est donc dans l'int�r�t des Etats membres de maintenir de bonnes relations avec l'agence et de chercher � dissiper rapidement tout incertitude quant � leurs �tats de service et � leurs pratiques en mati�re d'environnement.
L'Union doit faire face � un futur plut�t incertain, la perspective de l'�largissement venant modifier ses priorit�s institutionnelles et l'�quilibre financier entre les contributeurs et les b�n�ficiaires nets du budget europ�en - tout cela au moment o� la l�gitimit� d�mocratique de l'Union est de plus en plus mise en question.
Du point de vue des groupes de pression, il n'est pas du tout �vident que des pays comme l'Espagne et l'Irlande, qui ont beaucoup profit� des transferts de fonds d'Etats membres plus riches, soient toujours aussi enthousiasm� par les activit�s de l'Union alors que leurs avantages � �tre membres apparaissent moins clairement. Et si le trait� de Nice (23 f�vrier 2001) ach�ve le processus de ratification, les grands Etats membres ne seront plus repr�sent�s � la Commission que par un commissaire � partir de 2005, les petits Etats - dont, d�sormais, beaucoup de nouveaux pays d'Europe centrale et orientale -accroissant toujours un peu plus leur emprise sur cet organe. L'�largissement va �videmment gonfler le nombre des d�put�s europ�ens, des juges � la CJCE, des membres du Comit� �conomique et social (ECOSOC) et du Comit� des r�gions (CDR), diluant soi-disant le pouvoir des grands Etats de l'ouest de l'Europe. Cependant, une reconfiguration complexe du syst�me de vote � la majorit� qualifi�e au Conseil des ministres doit permettre aux plus grands Etats membres de r�cup�rer une partie de leur pouvoir. Les quatre plus grands pays (l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni) ainsi que l'Espagne ou la Pologne seront en mesure de bloquer les d�cisions au Conseil des ministres, qui comprendra alors 25 Etats. Il se peut que l'axe franco-allemand soit encore un peu plus affaibli, mais les grands acteurs europ�ens auront toujours la possibilit� de diriger les affaires, quoique d'une autre mani�re. En tout cas, l'�largissement pourrait entra�ner une modification des priorit�s politiques de l'Union, qui refl�tera le nouvel �quilibre des int�r�ts au sein d'un groupe plus vaste d'Etats membres. En un mot, on doit s'attendre � un int�r�t plus faible pour l'approfondissement de la politique environnementale, et un int�r�t renouvel� pour les questions agricoles et de s�curit�.
L'�largissement de l'Union devrait centrer l'attention sur l'application du principe de subsidiarit� adopt� lors du trait� de Maastricht. Jusqu'ici, cette d�claration d'intention ne semble pas avoir entra�n� de modification tangible du travail des institutions europ�ennes, si ce n'est une diminution de la production l�gislative. Mais la diversit� des situations va s'accro�tre avec l'incorporation, dans le processus d�cisionnel, de tant de nouveaux Etats membres. On peut alors envisager un regain d'int�r�t pour les d�cisions prises au niveau national, r�put�es mieux convenir aux conditions locales. La Commission elle-m�me pourrait bien se trouver submerg�e par l'�norme t�che consistant � s'assurer du respect des 80 000 pages de l'acquis communautaire sur un territoire aussi vaste et divers. Ces deux �volutions parall�les pourraient � leur tour susciter des demandes de renationalisation des politiques actuellement men�es depuis Bruxelles, la plus souvent cit�e �tant l'agriculture. La Convention sur l'avenir de l'Europe (notamment compos�e de repr�sentants des Etats membres et des pays candidats) cherche aussi des moyens d'enraciner le principe de subsidiarit� avant la conf�rence intergouvernementale de 2004. A lui seul, cet �v�nement peut reconfigurer la structure de prise de d�cision ainsi que les comp�tences de l'Union, et ce qui d�coulera de cette situation particuli�rement ing�rable est loin d'�tre clair. Une Constitution europ�enne simplifi�e permettrait peut-�tre aux citoyens et aux gouvernements nationaux de contester devant les tribunaux certains aspects des projets politiques europ�ens qui outrepasseraient leurs comp�tences ou violeraient le principe de subsidiarit�.
Dans le m�me temps, il faut conserver � l'esprit deux autres �ventualit�s. L'une d'elles est que le r�le de la Commission elle-m�me pourrait changer devant l'ampleur du d�fi bureaucratique que constitue l'�largissement. La Commission pourrait s'orienter davantage vers une activit� de soutien ou de m�diation dans l'�volution politique, en fondant son influence et son autorit� sur sa position centrale, au carrefour de nombreux r�seaux politiques et de communaut�s " �pist�miques ". Un autre sc�nario pourrait voir la Commission, avec le concours des Etats membres et d'un large �chantillon de groupements d'int�r�ts, �laborer, dans des domaines pr�cis, un programme politique europ�en fond� sur le consensus et des mesures concert�es prises simultan�ment � plusieurs niveaux (local, national, europ�en). Cette " m�thode ouverte de coordination " a �t� amorc�e par les d�cisions prises lors de la rencontre au sommet des dirigeants de l'Union, � Lisbonne, en avril 2000, et elle est en cours d'application dans des domaines politiques aussi vari�s que l'�ducation, les retraites, l'exclusion, l'immigration ou la comp�titivit� industrielle. Dans quelle mesure cela repr�sente-t-il une perte d'influence pour la Commission ou le Parlement ? Il est trop t�t pour le savoir. Mais il para�t �vident que ce processus laisse des occasions aux gouvernements nationaux et aux groupes d'int�r�ts pour modifier l'agenda europ�en, en intervenant politique par politique.
Le mot " lobby " est un terme vague, employ� pour caract�riser une n�buleuse d'int�r�ts cherchant � se faire repr�senter et � exercer une influence dans les centres de pouvoir o� sont prises les d�cisions. Dans le cas de Bruxelles, la pratique du lobbying est particuli�rement opaque : les r�gles r�gissant les rapports entre les groupes de pression et ceux qui la subissent sont tr�s impr�cises, et la fronti�re entre les organisations pratiquant le lobbying et les structures gouvernementales sont souvent t�nues. Le mot renvoie ici � tous les acteurs du processus d�cisionnel autres que les institutions europ�ennes elles-m�mes, ce qui comprend les int�r�ts sectoriels, les groupes d�fendant des convictions et, parfois, les gouvernements de pays tiers.
Il serait trop facile de circonscrire le ph�nom�ne du lobbying europ�en aux 800 et quelques f�d�rations paneurop�ennes d'associations et/ou d'entreprises nationales sp�cialistes des arcanes de la vie politique, qui forment une sorte de club ferm� d'interlocuteurs dialoguant avec les institutions europ�ennes. En r�alit�, des centaines d'autres entit�s sont r�guli�rement de la partie : cabinets d'avocats, agences comptables, cabinets de conseil en gestion, services de consultants en politique et/ou en affaires publiques, associations f�d�ratives nationales, associations commerciales et �lus locaux. A Bruxelles, il existe aujourd'hui environ 1 800 organisations qui s'adonnent au lobbying, employant pr�s de 10 000 personnes. Il y a vingt ans, elles �taient au nombre de 400 pour environ 3 000 employ�s. Ces organisations ne sont pas toutes pr�sentes dans tous les Etats de l'Union, certains de leurs membres ne travaillent pas sur son territoire, et une large minorit� d'entre elles n'ont pas leur si�ge � Bruxelles. Certaines associations industrielles n'acceptent pas, parmi leurs membres, les producteurs japonais install�s en Europe (comme les constructeurs automobiles), tandis que d'autres sont tr�s influenc�es par les investisseurs �trangers (les fabricants d'appareils �lectriques, par exemple). En outre, le lobbying prend de plus en plus la forme de coalitions temporaires et de structures ad hoc constitu�es en vue de r�agir � des propositions ou des �v�nements particuliers. Il y a ensuite les activit�s des gouvernements, notamment les gouvernements non europ�ens, qui, par le biais de la diplomatie ou de d�marches plus caract�ristiques du lobbying, tentent de persuader les d�cideurs europ�ens de prendre en compte leurs int�r�ts.
En r�alit�, n'importe qui peut faire du lobbying aupr�s de l'Union, mais peu de gens savent comment s'y prendre. Le lobbying n'est pas v�ritablement r�glement�, bien que la Commission tienne � jour sa propre liste d'informations sur quelque 700 organisations. Mais cette liste omet les interm�diaires r�mun�r�s par de nombreux groupes d'int�r�ts ainsi que les organisations �ph�m�res issues d'un Etat membre n'ayant pas d'affaires r�guli�res � Bruxelles.
Le Parlement europ�en essaie aussi de limiter le nombre de laissez-passer accord�s aux membres des groupes de pression (et qui constituent un avantage pour ceux qui travaillent r�guli�rement � Bruxelles) afin d'�viter aux d�put�s d'�tre contraints de consacrer trop de temps � l'examen de telle ou telle pr�occupation dans le cadre de leurs activit�s parlementaires. La Commission et le Parlement europ�ens ont aujourd'hui des r�glements stricts interdisant � leurs membres ou � leur personnel de recevoir des cadeaux importants, mais le Parlement, depuis le rapport Ford de 1996, semble rencontrer des difficult�s � s'assurer que tous les d�put�s suivent scrupuleusement ce nouveau code de conduite. Deux groupes de consultants en lobbying ont r�dig� des chartes d�ontologiques � l'intention de leurs membres, mais seule une petite douzaine d'entreprises les ont paraph�es, cette d�cision �tant totalement facultative. Tout le reste de l'activit� des lobbies n'est pas r�glement�e � Bruxelles, si ce n'est peut-�tre indirectement du fait du statut l�gal des organisations en Belgique qui les laisse libres de d�cider pour elles-m�mes.
Depuis le milieu des ann�es 1980, les universitaires ont fait des efforts croissants pour comprendre l'essence et le degr� d'influence des organisations pratiquant le lobbying � Bruxelles. Les th�oriciens de l'int�gration consid�rent depuis longtemps les groupes d'int�r�ts comme un indicateur fondamental du caract�re des institutions europ�ennes : soit leur influence est faible, et le cadre institutionnel europ�en peut �tre consid�r� comme intergouvernemental ; soit elle est importante, et ce cadre se rapproche alors du mod�le f�d�raliste ou fonctionnaliste. Ce d�bat, qui agite la communaut� universitaire, est loin d'�tre clos, mais il semble que les opinions s'articulent autour de deux p�les. Le premier est le p�le " intergouvernemental lib�ral ", aujourd'hui plus enclin � accepter que certaines organisations non gouvernementales (ONG) aient du pouvoir au sein du syst�me europ�en. L'autre est le p�le " n�o-institutionnel ", qui soutient que les Etats membres, les groupes d'int�r�ts et les institutions europ�ennes interagissent et s'influencent mutuellement. L'�mergence, dans les ann�es 1990, de la nouvelle �cole institutionnaliste a principalement d�coul� d'�tudes de cas sur la prise de d�cision au niveau politique et individuel. Ces �tudes montraient que des groupes d'int�r�t sectoriels ou sous-sectoriels - qu'ils soient ancr�s dans le monde de l'entreprise ou ax�s sur la promotion de convictions - pouvaient jouer, et jouaient effectivement, un r�le important dans le processus de prise de d�cision de la Communaut�/Union europ�enne. Ce n'est que lorsqu'il s'agit de questions " politiques de la plus haute importance " que les groupes d'int�r�t sont plus ou moins exclus du processus de prise de d�cision. En d'autres termes, lorsqu'il s'agit de questions techniques, non politis�es et de peu d'importance, les ONG peuvent exercer une grande influence. Mais, plus une question devient politique et met en jeu des int�r�t gouvernementaux, plus il sera difficile pour les groupes d'int�r�t de contr�ler le d�bat, sans parler d'influencer les r�sultats.
Quand la Communaut� europ�enne est devenue l'Union europ�enne et que de nouveaux trait�s ont �tendu les comp�tences de ses institutions, une autre �vidence s'est faite jour : la structure du lobbying avait chang�. Dans les ann�es 1960, ces activit�s concernaient essentiellement l'agriculture et l'alimentation ; les int�r�ts sociaux et environnementaux commenc�rent � s'organiser collectivement seulement dans les deux d�cennies suivantes ; la perspective du march� unique fit na�tre de nouvelles pr�occupations commerciales en mal de repr�sentation ; les trait�s de Maastricht et d'Amsterdam incit�rent � la promotion de nouveaux int�r�ts recouvrant le social, la sant�, l'�ducation, la justice et l'immigration. Globalement, plus l'Union est devenue un acteur international fort et coh�rent (sur les questions commerciales et environnementales, par exemple), plus le dialogue institutionnel s'est extrait des zones p�riph�riques du pouvoir � Bruxelles comme dans l'ensemble de l'Union. Ainsi, ces derni�res ann�es, le Trans-Atlantic Business Dialogue (TABD, " Dialogue transatlantique des milieux d'affaires "), n� il y a � peine dix ans, est devenu l'un des plus importants forums repr�sentant l'" opinion �trang�re " � Bruxelles. Il n'est pas non plus possible de pr�tendre que les opinions des milieux d'affaires des Etats-Unis ont �t�, par le pass�, relativement sous-repr�sent�es aupr�s des institutions europ�ennes, dans la mesure o� l'on s'accorde � dire que le comit� europ�en de la Chambre de commerce am�ricaine (AMCHAM) est l'un des lobbies les plus efficaces sur la sc�ne bruxelloise. En revanche, on peut affirmer qu'�tant donn� les int�r�ts �conomiques concurrents de l'Union et des Etats-Unis en mati�re de commerce international, ajout�s � une traditionnelle propension � se brouiller sur certaines questions, un nouveau forum �tait n�cessaire pour am�liorer la compr�hension mutuelle et insister sur les int�r�ts strat�giques que partagent les deux partenaires.
La souplesse et l'opportunisme caract�risant la pratique du lobbying � Bruxelles doivent aussi �tre analys�s. Le lobbying ne s'y d�ploie pas dans un cadre bien �tabli, et les structures dans lesquelles la repr�sentation des groupes d'int�r�t est pr�alablement d�termin�e (comme le Comit� �conomique et social ou les centaines de comit�s consultatifs officiels) ne sont souvent pas les plus efficaces. Si, dans le dispositif institutionnel actuel, l'expression de certains int�r�ts particuli�rement importants n'est pas possible, il est facile de cr�er de nouvelles structures ou de trouver de nouveaux canaux pour faire entendre ces points de vue. Le plus important est de savoir comment jouer la partie politique � Bruxelles. Les organisations qui y sont �tablies doivent savoir ce qu'il faut qu'elles fassent. Etant donn� la qualit� des syst�mes de communication modernes, les organisations et les professionnels du lobbying qui r�ussissent n'ont pas toujours besoin d'�tre pr�sents � Bruxelles. Un d�ficit de comp�tences ou de connaissances dans une campagne pr�cise de lobbying peut toujours �tre combl� par le recours � l'univers hautement concurrentiel des cabinets de conseil. Une �tude plus approfondie des styles de lobbying sera entreprise plus loin.
Au coeur du processus d�cisionnel bruxellois (qui articule �videmment un niveau national, et parfois aussi infra-national), on trouve le besoin de la Commission de recueillir des informations pour pouvoir formuler des propositions pertinentes dans tous les secteurs et suivre les �v�nements dans les domaines politiques qui l'int�ressent. Ces renseignements sont fr�quemment indisponibles et ne peuvent parfois pas �tre fournis par les gouvernements des Etats membres. La Commission se tourne donc in�vitablement vers les organes repr�sentatifs afin d'obtenir informations et opinions pouvant orienter son action. C'est l� le fondement de la relation symbiotique entre la Commission et les groupes d'int�r�ts, qui, � leur tour, se renseignent sur les opinions et les projets de la Commission afin de pouvoir y r�pondre rapidement ou m�me les anticiper. L'�tat de d�pendance mutuelle o� se trouvent ces deux groupes d'acteurs a �t� renforc�e par l'h�g�monie du Conseil des ministres dans la plupart des grandes d�cisions de l'Union. Mais un partenariat solide entre la Commission et des groupes d'int�r�ts bien organis�s au niveau europ�en peut permettre parfois de v�ritablement contourner le Conseil, ou du moins de marginaliser un Etat membre qui exprimerait de vigoureuses objections. Ainsi, l'alliance, � la fin des ann�es 1970, entre la Commission et EUROFER (Association europ�enne de la sid�rurgie) a permis de contrer les r�serves allemandes � propos d'une intervention sur le march� de l'acier, alors tr�s touch� par la crise. Et l'enthousiasme des banquiers fran�ais, � la fin des ann�es 1970, en faveur de la lib�ralisation de leur environnement �conomique int�rieur l'emporta gr�ce au concours de la Commission et des institutions europ�ennes, et malgr� les objections de Paris.
Depuis 1986, il y a eu plusieurs changements importants dans le syst�me d�cisionnel de la Communaut�/Union europ�enne, lesquels ont aussi influenc� la nature du lobbying sur beaucoup de points. Les quatre trait�s, ou amendements aux trait�s existants, conclus par les Etats membres depuis la conf�rence intergouvernementale de Luxembourg, en 1985, ont consacr� la g�n�ralisation progressive du recours au vote � la majorit� qualifi�e au Conseil des ministres, ce qui a rendu du pouvoir � la Commission et au Parlement. Le r�le de celui-ci a �t� �largi depuis l'institution du suffrage universel direct en 1979, mais le changement le plus important a �t� l'adoption de la proc�dure de cod�cision (instaur�e par le trait� de Maastricht) qui donne au Parlement des pr�rogatives d�cisionnelles communes � celles du Conseil des ministres dans un nombre croissant de domaines politiques (pour une grande partie des politiques relatives au march� unique et � l'environnement, par exemple), la Commission intervenant parfois comme m�diateur en cas de d�saccord entre le Conseil et le Parlement. Dans l'Union, toute prise de d�cision se fait dans le cadre d'un r�glement tr�s complexe qui �mane des fondements contractuels et l�gislatifs relatifs au secteur en question et au type de d�cision devant �tre pris. On dit qu'il existe au moins vingt-trois structures d�cisionnelles diff�rentes en exercice au sein de l'Union, et les strat�gies de lobbying doivent ainsi s'adapter � la fois � l'�tat du r�glement et � l'�quilibre des forces politiques en pr�sence. Selon les domaines, la Commission ou le Conseil peuvent pr�dominer, tandis que le Parlement peut bloquer les progr�s sur certaines questions et qu'un recours devant la CJCE en suivant la proc�dure l�gale peut se r�v�ler tr�s efficace. Ceux qui veulent v�ritablement promouvoir leurs int�r�ts � Bruxelles avec des chances de succ�s doivent ainsi �laborer une strat�gie sp�cifique pour chaque question politique et chaque �tape du processus d�cisionnel.
Le syst�me de prise de d�cision au sein de l'Union est un m�lange unique de styles de lobbying, o� coexistent des cultures politiques tr�s diverses, de sources continentales et anglo-saxonnes, combin�es aux contraintes d'une configuration institutionnelle particuli�re. Confront�es � un sujet pr�cis, la plupart des organisations de lobbying doivent d'abord d�terminer le degr� auquel elles souhaitent s'investir. Tr�s souvent, ces organisations sont r�ticentes ou inaptes � consacrer beaucoup de ressources � cette activit�, ce qui conf�re un avantage � celles qui s'en donnent la peine.
En g�n�ral, il convient de suivre quelques r�gles importantes.
Au niveau de l'Union, les efforts de lobbying se sont traditionnellement et principalement concentr�s sur des questions politiques int�rieures, notamment celles touchant au march� unique et au d�veloppement du commerce. Le commerce a cependant des dimensions � la fois int�rieures et ext�rieures, et dans la mesure o� les institutions europ�ennes cherchent � r�glementer ou autoriser les relations commerciales entre des pays tiers et le march� int�rieur europ�en, ces relations comportent une dimension de politique �trang�re. L'Union se rend parfois coupable de ne pas reconna�tre pleinement les implications ext�rieures de ses d�cisions politiques int�rieures, l'exemple r�cent le plus �vident en �tant le fameux Livre blanc de 1985 sur l'ach�vement du march� int�rieur qui omit totalement de les aborder. Cet aspect quelque peu introverti d'une grande partie de la politique de l'Union rend d'autant plus important pour les acteurs ext�rieurs (gouvernements et entreprises ayant des int�r�ts sur le march� europ�en) le fait d'�tre repr�sent�s � Bruxelles et d'exercer des pressions sur les d�cideurs de l'Union au niveau national, en plus du niveau europ�en. Il n'est pas exag�r� d'affirmer que les gouvernements des pays tiers sont devenus partie int�grante de l'infrastructure du lobbying europ�en.
Ce type de lobbying exc�de d�sormais les questions li�es au commerce depuis que les second et troisi�me piliers des comp�tences de l'Union, sp�cifi�s dans le trait� de Maastricht et approfondis dans le trait� d'Amsterdam, sont d'actualit�. Il se peut que le syst�me d�cisionnel intergouvernemental soit quelque peu diff�rent, mais l'int�r�t des pays tiers pour les domaines politiques couvert par la PESC et la coop�ration en mati�re de justice et d'affaires int�rieures (JAI) est �vident. Cet int�r�t des pays tiers peut se manifester dans un cadre strictement bilat�ral, lorsque le gouvernement ou son territoire sont directement concern�s ; ou bien, dans un cadre plus collectif, lorsque, par exemple, un accord international est en cours de n�gociation sur des sujets tels que le terrorisme, le blanchiment d'argent, le trafic de stup�fiants ou la cr�ation d'une Cour p�nale internationale.
Il est peut-�tre utile d'insister d�s maintenant sur le fait que la politique �trang�re est un concept plut�t large et mal d�limit�. Le terme est employ� ici pour caract�riser toute politique men�e par un gouvernement national en relation avec d'autres pays ou des organisations internationales. Les forces de la mondialisation ont �tendu le champ d'action de la politique �trang�re au commerce des services et des biens, aux march�s financiers, � la criminalit� internationale, au terrorisme, etc. Du fait de la croissance rapide du commerce mondial depuis 1945, les pr�occupations de la politique �trang�re sont devenues plus �conomiques et commerciales. D'o� l'int�r�t de beaucoup de gouvernements de pays tiers pour les d�cisions de la Communaut� europ�enne bien avant que les ann�es 1990 ne donnent jour aux trait�s de Maastricht et d'Amsterdam. L'Union est la plus grande entit� commerciale du monde, et ses d�cisions sont d'une grande importance pour la plupart des pays impliqu�s dans le commerce international.
La Communaut� europ�enne n'a pas craint non plus d'�tablir des liens entre la politique commerciale et la politique �trang�re. Ce fut clairement le cas en 1982, lorsqu'elle d�cida d'un embargo � l'encontre de tous les biens provenant d'Argentine, apr�s l'invasion, par ce pays, des �les Malouines. En 1986, elle mena�a aussi de suspendre son accord commercial avec la Syrie en r�ponse aux �l�ments, dans l'affaire Hindawi, attestant que la Syrie avait h�berg� en connaissance de cause une organisation terroriste ainsi que les v�ritables auteurs d'une tentative d'attentat contre un avion de ligne isra�lien � l'a�roport de Heathrow.
On trouve un autre exemple important dans la longue liste des conflits commerciaux entre les Etats-Unis et la Communaut�/Union europ�enne. En 1982, l'Administration Reagan se soucia des implications strat�giques qui d�coulaient, pour l'Europe occidentale, de la construction d'un pipeline destin� � l'importation de ressources �nerg�tiques russes sur le march� europ�en. La Maison-Blanche craignait qu'une d�pendance �nerg�tique si importante � l'�gard de l'Union sovi�tique entame la capacit� de l'Europe � r�pondre vigoureusement � une menace s�curitaire �manant du bloc communiste. Les Etats-Unis menac�rent donc de mettre sur liste noire toute entreprise am�ricaine ou �trang�re fournissant des pi�ces (voire des services) pour la construction de ce pipeline, les entreprises ainsi mises � l'index �tant exclues des appels d'offre de la Maison-Blanche et ne pouvant obtenir de contrat priv� avec les entreprises am�ricaines. La Communaut� europ�enne annon�a des mesures de repr�sailles commerciales au cas o� la menace serait suivie d'effets, et une entreprise au moins, British Aerospace, se trouva au banc des accus�s pour avoir ignor� l'embargo. La position des Etats-Unis suscita des critiques tr�s virulentes dans le monde entier et fut d'ailleurs rapidement abandonn�e.
Peu d'aspects de la politique de l'Union auront suscit� de d�bats plus douloureux et d'activit�s de lobbying plus intenses que la question de la r�glementation du r�gime europ�en d'importation des bananes. Des gouvernements du monde entier ainsi que des groupements d'int�r�t �conomique et des ONG ont pass� plus d'une d�cennie � faire pression sur l'Union et � porter leurs revendications devant la CJCE, l'Accord g�n�ral sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Trade and Tariffs, GATT) et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Les r�sultats et cons�quences des d�cisions de l'Union ont �t� �voqu�s de fa�on dramatique : le libre-�change contre le commerce �quitable ; la survie �conomique de quelques micro-Etats des Cara�bes; l'obligation morale des ex-puissances coloniales europ�ennes de soutenir leurs anciennes colonies ; l'incitation � la culture de drogues illicites comme seule alternative viable � la culture de bananes ; la capacit� des multinationales am�ricaines � adapter les r�gles commerciales � leur avantage sans consid�ration pour les autres, notamment avec l'aide de Washington.
Le probl�me du r�gime d'importation des bananes date des d�buts de la CEE : la signature du trait� de Rome fut retard�e de plusieurs jours pendant qu'un protocole final �tait adopt� qui autorisait l'Allemagne � importer des bananes sans taxes (et donc peu ch�res), tandis que la France et les autres pays pouvaient garantir l'acc�s � leur march� � leur anciennes colonies et aux DOM-TOM, � des prix plus �lev�s. Cet accord constituait une d�n�gation du principe de march� unique. Et lorsque d'autres Etats, comme la Grande-Bretagne, rejoignirent la Communaut�/Union europ�enne, l'accord fut �tendu, puis inclus dans la Convention de Lom� par laquelle l'Union accordait un acc�s pr�f�rentiel au march� unique europ�en pour de nombreux produits des pays d'Afrique, des Cara�bes et du Pacifique (ACP, aujourd'hui au nombre de 77), ainsi qu'une aide financi�re et alimentaire, un partage de comp�tences et des syst�mes de stabilisation des recettes d'exportation. Le fondement de ces dispositions complexes fut remis en question par le Livre blanc sur l'ach�vement du march� int�rieur, publi� par la Commission en 1985, et en particulier par la promesse d'abolir tous les contr�les aux fronti�res au sein de la Communaut�. Les quotas et les taxes d'importation diff�renci�es, qui avaient permis aux march�s nationaux voisins de d�finir les conditions du commerce de la banane compl�tement diff�remment les uns des autres, commenc�rent � devenir inutiles et inop�rantes. Il fallait soit mettre en place un march� libre de la banane au sein de l'Union (avec pour effet l'�viction des producteurs europ�ens locaux et de beaucoup de producteurs antillais), soit concevoir un r�gime d'importation nouveau permettant de concilier de nombreux int�r�ts contradictoires. Plusieurs grands Etats europ�ens s'�tant publiquement prononc�s en faveur de la seconde option dans le but de prot�ger leurs int�r�ts locaux et ceux de leurs ex-colonies, il �tait �vident, d�s 1986, que la solution du march� libre ne serait pas retenue et qu'un nouveau r�gime d'importation devait �tre �labor�. Cela ne fut r�alis� qu'en 1993, six mois apr�s l'entr�e en vigueur du nouveau march� unique, tellement il fut difficile de trouver un accord entre les parties. Mais ce nouveau r�gime ne devait pas durer longtemps.
Les int�r�ts impliqu�s dans le processus de lobbying sur cette question �taient � la fois puissants et divers. De toute �vidence, les producteurs europ�ens locaux des A�ores, des Canaries, de Cr�te et de Laconie avaient trouv� une oreille attentive aupr�s de leurs gouvernements respectifs (le Portugal, l'Espagne et la Gr�ce), tous repr�sent�s au Conseil des ministres, lequel devait donner son aval � la nouvelle r�glementation sur la banane. Les producteurs martiniquais et guadeloup�ens, ainsi que ceux de beaucoup d'anciennes colonies, pouvaient compter sur la bienveillance du gouvernement fran�ais, soucieux de les aider. Les producteurs des anciennes colonies et d�pendances britanniques des Cara�bes et du Pacifique trouv�rent un gouvernement britannique tout aussi dispos� � les assister. Les Italiens ne tenaient pas � d�laisser les int�r�ts des producteurs somaliens, autre ancienne colonie. Par ailleurs, les gouvernements carib�ens constitu�rent, avec les principales entreprises cultivant la banane sur leur territoire, une association, la CBEA (Caribbean Banana Exporters Association). Parall�lement, les producteurs d'Am�rique latine adopt�rent une attitude discr�te mais comptaient sur leurs gouvernements (la plupart des Etats d'Am�rique centrale, la Colombie et l'Equateur) pour d�fendre leur point de vue. Ils se d�claraient en faveur d'un respect rigoureux des principes du libre-�change - ce que l'Union est normalement dispos�e � accepter - afin de pouvoir tirer pleinement b�n�fice de leurs faibles co�ts de production, avantage qu'ils avaient sur les autres pays ACP, notamment carib�ens. La Maison-Blanche entra aussi dans la partie � la demande des multinationales am�ricaines (notamment Chiquita/United Brands) une fois qu'il fut �vident que l'Union avait d�cid� de soutenir un r�gime d'importation de bananes qui pouvait �tre en d�saccord avec les r�gles du GATT (et plus tard de l'OMC). Chiquita et son directeur g�n�ral de l'�poque, Carl Lindner, ont ouvertement admis avoir octroy� d'importantes donations aux Partis d�mocrate et r�publicain afin de s'assurer que leur voix serait entendue tout au long du d�bat sur le r�gime europ�en d'importation des bananes dans les ann�es 1990.
Voil� pour les acteurs gouvernementaux. Les acteurs industriels adopt�rent plusieurs approches diff�rentes tandis que les probl�mes �mergeaient. Parmi les entreprises productrices, certaines choisirent de se battre ouvertement en association �troite avec leur gouvernement (Chiquita et l'Administration des Etats-Unis, Noboa et le gouvernement �quatorien) ; d'autres d�cid�rent de se pr�munir et de d�velopper des strat�gies commerciales leur permettant de r�sister aux cons�quences les plus pr�visibles (Dole, Del Monte et l'anglo-irlandais Fyffes) ; tandis que d'autres encore furent tent�es de laisser les gouvernements des pays dans lesquels elles cultivaient la banane se charger de l'effort politique (� nouveau Dole et Fyffes). A l'autre bout de la cha�ne, les entreprises commercialisant les bananes dans l'Union �taient repr�sent�es par leur association commerciale (l'European Community Banana Trade Association, ECBTA), mais ne semblent pas avoir influenc� d'importantes d�cisions sur la question. En effet, la nature de leur association changea durant la p�riode du fait du rachat des plus importantes fili�res de distribution de fruits par les principaux producteurs et convoyeurs de bananes - une cons�quence �vidente de l'int�gration verticale du march� du secteur, rendue n�cessaire par l'intensification de la concurrence.
Des ONG ont �galement manifest� un vif int�r�t pour ce d�bat, pour l'essentiel des organisations humanitaires et caritatives, comme Oxfam (Oxford Committee for Famine Relief), des groupes impliqu�s dans le d�veloppement des pays du Tiers-Monde, et beaucoup d'organisations confessionnelles. Leurs efforts conjoints ont permis de mobiliser des centaines de milliers de gens qui ont protest� aupr�s de leurs gouvernements � propos de la situation critique dans laquelle se trouvaient les producteurs de bananes des pays ACP, attirant l'attention des m�dias sur la question du commerce des bananes : de nombreux documentaires t�l�vis�s et campagnes p�titionnaires s'ensuivirent !
Arriv�s � ce point, il nous faut r�sumer l'histoire et l'�volution du conflit commercial autour de l'importation des bananes dans l'Union. Cette histoire est longue et complexe.
Les origines du conflit commercial sur la banane remontent � la cr�ation de la CEE. La signature du trait� de Rome, en mars 1957, fut retard�e de quatre jours tandis qu'un accord �tait recherch� sur le protocole tr�s contest� concernant la banane. Celui-ci accorda � la R�publique f�d�rale d'Allemagne (RFA) une exemption du tarif ext�rieur commun pour les bananes que tous les autres Etats membres �taient tenus d'appliquer. Le consommateur allemand a jou� un r�le important tout au long de ce d�bat en persuadant son gouvernement de recourir � tous les moyens possibles pour maintenir l'approvisionnement du march� allemand en bananes � bas prix. Comme on peut s'y attendre, les Allemands d�tiennent le record de consommation de banane par habitant pour toute l'Union. Et l'Union dans son ensemble repr�sente 30 % en volume du commerce mondial de la banane (45 % en valeur).
Quand fut lanc�, en 1985, le programme destin� � achever le march� unique, il devint tout � fait clair que la fragmentation d�lib�r�e du march� de la CEE r�sultant de l'organisation du commerce de la banane ne pouvait plus durer, du fait de l'�limination des contr�les aux fronti�res � l'int�rieur de la Communaut�. Un nouveau r�gime d'importation des bananes commun � l'ensemble de la Communaut� devait �tre �labor�, comme dans le cas des voitures neuves.
L'article 115 du trait� de la CEE fournissait � chaque Etat membre la possibilit� d'adopter un r�gime d'importation des bananes sp�cifique puis de le faire valider et appliquer par la Communaut�. Les s�ries de conventions de Yaound� et de Lom� promettaient, d�s 1991, qu'aucun pays ACP ne serait " plac�, en ce qui concerne ses march�s traditionnels et ses avantages sur ces march�s, dans une position moins favorable que par le pass� ou qu'aujourd'hui ".
Ainsi, tout �tait pr�t pour de longues et classiques n�gociations au sein de la Communaut�, lesquelles d�bouch�rent sur la d�cision, prise en 1993, d'introduire un r�gime d'importation de bananes commun, se caract�risant par un syst�me de quota pour l'importation des " bananes dollars " (initialement �tabli � 2 millions de tonnes) et un tarif ext�rieur commun de 20 %. Douze Etats ACP continuaient � b�n�ficier d'un acc�s d�tax� au march� � hauteur de 620 000 tonnes de bananes par an. La Commission devait conserver un quota discr�tionnaire qu'elle pouvait r�partir librement tandis que le march� de la banane continuait son expansion. Les importations de bananes dollars �taient cependant contr�l�es par un syst�me de licences uniquement accord�es aux importateurs promettant de vendre des bananes provenant des pays ACP ou d'Europe. On pr�voyait que le nouveau syst�me accorderait 30 % des licences d'importation (en volume de ventes) aux n�gociants ayant commercialis� des bananes en provenance des pays ACP traditionnels, 60 % aux n�gociants ayant commercialis� des bananes dollars et 10 % aux nouveaux venus sur le march� et aux n�gociants en bananes cultiv�es en Europe. Le syst�me est administr� par le Comit� de gestion de la banane de l'Union et par la Commission.
Le nouvel accord fut ent�rin� avec beaucoup de difficult� par un vote � la majorit� qualifi�e, le changement d'avis du Danemark se r�v�lant d�cisif. Cet accord fut violemment attaqu� par l'Allemagne qui le contesta, sans succ�s, devant la CJCE, l'accusant d'�tre contraire aux principes �conomiques garantis par le trait� de Rome. Une autre attaque fut lanc�e dans le cadre du GATT par les Etats-Unis et plusieurs producteurs de bananes dollars d'Am�rique latine. La d�cision du GATT sur le nouveau r�gime d'importation conduisit � une augmentation du quota de bananes dollars � 2,1 millions de tonnes. Cela signifiait qu'avec la fin du GATT, en 1994, la proc�dure de r�solution du litige sous l'�gide de l'OMC devait repartir de z�ro, cette fois � l'instigation de l'Equateur et des Etats-Unis. En 1997, l'OMC se pronon�a contre le r�gime europ�en d'importation de bananes, le d�clarant discriminatoire � l'encontre des producteurs d'Am�rique latine. L'Union introduisit des modifications dans son r�gime d'importation qui entr�rent en vigueur en janvier 1999, mais un panel de l'OMC d�cida en avril 1999 que, m�me modifi�, ce r�gime perp�tuait cette discrimination. Avant que l'Union ait propos� une r�ponse � cette derni�re d�cision, le gouvernement des Etats-Unis introduisait un syst�me de sanctions commerciales r�visables (" carrousel approach ") d'un montant de 200 millions de dollars contre les Etats europ�ens, notamment ceux favorables au r�gime europ�en d'importation des bananes. L'Union d�clara que les Etats-Unis enfreignaient les r�gles de l'OMC en agissant de la sorte, mais il �tait �vident que la Maison-Blanche �tait alors exasp�r�e par les retards europ�ens. En janvier 2001, Chiquita, l'un des principaux producteurs et n�gociants de bananes dollars, intenta un proc�s pour dommages et int�r�ts � hauteur de 525 millions de dollars (soit, � l'�poque, 564 millions d'euros), invoquant les pertes subies depuis que le nouveau r�gime avait �t� mis en place en janvier 1999. En avril 2001, cependant, l'Union semblait avoir trouv� un compromis avec les Etats-Unis, se fondant sur une r�vision du syst�me de licences afin de favoriser les fournisseurs traditionnels du march� europ�en, au grand dam d'un autre producteur et n�gociant am�ricain, Dole, et du gouvernement �quatorien.
La question du commerce de la banane illustre bien les forces et faiblesses institutionnelles de l'Union. Les divisions au sein du Conseil des ministres furent profondes, et le r�glement du conflit par l'application du vote � la majorit� qualifi�e obligea simplement la minorit� dissidente � rechercher, sans succ�s, un secours du c�t� de la CJCE. Dans cette affaire, la Commission eut la malchance d'�tre emmen�e par la DG VI (celle de l'agriculture) qui prend toujours fait et cause pour les producteurs plut�t que pour les consommateurs. Mais faire �voluer la position adopt�e par la DG VI fut un v�ritable casse-t�te " acronymique " de directions g�n�rales, chacune avec son lot d'organisations de lobbying - la DG I (relations ext�rieures), la DG III (affaires industrielles), la DG VIII (d�veloppement et coop�ration), la DG XV (march� int�rieur), la DG XVI (affaires r�gionales) - auxquelles il faut ajouter le Comit� europ�en d'administration de la banane.
C'est donc toute une superposition de probl�matiques qu'il fallut d�m�ler. Les pays en d�veloppement (PED) �taient profond�ment divis�s en deux camps : les pays ACP et les pays non ACP. Les principes du march� unique �taient en jeu, favorisant la consolidation du r�gime d'importation de la banane au niveau de l'Union ; mais la lib�ralisation de l'acc�s � ce march� nouvellement int�gr� devait �tre mis en balance avec les politiques protectionnistes destin�es � pr�server le niveau de vie de gens comptant parmi les plus pauvres du monde. Sur cette question, les lignes de clivage traditionnelles entre les Etats pratiquant le libre-�change et ceux plus enclins au protectionnisme se d�sagr�g�rent, le Royaume-Uni adoptant un point de vue plus protectionniste (soutenu par la France, l'Italie et les Pays-Bas) en raison des int�r�ts des PED. Finalement, et c'est peut-�tre le plus important, l'ensemble des relations de l'Union avec les Am�riques furent menac�es par ce conflit commercial : entre l'Union et les Etats-Unis (relations qui se d�graderont encore sur d'autres questions), entre les Etats carib�ens et ceux d'Am�rique centrale, entre ces derniers et les Etats d'Am�rique du Sud (notamment l'Equateur), enfin entre les Etats radicaux d'Am�rique centrale, comme le Honduras, et des Etats plus mod�r�s, comme le Costa Rica.
L'acceptation par l'Union, en 1997, des propositions du protocole de Kyoto sur la r�duction des �missions de gaz � effets de serre a eu des r�percussions pour les constructeurs automobiles et les compagnies p�troli�res pr�sents sur le march� europ�en. L'Union a accept� de r�duire ses �missions de 8 % d'ici � 2010 par rapport au niveau de 1990. Mais ces r�ductions devront �tre plus importantes dans certains pays (12 % pour le Royaume-Uni), tandis que d'autres (l'Irlande) seront autoris�s � accro�tre leur niveau d'�missions (jusqu'� 13 %). Le protocole de Kyoto affecte les int�r�ts des entreprises en Europe, alors qu'elles doivent d�j� faire face � d'intenses pressions r�glementaires de Bruxelles pour parvenir � une allocation plus efficace des ressources, une pollution automobile plus faible et un meilleur recyclage. Ces pressions refl�tent les pr�occupations �cologiques d'un grand nombre d'Etats membres (six d'entre eux sont consid�r�s comme constituant l'avant-garde de la politique environnementale) et du Parlement europ�en. Les deux principaux groupements d'int�r�t concern�s et menac�s (les constructeurs automobiles et les compagnies p�troli�res, repr�sent�s par des f�d�rations paneurop�ennes telles que l'Association des constructeurs europ�ens d'automobile (ACEA) et l'Association de l'industrie p�troli�re europ�enne (EUROPIA)) ne se sont pas laiss� imposer s�par�ment un agenda d�termin� par les institutions europ�ennes selon des crit�res politiques plus qu'industriels. Ils ont au contraire annonc�, en 1996, qu'ils feraient des propositions communes pour aider � r�aliser les objectifs environnementaux de l'Union, puis ceux d�finis � Kyoto en mati�re d'�missions de gaz automobile d'ici � 2008 - 2012, le tout en concertation avec la Commission et sous r�serve de l'approbation finale du Conseil des ministres et du Parlement. D'autres accords ont aussi �t� conclus avec les constructeurs automobiles japonais et cor�ens. Malgr� les appr�hensions de beaucoup de d�put�s europ�ens, cette approche a �t� accept�e et le premier programme Auto-Oil vot� - et ce, en d�pit de d�saccords ouverts entre les deux industries concern�es sur la fa�on de r�partir le fardeau de la r�duction des �missions de gaz d'origine automobile. Des ONG �cologistes pr�tendent aussi que ces deux industries ont �dulcor� les exigences politiques de l'Union. Un second programme Auto-Oil est actuellement en cours de n�gociations, avec une plus grande harmonie entre les deux secteurs et une plus grande implication des ONG.
Ce processus soul�ve d'importantes questions touchant la l�gitimit� d�mocratique et la nature de l'autorit� habilit�e � �laborer, appliquer et �valuer une politique publique. Il permet aussi aux int�r�ts industriels d'exercer un plus grand contr�le sur l'agenda politique, et d'�tre hostiles au protocole de Kyoto d'un c�t� de l'Atlantique tout en se montrant apparemment dispos�s � aider � la r�alisation des objectifs de Kyoto sur l'autre rive de l'oc�an.
Au premier abord, le lobbying peut �tre consid�r� comme un �l�ment in�vitable du processus d�mocratique. Les lobbyistes sont en droit de faire conna�tre directement leurs points de vue aux d�cideurs europ�ens ainsi qu'aux membres du Parlement. Chose rare, ce dernier n'est pas le seul organe l�gislatif au sein du dispositif d�cisionnel europ�en (il partage ce r�le avec le Conseil des ministres) et il n'a pas non plus l'initiative des propositions l�gislatives (qui rel�ve de la Commission). Ainsi, on peut consid�rer de fa�on simpliste que le lobbying est une manifestation de la d�mocratie � l'oeuvre, et qu'il est susceptible de garantir une certaine responsabilit� des institutions europ�ennes au moins devant ceux qui sont le plus concern�s par les d�cisions de l'Union.
Le lobbying se r�v�le aussi tr�s utile � la Commission, qui cherche � sonder l'opinion des entreprises et des ONG avant de prendre des initiatives politiques radicalement nouvelles. Elle compte alors souvent, avant de se d�terminer, sur des associations commerciales et professionnelles pour obtenir des donn�es et des analyses sur les secteurs concern�s. Compte tenu de la dimension relativement r�duite de la Commission et de l'impossibilit� o� sont ses fonctionnaires de conna�tre par eux-m�mes toutes les sp�cificit�s sectorielles de chaque Etat membre, l'�change d'informations entre la Commission et les groupes de pression est souvent essentiel pour les deux parties. Une Commission bien inform�e a plus de chances de faire des propositions politiques l�gitimes et susceptibles d'�tre mises en oeuvre. Le raisonnement consiste � dire que le lobbying peut conduire � un processus politique plus efficace, dans lequel les d�cideurs sont finalement conduits � adopter les mesures ayant le plus de chances d'aboutir aux r�sultats politiques escompt�s, en prenant pleinement en compte les r�alit�s et les aspects pratiques tels qu'ils sont per�us sur le terrain par les int�r�ts imm�diatement concern�s. Les m�mes groupes d'int�r�t peuvent donner leurs impressions sur la mise en oeuvre de la politique de l'Union en recourant � des m�thodes identiques vis-�vis de la Commission.
Le processus de lobbying est aussi de plus en plus interactif dans la mesure o� les diff�rents int�r�ts sont en concurrence pour obtenir gain de cause et o� les lobbyistes, pour se faire vraiment �couter, doivent essayer de d�velopper une vision europ�enne globale qui aborde les questions-clefs de leur domaine politique � l'�chelle de l'Union. Deux cons�quences pourraient en r�sulter. La premi�re serait l'�laboration de consensus au niveau europ�en dans la mesure o� un ensemble d'int�r�ts se cherchant des alli�s est contraint de se pr�occuper des autres, qui n'ont pas n�cessairement des int�r�ts compatibles. L'autre cons�quence, qui pourrait �merger parall�lement au d�veloppement du consensus, serait que le contact direct avec les institutions europ�ennes favorise le processus d'int�gration sur le long terme au travers d'une influence progressive sur ceux qui fa�onnent les opinions, une dialectique que les universitaires ont appel� " engrenage ".
Le lobbying au niveau europ�en est tr�s critiqu� pour des raisons relevant de consid�rations d�mocratiques. Il y a d'abord le relatif secret qui entoure � la fois le processus de prise de d�cision et la pratique du lobbying. Ce secret nourrit les soup�ons selon lesquels les accords sont conclu, � l'abri des regards, entre les entreprises et les d�cideurs europ�ens, sans grands �gards pour l'int�r�t g�n�ral ou le bien public. Ainsi les structures d�mocratiques se trouvent-elles en un sens contourn�es et la responsabilit� devant les citoyens marginalis�e au profit d'une responsabilit� prise par rapport � quelques int�r�ts particuliers. Une multinationale �trang�re pourrait obtenir une plus grande attention de Bruxelles � ses points de vue qu'un groupe inexp�riment� de citoyens europ�ens.
Ces soup�ons sont renforc�s par le fait qu'il est fort co�teux de faire pression avec succ�s sur les institutions europ�ennes, tout comme cela exige du temps et des comp�tences. D'une fa�on g�n�rale, l'univers du lobbying � Bruxelles est domin� par des groupes de pression commerciaux qui d�fendent des int�r�ts �conomiques pour lesquels ils sont souvent en mesure - et dispos�s -� payer le prix fort. Une telle d�marche n'est pas envisageable pour des groupes poursuivant des objectifs plus g�n�raux ou altruistes, comme ceux repr�sentant les int�r�ts des r�fugi�s, des travailleurs immigr�s, des personnes handicap�es ou des ch�meurs. Le raisonnement est donc que l'�quilibre atteint au sein de l'Union entre les diff�rents int�r�ts penche nettement en faveur de ceux pouvant consacrer beaucoup d'argent � la promotion de leur cause (d'une fa�on g�n�rale, il s'agit des int�r�ts des entreprises et des gouvernements). La Commission reconna�t le bien-fond� de cet argument en subventionnant quelque soixante ONG actives � l'�chelle europ�enne, mais cette r�ponse comporte aussi le risque de compromettre l'ind�pendance des organisations mises en places pour repr�senter de tels int�r�ts.
Une autre inqui�tude concerne la repr�sentativit� des organisations cens�es incarner l'opinion europ�enne sur tel ou tel sujet. La Commission pr�te attention � la structure et au nombre de membres des organisations qui pr�tendent repr�senter des groupes sociaux, �conomiques ou professionnels particuliers. Une question tout aussi importante consiste � savoir dans quelle mesure les positions adopt�es par une organisation au niveau europ�en prennent r�ellement en compte les pr�occupations et les exigences des associations nationales, et si elles ont �t� valid�es d�mocratiquement au sein de l'organisation. L'arriv�e d'Internet et de la messagerie �lectronique a certainement modifi� les moyens, pour une ONG bas�e � Bruxelles, de rester en contact �troit avec ses membres au niveau national. Mais il est encore difficile de savoir dans quelle mesure ces pratiques ont permis une d�centralisation et une plus large contribution � la prise de d�cision, auparavant d�volue aux initi�s qui dirigent les groupes d'int�r�ts � Bruxelles.
En fin de compte, les fonctionnaires de la Commission et les d�put�s europ�ens font souvent r�f�rence � l'exc�s de lobbying, alors m�me que la structure fragment�e du processus de d�cision europ�en en est une des causes. On peut ainsi affirmer que les intenses efforts de lobbying, impliquant parfois des centaines d'organisations, emp�chent une prise de d�cision rapide et coh�rente dans le cadre de l'Union.
Malgr� l'�largissement � 25 pr�vu pour 2004, la structure et les �volutions futures de l'Union sont plut�t incertaines. Pour les organisations de lobbying, l'�largissement signifie que tout un ensemble d'int�r�ts enti�rement nouveaux (et parfois contradictoires) devront �tre int�gr�s au sein d'organisations particuli�res, et assimil�s par les institutions europ�ennes. L'�largissement devrait aussi �loigner le Conseil des ministres des pr�occupations �cologiques et le r�orienter vers les questions de s�curit�.
L'�largissement accentuera certainement la tension existant entre ceux qui recherchent une plus grande standardisation europ�enne et ceux qui donnent la priorit� au principe de subsidiarit�. Beaucoup d'entreprises aimeraient une plus grande centralisation du pouvoir de d�cision. Leur vie serait simplifi�e, et leur co�ts r�duits, si les d�cisions prises � Bruxelles s'appliquaient partout sur le territoire de l'Union. C'est la raison pour laquelle les grands groupes d'int�r�t repr�sentant les entreprises firent cause commune avec les �cologistes, en 1992, contre la proposition de Jacques Delors en faveur de r�gles environnementales d�cid�es et administr�es au niveau national. En ouvrant la voie � davantage de variations nationales et r�gionales dans la d�finition et l'application des r�gles, les partisans de la subsidiarit� courent in�vitablement le risque de s'�loigner de la notion de concurrence " sur un pied d'�galit� " entre les entreprises, notion constitutive du march� unique. Mais cela ne sera-t-il pas la cons�quence in�vitable du prochain �largissement, m�me sans aucun renforcement du principe de subsidiarit� ?
Une autre question est celle du processus d�cisionnel alternatif annonc� au sommet de Lisbonne, en 2000 : la " m�thode ouverte de coordination ", mentionn�e plus haut. Bien qu'elle envisage un partenariat interactif entre les institutions europ�ennes, les gouvernements nationaux et les principaux groupes d'int�r�ts pour d�velopper des r�ponses politiques dans des domaines pour lesquels plusieurs niveaux de gouvernement, dont celui de l'Union, sont comp�tents, les inqui�tudes sont d�j� l�gion quant au risque d'exclure les �lus du processus et de n'y inclure que les groupes d'int�r�ts d�j� bien connus des autorit�s ou ceux qui ne sont pas susceptibles de " jouer les trouble-f�te ". Dans la mesure o� les sujets d�j� concern�s par la m�thode ouverte de coordination sont plut�t d�cisifs, plus ce processus prendra de l'importance, plus cette question deviendra s�rieuse.
Finalement, l'int�gration du processus d�cisionnel bruxellois est rendu plus difficile par des activit�s de lobbying ad hoc et prot�iforme aupr�s d'une Commission fragment�e et des autres institutions europ�ennes. Il pourrait bien y avoir des arguments en faveur de forums consultatifs plus formalis�s auxquels seraient invit�s � participer toutes les parties int�ress�es, et � travers lesquels devrait passer toute repr�sentation aupr�s de l'Union, ainsi qu'en faveur de la publication de tous les documents, Position Papers et autres d�bats que pourront susciter de tels forums. Non seulement cela favoriserait la transparence aupr�s du public dans son ensemble, mais cela contribuerait aussi � am�liorer la transparence au sein de la Commission et des autres institutions europ�ennes, et entre les diff�rents groupes de pression.