exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
Le cycle de n�gociations commerciales multilat�rales lanc� � Doha, en 2001, couvre un grand nombre de questions, des plus traditionnelles (l'agriculture, les tarifs douaniers, les mesures antidumping) aux plus nouvelles (la concurrence, l'environnement, l'investissement). Jusqu'� pr�sent, les progr�s ont �t� limit�s, et la prochaine conf�rence minist�rielle, qui se tiendra � Cancun, en septembre 2003, risque d'�tre un �chec si aucune initiative politique forte n'est prise d'ici l�. Cette initiative doit d'abord s'ancrer dans une coop�ration transatlantique renforc�e, que la crise irakienne semble rendre plus d�licate que jamais. Elle doit aussi montrer que les pays industrialis�s ont d�sormais la volont� de faire une place � un plus grand nombre de pays en d�veloppement en ouvrant plus largement leurs march�s, en particulier dans les secteurs les plus sensibles comme l'agriculture et le textile. L'enjeu n'�tant rien moins que la croissance et le d�veloppement, le plus �quilibr� possible, dans un monde interd�pendant.
Dans la situation internationale actuelle, le succ�s d'une n�gociation mondiale dans le domaine des �changes commerciaux pourrait constituer un signe tangible que le syst�me fonctionne et qu'une organisation internationale de premier rang est � m�me de remplir la mission que ses membres lui ont assign�e. La poursuite et la conclusion des n�gociations dans le calendrier imparti constituerait �galement une r�ponse convaincante de la communaut� internationale aux d�tracteurs de la lib�ralisation des �changes et, � travers elle, de la coop�ration entre nations.
Au-del� du contexte imm�diat, les pays riches, comme les pays en d�veloppement (PED), ont un int�r�t direct � la poursuite du cycle de Doha. Les premiers parce que, dans une conjoncture qui semble durablement d�prim�e, le succ�s favoriserait la confiance et montrerait que le syst�me commercial multilat�ral peut prendre en compte des questions comme la s�curit� alimentaire, la protection de certains services publics ou l'environnement. Les seconds parce qu'il s'agit de montrer que les " r�gles du jeu " peuvent �tre amend�es dans un sens qui leur soit favorable, d'une part, en apportant une solution � la d�licate question de la mise en oeuvre des accords du cycle de l'Uruguay, de l'autre, en rendant les pays pauvres acteurs � part enti�re du commerce mondial, ce qui n'est vrai, � ce stade, que pour une quinzaine de pays �mergents et une dizaine d'autres PED. Aucune exigence n'est en effet plus pressante aujourd'hui que celle du d�veloppement, et, qu'on le veuille ou non, la mondialisation, c'est-�-dire l'extension de l'�conomie de march� � un nombre croissant de pays, demeure l'un des plus puissants moteurs du d�veloppement. Il n'existe � l'�vidence aucune recette magique en la mati�re, et le libre-�change ne peut en aucun cas se substituer � des institutions d�faillantes, ni pallier les affrontements internes, les politiques mon�taires et budg�taires erratiques ou l'insuffisance des flux d'aide au d�veloppement. Mais s'il n'y a pas de recette magique pour le succ�s, il y en a bien une pour l'�chec : la fermeture des fronti�res. Il n'est pas un seul exemple aujourd'hui pour contredire ce point.
La pr�paration du cycle de Doha n'a pas �chapp� aux d�bats traditionnels sur la configuration de la n�gociation : cycle large ou �troit, long ou court, engagement unique pour tous ou accords � la carte, tout fut envisag�, et le d�but des n�gociations n'a pas clos ces interrogations.
Cette controverse a oppos� et continue d'opposer les tenants d'une n�gociation limit�e � l'acc�s au march�, � l'agriculture et aux services, et les partisans d'un plus grand nombre de sujets, cet �largissement pouvant faciliter les concessions, aider � prendre en compte les pr�occupations de la soci�t� civile, et r�soudre certains probl�mes des pays en d�veloppement. Les Etats-Unis et les membres du groupe de Cairns d'une part, l'Union europ�enne de l'autre, s'opposent sur le sujet ; les PED sont �galement divis�s, une l�g�re majorit� d'entre eux penchant plut�t pour le cycle " acc�s au march� seulement ". Certes, tel qu'il a �t� lanc� en 2001, le cycle est large et comprend douze sujets de n�gociation. Mais, si le programme �tait menac� d'enlisement, des voix s'�l�veraient � nouveau en faveur d'un all�gement de l'ordre du jour.
Ce d�bat est li� au pr�c�dent, et au fait que le cycle de l'Uruguay a dur� pr�s de huit ans au lieu des quatre pr�vus. La cr�dibilit� politique de la n�gociation repose en partie sur le respect les d�lais. En outre, les PED dont les ressources humaines sont rares pr�f�rent en g�n�ral un cycle court. Doha doit en principe s'achever fin 2004.
Le cycle de l'Uruguay avait comme priorit� de mettre fin au " plurilat�ralisme ", terme qui qualifie les engagements souscrits par certains membres seulement. De tels accords permettent de " faire avancer la machine ", avant que d'autres pays ne " prennent le train en marche ". Leur inconv�nient est d'aller � l'encontre de la logique du syst�me GATT/OMC, qui est d'�tablir des droits et obligations identiques pour tous, et non un " patchwork " de r�gimes diff�rents au d�triment de la transparence et de la non-discrimination. La " r�colte pr�coce " est une variante temporelle du plurilat�ralisme, qui consiste � engranger certains r�sultats, en mati�re agricole par exemple, avant la fin des n�gociations. De telles pratiques, utilis�es dans le pass� pour des raisons politiques - t�moigner concr�tement de l'avanc�e des n�gociations - conduisent � d�s�quilibrer toute la logique du cycle, o� les ultimes arbitrages sont pris en pond�rant gains et pertes sur tous les sujets.
La n�gociation de Doha (article 41 de la d�claration finale) s'inscrit dans la logique de l'engagement unique. Mais elle n'exclut pas des mises en oeuvre, provisoires ou d�finitives, d'accords conclus dans les premi�res n�gociations. Ces ambigu�t�s ne manqueront pas d'�tre exploit�es, ici ou l�, par tel ou tel groupe de n�gociateurs.
Constructive pour les uns, dirimante pour les autres, l'ambigu�t� de la d�claration de Doha est de r�gle pour ce genre de document. En l'esp�ce, il fallait r�ussir � tout prix, et le succ�s n'�tait pas garanti. La multiplication des dates limites, les nombreuses mentions des " modalit�s de n�gociation " et la r�f�rence constante au d�veloppement t�moignent de volontaires obscurit�s.
Fixer des dates limites � un cycle et � ses diff�rentes �tapes est sans conteste un proc�d� qui permet � certains pays riches de parer d'avance aux critiques du type : " Il est impossible de r�gler tant de sujets dans un d�lai raisonnable " ou " les opinions publiques s'irritent de l'absence de progr�s ". Pour d'autres, les dates interm�diaires sont cens�es �viter les tactiques dilatoires, certains participants gardant leurs cartes en main pour �viter de " payer deux fois ", une � la date interm�diaire et une seconde � la fin. Pour les PED, les dates butoirs permettent d'�viter les marchandages de fin de cycle, dont ils se plaignent de faire la plupart du temps les frais. La multiplication de ces dates fut sans doute � Doha un moyen d'obtenir un compromis entre tenants d'un cycle �troit et court et partisans d'un cycle large et long, au prix toutefois de plusieurs inconv�nients. Au plan logique, l'id�e de butoir s'oppose � la notion m�me de cycle, o� les arbitrages se font � la fin entre tous les sujets. Au plan pratique, ces dates butoirs ne sont gu�re respect�es et provoquent, comme c'est le cas actuellement, des commentaires critiques sur l'enlisement, l'�chec et l'absence de perspective des discussions. Parall�lement, la m�thode produit une crispation " volontariste " : parler de report ne rel�ve plus du r�alisme mais du d�faitisme.
L'abus du terme " modalit�s " est une autre illustration des contorsions qui ont pr�c�d� l'accord. Sur les douze sujets de n�gociation, il est pr�vu que, pour six d'entre eux, les membres devront au pr�alable s'accorder sur les " modalit�s " de la n�gociation. L'ambigu�t� du terme est destin�e � rassurer ceux qui ne veulent pas trop s'engager, en leur donnant l'impression qu'ils d�tiennent un levier solide sur la n�gociation elle-m�me. Cette interpr�tation a d'ailleurs �t� renforc�e, pour les quatre sujets de Singapour, par la r�ponse du pr�sident de la conf�rence minist�rielle lui-m�me � une objection soulev�e par l'Inde � la fin de la r�union de Doha. Dans tous les cas, le terme pr�te � controverse car, selon que l'on retient l'une ou l'autre interpr�tation, c'est tout l'�quilibre du cycle qui est modifi� : agriculture, services, tarifs industriels, quelques sujets environnementaux, antidumping et subventions dans un cas ; les m�mes sujets plus ceux de Singapour dans l'autre.
La r�f�rence au d�veloppement, qui traverse tout le texte de Doha, reste une des plus importantes difficult�s � surmonter. Il est av�r�, depuis la fin du cycle de l'Uruguay, qu'aucun accord ne peut recueillir de consensus sans le soutien des PED. D�s lors (et de fa�on parfois un peu cynique), les grands acteurs du jeu (Etats-Unis, Union europ�enne) s'efforcent de gagner � leur position un nombre croissant d'entre eux, moins par des concessions r�elles que par des promesses qu'ils ont plus ou moins l'intention, ou les moyens, de tenir. Le cycle de l'Uruguay fut, par exemple, fond� sur un " grand dessein " consistant � demander aux pays pauvres d'une part d'ouvrir leurs march�s en mati�re de services, et d'autre part de souscrire � la protection des droits de propri�t� intellectuelle en �change d'un acc�s aux march�s des pays riches, en particulier dans les domaines du textile et de l'agriculture. Huit ans plus tard, l'�quilibre douteux de ce grand marchandage a rendu les PED beaucoup plus exigeants, et les conduit � refuser d'entrer dans de nouvelles n�gociations sans engagement tr�s s�rieux en leur faveur.
Mais que l'on parle de " traitement sp�cial et diff�renci� " ou d'assistance technique, on a " tir� des traites " sur l'avenir, qu'il faudra bien honorer un jour ou l'autre. Tel est le cas aujourd'hui, o� le d�veloppement est pass� du statut d'obligation morale ou de v?u pieux � celui de composante � part enti�re de la n�gociation.
Si l'on s'en tient � l'ordre arr�t� � Doha, le premier sujet est celui de la " mise en oeuvre ". Il para�t paradoxal et peu porteur politiquement qu'une n�gociation traitant de l'avenir du syst�me commercial mondial se pr�occupe d'abord du pass�, consacrant autant de temps et d'efforts � une question li�e au cycle pr�c�dent. C'est l� le principal argument de ceux qui contestent la l�gitimit� et l'utilit� d'un nouveau cycle. Il n'est pas abusif de dire que le sujet a satur� l'agenda de l'OMC depuis la conf�rence de Singapour en 1997. Il fut l'une des principales causes - sinon la seule - de l'�chec de Seattle, en 1999, et a constitu�, de loin, le premier sujet de discussion entre Etats membres jusqu'� Doha et depuis lors. Rappelons que la d�cision prise � Doha ne recense pas moins de 48 " questions et pr�occupations li�es � la mise en oeuvre ", concernant onze accords, sans compter les " questions transversales " li�es au traitement sp�cial et les " questions en suspens ", au nombre de 39. M�me en tenant compte d'une tendance tactique � " charger la barque " pour obtenir quelque chose en �change de l'abandon d'une demande, il n'en demeure pas moins que le sujet, � lui tout seul, suffirait � remplir la charge de travail de l'OMC pendant de longs mois.
Au-del� des aspects techniques, les positions politiques des parties en pr�sence n'ont gu�re chang� : " Pas de nouveaux sujets tant que la mise en oeuvre des anciens n'est pas r�gl�e ", disent les PED ; " pas de r�glement des anciens sujets en dehors de la n�gociation d'ensemble ", disent les pays d�velopp�s.
Pour tenter de concilier ces positions antagonistes, un �quilibre d�licat a �t� b�ti � Doha :
Ce d�coupage correspond au souci des pays du Nord de ne pas rouvrir, m�me partiellement, les n�gociations closes en 1994. A ce stade, donc, les sujets relevant de la premi�re cat�gorie (les plus conflictuels concernent le mode de calcul des contingents textiles, le recours aux subventions � l'exportation, certains aspects de l'accord ADPIC) suivent le rythme des n�gociations ouvertes par Doha sur les m�mes questions.
Ceux de la deuxi�me cat�gorie sont li�s, en fait sinon en droit, au d�bat sur le traitement sp�cial et diff�renci�. En effet, les pays d�velopp�s ont souhait� saisir l'occasion d'une remise � niveau du syst�me de traitement sp�cial dans sa finalit�, ses principes, ses objectifs et ses instruments (syst�me de pr�f�rence g�n�ralis�e, accords de type Lom�), dont la pertinence peut devenir discutable � mesure que s'abaissent les obstacles aux �changes. Les PED, au contraire, s'en tiennent � une conception plus �troite consistant � examiner des mesures pratiques (85 � l'heure actuelle) pour les rendre plus " pr�cises, effectives et op�rationnelles ".
Les deux sujets sont aujourd'hui �galement paralys�s. La mise en oeuvre n'a fait aucun progr�s r�cent, malgr� d'ultimes efforts de m�diation du directeur g�n�ral de l'OMC. Le traitement sp�cial et diff�renci� n'a rien gagn� � �tre li� partiellement � la mise en oeuvre, et, apr�s avoir d�pass� trois dates limites (juillet et d�cembre 2002, f�vrier 2003), il a �t� �voqu� � nouveau en mai, au conseil g�n�ral de l'OMC, dans le scepticisme g�n�ral.
Des cinq sujets sectoriels (non transversaux comme les deux pr�c�dents), l'agriculture donne lieu aux plus grandes controverses, alors m�me que les enjeux �conomiques et commerciaux ne sont pas � la mesure des querelles. A priori, le d�bat ne devrait pas �tre d'une difficult� insurmontable. Sur les quatre grands sujets (soutiens � l'export, soutiens int�rieurs, acc�s au march�, questions non commerciales), entre les quatre acteurs ou groupes d'acteurs (Etats-Unis, Union europ�enne, groupe de Cairns et grands PED non-Cairns, men�s par l'Inde), les plages de compromis devraient exister. Mais les discussions sont occult�es par des positions id�ologiques : "la subvention est intrins�quement n�faste", "la PAC est intouchable", "les PED sont quoi qu'il arrive victimes d'un syst�me injuste"... positions contredites par les pratiques. Tout le monde subventionne, m�me les pays les plus vertueux, d'une fa�on qui peut fausser les �changes; la PAC est en constante r�vision, et son co�t n'est pas �lev� (0,5% du PIB europ�en); enfin, il est faux que les PED aient tout � gagner d'une disparition totale des subventions, tant est grand l'avantage comparatif des plus gros producteurs agricoles, qui ne sont pas des PED.
Les modalit�s de la n�gociation agricole devaient �tre arr�t�es le 31 mars. En l'absence de d�finition pr�cise du terme, les d�bats se sont crisp�s sur les formules de r�duction tarifaire, qu'il est difficile de consid�rer comme une simple " modalit� ", alors qu'elles sont un �l�ment crucial de la n�gociation.
Le pr�sident du groupe de n�gociation, M. Harbinson, a fait de louables efforts pendant six mois pour appliquer � l'agriculture la m�me m�thode que celle qui avait si bien r�ussi lorsque, pr�sident du conseil g�n�ral de l'OMC, il avait �labor� la d�claration de Doha : on �coute les arguments des uns et des autres, et, plut�t que de tenter une impossible synth�se entre des positions contradictoires, on �labore " � titre personnel " un projet d'accord qui, ne satisfaisant compl�tement personne, ne suscite aucun veto.
Cette m�thode n'a pas r�ussi en mati�re agricole puisque les deux versions successives du projet d'accord soumis aux membres ont �t� rejet�es, notamment par les Europ�ens, qui voyaient sacrifi�es leurs demandes sur les aspects non commerciaux de l'agriculture (s�curit� alimentaire, environnement, bien-�tre animal...) sans obtenir satisfaction sur les sujets proprement commerciaux (subvention, protection tarifaire). Le sujet a donc �t� renvoy� � Cancun.
Dans le domaine de la propri�t� intellectuelle, la question de l'acc�s des pays pauvres aux produits pharmaceutiques est moins importante pour elle-m�me qu'en ce qu'elle illustre la capacit� - ou l'incapacit� - de l'OMC � traiter d'une question sensible pour les opinions publiques. Sur le fond, le d�bat est lui aussi largement occult� par des positions id�ologiques. La situation d�sastreuse de l'Afrique subsaharienne en mati�re sanitaire (sp�cialement en ce qui concerne le sida) ne d�pend que pour partie du prix des traitements. Seraient-ils gratuits qu'ils ne changeraient rien � l'absence d'h�pitaux, de personnels m�dicaux et de dispositifs de pr�vention. Inversement, le lien direct entre niveau de recherche et niveau de protection de la propri�t� intellectuelle n'a jamais �t� d�montr�, d'autant que, dans les pays riches, la recherche scientifique, tous secteurs confondus, b�n�ficie de soutiens - notamment fiscaux - d�connect�s de cette protection.
La rigidit� des positions tient ici � deux facteurs rarement expos�s. Le premier est la concurrence entre grands groupes occidentaux et industries naissantes de quatre ou cinq pays �mergents (Inde, Br�sil), o� la croissance du secteur pharmaceutique repose sur une protection partielle des droits des brevets - pour les proc�d�s et non pour les produits -, protection compatible avec l'accord ADPIC jusqu'en 2005. Une course de vitesse est donc engag�e entre les uns et les autres. Le second est que les grands groupes occidentaux ont un " portefeuille " de brevets qui va largement tomber dans le domaine public dans les cinq ou dix ans � venir, et qu'ils ne sont pas s�rs de pouvoir le remplacer � partir de technologies actuellement en phase de d�veloppement (th�rapies g�niques, clonage cellulaire...). Ces groupes savent qu'ils risquent d'�tre supplant�s par d'autres firmes, aujourd'hui inconnues, qui exploiteront au mieux le potentiel de ces techniques pour devenir les g�ants de demain. D'o� leurs crispations autour des flexibilit�s pr�vues dans l'accord ADPIC en mati�re de brevets pour les m�dicaments. Doha avait permis de mettre un terme au " harc�lement judiciaire " des grandes firmes � l'�gard des pays � industrie pharmaceutique naissante, pour les emp�cher d'utiliser � plein ces souplesses (importations parall�les, licences obligatoires). Les discussions se sont d�sormais d�plac�es vers la possibilit�, pour les pays d�pourvus de capacit�s manufacturi�res, de demander � d'autres pays de les approvisionner en utilisant les m�mes flexibilit�s, � leur place et pour leur compte. La n�gociation oppose, comme souvent, les tenants d'une interpr�tation stricte � ceux d'une interpr�tation large, avec pour points de discorde les pays �ligibles (fournisseurs et acheteurs), les maladies �ligibles (maladies infectieuses seulement ou autres), les risques de d�tournement, de trafic, etc. Diff�rentes tentatives de compromis, dont l'une provenant de l'Union europ�enne et tendant � faire participer l'Organisation mondiale de la sant� � la d�cision, ont fait long feu. Ces blocages sur des sujets majeurs ont " diffus� " vers les autres, notamment le plus important d'entre eux en termes d'enjeux �conomiques : les services. Alors que les discussions, malgr� des oppositions fortes, notamment sur l'ouverture de services publics comme la sant� ou l'�ducation, allaient progressant, plusieurs pays ont r�cemment fait savoir qu'en l'absence de progr�s substantiels sur l'agriculture, il n'y avait pas lieu d'acc�l�rer sur les services, pour lesquels les offres devaient �tre d�pos�es le 31 mars, date limite elle aussi d�pass�e. Sur le fond, l'examen des multiples offres d�pos�es ne fait pas appara�tre beaucoup de nouveaut�, les m�mes secteurs restant ouverts ou ferm�s. Tout au plus note-t-on une �volution r�cente des Etats-Unis vers une moindre ouverture en mati�re de services publics.
Deux remarques en conclusion. De nombreuses propositions ont �t� faites depuis six mois : ce n'est donc pas la mati�re qui manque, mais la volont� politique qui fait d�faut, pour trouver un compromis. Ensuite, tout focaliser sur l'unique sujet de l'agriculture est de bonne guerre mais ne m�ne � rien : il faut explorer des voies plus ambitieuses.
En d�pit de multiples d�clarations rassurantes, il est douteux qu'une telle n�gociation puisse s'affranchir du contexte mondial. Il est, en revanche, difficile d'estimer le poids de ce contexte.
Ainsi, la guerre du Golfe de 1991 a interrompu le cycle de l'Uruguay pendant pr�s d'un an. Inversement, les attentats du 11 septembre 2001 et la r�plique des Etats-Unis en Afghanistan, en fragilisant d'un coup les structures de coop�ration internationale, ajoutant � l'imp�ratif d'�viter un second �chec deux ans apr�s celui de Seattle, ont �t� un �l�ment d�cisif du succ�s de Doha. Le dernier conflit en Irak pourrait donc avoir des effets contraires : accro�tre la paralysie tant que la situation du Proche-Orient ne sera pas stabilis�e, ou inciter au compromis pour �viter d'ajouter aux difficult�s de l'heure.
Il en va de m�me au plan �conomique. " La guerre n'arr�te pas la mondialisation ", titrent certains journaux. Ce qui est � la fois vrai et faux. La mondialisation n'a pas eu besoin de la guerre pour ralentir : le commerce mondial stagne depuis 2000, les flux d'investissement baissent, et les voyages internationaux eux-m�mes ont diminu� sans que l'on puisse faire la part des risques politiques ou de la conjoncture, continuellement d�prim�e depuis l'explosion de la bulle financi�re en mars 2000. Si la guerre du Golfe de 1991 a pr�c�d� l'une des plus importantes p�riodes de croissance mondiale, il est difficile d'appr�cier a posteriori l'impact de cette croissance, tant sur la fin du cycle de l'Uruguay que sur le lancement du suivant.
Est-il en effet plus facile de faire progresser un cycle de n�gociation dans une p�riode de stagnation (le compromis pourrait �tre facilit� par l'objectif commun de relance de la croissance par les �changes) ou dans une conjoncture �lev�e (le co�t des concessions �tant absorb� plus ais�ment) ? Les perspectives �conomiques imm�diates ne sont pas encourageantes, mais les arguments ci-dessus peuvent aussi se retourner ais�ment. Des �l�ments fortuits (nouvelle crispation en Asie et en Chine � cause de l'�pid�mie du SRAS qui commence � s'y r�pandre) ou plus structurels (remise en cause du consensus sur les bienfaits de l'�conomie de march� apr�s les scandales qui ont �branl� plusieurs entreprises aux Etats-Unis, ou la faillite de l'Argentine) peuvent aller aussi bien dans le sens du blocage que de la relance de la n�gociation.
Les facteurs internes � la n�gociation sont les plus importants : ils d�pendent d'abord de l'objectif strat�gique du cycle, ensuite d'�l�ments propres au d�roulement des n�gociations. Comme son nom l'indique, le cycle de Doha est un cycle de d�veloppement. Il est incontestable que les PED ont une perception n�gative du cycle de l'Uruguay. Ce sentiment s'est en outre inscrit dans la critique g�n�rale du commerce comme moteur du d�veloppement, elle-m�me part du d�bat sur l'aide, l'annulation de la dette, la r�duction de moiti� de la pauvret� � l'�ch�ance de 2015.
Le nombre et le poids relatif des PED s'accroissant continuellement au sein de l'OMC, il est assur� que le cycle n'aboutira pas sans concessions commerciales de substance des pays d�velopp�s dans les secteurs les plus sensibles que sont l'agriculture, le textile, les droits de douane, la propri�t� intellectuelle (dont le m�dicament), l'antidumping et les subventions. Or ces six sujets constituent, � peu de choses pr�s, ce qu'il est convenu d'appeler le cycle " acc�s au march� seulement ", qu'appellent de leurs v?ux un grand nombre de pays : Etats-Unis, groupe de Cairns et une bonne partie des PED. Le risque est donc clair, pour l'Union europ�enne notamment, de voir resurgir l'id�e d'un cycle �troit, donc court. Une autre inconnue demeure : celle du r�le de la Chine. Membre du club des (futurs) riches, ou champion des PED ? Probablement l'un ou l'autre, en fonction de ses int�r�ts : du c�t� des pauvres pour l'agriculture, le textile et l'antidumping ; du c�t� des riches pour la propri�t� intellectuelle, par exemple.
Toute n�gociation poss�de une dynamique interne qui tient autant � des �l�ments de fond qu'� des facteurs circonstanciels : l'organisation, les relations avec les m�dias ou le r�le des organisations non gouvernementales (ONG) peuvent �tre essentiels dans l'�chec ou le succ�s de la conf�rence, comme l'ont montr� Seattle en 1999 ou Doha en 2001. Mais l'essentiel tient � des �l�ments objectifs. Comment se pr�sentent ces donn�es � trois mois de la r�union de Cancun ? La pr�paration para�t pour le moins difficile. Mais il est cependant trop t�t pour inf�rer du non-respect de plusieurs dates limites (mise en oeuvre, traitement sp�cial et diff�renci�, acc�s au m�dicament, agriculture) un �chec de la Conf�rence.
L'heure de v�rit� sonnera avec l'�laboration du projet de d�claration des ministres, qui permettra de mesurer l'�tat des forces en pr�sence, la volont� politique d'aboutir dans les principales capitales, et le fonctionnement du moteur transatlantique qui, s'il n'est plus suffisant, est absolument n�cessaire pour la r�ussite de toute n�gociation � l'OMC.
Or ce moteur ob�it lui-m�me � des cycles, et sa dynamique ne peut se transmettre � tous ses partenaires que si ces derniers ont la conviction que les deux acteurs principaux veulent minimiser leurs diff�rences et maximiser leurs points d'entente.
Les diff�rends commerciaux entre les Etats-Unis et l'Union europ�enne ob�issent � des raisons techniques, mais surtout politiques. Techniquement, l'Organe de r�glement des diff�rends n'ajuste pas le rythme de ses d�cisions, en premi�re instance comme en appel, sur celui du cycle de Doha. Mais il d�pend des principaux int�ress�s de monter ces d�cisions en �pingle ou d'en r�duire l'impact. A ce jour, le nombre et l'importance des litiges entre les deux partenaires ne sont pas tr�s diff�rents de ce qu'ils �taient avant Doha. Celui concernant les FSC est de loin le plus important, ceux concernant les organismes g�n�tiquement modifi�s (OGM) ou l'a�ronautique restent � l'�tat de menaces r�currentes ; la d�cision r�cente concernant les mesures prot�geant la sid�rurgie am�ricaine est en appel.
Maximiser les points d'entente (ou obtenir la neutralit� bienveillante de l'autre) est plus difficile. De ce point de vue, la phase pr�-Doha a �t� exemplaire : ouverture des Europ�ens en mati�re agricole, des Etats-Unis en mati�re d'antidumping, neutralit� sur investissement, concurrence et environnement. Aujourd'hui, les lignes de compromis sont moins �videntes mais existent, y compris sur les sujets les plus sensibles comme les mesures antidumping, l'agriculture ou les tarifs industriels. N�cessaire, l'entente euro-am�ricaine n'est cependant plus suffisante en raison du poids grandissant des autres acteurs, PED notamment. Leur r�le, � Cancun et au-del�, continuera de s'affirmer, et des compromis devront �tre trouv�s sur l'acc�s au m�dicament, la mise en oeuvre et le traitement sp�cial et diff�renci�, mais aussi sur la question des " modalit�s " autorisant ou non le lancement de n�go-ciations sur les quatre sujets de Singapour. Il serait surprenant � cet �gard que l'Inde abandonne sans contreparties substantielles le levier que lui a donn� le ministre qatari par son ultime d�claration � Doha en vue d'arracher le consensus. Un r�sultat positif sur le m�dicament, de r�elles d�cisions en mati�re de mise en oeuvre et de traitement sp�cial et diff�renci�, une reconnaissance au moins de principe d'une " sp�cificit� d�veloppement " en mati�re agricole, sont un minimum en de�� duquel il est vain d'esp�rer l'adh�sion des PED.
Cr�er et entretenir la dynamique, telle est donc la question. Celle de Doha est retomb�e, celle de Cancun n'appara�t pas clairement. Les "mini-minist�rielles" l'illustrent � l'�vidence : outre qu'elles ont �chou�, elles contribuent par leur multiplication m�me � irriter ceux qui, PED en t�te, n'y sont pas convi�s. De m�me, l'accession d'un nouveau grand pays (Russie) semble s'�loigner, alors que celle de la Chine et de Taiwan, pourtant sans lien direct avec Doha puisqu'il n'y avait � ce moment-l� plus rien � n�gocier, avait entretenu une atmosph�re positive.
Ces trop nombreuses incertitudes expliquent les interrogations sur les chances de succ�s de la conf�rence de Cancun. D'ores et d�j�, certains proposent de la reporter, ce qui, � n'en pas douter, serait un mauvais signal. Mais il n'est pas indispensable que la conf�rence de septembre soit la " revue � mi-parcours " annonc�e. L'important est qu'elle ne soit pas un �chec - au pire, un " non-�v�nement ", comme le sont apr�s tout beaucoup de r�unions d'organisations internationales. On �vitera donc de susciter des attentes excessives. De ce point de vue, le message du G-8, r�uni � Evian, aura d� �tre pes� avec pr�caution. Mais si la dynamique autour du projet de d�claration ne s'enclenche pas vers le 15 juillet au plus tard, la situation deviendra difficile car chacun comprendra que, faute de compromis pr�alable sur certains sujets importants, tous viendront en discussion � Cancun. Le risque d'un ordre du jour " croulant sous son propre poids " ne peut �tre exclu, ce qui relancerait bien entendu les appels � un cycle raccourci.
Dans l'hypoth�se o� Cancun ne d�bloquerait pas les points les plus difficiles, se poserait la question des �tapes suivantes. L� aussi, les n�gociateurs sont pris dans un dilemme : s'accrocher � la date du 1er janvier 2005, fin th�orique du cycle, devient peu cr�dible � mesure que les blocages se multiplient, mais parler d'un report accro�t une d�mobilisation d�j� grande.
Les questions de calendrier sont essentielles dans tous les cas : 2004 sera marqu�e par deux �ch�ances : l'int�gration, au 1er mai, de dix nouveaux membres dans l'Union europ�enne (avec d'�ventuelles cons�quences sur le mandat et l'activit� de la Commission), les �lections aux Etats-Unis en novembre. Beaucoup estiment que ces deux circonstances sont peu propices � de grandes impulsions du c�t� du " moteur transatlantique ". L'horizon 2005 est plus d�gag�, mais pr�sente pour l'OMC le m�me profil que 1999 : changement de directeur g�n�ral et r�union minist�rielle. Les Etats membres chercheront sans doute � �viter de renouveler la d�sastreuse s�quence d'�v�nements qui a paralys� la pr�paration de Seattle pendant presque la moiti� de 1999. Le risque est r�el, la d�signation du directeur g�n�ral devenant maintenant un enjeu politique majeur en d�pit d'un r�le juridiquement r�duit. La bonne " fen�tre de tir " pour boucler le cycle deviendrait donc 2006, un an avant un nouveau cycle d'�lections en Europe (dont la France en 2007).
Ces perspectives ne sont pas forc�ment r�jouissantes : un d�calage de deux ans sur le calendrier initial ne serait certes pas dramatique en comparaison de la dur�e du pr�c�dent cycle. Il soulignera n�anmoins les faiblesses d'une organisation dont la nouveaut� aurait d� �tre un gage de dynamisme. Or, si l'on consid�re que la premi�re t�che d'un forum de n�gociation comme l'OMC est de " produire " des accords commerciaux multilat�raux, force est de constater qu'� ce jour aucun grand accord n'est sorti de l'OMC, depuis huit ans qu'elle existe. Des voix ne manqueront pas de souligner ce fait, notamment au Congr�s des Etats-Unis, toujours tr�s vigilant sur la " pertinence " des organisations internationales.
M�me s'il ne faut pas exag�rer la port�e de ce type de critiques (ou les risques de voir les Etats-Unis se mettre en cong� de l'OMC), il n'en demeure pas moins qu'elles ajoutent au cr�dit des solutions alternatives, dont les accords r�gionaux sont le principal exemple. Les Etats-Unis ont toujours jou� sur les deux tableaux, poussant successivement ou simultan�ment les deux strat�gies en fonction de leurs int�r�ts. On assiste en ce moment � un regain d'activit� sur ce front (accords avec le Chili, n�gociations avec l'Am�rique centrale et le Maroc, pour ne citer que les initiatives les plus r�centes). L'Union europ�enne n'est pas en reste, et l'Asie, depuis le changement de position du Japon en 1998 et la mont�e en puissance de la Chine, devient l'un des gisements les plus actifs d'accords r�gionaux. Or, m�me si l'on affirme � l'envi que ces types d'accords, � condition d'�tre compatibles avec les principes de l'OMC, sont un marchepied vers le multilat�ralisme pour de nombreux Etats, ils n'en constituent pas moins une menace, certes latente mais non moins r�elle, pour le syst�me multilat�ral. Ils ne sont pratiquement jamais conformes aux principes de base de l'OMC (car ils ne couvrent pas l'essentiel des �changes) et cr�ent des compartiments dans le commerce mondial qui peuvent d�river en blocs commerciaux hostiles en cas d'�v�nement ext�rieur impr�vu (forte r�cession, crise financi�re majeure). Il n'en est donc que plus imp�ratif de contr�ler leur prolif�ration et, � ce jour, il n'y a pas de meilleur antidote � cet �gard que la r�ussite du cycle de Doha.