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GUILLAUME PARMENTIER Force, faiblesse, puissance ? IFRI http://www.ifri.org

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GEOPO article geopolitique
french

Le Centre fran�ais sur les Etats-Unis (CFE)

Force, faiblesse, puissance ? GUILLAUME PARMENTIER

Article publi� dans Commentaire No 100, Hiver 2002 - 2003

Depuis la fin de la guerre froide, le d�bat entre sp�cialistes des relations transatlantiques s'est trop souvent content� d'osciller entre les bons sentiments et la simplification. Il ne s'est pas suffisamment port� sur l'ampleur des changements de fond rendus in�vitables par le changement de syst�me international produit par l'effondrement du r�gime sovi�tique. La premi�re tendance, parfois marqu�e par une frilosit� nourrie par la crainte de remettre en cause l'�difice institutionnel issu de la guerre froide, s'est exprim�e le plus souvent sous la forme de satisfecits donn�s � l'Alliance atlantique pour ses progr�s suppos�s en mati�re d'adaptation aux conditions de l'apr�s-guerre froide, et parfois sous la forme plus dynamique de projets d'�largissement, g�ographique et fonctionnel de l'OTAN et de l'Union europ�enne. Les travaux de la Rand Corporation, et en particulier ceux de Larabbee, Asmus, Gompert et Kugler, avaient ainsi contribu� en leur temps � lancer le d�bat sur l'�largissement de l'OTAN � trois pays qui a finalement abouti en 1999.

Plus r�cemment, la discussion s'�tait port�e sur un �loignement suppos� des valeurs sociales entre les deux rives de l'Atlantique, auquel les �v�nements du 11 septembre 2001 ont au moins provisoirement mis fin. Ce d�bat se poursuit, mais il est maintenant limit� � la sph�re de l'analyse sociale. En termes de politique �trang�re, cette discussion sur la d�rive des continents a pris la forme d'une opposition entre l'unilat�ralisme de la politique am�ricaine et le multilat�ralisme de leurs partenaires europ�ens.

Des visions divergentes

Le moindre m�rite de l'article de Robert Kagan, dont Commentaire a publi� la version fran�aise, n'est pas de sortir le d�bat de cette orni�re. L'opposition entre multilat�ralisme et unilat�ralisme ne repr�sente en effet qu'une cons�quence, alors que les causes de la diff�rence d'attitudes entre les �tats-Unis et l'Europe � l'�gard du syst�me international sont plus profondes. Outre que nulle politique aujourd'hui n'est purement unilat�rale ou purement multilat�rale, la divergence sur l'unilat�ralisme et le multilat�ralisme ne porte que sur les moyens employ�s pour mener une politique �trang�re. Or il est clair que les Europ�ens et les Am�ricains ne divergeraient pas sur les moyens si leurs visions du syst�me international, et des directions que celui-ci doit prendre � l'avenir, n'�taient pas diff�rentes. Plut�t que de concentrer l'analyse sur les manifestations de cette divergence transatlantique, c'est-�-dire sur un sympt�me, il fallait revenir aux causes de cette d�rive, et le plus grand apport de Kagan est d'avoir plac� le d�bat sur un terrain plus utile, celui des visions divergentes de la soci�t� internationale qui dominent les esprits de part et d'autre de l'Atlantique. Il y fallait un certain courage.

Par voie de cons�quence, l'article de Kagan a rendu une nouvelle vigueur au d�bat transatlantique. Aux �tats-Unis, les questions europ�ennes �taient depuis quelques ann�es consid�r�es comme un peu ennuyeuses : l'Europe avait pour l'essentiel �t� d�barrass�e de ses probl�mes de s�curit�, et elle avait montr� dans les Balkans qu'elle avait besoin des �tats-Unis pour les r�gler, m�me quand il s'agissait d'affaires r�gionales d'ampleur limit�e. Le d�bat sur l'OTAN et sur la construction europ�enne, leurs r�les, leurs �largissements, leurs structures, suscitait chez beaucoup des b�illements d'ennui � peine dissimul�s. Ajout�e � l'euroscl�rose dont le Vieux Continent aurait �t� la victime, cette constatation faisait de l'Europe un objet d'�tude et de r�flexion peu int�ressant. Le fait que les �tudes europ�ennes aux �tats-Unis aient beaucoup souffert sur le plan financier, parce qu'elles int�ressent moins les fondations que pendant la guerre froide, s'explique en partie par le sentiment r�pandu qu'il n'y a pas grand-chose de neuf � dire � propos de l'Europe. Qu'un tel jugement sous-estime, parfois par le m�pris, les changements notables intervenus en Europe depuis douze ans n'enl�ve rien au fait qu'il est largement r�pandu aux �tats-Unis. Sans les efforts du German Marshall Fund of the United States, les recherches s�rieuses en mati�re europ�enne et transatlantique aux �tats-Unis se seraient probablement taries. Le d�bat transatlantique �tait en effet devenu pour beaucoup d'Am�ricains influents un d�bat en trompe-l'?il, dissimulant les questions r�elles sous les poncifs et les bons sentiments, et faisant la part trop belle � des consid�rations institutionnelles contraires � l'approche pragmatique qui doit pr�sider, pour la plupart des Am�ricains, � la solution des probl�mes concrets.

Robert Kagan rompt avec cette approche timor�e et formaliste, sans pour autant tomber dans les exc�s ni dans l'analyse ni dans le diagnostic dont sont souvent coutumiers certains de ses amis n�oconservateurs. Il ne s'agit pas pour lui de r�diger un tract unilat�raliste comme on en voit sortir fr�quemment des think tanks de la droite n�oconservatrice comme la Heritage Foundation ou l'American Enterprise Institute. De son fait, l'Europe redevient objet digne de discussions et d'�tudes dans la " communaut� de politique �trang�re " am�ricaine.

� cette prise de conscience n�cessaire dont il est la cause, correspond cependant une responsabilit�. Sa th�se, par le succ�s qu'elle rencontre, peut en effet avoir une influence r�elle sur le jugement port� sur l'Europe par beaucoup d'Am�ricains. Pr�cis�ment parce qu'elle a �t� " cisel�e " de fa�on � �tre applicable ais�ment en apparence � de nombreuses situations concr�tes, la vision de Kagan devrait �tre reprise et utilis�e � toutes les sauces, y compris certaines dont le fumet sera trop fort ou trop peu subtil pour l'auteur lui-m�me, par les experts, les journalistes, les staffers du Congr�s et jusque dans l'Administration. On en voit d�j� les effets dans l'affaire irakienne, o� beaucoup d'Am�ricains ont cru pouvoir d�celer une attitude " europ�enne " pacifiste dans les positions fran�aises, pourtant inspir�es du souci r�el du d�sarmement de Saddam Hussein et d'une disposition � utiliser la force en derni�re extr�mit�, comme dans les positions allemandes.

Les modes sont tellement puissantes dans le milieu politique am�ricain au sens large du terme qu'il est in�vitable que l'article de Kagan ait un effet allant probablement au-del� de ce que souhaitait l'auteur. Quant aux Europ�ens, ils se complaisent si volontiers dans la lamentation sur les faiblesses de l'Europe qu'ils sont souvent pr�ts eux aussi � adopter la th�se de Kagan sans les n�cessaires r�serves. Il ne s'agit pas ici de lui faire grief des d�bordements �ventuels dus au succ�s de ses id�es, mais d'�viter que le d�bat ne se place sur un terrain artificiel sous l'effet de la facilit�. De part et d'autre de l'Atlantique, cet article arrive � point nomm�, mais son �cho m�me en fait un �l�ment � certains �gards dangereux parce que simplificateur.

C'est ici que le b�t blesse. Le d�faut principal de l'argument de Kagan est en effet qu'il grossit parfois le trait pour rendre sa d�monstration plus frappante. Cela porte son propos � confiner parfois � la caricature. D'une part il d�crit en effet les �tats-Unis tels qu'il souhaiterait peut-�tre qu'ils se comportent sur la sc�ne internationale, faisant fi de d�veloppements qui ne donnent pas pr�cis�ment � la politique am�ricaine un tour " martial ". En second lieu, il manifeste une propension excessive, peut-�tre due au fait qu'il habite maintenant � Bruxelles et voit l'Europe � travers un prisme excessivement communautaire, � couvrir d'une teinte bruxelloise unique une r�alit� europ�enne beaucoup plus complexe et � de nombreux �gards moins " v�nusienne " que sa description ne le laisserait entendre. Dans les deux cas, l'interpr�tation de la nature de la relation avec la puissance internationale est beaucoup plus complexe que ce qu'indique Kagan.

L'argument est incontestable selon lequel les diff�rences d'attitudes entre Europ�ens et Am�ricains sont largement conditionn�es par le contraste structurel entre les �l�ments de puissance d�tenus par les �tats-Unis et ceux dont disposent les pays europ�ens. Il est m�me � vrai dire de simple bon sens. La primaut� am�ricaine dans la plupart des domaines qui conf�rent la puissance internationale donne aux �tats-Unis une libert� d'action beaucoup plus grande sur la sc�ne mondiale que celle dont peuvent jouir les Europ�ens. Il n'est donc pas surprenant que les dirigeants am�ricains soient les plus soucieux d'autonomie dans l'action et que leurs homologues europ�ens souhaitent renforcer les m�canismes de contr�le qui permettent de canaliser la puissance internationale et au premier chef celle des �tats-Unis. Il est �galement certain que le jeu des institutions europ�ennes, qui agissent elles-m�mes comme un m�canisme �galisateur entre " grands " et " petits " pays europ�ens, outre qu'il est la cons�quence d'une m�fiance de principe � l'�gard de l'exercice de la puissance, a pour effet de cr�er chez les Europ�ens une pr�f�rence de principe pour un multilat�ralisme qui est la cons�quence normale et attendue des processus communautaires.

Variables structurelles

Il faut cependant aller plus loin et se pencher sur certaines variables structurelles. La pr�f�rence des �tats-Unis pour la libert� d'action n'est ni surprenante ni condamnable. Il n'est pas douteux que les �tats-Unis ont en fait utilis� leur puissance de mani�re mod�r�e : Kagan avait d�fini dans des �crits ant�rieurs la politique �trang�re de son pays comme une " h�g�monie bienveillante ", et cette formule recouvre une r�alit�. Pour des raisons constitutionnelles, les �tats-Unis ne peuvent exercer leur puissance internationale de fa�on dominatrice que pendant de br�ves p�riodes. Toute tentative imp�riale ou volontariste se solde in�vitablement par des chocs en retour r�duisant la capacit� du pouvoir ex�cutif � utiliser la pleine panoplie des moyens dont il pourrait disposer dans un ordre institutionnel moins �quilibr�. L'histoire am�ricaine de la seconde moiti� du XXIe si�cle le d�montre amplement.

Un point au moins aussi important fait cependant d�faut dans l'analyse de Kagan. Il s'agit des moyens dont disposent effectivement Europ�ens et Am�ricains face aux crises internationales, moyens qui dictent � beaucoup d'�gards les comportements de ces partenaires. Vers la fin de son article, l'auteur rappelle le probl�me pos� par la faiblesse relative des moyens militaires dont disposent les Europ�ens, et en appelle � une augmentation de ceux-ci pour �viter le creusement des disparit�s entre leurs capacit�s guerri�res et celles des �tats-Unis. Il cite � l'appui de cette observation trois Britanniques, dont l'actuel Secr�taire g�n�ral de l'OTAN, tout en exprimant un doute quant � la capacit� des Europ�ens � aller dans ce sens, m�me de fa�on marginale. Le budget militaire de la France pour 2003 et la loi de programmation militaire 2003 - 2007 autorisent peut-�tre un moindre pessimisme, mais il est clair que le probl�me de la compatibilit� des mat�riels militaires entre partenaires transatlantiques, et surtout celle de leurs concepts op�rationnels, demande un effort plus soutenu des Europ�ens dans ce domaine.

Encore ne faut-il pas, comme le font certains Am�ricains, faire des capacit�s militaires des forces am�ricaines un point de r�f�rence pratique. Il est l�gitime de s'interroger sur la justification pour un seul pays de d�penser pr�s de 50 % du produit militaire mondial, et d'accro�tre toutes ses cat�gories d'armements, y compris celles dont la probabilit� d'utilisation est extr�mement al�atoire, soit que la menace qu'elles sont cens�es parer soit infinit�simale, soit que leur utilisation sur des champs de bataille concrets face � des adversaires peu sophistiqu�s rende le co�t de leur perte �ventuelle absolument prohibitif. C'est en regard d'une analyse des menaces potentielles que la validit� d'un effort militaire doit �tre appr�ci�e. De ce point de vue, l'attitude am�ricaine actuelle n'est pas fortement convaincante. La question entre alli�s consistera donc non seulement � encourager les Europ�ens � d�penser mieux et davantage pour leur d�fense, n�cessit� incontestable aujourd'hui pour qui veut maintenir une Alliance atlantique efficace et �quilibr�e, mais aussi de rapprocher les points de vue des partenaires transatlantiques sur les menaces et les d�fis � leur s�curit�, et sur la d�finition des r�ponses � y apporter. Ce travail de fond, qui devrait avoir lieu dans le cadre de l'Alliance ou plus efficacement entre grands alli�s, n'est pas aujourd'hui r�alis� de fa�on satisfaisante. Il s'agit pourtant d'une priorit� pour maintenir une convergence de vues sur la s�curit� internationale � l'int�rieur de l'Alliance. Sur ce point, les r�ticences am�ricaines sont au moins aussi fortes que celles de leurs partenaires europ�ens parce qu'une consultation v�ritable sur ces points aurait pour effet de restreindre au moins marginalement l'autonomie de d�cision am�ricaine. Sur un th�me comme celui du Proche-Orient, ou sur le nation-building, il n'est gu�re surprenant que l'Administration am�ricaine quelle qu'elle soit ne souhaite pas se trouver lamin�e entre le Congr�s et l'opinion d'un c�t� et les alli�s de l'autre. Pourtant la coop�ration transatlantique est � ce prix.

Il existe pourtant un point encore plus probl�matique, car plus structurel et donc encore plus difficile � lever : celui des avantages comparatifs des alli�s transatlantiques face aux probl�mes internationaux. C'est � notre sens ce qui explique le mieux les motivations des uns et des autres dans les choix qu'ils ont op�r�s au cours des derni�res ann�es. Ce n'est pas seulement parce qu'ils sont les plus forts que les �tats-Unis ont choisi d'en revenir depuis la fin de la guerre froide � une conception traditionnelle de la puissance, mettant l'accent sur l'utilisation de la force militaire. Depuis le d�but du XXe si�cle, comme l'indique Kagan, les Am�ricains avaient tent� d'�tendre � l'Europe une conception des relations internationales diff�rente de celle qui pr�valait alors en Europe, et selon laquelle la mise en oeuvre de politiques hostiles aux int�r�ts l�gitimes de s�curit� de ses partenaires �tait en fait contraire � l'int�r�t national, puisqu'il risquait de remettre en cause les fondements de l'ordre international et en premier lieu la paix. Ce " postnationalisme ", que les Am�ricains qualifient d'" internationalisme " (et qui est connu en Europe sous le vocable de " wilsonisme ", du nom de celui qui tenta de l'imposer aux Europ�ens), permet de transcender les oppositions brutales d'int�r�ts entre �tats. Il est frappant que cette attitude soit aujourd'hui qualifi�e d'" europ�enne " par les observateurs am�ricains, alors qu'il avait fallu rien moins que deux guerres mondiales pour qu'elle pr�vale sur le Vieux Continent.

La raison pour laquelle les �tats-Unis s'en sont d�tach�s, au moins en partie, au cours des derni�res ann�es tient largement au fait qu'ils dominent aujourd'hui le syst�me international, o� ils n'ont plus de contrepoids r�el. Kagan a raison de souligner cet aspect des choses, encore qu'il aurait pu ajouter � quel point cela est contraire � la tradition am�ricaine des checks and balances, expliquant ainsi les r�ticences d'une grande partie des Am�ricains face � cet �tat de fait, et en particulier la r�ticence d'une majorit� de l'opinion publique envers une intervention en Irak qui impliquerait les �tats-Unis sans un mandat des Nations unies ou en dehors d'une coalition internationale.

Une nouvelle strat�gie de s�curit�

Le document sur la strat�gie de s�curit� nationale adopt� r�cemment par l'Administration Bush pr�sente ainsi une interpr�tation coh�rente de la vision �troite de l'int�r�t national qui semble inspirer aujourd'hui les �tats-Unis. On a beaucoup glos� sur l'accent mis par le document sur la pr�emption. Certes, le fait de donner � l'anticipation des mouvements de l'adversaire un tour th�orique est-il quelque peu hasardeux, mais il faut bien reconna�tre que les contr�les qui s'exercent sur la conduite de la politique �trang�re am�ricaine rendent extr�mement improbable un recours syst�matique � la pr�emption. En outre, ce recours a parfois une l�gitimit�, quand il s'agit de parer � une attaque non provoqu�e, ou � l'utilisation de moyens de destruction massive. Il est en revanche un aspect de la nouvelle doctrine qui, s'il a fait couler moins d'encre, est beaucoup plus symptomatique de l'attitude des �tats-Unis dans le syst�me international du d�but du XXIe si�cle : il s'agit de la volont� d'emp�cher l'apparition de tout concurrent potentiel aux �tats-Unis sur le plan strat�gique. Certes, le probl�me ne se pose pas concr�tement aujourd'hui, et n'a gu�re de chances de se poser � vue humaine. Il est cependant surprenant que les �tats-Unis, pays qui s'est toujours d�fini comme partie prenante d'une communaut� internationale d'�tats disposant des m�mes droits et des m�mes obligations, sanctionne en 2002 une vision qui introduit une in�galit� radicale entre eux-m�mes et tous les autres. Traditionnellement m�fiants � l'�gard de tous les pouvoirs, fussent-ils am�ricains, les �tats-Unis seraient-ils devenus un �tat-nation classique, sur le mod�le des �tats europ�ens du XIXe si�cle ? Pour utiliser un vocabulaire plus charg�, mais traduisant cependant la r�alit�, les �tats-Unis de 2002 sont-ils devenus nationalistes ? Il y aurait quelque paradoxe � ce que l'�tat qui a cherch�, et r�ussi au-del� de toute esp�rance, � vacciner l'Europe contre le mal nationaliste ait lui-m�me subi sa contagion. Il convient de poser cette question de mani�re directe, car la comparaison entre les �tats-Unis d'aujourd'hui et les grands �tats europ�ens du XXIe si�cle est f�conde, m�me si elle n'est naturellement pas parfaite.

La dimension militaire

Il est patent qu'existe une autre raison, au moins aussi forte, pour expliquer la concentration croissante de la puissance am�ricaine sur sa dimension militaire. C'est dans ce domaine en effet que les �tats-Unis jouissent de l'avantage comparatif le plus grand par rapport � leurs partenaires et � leurs concurrents. Non seulement leur primaut� dans le domaine militaire est incontestable et croissante, non seulement les chances qu'un concurrent apparaisse dans ce domaine sont extr�mement faibles, mais les �tats-Unis ne disposent dans aucun autre secteur de l'action internationale d'un avantage comparable. Ils sont puissants sur le plan �conomique mais l'Union europ�enne est � leur mesure, comme certaines puissances asiatiques le seront peut-�tre demain.

Plus pr�cis�ment, � la difficult� rencontr�e par l'Europe pour engager les sommes n�cessaires � son acc�s � un r�le significatif en mati�re militaire r�pondent les probl�mes rencontr�s par l'�tat f�d�ral am�ricain pour mobiliser des moyens suffisants pour remplir les t�ches internationales qui ne ressortissent pas � l'utilisation de la force militaire. Les chiffres parlent d'eux-m�mes. Tandis que les moyens militaires des �tats-Unis croissaient � grande vitesse apr�s une r�duction rapide de la fin de la guerre froide jusqu'en 1994, la diplomatie et les moyens non militaires � la disposition du gouvernement f�d�ral se r�duisaient en termes r�els d'une fa�on r�guli�re et pr�occupante. On se rappelle bien entendu la diminution unilat�rale des contributions vers�es par les �tats-Unis aux divers budgets des Nations unies, que seule la solidarit� marqu�e par l'ONU � l'�gard des �tats-Unis d�s le 11 septembre 2001 a permis de r�gler en partie. On sait aussi que tous les secr�taires d'�tat depuis le milieu des ann�es 90 ont eu des raisons de se plaindre de l'affaiblissement des moyens de la diplomatie am�ricaine. L'aide publique au d�veloppement avait �t� diminu�e de mani�re drastique jusqu'au sommet de Monterey, et encore une grande partie de ce qu'il en restait �tait-elle attribu�e � Isra�l. L'augmentation annonc�e � la suite des attentats du 11 septembre 2001 lors de cette r�union reste d'ailleurs encore � traduire dans la r�alit�. O� que l'on regarde, les moyens de l'action internationale des �tats-Unis, quand ils ne se situent pas dans le domaine militaire, sont en diminution sur le long terme. Il n'est donc nullement surprenant que la politique des �tats-Unis valorise la dimension de la politique internationale o� son avantage relatif est le plus grand. Toute la question est de savoir si, face aux grands probl�mes du monde contemporain, et face aux crises auxquelles les partenaires transatlantiques ont et auront � mettre fin, les moyens militaires sont n�cessairement les plus pertinents, surtout s'ils ne sont pas �paul�s par des moyens civils suffisants, qui demandent patience et constance.

Les exemples de l'insuffisance d'une approche principalement militaire abondent. Dans les Balkans, il est heureux que les �tats-Unis aient pris en 1995 l'initiative d'utiliser la force militaire pour permettre l'ouverture des pourparlers de Dayton. Incontestablement, l'approche europ�enne �tait demeur�e trop timor�e pour en imposer � Milosevic. En ce qui concerne le Kosovo, on peut consid�rer que la volont� am�ricaine d'imposer une solution avec des moyens militaires a affaibli la communaut� internationale en contournant le Conseil de s�curit� des Nations unies et en rejetant la Russie dans une opposition de principe qu'elle n'aurait pas n�cessairement maintenue si le processus de Rambouillet avait pu parvenir � sa conclusion. Encore faut-il admettre que, sans la menace am�ricaine de recourir � la force, la communaut� internationale et les Europ�ens au premier chef auraient �t� priv�s d'un instrument essentiel de pression. Il n'est donc pas besoin d'opposer artificiellement une approche militaire et une approche civile. Il convient simplement de garder � l'esprit que la politique �trang�re a aujourd'hui besoin d'inclure ces deux dimensions, ainsi qu'une capacit� � d�finir en temps utile la politique � suivre. Dans les Balkans, la pr�sence militaire europ�enne a exc�d� largement la pr�sence am�ricaine une fois les op�rations initiales termin�es. En Bosnie comme au Kosovo, les Europ�ens forment maintenant l'essentiel des forces qui contribuent non seulement au maintien de la paix, mais �galement � la reconstruction et � la r�conciliation. Dans ces deux domaines, �conomique et politique, la contribution europ�enne d�passe largement celle des �tats-Unis. La m�me chose est vraie en Afghanistan, o� pourtant l'enjeu apr�s le 11 septembre �tait et demeure vital pour les �tats-Unis et o� l'exp�rience d�sastreuse de leur retrait � la fin des ann�es 80 aurait d� les inciter � plus de patience.

Le r�le financier des Europ�ens

Le r�sultat de cet �tat de faits est que les �tats-Unis sont tent�s de se cantonner � l'aspect militaire de la gestion des crises. Le Congr�s est le plus souvent hostile au nation-building, car il r�pugne � la grande majorit� des militaires am�ricains. C'�tait cet �tat d'esprit que traduisait Condoleeza Rice quand elle affirmait en campagne pr�sidentielle pendant l'�t� 2000 que les soldats am�ricains ne devaient pas en �tre r�duits � aider des enfants � traverser la rue dans les pays o� ils s�journaient. Cette attitude, coupl�e � une forte r�sistance � financer les efforts de reconstruction civile, am�ne les dirigeants am�ricains � se focaliser sur les t�ches militaires, et � tenter de faire assumer les t�ches civiles par leurs alli�s. La le�on de la guerre am�ricaine contre l'Irak en 1991, dont le financement a pour l'essentiel �t� assur� par des pays non combattants, a �t� retenue, et �tendue � l'apr�s-guerre.

Les Europ�ens sont naturellement les premiers alli�s auxquels les Am�ricains font appel dans ces situations, ne serait-ce que parce qu'ils rencontrent pour leur part un probl�me inverse de celui des �tats-Unis : autant il leur est difficile de financer un effort militaire, autant il leur est ais�ment loisible de contribuer, soit directement soit par l'entremise de l'Union europ�enne, � la reconstruction et � la remise sur pied de la soci�t� des pays o� viennent de se d�rouler des op�rations de gestion de crise. Cette situation peut avoir des cons�quences d�sastreuses en termes d'utilisation de leur puissance internationale : le spectacle des avions et des missiles isra�liens financ�s par de l'aide am�ricaine d�truisant des installations civiles et polici�res palestiniennes largement financ�es par le contribuable europ�en fournit un exemple extr�me et spectaculaire de l'impasse dans laquelle peut placer l'incapacit� � influer s�rieusement sur le cours des choses, tout en s'impliquant sur le plan mat�riel. L' �volution des �v�nements dans les Balkans, o� la situation est moins contrast�e, donne aussi � r�fl�chir � plusieurs �gards. En Bosnie comme au Kosovo, les fonds europ�ens financent une situation qui a �t� largement le r�sultat de plans impos�s par la force am�ricaine, m�me s'il est juste d'ajouter que les plans de paix am�ricains devaient beaucoup dans le cas de la Bosnie au plan Jupp� et dans celui du Kosovo au quasi-accord de Rambouillet.

Le probl�me pos� par ces interventions est cependant celui de l'influence, ou si on pr�f�re employer l'expression de Joseph Nye, du soft power autant que celui de la puissance brute, traduisible en termes de force militaire. Les Europ�ens n'ont certes pas la gloire de figurer avec des mentions flatteuses sur leurs capacit�s militaires dans les bulletins de CNN, mais leur contribution � la remise sur pied de pays en guerre leur permet dans les meilleurs cas d'exercer une influence � long terme sur les soci�t�s de ces pays. Il s'agit ici de l'aide � la cr�ation d'�tats ou au moins de structures �tatiques, dont l'Allemagne et d'autres en Europe centrale et orientale, l'Union europ�enne en Palestine et ailleurs, la France et le Royaume-Uni en Afrique, donnent aujourd'hui l'exemple. Il est probable que les �tats et les syst�mes construits sur ces bases auront une tendance naturelle � se tourner vers l'Europe non seulement sur le plan interne, mais aussi sur les grands dossiers internationaux. Les Europ�ens utilisent eux aussi leur avantage comparatif, avantage que leur conc�dent les Am�ricains.

Les sources de l'influence

Il s'agit pour l'Union et pour ses �tats membres d'�tendre le mod�le " europ�en " sur le plan international, et d'assurer � celui-ci une l�gitimit� d'autant plus grande que personne ne pourra le pr�senter comme l'effet d'une volont� de pouvoir. On retrouve l� l'une des manifestations de l'influence dont les �tats-Unis �taient coutumiers jusqu'au milieu du Xxe si�cle. Sans doute parce que Kagan pr�f�re celles de la puissance classique � l'europ�enne, il semble les assimiler � un �l�ment de faiblesse, mais la r�alit� ne colle pas exactement � cette affirmation. En fait, la concession que font les �tats-Unis, sous l'effet de leur politique int�rieure, aux Europ�ens de cette dimension de l'influence internationale a pour effet de diminuer leur propre influence. Comme l'�crit Joseph Nye dans un livre r�cent, l'utilisation de la force militaire, ou l'affirmation sans concession de sa puissance, ce que nous appellerions la mise en oeuvre d'un nationalisme traditionnel, peuvent en r�alit� diminuer l'influence r�elle d'un pays en diminuant sa capacit� � attirer vers lui les meilleurs esprits chez ses partenaires �trangers.

Le fait pour les Europ�ens de s'�tre sp�cialis�s, certainement par d�faut, dans cette dimension de la puissance internationale donne un surcro�t de l�gitimit� � leurs politiques �trang�res, en particulier par contraste avec l'attitude des �tats-Unis. De l� provient une plus grande capacit� � cr�er des coalitions de circonstance sur les dossiers o� les Am�ricains sont isol�s. L'environnement, les processus judiciaires internationaux, la lutte contre les in�galit�s dans le monde constituent des questions sur lesquelles les Europ�ens n'ont pas n�cessairement une attitude ang�lique ni m�me altruiste. Ils poursuivent des int�r�ts. Pourtant, il leur est fait cr�dit sur le plan international d'une posture " internationaliste " qui leur assure des soutiens ou � tout le moins une moindre opposition que ce n'e�t �t� le cas s'ils avaient affirm� plus brutalement leurs positions. Croit-on par exemple qu'en mati�re agricole les Europ�ens s'en tireraient � aussi bon compte dans leurs rapports avec le tiers monde s'ils n'avaient par ailleurs l'image d'un ensemble politico-�conomique conciliant ? Ne pas l'avoir not� repr�sente, nous semble-t-il, l'une des faiblesses principales de la th�se de Kagan.

D'un autre c�t�, Robert Kagan a parfaitement raison de penser que la cr�ation d'une entit� nouvelle rassemblant des nations diff�rentes, aux traditions et int�r�ts vari�s, rend difficile la traduction de la masse en puissance. Rapprocher des int�r�ts divers et parfois divergents tend � contraindre dans l'action, parce que les positions communes sont difficiles � atteindre, sont souvent le r�sultat de compromis diplomatiques plus formels que r�els, et ne peuvent tenir que si chacun de leurs �l�ments est maintenu, ce qui ne facilite pas � proprement parler la souplesse dans les positions qui est ins�parable de la r�ussite diplomatique. C'est pourquoi l'addition de capacit�s brutes n'�quivaut pas � une puissance plus grande. Contrairement � ce que pensent et disent beaucoup de Fran�ais, plus grand ne veut pas n�cessairement dire plus fort. Le processus d'�largissement de l'Union europ�enne en fournit une illustration, puisque chacune de ses �tapes a conduit � une p�riode de repli de l'Union sur le plan international, suivie il est vrai d'une r�action volontariste pr�cis�ment destin�e � �viter le d�litement de la construction europ�enne. C'est la raison pour laquelle l'Europe-puissance est un slogan, une aspiration, plut�t qu'une r�alit�.

Incertitudes europ�ennes

Peut-�tre est-ce m�me une contradiction. Sur ce point, il convient d'aller plus loin que Kagan : ce sont les conceptions m�mes de ce que sont l'�tat et la soci�t� politique, et des fins qu'ils sont amen�s � poursuivre, qui divergent entre pays europ�ens. L' exp�rience historique du si�cle �coul� est interpr�t�e tr�s diff�remment en Allemagne, en France et au Royaume-Uni. Pour faire court, on rappellera que les Allemands se m�fient � la fois de l'�tat allemand centralis�, qui leur a apport� de grands maux, et de sa reproduction � l'�chelle europ�enne. Plus que tout, ils se m�fient de l'utilisation de la force militaire, dont il est raisonnable de dire qu'elle a entra�n� pour l'Allemagne autant que pour ses voisins des cons�quences d�sastreuses. Il n'est pas surprenant que les Allemands d�crivent en majorit� la Suisse comme le mod�le qu'ils envisagent pour une Union europ�enne achev�e. Pour les Fran�ais, l'�tat est au contraire l'expression de la nation, et la construction europ�enne est vue comme un moyen de magnifier l'influence fran�aise sur le plan international, tout en reproduisant les caract�ristiques de l'�tat fran�ais au plan europ�en. D'o� les h�sitations fran�aises quant � l'expansion des comp�tences europ�ennes, qui sont per�ues sous une forme centralis�e incompatible avec l'esprit d'un f�d�ralisme v�ritable et qui pouss�es � bout tendraient � abolir les pr�rogatives des �tats membres. La France entretient �galement une relation complexe � l'�gard des alliances, per�ues comme ayant �chou� dans la premi�re moiti� du XXe si�cle, ayant retenu la France dans ses tentatives de contenir la puissance allemande. Quant aux Britanniques, leur conception de la l�gitimit� de l'utilisation de la force militaire les place aux antipodes de l'Allemagne, puisqu'ils peuvent l�gitimement lire l'histoire europ�enne contemporaine comme une justification pratique mais aussi morale de l'usage des forces arm�es. Leur lecture de la valeur des alliances quant � elle les place en d�saccord direct avec les Fran�ais. Qu'on ajoute les probl�mes sp�cifiques aux " petits " �tats, qui se m�fient beaucoup d'un accord de leurs grands partenaires europ�ens qui remettrait en cause leur facult� de d�fendre leurs int�r�ts propres, et l'image d'une " Europe-puissance ", ou m�me d'une Europe capable d'utiliser les instruments traditionnels de la puissance internationale, appara�t bien probl�matique. On en voit l'illustration dans le caract�re largement d�claratoire de la politique europ�enne de s�curit� et de d�fense, et de ses avatars ant�rieurs. C'est aussi la raison pour laquelle les Europ�ens se sp�cialisent dans le soft power.

Cependant, le trait ne doit pas �tre forc�. En premier lieu, parler d'Europe est toujours dangereux : les Britanniques et, dans une moindre mesure, les Fran�ais ont une conception plus traditionnelle de la puissance que beaucoup de leurs partenaires. Ils sont pr�ts � utiliser la force quand les autres moyens de recours sont �puis�s. On le voit bien dans l'affaire du d�sarmement irakien o� les positions britannique et fran�aise sont moins �loign�es sur le fond qu'il n'y para�t, toutes deux soucieuses de renforcer le r�le du Conseil de s�curit� des Nations unies, mais pr�tes � faire entendre les armes si Saddam Hussein refuse de se conformer � ses obligations internationales. L'Espagne et l'Italie ont affirm� une attitude de principe assez proche. L'Allemagne a pris des positions tr�s diff�rentes, mais elle ne repr�sente pas � elle seule l'Europe. Quand d'autres pays ont des probl�mes bilat�raux � r�gler, telle l'Espagne lors de son diff�rend avec le Maroc sur l'�lot de Persil pendant l'�t� 2002, il n'est pas rare qu'ils fassent entendre le langage de la force. La vision de l'Europe qu'a Kagan, de ce point de vue, est trop marqu�e par l'approche proc�duri�re de l'Union europ�enne.

La force et la morale

Si l'Europe qu'il d�crit est par trop marqu�e par Bruxelles, l'Am�rique qu'il per�oit est quant � elle sans doute trop r�v�e. Prend-il ses d�sirs pour des r�alit�s ? Les �tats-Unis, m�me s'ils mettent moins de r�serves � l'engagement arm� que leurs partenaires europ�ens, ne sont pas devenus une puissance sans limite. Ils demeurent m�me parfois curieusement pusillanimes. La campagne en Afghanistan en a fourni une illustration. M�me en r�ponse � une attaque sanglante, de sang-froid et sans provocation comme celle du 11 septembre, les �tats-Unis ont manifest� une restriction tout " europ�enne " au sens de Kagan dans l'action militaire, quand il s'est agi de poursuivre les milices d'Al-Qaida dans les grottes de Tora Bora, puisque les troupes am�ricaines n'ont pas engag� le combat et ont laiss� l'essentiel des dirigeants et des forces terroristes s'�chapper. Ce d�faut d'engagement direct des forces qui caract�rise la tactique militaire am�ricaine dans les conflits r�cents s'explique sans doute par un d�sir compr�hensible de ne pas exposer ses hommes au combat direct, mais il n'est pas l'expression d'un pays anim� par l'esprit martial d�crit par notre auteur comme animant l'Am�rique. La dichotomie euro-am�ricaine est sans doute beaucoup moins forte que celle que d�crit Kagan. Et peut-�tre m�me inverse : on verrait mal les forces britanniques ou les forces fran�aises laisser dans des circonstances comparables s'�chapper sans bataille les responsables d'attentats aussi meurtriers.

Le vrai probl�me transatlantique tient surtout aux conceptions divergentes de l'action internationale qu'ont les partenaires am�ricains et europ�ens. Toute la question est de savoir ce qui est pertinent en mati�re de puissance internationale dans le monde d'aujourd'hui. Qu'elle est la vraie capacit� � agir sur les �v�nements : la puissance militaire ou la persuasion (soft power) ? Il existe des cas de plus en plus nombreux dans lesquels la force militaire est inutilisable, et donc impuissante. Cela est patent en mati�re de relations entre pays " occidentaux ", dans lesquelles on voit mal les �tats-Unis utiliser leurs armes. Celles-ci leur donnent dans ce cadre un prestige plus qu'une puissance. Mais c'est le cas de mani�re plus g�n�rale. Quand au d�but du mandat du pr�sident Bush un incident militaire se produisit en mer de Chine, l'Administration n'envisagea pas s�rieusement de recourir � la force face � une puissance nucl�aire : les " durs " eux-m�mes parlaient sanctions �conomiques et isolement diplomatique et non intervention militaire. Le nombre de cas o� la force militaire joue aujourd'hui un r�le d�cisif est relativement r�duit. Cela ne veut pas dire qu'il faille adopter une analyse ang�lique ou m�prisante � l'�gard de la pertinence des instruments militaires, comme c'est trop souvent le cas en Europe du Nord : l'exp�rience des Balkans montre leur pertinence. Encore faut-il que les instruments militaires soient adapt�s aux situations concr�tes : � quoi sert-il d'avoir des Apaches ou des B2 si leur engagement est rendu improbable par la crainte de les perdre ?

L'important pour les partenaires transatlantiques est de se rapprocher sur ces points : avant de parler de faire de l'Europe une puissance, il s'agit de renforcer les moyens militaires de ses membres, et de se pr�occuper prosa�quement des crises � r�gler. La conclusion � tirer de l'exp�rience balkanique, de ce point de vue, est que l'Europe aurait �t� mieux servie par une intervention ad hoc ou nationale quand Milosevic mena�ait Dubrovnik que par d'ambitieux sch�mas institutionnels. Quant aux Am�ricains, ils ne doivent pas devenir prisonniers de leurs moyens militaires : il leur faut se donner les moyens de contribuer � la solution des crises par d'autres moyens. S'ils laissent les Europ�ens reconstruire apr�s eux aux quatre coins du globe, ils feront de l'Europe ce qu'un observateur am�ricain appelait r�cemment le centre moral du monde. Leur leadership n'en sera que plus contestable, et donc plus fragile car plus contest�.