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Fran�ois Vergniolle de Chantal Libert�s civiles et lutte anti-terroriste aux Etats-Unis IFRI http://www.ifri.org

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projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM

objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement

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GEOPO article geopolitique
french

Le Centre fran�ais sur les Etats-Unis (CFE)

Libert�s civiles et lutte anti-terroriste aux Etats-Unis Fran�ois Vergniolle de Chantal Chercheur associ� au CFE Ma�tre de Conf�rences � l'universit� de Bourgogne vdechantal.cfe@ifri.org Juin 2003

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Outre ses cons�quences internationales, la guerre contre le terrorisme a des effets tout aussi �vidents sur la sc�ne politique am�ricaine. Maintenant que l'attention des m�dias se concentre sur la question irakienne, il para�t opportun de tenter une synth�se sur l'�tat du combat anti-terroriste aux Etats-Unis m�me. D�s le vote du USA Patriot Act en octobre 2001, le d�bat a �t� lanc� : dans quelle mesure la lutte anti-terroriste doit-elle limiter les libert�s ? Comment concilier protection des droits individuels et assurer la s�curit� de la population en cas de crise ?

Le sujet semble �tre ancien aux Etats-Unis : il se manifeste d�s 1798 et les Alien and Sedition Acts, jusqu'� la lutte contre la subversion communiste pendant la Guerre Froide, sans oublier les mesures d'exception prises lors de la Guerre de S�cession ou pendant les deux conflits mondiaux. Malgr� cet h�ritage historique, il reste que les Etats-Unis ont une exp�rience largement diff�rente de celle des Etats europ�ens en mati�re de lutte anti-terroriste. La France, la Grande-Bretagne, ou encore l'Espagne sont tous, � des degr�s divers, touch�s par des mouvements terroristes parfois depuis la fin des ann�es soixante, sans parler des h�ritages historiques respectifs. A l'inverse, les Etats-Unis ont d�velopp�, sous l'impulsion de certains pr�sidents de la Cour Supr�me (Chief Justices), particuli�rement volontaires, un cadre l�gal extr�mement coh�rent de protection des libert�s. L' incorporation des protections de la D�claration des Droits (Bill of Rights) f�d�rale men�e sous Earl Warren (1953 - 1969) et largement poursuivie par son successeur, Warren Burger (1969 - 1986), prot�ge maintenant tous les aspects de la libert� individuelle . C'est pourquoi il semble peu pertinent d'�tablir un parall�le historique ferme entre la situation actuelle et les pr�c�dents des guerres mondiales ou de la Guerre de S�cession, sans parler de la p�riode r�volutionnaire ! L'intensit� actuelle du d�bat tient � la confrontation, sans r�el �quivalent historique, entre un cadre l�gal de protection des libert�s tr�s d�velopp�, d'une part et, d'autre part, un relatif manque d'exp�rience dans le cadre de la lutte anti-terroriste.

L'objectif n'est pas ici de d�finir un �quilibre satisfaisant aux requis de la s�curit� d'une part, et de la libert� de l'autre. Aussi, il ne sera pas question de prendre parti, ni m�me de trancher le d�bat. Il semble plus pertinent de rendre compte des risques contenus dans les �volutions en cours. Disons-le d'embl�e, la mise en oeuvre de mesures anti-terroristes ne contient pas de possibilit�s s�rieuses de d�bordement autoritaire. F�d�ralisme et s�paration des pouvoirs garantissent un �quilibre qui semble emp�cher tout d�rapage d'ampleur. La politique actuelle, largement pr�sidentielle, devrait, comme toujours, �tre l'objet de compromis, que ce soit au niveau de la d�cision ou de l'application. N�anmoins, l'alignement id�ologique r�el entre les trois pouvoirs nationaux, la Pr�sidence, la Cour Supr�me et, depuis novembre dernier, le Congr�s, cr�e une configuration partisane rare, qui pourrait d'autant plus limiter les pratiques de compromis que la population am�ricaine soutient dans son ensemble les mesures coercitives appliqu�es par l'�quipe Bush .

I. Les mesures anti-terroristes aux Etat-Unis depuis septembre 2001.
1/ Les premi�res mesures dans le sillage des attentats.

Avec le vote du USA Patriot Act (PL 107 - 56) d�s octobre 2001, Bush et ses conseillers ont consid�rablement renforc� les textes d�j� existant concernant la lutte contre le terrorisme ou le recueil de renseignements et ce au moins jusqu'� la dur�e l�gale de la loi (2005). La d�finition du " terrorisme " est consid�rablement �tendue, et permet de faciliter l'encadrement d'un grand nombre d'activit�s . La pr�c�dent loi anti-terroriste, vot�e sous Clinton en mars 1996 (Antiterrorism Law and Effective Death Penalty Act, PL 104 - 132), est consid�rablement renforc�e, et de nouveaux pouvoirs sont attribu�s au Congr�s. Les quelques limitations existantes en mati�re de surveillance sont, elles, tr�s largement amoindries. Par exemple, le FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act, PL 95 - 511) de 1978, n'autorisait les �coutes t�l�phoniques par le FBI que dans les cas de personnes suspect�es d'�tre des agents d'une puissance �trang�re, et au terme d'une proc�dure assez lourde (�tablissement d'une " cause probable "). Dor�navant, ceci n'est plus n�cessaire, et ce pour l'ensemble des demandes �manant du FBI. La loi donne aussi au pouvoir ex�cutif d'importantes pr�rogatives en mati�re de mise sur �coute (t�l�phone, Internet) et de relations entre les suspects d'activit�s terroristes et leurs avocats. Les fouilles secr�tes d'appartement, la consultation de fichiers d'entreprise ou d'universit� sont facilit�es. Au total, plus de 15 lois touchant � la s�curit� publique sont modifi�es par la r�forme de 2001, et, dans l'ensemble, les possibilit�s de mise sous surveillance de la vie priv�e d'�trangers ou de citoyens sont consid�rablement �tendues. Outre cet assouplissement des crit�res et des limitations en vigueur jusqu'� pr�sent, le Patriot Act modifie �galement certaines comp�tences des tribunaux, et permet, lorsque la s�curit� nationale est en jeu, de d�tenir les �trangers, parfois pour des dur�es illimit�es, alors m�me qu'aucune charge pr�cise ne p�se contre eux. Le texte en lui-m�me, malgr� les oppositions de groupes de libert�s civiles - et d'une trentaine de municipalit�s qui ont vot� des r�solutions contre le texte - n'a pas suscit� de v�ritables mouvements d'opposition de masse, et ce d'autant moins qu'il a �t� accept� par le Congr�s avec des majorit�s impressionnantes (356 Repr�sentants � la Chambre, et 98 S�nateurs !) .

Ce sont par contre les d�crets d'application qui semblent plus probl�matiques pour certaines franges de l'opinion publique. Par exemple, le d�cret du Minist�re de la Justice autorisant l'�coute et l'enregistrement de conversations entre les avocats et leurs clients plac�s en d�tention pr�ventive lorsqu'ils sont soup�onn�s d'activit�s terroristes, d�s le mois suivant. Ou alors les quelques 500 entretiens men�s par le FBI avec des personnes d'origine arabe, suite � un autre d�cret du Minist�re de la Justice pris le 15 novembre 2001. Mais ce sont surtout les mesures du d�cret pr�sidentiel du 13 novembre 2001 qui ont caus� - et causent encore - le plus de d�bat. Aux termes de ce d�cret, les citoyens �trangers soup�onn�s de terrorisme passent devant des tribunaux militaires sp�ciaux . Depuis les attentats, plus de 1200 �trangers ont ainsi �t� arr�t�s pour des motifs divers, et plac�s, gr�ce � la loi d'octobre et aux d�crets de novembre, dans un flou juridique total quant � la cause de leur arrestation ou la dur�e de leur incarc�ration. Par ailleurs, jusqu'� pr�sent, leur identit� a �t� gard�e secr�te, et l'assistance d'un avocat leur a �t� refus�e, ce que le Minist�re de la Justice a confirm� comme �tant la politique officielle le 27 novembre 2001. Ces prisonniers sont donc gard�s dans l'incertitude juridique la plus grande, et, m�me si un bon nombre d'entre eux ont �t� rel�ch�s - les estimations actuelles ne parlent plus que de 200 � 600 prisonniers - la situation de ceux qui restent ne s'am�liore pas. En ao�t 2002, un Juge f�d�ral de Washington, Gladys Kessler, a demand� la publication des noms, jusqu'� pr�sent en pure perte : le Minist�re de la Justice a fait appel de la d�cision. La situation s'est d'ores et d�j� reproduite : d'autres juges ont contest� les d�rives du pouvoir ex�cutif, mais l� aussi, les r�sultats semblent minces .

La fragilit� l�gale de la lutte contre le terrorisme, en interne, est encore plus flagrante � l'ext�rieur du territoire. Les prisonniers faits en Afghanistan sont d�clar�s " ennemis combattants " (enemy combattant), une cat�gorie inconnue du droit international. Ils ont �t� transf�r�s sur la base (am�ricaine depuis 1903) de Guantanamo d�s f�vrier 2002. Le Secr�taire � la D�fense, Donald Rumsfeld, a officiellement reconnu que les prisonniers de Guantanamo sont l� pour une dur�e illimit�e. Ils n'ont bien s�r pas d'avocats, et, selon le d�cret pr�sidentiel de novembre 2001, il serait possible de juger ces hommes par des tribunaux militaires d'exception. Jusqu'� pr�sent, seule la Croix Rouge Internationale (CICR) a pu leur rendre visite. Les conventions de Gen�ve ne sont donc que tr�s partiellement appliqu�es, constat �tabli par un rapport d'Amnesty International en mars 2002. Les libert�s que s'autorisent les autorit�s am�ricaines sont encore plus claires au niveau de la collaboration internationale : certains observateurs soulignent que les Etats-Unis utiliseraient ainsi les r�gles d'extradition pour faciliter les interrogatoires. Ainsi, une personne arr�t�e en Indon�sie peut, sur demande des Etats-Unis, �tre transf�r�e en Egypte, pour subir un interrogatoire plus " adapt� ". Les chiffres sur cette pratique ne sont pas connus. Sur ce terrain, les oppositions � l'attitude gouvernementale sont assez clairsem�es : peu de gens semblent vouloir revenir sur le statut fait aux prisonniers captur�s en Afghanistan. Jusqu'� pr�sent, seul un Juge f�d�ral de la Quatri�me Cour d'Appel (Circuit Court), pourtant conservateur de r�putation, John H. Wilkinson, a contest� la capacit� l�gale du gouvernement � d�signer de sa seule autorit� les " ennemis combattants " . Mais par contre, d�s que cette politique implique des citoyens am�ricains, la situation devient plus d�licate pour l'Etat f�d�ral. En d'autres termes, lorsque les conditions de d�tention des non-Am�ricains s'�tendent aux citoyens Am�ricains eux-m�mes, alors il y a un r�el d�bat, qui, sans forc�ment mobiliser l'opinion, pousse au moins les autorit�s � tenter de justifier leur attitude. Depuis la mise en oeuvre de ces textes, cela s'est produit � plusieurs reprises. Ainsi, au printemps 2002, avec Yaser Esam Hamdi, fait prisonnier en Afghanistan et envoy� � Guantanamo jusqu'� ce qu'on d�couvre sa v�ritable nationalit� (il est n� � Baton Rouge, en Louisiane), emprisonn� dans la base de Norfolk (Virginie), ou encore avec Jose Padilla, membre d'un gang de Chicago, r�cemment converti � l'Islam, et accus� d'avoir voulu fabriquer une " bombe sale ", qui, lui, est rest� en prison � Chicago : tous deux ont �t� d�sign�s comme " enemy combattants ", et plac�s en d�tention sans charge criminelle . Les autorit�s semblent vouloir maintenant �viter les proc�s au civil qu'il s'agisse de citoyens am�ricains ou pas : les bizarreries de la proc�dure � l'encontre de Zacharias Moussaoui, arr�t� peu avant les attentats du 11 septembre et dont le proc�s suit donc une proc�dure " classique ", ou encore la d�fense de John Walker Lindh, ont, tous deux, convaincu les autorit�s de la n�cessit� d'op�rer un changement .

2/ Les d�buts de la contestation des mesures gouvernementales.

L'ann�e 2002 n'a pas manqu� de renforcer ces initiatives s�curitaires. D�s le mois de janvier, et avec le soutien du Pr�sident, J. Ashcroft, Ministre de la Justice, a tent� de lancer son projet TIP (Terrorism Information and Prevention System), dont l'id�e principale �tait d'encourager les Am�ricains � rapporter toute activit� " suspecte " en t�l�phonant � un num�ro vert. Ce " syst�me d'information et de pr�vention terroriste ", partie int�grante du " White House Citizen Corps Program " et destin� � s'appliquer initialement dans 10 villes, a soulev� un tel toll� qu'Ashcroft a d� battre en retraite . M�me Dick Armey, un des " durs " de la Chambre des Repr�sentants, �tait r�ticent !

La formule de remplacement a �t� trouv�e d�s f�vrier : au lieu d'une collaboration " active " des citoyens, la solution est plus " passive ", dans la mesure o� il s'agit tout simplement de pouvoir croiser les diff�rents fichiers existants sur un individu. Les autorit�s ont cr�� au sein du Pentagone, et toujours avec le soutien du Ministre de la Justice, un " Awareness Office " (Bureau de la Vigilance Informatique, � la devise �vocatrice de " Scienta est Potenta "). Ce nouvel organisme est charg� de mettre en oeuvre le projet " Total Information Awareness " (TIA), qui devrait permettre de piocher les informations pertinentes dans les bases de donn�es de la vie courante pour rep�rer des projets terroristes en pr�paration. Les donn�es concern�es sont les fichiers informatiques des cartes de cr�dit, le num�ro de s�curit� sociale, les permis de conduire, et les comptes bancaires. Mais la liste n'est pas exhaustive. La police peut obtenir les comptes-rendus de n'importe quel commer�ant sur n'importe quelle personne, par exemple les informations m�dicales dans les h�pitaux, les dossiers universitaires, et m�me les listes de livres achet�s ou emprunt�s dans les librairies et les biblioth�ques. Concr�tement, cela signifie qu'afin de rep�rer quelques individus, il sera n�cessaire d'aller v�rifier des informations sur des millions d'autres. Le budget initial pr�vu est de 10 millions de dollars pour l'ann�e 2003, et il est sans doute destin� � s'accro�tre rapidement. La personne charg�e de pr�senter ce projet et de le superviser est l'ancien Amiral John Poindexter, Conseiller � la S�curit� Nationale (" National Security Adviser ") sous Reagan, et qui, en 1990, avait �t� condamn� dans le cadre de l'Irangate pour avoir menti au Congr�s ; il n'a finalement �chapp� � ses 6 mois de prison qu'en appel, par une d�cision de 1991. Au vu de ce parcours, le signal envoy� � l'opinion publique est pour le moins ambigu�, et, en tous les cas, renoue avec cette impression dominante � propos de l'administration Bush, celle d'un retour vers les ann�es Reagan. L'initiative en elle-m�me est pour le moins malheureuse : elle a suscit� une r�action certaine au sein de l'opinion publique qui, pour la premi�re fois depuis le lancement de la lutte anti-terroriste, d�passe les groupes de protection des libert�s civiles . Dans ce contexte, d'autres initiatives de l'�quipe Bush ont �t� tr�s mal per�ues par le public. Ainsi, le 15 novembre 2002 a marqu� le d�but officiel de la mise en oeuvre d'un programme d'enregistrement des ressortissants provenant de pays suspect�s d'activit�s terroristes et vivant aux Etats-Unis. Ceci concerne les ressortissants d'Iran, d'Irak, de Libye, du Soudan, de la Syrie, y compris dans les cas de double passeport. Dans les faits, les hommes de plus de 16 ans doivent s'adresser � un repr�sentant de l'immigration ou des douanes (la date limite officielle �tait la mi-d�cembre 2002). Ils doivent alors pr�senter leurs documents de voyage, donner des preuves de r�sidence, passer un entretien, donner leurs empreintes et se faire photographier, et enfin, ils doivent se signaler aux autorit�s tous les ans. Ce programme a pris un certain retard dans sa mise en oeuvre, notamment � cause des critiques publiques contre cette forme de discrimination. Par contre, d'autres mesures adopt�es en 2002, sont nettement moins controvers�es, �tant les cons�quences directes de ce qui a �t� d�cid� au moment des attentats. Le fameux Minist�re de la Protection du Territoire (Homeland Security) a �t� cr�� suite au vote final du S�nat par 90 voix contre 9 en novembre dernier, permettant ainsi le passage du Homeland Security Act (PL 107 - 296). Cette vaste administration, dont le premier titulaire est Tom Ridge, est entr�e en fonction au d�but mars, et regroupe 22 services, employant au total 170000 personnes. Mais cette nouvelle structure n'emp�che pas que l'ensemble des moyens administratifs du gouvernement soit mobilis� dans la lutte anti-terroriste. Ainsi par exemple du Minist�re du Tr�sor. C'est en effet le directeur de la cellule anti-terroriste du Tr�sor am�ricain, David Aufhauser, qui coordonne l'action de lutte financi�re contre les r�seaux terroristes. Sous son �gide, les Etats-Unis ont ainsi gel� les avoirs de 251 individus et personnes morales, et environ 121 millions de dollars. Enfin, en d�cembre 2002 cette fois, les autorit�s ont lanc� un programme national de vaccination contre la variole, en r�ponse � la peur bact�riologique de l'automne 2001. Pr�s de 500000 responsables des services d'urgence en cas d'attaque chimique (" emergency workers ") devraient �tre vaccin�s d'ici au printemps 2003, mais ce programme est particuli�rement lent � mettre en place, essentiellement pour des raisons financi�res et de prise en charge.

La surveillance en interne se double aussi d'une surveillance renforc�e des fronti�res. Les autorit�s se sont ainsi pr�occup�es de renforcer la s�curit� des quelque 300 ports am�ricains. Sur les 50000 containers qui arrivent chaque jour dans le pays, plus du tiers arrivent par voie maritime, et seuls 2% d'entre eux sont physiquement inspect�s. En janvier 2002, l'Etat f�d�ral a ainsi d�cid� de lancer le programme " Container Security Initiative ", demandant � certains des grands ports internationaux de renforcer leur surveillance sur les containers � destination des Etats-Unis. La collaboration mise en place est surtout canadienne avec Halifax, Montr�al, et Vancouver, puis europ�enne, avec Rotterdam (Hollande), Antwerp (Belgique), Le Havre (France), et en Allemagne, Br�me et Hambourg ; enfin, Singapour participe aussi � cette initiative.

Cet activisme a un co�t, d'autant plus important qu'il conduit � r�nover, renforcer un grand nombre d'installations ou de services. Ainsi, une enqu�te r�alis�e par le Cabinet Deloitte Consulting estime entre 100 et 140 milliards de dollars les d�penses destin�es � am�liorer la s�curit� int�rieure en 2003. Ces sommes, importantes, comprennent � la fois les d�penses des Etats et celles de l'Etat f�d�ral. L'essentiel va financer l'incorporation de nombreuses technologies dans les dispositifs de surveillance existant, ou encore ceux � cr�er. Le service des douanes (Customs Service) commence � recevoir des scanners g�ants, � un million de dollars pi�ce, pour inspecter �lectroniquement les containers qui arrivent dans le pays par bateau ou par avion. De m�me l'Etat f�d�ral vient d'attribuer 380 millions de dollars au service de l'immigration (Immigration and Naturalization Service) pour installer un syst�me informatique sophistiqu� qui permettra de savoir imm�diatement si l'un des 400 millions de citoyens non-am�ricains qui arrivent chaque ann�e sur le sol des Etats-Unis reste plus longtemps que ne l'autorise son visa. Le National Infrastructure Protection Center (NIPC), l'organisme regroupant tous les sp�cialistes Internet du FBI scrutant en permanence le r�seau, a vu son budget presque doubler, pour atteindre 125 millions de dollars .

Enfin, dernier aspect de la lutte tous azimuts entam�e contre le terrorisme, une volont� de clarifier les manquements des services de renseignement avant le 11 septembre. En novembre 2002, sur initiative de la Pr�sidence, une Commission d'enqu�te se met en place, comprenant 10 membres (5 r�publicains, et 5 d�mocrates) pour enqu�ter sur les dysfonctionnements. D'abord pressenti comme Pr�sident de cette commission, Henry Kissinger a d� renoncer pour des raisons de conflit d'int�r�ts avec ses activit�s priv�es (Kissinger Associates), et c'est un ancien Gouverneur r�publicain du New Jersey, Thomas Kean, qui est nomm� en d�finitive ; il revient � Lee Hamilton, ancien Repr�sentant d�mocrate, d'en �tre le vice-pr�sident . Les accusations contre les services de renseignement am�ricains se sont en effet multipli�es ces derniers mois, rendant n�cessaire une �tape suppl�mentaire dans l'enqu�te. Au printemps 2002, Colleen Rowley, directrice d'un des 56 bureaux r�gionaux du FBI, celui du Minnesota, a lanc� les premi�res accusations. Elle les a appuy�s sur le rapport d'un agent, Kenneth Williams (bas� � Ph�nix, Arizona), qui enqu�tait sur les musulmans suivant des cours de pilotage � Prescott en juillet 2001. Il n'aurait pas �t� tenu compte de ses informations au niveau national. De m�me, Aukai Collins, lui aussi bas� � Ph�nix (un " indic " infiltrant les milieux musulmans), aurait alert� ses services centraux sur les agissements de Hani Hanjour, l'un des terroristes du Boeing qui s'est �cras� sur le Pentagone. Le Pr�sident n'�tait pas au courant de ces rapports.... Par contre, John Ashcroft, le Ministre de la Justice, et le directeur du FBI � l'�poque (Thomas Pickard) eux, l'�taient bien, d'o� les accusations de flottement des services de renseignement . Accusations qui sont d'autant plus pertinentes que le myst�re reste toujours aussi �pais en ce qui concerne l'attaque du bacille du charbon peu apr�s les attentats du World Trade Center. L'enqu�te est tr�s lente, et d'autant plus, pour certains, que les suspects se trouvent �tre des scientifiques travaillant pour l'Etat f�d�ral. En effet, � cause de la jeunesse (et de la qualit� du bacille), l'attention du FBI s'est rapidement orient�e vers un scientifique am�ricain, le Dr Steven J. Hatfill, employ� � Fort Derthick (Maryland) de 1997 � 1999, et �galement vers les activit�s d'un autre site, � Dugway Proving Ground (Utah). Depuis que les premiers soup�ons ont �t� formul�s au cours de l'ann�e derni�re, rien ne semble plus avoir �volu�.

II. Quelques �l�ments de critique de l'�volution actuelle de la lutte anti-terroriste.

Les commentaires abondent sur l'orientation g�n�rale des initiatives de l'�quipe Bush. Non seulement dans la presse, mais �galement au sein des centres de recherche proches du pouvoir, qui publient rapport sur rapport tentant d'�valuer l'actuelle politique du gouvernement. Les orientations sont le plus souvent critiques, que ce soit pour d�noncer carr�ment les atteintes aux libert�s individuelles, ou encore, plus modestement, pour souligner les incoh�rences administratives, la lourdeur, du formidable arsenal de mesures prises depuis septembre 2001 .

Autrement dit, l'attention des observateurs am�ricains est d�j� largement concentr�e sur les modalit�s de la mise en oeuvre de la lutte anti-terroriste. C'est pourquoi, il nous semble plus int�ressant ici de prendre un peu de recul et de souligner les cons�quences largement n�gatives, selon nous, de la configuration politique actuelle. Comme nous l'avons dit en introduction � cette br�ve pr�sentation, le fractionnement du pouvoir caract�ristique du syst�me politique am�ricaine a, historiquement, emp�ch� tout d�bordement autoritaire, et ce m�me au cours de crises graves. Que ce soit en 1798, avec les R�solutions du Kentucky et de la Virginie contre les Alien and Sedition Acts, ou alors au cours des deux guerres mondiales, o� les mesures exceptionnelles prises par la Pr�sidence ont toujours �t� encadr�es et plac�es sous la surveillance de la Cour Supr�me, m�me si celle-ci a soutenu les mesures pr�sidentielles jusqu'� la fin des hostilit�s. Dans le premier cas il s'agissait d'Etats f�d�r�s en opposition avec l'Etat f�d�ral, et dans le second, de la division du pouvoir en action. Autrement dit, les m�canismes de " correction " destin�s � prot�ger la libert� des citoyens et plac�s au coeur du syst�me politique par les P�res Fondateurs ont jou� leur r�le historique. Seule la suspension de l'Habeas Corpus par Lincoln lors de la Guerre de S�cession s'est faite sans v�ritable contre-pouvoir : mais il est vrai que la guerre elle-m�me portait sur la nature du syst�me politique qui, d�s lors, pendant le conflit, ne fonctionnait plus v�ritablement .

La situation actuelle pr�sente des caract�ristiques largement diff�rentes. Contrairement � l'�pisode de 1798, les Etats f�d�r�s ne semblent plus �tre un contrepoids efficace � l'action de l'Etat f�d�ral. Malgr� toute la rh�torique conservatrice actuelle autour de la d�nonciation du " Big Government ", les �quipes conservatrices au pouvoir contribuent toutes, � leur fa�on, au renforcement du poids de l'Etat f�d�ral. Ainsi, les possibilit�s de critique venant des �chelons inf�rieurs du syst�me f�d�ral sont-elles limit�es. Jusqu'� pr�sent, seules les villes ont v�ritablement critiqu� les mesures anti-terroristes - un grand nombre d'entre elles ont aussi pris officiellement position contre la guerre en Irak - et ces protestations sont rest�es totalement sans cons�quences. Par rapport aux mesures d'exception adopt�es pendant les deux conflits mondiaux, l� aussi, la situation actuelle est sensiblement diff�rente. Personne ne peut dire quand la " guerre contre le terrorisme " prendra v�ritablement fin. A l'inverse, les restrictions impos�es par un conflit arm� international sont cens�es prendre fin � un moment pr�cis, celui de la d�faite de l'adversaire. Or l'avertissement du Pr�sident Bush quant � la dur�e de la guerre contre le terrorisme semble, de ce point de vue, assez inqui�tant. Une guerre o� on ne peut v�ritablement situer l'adversaire, qui se recompose en permanence, et qui est d�pourvu d'attaches territoriales v�ritables est �videmment destin�es � durer, tout comme les mesures d'exception qui l'accompagnent.

Mais c'est surtout l'actuelle configuration institutionnelle et partisane qui semble poser probl�me. L'alignement entre les trois pouvoirs, au niveau f�d�ral, est exceptionnel dans l'histoire politique moderne du pays. Et ceci pourrait avoir des cons�quences certaines dans la fa�on dont se m�ne la lutte anti-terroriste. Depuis 1945, la r�gle de fonctionnement de la vie politique am�ricaine semble �tre celle du " divided government ", � bien des �gards proche de la cohabitation dans le cadre fran�ais. Tout particuli�rement depuis la fin des ann�es soixante, le Congr�s et la Pr�sidence ont �t� d'orientation id�ologique largement oppos�es, entra�nant fr�quemment un blocage de la prise de d�cision nationale : on parle alors de ph�nom�ne de " gridlock " . N�anmoins, cette situation a comme avantage d'imposer une mod�ration des vues des uns et des autres, for�ant ainsi � l'institution de compromis g�n�ralis�s. Or depuis novembre 2002 et les derni�res �lections de mi-mandat (midterms), le Pr�sident Bush est dans une situation exceptionnelle d'alignement total des trois pouvoirs. La majorit� du Congr�s lui est acquise et la Cour Supr�me, sous la Pr�sidence de William Rehnquist, est clairement d'ob�dience conservatrice. Cette conjonction, d�j� rare en elle-m�me, est renforc�e par l'important soutien populaire dont b�n�ficie le Pr�sident. Son action internationale, coupl�e � la fermet� de ses positions, lui garantissent une popularit� certaine sur le th�me de la lutte anti-terroriste, ce dont t�moigne l'ensemble des sondages les plus r�cents .

Dans ces conditions, le Pr�sident est en position de faire adopter - ou en tous les cas de proposer - des mesures qui, il y a quelques ann�es, n'auraient m�me pas �t� envisageables. Le projet TIP, par exemple, semble sortir tout droit de l'imagination d'Orwell et n'aurait pas manqu� d'attirer des flots de d�nonciation sur le th�me du retour de " Big Brother ". Or les d�nonciations qu'il a suscit� ont �t� extr�mement modestes au vu de l'enjeu. Quant � l'essentiel des mesures qui ont �t� adopt�es dans le cadre de la lutte anti-terroriste, elles sont toutes vot�es par le Congr�s avec des majorit�s pour le moins inesp�r�e. Qu'on se souvienne des n�gociations tortueuses de Clinton avec le 104�me Congr�s, ou encore de Reagan pendant ces deux mandats, voire enfin de Kennedy et du S�nat contr�l� par les D�mocrates sudistes, et l'on mesure alors � quel point le Pr�sident Bush est dans une position inesp�r�e pour un titulaire de l'ex�cutif. Ainsi, le USA Patriot Act a �t� vot� � une quasi-unanimit� au S�nat - seul le S�nateur Russ Feingold (un d�mocrate du Wisconsin) - s'y est oppos� et une majorit� de 356 Repr�sentants � la Chambre ; de plus, le soutien pour Bush dans son action contre l'Irak est �crasant : 226 contre 133 � la Chambre des Repr�sentants (10 octobre 2002), et 77 cote 23 au S�nat (11 octobre 2002).

Ceci est d'autant plus porteur d'incertitudes que les mesures pr�sidentielles n'entament pas sa cr�dibilit� - bien au contraire - et que la Cour Supr�me actuelle n'est pas port�e le moins du monde � remettre en cause cette �volution, et ce pour une s�rie de raisons. D'abord, en r�gle g�n�rale, la Cour est certainement une des institutions nationales les plus � l'�coute des �volutions de l'opinion publique, et ce contrairement � ce que voudrait une interpr�tation �troite de la difficult� contre-majoritaire. Etant potentiellement soumise � une critique de type majoritaire, elle se doit de faire preuve d'une grande prudence, et tenter de refl�ter dans une certaine mesure les opinions dominantes, sous peine d'entamer sa l�gitimit�. Comme l'avait classiquement expliqu� le Juge Benjamin Cardozo lors des Storrs Lectures � Yale en 1921, les Juges de la Cour Supr�me " ne demeurent pas coup�s de leur environnement (...) sur des hauteurs glac�es et distantes ; nous ne contribuerions pas � avancer la cause de la v�rit� si nous agissions et raisonnions comme si c'�tait le cas " . Dans le cas qui nous occupe, les Juges seront sans doute d'autant plus favorables � un suivi de l'opinion qu'ils partagent, dans leur majorit�, les options s�curitaires actuelles. Ainsi, dans une d�cision de 1996 - Felker v. Turpin - la Cour a pris le parti de l'Etat f�d�ral en soutenant la loi anti-terroriste de 1996, Antiterrorism and effective Death Penalty Act (PL 104 - 132) : la Cour a ainsi donn� son accord � la limitation des possibilit�s d'appel des prisonniers . Les informations qui circulent semblent �galement indiquer une certaine r�ticence de la Cour pour prendre en consid�ration les critiques formul�es contre le Patriot Act. L'action en justice conduite par l'ACLU (American Civil Liberties Union) selon une proc�dure assez inhabituelle vient d'�tre rejet�e par la Cour, obligeant ainsi l'ACLU a attendre les r�sultats d'un recours plus conforme. Cela rejoint tout � fait ce que les observateurs ont d�j� remarqu� depuis longtemps, � savoir � quel point la Cour tente de revenir tr�s largement sur certaines des d�cisions les plus connues en mati�re de libert�s civiles. Autrement dit, depuis 1986, il y a un recul de la tendance � la nationalisation des droits, par r�action � " l'activisme " lib�ral des d�cennies pr�c�dentes. Un indicateur de cette tendance est tout simplement la baisse du nombre de cas trait�s par la Cour Supr�me : du milieu des ann�es 80 au milieu des ann�es 90, la Cour est pass�e d'un chiffre annuel de 150 � 75 environ. Mais la " d�nationalisation " des libert�s civiles est sensible � bien d'autres niveaux. Par exemple, la Cour va renvoyer aux Etats le traitement de la peine de mort, ou bien encore, cette fois en ce qui concerne l'avortement, la Cour ajoute des contraintes, des limites qui, toutes, peuvent �tre impos�es au niveau des Etats (Webster v. Reproductive Health service, Planned Parenthood v. Casey en 1992), rognant de fait le droit national garanti par Roe. La tactique de la majorit� conservatrice de la Cour est donc toujours la m�me : confier de plus en plus de responsabilit�s aux Etats. Et cette tendance g�n�rale risque de se poursuivre dans la mesure o� le Pr�sident Bush a, potentiellement, plusieurs occasions de s�lectionner des candidats pour la Cour Supr�me . Parmi les noms qui reviennent le plus souvent comme candidats potentiels, J. Michael Luttig est un des plus fr�quemment cit�. Il si�ge � la quatri�me Cour d'Appel (US Court of Appeals of the Fourth Circuit), o� il a la r�putation d'�tre un des Juges les plus � droite, alors que cette Cour, du fait des s�lections op�r�es dans les ann�es quatre-vingt est d�j� une des plus conservatrices du pays. D'autres possibilit�s restent cependant ouvertes. Ainsi la pression serait s�rement tr�s forte pour accorder la pr�f�rence � un candidat conservateur d'origine hispanique, afin de d�velopper la " diversit� " dans le judiciaire, selon les termes, connus, de l'arr�t Bakke (1978). Seul Emilio M. Garzia, si�geant actuellement � la 11�me Cour d'Appel f�d�rale semble �tre un candidat possible : en effet, son opposition reconnue � la d�cision Roe v. Wade en fait un atout tactique important pour Bush dans ses n�gociations avec la frange religieuse du Parti r�publicain. Une telle �volution � droite de la Cour Supr�me ne ferait que renforcer la tendance d�j� existante au soutien sans faille du Judiciaire vis-�-vis des mesures les plus strictes de la lutte anti-terroriste. L'ultime rempart aux d�bordements de l'Ex�cutif se trouverait alors neutralis�.

Au final, la lutte anti-terroriste prend place dans un contexte partisan et institutionnel extr�mement rare qui pourrait, surtout si la guerre contre le terrorisme et celle qui se m�ne en Irak se prolongent, entra�ner un certain recul des libert�s publiques. La question est de savoir pour combien de temps, et � quel point ? Certes, historiquement, le syst�me institutionnel am�ricain a parfaitement su d�passer les moments de " crispation " s�curitaire et de lutte contre la subversion. Mais la situation actuelle est particuli�re � plus d'un titre. Outre l'alignement institutionnel et partisan, la nature m�me du conflit o� les Etats-Unis sont entra�n�s est source de risques. C'est probablement de la soci�t� civile elle-m�me - notamment par le biais d'associations comme l'ACLU - qu'�mergera un contrepoids, soit par le biais d'actions judiciaires, qui d�j� se multiplient, soit, plus radicalement, en changeant les �quipes au pouvoir. Les pr�c�dents historiques - � commencer par celui du propre p�re de George W. Bush - ne poussent pas � envisager un soutien �lectoral r�el issu d'un mouvement de " ralliement au drapeau " en cas de crise.