exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
Politique �trang�re 3/2001
Tandis que le processus de mondialisation semble gagner � la fois en force et en ampleur dans l'ensemble des pays industrialis�s et la quasi-totalit� des pays en d�veloppement, le d�bat d�mocratique en a fait l'un de ses enjeux principaux, sans que les opinions publiques soient toujours �cout�es ou m�me entendues en la mati�re. C'est ainsi qu'en France comme aux �tats-Unis, de r�cents sondages d'opinion montrent qu'un m�me clivage existe entre une certaine �lite dirigeante, globalement favorable � la mondialisation, et l'ensemble des citoyens, dont la perception est, sinon toujours n�gative, du moins beaucoup plus nuanc�e. Par ailleurs, un autre clivage se dessine au sein de ce groupe entre les cat�gories relativement favoris�es et les cat�gories relativement d�favoris�es. Et la mondialisation, si elle n'est pas la cause de tous les maux dont souffrent celles-ci, cristallise une large part de leurs frustrations, nourrissant la crise de la d�mocratie repr�sentative qui s'affirme de fa�on larv�e dans les pays industrialis�s.
L'acc�l�ration du processus de mondialisation depuis la fin de la guerre froide, li�e en particulier � l'ouverture �conomique et � la lib�ralisation des �changes dans la plupart des r�gions du globe ainsi qu'� la diffusion des nouvelles technologies de l'information, notamment d'Internet, est devenue l'un des principaux enjeux du d�bat d�mocratique dans un grand nombre de pays. Ce d�bat est influenc� par l'�mergence de mouvements contestataires qui d�noncent ce processus avec vigueur, en particulier lors de r�unions d'institutions internationales ou r�gionales, voire de rencontres plus informelles comme le Forum �conomique mondial de Davos, cens�es symboliser la mondialisation.
Cependant, ce d�bat entre " pro " et " anti " appara�t souvent manich�en et simplificateur, et surtout frustrant. En effet, les " anti " affirment �tre les repr�sentants d'une opinion de plus en plus pr�occup�e par ce qu'ils consid�rent �tre les effets n�gatifs de la mondialisation. Les " pro ", plus ou moins enthousiastes, tendent � nier la l�gitimit� et la repr�sentativit� de ces groupes � parler au nom de cette opinion en expliquant notamment que la repr�sentation l�gitime est d'abord politique. C'est notamment la position du premier ministre Lionel Jospin. Chaque camp tend donc � s'exprimer au nom d'une hypoth�tique opinion publique sur le th�me de la mondialisation. Qu'en est-il au juste ?
L'objet de cet article n'est pas de trancher le d�bat sur l'existence ou non d'une opinion publique, ni de proposer une repr�sentation exacte de ce que les Am�ricains et les Fran�ais pensent de la mondialisation. Il vise plut�t � �valuer les perceptions de la mondialisation aux �tats-Unis et en France en s'appuyant principalement sur une interpr�tation des grandes tendances r�v�l�es par les sondages d'opinion effectu�s dans ces pays sur le th�me de la mondialisation ou certains de ses aspects. Les donn�es pour les �tats-Unis sont r�pertori�es dans deux �tudes men�es par des chercheurs de l'Institute for International Economics (IIE), Kenneth F. Scheve et Matthew J. Slaughter, et par un centre de recherche sp�cialis� dans les �tudes d'opinion, le Program on International Policy Attitudes (PIPA). Il n'existe pas d'�tude similaire pour la France. Les r�sultats pr�sent�s ici s'appuient donc sur l'interpr�tation de nombreux sondages sur la mondialisation r�alis�s dans ce pays.
Or, l'analyse des nombreuses enqu�tes d'opinion men�es par les instituts de sondage aux �tats-Unis et en France sur le th�me de la mondialisation permet d'aboutir � trois conclusions : d'abord, ce processus fait l'objet de v�ritables pr�occupations ; on observe �galement un clivage de plus en plus net entre les �lites et l'opinion, en particulier sur ce sujet ; enfin, une " dualisation " des perceptions appara�t au sein des soci�t�s sur le th�me plus g�n�ral de l'ouverture avec une cat�gorie relativement importante en nombre qui se sent de plus en plus exclue �conomiquement, culturellement et politiquement.
En apparence, les �tats-Unis et la France semblent repr�senter les p�les oppos�s de la perception du processus actuel de mondialisation au sein des pays industrialis�s. La France est souvent d�crite comme le pays de la contestation de la mondialisation, le pays de Jos� Bov�, d'ATTAC (l'Association pour une taxation des transactions financi�res pour l'aide aux citoyens) et de l'exception culturelle, et celui dont le gouvernement est le seul � avoir envoy� des ministres au Forum social mondial alternatif de Porto Alegre, en janvier 2001. Les �tats-Unis apparaissent, au contraire, comme l'embl�me de la mondialisation, le pays de McDonald's, de Coca-Cola, d'Hollywood, de Microsoft, de Wall Street, des fonds de pension, du capitalisme d�brid� et des in�galit�s criantes. Pourtant, la r�alit� est beaucoup plus complexe : les Fran�ais ne sont pas des " globalophobes " et les Am�ricains ne sont pas des partisans enthousiastes de la mondialisation.
D'un certain point de vue, cette vision des �tats-Unis et de la France face � la mondialisation contient une part de v�rit�. Tout d'abord, il faut noter que ce ph�nom�ne est vu de mani�re diff�rente dans les deux pays. Aux �tats-Unis, la mondialisation est plut�t appr�hend�e sous l'angle de la lib�ralisation des �changes, les �tudes men�es par les instituts de sondage tendant � se focaliser sur ce th�me. En France, la mondialisation est davantage per�ue dans sa dimension financi�re - la lib�ralisation des mouvements de capitaux, le r�le des fonds de pension et d'investissement dans le financement des entreprises, la corporate governance et le r�le des actionnaires dans le fonctionnement de celles-ci - et dans ses effets sur l'identit� nationale et culturelle. Les questions relatives � la mondialisation dans les sondages fran�ais tendent donc plut�t � traiter de ces enjeux.
En outre, les perceptions de part et d'autre de l'Atlantique divergent sur un certain nombre de th�mes �troitement associ�s � la mondialisation, sur la base de diff�rences de culture politique et �conomique assez nettes. Ce qui est consid�r� comme allant de soi par les uns -la fonction des march�s financiers et des actionnaires pour les Am�ricains, le r�le de l'�tat, les exceptions culturelle et agricole pour les Fran�ais - est per�u comme une incongruit� par les autres. La diff�rence la plus notable entre les deux pays, visible aussi dans les r�sultats des sondages, concerne le r�le respectif de l'�tat et des entreprises. Les Am�ricains tendent, en effet, � rejeter ce qu'ils appellent le big government, � savoir un �tat f�d�ral intervenant fortement sur le plan �conomique et social, tandis que l'influence des entreprises (big business) ne semble pas �tre le support d'une inqui�tude particuli�re. En France, au contraire, ce sont les entreprises et les march�s financiers qui font l'objet d'une suspicion, tandis que l'�tat est vu comme un �l�ment protecteur et r�gulateur.
Cependant, au-del� de ces perceptions diff�renci�es entre les deux pays, les enqu�tes men�es aux �tats-Unis et en France tendent � montrer une vision concordante sur trois types de r�actions � la mondialisation : l'�valuation du ph�nom�ne, ses cons�quences �conomiques, et ses cons�quences sociales et culturelles. L'opinion r�v�l�e par les sondages appara�t extr�mement partag�e sur l'�valuation g�n�rale de la mondialisation ou de certaines de ses dimensions. Elle est plut�t positive en ce qui concerne les cons�quences �conomiques globales du processus. En revanche, elle est plut�t n�gative � propos de ses effets sociaux.
Les opinions telles qu'elles se dessinent dans les sondages de part et d'autre de l'Atlantique apparaissent relativement divis�es quant � l'�valuation de la mondialisation au sens g�n�ral du terme. Ainsi, en ce qui concerne l'Alena, symbole de ce processus aux �tats-Unis, entre 40 % et 45 % des personnes interrog�es ces derni�res ann�es dans divers sondages pensent qu'il s'agit d'une bonne chose pour le pays, tandis que 30 % � 35 % soutiennent le contraire. En France, diff�rentes enqu�tes tendent �galement � montrer un point de vue tr�s partag� sur le sentiment qu'inspire le terme m�me de mondialisation, ind�pendamment de ses cons�quences �conomiques ou sociales : par exemple, un sondage Ipsos de mai 2000 indique que 48 % des personnes interrog�es estiment qu'il s'agit de quelque chose de positif, contre 47 % qui ont une opinion inverse.
Aux �tats-Unis comme en France, les personnes sond�es tendent tout de m�me � consid�rer la mondialisation comme un ph�nom�ne positif pour l'�conomie dans son ensemble. Outre-Atlantique, celle-ci est globalement per�ue comme ayant des effets positifs pour le pays, les entreprises et les cat�gories ais�es de la population. Une majorit� d'Am�ricains interrog�s reconna�t les b�n�fices d'une lib�ralisation des �changes, notamment en termes de prix, de concurrence ou de croissance �conomique, et souhaite que le gouvernement des �tats-Unis favorise la promotion de la mondialisation ou des �changes internationaux de mani�re active ou, au moins, n'en entrave pas le cours actuel. Ils s'opposent donc majoritairement � toute forme de protectionnisme. Cette perception favorable du libre-�change semble �tre constante aux �tats-Unis. Les chiffres de 1994, en plein d�bat sur l'Alena et sur le GATT, donnent des r�sultats identiques. Un sondage r�alis� par Gallup en 1953 montrait d�j� qu'� l'�poque, 54 % des Am�ricains interrog�s soutenaient une politique de libre-�change.
En France, la mondialisation est per�ue majoritairement comme un facteur positif pour le pays, favorisant la croissance de l'�conomie fran�aise et la comp�titivit� des entreprises. Par exemple, un sondage r�alis� en 1998 montrait que 58 % des personnes interrog�es consid�raient la mondialisation comme un �l�ment positif pour le pays et 59 % pour la comp�titivit� des entreprises. En septembre 1999, c'est-�-dire en pleine " affaire Michelin ", 57 % des personnes interrog�es pensaient tout de m�me que la mondialisation favorisait la croissance de l'�conomie fran�aise. Les sondages montrent cependant qu'Am�ricains et Fran�ais sont une majorit� � avoir une vision n�gative des cons�quences sociales de la mondialisation, tant sur l'�volution de l'emploi, des salaires ou des in�galit�s de revenus. Les personnes interrog�es tendent �galement � consid�rer que ses effets n�gatifs d�passent ses effets positifs, notamment pour les salari�s.
Les Am�ricains sond�s soulignent majoritairement les cons�quences n�gatives de la mondialisation et de la lib�ralisation des �changes sur l'�volution de l'emploi, des salaires, des in�galit�s, et donc sur la situation des salari�s en g�n�ral. Pour un grand nombre d'entre eux, la mondialisation n'a pas vraiment d'effets positifs pour eux-m�mes et pour les salari�s en g�n�ral. Ainsi, 52 % des personnes interrog�es affirment que l'�conomie globale sera pr�judiciable pour l'Am�ricain moyen, tandis que 43 % pensent qu'elle lui sera b�n�fique. Les r�sultats sont du m�me ordre en ce qui concerne leur perception des cons�quences de la croissance des �changes internationaux. Si 61 % d'entre eux affirment que celle-ci est positive pour les entreprises am�ricaines, ils sont seulement 31 % � pr�tendre que c'est le cas pour eux-m�mes et 25 % pour les salari�s. De m�me, 56 % des personnes interrog�es pensent que cette croissance a accru les in�galit�s entre riches et pauvres aux �tats-Unis. Les Am�ricains interrog�s tendent, en outre, � exprimer une m�fiance particuli�re envers les accords commerciaux sign�s par les �tats-Unis avec des pays � bas salaires, en particulier l'Alena avec le Mexique. Au total, une courte majorit� des Am�ricains interrog�s par les instituts de sondage pense que l'�volution des �changes n'a pas de b�n�fices nets notables, et que les avantages en termes de prix ou de croissance ne compensent pas les pertes d'emploi. Globalement, ceux-ci pr�f�rent donc majoritairement s'opposer � toute lib�ralisation suppl�mentaire des �changes, des investissements et de l'immigration.
En France, un sondage r�alis� en 1999 montrait que la mondialisation �conomique et financi�re y �tait per�ue comme une source d'aggravation des in�galit�s sociales (65 %) et une menace pour l'identit� fran�aise (56 %). Dans un sondage plus ancien, 72 % des personnes interrog�es s'estimaient �tre personnellement m�fiantes face � ce processus en raison de ses cons�quences sur la situation des salari�s ou sur le syst�me de protection sociale. Pour les Fran�ais sond�s, la mondialisation a �galement des cons�quences in�gales sur les cat�gories sociales. De leur point de vue, elle semble favoriser les chefs d'entreprise (63 %), les cadres sup�rieurs (66 %) et surtout les actionnaires (69 %), d�montrant ainsi la forte dimension financi�re associ�e � la mondialisation en France, et constituer une menace pour les salari�s (60 %), les ouvriers et les employ�s (64 %) ainsi que les agriculteurs (79 %).
La m�fiance des individus � l'�gard des gouvernants, des experts ou plus largement des �lites dirigeantes est un ph�nom�ne largement connu et mesurable, tant dans les r�ponses donn�es dans les sondages que lors de consultations �lectorales � travers un vote protestataire ou l'abstention. Or, le th�me de la mondialisation semble aggraver celle-ci en suscitant et, surtout, en approfondissant au sein des soci�t�s des sentiments d'ins�curit�, d'incompr�hension, de d�possession et d'impuissance. En effet, les quelques enqu�tes mettant en parall�le le point de vue des �lites ou des experts et celui du public montrent qu'il existe un net d�calage entre leurs perceptions, leurs pr�occupations et leurs priorit�s � propos de la mondialisation. L'�lite, repr�sent�e par exemple par des leaders d'opinion, semble en avoir une vision tr�s positive, bien meilleure que l'ensemble de l'opinion.
Ainsi, dans le rapport relatif � l'opinion publique am�ricaine sur la politique �trang�re, publi� tous les quatre ans par le Chicago Council on Foreign Relations, une distinction est r�alis�e entre le public et des �lites dirigeantes, qui sont des personnes occupant des positions importantes et ayant une connaissance des affaires internationales. Or, en ce qui concerne la mondialisation, le rapport de 1999 indique que 87 % des �lites dirigeantes consid�rent ce ph�nom�ne comme une bonne chose pour les �tats-Unis, contre 54 % pour l'opinion ; 12 % seulement des premiers pensent qu'il s'agit d'une mauvaise chose, contre 20 % pour les seconds.
Le d�calage r�side bien entendu dans le fait qu'une grande partie du public se sent directement affect�e ou menac�e par certains des effets attribu�s � la mondialisation, alors que les experts tendent plut�t � en nier l'existence. La divergence d'opinion la plus notable de ce point de vue concerne naturellement les cons�quences sur l'emploi. Un sondage de 1996 montrait ainsi des visions totalement oppos�es sur ce th�me entre �conomistes et opinion outre-Atlantique. Celui-ci portait sur le sujet tr�s sensible de la perception des cons�quences des accords commerciaux entre les �tats-Unis et les autres pays en mati�re de cr�ation ou de destruction d'emplois. 54 % des personnes interrog�es affirmaient que ces accords avaient d�truit des emplois, les �conomistes interrog�s �tant seulement 5 % � suivre cette analyse ; 17 % des premi�res pensaient qu'ils avaient favoris� une cr�ation d'emplois, contre 50 % des seconds ; enfin 27 % des premi�res, contre 42 % des seconds, soutenaient que ces accords n'avaient pas r�ellement de cons�quences en mati�re d'emploi.
Enfin, sur la base de ces pr�occupations diff�rentes, les priorit�s des �lites et du reste de la population ne semblent pas �tre r�ellement convergentes. Dans l'enqu�te men�e par le Chicago Council on Foreign Relations, la protection de l'emploi des salari�s am�ricains figure, aux c�t�s de la lutte contre la prolif�ration des armes nucl�aires, le trafic de drogue et le terrorisme international, parmi les quatre objectifs fondamentaux donn�s par le public � la politique �trang�re am�ricaine. 80 % des Am�ricains " moyens " interrog�s estiment qu'il s'agit l� d'un objectif tr�s important pour la politique am�ricaine. Ils le classent m�me au troisi�me rang des priorit�s. Quant aux leaders interrog�s, ils ne sont que 45 % � partager ce point de vue et le classent au neuvi�me rang des priorit�s. Ce clivage est peut-�tre l'�l�ment le plus inqui�tant pour l'avenir des soci�t�s du monde indus-trialis�. Les r�actions aux annonces de suppressions d'emploi par des entreprises b�n�ficiaires et l'incompr�hension dont celles-ci font l'objet est l'exemple m�me de cette divergence actuelle de priorit�s entre salari�s et dirigeants d'entreprises ou investisseurs, voire entre citoyens et gouvernants.
Bien entendu, ces divergences de perceptions proviennent en grande partie d'une diff�rence d'expertise mais aussi d'acc�s � l'information et de compr�hension de celle-ci. Ainsi, dans le sondage publi� dans le rapport du Chicago Council on Foreign Relations sur la perception de la mondialisation, le taux de personnes qui ne se prononcent pas est de 11 % pour l'opinion et de 1 % pour les leaders. On peut donc supposer que ces derniers sont mieux inform�s, m�me si la diff�rence n'est pas vraiment nette. Cela ne disqualifie pas pour autant le point de vue du grand public. En l'occurrence, l'enjeu n'est pas de savoir qui a tort ou qui a raison, mais de comprendre les raisons pour lesquelles ce dernier manifeste de telles r�ticences face � la mondialisation et d'essayer de prendre en compte ses sentiments et ses craintes.
L'ins�curit� �conomique est l'une des cons�quences suppos�es de la mondialisation qui appara�t de la mani�re la plus nette � la lecture des sondages d'opinion, en particulier au sein des cat�gories d�favoris�es. Cette ins�curit� est ressentie notamment en raison des menaces de pertes d'emploi dans des entreprises du secteur industriel conf�rant un certain nombre d'avantages sociaux (existence de syndicats, assurances sant�, etc.), li�es aux d�localisations d'unit�s de production en direction des pays du Sud, par exemple dans les maquiladoras au Mexique pour les entreprises am�ricaines, ou aux menaces de fermeture d'usines, y compris par des entreprises b�n�ficiaires, et ceci souvent au profit d'emplois aux conditions plus pr�caires dans le secteur des services. Elle affecte tout particuli�rement les salari�s les moins qualifi�s et les plus �g�s. Ce th�me a �t� largement d�battu, notamment sur la base d'un article publi� par Ethan Kapstein sur le sort des salari�s dans l'�conomie mondiale.
Plus fondamentalement, on assiste � une sorte de rupture d'" un contrat social non �crit " qui caract�risait la d�mocratie industrielle par lequel " de grandes institutions - les grandes entreprises, les syndicats, l'�tat - offraient une s�curit� (aux individus) (...) en �change de leur all�geance. Les individus faisaient confiance � ces grandes organisations pour assurer leur bien-�tre �conomique et personnel par la r�gulation (fine tuning) de l'�conomie, l'accroissement du niveau de vie, la protection de la sant� et de la dignit� des salari�s, la r�glementation des entreprises dans l'int�r�t du public ". Aujourd'hui, notamment dans le sillage de la mondialisation, ce n'est plus le cas, et ce sont en particulier les travailleurs non qualifi�s qui sont les plus touch�s par cette rupture du " contrat " de s�curit�.
Un sondage publi� aux �tats-Unis semble �tre tr�s r�v�lateur de ce sentiment d'ins�curit�. Il montre qu'une majorit� d'Am�ricains consid�rent que la cr�ation d'emplois bien r�mun�r�s li�e � la lib�ralisation des �changes ne compense pas les difficult�s rencontr�es par ceux qui ont perdu leur emploi. 56 % des personnes interrog�es sont ainsi d'accord avec la proposition suivante : " M�me si les emplois cr��s par la lib�ralisation des �changes ont des r�mun�rations �lev�es, cela ne compense pas malgr� tout les difficult�s des personnes ayant perdu leur emploi. " En revanche, 40 % sont d'accord avec la proposition selon laquelle " c'est mieux d'avoir des emplois bien r�mun�r�s, et (que) les personnes ayant perdu leur emploi peuvent en trouver d'autres ". M�me si le nombre de personnes ayant choisi la seconde proposition est relativement important (et sans doute plus �lev� que ce que l'on pourrait imaginer en France, par exemple), on pressent bien leur inqui�tude et leur crainte de ne pas retrouver un emploi aussi bien r�mun�r� et b�n�ficiant d'avantages sociaux comme dans l'industrie.
Les difficult�s des instances repr�sentatives traditionnelles ou des gouvernements � r�pondre � ce sentiment d'ins�curit�, aggrav� par le processus de mondialisation, semblent conduire � des sentiments d'incompr�hension et de d�possession qui apparaissent particuli�rement vifs au sein des cat�gories d�favoris�es socialement et culturellement. Ces sentiments se fondent sur l'impression que les principales pr�occupations des individus ne sont pas r�ellement prises en compte, y compris par les mouvements et les gouvernements progressistes, que les grandes d�cisions se font plus ou moins sans leur avis et sans leur aval, et que, d�sormais, l'�tat n'a plus r�ellement la capacit� d'influer sur l'�volution de la mondialisation, notamment face au pouvoir croissant des investisseurs institutionnels, en particulier les fonds de pension, et des entreprises multinationales. Une enqu�te Ipsos r�alis�e en 1999 montre, par exemple, que le sentiment de d�possession est largement r�pandu en Europe : 59 % des Europ�ens interrog�s affirment avoir le sentiment que les changements de la soci�t� se font sans eux. Il est partag� par les personnes interrog�es dans les principaux pays europ�ens, et c'est en France que ces chiffres sont les plus �lev�s : 70 %, contre 27 %, qui soutiennent que les changements se font avec eux.
Le th�me de la mondialisation semble constituer en la mati�re un facteur aggravant. Les sondages tendent ainsi � indiquer que les individus interrog�s souhaiteraient que leur gouvernement ou les institutions internationales prennent davantage en compte leurs pr�occupations sous la forme d'un respect des normes sociales ou environnementales; mais, parall�lement, ils tendent � ne pas leur faire confiance pour cela et � penser qu'ils prennent plut�t en compte l'int�r�t des grandes entreprises. C'est l'une des critiques les plus avanc�es par les mouvements contestataires de la mondialisation. C'est ce que montre �galement un sondage r�alis� aux �tats-Unis. Les Am�ricains sond�s consid�rent ainsi, � une grande majorit�, que le gouvernement f�d�ral ne prend pas assez en compte leurs propres besoins : 73% d'entre eux pensent que c'est le cas pour ce qui les concerne, 72% pour ce qui concerne les salari�s et 68% pour l'opinion en g�n�ral. En m�me temps, 54% affirment que le gouvernement prend trop en compte l'int�r�t des entreprises multinationales, et 65% pensent que l'int�r�t des entreprises pr�side aux d�cisions de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), plut�t que celui du monde dans son ensemble .
En outre, les r�sultats relativement serr�s de consultations �lectorales ou de sondages d'opinion sur des th�mes li�s � la mondialisation et � l'ouverture des fronti�res (Maastricht, Alena) ne peuvent bien entendu que frustrer le nombre important de personnes qui se sont oppos�es � ces textes et qui les voient tout de m�me appliqu�s, d'autant plus que celles-ci se situent g�n�ralement dans des cat�gories d�favoris�es de la population.
Le retentissement de groupes contestataires comme Global Trade Watch aux �tats-Unis ou ATTAC en France semble �tre en grande partie li� � cette volont� de reprendre possession d'une d�mocratie qui serait " ni�e " par l'influence pr�pond�rante des march�s financiers et des multinationales. Le rejet croissant des hommes politiques, des partis et des institutions publiques dans la plupart des pays indus-trialis�s et, en particulier, la mont�e de l'abstention et du vote protestataire dans les cat�gories d�favoris�es constituent autant de sympt�mes de ces sentiments. On sait, par exemple, que dans les ann�es 1990, notamment lors des �lections pr�sidentielles de 1995, les ouvriers fran�ais ont plus largement vot� en faveur des candidats du Front national que de ceux du Parti socialiste.
Ce sentiment de d�possession conduit enfin � un sentiment d'impuissance, exprim� notamment par les cat�gories les plus vuln�rables de la soci�t�. Il se manifeste, en particulier, par la vision selon laquelle le processus actuel de mondialisation est largement irr�versible et que les individus et l'�tat sont dans l'obligation de s'y conformer. Paradoxalement, ce sentiment semble �tre surtout partag� par ceux qui s'y opposent. Ainsi, aux �tats-Unis, parmi les personnes interrog�es et souhaitant que le processus de mondialisation soit arr�t� ou invers�, 49% affirment que le gouvernement am�ricain n'a pas les capacit�s de le faire. Ce sentiment assez g�n�ralis� semble �tre �galement le corollaire d'une sorte de "discours de l'impuissance", notamment face � la mont�e du ch�mage ou de la criminalit�, qui fut exprim� par les responsables politiques et �conomiques, au moins depuis la crise p�tro-li�re des ann�es 1970; un discours qui mit en exergue les contraintes externes (du choc p�trolier � la comp�tition �conomique mondiale en passant par l'�volution du dollar ou de la demande am�ricaine), l'absence de v�ritable alternative aux politiques men�es et, surtout, le manque de sens global attribu� � ces politiques.
Or, cette d�fiance envers les institutions publiques et les entreprises ne tend plus � se traduire par un retrait dans la sph�re priv�e de la part des individus mais, bien plut�t, par une certaine forme d'engagement collectif, dont les manifestations de Seattle ou de Millau et le succ�s rapide d'un mouvement comme ATTAC ont �t�, dans une certaine mesure, le sympt�me. Ces individus, dont le niveau moyen d'�ducation s'est �lev� et dont l'acc�s � l'information s'est am�lior�, notamment par le biais d'Internet, tendent � exiger de plus en plus de transparence dans le processus de d�cision des principales institutions et des entreprises et d'avoir une influence sur leur prise de d�cision, en particulier sur la base de pr�occupations d'ordre �thique. C'est ce qui explique en partie le succ�s des groupes contestataires de la mondialisation et, plus largement, celui des organisations non gouvernementales.
Les sondages d'opinion tendent ainsi � montrer qu'en France, les personnes interrog�es attachent de plus en plus d'importance � la vie associative et au r�le des citoyens dans la soci�t�, et qu'ils font confiance en priorit� � ces derniers pour pr�parer l'avenir qu'ils souhaitent. � cet �gard, un sondage CSA de septembre 2000 indique que, parmi les �volutions plut�t positives pour l'avenir, 84 % des personnes interrog�es citent la vie associative, 72 % le d�veloppement d'Internet et 71 % l'intervention des citoyens dans la soci�t�. A contrario, le r�le des hommes politiques au plan national est cit� parmi les �volutions plut�t n�gatives pour l'avenir par 58 % d'entre eux. C'est donc d'abord aux citoyens qu'ils font le plus confiance pour pr�parer un futur conforme � leur vue, devant les chefs d'entreprise (30 %), les �lus (28 %) et les associatifs (23 %).
Les enqu�tes d'opinion de part et d'autre de l'Atlantique tendent � r�v�ler la division de plus en plus nette des points de vue sur la mondialisation et, plus largement, sur l'ouverture �conomique et culturelle. On observe m�me la formation de deux groupes dont les �l�ments discriminants sont le niveau social et culturel, mais aussi les valeurs.
Aux �tats-Unis, Kenneth F. Scheve et Matthew J. Slaughter ont montr� que les perceptions des Am�ricains sont partag�es sur les �changes, les investissements directs �trangers (IDE) ou l'immigration, c'est-�-dire sur l'ouverture aux biens, aux capitaux et aux hommes en provenance de l'�tranger. Le facteur discriminant le plus important r�side, selon eux, dans le niveau de qualification des personnes interrog�es qui se d�finit par le niveau d'�ducation et de r�mun�ration, et non, par exemple, dans le fait pour celles-ci de travailler dans des secteurs expos�s � la concurrence internationale ou d'habiter dans une r�gion � forte proportion de population d'origine �trang�re. Sch�matiquement, les individus les moins qualifi�s, se montrent plut�t oppos�s � une ouverture plus grande des fronti�res aux produits, aux capitaux et aux personnes, tandis que les plus qualifi�s s'y montrent plut�t favorables. Ainsi, en ce qui concerne le soutien aux barri�res commerciales, il existerait une diff�rence de 25 � 35 % entre les personnes ayant fr�quent� le syst�me scolaire pendant onze ann�es et celles l'ayant fr�quent� pendant seize ans.
En France, aucune �tude similaire de cette ampleur n'a �t� entreprise. Cependant, les donn�es accumul�es tendent � corroborer l'analyse des chercheurs am�ricains. Ainsi, le sondage BVA de septembre 1999 sur l'impact de la mondialisation montre que les cat�gories qui y sont favorables sont majoritairement citadines (elles vivent dans des villes de plus de 100 000 habitants et dans la r�gion parisienne), ont un niveau de r�mun�ration relativement �lev� (60 % d'entre elles ont un revenu net mensuel d'au moins 10 000 francs) et sont relativement plus jeunes (71 % ont moins de cinquante ans). Les cat�gories ayant une opinion n�gative de la mondialisation, quant � elles, vivent plut�t dans des communes de petite taille (environ 60 % vivent dans des communes de moins de 100 000 habitants), disposent de revenus relativement faibles (55 % ont un revenu net mensuel de moins de 10000 francs) et sont plut�t �g�es (51 % ont plus de cinquante ans). On peut remarquer que ces r�sultats sont relativement proches de ceux observ�s pr�c�demment sur la construction europ�enne. Le r�f�rendum de Maastricht avait d�j� r�v�l� un net clivage social et culturel : 80 % des cadres sup�rieurs et 61 % des cadres moyens avaient vot� " oui ", contre 63 % des agriculteurs, 61 % des ouvriers et 58 % des employ�s, favorables au " non ". En outre, 70 % des dipl�m�s de l'enseignement sup�rieur et 53 % des titulaires du baccalaur�at avaient approuv� le trait� ; 61 % des dipl�m�s d'un BEPC/CAP et 54 % des sans dipl�mes l'ayant rejet�.
Les enqu�tes, notamment celles men�es par la Commission (Eurobarom�tre) � l'�chelle europ�enne, soulignent le m�me clivage entre soutien et rejet de l'Europe selon le niveau d'�tudes et de revenu. Ainsi l'Eurobarom�tre publi� en avril 2001 montre-t-il une diff�rence de soutien notable entre les Europ�ens interrog�s ayant quitt� l'�cole � quinze ans (41 %) et ceux ayant arr�t� les �tudes � temps plein � l'�ge de vingt ans ou plus (62 %). Cette diff�rence est du m�me ordre sur le plan social : les cadres sont 63 % � soutenir l'UE, tandis que les travailleurs manuels, les personnes au foyer et les ch�meurs sont seulement 44 %. Les donn�es publi�es depuis le d�but des ann�es 1980 montrent que ces clivages sont plut�t constants. Les r�sultats des sondages sont identiques en France en ce qui concerne le soutien ou le rejet de l'Europe par les Fran�ais.
En fait, au-del� des th�mes de la mondialisation et de la construction europ�enne, c'est bien la question de l'ouverture �conomique et culturelle du pays, et celle des valeurs que celle-ci v�hicule, qui semble faire l'objet d'opinions contrast�es dans les sondages. Les enqu�tes tendent � montrer, par exemple, que la perception de la construction europ�enne est plus ou moins li�e � une repr�sentation plus globale du monde fond�e sur l'ouverture ou la fermeture, tant en ce qui concerne les valeurs, l'�tranger ou la vision du monde. Ainsi, les personnes oppos�es � l'Europe se montrent plut�t favorables � des valeurs autoritaires. Elles privil�gient l'appartenance nationale et d�veloppent une vision assez pessimiste du monde. Les pro-Europ�ens, au contraire, d�fendent plut�t des valeurs lib�rales, apparaissent plus ouverts et ont une vision assez optimiste du monde. On peut l�gitimement supposer que cette repr�sentation globale influe �galement sur la perception de la mondialisation.
Ces pr�occupations face � la mondialisation, ce clivage entre �lites et opinion et cet �cart, au sein de cette derni�re, entre, d'une part, des cat�gories relativement plus favoris�es, optimistes et ouvertes, et, d'autre part, des cat�gories relativement plus d�favoris�es, pessimistes et ferm�es, sont � prendre en compte de mani�re s�rieuse par les instances repr�sentatives traditionnelles et par les gouvernements. Certes, la mondialisation n'est pas la cause de l'ensemble de ces ph�nom�nes. Cependant, elle tend � les aggraver et � cristalliser la plupart des frustrations. De ce point de vue, elle a des cons�quences certaines sur la d�mocratie repr�sentative dans les pays industrialis�s et constitue, d'une certaine mani�re, un risque, dans la mesure o� de nouveaux groupes contestataires ou mouvements politiques, quelquefois radicaux et populistes, sont susceptibles d'exploiter ces frustrations. Leur retentissement actuel r�side en effet, en grande partie, sur la concomitance de leurs critiques et des pr�occupations manifest�es par les opinions publiques face � la mondialisation, telles qu'elles sont perceptibles dans les sondages, notamment lors d'�v�nements particuliers, par exemple l'annonce de fermetures d'usine (comme ce fut le cas au printemps 2001 avec les d�cisions du groupe Danone et de Marks & Spencer).
La prise en compte des int�r�ts et des souhaits des cat�gories d�favoris�es appara�t d�s lors comme l'un des enjeux clefs, tout particuli�rement pour les mouvements progressistes. Le d�bat au sein de la majorit� plurielle en France, dans la perspective des �lections pr�sidentielles et l�gislatives de 2002, ou au sein du parti d�mocrate durant la derni�re campagne pr�sidentielle aux �tats-Unis en sont, ou en ont �t�, les r�v�lateurs.