GEOPO_27 IFRI IFRI r�cup�ration du fichier au format texte Mai Ho-Dac cr�ation du header Mai Ho-Dac pretraitement et balisage du texte selon la TEI P5 Mai Ho-Dac 14/09/2009 CLLE-ERSS
Maison de la recherche 5 all�es Antonio Machado F 31058 TOULOUSE CEDEX

exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique

ne peut �tre utilis� � des fins commerciales

Dominique DAVID 11 septembre : premi�res le�ons strat�giques IFRI www.ifri.org/files/politique_etrangere/PE_4_01_David.pdf

ANNODIS

projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM

objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement

encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5

http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc

GEOPO article geopolitique
french

Politique �trang�re 4/2001

11 septembre : premi�res le�ons strat�giques Dominique DAVID

Les attentats du 11 septembre expriment un monde, celui de l'apr�s-guerre froide, �cartel� entre l'acc�l�ration de la mondialisation et le pourrissement des affrontements provinciaux. Ils vont nous contraindre � ouvrir une nouvelle �tape de la mutation de notre pens�e strat�gique entreprise voici dix ans. Ce qui doit �tre revu, c'est � la fois l'articulation entre les composantes militaires et non-militaires de nos strat�gies, et des politiques de d�fense qui ont trop longtemps ignor� que les soci�t�s d�velopp�es produisaient leurs propres vuln�rabilit�s.

Les �v�nements du 11 septembre, comme les autres, expriment leur monde : le n�tre. Un monde que nous peinons � comprendre et que nous �chouons encore � gouverner, en d�pit de toutes nos tentatives, de tous les mod�les mani�s depuis dix ans.

Quel monde rend ceci possible?

Si nous l'observons � travers des crit�res strat�giques pour �valuer les rapports entre forces et dessiner les espaces o� ils s'exercent, ce monde appara�t, depuis dix ans, � la fois de plus en plus d�cloisonn� et de plus en plus provincial. D�cloisonn� : l'acc�l�ration de la mondialisation a abattu nombre d'obstacles � la diffusion des images, des biens et des hommes, relativisant donc les �quilibres locaux. Elle s'accompagne en outre d'un discours sur son �vidence, son caract�re irr�pressible - discours �minemment id�ologique qui se r�clame de la mort des id�ologies. Provincial, puisque, sous le grand vent de l'unification, et � proportion de l'absence d'institutions politiques lui correspondant, les dynamiques r�gionales, les abc�s locaux se d�veloppent. Le monde est peut-�tre unique, mais couvert d'une peau de l�opard qui montre plus de diversit�s, plus de contradictions.

Le terrorisme, tel qu'il appara�t dans ses habits neufs du 11 septembre 2001, renvoie au double caract�re de ce temps. Il est � la fois le produit de probl�mes locaux ou r�gionaux, et celui de la revendication d'un universel qui s'opposerait � la seule id�e globale r�gnante, celle du monde vu comme un syst�me de march�s, symbolis� par les id�es et la puissance de l'Am�rique.

Le jeu du provincial et de l universel

La d�termination par le local ou le r�gional ne peut �tre ni�e. Les blocages diplomatiques des derniers mois au Proche-Orient n'ont pu, pour de simples raisons de chronologie, produire les attentats. Mais le pourrissement discret, puis brutal, de la relation isra�lo-palestinienne, la d�gradation de long terme de la situation dans la Corne de l'Afrique, le caract�re � la fois ill�gitime et inefficace de nombre de r�gimes arabes contest�s par les mouvements islamistes radicaux, et la longue trag�die de l'Afghanistan d�bordant sur l'Asie centrale ont manifestement jou� un r�le dans l'envol des actes et les mutations des r�seaux terroristes. Les attentats contre La Mecque de la mondialisation financi�re visent pourtant bien plus haut que la simple pression dans un conflit d�termin� : ils s'attaquent � un monde, celui que repr�sente l'Occident, et donc l'Am�rique, avec sa dominance �conomique, militaire et culturelle. En esp�rant que les r�ponses de l'agress� seront suffisamment erratiques pour aider � cristalliser un sentiment mondial, universel, qui se l�verait contre l'universel ha� des �tats-Unis.

Produit monstrueux d'une combinaison de provincialisme et d'universel, notions qui prennent un nouveau sens avec le d�senclavement et la segmentation de l'apr�s-guerre froide, le terrorisme new look exprime aussi la fluidit� de notre environnement strat�gique. Enjeux permanents, acteurs identifi�s et forces paisiblement mesurables appartiennent au pass�. La topographie de l'international (son d�coupage en espaces) et sa sc�nographie (son �clatement en acteurs) �voluent rapidement, en grande partie du fait de l'affaiblissement des fronti�res physiques ou techniques. Les ph�nom�nes terroristes prolif�rent au croisement de quatre grandes circulations : celle des mots et des images (qui permet de bricoler des solidarit�s entre des soci�t�s tr�s diff�rentes), celle des capitaux (qui autorise la mise sur pied de logistiques performantes), celle des armes (qui ouvre sans cesse le champ des dangers futurs), et celle des hommes. Mouvements in�galement r�partis sur la plan�te, mais qui, ensemble ou s�par�ment, touchent tous les th��tres strat�giques et rendent plus difficiles les op�rations de police ou de d�fense int�rieure, hier aid�es par la distinction claire entre l'en-dedans et l'en-dehors. Mouvements qui cr�ent ou m�tamorphosent des acteurs, des risques, que ne sont pas habitu�s � traiter nos appareils de d�fense.

Fin de cycle ou terrorisme new look ?

Dans ce monde-l�, les grandes puissances - celles qui ont les moyens � la fois d'une d�fense territoriale et d'une projection strat�gique de forces - semblent h�siter entre la volont� d'intervenir dans certaines crises, et la tentation de se replier sur leurs int�r�ts nationaux - cette tentation encadrant et organisant, � l'occasion, l'intervention. Ces puissances apparaissent ainsi doublement suspectes aux " provinciaux " : suspectes de tenter d'imposer une volont� internationale �lev�e sur des principes contest�s, et de promouvoir leurs int�r�ts �go�stes d'�tats. Ce monde trop vite imagin� pacifi� est bien d�r�gul�, peu ou mal gouvern�, et agit� de conflits plus nombreux, aux formes nouvelles, qui mettent souvent en oeuvre des moyens qui maximisent l'efficience de petits groupes humains.

Dans ce contexte, l'agression du 11 septembre est � la fois peu nouvelle et in�dite. Peu nouvelle pour l'instrument : c'est le concept d'emploi qui fait du Boeing une arme de jet d�vastatrice (ce qui nous rappelle opportun�ment qu'en strat�gie innovation n'est pas toujours synonyme d'invention technique). La non-revendication des attentats, not�e par plusieurs observateurs, n'est pas non plus nouvelle. Elle est usuelle en mati�re de terrorisme : elle augmente la terreur et bride la r�ponse en compliquant l'identification de l'adversaire. L'absence des tentatives habituelles de r�cup�ration s'expliquant simplement par l'ampleur de l'horreur.

Les attentats de New York sont pourtant in�dits. Ils installent d�finitivement les �tats-Unis dans une position de cible qui correspond � l'�tendue de leur puissance. Jusqu'ici, l'Am�rique semblait ne pouvoir �tre touch�e gravement que par un acte de guerre massif (attaque balistique, nucl�aire...) ; les Europ�ens �taient les victimes beaucoup plus vraisemblables du terrorisme. L'importance des moyens mobilis�s, en termes de recrutement, de formation, de financement, bref, l'organisation et la constance dans le projet strat�gique apparaissent �galement neufs. Tout comme l'�largissement du vivier des candidats au terrorisme-suicide, qui ne se recrutent pas, ou plus seulement, dans les peuples souffrant d'une insupportable domination, ou dans les milieux sociaux marginaux. Enfin, le 11 septembre est in�dit dans ce qu'il ne montre pas mais laisse entrevoir : l'usage possible, avec une tactique comparable, d'armes plus terribles encore. Pour toutes ces raisons, ces attentats ouvrent un nouveau front, r�v�lent une b�ance de notre d�fense, secouent la routine de nos d�bats strat�giques.

La fracture du d�bat strat�gique

Depuis dix ans, la grande affaire des syst�mes militaires occidentaux est la marginalisation de la menace territoriale massive. Concepts strat�giques, mod�les de manoeuvre des forces, organisation m�me de ces forces : tout doit changer dans des pays qui ont toujours dessin� leurs syst�mes de d�fense pour r�sister � l'invasion du territoire ou pour mener une grande guerre classique, les autres hypoth�ses �tant jug�es secondaires. C'est la fin, au moins provisoire, de la grande forme guerri�re, qui vise � employer, contre un adversaire clairement identifi�, et au mieux de mani�re d�cisive, une concentration de puissance potentiellement infinie. Les logiques, les r�gles, les appareils d'une vulgate clausewitzienne soigneusement appliqu�e depuis deux si�cles apparaissent d�class�s sur un �chiquier o� conflits et acteurs appellent d'autres manoeuvres, d'autres r�ponses. D'o� des r�formes en cascade d'appareils militaires qui savent qu'ils n'ont gu�re de chance d'�tre utilis�s " en bloc " (concept de modularit� des forces), ni d'�tre utilis�s dans le seul cadre national (concept d'interop�rabilit�).

Deux obsessions : l intervention et la technique

Apr�s avoir �cart� l'id�e qu'une menace Sud pourrait remplacer la menace Est pour l�gitimer des appareils militaires inchang�s, on s'est d'abord attach� au r�glement de crises ext�rieures. Si la s�curit� internationale n'est plus mise en cause par des hypoth�ses d'invasions massives, mais par les effets induits d'abc�s locaux, l'intervention de stabilisation prend tout son sens. Les op�rations internationales qui se sont succ�d� nous ont ainsi oblig�s � penser l'usage de nos moyens d'action, et sp�cialement de nos forces militaires, dans une autre configuration que celle du conflit classique. Il s'agissait bien (voir les efforts de l'Union europ�enne depuis 1998 pour d�finir les instruments adapt�s aux " hypoth�ses de Petersberg ") de penser, pour l'en-dehors, " autre chose que la guerre ".

Parall�lement s'affirmait, dans un contexte o� la menace �tait moins proche et l'engagement humain plus incertain, l'emprise de la logique technique. Les attitudes am�ricaines sont ici dominantes, avec un formidable effet de contagion sur nos raisonnements. Deux directions ont ainsi �t� privil�gi�es : le recours aux technologies de l'information, tout d'abord, pour acqu�rir � distance une connaissance d'espaces strat�giques choisis et y agir militairement en limitant l'engagement physique des forces, ou en en maximisant l'effet : double probl�matique d'une domination � distance de l'espace d'affrontement et du champ de bataille �ventuel ; puis l'enr�lement de ces m�mes techniques dans une entreprise visant � resanctuariser des espaces nucl�aris�s contre le double risque de la prolif�ration des missiles balistiques et de celle des armes de destruction massive.

En bref, les d�bats strat�giques de ces dix derni�res ann�es ont, sp�cialement en Europe, tourn� autour de deux questions-clefs :

peut-on inventer un concept int�gr� d'intervention ext�rieure au service de la gestion des crises, englobant le militaire dans un cadre plus large, et red�finissant les modes d'usage de ce militaire ? quelle place les technologies nouvelles doivent-elles prendre dans les strat�gies militaires - concepts et mat�riels -, et modifient-elles ces strat�gies ?
Penser autre chose que la guerre

Ces d�bats ont laiss� de c�t� l'hypoth�se d'une atteinte massive non-conventionnelle aux sanctuaires. Les syst�mes de d�fense �taient l� pour parer � une atteinte militaire massive. Rien ne permettait de penser que, r�gl�s sur l'hypoth�se sovi�tique, ils ne seraient pas pertinents pour des affrontements inter�tatiques beaucoup moins dangereux. Quant aux hypoth�ses non-conventionnelles, en particulier les sc�narios terroristes, on les tenait dans des limites imagin�es d'apr�s les exp�riences pr�c�dentes des ann�es 1980 ; ou on les renvoyait aux technologies �mergentes, donc � un avenir plus ou moins lointain.

La d�marche que nous avons suivie pour l'en-dehors (d�couvrir et organiser " autre chose que la guerre "), les �v�nements du 11 septembre nous forcent � l'appliquer � l'en-dedans. Car la proclamation de l'�tat de guerre face au terrorisme ne r�sout nulle question. La situation h�rit�e des attentats n'est pas la guerre dans sa d�finition sociologique : l'affrontement sanglant et arm� entre groupes humains organis�s et de statuts comparables. Et elle n'est pas non plus la guerre dans sa d�finition fonctionnelle : une situation qui appelle l'utilisation de l'appareil militaire tel qu'il est - et c'est justement pourquoi la r�plique est si difficile � concevoir...

La question centrale n'est pas ici la qualification de l'�tat d'affrontement, mais l'appr�ciation des vuln�rabilit�s et, par cons�quent, celle des moyens d'y parer. La vuln�rabilit� sp�cifique de nos soci�t�s d�velopp�es doit de toute �vidence occuper une place centrale dans nos raisonnements. Cette vuln�rabilit� est un th�me r�current ces derni�res ann�es, mais tout se passe comme si son ampleur et sa dynamique n'avaient �t� que confus�ment per�ues.

Des soci�t�s modernes hautement vuln�rables

Au coeur du d�bat, ce th�or�me : la vuln�rabilit� globale des soci�t�s sophistiqu�es cro�t plus rapidement que les moyens techniques d'y parer. Ce qui ne signifie pas que ces soci�t�s soient � tout moment menac�es, ni qu'elles soient, in�vitablement, de plus en plus menac�es, mais que leur sophistication diversifie les vuln�rabilit�s et en change la nature. Par la concentration de leur habitat, des ressources n�cessaires � leur survie et des r�seaux d'�changes, par la sophistication de leurs m�canismes �conomiques ou techniques, nos soci�t�s sont �videmment vuln�rables � des agressions qui n'exigent que la r�union de moyens limit�s - ceux-ci pouvant �tre raffin�s (le progr�s technique cr�e aussi des moyens d'attaque) ou rustiques.

Strat�giquement, la d�monstration du 11 septembre est limpide. Pour frapper un pays d�velopp� de telle sorte qu'un coup limit� ait un large effet, il faut refuser d'entrer sur le champ d'affrontement o� ce pays contr�le une �crasante palette de moyens, et le frapper l� o� sa sophistication est une faiblesse et non une force. Il y a tout � parier que si, dans un proche avenir, un conflit met en cause les sanctuaires des pays d�velopp�s, l'affrontement tournera autour de ces vuln�rabilit�s : syst�mes informatiques et m�diatiques, approvisionnement des grandes zones urbaines, maillons dangereux de la cha�ne industrielle, populations mal prot�geables contre des attaques de masse, etc.

Le progr�s technique est in�gal selon les zones de la plan�te, les acteurs y recourent donc de mani�re diversifi�e. Et le progr�s technique a, en mati�re de d�fense, des effets contradictoires. La technique est donc le probl�me strat�gique, et non le moyen de r�soudre ce probl�me, constat qui nous emm�ne loin de certains r�flexes am�ricains : installer la technique au centre du raisonnement strat�gique, c'est sans doute se pr�parer � des guerres qui n'auront jamais lieu. Il n'y a aucune raison de penser que l'ennemi acceptera d'entrer sur le champ de bataille (num�rique ou non...) que nous contr�lerons, ou qu'il voudra bien tirer la salve de missiles que nos syst�mes sont pr�cis�ment faits pour intercepter. Il serait aussi dangereux d'ailleurs de tout voir � travers les formes d'affrontement et les instruments d'hier, par exemple en n�gligeant les perc�es qui cr�ent de nouveaux moyens d'agression.

Il faut appr�hender le monde des rapports de forces en suivant la totalit� de ses formes et des hypoth�ses qu'il nous impose. T�che immense, impossible, mais qui suppose d'abord de r�cuser le mythe du monde unique. Pas plus en mati�re de strat�gie qu'en �conomie, nous ne vivons dans un monde � logique univoque, tel syst�me militaire, tel concept pouvant parer � la quasi-totalit� des futurs possibles. Les espaces strat�giques sont h�t�rog�nes, les acteurs disposant de leviers efficaces de plus en plus nombreux, et leurs strat�gies de plus en plus diverses, dans un monde o� coexistent le " sauvage " et le " mutant " technologique. Nous ne pourrons pas ma�triser cette r�alit� complexe en haussant ou en baissant le curseur technique de nos armes : il faut en revenir au politique.

Strat�gies militaires et strat�gies de s�curit�

Le temps nous le rappelle brutalement : la s�curit� est le produit volatil de facteurs composites - alors que nous avons h�rit� de la guerre froide l'id�e qu'elle �tait, pour l'essentiel, un produit militaire pouvant se stabiliser par l'accumulation de moyens mat�riels. Produit volatil : la s�curit� " consolid�e ", absolue, n'existe pas, d'abord parce qu'elle n'est jamais qu'une perception, ensuite parce qu'aucun syst�me total, totalitaire, de d�fense n'�limine le risque. Produit de multiples facteurs : diplomatiques (qui organisent et r�gulent les rapports conflictuels), �conomiques (qui usent des �changes pour d�velopper et rapprocher, en m�me temps qu'ils d�finissent les richesses mobilisables pour la d�fense), culturels (qui font dialoguer des soci�t�s humaines irr�ductibles l'une � l'autre) et, bien s�r, militaires (pour g�rer les crises ou, simplement, se d�fendre). Imaginer une s�curit� bas�e sur la seule d�fense militaire est tout aussi irresponsable qu'inefficace. La lutte contre le terrorisme, comme toute strat�gie de s�curit�, combine donc de multiples manoeuvres. M�me si l'urgence impose le d�mant�lement physique des r�seaux terroristes, seule une d�marche complexe, int�gr�e, peut nous garantir - et toujours relativement - contre leur �ternel et prolif�rant retour.

Le militaire demeure au coeur de ces strat�gies de s�curit�. L'exp�rience du 11 septembre va pousser � aborder d'un autre oeil le d�bat sur des moyens qui n'ont aucune vertu en soi et ne valent que dans un environnement d�termin�. Quelle peut �tre d�sormais la pertinence des syst�mes de d�fense territoriaux : quelle d�fense du territoire d�finir qui ne renvoie pas aux mod�les du XIXe si�cle ? Quelle r�flexion mener sur les armes du champ de bataille, si nous ne connaissons ni le champ, ni la bataille ? Quel r�le pourraient jouer les syst�mes techniques d'interception, si l'on consid�re que les missiles constituent d�sormais un moyen privil�gi� d'exporter les conflits au coeur de nos soci�t�s ?

Recompositions g�opolitiques et institutionnelles

Le traumatisme du 11 septembre est gros de recompositions g�opolitiques dont il est difficile d'appr�cier l'ampleur (peut-�tre sur�valu�e sous l'effet du choc). La r�union de l'immense majorit� des �tats contre le terrorisme international ne sera pas la plus difficile � former. Il est en effet une menace pour tous ces �tats, quels que soient leurs objectifs ou leur degr� de d�mocratie. L'adh�sion des populations pose de tout autres probl�mes. Elle pourrait �tre gravement mise en cause, si se formait une dynamique de peuples s'identifiant comme victimes de la logique de mondialisation, et tourn�e contre ceux qu'ils en jugeraient b�n�ficiaires. Si une telle dynamique collait � une division culturelle, par exemple singularisant le monde musulman, elle conduirait droit � la catastrophe.

Toute strat�gie militaire, diplomatique, �conomique ou culturelle susceptible d'aggraver cette perception d'un �cart par rapport au ph�nom�ne dominant de mondialisation impuls� par le monde riche, toute strat�gie qui faciliterait une cristallisation (politique ou religieuse) anti-occidentale, endosserait une lourde responsabilit� � long terme. C'est dans cette perspective aussi que doit �tre appr�ci� le d�ploiement de certains syst�mes militaires. L'�rection de hauts murs contre des menaces inactuelles peut se transformer en incitation � tourner la forteresse, politiquement (en faisant na�tre une vraie opposition, voire une vraie menace) ou militairement (en utilisant des m�thodes in�dites). C'est l� une partie de la probl�matique des syst�mes d'interception des missiles balistiques � longue port�e.

Cette �ventuelle cristallisation anti-occidentale - objectif majeur des terroristes � la Ben Laden - ne peut �tre �cart�e que par une strat�gie multimodale : r�union la plus large des �tats dans un souple front de coop�ration anti-terroriste ; aide �conomique, politique, militaire, � la stabilisation r�gionale, au Proche-Orient, en Asie centrale, voire en Asie du Sud-Est ; incitation � la d�mocratisation de r�gimes largement rejet�s en m�me temps que l'Occident qui les soutient ; enfin, int�gration, chez nous, de populations issues d'une immigration qui se d�veloppe d�sormais dans la logique de la globalisation.

Les structures de s�curit� adapt�es au monde modifi� par le 11 septembre seront, pour l'essentiel, d�finies par les �tats - surtout pour ce qui concerne la d�fense du territoire. Les cadres " durs " de s�curit� vont, au moins provisoirement, reprendre la main. Pour un ensemble " mou " comme l'Union europ�enne, cela sugg�re soit une re-nationalisation des politiques de d�fense des �tats-membres, soit une " nationalisation " relative de l'Union, avec la red�finition des objectifs et des moyens de la Politique commune de s�curit� et de d�fense, qui se limite pour l'heure � la gestion des crises ext�rieures. Les �ch�ances sont capitales pour l'Union. Qu'elle d�montre qu'elle peut r�pondre � l'interpellation nouvelle, et elle sortira de son inexistence politique. Qu'elle prouve qu'elle est en situation dans le nouveau jeu, avec des arguments propres sur les concepts strat�giques pertinents, sur la conception d'une technologie moins imp�riale dans les discours et les pratiques militaires, ou m�me sur le mod�le politique et social de la mondialisation, et l'Union se placera au centre du d�bat.

L'Alliance atlantique, quant � elle, va voir se red�ployer le d�bat sur son champ d'intervention, et donc sur son ouverture. En restera-t-elle au statu quo ante : coalition militaire � objectif limit�, orn�e d'un zeste de s�curit� collective - mais de peu d'utilit�, apparemment, dans une situation mettant sans conteste en cause la s�curit� d'un de ses membres ? Ou, tout en limitant ses �largissements, deviendra-t-elle enfin l'Alliance tous azimuts r�v�e, mezza voce ou non, selon les temps, par les �tats-Unis ? Ou sera-t-elle encore le support du large front politique form� sous la houlette am�ricaine : auquel cas il faudrait qu'elle s'�largisse beaucoup, sous une forme � d�finir, y compris et d'abord � la Russie, en relativisant, ou laissant diluer, sa d�finition militaire ?

On peut imaginer qu'on se dirige vers un double syst�me de solidarit�s. Les solidarit�s politiques et de coop�ration s'exprimeraient dans un grand ensemble � d�finir, et les solidarit�s de d�fense et de s�curit� dans des ensembles plus restreints, et peut-�tre durcis. Dans aucune de ces perspectives l'Organisation des Nations unies (ONU) n'appara�t tr�s pertinente, ce qui pourrait annoncer un nouveau retrait, de fait, de son influence. Sans r�forme profonde, l'organisation mondiale appara�t bien incapable de d�passer ses propres proclamations - l�gitimes, mais courtes. Une hypoth�se optimiste serait que la prise de conscience du d�calage actuel pousse � des d�cisions rapides, et que l'ONU puisse alors �tre le cadre d'expression de la solidarit� politique et de ses implications concr�tes, par exemple en mati�re de contr�le collectif des armes.

Redessiner les d�bats de d�fense ?

Les options de d�fense concr�tes devront aussi �tre adapt�es � l'�volution des risques. On peut surtout penser � quatre orientations.

Une r�vision de nos vuln�rabilit�s en fonction de ce que nous avons appris des �v�nements, et de ce que nous savons des �volutions des technologies et de leur circulation. Le d�veloppement de moyens d'observation, de d�tection (l'affirmation d'une capacit� europ�enne est plus urgente que jamais), d'alerte et de renseignement (d�finition des objectifs, puisque les " services " voient d'abord o� on leur demande de regarder ; �largissement des coop�rations). L'appui sur les fonctions de police, de s�curit� int�rieure, de protection contre les effets d'armes nouvelles, et de projection de forces sp�ciales, ces derni�res pouvant �tre appel�es � dissoudre, � l'ext�rieur, une menace qui ne rel�verait pas d'un traitement militaire lourd. L'approfondissement de la r�flexion sur les d�fenses antimissiles de th��tre. L'utilit� de ces derni�res pourrait �tre r��valu�e � la lumi�re des �v�nements r�cents, dans l'optique de protections ponctuelles du territoire ou de troupes d�ploy�es � l'ext�rieur. On ne donne ces orientations qu'� titre d'exemple. Toutes d�pendent d'une d�marche plus fondamentale : celle qui red�finira l'espace pertinent pour penser nos politiques de d�fense et de s�curit�. Et cet enjeu ne peut pas �tre strictement national. Les �v�nements du 11 septembre et ceux qui les ont suivis nous obligent � repenser � la fois le contenu de nos politiques et l'espace de leur d�finition ; et la dimension collective, c'est-�-dire, pour nous, europ�enne, s'impose � chaque fois.

La fin du syst�me bipolaire a impos� une large r�vision de nos politiques de s�curit�, mais le monde va plus vite que les adaptations institutionnelles. C'est une autre �tape qui s'ouvre aujourd'hui, sans que nous en connaissions les contours, ni le terme. Les d�cisions qui vont �tre prises devront pourtant rester assez souples pour ne pas biaiser notre compr�hension des �volutions en cours. Car si le temps de la d�cision politique est rapide, celui de l'intelligence du monde est lent.