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Etienne de Durand LES TRANSFORMATIONS DE L'US ARMY IFRI www.ifri.org/files/policy_briefs/Etudes_1_dedurand.pdf

ANNODIS

projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM

objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement

encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5

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GEOPO article geopolitique
french
LES TRANSFORMATIONS DE L'US ARMY Etienne de Durand

Les �tudes de l'Ifri 1

Juillet 2003

L'Ifri est en France le principal centre ind�pendant de recherche, d'information et de d�bat sur les grandes questions internationales. Cr�� en 1979 par Thierry de Montbrial, l'Ifri est une association reconnue d'utilit� publique (loi de 1901). Il n'est soumis � aucune tutelle administrative, d�finit librement ses travaux et publie r�guli�rement ses activit�s.

Cette �tude n'aurait pu voir le jour sans l'aide du minist�re de la D�fense. Gr�ce au concours de la D�l�gation aux affaires strat�giques (DAS) et de la mission militaire de l'ambassade de France � Washington, il a �t� possible de rencontrer un certain nombre d'experts am�ricains, civils et militaires, qui ont permis de mieux comprendre les origines et les enjeux du processus de " transformation " en cours. L'auteur tient donc � remercier tous ceux qui ont particip� � ce travail, directement ou indirectement. Pour autant, les opinions exprim�es dans ce rapport n'engagent que lui, et ne sauraient en aucun cas �tre attribu�es au minist�re de la D�fense ou � l'Ifri.

Introduction g�n�rale � If it ain?t broken, don?t fix it. � Proverbe am�ricain

Pour l'observateur ext�rieur, l'imp�ratif de " transformation " des forces arm�es am�ricaines et les pol�miques qui entourent le sujet ont de quoi surprendre � plus d'un titre. Pourquoi " transformer " une arm�e universellement reconnue comme la premi�re au monde, et dont les performances durant la derni�re d�cennie ont �t� tr�s sup�rieures � celles des ann�es 1970 et 1980 ? Pour qui conna�t en revanche la nature emphatique et le caract�re cyclique des d�bats strat�giques aux Etats-Unis, la Revolution in Military Affairs (RMA, ou r�volution dans les affaires militaires) et ses succ�dan�s risquent d'appara�tre comme l'" �ternel retour du m�me ". Le danger est donc double, selon que l'on sous-estime la port�e de ce qui se passe aujourd'hui ou, qu'� l'inverse, on prenne au pied de la lettre les d�clarations officielles et le va-et-vient des critiques et des r�ponses, sans parvenir � en distinguer les �l�ments significatifs perdus au milieu du " bruit ". Il convient pour cette raison de faire la part entre les controverses concernant la strat�gie g�n�rale du pays, les objections de fond adress�es aux forces am�ricaines par certains critiques ext�rieurs et les arguments int�ress�s qui s'inscrivent, si naturellement aux Etats-Unis, dans la routine des querelles budg�taires entre arm�es.

Comme l'attestent en surface les documents programmatiques, tant du d�partement de la D�fense que des hi�rarchies militaires, les trois arm�es, � l'exception toutefois du corps des Marines, se sont appropri� les objectifs et le vocabulaire de la RMA et de la " transformation ". Il n'est que de se reporter au document Joint Vision 2020, aux �quivalents internes de chaque Service (Army Vision 2010) ou au texte de la Quadrennial Defense Review (Revue quadriennale de d�fense ou QDR) pour le constater : il est d�sormais rare qu'un programme d'armement ou une r�organisation de structures ne soient pas pr�sent�s comme transformational - ce qui am�ne bien entendu � s'interroger sur la r�alit� de cette conversion des militaires aux th�ses de la RMA. Au vrai, les appr�ciations port�es � l'int�rieur de chaque arm�e sur les m�rites de la " transformation " sont diverses, d'autant que le d�bat g�n�ral autour de la RMA ne se laisse pas facilement r�duire � une opposition frontale entre argumentaires " moderniste " et " traditionaliste ". Les �volutions parall�les de la technologie et du contexte international ont bien eu un effet double, tant au niveau objectif, avec l'allongement des port�es et l'augmentation de la pr�cision, qu'au niveau des perceptions engendr�es par le succ�s des op�rations a�riennes. Latente au d�but des ann�es 1990, cette double pression de la r�alit� et des discours construits autour d'elle s'est renforc�e au fur et � mesure, pour s'exprimer ouvertement � partir de 1999, tout particuli�rement en direction de l'arm�e de terre am�ricaine (Army), jusqu'� rendre intenable la d�fense du statu quo.

A la diff�rence de la Navy ou de l'US Marine Corps (Marine), l'Army occupe une place centrale dans le d�bat strat�gique actuel, parce qu'elle repr�sente un cas d'�cole, un repoussoir ou un test critique pour le courant qui se r�clame de la RMA, pour les traditionalistes sceptiques comme pour l'analyste ext�rieur cherchant � mesurer la progression des r�formes en cours et la r�alit� de leurs enjeux. Parmi ces derniers, on peut citer en vrac la red�finition des r�les respectifs de la manoeuvre terrestre et des frappes � longue port�e, la n�cessit� ou non du combat rapproch�, l'impact des communications modernes sur le commandement ou encore les modalit�s de l'interarmisation. De fa�on plus fondamentale parce que plus politique, l'�chec du plan de transformation de l'Army ou m�me certaines formes de sa r�ussite, selon les modalit�s qui seront privil�gi�es, pourraient affaiblir consid�rablement cette institution dans le d�bat strat�gique et budg�taire am�ricain, jusqu'� remettre partiellement en cause la fonction et l'existence m�me des forces terrestres autres qu'exp�ditionnaires, ce qui ne saurait manquer d'alt�rer en profondeur la posture militaire des Etats-Unis et leur r�pertoire d'options envisageables. En d'autres termes, la r�forme entreprise par l'Army est susceptible d'entra�ner des cons�quences non neutres sur la strat�gie g�n�rale des Etats-Unis concernant l'emploi de la force, et donc sur leurs alli�s. Evaluer le d�tail du plan Shinseki et ses r�percussions possibles implique cependant au pr�alable de replacer cette r�forme dans son contexte historique et politique.

L'urgence de la transformation proc�de pour l'Army de facteurs multiples, � la fois structurels et conjoncturels. Les premiers s'expliquent par l'inadaptation grandissante de l'Army au contexte strat�gique actuel, inadaptation qui tient elle-m�me � des raisons profond�ment enracin�es dans la " culture " de l'institution, c'est-�-dire dans la fa�on dont elle per�oit sa propre histoire et les enseignements qu'elle en retient. Parmi ces raisons, on trouve � la fois une pr�f�rence marqu�e pour le combat de haute intensit�, le " contre-mod�le " vietnamien et les " le�ons " qui en ont �t� tir�es, telle la " doctrine Powell ", enfin les d�bats doctrinaux des ann�es 1980 ou encore le triomphe du Golfe. De fa�on plus imm�diate, cette inadaptation partielle est devenue visible, c'est-�-dire politiquement dommageable pour l'institution, lors de l'intervention occidentale au Kosovo. C'est bien le Kosovo en effet, et plus sp�cifiquement le fiasco du d�ploiement et de la non-utilisation de la " Task Force Hawk ", qui a contraint l'Army � modifier les orientations d�finies auparavant en interne et � pr�cipiter ce qui, jusque-l�, �tait davantage un processus de modernisation et d'anticipation qu'une " transformation ".

En ce sens, comprendre les pressions en faveur de la transformation comme les r�sistances manifest�es, et plus g�n�ralement appr�hender les enjeux de la r�forme en cours, suppose de replacer le d�bat dans son contexte historique, en partant de l'" h�ritage " des cinquante derni�res ann�es et de ce qui fait la culture de l'Army, pour s'interroger ensuite sur la nature du plan Shinseki, ses origines imm�diates et la rupture qu'il introduit par rapport aux initiatives ant�rieures comme " Force XXI " et " Army After Next ". L'�tude se conclut par une �valuation du projet qui prend en compte les aspects op�rationnel, strat�gique et politique.

I. L'h�ritage

Contrairement � ce que pourrait laisser croire un survol superficiel de l'histoire militaire des Etats-Unis, la fin de la guerre froide ne constitue que l'une des ruptures intervenues dans l'histoire des cinquante derni�res ann�es de l'Army : il existe des pr�c�dents infiniment plus nombreux qu'on ne l'imagine g�n�ralement, et qui ne se limitent ni � la professionnalisation initi�e en 1973, ni m�me aux transitions entre p�riodes d'engagements massifs et p�riodes de calme relatif. Il n'est pas exag�r� de dire que l'Army n'a jamais cess� d'exp�rimenter de nouvelles structures de force, stimul�e par trois s�ries de facteurs : les changements de la politique �trang�re am�ricaine et des postures strat�giques correspondantes, les d�veloppements autonomes de la technologie et, enfin, la volont� propre des cadres de l'institution d'am�liorer les organisations existantes et de tester des concepts d'emploi innovants. Fait de bifurcations, de r�orientations et de retournements, cet h�ritage complexe constitue l'arri�re-fond indispensable � qui veut comprendre l'institution d'aujourd'hui, ses pesanteurs, ses aspirations et tout ce qui repr�sente finalement la " mati�re premi�re " du plan Shinseki.

La tradition de la " grande guerre "

Quatre p�riodes principales sont rep�rables dans l'histoire de l'Army, depuis la matrice des deux guerres mondiales jusqu'� l'op�ration " Temp�te du d�sert " (" Desert Storm "), en passant par les ann�es 1950 et le Vietnam.

Les guerres mondiales, matrices de l'arm�e de terre am�ricaine

Pendant tout le XIXe si�cle, et si l'on met entre parenth�ses la guerre de S�cession, l'Army a d'abord �t� " a Frontier Army ", c'est-�-dire une " arm�e d'avant-postes " de tr�s petite taille (5 000 hommes en 1815) et dans laquelle les fonctions d'ing�nieur et de b�tisseur l'emportaient souvent sur les devoirs du soldat. Ni sa tr�s lente mont�e en puissance au cours du si�cle pr�c�dent, ni les rares exp�ditions militaires ou " aventures " coloniales (guerre mexico-am�ricaine de 1846, guerre hispano-am�ricaine de 1898), ni m�me la guerre de S�cession, d�couverte violente mais temporaire du combat � grande �chelle, n'ont fondamentalement modifi� cet �tat de choses. En parall�le cependant, le corps des officiers a tr�s t�t manifest� son int�r�t pour la " strat�gie " et son ambition profonde d'imiter les grands mod�les europ�ens : d'abord la France, h�riti�re de Napol�on - la plupart des g�n�raux de la guerre de S�cession connaissaient le M�morial de Sainte-H�l�ne -, puis l'Allemagne triomphante de la fin du si�cle, y compris les fragments d�form�s de la th�orie clausewitzienne, notions ou simples formules telles que " centre de gravit� ", " bataille d�cisive " ou " an�antissement de l'ennemi ". En ce sens, il est juste de dire que l'arm�e de terre am�ricaine est d'abord l'h�riti�re d'une tradition " franco-prussienne " de la " grande guerre ", au m�me titre que l'US Navy s'est toujours explicitement pens�e comme la l�gataire universelle de la Royal Navy.

C'est � l'occasion de la Premi�re Guerre mondiale qu'�merge l'arm�e de terre am�ricaine moderne. A l'�cole des Fran�ais et des Britanniques pendant deux ans, l'arm�e am�ricaine red�couvre la guerre de haute intensit� moderne, avec ses corollaires oblig�s comme la mobilisation de la population masculine, la mise sur pied d'une �conomie de guerre et la r�organisation de la production industrielle au profit de l'appareil militaire. Bien que les Etats-Unis aient obtenu la cr�ation d'un commandement et l'attribution de secteurs du front � leur profit, leur arm�e prit tardivement part au conflit et ne parvint donc pas � assimiler compl�tement la complexit� de la tactique moderne, engendr�e par l'accroissement sans pr�c�dent de la puissance de feu - ce dont t�moignent par exemple les combats men�s dans l'Argonne en 1918. Le bilan des op�rations fut mitig�, dans la mesure o� l'arm�e am�ricaine n'eut pas le temps de mettre au point une " solution " tactique originale au probl�me de l'offensive, mais s'appuya sur les doctrines fran�aise et anglaise pour mettre sur pied la division " carr�e ", sans en �tre v�ritablement satisfaite et sans parvenir d'ailleurs � ma�triser le d�tail tactique des op�rations aussi bien que ses alli�s. Au final, l'Army s'est surtout repos�e sur le nombre de soldats et la quantit� de mat�riels � sa disposition. En sens inverse, l'exp�rience de la Premi�re Guerre mondiale a permis de jeter les bases des proc�d�s de mobilisation humaine et industrielle n�cessaires en guerre totale, ainsi que celles d'un bagage tactique minimum.

La d�mobilisation de 1919, si elle a maintenu un effectif de 100 000 hommes, c'est�-dire tr�s sup�rieur aux pr�c�dents contingents de temps de paix, s'est toutefois sold�e par un retour � la routine et par un manque certain d'investissement dans les domaines novateurs comme les chars. R�duit par manque de moyens � suivre les �volutions doctrinales allemandes ou fran�aises pendant la meilleure part de l'entre-deux-guerres, le commandement, sous la direction des g�n�raux Craig et Marshall, acc�l�re ses pr�paratifs � partir de 1935 en r�organisant les structures de l'Army et en pr�parant les plans d'une remobilisation massive. Test�e de 1936 � 1939 par des manoeuvres de plus en plus importantes, dont les fameuses " Lousiana maneuvers " de 1939, l'adoption de la " division triangulaire " correspond � une mise � niveau de l'arm�e de terre am�ricaine par rapport � ses homologues europ�ennes ; la m�me attention au d�tail et � l'exp�rimentation est apport�e � la constitution de divisions blind�es (armored). Dans l'ensemble, l'exp�rience de la guerre valide ces mod�les, tout en mettant en �vidence le besoin fr�quemment exprim� par les g�n�raux de compl�ter les divisions sur le terrain par des unit�s sp�cialis�es non divisionnaires (unit�s anti-tanks ou antia�riennes, artillerie, g�nie, etc.). Pour cette raison, les autres mod�les divisionnaires �tudi�s (divisions m�canis�es, l�g�res, de cavalerie) sont abandonn�s pendant la guerre.

Toutefois, c'est davantage dans le domaine de la logistique et de la gestion que l'arm�e am�ricaine fait preuve d'une originalit� certaine. Tr�s ax�e sur l'efficacit� gestionnaire, les �conomies d'�chelle et la mise sur pied de forces de grande taille, enti�rement motoris�es et dot�es de mat�riel en grande quantit�, l'arm�e am�ricaine porte assez peu d'attention � la qualit� des �quipements ou des personnels. En particulier, l'attribution des sp�cialit�s et le syst�me de remplacement souffrent d'une v�ritable obsession de l'" efficience " �conomique et gestionnaire. Cette politique consiste tout d'abord � placer syst�matiquement en premi�re ligne, c'est-�-dire dans l'infanterie, les recrues les moins qualifi�es, au niveau des hommes du rang comme des officiers, afin de r�server les �l�ments les plus talentueux pour les �tats-majors. Dans la mesure o� de nombreux officiers d'active se sont simultan�ment tourn�s vers des sp�cialit�s plus attractives en termes d'avancement ou de paie (en particulier l'Army Air Corps, future Air Force), les armes de m�l�e, et singuli�rement l'infanterie, souffrent d'un manque av�r� d'officiers et de sous-officiers de qualit� et doivent incorporer des hommes du rang qui ont, pour la plupart, un Q.I. en dessous de la moyenne. La faiblesse structurelle ainsi cr��e est encore renforc�e par le syst�me de remplacement en vigueur : au terme d'un s�jour individuel � l'arri�re (repos exceptionnel, blessure), les soldats sont envoy�s dans n'importe quelle unit� qui en exprime le besoin, et non dans l'unit� d'origine. Oblig�s de combattre au milieu d'" �trangers ", les soldats ne peuvent constituer ces " groupes primaires " dont la coh�sion est un facteur si important pour l'efficacit� au combat, comme le d�terminent d'ailleurs les travaux am�ricains de sociologie militaire des ann�es 1940 et 1950.

Dans ces conditions, il n'est gu�re surprenant que les premiers engagements de la Seconde Guerre mondiale se soient sold�s par des r�sultats assez d�cevants, que l'on pense � l'Afrique du Nord en 1942 ou � l'Italie un an plus tard. Sur un plan purement tactique, toutes choses �tant �gales par ailleurs - mais elles ne le sont jamais, �tant donn� la sup�riorit� alli�e en aviation tactique et en puissance de feu plus g�n�ralement -, l'arm�e am�ricaine ne peut rivaliser avec la Wehrmacht, ce qu'attestent toutes les �tudes comparatives men�es sur le sujet. A l'exception d'unit�s d'�lite comme les 82e et 101e a�roport�es, les unit�s am�ricaines, � l'instar de leurs homologues britanniques, compensent leur inf�riorit� tactique par un recours syst�matique aux appuis-feux de l'artillerie terrestre et navale et de l'aviation tactique. Ainsi, et exactement � l'inverse de ce que donnent � voir les films de guerre de l'�poque et ceux qui ont suivi, ce sont les Allemands qui combattent en situation d'inf�riorit� marqu�e et qui compensent par la t�nacit�, l'ing�niosit� tactique et l'utilisation du terrain (reliefs montagneux en Italie, bocage normand) ce qui leur fait d�faut en termes d'�quipement, de mobilit� et de puissance de feu ; ils parlent d'ailleurs de " Materialschlacht ", ou " guerre de mat�riel ", pour d�crire le " style op�rationnel " am�ricain. Par une suite de campagnes et d'engagements qui ne sontpas sans rappeler la Premi�re Guerre mondiale, l'arm�e am�ricaine s'impose donc sur le front occidental par le biais d'un combat d'attrition s'appuyant sur la sup�riorit� industrielle du pays et sur une logistique impressionnante. Dans la foul�e, elle applique le mod�le lointainement h�rit� de la guerre de S�cession : strat�gie militaire d'an�antissement de l'adversaire, recherche de la victoire compl�te et occupation du territoire.

Au final, et malgr� les d�boires rencontr�s en cours de route, la Seconde Guerre mondiale n'en repr�sente pas moins un triomphe pour l'Army qui remporte l� une victoire d�cisive, tant militairement que politiquement, au prix de pertes infiniment plus r�duites que celles subies par les autres bellig�rants, et sans qu'un �chec majeur ait jamais remis en cause l'institution. A l'issue des deux guerres mondiales, les traits distinctifs majeurs de l'arm�e apparaissent nettement et semblent fix�es pour longtemps : l'organisation se caract�rise par la mise sur pied de grandes divisions (plus de 15 000 hommes) autonomes, similaires les unes aux autres, et appuy�es sur une logistique sans �quivalent, qu'il s'agisse d'approvisionnements ou d'�vacuations sanitaires. A l'exception de chefs comme Patton, le style op�rationnel est rarement brillant, s'apparente davantage � la " bataille conduite " qu'au Blitzkrieg et cherche syst�matiquement � substituer le mat�riel aux hommes. Ces d�fauts tactiques ou op�rationnels laissent d'autant moins de traces que l'euphorie de la victoire va de pair avec la d�fense d'une cause per�ue comme juste par l'�crasante majorit� de la population, et est imm�diatement suivie par une p�riode de prosp�rit� �conomique qui tranche avec le souvenir de la d�pression de 1919. Jusque dans ses cons�quences sociales, le conflit est un succ�s, qu'il s'agisse des progr�s de l'int�gration raciale au sein du contingent ou surtout du GI Bill of Rights de 1944, qui octroie des bourses aux v�t�rans afin de parfaire leurs �tudes et assure ainsi un �largissement spectaculaire des classes moyennes. Tout ceci explique que la Seconde Guerre mondiale ait pu r�trospectivement faire figure de mod�le, la nostalgie allant d'ailleurs s'accroissant au fur et � mesure que les vicissitudes de la politique �trang�re am�ricaine et l'�volution des technologies militaires entra�nent l'arm�e con�ue et command�e par Marshall, Eisenhower, MacArthur et Patton, dans des directions et sur des th��tres d'op�ration impr�vus.

La Cor�e et l'" �re atomique "

La victoire sur l'Allemagne nazie et le Japon imp�rial s'est conclue de fa�on traditionnelle selon les normes am�ricaines, c'est-�-dire par une d�mobilisation aussi rapide et impressionnante qu'avait �t� la mobilisation ; d�s 1947, et malgr� les charges de l'occupation, l'arm�e am�ricaine, avec 10 divisions, n'est plus que l'ombre de la force qui comprenait 90 divisions deux ans plus t�t. Le d�clenchement de la guerre de Cor�e prend d'autant plus par surprise l'arm�e et le gouvernement am�ricains que l'essentiel de l'effort s'�tait port� jusque-l� sur l'Air Force, nouvellement cr��e en 1947, et sur les armes atomiques contrebalan�ant l'avantage sovi�tique en mati�re de forces conventionnelles et, singuli�rement, terrestres. L'offensive initiale des Nord-Cor�ens met en lumi�re le sous-�quipement et le sous-entra�nement des forces " tactiques " (non nucl�aires) am�ricaines, qu'il s'agisse de coop�ration interarm�es ou de combat terrestre toutes armes, ou plus simplement du volume des forces disponibles - on parle d�j� de " divisions creuses ". Ce sont ainsi la situation p�ninsulaire de la Cor�e et la r�sistance des Marines qui sauvent de justesse l'Am�rique d'une premi�re d�faite. Le d�barquement d'Inchon, en provoquant l'entr�e dans le conflit des " volontaires chinois ", engendre une seconde retraite pr�cipit�e, qui se stabilise en un combat d'attrition co�teux et non d�cisif. Le refus du pr�sident Truman de proc�der � un bombardement atomique du territoire chinois et l'obligation de prot�ger simultan�ment l'Europe placent les militaires am�ricains dans une situation inconfortable et heurte la tradition strat�gique nationale : pour la premi�re fois de leur histoire moderne, les Etats-Unis ont int�r�t � pr�server le caract�re limit� de l'affrontement, ce qui restreint d'autant les possibilit�s op�rationnelles et surtout interdit d'obtenir l'" objet naturel " de la guerre, � savoir la victoire par �crasement total de l'ennemi.

Si la guerre de Cor�e se solde par une r�organisation globale de la politique de d�fense, avec la cr�ation du d�partement du m�me nom et l'accroissement permanent du budget et des forces des trois arm�es (Army � 20 divisions), elle n'en constitue pas moins un souvenir amer et une " non-victoire " aux yeux de nombre d'Am�ricains, � commencer par les militaires eux-m�mes. En particulier, elle engendre un sentiment de rejet � l'encontre des " engagements terrestres ". Soucieuse de r�duire les d�penses et d'�viter ce que l'on appelle d�j� � l'�poque un quagmire (" bourbier "), la strat�gie dite du " New Look " d�cid�e par l'Administration Eisenhower passe par une augmentation consid�rable des cr�dits d�volus aux armes nucl�aires et � l'Air Force, et par une r�duction � proportion de la part allou�e aux forces conventionnelles : le budget de l'Army est r�duit de moiti� en quatre ans et le nombre de divisions tombe � 14 en 1960.

En ce sens, et alors que le conflit semble r�trospectivement avoir illustr� les dangers de l'impr�paration et les limites de la dissuasion nucl�aire, les ann�es 1950 repr�sentent pour l'Army � la fois une p�riode de disgr�ce politique et de doute existentiel quant � l'utilit� des forces classiques � l'�ge nucl�aire. Sur le premier point, l'Army, � l'instar de la Navy, ne peut qu'assister impuissante � l'ascension de l'Air Force et du Strategic Air Command. " R�volte des amiraux " en 1949, guerre de Cor�e, avanc�es communistes dans le Tiers Monde, rien n'y fait : la meilleure part des cr�dits va aux armes nucl�aires et � leurs vecteurs, en l'occurrence les bombardiers. Il faudra attendre les ann�es 1960 pour voir la fin du " tout nucl�aire ". Or, contrairement � la Navy qui se lance dans la conception des premiers sous-marins nucl�aires lanceurs d'engins (SNLE) sous l'impulsion de l'amiral Rickover, l'Army ne peut esp�rer que quelques " miettes ", comme les engins nucl�aires tactiques (missiles Thor, syst�mes Davy Crockett), les syst�mes antia�riens ou les premi�res d�fenses antimissiles, tous �l�ments marginaux et souvent d�ficients qui ne permettent pas de faire contrepoids aux ambitions de l'Air Force.

Ce premier et vif d�bat autour des " r�les et missions " respectifs des trois arm�es se double de tr�s importantes incertitudes tactiques quant aux possibilit�s laiss�es aux forces terrestres : dans la mesure o� l'on pense devoir forc�ment �voluer sur un champ de bataille nucl�aire, c'est bien l'utilit� et finalement l'existence m�me des arm�es qui semble en jeu - les revues militaires de l'�poque font �tat de ces interrogations grandissantes. Si l'�re atomique (1945-1953) ne para�t pas encore menacer fondamentalement les forces terrestres - les armes nucl�aires sont d'abord per�ues comme de " super-obus " qui obligent � une plus grande dispersion -, la mise au point et la fabrication en grand nombre des armes thermonucl�aires, ainsi que la prolif�ration des armes dites tactiques, semblent sonner le glas de tous les principes jusqu'alors immuables de la guerre terrestre : concentration logistique des moyens, concentration physique des troupes, offensive, exploitation... C'est dans ce cadre et sous la direction du g�n�ral Ridgway que l'Army se lance, � partir de 1954, dans une s�rie d'initiatives visant une r�forme radicale de ses proc�dures tactiques, et qui consiste pour l'essentiel � r�organiser les divisions de mani�re plus " dispers�e " et avec des effectifs moindres, de mani�re � r�duire leur vuln�rabilit� aux frappes nucl�aires. Cette dispersion physique suppose une grande mobilit� tactique, des capacit�s de transport a�rien tactique - le potentiel des h�licopt�res fait l'objet d'�tudes approfondies - et des moyens de communication et de commandement performants. De ATFA-1 � la r�forme " pentomique ", en passant par PENTANA, qui vise le long terme, ces r�organisations s'appuient sur toute une s�rie d'exercices (Follow Me, Blue Bolt, Sage Brush, Eagle Wing, Quick Strike, Swift Strike...) et de wargames. Le mod�le " pentomique " est sans doute le plus radical, qui comprend 5 " Battle Groups ", dispos�s en pentagone, tr�s espac�s les uns des autres et compl�tement autonomes - ils ont absorb� les niveaux brigade et bataillon - afin de r�duire la vuln�rabilit� au feu nucl�aire et de permettre � la division de continuer le combat m�me apr�s des pertes s�v�res. Lanc� en 1956 par le g�n�ral Taylor, le concept donne lieu � diff�rentes r�organisations qui ne produisent pas les r�sultats escompt�s, faute de manoeuvres assez pouss�es, mais surtout parce que la technologie et l'argent n�cessaires font d�faut : sur sa lanc�e des ann�es pr�c�dentes, l'Army continue d'acqu�rir massivement des armes nucl�aires tactiques (43 % de son budget en 1956) et ne peut investir dans des technologies de pointe en mati�re de communications. En l'absence de ces derni�res - la technologie fondamentale n'�tait de toute fa�on pas suffisamment avanc�e -, les �chelons de commandement " pentomiques " ne peuvent efficacement contr�ler leurs unit�s. Finalement, devant des critiques internes grandissantes et confront�e � la possibilit� de nouveaux engagements am�ricains en Asie du Sud-Est, l'Army abandonne en 1958 le concept " pentomique " et lance l'ann�e suivante MOMAR I, �tude nouvelle qui envisage une m�canisation massive de toutes les unit�s. L'Army adopte en 1964 une structure divisionnaire beaucoup plus traditionnelle, proche de la structure de la Seconde Guerre mondiale, dite ROAD.

Cette s�rie d'�checs est int�ressante � quatre niveaux diff�rents : elle illustre premi�rement la difficult� d'une r�forme en profondeur, pourtant men�e en interne par l'institution elle-m�me. En second lieu, elle montre, dans des conditions technologiques il est vrai tr�s diff�rentes de celles qui pr�valent aujourd'hui, � quel point il est difficile de conserver r�activit�, puissance offensive et solidit� d�fensive avec un dispositif tr�s dispers�. De fa�on incidente, l'exp�rience a ancr� dans de nombreux esprits la notion que les m�thodes �prouv�es �taient bien pr�f�rables � des " concepts " peut-�tre innovants, mais qui faisaient courir un risque inutile d'�chec catastrophique ; le camp des traditionalistes en sort renforc�, m�me si le processus de r�forme produit quelques innovations isol�es, en l'esp�ce les unit�s h�liport�es. Enfin, parce que ces r�formes en cascade - pratiquement une par an -sont d'abord politiquement motiv�es, elles imposent � un processus par nature d�licat un rythme et un calendrier irr�alistes compte tenu des contraintes propres de l'innovation militaire. Une r�forme qui a pour objectif, dans un contexte strat�gique donn�, de prouver l'utilit� de l'institution dans la comp�tition interservice court en effet le risque d'�tre conduite trop rapidement et d'entra�ner des r�sultats d�cevants sur un plan strictement op�rationnel.

La d�faite vietnamienne

L'engagement vietnamien repr�sente une �tape essentielle dans l'�volution de l'institution, non seulement parce qu'il marque les limites du " American/Army Way of War ", mais aussi en raison des " le�ons " g�n�rales qu'en retire l'arm�e. En ce sens, et quel que soit l'int�r�t militaire du conflit, ce sont bien ses cons�quences sur les rapports civilo-militaires et les conceptions dominantes au sein du corps des officiers qui s'av�rent d�terminantes sur le long terme.

L'arriv�e au pouvoir de John Kennedy, convaincu qu'il faut vaincre les gu�rillas communistes sur leur propre terrain et que la strat�gie des repr�sailles massives n'est pas cr�dible, replace l'Army au centre des pr�occupations strat�giques am�ricaines. Le nouveau pr�sident insiste en particulier sur l'importance des forces sp�ciales et sur ce que l'on appelle alors la " contre-insurrection ". Cependant, et malgr� la cr�ation des B�rets verts, l'Army globalement ne suit pas, � peine remise d'une d�cennie d'exp�rimentations tous azimuts et focalis�e sur le combat de haute intensit� r�clam� par la nouvelle strat�gie de " riposte gradu�e ". R�organis�e sur le mod�le ROAD, elle n'engage qu'une seule innovation importante, cette fois couronn�e de succ�s : la cr�ation en 1964 de la premi�re unit� de combat h�liport�e, la 11e Air Assault Division, rebaptis�e First Cavalry Div., Airmobile, en d�pit des r�ticences des traditionalistes et de la r�sistance acharn�e de l'Air Force, qui entend se r�server le monopole du ciel. S'appuyant pr�cis�ment sur le concept d'" enveloppement vertical ", la First Cav. et les unit�s h�liport�es remportent tout d'abord une s�rie de succ�s (engagement de Ia Drang, octobre-novembre 1965) gr�ce � l'extraordinaire mobilit� conf�r�e par les h�licopt�res. En r�action, le Nord-Vietnam et le Vi�t-Cong repassent en " phase 2 " dans la " guerre r�volutionnaire ", soit des op�rations de gu�rilla qui visent � harceler l'ennemi, jouent sur la dur�e et �vitent les engagements majeurs.

Or, et quoi qu'on pense des errements de la strat�gie g�n�rale d�cid�e par les autorit�s politiques ou de la campagne de bombardements du Nord-Vietnam, il est tout � fait clair r�trospectivement que l'Army n'a fait preuve d'aucune imagination tactique lors des op�rations men�es au Sud. A cet �gard, le manque d'int�r�t des plus hautes autorit�s de l'Army � l'�gard des guerres de basse intensit� en g�n�ral, et de la sp�cificit� du conflit vietnamien en particulier, se traduit par une myopie tactique et une rigidit� dans l'organisation qui exercent des effets dommageables pendant tout le conflit. Celui-ci prend syst�matiquement la forme d'op�rations de ratissage (search and destroy ops) qui donnent de bien maigres r�sultats, malgr� des pertes en augmentation et de tr�s importants dommages collat�raux. C'est qu'en effet l'Army se refuse � employer les m�thodes �prouv�es de lutte anti-gu�rilla, telles que la dispersion des unit�s, le quadrillage du pays et la protection des populations, tout en cherchant en vain � obliger son adversaire � livrer et � perdre une bataille d�cisive, ou du moins une succession d'engagements si co�teux que l'arm�e nord-vietnamienne ne pourrait progressivement plus poursuivre la lutte. C'est le fameux " cross-over point ", point de rupture � partir duquel les ressources humaines ennemies doivent aller en d�clinant. Il s'agit d'une pure strat�gie d'attrition, qui passe notamment par une application indiscrimin�e de la puissance de feu am�ricaine, ce qui logiquement produit de nombreuses pertes civiles, et donc sert la propagande et le recrutement men�s par le Vi�t-Cong, tout en poussant les officiers am�ricains � exhiber des " r�sultats " mesur�s � l'aune du " body count ", ou d�compte des cadavres.

D�faut suppl�mentaire, l'Army a conserv� le d�plorable syst�me de rotation des unit�s et des hommes h�rit� de la Seconde Guerre mondiale, dont les effets pervers sont encore amplifi�s par les appr�hensions politiques de Lyndon Johnson, qui refuse d'appeler les r�serves et se contente d'amplifier le draft. Il en r�sulte une absence pr�judiciable de coh�sion des unit�s de base, ainsi qu'une insuffisance de personnels form�s : l'essentiel des conscrits exp�riment�s repartent apr�s un " tour ", soit une ann�e. Au final, ce sont les milices sud-vietnamiennes et les actions de la CIA (op�ration Phoenix) qui s'av�rent les plus efficaces contre le Vi�t-Cong, tandis que le g�n�ral Westmorland se contente de pers�v�rer avec la m�me strat�gie g�n�rale d'attrition en r�clamant davantage de troupes.

Comme on le sait d�sormais, ce n'est finalement qu'� l'occasion de l'offensive du T�t, lanc�e d�lib�r�ment en 1968 par Hanoi, que le cross-over point est atteint en ce qui concerne du moins le Vi�t-Cong, l'arm�e nord-vietnamienne �tant alors oblig�e de prendre le relais. A ce stade, toutefois, l'offensive a produit ses effets politiques, et les Etats-Unis commencent � se d�sengager. La mont�e des tensions politiques en Am�rique, et en particulier sur les campus, pousse d'ailleurs Johnson puis Nixon � envoyer majoritairement au Vietnam, et plus encore en premi�re ligne, des recrues provenant des classes d�favoris�es et donc des minorit�s ethniques, amplifiant ainsi les pratiques de la Seconde Guerre mondiale. Ressentie comme une injustice, ce syst�me de recrutement se conjugue � la d�t�rioration de la situation sur le terrain pour produire une nette d�gradation du moral des troupes, au point de menacer la viabilit� du contingent pr�sent au Vietnam : la r�volte contre les officiers, les nombreuses occurrences de fragging, l'usage r�pandu des drogues, bref toutes les images traditionnellement associ�es � la guerre du Vietnam dans les repr�sentations communes, correspondent pr�cis�ment aux ann�es 1969 et 1970. A la fin de l'engagement vietnamien, l'Army est au bord de la d�composition : certains de ses �l�ments sont en r�volte ouverte, le corps des officiers a l'impression d'avoir �t� trahi par l'" arri�re ", et les Etats-Unis, singuli�rement l'arm�e de terre, viennent de subir leur " premi�re " d�faite. La d�b�cle se conclut logiquement par l'abandon de la conscription et la constitution d'une arm�e de m�tier qui, d'ailleurs, peine consid�rablement � attirer des volontaires de qualit� pendant toute la d�cennie, tant l'image de l'institution a �t� ternie pour longtemps.

Au terme de ce bref rappel historique, il convient de souligner tout ce que la d�faite a de d�stabilisant pour l'institution : au Vietnam, ce ne sont pas seulement les d�fauts traditionnels de l'arm�e qui ont jou� contre elle, puisque m�me ses " points forts " l'ont en quelque sorte trahie ; � tout prendre, le syst�me de gestion du personnel est sans doute moins � bl�mer que le choix irr�fl�chi d'une strat�gie d'attrition, sp�cialement inadapt�e � un contexte de gu�rilla.

De la r�novation au triomphe

La d�faite vietnamienne est l'occasion pour l'arm�e de terre d'une introspection pouss�e et d'un retour aux sources intellectuelles. Si les cons�quences politiques de cette remise en question en viennent � ob�rer durablement la flexibilit� de l'Army, les avanc�es doctrinales et qualitatives qui marquent la p�riode n'en sont pas moins bien r�elles.

Le retour � la " grande guerre " et ses cons�quences

Dans la foul�e du Vietnam, les ann�es 1970 permettent � l'Army d'engager une autocritique qui prend des allures d'examen de conscience. Les " le�ons " politiques et op�rationnelles que l'institution tire de son engagement vietnamien participent toutefois davantage d'une reconstruction a posteriori que d'une analyse objective de la r�alit� historique, perdue au milieu de controverses multiples. Cet exercice d'introspection d�bouche sur la reconstitution d'une force � maints �gards " traditionnelle ". En parall�le, s'est fait jour une sorte de perception commun�ment admise (conventional wisdom), qui p�se encore aujourd'hui sur les marges de manoeuvre internes de l'Army et, plus g�n�ralement, sur les rapports civilo-militaires.

L'abandon de la conscription ne se fait pas au profit d'une arm�e professionnelle plus facile � engager politiquement, bien au contraire. Retenant du Vietnam l'insuffisant soutien des autorit�s politiques et les effets pervers d'un engagement qui ne dit pas son nom, la hi�rarchie militaire, toutes arm�es confondues, entreprend de se structurer de telle sorte qu'il soit impossible � l'avenir pour le pr�sident des Etats-Unis d'engager des moyens militaires de mani�re graduelle en esp�rant �viter un d�bat public sur le sujet. Pour ce faire, les trois Services imbriquent ensemble les forces d'active et les r�serves, d�l�gant � ces derni�res une bonne partie des fonctions de soutien jusqu'� rendre pratiquement infaisable d'engager les premi�res de fa�on significative sans mobiliser les secondes - concept " Total Force ". L'Army en particulier n'est pas optimis�e pour l'emploi discret et imm�diat de ses capacit�s : la fin du Vietnam, le passage � la all-volunteer force et la refocalisation sur le th��tre europ�en favorisent des structures, des �quipements et une mentalit� sp�cifiques, tr�s orient�s sur la " grande guerre " et tr�s r�serv�s quant � d'�ventuelles " aventures " sur des th��tres secondaires ou des r�formes doctrinales risqu�es.

La critique de la responsabilit� politique n'affecte pas seulement l'organisation des forces, mais influence �galement l'attitude d'ensemble des officiers vis-�-vis des rapports civilo-militaires en g�n�ral et de l'usage de la force en particulier. Les " civils " sont consid�r�s avec m�fiance, pour ne pas dire hostilit�, et le corps des officiers adh�re progressivement � ce que l'on pourrait appeler une " th�orie prussienne " des rapports entre autorit� politique et hi�rarchie militaire. En lieu et place de la " th�orie classique " (expos�e par exemple par Samuel Huntington dans The Soldier and the State et encore d'actualit� aujourd'hui en Europe), cette th�orie r�visionniste, enti�rement d�riv�e du Vietnam, consid�re que les militaires doivent assumer la direction d'ensemble des op�rations, d�s lors que les politiques ont opt� pour le recours � la force. Il s'agit d'�viter � la fois l'usage " gesticulatoire " (signaling) des capacit�s militaires et le " micro-management " des op�rations elles-m�mes. Si elle pose en principe une s�paration nette des responsabilit�s (le politique d�cide du " pourquoi " et du moment, le militaire du " comment "), cette th�orie a une tendance naturelle � " d�border " de son cadre : sous pr�texte de conseiller le politique quant aux modalit�s du recours � la force et au bien-fond� des diff�rentes options, les militaires en viennent � se prononcer sur le bien-fond� de l'usage de la force. On en veut pour preuve l'analyse de la d�faite am�ricaine au Vietnam op�r�e par le colonel Harry Summers, dont l'ouvrage, On Strategy, sous couvert d'un retour � Clausewitz, d�veloppe une critique s�v�re de la gestion du conflit par les politiques et met en forme ce nouveau " prussianisme ". Depuis sa publication, l'ouvrage repr�sente d'ailleurs une v�ritable " bible " pour les officiers et est inclus dans la liste de lectures obligatoires dans le cursus de l'Army. Raviv�e par l'exp�rience malheureuse du Liban (1983), cette conception du r�le des arm�es en g�n�ral et des forces terrestres en particulier est formalis�e une premi�re fois dans ce qu'il est convenu d'appeler la " doctrine Weinberger " (1984), appel�e � devenir la " doctrine Powell " quelques ann�es plus tard. Y est pos�e une s�rie de principes destin�s � guider le politique en circonscrivant les conditions l�gitimes d'emploi de la force au regard de la rationalit� militaire. Ces principes sont au nombre de six :

- des int�r�ts vitaux, am�ricains ou alli�s, doivent �tre en jeu ; - la victoire, au sens classique et militaire du terme, doit �tre explicitement recherch�e ; - les objectifs politiques et militaires doivent �tre clairement formul�s, afin d'�viter toute �volution involontaire et impr�vue de la mission (mission creep) ; - il faut engager d'embl�e un volume suffisant de forces, afin d'�viter l'escalade et l'enlisement ; - en pr�alable � l'intervention, le pouvoir ex�cutif doit obtenir de la part du Congr�s et de l'opinion une " assurance raisonnable " de soutien ; - la force ne doit �tre utilis�e que comme ultime recours.

A l'�vidence, il s'agit l� de conditions extr�mement restrictives, qui excluent pratiquement toute intervention autre qu'une guerre classique autorisant un usage illimit� de la force. Particuli�rement en faveur aupr�s de l'Army, la doctrine Weinberger l�gitime ex post les pr�f�rences a priori de l'institution pour la " grande guerre " et les th��tres majeurs de la guerre froide : en quittant l'Asie du Sud-Est, l'Army s'est instantan�ment refocalis�e sur ce qu'elle estime �tre son " coeur de m�tier " et sa raison d'�tre, le combat de haute intensit�. Autrement dit, l'arm�e am�ricaine a pour mission de se pr�parer � contrer une avanc�e sovi�tique dans les zones o� elle est d�j� pr�sente via des pr�positionnements massifs d'unit�s et d'�quipements (Europe, Cor�e du Sud) ; le " reste " est du ressort des Marines et de l'Air Force.

" AirLand Battle " et le renouveau doctrinal de l'US Army

Tr�s affirm� d�s que le primat de la grande guerre et des sp�cialit�s correspondantes semble menac�, ce conservatisme s'accompagne toutefois au long de la p�riode d'un r�el effort mat�riel et intellectuel pour faire face � la sup�riorit� conventionnelle attribu�e aux forces du pacte de Varsovie.

Bien que l'am�lioration de la qualit� des personnels ne s'op�re que lentement, et que les r�sultats op�rationnels soient en demi-teinte (�chec retentissant de l'op�ration " Desert One ", demi-succ�s de la Grenade ou de Panama), l'Army lance pendant cette p�riode tous les armements majeurs appel�s � conna�tre la cons�cration lors de la guerre du Golfe : missiles antichars TOW, chars M1 Abrams, v�hicule de combat d'infanterie Bradley, h�licopt�res Apache et jusqu'au syst�me antimissile Patriot. Tous ces programmes sont d'abord con�us dans la perspective d'un affrontement conventionnel en Europe contre le pacte de Varsovie : le d�veloppement des forces nucl�aires sovi�tiques � tous les niveaux (strat�gique, interm�diaire et tactique) durant les ann�es 1960 et 1970 rend en effet d�licat, aux yeux des responsables de l'OTAN, de se reposer sur la seule dissuasion pour contrebalancer l'avantage conventionnel sovi�tique, qui para�t d'ailleurs aller en s'accroissant. Par-del� les n�cessit�s de la strat�gie g�n�rale de " riposte gradu�e ", ces d�veloppements proc�dent �galement, on l'a vu, des pr�f�rences profondes de l'institution.

Au niveau de l'organisation et de la doctrine, les d�cennies post�rieures au Vietnam donnent lieu � une renaissance remarquable. Le th�me dominant tient en une formule simple : " Fight outnumbered and win ", combattre en situation d'inf�riorit� mais gagner. Outre les �quipements majeurs mis en chantier � l'�poque, la r�ponse au d�fi sovi�tique passe par une refonte doctrinale en plusieurs �tapes : cr�ation en 1973 d'un centre de la doctrine (TRADOC) sous la direction du g�n�ral DePuy, red�couverte des " classiques " de la litt�rature strat�gique comme Clausewitz, publication du FM 100-5 (Field Manual, operations) Active Defense en 1976, et dans la foul�e lancement de DRS, nouvelle �tude de r�organisation divisionnaire...

C'est dans ce contexte qu'intervient la querelle opposant " traditionalistes " et " partisans de la guerre de manoeuvre ", les seconds reprochant aux premiers de s'en tenir � une " pure logique d'attrition ". A la suite de ces controverses, l'attrition d�signe dans le vocabulaire am�ricain contemporain l'application lin�aire de la puissance de feu et plus g�n�ralement des moyens mat�riels : dans cet �change qui ob�it grosso modo aux lois de Lanchester, la victoire va � la partie qui dispose des r�serves les plus nombreuses, � moins d'un diff�rentiel qualitatif consid�rable. A ce jeu-l�, comme le soulignent les critiques des " maneuverists " � l'encontre du FM de 1976, les forces occidentales sont forc�ment perdantes face � la sup�riorit� m�canis�e sovi�tique, et la pire des solutions consiste � leur laisser l'initiative en se cantonnant � une strat�gie d�fensive, m�me " active ". En sens inverse, ils proposent d'adopter le paradigme de la " guerre de manoeuvre ", qui repose tactiquement sur la recherche d'avantages de position, et � l'�chelle du th��tre sur des p�n�trations audacieuses, sur le mod�le des campagnes napol�oniennes et surtout du blitzkrieg allemand ; il s'agit, par une prise de risque calcul�e, de provoquer un " choc op�ratif " dans le syst�me adverse et d'obtenir des r�sultats disproportionn�s (non lin�aires) au regard du rapport de force quantitatif. Au niveau tactique comme au niveau op�ratif, il s'agit �galement de " saturer " le syst�me de commandement adverse en le prenant syst�matiquement de vitesse ; en bref, rechercher et exploiter, dans l'espace comme dans le temps, les points faibles de l'adversaire. Sous la direction du g�n�ral Starry, qui a remplac� DePuy, l'�dition de 1982 du FM 100-5 reprend partiellement � son compte les pr�ceptes du " maneuver warfare " ou style de guerre manoeuvrier. Ce paradigme doctrinal se r�pand s�rement tout au long des ann�es 1980, au sein du corps des officiers comme d'ailleurs aupr�s des Marines ou des alli�s de l'OTAN. D'un point de vue pratique, cependant, il s'agit d'un succ�s en demi-teinte, dans la mesure o� les strat�gies op�rationnelles retenues, " AirLand Battle " au sein des forces am�ricaines et " doctrine Rogers " au sein de l'OTAN, doivent autant � la technologie qu'au paradigme de la guerre de manoeuvre. En se proposant de d�truire les second et troisi�me �chelons sovi�tiques par des frappes dans la profondeur, conduites par l'Air Force ou par ses propres syst�mes � longue port�e (ATACMS, Apache), l'Army entreprend bien de synchroniser les capacit�s de ses divisions au niveau op�ratif, mais elle tire surtout parti des possibilit�s offertes par des technologies d�j� en place � l'�poque : munitions a�riennes de pr�cision, sous-munitions antichars d�livr�es par l'artillerie � longue port�e, etc .

En parall�le � " AirLand Battle ", le g�n�ral Starry lance en 1978 les initiatives " Army 86 " et " Division 86 ", qui concernent l'organisation et les structures de force. Fond�e sur des analyses et des exp�rimentations approfondies, " Army 86 " propose deux mod�les (Heavy Division 86 et Infantry Division 86) qui se situent dans le prolongement des divisions ROAD toujours en vigueur, mais incorporent des capacit�s suppl�mentaires tout � fait significatives. Avec 20 000 hommes et une brigade d'h�licopt�res d'attaque, la Heavy Division 86 est v�ritablement con�ue pour r�pondre en profondeur � l'offensive �chelonn�e pr�n�e par la doctrine sovi�tique ; bien qu'approuv�, le plan est toutefois revu � la baisse faute de moyens suffisants (hommes, �quipements) et d'argent, et c'est une version r�duite qui est finalement appliqu�e par le plan " Army of Excellence " (1983). Cens�e servir sur n'importe quel th��tre d'op�rations, la division d'infanterie doit r�pondre aux imp�ratifs suivants : mobilit�, flexibilit� et puissance de feu accrue, ce qui veut dire concr�tement �tre a�rotransportable en C-141 et pouvoir r�sister � une unit� ennemie dot�e de chars T-72. Des r�sultats mitig�s et un co�t l� encore prohibitif conduisent � l'abandon pur et simple du projet - il convient toutefois de souligner la ressemblance frappante, en termes d'objectifs, entre ce projet et l'actuel plan Shinseki.

La ran�on de cette intense focalisation sur la probl�matique du " front central " se manifeste rapidement, d�s la fin des ann�es 1970 : face aux perc�es sovi�tiques dans le Tiers-Monde, l'Army ne dispose pas de forces � la fois facilement projetables et capables d'infliger un coup d'arr�t � l'adversaire. Les ann�es 1980 sont ainsi le th��tre d'exp�rimentations diverses, tant au niveau des mat�riels que des organisations, afin de mettre sur pied une division l�g�re qui soit viable. C'est dans ce cadre qu'est tout d'abord lanc� en 1980 le projet HTLD de " division l�g�re technologique " (Hi-Tech Light Division) : il s'agit de prot�ger le golfe Persique face � une �ventuelle attaque-�clair sovi�tique depuis l'Afghanistan, en mettant sur pied une organisation radicalement nouvelle fond�e sur l'exploitation de technologies �mergentes, en particulier un v�hicule l�ger, donc d�ployable par avion, mais dot� d'une r�elle capacit� antichar (Armored Gun System). Apr�s trois ans de recherches et d'exp�rimentations, et parce qu'il est clair que les technologies requises n'arriveront pas � maturit� avant au moins une d�cennie, le g�n�ral Wickham propose un projet moins ambitieux et plus classique, le d�veloppement de la HTMD, division motoris�e mixte (une brigade lourde toutes armes, une brigade l�g�re toutes armes et une brigade d'infanterie) cens�e combler le " trou " entre divisions l�g�res et divisions lourdes. Une fois encore, les probl�mes p�cuniaires et technologiques conduisent au d�mant�lement du projet.

Tout comme Infantry Division 86, ces tentatives r�p�t�es pr�sentent de nombreux points communs avec l'actuel plan Shinseki : il s'agit de pouvoir d�ployer rapidement et sur de grandes distances une force terrestre apte � conduire, en conjonction avec les autres Services, une action retardatrice avant l'arriv�e des forces lourdes. A l'�poque comme aujourd'hui, la technologie est envisag�e comme un moyen de compenser l'inf�riorit� organique des forces l�g�res en termes de protection et de puissance de feu. Malgr� les insuffisances de certains mat�riels, le concept est loin de manquer d'int�r�t et pr�figure � maints �gards les solutions propos�es aujourd'hui. Au final, le poids institutionnel des heavies, ou armes lourdes (arm�e blind�e cavalerie, infanterie m�canis�e, artillerie), mais surtout le manque d'argent et l'immaturit� des technologies requises emp�chent ces projets d'aboutir.

Au terme de toutes les exp�rimentations men�es entre 1975 et 1985, l'arm�e se rabat sur le plan " Army of Excellence " (1983), qui comprend une version all�g�e du projet Division 86 pour les unit�s lourdes, d�veloppe les moyens de commandement au niveau des corps et tranche le probl�me insoluble des unit�s l�g�res en cr�ant de pures divisions d'infanterie � sp�cialit� " g�ographique " (par exemple la 10e Light Infantry Division - Mountain). Avec des effectifs r�duits (10 000 hommes), d�pourvues de v�hicules et dot�es d'une autonomie logistique de 48 heures, ces divisions ne demandent que 450 sorties a�riennes pour �tre d�ploy�es mais sont explicitement r�serv�es � des missions de basse intensit�. Leur faiblesse intrins�que suscite d'ailleurs, au sein de l'Army comme en dehors, des critiques nourries qui d�noncent tant�t leur inutilit� en situation de combat, tant�t leur faible autonomie. Quatre de ces divisions sont progressivement mises en place.

En d�finitive, et en d�pit d'une application en demi-teinte des avanc�es doctrinales, les ann�es 1980 s'ach�vent par une incontestable am�lioration de l'Army : les efforts en mati�re de recrutement (augmentation des salaires, campagnes de publicit�), d'entra�nement et de mat�riels portent leurs fruits et les forces terrestres qui sont envoy�es dans le Golfe en 1990 sont probablement les plus homog�nes et les meilleures jamais constitu�es par les Etats-Unis.

" Desert Storm " : un triomphe contest�

La guerre du Golfe repr�sente un triomphe collectif pour les forces arm�es am�ricaines. Dans la perspective de l'Army, les op�rations, et en particulier la phase terrestre, dite " guerre des 100 heures ", consacre le bien-fond� de la plupart des initiatives pr�c�dentes : les Abrams comme les Apache apportent la preuve de leur sup�riorit� compl�te sur les mat�riels sovi�tiques pr�sent�s comme comparables, les troupes font une d�monstration de professionnalisme et le haut-commandement de l'Army n'oublie pas de souligner l'importance du fameux " mouvement tournant gauche " (left hook) accompli par le VIIe corps avec le XVIIIe corps en flanc-garde.

A y regarder de plus pr�s, toutefois, il s'agit d'un triomphe de courte dur�e. S'il efface bien le " syndrome vietnamien " et restaure le prestige des " armes am�ricaines ", les analyses post�rieures font appara�tre l'inf�riorit� patente de l'adversaire � tous les niveaux imaginables : commandement, �quipement, formation de la troupe, motivation, sans parler bien entendu de l'�crasante sup�riorit� a�rienne et " �lectronique " - on ne dit pas encore " informationnelle " - des alli�s. La manoeuvre de flanc est d'ailleurs un �chec, dans la mesure o� l'attaque du Marine Corps le long de la c�te, bien loin de " fixer " les Irakiens, donne � Saddam Hussein le signal de la retraite g�n�rale : pris de vitesse, le mouvement tournant frappe d�s lors largement dans le vide et ne rencontre sur sa route que les unit�s d�lib�r�ment plac�es en flanc-garde par le dictateur irakien afin de sauver ce qui peut l'�tre de son arm�e. En d�finitive, l'objectif militaire consistant � enfermer l'arm�e irakienne et � d�truire la Garde r�publicaine - avec, sans doute, en arri�re-plan l'intention de faire chuter le r�gime par ce biais - n'est pas atteint, et n'aurait sans doute pas pu l'�tre, sauf � engager des op�rations de grande envergure dans les zones habit�es de l'Irak, Bassorah en particulier.

Quelles qu'aient pu �tre les insuffisances de l'op�ration, elles importent moins cependant que ses retomb�es au niveau des perceptions. La " guerre des 100 heures " a en effet �t� pr�c�d�e, dans tous les sens de cette expression, par une campagne a�rienne de six semaines sans �quivalent dans l'histoire. Le paradoxe n'est pas mince, qui veut que " Temp�te du d�sert " marque � la fois l'apog�e de l'Army de l'apr�s-Vietnam, � dire vrai son premier triomphe militaire depuis 1945, et " lance " dans le m�me mouvement le th�me et l'�cole de la RMA, qui jouent dans un sens globalement d�favorable aux int�r�ts de l'institution. Ce paradoxe se r�sout toutefois, dans la mesure o� cette m�me guerre du Golfe a repr�sent� un triomphe bien plus grand encore pour l'Air Force, et a v�ritablement relanc� les d�bats autour de l'" Air Power ". La premi�re moiti� des ann�es 1990 est ainsi le th��tre d'une importante litt�rature sur le conflit de 1991 qui, dans l'ensemble, s'attache � souligner l'" arriv�e � maturit� " (the coming of age) de l'arme a�rienne et prend parti plus ou moins nettement en faveur de la nouvelle version de l'" Air Power ", telle que pr�sent�e, par exemple, par John Warden, lui-m�me � l'origine du plan de frappes " Instant Thunder ". Cette controverse est non seulement le fait des partisans attitr�s de l'Air Force, mais elle re�oit encore une sanction presque officielle avec le lancement de la Gulf War Air Power Survey, �tude approfondie sur le mod�le de celles conduites apr�s la Seconde Guerre mondiale - rien de tel n'a en revanche �t� produit au profit des op�rations terrestres. Tr�s peu de temps apr�s la guerre du Golfe, l'Army red�couvre ainsi, selon la formule popularis�e durant les ann�es 1950, que " le v�ritable ennemi, c'est l'Air Force ". De fait, le d�roulement de cette campagne a instantan�ment plac� l'arm�e de terre dans une position d�fensive dont elle n'est en r�alit� pas sortie depuis lors. A ce constat amer, s'ajoute encore la douloureuse r�duction de format cons�cutive � la fin de la guerre froide et entreprise dans la foul�e du Golfe : en quelques ann�es, l'arm�e perd 8 divisions sur 18 et se red�ploie massivement vers le territoire am�ricain.

Conclusion : la " culture " de l'US Army et les le�ons objectives des r�formes pass�es

Apr�s avoir pass� en revue cinquante ans d'histoire de l'Army, deux s�ries de consid�rations semblent s'imposer, qui ont trait respectivement � la culture de l'institution et aux caract�ristiques des processus de r�forme r�ussis.

Le succ�s de la guerre du Golfe tranche avec tous les engagements pr�c�dents de l'Army : il s'agit d'une op�ration de haute intensit�, reposant sur une logistique impressionnante et un usage extensif de la puissance de feu, s'inscrivant enfin dans un cadre politique clair, qu'il s'agisse des objectifs fix�s par le politique, du d�roulement de l'intervention (d�but et surtout fin) ou du soutien de l'opinion am�ricaine. En d'autres termes, " Temp�te du d�sert " repr�sente, en accord d'ailleurs avec la volont� explicite de la hi�rarchie militaire, un v�ritable " retour aux sources ", en l'occurrence l'exp�rience r�ussie et transfigur�e en mod�le de la Seconde Guerre mondiale. Et c'est cette orientation qui constitue la culture de l'Army, son " coeur de m�tier " historique et la d�finition minimale commune � la plupart de ses membres, par-del� les revirements des " strat�gies de s�curit� nationale " et les r�organisations successives. A ce propos, il convient de souligner que les r�formes les plus r�ussies, telles que ROAD ou Army of Excellence, se sont toutes situ�es dans la perspective de la " grande guerre " ; a contrario, les forces am�ricaines et l'Army tout sp�cialement ont exhib� des difficult�s plus ou moins marqu�es d�s lors qu'il s'est agi d'intervenir dans le cadre de guerre limit�es, telles qu'op�rations de stabilisation m�langeant civils et combattants, guerres de gu�rilla ou m�me guerre classique circonscrite dans certaines limites (Cor�e). R�sultant de cette histoire singuli�re en m�me temps qu'elles la renforcent, les doctrines Weinberger et Powell sont � la fois l'�cho de ces pr�f�rences au niveau strat�gique et l'expression d'un mod�le id�al de relations avec l'autorit� politique qui traduit au fond une m�fiance consid�rable � l'�gard de cette derni�re. Parce qu'elles desservent souvent l'Army dans la routine des querelles interservices, ces relations civilo-militaires tendues contribuent plus d'une fois � une absence de soutien politique et budg�taire, dommageable lors des tentatives de r�forme - ce n'est gu�re qu'en situation de conflit � grande �chelle que l'Army prend le pas sur ses rivales, pour retomber derri�re l'Air Force apr�s la Cor�e ou le Vietnam, ou derri�re la Navy lors du build-up reaganien.

Ce manque de soutien politique para�t d'autant plus curieux de prime abord que l'Army a multipli�, tout au long de la p�riode, les tentatives de r�forme - on ne compte pas moins d'une vingtaine de projets de r�organisation divisionnaire. De cette foison de plans et de r�formes �mergent quelques r�gularit�s : l'innovation " prend " mieux en temps de paix, car elle r�clame du temps et de multiples exp�rimentations ; la transformation des organisations, des structures et de la doctrine fonctionne lorsqu'elle est graduelle, qu'elle rencontre un large soutien dans le corps des officiers et s'appuie sur des concepts �prouv�s ainsi que sur des mat�riels existants, au moins au niveau de la technologie. C'est notamment la cas du projet Division 86, tr�s bien pens�. En sens inverse, un �cart trop important entre les ambitions et les moyens (Army 86), et surtout la pr�cipitation engendr�e par des motifs politiques (mod�le " pentomique ") et le d�veloppement de concepts anticipant sur les avanc�es technologiques (HTLD) produisent invariablement de mauvais r�sultats.

Enfin, succ�s ou �checs, ces r�formes pr�sentent des points communs frappants avec le plan Shinseki : depuis cinquante ans, l'Army cherche en effet � am�liorer simultan�ment la puissance de feu (lethality), la mobilit� strat�gique (deployability) et tactique et la flexibilit�, entre autres logistique (sustainability). Si, � certains �gards, ce sont l� des objectifs constants � travers l'histoire et communs � de nombreuses organisations militaires, et si, en parall�le, le combat de haute intensit� contre les forces sovi�tiques a domin� durant la guerre froide, le probl�me du d�ploiement sur d'autres th��tres de forces terrestres significatives et ce que l'on pourrait appeler l'" imp�ratif exp�ditionnaire " n'en ont pas moins constitu� une pr�occupation r�currente de l'Am�rique et de son arm�e, prisonni�re de la situation g�ographique particuli�re du pays. Concernant les solutions propos�es, la filiation est tout aussi nette et, depuis les ann�es 1970 particuli�rement, l'Army attend des avanc�es technologiques qu'elles lui permettent d'�chapper autant que possible � l'arbitrage entre d�ployabilit� et capacit� de combat. En d�finitive, et malgr� l'�volution du vocabulaire, l'Interim Brigade Combat Team (IBCT) actuellement en d�veloppement s'inscrit dans une longue s�rie de r�formes, et il convient de garder ce pass� � l'esprit dans l'analyse du projet actuel.

II. Une transformation brusqu�e

D�positaire de cet h�ritage complexe et du succ�s fra�chement acquis de l'op�ration " Desert Storm ", l'Army des ann�es 1990 se trouve confront�e � trois probl�mes majeurs, qui ne se recoupent ni chronologiquement, ni analytiquement. Imm�diatement apr�s la guerre du Golfe interviennent les effets de la fin de la guerre froide en termes de cr�dits et de volumes de forces ; cette r�duction de format s'ach�ve � peu pr�s vers 1995, avec une arm�e de terre rogn�e de 40 %. Dans la foul�e, toutefois, les forces arm�es am�ricaines doivent faire face � la multiplication sans pr�c�dent des projections et des interventions tout au long de la d�cennie ; du point de vue de l'Army, les op�rations de stabilisation sont particuli�rement pr�occupantes, �tant donn� les effectifs qu'elles mobilisent dans la dur�e et les probl�mes de gestion de personnel qu'elles suscitent. En toile de fond, enfin, le d�bat autour de la RMA s'amplifie tout au long de la p�riode, et l'accent mis sur les capacit�s de frappe � longue port�e place l'Army dans une position d�fensive.

En parall�le � ces d�veloppements extrins�ques, l'Army conduit en interne deux projets de modernisation, " Force XXI " et " Army After Next ". S'ils sont bien, de la part de l'institution, une r�ponse aux arguments avanc�s par l'�cole de la RMA, r�ponse qui m�le d'ailleurs rejet et r�cup�ration de l'argumentaire " r�volutionnaire ", ils n'en constituent pas moins une d�marche originale, articul�e aux besoins et aux conceptions propres � la " premi�re force terrestre du monde ", comme l'arm�e am�ricaine aime � le rappeler.

Lanc� en 1999, le plan Shinseki doit �tre interpr�t� comme le point de convergence des pressions externes et du processus interne ; reste � mesurer l'importance de facteurs plus imm�diats, le lancement de l'" Interim Force " ayant bien entendu pour fonction de faire taire les critiques suscit�es par les d�boires de la " Task Force Hawk " quelques mois plus t�t, et celles, non moins d�stabilisantes, en provenance du nouveau secr�taire � la D�fense � partir de 2000, Donald Rumsfeld.

Les ann�es 1990 : d�fense et politique

L'h�ritage de la guerre froide se r�v�le �tre � double tranchant : si, d'un c�t�, l'on retrouve pour partie dans le plan Shinseki les exp�rimentations doctrinales et les tentatives de r�organisation de la p�riode pr�c�dente, de l'autre, la culture politique et strat�gique de l'Army constitue ind�niablement un frein � l'adaptation de l'institution au contexte nouveau de l'apr�s-guerre froide.

Dans la foul�e de la guerre du Golfe, la priorit� des militaires am�ricains, toutes arm�es confondues, va � la pr�servation de l'h�ritage des ann�es 1980, qu'il s'agisse du format global de forces ou des programmes en cours de d�veloppement. En parall�le, les arm�es et tout particuli�rement l'arm�e de terre restent attach�es � la doctrine Weinberger, bient�t rebaptis�e doctrine Powell, ainsi qu'au primat politique et doctrinal de la grande guerre m�canis�e.

L'Army nouveau mod�le : guerre froide " lite ! "

Avec la fin de la guerre froide se profile pour l'Army la hantise de l'" arm�e creuse " : la fin de chaque conflit a �t� en effet marqu�e par la d�mobilisation massive des forces terrestres. En cons�quence, loin de se lancer dans des innovations ou dans des r�organisations ambitieuses, l'institution consacre toute son �nergie � d�fendre les acquis. Dix ans plus tard, le succ�s obtenu para�t mitig�.

La r�duction du volume global de forces s'op�re en plusieurs �tapes, de 1990 � 1997 ; plus que n'importe quel autre facteur, ce sont les attentes �conomiques de l'�lectorat et la contrainte budg�taire qui guident la restructuration. Anticip�e par l'Administration sortante, cette r�duction in�vitable avait donn� lieu � un premier plan, " Base Force ", qui traduisait assez exactement les attentes des militaires en proposant pour l'apr�s-guerre froide un volume global de forces repr�sentant 80 % de celui des ann�es 1980. Aussit�t au pouvoir, l'�quipe de Bill Clinton met au point la Bottom-Up Review, ou r�vision de fond en comble, qui se traduit par une nouvelle diminution, moins prononc�e que la premi�re. Au final, et parce qu'elle a �t� la plus touch�e, l'Army passe de 18 divisions en 1990 � 12 en 1995 (format " Base Force "), puis � 10 aujourd'hui. Outre le nombre de grandes unit�s, sont �galement r�duits au cours des ann�es 1990 les effectifs en hommes et en mat�riels des divisions, en particulier blind�es et m�canis�es ; elles comprennent aujourd'hui quelque 15 000 hommes, soit environ 3 000 de moins que dans le format d�fini par " Army of Excellence ". Concernant les �quipements, la majeure partie de la d�cennie 1990 se passe � am�liorer les mat�riels existant, en faisant premi�rement en sorte que toutes les unit�s d'active soient dot�es des derni�res versions des plateformes majeures (chars Abrams, VCI Bradley, h�licopt�res Apache), deuxi�mement en poursuivant les programmes lanc�s pendant les ann�es 1980 (canon Crusader� h�licopt�re Comanche). Si le processus s'op�re le plus souvent au d�triment des unit�s de r�serve (Army National Guard et Army Reserve), qui h�ritent des �quipements les plus v�tustes, la fin de la d�cennie voit � l'inverse la r�organisation de certaines unit�s de r�serve, par exemple celles d�sactiv�es quelques ann�es avant comme la 24th mech, en unit�s viables cens�es compl�ter les divisions d'active, partiellement ou int�gralement, au sein des corps. Au terme, l'institution parvient, en d�pit des r�ductions successives, � pr�server l'essentiel : ses structures, sa doctrine et ses principales unit�s, certaines d'entre elles en r�serve. De la sorte, est garantie la possibilit� th�orique d'une remont�e en puissance, en cas de r�surgence d'une menace majeure.

Durant les ann�es 1990, toutefois, ce n'est pas tant l'�ventualit� d'une telle r�surgence qui rend la r�serve si pr�cieuse, mais plut�t les diverses " urgences " (contingencies), dans les Balkans, � Ha�ti et ailleurs, qui n�cessitent de faire appel aux r�servistes afin de soulager les unit�s d'active. La multiplication sans pr�c�dent des op�rations ext�rieures de toute nature, du maintien de la paix aux alertes dans le golfe Persique, impose en effet � une structure quasiment r�duite de moiti� par rapport aux ann�es 1980 un rythme op�rationnel (operational tempo ou op-tempo) difficilement soutenable, strat�giquement comme humainement. Avec au bout du compte seulement dix grandes unit�s autonomes - les brigades doivent �tre consid�rablement " augment�es " en moyens de commandement et autres avant d'�tre employ�es de fa�on ind�pendante -, le rythme de rotation pose des probl�mes consid�rables : les personnels sont m�contents d'�tre si longtemps � l'�tranger, ce qui a une incidence n�gative sur le taux de r�engagement (personnel retention), et ils ne peuvent remplir les objectifs en mati�re d'entra�nement ; sur le plan strat�gique, enfin, les unit�s engag�es dans les Balkans ou ailleurs ne sont �videmment pas disponibles en cas de crise. Ainsi, dans un contexte de budgets d�clinants, les forces arm�es am�ricaines, et l'Army au premier chef, sont oblig�es de privil�gier la disponibilit� op�rationnelle par rapport � la modernisation, sans parler m�me d'innovation r�volutionnaire ou de " transformation ". Pendant la majeure partie de la d�cennie �coul�e, les experts sont d'ailleurs nombreux qui d�noncent la " catastrophe en pr�paration " (the Coming Defense Train Wreck) : de nombreux syst�mes d'armes ont atteint ou d�pass� leur demi-vie (quinze ans ou davantage) et les cr�dits permettant de les remplacer par une nouvelle g�n�ration ou du moins de les am�liorer font d�faut. Fort logiquement, compte tenu du vieillissement des mat�riels et d'un taux d'utilisation plus �lev� en op�rations, les frais de maintenance augmentent r�guli�rement. En d�finitive, la p�riode 1991-2000 laisse de nombreux probl�mes en suspens, et l'Army ne parvient � se sauvegarder que sur le court terme.

La mort lente de la doctrine Powell

La pr�servation de l'h�ritage des ann�es 1980 ne concerne pas seulement le format et la structure des forces, mais aussi leurs conditions d'emploi et plus g�n�ralement la nature des rapports civilo-militaires. La premi�re moiti� des ann�es 1990 repr�sente � maints �gards le triomphe du " conservatisme " d�crit plus haut, et qui est alors reformul� par Colin Powell, le tr�s influent pr�sident du Comit� des chefs d'�tats-majors (Chairman of the Joint Chiefs of Staff). La " doctrine Powell " reprend ainsi les �l�ments de la " doctrine Weinberger " en en soulignant les aspects militaires (les objectifs doivent �tre clairs et r�alisables, la force doit �tre utilis�e comme dernier recours, mais de fa�on d�cisive, overwhelming force selon la formule) et en ajoutant la prise en compte des risques, des cons�quences � terme et de la situation finale (end-state) cr��s par l'intervention. Ces conditions si contraignantes qu'elles restreignent pratiquement l'engagement militaire � la seule d�fense des int�r�ts vitaux sont r�p�t�es � plusieurs reprises au cours des ann�es 1990 et font en r�alit� office d'arme politique aux mains des r�publicains. Trois exp�riences sont � cet �gard formatrices : " Desert Storm ", " Restore Hope " et les op�rations de maintien de la paix dans les Balkans.

Le contraste entre le succ�s de 1991 et l'�chec humiliant de 1993 semble de prime abord donner raison � Colin Powell et � ses craintes concernant la sensibilit� de l'opinion am�ricaine � l'�gard des pertes. Les sondages effectu�s le lendemain de la mort des 18 rangers font pourtant davantage appara�tre un d�sir de revanche qu'une hyper-sensibilit� aux pertes exigeant le retrait. A court terme, toutefois, l'abstention l'emporte, et les Etats-Unis choisissent de se d�sengager de Somalie et de rester passifs face au g�nocide rwandais comme � la situation en Bosnie. L'institution militaire en g�n�ral, Colin Powell et le leadership de l'Army en particulier, jouent de tout leur poids face � l'Administration d�mocrate, affaiblie par la question des homosexuels dans l'arm�e comme par la Somalie ; c'est ainsi Colin Powell qui met son veto � toute intervention am�ricaine en Bosnie. Dans la foul�e, Bill Clinton r�dige la Presidential Decision Directive 25, ou PDD 25, qui explicite les conditions d'engagement des troupes am�ricaines dans des op�rations de basse intensit� en reprenant pour l'essentiel � son compte les principes de la doctrine Powell. En r�alit�, et par-del� les vicissitudes entourant l'op�ration commando contre A�did, le fiasco somalien r�sulte d'abord de l'instrumentalisation politique qui en est faite par les conservateurs, aussi oppos�s au pr�sident Clinton qu'au principe m�me des op�rations de stabilisation entreprises pour des int�r�ts " marginaux ". Ces r�ticences face aux diverses contingencies qui apparaissent �a et l� se poursuivent durant toute la d�cennie jusqu'au Kosovo, et contribuent grandement � modeler ce que l'on peut appeler r�trospectivement la " strat�gie de l'�re Clinton ", qui privil�gie syst�matiquement les frappes a�riennes et pr�f�re ne pas engager de moyens terrestres.

L'Army est tout sp�cialement attentive aux dangers de l'engagement rampant (mission creep) et des pertes aff�rentes, et se structure autant qu'elle le peut pour rendre, par avance, impossible des interventions de ce type. C'est dans cette perspective qu'il convient de comprendre le principe de " force �crasante " et le primat des unit�s lourdes : seul un d�ploiement massif est susceptible de minimiser les risques pendant les op�rations, et la lourdeur m�me (logistique et politique, puisque les r�serves sont indispensables) des forces existantes assure qu'elles ne pourront �tre employ�es facilement, c'est-�-dire lorsque des int�r�ts secondaires sont en jeu. Dans ce cadre, les doctrines Weinberger et Powell ont d'abord pour fonction de populariser ces pr�f�rences aupr�s des politiques et de l'opinion, jusqu'� enfermer l'Army dans un paradigme d'emploi massif qui se r�v�le aussi inadapt� que contre-productif. Outre, en effet, la multiplication des op�rations de toute nature pendant les ann�es 1990, cette structuration massive voulue par l'Army fait �galement le jeu des autres Services, et singuli�rement de l'Air Force, en les pla�ant automatiquement en premi�re ligne, et donc dessert les propres int�r�ts de l'arm�e de terre.

En d�pit de menaces de retrait de moins en moins cr�dibles parce que r�it�r�es chaque ann�e, l'engagement durable des forces terrestres am�ricaines en Bosnie � partir de 1995, qui suit et pr�c�de de pr�s Ha�ti et le Timor, marque dans les faits la fin de la doctrine Powell ; la cr�dibilit� " strat�gique " du G�n�ral est de toute fa�on remise en cause, dans la mesure o� il s'est syst�matiquement oppos� � toutes les interventions am�ricaines, depuis Panama jusqu'� la Bosnie, en passant par le Golfe en 1991. Or, de multiples facteurs politiques - solidarit� avec les alli�s, pressions de l'opinion - se combinent pour rendre intenable dans la pratique ce principe d'abstention quasi permanente. En parall�le � l'abandon de la doctrine Powell, les PKO (Peace Keeping Operations) font appara�tre l'inadaptation des structures et m�me des �quipements de la " premi�re force terrestre du monde " : l'organisation divisionnaire ne facilite pas des d�ploiements rapides, les brigades ne sont pas autonomes ; les engins comme l'Abrams sont impressionnants mais d�passent le gabarit routier normal, et �prouvent donc le plus grand mal � entrer dans les villages ou � n�gocier les routes de montagne bosniaques que leurs chenilles d�truisent... Etant donn� le contexte politique et l'attention m�diatique qui entourent les op�rations de paix, il devient �galement probl�matique de d�finir et plus encore d'appliquer des " r�gles d'engagement " (ROE), c'est-�-dire d'ouverture du feu, qui limitent � la fois les risques de " bavures " et de pertes militaires tout aussi dommageables politiquement. La combativit� des troupes a enfin tendance � s'�mousser, et le rythme des rotations interdit le plus souvent un r�-entra�nement rigoureux au combat.

En bref, et si tous les contingents occidentaux rencontrent peu ou prou ces probl�mes, l'Army est singuli�rement prise � contre-pied : le combat de haute intensit� pour lequel elle s'est pr�par�e et structur�e joue en sa d�faveur d�s lors que la rapidit� et la souplesse de la r�ponse (responsiveness) priment sur la puissance (decisiveness). Estimant que des forces de combat peuvent effectuer des missions de maintien de la paix au prix de quelques ajustement mineurs, alors que l'inverse n'est pas vrai, l'institution pr�f�re n�anmoins maintenir le cap tout en assurant au jour le jour les t�ches de maintien de l'ordre. Plus profond�ment, toutefois, l'exp�rience des Balkans explique que l'Army, contrairement � la Navy ou � l'Air Force, ait pris, ou repris, conscience de la dimension humaine de la guerre et de l'importance politique de la pr�sence de troupes au sol : une strat�gie de frappes ne permet pas toujours de contr�ler un territoire habit�, et il est des conflits qui ne se concluent pas avec les op�rations militaires offensives, mais n�cessitent s�curisation et reconstruction, c'est-�-dire occupation dans la dur�e. Ainsi, et alors que les SSC (Small-Scale Contingencies) repr�sentent une contradiction flagrante avec les aspirations doctrinales et strat�giques de l'Army, enti�rement tourn�es vers la " grande guerre ", elles n'en ont pas moins jou� un r�le d�cisif en pr�parant les esprits au plan Shinseki.

De " Task Force Hawk " aux " Rumsfeld Reviews " : les tribulations politiques de l'Army

Par rapport � tous les facteurs et tendances � l'oeuvre durant les ann�es 1990, qui s'agr�geaient sans susciter pour autant de crise majeure, il est clair que le fiasco de la " Task Force Hawk " en avril 1999 a fait figure de r�veil extr�mement brutal pour l'arm�e de terre.

Il s'agissait pourtant de d�ployer en Albanie un bataillon d'h�licopt�res Apache, afin de les engager �ventuellement au Kosovo en sus des op�rations a�riennes alors en cours. Non seulement la phase de d�ploiement s'est av�r�e consid�rablement plus longue que pr�vue, mais encore elle a �t� ponctu�e par plusieurs incidents, dont la perte de deux h�licopt�res et d'un �quipage. Au final, " Task Force Hawk " n'a tout simplement pas �t� engag�e, malgr� un d�ploiement consid�rable : 6 200 hommes, 24 h�licopt�res, une batterie MLRS, soit 26 000 tonnes d'�quipement achemin�es par 442 rotations de C-17 et 269 de C-130 pour un co�t de 480 millions de dollars. A ce compte-l�, l'Air Force et la Navy ont eu la partie facile, et il suffit de parcourir la presse ou les articles sp�cialis�s de l'ann�e 1999 pour constater que de plus en plus d'experts ou de commentateurs s'interrogent sur la n�cessit� pour les Etats-Unis de conserver une arm�e de terre importante, d�s lors que les moyens de frappe � distance et les Services correspondant d�montrent une r�activit� sup�rieure et une capacit� autonome � emporter la d�cision. A l'�vidence, les �v�nements ne se sont pas d�roul�s aussi simplement, et les raisons exactes qui ont pouss� Slobodan Milosevic � capituler font encore aujourd'hui l'objet de d�bats. L'essentiel ne r�side pas l�, cependant, mais bien dans la perception d'inutilit� (irrelevance) qui s'est attach�e � l'Army et risque de lui co�ter cher dans la bataille budg�taire � venir.

Le Kosovo, en effet, a lieu un an avant les �lections g�n�rales, elles-m�mes suivies d'une seconde " Revue quadriennale de d�fense ", d'un nouveau gouvernement et d'une l�gislature renouvel�e ; pour la premi�re fois depuis longtemps existe donc l'opportunit� d'un changement de strat�gie et d'une r�allocation des cr�dits et des " r�les et missions " correspondant au sein du d�partement de la D�fense. En bref, l'Army risque gros et ne peut se permettre de donner l'impression qu'elle poursuit sur sa lanc�e (" business as usual ") comme si rien ne s'�tait pass� ; dans le contexte de l'apr�s-Kosovo, l'inertie ne peut qu'�tre politiquement dommageable.

Ce point est d'autant plus important que les deux candidats principaux ont, au moins rh�toriquement, fait all�geance � la RMA et ont promis de moderniser l'appareil militaire am�ricain. George W. Bush, en particulier, en a repris l'un des slogans les plus r�pandus, � savoir la n�cessit� de " sauter une g�n�ration d'armements ". En outre, son entourage semble clairement s�duit par les frappes � distance et tr�s r�ticent � l'endroit des op�rations de stabilisation ; l'Army se retrouve donc attaqu�e " par le haut " et " par le bas ". L'arriv�e aux affaires de Donald Rumsfeld, partisan convaincu de la RMA, se traduit d'ailleurs par le lancement imm�diat en 2001 d'une s�rie de " revues " qui menacent tant les programmes en cours que les structures de force : dans le cadre budg�taire restrictif de l'avant-11 septembre, le financement de la " transformation militaire " proclam�e a de fortes chances d'entra�ner une r�duction du nombre de divisions terrestres.

Dans ce contexte politiquement charg�, et dont l'urgence va croissant entre 1999 et 2001, l'Army n'a donc pas d'autre choix que d'" embrasser " int�gralement la rh�torique de la RMA et de proposer dans la foul�e un projet " r�volutionnaire " qui d'embl�e permette d'" occuper le terrain " budg�taire, ce qui passe par des acquisitions de mat�riels � tr�s br�ve �ch�ance, tout en rem�diant aux insuffisances mises en lumi�re par le fiasco albanais et en pr�servant ce qui peut l'�tre des acquis doctrinaux des ann�es pass�es.

L'Army entre modernisation progressive et ambitions futuristes

Une fois absorb�es les r�ductions de format cons�cutives � la fin de la guerre froide, l'Army se retrouve simultan�ment confront�e � la multiplication des interventions et � la mont�e en puissance de l'�cole de la RMA, qui met en cause les formats, les doctrines et les �quipements existant. Les exercices de r�flexion et d'exp�rimentation lanc�s par l'Army � partir de 1994 r�pondent pour partie � ces pressions, tout en refl�tant les choix propres de l'institution.

L'Army face � la RMA

Apr�s 1995, et compte tenu des engagements internationaux des Etats-Unis, on aurait pu croire finie la p�riode de r�ductions des forces et de diminution des cr�dits. Il n'en a rien �t� dans les faits, comme le montre la premi�re QDR, lanc�e en 1997, et qui avait apparemment pour fonction premi�re de pr�parer les in�vitables r�ductions de format que ne manquerait pas d'entra�ner apr�s 2000 un budget de la d�fense stagnant - de modestes r�ductions d'effectifs sont ainsi organis�es � partir de cette date. C'est seulement � partir de 1999 que la bonne sant� de l'�conomie am�ricaine et la disparition du d�ficit f�d�ral convainquent l'ex�cutif, d'ailleurs sous la pression conjointe du Congr�s et des interventions en cascade, d'augmenter les cr�dits allou�s � la d�fense. En ce sens, les premiers projets innovants lanc�s par l'Army durant les ann�es 1990, " Force XXI " et " Army After Next ", visent d'abord � pr�parer le long terme tout en absorbant le choc de l'apr�s-guerre froide, c'est-�-dire la r�duction du format global et des cr�dits, et en continuant d'assurer les missions sp�cifi�es dans la Bottom-Up Review, � savoir mener victorieusement et simultan�ment deux " conflits r�gionaux majeurs " (Major Regional Contingencies ou MRC) dans le Golfe et sur la p�ninsule cor�enne. Au fur et � mesure que s'amplifie le mouvement de la RMA, les initiatives doctrinales lanc�es acqui�rent une fonction suppl�mentaire : " pr�empter " les critiques des tenants de la RMA en incorporant leur vocabulaire et, pour partie seulement, leurs recommandations.

Pour de nombreux partisans d'une modernisation acc�l�r�e, c'est-�-dire " r�volutionnaire ", les seules marges de manoeuvre budg�taire disponibles, en p�riode d'aust�rit�, sont en effet � rechercher dans l'arr�t des programmes " non r�volutionnaires " (legacy programs) et dans la r�duction du format des forces terrestres. Or, dans la mesure o� les interventions semblent d�montrer les unes apr�s les autres, du Golfe au Kosovo, que le " complexe de reconnaissance-frappe " en cours de formation se suffit pratiquement � lui-m�me et que les alli�s au sol de toute fa�on ne manquent pas, la position de l'Army appara�t de plus en plus fragile et � la merci d'une d�cision politique. En outre, les capacit�s de frappe � longue distance ne cessent de s'am�liorer et de se r�pandre pendant les ann�es 1990 : les munitions de pr�cision (PGM ou Precision Guided Munitions) repr�sentent ainsi 10 % du tonnage total utilis� pendant " Desert Storm ", 35 % pour " Allied Force " et plus de 60 % pour " Enduring Freedom " (" Libert� immuable "); l'arriv�e du guidage par GPS permet d'obtenir une grande pr�cision par tous les temps, et pour une fraction de ce que co�tent les missiles de croisi�re. L'" arriv�e � maturit� " des frappes pr�cises � distance de s�curit�, voire � tr�s grande distance, ne semble pas seulement r�aliser les attentes des avocats historiques de l'" Air Power " depuis Mitchell ; plus fondamentalement, elle met en question la n�cessit� du combat de pr�s, qui constitue bien entendu la raison d'�tre des forces terrestres.

Gr�ce aux progr�s consid�rables de l'�lectronique et de l'informatique (doublement de la puissance des processeurs tous les dix-huit mois), la r�volution de la pr�cision s'accompagne d'am�liorations tout aussi spectaculaires en mati�re d'acquisition (capteurs), et surtout de traitement et de diffusion de l'information (bande passante) jusqu'� promettre la possibilit� d'un champ de bataille rendu " transparent " et donc enti�rement ouvert � des frappes discriminantes conduites � grande distance -l'inflation linguistique n'est pas en reste : on passe du C3I au C4ISR, soit Command, Control, Communications, Computers, Intelligence, Surveillance, Reconnaissance, et les plus enthousiastes d'�voquer une v�ritable " conscience de la situation op�rationnelle " (situational awareness). Dans le m�me ordre d'id�es, la Navy entend exploiter au mieux les nouvelles possibilit�s des technologies de l'information et lance le concept de network-centric warfare ou paradigme de la " guerre r�seau-centr�e ", c'est-�-dire fond� sur l'�change continu d'informations entre les diff�rentes plateformes.

" Force XXI " : l'exp�rimentation progressive de la digitalisation

La premi�re initiative de l'Army consiste justement � essayer d'exploiter les progr�s en mati�re de C4ISR. " Force XXI " se r�sume ainsi en un mot : la digitalisation, soit le fait d'�quiper les diff�rents v�hicules et syst�mes d'armes, et en particulier les v�hicules de commandement, avec des terminaux informatiques reli�s les uns aux autres et les programmes informatiques correspondant. D�nomm�s collectivement FBCB2, pour Force XXI Battle Command, Brigade and Below, ces logiciels g�rent simultan�ment le commandement, le positionnement terrestre par GPS, les transmissions par radio et satellite, l'identification ami-ennemi ou encore les courriers �lectroniques et les images. Les programmes et le r�seau (intranet tactique) fonctionnent sur des terminaux d�di�s rajout�s aux plateformes existantes (appliqu�) ou int�gr�es d�s l'origine pour les plus modernes d'entre elles (Apache Longbow, M1A2 Abrams). Une brigade comprend plus de 1 000 ordinateurs.

La digitalisation doit permettre de r�duire la friction inh�rente aux op�rations militaires, en assurant aux unit�s la capacit� de ma�triser leur environnement (localisation des " amis ", des ennemis et des neutres) et de communiquer leur situation tactique, et en donnant aux chefs la possibilit� d'une manoeuvre beaucoup plus rapide. En ce sens, la digitalisation fonctionne comme un " multiplicateur de force ", c'est-�-dire qu'elle permet d'acc�l�rer le cycle " OODA " et donc d'accro�tre la mobilit� et la puissance de feu. Dans le m�me temps, toutefois, la digitalisation pose de d�licats probl�mes de commandement : il s'agit de savoir jusqu'� quel niveau hi�rarchique distribuer l'information, et plus g�n�ralement quelle approche du commandement adopter. Mis en lumi�re par " Force XXI "� ces probl�mes sont loin d'avoir �t� r�solus depuis lors.

Lanc� en 1994 par le g�n�ral Sullivan, le projet Force XXI est conduit sous la responsabilit� du TRADOC, qui organise une s�rie d'exp�rimentations, de manoeuvres et de wargames (les AWE ou Advanced Warfighting Experiments). Etant donn� les r�ductions alors en cours et les multiples op�rations outre-mer impliquant l'Army, il est d�cid� de donner la priorit� aux unit�s lourdes et de proc�der de fa�on progressive et focalis�e, en digitalisant brigade par brigade la 4th Infantry Division, d�sign�e comme EXFOR ou Experimental Force. Le fait de concentrer ainsi l'innovation sur une seule unit� qui passe tout son temps au National Training Center, � s'entra�ner contre l'OPFOR, permet non seulement de travailler sur la dur�e, mais encore d'exp�rimenter diff�rentes possibilit�s. Pas moins de 11 options sont ainsi examin�es, qui semblent avoir repris certains projets de r�organisation divisionnaire remontant aux ann�es 1970 et 1980. En particulier, TRADOC analyse l'impact de la digitalisation en termes de modularit� : il s'agit de savoir s'il est d�sormais possible d'organiser des brigades permanentes constituant les �l�ments fixes de divisions ad hoc. De m�me, est essay� un format divisionnaire mixte, un peu � la mani�re de TRICAP, qui m�lange infanterie l�g�re, blind�s et h�licopt�res. Le mod�le int�rimaire, ou " Force XXI Interim Division ", retient finalement une organisation assez proche de la division lourde normale, mais avec des capacit�s interarmes renforc�es, en particulier infanterie, feux � longue port�e, reconnaissance et renseignement - ces derniers points correspondant sans surprise aux programmes de modernisation alors en cours, obusier automoteur Paladin, missile � longue port�e ATACMS et h�licopt�re de reconnaissance arm�e Comanche.

Si le projet est en d�finitive absorb� par les plans suivants, il n'en laisse pas moins plusieurs h�ritages importants. En premier lieu, la nature progressive et focalis�e de l'exp�rimentation a assur� son relatif succ�s, sans pour autant parvenir � r�soudre les difficiles questions de commandement soulev�es par la digitalisation. En deuxi�me lieu, " Force XXI " a ouvert la voie, du double point de vue de la m�thodologie et de la doctrine, aux projets suivants, " Army After Next " et " Objective Force " : le premier reprend et projette dans le long terme les implications de la digitalisation ; le second en retient les applications directes en mati�re de C4ISR, mais aussi le principe d'unit�s exp�rimentales permanentes, en l'esp�ce les " brigades interarmes int�rimaires ". En troisi�me lieu, enfin, " ForceXXI " a d�bouch� sur le syst�me FBCB2 (Force Battle Command, Brigade and Below) et le programme de digitalisation en cours de certaines unit�s lourdes.

" Army After Next " : le paradigme du combat de haute intensit� futur

Contrairement � " Force XXI ", qui cherche � mettre � profit les avanc�es existantes de la technologie, " Army After Next " (AAN) se focalise sp�cifiquement sur le long terme, soit par construction la p�riode 2015-2025. En cons�quence, il s'agit davantage d'une vision et de structures de forces th�oriques que d'un programme � proprement parler. En l'absence des technologies concr�tes requises, AAN a consist� pour l'essentiel en une s�rie de wargames. C'est l'occasion pour l'Army d'expliciter ses objectifs de long terme, de se projeter dans un avenir lointain et, par l�, de r�it�rer ce que sont ses pr�f�rences profondes.

En explorant les possibilit�s � long terme de la " r�volution de l'information ", l'Army a cherch� � prendre en compte les menaces futures telles qu'elles sont notamment annonc�es par les partisans de la RMA : prolif�ration des armes de destruction massive, diss�mination partielle des technologies de pointe (niche capabilities) et recours syst�matique au d�ni d'acc�s. La probl�matique envisag�e est double : comment pr�server la possibilit� de l'intervention � grande distance face aux strat�gies de d�ni d'acc�s, qui interdisent de proc�der � une mont�e en puissance progressive ; comment am�liorer la capacit� de manoeuvre terrestre face � l'augmentation pr�visible de la puissance de feu produite par la diffusion des frappes de pr�cision ? Les wargames conduits de 1996 � 2000 font �merger deux r�ponses simples, la vitesse et la profondeur : il va s'agir pour l'arm�e de terre de multiplier par dix (" by an order of magnitude ") la r�activit� strat�gique et la vitesse d'ex�cution tactique, et d'op�rer sur l'ensemble du th��tre. S'agissant de l'arriv�e en force sur un th��tre sous la menace de frappes adverses (forcible entry), la solution propos�e passe par des op�rations " dispers�es " (distributed), c'est-�-dire non lin�aires ; l'absence d'un front et d'une zone arri�re bien d�limit�s doit permettre de minimiser la vuln�rabilit� initiale. De m�me, et pendant toute la dur�e des op�rations, la ma�trise des technologies de l'information est pens�e comme autorisant la d�localisation hors du th��tre de nombreuses fonctions de commandement ou de soutien, en sorte que les unit�s sur place puissent limiter leur logistique et " se retourner " en tant que de besoin ( reach back ), via en particulier les communications satellites, vers les moyens bas�s hors du th��tre. Ce " parapluie informationnel " doit �galement permettre de maintenir un tempo tactique et op�ratif tr�s �lev�, tel que l'action des forces terrestres conjugu�e aux frappes � longue distance fournies par les autres arm�es puisse saturer d'embl�e et d�finitivement la " boucle de d�cision " (OODA loop) ennemie. En bref, la rapidit� des op�rations permet de saisir des avantages de position dans l'espace comme de d�border l'adversaire dans le temps, et donc de dominer son processus de d�cision. A l'�vidence, on retrouve l� les principes fondamentaux du paradigme de la guerre de manoeuvre tel qu'il a �t� �labor� pendant les ann�es 1980, � ceci pr�s que les op�rations non lin�aires men�es sur toute la profondeur de territoire ennemi ont remplac� la synchronisation s�quentielle des capacit�s a�roterrestres.

Pour int�ressant qu'il soit d'un point de vue th�orique, le projet AAN et les conclusions qui en sont tir�es ne vont pas sans soulever de nombreuses questions. Le cadre pos� par AAN est clairement celui, classique, de la grande guerre m�canis�e, mais les moyens envisag�s, sup�riorit� " spatio-informationnelle ", feux ultra-pr�cis � distance de s�curit�, etc., vont tout aussi clairement dans le sens pr�conis� par la RMA. Tout en proclamant que seules les forces terrestres sont � m�me de contr�ler territoires et populations, l'Army appara�t d'ailleurs singuli�rement r�ticente � s'engager de pr�s et compte en fait se reposer dans le futur sur la ma�trise am�ricaine de l'information, comme elle s'est repos�e en 1991 sur la sup�riorit� physique de ses plateformes, pour d�truire l'ennemi � distance. Les probl�mes �pineux comme le combat en zone urbaine ou difficile sont simplement laiss�s de c�t�, et la manoeuvre semble avoir principalement pour but d'obliger l'adversaire � se concentrer en r�ponse, et ce faisant � se rendre vuln�rable aux feux � longue port�e. Or, l'US Air Force est �videmment mieux plac�e, � l'heure actuelle en tout cas, pour revendiquer cette conception des op�rations militaires et surtout mettre en pratique les feux � longue port�e, partie d�cisive de cette strat�gie. En outre, les r�ticences de l'Army � l'endroit des " Operations Other Than War " et la focalisation sur le combat de haute intensit� rentrent �galement en contradiction avec le slogan du " contr�le de l'espace ", et surtout apparaissent singuli�rement d�cal�s par rapport aux r�alit�s imm�diates auxquelles doit faire face l'institution.

Le projet " Mobile Strike Force "

Dans la continuation du plan AAN, l'Army entreprend � partir de 1996 de constituer une " Mobile Strike Force ". A l'origine, celle-ci doit se composer d'un Q.G. d'un nouveau type, plus agile logistiquement, puis d'unit�s modulaires de niveau brigade, aux effectifs et � la composition variables (entre 3 000 et 5 000 hommes), d�finis en fonction de la mission.

Il s'agit de disposer d'une force initiale utile sur tout le spectre des op�rations, qui permette � la fois de r�duire la vuln�rabilit� des forces terrestres en cours de d�ploiement (probl�matique de l'entr�e de vive force, ou forcible entry, �tudi�e lors des wargames conduits dans le cadre " Army After Next "), et de r�pondre rapidement aux op�rations de basse intensit� et urgences diverses de type humanitaire qui sollicitent l'arm�e de terre. Initi�e par le g�n�ral Reimer, " Strike Force " passe par la constitution d'un Q.G. d�di�, combin�e � une s�rie de manoeuvres et de tests conduite par le 2nd Armored Cavalry Regiment. On retrouve l�, h�rit�e de FXXI, l'id�e de processus d'exp�rimentation focalis� sur une unit�-test (test-bed unit). Dans une perspective � long terme, la transformation du 2nd ACR en " Strike Force " repr�sente une sorte de prototype pour AAN. A plus court terme, le projet mise sur la digitalisation afin de d�localiser de nombreuses fonctions d�sormais remplies par des �l�ments non organiques ; le Q.G. " Strike Force " doit s'en trouver plus l�ger et donc plus facilement d�ployable. Par l�, le g�n�ral Reimer reprend � son compte, quoique de fa�on limit�e, les diff�rentes propositions de r�organisation lanc�es � la fin des ann�es 1990, et qui recommandent d'abandonner le syst�me divisionnaire, trop lourd, au profit d'unit�s interm�diaires dot�es d'une r�elle autonomie d'action mais comparables � des brigades en termes de volume. En ce sens, et contrairement � FXXI ou AAN, " Strike Force " a repr�sent� la premi�re tentative v�ritable d'adaptation de l'Army aux exigences du contexte international, par opposition � des sc�narios de grande guerre correspondant aux pr�f�rences de l'institution.

L'ironie du sort a voulu que ce projet arrive en phase de d�veloppement au printemps 1999, juste au moment o� le Kosovo r�v�lait au grand jour les d�ficiences de l'Army, mena�ant de d�g�n�rer en une v�ritable affaire politique.

Le " plan Shinseki " : la " transformation " de l'Army

A consid�rer tout ce qui pr�c�de, depuis l'histoire doctrinale de l'institution, riche d'exp�rimentations et de projets en tous genres s'int�ressant, entre autres, aux interventions hors des th��tres habituels de la guerre froide, jusqu'au traumatisme caus� par " Task Force Hawk ", en passant par les plans de modernisation des ann�es 1990 qui d�bouchent � la fois sur " Army After Next " et " Strike Force ", on ne peut que constater tout ce que le projet " Objective Force " doit au pass� proche, ou lointain, de l'Army. Dans le plan initi� en 1999 par le g�n�ral Shinseki, nouveau chef d'�tat-major, on retrouve en effet tant les facteurs conjoncturels comme le fiasco albanais ou les attaques montantes des partisans de l'Air Power que les aspirations fondamentales de l'arm�e de terre ou les d�bats traditionnels qui la traversent en interne quant � sa mission premi�re.

Plus pr�cis�ment, le plan Shinseki reprend la d�marche et les r�sultats de FXXI et d'AAN, tout en incorporant des �l�ments plus anciens, par exemple les tentatives des ann�es 1980 pour cr�er une division puissante mais facilement d�ployable, HTLD ou HTMD. La d�marche est en fait triple, puisqu'il s'agit simultan�ment de moderniser s�lectivement les forces lourdes (" Legacy Force "), de constituer des unit�s " moyennes " (" Interim Force ") �quilibrant les avantages et les inconv�nients respectifs des divisions lourdes et des divisions l�g�res ; enfin, de lancer l'Army sur un plan de modernisation r�volutionnaire (" Objective Force "), pour lequel les technologies appliqu�es vont devoir �tre r�alis�es en parall�le au travail sur la doctrine et les structures.

Il existe toutefois une diff�rence essentielle avec les initiatives pr�c�dentes, qui tient � l'acc�l�ration consid�rable du " calendrier " : l� o� " Strike Force " pr�voyait un Q.G. et peut-�tre une unit� en 2003, le plan " Interim Force " entreprend de mettre sur pied 5, 6 ou m�me 8 brigades interarmes d'ici � 2007 ; le raccourcissement est encore plus net pour " Objective Force ", cens�e entrer en action � partir de 2008, quand " Army After Next " se projetait � l'horizon 2025. Si cette acc�l�ration t�moigne de l'urgence politique de la r�forme, elle n'en constitue pas moins un pari risqu�, eu �gard � l'�tat des technologies comme aux besoins budg�taires impliqu�s, et que le g�n�ral Shinseki a �valu� entre 40 et 70 milliards de dollars.

La " Legacy Force ", force de pr�caution et r�serve strat�gique

Compte tenu des imp�ratifs conjoints de la transformation et de la disponibilit� op�rationnelle, il �tait indispensable que l'Army r�duise ses investissements en mati�re de recapitalisation des forces, c'est-�-dire de modernisation progressive. Pour cette raison, il a �t� d�cid� de limiter le programme de digitalisation des forces - initialement cens� �tre appliqu� aux unit�s lourdes puis aux unit�s l�g�res - au seul IIIe Corps, d�sormais d�sign� comme " force de contre-attaque " et plus sp�cialement charg� de l'Asie de l'Est (" PACOM "), la Cor�e �tant l'un des derniers th��tres susceptibles de requ�rir d'importantes forces lourdes. Comprenant la 1st Cav. Division, la 4th Infantry Division (Mech) et le 3rd Armored Cavalry Regiment, ainsi que des �l�ments de soutien et des unit�s de r�serve " mari�es " aux divisions d'active, le " Counterattack Corps " constitue la r�serve strat�gique de l'arm�e de terre et participe � la d�fense du territoire tout en �tant pr�t � se d�ployer et � engager des actions " d�cisives ". A ce titre, le " porte-drapeau " de la " Legacy Force " est appel� � b�n�ficier d'un plan de recapitalisation partielle, m�lant le rajeunissement de l'ensemble des plateformes en service et l'am�lioration de certains syst�mes : passage de la version M1A1 � la version M1A2 (System Enhancement Program ou SEP) pour le char Abrams, passage au Bradley M2A3 et � la version AH-64D Longbow de l'h�licopt�re Apache, enfin int�gration des derniers syst�mes digitalis�s de commandement (ABCS). Avec la r�forme de la r�serve, d�sormais plus �troitement associ�e � l'arm�e d'active, cette recapitalisation mod�r�e s'�tend aux unit�s de r�serve du IIIe Corps.

Outre le � la fois Ve Corps (" Victory Corps "), bas� en Allemagne et plus sp�cialement ax� sur la coop�ration au sein de l'OTAN et le maintien de la paix dans les Balkans, l'Army comprend le Ier Corps (" America's Corps "), qui supervise la transformation et les deux brigades exp�rimentant le nouveau format IBCT � Fort Lewis et ne compte par ailleurs que des unit�s de r�serve, enfin le XVIIIe Corps a�roport�, plus sp�cialement charg� de r�pondre rapidement aux urgences susceptibles de se manifester, en particulier au Moyen-Orient (" ARCENT " ou Composante terrestre du commandement central). Justement appel� " Contingency Corps ", le XVIIIe rassemble les unit�s (101st Air Assault, 82nd Airborne, 10th Mountain, 3rd Mech.) devant �tre " transform�es " les premi�res au sein de " Objective Force ".

Pens�e pour limiter les risques associ�s � la transformation, cette r�partition fonctionnelle est �galement g�ographique et dessine les contours possibles d'une arm�e de terre " � plusieurs vitesses ", avec le XVIIIe Corps en pointe, les Ier et Ve Corps en seconde ligne et moins op�rationnels, enfin le IIIe Corps comme r�serve " d�cisive ". En plus de ses vertus strat�giques, entre autres en termes de d�ploiement, cette r�organisation constitue sans doute une concession faite aux diff�rents courants qui traversent l'Army : les armes (branches) lourdes, traditionnellement dominantes, et qui sont d�favorables au plan Shinseki, conservent un " espace pr�serv� " avec les IIIe et Ve Corps, tandis que les " lights " du XVIIIe sont appel�s � b�n�ficier en premier des retomb�es de la transformation.

" Interim Force " : les brigades interarmes interm�diaires

La brigade interarmes interm�diaire, dite IBCT (" Interim Brigade Combat Team "), a �t� lanc�e en octobre 1999 et vise deux grands objectifs : pr�parer la voie aux syst�mes et aux formations futures de l'" Objective Force ", et corriger les d�ficiences constat�es r�cemment en mati�re de d�ploiement rapide et de " versatilit� " des forces terrestres am�ricaines, ce qui implique une r�organisation des structures.

D'abord appel� " Medium Brigade ", l'IBCT est annonc�e " lethal, survivable, mobile, deployable, sustainable, all-spectrum ". Ce sont l� autant de qualificatifs " cod�s " qui reprennent les qualit�s respectives des forces lourdes et l�g�res : les deux premiers font r�f�rence aux capacit�s offensives et d�fensives (puissance de feu et protection) des heavies, le troisi�me � leur mobilit� tactique tout terrain, l� o� les unit�s d'infanterie sont pratiquement immobiles ; en sens inverse, ces derni�res sont tr�s mobiles strat�giquement, puisque l�g�res, faciles � d�ployer et � soutenir. On le voit, il s'agit du vieux probl�me de la " br�che " (gap) entre forces l�g�res et forces lourdes. Tandis que les premi�res arrivent en quelques jours sur le th��tre, mais ont une faible valeur militaire, en particulier contre un adversaire m�canis�, les secondes ont besoin quant � elles de plusieurs semaines pour se d�ployer, ce qui cr�e une fen�tre de vuln�rabilit� maximale entre, en gros, la premi�re et la sixi�me semaine pour un d�ploiement dans le golfe Persique. En outre, les wargames et les analyses ont bien fait appara�tre que la vuln�rabilit� principale de la posture strat�gique am�ricaine tenait � ces d�lais de d�ploiement importants et que les adversaires des Etats-Unis chercheraient probablement � leur interdire l'acc�s au th��tre. Pour r�pondre � ces critiques, qu'on retrouve fr�quemment chez les partisans de la RMA ou de l'Air Power (l'US Air Force insiste sur sa r�activit�, responsiveness), le plan " Army Vision " d'octobre 1999 a fix� des objectifs tr�s ambitieux : d�ployer une IBCT en 96 heures, la premi�re division en 120 heures, et le corps entier en 30 jours, et ce, n'importe o� dans le monde.

A cette mobilit� strat�gique impressionnante, traditionnellement associ�e aux seules unit�s l�g�res, doivent correspondre une �gale mobilit� tactique et un certain degr� de protection pour les personnels, puisque l'IBCT doit pouvoir �tre engag�e de fa�on autonome et sur tout le spectre des op�rations. Eu �gard � ces consid�rations, la brigade interm�diaire est " mont�e " (mounted), c'est-�-dire qu'elle dispose en propre de v�hicules de type " blind�s l�gers � roues ". Le choix du LAV-III (Light Infantry Vehicle), dont des versions ant�rieures sont en service dans les forces arm�es canadiennes et l'US Marine Corps, tient justement � sa l�g�ret� : � 17 tonnes sans blindage externe ajout�, le Stryker, tel qu'il a �t� rebaptis�, peut tenir dans un C-130, avion qui constitue encore aujourd'hui le gros de la flotte de transport a�rien tactique des pays occidentaux, Etats-Unis en t�te. En outre, le choix d'une plateforme � roues, par opposition aux chenilles, permet d'accro�tre notablement la mobilit� sur routes et de r�duire les besoins logistiques (carburant, pi�ces d�tach�es), et l'�quipage est � l'abri des munitions de petit calibre (jusqu'au 14,5 mm). Enfin, la d�signation d'un ch�ssis commun � tous les v�hicules sp�cialis�s (v�hicule de commandement, antichar, artillerie) constitue l� aussi un avantage logistique important, le caract�re interchangeable des pi�ces d�tach�es entra�nant une nette simplification des proc�dures de maintenance et de r�paration.

En ce qui concerne sa composition, l'IBCT h�rite assez directement des initiatives de r�forme pr�c�dentes, � commencer par la " Mobile Strike Force ". Il s'agit en effet d'une brigade d'environ 4 000 hommes, mais pr�vue pour recevoir en augmentation des �l�ments divisionnaires (g�nie, renseignement, h�licopt�res...) ou pour s'articuler elle-m�me au sein d'un dispositif plus large. Elle comprend 3 bataillons d'infanterie, 1 bataillon d'artillerie orient� sur le tir de contre-batterie, plusieurs sections de mortiers, 1 bataillon de soutien, quelques moyens antichar (1 compagnie) et les �l�ments de commandement. L'ensemble constitue � proprement parler une unit� d'infanterie mont�e, comparable � ce que furent les " dragons " au XVIIe si�cle : les plateformes ont d'abord pour fonction de transporter les troupes, puis de les appuyer au combat, mais celui-ci est effectu� � pied (dismounted). Ce format, assez classique en apparence, a cependant ceci d'original qu'il dissocie les hommes des plateformes en situation de combat, initiative qui va � l'encontre des traditions de l'infanterie m�canis�e am�ricaine, tr�s " v�hiculaire " ; il est en outre clairement orient� vers le combat en terrain difficile, zone urbaine ou montagneuse, l� encore tout ce que l'" arm�e de terre institutionnelle " pr�f�re g�n�ralement �viter. L'innovation la plus visible tient � l'inclusion des derni�res avanc�es en mati�re de C4ISR et � l'incorporation d'une composante originale, l'escadron de reconnaissance, de surveillance et d'acquisition des cibles (Reconnaissance, Surveillance, Target Acquisition ou RSTA squadron). Dans la foul�e des exp�rimentations conduites pendant la d�cennie et culminant avec " Force XXI ", les �l�ments de l'IBCT ont �t� mis en r�seau les uns avec les autres, tout en r�servant explicitement la possibilit� de relier en temps quasi r�el la brigade � n'importe quelle autre unit�, qu'elle appartienne � l'Army, l'Air Force ou � un contingent alli�. D�crite comme un pas significatif en direction de la jointness (" interarmisation "), la brigade interarmes a �t� optimis�e pour b�n�ficier de l'appui-feu ou du soutien logistique externe - on retrouve le concept de reach-back - lors d'une op�ration de grande envergure ou en cas d'urgence. Au niveau tactique, l'escadron RSTA reproduit les m�mes fonctionnalit�s, centralisant et distribuant le renseignement. Gr�ce aux UAV et capteurs perfectionn�s (acoustique, syst�mes REMBASS) qu'il incorpore, l'escadron RSTA est plus qu'un simple d�tachement de reconnaissance au sens classique, car il est cens� pratiquer la reconnaissance � distance, et non par contact. De la sorte, l'IBCT peut couvrir un espace tr�s important (50 km x 50 km) et s'adapter aux situations les plus diverses, offensive ou d�fensive, de basse comme de haute intensit�.

Au final, ce type d'organisation semble id�alement adapt� aux " urgences " diverses et autres Small-Scale Contingencies auxquelles l'arm�e de terre a �t� appel�e � faire face au cours des ann�es 1990. Facile � d�ployer, mobile � l'arriv�e et offrant n�anmoins aux hommes qui la composent une certaine protection et une puissance de feu non n�gligeable, l'IBCT est certes pr�vue pour couvrir tout le spectre op�rationnel, mais il para�t assez clair qu'elle a �t� optimis�e pour la moiti� inf�rieure de ce spectre et que, pour l'heure, un conflit de haute intensit� la verrait probablement rel�gu�e � un r�le d'appoint - par exemple flanc-garde � la mani�re de la division Daguet, saisie d'un objectif secondaire, etc. Reste donc � savoir ce qu'elle peut v�ritablement accomplir, et en particulier si elle permet de combler la " br�che " entre lights et heavies, ou si, comme le pr�tendent certains critiques, elle est essentiellement optimis�e pour les missions de stabilisation (l'expression SASO, pour Stability and Support Operations, a officiellement remplac� Operations Other Than War). Dans la m�me perspective, il est sans doute trop t�t pour d�terminer la valeur r�elle de la mise en r�seau des �l�ments de la brigade, et l'impact de cette interconnexion sur le tempo, la s�ret� et l'efficacit� des op�rations. En ce sens, et pour que l'IBCT remplisse sa fonction d'unit� exp�rimentale (test-bed unit) au profit de l'" Objective Force " � venir, il faut encore qu'elle soit mise � l'�preuve de la r�alit�.

" Objective Force " : le " syst�me des syst�mes " terrestre

Si l'" Interim Force " emprunte aux ann�es 1980 (HTLD et HTMD) et aux initiatives plus r�centes comme " Force XXI " et " Mobile Strike Force ", le projet " Objective Force " doit quant � lui beaucoup � " Army Vision 2020 " et � " Army After Next " : loin des obligations terre-�-terre (si l'on ose dire) li�es aux SASO, " Objective Force " semble, pour ce que l'on en conna�t aujourd'hui, se focaliser sur le combat de haute intensit� et les possibilit�s offertes en la mati�re par les technologies les plus avanc�es, en cours de d�veloppement et surtout en projet. En outre, ce projet est par nature beaucoup plus ambitieux, puisqu'il est pr�vu que ce format remplace � partir de 2008-2010 l'int�gralit� de l'Army, legacy forces comme interim forces. Les d�veloppements technologiques anticip�s et la qualit� attendue, entre autres au niveau des plateformes, sont cens�s �tre tels que la capacit� de l'ensemble des forces � traiter les op�rations de basse intensit� s'en suivra naturellement. Il s'agit en effet de mettre sur pied une force int�gralement digitalis�e, connect�e en temps r�el � tous les moyens interarm�es ou coalis�s, dot�e de moyens d'acquisition et de frappe � longue port�e, enfin utilisant une famille de v�hicules empruntant aux blind�s l�gers leur faible poids et les avantages associ�s, et aux blind�s lourds leur puissance de feu et leur niveau de protection.

Avec les �l�ments interconnect�s de l'IBCT ou des divisions FXXI comme mod�le, le but est de relier l'int�gralit� des plateformes et des personnels jusqu'� obtenir un " syst�me des syst�mes " terrestre, parfaitement int�grable au syst�me des syst�mes interarm�es et �ventuellement multinational. Le paradigme suivi est bien celui de la " guerre r�seau-centr�e " (network-centric warfare), qui entend s'appuyer sur les �changes d'information comme un multiplicateur de force et d'efficacit� � tous les niveaux : boucle " sensor to shooter " raccourcie, protection multidimensionnelle, logistique sur mesure... L'Army entend tirer parti des progr�s technologiques en cours, en particulier en termes de C4ISR (acquisition, traitement et diss�mination de l'information), mais aussi en mati�re de carburant, de mat�riaux composites ou encore de munitions, bref tout ce qui touche aux plateformes. L'Army nouveau mod�le en projet doit en effet s'articuler autour du FCS ou Future Combat System, la famille de v�hicules futurs cens�s r�unir les qualit�s des plateformes l�g�res et des plateformes lourdes, et dont une vingtaine de variantes sont envisag�es � l'heure actuelle. Conduite par de tr�s nombreux laboratoires et bureaux d'�tude sous la direction de Boeing et de SAIC en tant qu'int�grateurs-syst�mes, cette recherche doit d�boucher sur un premier d�monstrateur en 2003, et sur des prototypes en 2007.

Par-del� les mat�riels et le concept g�n�ral, l'organisation de l'" Objective Force " et les structures de force sont encore � l'�tude ; l'Army veut aller vers davantage de modularit�, et compte rassembler toutes ces composantes diverses � l'int�rieur d'un mod�le simplifi�, comprenant " unit�s d'action " (units of action), " unit�s de commandement " (units of employment litt�ralement, qui d�terminent l'emploi des " unit�s d'action " et leur adjoignent des capacit�s non organiques telles qu'h�licopt�res ou unit�s de g�nie) et unit�s de soutien d�localis�es - les " MAS-COM " ou maneuver support commands (la d�nomination a remplac� les " CSS " ou Combat Service Support) sont cens�s fournir le soutien logistique � 1 000 km de distance selon le principe du just in time. Parce qu'elle r�organiserait l'ensemble des structures de force, la modularit� irait dans le m�me sens que la plateforme commune FCS. Seraient ainsi d�finitivement abolies les distinctions entre lights et heavies.

A l'�vidence, le projet d'ensemble suppose des avanc�es technologiques consid�rables, puisque la simplification de la logistique, le tempo des op�rations et jusqu'� la r�conciliation des " cultures " de l'Army passent par la r�alisation du FCS, plateforme unique d�clin�e en variantes nombreuses et r�unissant les avantages combin�s des v�hicules l�gers et des blind�s lourds. Sont concern�s p�le-m�le les carburants - l'Army place de grands espoirs dans les piles � combustible -, l'all�gement et l'am�lioration simultan�e des blindages et des moyens de d�fense active ou encore les canons �lectrochimiques. Or, les estimations les plus courantes en la mati�re soulignent que la plupart de ces technologies ne seront pas pr�tes avant 2020, soit douze ans apr�s l'entr�e en service th�orique du FCS. Demeurent enfin de nombreuses inconnues politiques et budg�taires. Sans savoir pour l'heure � quoi l'" Objective Force " est appel�e � ressembler r�ellement, il est difficile d'�mettre un avis d�finitif. En l'�tat, le projet laisse cependant plut�t sceptique.

III. Evaluations crois�es

Malgr� un accueil initialement favorable, le projet Shinseki fait aujourd'hui l'objet d'un intense d�bat aux Etats-Unis, particuli�rement au sein de la communaut� de d�fense et de l'arm�e de terre elle-m�me. Bien que largement conditionn� par les rivalit�s entre Services et les motivations politiques, ce d�bat permet de mettre en �vidence les faiblesses du projet, qu'il s'agisse de l'utilit� limit�e des IBCT - dont l'int�r�t principal semble finalement r�sider dans la mobilit� tactique - ou des doutes qui entourent l'" Objective Force ". Tout en se d�tachant du sch�ma doctrinal classique de l'arm�e de terre, ce projet n'apporte pas corr�lativement de r�ponses claires aux questions d�licates qui vont de pair avec la digitalisation du champ de bataille, la pr��minence d'une logique de ciblage et les rivalit�s interarm�es.

Evaluation militaro-op�rationnelle : les insuffisances de l'IBCT

Que ce soit au niveau des capacit�s de combat, de la reconnaissance ou m�me de la mobilit� strat�gique, pourtant sa raison d'�tre, l'IBCT souffre de limitations r�elles. Pour autant, la brigade actuellement en formation para�t � m�me de r�pondre aux missions de basse intensit� pour lesquelles elle a �t� vraiment cr��e. En outre, elle permet de tester sur le terrain � la fois des concepts novateurs comme la reconnaissance �lectronique et le reach-back, mais aussi de remettre progressivement en cause la structure divisionnaire rigide h�rit�e de l'histoire de l'Army.

Mobilit� strat�gique et tactique

Le lancement des IBCT s'est fait en r�action au fiasco de " Task Force Hawk " et le g�n�ral Shinseki est syst�matiquement revenu sur la rapidit� de d�ploiement qu'autoriserait cette nouvelle organisation, � tel point que la " d�ployabilit� " des brigades interm�diaires - " 1 brigade en 96 heures, 1 division en 120 heures et un corps en 30 jours " - est devenue le principal argument de l'Army aupr�s du Congr�s. Or, l'analyse d�taill�e du v�hicule Stryker et plus encore des r�alit�s logistiques et g�ographiques, conduit � des conclusions nettement moins optimistes.

Tout d'abord, il convient de souligner que les temps de d�ploiement de l'Army sont, � l'�vidence, sans comparaison avec ce que peut faire n'importe quelle autre arm�e, et surpassent m�me les moyens am�ricains lors de la guerre du Golfe. Le pr�positionnement de mat�riels et l'augmentation des gros transports de troupes navals et a�riens (avions C-17, fast sealift ships, MLRS ou Medium Roll-on, Roll-off Ships) pendant les ann�es 1990 ont permis une am�lioration modeste, mais r�elle. L'�tude conduite � ce sujet dans le cadre de la Bottom-Up Review (Mobility Requirements Study, MRS BURU) a ainsi pr�vu le d�ploiement de la Ready Brigade d'une division l�g�re 4 jours apr�s le lancement de l'op�ration, le reste de la division arrivant � C+12 ; la premi�re brigade lourde arrive � C+15, le reste de la division ainsi qu'une autre (probablement la 101e) � C+30 ; l'ensemble du Contingency Corps doit �tre en ordre de bataille � C+75. Toutefois, les unit�s lourdes ne peuvent �tre op�rationnelles " au sortir du bateau ", et surtout ce calendrier suppose des pr�positionnements importants de mat�riels pour �tre respect� - les Army Prepositioned Stocks ou APS. En d'autres termes, le syst�me fonctionne essentiellement pour la r�gion du Golfe, l'Europe et l'Asie du Nord-Est, c'est-�-dire les zones strat�giques traditionnelles.

Au vu de ces chiffres, et en gardant � l'esprit les d�lais de d�ploiement proclam�s pour l'IBCT, il est clair que l'objectif est d'aligner les temps de d�ploiement des forces " moyennes " sur celui des forces l�g�res, ce qui suppose d'abord que les v�hicules soient transportables � bord d'avions C-130, qui forment le gros des moyens de transport de l'US Air Force. Or, le Stryker a suscit� � cet �gard de nombreuses difficult�s : le v�hicule d'origine est trop large pour l'avion, et son blindage insuffisant a d� �tre renforc�, au point de d�passer, pour 8 des 10 versions du LAV-III, de 1,5 tonne, le seuil autoris� de 20 tonnes. Rajouter un blindage ext�rieur (" applique armor ") prend du temps � l'arriv�e et complexifie le transport lui-m�me. En outre, les trois IBCT en cours de formation sont toutes stationn�es aux Etats-Unis, ce qui interdit pratiquement d'utiliser des C-130 au rayon d'action trop limit�, et oblige � recourir aux transports " strat�giques " comme le C-5 et le C-17, dont les capacit�s impressionnantes sont compens�es par le nombre limit� de ces appareils et la demande importante dont ils font l'objet de la part des autres arm�es, l'Air Force en particulier.

Ce sont l� toutefois des probl�mes temporaires, susceptibles d'�tre r�gl�s � l'avenir ; il n'en va pas de m�me pour ce qui est de la " l�g�ret� artificielle " de l'IBCT ou des limitations intrins�ques au d�ploiement par voie a�rienne.

En premier lieu, le choix du transport a�rien appara�t probl�matique, car il fait d�pendre la rapidit� de d�ploiement des capacit�s a�roportuaires des pays h�tes : il ne suffit pas en effet de mesurer la contenance et la capacit� d'emport des avions de transport, il faut encore prendre en compte le trafic maximum (throughput) des installations a�roportuaires d'arriv�e (nombre et longueur des pistes, �quipement de manutention), qui sont presque toujours tr�s inf�rieures aux normes rencontr�es en Occident dans les a�roports majeurs, civils ou militaires. A l'aide d'une simulation par ordinateur utilisant le logiciel JFAST (Joint Flow Analysis System), le Lieutenant-Colonel Jonathan Brockman a pu ainsi �tablir une estimation du temps de r�action de l'IBCT dans un sc�nario de crise au Rwanda : parce que l'a�roport de Kigali ne peut g�rer quotidiennement que 400 " Short Tons ", contre 2 800 � McChord Air Force Base par exemple, le d�ploiement prendrait 29 jours en incluant les 6 jours n�cessaires au transit hors de l'a�roport. Pour tenir la limite des 96 heures, il faut donc disposer sur le th��tre soit d'un a�roport moderne et de grande taille (une capacit� de 2 500 Short Tons est n�cessaire au d�part et � l'arriv�e), soit de plusieurs a�roports accessibles. Si cette derni�re �ventualit� semble correspondre � l'id�e d'op�rations " distribu�es ", elle se heurte cependant � deux r�alit�s, la premi�re �tant que chaque point de d�barquement doit �tre s�curis� pour les appareils de l'Air Force, ce qui implique de nouvelles charges logistiques, la seconde que la " dispersion " des op�rations rencontre des limites en termes de commandement et de protection des �l�ments s�par�s. L'on imagine mal les �l�ments d'une IBCT arrivant par de multiples points d'entr�e distants les uns de autres de plusieurs dizaines de kilom�tres, voire davantage ; la brigade a �t� pens�e comme un tout susceptible d'op�rer sur une zone plus vaste (50 km x 50 km) qu'il n'est habituel pour une brigade, non comme un r�servoir de forces d�tachant des �l�ments autonomes, en particulier en situation de combat. M�me en supposant l'acc�s simultan� � 3 a�roports, la simulation d�montre qu'au moins 11 jours sont n�cessaires, soit 7 de plus que l'objectif fix� par le g�n�ral Shinseki. Compte tenu de ces multiples contraintes, l'auteur de cette �tude logistique recommande en conclusion de s'appuyer davantage sur le transport maritime - plus rapide de quelques jours dans le sc�nario que le transport a�rien -, d'augmenter les capacit�s am�ricaines en la mati�re et de pr�positionner � l'�tranger l'�quipement d'au moins une IBCT, de fa�on � pouvoir utiliser simultan�ment les trois composantes du transport strat�gique, MLRS et fast sealift ships, C-17 et C-130, et APS.

En second lieu, et certainement afin de faciliter son acheminement par air, l'IBCT n'embarque avec elle qu'une logistique tr�s aust�re, ce qui implique que la zone d'arriv�e permette de couvrir ses besoins en carburant, munitions et eau ; telle quelle, la brigade emporte uniquement l'�quivalent de 3 jours de combat. Dans le m�me ordre d'id�es, les capacit�s EVASAN de la brigade sont tr�s limit�es (20 bless�s peuvent �tre trait�s), et ce bagage logistique " frugal " serait encore plus inad�quat en cas d'ajout au sein de l'IBCT d'unit�s non organiques - les h�licopt�res pr�vus � cet effet sont particuli�rement contraignants d'un point de vue logistique. Qu'il s'agisse d'augmentation de la brigade, d'�vacuation sanitaire ou plus simplement de " persistance logistique " (sustainability), l'IBCT devra donc tr�s largement compter sur un soutien ext�rieur pr�sent sur le th��tre. Th�oriquement sup�rieure, en particulier sur route, � celle d'une unit� �quivalente �quip�e de v�hicules � chenilles, la mobilit� de la brigade pourrait donc �tre s�v�rement limit�e par l'insuffisance du soutien organique.

Capacit�s de combat

D'un point de vue tactique, l'IBCT est d'abord une unit� d'infanterie mont�e, et pour laquelle il est explicitement pr�vu que les soldats combattent " � pied " (dismounted). Ceci tient sans doute � la gamme complexe de missions que la brigade est appel�e � remplir, et qui impliquent forc�ment d'op�rer en terrain difficile : le maintien de la paix suppose � tout le mois de pouvoir circuler en zone urbaine ou bois�e. Plus profond�ment, on soup�onne les concepteurs de l'" Interim Force " d'avoir voulu privil�gier la pr�sence au sol et au contact des populations, par opposition au combat " mont� ", afin de battre en br�che la tradition dominante de l'arm�e de terre am�ricaine et son go�t pour la " grande guerre m�canis�e ". La composition de la brigade est � cet �gard r�v�latrice : les sections de mortier et groupes de snipers y tiennent une plus large place que les moyens antichars.

Dans le m�me temps, toutefois, de nombreux critiques soulignent les insuffisances dont souffre l'IBCT en termes de puissance de feu et de protection. A l'occasion des tests, le Stryker s'est en effet r�v�l� inf�rieur aux attentes de l'Army, et il a fallu reprendre la conception du blindage en respectant les imp�ratifs de poids, sans que l'on sache pour le moment ce que sera le r�sultat. De nombreux officiers et la majorit� des experts mettent d'ailleurs en doute ce choix et font valoir que l'Army poss�de d'importants stocks de M-113 - certaines versions seraient sup�rieures au Stryker en protection et en l�g�ret�, quoiqu'� chenilles - ou qu'elle aurait d� poursuivre le projet M8 Armored Gun System. Dans l'attente, il est n�cessaire de rev�tir le v�hicule d'un blindage ext�rieur suppl�mentaire, ce qui ralentit les op�rations et induit une vuln�rabilit� initiale. Pour ce qui est de la puissance de feu, et compte tenu des stocks de munitions tr�s r�duits de l'unit�, le bataillon d'artillerie a pour fonction premi�re de d�truire d'�ventuelles batteries adverses et ne peut gu�re remplir l'une des missions traditionnelles de l'arme, � savoir le feu de neutralisation (suppressive fire). Des mortiers en abondance au sein des bataillons et en section organique sont cens�s pallier ce manque, d'autant moins significatif aux yeux des d�fenseurs du projet que les tirs de neutralisation par artillerie lourde apparaissent politiquement inadapt�s � la plupart des contextes op�rationnels envisageables. Toutefois, et jusqu'� l'arriv�e des obus de mortier de derni�re g�n�ration, cens�s �tre extraordinairement pr�cis, les mortiers ne sont pas davantage discriminants, et ne sauraient pr�tendre aux m�mes effets militaires que l'artillerie, qu'il s'agisse d'interdire une zone ou de d�truire des blind�s gr�ce � des munitions intelligentes de type SADARM. Conjugu�e au fait que la brigade ne comprend qu'une simple compagnie antichars dot�e du syst�me Javelin, dont la port�e est inf�rieure � celle de la plupart des blind�s, cette carence en artillerie se traduit par une d�ficience g�n�rale en termes de capacit�s antichars. La m�me appr�ciation peut �tre port�e concernant les capacit�s en tir direct, avec un seul peloton (platoon) de " Mobile Gun Systems " - sachant que c'est cette derni�re version du Stryker qui logiquement pose le plus de probl�me de poids, et que son canon devra peut-�tre subir un all�gement.

Au final, l'IBCT appara�t plus sp�cialement adapt�e aux missions d'infanterie et, en l'absence d'augmentation divisionnaire, relativement fragile dans le cadre d'un affrontement de moyenne intensit�. Face � une situation de ce type, le concept d'emploi de la brigade pr�ne l'�vitement et le repli. En ce sens, l'escadron RSTA de reconnaissance �lectronique est la premi�re ligne de d�fense de l'IBCT et l'" avant-garde " de l'" Objective Force ", largement orient�e sur le combat � distance et la sup�riorit� " informationnelle ".

Reconnaissance �lectronique

On ne saurait trop insister sur le r�le central jou� par l'escadron RSTA, non seulement comme composante essentielle de la brigade interarmes interm�diaire, mais encore comme " d�monstrateur " et � vrai dire seul �l�ment de l'IBCT qui annonce le syst�me des syst�mes que doit �tre l'" Objective Force ". Par bien des aspects, la viabilit� m�me de l'IBCT d�pend du succ�s avec lequel l'escadron remplira ses fonctions de surveillance, de reconnaissance et d'acquisition d'objectifs. L'acquisition de cibles � longue distance est en effet la condition sine qua non des frappes de pr�cision, la pr�cision devant permettre, en se substituant au volume des feux terrestres classiques, d'all�ger la logistique requise et donc d'am�liorer la " d�ployabilit� ", ce qui explique pour partie l'" aust�rit� " de la brigade. L'escadron RSTA remplit �galement la fonction, encore plus critique, de " protection de la force " : l'acquisition � distance de s�curit� doit permettre d'�viter le contact, et donc les nombreuses exigences qui en d�coulent en termes de protection et de puissance de feu organiques (blindage, tir direct, volume des feux). En d'autres termes, le concept de l'IBCT s'appuie lourdement sur la reconnaissance, de la surveillance � l'acquisition d'objectifs en temps r�el, pour suppl�er aux d�ficiences de la brigade par rapport aux unit�s lourdes classiques. Pour ce faire, l'" Interim Force " et plus encore l'" Objective Force " partent d'une conception " transform�e " de la reconnaissance, qui ne va pas sans soulever quelques interrogations. Il s'agit de substituer � la reconnaissance par contact la reconnaissance �lectronique, conduite enti�rement � distance de s�curit�. Les cons�quences associ�es � ce changement affectent profond�ment la conduite des op�rations, sont d�sormais regard�es comme partiellement inutiles certaines des fonctions classiques des unit�s de cavalry de l'arm�e de terre, telles que la s�curisation physique d'une zone, la s�ret� des communications (flanc-garde, etc.) et l'attaque " probatoire " (probe) ou de diversion visant ou permettant l'�conomie des forces. Or, il s'agit l� d'un pari reposant sur des hypoth�ses non encore v�rifi�es, et pour certaines d'entre elles douteuses.

Il faut tout d'abord rappeler que la technologie est pour l'heure loin d'�tre suffisante. Malgr� les progr�s consid�rables r�alis�s en mati�re d'acquisition et de traitement de l'information, la surface terrestre, et en particulier les terrains complexes, se pr�te tr�s bien au camouflage et � la dissimulation : les capteurs actuels ne permettent que fort mal l'acquisition d'objectifs dans les zones urbaines, montagneuses ou bois�es, et rien ne permet pour l'heure d'affirmer que l'am�lioration technologique rendra � moyen terme le " m�dium terrestre " aussi fluide et transparent que l'air ou la mer peuvent l'�tre. Ne serait-ce qu'avec le d�veloppement des zones dens�ment peupl�es, les zones urbaines tout sp�cialement, le r�le du terrain devrait demeurer essentiel. En outre, la fusion en temps r�el de donn�es provenant de capteurs multiples (infrarouges, radars, acoustiques) continue de poser un probl�me math�matique de premier ordre, qui surpasse la capacit� de calcul informatique actuelle, en d�pit des progr�s exponentiels en la mati�re. On est donc encore loin de pouvoir frapper de fa�on discriminante un grand nombre de cibles " discr�tes " et surtout mobiles.

En sens inverse, la reconnaissance par contact constitue un gage de s�curit� qui renseigne sur le dispositif ennemi comme sur ses " dispositions morales ", l� o� la reconnaissance � distance ne renseigne en r�alit� que sur des " signatures " �lectroniques. L'" information " dont parle la RMA est en effet constitu�e par les coordonn�es g�oterrestres de signatures �mises par les diff�rents individus ou plateformes. En d'autres termes, la reconnaissance �lectronique ne fournit qu'un signalement, une direction et un volume th�oriques, en aucun cas elle ne peut renseigner sur ce que la doctrine sovi�tique appelait la " corr�lation des forces ", qui pr�cis�ment ne s'appr�cie que par le combat. G�n�ralisant � partir de son exp�rience des engagements, Clausewitz faisait d�j� valoir cet argument au niveau de la strat�gie g�n�rale : la " mont�e aux extr�mes " repose justement sur le caract�re " incalculable " et donc impr�visible du rapport de force, et oblige donc � la prudence en termes de moyens, par exemple la redondance, le " g�chis "... Le raisonnement est directement applicable au niveau tactique : sans reconnaissance active, on ne peut par exemple appr�cier la combativit� et le niveau g�n�ral de l'ennemi. A l'instar du Battle Damage Assessment (BDA) pratiqu� par l'US Air Force, la reconnaissance �lectronique ne donne au mieux que des indications sur le dispositif physique de l'adversaire, et l'on sait toutes les difficult�s et les incertitudes qui entourent le BDA lors des campagnes de frappes a�riennes, depuis la guerre du Golfe jusqu'au Kosovo et � l'Afghanistan. Le renseignement �lectronique conduit � une focalisation quasi exclusive sur les " plateformes " ennemies, d�tectables et donc " comptables ", comme l'a illustr� le probl�me des pertes irakiennes pendant la guerre du Golfe. Le g�n�ral Schwarzkopf avait demand� aux planificateurs de l'offensive a�rienne de neutraliser 50 % du potentiel m�canis� irakien, autrement dit la moiti� des plateformes pr�sentes au Kowe�t et au sud de l'Irak, pour que la phase terrestre des op�rations puisse �tre engag�e dans des conditions optimales. Non seulement cette proportion ne fut jamais atteinte (la r�alit� se situe probablement autour de 30 %), mais encore la Defense Intelligence Agency se fonda-t-elle sur ces �valuations pour produire sa propre estimation des pertes ennemies. En r�alit�, les 100 000 morts irakiens annonc�s � l'�poque, chiffre tenu depuis lors pour exact, correspondent tout simplement aux effectifs th�oriques des v�hicules, multipli�s par le nombre th�orique de v�hicules d�truits. Un bon exemple a contrario est fourni par l'offensive irakienne sur Al-Khafji, qui a indiqu� au g�n�ral Boomer, commandant de l'US Marine Corps, l'�tat v�ritable des forces irakiennes et donc la r�alit� du rapport de force.

Enfin, la reconnaissance �lectronique suppose que soit toujours conserv�e une sup�riorit� technologique am�ricaine aux effets d�cisifs, c'est-�-dire ni �gal�e par un peer competitor, ni surtout contr�e par le recours � des postures asym�triques. Or, les recours � disposition de l'adversaire sont multiples, depuis des strat�gies low-tech et � faible co�t, comme le camouflage, la dispersion des unit�s sur le terrain et parmi les populations, jusqu'� l'emploi de moyens plus sophistiqu�s, comme le brouillage, l'attaque syst�matique des plateformes porteuses de capteurs (JSTARS, AWACS, UAV) ou m�me la d�tonation en haute atmosph�re d'une arme nucl�aire, qui d�truirait � peu pr�s la moiti� de la flotte globale de satellites, dont on sait l'importance cruciale pour le C4ISR. En d'autres termes, et en d�pit des avantages tr�s r�els qu'elle conf�re, la reconnaissance �lectronique s'accompagne de vuln�rabilit�s nouvelles : les signatures peuvent �tre brouill�es, exag�r�es ou contrefaites, et l'ennemi est fortement incit� � s'en prendre aux points nodaux du syst�me des syst�mes. A l'�chelle de l'IBCT, la destruction des UAV et de quelques capteurs peut r�duire l'escadron RSTA � une unit� de reconnaissance plut�t sous-�quip�e en v�hicules et capacit�s de reconnaissance par le feu par rapport � son �quivalent " non transform� ". Enfin, la " conscience de la situation op�rationnelle " (situational awareness) engendr�e par les moyens �lectroniques peut bien entendu �tre compl�t�e par le renseignement humain, mais elle n'en reste pas moins, �tant donn� les limitations de capteurs, orient�e majoritairement vers les v�hicules. Autrement dit, son utilit� au niveau " individuel ", c'est-�-dire non v�hiculaire, risque d'�tre r�duite.

Conclusions provisoires

En d�finitive, l'" Interim Force " souffre d'un certain nombre de limitations s�rieuses. Les objectifs fix�s par le g�n�ral Shinseki en mati�re de d�ploiement paraissent irr�alistes dans la plupart des situations envisageables, compte tenu des infrastructures a�roportuaires des pays d'arriv�e, et la " d�ployabilit� " actuelle des forces terrestres am�ricaines est loin d'�tre aussi catastrophique que ne le pr�tendent les d�fenseurs de la RMA. L'Army a utilis� l'argument de la mobilit� strat�gique, mais l'analyse fait appara�tre que l'int�r�t principal des IBCT r�side dans leur mobilit� tactique, sup�rieure � celle des forces " traditionnelles ", d�s lors que les brigades sont soutenues et que la mission n'implique pas de combat de haute intensit�. Sous ce rapport, la l�g�ret� logistique de la brigade interarmes ne ferait d'ailleurs que magnifier ses insuffisances en termes de puissance de feu et de protection. Est �galement en cause la viabilit� du Stryker. Pour ces raisons, l'IBCT ne semble pas destin�e � l'" entr�e en force " ou, telle quelle, aux op�rations de combat dans des th��tres aust�res ; sa mission premi�re reste les op�rations de stabilisation (SASO). En d�duire, comme le font certains, que l'utilit� de l'IBCT se limite � " refaire le Kosovo " para�t en revanche exag�r�. Si les analyses pr�c�dentes soulignent effectivement que l'IBCT a pour fonction premi�re de g�rer le bas du spectre, l'id�e m�me d'une brigade interarmes orient�e vers le combat d'infanterie constitue une tentative ouverte de remettre en cause la culture et les " armes " dominantes de l'institution. Parall�lement, l'inclusion de l'escadron RSTA devrait permettre de confronter � l'�preuve de la r�alit� certains des concepts-phares de la " transformation ", comme le caract�re surd�terminant de l'information ou la viabilit� du combat � " distance de s�curit� " (standoff engagement). Dans cette perspective, les critiques sugg�r�es � propos de l'IBCT semblent devoir s'appliquer plus largement encore � la future " Objective Force ".

Evaluation strat�gique : le couple feu-manoeuvre et l'interarmisation

S'il correspond � la projection dans l'avenir des nouveaux concepts utilis�s par l'IBCT, le projet " Objective Force " tranche toutefois beaucoup plus nettement avec l'h�ritage culturel et doctrinal de l'arm�e de terre. Dans la foul�e du discours de la RMA, l'Army a en effet d�velopp� avec " Objective Force " une vision du combat futur articul�e sur les r�les respectifs des feux � longue distance et de la manoeuvre, ainsi que sur une refonte du commandement et de l'acc�s au soutien interarm�es. Bien qu'elle incorpore aussi des �l�ments propres � la tradition du combat terrestre, cette vision du combat futur semble accepter la th�se du " changement de paradigme " militaire, sans toutefois apporter de r�ponses claires aux questions multiples que suscitent la digitalisation du champ de bataille, la pr�dominance d'une logique de ciblage et l'�tat des relations interarm�es.

Le commandement

Les progr�s en mati�re de traitement et de diss�mination de l'information sont porteurs d'interrogations tr�s r�elles concernant non seulement les rapports entre autorit� politique et commandement op�rationnel, mais aussi la nature m�me des relations hi�rarchiques au sein des arm�es. Malgr� plusieurs ann�es d'exp�rimentation de la digitalisation, l'Army n'a toujours pas trouv�, semble-t-il, de solution satisfaisante � une s�rie de probl�mes complexes, rendus plus difficiles encore par les rivalit�s entre Services.

La communication en temps r�el et le volume d'information qu'il est d�sormais possible de transf�rer autorisent en effet les �chelons les plus �lev�s de la hi�rarchie, autorit�s politiques comprises, � s'impliquer tr�s directement dans les op�rations et � r�duire d'autant la marge de manoeuvre et l'initiative des �chelons interm�diaires. Si l'on en croit les divers exemples historiques, depuis la guerre de Sept Ans jusqu'aux campagnes de bombardement du Nord-Vietnam, l'immixtion du pouvoir civil dans le d�tail des op�rations est rarement b�n�fique. En sens inverse, la diss�mination de l'information aux plus bas �chelons et la formation d'une " image commune de la bataille " (common operational picture) peuvent amener certains militaires � prendre des d�cisions qui rel�vent normalement de leurs sup�rieurs ou m�me de l'autorit� politique, et qui n'ont pas �t� avalis�es. Les avanc�es de la technologie des communications posent donc le probl�me de l'�quilibre � trouver entre maintien d'une hi�rarchie politiquement l�gitime et exploitation des " structures en r�seau " et de l'initiative individuelle permises par la technologie : le " micro-management " nuit � l'efficacit� tactique et suscite une paralysie " op�rative " ; l'absence de d�limitations claires est peu d�mocratique et s'est r�v�l�e parfois difficilement compatible avec la d�finition rigoureuse d'une strat�gie.

Bien que ces �l�ments affectent tous les Services, ils paraissent particuli�rement probl�matiques dans le cas de l'Army. Cette sensibilit� sp�cifique de l'arm�e de terre se v�rifie d�j� au niveau des relations civilo-militaires, puisque les risques de pertes qui vont plus naturellement de pair avec les engagements au sol ne peuvent que renforcer chez les politiques la tentation du micro-management. L'arr�t des op�rations terrestres en f�vrier 1991, pr�matur� au regard de l'objectif militaire de destruction de la Garde r�publicaine irakienne, a ainsi tenu � une intervention directe de l'autorit� politique, soucieuse d'�viter la perception de " pertes inutiles " au sein de l'opinion - et la guerre du Golfe se distingue pourtant de la plupart des autres op�rations conduites ces vingt derni�res ann�es par la relative autonomie tactique et op�rationnelle laiss�e aux militaires.

La sensibilit� particuli�re de l'Army se v�rifie bien davantage encore au niveau des fonctions de commandement et de contr�le. L� o� l'Air Force d�ploie le plus souvent quelques milliers de personnels et organise des strike packages d'une quinzaine d'avions qui interviennent par vagues successives, l'Army doit contr�ler des dizaines d'unit�s, des milliers de v�hicules et des dizaines de milliers de soldats. En ce sens, et si le nombre de ses plateformes devrait �tre, selon certains, consid�r� par l'Army comme une opportunit� lui permettant de tirer parti au maximum des possibilit�s du network-centric warfare, cette pl�thore garantit �galement que les probl�mes de commandement g�n�r�s par cet accroissement in�dit des capacit�s de communication rejaillissent plus brutalement sur l'Army.

Or, les probl�mes que le " temps r�el " et l'interconnexion des unit�s suscitent sont fort nombreux. Tout d'abord, les progr�s consid�rables r�alis�s dans le domaine de la diffusion de l'information restent inf�rieurs � l'explosion de la demande, � tel point que la bande passante maximale offerte par les ondes radios, m�me � tr�s haute fr�quence, para�t d'ores et d�j� insuffisante. Cet app�tit pour des communications permanentes incluant les messages et la voix, mais surtout l'image, g�n�re � son tour ce qu'il est d�sormais convenu d'appeler une surcharge d'information (information overload), qui concerne la capacit� de traitement informatique, mais surtout les op�rateurs eux-m�mes, au point que le temps r�el se trouve parfois ralentir le cycle d�cisionnel et donc le tempo des op�rations. Aucune solution n'est en vue pour l'instant, et il semble m�me que les probl�mes associ�s au processus de digitalisation en cours dans l'Army depuis plus de cinq ans aient �t� volontairement minimis�s par l'institution.

Au niveau tactique, enfin, la communication instantan�e et " sans verrou ", sur le mod�le d'Internet, est susceptible, dans des conditions permissives, de favoriser la diffusion de fausses informations aupr�s de la population ou de propager au sein des troupes un effet de panique local, comme ce fut d�j� le cas en 1940 du c�t� fran�ais avec la radio. On peut penser �galement aux soldats isra�liens, reli�s en temps r�el � leur famille gr�ce aux t�l�phones portables, au grand dam des autorit�s militaires. L'ubiquit� des communications modernes pose donc de d�licats probl�mes de commandement : quelle part de contr�le sacrifier, quelle part de risque accepter afin de maximiser les avantages de la situational awareness et des " structures horizontales " autonomes ? Bannir les contr�les afin de laisser jouer au maximum l'initiative individuelle risque fort d'entra�ner des d�sagr�ments, voire des r�percussions politiques. A l'inverse, si des verrous et des proc�dures hi�rarchiques sont syst�matiquement r�introduits dans le r�seau, celui-ci redevient pour l'essentiel semblable aux structures " verticales " habituelles et perd une grande partie de son int�r�t. En d'autres termes, et qu'il s'agisse de surcharge d'information ou d'effets ind�sirables, aucune solution radicale n'est satisfaisante. Il est bien entendu possible de r�guler plus finement le trafic en d�finissant des modalit�s de contr�le flexibles, laissant par exemple � chaque �chelon le soin de d�finir les crit�res de filtrage, de fa�on � �viter la surcharge et � limiter les possibilit�s de fuite. Cette position a, par exemple, la faveur de l'US Marine Corps, qui y voit naturellement un gage de souplesse tactique : l'initiative et le commandement d�centralis�s (mission orders) sont � la base de la guerre de manoeuvre, paradigme dont le Corps se r�clame tr�s officiellement.

En p�riode de conflits le plus souvent limit�s, mais fortement m�diatis�s, la logique de l'Auftragstaktik appliqu�e � l'information para�t toutefois difficile � mettre en pratique, puisqu'une d�cision en apparence tactique peut avoir des r�percussions politiques. L'Army a pour sa part historiquement favoris� la centralisation du commandement, m�me durant les p�riodes, comme les ann�es 1980, o� la doctrine officielle pr�nait l'initiative et la d�centralisation. Tirer pleinement parti des technologies de la communication supposerait d'ailleurs, comme cela s'est fait dans l'industrie, d'aller vers des structures plus " horizontales ", c'est-�-dire de supprimer certaines hi�rarchies ou organisations interm�diaires, � commencer par la division. Si le plan Shinseki semble bien prendre cette direction en faisant de la brigade l'unit� de base de la manoeuvre op�rative, il est encore trop t�t pour savoir ce que recouvriront les unit�s de commandement (units of employment) pr�vues par l'" Objective Force ". Apparemment, l'Army h�site � relier directement les " brigades " (UA) � un �tat-major de niveau corps, et pense � des " unit�s de commandement " interm�diaires, soit des structures de commandement de niveau divisionnaire.

Quelle que soit la solution id�ale finalement pr�conis�e, elle se heurtera � plusieurs obstacles majeurs, si elle va nettement dans le sens du commandement d�centralis�. Il faudrait tout d'abord revoir en profondeur l'instruction des officiers, l'arm�e de terre actuelle r�servant aux seuls colonels pleins et aux g�n�raux une formation g�n�raliste et " strat�gique " ; la culture de l'institution en serait profond�ment affect�e. En second lieu, la suppression des niveaux interm�diaires ne pourrait qu'exacerber les probl�mes d'interarmisation : qu'un colonel � la t�te d'une brigade puisse directement faire appel au soutien interarm�es risque d'�tre mal ressenti, et par la hi�rarchie de l'Army, qui craindra un " asservissement " de ses unit�s disjointes au profit par exemple de l'Air Force et pr�f�rera n�gocier au plus haut les modalit�s de la coop�ration, et par les autres Services, qui ne veulent pas �tre en permanence plac�s en soutien, c'est-�-dire " aux ordres " de l'Army. La r�volution de l'information engage ainsi une red�finition du commandement, avec toutes les difficult�s et les risques que cela implique, entre autres dans les relations entre les arm�es.

Logique et limites du ciblage

Mesurer les dangers et les implications pour l'Army d'une domination sans partage de la RMA n�cessite d'op�rer un d�tour intellectuel et de rappeler les principes et les limites de la strat�gie du ciblage. La logique de la pr�cision du feu entra�ne en effet implicitement avec elle la supr�matie de l'attrition et l'oubli potentiel des effets moraux, tout en stimulant le recours � des postures asym�triques chez l'adversaire. Au niveau le plus fondamental, la RMA trouve son origine dans les progr�s fantastiques r�alis�s par la pr�cision et le traitement de l'information. L'accroissement continu de la puissance de feu depuis cinq si�cles est interpr�t� a priori comme une r�ponse, techniquement imparfaite, au manque de pr�cision : on aurait multipli� le volume de munitions tir�es afin d'augmenter la chance statistique de toucher l'objectif vis�. Dans cette optique, la substitution de la pr�cision au volume, de la qualit� � la quantit�, constitue �videmment un progr�s consid�rable. Toutefois, l'argument selon lequel les frappes de pr�cision pourraient � elles seules �tre d�cisives, gr�ce au choix des cibles, de l'organisation et du tempo de l'attaque, para�t largement trompeur. L'" Air Power ", et plus largement la logique du ciblage, participent en effet fondamentalement d'une strat�gie d'attrition, la qualit�, c'est-�dire ici la technologie qui permet des frappes pr�cises, ayant simplement remplac� le volume de feu, c'est-�-dire la quantit�. Pour se mettre � m�me de comprendre les implications ultimes de la logique de ciblage qui est au coeur de la RMA, il faut par hypoth�se partir d'une situation d'�galit� relative entre deux adversaires semblables. Si l'on suppose deux adversaires approximativement �gaux, et qui ont la possibilit� de tout voir, tout atteindre, tout d�truire, alors la relation d�crite par le math�maticien britannique Lanchester dans sa " loi du carr� " en 1916 s'applique parfaitement : la masse importe davantage que la qualit�, et la victoire va � celui qui dispose du dernier shooter. Les exemples historiques se rapprochant tendanciellement du mod�le lanchesterien ne manquent pas, que l'on pense � nombre des grandes batailles de l'�ge classique, telles celles de Malplaquet ou Zorndorf, � la guerre de S�cession ou encore � la Grande Guerre sur le front occidental jusqu'en 1917. Chacun de ces cas pr�sente une situation op�rationnelle et tactique bloqu�e, o� la puissance de feu interdit ou entrave consid�rablement les possibilit�s de mouvement offensif et conduit donc � une paralysie tactique se soldant par des pertes �lev�es et des r�sultats non d�cisifs. Les batailles classiques forment peut-�tre la meilleure illustration de ce que pourrait �tre un champ de bataille conforme � la RMA : les g�n�raux peuvent, comme leurs troupes d'ailleurs, voir une bonne partie du terrain. L'�quivalent du th��tre moderne est en effet � l'�poque physiquement " transparent ", �tant donn� la taille r�duite des champs de bataille (rarement plus de 5 km de front). Cette transparence relative et surtout la difficult� des mouvements offensifs transforment ces affrontements en une sorte de fusillade mutuelle, g�n�ralement tr�s meurtri�re, comme le fut Malplaquet.

En d'autres termes, et si le raisonnement th�orique qui part de l'�galit� relative des bellig�rants est retenu, les technologies �mergentes, dans l'utilisation que projettent d'en faire les partisans de la RMA, risquent de favoriser la puissance de feu au d�triment de la mobilit�, et donc la d�fense au d�triment de l'attaque. Outre que les r�sultats que l'on peut obtenir dans ce type de contexte sont g�n�ralement tr�s co�teux, reste � savoir si les Etats-Unis disposeront forc�ment de plus de shooters que leurs adversaires, ou si ces derniers ne parviendront pas � profiter suffisamment de la prolif�ration technologique pour interdire toute manoeuvre et tout d�ploiement aux forces terrestres am�ricaines - de ce point de vue, le probl�me des strat�gies de d�ni d'acc�s sur lequel le Pentagone se focalise tant aujourd'hui pourrait n'�tre que la partie �merg�e de l'iceberg, d�s lors que les risques inh�rents au d�barquement sur le th��tre se prolongent durant toute la dur�e des op�rations. En ce sens, parce qu'il appartient aux Etats-Unis, � court et moyen terme, de projeter leurs moyens militaires sur des th��tres ext�rieurs, c'est-�-dire d'attaquer, la RMA et surtout sa diffusion pourraient donc �tre porteuses de mauvaises nouvelles, tout sp�cialement pour l'Army.

La ma�trise am�ricaine en mati�re de C4ISR et de frappes de pr�cision � distance, et plus g�n�ralement la sup�riorit� des Etats-Unis pour tout ce qui touche au combat de haute intensit�, induit des effets pervers majeurs, que l'on rassemble g�n�ralement sous la rubrique des strat�gies asym�triques. On peut penser aux strat�gies de d�ni d'acc�s, au recours aux ADM, � l'attaque cibl�e des plateformes qui sont au coeur du syst�me des syst�mes, satellites, AWACS et JSTARS, ou encore � l'emploi syst�matique du camouflage, mais le plus simple reste encore d'attirer les forces am�ricaines sur des terrains qui annulent ou du moins r�duisent fortement l'efficacit� du complexe de reconnaissance-frappe, de fa�on � les contraindre au combat rapproch�. Comme il a �t� vu plus haut, l'acquisition �lectronique d'objectifs se heurte tant aux limites actuelles et pr�visibles de la technologie qu'� l'opacit� naturelle de certains terrains. Le moral, la diff�rence qualitative des soldats et le terrain peuvent donc jouer comme autant de facteurs d'�galisation face � une sup�riorit� quantitative en hommes ou en mat�riels. Ce probl�me tout � fait r�el n'a pas encore �t� per�u dans toute son acuit�, dans la mesure o� les derni�res interventions am�ricaines, majoritairement a�riennes, ont presque toujours b�n�fici� d'un soutien au sol gr�ce � des alli�s locaux coordonnant leurs actions avec les frappes am�ricaines, ou tout du moins repr�sentant une menace potentielle obligeant l'adversaire � se regrouper. Du Kosovo � l'Afghanistan, ce mod�le de coop�ration a �t� raffin� en un triptyque comprenant alli�s au sol, forces sp�ciales et moyens de frappes, au point d'ailleurs de faire dire � certains que les Etats-Unis pouvaient d�sormais se passer d'arm�e de terre...

Sans pour autant n�gliger le caract�re relativement novateur de ce triptyque, il est imp�ratif de ne pas perdre de vue le r�le propre jou� par l'Alliance du Nord � l'automne 2001, ni non plus le caract�re incomplet de la victoire remport�e. Les poches de r�sistance qui ont subsist� apr�s la chute de Kaboul ont donn� lieu � des combats qui ont justement permis d'appr�cier les capacit�s de r�sistance d'une infanterie pr�par�e, entra�n�e et motiv�e, face � la logique du ciblage. En particulier lors de l'op�ration " Anaconda ", les moyens consid�rables de reconnaissance-frappe, pourtant appuy�s au sol et en d�pit de leur pr�cision " exquise ", ne sont pas parvenus � r�duire les fantassins adverses retranch�s dans des abris naturels camoufl�s ; il a fallu proc�der au pilonnage syst�matique des positions ennemies suivi par l'avanc�e prudente des troupes de la 10th Mountain, auparavant clou�es au sol par les tirs de neutralisation au mortier, tandis que les h�licopt�res �taient endommag�s par de simples RPG7. Non seulement les troupes terrestres am�ricaines et afghanes se sont r�v�l�es n�cessaires pour obliger l'adversaire � s'exposer aux feux � longue port�e, a�riens ou autres, mais encore a-t-il fallu le plus souvent " finir le travail " en d�busquant les derniers adversaires enterr�s et en exploitant prudemment les succ�s micro-tactiques les uns apr�s les autres. A cet �gard, les combats de Tora-Bora et surtout de Shah i-Kot ont exhib� davantage de ressemblances avec les assauts pesamment " synchronis�s " de la Premi�re Guerre mondiale qu'avec les op�rations ultra-rapides, " simultan�es " (non sequential) et " d�cisives " envisag�es par l'Army.

L'autre conclusion temporaire qui �merge de ces �v�nements a trait � l'impr�paration relative de l'infanterie am�ricaine, souvent oblig�e de faire appel aux SAS britanniques ou australiens ou aux meilleurs contingents des chefs de guerre afghans. Peu surprenante au regard des pr�f�rences de longue date de l'Army, cette " r�v�lation " se trouve confirm�e par certains officiers am�ricains, qui soulignent que les op�rations de stabilisation men�es pendant les ann�es 1990 ont " �mouss� " les unit�s classiques comme la 82e, et qu'en mati�re d'infanterie au sens strict, les Etats-Unis ne disposent plus que des bataillons de rangers et d'une partie des Marines. Or, ce qu'Edward Luttwak a appel� la " logique paradoxale de la strat�gie " veut justement que la pr�pond�rance des frappes � distance entra�ne un recours syst�matique � l'asym�trie et donc un besoin de plus en plus marqu� en infanterie, et pas simplement lors des op�rations de stabilisation. R�pondre � ces besoins tout en limitant les pertes de fa�on drastique constitue une gageure.

Dans la continuation du programme Land Warrior, l'Army sponsorise pour l'instant des �tudes sur le fantassin du futur : celui-ci b�n�ficierait non seulement des derni�res avanc�es en mati�re de connexion, d'acquisition d'objectifs et de C4ISR, mais encore de technologies v�ritablement r�volutionnaires en mati�re de robotique, de protection et d'autonomie. L'usage massif de micro-robots ou de drones terrestres (UGV mules) faciliterait grandement la reconnaissance ou le soutien. L'interconnexion du soldat avec l'intranet militaire permettrait de l'appuyer ou de l'�vacuer plus rapidement, et surtout de le faire profiter pleinement de la situational awareness procur�e par le r�seau des capteurs : anticipation de la menace, d�tection des sons, des mouvements et des explosifs, ou encore reach-back quasi instantan� vers l'appui-feu interarm�es. En terrain couvert, toutefois, les embuscades et l'engagement de pr�s demeurent in�vitables, et il n'est donc d'autre solution que d'augmenter consid�rablement les moyens de protection passive des fantassins : est requise une armure qui r�siste aux armes de petit et de moyen calibre et n'entrave pas la mobilit� individuelle, exigence qui requiert � son tour des progr�s dans le domaine des mat�riaux composites et quelque chose comme un " exo-squelette " dot� de micro-moteurs performants - dans ce domaine, la technologie en est encore aux balbutiements, et des progr�s comparables seraient d'ailleurs n�cessaires au niveau des piles � combustible ou des micro-turbines. On le voit, le fantassin en armure lourde rel�ve pour le moment de l'anticipation et de la recherche fondamentale, non de la recherche appliqu�e et de l'acquisition � moyen terme.

En d�finitive, la logique du ciblage et son corollaire oblig�, l'attrition, quoique valables dans certaines circonstances, n�gligent quelques-unes des r�alit�s les plus fondamentales du combat. De fait, la pr�cision du feu n'a pas toujours vocation � remplacer le volume, tout simplement parce que les munitions tir�es n'ont pas toutes pour objet de d�truire ou de tuer. Comme le sait n'importe quel chef de section d'infanterie, la saturation du champ de bataille, par exemple par tir de barrage, a d'abord pour finalit� de " faire baisser les t�tes ", ce qui permet � l'attaquant de faire mouvement et au d�fenseur de freiner ou d'arr�ter le mouvement adverse. Depuis toujours, le combat terrestre est en effet fond� sur une combinaison feu-mouvement au niveau des unit�s �l�mentaires : parall�lement aux effets de destruction directe qu'il cause, le feu vise un effet moral sur les troupes ennemies, comme Ardant du Picq en son temps l'a montr�. A cet �gard, les partisans de la RMA, souvent am�ricains, ont largement n�glig� leurs propres sources d'information : qu'il s'agisse de " Linebacker " en 1972 ou de " Desert Storm ", tous les t�moignages des prisonniers de guerre concordent pour souligner l'effet de terreur cr�� par les bombardements de B-52 ou les tirs de barrage de l'artillerie moderne. Compte tenu de l'incidence de la d�termination du soldat individuel, il para�t hasardeux de n�gliger ainsi le r�le de l'infanterie ou les " effets de panique " ; la guerre du Golfe a bien montr� l'importance de la motivation et de l'entra�nement des troupes, et le caract�re extr�mement d�s�quilibr� du r�sultat de la campagne ne s'explique pas seulement par l'�cart technologique et quantitatif.

Aujourd'hui tr�s isol�s, alors qu'ils dominaient le d�bat intellectuel et doctrinal il y a de cela quinze ans, les partisans de la " guerre de manoeuvre " n'en ont pas moins raison de souligner les insuffisances de la " logique du ciblage " et d'insister a contrario sur l'importance des feux de neutralisation, de la reconnaissance par contact et de l'engagement de pr�s, bref tout ce qui participe de la dimension humaine et morale du combat. L'accent sur les frappes � longue port�e ne peut que susciter l'asym�trie chez l'adversaire compl�tement domin� - situation actuelle - et entraver, voire interdire, la manoeuvre au sol lorsque celui-ci dispose de PGM en quantit� - situation future potentielle.

L'avenir de la manoeuvre terrestre

La majeure partie de l'arm�e de terre am�ricaine est bien entendu consciente des opportunit�s et des contraintes engendr�es simultan�ment par la progression de la puissance de feu, et sait bien que les r�sultats militaires " d�cisifs " - c'est-�-dire concluants � leur niveau, sans pr�juger pour autant du r�sultat global de la guerre -ont historiquement d�pendu, au sol en tout cas, d'une combinaison associant mobilit� et puissance de feu (mobile striking arm), par exemple l'attelage l�ger des canons de Gribeauval pour Napol�on ou le char pour les Allemands en 1940. Durant la d�cennie �coul�e, les �tudes � long terme de l'Army se sont d'ailleurs focalis�es sur la place exacte et les modalit�s de r�alisation de la manoeuvre terrestre dans le combat interarm�es futur ; il s'agissait simultan�ment de tirer parti des possibilit�s en mati�re de frappes � longue distance et de pr�server � son profit une mobilit� strat�gique et tactique suffisante.

Concernant la capacit� � " voir et frapper en profondeur " (see deep, shoot deep), l'Army compte � la fois sur ses moyens propres, actuels et futurs, et sur le soutien interarm�es. Sur le premier point, l'h�licopt�re furtif Comanche, le drone Shadow, le missile ATACMS et le syst�me d'artillerie HIMARS devraient d�j� conf�rer � l'arm�e de terre des moyens consid�rables. Pour l'" Objective Force " comme pour l'IBCT, la difficult� principale devrait �tre de parvenir � int�grer un syst�me d'artillerie performant au ch�ssis du FCS, que l'on suppose l�ger. L'int�gration des feux fournis par les autres arm�es renvoie directement au probl�me de la jointness ; il est � ce titre abord� plus loin. Concernant maintenant la manoeuvre sur un champ de bataille satur� par les PGM, les solutions ne sont pas aussi ais�ment identifiables. Celles retenues dans le projet " Objective Force " consistent � accro�tre consid�rablement, et la dispersion entre les unit�s de manoeuvre, et le tempo g�n�ral des op�rations. So far, so good : on retrouve l� les formules historiquement utilis�es dans des contextes marqu�s par une augmentation brutale de la puissance de feu, par exemple pendant la Premi�re Guerre mondiale. Il reste toutefois � r�pondre aux deux questions qui ne manqueront pas d'�merger � court terme, comme elles l'ont fait lors de changements similaires � travers l'histoire : comment et � quel niveau int�grer efficacement le feu et la manoeuvre, et par quels moyens conserver une mobilit� suffisante ?

A consid�rer l'exemple du front occidental entre 1914 et 1918, il appara�t clairement qu'il s'est r�v�l� extr�mement difficile et co�teux en vies humaines de r�soudre le blocage tactique engendr� par l'accroissement sans pr�c�dent de la puissance de feu. Il a fallu rien moins qu'une r�organisation int�grale de la tactique �l�mentaire, avec les effets associ�s sur le commandement, l'organisation et la formation des troupes. Seuls les Allemands ont d'ailleurs pleinement ma�tris�, � l'attaque comme en d�fense, les proc�d�s nouveaux, tandis que les Alli�s ne se sont jamais compl�tement r�solus � d�velopper l'autonomie n�cessaire au niveau des unit�s �l�mentaires - sections chez les Alli�s, groupes chez les Allemands. Il s'agissait d'abord d'int�grer beaucoup plus " bas " dans la hi�rarchie des unit�s le principe du combat toutes armes, en dotant ces unit�s �l�mentaires de mitrailleuses, grenades et mortiers, et en leur conf�rant une autonomie sans pr�c�dent depuis le XVIe si�cle. Il a fallu ensuite entra�ner ces unit�s �l�mentaires pour qu'elles apprennent � combiner en permanence le feu et le mouvement, en interne comme dans leurs relations avec les autres unit�s d'infanterie ou le soutien d'artillerie. A partir de 1918, la tactique d'infanterie moderne est ainsi fond�e sur une combinaison feu-mouvement au niveau des groupes de combat �l�mentaires, l� o� en 1914 le bataillon �tait l'unit� tactique de base et comportait en g�n�ral quelques pi�ces de campagne et quatre mitrailleuses... La fin de l'ordre lin�aire souple, la dispersion et l'autonomisation des unit�s, enfin l'int�gration du combat toutes armes � bas niveau ont v�ritablement r�volutionn� le combat terrestre, au point de le rendre tr�s complexe et d'interdire en fait � des troupes insuffisamment form�es de s'y essayer avec succ�s.

Cet exemple historique a valeur d'analogie par rapport au contexte contemporain, et l'on peut l�gitimement comparer les feux � longue port�e et les forces terrestres d'aujourd'hui avec l'artillerie et l'infanterie de 1914-1918. Dans cette optique, il s'agit de proc�der � une red�finition de la tactique et des op�rations qui prenne en compte l'�volution des armements (allongement des port�es, pr�cision quasi absolue � terme) et des moyens de communication (temps r�el, boucle " sensor to shooter "). Toute une s�rie de questions s'ensuivent : si l'on se doute qu'il est n�cessaire, aujourd'hui comme autrefois, d'int�grer les moyens interarm�es � plus bas niveau, reste � identifier le niveau optimal et � r�organiser le commandement comme les unit�s - que doivent-elles embarquer de fa�on organique et que peuvent-elles externaliser ? A cet �gard, le format projet� pour le couple " UA-UE " (units of action/employment), comme d'ailleurs le mod�le " FXXI " avant lui, pr�sente de nombreuses ressemblances avec des formats plus anciens comme TRICAP : les �l�ments de soutien et les proportions varient, mais le coeur de l'unit� reste constitu� par des h�licopt�res et des blind�s - on ne sait pas encore si les UA correspondront � l'infanterie mont�e des IBCT ou � une version futuriste des unit�s blind�es actuelles. A premi�re vue, il ne va pas de soi que l'ampleur de la r�organisation soit en proportion de la RMA annonc�e. Plut�t qu'une critique, cette observation entend souligner ce que justement la Premi�re Guerre mondiale avait d�j� montr� : en l'absence de conflit de haute intensit�, il est tr�s difficile d'anticiper les structures de force et les organisations adapt�es, m�me en ayant abondamment recours � des manoeuvres et des wargames - de ce point de vue, et en raison de l'urgence politique de la transformation, il n'est pas certain que l'Army se donne actuellement le temps n�cessaire. Reste �galement � organiser l'appui-feu des unit�s terrestres, en sorte qu'elles puissent avoir recours en temps r�el et avec une grande flexibilit� aux capacit�s de frappe des autres Services, ce qui pose une nouvelle fois le probl�me de la jointness.

Si l'on met entre parenth�ses la d�finition des formats optimum, l'int�gration des moyens interarm�es et la r�organisation du commandement, demeure enfin le probl�me majeur de la mobilit� physique des unit�s. A cet �gard, " Objective Force " semble se d�marquer de l'IBCT par l'incorporation massive d'�l�ments h�liport�s � l'int�rieur des UE. En l'absence de perc�es technologiques tout � fait spectaculaires, on voit mal en effet comment le FCS, quelle que soit sa forme ultime, pourrait non seulement r�unir les qualit�s respectives des v�hicules l�gers et des chars lourds, mais surtout permettre une multiplication par dix du tempo des op�rations, tel que cela a �t� envisag� dans " Army After Next ". Seule une plateforme volante, h�licopt�re pur ou engin hybride de type V-22, pourrait �ventuellement produire un tel r�sultat. Or, les h�licopt�res n�cessitent une maintenance tr�s importante : ce qu'ils ajoutent ex post aux op�rations se paie donc ex ante, au niveau logistique. De plus, ils posent presque autant de difficult�s de d�ploiement par avion que les chars (leur plus faible masse est compens�e par leur volume), et leur rayon d'action actuel reste limit�. La r�alisation pleine et enti�re de " Army Vision 2020 " suppose donc des progr�s technologiques consid�rables, tels que l'autonomie et la simplicit� d'entretien des h�licopt�res soient multipli�es par cinq ou par dix.

Les analyses qui pr�c�dent ont fait appara�tre que l'IBCT �tait structur�e autour de deux innovations principales, le primat de l'infanterie et la reconnaissance �lectronique, qui permet d'�viter le contact et de b�n�ficier de l'appui des feux � longue port�e. S'il est impossible de d�terminer aujourd'hui laquelle de ces deux conceptions partiellement contradictoires est finalement appel�e � l'emporter dans le futur, on pressent toutefois une divergence entre l'" Objective Force " et l'" Interim Force ", divergence qui pourrait � terme rompre l'�quilibre actuel, privil�gier les feux � longue distance et finalement faire triompher au d�triment du " grunt " une sorte d'" Air Power " terrestre. Or, une appr�ciation objective du contexte conflictuel � venir et de l'exigence de r�activit� et de vitesse conduirait plut�t � privil�gier un mixte d'unit�s h�liport�es et d'infanterie mont�e d'abord orient�e sur le combat de pr�s. Quelle que soit la solution finalement retenue � l'int�rieur d'" Objective Force " ou en dehors, les frictions entre l'Army et ses Sister Services ne manqueront pas de se manifester.

Evaluation politique : les ambigu�t�s du projet

Les analyses qui pr�c�dent ont soulign� � plusieurs reprises le caract�re tout � la fois r�current, probl�matique et d�terminant de l'interarmisation : la viabilit� m�me du plan Shinseki, � court comme � moyen terme, proc�de de l'int�gration r�ussie des capacit�s interarm�es, et jamais sans doute l'arm�e de terre ne s'�tait trouv�e en pareille situation de d�pendance. En parall�le, cependant, l'ambition full-spectrum affich�e par l'Army ne peut que rentrer en contradiction ouverte avec les int�r�ts bien compris des autres arm�es, qu'il s'agisse de missions ou de budgets. Dans cette optique, la jointness devient imm�diatement une question politique faisant intervenir l'influence respective de chaque Service aupr�s des autorit�s civiles et plus largement, engageant avec elles un d�bat sur les modalit�s d'emploi de la force.

L'Army et la " jointness "

De prime abord, il peut sembler paradoxal de ranger l'interarmisation parmi les probl�mes politiques, puisqu'il s'agit d'une question op�rationnelle et que le probl�me de l'int�gration des feux � longue port�e transcende le d�bat traditionnel entre " Air Power " et " Land Power " et passe d�sormais � l'int�rieur m�me de chaque arm�e. Aux Etats-Unis, toutefois, la nature �clat�e des institutions et le r�le sp�cifique du Congr�s en mati�re budg�taire ont presque toujours transform� la jointness en probl�me hautement politique. Il convient donc de commencer par un �tat des lieux avant d'aborder successivement les aspects op�rationnel et politique du probl�me.

A maints �gards, l'interarmisation fait figure d'arl�sienne du d�bat strat�gique am�ricain : r�guli�rement annonc�e, presque universellement lou�e mais exig�e plus souvent encore, elle rel�ve � l'�vidence du programme plus que de la r�alit� dans un pays marqu� par l'ind�pendance historique de la Navy, de l'Army et de l'Air Force, et pour qui la redondance des moyens est un luxe abordable et m�me souhaitable. Des progr�s ponctuels, en particulier dans le domaine des communications, font que d�sormais les Services peuvent, � haut niveau en tout cas, communiquer entre eux en situation op�rationnelle - ce n'�tait pas le cas lors de l'intervention � la Grenade. En outre, sous la pression de l'actuel secr�taire � la D�fense, l'ancien commandement atlantique, �galement charg� de la jointness, s'est vu d�charg� de ses premi�res responsabilit�s afin de pouvoir se concentrer sur la coop�ration entre les arm�es am�ricaines elles-m�mes et entre celles-ci et leurs alli�s. L'ann�e 2003 devrait d'ailleurs �tre marqu�e par la cr�ation d'unit�s et d'�tats-majors interarm�es permanents (Standing Joint Task Forces ou SJTF). Il s'agit dans un premier temps de favoriser l'entra�nement interarm�es, afin d'en finir avec une situation absurde dans laquelle les arm�es se forment et s'�quipent s�par�ment, alors qu'elles sont appel�es � intervenir c�te � c�te. L'exemple des interventions r�centes comme l'�pret� des querelles entre Services laissent cependant sceptique. A l'inverse des discours et des doctrines pr�nant l'interarmisation et l'initiative locale, la guerre du Golfe s'est caract�ris�e par une gestion hautement centralis�e de l'information et une p�r�quation du commandement op�rationnel en fonction des classiques rivalit�s interarm�es, et non par l'exploitation des opportunit�s offertes par la jointness et le " temps quasi r�el ", et on pourrait en dire autant du Kosovo � une autre �chelle. Comme le remarque l'un des experts interview�s, " jusqu'� pr�sent, en fait d'interarmisation, il a �t� davantage question de d�partager les responsabilit�s que d'int�grer les capacit�s ". Au fur et � mesure que se concr�tisent les r�formes voulues par Donald Rumsfeld, l'approbation de principe a de fortes chances de se muer en une obstruction sourde par laquelle chaque arm�e tentera de pr�server son " pr� carr� ". Tant que la formation et l'�quipement des troupes incomberont, de par la loi, aux Services, il sera extr�mement difficile d'aller syst�matiquement contre leur volont� conjointe.

Que le d�bat sur l'interarmisation soit revenu sur le devant de la sc�ne au cours des ann�es r�centes ne s'explique pas par un �chec retentissant - comme cela avait �t� le cas avec " Desert One ", fiasco � l'origine de la loi Goldwater-Nichols et de la cr�ation des Combatant Commands ou commandements op�rationnels interarm�es - mais bien par la conjonction de facteurs budg�taires et d'�volutions technologiques. Outre la baisse des budgets de d�fense des ann�es 1990, qui n�cessairement a exacerb� la comp�tition, les arm�es ont d� progressivement faire face � une r�alit� incontestable : l'efficacit� op�rationnelle suppose d�s aujourd'hui et plus encore � l'avenir une int�gration croissante de leurs capacit�s respectives. Ceci tient tout d'abord � la multiplication des plateformes ou des capacit�s interarm�es utilis�es simultan�ment par tous, quel que soit l'" op�rateur " d'origine : satellites d'orientation, d'observation et de communication, UAV, renseignement en g�n�ral. En second lieu, l'allongement de la port�e des armes am�ne � obsolescence la distinction entre rear, close et deep battle zones, et conduit naturellement chaque arm�e � " empi�ter " sur les pr�rogatives habituelles des autres. La solution traditionnelle consistant � cr�er une d�limitation artificielle (Fire Support Coordination Line ou FSCL) risque d'�tre de plus en plus difficile � mettre au point et � respecter, et pourrait surtout se r�v�ler contre-productive ; une partie de la Garde r�publicaine irakienne s'est d'ailleurs �chapp�e en 1991, car elle se trouvait hors de port�e des h�licopt�res de l'Army, mais � l'int�rieur de " sa " partie de la FSCL, au grand dam des aviateurs qui survolaient les environs de Bassorah. Cette disparition des lignes de partage claires qui avaient traditionnellement pr�valu entre l'Army, l'Air Force et la Navy pose un probl�me majeur, � la fois op�rationnel et politique.

S'il se v�rifie, le changement de paradigme suscit� par la RMA oblige l'Army, on l'a vu, � repenser les organisations, le commandement, les structures de force et peut-�tre m�me la tactique �l�mentaire. Il s'agit, pour les op�rations terrestres, d'int�grer les feux et la manoeuvre � une �chelle in�dite, aussi bien vers le bas, � l'int�rieur des unit�s, que vers le haut, entre les Services. Or, cette �volution, du combat toutes armes de l'arm�e de terre vers le combat interarm�es terrestre, suscite imm�diatement un probl�me aigu de subordination, � la fois objectif et int�ress�, et qui se r�sume � la question suivante : quelle est l'arm�e " d�cisive ", qui doit donc �tre " soutenue " (supported) par les autres, r�duites au r�le de " supporting services ", sachant que d�sormais elle participent toutes aux op�rations qui se d�roulent � terre ? L� o� le d�bat traditionnel opposait les adeptes du " bombardement strat�gique " aux tenants de la coop�ration interarm�es au profit d'une d�cision forc�ment emport�e par les troupes terrestres (doctrine AirLand Battle), le d�bat contemporain op�re une " r�volution kantienne " et fait passer la ligne de partage � l'int�rieur m�me de ce qui �tait le domaine r�serv� de l'Army, les op�rations au sol. La plupart des partisans actuels de l'Air Power s'accordent en effet pour estimer, avec les ceux de la RMA, que le caract�re d�cisif des frappes -a�riennes - ne r�side plus tant dans le choix de cibles " strat�giques " que dans la capacit� � d�truire toute possibilit� ou centre de r�sistance visible. Dans cette optique, les forces terrestres, qu'elles appartiennent d'ailleurs � l'Army ou � l'USMC, ont fort logiquement pour mission de " d�busquer " les cibles adverses, de les obliger � se manifester et � se concentrer, devenant ainsi vuln�rables aux frappes. Les " deux arm�es de terre " am�ricaines, � l'inverse, pers�v�rent � penser que les feux � longue port�e jouent � l'�chelle du th��tre le m�me r�le de soutien, parfois fondamental et n�anmoins toujours subordonn�, que l'artillerie par rapport aux armes de m�l�e. On pourrait croire � ce stade que la controverse oppose l'Army et l'USMC d'un c�t�, la Navy et l'Air Force de l'autre. S'il en va bien ainsi " philosophiquement ", la r�alit� est autrement plus complexe, car cette opposition se double d'une opposition potentielle exactement inverse : les Services qui g�rent majoritairement les capacit�s de frappes comme ceux qui sont organis�s pour le combat de pr�s chassent sur les " m�mes terres ".

Pour ces raisons, ce qui devrait �tre un d�bat op�rationnel et technique portant sur la mani�re la plus efficace d'int�grer les capacit�s et de cr�er une v�ritable synergie se transforme en une querelle sur " les r�les et les missions ", aviv�e par la r�duction constante des cr�dits de d�fense durant les ann�es 1990 comme par la disparition du " comp�titeur de rang �gal ". Quel pays peut en effet pr�tendre aujourd'hui s'opposer en haute mer � la Navy ou dans les airs � l'Air Force ? Parce que le contr�le de leur " m�dium " naturel ne constituait plus un probl�me et donc une justification, la Navy et l'Air Force se sont tr�s naturellement r�orient�es vers des strat�gies " du littoral " (from the sea) ou counter-land. En parall�le, la r�orientation " tous azimuts " de la strat�gie g�n�rale am�ricaine a, on l'a vu, oblig� l'arm�e de terre � sortir de son r�le historique d'ultime et d�cisif recours, afin de se projeter plus rapidement sur les th��tres de crise, empi�tant au passage sur les pr�rogatives des Marines. Selon la fa�on dont elle est organis�e, la jointness fait ainsi courir � chaque arm�e le risque de se voir subordonn�e aux autres Services dans le cadre d'op�rations dirig�es vers l'int�rieur des terres : feux � longue port�e comme soutien de forces terrestres op�rant d�sormais sur toute la profondeur du th��tre, sorte de AirLand Battle gigantesque d'un c�t�, manoeuvre comme �l�ment de " soutien " � des frappes d�cisives de l'autre.

R�les, missions et budgets

C'est � la lumi�re de ce contexte de rivalit�s interarm�es qu'il convient d'appr�cier les orientations retenues par l'Army dans son effort de " transformation ". Si l'on met entre parenth�ses le probl�me �pineux, et � dire vrai central, de la faisabilit� du " Futur Combat System ", le plan " Objective Force " vise � r�former l'arm�e de terre dans le sens de la projection de force tous azimuts et pour ce faire repose sur l'int�gration des feux interarm�es, le d�veloppement des capacit�s h�liport�es et le renouveau de l'infanterie. Or, les relations entre Services et la culture interne de l'Army ne favorisent gu�re la r�alisation de l'" Objective Force ".

Face aux pr�tentions des autres Services, l'Army refuse �videmment d'�tre cantonn�e � un r�le de soutien, qu'il s'agisse de " d�busquer " l'ennemi au profit de l'Air Force, de conduire des op�rations de nettoyage (mopping-up) sur les franges du th��tre ou de " maintenir l'ordre " apr�s coup, comme au Kosovo. Or, le paradoxe veut que l'Army soit l'institution la plus menac�e par la transformation, en m�me temps qu'elle est la plus d�pendante des trois Services : moins dot�e que la Navy ou l'Air Force en capteurs et moyens de frappe � longue port�e, elle en a toutefois imp�rativement besoin pour op�rer ; de surcro�t, les interventions de la derni�re d�cennie ont mis l'Air Force � tel point en valeur que des experts et des commentateurs toujours plus nombreux se demandent si le maintien d'une force terrestre aussi importante se justifie encore. L'arm�e de terre est donc fortement incit�e � concurrencer l'Air Force et la Navy dans le domaine des frappes � longue port�e, de fa�on � r�duire sa d�pendance et � d�montrer qu'elle est elle aussi " transform�e ". Or, l'Air Force est �videmment mieux plac�e, � l'heure actuelle et pour un certain temps encore, pour revendiquer et surtout mettre en pratique une pure strat�gie de ciblage - la Navy elle-m�me a d'ores et d�j� du mal � suivre. M�me � supposer que l'Army de 2025 dispose des plateformes ultrarapides requises, ainsi que de moyens de frappe � distance autonomes, elle n'en deviendrait pas moins, en souscrivant pleinement � cette conception des op�rations militaires, charg�e d'une mission de soutien, � savoir " d�busquer " par ses feux les unit�s adverses au profit d'un complexe de reconnaissance-frappe dont elle sera au mieux le partenaire junior - les plateformes a�riennes devraient garder un net avantage en termes de r�activit�, d'allonge et de volume de munitions de pr�cision tir�es. Les Marines revendiquent d'ailleurs a contrario l'" esprit d'infanterie " n�cessaire � la conduite d'op�rations d�cisives dans n'importe quel contexte et sur n'importe quel terrain : ce choix restrictif correspond � la fois � la taille r�duite du Corps et � ses pr�f�rences doctrinales.

En parall�le, l'" Interim Force " pour partie mais surtout la volont� explicite du g�n�ral Shinseki de faire � terme de l'arm�e de terre une force de " premier recours " heurtent de front les int�r�ts de l'US Marine Corps, de m�me d'ailleurs que la probable et importante composante h�liport�e de l'" Objective Force ", qui pourrait avoir occasionnellement besoin de stationner sur des bateaux, si les progr�s technologiques esp�r�s ne se r�alisent pas. Le probl�me a d� en r�alit� se poser d�j� pour l'IBCT : parce que les porte-h�licopt�res sont consid�r�s comme des capital ships, la Navy est, de par la loi, seule habilit�e � les poss�der et � les commander. Il �tait donc exclu de lancer un programme comparable aux BPC (b�timents de projection et de commandement) fran�ais et il n'y avait d�s lors pas d'autre choix que de privil�gier le transport a�rien et de ne pas trop mentionner les h�licopt�res, � court terme en tout cas. Ainsi, l'existence du Marine Corps interdit � l'Army de jouer la Navy contre l'Air Force, et l'oblige en fait � passer par son " ennemi v�ritable ". Dans le m�me temps, les forces sp�ciales, et pour partie les Marines, ont repris � leur compte les missions traditionnelles d'infanterie comme le combat urbain, l'infiltration ou m�me les raids en profondeur, � c�t� des rangers. La r�orientation massive de l'arm�e de terre dans cette derni�re direction e�t �t� de toute fa�on d�licate. Outre qu'une bonne partie de l'institution s'y serait oppos�e, le combat rapproch� et les th�mes aff�rents ne sont certes pas � la mode : les d�fenseurs de la RMA insistent constamment sur la n�cessit� du " see deep, shoot deep " et tournent en d�rision les r�sistances des traditionalistes comme autant de mauvais pr�textes. Ils ont ainsi beau jeu de faire valoir que l'Army s'est �loign�e depuis longtemps d�j� du " corps � corps " en privil�giant la puissance et la l�talit� des plateformes : les chars am�ricains ne d�truisaient-ils pas les T-72 irakiens � distance de s�curit� ? L'argumentaire traditionaliste serait d'autant plus faible et b�tement conservateur qu'il ne percevrait ni l'ampleur des progr�s technologiques en cours, ni surtout que la " r�volution de la pr�cision " ne fait que poursuivre une tendance naturelle et ancienne, � laquelle l'Army a pleinement particip�.

Les armes traditionnellement dominantes de l'institution ne sont pas v�ritablement en d�saccord avec ce raisonnement, premi�rement parce qu'elles estiment politiquement intenable le risque de pertes significatives qui va de pair avec le combat rapproch�, deuxi�mement parce qu'une telle r�orientation risquerait de se traduire par une baisse significative et durable des cr�dits allou�s � l'Army, troisi�mement parce que l'institution risquerait de finir en force de maintien de l'ordre (constabulary Army), enfin parce qu'elles estiment pouvoir tirer parti en interne des capacit�s �mergentes en mati�re de frappes pr�cises � longue distance. Les heavies esp�rent d'ailleurs sans doute que le FCS sera au final une version all�g�e et plus moderne des v�hicules lourds d'aujourd'hui, de fa�on � r�tablir le primat de l'affrontement m�canis�. Les lights et les membres de l'" Army Aviation " aspirent � l'inverse � profiter de la transformation pour r��quilibrer � leur profit les rapports de force au sein de l'institution.

Oblig� de prendre en compte ces aspirations antinomiques, le leadership de l'Army entend pour sa part r�concilier tous les �l�ments disparates de l'institution, en finir avec la pr�dominance de certaines branches, sans pour autant en privil�gier d'autres, et occuper le terrain budg�taire face � la Navy et � l'Air Force tout en r�pondant � la pression politique qui s'est accentu�e depuis le Kosovo, et qui interdit de s'en tenir au business as usual en mati�re de programmes. Dans cette optique, on s'explique sans doute mieux le choix du v�hicule Stryker en lieu et place de solutions soit plus innovantes (AGS ou autre), soit moins on�reuses (M113). De m�me, il �tait vraisemblablement impossible de lancer un nouveau projet d'h�licopt�re, ou d'orienter le FCS dans cette direction, sans mettre imm�diatement en danger le Comanche, d�j� menac� par les nombreuses voix qui se sont �lev�es pour souligner que les UAV pourraient se charger � l'avenir de la reconnaissance arm�e � basse altitude - en outre, l'Army est susceptible � l'avenir de s'int�resser au V-22 Osprey, s'il s'av�re viable. Pour ce qui est du moyen/long terme, le maintien s�lectif de quelques programmes de modernisation g�n�ralement orient�s ou " vendus " comme �tant transformational et le lancement du FCS permettent � la fois de satisfaire les traditionalistes et les avant-gardistes. De la sorte, l'arm�e de terre entend pr�server, voire m�me augmenter, sa part des cr�dits d'�quipement, d�j� inf�rieure � celle de ses concurrents.

Si elle permet de satisfaire partiellement les demandes des politiques comme les pr�f�rences des diverses composantes de l'institution, cette strat�gie de d�veloppement tous azimuts place cependant l'Army dans une logique d'affrontement avec tous les autres services. Comme ces derniers ne manquent pas de le faire savoir, c'est bien d'abord la strat�gie budg�taire de l'Army qui est full-spectrum : avec le lancement de l'" Interim Force " et de l'" Objective Force ", concurremment au maintien de la " Legacy Force ", le contribuable am�ricain serait de facto en train de subventionner trois arm�es de terre, pour accomplir des missions qui pour certaines d'entre elles sont d�j� remplies par l'US Marine Corps ou l'Air Force. L'Air Force en particulier fait valoir que l'Army aurait d� se montrer plus pr�voyante durant les ann�es 1990, et qu'elle devrait r�duire ses structures de force plut�t que de faire financer sa transformation par les autres arm�es.

L'augmentation tr�s substantielle des cr�dits de d�fense d�cid�e � la suite du 11 septembre n'a probablement fait que reporter dans le temps la crise budg�taire et interarm�es stimul�e tant par le discours de la transformation que par l'�volution r�elle des technologies et des �quipements.

" Defense Politics " et emploi de la force : la fragilit� du plan Shinseki

Au vrai, il convient de bien isoler ce qui appartient r�ellement au d�bat fondamental �voqu� plus haut, qui oppose des conceptions antagonistes de la guerre, et ce qui rel�ve plus simplement des int�r�ts bien compris des divers lobbies, militaires, industriels et autres. Quelle que soit l'�pret� des querelles entre Services, en effet, l'Army est d'abord menac�e par l'atmosph�re intellectuelle et politique qui pr�vaut � Washington en mati�re de strat�gie et d'usage de la force. A cet �gard, le plan Shinseki se trouve litt�ralement pris sous les feux crois�s de critiques qui appartiennent pourtant � des �coles de pens�e diff�rentes.

En premier lieu, le d�bat am�ricain autour du plan Shinseki et plus largement de l'avenir de l'arm�e de terre laisse appara�tre une majorit� plus ou moins virulente de sceptiques. Pour r�sumer, on d�nombre essentiellement quatre points de vue sur la question. A l'origine de nombreuses controverses globalement dirig�es contre l'Army et en faveur de l'Air Force, l'�cole de l'" Air Power " n'est fonci�rement hostile ni aux IBCT, ni � " Objective Force ", qui vont dans le sens de la pr�cision, du moment que l'Army finance elle-m�me sa transformation. En outre, l'" Interim Force " en particulier est appel�e � �tre dans une situation de forte d�pendance (transport, soutien, appui-feu) vis-�-vis de l'Air Force. Les partisans civils de la RMA, moins li�s � ce dernier Service, sont en revanche tr�s critiques � l'endroit des IBCT, trop lourdes et trop ch�res par rapport � ce qui serait leur mission r�elle, le maintien de la paix. Dans la mesure o� il se r�clame explicitement de l'id�e de guerre " r�seau-centr�e ", le projet " Objective Force " est pour sa part accueilli favorablement. Sur ces deux derniers points, les " traditionnalistes ", pr�sents pour l'essentiel au sein des branches dominantes de l'Army, ne sont paradoxalement pas loin de partager l'opinion des tenants de la RMA : les IBCT orientent l'Army dans la direction dangereuse des op�rations de stabilisation et l'�loignent du combat de haute intensit�, qui doit rester sa raison d'�tre. Ils se s�parent bien entendu des deux premi�res �coles en restant attach�s � la doctrine Powell et par leur vive opposition aux v�hicules l�gers qui, d'apr�s eux, manquent de protection et de puissance de feu au point d'�tre inutiles. L'" Interim Force " en particulier n'a pour eux aucune utilit� et menace l'identit� de l'Army. Les maneuverists demeurent �galement sceptiques vis-�-vis du corpus de pens�e de la RMA, rejettent la recherche syst�matique de la distance et de la pr�cision et insistent sur l'importance des feux de neutralisation et du combat rapproch�. Ils diff�rent des traditionalistes en ce qu'ils acceptent pour l'institution la n�cessit� du changement de format et de la r�orientation des missions, et r�servent leurs critiques aux modalit�s de la r�forme en cours. De leur point de vue, la refonte des structures et de la formation constituent des priorit�s plus urgentes que l'acquisition d'�quipement nouveaux, d'ailleurs douteux ; il faut aller franchement et rapidement vers la modularit� des structures de force, une interarmisation v�ritable et un commandement d�centralis�, et " les �quipements suivront ".

A l'image du d�bat strat�gique am�ricain, les appr�ciations g�n�ralement port�es sur la transformation de l'Army s'attachent majoritairement aux aspects techniques, op�rationnels et budg�taires ; ce faisant, elles laissent partiellement dans l'ombre la dimension politique du d�bat, pourtant essentielle. Depuis la fin de la guerre froide, les �ch�anciers internes dominent la vie politique am�ricaine ; il s'en suit une d�connexion entre le d�bat strat�gique, tr�s focalis� sur la dimension purement militaire et technique des d�bats strat�giques, et les d�bats de politique �trang�re, plus g�n�raux mais souvent biais�s par des consid�rations de politique int�rieure. En premier lieu, la hi�rarchie civile du Pentagone compte dans ses rangs des adeptes nombreux et convaincus de la transformation, depuis Donald Rumsfeld lui-m�me jusqu'� Steven Cambone et Arthur Cebrowski. L'�quipe au pouvoir n'a pas non plus cach� ses r�ticences initiales vis-�-vis des op�rations de stabilisation et du nation-building ; l'IBCT semble d'ailleurs susciter davantage d'enthousiasme pour ce qu'elle annonce que pour ce qu'elle permet aujourd'hui. En r�gle g�n�rale, cette �cole de pens�e s'int�resse davantage au C4ISR, aux capacit�s de frappes � longue port�e et aux moyens permettant de contrer le d�ni d'acc�s, qui pourraient tous �tre requis dans vingt ans contre la Chine, qu'aux structures actuelles, regard�es comme pesantes et de plus " englu�es " dans des op�rations de police internationale qui n'en finissent pas. Aussi a-t-il �t� rapidement clair, malgr� le soutien verbal accord� au plan " Objective Force ", que l'Army �tait plus sp�cialement dans la ligne de mire de Donald Rumsfeld en mati�re d'annulations de programmes et m�me de r�duction de format. Comme pour mieux signifier sa disgr�ce, on a m�me �t� jusqu'� annoncer tr�s en avance le nom du successeur du g�n�ral Shinseki. A s'en tenir � ces �l�ments, aux d�clarations de l'actuel secr�taire � la D�fense ou � l'ambiance au sein de l'institution, on aurait presque pu croire l'Army condamn�e � br�ve �ch�ance. Du 11 septembre jusqu'� aujourd'hui, les �v�nements ont partiellement redirig� les esprits vers l'ext�rieur et suscit� une aubaine budg�taire. Dans le contexte actuel, l'Army est bien �videmment requise, et le sera bien plus encore en cas d'intervention en Irak. A cet �gard, il est � n'en pas douter important pour l'institution et les bastions conservateurs en son sein que cette seconde campagne se passe bien, mieux en tout cas que l'Afghanistan, qui a surtout mis en valeur les forces sp�ciales. Apr�s tout, le Contingency Corps et le Counterattack Corps ont justement pour vocation d'�craser un adversaire m�canis�, respectivement dans le Golfe et en Cor�e, et un fiasco dans les circonstances pr�sentes, qui plus est sur les th��tres m�mes pour lesquels les heavies se sont pr�par�s, serait impardonnable et entra�nerait sans doute des cons�quences irr�parables pour l'Army.

En second lieu, toutefois, le risque politique principal ne vient sans doute pas des " al�as de la conjoncture " ou des changements de gouvernement ; apr�s tout, l'Army est pr�sente sur tout le territoire am�ricain et peut donc compter autant que les autres Services sur le soutien appuy� du Congr�s - a contrario, qu'il ait �t� possible de " tuer " le programme Crusader s'explique justement par le fait que l'industriel n'�tait implant� que dans un seul �tat, contre pr�s de 40 pour le F-22 Raptor. Le danger de long terme, qui menace d'ailleurs l'US Marine Corps tout autant que l'Army, a sans doute plus � voir avec la phobie des pertes que les hommes politiques et les militaires supposent � leur propre population. Contrairement � une l�gende tenace qui attribue cette phobie des pertes � la soci�t� civile en propre, toutes les �tudes d'opinion font justement appara�tre une r�alit� beaucoup plus nuanc�e. Le probl�me des pertes r�sulte en fait des particularit�s du syst�me politique am�ricain, qui organise une distribution �quilibr�e des pouvoirs entre les institutions, et en particulier entre la pr�sidence et le Congr�s. Ce syst�me de " freins et de contrepoids " oblige au compromis et � la minimisation des risques : en l'absence de discipline de parti dans les Chambres, l'ex�cutif peut se retrouver censur� � tout moment s'il met en danger la r��lection des membres de son propre parti. L'exp�rience malheureuse du Vietnam a bien entendu amplifi� le ph�nom�ne, tout d'abord en mettant un terme � l'�re de la " pr�sidence imp�riale " qui avait caract�ris� la guerre froide, en second lieu en poussant l'institution militaire � intervenir de plus en plus ouvertement dans le d�bat, entre autres par le biais du Congr�s. Autrement dit, et apr�s une lente mais s�re mont�e en puissance du pouvoir pr�sidentiel face aux pr�rogatives congressionnelles en mati�re de politique �trang�re, les ann�es 1970 ont �t� l'occasion d'un retournement significatif, qui s'acc�l�re avec la fin de la guerre froide : le pr�sident doit d�sormais faire face � la fois au Congr�s et � l'institution militaire, chaque acteur veillant jalousement sur son " pr� carr� " et essayant aupr�s de l'opinion de faire assumer par les autres les risques ou les d�convenues �ventuelles. Parce qu'aucun de ces acteurs ne veut se retrouver en position de devoir assumer un �chec ou une catastrophe, et pr�f�re prendre les devants en pr�tant � la population des sentiments tr�s tranch�s � cet �gard, il est politiquement tr�s risqu� aux Etats-Unis de s'engager dans une intervention susceptible de produire des pertes significatives. Militaires et civils sont otages les uns des autres, la pr�sidence est � la merci du Congr�s et le parti au pouvoir est vuln�rable aux accusations de l'opposition.

Conclusion

Au terme de cette �tude �mergent plusieurs conclusions, qui concernent aussi bien les chances de r�alisation du plan Shinseki que l'avenir de l'Army et les cons�quences du processus de transformation pour les alli�s des Etats-Unis, quel que puisse �tre son r�sultat final.

Les �v�nements r�cents n'ont pas �t� tendres avec l'Army, depuis le fiasco albanais jusqu'aux difficult�s de l'op�ration " Anaconda ". Par nature passagers, ces incidents de parcours ne signifient pas grand-chose par rapport aux vrais probl�mes de l'institution, qui ont � voir avec la concurrence que lui livrent les autres Services et l'atmosph�re politique qui conditionne aux Etats-Unis l'usage de la force. A maints �gards, l'Army se retrouve dans la situation peu enviable d'�tre attaqu�e � la fois par le haut, la Navy et l'US Air Force s'�tant r�orient�es vers la surface terrestre, et par le bas, les forces sp�ciales ayant apport� la d�monstration de leur flexibilit� et de leur efficacit� en Afghanistan. La riposte est d'autant moins ais�e � organiser que l'arm�e de terre risque de s'ali�ner durablement l'US Marine Corps et, par voie de cons�quence, la Navy, si elle pr�tend d�sormais se r�organiser dans une logique exp�ditionnaire, ce qui l'oblige � passer par l'Air Force pour se d�ployer - et ce, alors que les deux Services devraient �tre des alli�s naturels face aux pr�tentions de l'Air Force. Enfin, les r�ticences de la classe politique mais aussi de la hi�rarchie militaire interdisent sans doute � l'arm�e de jouer compl�tement la carte de la pr�sence au sol et du combat de pr�s, depuis les op�rations de stabilisation jusqu'au " combat d'infanterie ".

Dans ces conditions, le plan Shinseki constitue une r�ponse courageuse, qui cherche � pr�server l'avenir et l'unit� de l'institution en mati�re d'�quipements, de missions et de culture commune. Les insuffisances et les ambigu�t�s ne manquent pas, cependant, qui pourraient faire d�railler le projet. L'IBCT, tout d'abord, semble faiblement soutenue, � l'int�rieur comme � l'ext�rieur de l'institution, et ses caract�ristiques la condamnent sans doute � ne jouer qu'un r�le marginal en dehors des op�rations de stabilisation. D�pendant d'avanc�es technologiques pour le moins al�atoires, " Objective Force " traduit �galement les h�sitations de l'Army quant � sa mission premi�re, pr�sence au sol ou participation " d�cisive " au combat de haute intensit� futur. A vouloir couvrir ainsi le spectre des possibles, l'Army court le risque de faire contre elle l'unanimit� et de perdre la comp�tition interarm�es. Pour ces raisons, il est bien difficile pour l'heure d'�mettre une pr�diction cr�dible. Le projet peut �chouer compl�tement, laissant l'Army marginalis�e au profit des autres Services ; il peut s'orienter enti�rement vers la logique de ciblage et le combat " v�hiculaire ", l'Army abandonnant alors aux Marines, aux forces sp�ciales et peut-�tre � la r�serve les missions de stabilisation et le combat rapproch�. Entre ces deux extr�mes, l'Army peut parvenir � ne mener � bien qu'une partie du plan - l'IBCT tr�s probablement - et revoir � la baisse les ambitions affich�es dans " Objective Force " d�s que le contexte politique le permettra. A ce jour, la r�ussite int�grale du projet para�t tr�s improbable, et ne garantirait de toute fa�on pas l'�mergence d'un partage des t�ches interarm�es satisfaisant.

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