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Jean-Marie Paugam Pour une relance du cycle du d�veloppement : refonder le consensus multilat�ral apr�s Cancun IFRI www.ifri.org/files/Economie/Cancun1.pdf

ANNODIS

projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM

objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement

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GEOPO article geopolitique
french
16 octobre 2003

Institut Fran�ais des Relations Internationales

Pour une relance du cycle du d�veloppement : refonder le consensus multilat�ral apr�s Cancun Jean-Marie Paugam Jean-Marie Paugam, chercheur � l'IFRI
R�sum�

Le programme de d�veloppement de Doha conjuguait trois demandes divergentes des membres de l'OMC : les pays en d�veloppement voulaient r��quilibrer en leur faveur les accords existants ; les Etats-Unis voulaient un nouveau cycle de lib�ralisation ; l'Europe le voulait aussi mais en l'�quilibrant par un enrichissement des r�gles �conomiques mondiales sur les � sujets de Singapour �.

Cancun a fait �clater ces ambigu�t�s et l'�chec de la conf�rence pourrait engendrer une panne durable de l'OMC. Cette derni�re doit affronter deux grands d�fis.

Un d�fi syst�mique est li� aux limites de la � m�thode de fabrication � du consensus international, que l'OMC avait de facto h�rit�e du GATT. L'approche mercantiliste de la n�gociation a �chou� � �quilibrer enjeux de lib�ralisation et de r�gulation. Le �consensus censitaire � qui privil�giait le pouvoir des grandes puissances commerciales affronte les rapports de force nouveaux cr��s par des strat�gies d'alliance inattendues. La � diplomatie non-gouvernementale � s'est professionnalis�e - de Johannesburg � Cancun - et occupe les vides laiss�s par l'assistance du Nord au commerce des pays les plus pauvres.

Un d�fi strat�gique est li� au doute sur la pertinence m�me de la lib�ralisation multilat�rale comme paradigme de croissance. A Cancun, la g�ographie des peurs opposait : l'agriculture du Nord � la paysannerie du sud ; les industries du sud au g�ant chinois ; la doctrine libre-�changiste des institutions multilat�rales aux attentes concr�tes des pays en d�veloppement sur le terrain de l'aide.

Ce doute est profond et, au-del� de Cancun, pourrait se figer dans une pr�f�rence collective pour le statu quo actuel � l'OMC.

Ce statu quo serait porteur de menaces. Une multiplication des contentieux emporterait un transfert de responsabilit� du � l�gislateur � vers le � juge � commercial international et pourrait engendre des tensions politiques et �conomiques minant le syst�me d'�change ouvert. La prise de distance am�ricaine vis � vis du multilat�ralisme et la mont�e de la tentation protectionniste, notamment contre la Chine, accro�t la port�e d'une telle menace. Dans ce contexte, l'alternative d'accords commerciaux r�gionaux de lib�ralisation a de quoi s�duire, mais pourrait accentuer la marginalisation �conomique des pays les plus pauvres.

Un effort de relance des n�gociations de Doha est donc n�cessaire. Les diplomates peuvent y contribuer en recherchant de nouvelles m�thodes permettant d'atteindre plus souplement le consensus : la piste des sch�mas de �coop�ration renforc�e � ou � accords plurilat�raux � offre une piste sans doute plus f�conde que celles d'une ren�gociation des th�mes de l'agenda de Doha, ou de l'engagement de l'OMC dans une r�forme institutionnelle d'envergure.

Mais l'effort de relance n'aboutira pas sans remise en chantier d'un consensus politique multilat�ral sur le fond. Pour esp�rer surmonter les ambigu�t�s du programme de Doha, une mise � jour du partage des responsabilit�s globales entre acteurs du Nord et du Sud sera n�cessaire. R�partir �quitablement le poids des efforts de lib�ralisation suppose : de simplifier les �quations mercantilistes de la n�gociation � l'OMC ; d'introduire des bases objectives de diff�renciation de chaque niveau de d�veloppement ; de syst�matiser l'effort d'aide indispensable � l'accompagnement des processus d'ouverture au Sud.

Liesse des ONG, communiqu�s officiels de victoire ou d'amertume, interrogations des opinions, doutes sur le sens de l'�chec. Rien ne s'est pass� � Cancun comme anticip�. Il n'y a pas eu r�ellement de n�gociations : le d�bat n'a d�marr� que tardivement, pour avorter tr�s rapidement. Les alliances ne sont plus ce qu'elles �taient : la fracture agricole a eu lieu, mais autour de coalitions nouvelles, opposant les anciens rivaux transatlantiques aux pays �mergents r�unis par le tr�s jeune " G21 " qu'emmenait le Br�sil. L'�chec a �t� formellement constat� sur un enjeu de r�gles : celui qui opposait les pays les plus pauvres du " G90 ", aux partisans du lancement de n�gociations nouvelles sur les " sujets de Singapour ". Comble d' " impr�vu ", les comportements contestataires s'invitaient formellement dans l'enceinte de l'OMC par des manifestations jusqu'ici inconnues de ce club � l'ambiance traditionnellement feutr�e, lou� par ses habitu�s pour l'esprit d'efficacit� et la " mentalit� d'affaires " qui pr�side d'ordinaire � ses travaux : des n�gociateurs exp�riment�s ont �t� choqu�s par les applaudissements de discours officiels parfum�s d'un tiers-mondisme que l'on croyait surann�, qui, d�non�ant la " rh�torique de r�sistance ", qui, la " d�rive onusienne ", qui, -mal�fice supr�me ?-, la " CNUCEDisation " de l'OMC.

Echec pour tous ou succ�s de certains ? Cancun marque certainement un tournant dans la gouvernance de l'organisation car les rapports de force nouvellement �tablis resteront dans les m�moires, sinon dans la forme des nouvelles alliances. L'�chec, d�j� provoqu� � Seattle par les pays en d�veloppement, pouvait avoir des allures accidentelles. Mais leur d�monstration de force �tait voulue et assum�e � Cancun, y compris au prix du r�sultat atteint. Coup d'arr�t au programme de d�veloppement de Doha ? Peu �videntes sont les voies d'une relance du cycle de n�gociation et, plus globalement, du syst�me commercial multilat�ral cr�� depuis l'instauration de l'OMC. Tenter d'�clairer ces voies de relance suppose, comme toujours, de revenir pr�alablement sur les causes de l'�chec.

I. Le jeu de " qui perd-perd " : retour sur les causes de l'�chec de Cancun

Les auspices initiaux de la conf�rence de Cancun �taient plut�t favorables. Le travail pr�paratoire �tait bien avanc�. Un accord d'�tape paraissait d'autant plus atteignable que l'on avait significativement vid� son projet de l'essentiel de ses ambitions de substance, en pr�voyant de reporter � plus tard les �ch�ances d�licates du chiffrage des concessions �conomiques r�ciproques. Surtout, un compromis avait �t� atteint, avant Cancun, sur la douloureuse question de l'articulation entre droit des brevets - prot�g� par l'OMC- et l'assouplissement de l'acc�s aux m�dicaments g�n�riques essentiels pour permettre aux pays en d�veloppement d'affronter les grandes crises sanitaires qui les frappent. Devenue test de la capacit� de l'OMC � int�grer les pr�occupations du d�veloppement et les consid�rations humaines �l�mentaires, la question n'avait pu �tre r�solue qu'au prix d'un ralliement, tardif et conditionnel, des Etats-Unis, du fait de la r�sistance de leur industrie pharmaceutique au projet de compromis depuis longtemps accept� par les autres membres de l'OMC. Juridiquement, cet accord demeure le seul r�sultat concret et attendu de Cancun, avec l'adh�sion � l'OMC de deux nouveaux membres, pays moins avanc�s, le Cambodge et le N�pal.

Trois grands th�mes du programme de Doha formaient le c?ur des discussions et conditionnaient l'accord sur le futur du cycle. Il s'agissait d'adopter une " approche-cadre ", pour pr�parer les futures " modalit�s " (i) de lib�ralisation du commerce agricole, (ii) de r�duction des barri�res aux �changes industriels, (iii) de n�gociations de r�gles internationales nouvelles sur les sujets dits " de Singapour ", regroupant la facilitation des �changes, la transparence des march�s publics, l'investissement et la concurrence.

Enfin, la question du coton devait se r�v�ler primordiale dans la relation Nord-Sud, bien que non abord�e explicitement par le programme de Doha. Elle avait �t� introduite quelque mois plus t�t dans l'ordre du jour par le Pr�sident Blaise Compaor�, portant � Gen�ve la parole de quatre pays d'Afrique de l'Ouest -B�nin, Burkina-Faso, Mali, Tchad- : ces derniers demandaient l'�limination en trois ans des subventions � la production de coton pratiqu�es par les pays d�velopp�s et l'instauration d'un m�canisme de compensation financi�re des dommages subis par les producteurs africains, durant la p�riode transitoire.

Le traitement de ces sujets devait mettre aux prises des alliances de pays relativement classiques et bien rep�r�es : les grands exportateurs agricoles contre l'Union Europ�enne et ses quelques alli�s, dont la Cor�e et le Japon ; en mati�re industrielle, les pays d�velopp�s contre les pays en d�veloppement - � l'exception des pays les moins avanc�s - ; sur les sujets de Singapour, essentiellement l'Europe et toujours ses alli�s de l'Asie d�velopp�e - Japon, Cor�e -, contre plusieurs grands pays en d�veloppement, au premier rang desquels l'Inde, la Malaisie et les Philippines, emmenant dans leurs sillages la plupart des pays africains.

Le sc�nario escompt� pour produire un accord ne s'est pas r�alis� : des raisons tactiques, syst�miques et strat�giques expliquent une spirale d'�chec.

" L'entreprise d'une g�n�ration " s'arr�te � 15 heures : erreurs tactiques, recherche des coupables, th�ories du complot

La conf�rence de Cancun s'est ouverte sur fond de d�saccord, portant essentiellement sur la partie agricole du document devant servir de base aux conclusions des ministres. Le texte pr�par� par le Pr�sident du Conseil G�n�ral de l'OMC s'inspirait largement d'un projet d'accord, propos� conjointement par les Etats-Unis et l'Union Europ�enne, qui �taient parvenus, in extremis, � un rapprochement de leurs positions, ce que les PED souhaitaient depuis longtemps. Paradoxalement, ce rapprochement a provoqu� un rejet de la part d'un groupe de pays en d�veloppement, le " G21 " ou " G 20+ ". H�tivement form� avant Cancun, � l'initiative du Br�sil, rejoint par l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud et soutenu par plusieurs pays en d�veloppement, le G21 proposait un texte alternatif sur l'agriculture. Simultan�ment, les pays africains ont raidi l'ensemble de leurs positions - notamment sur l'acc�s au march� et les questions de Singapour - mais surtout, indiqu� faire d'un progr�s sur la question du coton la condition sine qua non d'un succ�s � Cancun.

D�s lors, les trois premiers jours ont �t� consacr�s � des discussions proc�durales informelles sur la mani�re de concilier les textes devant servir de base de travail, sur fond de menaces d'�chec formul�es par les plus hautes autorit�s br�siliennes, en cas de non prise en compte des positions du " G21 ". Un compromis a �t� propos� par les organes dirigeants de l'OMC, permettant � la n�gociation de d�marrer, pour �chouer 24 heures plus tard. Le Pr�sident de la Conf�rence, M. Derbez, Ministre des Affaires Etrang�res Mexicain, d�cidait de cl�turer les d�bats, apr�s avoir constat� un blocage sur le premier th�me qu'il avait mis � l'ordre du jour : les questions de Singapour.

A qui la faute ? Les explications tactiques abondent sur les responsabilit�s de l'�chec. Nombre comportent des �l�ments plausibles, d'autres sont fausses, certains faits sont troublants. Trois " th�ories du complot " ont ainsi �t� esquiss�es faisant alternativement porter la responsabilit� de l'�chec � l'Europe, au G21 et aux Etats-Unis. Qui s'en tient aux faits connus doit constater que les conditions de cl�ture de la conf�rence de Cancun �taient surprenantes, voire anormales.

L'ordre du jour des d�bats pr�voyait en effet de discuter des " sujets de Singapour " et de l'agriculture : la conf�rence a �t� interrompue apr�s discussion du premier sujet, avant que le second n'ait pu �tre abord�. Apr�s deux ans d'enlisement des n�gociations de Doha, l'agriculture repr�sentait clairement le sujet central du cycle, conditionnant aux yeux de tous les participants les possibilit�s d'accord sur les autres. Les questions de Singapour n'apparaissaient que comme "variable d�pendante ", conditionn�e par l'agriculture. L'interruption de la conf�rence sur ce sujet fut choquante : la capacit� � surmonter le blocage ne pouvait �tre totalement appr�ci�e avant discussion de la question agricole.

Par ailleurs, le blocage n'opposait pas les grands acteurs du d�bat : l'Europe, principal proposant des quatre sujets de Singapour, l'Inde, principal opposant. L'Europe avait accept� d'abandonner les deux sujets consid�r�s comme les plus contentieux - concurrence et investissement -. Cette proposition se r�v�lait inacceptable pour le " groupe des 90 " - qui r�unissait les pays africains et les PMA - et raidissait la Cor�e. Formellement donc, alors que le c?ur du d�bat opposait les partenaires transatlantiques au G21 sur l'agriculture, la conf�rence de Cancun aurait �chou� sur un conflit Cor�e - Afrique concernant les sujets de Singapour. Enfin, le temps ne pressait pas, la plupart des d�l�gations ayant pr�vu de pouvoir prolonger le s�jour � Cancun. Quelques mois plus t�t, un Ministre appelait ses coll�gues de l'OCDE � r�ussir le cycle de Doha en y reconnaissant " l'entreprise d'une g�n�ration ". L'entreprise a �t� interrompue � 15 heures...

A qui profite le crime ? A personne, si l'on admet que le programme de Doha est porteur de b�n�fices potentiels importants pour l'�conomie mondiale. A court-terme, le succ�s diplomatique revendiqu� par certains pays du Sud est � rapporter � leur �chec �conomique : les politiques agricoles des grands pays d�velopp�s n'ont trouv� � Cancun aucune raison de se r�former. Les producteurs de coton africain n'ont emport� du Mexique aucun motif d'espoir.

Le syst�me GATT ne r�pond plus : limites du mercantilisme, �volution des rapports de force, nouveaux acteurs
Doit-on " payer " les r�gles de droit ? La m�thode mercantiliste � l'�preuve.

Depuis l'instauration du GATT, le libre-�change progressait aux rythmes de cycles de n�gociations, paradoxalement mus par le mercantilisme de l'�change de concessions r�ciproques d'une valeur commerciale �quivalente. Relativement naturelle pour �changer des baisses de protection douani�re sur les biens industriels, cette m�thode est devenue plus complexe lorsque l'Uruguay Round en a �largi le champ aux secteurs de l'agriculture et des services, auxquels venaient s'ajouter des r�gles : l'�quivalence des concessions inter-sectorielles devenant plus complexe � appr�cier, le principe d'" engagement unique " a �t� pos� pour garantir la capacit� de chacun � appr�cier l'�quilibre du r�sultat final.

La mise en oeuvre des r�sultats du cycle d'Uruguay a toutefois engendr� une profonde frustration des PED. Pour eux, les grands acquis th�oriques demeuraient pratiquement inexistants dans le domaine des services, faibles en termes de lib�ralisation agricole et lointains (2005) en termes de d�mant�lement des quotas textiles. Par contre, les nouvelles disciplines �labor�es en mati�re de propri�t� intellectuelle, �valuation en douane, mesures sur l'investissement li�es au commerce, devaient trouver une application plus rapide.

Le cycle de Doha a repris la m�thode d'Uruguay, en engageant, dans un grand marchandage global, les questions d'acc�s au march�, qui impliquent des sacrifices �conomiques imm�diats et les questions de r�gles, qui rec�lent un potentiel d'am�lioration du bien-�tre � long terme, mais exigent des efforts administratifs co�teux. A la lueur de l'exp�rience d'Uruguay, les PED ont logiquement conclu que la n�gociation des r�gles des sujets de Singapour, devrait �tre pr�alablement " pay�e ", en esp�ces sonnantes et tr�buchantes, d'abord agricole. Les pays d�velopp�s approchaient les sujets de Singapour de mani�re diff�rente. Au-del� de ses seuls int�r�ts mercantiles, l'UE portait les quatre sujets en y voyant les ingr�dients n�cessaires � l'affirmation du r�le de l'OMC comme centre de gouvernance �conomique mondiale, producteur de bien commun par le droit. Grand investisseur et commer�ant, le Japon avait une approche plus mercantile et pratique, en privil�giant l'investissement et la facilitation des �changes. Les Etats-Unis retenaient une approche plus pragmatique encore, se concentrant sur les r�sultats qui leur paraissaient atteignables et utiles - transparence des march�s publics et facilitation des �changes - et pr�f�rant poursuivre hors de l'OMC, par accords bilat�raux, les deux autres objectifs de r�gulation. Tous les pays d�velopp�s avaient, par contre, un point commun : celui de refuser de " payer " par davantage de lib�ralisation agricole (impliquant des ajustements � co�t politique imm�diat �lev�) l'�laboration de r�gles de droits (dont le b�n�fice �conomique potentiel se diffuse � moyen ou long terme).

La m�thode mercantiliste, issue des n�gociations du GATT, a rencontr� � Cancun ses limites, pour traiter simultan�ment des enjeux de lib�ralisation et de r�gulation.

Certains deviendraient-ils aussi �gaux que d'autres ? Le " consensus censitaire " � l'�preuve

Lors de la cr�ation de l'OMC, les n�gociateurs pouvaient se r�f�rer � deux mod�les de gouvernance. Celui de l'ONU, fond� globalement sur le " suffrage universel " et l'�galit� des Etats � l'assembl�e g�n�rale - sous r�serve du Conseil de S�curit� - �tait aussi celui de l'ancien GATT. Celui des institutions �conomiques et financi�res de Bretton Woods �tait par contre fond� sur le " suffrage censitaire ", li� au stock de capital d�tenu. Issus du GATT, qui �tait rest� essentiellement un " club de riches " aux int�r�ts �conomiques comparables, la plupart de ces n�gociateurs admirait l'efficacit� du deuxi�me syst�me.

Mais, malgr� son caract�re �conomique, la mission de l'OMC reposait sur un fondement diff�rent de celle de Bretton Woods : si par construction les pays riches peuvent seuls mobiliser les capacit�s de financement des d�s�quilibres macro-�conomiques et du d�veloppement des pays pauvres, le commerce est cens� �tre un bien commun accessible � tous, pour peu que ses conditions soient libres. Tout l'enjeu de l'OMC est donc de d�finir les r�gles qui permettront � chacun de mieux int�grer le syst�me mondial d'�change, en r�duisant le protectionnisme qu'il subit de la part des autres. Confier aux grandes puissances le pouvoir " censitaire " de d�finir les r�gles reviendrait � leur demander d'auto-�valuer leur niveau de protection. Le syst�me n'aurait aucun int�r�t pour les autres participants. La r�gle de l'�galit� �tait donc in�vitable.

L'OMC a h�rit� des d�fauts des deux syst�mes : formellement institu�e sur un mod�le ONUSIEN, dotant chaque Etat d'une voix et d'une prise de d�cision majoritaire, elle fonctionne en r�alit� par consensus, mais ne poss�de ni " conseil de s�curit� " ni de syst�me de pond�ration refl�tant l'importance �conomique des acteurs. D�s lors, la pratique de la n�gociation � l'OMC s'est informellement inspir�e d'un mod�le censitaire : une entente entre les plus grands acteurs du commerce mondial, les partenaires transatlantiques d'abord, " Quad " ensuite, �tait, jusqu'ici, suffisante pour aligner tous les membres sur un consensus.

L'adh�sion massive des PED, � partir des ann�es 1980 et apr�s la cr�ation de l'OMC, a doublement chang� la donne. D'abord au plan politique : sur 148 membres de l'OMC, une vaste majorit� est form�e par des PED disposant chacun d'une voix, dont ils ont d�couvert le pouvoir � Seattle, avant de l'utiliser � Cancun.

Qu'en est-il du rapport de force �conomique ? On peut penser que l'affirmation du G21 refl�te la mont�e en puissance des �conomies �mergentes dans le commerce mondial. Au d�but du cycle d'Uruguay (1986), les pays aujourd'hui group�s par le G21 repr�sentaient quelques 6% des exportations mondiales de biens et services ; � la veille du cycle de Doha (2000) leur part relative avait pratiquement doubl� pour atteindre plus de 11 % du commerce total, proportion � comparer au poids individuel des Etats-Unis (12,1%), du Japon (6,4%) du Canada (5,5%) et de l'UE (39%) : ces quatre membres de la " Quad " p�sent ensemble pour pr�s des deux tiers du commerce total. Mais ces indicateurs sont trompeurs si on n'isole pas le cas de la Chine, qui n'est entr�e � l'OMC qu'en 2001, � Doha. Il est frappant de constater que, sans la Chine, le rapport des forces commerciales entre les pays de la Quad et le G21 est rest� pratiquement inchang� depuis le cycle d'Uruguay : si politiquement le Br�sil a �t� identifi� comme le leader du G21, �conomiquement la cr�dibilit� de ce nouveau groupement d�pend largement de la participation de la Chine.

Petits pays pauvres et grandes ONG riches : l'influence de la " diplomatie non gouvernementale ".

Celles des ONG qui ne refusaient pas en bloc l'existence de l'OMC, particuli�rement dans le monde anglo-saxon, revendiquaient depuis plusieurs ann�es des moyens d'influence sur une institution qui ne leur reconnaissait pas de statut. Avant le cycle de Doha, cette revendication se concentrait sur le m�canisme de r�glement des diff�rends. Depuis le lancement du cycle, elle porte �galement sur les n�gociations. Cancun a manifest� l'�volution des m�thodes d'intervention de certaines grandes ONG, �volution d�j� tr�s perceptible, dans la sph�re de l'ONU, lors du sommet de Johannesburg : celles-ci assistent ou influencent des petits �tats, d�pourvus de capacit�s suffisantes de n�gociation, pour orienter l'agenda. Oxfam revendique ainsi d'avoir contribu� � l'�laboration du dossier du coton, qui a eu une influence psychologique d�cisive sur le sort de la conf�rence de Cancun.

A cette assistance technique, les ONG de terrain ajoutent leur capacit� de sensibilisation politique des populations. A Cancun, plusieurs ministres africains ont indiqu� sans voile qu'ils se trouveraient politiquement le dos au mur si aucun mouvement n'�tait fait sur le dossier du coton, apportant avec eux des p�titions de dizaine de milliers de producteurs, ou, comme la Ministre du S�n�gal, une r�solution vot�e � l'unanimit� de son parlement. Le Commissaire europ�en � l'agriculture, M. Fischler, ne s'est pas tromp� sur le r�le de ces nouveaux acteurs : il imputait une partie de la responsabilit� de l'�chec de Cancun � certaines ONG, avant d'estimer que la red�finition des relations entre membres de l'OMC et ONG devait �tre la premi�re priorit� de r�forme de l'organisation.

Le libre-�change ne suffit plus : g�ographie des doutes face � la globalisation

La question strat�gique pos�e par Cancun est de savoir si les membres de l'OMC estiment encore avoir un int�r�t � promouvoir une lib�ralisation multilat�rale globale. L'�chec de Cancun a r�v�l� les doutes fondamentaux des participants � la n�gociation.

L'agriculture du nord a peur du Sud

La premi�re nouveaut� de Cancun a �t� l'alliance transatlantique sur l'agriculture. Loin d'�tre d�risoire par rapport aux attentes des PED et notamment des PMA, la proposition euro-am�ricaine n'en consacrait pas moins une approche globalement conservatrice, p�rennisant les politiques agricoles men�es dans les pays les plus riches. Les partenaires transatlantiques n'�taient peut-�tre pas les plus d�fensifs et certainement pas les plus immobiles. Leur entente strat�gique repr�sentait donc un �l�ment profond�ment nouveau dans le syst�me d'alliance traditionnel. Le Japon et la Cor�e avaient mal accept� ce rapprochement - " trahison " - de l'Europe avec les Etats-Unis.

L'alliance agricole transatlantique avait �t� rendue possible apr�s l'accord de Luxembourg de juin 2003 qui, en r�formant la PAC, permettait de trouver un point d'intersection aux trajectoires invers�es des politiques agricoles europ�ennes et am�ricaines depuis l'Uruguay Round. Depuis 1992 et avec " agenda 2000 " les subventions europ�ennes s'�taient consid�rablement " am�ricanis�es " en progressant r�guli�rement sur deux axes : la r�duction du niveau de soutien aux prix et, surtout, le " d�couplage " progressif des aides. Inversement, depuis le Fair Act de 1996 et le Farm Bill de 2002, le r�gime de soutien am�ricain s'�tait consid�rablement " europ�anis� ", d'une part du fait de l'augmentation massive des concours publics au revenu agricole, d'autre part du fait de la tendance au " recouplage " partiel des aides am�ricaines, en particulier via le nouveau m�canisme des " marketing loans ".

L'" approche-cadre ", c'est � dire une approche non chiffr�e, propos�e par l'Europe et les Etats-Unis comme base de n�gociation agricole consacrait donc globalement l'�tat de fait atteint des deux c�t�s de l'Atlantique. Elle pr�voyait un effort de r�duction des soutiens internes les plus directement li�s aux quantit�s produites, dans des limites des marges de manoeuvres disponibles apr�s le " Farm Bill " et la r�forme de la PAC. Elle ne retenait pas l'objectif d'�limination globale des subventions � l'exportation, mais traitait pour la premi�re fois avec parall�lisme les objectifs de r�duction des subventions � l'exportation am�ricaines (aide alimentaire, cr�dits � l'exportation) et europ�ennes (restitutions aux exportations) et en admettait l'�limination pour les productions " sensibles " des PED. Elle proposait une formule mixte de r�duction des droits de douane agricole, distinguant les efforts � r�aliser entre " produits sensibles " des " produits normaux " et " non sensibles ", pour donner des flexibilit�s � chaque participant.

Le texte soumis par l'OMC comme base de discussion s'inspirait largement de l'approche transatlantique, mais renfor�ait ses exigences dans le sens souhait� par les PED, en particulier sur les ambitions de r�duction des subventions internes et l'�limination des subventions aux exportations. Il fut radicalement rejet� par le " G 21 ", qui ne parvenait � r�aliser une synth�se entre les int�r�ts de ses membres offensifs et d�fensifs sur la protection douani�re, qu'en r�clamant de faire porter l'int�gralit� des efforts de r�forme agricole aux pays d�velopp�s.

Les n�gociateurs am�ricain et europ�en ont eu beau jeu de proph�tiser l'implosion de ce groupe h�t�roclite, " mariage de la carpe et du lapin ", le G21 a montr� � Cancun que son ciment n'�tait pas de plus mauvaise qualit� que celui qui avait permis aux partenaires transatlantiques de s'entendre sur les subventions et de surmonter, optiquement, la profonde divergence de leurs int�r�ts en mati�re d'acc�s au march�.

Les deux c�t�s partageant leur ambigu�t� sur le niveau de lib�ralisation � atteindre en mati�re de droits de douane agricoles, la question des subventions devenait logiquement centrale. Elle �tait radicale pour les pays du G21. Ces derniers repr�sentent une majorit� de la population mondiale, dont une forte proportion, voire une majorit� pour la plupart, vit en milieu rural. Leur structure d'exportation r�v�le une sur-proportion des produits agricoles bruts et des denr�es alimentaires par rapport au poids de ces produits dans le commerce mondial. Dans ces conditions, comme le rel�ve D. Cohen � propos des soutiens dans les pays d�velopp�s, "quel que soit le canal par lequel transitent les aides, ces subventions sont une mauvaise nouvelle pour les autres paysans du monde, qu'ils aient vocation � �tre exportateurs ou pas ".

Enfin, les partenaires transatlantiques convergeaient objectivement pour cantonner le dossier des subventions au coton dans le cadre global de la n�gociation agricole, sans le distinguer des autres produits, pour ne pas risquer de cr�er un pr�c�dent ouvrant la voie � d'autres n�gociations sectorielles. L'Europe donnait quelques signaux d'ouverture et indiquait qu'elle s'appr�tait � r�former son r�gime de subvention dans ce secteur, l'un des absents de la r�forme de l'�t� 2003. Les Etats-Unis proposaient de globaliser le sujet en traitant l'ensemble des probl�mes de la fili�re, allant de la fibre au v�tement. Intellectuellement int�ressant et habile, cet argumentaire apparaissait trop grossi�rement comme un simple contre-feu tactique, visant � " noyer " la demande africaine dans une n�gociation plus complexe. La proposition am�ricaine fut n�anmoins reprise dans son int�gralit� par les autorit�s de l'OMC, entra�nant une radicalisation irr�versible des pays africains, qui voyaient ainsi dispara�tre leur seul int�r�t � n�gocier pour un succ�s � Cancun. En accompagnement de cette fin de non recevoir, le projet de d�claration sugg�rait beno�tement d'encourager " la diversification des �conomies dans lesquelles le coton repr�sente une majorit� du PIB ".

L'industrie du Sud a peur de la Chine : le r�le des pr�f�rences

La deuxi�me nouveaut� fondamentale de Cancun a �t� la volont� d'une grande partie des pays du Sud, en particulier d'Afrique et de M�diterran�e, de conserver les avantages li�s aux pr�f�rences douani�res accord�es par leurs grands partenaires du Nord. Compte-tenu de leur part tr�s faible dans le commerce mondial, la comp�titivit� globale et le potentiel de l'industrie chinoise leur apparaissent d�sormais comme une menace majeure pour leurs cr�neaux d'industrialisation naissante ou r�cente.

Le r�v�lateur de cette menace a �t� le secteur du textile et de l'habillement. Le grand acquis de l'Uruguay Round, pour les industriels du Sud, avait �t� l'engagement de d�mant�lement du syst�me de quotas commerciaux issus de l'ancien " accord multi-fibre ". Trop longtemps attendue, la disparition de ces quotas limitant leur capacit� d'exportation est, paradoxalement, devenue la hantise de nombre de petits pays producteurs, � mesure que se profilait l'�ch�ance de leur suppression totale au 1er janvier 2005. Face � la mont�e en puissance tr�s rapide de la Chine dans ce secteur, les quotas sont devenus des garanties de d�bouch� plut�t que des obstacles � leurs exportations. Une fois ces quotas disparus, seule une pr�f�rence douani�re leur appara�t de nature � compenser le diff�rentiel de comp�titivit� avec la Chine. Or, le niveau des pr�f�rences douani�res dont ils b�n�ficient dans le cadre des accords pass�s avec les pays de la " Quad " serait m�caniquement r�duit par une r�duction g�n�rale des droits de douanes � l'OMC. En extrapolant sur la comp�titivit� de leurs autres industries face � " l'atelier global ", ces pays concluent � la menace d'une r�duction tarifaire multilat�rale.

Paradoxalement, c'est donc, en partie, du fait des pr�f�rences qu'ils leurs accordent, que les pays du Nord ont perdu " leur " Sud � Cancun. Aucun des grands r�seaux naturels de solidarit� �conomique - Europe et pays ACP ; Etats-Unis et pays latino-am�ricains - n'a fonctionn� : le G90, qui s'opposait � l'Europe sur les " sujets de Singapour ", r�unissait majoritairement les pays ACP ; les membres du G21 �taient majoritairement latino-am�ricains et li�s par des accords pr�f�rentiels ou engag�s dans des n�gociations de libre-�change avec les Etats-Unis.

Bretton-Woods arrive en retard

Le droit de l'OMC dispose th�oriquement de tous les outils et garde-fous permettant de g�rer avec souplesse l'intensit� et le rythme des politiques d'ouverture entre pays de niveaux de d�veloppement diff�rents : ces �l�ments sont d'ailleurs des objets de n�gociation majeurs dans le cadre du programme de Doha, tant au titre de la " mise en oeuvre " - ajustement des conditions d'application des accords pr�c�dents - que du " traitement sp�cial et diff�renci� " -prise en compte des contraintes particuli�res des PED dans les n�gociations -.

Mais la doctrine sur laquelle repose l'organisation se limite fondamentalement � professer les bienfaits du libre-�change sur la croissance, tout en admettant la n�cessit� d'en ajuster le rythme en fonction des situations particuli�res. Les institutions de Bretton Woods ont �galement fond� une partie de leur argumentaire pour le d�veloppement sur la lib�ralisation commerciale. Cancun a montr� les limites du pouvoir de conviction cette seule doctrine.

En 2002, la Conf�rence de Monterrey avait formul� un nouveau consensus international sur les strat�gies de d�veloppement. Ce consensus de Monterrey mettait globalement � jour l'ancien " consensus de Washington " en lui ajoutant deux �l�ments nouveaux : une affirmation de la responsabilit� des pays en d�veloppement dans l'am�lioration de leur gouvernance et performances institutionnelles, un engagement de contrepartie des pays du Nord � accro�tre leur aide au d�veloppement. Dans la sph�re commerciale ce consensus trouve des points d'application tr�s naturels et concrets : la participation � l'effort de lib�ralisation et de renforcement des r�gles contribue � l'am�lioration des syst�mes institutionnels locaux, si elle est pr�par�e et accompagn�e par l'aide au d�veloppement. Faute d'aide, les pays demeurent d�pourvus de capacit�s administratives � n�gocier et mettre en oeuvre leurs engagements juridiques. Les conditions concurrentielles demeurent in�gales sans d'investissement dans l'infrastructure productive n�cessaire � l'essor de leur comp�titivit�.

Le lien entre politique commerciale et politique d'aide n'a pourtant pas encore �t� correctement investi par les grands bailleurs d'aide. Si ce lien est th�oriquement �tabli dans les politiques r�gionales de l'UE, il demeure pratiquement inexistant dans sa politique multilat�rale. Un effort de syst�matisation a �t� entrepris � l'OMC, depuis les conf�rences de Singapour et Doha (1996 - 2001), relay�es par la Conf�rence des Nations-Unies sur le commerce des PMA (2000), mais demeure principalement cantonn� au terrain de l'assistance technique. Or cette forme d'aide ne permet gu�re d'aborder les probl�mes fondamentaux des pays les plus pauvres face � la lib�ralisation : la capacit� � exporter est diff�rente de la capacit� � n�gocier en ce qu'elle rel�ve globalement de la d�faillance des infrastructures, de la formation de la main d'oeuvre, de l'absence de syst�mes de contr�le sanitaire...

Les institutions de Bretton-Woods ont commenc� � int�grer la probl�matique du commerce dans leurs programmes. Mais les efforts engag�s par la Banque Mondiale se sont jusqu'ici plut�t traduits par des �tudes - visant essentiellement � d�monter les gains potentiels de la lib�ralisation multilat�rale, en particulier dans l'agriculture - que sur des programmes concrets de constructions de capacit�s exportatrices. Le FMI est rest� tr�s longtemps r�ticent � contribuer � la recherche de solutions sp�cifiques au probl�me de l'impact sur les finances publiques de la perte de recettes douani�res pour les pays en d�veloppement r�alisant des efforts de d�sarmement tarifaire multilat�ral.

FMI et Banque Mondiale ont annonc� � Cancun de nouvelles propositions, int�ressantes mais encore vagues, sur ces terrains : sans doute trop peu trop tard. Les pays en d�veloppement ne per�oivent donc pas encore les manifestations concr�tes des efforts d'assistance qui les aideraient � s'engager en confiance dans de nouvelles entreprises de lib�ralisation.

II. Faire de Cancun un acte fondateur : pour une relance politique du cycle du d�veloppement

Il est � peu pr�s acquis que Cancun a enterr� l'espoir d'une conclusion du cycle de Doha dans les d�lais fix�s, au 1er janvier 2005. Deux grandes �ch�ances officielles sont aujourd'hui pr�vues : une r�union du Conseil G�n�ral de l'OMC, en d�cembre 2003, une conf�rence minist�rielle qui devrait se tenir, en principe � Hong-Kong, vers fin 2004. Entre les deux, l'�lection pr�sidentielle am�ricaine risque de figer toute dynamique de n�gociation. Une reprise rapide est d'autant moins vraisemblable qu'am�ricains et europ�ens ont indiqu� rester pour l'instant sur l'expectative. Face aux menaces du statu quo et aux limites des id�es de relance technique, la r�flexion s'impose sur les conditions de relance politique du cycle.

Les menaces du statu quo
Le gouvernement des juges : un test politique � venir pour l'ORD

L'interruption du cycle de Doha � Cancun emporte une menace imm�diate pour l'OMC : celle du transfert de responsabilit� du " l�gislateur " vers " le juge ", de la n�gociation de r�gles vers le m�canisme de r�glement des diff�rends, en particulier en mati�re agricole.

Au 31 d�cembre 2003 expirera la " clause de paix ", adopt�e avec la conclusion de l'Uruguay Round, qui prot�geait temporairement les membres de l'OMC du risque de contentieux contre leurs r�gimes de subvention � l'agriculture. En cas d'accord � Cancun, cette clause aurait du logiquement �tre prolong�e pour garantir un climat serein de n�gociation. Du fait de l'�chec de Cancun, on peut s'attendre � ce que les membres de l'OMC cherchent � obtenir, par le contentieux, les objectifs de r�forme agricole non atteints par la n�gociation. D'ores et d�j�, deux panels ont �t� constitu�s en 2003 � l'initiative du Br�sil, l'un contre le r�gime de subventions aux exportations de sucre de l'UE, l'autre contre le r�gime de subvention au coton des Etats-Unis.

Ind�pendamment de la clause de paix, les tensions li�es aux contentieux sont d�j� fortes. Les Etats-Unis ont lanc� une dispute tr�s sensible pour l'opinion publique, contre le r�gime communautaire d'autorisation de mise sur le march� des OGM. De son c�t�, l'Europe se dirige vers la mise en oeuvre de sanctions commerciales contre les Etats-Unis, faute de mise en conformit� de ces derniers avec les d�cisions de l'ORD (organe de r�glement des diff�rends de l'OMC) dans l'affaire du FSC/ETI, ou, du fait de la vraisemblable prochaine confirmation en appel de la condamnation de la mesure de sauvegarde adopt�e en 2002 par le Pr�sident Bush dans le secteur de l'acier.

Compte-tenu de l'importance des enjeux politiques en cause, une multiplication des contentieux commerciaux, en alternative aux n�gociations, pourrait achever d'affaiblir ce qui reste de l'OMC : la cr�dibilit� du syst�me de r�glement des diff�rends serait min�e par une multiplication des cas de non-respect de ses d�cisions ; les objectifs m�mes de l'organisation seraient min�s par la mont�e en puissance de r�torsions commerciales crois�es li�s � ce non-respect. La recherche d'une forme de pacte de " mod�ration ", sinon de " non-agression ", appara�t donc comme un pr�alable � tout espoir de reprise des n�gociations multilat�rales.

L'inconnue am�ricaine, le risque protectionniste

Ce risque appara�t d'autant plus r�el que l'administration Bush a adress� plusieurs signaux de d�fiance vis � vis du multilat�ralisme commercial. Le forum de l'OMC ne se voit pas reconna�tre de pr��minence sur les autres forums de n�gociation dans la politique commerciale am�ricaine ; les Etats-Unis se sont affranchis de ses r�gles en 2002 pour prot�ger leur secteur de l'acier et se montrent extr�mement r�ticents � mettre en oeuvre les d�cisions de l'ORD les condamnant : une mise en conformit� est aujourd'hui attendue dans 5 affaires importantes gagn�es par l'Union Europ�enne.

Les facteurs de tensions s'accumulent �galement dans les relations commerciales sino-am�ricaines : depuis longtemps formul�es par le secteur du textile-habillement, les demandes de protection pourraient se multiplier dans l'industrie am�ricaine, sous l'influence notamment du facteur mon�taire (sous-�valuation estim�e par les autorit�s am�ricaines de la parit� du Yuan contre dollar). Le d�ficit des paiements courants des Etats-Unis, nourri par le d�ficit commercial, appara�t de moins en moins soutenable au niveau atteint en 2003 (plus de 5% du PIB). Alors que les Etats-Unis demeurent le principal facteur de croissance mondiale, le risque d'une mont�e du protectionnisme am�ricain appara�t tr�s r�el.

La conjugaison d'une UE contrainte de mettre en oeuvre des sanctions commerciales contre les Etats-Unis pour faire respecter les d�cisions de l'ORD et d'une mont�e du protectionnisme am�ricain, repr�senterait une menace pour l'�conomie mondiale.

Les risques de la tentation r�gionale : l'Afrique � la trappe

Faute d'accord multilat�ral, les puissances commerciales peuvent privil�gier la voie bilat�rale ou r�gionale pour promouvoir leurs objectifs de lib�ralisation. De fait, les premi�res d�clarations des autorit�s am�ricaines tendent d�j� � privil�gier cette seconde voie apr�s l'�chec de Cancun : M. Zoellick a indiqu� qu'il choisirait ses pays interlocuteurs entre " can do " et " won't do ". L'Union Europ�ene avait choisi de renoncer au lancement de nouvelles initiatives de n�gociation de libre-�change, bilat�rale ou r�gionale, pendant la dur�e du cycle de Doha. Apr�s Cancun, la Commission a �galement fait savoir qu'elle souhaitait prendre le temps de la r�flexion et du d�bat interne pour examiner toutes les options et envisager de r�orienter �ventuellement dans ce sens la politique commerciale de l'Union Europ�enne.

La th�orie �conomique reste divis�e sur les m�rites respectifs du r�gionalisme et du multilat�ralisme. Les gains potentiels de la lib�ralisation multilat�rale apparaissent sup�rieurs � ceux de la lib�ralisation sur une base r�gionale. Ces derniers se partagent traditionnellement entre " effets de cr�ation " - qui d�bouchent sur un accroissement du commerce global -, et " effets de d�tournement " de la richesse - qui se mat�rialisent par une simple substitution de sources d'approvisionnement. L'enjeu de l'articulation entre multilat�ralisme et r�gionalisme est donc de maximiser les effets de cr�ation et limiter les effets de d�tournement. Le droit de l'OMC pr�voit des dispositions pour garantir la compl�mentarit� des deux dynamiques.

Sous cette r�serve, il n'y a en soi rien de choquant � l'id�e de poursuivre une option r�gionale ou bilat�rale. L'Union Europ�enne en incarne elle-m�me le meilleur exemple historique et son r�seau d'accord avec les pays tiers r�git d'ores et d�j� pr�s de 80% de ses �changes ext�rieurs, par un r�gime de libre-�change ou d'ouverture pr�f�rentielle de son march�. Economiquement, l'Union Europ�enne aurait probablement int�r�t � progresser, au-del� des engagements de l'OMC, par de nouvelles initiatives r�gionales : en effet, seules �chappent aujourd'hui � son r�seau de pr�f�rences r�ciproques, ses relations avec les deux zones les plus dynamiques du monde, l'Asie de l'Est (" ASEAN + 3 ") et l'Am�rique du Nord.

Les pays les plus pauvres et en particulier l'Afrique pourraient �tre les principales victimes d'un nouvel essor du r�gionalisme de la part des grandes puissances commerciales.

D'abord, parce qu'un tel mouvement contribuerait vraisemblablement � intensifier la tendance � la structuration de l'�conomie mondiale autour du triangle Chine / Asie de l'Est - Union Europ�enne - Etats-Unis, risquant de confiner l'Afrique subsaharienne, qui repr�sente moins de 1% des �changes commerciaux globaux, dans le " syndrome du ch�meur de longue dur�e ", suivant le mot du Premier Ministre Ethiopien, M. Zenawi. L'affirmation d'une alternative r�gionaliste cr�dible au multilat�ralisme signerait de facto une forme de " Yalta institutionnel " dans la globalisation : aux pays commer�ants de n�gocier entre eux des accords de commerce, aux institutions de Bretton Woods de s'occuper du " traitement social " des pays les plus pauvres.

Ensuite, parce qu'en cas d'initiatives dans leur direction, le rapport de force bilat�ral serait naturellement peu favorable aux �conomies les plus pauvres. Cette r�alit� est �vidente dans le rapport Nord-Sud, comme l'ont montr�, imm�diatement apr�s Cancun, les pressions am�ricaines sur les pays d'Am�rique Centrale et andine pour qu'ils sortent du G21 : le Costa-Rica, la Colombie et le P�rou ont annonc� leur retrait du groupement, apr�s avoir entendu les menaces du Pr�sident de la Commission des Finances du S�nat am�ricain. Mais cette menace existe de mani�re tout aussi �vidente du fait de l'apparition de nouveau rapports de force et de strat�gies protectionnistes " Sud-Sud ". Un indicateur r�v�le ce nouvel �tat de fait : une majorit� des enqu�tes d'antidumping initi�es dans le monde, oppose aujourd'hui des pays en d�veloppement entre eux.

Le parlement europ�en ne s'est pas tromp� sur cette menace en r�affirmant clairement sa priorit� au multilat�ralisme dans sa r�solution sur les r�sultats de Cancun.

Surmonter les obstacles au consensus : les voies d'une relance technique de l'OMC

L'�chec de Cancun a ouvert trois d�bats sur les moyens de relancer les n�gociations commerciales en trouvant de nouvelles m�thodes pour parvenir � forger un consensus.

Un agenda all�g� ?

On pourrait estimer que les sujets de Singapour ayant formellement provoqu� l'�chec, leur suppression de l'ordre du jour permettrait de le surmonter. La tentation pourrait �tre la m�me sur l'ensemble des sujets sur lesquels aucun progr�s n'a �t� constat� depuis le lancement du programme de Doha : commerce et environnement, indications g�ographiques, questions de mise en oeuvre, certains groupe de travail. L'id�e de recentrer l'OMC sur son " c?ur de m�tier ", la lib�ralisation de l'acc�s aux march�s, est r�currente chez les n�gociateurs. Elle r�pond fondamentalement � la vision am�ricaine du cycle de n�gociation � laquelle s'opposait initialement une " conception europ�enne de la mondialisation " marqu�e par la recherche d'un �quilibre entre lib�ralisation et r�gulation des �changes mondiaux.

Il para�t douteux qu'une telle approche suffise � relancer les d�bats : d'une part, parce que malgr� leur r�le formel dans l'�chec, les sujets de r�gulation n'�taient pas au c?ur des enjeux de Cancun ; d'autre part, parce que la proposition d'abandon des deux sujets les plus difficiles (investissement, concurrence) n'avait pas permis de d�bloquer la n�gociation sur place.

En r�alit�, les ambigu�t�s de l'agenda de Doha refl�taient un �quilibre entre trois grandes approches : celle d'une majorit� de PED qui souhaitaient limiter les discussions � l'existant, � travers les th�mes de la mise en oeuvre des accords d'Uruguay et les questions de d�veloppement ; celles des tenants d'un pur cycle de lib�ralisation ; celles des partisans d'un renforcement du r�le de l'OMC dans la gouvernance multilat�rale. Il est � craindre que toute alt�ration de cet �quilibre ne revienne � ouvrir une bo�te de pandore et �loigne d'autant la perspective d'une reprise des n�gociations de substance.

La pond�ration de l'importance des sujets de l'ordre du jour pour chaque participant ne pourra �voluer r�ellement qu'au regard des perspectives de progression des diff�rents sujets par la voie r�gionale ou bilat�rale. C'est d�j� l'approche am�ricaine, qui privil�gie les accords bilat�raux pour traiter de l'investissement. C'est d�j� largement l'approche europ�enne, qui s'efforce de faire reconna�tre la protection de ses indications g�ographiques via ses n�gociations bilat�rales ou r�gionales : si celles-ci lui permettent d'atteindre ses objectifs, la pression pour des progr�s � l'OMC se r�duira en la mati�re.

Une OMC � deux vitesses ?

De fait, l'OMC se reconna�t d�j� � deux vitesses par le jeu du principe de traitement sp�cial et diff�renci� qui autorise une asym�trie d'engagements de la part des pays en d�veloppement face aux pays d�velopp�s. Le consensus �tait �galement globalement atteint � Cancun sur l'id�e d'exon�rer les pays les moins avanc�s de tout engagement contraignant en mati�re de lib�ralisation de l'acc�s au march� industriel. Le Pr�sident de la R�publique fran�aise a �galement propos� � ses partenaires du G8 l'id�e d'un " r�gime commercial sp�cifique pour l'Afrique ", id�e reprise � son compte par l'Union Europ�enne au sommet d'Evian, mais qui avait rencontr� l'opposition des Etats-Unis. Apr�s l'�chec de Cancun, la France a relanc� cette id�e.

L'id�e est donc pr�sente et le droit de l'OMC offre d'autres techniques que le traitement sp�cial et diff�renci� pour diff�rencier le niveau d'obligation entre membres. La principale est celle des accords dits " plurilat�raux ", dont les obligations ne lient que ceux des membres qui l'acceptent, sous r�serve du consensus de tous pour recourir � cette technique d�rogatoire ; une possibilit� �quivalente consisterait � pr�voir des clauses d'entr�e ou de sortie (" opt-in " ou " opt-out ") de la n�gociation de certains accords, par d�rogation au principe " d'engagement unique ".

Le recours � ces techniques pourrait �tre f�cond pour contribuer � une relance de la n�gociation, et surmonter en particulier l'impasse mercantiliste liant les sujets de Singapour aux questions d'acc�s au march�. S'agissant de r�gles sur l'investissement et la concurrence, ayant vocation � repr�senter un bien collectif, il serait intellectuellement justifiable de les d�velopper par une strat�gie incitative, fond�e sur le volontariat, sachant que les pays en d�veloppement nourrissent de grands doutes sur l'int�r�t de telles r�gles pour leurs strat�gies de croissance.

De fait, l'int�r�t �conomique d'un r�gime multilat�ral de l'investissement pour les pays en d�veloppement reste par exemple controvers� : sa mise en place, � l'OMC, sur une base volontaire, par certains pays, permettrait d'en mieux �valuer les effets. On peut alors faire le pari que si ces r�gles r�v�lent leur int�r�t, les effets de concurrence et d'�mulation joueraient � plein si certains PED d�cidaient d'y souscrire : l'Inde s'imaginerait-elle pouvoir rester hors d'un accord auquel souscrirait la Chine ? Pour cr�er une dynamique de confiance et d'incitation, les pays d�velopp�s pourraient s'engager � faire b�n�ficier l'ensemble des membres de l'OMC des engagements qu'ils prendraient dans ce cadre. Enfin, une approche volontaire r�pondrait � la contestation des sujets de Singapour par la plupart des mouvements de la soci�t� civile, d�non�ant la volont� d'imposition de nouvelles normes aux pays en d�veloppement. Le principal risque d'une telle approche serait politique en ce qu'elle pourrait accentuer la bipolarisation Nord-Sud et un d�sengagement des pays d�velopp�s de l'OMC, pour lui pr�f�rer d'autres cadres, par exemple celui de l'OCDE. Le risque para�t r�duit compte-tenu de l'�chec fracassant de l'AMI en 1998. En tout �tat de cause, l'enceinte de l'OMC offrirait plus de chances de succ�s � une telle d�marche que celle de l'OCDE, parce qu'elle offre davantage de garanties proc�durales aux pays en d�veloppement. Ceux-ci auraient d'abord � accepter le principe d'ouvrir ou non de telles n�gociations " plurilat�rales ", de d�cider s'ils souhaitent ou non y participer, de souscrire ou non des engagements � la conclusion.

Une r�forme institutionnelle ?

L'Union Europ�enne a ouvert le d�bat sur la modernisation de l'OMC, qualifi�e de " m�di�vale " par le Commissaire Lamy. Les Etats-Unis ont d'embl�e indiqu� qu'un tel d�bat serait une perte de temps. Bis repetita placent, la question de la r�forme de l'organisation avait �t� mise � l'ordre du jour apr�s Seattle. Des progr�s ont d'ailleurs �t� r�alis�s depuis en mati�re de transparence interne et externe des d�bats. A la lueur de l'�chec de Cancun, de nouvelles questions sont ouvertes, sur lesquelles un progr�s para�t souhaitable, en particulier concernant les pouvoirs respectifs du Pr�sident des conf�rences minist�rielles et du Directeur G�n�ral de l'Organisation, dans l'organisation des d�bats et des proc�dures de consultation.

Mais la question centrale reste celle de la m�thode de production d'un consensus entre 148 pays sur plus de 20 sujets de n�gociation. De facto, malgr� la contestation ouverte � Seattle, l'OMC n'a jamais pu se passer de l'ancienne pratique du GATT, dite des " green room ", r�unions informelles, restreintes aux principaux membres de l'organisation, pour �laborer les projets de consensus. C'est d'ailleurs en " green room " qu'� �t� d�cid� l'arr�t de la conf�rence de Cancun, avant officialisation en r�union pl�ni�re.

L'institutionnalisation de cette pratique, la d�finition de ses r�gles, proc�dures, garanties de transparence du r�sultat des d�bats repr�senterait le principal enjeu pour surmonter les contradictions du " consensus censitaire " et am�liorer le fonctionnement institutionnel. Mais les chances de parvenir � l'�laboration d'un tel " conseil restreint " � l'OMC apparaissent extr�mement limit�es. Techniquement, elle supposerait de s'accorder sur la repr�sentativit� des grandes cat�gories de pays et d'int�r�ts, impliquant de figer les alliances et sur l'�tablissement de proc�dures de consultation interne aux groupes de pays repr�sent�s par un mandataire.

Le d�bat sur les voies d'une relance technique du cycle reproduit donc tr�s largement ceux qu'avait engendr� l'�chec de Seattle, sans r�elle traduction concr�te depuis. Il comporte des �l�ments utiles, mais ne pourra occulter les pr�alables politiques � la relance du cycle du d�veloppement.

Faire de Cancun un acte fondateur : les conditions de relance politique du programme de Doha

Les ambigu�t�s politiques qui avaient permis de construire l'agenda de Doha ont fonctionn� comme " deal breaker " � Cancun, r�v�lant les divergences de conception Nord-Sud sur le partage des responsabilit�s commerciales globales, la priorit� �conomique de l'agriculture, l'apport de la lib�ralisation au d�veloppement. Aucun progr�s vers un consensus ne para�t d�sormais possible sans affronter ces grandes questions politiques et �liminer les ambigu�t�s.

Compte-tenu de l'asym�trie des niveaux de d�veloppement, le sens moral voudrait sans doute que les pays d�velopp�s assument la responsabilit� d'une relance du cycle de Doha, en offrant de nouvelles concessions sur le terrain agricole. Ind�pendamment des r�sultats de Cancun, la Commission europ�enne s'est d'ores et d�j� engag�e dans une proposition de r�forme des organisations communes des march�s du sucre, du coton, du tabac et des produits m�diterran�ens. Si ces propositions aboutissent, elles lui conf�reront une marge de manoeuvre nouvelle. La proposition fran�aise au G8 d'un moratoire sur les subventions aux exportations d�stabilisatrices pour les march�s africains pourrait �galement �tre utilement retravaill�e.

Mais le sens commun sugg�re le r�alisme. Les Etats-Unis ont vot� en 2002 une loi agricole et vont entrer en p�riode �lectorale : hormis la d�couverte d'un int�r�t s�curitaire, rien ne para�t aujourd'hui susceptible de venir faire �voluer leurs positions de n�gociation. L'UE vient de r�former la PAC et l'�chec de Cancun pourrait affaiblir la strat�gie r�formatrice de la Commission, qui liait les n�gociations de l'OMC aux r�sultats des r�formes agricoles internes. Le Japon reste �galement en posture tr�s d�fensive sur l'agriculture. Aucun pays d�velopp� ne fera donc de nouvelle concession unilat�rale. Inversement, aucun pays en d�veloppement ne peut r�alistement esp�rer obtenir satisfaction � l'OMC sans prendre le moindre engagement en contrepartie : la strat�gie agricole du G21 demandant tous les efforts aux pays d�velopp�s ne peut d�boucher que sur une impasse.

L'enjeu pour l'OMC est donc de forger de nouvelles bases d'accord politique permettant d'envisager une relance globale de ses travaux. L'hypoth�se de la convocation d'une r�union minist�rielle extraordinaire de l'OMC d�but 2004 a �t� envisag�e. On voit mal comment une telle r�union pourrait parvenir � un accord technique sur les m�mes bases qu'� Cancun. Une r�union de ministres, dans un forum � caract�re purement politique, pourrait par contre �tre utile et les institutions de Bretton Woods devraient y �tre associ�es. Trois d�bats doivent �tre affront�s pour tenter de reconstruire un consensus politique sur la lib�ralisation multilat�rale

Simplifier les �quations : des accords partiels au sein du programme de Doha

Face � la difficult� des membres de l'OMC � �valuer l'�quilibre des concessions globales � entreprendre au titre de l'agenda de Doha, un accord politique pourrait �tre recherch� sur la d�finition d'�quilibres interm�diaires, demeurant unis entre eux par le principe d'engagement unique.

Les subventions agricoles du Nord et le protectionnisme industriel au Sud sont en accusation : Cancun a donc montr� qu'il n'y aurait pas d'accord agricole possible sans accord industriel. Or, la plupart des membres de l'OMC expriment un niveau d'ambition inversement proportionnel, entre l'agriculture et l'industrie. Le premier enjeu d'un nouveau compromis politique doit donc �tre d'admettre que les efforts de lib�ralisation devront �tre proportionnels dans les deux secteurs, sur la base la plus ambitieuse possible. Ces champs de n�gociations sont suffisamment balis�s et le travail technique de pr�paration de Cancun �tait suffisamment avanc� pour que soit �clair� l'�quilibre commercial des concessions r�ciproques.

Les n�gociations relatives aux services peuvent alors relever d'une logique sectorielle propre dans laquelle le compromis Nord-Sud devra �tre essentiellement recherch� entre progr�s de l'ouverture aux investissements et aux mouvements temporaires de main d'oeuvre.

Sur les sujets de Singapour, l'option d'accords plurilat�raux devrait �tre examin�e et la n�gociation de ces sujets de Singapour mise en balance avec celle des autres r�gles : les pays en d�veloppement ont un int�r�t direct au renforcement des disciplines sur l'antidumping, aux questions de mise en oeuvre et de traitement sp�cial et diff�renci� ; les Etats-Unis r�clament l'�limination des subventions aux p�cheries et s'int�ressent � deux sujets de Singapour ; le Japon et l'UE demeurent motiv�s par les quatre sujets, ainsi que, pour cette derni�re par l'environnement.

Mise � jour des responsabilit�s globales : un nord mais plusieurs Suds

L'OMC vit sur un mod�le hybride et d�pass�, en ne reconnaissant que trois cat�gories de pays : pays d�velopp�s, pays en d�veloppement et pays les moins avanc�s : la cat�gorie des pays en d�veloppement est subjective puisqu'elle rel�ve purement d'une " auto-d�claration " ; la cat�gorie des PMA est objective et rel�ve de crit�res pr�cis�ment d�finis au sein de l'ONU. Ces cat�gories ne permettent pas de diff�rencier le niveau de responsabilit� �conomique que doivent prendre les pays �mergents dans leurs engagements � l'OMC : Singapour, Chine, Cameroun, C�te d'Ivoire et Tha�lande sont par exemple dans la m�me cat�gorie ; le Mexique et la Cor�e du Sud sont simultan�ment membres de l'OCDE et pays en d�veloppement � l'OMC. Les pays en d�veloppement les plus riches partagent avec les plus pauvres l'int�gralit� des b�n�fices du traitement sp�cial et diff�renci� des pays en d�veloppement.

Les pays d�velopp�s voudraient d�s lors introduire des m�canismes de " diff�renciation " pour tenir compte des �volutions intervenues au sein du groupe des pays en d�veloppement. Ces derniers refusent radicalement toute �vocation directe et indirecte du sujet. Ce conflit porte une responsabilit� majeure dans l'�chec de Cancun : il emp�che tout avanc�e forte sur la question du traitement sp�cial et diff�renci� de la lib�ralisation, particuli�rement en mati�re agricole.

Or, aucun pays d�velopp� n'envisagera d'accorder les m�mes concessions et flexibilit�s au Cameroun qu'au Br�sil ou � l'Inde. Inversement, les pays �mergents ont beau jeu de faire porter l'ensemble de la responsabilit� de la lib�ralisation aux pays d�velopp�s. Le cas du coton est r�v�lateur : Br�sil et Inde soutiennent - � juste titre - la demande africaine d'�limination des subventions am�ricaine et europ�enne mais entretiennent simultan�ment des droits de douanes tr�s �lev�s sur leurs propres importations de coton, brut ou transform�.

Cette question est aujourd'hui " explosive " parce que politiquement centrale. Faute de r�ussir � engager un d�bat constructif, les ambigu�t�s structurelles du programme de Doha ne pourront, au mieux, �tre surmont� que via des compromis globaux " Nord-Sud " fond�s sur des concessions minimales : c'�tait l'approche tent�e � Cancun.

Accompagnement de la lib�ralisation : pas de commerce sans aide accrue

Renforcer l'int�r�t des PED � participer aux n�gociations commerciales et leur fournir plus de " confort " face aux co�ts de l'ouverture suppose de d�velopper des strat�gies d'aide liant beaucoup plus directement les programmes d'assistance aux pays aux efforts de lib�ralisation entrepris. La Banque Mondiale a commenc� � int�grer cette dimension, en particulier dans sa strat�gie envers les pays m�diterran�ens unis � l'UE par un accord d'association et en syst�matisant l'int�gration de la dimension commerciale dans la formulation de ses strat�gies pays. Le FMI a par ailleurs annonc� � Cancun une approche cadre pour aider les pays en d�veloppement � affronter les d�s�quilibres de balance des paiements li�s � l'ouverture commerciale.

L'amplification de cet effort et la syst�matisation du lien entre commerce et aide passe d'une part, par l'affirmation politique d'une v�ritable coresponsabilit� de l'OMC et des institutions dans la poursuite de l'agenda de lib�ralisation multilat�rale des pays en d�veloppement, d'autre part, par la mise en place de nouveaux moyens de financement du d�veloppement. C'est le sens de l'engagement de principe exprim� en septembre 2003 par le Directeur G�n�ral du FMI et le Pr�sident de la Banque Mondiale pour d�velopper un programme global de r�ponse aux besoins d'ajustement et d'investissement r�sultant de la lib�ralisation entreprise par les pays en d�veloppement. Il importe que cet engagement trouve une mat�rialisation rapide dans des programmes-cadres, pr�cis, concrets et visibles.

L'Europe et les Etats-Unis, qui avaient su converger � Monterrey dans l'annonce d'un accroissement de leur effort d'aide au d�veloppement, ou au G8 d'Evian dans l'annonce de moyens suppl�mentaires pour la lutte contre le Sida, devraient exercer ensemble un " leadership " sur ce terrain : la question m�riterait d'�tre inscrite � l'ordre du jour de leur coop�ration, dans le cadre des structures de dialogue �conomique et commercial bilat�ral mise en place par le " nouvel agenda transatlantique " de 1995.

Enfin, peut-on prendre au s�rieux l'id�e de " compensation financi�re " temporaire des effets du protectionnisme, deuxi�me volet de la demande des pays d'Afrique de l'Ouest pour traiter le dossier du coton. Intellectuellement l'id�e rel�ve de la probl�matique classique du principe " pollueur-payeur " : le protectionnisme des uns produit des externalit�s n�gatives pour les autres, susceptibles d'�tre r�duites par un m�canisme de d�sincitation financi�re. Sur cette base, la recherche de ressources financi�res nouvelles liant enjeux commerciaux et aide au d�veloppement pourrait concr�tement �tre envisag�e � court-terme � partir d'un m�canisme "d'amende " ou de " compensation financi�re n�goci�e ", en cas de refus de mise en conformit� apr�s une condamnation � l'OMC. Face au risque de multiplication des contentieux et au d�s�quilibre des rapports de force entre �conomies riches et pauvres dans la m�canique des r�torsions commerciales, cette piste alternative des sanctions financi�res m�riterait d'�tre mieux explor�e.

C'est aussi parce qu'il n'a pas suffisamment investi le champ de l'aide li�e � la lib�ralisation commerciale que le syst�me commercial a perdu le " Sud " � Cancun et que les ONG caritatives ont occup� la place laiss�e vide.