GEOPO_5 IFRI IFRI r�cup�ration du fichier au format texte Mai Ho-Dac cr�ation du header Mai Ho-Dac pretraitement et balisage du texte selon la TEI P5 Mai Ho-Dac 24/02/2009 CLLE-ERSS
Maison de la recherche 5 all�es Antonio Machado F 31058 TOULOUSE CEDEX

exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique

ne peut �tre utilis� � des fins commerciales

Volker Perthes Sc�narios syriens : processus de paix, changements internes et relations avec le Liban IFRI www.ifri.org/files/cahier_22.pdf

ANNODIS

projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM

objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement

encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5

http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc

GEOPO article geopolitique
french
Sc�narios syriens : processus de paix, changements internes et relations avec le Liban Volker Perthes Volker Perthes est ma�tre de recherche au Research Institute for International Affairs, Stiftung Wissenschaft und Politik (Ebenhausen).

Cet article a �t� traduit par May Chartouni-Dubarry.

Il a fallu beaucoup de temps et de longs d�bats internes � la Syrie avant d'accepter l'id�e que le processus de n�gociations bilat�rales et multilat�rales, lanc� lors de la conf�rence de Madrid en 1991, pouvait � terme d�boucher sur une paix r�elle avec Isra�l. En effet, une large partie de l'�lite politique comme intellectuelle redoutait les cons�quences de la paix et de la " normalisation " sur la position r�gionale de la Syrie, sa stabilit� interne et sa situation �conomique. Damas est demeur�e pendant un long moment sceptique quant � la volont� r�elle d'Isra�l de parvenir � un accord �quitable et satisfaisant pour les deux parties. Ce n'est qu'en 1995 que les responsables syriens ont commenc� � croire qu'une base commune pouvait �tre trouv�e avec le gouvernement travailliste. Et de fait, les n�gociations tenues � Maryland de d�cembre 1995 � janvier 1996 ont �t� beaucoup plus s�rieuses et pouss�es que tous les " rounds " pr�c�dents. C'est � ce moment-l�, semble-t-il, que les Syriens ont pris la d�cision de s'engager pleinement dans le processus de paix.

Mais les choses allaient se d�rouler autrement que pr�vu. La victoire de Benyamin Netanyahou aux �lections de 1996 a pris les responsables syriens par surprise ; ils ne l'avaient �videmment ni souhait�e, ni int�gr�e dans leur strat�gie de n�gociation comme une �ventualit� plausible. Mais rien ne pourra les contraindre aujourd'hui � ren�gocier avec le gouvernement du Likoud ce qui avait �t� d�j� n�goci� avec ses pr�d�cesseurs ou de revenir sur les bases de l'accord tel qu'il semblait se pr�ciser avec les travaillistes, autrement dit un retrait isra�lien " total " du Golan en �change d'une paix " totale ".

Par cons�quent, le sc�nario le plus probable, aussi longtemps que le Likoud demeurera au pouvoir, est la prolongation de la situation de " ni paix, ni guerre " entre la Syrie et Isra�l, autrement dit la poursuite de la guerre d'usure au Liban-sud avec toujours les risques d'escalade g�n�ralis�e et d'une confrontation directe entre les forces isra�liennes et syriennes. � court et moyen termes, le sc�nario le plus improbable reste celui d'une reprise des n�gociations menant � terme � un accord de paix syro-isra�lien, en raison soit d'un changement de l'�quipe au pouvoir en Isra�l, soit d'un revirement de strat�gie de la part du gouvernement actuel.

Cette �tude tente, pour chacun de ces deux cas de figure, d'analyser les implications qui pourraient en r�sulter sur la situation interne de la Syrie, sa position et sa strat�gie r�gionales, en mettant plus particuli�rement l'accent sur les relations avec le Liban. La " question de la succession " du pouvoir syrien actuel sera �galement abord�e. Enfin, quelques suggestions seront faites concernant plus sp�cifiquement la politique europ�enne vis-�-vis de la Syrie, du volet syro-isra�lien des n�gociations et du " couple " syro-libanais.

Le lecteur devra garder � l'esprit les limites inh�rentes � ce genre d'exercice. Les sc�narios d�velopp�s ici et leur probabilit� de r�alisation se fondent certes sur des informations et une analyse objectives. Il n'en demeure pas moins que les sociologues et politologues ne sont pas pourvus de dons de voyance qui rendraient leurs pr�visions infaillibles.

" Ni guerre, ni paix "

En supposant que le gouvernement de Benyamin Netanyahou se maintienne au pouvoir en Isra�l, il est probable que l'impasse actuelle du processus de paix persiste surtout au niveau de son volet syrien. Cela d'autant plus que la prolongation de cette situation instable de " ni guerre, ni paix " - qui pr�vaut d'ailleurs entre Isra�l et la Syrie depuis 1974 - est per�ue par beaucoup, notamment parmi les responsables de la politique moyen-orientale � Washington, comme �tant la plus favorable. Pour la ligne " dure " isra�lienne, un trait� de paix avec la Syrie n'a jamais �t� consid�r� comme valant la perte du Golan ; les dirigeants syriens sont � cet �gard honn�tes quand ils affirment que, pour eux, le temps ne presse pas. Si les deux parties peuvent s'accommoder du statu quo actuel, elles ont un �gal int�r�t � �viter la guerre ouverte et r�ussiront en toute probabilit� - comme l'exp�rience pass�e tend � le d�montrer - � le faire.

L'environnement r�gional et international

L'intransigeance isra�lienne et l'impasse du processus de paix ont contribu� jusque-l� � renforcer la position de la Syrie vis-�-vis de ses alli�s dans la r�gion. Dans le court et moyen termes au moins, les alli�s arabes de la Syrie, autrement dit ses partenaires de la d�claration de Damas (l'�gypte et les �tats du Conseil de coop�ration du Golfe), continueront � lui apporter leur concours politique et financier. Damas pourra �galement compter sur le soutien moral et politique de la Ligue arabe, dont l'expression la plus forte a �t� la d�cision prise en 1996 de lier le processus de normalisation avec Isra�l aux progr�s accomplis au niveau des deux volets syro-isra�lien et isra�lo-palestinien. La reconnaissance de ce lien entre la " normalisation " r�gionale et les n�gociations bilat�rales avec l'�tat h�breu conjure pour la Syrie le spectre de l'isolement dans le cadre d'un " Nouveau Moyen-Orient " fa�onn� par Isra�l, la Jordanie, certains �tats arabes du Golfe et du Maghreb auquel se joindrait peut-�tre la Turquie. Ce lien vient �galement rappeler aux Isra�liens que Damas (autant que Gaza) demeure le passage oblig� vers l'�tablissement de relations �conomiques et commerciales avec le monde arabe. Quant aux relations syro-iraniennes, elles ne sont pas tributaires de l'attitude de la Syrie vis-�-vis d'Isra�l mais sont fond�es plus largement sur des int�r�ts communs. Il n'en demeure pas moins que le gel actuel des relations entre la Syrie et Isra�l supprime un facteur de tension potentiel entre les deux alli�s. Le timide rapprochement esquiss� avec l'Irak r�pond en large partie aux craintes que suscite le renforcement de l'alliance strat�gique entre Isra�l et la Turquie. Il ne faut cependant pas s'attendre � voir se former une contre-alliance syro-irakienne. La m�fiance r�ciproque reste forte entre Damas et Bagdad, et il est probable que les responsables syriens limiteront leurs relations avec le r�gime irakien en fonction de ce que leurs alli�s arabes du Golfe jugeront acceptable.

Sur le plan international, les relations de la Syrie ne seront pas affect�es outre mesure par l'impasse actuelle et cela tant que Damas continuera � faire la preuve de son engagement en faveur de la paix. L'Administration am�ricaine, qui n'est pas sans ignorer que la collaboration de la Syrie est essentielle pour relancer le processus, ne c�dera probablement pas aux pressions du Congr�s en faveur d'un durcissement de la politique am�ricaine � l'�gard de Damas. Pour l'Union europ�enne, un accord syro-isra�lien reste la clef de la paix et de la stabilit� au Moyen-Orient et en M�diterran�e. Conscients que leur contribution au volet syro-isra�lien des n�gociations est limit�e, l'UE, et certains �tats europ�ens individuellement, continueront � favoriser une plus grande participation de la Syrie et d'Isra�l dans le cadre des projets de coop�ration euro-m�diterran�enne, et notamment la n�gociation d'un accord d'association entre l'UE et la Syrie. Damas consid�re cette initiative europ�enne comme un moyen d'int�grer la mondialisation �conomique via l'Europe plut�t que par le biais d'un " Nouveau Moyen-Orient " domin� par Isra�l. La Syrie acceptera l'assistance europ�enne pour accompagner le processus de r�formes mais ne tol�rera pas qu'on en lui dicte le rythme - que ce soit l'Europe plut�t que la Banque mondiale n'y changera rien. En outre, tant que le volet syro-isra�lien demeurera bloqu�, il est peu probable que la Syrie soit soumise � des pressions am�ricaines, europ�ennes ou arabes pour desserrer son emprise sur le Liban.

Le Liban

Selon la vision " realpoliticienne " de Damas, la configuration des rapports de force au Machrek reste essentiellement domin�e par la comp�tition entre les deux principales puissances r�gionales : Isra�l et la Syrie. Dans cette perspective, les acteurs arabes " secondaires " - la Jordanie, les Palestiniens et le Liban - devraient dans leur int�r�t propre accepter de se placer sous la houlette syrienne. Toute forme de relations que l'une de ses parties engagerait avec l'�tat h�breu, strat�gique ou �conomique, sans coordination pr�alable avec Damas, contribuerait � affaiblir le camp arabe. Depuis que l'OLP et la Jordanie ont choisi de faire cavalier seul, la carte libanaise est devenue encore plus vitale pour Damas qui veille jalousement � travers son emprise sur tous les aspects de la politique libanaise � pr�venir toute tentative de dissocier les deux volets syrien et libanais, � l'instar de l'option isra�lienne du " Le Liban d'abord " et de ses diff�rentes variantes. La Syrie dispose des moyens n�cessaires pour emp�cher le Liban de s'engager dans une n�gociation s�par�e avec Isra�l et mettra toute l'�nergie n�cessaire afin que le r�glement du probl�me libanais soit partie d'un accord global syro-isra�lien. En l'absence de progr�s dans les n�gociations entre Damas et Tel-Aviv, la strat�gie syrienne consistera � maintenir une pression constante, quoique limit�e, sur Isra�l, � travers son soutien conditionnel au Hezbollah et autres groupes de r�sistance, mais toujours en �vitant d'exposer les forces arm�es ou le territoire syriens.

Il existe deux �ventualit�s, quoique peu probables, qui pourraient bouleverser cette situation. La premi�re est celle d'un retrait unilat�ral des forces isra�liennes du Liban - en application de la r�solution 425 du Conseil de s�curit� des Nations unies - avec menace de repr�sailles massives en cas d'attaques en territoire isra�lien. L'autre possibilit� serait une escalade de la violence entre les forces isra�liennes et le Hezbollah qui pourrait amener Isra�l � lancer une attaque de large envergure contre le Liban et contre des cibles syriennes. Dans ces deux cas de figure, la Syrie se retrouverait dans une situation embarrassante. Elle pourrait difficilement d�noncer un retrait isra�lien du Liban-sud mais, dans le m�me temps, elle deviendrait de facto responsable de la s�curit� de la fronti�re nord d'Isra�l sans avoir en contrepartie gagn� l'engagement d'un retrait isra�lien du Golan. Damas pourrait �tre tent�e de faire avorter une telle manoeuvre isra�lienne en encourageant le Hezbollah � intensifier ses activit�s. Une initiative de ce type serait n�anmoins pleine de risques, dans la mesure o� Damas serait condamn�e par la communaut� internationale pour avoir fait �chouer une d�marche de paix. Sans oublier qu'une intensification des activit�s du Hezbollah finirait par provoquer une escalade g�n�ralis�e avec cette fois des raids isra�liens contre des cibles syriennes. Damas pourrait difficilement s'abstenir de riposter au cas o� ses troupes seraient attaqu�es, mais elle n'est pas sans ignorer les lourdes pertes que cela lui co�terait.

En r�alit�, il est peu probable que le gouvernement Netanyahou veuille appliquer la r�solution 425 en se retirant unilat�ralement et sans conditions du Liban-sud. Sa proposition " Le Liban d'abord " visait � parvenir � un r�glement sur le front libanais assorti de garanties syriennes. Dans le m�me temps, Damas a tout int�r�t � �viter une escalade incontr�lable au Liban-sud et consid�re que le Comit� de surveillance du cessez-le-feu remplit parfaitement cette mission en contenant le conflit dans ses limites propres. Une guerre ouverte conduirait � une d�faite syrienne. Isra�l r�ussira sans aucun doute � bouter la Syrie hors du Liban, mais elle devra dans le m�me temps renoncer � son projet de normalisation de ses relations avec l'ensemble du monde arabe pour une d�cennie, ou plus encore, et prendre le risque de s'exposer � des attaques � l'int�rieur m�me de son territoire et peut-�tre aussi � une guerre d'usure sur les deux fronts, libanais et syrien. Par cons�quent, les deux parties isra�lienne et syrienne n'ont aucun int�r�t � laisser se d�velopper un tel sc�nario.

Sur le plan de la situation interne au Liban, l'impasse actuelle du processus ne peut que renforcer la d�termination de la Syrie � maintenir la forme de stabilit� tr�s sp�cifique qu'elle a contribu�e � asseoir dans ce pays. Cela se traduit par un soutien actif au gouvernement libanais dans ses efforts pour d�velopper son appareil de s�curit� et pour imposer d'une main de fer l'ordre public et la s�curit� interne dans les r�gions sous son contr�le effectif ; cela exclut la zone de s�curit� occup�e par Isra�l et certaines zones de combat p�riph�riques. Mais le type m�me de stabilit� que Damas cherche � promouvoir au Liban y limite singuli�rement les perspectives de changements politiques. Le r�gime syrien pr�f�re collaborer avec le m�me groupe de personnes sur le long terme ; il n'a aucun int�r�t � encourager une alternance au niveau du pouvoir libanais et veillera � maintenir l'�quilibre actuel entre les principaux piliers de la coalition gouvernementale. Les �lections l�gislatives de 1996 ont illustr� clairement cette strat�gie de maintien du syst�me en place. Il y a certes eu de " vraies " �lections dans la mesure o� il existait une large marge de comp�tition et de choix possibles. N�anmoins, l'influence syrienne a jou� un r�le d�cisif, et parfois ouvertement, dans la finalisation des listes �lectorales dans les zones sensibles de mani�re � y garantir une place pour toutes les forces proches du r�gime issu de Ta�f, tout en maintenant un savant �quilibre entre les diff�rents candidats. De la m�me mani�re, un deuxi�me renouvellement du mandat du pr�sident Hraoui n'est pas � exclure. Dans le m�me temps, Damas se gardera d'intervenir dans la d�finition de la politique �conomique et sociale au Liban, � la seule condition que la main-d'oeuvre et les produits syriens soient �pargn�s par les mesures de nature protectionniste que le gouvernement libanais jugera bon de prendre. La Syrie a tout int�r�t � ce que le processus de reconstruction aboutisse en raison � la fois des opportunit�s de travail que ce march� pourrait offrir aux ch�meurs en Syrie et, � plus long terme, de la contribution libanaise � la modernisation de l'�conomie syrienne. Bien que certains Syriens consid�rent le Liban un peu comme le Hong-Kong de la Syrie, l'objectif de Damas n'est pas de r�aliser une union politique avec ce pays et encore moins de l'annexer. L'une des raisons principales � cela et non des moindres est qu'une telle initiative contribuerait � bouleverser tant l'�quilibre r�gional que la situation int�rieure des deux pays - des risques que le r�gime syrien cherche � tout prix � �viter.

Les implications internes

Bien que la prolongation pour une p�riode ind�finie de cette situation de " ni guerre, ni paix " convienne � la majeure partie de l'establishment syrien, elle n'augure rien de bon � moyen et long termes pour les perspectives de d�veloppement du pays. En effet, cette situation ne peut que favoriser l'immobilisme sur le plan interne � un moment o� la Syrie devrait s'engager dans des r�formes politiques et �conomiques vitales pour affronter les d�fis de la prochaine d�cennie et au-del�. Dans la prochaine d�cennie, l'�conomie syrienne devra chaque ann�e g�rer quelque 200 000 � 250 000 nouveaux arriv�s sur le march� de l'emploi (actuellement, celui-ci ne peut en absorber que la moiti�) ; cela dans un contexte de baisse des revenus p�troliers, d'un �puisement probable des r�serves p�troli�res, d'une s�v�re crise de la balance des paiements - � moins d'attirer les investisseurs �trangers et de renforcer la flexibilit� et la comp�titivit� des industries de production syriennes - et enfin dans un contexte de risques d'une paup�risation accrue. Afin de faire face � l'ensemble de ces d�fis, la Syrie devra relancer et acc�l�rer le train de r�formes �conomiques timidement entreprises � la fin des ann�es 80 et au d�but des ann�es 90 mais qui a �vit� de s'attaquer aux enjeux les plus sensibles tels que la privatisation des banques, le d�veloppement du march� boursier, ainsi que la lib�ralisation des investissements commerciaux et industriels. La Syrie devra en outre d�velopper ses ressources humaines - ses �tudiants, ses technocrates, sa main-d'oeuvre en g�n�ral, ainsi que ses �lites intellectuelle, administrative et bureaucratique. Enfin, dans le but de cr�er un environnement propice aux investisseurs locaux et internationaux, la Syrie devra �galement se conformer aux r�gles d'un �tat de droit, avec un gouvernement responsable et un syst�me juridique fiable.

Toutefois, la prolongation du rapport de forces existant sur les plans interne et externe - l'absence de progr�s dans les n�gociations et le maintien du pouvoir actuel - n'incitera pas le r�gime syrien � prendre les d�cisions n�cessaires pour acc�l�rer les r�formes �conomiques et encore moins politiques. D'abord, la configuration politique interne n'est pas de nature � y encourager les forces en faveur d'un changement. La marge de manoeuvre de ceux qui militent pour des r�formes en profondeur est limit�e ; toute initiative dans ce sens menacerait les int�r�ts et les privil�ges de larges secteurs de la base de soutien au r�gime. On ne peut non plus compter sur des soul�vements de nature politique ou sociale. La Syrie est pratiquement devenue un �tat d�pourvu d'opposition (s�rieuse) ; la situation �conomique conna�t une am�lioration certaine compar�e aux ann�es 80 et le r�gime sera probablement en mesure de pr�venir toute crise d'envergure dans les prochaines ann�es - en cas d'urgence, l'Arabie Saoudite et le Koweit restent toujours dispos�s � apporter leur aide. Le Pr�sident lui-m�me a gagn� en popularit� du fait de sa capacit� � stabiliser le pays et � g�rer au mieux le processus de paix comme les relations de la Syrie avec le reste des pays arabes.

Deuxi�mement, les d�cisions fondamentales de nature � provoquer l'opposition d'une grande partie de la bureaucratie ou d'autres piliers du r�gime ne peuvent �tre prises que par le sommet, c'est-�-dire par le Pr�sident lui-m�me. Cependant, pour Hafez al-Assad, la politique �conomique reste secondaire, � moins d'avoir une incidence ou un lien directs avec la s�curit� de l'�tat ou du r�gime. Le pr�sident syrien est peut-�tre conscient du besoin imp�rieux de r�formes dans son pays, mais il n'entreprendra rien qui puisse m�contenter la principale base de soutien � son r�gime tant que le processus de paix n'aura pas abouti. Le r�gime syrien est convaincu, semble-t-il, qu'aussi longtemps que l'�ventualit� d'une guerre contre Isra�l n'est pas totalement �cart�e, il serait tr�s mal avis� de d�manteler les fondements de l'�conomie �tatiste, tel le secteur de l'industrie publique, et ce, quels que soient ses dysfonctionnements propres. Hormis quelques mesures de changement purement formelles, le r�gime se gardera bien d'engager le pays sur la voie de r�formes d'ordre structurel susceptibles de provoquer un mouvement de m�contentement social ou de favoriser l'�mergence de centres de pouvoir �conomiques autonomes - comme cela pourrait �tre le cas avec une privatisation massive ou avec l'�tablissement d'un secteur bancaire priv�.

Troisi�mement, la nature et la structure du pouvoir en Syrie ne changeront pas tant que persistera la menace d'une confrontation militaire. Le pluralisme contr�l� permet � certains r�formateurs � l'int�rieur du r�gime et aux milieux d'affaires de faire entendre leur voix. Mais aucune v�ritable mesure de lib�ralisation politique - telle que l'autorisation de cr�er des partis politiques ind�pendants du Front national progressiste dirig� par le Ba'th, une comp�tition �lectorale entre ces partis ou une presse ind�pendante - ne sera envisag�e ou tol�r�e tant que les conditions r�gionales exigeront de la Syrie qu'" elle serre les rangs ". Enfin, le pr�sident Assad ne modifiera pas la composition de l'�quipe au pouvoir sans la perspective de r�sultats positifs concrets au niveau du processus de paix. Certains des fid�les du pr�sident Assad ont atteint l'�ge de la retraite et sont sur le point d'�tre remplac�s. Une nouvelle g�n�ration d'officiers de l'arm�e et des services de s�curit� ont �t� form�s pour prendre la rel�ve. Les personnalit�s-clefs telles que Abdel-Halim Khaddam, Hikmat al-Shihabi, Mustafa Tlas et quelques autres conserveront n�anmoins leurs fonctions ne serait-ce que pour aider le pr�sident syrien � g�rer le processus de paix. Cela est d'autant plus probable que ce processus est aujourd'hui extr�mement pr�caire. Des personnalit�s plus jeunes, telles que l'ambassadeur de Syrie � Washington, continueront � mener l'essentiel des n�gociations mais le r�le de la vieille �quipe au pouvoir form�e de militaires d'exp�rience et de confiance, ainsi que de " gestionnaires " politiques, restera indispensable pour g�rer les v�ritables d�fis : soit la finalisation et le succ�s des n�gociations, soit, dans le pire des cas, l'effondrement de celles-ci menant � la confrontation militaire.

L'ensemble de ces facteurs vont dans le sens de la continuit� ; ils contribuent �galement � rendre la Syrie fiable et permettent � ses partenaires comme � ses adversaires de calculer et de pr�voir l'attitude de ses dirigeants. Cela est important pour une issue heureuse au processus de paix. Dans le m�me temps et paradoxalement, cet �tat de choses favorise l'immobilisme qui caract�rise la vie politique en Syrie, la peur du changement, et augmente les risques de se retrouver loin derri�re les autres acteurs r�gionaux qui ont d'ores et d�j� commenc� � se pr�parer pour int�grer la nouvelle division du travail au Moyen-Orient.

Le sc�nario de la paix : en cas d'accord syro-isra�lien...

La Syrie a r�it�r� � maintes reprises et de fa�on explicite sa volont� de reprendre les n�gociations avec Isra�l. Des discussions s�rieuses - et non pas le type de n�gociations purement formelles qui ont domin� la p�riode allant de Madrid � la d�faite du gouvernement Shamir - ne sauraient cependant �tre envisag�es sans un changement de majorit� en Isra�l ou, perspective plus improbable, sans un revirement dans la strat�gie du gouvernement de Netanyahou vis-�-vis de la Syrie et d'un �ventuel retrait du Golan. Dans les deux cas, les n�gociations ne reprendront pas n�cessairement " l� o� elles ont �t� suspendues " (comme le r�clame officiellement la Syrie), mais plus vraisemblablement sur la base d'un accord de principe selon lequel l'objectif du processus est de parvenir � une " paix totale " en �change d'un " retrait total ". � cet �gard, la formule de Itzhak Rabin " la profondeur du retrait sera proportionnelle � la profondeur de la paix " est aujourd'hui per�ue par des responsables au sein des services de s�curit� en Syrie comme un principe rationnel et op�rationnel. Si les deux parties en manifestaient une �gale volont� politique, il ne faudrait pas plus d'un an, et peut-�tre moins encore, pour parvenir � un r�glement. Celui-ci comprendra sans aucun doute des arrangements de s�curit�, tels que les dispositions concernant la pr�sence de forces internationales sur les hauteurs du Golan ; un calendrier fixant les �tapes du retrait isra�lien (militaires et colons compris) ; le principe de la normalisation des relations ; et un compromis sur la d�finition des fronti�res qui permettra � la Syrie de r�cup�rer la majeure partie des territoires � l'ouest de ladite " fronti�re internationale " de 1923 (qui correspond � la fronti�re s�parant les territoires sous mandat britannique et fran�ais), mais pas n�cessairement jusqu'aux " lignes du 4 juin 1967 ". Parall�lement � la phase finale des n�gociations syro-isra�liennes, les deux parties mettront au point les arrangements concernant sp�cifiquement le Liban. Ceux-ci, quoique n�goci�s officiellement entre les deux d�l�gations libanaise et isra�lienne, d�finiront les termes d'un accord de paix et d'un retrait isra�lien de la zone de s�curit� au Liban-sud, les modalit�s du d�sarmement du Hezbollah et de la mise en oeuvre des garanties de s�curit� � la fronti�re nord d'Isra�l.

L'environnement r�gional et international

Une perc�e significative dans les n�gociations de paix syro-isra�liennes ouvrirait la voie � une normalisation entre l'�tat h�breu et le monde arabe dans son ensemble. L'impossibilit� pour Isra�l d'�tablir des liens avec les �tats arabes plus p�riph�riques tant qu'il n'a pas satisfait aux revendications territoriales de la Syrie constitue en fait l'un des atouts-clefs de Damas dans le cadre de n�gociations futures avec Tel-Aviv. M�me en cas de paix, il ne faut pas escompter un d�veloppement significatif des relations �conomiques et sociales entre ces deux �tats qui, en tout �tat de cause, resteront tributaires de la lutte d'influence et de pr��minence r�gionale qui continuera pendant un temps encore � les opposer. La Syrie mettra donc en garde les autres �tats arabes, et notamment les pays du CCG (Conseil de coop�ration du Golfe), contre une normalisation trop h�tive avec Isra�l. N�anmoins, avec la restitution de ses territoires, Damas perdra l'un de ses principaux moyens de pression sur les �tats arabes du Golfe qui, sans pour autant lui retirer leur soutien, ne se sentiront plus redevables � la Syrie qui a toujours su monnayer sa position dans le conflit isra�lo-arabe. Au contraire, les �tats du CCG seront m�me en mesure d'exiger de la Syrie en contrepartie qu'elle soutienne sans ambigu�t� leur politique et leurs int�r�ts dans la r�gion. Plut�t que de continuer � lui apporter une aide financi�re, ils rechercheront les opportunit�s d'investissement, poussant ainsi la Syrie � cr�er un environnement �conomique plus favorable.

Dans un contexte de paix, la Syrie demeurera un acteur central au Moyen-Orient comme au sein de la Ligue arabe. N'�tant plus soumise � la menace directe d'une guerre avec Isra�l, elle verra sa s�curit� renforc�e et son int�grit� territoriale r�tablie. Ses relations avec la Jordanie et l'OLP conna�tront une am�lioration sensible dans la mesure o� les sources de tension avec ces deux acteurs r�gionaux �taient caus�es par les divergences autour du processus de paix. Quant � ses liens avec l'�gypte et le CCG, tout porte � croire qu'ils demeureront solides. Washington honorera la signature d'un trait� de paix syro-isra�lien en rayant la Syrie de la liste des pays " soutenant le terrorisme ", en lui apportant une aide �conomique limit�e et en n'opposant plus son veto aux programmes de la Banque mondiale. L'Europe, enfin, effacera sans doute une grande partie de la dette syrienne.

Dans le m�me temps, la Syrie verra son importance strat�gique se r�duire. Elle sera peut-�tre enfin consid�r�e par l'Occident comme un pays ami mais perdra en contrepartie son statut d'acteur essentiel. Bruxelles, par exemple, continuera � insister sur le r�le de la Syrie en tant que partenaire � part enti�re dans le cadre du projet euro-m�diterran�en, mais aucun traitement privil�gi� ne lui sera conc�d� au cas o� elle refuserait de se conformer aux m�mes conditions que les autres pays arabes (application graduelle du libre-�change, introduction d'un r�gime d'�tat de droit, etc.). On peut �galement supposer que les pressions politiques sur la Syrie se renforceront, notamment de la part des �tats-Unis, pour un retrait ou un red�ploiement significatif de ses troupes au Liban une fois le Hezbollah d�sarm�.

Le Liban

Un accord de paix syro-isra�lien ne fera sans doute aucune r�f�rence explicite au Liban. Isra�l acceptera, selon toute vraisemblance, un maintien des troupes syriennes dans ce pays pour une p�riode int�rimaire, afin de s'assurer du d�sarmement effectif du Hezbollah et des autres groupes de r�sistance. N�anmoins, sur le moyen et long termes, la Syrie sera forc�e d'adopter un profil plus bas au Liban, non pas tant suite � des pressions isra�liennes ou occidentales - qui irriteront certes Damas mais auxquelles elle saura r�sister - que pour des raisons inh�rentes aux �volutions internes propres � la Syrie et au Liban. L'imp�ratif purement strat�gique pour Damas de maintenir des positions militaires avanc�es au pays du C�dre faiblira une fois que les troupes isra�liennes auront �vacu� le Liban-sud. Sans la supprimer compl�tement, un accord de paix r�duira de fa�on significative la menace d'une attaque sur la Syrie � partir du territoire libanais et particuli�rement de la B�kaa. En outre, un retrait isra�lien et le d�sarmement du Hezbollah contribueront � renforcer la stabilit� interne au Liban. Il y aura donc d'autant moins de raisons pour les troupes syriennes de remplir le r�le de forces de police.

Le r�gime syrien est �galement conscient du fait que l'opposition � la tutelle syrienne ira croissant une fois le Liban d�barrass� de l'occupation isra�lienne. Il proc�dera sans doute � une r�vision " rationnelle " de sa politique libanaise. Par la suite, le degr� d'interf�rence de la Syrie dans les affaires int�rieures de son petit voisin d�pendra, en large partie, de la capacit� des hommes politiques libanais � rompre avec cette tradition historique consistant � entra�ner de fa�on active les acteurs ext�rieurs dans leurs conflits internes. S'ils r�ussissaient � se prendre en main et � r�soudre les probl�mes politiques et sociaux de leur pays sans " assistance " �trang�re, on pourrait s'attendre � ce que le red�ploiement, sans cesse report�, des troupes syriennes ait enfin lieu dans un contexte de " r�duction graduelle " de la domination politique de Damas sur le Liban. La r�duction graduelle signifie que la Syrie veillera � maintenir une certaine influence sur les affaires politiques et de s�curit� de ce pays, principalement en pla�ant des hommes de confiance aux postes les plus sensibles au sein de l'arm�e libanaise et du Deuxi�me Bureau, en soutenant des forces politiques ayant fait la preuve de leur loyaut� envers Damas et enfin en opposant son veto � l'" ascension " politique de personnes connues pour lui �tre ouvertement hostiles et qui brigueraient des postes gouvernementaux haut plac�s. De plus, la s�rie d'accords conclus entre les deux �tats et qui couvrent tous les domaines de la coop�ration (tels que la s�curit�, le commerce, le travail, l'agriculture, la sant� et le partage des eaux de l'Oronte) garantira la p�rennit� des int�r�ts de la Syrie au Liban et pr�servera le caract�re privil�gi� de ses relations avec ce pays m�me avec la fin de son syst�me de tutelle actuel. N�anmoins, une r�duction plus h�tive et m�me d�sordonn�e de la pr�sence et de l'influence syriennes n'est pas � exclure au cas o� se produirait un changement de r�gime brutal � Damas.

Paix et stabilit� interne

Contrairement aux affirmations de certains observateurs, le pr�sident Assad n'a plus besoin de maintenir le pays dans un �tat de guerre pour des raisons de l�gitimit� interne. Son r�gime jouit d'une popularit� plus grande aujourd'hui qu'il y a dix ou quinze ans. Sa gestion du processus de paix - en engageant son pays sur la voie de la paix r�gionale mais sans s'y pr�cipiter t�te baiss�e - semble recueillir l'assentiment des partisans du pouvoir comme de ses opposants. La perspective d'une paix avec Isra�l a d�s le d�part �t� pr�sent�e � l'opinion publique comme " la paix des braves " et surtout pas comme une mise au rabais des aspirations nationales du peuple syrien.

La concr�tisation de la paix entre les deux �tats conduira certainement � des �volutions significatives sur la sc�ne politique syrienne. En tout premier lieu, le pr�sident Assad devra proc�der � des changements de personnes au sein de son �quipe. Cela ne soul�vera pas trop de difficult�s dans la mesure o� ses vieux fid�les seront d'ici l� compl�tement ext�nu�s et probablement soulag�s de prendre une retraite bien m�rit�e. Le sentiment d'un grand nombre au sein de l'establishment syrien est que cette �quipe aura fait son temps au moment o� le Golan sera lib�r�. Le Pr�sident lui-m�me ne se retirera sans doute pas de la vie politique, mais s'appliquera � promouvoir � des postes de responsabilit� des �l�ments plus jeunes, notamment parmi les officiers sup�rieurs travaillant en �troite coop�ration avec son fils et quelques technocrates " modernistes " ayant une exp�rience du secteur priv�. Deuxi�mement, une fois le trait� de paix conclu (et probablement avant qu'il ne soit ratifi� par le Parlement), Hafez al-Assad cherchera � se rallier le soutien officiel des institutions plus traditionnelles du r�gime, � savoir le parti Ba'th et le Front national progressiste. Il est quasi certain qu'une conf�rence g�n�rale du Ba'th aura lieu, afin d'int�grer en son sein la jeune g�n�ration de dirigeants et avaliser l'accord de paix. Cela ne pourra se faire sans proc�der � certains amendements dans les statuts et les principes du parti, tr�s marqu�s par les r�f�rences � l'�ternel conflit avec l'entit� sioniste, et ouvrira ainsi la voie � une lib�ralisation significative du syst�me politique. Cela est d'autant plus probable que, jusque-l�, les rigidit�s du syst�me ont �t� justifi�es par la permanence de l'�tat de guerre. La primaut� de la confrontation avec Isra�l et l'imp�ratif de serrer les rangs pour y faire face font partie des arguments l�gitimant le maintien de la loi d'urgence et la restriction des activit�s politiques au seul et unique Front national progressiste. Nombreux sont ceux qui, en Syrie, s'attendent � ce que la paix avec Isra�l conduise � l'instauration d'un r�gime plus ouvert, plus lib�ral et m�me d�mocratique. Ces attentes sont, nous semble-t-il, quelque peu exag�r�es. Aussi longtemps que le pr�sident Assad tiendra les r�nes du pays, il n'y aura pas d'auto-dissolution du r�gime sur les ruines duquel s'�l�verait une v�ritable d�mocratie. Plus vraisemblablement, quelques mesures seront prises dans le sens d'un renforcement du processus de pluralisme contr�l� lanc� par le r�gime dans la premi�re moiti� des ann�es 90. Le mod�le � suivre en l'occurrence sera probablement celui de l'�gypte - et non pas celui de la Turquie, comme le souhaiteraient certains lib�raux en Syrie -, c'est-�-dire un r�gime aux structures encore fondamentalement autoritaires mais qui introduirait une certaine dose de pluralisme et quelques rudiments de base d'un �tat de droit, ce qui le rendrait plus " fr�quentable " sur la sc�ne internationale. Troisi�mement, le r�gime entreprendra d'acc�l�rer le train des r�formes �conomiques. L'argument s�curitaire justifiant le maintien d'un secteur public pl�thorique ne jouera plus avec la fin de l'�tat de guerre. Une privatisation s�lective sera discut�e et certains des dossiers clefs qui ne peuvent �tre tranch�s que par le haut, comme l'�tablissement d'un march� financier, finiront par attirer l'attention du Pr�sident lui-m�me. De plus, un accord de paix syro-isra�lien, loin d'engendrer un " Nouveau Moyen-Orient " int�gr�, cr�era n�cessairement de nouvelles formes de comp�tition entre les �conomies r�gionales. Dans la mesure o� la paix renforcera la stabilit� de la r�gion, les investisseurs internationaux commenceront � songer s�rieusement � y placer leurs capitaux, et les acteurs r�gionaux entreront en comp�tition pour attirer ces investisseurs potentiels. La Syrie, comme d'autres, devra d�ployer de v�ritables efforts pour moderniser et ouvrir son �conomie afin de cr�er un environnement plus attractif pour les milieux d'affaires. Ce sont les facteurs politiques internes qui d�termineront la rapidit� et l'efficacit� avec lesquelles la Syrie r�pondra � ces pressions structurelles. Un changement qualitatif, quoique limit�, au niveau du personnel comp�tent, lui permettra de relever ces d�fis. Il est significatif de constater qu'au sein de l'�lite politico-intellectuelle syrienne, les partisans de la lib�ralisation �conomique comme ses opposants se rejoignent pour �tablir un lien tr�s clair entre la " paix r�gionale " et " la r�forme interne ".

Toute initiative dans le sens du changement se heurtera � certaines r�sistances. Il y aura des divergences d'opinion au sein du parti Ba'th, de la machine bureaucratique et des syndicats. Au niveau de l'appareil de s�curit�, il n'y aura vraisemblablement pas d'opposition significative. Les militaires auront leur mot � dire dans la phase finale des n�gociations et ils consid�reront le trait� de paix comme �tant en grande partie le leur ; par ailleurs, nombreux sont ceux qui, au sein des services de s�curit�, ont pris la mesure de l'urgente n�cessit� de r�former le syst�me politique et l'�conomie en Syrie. Dans le m�me temps, Hafez al-Assad fera en sorte de prot�ger les int�r�ts corporatistes de l'appareil de s�curit�. Dans ce contexte, il ne fait pas de doute que le pr�sident syrien r�ussira � passer outre aux oppositions �manant de la base de pouvoir traditionnelle du r�gime.

Quant � l'�tat h�breu - et contrairement � ce que pensent certains Isra�liens -, il lui sera plus facile, et probablement moins risqu�, de faire la paix avec Hafez al-Assad que de tenter de n�gocier et de conclure un trait� de paix avec ses successeurs. Le r�gime qui succ�dera � celui de Hafez al-Assad sera, quel qu'il soit, moins stable. Il devra en premier lieu faire la preuve de sa l�gitimit� nationaliste � travers une surench�re dans la rh�torique populiste et ne sera de ce fait certainement pas dispos� � faire davantage de concessions sur le dossier des n�gociations avec Isra�l. Les conditions syriennes pour la paix resteront donc grosso modo les m�mes. Le pr�sident Assad et la signature qu'il apposera au bas d'un trait� de paix garantiraient - dans la mesure o� il existe des " garanties " en politique internationale - ce que tout autre successeur serait incapable de faire : � savoir la p�rennit� d'un accord et son respect m�me en cas de changement de r�gime, ainsi que la bonne mise en oeuvre de toutes les dispositions concernant la normalisation et les arrangements de s�curit�.

Le facteur " Assad " : quelques mots sur l'enjeu de la succession...

Dans la mesure o� le r�gime syrien est fortement personnalis�, un changement au sommet pourrait bien bouleverser l'�quilibre interne et tout au moins ouvrir une �re nouvelle pour la Syrie en y modifiant l'ordre des priorit�s politiques. Le r�gime qui succ�dera � celui-ci sera, selon toute probabilit�, plus lib�ral et donnera la priorit� aux r�formes politiques et sociales plut�t qu'aux questions de politique r�gionale. Le successeur de Hafez al-Assad sera moins exp�riment� que l'homme qui a pr�sid� aux destin�es de la Syrie depuis 1970. Il lui sera extr�mement difficile de maintenir le r�le que la Syrie a r�ussi � jouer pendant un quart de si�cle au Moyen-Orient et cherchera de ce fait � " comprimer " sa politique r�gionale. La fa�on la plus ais�e de s'y prendre est de limiter l'engagement politique et militaire au Liban - en cantonnant les forces syriennes dans une mission s�curitaire et en se d�sengageant de la vie politique interne du Liban - ou m�me d'y mettre un terme. La Syrie ne pourra plus en tout �tat de cause exercer le m�me droit de regard sur les affaires int�rieures libanaises. N�anmoins, cela n'emp�chera pas le d�veloppement des relations syro-libanaises, plus particuli�rement dans le domaine de la coop�ration �conomique et technique.

Ces pr�visions se basent sur l'hypoth�se selon laquelle l'arriv�e au pouvoir du successeur de Hafez al-Assad (� la suite du d�c�s de ce dernier ou, moins vraisemblablement, de son renversement ou de sa propre d�mission) se d�roulera sans graves troubles internes ou r�gionaux. La pseudo-question de la succession en Syrie a �t� d�battue pendant plus d'une d�cennie et demeure l'objet des sp�culations les plus diverses. L'enjeu central du d�bat porte sur la mani�re dont la succession aura effectivement lieu. Deux sc�narios s'affrontent. Le premier affirme que la mort du Pr�sident fera immanquablement basculer la Syrie dans l'anarchie, les conflits interconfessionnels et m�me dans une longue guerre civile avec les risques d'�clatement du pays en mini-�tats communautaires. Selon ce m�me sc�nario, l'installation d'une situation d'anarchie en Syrie conduirait vraisemblablement � un d�part pr�cipit� et m�me d�sordonn� des troupes syriennes du Liban. Selon que le pouvoir central r�ussisse ou non � conserver le contr�le de ses troupes, celles-ci soit seront achemin�es pour reprendre en main la capitale ou d'autres parties du territoire syrien, soit refuseront de se soumettre et tenteront de s'emparer de toute parcelle d'autorit� ou de territoire qui sera � leur port�e. M�me si la Syrie ne devait pas se d�sint�grer en de petites entit�s ou tomber dans un sc�nario � la libanaise et m�me si l'autorit� du pouvoir central devrait �tre r�tablie � l'issue de la guerre civile, l'�tat syrien serait de toute mani�re consid�rablement affaibli compar� � aujourd'hui, se rapprochant davantage de la Syrie des ann�es 50 que de l'acteur-clef qu'il �tait devenu au Moyen-Orient sous Hafez al-Assad.

Bien que l'on ne puisse pas �carter compl�tement le sc�nario de l'anarchie, il est loin d'�tre le plus r�aliste, ou m�me le plus honn�te intellectuellement. Il exprime, au moins en partie, une forme de " wishful thinking " de la part de ceux qui le d�fendent.

Le sc�nario alternatif - que l'auteur consid�re comme le plus plausible - part de l'hypoth�se selon laquelle l'�tat syrien sera tout � fait capable de faire face � la fois � la mort du Pr�sident et � un changement de r�gime. Ni les affrontements interconfessionnels, ni une situation d'anarchie, ni moins encore la guerre civile ne constituent des options s�rieuses et cela pour de nombreuses raisons. La plus importante est que la l�gitimit� de l'�tat n'est plus remise en cause aujourd'hui -comme c'�tait le cas dans les ann�es 50 et 60 - et un sentiment d'appartenance nationale s'est d�velopp� dans l'ensemble du pays. Toutes les composantes ou presque de la soci�t� syrienne, la bourgeoisie et l'appareil de s�curit� inclus, ont int�r�t au maintien de l'�tat, de sa stabilit� et, autant que possible, de son poids r�gional. La quasi-situation de guerre civile qui a pr�valu de 1979 � 1982 constitue une exp�rience qu'aucun des plus importants acteurs soci�taux ne souhaiterait revivre. L'int�r�t g�n�ral � �viter toute forme de d�stabilisation est tel que l'on ne saurait exclure, dans le cas d'une vacance du pouvoir pr�sidentiel, que les institutions de l'�tat jouent pleinement leur r�le. Ainsi, dans le but de pr�venir les risques de chaos, les responsables militaires et de la s�curit� respecteraient les dispositions constitutionnelles r�glant le probl�me de la succession, comme ce fut le cas en �gypte lorsque Anouar al-Sadate succ�da � Gamal Abdel Nasser. � la diff�rence des ann�es 60, il n'existe plus aujourd'hui un corps d'officiers hautement politis� dont l'objectif serait de bouleverser les structures socio�conomiques existantes. L'appareil s�curitaire s'est transform� en une force conservatrice, capable de pr�server � la fois ses int�r�ts corporatistes et les structures soci�tales actuelles. De plus, l'arm�e syrienne a d�montr� jusque-l� un degr� de coh�sion interne certain. Au cas o� les officiers de l'arm�e viendraient � douter de la capacit� d'un r�gime civil post-Assad � remplir son r�le, ils auraient probablement recours � une prise de pouvoir militaire. De m�me, on ne saurait sous-estimer la capacit� des diff�rentes branches des services de s�curit� � g�rer une situation politiquement tendue que ne manquerait pas de provoquer une disparition soudaine du Pr�sident. En d�pit de leurs divergences d'int�r�t dans d'autres domaines, les principaux " barons " de la s�curit� en Syrie voudront co�te que co�te conserver le contr�le de la rue et sauront parfaitement s'y prendre.

M�me parmi ceux qui estiment une transition relativement douce du pouvoir syrien actuel plus probable que le sc�nario du chaos, il existe des diff�rences sur l'identit� m�me du successeur de Hafez al-Assad : serait-ce, avec l'accord tacite ou explicite des forces de s�curit�, un autre officier alaouite, peut-�tre m�me le fils du pr�sident, Bachar, ou alors un responsable politique ou militaire sunnite ? Toutes les r�ponses restent sp�culatives. Et bien que la question de savoir qui sera aux commandes en Syrie soit d'une grande importance, l'avenir de ce pays - de son �volution interne comme de son poids r�gional - ne d�pend ni de l'enjeu confessionnel (si le prochain pr�sident est alaouite ou sunnite), ni de la nature et de la forme de la succession au pouvoir actuel, " dynastique " (au cas o� Bachar al-Assad succ�derait � son p�re) ou plus r�publicain. Il faudrait plut�t s'interroger sur la future �lite politico-administrative qui sera en charge des affaires du pays. Pour g�rer efficacement les d�fis internes et r�gionaux � moyen terme, la Syrie devra se doter de dirigeants politiques et administratifs (� tous les �chelons du pouvoir et pas seulement au sommet) dont la vision du monde soit radicalement diff�rente de celle de la classe politique actuelle. Cette nouvelle �lite devra adopter une approche qualitativement diff�rente de l'�tat, de l'�conomie et de la notion de s�curit� nationale : elle devra penser en termes de citoyennet� plut�t qu'en termes de contr�le, en termes de comp�tence plut�t que de favoritisme et enfin en termes de s�curit� mutuelle plut�t que d'�quilibres � somme nulle.

L'Europe et la Syrie : assister pour r�former

L'Europe a un int�r�t r�el � �tablir une relation de partenariat solide avec la Syrie et � l'int�grer dans une architecture de s�curit� euro-m�diterran�enne. Le but de cette �tude n'est pas de fournir une liste de prescriptions � l'intention des responsables europ�ens. Seules quelques suggestions sont propos�es sur les principes qui, selon l'auteur et � la lumi�re des sc�narios d�crits plus haut, devraient guider les politiques europ�ennes vis-�-vis de la Syrie.

Le processus de paix syro-isra�lien

L'UE et certains �tats europ�ens pris individuellement ne pourront jouer qu'un r�le tr�s limit� dans le processus de n�gociations entre Isra�l et la Syrie. La Syrie, tout comme le Liban et les Palestiniens, fait peut-�tre davantage confiance � l'UE qu'aux �tats-Unis. Mais, connaissant les limites des pressions que l'Europe est en mesure d'exercer efficacement sur l'�tat h�breu, ils continueront � solliciter la m�diation am�ricaine lorsqu'ils estimeront qu'une intervention ext�rieure de poids est n�cessaire pour finaliser un accord. La politique m�diterran�enne de l'Europe peut n�anmoins apporter une contribution sp�cifique au processus de paix, en fournissant notamment le cadre d'un dialogue permanent m�me quand les n�gociations directes sont dans l'impasse. Afin de corriger cette perception d'un Occident globalement plus favorable � l'�tat h�breu, il est tout aussi important que l'Europe maintienne fermement ses positions de principe soutenant une paix globale qui garantirait � la fois la s�curit� d'Isra�l, le droit des Palestiniens � l'autod�termination et le r�tablissement de l'int�grit� territoriale de la Syrie et du Liban. L'Europe devrait exprimer tr�s clairement sa volont� d'apporter un soutien financier et technique � un �ventuel accord de paix (y compris l'engagement de troupes de certains �tats europ�ens ou l'envoi d'un contingent europ�en dans le cadre de forces de maintien de la paix dans le Golan ou au Liban-sud, au cas o� les pays concern�s le souhaiteraient). Dans le m�me temps, l'UE devrait tenter de faire entendre aux Isra�liens que, s'ils d�sirent r�ellement parvenir � un r�glement satisfaisant avec la Syrie, ils seraient beaucoup plus avis�s de n�gocier aujourd'hui avec Hafez al-Assad plut�t que d'attendre ses successeurs �ventuels.

La position r�gionale de la Syrie

La politique m�diterran�enne de l'Europe et les relations bilat�rales syro-europ�ennes constituent un �l�ment fondamental de la nouvelle configuration r�gionale au Moyen-Orient de l'apr�s-paix. Ces deux facteurs alimentent les attentes de la Syrie (comme celles d'autres pays) sur ce que sera et � quoi ressemblera l'environnement r�gional au lendemain d'un r�glement du conflit isra�lo-arabe. De ce fait, en traitant la Syrie comme la pierre angulaire du partenariat euro-m�diterran�en, l'UE peut et devrait s'employer � calmer les craintes syriennes d'une marginalisation dans le cadre d'un " Nouveau Moyen-Orient ", selon l'id�e ch�re � Shimon P�r�s et � rassurer la Syrie sur l'importance du r�le qu'elle sera amen�e � jouer dans la nouvelle division r�gionale du travail en p�riode de paix.

La Syrie et le Liban

L'un des principes directeurs de la politique europ�enne devrait �tre de traiter avec le Liban comme avec une entit� autonome et ind�pendante - et non point comme une annexe de la Syrie. L'Europe ne peut et ne doit pas consentir � ce que Damas exerce un droit de regard sur les relations libano-europ�ennes. L'Europe doit �galement �tre tr�s claire sur le fait qu'elle consid�re la pr�sence militaire syrienne au Liban comme l�gitime mais provisoire - et l�gitime seulement dans la mesure o� elle demeure provisoire et dans le cadre d�fini par les accords de Ta�f.

L'�volution interne en Syrie

La politique de l'Europe � l'�gard de la Syrie devrait concentrer ses efforts pour aider ce pays � s'adapter � un environnement r�gional en mutation. La Syrie n'est pas un �tat pauvre et l'aide financi�re europ�enne dont elle b�n�ficie, bien qu'appr�ci�e, n'atteindra jamais ni le niveau ni l'ad�quation de l'aide en provenance des pays arabes du Golfe. L� o� l'Europe est mieux �quip�e que les riches alli�s p�troliers de la Syrie, c'est au niveau de l'aide qu'elle peut apporter pour lui permettre de d�velopper son syst�me l�gal et institutionnel, son infrastructure �ducative et, surtout, ses ressources humaines (dans le secteur priv� comme dans l'administration publique) afin qu'elle soit en mesure de faire face aux d�fis d'un syst�me international et r�gional plus comp�titif.