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ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
A la fin des ann�es 1980, un consensus semble se d�gager en France autour de l'id�e de la fin de ce que l'on appelait l'" exception fran�aise ". Les clivages id�ologiques irr�conciliables et l'atmosph�re de guerre civile larv�e ont disparu, tandis que les grands conflits sociaux, mais aussi l'engagement et la participation politique, sont en net d�clin. C'est pourquoi l'apparition d'une forte contestation de la mondialisation constitue une v�ritable surprise, tant pour les observateurs que pour les acteurs eux-m�mes. Elle para�t contredire cette forme de " fin de l'histoire " � la fran�aise, c'est-�-dire cette reconnaissance quasi g�n�ralis�e des principes de l'alternance d�mocratique, mais aussi, et surtout, de l'�conomie de march�. On peut d�s lors se demander si cette contestation t�moigne d'un retour de cette fameuse " exception fran�aise " ou si elle est seulement le sympt�me des difficult�s travers�es par une soci�t� confront�e aux d�fis de l'actuel processus de mondialisation.
La contestation fran�aise de la mondialisation n'est pas tant singuli�re par ses caract�ristiques, que par son influence notable sur la soci�t� et sur le d�bat politique. Cette contestation � la fran�aise est n�e, en grande partie, dans le sillage du d�bat sur Maastricht, mais aussi de la r�apparition de mouvements sociaux importants, avec les actions des " sans " (logement, travail, papier) et surtout les gr�ves du secteur public fin 1995. La cr�ation, en juin 1998, d'ATTAC et son succ�s rapide, l'intense campagne men�e par la Coordination contre l'AMI (Accord multilat�ral sur l'investissement n�goci� � l'OCDE) et le d�montage du restaurant McDonald's � Millau par des militants de la Conf�d�ration paysanne en ao�t 1999 en r�action � la d�cision am�ricaine de surtaxer des produits agricoles fran�ais, font de la France � travers ses figures m�diatiques, notamment celle de Jos� Bov�, l'un des hauts lieux de la lutte contre la " mondialisation lib�rale ", avant m�me l'organisation des manifestations de Seattle � l'occasion de la conf�rence minist�rielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en novembre-d�cembre 1999. Elle le reste et le sera tout particuli�rement en 2003 puisqu'elle devrait accueillir deux des grands �v�nements de l'ann�e sur le front contestataire : les manifestations � l'occasion du sommet du G8 � Evian du 1er au 3 juin 2003, et le Forum social europ�en, qui se d�roulera � Saint-Denis du 29 octobre au 3 novembre 2003.
Il n'existe pas pour autant un mouvement antimondialisation en France. On doit davantage parler d'une mouvance ou d'une n�buleuse de groupes souvent tr�s disparates par leurs structures, leurs objectifs ou leurs effectifs que d'un mouvement structur�. En outre, la contestation fran�aise appara�t plut�t altermondialiste qu'antimondialiste, dans la mesure o� les protestataires d�fendent une autre mondialisation que l'actuelle " mondialisation lib�rale ". Ses acteurs apparaissent donc assez diversifi�s et �loign�s des clich�s r�duisant la critique de la mondialisation en France aux groupes ou aux personnalit�s les plus visibles lors des manifestations � l'occasion des sommets internationaux ou des r�unions propres aux contestataires (Forum social mondial et, aujourd'hui, Forum social europ�en) ou dans les m�dias, � savoir Jos� Bov� et ATTAC. En effet, les activit�s protestataires ne se r�sument pas � ces manifestations. Les groupes s'expriment �galement � travers une intense activit� de lobbying aupr�s des " d�cideurs " ou du grand public en r�alisant un certain nombre de campagnes sur des th�mes sp�cifiques comme la dette, la taxe Tobin ou les organismes g�n�tiquement modifi�s (OGM) ; une activit� d'information, d'analyse, de p�dagogie et de publications ; et de contre-expertise sous la forme d'une surveillance et d'une �valuation de la politique men�e par diverses institutions (nationales ou internationales) ou par des entreprises, fondement d'un v�ritable contre-pouvoir.
Ainsi, bien plus qu'ATTAC et la Conf�d�ration paysanne de Jos� Bov�, les groupes les plus impliqu�s dans les campagnes sont d'abord des organisations de solidarit� international (OSI), souvent d'origine confessionnelle, telles Agir ici, AITEC, Artisans du monde, le CCFD, le CRID, Peuples solidaires, le R�seau Afrique-Europe Foi et justice, RITIMO, Solagral ou Terre des hommes, ou d'autres ONG, comme des groupes �cologistes (Les Amis de la Terre et Greenpeace) et l'association de d�fense des droits de l'homme de Danielle Mitterrand, France Libert�s. En fait, la mouvance contestataire fran�aise est compos�e de trois types de groupes : les ONG, les mouvements sociaux et les " nouveaux groupes contestataires ".
Les ONG appartenant � la mouvance sont des organisations sp�cialis�es dans l'aide au d�veloppement et la lutte contre la pauvret� dans les pays du Sud ou la protection de l'environnement. Mais d'autres ONG tendent �galement � s'impliquer dans la critique de la " mondialisation lib�rale ", comme celles qui d�fendent les droits de l'homme, la condition f�minine ou les minorit�s sexuelles. Elles s'expriment principalement par le biais de campagnes, surtout ax�es sur l'am�lioration de la situation des pays du Sud (d�veloppement durable, annulation de leur dette, lutte contre la politique men�e par les institutions financi�res internationales). Une part notable de la contestation fran�aise, � l'instar de la situation existant dans d'autres pays, est ainsi compos�e d'organisations d'origine confessionnelle, rappelant que l'�glise est �galement un p�le important de critique du capitalisme. Les mouvements sociaux comprennent des mouvements de d�fense des exclus - les " sans " -, des mouvements paysans et des syndicats radicaux, comme Sud-PTT. Ils s'expriment en particulier par le biais de manifestations, souvent assez spectaculaires, mais aussi de campagnes contre l'OMC. Enfin, les nouveaux groupes contestataires, contemporains de la mondialisation, ont �t� sp�cifiquement cr��s en liaison avec ce th�me. Ils comprennent des associations, comme ATTAC, des r�seaux, des observatoires et des " groupes de surveillance " qui s'expriment par le biais de campagne, de publications ou de promotion de telle ou telle action. Ils sont surtout pr�sents dans la lutte contre l'OMC.
On peut distinguer parmi eux des groupes r�formistes, qui sont dans une logique d'engagement plus que d'affrontement face aux " acteurs " de la mondialisation (gouvernements, entreprises, institutions internationales) et qui acceptent d'entrer dans des m�canismes de consultation mis en place par ces derniers, et des groupes radicaux qui, eux, sont plut�t dans une logique d'affrontement et se refusent � tout compromis avec le " syst�me ". Pourtant, concr�tement, leurs diff�rences apparaissent beaucoup plus floues, en tout cas plus de degr� que de nature.
Ces groupes incarnent une certaine continuit� historique avec les formes de contestation pass�es (ouvri�re, intellectuelle, " anarchiste ", mais aussi celle de l'�glise) et dans la tonalit� de leurs critiques. Mais ils s'inspirent �galement de courants plus contemporains, comme les mouvements " post-mat�rialistes " des ann�es 1960 - 1970 ou la mouvance ONG. Par ailleurs, ils ont une structuration in�dite et de nouveaux objectifs. A la diff�rence de la contestation ouvri�re et marxiste d'autrefois, les groupes protestataires actuels n'aspirent plus au " Grand soir ", c'est-�-dire � une forme de prise de pouvoir politique et de transformation radicale de la soci�t� par la force, ou de toute r�volution de type socialiste impliquant, par exemple, une appropriation collective des moyens de production. Ainsi, personne, au sein de la mouvance contestataire, ne d�fend l'exp�rience sovi�tique en tant que mod�le alternatif au capitalisme. Un groupe comme ATTAC affirme m�me ne refuser ni l'existence du march�, ni celle de l'entreprise priv�e. Leur objectif r�side donc plut�t dans la formation de contre-pouvoirs efficaces, et non dans la prise de pouvoir politique ou m�me une �ventuelle participation gouvernementale.
La contestation fran�aise pr�sente donc de nombreuses similitudes avec la n�buleuse contestataire internationale, mais aussi quelques particularit�s, avec d'un c�t�, une quasi absence de think tanks, de groupes sp�cialis�s sur la mondialisation, d'organisations radicales de jeunesse et de p�le alternatif et, de l'autre, une surrepr�sentation des mouvements paysans et la singularit� d'ATTAC. Elle se structure �galement autour des grandes campagnes internationales (contre l'OMC et les institutions de Bretton Woods, et en faveur de la taxe Tobin et de la remise de la dette du Sud), mais aussi sur des th�mes sp�cifiques, comme l'Europe, la d�fense des services publics ou les OGM, souvent sur fond d'antiam�ricanisme.
Il existe une contestation � la fran�aise. Son influence est tangible tant sur la soci�t� que sur le discours politique. Elle peut �tre mesur�e par le nombre d'adh�rents ou de sympathisants des groupes protestataires. Le cas d'ATTAC est particuli�rement embl�matique de ce point de vue. L'association compte aujourd'hui environ 30 000 adh�rents et 230 comit�s locaux, y compris dans les universit�s et les grandes �coles. Les r�sultats aux �lections professionnelles des syndicats appartenant � la mouvance montrent que ces groupes ont une repr�sentativit� certaine dans des secteurs qui tendent � fournir une grande partie des soutiens � la contestation de la mondialisation en France : l'agriculture, le secteur public et l'enseignement. La Conf�d�ration paysanne a obtenu 28 % des suffrages lors des �lections aux chambres d'agriculture en janvier 2001. Le syndicat Sud obtient des scores importants lors des �lections de repr�sentants des salari�s au conseil d'administration de grandes entreprises du secteur public (second syndicat � la Poste et � France T�l�com, troisi�me � la SNCF) ou m�me d'entreprises priv�es (second syndicat chez Michelin). Enfin, la FSU est la premi�re f�d�ration syndicale du personnel enseignant, mais aussi de la fonction publique de l'�tat. Les succ�s �ditoriaux (ouvrages de Jos� Bov�, de Susan George, de Viviane Forrester ou de Pierre Bourdieu, l'�volution des ventes du Monde diplomatique) ou le nombre important de signataires de p�titions (110 000 en faveur de la taxe Tobin, 520 000 pour l'annulation de la dette) et de manifestants (par exemple � Millau lors du proc�s des militants de la Conf�d�ration paysanne en juin 2000) en sont �galement les sympt�mes.
Les enqu�tes d'opinion soulignent enfin que la perception des contestataires et surtout de leurs principales propositions est largement positive et tend m�me � d�passer les clivages partisans traditionnels, sauf si ces groupes sont bien identifi�s � gauche. Ainsi une tr�s importante majorit� des personnes interrog�es est favorable � la taxe Tobin et � l'annulation de la dette. On ne peut pas parler pour autant de France contestataire. Les Fran�ais ne sont pas majoritairement et fonci�rement hostiles � la mondialisation, et n'apparaissent pas globalement partisans d'une fermeture �conomique et culturelle. Ils se montrent n�anmoins plut�t inquiets face aux cons�quences les plus n�gatives de ce processus et tendent � soutenir les propositions de r�gulation et d'" humanisation ".
L'influence des contestataires est �galement �vidente sur la politique et sur le d�bat. Mais elle appara�t faible sur la d�cision politique � proprement parler. En effet, au-del� de leur impact tr�s notable sur le discours politique, leur effet sur la d�cision para�t assez limit�. Ceci est illustr� par l'�tude de deux cas o� la France a jou� un r�le fondamental : l'�chec des n�gociations sur l'Accord multilat�ral sur l'investissement (AMI), suite � son retrait, et l'adoption d'une l�gislation sur la taxe Tobin. Dans le premier cas, consid�r� comme la premi�re " victoire " des contestataires, leur r�le sur la d�cision fran�aise a �t� beaucoup plus r�duit que ce qu'ils affirment eux-m�mes, tandis que dans le second, la l�gislation adopt�e n'a aucune incidence pratique et le gouvernement, malgr� une rh�torique plut�t favorable, s'est montr� fermement oppos� � toute mise en place effective d'une taxe Tobin. En fait, l'�tude du processus de d�cision indique que les contestataires sont influents lorsque deux conditions sont r�unies : lorsqu'ils font la promotion de micro propositions concr�tes et techniques sur lesquelles le gouvernement fran�ais peut avoir prise, et lorsqu'ils utilisent un relais politique, comme c'est le cas de la Gauche socialiste au sein de la gauche fran�aise.
En d�finitive, leur influence la plus notable est sur le d�bat. La grande victoire des contestataires fran�ais est, en effet, d'avoir r�ussi � influencer la perception globale de la mondialisation en France et � d�finir les termes m�mes du d�bat. Les r�sultats des �lections pr�sidentielles et l�gislatives de mai-juin 2002 en ont, par exemple, �t� une illustration. La gauche au pouvoir, �cartel�e entre, d'une part, une approche pragmatique et r�aliste de l'�conomie de march� et de la mondialisation et, d'autre part, un discours souvent assez proche des th�matiques des contestataires, a certainement souffert �lectoralement de ces contradictions, alors qu'un grand nombre de sympathisants de gauche �taient s�duits par le discours contestataire d�fendant une " gauche de gauche ". Cette influence est �galement perceptible dans les d�bats au sein d'une gauche en crise suite � ces d�faites, en particulier chez ceux qui souhaitent que sa pratique s'adapte � son discours et qui reprennent � leur compte nombre d'analyses et de propositions contestataires.
Malgr� sa vigueur, la contestation en France n'a pourtant, pour le moment, pas v�ritablement modifi� les trois grandes tendances durables de la soci�t� fran�aise : la pacification id�ologique, sociale et politique. Elle ne constitue donc pas le ferment d'une nouvelle " exception fran�aise ", celle-ci n'ayant pas vraiment cr�� de nouvel antagonisme id�ologique fondamental autour de la mondialisation et les Fran�ais, globalement, n'�tant pas oppos�s � son processus. La contestation appara�t en fait comme le sympt�me d'une crise, celle de la difficile adaptation du " mod�le social fran�ais " - crise d'adaptation de l'�conomie, de la soci�t� et du gouvernement, au sens large du terme - et du " mod�le r�publicain " - crise de la repr�sentation, de la d�mocratie repr�sentative et du politique - au contexte contemporain marqu� par la mondialisation. Elle soul�ve �galement l'un des principaux d�fis �conomique, social et politique en liaison avec les effets de la mondialisation, � savoir l'int�gration �conomique,