exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
Pourquoi une linguistique de l'�crit ? Quelles sont les demandes sp�cifiques adress�es au linguiste, quels sont les mod�les d'analyse qui permettent d'en capter la dynamique particuli�re ? Enfin, comment s'op�re le glissement de l'�crit au texte litt�raire, retenu ici, et � la reconnaissance d'un style litt�raire ?
Un d�but de r�ponse est fourni par J. Gardes-Tamine (2004 : 31) : l'�crit constitue un � terrain d'observation beaucoup plus f�cond que l'oral �. Il est cr�dit� d'un atout de taille : soumettant � l'attention du linguiste des configurations s�manticosyntaxiques qui questionnent une conception normative de la langue et en �prouvent les limites, il offre un accroissement des possibilit�s d'analyse. J. Gardes-Tamine avance deux raisons au moins : un degr� de ma�trise du projet d'expression plus important et la mise � contribution de la dimension spatiale.
Il semble ainsi possible de circonscrire le champ o� op�re une grammaire de l'�crit : une meilleure planification et gestion du d�ploiement du texte soumet � l'analyse une plus grande vari�t� d'agencements � l'int�rieur de la phrase, d'encha�nements interphrastiques responsables de la coh�sion textuelle ou de configurations construisant la coh�rence globale ; enfin, la spatialisation peut non seulement soutenir la m�morisation discursive mais se charger de � valeurs symboliques � (ibid. : 38). En d�finissant le style comme � l'utilisation optimale et concert�e des possibilit�s qu'offre la langue et non comme un �cart par rapport � une norme, � supposer qu'on arrive � la fixer � (ibid. : 29), J. Gardes-Tamine m�nage le passage � l'�crit et au style litt�raires, en le faisant appara�tre, � la suite de C. Bally (voir aussi Adam, 1997 : 11), comme une diff�rence surtout de degr�.
En m�me temps, J.-M. Adam a montr� que la diff�rence entre la � grammaire � de l'�crit et la � linguistique � de l'�crit n'est pas que d'ordre lexical (ibid. : 21). Dans la perspective de l'Analyse de discours, le texte litt�raire est appr�hend� non seulement comme un � espace de r�alisation de la langue �, mais comme � un �v�nement socio-discursif � (ibid. : 9 - 10), en relation avec le contexte de la production du discours, de sa circulation et de sa consommation. L'hypoth�se � la base de cette r�flexion est alors la suivante : si la dynamique de l'�crit peut �tre capt�e � travers l'agencement de la grammaire avec les approches de la linguistique textuelle, �nonciative et pragmatique, les travaux de rh�torique et de po�tique, il incombe au champ stylistique, � d�finir dans le cadre englobant fourni par l'Analyse de discours, d'accueillir la stratification des plans de structuration ; allant � l'encontre d'une � d�marche conjoncturelle de r�cup�ration et d'int�gration-articulation oecum�nique � (Adam, 2002 : 72), le r�cepteur gagne � r�interroger l'entrejeu des cat�gories d'analyse convoqu�es � partir d'un socle tensif.
Dans la premi�re partie, l'accent sera mis sur les op�rations qui, � partir du principe tensif, doivent permettre de rendre compte de la dynamique textuelle et discursive. Il s'agira, ensuite, d'instaurer un va-et-vient entre la r�flexion th�orique et l'�tude d'exemples emprunt�s � Julien Gracq et � Michel Butor, en s�lectionnant comme entr�e pertinente une des sp�cificit�s de l'�crit : l'am�nagement du support de l'�criture. On montrera en quoi la complexit� de la construction de l'espace aux diff�rents niveaux d'appr�hension (le cadre phrastique, la page, le livre) et les formes de � marquage � du support (� travers les ressources typographiques) contribuent � la construction du sens et � la production d'effets de style.
Selon J. Fontanille (1999 : 189), si le style appara�t comme une notion � pr�th�orique �, qui appelle en tant qu'objet de connaissance une pluralit� de points de vue subjectifs relevant plus ou moins de l'intuition, il est possible de r�unir � un petit nombre d'alternatives et de traits communs � compl�mentaires, caract�ristiques du � domaine � explorer �. Ce sont les modalit�s de cette compl�mentarit� que l'on vise � interroger ici, en proposant une d�finition du champ stylistique. D�gageant trois propri�t�s, on tentera de prendre, � chaque fois, la mesure de quelques-unes des cons�quences �pist�mologiques et m�thodologiques des choix op�r�s et des questions ainsi soulev�es.
i) Le champ stylistique se construit � la faveur d'une interaction entre le sujet r�cepteur, dot� d'une comp�tence linguistique et encyclop�dique, et le texte, pourvu d'une morphologie d�termin�e, qui contraint plus ou moins sa r�ception. Ainsi, le champ stylistique prend forme, selon des modes variables � d�terminer, � partir du � champ de discours � constitu� par le sujet d'�nonciation en production, l'appr�hension, � la fois sensible et cognitive, devant actualiser les potentialit�s en mettant au jour la congruence locale des traits structurants, voire la coh�rence globale.
Trois points m�ritent d'�tre examin�s. D'abord, en mettant en avant les exigences de l'analyse immanente, la saisie du texte (de portions de texte) comme un ou des � touts de signification � a le m�rite de poser la question de la fixation des limites. Celle-ci semble, en effet, �tre au coeur de la d�finition du champ stylistique relativement � un texte, c'est-�-dire en relation avec au moins une � concr�tion en un certain sens mat�rielle, mat�rialisable en tout cas, ne serait-ce qu'en raison de l'exploitation de la substance de l'expression (le son, et les graph�mes sur la page) � (Molini�, 1994 : 205). En effet, comme nous y invitera la question de la mat�rialit� du texte, le point de vue stylistique doit, � un moment donn�, �tre articul� avec d'autres points de vue, notamment dans le cadre des � pratiques inters�miotiques � (Maingeneau, 1984 : 13). Ensuite, le champ stylistique doit �tre consid�r� comme travers� par des tensions renvoyant � des rapports graduables entre le local et le global, entre l'intra-, l'inter- et le contextuel. � partir d'un ensemble de marques identifiables dans le tissu textuel, l'analyse stylistique doit restituer et d�ployer les processus et les formations signifiantes � l'origine de d�terminations ordonnables suivant un mouvement d'int�gration croissante. Ainsi, l'analyse stylistique �tant de type interactif, il faudra se doter des moyens conceptuels qui rendent possible une analyse rigoureuse des r�gimes de la r�ception, en fonction des � modes de pr�sence � des � faits de style �, qu'ils soient de nature textuelle, inter- ou contextuelle, au sein du champ stylistique.
ii) Con�u dans une extension large, le champ stylistique accueille des manifestations stylistiques qui peuvent �tre d�crites � partir des oppositions crois�es � singulier � vs � collectif � et � litt�raire � vs � non litt�raire � (ou � ordinaire �). La r�flexion prend ainsi appui sur une conception � continuiste � de la langue au style (Jaubert, 2005 et 2007), qui met en avant le rapport dialectique entre les dimensions singularisante et universalisante du style. De ce point de vue, il faut s'interroger sur les conditions auxquelles le style litt�raire peut �tre appr�hend� dans son devenir � partir d'autres ensembles signifiants, plus ou moins individualisants ou collectifs (cf. Adam, 1997).
On retiendra essentiellement deux questions. Celle de la litt�rarit�, tout d'abord, que G. Molini� aborde en d�gageant trois � composantes � consid�r�es comme � d�finitoires de la litt�rarit� � au niveau g�n�ral :
Par un groupe de proc�dures qu'il faut poser et appliquer, on doit arriver � d�tecter des styl�mes de litt�rarit� g�n�rale, qui diff�rencieront le texte romantique du texte commercial. Ces proc�dures, en s�miostylistique, consistent � tester dans quelle mesure le discours analys� satisfait les trois composantes qui, dans cette th�orie, sont d�finitoires de la litt�rarit� : le discours litt�raire (de l'int�rieur) est son propre r�f�rent, il est r�gi selon un double fonctionnement s�miotique, et enfin il n'existe que dans l'acte de d�signation, en tant qu'il est per�u par un r�cepteur (1994 : 202).
Dans le cadre d'une r�flexion sur la r�ception des faits de langue comme � faits de style �, on propose d'articuler la gradualit� des � effets de litt�rarit� � avec les � effets d'identit� � dont le style est producteur. Si l'on consid�re avec J. Fontanille (1999 : 195) que le style combine des � identit�s textuelles �, qui concernent le � texte, comme espace de distribution des effets �, et des � identit�s discursives �, en rapport avec le � domaine des valeurs, des modalit�s et des actes de langage �, la mise � nu des valeurs esth�tiques, d�finitoires du texte litt�raire, mais aussi esth�siques et �thiques est du ressort de l'analyse stylistique plus que de celui d'autres approches, concurrentes.
La deuxi�me question ne concerne pas seulement la dimension collective ou particularisante du style, mais encore la n�cessit� d'articuler le � mod�le stylistique � avec des mod�les d'explication qui d�bordent le texte et le subsument : il faudra ouvrir le d�bat en direction, d'une part, de mod�les g�n�ralisables dont les textes litt�raires sont des actualisations parmi d'autres et, d'autre part, de styles ou � formes de vie �.
iii) L'interaction entre le sujet lecteur et l'objet-texte prend la forme de strat�gies d'analyse mettant en oeuvre des r�gimes, � d�finir en intensit� (affective) et en �tendue textuelle (saisie cognitive), sp�cifiques. Le champ stylistique est ainsi con�u comme un champ tensif. En effet, du point de vue de son organisation topologique, il comporte, comme tout autre champ, un centre ou noyau, mais aussi des zones plus ou moins p�riph�riques, des horizons ou fronti�res en direction du hors-champ ; il est � g�om�trie variable, avec des fronti�res et des parois internes, dont la mobilit� est fonction des r�gimes retenus.
Ces points seront examin�s � la lumi�re du mod�le tensif d�velopp�, surtout, par J. Fontanille (1998, 1999 ; Fontanille & Zilberberg, 1998) et � partir des propositions d'A. Herschberg Pierrot : � Percevoir le style en tension, c'est consid�rer le texte de l'oeuvre comme du continu, un continu actionnel et r�actionnel avec soi-m�me et avec les autres textes � (2005 : 44). Adoptant un point de vue m�ta-critique, on appliquera le principe tensif � la pratique stylistique elle-m�me, en s'interrogeant sur le choix des strat�gies d'analyse au contact des faits de langue ou de style. L'hypoth�se est qu'en mettant en avant les � r�glages � interactionnels entre le r�cepteur et l'objet d'analyse, le cadre conceptuel tensif permet une approche unifi�e de l'entrejeu des diff�rentes dimensions du texte au sein du champ stylistique et des pratiques d'analyse suscit�es et autoris�es.
Ainsi que le souligne J.-M. Adam (1997 : 10), les textes litt�raires peuvent appara�tre, du point de vue de la linguistique, comme des lieux privil�gi�s de manifestation des potentialit�s de la langue, o� se d�ploient des � variations infinies �. La question n'est pas seulement de r�fl�chir � l'apport de la linguistique � la stylistique litt�raire, mais de s'interroger sur le � suppl�ment � de sens ou de valeur que celle-ci conf�re � celle-l� : comme le note J.-M. Adam (ibid. : 9), � l'adoption d'un point de vue linguistique sur les textes litt�raires doit entra�ner une v�ritable reconception de la stylistique et l'attention au style, en retour, une red�finition de la grammaire elle-m�me �.
Approch�e sous cet angle, l'�tude stylistique est pourvue, d'embl�e, d'une vis�e : il s'agit de mettre en �vidence des relations entre les faits de langue qui, de l'unit� inf�rieure au mot ou au syntagme, � la construction morpho-syntaxique, aux encha�nements interphrastiques, � tel type de progression textuelle, trouvent � signifier au sein du champ stylistique. Le pr�l�vement et le regroupement de faits pertinents peut para�tre malais� : le style �chappe, selon C. Metz (1991), � l'activit� m�tadiscursive d�ploy�e par l'�nonciation et se r�sume � une � mani�re d'�tre � plus ou moins diffuse, plus ou moins discr�te. Les principes guidant le pr�l�vement des �l�ments n'en sont pas moins �nonc�s avec force. Combinant forme et substance du contenu et de l'expression, G. Molini� d�cline quatre composantes du style :
a/ au niveau de la substance du contenu, une unit� globale tr�s partag�e ; b/ des structures fantasmatiques, imageantes r�currentes, ce qui nous conduit sans doute dans la forme du contenu, de m�me que c/ des sch�mas rh�toriques expressifs ; d/ enfin, au niveau de la forme de l'expression, un stock lexico-figur� et des tours de phrase, ce qui correspond, dans la tradition rh�torique, � l'�locution, c'est-�-dire exactement � la d�finition rh�torique du style (1994 : 205 - 206).
On peut encore citer N. Batt (1997 : 128) au sujet des quatre conditions de r�ussite d'une lecture � artistique � selon Lotman : pour mettre en oeuvre une � corr�lation dynamique �, elle n�cessite i) une ind�termination de d�part, qui peut correspondre aux � blancs � d'Iser, ii) la reconnaissance d'une base structurelle abstraite, iii) l'�tablissement d'un rapport entre oppositions aux niveaux concern�s et iv) la r�duplication des processus � un ou plusieurs niveaux d'analyse. Enfin, en ce qui concerne les choix m�thodologiques, la lecture du texte litt�raire requiert en m�me temps que la compr�hension de l'ensemble, une dissociation et une autonomisation des �l�ments qui entrent en contact les uns avec les autres, auxquelles on ajoutera les op�rations de la commutation et de la catalyse ; enfin, les �l�ments sont r�associ�s, � la faveur d'une op�ration de translation, dans des configurations originales.
Les exigences li�es � l'analyse stylistique se pr�cisent d'embl�e : elle doit �viter le risque d'un rattachement presque m�canique des traits isol�s aux diff�rents niveaux � un sch�ma de base les subsumant. Le champ stylistique doit �tre con�u de telle sorte que la circulation du sens soit pr�serv�e, que des pr�dications impr�vues, la dynamique d'un processus de r�ajustement ou de re-construction toujours � l'aff�t des ind�terminations ou des inconsistances d�cel�es rendent compte du style comme � processus �, en pr�servant � la possibilit� de hi�rarchies mouvantes, de principes organisateurs en tension les uns avec les autres � (Herscherg Pierrot, 2005 : 43). D'o� l'importance de la notion de variation que G. Molini� int�gre dans sa d�finition du styl�me :
On peut fixer un type d'objet d�crit, et faire d�filer tous les syst�mes expressifs rattachables au m�me principe de le d�crire, ou fixer un syst�me expressif parmi le tout r�pertori�, et faire d�filer la plus grande quantit� de types d'objets d�crits, chacun muni du trait sp�cifique de la cat�gorie (1994 : 204).
D'o� l'int�r�t d'une approche tensive qui, en pla�ant le principe de la gradualit� au coeur de l'interaction entre le sujet r�cepteur et l'objet d'analyse, permet d'appr�hender des � �v�nements � et des � faits de style � dans un cadre conceptuel unifi�, en en examinant le � mode de pr�sence � au sein du champ stylistique. La d�finition du � fait de style � propos�e par J.-M. Adam sert de base � la r�flexion :
Par rapport � la reprise d'un ensemble de traits microlinguistiques qui caract�rise, selon moi, un style, je d�finirai un fait de style comme un fait ponctuel de texture attendu ou inattendu au regard du style d'une oeuvre, d'un auteur, d'un genre ou d'une �cole donn�s. Un fait de style est donc le produit per�u d'une r�currence ou d'un contraste, d'une diff�rence par rapport � des r�gularit�s micro-linguistiques observ�es et attendues d'un texte, d'un auteur, d'une �cole, d'un genre (1994 : 19).
On voit ici s'esquisser le continuum sur lequel se d�ploient les diff�rences de saillance et de densit� des faits de langue retenus, en fonction de leur fr�quence et de la qualit� ressentie en r�ception. Gr�ce au principe tensif, on peut montrer en quoi ces diff�rences commandent, en partie, les strat�gies d'analyse du r�cepteur. D'un c�t�, on rend compte de l'action exerc�e par les � faits de style � sur le r�cepteur, dont ils captent l'attention selon des r�gimes � intensit� variable et dont ils contraignent plus ou moins l'interpr�tation ; de l'autre, il est possible de d�crire les degr�s de l'implication vive du r�cepteur (axe de l'intensit�), mais aussi les efforts d�ploy�s, en fonction de sa comp�tence linguistique et encyclop�dique et en fonction du degr� d'accessibilit� des faits retenus, pour construire une coh�rence (l'axe de l'�tendue concern� par les degr�s de l'�laboration cognitive). Globalement, la r�ception fait �merger des indices localisables � diff�rentes strates, pour les nouer en faisceaux et construire une coh�sion et une coh�rence plus ou moins strictement poursuivies. La mise en �vidence des r�gimes � partir des corr�lations entre les dimensions continues de l'intensit� sensible (perceptive ou affective) et de l'�tendue (saisie cognitive) permet alors de concilier deux points de vue : celui des � effets d'identit� � produits par les faits de langue convertis en � faits de style � et celui des � styles � d'analyse propres aux r�cepteurs, l'essentiel se jouant � leur point de rencontre, l� o� se n�gocient les strat�gies qui les mettent en oeuvre. Par ce biais, l'approche tensive prend en consid�ration le volet perceptivo-cognitif et sensible de l'analyse stylistique.
Ouvrant l'�ventail des positions strat�giques, on peut d�cliner au moins quatre r�gimes de la r�ception diff�rents. Contrant sans doute le danger d'une circularit� qui voudrait que les faits de langue s�lectionn�s soient appel�s � l�gitimer la base qu'ils ont fa�onn�e, le r�gime englobant se saisit de � tous les d�tails � d'un texte et r�v�le un � effet d'identit� � fort (intensit� et �tendue fortes). Pour que le degr� de saturation maximale soit atteint, sans doute faut-il que soient �galement pris en consid�ration le c�t� palpable (sonore, visuel...) des signes, la mat�rialit� du support de l'�criture, voire, plus g�n�ralement, l'ad�quation entre le dit et le dire, quand, comme l'�crit D. Maingeneau (1999 : 80), � les "id�es" se pr�sentent � travers une mani�re de dire qui renvoie � une mani�re d'�tre, � la participation imaginaire � un v�cu �. Face au � plein � d'indices, M. Riffaterre (1971 : 144) consid�re, pour sa part, qu'un � pas d�cisif a �t� fait vers la solution du probl�me du style lorsque [...] au lieu d'�tudier �galement tous les aspects d'une structure, on s'est limit� � ceux dont la perception est impos�e au destinataire de l'acte de communication �. On ajoutera qu'un fait de langue circonscrit peut �tre � saillant � et �tre per�u comme un � �v�nement stylistique � (intensit� forte, �tendue restreinte), mais aussi passer inaper�u (intensit� et �tendue faibles) ; de m�me, les occurrences multiples d'un fait de langue dans l'espace-temps du texte peuvent produire un effet cumulatif (intensit� assez forte et prise en consid�ration de vastes �tendues textuelles) ; il se peut, enfin, que l'impact faiblisse proportionnellement � l'augmentation du nombre des r�p�titions (intensit� faible et �tendue forte).
Sur le fond d'une dialectique des projets de singularisation et des pressions exerc�es par les donn�es socioculturelles et les codifications g�n�riques, on se donne ainsi les moyens de rendre compte des positions s'�chelonnant entre deux p�les : l'attendu, ce qui conforte l'� effet d'identit� � produit par une oeuvre, et la surprise ponctuelle. Dans le premier cas, la strat�gie stylistique doit �tre englobante : elle doit rendre compte de la congruence des configurations structurantes avec un effet d'ad�quation forte � l'oeuvre, m�me si l'implication affective est r�duite. La surprise ponctuelle, quant � elle, bouleverse les mod�les de pr�visibilit�. Elle risque d'�tre a-signifiante, d�s lors que la strat�gie d'analyse, particularisante, se satisfait d'un d�tail.
Du point de vue des ph�nom�nes interdiscursifs et intertextuels, percevoir le champ stylistique comme un champ sous tension, c'est focaliser l'attention sur la zone de transition ou de transit o� sont log�s des apports discontinus, plus ou moins explicites et donc plus ou moins ais�s � circonscrire et � identifier. Globalement, on con�oit l'int�r�t de la notion de praxis que J. Fontanille d�finit ainsi :
[La praxis �nonciative] n'est pas l'origine premi�re du discours ; elle pr�suppose autre chose que l'activit� discursive (le syst�me de la langue, mais aussi l'ensemble des genres et des types de discours, ou des r�pertoires et encyclop�dies de formes propres � une culture) ; elle suppose aussi une histoire de la praxis, des usages qui seraient des praxis ant�rieures, assum�es par une collectivit� et stock�es en m�moire (1998 : 272).
Elle renoue avec le principe dialogique de Bakhtine et avec l'id�e d'un fonds constitu� par une h�t�rog�n�it� (une interdiscursivit� et une intertextualit�) jug�e constitutive. Surtout, son soubassement tensif permet de rendre compte des degr�s de l'assomption (intensit�) des mots de l'Autre et de leur d�ploiement par reprise dans l'�tendue du texte d'accueil. Les r�gimes de l'�laboration stylistique doivent ainsi s'ajuster aux r�gimes de la reprise. D�s lors qu'il s'agit de mettre l'accent sur l'emprunt et les modulations de sa valeur � selon ses contours plus ou moins nets, selon la souche dont il est issu et selon son point d'insertion � (Jaubert, 1990 : 147), rendre compte du � mode d'existence � en termes de degr�s d'intensit� et d'�tendue permet de montrer, par exemple, comment le choix de la strat�gie d'analyse est d�termin� par la pr�sence de l'allusion qui, en tant que � reprise non explicite de segments de lin�arit� [relevant] de la modalit� autonymique � (Authier-Revuz, 2000 : 210), combine l'intensit� assez forte li�e � l'� auto-repr�sentation opacifiante � avec une �tendue plus vague ou diffuse que pour la citation. Afin de d�gager les dynamiques enclench�es, il importe ainsi de confronter l'allusion, qui fait r�sonner d'autres occurrences d�pos�es dans la m�moire intertextuelle ou interdiscursive du r�cepteur et sollicite la collaboration interpr�tative � en creux �, avec la citation, qui porte � un degr� supr�me l'intensit� vive de l'� en-soi � �tranger, auquel le texte d'accueil r�serve une portion d'�tendue d�limit�e ; quant � l'� �lot textuel �, il affiche son origine �trang�re tout en b�n�ficiant d'une int�gration forte dans le texte second. L'approche tensive doit ainsi permettre d'esquisser des �quilibres fragiles entre les variations intensives et quantitatives relatives � l'appropriation et � la remise en perspective de l'emprunt par l'�nonciation seconde, et celles qui continuent � caract�riser l'emprunt dans sa mat�rialit�.
Enfin, ce m�me cadre tensif permet de caract�riser les � modes de pr�sence � des � faits de style � � contextuels �, qui portent la marque des �changes plus ou moins continus et diffus avec le � hors-texte �, avec les cadres socio-historiques, le contexte de la production, de la circulation ou de la r�ception, bref, avec les lieux o� se d�cide le devenir des formes d'expression collectives, plus ou moins stabilis�es et codifi�es, o� s'exerce l'arbitrage des � morales du langage � selon Barthes :
L'Histoire est [...] devant l'�crivain comme l'av�nement d'une option n�cessaire entre plusieurs morales du langage ; elle l'oblige � signifier la Litt�rature selon des possibles dont il n'est pas le ma�tre. (1953 et 1972 : 8).
L'int�r�t est non seulement d'acc�der aux valeurs (�thiques, esth�tiques) attach�es aux r�gimes d'identit� s�lectionn�s, mais encore de rendre compte, � c�t� des � morales du langage �, de � morales de la r�ception � : c'est � partir des m�mes principes que l'on peut faire ressortir l'ob�dience au contexte id�ologico-culturel des formes que rev�t la stylistique (voir Maingeneau 2003 : 15 - 25) ainsi que celle des esth�tiques ; c'est par rapport � ces formes et esth�tiques que se d�termine la valeur d'un texte ou discours, voire celle de l'�motion esth�tique, qui comprend elle-m�me une dimension collective. Si, en derni�re instance, la conception du texte litt�raire et la d�finition du champ stylistique, qui s'inspirent et s'�tayent mutuellement, doivent �tre approch�es comme des variables tributaires d'un contexte historique, le principe tensif permet de se rapporter � une histoire des formes et des postures critiques, au-del� de la � valeur instrumentale �, au-del� m�me de la valeur intrins�que du mod�le d'analyse, et de la � justesse � relative � un point de vue.
Dans quelle mesure le point de vue stylistique gagne-t-il � �tre articul� avec d'autres points de vue, � externes � ? Dans quelle mesure l'analyse qui privil�gie le champ stylistique autorise-t-elle, voire appelle-t-elle � d�gager, � travers les marques textuelles observables, une activit� r�flexive qui exige la prise en consid�ration d'autres niveaux de pertinence ? Si l'on admet qu'� ces niveaux s'�laborent des mod�lisations plus g�n�rales, au regard desquelles le texte et le style relatif � une forme singuli�re idiosyncrasique apparaissent comme des variantes, il para�t utile de confronter les pr�occupations du stylisticien avec les travaux sur les r�gimes r�flexifs du discours distingu�s par J. Fontanille (2003). Pour cerner davantage la sp�cificit� de l'analyse stylistique, m�diatis�e par le champ stylistique, on note ainsi que l'�laboration, par � conversion �, d'une signification d'ensemble coh�rente, investie de valeurs esth�siques, �thiques et esth�tiques et productrice d'� effets d'identit� �, est rattach�e au poste de la � s�miotique connotative �, o� la variation est mise au service de la stabilisation intentionnelle d'un invariant identifi�. Si l'on admet ainsi l'existence d'une � stylistique connotative �, qui rend compte indirectement de la gradualit� de l'� appropriation � de la langue selon A. Jaubert (un style, du style, le style ; 2005, 2007), on dira qu'elle se distingue � la fois de l'�bauche de mod�le, qui est de l'ordre de la paraphrase - J. Fontanille parle dans ce cas de � mod�les ad hoc, de simulacres qui servent de support ou d'alibi � l'intuition � (2003 : 121) - et des mod�les g�n�ralisables, de type m�ta-stylistique, qui transforment le texte (l'invariant fourni par les proc�d�s morphosyntaxiques, les figures et th�matiques...) en une variante possible. Dans ce cas, le texte n'endosse pas qu'une fonction d'illustration ou de validation du mod�le ; il agit sur lui en retour, l'infl�chit et le d�forme.
Que le stylisticien ne puisse se d�sint�resser du devenir du mod�le stylistique, de sa possible � conversion � en un mod�le plus g�n�ral, l'analyse de � crises alternatives �, selon l'expression de J. Fontanille, ou encore de la survenue d'un � �v�nement de style � en un point du texte l'atteste avec �clat. On songe ainsi aux d�tournements de proverbes analys�s par A. Gr�sillon et D. Maingeneau (1984 : 121) : ils montrent comment la suspension des valeurs �tablies, une remise en question des comportements consacr�s par l'habitude, mais aussi une remont�e dans le sentir gr�ce � des propositions innovantes rejaillissent avec �clat sur le genre discursif, qui n'est pas dissociable de la pratique du proverbe � l'int�rieur d'un espace litt�raire et social. Le cas peut para�tre exemplaire, dans la mesure o�, au-del� de la dimension critique, la � restitution des possibles � peut inspirer un mod�le m�ta-stylistique plus g�n�ral : gr�ce � la � praxis �nonciative � qu'il pr�suppose et qu'il alimente � son tour, ce mod�le red�ploie les modalit�s du fonctionnement de l'�criture proverbiale et les enjeux y relatifs ; �l la situe par rapport � d'autres formes d'expression non fig�es et subsume ses r�alisations particuli�res.
Enfin, l'analyse stylistique doit-elle articuler le niveau de pertinence du texte, �lu prioritairement, avec d'autres niveaux plus englobants (l'objet-livre, les pratiques et les � formes de vie �, n�cessairement � situ�s �) ? L'�tude de cas, consacr�e � des faits typographiques, rendra cette question plus pressante.
Pour mettre ces propositions � l'�preuve du cas concret, on se demandera, � partir d'extraits de Julien Gracq et de Michel Butor, sous quelles conditions sp�cifiques des proc�d�s ayant trait � la spatialisation de l'�crit et � la mat�rialit� du support peuvent �tre r�examin�s � la lumi�re du champ stylistique et, plus largement, d'une pragmatique litt�raire. En d'autres termes, sous quelles conditions, et � quels frais, les faits s�lectionn�s appellent-ils une interpr�tation qui, � partir d'une position critique elle-m�me historique, cherche � articuler coh�rence idiosyncrasique et morale du langage, singularit� du style et inscription socioculturelle, voire invite � un red�ploiement � m�ta-critique � ? Cela revient � d�tecter un double seuil : celui � partir duquel les proc�d�s s�lectionn�s acqui�rent un � effet stylistique � selon Riffaterre (op. cit. : 64), ou encore sont identifi�s comme des � �v�nements � ou comme des � faits de style �, n�cessairement pr�caires, qui r�sultent de la dynamique du texte ; enfin, le seuil � partir duquel, en fonction du r�gime mis en oeuvre, les � �v�nements � et � faits de style � prennent toute leur pertinence � hauteur de l'espace litt�raire ou culturel et par rapport � des mod�les qui d�bordent la dimension connotative du discours et la pratique analytique correspondante.
L'attention accord�e � la forme mat�rielle de l'�crit (Charaudeau & Maingeneau, 2002 : 558) - en l'occurrence, le tiret simple ou double, l'italique et l'organisation du champ graphique - pr�sente un triple int�r�t. D'abord, elle permet de pointer certaines des marques textuelles � la base des diff�rents r�gimes de la r�ception stylistique ; porteurs de valeurs g�n�rales (cf. notamment Drillon, 1994), les signes typographiques constituent des candidats potentiels � une entreprise de � d�formation � et de mod�lisation � port�e plus large, qui rouvre l'�ventail des vari�t�s et enclenche une r�flexion sur les syst�mes de repr�sentation. Ensuite, montrer en quoi les supports de l'�crit participent � la construction du sens, c'est envisager la n�cessit� de la linguistique de l'�crit sur laquelle nous sommes invit�s � r�fl�chir. Enfin, les signes typographiques, mais aussi les � modulations spatiales � (les marges, les paragraphes, les choix de police...) incitent � une appr�hension elle-m�me plurielle : d'un c�t�, on dira que les aspects mat�riels et sensibles sont renvoy�s � la substance de l'expression et que seule l'exploitation dans un texte les investit de formes de contenu et de valeurs ; de l'autre, la � face � mat�rielle du texte selon J. Fontanille (2006 : 221) exige que soit �galement pris en compte le � niveau suivant � - en l'occurrence, celui de l'objet-livre -, auquel le texte � fournit les premiers �l�ments sensibles et mat�riels �.
Soit d'abord l'emploi du tiret, qui fait l'objet, chez J. Gracq, d'un commentaire m�ta-critique : � C'est pour certains le g�nie de notre langue de n'ajuster sa phrase que par boutons et boutonni�res, et de traquer � mort l'amphibologie, avant tout � titre de laisser-aller �, �crit-il dans En lisant en �crivant, avant d'ajouter : � Et si ma pente naturelle est de donner � chaque proposition, � chaque membre de la phrase, le maximum d'autonomie, comme me le signale l'usage croissant des tirets, qui suspendent la constriction syntaxique, obligent la phrase � cesser un instant de tendre les r�nes ? � (1995 : 734 - 735).
Se trouve ainsi soulign�e la n�cessit� d'une exploitation plurielle de l'emploi du tiret simple et double, ce que confirme le classement de celui-ci parmi les � ajouts � (Authier-Revuz & Lala, 2002 : 7 - 12) : en prise sur plusieurs types de fonctionnement - typographique, syntactico�nonciatif, pragmaticos�mantique, textuel - le d�crochement typographique affiche son caract�re transversal et r�clame plus que d'autres ph�nom�nes l'articulation des dimensions micro- et macroscopiques jug�es compl�mentaires. Dans la perspective d'une pragmatique litt�raire int�grant la notion de champ stylistique, la partition ostensible de l'espace phrastique ou textuel � travers la rupture, unique ou r�p�t�e, de la lin�arit� du signifiant, demande ainsi � �tre approch�e sous diff�rents angles. Appuy� sur un sous-ensemble de textes fictionnels unitaire (les romans Le Rivage des Syrtes et Un balcon en for�t), un parcours heuristique m�ne de consid�rations morphosyntaxiques et s�mantiques dans l'ordre de la phrase � une approche textuelle focalisant l'attention sur les liens transphrastiques, la dynamique informationnelle et une analyse du mouvement de l'�nonciation en acte. Dans les limites de cette �tude, on d�clinera les points de vue succinctement, mettant l'accent sur la congruence des s�lections syntaxiques et s�mantiques � diff�rents niveaux et l'entrejeu des dimensions textuelles orchestr� au sein du champ stylistique.
Ainsi, privil�giant d'abord les emplois du tiret double, on se contentera de dire qu'il participe, par sa valeur g�n�rale, d'une logique de la rupture et de la reprise, gr�ce au fonctionnement s�mantico-syntaxique complexe de l'�l�ment ins�r�, dont le d�crochement typographique rend visible l'� accessoirit� � syntaxique (Boucheron-P�tillon, 2002 : 124). Ainsi, qu'il soit de nature endo- ou exophrastique, c'est-�-dire qu'il renvoie � une portion du monde r�f�rentiel ou qu'il soumette l'�nonc� d'accueil � un commentaire, un jugement (Guimier, 1996 : 6), l'�l�ment enserr� par les tirets - de nature adverbiale ou adjectivale au sens large, nominale (avec/sans d�terminant ou expansion) ou propositionnelle - a, du point de vue de la valeur s�mantique, un statut surplombant, non seulement � m�ta-phrastique � (avec une opacification du s�mantisme comme dans la modalisation), mais encore � inter-phrastique � ; enfin, du point de vue de son mode de fonctionnement syntaxique, le d�croch� est de type � la fois extra-pr�dicatif (comme tout adverbe exophrastique) et � inter-pr�dicatif �. Ainsi, malgr� l'instanciation lexicale qui, � moins d'une v�ritable rupture th�matique, rend possibles les appariements s�mantiques au-del� m�me des bornes mat�rialis�es par les tirets, il fait entrer en r�sonance deux espaces s�manticosyntaxiques autonomes, la base phrastique et un espace � hors phrase �. En m�me temps, l'autonomie n'a d'int�r�t que corr�l�e avec l'�lan, qui combine inchoativit� et mouvement, la rupture et la continuation conquise sur l'arr�t. Elle doit �tre mise � profit par une �nonciation en acte, une vis�e pragmaticos�mantique et un dynamisme communicatif qui �largissent le champ de l'interpr�tation. Ainsi, � la faveur d'un fonctionnement ana- et/ou cataphorique, l'�nergie nouvelle peut se propager au-del� m�me des bornes du cadre phrastique, en faveur d'encha�nements incertains, voire d'une v�ritable plurivocit� interpr�tative. Le d�crochement typographique, qui est de nature autodialogique, peut accueillir, de surcro�t, une pluralit� de voix.
Dans les limites de cette r�flexion, l'essentiel concerne, d'une part, l'int�r�t pour la grammaire d'une �tude du tiret double ou simple chez Julien Gracq, et, d'autre part, le passage de la mise � contribution des diff�rentes dimensions du texte � l'exploitation stylistique ; celle-ci la pr�suppose, tout en faisant valoir sa sp�cificit�. En d'autres termes, � quelles conditions le tiret double doit-il satisfaire pour �tre hiss� au rang de � fait de style � contribuant � produire des � effets d'identit� � ? On en retiendra deux. Il faut d'abord que les valeurs associ�es aux diff�rentes occurrences puissent �tre �rig�es en invariant : on peut d�gager, en l'occurrence, un sch�me structural tr�s g�n�ral, dont les oppositions rupture/reprise, blocage/r�ouverture constituent les versants temporel et spatial, et dont les op�rateurs de l'implication (si... alors) et de la concession (malgr� ; la phrase se poursuit malgr� la rupture) (Zilberberg, 2006) fournissent une version processuelle. S'arc-boutant sur une m�me base structurale, le tiret simple ob�it, pour sa part, � une logique non plus de l'insertion, mais de l'int�gration, qui met en oeuvre une progression de type cumulatif, par �-coups et t�tonnements successifs. Il s'agit, ensuite, de tester la propension du tiret � � faire syst�me � avec une liste close d'�l�ments expressifs, de th�matiques ponctuelles, de proc�d�s syntaxiques ou d'autres ponct�mes, susceptibles de se rattacher � cette m�me base.
Il importe alors de rendre compte des � modes de pr�sence � variables que le tiret, simple ou double, se voit accorder au sein des champs stylistiques, et donc de la part qu'il prend dans la production d'� effets d'identit� �. Soient ainsi, concr�tement, les h�sitations, dans tel passage du Rivage des Syrtes, entre une �criture par d�crochement et une �criture d�-li�e :
(1) [...] un instant du monde dans la pleine lumi�re de la conscience a abouti � eux [les hommes sur lesquels s'est port�e l'attention de tout un peuple] - un instant en eux l'angoisse �teinte du possible a fait la nuit - le monde orageux de millions de charges �parses s'est d�charg� en eux dans un immense �clair - leur univers [...] a �t� une seconde celui de la balle dans le canon de fusil (Gracq, 1989 : 730).
Elles suscitent un questionnement lui-m�me double : sommes-nous face � un d�veloppement extensif, amorc� par le tiret inaugural et cl�tur� par le tiret final, qui se greffe sur la base ins�rante et la commente en d�pliant le contenu s�mantique du verbe mis en italique ? Il prend lui-m�me la forme de deux segments homofonctionnels ou donne lieu � un d�crochement interne. Dira-t-on, au contraire, que la progression, heurt�e, ajoute des tirets simples qui, malgr� les d�chirures du tissu textuel, tendent vers une sommation int�grative que la fin ne procure pas ? L'articulation du questionnement linguistique avec des pr�occupations stylistiques exige un d�placement d'accent. On se demandera plut�t si l'h�sitation entre deux logiques de l'� amplification � (Gardes-Tamine, 2004) est pertinente au regard de la totalit� signifiante : dans ce cas, � travers une tension que l'on peut ramener � la diff�rence entre une attitude r�flexive, qui privil�gie l'explication m�tadiscursive, et une position de retrait du sujet, qui se soumet au flux de ses pens�es, les emplois du tiret, simple ou double, proposent une forme d'analyse et de commentaire du � tiraillement � entre deux fa�ons d'�tre-au-monde, qui est �galement pris en charge � d'autres niveaux de pertinence.
De fait, suivant les textes, une m�me base structurale accueille des investissements figuratifs et th�matiques diff�rents. Dans Le Rivage des Syrtes, les emplois du tiret double et simple s'interpr�tent sur le fond constitu� par le sursaut d'un peuple qui, f�d�rant les initiatives �parses, secouant la l�thargie ambiante, cherche � se donner un � destin � ou une � destination � ; de concert avec la convocation et le d�tournement de motifs ou de sc�narios plus ou moins st�r�otyp�s, fix�s par la tradition (la messe de Minuit et la naissance du Christ, la valorisation de l'inchoativit� pr�sente dans l'� aube � et dans le franchissement critique de la fronti�re...), le d�crochement typographique contribue � signifier la rupture et l'irruption de la nouveaut�. En m�me temps, il incombe au tiret fermant, mais aussi, plus largement, � la comp�tition entre le tiret double et le tiret simple, li�e � l'entrechoquement de deux logiques concurrentes, de signaler imm�diatement l'emprise du mod�le historicisant et d'une n�cessit� qui �chappe au contr�le du sujet et le conduit � sa destruction.
Dans Un balcon en for�t, la discr�tion relative du tiret double contraste avec l'insistance du tiret simple, dont les emplois m�ritent d'�tre mis en relation avec la � po�tique � de l'intervalle qui vise, non plus � remettre l'histoire en marche, mais � permettre au protagoniste de s'absenter de la guerre pour un temps et d'habiter l'intervalle � sa guise :
(2) Naturellement, ce n'est pas la ligne Maginot, songeait Grange, levant les yeux malgr� lui vers les nids d'aigle broussailleux qui s'enlevaient tr�s haut au-dessus de la rivi�re - mais en somme cette fortification paresseuse rassurait plut�t : visiblement on ne s'attendait ici � rien de s�rieux. (Gracq, 1995 : 25)
L'int�ressant, du point de vue de la r�ception stylistique, c'est que le concours des niveaux de pertinence appelle, ici et l�, des r�gimes diff�rents. Dans Un balcon en for�t, le tiret forme syst�me avec d'autres ponct�mes (le deux-points, le point-virgule...) pour proposer une reformulation, assum�e par le locuteur, coh�rente et pr�visible, des tentatives d'organisation de l'espace-temps par le personnage. R�current sur de vastes �tendues textuelles, il draine vers lui, pour s'y connecter, les isotopies figuratives et th�matiques, les constructions syntaxiques auxquelles le sch�me structural peut �tre associ�, et les noue ensemble au sein d'un syst�me semi-symbolique qui appelle une strat�gie d'analyse � fort pouvoir int�gratif.
Dans Le Rivage des Syrtes, le tiret vaut davantage comme une forme de l'expression r�pondant � la d�finition rh�torique du style selon G. Molini� (1994 : 206). Au-del� des analyses linguistiques fines, les associations sont de l'ordre de la � projection symbolique �, plut�t que du � syst�me semi-symbolique � (Fontanille, 2003 : 124 - 125). Redondante avec le contenu du texte, paraphrastique, la description - par exemple, � le tiret signifie l'irruption du nouveau dans la l�thargie ambiante... � - est cantonn�e dans la saisie de certaines des s�lections sp�cifiquement li�es � ce texte. Certes, le proc�d� est r�current sur de larges pans textuels et il b�n�ficie d'une prise en charge m�ta-critique ; cependant, ni saillant, ni int�grable directement dans la signification d'ensemble, il se pr�te � une strat�gie d'analyse au mieux cumulative.
L'emploi de l'italique appelle des �clairages suppl�mentaires. Le mot italicis� met l'analyse stylistique au d�fi de rendre compte de forces � centrifuges � qui, plus que le tiret, donnent � voir l'h�t�rog�n�it� constitutive : dessinant des �chapp�es du sens, elles favorisent la superposition, l'intrication ou l'entr�e en conflit de plusieurs lignes th�matiques. La strat�gie stylistique appel�e � s'emparer de ce � fait de style � doit ainsi combiner l'intensit� vive d'un fait marquant avec une contribution relativement faible � l'�tablissement de la coh�rence du � tout de sens �. En tant qu'�v�nement �nonciatif, en relation avec � le coup de th��tre de la trouvaille [de mot] � (Gracq, Andr� Breton, 1989 : 506), le mot italicis� bouleverse, en effet, les ordonnancements lin�aires sur le support de la page et fait r�sonner les mots marqu�s typographiquement � � distance �. Il en va ainsi du verbe � aboutir �, dans l'exemple (1) (Le Rivage des Syrtes, 1989 : 730) : il concentre sur lui les expressions en italique - � vitesse mentale �, � fondre �, � d�livrer du mal �, � arme du crime �, � �mes damn�es � ou � �tre � (ibid. : 729 - 730) - qui s'�gr�nent au fil des lignes pr�c�dentes et qui, ainsi rapproch�es, se trouvent propos�es � des voisinages in�dits. � cela s'ajoute qu'� la faveur d'un flou conceptuel, des lex�mes tels que � fondre � � aboutir � ou � ailleurs � (ibid. : 735 ) non seulement lib�rent l'� �nergie latente en puissance dans le vocable � (Andr� Breton, 1989 : 503), mais ouvrent sur l'�paisseur des relations intertextuelles. Enfin, le mot ainsi exhib� est non seulement d�pouill� des collocations routini�res, mais il est arrach� au cotexte : � Nom, adjectif ou verbe, le mot consid�r� dans son isolement, "en libert�", polarise autour de lui comme de lui-m�me le meilleur de l'espoir de tout ce qui tend en nous � communier avec le monde [...] � (ibid. : 480). On voit comment, signifiant la crise et la � r�bellion instantan�e � du mot (ibid. : 504), l'italique inscrit dans le texte la n�cessit� d'un renouvellement de l'usage et dit l'urgence de la prise en consid�ration des champs et espaces discursifs selon Maingeneau (1984). Les choix typographiques renvoient non seulement � un projet d'expression particulier, mais � une esth�tique, � un style de vie, individuel ou collectif, plus ou moins identifiable, voire � une � forme de vie � (Fontanille, 2004 : 192). Celle-ci correspond au choix de valeurs dissidentes, qui remettent en question les codes discursifs �tablis et inventent un nouvel �tre-au-monde par le langage. En m�me temps, d�bordant les fronti�res du texte et du champ stylistique, la � forme de vie � peut introduire � une r�flexion de nature m�ta-s�miotique, plus g�n�rale et plus abstraite, sur les possibilit�s offertes par diff�rents syst�mes de repr�sentation, verbal ou non verbal.
Cependant, la prise en consid�ration de la mat�rialit� du signe demande aussi que soit explicit�e la mani�re dont le � texte formel � accueille et fait signifier les signes en provenance d'un niveau inf�rieur, les � unit�s minimales � selon Fontanille (2006), qui sollicitent le canal sensoriel de la vue (lettres capitales, caract�res minuscules, italiques ou romains, figures g�om�triques, espaces...). En attirant l'attention sur la mani�re de dire, le d�doublement m�ta-�nonciatif constitutif de la modalit� autonymique selon J. Authier-Revuz incite, en effet, � une saisie des propri�t�s spatiales et iconiques du signe italicis�, en tant que celui-ci renvoie au geste et au corps (la main qui incline les lettres) de l'instance �crivante. On en con�oit les enjeux : sous quelles conditions la prise en compte de la mati�re de l'expression rel�ve-t-elle de l'analyse stylistique ?
Si dans Mobile (1962), Michel Butor porte l'exp�rience de l'�criture � un degr� extr�me, il est frappant de constater que la critique retient d'abord la fonction � mim�tique � des ressources typographiques, subordonn�es, globalement, � une logique du morcellement et de la recomposition de l'espace des �tats-Unis, et donc � une fonction de � repr�sentation du sens � (Helbo, 1975 : 87). On distinguera quatre cas. Ainsi, le blanc typographique est imm�diatement investi de sens, quand il lui incombe, symboliquement, de � r�fl�chir � (Helbo, ibid. : 69) le probl�me g�ographique et politique frappant l'�le d'Hawa�. Michel Butor lui-m�me commente ainsi sa pratique des compositions plastiques complexes du blason et de la cellule, qui abritent selon des lois pr�cises des lettres capitales et des caract�res minuscules, tant�t italiques, tant�t romains : � Dans les �tats [depuis le Texas et le Kansas jusqu'� la Caroline du Nord et la Floride] o� il [l'�l�ment "Noir"] appara�t j'ai toujours mis � la premi�re apparition du blason, de cette constellation d'�l�ments, l'�l�ment "Noir" � la fin en lui faisant remonter au cours du chapitre chaque fois une place parmi le nombre des �l�ments. Ceci produit, quand on lit le livre, une impression [...] de soul�vement � (Aubyn, 1964 : 433). La � symbolisation � (Helbo, ibid. : 86), c'est-�-dire la mise � contribution des jeux de marges, des variations de police et de lignes, de la distribution des unit�s � l'int�rieur des chapitres, qui corroborent l'� unit� s�mantique �, implique une strat�gie mettant en oeuvre des valeurs d'intensit� et d'�tendue fortes. Les r�sistances � l'int�gration sont d'autant plus remarquables : les rapprochements appel�s par les homonymes, mais aussi les mouvements obliques du regard peuvent obliger � une prolif�ration des parcours de sens simultan�s, propos�s comme � en suppl�ment � ; ils sont cantonn�s dans la page, qui devient le lieu d'inscription de relations signifiantes d�connect�es du sens global, ou la d�bordent. All�g�e du poids du symbolique, l'image iconique repose sur une relation de similarit� entre le mouvement des marges et celui des vagues ou les effets de perspective produits. Enfin, le texte verbal porte les marques de l'influence picturale, en int�grant, par exemple, la figure g�om�trique du rectangle qui, �crit A. Helbo (ibid. : 88), rev�t un � aspect "gratuit", "esth�tique", sans port�e r�aliste �.
Ce dernier point m�rite consid�ration. En opposant une r�sistance � l'int�gration dans une totalit� interpr�tative, ces �l�ments invitent, en effet, � une confrontation qui, les marges des choix paradigmatiques et syntagmatiques �tant d�bord�es, interroge la coh�rence de l'ensemble. �prouvant les limites du faire sens, ces �l�ments posent la question g�n�rale de la mise � contribution des ressources mat�rielles de l'�crit et appellent, � ce titre, la conversion � m�ta-stylistique �.
Plus globalement, pour rendre compte des degr�s de l'exploitation des ressources typographiques dans le cadre de l'analyse stylistique, on propose un double �largissement conceptuel : d'abord en direction de la notion d'� imagerie � fond�e sur � une homologie entre les images mentales d�clench�es par les repr�sentations iconiques et celles suscit�es par le verbal [...] � (Bonhomme, 2003 : 179) ; ensuite, en direction du concept d'interm�dialit� qui �tudie, selon M�choulan (2005), � comment textes et discours ne sont pas seulement des ordres de langage, mais aussi des supports, des modes de transmission, des apprentissages de codes, des le�ons de choses � (cit� par Badir, 2007 : 26 - 27).
Ainsi, dans une perspective pragmatico-rh�torique attentive � la r�ception interactive, l'int�r�t du concept d'imagerie peut �tre li� � la gradualit� des interpr�tations : i) les sch�mes sensibles se satisfont d'une appr�hension perceptuelle et �motive, esth�sique avant d'�tre esth�tique, d'une approche ph�nom�nologique de l'�nonciation ; l'� �vocation � est d'autant plus directe que l'image est conventionnelle (p. ex., la pointe de la fl�che d�signant le vol des oiseaux) et qu'elle est directement accessible du point de vue cognitif (intensit� et extensit� r�duites) ; ii) si cette � tentation ph�nom�nologique � correspond au degr� z�ro de l'analyse stylistique, la d�hiscence des niveaux inscrit en creux la possibilit� de l'interpr�tation ; c'est sur la base de l'interaction entre le r�cepteur et le texte et ses fonctions (�pist�mologique, analogique, esth�tique...) que peuvent se n�gocier les r�gimes d'intensit� et d'�tendue mis en oeuvre par l'�laboration d'un syst�me semi-symbolique et que se d�termine le degr� de prise en charge de toutes ces productions signifiantes qui en d�fient les limites ; il peut s'agir de ruptures figuratives ou th�matiques ou l'analyste peut se trouver interpell� par la complexit� d'un ensemble polym�dial ou par les vari�t�s de la translation inter- ou transm�diatique.
Quant au concept d'interm�dialit� selon M�choulan, on notera avec S. Badir (2007 : 35) que l'analyse des discours rencontre l'analyse des m�dias : � [...] les oeuvres sont toujours d�pendantes d'un discours, mais elles d�pendent toujours aussi, dans le m�me temps (dans le temps de l'analyse comme celui de l'appr�hension ph�nom�nale), d'un m�dia �. Surtout, le concept d'interm�dialit� permet de penser l'articulation entre les deux � faces � du texte (Fontanille, 2006), le texte � formel �, qui fournit un plan de pertinence aux signes, et le texte � mat�riel �, qui ouvre sur le niveau englobant des objets : l'objet-livre et la pratique qu'il appelle, c'est-�-dire les usages qui en sont faits dans des situations socioculturelles et historiques donn�es.
Au terme de ces investigations, on dira que dans la perspective d'une linguistique de l'�crit qui met en avant la notion de champ stylistique, l'int�r�t de la question de la mat�rialit� de l'�crit est au moins double. D'une part, le traitement appel� par l'exploitation des ressources typographiques para�t confirmer le r�le central jou� par le champ stylistique, qui m�diatise la r�ception, et la pertinence du principe tensif, gr�ce auquel il est possible, � travers une interaction entre les faits observables et le r�cepteur, de d�terminer les degr�s de litt�rarit� ainsi que les � effets d'identit� � produits. En m�me temps, les ressources typographiques signalent l'opportunit� d'un dialogue entre le point de vue stylistique et d'autres points de vue : d'un c�t�, le point de vue m�ta-stylistique, de l'autre, des points de vue relatifs � d'autres niveaux de pertinence que le texte. Le � texte mat�riel � ouvre, en effet, sur un autre niveau d'expression, celui de l'objet-livre comme surface ou volume. En tant qu'espace d'une exp�rience litt�raire ancr�e dans un contexte d'actualit�, le texte y est rendu signifiant � la lumi�re d'une m�ditation sur le live comme � objet complet � : � De l'objet de consommation au sens le plus trivial du terme, �crit Michel Butor, on passe � l'objet d'�tude et de contemplation, qui nourrit sans se consumer, qui transforme la fa�on dont nous connaissons et nous habitons l'univers � (1964 : 137).