exploitable et diffusable pour la communaut� scientifique
ne peut �tre utilis� � des fins commerciales
ANNODIS
projet financ� par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirig� par Maire-Paule P�ry-Woodley, universit� de Toulouse - UTM
objectif : cr�ation d'un corpus de fran�ais �crit annot� discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
L'investissement financier que suppose ce genre de produits est relativement important ; il d�passe de loin les moyens du chercheur isol�. Il exige, soit une d�cision proprement politique, soit la recherche capitaliste d'une rentabilit�.
Les dictionnaires sont des textes importants. T�moignant de ce qui s'est d�j� dit ou �crit pour guider ce qui pourra se dire ou s'�crire, ils refl�tent, par leurs contenus, leur diffusion et leurs usages, les rapports d'une culture � son idiome ou les relations qu'elle entretient avec d'autres cultures et l'int�r�t qu'elle porte � leurs idiomes. Mais ces liens sont tout sauf simples, et leurs reflets sont volontiers brouill�s. S'ils sont peu diversifi�s et pauvres en substance, les dictionnaires constituent pour leurs destinataires des rep�res faciles et d'utilisation ais�e mais laissant sans r�ponses nombre de questions ; s'ils sont plus vari�s et plus riches, donc plus complexes, leur choix ad�quat requiert du discernement et leur utilisation, moins imm�diate, demande application et patience. La difficult� � trouver une information dans un dictionnaire, surtout dans une version imprim�e de celui-ci, �tant susceptible de cro�tre avec la probabilit� qu'elle y figure, ces r�pertoires deviennent d'autant plus �litistes que leur mati�re s'enrichit et que le traitement de celle-ci s'affine : attestant simultan�ment de la vitalit� des idiomes dont ils traitent et de l'attachement que vouent � ceux-ci certains locuteurs, mais se d�sancrant ipso facto du r�le utilitaire qui est au principe de cette classe d'ouvrages, ils tendent alors � trouver leur fin dans leur propre d�veloppement, ce qui les pr�dispose � �tre salu�s comme des oeuvres dont le nom s'inscrira dans la liste des monuments de la lexicographie � c�t� d'autres produits de l'esprit s�lectionn�s pour l'admiration et l'ex�g�se, en m�me temps que se restreint le nombre de ceux qui, �tant dispos�s � assumer le co�t de leur acquisition et les efforts requis par leur consultation, peuvent assez ma�triser celle-ci pour en tirer profit.
Un rem�de humaniste � ce paradoxe d'une production dictionnairique d'autant moins accessible qu'elle enrichit son contenu informationnel et, partant, qu'elle est susceptible de rendre davantage de services pourrait �tre une �ducation scolaire suivie aux bienfaits de la consultation r�guli�re des dictionnaires, tout au long de la vie, pour la construction et la consolidation d'un rapport intime de chacun avec son propre idiome et son ouverture � d'autres idiomes, accompagn�e d'une formation pratique m�thodique et suffisamment approfondie � cette consultation pour que celle-ci puisse s'effectuer judicieusement, avec aisance et efficacit�. Sans un soutien appropri� de cette nature, on ne peut que s'attendre � voir les locuteurs, m�me cultiv�s, comprendre ce qu'ils peuvent dans des dictionnaires �rudits trop complexes pour eux ou se d�tourner de ceux-ci pour des r�pertoires plus frustes et in�galement recommandables mais dont la modestie des ambitions facilite la consultation, la gratuit� d'acc�s � un certain nombre d'entre eux sur Internet jouant n�cessairement en leur faveur.
On peut envisager, cependant, que l'�volution technologique permette de concilier raffinement des contenus et simplicit� d'emploi, par une personnalisation tr�s �labor�e des modes de consultation sur �cran. Telle �tait la vision du � dictionnaire du futur � pr�sent�e, il y a douze ans d�j�, par la lexicographe britannique Sue Atkins dans une communication au congr�s de G�teborg de l'association europ�enne de lexicographie EURALEX r�imprim�e six ans plus tard dans un livre d'hommages (Atkins 2002). Dans l'environnement lexicographique plurilingue qu'elle imaginait (� 2), le lexique de chaque langue prise en compte ferait l'objet d'une description fouill�e stock�e dans une base de donn�es, en respect d'un m�me cadre th�orique afin d'�tablir des liens hypertextuels entre les diff�rentes bases et de permettre la comparaison des langues. De cet ensemble � r�el � de bases de donn�es lexicographiques de r�f�rence structur�es linguistiquement en thesaurus �manerait, selon les souhaits des consultants, une pluralit� de dictionnaires � virtuels � ? monolingues, bilingues ou bilingualis�s ? dont la m�talangue, parfaitement explicite et d�pourvue de codifications, serait choisie par eux et qu'ils pourraient consulter � leur gr� soit pour des recherches ponctuelles, soit pour approfondir � loisir leurs connaissances concernant une langue ou les ressemblances et diff�rences entre langues, notamment par l'acc�s � de nombreuses occurrences en corpus. Pour sa promotrice, cet environnement lexicographique in�dit de grande ampleur qui ferait de la consultation des dictionnaires un plaisir et dont la palette d'utilisations possibles s'�tendrait du plus utilitaire au plus culturel �tait linguistiquement et technologiquement r�alisable, mais se heurtait � l'obstacle du financement des moyens exceptionnels que son �laboration n�cessiterait.
Douze ans plus tard, le r�ve de Sue Atkins attend encore son financier, en d�pit de l'universalit� de la langue anglaise. Quant � la lexicographie fran�aise, toujours domin�e par l'imprim�, il est � craindre qu'elle soit engag�e, au moins pour ce qui concerne sa composante monolingue qui sera seule envisag�e ici, dans une travers�e du d�sert dont l'issue ne se laisse pas discerner et qu'au trompe-l'oeil de ce que Pruvost (2006 : 83 - 92) a d�crit comme son � demi-si�cle d'or � (1950 - 1994) succ�de une phase r�cessive marqu�e par le r�tr�cissement de l'offre et la m�diocrit� de la demande.
Divers indices, qui seront expos�s plus loin, semblent en effet indiquer une atonie durable du march� fran�ais des dictionnaires en d�pit de coups d'�clat commerciaux isol�s : il y a dix ans d�j�, on pouvait percevoir un essoufflement de l'innovation dictionnairique, qui perdure malgr� quelques soubresauts. Les causes, pour autant qu'on les discerne, en apparaissent complexes et la situation actuelle pourrait �tre la r�sultante d'un processus de d�sajustement de l'offre et de la demande ob�issant � plusieurs param�tres qui trouverait son commencement au d�but m�me du � demi-si�cle d'or �, ce dont la conjugaison du prestige des ouvrages phares de cette p�riode et de succ�s commerciaux compensant suffisamment les �checs aurait contribu� � retarder la perception.
Toute p�riodisation est � la fois une construction intellectuelle, dont on ne peut gu�re faire l'�conomie, qui, sur la base d'un choix de crit�res plus ou moins explicit�s, discerne des rep�res qui aident � penser le flux historique, et un coup de force qui, s'il trouve des �chos, fixe l'interpr�tation de celui-ci en une doxa dont la pseudo-�vidence fait obstacle � d'autres d�coupages. Les familiers de l'histoire r�cente de la lexicographie g�n�rale monolingue fran�aise discernent bien ce que Jean Pruvost a voulu enserrer entre les bornes qui d�limitent son � demi-si�cle d'or � : un ensemble de r�pertoires remarquables par divers traits combinables sans �tre partag�s par tous les ouvrages envisag�s, au premier rang desquels figurent des dimensions importantes, une couverture culturelle et patrimoniale ambitieuse, des co�ts �lev�s, l'influence de th�ories linguistiques et la mise en oeuvre de concepts dictionnairiques et de dispositifs textuels originaux ? toutes propri�t�s qui peuvent avoir jou� un r�le � la fois dans la notori�t� des ouvrages parmi ceux qui s'int�ressent aux dictionnaires et dans les modulations tr�s variables de leur succ�s public. Mais, par rapport aux dates rep�res propos�es, dont la premi�re (1950), qui n'est que la marque du milieu du si�cle sans corr�lat dictionnairique pr�cis, vise assur�ment � englober les d�buts de la parution en volumes de la premi�re �dition du Grand Robert (1953) alors que la seconde (1994) co�ncide avec celle du dernier tome du Tr�sor de la langue fran�aise, la p�riodisation peut �tre sensiblement affin�e et relativis�e si d'une part on r�f�re les bornes initiale et finale � des crit�res identiques et si d'autre part on interpr�te de fa�on raisonn�e les traits h�t�rog�nes pr�c�demment mentionn�s pour fixer des limites chronologiques � la production d'ensembles coh�rents d'ouvrages partageant des propri�t�s qui �clairent les orientations de l'�dition et les r�actions du public. C'est sur la base de cette circonscription plus pr�cise d'une �poque de la lexicographie monolingue fran�aise commun�ment appr�ci�e comme prestigieuse que l'on pourra commencer � y rep�rer diverses pr�figurations de sa configuration actuelle.
Une premi�re fa�on de p�riodiser est de s'appuyer sur la date de parution des ouvrages. Pour ceux en plusieurs volumes dont la publication est �chelonn�e, on peut alors prendre en compte soit l'ann�e du d�but de celle-ci, soit celle de son ach�vement, qui sont toutes deux int�ressantes mais ne correspondent ni aux m�mes dispositions d'achat (une souscription �tant plus insensible dans un budget qu'une acquisition � �ch�ance pour les ouvrages chers), ni au m�me contexte �ditorial de mise des dictionnaires sur le march� : en 1964, si l'on disposait de quelque argent, on pouvait songer � acheter le Grand Larousse encyclop�dique en dix volumes ou le Dictionnaire alphab�tique et analogique de la langue fran�aise de Paul Robert, tous deux achev�s cette ann�e-l�, mais, onze ans plus t�t, on n'aurait pu souscrire qu'� ce dernier ouvrage, dont paraissait le premier tome, alors que la publication du dictionnaire Larousse, plus concentr�e, ne d�buta qu'en 1960 ; � l'inverse, 1971 vit la concurrence des souscriptions au Tr�sor de la langue fran�aise et au Grand Larousse de la langue fran�aise, mais les souscripteurs de celui-ci jouirent de leur collection compl�te seize ans avant ceux de celui-l�, qui finit de para�tre dans un environnement �ditorial diff�rent, d'o� le dictionnaire Larousse avait disparu mais dans lequel figurait, depuis 1985, la deuxi�me �dition du Grand Robert de la langue fran�aise.
Cette distinction des moments initial et terminal d'une �dition a pour effet sur la p�riodisation en question que, si l'on retient la date de publication compl�te des dictionnaires multivolumes, ad�quate pour saisir les ouvrages qui sont en concurrence effective sur un march� donn�, le � demi-si�cle d'or � n'aura dur� que 30 ans, de 1964 � 1994, alors que, sur la base du d�but de leur publication, plus pertinente pour appr�cier les options des �diteurs, son ancrage est ant�rieur (1953) et sa dur�e plus incertaine, selon le choix de l'ouvrage que l'on prendra comme terme, qui d�pendra des crit�res retenus : 29 ans si c'est 1982, avec le Robert m�thodique et le Grand dictionnaire encyclop�dique Larousse, 32 en int�grant la refonte du Grand Robert de la langue fran�aise, 35 ou 36 si l'on pousse jusqu'au Petit Robert des enfants et au tr�s renouvel� Petit Larousse illustr� 1989 (1988), voire au Robert oral-�crit (1989) ou au Robert �lectronique, disque optique pionnier (1989), 39 si, sur la base de son retentissement, on s'autorise � agglom�rer aux dictionnaires g�n�raux le Dictionnaire historique de la langue fran�aise dirig� par Alain Rey (1992), et m�me 40 si l'on inclut le Nouveau Petit Robert de 1993, sur lequel reposent les versions actuelles.
Une autre mani�re de p�riodiser, particuli�rement int�ressante pour l'histoire des projets dictionnairiques mais dans certains cas difficile � mettre en oeuvre avec pr�cision, serait de retenir l'origine de ceux-ci et le d�but de leur concr�tisation. Sur une telle base, qui fait remonter le Tr�sor de la langue fran�aise � la fin des ann�es cinquante avec comme rep�re symbolique le colloque pr�figurant sa mise en route (Collectif 1961), le � demi-si�cle d'or � pourrait avoir d�but� en 1945, ann�e que Paul Robert retint comme point de d�part de son dictionnaire, et dur� une quarantaine d'ann�es si l'on prend comme terme le Dictionnaire culturel en langue fran�aise, paru en 2005 seulement, mais engag� par Alain Rey d�s le d�but des ann�es quatre-vingt-dix, dans l'�lan de son Dictionnaire historique de la langue fran�aise, et con�u sans nul doute assez ant�rieurement.
Pour tenter de comprendre les modalit�s et les rythmes d'une �volution qui a men� d'un proche pass� entreprenant et riche de r�alisations originales mais aux limites chronologiques incertaines � un pr�sent inquiet et prudent, il convient de distinguer, dans l'ensemble flou et composite dont la notion intuitive de � demi-si�cle d'or � suscite l'�vocation, des sous-ensembles d'ouvrages partageant des propri�t�s qui tout � la fois peuvent avoir contribu� � leur aura et limit� leur succ�s. Une partition op�ratoire semble �tre celle qui distingue d'une part les tr�s grands ouvrages multivolumes qui avaient vocation � servir de r�f�rences mais dont le prix et l'encombrement pouvaient �tre dissuasifs, et d'autre part des r�pertoires plus r�duits de divers types qui ont exp�riment� des formules nouvelles avec des fortunes variables.
S'est-on jamais avis� qu'en � peine plus de trois d�cennies on a propos� � la population fran�aise d'acheter huit collections dictionnairiques multivolumes de r�f�rence, quatre "de langue" et quatre "encyclop�diques", soit en moyenne une tous les quatre ans et demi, dont deux �taient des refontes d'ouvrages ant�rieurs et trois autres des refontes de r�pertoires publi�s dans l'intervalle consid�r� ? Soit, dans l'ordre de parution de leur premier volume : le Dictionnaire alphab�tique et analogique de la langue fran�aise (6 vol., 1953 - 1964), le Grand Larousse encyclop�dique (10 vol., 1960 - 1964, refonte du Larousse du XXe si�cle en 6 vol. de 1928 - 1933), le Dictionnaire encyclop�dique Quillet (8 vol., 1968 - 1970, refonte de l'�dition en 6 vol. de 1953), le Grand Larousse de la langue fran�aise (7 vol., 1971 - 1978), le Tr�sor de la langue fran�aise (16 vol., 1971 - 1994), le Dictionnaire encyclop�dique Quillet (10 vol., 1977, refonte de l'�dition de 1968 - 1970), le Grand dictionnaire encyclop�dique Larousse (10 vol.24, 1982 - 1985, refonte du Grand Larousse encyclop�dique de 1960 - 1964) et le Grand Robert de la langue fran�aise (9 vol., 1985, refonte du Dictionnaire alphab�tique et analogique de la langue fran�aise de 1953 - 1964). Avec la concentration, dans une p�riode aussi ramass�e, de cinq sommes de connaissances (trois "de langue" et deux "encyclop�diques") fonci�rement diff�rentes (compte non tenu des trois refontes les plus r�centes), l'importance patrimoniale de l'activit� lexicographique monolingue �tait assez manifeste pour qu'un observateur �tranger expert v�t dans la France le � pays du dictionnaire � (Hausmann 1985 : 36), l'ann�e m�me o� la nouvelle �dition du Grand Robert de la langue fran�aise venait clore une s�rie globalement prestigieuse (m�me si, toute appr�ciation qualitative r�serv�e, les dictionnaires Quillet ne jouissent pas de la m�me cote symbolique que les Larousse, les Robert et le Tr�sor de la langue fran�aise).
Cependant, si la plupart de ces dictionnaires ont gagn� leur place dans l'histoire des ouvrages marquants de la lexicographie fran�aise, qu'en a-t-il �t� de leur succ�s public et de leur fortune commerciale ? M�me sans disposer de donn�es suffisantes pour fournir une vue pr�cise et significative de leurs ventes et de leurs publics respectifs, il semble possible, par le raisonnement et divers recoupements, d'avancer qu'il �tait d�j� difficile pour la demande d'�tre au diapason d'une offre dont le prix de revient �tait tr�s �lev�, et qui ne pouvait �tre rentable que si l'on parvenait � toucher assez rapidement, outre ceux qui pourraient avoir un usage effectif et raisonnablement ma�tris� de certains des ouvrages, une fraction suffisante de ceux qui, faute de besoin ou de comp�tence, ne rentabiliseraient pas leur investissement par l'utilisation qu'ils feraient des r�pertoires acquis mais que leurs valeurs et leurs croyances, stimul�es par les discours publicitaires, pr�disposaient � consid�rer leur possession comme b�n�fique � un titre ou un autre (culturel, �ducatif, symbolique?). Divers indices sugg�rent en effet que la riche production de dictionnaires de r�f�rence concentr�e entre 1953 et 1985, dont l'abondance m�me et la concentration dans le temps limitaient le potentiel commercial de chacun, pourrait �tre le bouquet final d'une �poque qui commen�ait � �tre r�volue avant m�me que l'informatique ne v�nt modifier les rapports des individus aux sources de connaissances :
�tait-ce cher, plusieurs milliers de francs, pour un grand dictionnaire de r�f�rence ? En valeur absolue un dictionnaire est rarement cher au regard du nombre de ses caract�res et de la quantit� d'informations qu'il comporte, mais qui �value les choses de cette fa�on ? Chacun d�termine, en fonction de ce qu'il est, de ses revenus et de ses valeurs, quel prix est on�reux pour un dictionnaire, un voyage, un bijou, un v�tement ou toute autre chose. Un certain temps les grands dictionnaires constitu�rent un bien pr�cieux, pratiquement et symboliquement, auquel on souscrivait, en particulier aupr�s de courtiers, �ventuellement en restreignant d'autres d�penses, parce que ce serait utile pour les �tudes des enfants ou que cela agr�menterait un rayonnage de biblioth�que. Puis la soci�t� �volua, les tentations se multipli�rent, les valeurs chang�rent et les sources de connaissances se diversifi�rent : les grands dictionnaires devinrent moins pr�cieux et le courtage p�riclita. Ce fut � la fin du XXe si�cle. Verra-t-on encore para�tre de grands dictionnaires imprim�s ? Il y a d�j� un quart de si�cle, Bernard Quemada pr�disait leur disparition, pour une pluralit� de raisons convergentes : l'histoire semble lui donner raison, mais le recul n'est peut-�tre pas suffisant.
Dans la deuxi�me moiti� du vingti�me si�cle, la lexicographie g�n�rale monolingue fran�aise fut aussi marqu�e par diverses innovations, concentr�es sur 24 ans (de 1966 � 1989) et distribuables en deux s�quences successives, qui affect�rent, au titre du traitement privil�gi� de certaines caract�ristiques du lexique, l'organisation de dictionnaires de dimensions plus modestes que les grandes sommes de r�f�rence qui viennent d'�tre �voqu�es. Ce n'est pas, d'ailleurs, que certaines de celles-ci n'aient pas attach� un int�r�t sp�cifique � des propri�t�s linguistiques particuli�res des mots : on peut penser notamment � la mise en �vidence de leur r�seau lexical dans le Dictionnaire alphab�tique et analogique de la langue fran�aise, qui, r�percut�e d'ouvrage en ouvrage, est devenue la marque de fabrique des dictionnaires Robert ; ou encore au traitement de la construction des verbes dans le Grand dictionnaire encyclop�dique Larousse, qui re�ut le renfort actif de Maurice Gross et de son �quipe. Mais ces enrichissements du contenu de ces r�pertoires, s'ils contribuaient � complexifier leurs articles, se fondaient dans ceux-ci sans remettre fonci�rement en cause leur classement et leur organisation, qui demeuraient classiques. Les dictionnaires dont il est question ici, dont beaucoup �taient destin�s � soutenir l'apprentissage du fran�ais, perturb�rent davantage celui-l� et/ou celle-ci, ce qui put �tre un facteur de notori�t� comme de manque de succ�s (y compris pour un m�me ouvrage) :
Ces diff�rents ouvrages eurent une carri�re contrast�e. � la fois manifestation et instrument du mouvement d'application de la linguistique � l'enseignement du fran�ais des ann�es soixante et soixante-dix, le Dictionnaire du fran�ais contemporain, qui acquit une r�elle notori�t� et suscita l'int�r�t de m�talexicographes et de linguistes, fit l'objet d'une nouvelle �dition augment�e � 33 000 mots et enrichie d'illustrations en 1980 (le Dictionnaire du fran�ais contemporain illustr�), mais l'absorption de Larousse dans CEP Communication arr�ta sa carri�re avec la restauration d'une structuration alphab�tique int�grale dans la refonte qui parut en 1986 sous le titre de Dictionnaire du fran�ais au coll�ge. Si le Dictionnaire du fran�ais langue �trang�re n'eut pas de suite en France et si le Pluridictionnaire fut remplac� en 1993 par le Dictionnaire g�n�ral pour la ma�trise de la langue fran�aise, la culture classique et contemporaine, d'organisation traditionnelle, le Nouveau Larousse des d�butants et le Lexis se sont, eux, p�rennis�s jusqu'aujourd'hui, le premier ayant m�me connu, sous le nom de Maxi d�butants, deux refontes importantes en 1986 et 1997, alors que le second, objet, depuis 1979, de divers retirages mais seulement d'une r�vision l�g�re r�cente (2002), n'a pas b�n�fici� du suivi continu qui lui aurait permis de demeurer un r�pertoire actuel au regard de l'ampleur de son lexique sp�cialis�. Le maintien du Maxi d�butants dans un catalogue o�, depuis 2003, il est en concurrence avec le Larousse junior destin� au m�me public peut s'expliquer � la fois par ses regroupements lexicaux, am�nag�s en 1997 pour devenir compatibles avec l'ordre alphab�tique, et par le mod�le didactique de la grande majorit� de ses articles, dont les exemples glos�s contrastent avec les d�finitions exemplifi�es de son concurrent interne, ce qui renvoie � deux conceptions diff�rentes des apprentissages lexicaux et des rapports des enfants d'�ge scolaire � l'abstraction. En revanche, on peut se demander si la conservation du Lexis, vestige unique et vieillissant des nomenclatures d�salphab�tis�es dont l'ampleur accro�t l'incommodit� de consultation, est autre chose qu'un moyen symbolique non co�teux de ne pas abandonner au Nouveau Petit Robert le monopole du grand dictionnaire monovolume "de langue".
Les trois nouveaut�s des ann�es quatre-vingt eurent chacune une finalit� didactique sp�cifique. Celle du Robert m�thodique, publi� en 1982, �tait de d�crire la structure des mots complexes du fran�ais : prenant comme matrice le Micro Robert, dont il conservait le principe des regroupements de mots compatibles avec la pr�servation de l'ordre alphab�tique (cf. supra n. 58), il se pr�sentait comme une version retravaill�e et enrichie de celui-ci, qui, en application d'une m�thode distributionnelle de segmentation, fournissait en outre, pour chaque mot pour lequel c'�tait jug� pertinent, sa d�composition en �l�ments de formation, chacun de ceux-ci, au nombre de 1 730, faisant lui-m�me l'objet d'un article int�gr� dans la nomenclature g�n�rale. Si le Robert m�thodique innovait par la sp�cificit� de son propos, il en alla autrement, six ans plus tard, pour le Petit Robert des enfants, qui arriva tardivement sur un march� des dictionnaires pour l'�cole �l�mentaire investi successivement depuis une d�cennie par Larousse, Hachette, Nathan et Bordas et o� �tait en train de s'op�rer la partition entre les ouvrages destin�s aux �l�ves des actuels cycles 2 et 3 : par rapport � cette production d�j� standardis�e, le Petit Robert des enfants, qui optait, lui aussi, pour des regroupements raisonn�s de mots apparent�s, trancha par diverses sp�cificit�s textuelles (utilisation de d�finitions phrastiques, exemples forg�s r�f�r�s � un univers fictionnel r�current, citations provenant de la litt�rature enfantine, recours aux rimes dans les indications de prononciation) et par l'originalit� d'une maquette qui distribuait dans les marges lat�rales diff�rents composants des articles sous forme de nombreux modules autonomes noirs ou bleus, ce qui impliquait un format plus grand que celui des r�pertoires concurrents. Le bleu et le noir furent �galement utilis�s en 1989 pour afficher contrastivement les deux niveaux d'adressage du Robert oral-�crit, con�u par Dominique Taulelle pour la didactique de l'orthographe et qui, � cette fin, subordonnait les diverses adresses graphiques de chaque ensemble d'homophones (qui incluaient des formes fl�chies) � une adresse transcrivant leur prononciation commune au moyen d'un alphabet phon�tique am�nag�.
Ces trois dictionnaires originaux, int�ressants dans leur principe et riches, chacun � sa mani�re, d'informations qui ne se trouvaient pas ailleurs, ne compt�rent pas parmi les succ�s de leur �diteur. Aux dires m�mes de sa conceptrice, Josette Rey-Debove, Le Robert m�thodique, qui ne s�duisit pas le public fran�ais, et notamment les enseignants, qui auraient pu en �tre le relais, n'a b�n�fici� d'une �dition refondue en 2004 avec pour titre Le Robert brio qu'en raison du meilleur succ�s qu'il aurait connu en Suisse, o� cette deuxi�me �dition parut d'ailleurs d�s 2003 sans perdre son nom d'origine. Le Petit Robert des enfants, en d�pit d'un restylage sous le titre de Robert des jeunes en 1991 qui affecta principalement les dossiers hors texte, dut c�der la place en 1993 au Robert junior illustr�, conforme au standard du march�, sur lequel il est rest� pr�sent depuis. Quant au Robert oral-�crit, il disparut rapidement du catalogue de son �diteur sans conna�tre de deuxi�me chance.
� d�faut d'explications assur�es, on peut faire diverses hypoth�ses sur les raisons de ces m�ventes. La premi�re pourrait �tre simplement �conomique : sur tout march�, pour que certains produits r�ussissent, il faut que d'autres �chouent, et peut-�tre la demande globale �tait-elle trop satur�e pour que ces dictionnaires aient eu leur chance au moment o� ils parurent. D'autres motifs, cependant, viennent � l'esprit :
Par ses grandes r�alisations compilatoires comme par ses exp�rimentations linguistiques et textuelles, la lexicographie fran�aise de la fin du si�cle �coul� a produit, en diff�rentes s�quences selon les types d'ouvrages, une palette de dictionnaires g�n�raux monolingues dont l'histoire de ce genre documentaire a gard� la m�moire. Mais le public ne fut pas suffisamment au rendez-vous de cette offre foisonnante et les gestionnaires des �diteurs sp�cialis�s en tir�rent les conclusions en tendant � se recentrer sur des formules suppos�es �prouv�es tout en misant davantage sur le marketing, avec des r�sultats d'ailleurs tr�s contrast�s, tandis que, dans le m�me temps, l'�tat se d�sinvestissait des grands travaux dictionnairiques de prestige. � divers �gards, les ann�es qui ont donn� son lustre � la lexicographie monolingue fran�aise dans la deuxi�me moiti� du XXe si�cle peuvent donc appara�tre comme une p�riode d'exception, rendue possible par la concomitance et la synergie de facteurs �conomiques, culturels et humains, qui aura probablement �t� le cr�puscule des sommes imprim�es multivolumes tout en constituant une parenth�se intellectuelle, sous l'influence notamment de la linguistique conqu�rante de l'�poque "structurale", dans un flux plus modestement utilitaire qui semble avoir repris son cours depuis que le � demi-si�cle d'or � s'est dissous dans des probl�mes d'argent.
Aujourd'hui, en effet, l'observateur peut avoir le sentiment que le march� dictionnairique fran�ais est engag� dans une dynamique n�gative, entre une offre domin�e par des principes gestionnaires s�v�res et une demande �volutive et difficile � saisir, dans un contexte o� la part relative de la "r�f�rence" diminue r�guli�rement par rapport � celle d'autres secteurs de la librairie.
L'offre de dictionnaires g�n�raux monolingues appara�t encore assez diversifi�e dans les catalogues des maisons d'�dition : autour de 25 r�f�rences pour Larousse, une quinzaine pour Le Robert, un peu moins de 10 pour Hachette et quelques autres r�pertoires r�partis entre plusieurs �diteurs non sp�cialis�s, on atteint la soixantaine d'ouvrages et ce n'est pas n�gligeable. Cependant, par le jeu des variations de format et de conditionnement, des changements de support, des r�emplois de contenus et des d�rivations, la diversit� dictionnairique effective est moins importante.
Les grands travaux dispendieux et les innovations d�routantes ont fait place � une lexicographie de gestion et de maintenance. Les compressions d'effectifs tendent vers une limitation des personnels permanents au minimum n�cessaire pour g�rer les projets, les t�ches r�dactionnelles �tant souvent confi�es � des r�dacteurs externes, parmi lesquels les stagiaires ne sont pas quantit� n�gligeable, ce qui ne peut qu'entra�ner une d�perdition dans la transmission des savoirs et des savoir-faire. La documentation, quand elle n'est pas simplement laiss�e � la charge de contributeurs temporaires, associe aux d�pouillements classiques la glane sur Internet et l'utilisation de ressources �lectroniques toutes pr�tes mais non �chantillonn�es (archives de presse), et elle ignore la constitution de corpus de r�f�rence � la mani�re anglaise, l'obstacle du co�t pouvant parfois trouver un renfort dans les r�ticences tenaces de lexicographes notoires. L'informatique �ditoriale permet des gains de productivit�, par la facilitation du montage de contenus pr�existants, la r�duction du temps de r�daction, la variation � volont� de l'affichage d'un m�me ouvrage et l'internalisation de la mise en page qu'elle rend possibles. Corr�lativement, les entreprises majeures peuvent d�ployer des efforts mercatiques importants, affectant soit les produits eux-m�mes, par le renouvellement fr�quent de leurs couvertures, le changement, non exceptionnel, de leur titre ou le recours, pour leur habillage, � des graphistes c�l�bres, pour des �ditions sp�ciales ou des cr�ations et avec des r�ussites variables, soit leur commercialisation proprement dite, par des mises en place spectaculaires, la c�l�bration d'�v�nements exceptionnels (changement de mill�naire, anniversaires), l'extension des mill�simages ou le recours � des personnalit�s pour des campagnes publicitaires.
Dans ce contexte, on observe un lissage de l'offre, domin�e par l'entretien plus ou moins r�gulier de mod�les qui ont fait leurs preuves marchandes, et dans laquelle le tr�s haut de gamme a grandement baiss� pavillon. Pour les dictionnaires "de langue", tandis qu'on solde les derniers exemplaires imprim�s de la version en 6 volumes du Grand Robert de la langue fran�aise parue en 2001, encore vendu en �dition �lectronique, et que, dans le secteur non commercial, la � deuxi�me vie � que conna�t le Tr�sor de la langue fran�aise � travers le nombre de ses consultations en ligne et les ventes de son CD-ROM ne conf�re pas une nouvelle jeunesse � son contenu textuel, les 4 volumes du Dictionnaire culturel en langue fran�aise de 2005, version all�g�e du Grand Robert assortie d'environ 1 300 articles lexico-culturels originaux hors texte qui rapporte quelques b�n�fices apr�s une gestation longue et co�teuse, constituent le sommet de l'offre r�cente. Quant aux dictionnaires identifi�s comme "encyclop�diques", ils plafonnent d�sormais au niveau d'une nomenclature de Petit Larousse (87 000 articles) enrichie de d�veloppements non m�talinguistiques et de sp�cificit�s iconographiques avec le Grand Larousse encyclop�dique en 2 volumes, avatar d�technologis� et au prix ajust� (75 ?), en 2007, des 3 volumes du Grand Larousse illustr� de 2005 (accompagn�s alors d'un CD-ROM et, en option, d'un stylo multim�dia permettant d'effectuer des recherches compl�mentaires sur Internet � partir du texte imprim�), dont l'�chec commercial fut principalement imput� � un prix initial trop �lev� (180 ou 250 ? selon la version). L'effet inattendu et paradoxal de cette situation est que, avec un concept tr�s diff�rent et � un prix plus �lev� (118 ?), le couple constitu� par le Nouveau Petit Robert et le Robert encyclop�dique des noms propres, susceptibles d'�tre vendus conjointement en coffret, constitue d�sormais, avec ses 100 000 items, le dictionnaire "encyclop�dique" imprim� le plus consistant, mais il n'est pas assur� qu'il soit per�u comme tel et le volume des noms propres ne passe pas pour un succ�s de librairie.
Dans un march� dor�navant presque limit� aux dictionnaires en un volume, o� Larousse et Le Robert investissent avant tout, de diverses fa�ons, dans la promotion des produits phares ? Petit Larousse et Petit Robert ? qui constituent leur socle (cf. supra) et comme tels continuent � faire partie du petit nombre des r�pertoires qui existent aussi sur disque optique, l'examen du catalogue restreint de Hachette, �diteur dictionnairique de deuxi�me importance qui pratique une politique de prix bas appuy�e sur la r�duction des co�ts de r�daction comme de communication et sur une ma�trise �tablie de la distribution, signale des segments sur lesquels il est int�ressant d'�tre pr�sent de fa�on continue : le dictionnaire de r�f�rence, ici en version "encyclop�dique" (Dictionnaire Hachette, refondu pour 2002 ? sans CD-ROM, � la diff�rence de l'�dition ant�rieure ? et actualis� chaque ann�e), les utilitaires portatifs (Dictionnaire Hachette encyclop�dique de poche, Dictionnaire Hachette de la langue fran�aise mini) et les r�pertoires pour l'�cole primaire (Dictionnaire Hachette junior et Dictionnaire Hachette benjamin), qui changent plus souvent de livr�e que de contenu. La concurrence est effectivement maximale sur ces deux derniers cr�neaux, o� Larousse et Le Robert sont �galement pr�sents et dont le second est aussi investi par plusieurs �diteurs sp�cialis�s dans les publications pour la jeunesse p�dagogiques ou de loisirs. En revanche, l'offre de milieu de gamme, qui semble �tre le segment le moins assur� des catalogues, n'�mane durablement que des deux �diteurs majeurs, avec un public cible bien d�fini ? les coll�giens ? et d'autres plus ouverts ou incertains, pouvant induire des d�convenues commerciales en d�pit du caract�re conventionnel des ouvrages.
La linguistique ne p�se plus gu�re dans la lexicographie de montage et d'entretien actuelle. Les r�pertoires survivants de l'�poque o� elle avait le vent en poupe (Lexis, Maxi d�butants, Robert brio) perp�tuent les mod�les d'alors, et les innovations, con�ues en dehors des entreprises majeures, connaissent � leur tour l'insucc�s commercial, comme le peu manipulable Dictionnaire du fran�ais usuel de Jacqueline Picoche & Jean-Claude Rolland, paru en Belgique en 2002 � destination des apprenants �trangers, ou res-tent � l'�tat de chantiers universitaires suggestifs mais inachev�s, comme le Dictionnaire explicatif et combinatoire du fran�ais contemporain con�u par Igor Mel'?uk et son avatar r�cent d�nomm� Lexique actif du fran�ais (Mel'?uk & Polgu�re 2007) au Qu�bec ou le DAFLES en Belgique (d�sormais int�gr� dans une � Base lexicale du fran�ais �, portail de ressources et de liens � vis�e didactique).
La lexicographie monolingue g�n�rale fran�aise vivote donc en g�rant l'existant, peut-�tre davantage dans la crainte de nouveaux replis que dans l'espoir de lendemains rass�r�nants, en d�pit de coups de coeur ponctuels d'une partie du public pour des "�v�nements" dictionnairiques bien orchestr�s comme le Petit Larousse du centenaire (mill�sime 2005) ou le Dictionnaire culturel en langue fran�aise, qui ne suffisent pas n�cessairement � compenser les d�convenues, ce dont t�moigne la reprise en main �ditoriale de Larousse au sein d'Hachette-Livre sous la f�rule d'Isabelle Jeuge-Maynart en 2006 afin d'endiguer les mauvais r�sultats commerciaux. Mais, si ses gestionnaires ont tir� les le�ons du pass� en d�laissant l'exp�rimentation � risque et en concentrant leur offre dans une palette de r�pertoires moins ouverte et une �chelle de prix plus restreinte, le march� propose encore, en l'�tat, un large choix d'ouvrages pour divers usages et diverses comp�tences, globalement assez bien tenus � jour, et qui, dans les catalogues des �diteurs majeurs, riches d'une longue exp�rience et d'un important fonds documentaire et textuel, s'organisent en gammes qui, � d�faut de ne proposer que des produits nettement diff�renci�s (cf. supra � 3.1), les �chelonnent de fa�on coh�rente. Cette offre serait-elle encore trop importante pour la demande ?
L'hypoth�se n'est pas � exclure. Apr�s tout, vendre chaque ann�e en grand nombre un Petit Larousse ou un Petit Robert qui, pour l'essentiel et nonobstant l'actualisation de rigueur, n'a de neuf que son mill�sime, rel�ve d'une sorte d'exploit dans un environnement dans lequel la concurrence de multiples biens de consommation (cf. supra � 2.2.1) ne peut que r�duire m�caniquement le potentiel d'attractivit� des dictionnaires et avoir une incidence sur l'�volution de leurs ventes. Et l'existence m�me de r�pertoires vedettes, enjeux majeurs pour leurs �diteurs et objets de soins destin�s � entretenir leur succ�s, pourrait avoir dans l'�dition dictionnairique, vis-�-vis d'autres titres des catalogues, un effet de nuisance du m�me ordre que celui g�n�r� par les best-sellers dans l'ensemble du commerce du livre, certains r�pertoires ne trouvant pas tout leur public potentiel faute que celui-ci, du fait d'une repr�sentation lacunaire des fonctionnalit�s diff�renci�es de dictionnaires g�n�raux de diverses natures, soit en mesure d'appr�hender l'ensemble de l'offre et de percevoir les services sp�cifiques que chaque r�pertoire serait susceptible de rendre. Si, comme l'affirment volontiers des lexicographes professionnels, la v�rification orthographique constitue le premier motif de consultation de dictionnaires, suivie par les recherches de sens, et que le reste de l'information linguistique propos�e n'est pas significativement per�u comme r�pondant � des besoins, ce sont les principes m�mes de la diversification des catalogues qui sont en situation de ne pas �tre compris. La porte est alors ouverte au choix al�atoire des dictionnaires les plus notoires, les mieux expos�s ou les moins chers, si tant est que la multiplicit� des ressources �lectroniques disponibles, des correcteurs orthographiques int�gr�s � divers logiciels aux dictionnaires en ligne gratuits de tout acabit, ne dissuade de tout achat.
Port�s par tradition � la r�v�rence vis-�-vis du dictionnaire consid�r� comme une transcendance, les Fran�ais ne sont en revanche pas nourris d'une culture lexicographique th�orique et pratique qui leur donnerait les moyens d'appr�cier � quoi correspond la pluralit� de l'offre dictionnairique, d'y prendre les rep�res les plus appropri�s et de tirer le meilleur profit de consultations efficaces, ce qui renvoie � l'�cart entre la place qui serait � faire et celle qui est faite � l'�ducation aux usages des dictionnaires dans l'enseignement (cf. supra � 1). Sans minimiser les autres facteurs qui les d�terminent, il convient donc aussi de d�finir la part du d�ficit d'attentes dans les limites actuelles de la demande de dictionnaires.
Il est � craindre que les tendances r�cessives de l'offre et de la demande de dictionnaires n'aillent s'aggravant et que leur inversion ne soit pas � attendre de l'autor�gulation du march�. Concurrenc�e par des res-sources gratuites de nature et de qualit� tr�s variables, le plus souvent sans fonctionnalit�s ajout�es, mais susceptibles de satisfaire une demande d�pourvue d'attentes fortes faute d'une �ducation et d'une culture sp�cifiques du public, la lexicographie commerciale se trouve en position d�fensive : les grands dictionnaires "encyclop�diques" d'un certain prix appartiennent au pass�, l'am�lioration effective du contenu des dictionnaires "de langue" s'effectue de fa�on trop subtile, par ajustements successifs au fil de r�visions et de d�rivations, pour constituer un argument de vente efficace, et les plus-values fonctionnelles des versions �lectroniques de certains r�pertoires n'ont pas suffi � cr�er un march� porteur. Comment, d�s lors, l'offre priv�e, pour au moins maintenir ses positions, ne concentrerait-elle pas ses efforts sur la valorisation de l'image des marques et sur une stimulation ponctuelle artificielle de la demande par le marketing plut�t que sur des investissements fonciers � moyen ou long terme aussi on�reux qu'hasardeux et dont elle n'aurait de toute fa�on probablement pas les moyens ? Rien ne permet d'envisager une �volution favorable si le noeud du probl�me r�side bien dans la qualit� de la demande. On peut toujours r�ver � un monde id�al dans lequel les pouvoirs publics, miraculeusement sensibilis�s aux vertus �ducatives des dictionnaires et � leur pouvoir th�rapeutique dans une lutte � mener contre ce qui peut appara�tre comme � la paresse, l'apathie, l'indiff�rence d'une majorit� des Fran�ais � l'�gard de leur langue � (Rey 2007 : 1318), donneraient � l'apprentissage de leur maniement une place plus affirm�e que ce que pr�voient aujourd'hui les programmes et instructions scolaires afin d'am�liorer le potentiel d'expression autonome des citoyens, ce qui, par la relance de la consommation induite, aurait des r�percussions positives sur l'offre des �diteurs. Mais pour l'heure cette vision keyn�sienne d'un encadrement qui donnerait un nouveau souffle � l'�dition dictionnairique peut rejoindre le r�ve technologique de Sue Atkins au rang des utopies. Tout au plus est-il possible, par le pr�sent propos, de lui donner un mince �cho en invitant la communaut� des linguistes francophones int�ress�s par le lexique � r�fl�chir � ce qui pourrait contribuer � donner aux dictionnaires une meilleure place dans l'�panouissement de l'expression personnelle de chacun.