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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Les requérants sont nés en 1942 et 1955 respectivement, et sont d'anciens habitants de Grozny (Tchétchénie). Actuellement, le premier requérant réside en Ingouchie et la seconde requérante dans la région de Moscou.
A. Les faits
Les circonstances ayant entouré la mort des proches des requérants et l'enquête qui s'ensuivit prêtent en partie à controverse. Aussi la Cour atelle prié le Gouvernement de lui présenter une copie de l'ensemble des dossiers de l'enquête concernant ces décès. Par ailleurs, elle a demandé aux requérants de fournir des documents complémentaires à l'appui de leurs allégations.
Les observations des parties sur les circonstances des décès et les investigations qui ont suivi sont exposées dans les sections 1 et 2 ci-dessous. Les éléments soumis à la Cour sont présentés dans la partie B.
Le meurtre des proches des requérants
Le premier requérant résidait au numéro 101 de la rue Tachkalinskaïa, dans le district de Staropromyslovski, à Grozny. Après 1991, l'intéressé, d'origine ethnique ingouche, essaya de vendre sa maison et de partir parce qu'il se sentait menacé par la situation en Tchétchénie ; cependant, il ne trouva pas d'acheteur. Durant les hostilités de 1994-1996, lui et les membres de sa famille séjournèrent en Ingouchie ; à leur retour, ils découvrirent que tous leurs biens avaient été détruits ou pillés.
En novembre 1999, l'intéressé quitta Grozny à cause de la reprise des hostilités. Ses proches décidèrent de rester dans la ville pour veiller sur leurs maisons et leurs biens. Les personnes en question sont les suivantes : son frère, Khamid Khachiev (né en 1952), sa sœur Lidia Khachieva (née en 1943) et les deux fils de celle-ci, Rizvan Taïmeskhanov (né en 1977) et Anzor Taïmeskhanov (né en 1982). Khamid habitait au numéro 109 de la rue Neftianaïa (parallèle à la rue Tachkalinskaïa) et Lidia dans la maison voisine, au numéro 107.
La seconde requérante habitait le quartier de Tachkala, dans le district de Staropromyslovski. En raison des hostilités, elle quitta Grozny avec sa mère et sa sœur en octobre 1999. Son frère, Adlan Akaïev (né en 1953), resta sur place pour veiller sur leurs biens et leur maison, située au numéro 24 4-th de la ruelle de Neftianoï.
En décembre 1999, l'armée fédérale russe lança une opération en vue de la prise de contrôle de Grozny. Les combats firent rage jusqu'à la fin du mois de janvier 2000, période où les quartiers centraux de la ville finirent par tomber. La date précise à laquelle le district de Staropromyslovski fut pris par les forces fédérales est quelque peu incertaine. S'appuyant sur les informations émanant de RIA et Interfax, agences de presse de l'Etat, les requérants estiment qu'à la date du 20 janvier 2000 ce district était fermement contrôlé par les forces fédérales. Plusieurs dépositions de témoins produites par les parties indiquent que les troupes fédérales tenaient le district dès le 27 décembre 1999. Le Gouvernement réfute cette allégation et renvoie à deux témoignages – prétendument contenus dans le dossier de l'enquête pénale no 12038 – laissant entendre que, si les troupes fédérales étaient présentes dans le district dès le 1er janvier 2000, elles continuaient de se heurter à la résistance sporadique des combattants tchétchènes (boyeviki). Or, aucun témoignage de ce genre ne figure dans la copie du dossier pénal que le Gouvernement a fourni à la Cour ou n'est répertorié dans la liste de documents annexée à ce dossier.
A la fin du mois de janvier 2000, les requérants apprirent que leurs proches avaient été tués à Grozny. Le 25 janvier, le premier requérant, sa sœur Movlatkhan Bokova (née Khachieva) et Petimat (ou Fatima) Goïgova, une ancienne voisine de Grozny, se rendirent à Grozny pour en savoir plus sur l'état dans lequel se trouvaient leurs proches. Dans la cour du numéro 107 de la rue Neftianaïa, ils trouvèrent trois corps étendus qui présentaient des blessures par balle ainsi que d'autres marques ; ces cadavres étaient ceux de Lidia Khachieva et Anzor Taïmeskhanov (respectivement la sœur et le neveu du premier requérant), et de Adlan Akaïev (frère de la seconde requérante). Ce dernier tenait sa carte de directeur du département de physique de l'Institut d'enseignement de Grozny. Une poche de sa chemise contenait d'autres documents, à savoir son passeport, sa carte de chercheur à l'Institut pétrolier de Grozny et son permis de conduire. Des pièces d'identité furent également trouvées sur les deux autres corps.
Le premier requérant et les deux femmes durent rentrer en Ingouchie le jour même à cause du couvre-feu imposé à partir de 17 heures. En Ingouchie, ils informèrent la famille de Adlan Akaïev, notamment la seconde requérante, que celui-ci était décédé. Après avoir organisé le transport, ils retournèrent à Grozny le 28 janvier 2000 pour récupérer les dépouilles. Des soldats en poste à un barrage, dans le district de Staropromyslovski, les accompagnèrent au numéro 107 de la rue Neftianaïa et les aidèrent à ramasser les cadavres. Le premier requérant transporta les corps au village de Voznesenskoye, en Ingouchie, où ils furent inhumés le 29 janvier 2000.
D'après l'intéressé, les corps de ses proches portaient des traces de nombreuses blessures par arme blanche et arme à feu ainsi que des ecchymoses, et certains de leurs os étaient brisés. En ce qui concerne plus particulièrement Lidia Khachieva, on dénombrait sur son corps dix-neuf blessures par arme tranchante, ses bras et ses jambes étaient cassés et il lui manquait des dents. Quant à Anzor Taïmeskhanov, son corps présentait de multiples blessures par arme blanche et arme à feu, et sa mâchoire était brisée (paragraphe 51 ci-dessous).
Le 28 janvier 2000, la seconde requérante se rendit à Voznesenskoye et vit les dépouilles de son frère et des proches du premier requérant. Elle observa de nombreuses blessures par balle et arme blanche ainsi que des traces de coups et d'actes de torture sur le corps de son frère et les autres cadavres. Elle affirme en particulier que le corps de son frère présentait sept blessures par arme à feu (au crâne, au cœur et à l'abdomen). Le côté gauche du visage était contusionné et l'une des clavicules était brisée (paragraphe 61).
Les deux requérants déclarent qu'à ce stade ils n'ont ni appelé de médecin ni photographié les cadavres, la mort violente de leurs proches les ayant plongé dans un état de choc.
Le 2 février 2000, les autorités du village de Psedakh (Ingouchie) établirent un certificat attestant que le corps de Adlan Akaïev, rapporté du district de Staropromyslovski, à Grozny, avait été inhumé le 29 janvier 2000 dans le cimetière de la localité.
Le 9 février 2000, la seconde requérante se rendit à Grozny. Dans la cour de la maison située au numéro 107 de la rue Neftianaïa, elle ramassa des cartouches de mitrailleuse ainsi que le chapeau de son frère. Le même jour, dans une maison du voisinage, elle vit les cadavres de cinq autres personnes ; toutes avaient été abattues. Elle apprit qu'une sixième personne du même groupe, une femme dénommée Elena G., avait été blessée mais avait survécu. Elle la retrouva plus tard en Ingouchie. Elena G. l'informa que des soldats leur avait tiré dessus et qu'elle avait vu le frère de la requérante vivant pour la dernière fois dans la soirée du 19 janvier 2000.
Le 10 février 2000, le premier requérant, accompagné de sa fille et de sa sœur, retourna à Grozny dans l'espoir de retrouver son frère et son neveu, qui avaient disparu. Aidés par un habitant du quartier, ils découvrirent trois corps étendus entre des garages situés non loin. Les deux premiers étaient ceux de Khamid Khachiev et de Rizvan Taïmeskhanov, respectivement le frère et le second neveu du requérant. Le troisième corps était celui de Magomed Goïgov, un voisin. Le premier requérant photographia les cadavres. Puis il amena une voiture afin de transporter les corps de ses proches en Ingouchie, où ils furent inhumés le lendemain. Quant au corps de Goïgov, il fut récupéré par sa famille le 11 février 2000 pour être enterré.
Le premier requérant affirme que le corps de Khamid Khachiev était mutilé, que la moitié de son crâne était fracassé et que certains doigts étaient sectionnés. Quant au corps de Rizvan Taïmeskhanov, il avait été terriblement mutilé par de nombreux coups de feu (paragraphes 52 et 54 ci-dessous).
Le 10 février 2000, à la demande du premier requérant, les trois cadavres furent examinés par des agents des services du ministère de l'Intérieur à Nazran, qui constatèrent la présence de nombreuses blessures au niveau de la tête, du corps et des extrémités. L'examen se déroula dans la morgue municipale de Malgobek. Les agents en question œuvrèrent sans retirer les vêtements des cadavres, qui étaient congelés.
Le 29 avril 2000, Isit Akaïeva, mère de la seconde requérante, décéda d'une crise cardiaque à l'âge de soixante-cinq ans. Selon la requérante, sa mort a été causée par la nouvelle du décès de son seul et unique fils.
L'enquête sur les décès
Le 7 février 2000, le tribunal municipal de Malgobek (Ingouchie), certifia à la demande de la seconde requérante que le frère de celle-ci, Adlan Akaïev, était décédé le 20 janvier 2000 à Grozny. Le tribunal s'appuyait sur les déclarations de la requérante et de deux témoins, qui confirmaient que le corps avait été découvert à Grozny, dans la cour de la maison des Khachiev, qu'il présentait de nombreuses blessures par balle et qu'il avait été inhumé le 29 janvier 2000 au village de Psedakh. A la suite de cette décision, le bureau d'état civil du district de Malgobek délivra le 18 février 2000 un certificat de décès concernant le frère de la seconde requérante.
Le 14 mars 2000, le parquet municipal de Malgobek fournit au premier requérant un document attestant que le cadavre de son frère, Khamid Khachiev, avait été découvert à Grozny le 10 février 2000 et que, vu les nombreuses blessures par balle qu'il portait au niveau de la tête et du corps, l'individu en question semblait avoir eu une mort violente.
Le 7 avril 2000, le même tribunal certifia à la demande du premier requérant que Khamid Khachiev, Lidia Khachieva, Rizvan Taïmeskhanov et Anzor Taïmeskhanov étaient décédés le 19 janvier 2000 à Grozny, en Tchétchénie. La juridiction se fondait sur les déclarations du requérant et de deux témoins. Il relevait dans sa décision qu'un dossier pénal avait été ouvert et qu'une enquête était en cours (or aucun élément ne prouve qu'un dossier ait été ouvert à cette époque). A la suite de cette décision, le bureau d'état civil du district de Malgobek délivra le 19 avril 2000 des certificats de décès concernant les quatre parents du premier requérant.
Le Gouvernement a fourni une copie du dossier d'enquête no 12038, ouvert le 3 mai 2000 par le parquet municipal de Grozny, après la parution dans le journal Novaïa Gazeta, le 27 avril 2000, d'un article intitulé « La liberté ou la mort », consacré au massacre de civils perpétré le 19 janvier 2000 par la « 205e brigade », dans le quartier de Novaïa Kataïama, à Grozny. Les documents pertinents soumis par le Gouvernement sont évoqués ci-dessous, dans la partie B.
Le 27 mai 2000, le procureur militaire de l'unité no 20102 (qui correspond au quartier général des forces fédérales russes en Tchétchénie) informa le premier requérant, en réponse à sa plainte du 5 avril 2000 relative au meurtre de ses proches, qu'après examen du dossier il avait été décidé de ne pas ouvrir d'enquête pénale eu égard à l'absence de corpus delicti dans l'action des militaires fédéraux.
Le 6 juin 2000, le procureur de Malgobek fit savoir au premier requérant que le dossier pénal no 20540020, ouvert le 4 mai 2000 au sujet du décès de Rizvan Taïmeskhanov et de Khamid Khachiev, avait été transmis le 15 mai 2000 au procureur de la République d'Ingouchie.
Le 30 juin 2000, le procureur militaire général transmit au procureur militaire du Caucase du Nord une demande d'informations du Human Rights Centre Memorial concernant l'enquête sur le décès du frère de la seconde requérante.
Le 17 juillet 2000, la seconde requérante fut informée par une lettre du parquet militaire général, adressée au parquet spécial du Caucase du Nord, qu'un « parquet local » enquêtait sur le dossier relatif au décès de son frère.
Le 20 juillet 2000, le procureur militaire général, répondant à une demande de renseignements de Human Rights Watch sur la violation des droits de civils à Grozny en décembre 1999-janvier 2000, informa l'organisation non gouvernementale que les procureurs militaires enquêtaient sur une seule affaire – concernant deux femmes, l'une victime d'homicide et l'autre de blessures –, laquelle était sans rapport avec les requérants. Supervisée par le parquet militaire général, cette enquête était toujours en cours.
En septembre 2000, le parquet de Grozny joignit à l'enquête no 12038 les deux dossiers ouverts à la demande des requérants. Cette enquête fut suspendue puis rouverte à plusieurs reprises. Le dernier document figurant dans le dossier fourni par le Gouvernement est daté du 22 janvier 2003 ; il indique que le substitut du procureur de la République tchétchène a prolongé la période d'enquête jusqu'au 27 février 2003. L'enquête menée par le parquet municipal de Grozny se concentrait sur la version initiale des requérants et de tous les témoins ayant déposé, selon laquelle les meurtres avaient été perpétrés par un détachement militaire. L'enquête ne permit pas d'identifier le détachement responsable, et nul ne fut inculpé pour les crimes en cause (la partie B, ci-dessous, présente les documents contenus dans le dossier d'enquête).
En novembre 2000, le présidium de la Cour suprême de l'Ingouchie rejeta une demande de recours en supervision (protest) émanant du procureur de la République d'Ingouchie, qui souhaitait l'annulation de la décision du tribunal municipal de Malgobek du 7 février 2000. Une autre demande de recours en supervision fut formée par le vice-président de la Cour suprême de la Fédération de Russie ; le 1er octobre 2001, la juridiction suprême annula la décision en question. S'appuyant sur l'article 250 du code de procédure civile russe, selon lequel une personne qui prie un tribunal d'établir des faits ayant une portée juridique doit motiver sa demande, elle estimait que la seconde requérante n'avait pas exposé les raisons pour lesquelles elle souhaitait un « certificat légal » du décès de son frère. L'affaire fut renvoyée au tribunal municipal de Malgobek qui, le 27 novembre 2001, décida de ne pas examiner l'affaire au fond, au motif que la requérante avait négligé, par deux fois et sans raison valable, de comparaître à une audience. Pour sa part, l'intéressée affirme ne pas avoir été informée de la nouvelle procédure devant le tribunal municipal de Malgobek et ne pas avoir reçu notification des convocations.
A la fin de l'année 2002, le premier requérant saisit un tribunal de district d'Ingouchie en vue d'obtenir du ministère des Finances une indemnisation au titre des préjudices matériel et moral. Il déclara qu'en janvier 2000 quatre membres de sa famille avaient été tués par l'armée à Grozny. Il avait retrouvé les corps et les avait transportés avec beaucoup de difficultés en Ingouchie, où ils avaient été inhumés. Une enquête pénale avait été ouverte mais n'avait pas abouti à l'identification des soldats responsables. Devant le tribunal, Nikolaï G., témoin, certifia qu'il résidait dans le district de Staropromyslovski, non loin de la famille du requérant. En janvier 2000, environ un mois après que les forces fédérales eurent imposé leur mainmise sur le district, le témoin avait vu des militaires conduisant Khamid Khachiev et deux de ses neveux vers les garages. Ils marchaient devant un véhicule blindé de transport de troupes, sur la carrosserie duquel étaient assis des soldats armés. Peu après, il avait entendu des tirs d'arme automatique en provenance des garages. Il avait essayé d'y aller, mais des soldats l'avaient menacé. Nikolaï G. affirma également qu'un membre du parquet l'avait menacé en lui disant de « se taire ». D'autres personnes témoignèrent sur les circonstances dans lesquelles les défunts avaient été découverts à Grozny, transportés en Ingouchie puis enterrés, et sur l'état des corps avant l'inhumation.
Le 26 février 2003, le tribunal du district de Nazran (Ingouchie) accueillit en partie la demande du premier requérant et lui alloua une indemnisation de 675 000 roubles au titre des préjudices matériel et moral.
Le tribunal releva qu'il était de notoriété publique que le district de Staropromyslovski était fermement contrôlé par les forces fédérales russes au moment des faits et qu'il n'était pas nécessaire de le démontrer. A cette époque, seuls des soldats fédéraux pouvaient se déplacer dans la ville sur un blindé de transport des troupes et procéder à des contrôles d'identité. Le fait que Lidia Khachieva et Anzor Taïmeskhanov avaient été tués lors d'un contrôle d'identité se trouvait confirmé par la circonstance qu'ils avaient été retrouvés morts dans la cour de leur maison, des pièces d'identité à la main. Le tribunal observa par ailleurs que l'enquête, suspendue le 8 juin 2002, n'avait pas déterminé quelle était précisément l'unité militaire responsable des homicides. Puisque toutes les unités militaires étaient des organes de l'Etat, une réparation pécuniaire devait être versée par celui-ci.
Le 4 avril 2003, cette décision fut confirmée en dernier ressort par la Cour suprême de l'Ingouchie. Le 23 avril de la même année, le requérant se vit délivrer un titre exécutoire. Toutefois, la décision ne fut pas exécutée immédiatement, ce au motif, d'après le Gouvernement, que le requérant n'avait pas communiqué ses coordonnées bancaires. Le 29 décembre 2004, le requérant reçut l'intégralité de la somme qui lui avait été accordée.
Dans ses observations sur le fond, le Gouvernement déclare que les mesures d'enquête se sont poursuivies en 2003. Le 18 mars, la qualité de victime aurait été reconnue à la seconde requérante dans le cadre de la procédure pénale. Le 15 avril, des rapports médicolégaux complémentaires auraient été établis au sujet des cadavres de Khamid Khachiev et de Rizvan Taïmeskhanov (probablement sur la base des descriptions préexistantes). En outre, d'autres témoins auraient été interrogés. Or, le Gouvernement n'a fourni à la Cour aucune copie de documents attestant ces points.
Selon le Gouvernement, l'enquête dans l'affaire pénale no 12038 s'est trouvée au « point mort » parce qu'il s'est avéré impossible d'identifier des témoins oculaires des meurtres.
B. Documents fournis par les parties
Les parties ont produit de nombreux documents relatifs à l'enquête sur les meurtres. Les principales pièces pertinentes sont les suivantes :
Documents tirés du dossier d'enquête
Le Gouvernement a fourni une copie du dossier d'enquête dans l'affaire pénale no 12038, qui comporte deux volumes, ainsi que la liste des documents y figurant. Selon cette liste, le dossier contient 130 pièces, dont 88 ont été soumises à la Cour. Le 7 mars 2003, la Cour a redemandé au gouvernement russe de présenter une copie de l'intégralité du dossier. Le Gouvernement a répondu que les documents non communiqués étaient sans rapport avec les circonstances des présentes affaires.
Les principales pièces contenues dans le dossier sont les suivantes :
a) Décision d'ouvrir une enquête pénale
Le 3 mai 2000, à la suite de la parution le 27 avril 2000 d'un article intitulé « La liberté ou la mort » dans le journal Novaïa Gazeta, l'enquêteur du parquet de Grozny ouvrit sur le fondement de l'article 105, alinéas a), d), e) et j) du code pénal une enquête pénale « concernant le massacre de civils perpétré le 19 janvier 2000 par la « 205e brigade » dans le quartier de Novaïa Kataïama, à Grozny ».
b) Dépositions du premier requérant et de sa sœur
Le dossier contient de brèves déclarations factuelles du premier requérant sur le décès de ses proches et des demandes en vue de l'ouverture d'une enquête, adressées le 10 février 2000 au procureur de Malgobek et le 1er mars 2000 au président russe.
Dans de nouvelles dépositions en date du 5 mai 2000, le premier requérant et sa sœur Movlatkhan Bokova (née Khachieva) donnaient des précisions sur la découverte des corps de leurs proches. Tous deux indiquaient qu'ils s'étaient rendus à Grozny le 25 janvier 2000, en compagnie de Petimat Goïgova, leur voisine de Grozny. Dans la rue Ipronovskaïa, ils avaient rencontré Viskhan, un habitant du quartier, qui leur avait dit que leurs proches avaient été emmenés par des soldats fédéraux. Après avoir découvert les trois corps au numéro 107 de la rue Neftianaïa, ils étaient retournés dans la rue Ipronovskaïa, où ils avaient vu un groupe de soldats qui prenaient des objets dans une maison et les entassaient dans un camion. Le premier requérant avait demandé aux soldats de les aider à enlever les corps, mais l'un d'eux avait refusé ; celui-ci disait être le commandant Dima, avait environ dix-neuf ans et portait une tenue de camouflage. Le requérant ayant insisté et déclaré que sa sœur et son neveu avaient été tués, Dima lui avait répondu que les combattants avaient tué trente-deux soldats et que les meurtres étaient une mesure de représailles de leur part. Le requérant s'était emporté et avait commencé à jurer, mais l'un des soldats avait levé son arme et Movlatkhan avait avancé pour protéger son frère, puis l'avait entraîné. Le premier requérant et sa sœur certifiaient qu'ils étaient capables de reconnaître la maison et d'identifier le « commandant Dima ». Le 28 janvier, ils étaient retournés à Grozny en voiture, avaient chargé les corps avec l'aide de soldats en poste à un barrage non loin de là, et les avaient transportés en Ingouchie.
Movlatkhan Bokova déclarait également avoir lavé Lidia Khachieva avant l'inhumation et avoir vu sur son corps de nombreuses (environ vingt) blessures par balle et arme tranchante. Son bras gauche était cassé et il lui manquait des dents à l'avant. Enfin, elle attestait que la tête de Anzor Taïmeskhanov portait de nombreuses traces de coups et que sa mâchoire était brisée.
Le premier requérant et sa sœur témoignaient également au sujet de leur nouveau voyage à Grozny, le 10 février 2000. Ils déclaraient avoir revu Viskhan, lequel les avait informés que des soldats avaient entraîné leurs proches vers les garages. Ayant suivi ses indications, ils avaient retrouvé trois corps, tous congelés à même le sol et porteurs de terribles lésions à la tête. Le requérant avait photographié les corps sur place et était allé chercher une voiture. Le jour même, ils avaient transporté les cadavres en Ingouchie, où ceux-ci avaient été inhumés le lendemain, c'est-à-dire le 11 février 2000. Enfin, le requérant et sa sœur disaient avoir ramassé des cartouches, toujours en leur possession, dans la cour de la maison située au numéro 107 de la rue Neftianaïa.
c) Déposition de Raykhat Khachieva
Raykhat Khachieva, fille du premier requérant, avait accompagné son père et sa tante lors de leur déplacement à Grozny, le 10 février 2000. Dans sa déposition du 10 mai 2000, elle confirmait leurs récits concernant la découverte des corps de Khamid Khachiev, Rizvan Taïmeskhanov et Magomed Goïgov.
d) Description des corps et expertise médicolégale
Le 10 février 2000, les corps de Khamid Khachiev et de Rizvan Taïmeskhanov furent examinés à la morgue municipale par un enquêteur du parquet de Malgobek. Celui-ci procéda à l'examen sans retirer les vêtements des cadavres, qui étaient congelés. Le 14 février 2000, un expert établit deux rapports médicolégaux sans avoir examiné les corps mais en s'appuyant sur les descriptions livrées par l'enquêteur. Le premier rapport indiquait que Khamid Khachiev présentait huit blessures par arme à feu et que son décès était dû à une blessure de ce type à la tête. Quant à Rizvan Taïmeskhanov, il avait également huit blessures par balle et semblait lui aussi avoir succombé à de nombreuses blessures de cette catégorie à la tête et au corps.
Les 7 et 8 mai 2000, le parquet de Malgobek dressa un rapport et photographia d'autres pièces du dossier (pièces d'identité des défunts ; photographies des corps prises par le premier requérant ; vêtements de Rizvan Taïmeskhanov et de Khamid Khachiev).
e) Décision de reconnaître au premier requérant la qualité de victime
Le 5 mai 2000, le premier requérant se vit reconnaître la qualité de victime dans le cadre de la procédure pénale et signa la notification lui ayant été faite à ce sujet auprès du parquet de Malgobek. Le 15 juin 2000, cette même notification fut signée par le parquet de Grozny.
f) Dépositions de personnes résidant dans le district
Le 14 mai 2000, U. et Y., deux femmes résidant dans le district de Staropromyslovski, à Grozny, livrèrent leurs témoignages. Elles confirmaient toutes deux qu'elles avaient vu les corps de personnes ayant été abattues et qu'à l'époque le district était sous le contrôle des forces fédérales. Ni l'une ni l'autre n'avait assisté aux exécutions, mais elles évoquaient des « rumeurs » selon lesquelles les meurtres avaient été perpétrés par les troupes fédérales. Par ailleurs, elles certifiaient avoir vu des soldats piller des maisons abandonnées du district.
g) Dépositions livrées par des proches de Magomed Goïgov
Petimat Goïgova et M., deux femmes ayant des liens de parenté avec Magomed Goïgov, déposèrent sur les circonstances ayant entouré la découverte des corps de Mariam Goïgova (la mère de Magomed, retrouvée le 19 janvier 2000 à l'intersection des rues Neftianaïa et de la 4e ruelle) et de Magomed Goïgov (retrouvé le 10 février 2000). Petimat certifiait que Viskhan, un habitant du voisinage, lui avait dit que leurs proches avaient été tués par des soldats de la 205e brigade d'infanterie de Boudennovsk, et qu'il avait évoqué deux soldats dont il tenait ces informations, l'un dénommé Oleg et l'autre Dima. Petimat attestait également que le 21 janvier 2000 elle et M. avaient non seulement transporté le corps de Mariam Goïgova en Ingouchie, mais aussi emmené une femme blessée, Elena G. ; cette dernière avait survécu à une attaque perpétrée par des soldats le 19 janvier et avait par la suite été transportée à l'hôpital de Sounzhenski, en Ingouchie.
h) Pièces relatives à Youri J.
Divers documents mentionnent un certain Youri J., dont la famille aurait résidé au numéro 130 de la rue Neftianaïa. Selon les témoignages, Youri J. quitta Grozny à la fin des années 80, alors que ses parents (ou bien ses oncle et tante) vivaient à cette adresse. Ces derniers furent tués par des combattants tchétchènes en 1997 et leur maison fut occupée. Les témoins évoquaient des « rumeurs » selon lesquelles Youri J., motivé par un désir de vengeance, aurait fait partie des soldats impliqués dans les homicides. La maison susmentionnée fut détruite durant les combats. Les enquêteurs ont adressé aux autorités militaires et civiles des régions voisines plusieurs demandes de renseignements concernant Youri J., mais les réponses ont été soit négatives, soit non communiquées par le Gouvernement.
i) Témoignage de Politkovskaïa
La journaliste Politkovskaïa, auteur de l'article « La liberté ou la mort », fut interrogée à plusieurs reprises par les enquêteurs. Elle certifia qu'en février 2000 elle se trouvait en Ingouchie et dans le district de Staropromyslovski, à Grozny, où elle avait questionné des témoins du massacre ainsi que les proches des défunts. Durant les entretiens, certains témoins avaient désigné la « 205e brigade » comme étant responsable des meurtres.
j) La déposition de la seconde requérante
Dans sa déposition du 12 juillet 2000, adressée au procureur militaire général, la seconde requérante déclarait que le 25 janvier 2000 le cadavre de son frère avait été découvert dans la cour de la maison des Khachiev par Magomed Khachiev et la sœur de celui-ci, Movlatkhan. En Ingouchie, la requérante avait vu le corps de son frère et remarqué plusieurs blessures par balle au niveau du visage, du cœur et de l'abdomen. Sa clavicule gauche était cassée. On avait trouvé dans sa main sa carte de membre de l'Institut d'enseignement de Grozny, et sa poche contenait son passeport et d'autres pièces d'identité, ainsi que deux billets de cinquante roubles.
Le 9 février 2000, la seconde requérante s'était rendue à Grozny. Dans la cour de la maison sise au numéro 107 de la rue Neftianaïa, elle avait ramassé plusieurs cartouches provenant d'une arme automatique ainsi que le chapeau de son frère. Le même jour, elle avait vu dans un garage des environs les corps sans vie de cinq individus (trois femmes et deux hommes). Une sixième personne de ce groupe, Elena G., avait survécu au massacre et avait par la suite dit à la requérante, qui l'avait retrouvée dans un hôpital d'Ingouchie, qu'ils avaient été abattus le 19 janvier par des soldats de la 205e brigade de Boudennovsk. Elena G. avait également déclaré que dans la soirée du 19 janvier elle avait vu Adlan Akaïev et les Khachiev, et qu'ils étaient en vie. Le jour même, elle avait été emmenée par les Goïgov, qui étaient venus prendre les corps de leurs proches défunts, et avait été transportée dans un hôpital d'Ingouchie. Le 22 février 2000, la seconde requérante avait rencontré Omar S., qui à l'époque résidait à Grozny ; après le 20 janvier, celui-ci avait entendu des membres de l'armée dire dans les locaux du commandement du district de Staropromyslovski qu'ils avaient tué un « professeur ». L'histoire d'Omar a été relatée dans l'article « La liberté ou la mort ».
k) Décision de joindre les enquêtes
Le 22 août 2000, le parquet de Grozny ouvrit une enquête pénale sur le meurtre du frère de la seconde requérante. Le 5 septembre de la même année, cette enquête fut jointe au dossier pénal no 12038 concernant le massacre perpétré dans le district de Staropromyslovski. Le 5 septembre également, le substitut du procureur de Grozny constitua une équipe de trois enquêteurs chargés de ce dossier.
l) Documents relatifs à l'identification des unités militaires concernées
Le 19 novembre 2000, le quartier général du Groupe des forces unies du ministère de la Défense (basé à Khankala) répondit à une requête du procureur en fournissant la liste des unités militaires – identifiées uniquement par un nombre à cinq chiffres – déployées à Grozny entre le 5 janvier et le 25 février 2000.
Le 4 mars 2001, un enquêteur du parquet de la République tchétchène pria le procureur militaire de l'unité no 20102 (Khankala) de déterminer la localisation temporaire exacte des unités militaires à l'époque des faits, d'identifier les officiers de commandement et de rechercher des notes sur les opérations menées dans le district de Staropromyslovski. Le dossier examiné par la Cour ne contient aucune réponse à cette demande.
m) Les ordres donnés par le procureur
A différents stades de la procédure, le parquet de la République tchétchène donna des ordres énumérant les mesures que les enquêteurs devaient prendre. L'ordre du 14 août 2001 comportait une liste de dix personnes – parmi lesquelles figuraient les proches des requérants – dont les corps avaient été retrouvés à Novaïa Kataïama. Le 16 janvier 2003, le même parquet ordonna aux enquêteurs de déterminer quels étaient les lieux d'inhumation possibles d'autres civils, d'identifier d'autres témoins et victimes, et de recenser les unités militaires susceptibles d'être responsables des crimes.
Un résumé des principales mesures d'enquête figure dans l'ordre du procureur de Grozny du 22 janvier 2003, qui est le dernier document contenu dans le dossier dont dispose la Cour. Le dossier de l'enquête pénale no 12038 fut ouvert par le parquet de Grozny le 3 mai 2000, après la publication de l'article « La liberté ou la mort », consacré au massacre perpétré dans le district de Staropromyslovski. Le 4 mai 2000, le parquet de Malgobek, en Ingouchie, ouvrit une enquête pénale à la suite de la plainte du premier requérant relative au meurtre de ses proches. Le 23 juillet 2000, les deux affaires pénales furent jointes sous le numéro 12038. Le 22 août 2000, le parquet de Grozny ouvrit une enquête pénale après la plainte de la seconde requérante concernant le meurtre de son frère. Le 5 septembre 2000, cette plainte fut jointe au dossier pénal no 12038.
L'enquête fut interrompue puis rouverte à huit reprises. Le dossier transita quatre fois entre le parquet de Grozny et celui de la République tchétchène. Le document s'achève par la liste des tâches incombant à l'équipe d'enquêteurs, à savoir notamment le recensement des unités militaires déployées aux dates pertinentes dans le district de Staropromyslovski, à Grozny, la détermination des lieux d'inhumation de civils dans le quartier de Novaïa Kataïama, et l'identification de témoins et des victimes des crimes.
Autres documents fournis par les requérants
Les requérants ont soumis un certain nombre de pièces complémentaires sur les circonstances des meurtres et la découverte des corps. Les principaux documents pertinents sont les suivants :
a) Rapport médicolégal
Les requérants ont fourni un rapport de Christopher Mark Milroy, praticien agréé, professeur de pathologie médicolégale à l'université de Sheffield et expert en pathologie auprès du ministère britannique de l'Intérieur. Le rapport a été établi d'après les déclarations des requérants sur les circonstances du décès de leurs proches, ainsi que huit photographies en couleurs prises par le premier requérant lors de la découverte des corps de Khamid Khachiev, Rizvan Taïmeskhanov et Magomed Goïgov.
L'expert conclut que « les photographies montrent des blessures compatibles avec l'action de balles tirées par une arme à haute vélocité. (...) Une telle arme peut causer des lésions très dévastatrices. Les personnes qui n'ont pas l'habitude d'examiner des blessures provoquées par ce type d'armes peuvent se méprendre sur leur origine. » Il poursuit en énumérant les mesures pratiques normalement prises lorsqu'il est procédé à l'examen du corps d'une personne décédée dans des circonstances douteuses. Il estime qu'il faut notamment effectuer une radiographie du corps en vue de l'identification et du retrait des projectiles, ainsi qu'un examen approfondi avec photographie des blessures externes, « les caractéristiques des lésions pouvant permettre de déterminer si la victime a été abattue à bout portant ou si elle a été torturée ».
b) Informations transmises par le parquet général
Par sa lettre du 25 avril 2003, M. Fridinski, substitut du procureur général, répondait à une demande de renseignements émanant de M. Kovalev, membre de la Douma. La lettre contient des informations sur les poursuites engagées pour crimes contre des civils à l'encontre de militaires ayant servi en Tchétchénie. Depuis le lancement de l'« opération antiterroriste », les procureurs militaires ont transmis aux tribunaux cinquante-huit actes d'accusation et soixante-quatorze personnes ont été poursuivies. Parmi ces cas, douze portent sur des homicides, treize sur des vols, quatre sur des abus de pouvoir, cinq sur la conduite imprudente de véhicules militaires, etc. Ont été déclarées coupables cinquante et une personnes, dont sept officiers, vingt-deux engagés et sergents, dix-neuf appelés et trois sous-officiers. De plus, le parquet de la République tchétchène a formulé dix-sept chefs d'inculpation à l'encontre de vingt-neuf militaires relevant du ministère de l'Intérieur pour des crimes contre la population civile. L'aperçu joint à la lettre fait apparaître que dans la majorité des cas les peines prononcées étaient des condamnations avec sursis ou qu'elles ont été levées en vertu d'une amnistie.
Documents relatifs à l'établissement des faits par les juridictions nationales
Un certain nombre de documents fournis par les requérants portent sur les procédures engagées par eux devant les juridictions nationales pour faire établir la mort de leurs proches.
a) La déposition du premier requérant
Le 5 avril 2000, le premier requérant déposa auprès du tribunal de Malgobek, en Ingouchie, une demande tendant à l'obtention de certificats de décès concernant son frère Khamid Khachiev, sa sœur Lidia Khachieva et ses deux neveux, Rizvan et Anzor Taïmeskhanov. L'intéressé déclara que ses proches étaient restés à Grozny pendant l'hiver 1999-2000, tandis que lui-même et les autres membres de sa famille avaient fui les hostilités en gagnant l'Ingouchie. Le 17 janvier 2000, les soldats du « 205e bataillon » de l'armée fédérale étaient entrés dans le district de Staropromyslovski et avaient « commis des atrocités ». Le 19 janvier, ils avaient pénétré dans le logement de sa sœur et avaient tué ses proches de manière féroce, leur infligeant de nombreuses blessures par balle et arme tranchante. Le premier requérant avait eu des précisions sur les meurtres lors des funérailles d'une voisine, Mariam Goïgova. Ses proches avaient été inhumés en Ingouchie. Une enquête pénale avait été ouverte et était toujours en cours. Il lui fallait une déclaration de décès pour obtenir des certificats de décès auprès du bureau d'état civil.
b) Compte rendu de la procédure judiciaire qui se déroula du 5 au 7 avril 2000
D'après le compte rendu de l'audience du 5 avril 2000, le tribunal entendit le premier requérant, qui répéta sa déposition, ainsi que deux témoins de Voznesenskoye ayant assisté à l'inhumation. Ces derniers confirmèrent simplement que les corps avaient été transportés à Voznesenskoye pour y être enterrés et qu'ils savaient que les meurtres avaient été commis par les soldats fédéraux. Le tribunal rendit sa décision le 7 avril 2000.
c) La déposition de la seconde requérante
Le 3 février 2000, la seconde requérante sollicita auprès du tribunal de Malgobek une attestation relative au décès de son frère. Elle déclara que son frère avait été retrouvé mort le 21 janvier 2000 à Grozny, à proximité de sa maison. Son décès était dû à de multiples blessures par balle. Son corps avait été ramené de Grozny pour être inhumé au village de Psedakh, en Ingouchie, le 28 janvier 2000. La requérante avait besoin d'une décision judiciaire attestant le décès de son frère pour obtenir un certificat de décès auprès du bureau d'état civil.
d) Compte rendu de l'audience du 7 février 2000
D'après le compte rendu de l'audience du 7 février 2000, le tribunal entendit la seconde requérante ainsi que deux témoins. La requérante certifia qu'en novembre 1999 elle-même et sa tante (maternelle) avaient quitté Grozny pour l'Ingouchie et qu'elles s'étaient installées avec sa mère dans le village de Psedakh. Son frère Adlan était resté à Grozny pour veiller sur les biens. Le 27 janvier 2000, Liza et Raïa Khachieva étaient venues les informer de la découverte, dans leur maison familiale de Grozny, de trois cadavres, dont l'un était celui de son frère. D., une parente, s'était alors rendue à Grozny avec les Khachiev et avait ramené le corps. Le 28 janvier 2000, le frère de l'intéressée avait été inhumé à Psedakh.
D., qui témoigna, déclara qu'elle était une proche parente de la mère de la seconde requérante. Le 27 janvier 2000, les Khachiev leur avait rendu visite à Psedakh et leur avait annoncé que le cadavre de Adlan Akaïev gisait dans la cour de leur maison, à Grozny. Il avait été identifié grâce à sa carte de membre de l'Institut d'enseignement de Grozny, où il avait dirigé le département de physique. Le 28 janvier 2000, elle et d'autres personnes avaient rapporté son corps à Psedakh et l'avaient inhumé. Un autre témoin de Psedakh confirma l'inhumation. Le tribunal rendit sa décision le 7 février 2000.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
a) Les dispositions constitutionnelles
L'article 20 de la Constitution de la Fédération de Russie protège le droit à la vie.
L'article 46 garantit la protection judiciaire des droits et libertés en prévoyant que les décisions et actes des autorités publiques peuvent être attaqués en justice. Le paragraphe 3 du même article consacre le droit de saisir les organes internationaux de protection des droits de l'homme après épuisement des voies de recours internes.
Les articles 52 et 53 disposent que les droits des victimes d'infractions et d'abus de pouvoir sont protégés par la loi. Les victimes ont la garantie de pouvoir saisir un tribunal et d'obtenir une réparation de l'Etat pour tout dommage causé par l'action illégale d'une autorité publique.
L'article 55 § 3 prévoit la possibilité d'une restriction des droits et libertés par le droit fédéral, mais seulement dans la mesure requise pour la protection des principes fondamentaux du système constitutionnel, de la moralité, de la santé, des droits et des intérêts légitimes d'autrui, de la défense du pays et de la sécurité de l'Etat.
L'article 56 énonce que l'état d'urgence peut être déclaré conformément au droit fédéral. Certains droits, dont le droit à la vie et celui de ne pas être soumis à la torture, ne peuvent faire l'objet d'aucune restriction.
b) La loi sur la défense
L'article 25 de la loi de 1996 sur la défense (Федеральный закон от 31 мая 1996 г. N 61-ФЗ "Об обороне") dispose que « le procureur général de la Fédération de Russie et les procureurs qui exercent leurs fonctions sous son autorité contrôlent le respect du principe de légalité et enquêtent sur les infractions commises au sein des forces armées de la Fédération de Russie, de toute autre force ou de toute formation ou autorité militaires. Les affaires civiles et pénales au sein des forces armées de la Fédération de Russie, de toute autre force ou de toute formation ou autorité militaires sont examinées par les tribunaux conformément à la législation de la Fédération de Russie. »
c) La loi sur la lutte contre le terrorisme
La loi de 1998 sur la lutte contre le terrorisme (Федеральный закон от 25 июля 1998 г. № 130-ФЗ «О борьбе с терроризмом») prévoit notamment ce qui suit :
« Article 3. Concepts de base
Aux fins de la présente loi fédérale, il est fait application des concepts de base suivants :
(...) le terme « lutte contre le terrorisme » désigne les activités visant à la prévention, à la détection et à la suppression des activités terroristes, ainsi qu'à la limitation de leurs conséquences ;
le terme « opération antiterroriste » désigne des activités spéciales visant à la prévention des actes terroristes, à la préservation de la sécurité des individus, à la neutralisation des terroristes et à la limitation des conséquences des actes terroristes ;
le terme « zone d'une opération antiterroriste » désigne une aire terrestre ou aquatique déterminée, des moyens de transport, un bâtiment, une structure ou des locaux, plus le territoire adjacent, où une opération antiterroriste est menée ; (...)
Article 13. Régime juridique dans la zone d'une opération antiterroriste
Dans la zone d'une opération antiterroriste, les personnes chargées de l'opération ont le droit :
(...) 2) de contrôler les documents d'identité des particuliers et des fonctionnaires et, si les intéressés n'ont pas de document d'identité, de les arrêter aux fins d'identification ;
3) d'arrêter les personnes qui ont commis ou sont en train de commettre des infractions ou d'autres actes méconnaissant les ordres légalement émis par des personnes participant à une opération antiterroriste, et notamment des actes de pénétration ou de tentatives de pénétration non autorisée à l'intérieur de la zone de l'opération antiterroriste, et de les traduire devant les organes locaux du ministère de l'Intérieur de la Fédération de Russie ;
4) de pénétrer dans des locaux résidentiels ou autres privés (...) et dans des moyens de transport pour prévenir un acte terroriste ou poursuivre des personnes soupçonnées d'avoir commis pareil acte, lorsqu'il y a péril pour la vie ou la santé humaines en la demeure ;
5) de fouiller, y compris en utilisant des moyens techniques, les personnes, leurs effets et leurs véhicules en cas de pénétration dans la zone d'une opération antiterroriste ou de sortie de pareille zone ; (...)
Article 21. Exonération de toute responsabilité en cas de dommage
En conformité avec la législation et dans le respect des limites fixées par elle, des dommages peuvent être causés à la vie, à la santé et aux biens des terroristes, ainsi qu'à tous autres intérêts protégés par la loi, au cours d'une opération antiterroriste. Les soldats, experts et autres personnes chargés d'une mission d'élimination du terrorisme sont en pareil cas exonérés de toute responsabilité, conformément à la législation de la Fédération russe. »
d) Le code de procédure civile
Les articles 126 et 127 du code de procédure civile (Гражданский процессуальный Кодекс РСФСР) tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits contenaient des exigences générales de forme pour la saisine des tribunaux. Ils prévoyaient notamment que le demandeur devait indiquer les nom et adresse du défendeur, les circonstances exactes sur lesquelles la demande se fondait et tout document à l'appui.
L'article 214 partie 4 énonçait que le tribunal devait surseoir à l'examen d'une affaire lorsque l'issue de celle-ci dépendait du résultat d'une autre procédure – civile, pénale ou administrative – en cours.
L'article 225 du code prévoyait que si, lors de son examen d'une demande civile ou d'une plainte dirigée contre des actes accomplis par un fonctionnaire, un tribunal découvrait des informations indiquant qu'une infraction avait été commise, il devait en informer le procureur
Le chapitre 24-1 établissait qu'un citoyen pouvait s'adresser à un tribunal pour demander réparation en cas d'action illégale commise par un organe ou un agent de l'Etat. Pareille demande pouvait, au choix du demandeur, être soumise indifféremment au tribunal du lieu où l'organe de l'Etat concerné avait son siège ou au tribunal du lieu où le demandeur avait sa résidence. Suivant la même procédure, les tribunaux pouvaient également accorder des indemnités, y compris pour dommage moral, en cas de constat d'une violation.
e) Le code de procédure pénale
Le code de procédure pénale (Уголовно-процессуальный Кодекс РСФСР 1960г. с изменениями и дополнениями) tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits contenait des dispositions relatives aux enquêtes pénales.
L'article 53 précisait qu'en cas de décès de la victime d'une infraction les proches pouvaient se voir reconnaître la qualité de victimes. Durant l'enquête, la victime pouvait soumettre des preuves et présenter des demandes, et, une fois l'enquête clôturée, elle devait se voir conférer un accès plein et entier au dossier.
L'article 108 disposait que des poursuites pénales pouvaient être intentées sur la base de lettres de plainte émanant de citoyens, d'organes publics ou privés, d'articles de presse ou de la découverte par un organe d'enquête, un procureur ou un tribunal, d'éléments indiquant qu'une infraction avait été commise.
L'article 109 énonçait que l'organe d'enquête devait prendre dans un délai maximum de dix jours à compter de la dénonciation d'une infraction l'une des décisions suivantes : ouvrir ou refuser d'ouvrir une enquête pénale, ou transmettre les informations en cause à un organe approprié. Le dénonciateur des faits devait être avisé de toute décision.
L'article 113 précisait que lorsqu'un organe d'enquête refusait d'ouvrir une enquête pénale il devait motiver sa décision. Le dénonciateur des faits devait être avisé de la décision et avait le droit d'interjeter appel devant un procureur de rang plus élevé ou un tribunal.
Selon l'article 126, le parquet militaire était responsable des enquêtes concernant les infractions commises par des militaires dans l'exercice de leurs fonctions officielles ou dans le cadre d'une unité militaire.
L'article 195 disposait qu'une enquête pénale pouvait être suspendue, notamment s'il était impossible d'identifier les personnes susceptibles d'être inculpées pour l'infraction en question. En pareil cas, une décision motivée devait être rendue. Une fois l'enquête suspendue, il n'y avait plus lieu de prendre aucune mesure d'enquête. Une affaire pénale suspendue pouvait être clôturée à l'expiration du délai de prescription.
Les articles 208 et 209 traitaient de l'abandon des enquêtes pénales. Parmi les motifs justifiant pareil abandon figurait l'absence de corpus delicti. Les décisions d'abandon pouvaient être attaquées devant un procureur de rang plus élevé ou un tribunal.
f) La situation dans la République tchétchène
Ni l'état d'urgence ni la loi martiale n'ont été déclarés en Tchétchénie. Aucune loi fédérale restreignant les droits de la population de la région n'a été adoptée. Aucune dérogation au titre de l'article 15 de la Convention n'a été notifiée.
g) Amnistie
Le 6 juin 2003, la Douma de la Fédération de Russie a adopté le décret no 4124-III, qui amnistie les actes infractionnels commis par les participants au conflit, de quelque côté qu'ils fussent, durant la période située entre décembre 1993 et juin 2003. L'amnistie ne s'applique pas aux infractions graves telles que le meurtre. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Le requérant est né en 1932 et réside à Athènes. Il est retraité de l'Organisme de Sécurité Sociale (Ίδρυμα Κοινωνικών Ασφαλίσεων - ci-après “IKA”).
Le 17 décembre 1993, le requérant saisit le tribunal administratif d'Athènes d'une demande contre l'IKA tendant à la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts pour avoir mal calculé le montant de ses cotisations.
Le 31 juillet 1995, le tribunal rejeta le recours (décision no 3680/1995).
Le 20 mars 1996, le requérant interjeta appel de cette décision.
Le 30 juin 1997, la cour administrative d'appel d'Athènes infirma la décision attaquée et fit droit à la demande du requérant (arrêt no 1379/1997).
Le 29 avril 1998, l'IKA se pourvut en cassation.
Par la suite, le Parlement grec adopta la loi no 2721/1999 qui excluait le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat pour les litiges ayant un objet financier inférieur à 500 000 drachmes et prononçait l'annulation de toute procédure judiciaire y afférente éventuellement pendante devant cette juridiction.
Le 10 juin 2002, le Conseil d'Etat prononça l'annulation de la procédure en application des dispositions de la loi no 2721/1999 (arrêt no 1687/2002). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 25 octobre 2002. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1940 et réside à Maia (Portugal).
L’internement du requérant
Soupçonné d’escroquerie, le requérant fut arrêté le 1er mars 1996 et placé en détention provisoire. Pendant le déroulement de la procédure, il fut soumis à une expertise psychiatrique. Dans son rapport du 22 juillet 1996, l’expert conclut qu’il souffrait de schizophrénie résiduelle et qu’il devait être soumis à un traitement psychiatrique prolongé.
Par un jugement du 11 novembre 1996, le tribunal criminel de Porto constata que l’inculpé, en raison de son aliénation mentale, était pénalement irresponsable (inimputável) et dangereux. En conséquence, il ordonna son internement pour une durée maximale de huit ans. Le 4 décembre 1996, le requérant fut transféré à la clinique psychiatrique pénitentiaire de Santa Cruz do Bispo à Matosinhos.
Par une ordonnance du 24 janvier 1997, le juge du tribunal criminel de Porto décida que, conformément à la loi, le contrôle périodique obligatoire de l’internement devrait avoir lieu le 1er mars 1998. Toutefois, aucun contrôle n’eut lieu à cette date.
Par une décision du 20 janvier 2000, le tribunal de l’application des peines de Porto décida de maintenir l’internement du requérant.
Le 29 janvier 2001, le ministère public requit la mise en liberté du requérant, estimant que celui-ci ne présentait plus aucun danger. Par une décision du 30 janvier 2001, le juge rejeta la demande et décida de revoir la situation lors du prochain contrôle périodique, prévu le 20 janvier 2002. Le ministère public fit appel de cette décision devant la cour d’appel de Porto. Par un arrêt du 20 juin 2001, la cour d’appel rejeta le recours.
Par une ordonnance du 24 octobre 2001, le juge demanda au greffe de mettre en œuvre la procédure de l’article 504 du code de procédure pénale, afin de pouvoir effectuer le contrôle périodique déterminé par la loi, fixé au 20 janvier 2002. Un examen médical psychiatrique fut donc demandé à la clinique de Santa Cruz do Bispo. Toutefois, par une lettre du 9 novembre 2001, le médecin coordinateur de la clinique informa ne pas être en mesure d’effectuer l’examen, pour cause d’insuffisance de personnel. Il ajouta que de toute manière il n’était pas souhaitable que les examens en cause fussent pratiqués par des médecins qui côtoyaient quotidiennement les internés.
Le 23 novembre 2001, l’Institut de réinsertion sociale adressa son rapport social, donnant un avis négatif à la mise en liberté du requérant, au tribunal.
Par une ordonnance du 3 décembre 2001, le juge détermina que l’Institut de médecine légale de Porto devrait effectuer l’examen médical en cause. Toutefois, par une lettre du 21 décembre 2001, l’Institut de médecine légale informa le tribunal de ce qu’il n’était pas possible de procéder à l’examen en cause, les services compétents du ministère de la Santé se refusant à fixer d’autres examens médico-légaux en 2001 pour avoir atteint « le plafond » prévu par la législation en la matière.
Par une ordonnance du 11 janvier 2002, le juge renouvela sa demande, soulignant que l’année 2002 avait déjà commencé. Le greffe adressa cette demande à l’Institut le 17 janvier 2002. L’examen eut lieu le 11 avril 2002 à l’hôpital psychiatrique Magalhães Lemos à Porto. L’expert déposa son rapport, conseillant la mise en liberté avec mise à l’épreuve du requérant, le 9 mai 2002.
Le 20 mai 2002, le requérant fut entendu par le juge, en présence de son avocat.
Par une ordonnance du 24 mai 2002, le juge décida de mettre le requérant en liberté avec mise à l’épreuve pour une période allant jusqu’au 1er mars 2004.
L’arrêt de la Cour du 26 février 2002
Dans sa requête no 44872/98, introduite le 3 avril 1997, le requérant s’était déjà plaint de la durée de l’examen de la légalité de son maintien en internement.
Dans son arrêt rendu le 26 février 2002, la Cour a estimé qu’il y avait eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention du fait que le premier contrôle des motifs de l’internement du requérant n’avait eu lieu que le 20 janvier 2000, soit deux ans, six mois et dix-huit jours après la première demande de mise en liberté déposée par le requérant. La Cour a considéré qu’une telle période était incompatible avec la notion de « bref délai » au sens de cette disposition de la Convention (voir Magalhães Pereira c. Portugal, no 44872/98, §§ 45-51, CEDH 2002-I).
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
L’arrêt Magalhães Pereira précité contient, en ses paragraphes 32 à 34, un descriptif du droit et de la pratique internes pertinents en la matière. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
Le requérant est né en 1935 et réside à Athènes. Il est retraité de l'Organisme de Sécurité Sociale (Ίδρυμα Κοινωνικών Ασφαλίσεων - ci-après “IKA”).
Le 15 décembre 1993, le requérant saisit le tribunal administratif d'Athènes d'une demande contre l'IKA tendant à la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts pour avoir mal calculé le montant de ses cotisations. Il sollicitait en particulier une somme de 264 190 drachmes (775 euros).
Le 30 novembre 1995, le tribunal rejeta le recours (décision no 18566/1995). Cette décision fut mise au net et certifiée conforme en mai 1996.
Le 13 novembre 1998, le requérant interjeta appel.
Le 30 avril 2002, la cour administrative d'appel d'Athènes confirma la décision attaquée (arrêt no 2151/2002).
Le 14 février 2003, le requérant se pourvut en cassation.
Le 29 décembre 2004, le Conseil d'Etat déclara le recours irrecevable en application des dispositions de la loi no 2944/2001 qui exclut le pourvoi en cassation pour les litiges ayant un objet financier inférieur à 2 000 000 drachmes (arrêt no 440/2004). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 13 décembre 1993, les requérants saisirent le tribunal administratif d'Athènes d'une demande contre la caisse de prévoyance du personnel des chemins de fer helléniques (Ταμείο Πρόνοιας Προσωπικού Οργανισμού Σιδηροδρόμων Ελλάδας), tendant à la condamnation de cette dernière au versement de dommages-intérêts pour avoir refusé de leur verser une allocation forfaitaire.
Le 30 novembre 1994, le tribunal fit partiellement droit à la demande des requérants nos 2, 5, 6 et 7 et condamna la caisse à leur payer une partie des sommes réclamées ; il rejeta le recours pour autant qu'il avait été introduit par les requérants nos 1, 3 et 4 (décision no 11191/1994).
Le 10 mars 1995, la caisse interjeta appel de cette décision.
Le 30 septembre 1996, la cour administrative d'appel d'Athènes confirma la décision attaquée (arrêt no 3899/1996).
Le 17 mars 1997, la caisse se pourvut en cassation.
Le 4 novembre 2002, le Conseil d'Etat constata que le litige avait un objet financier inférieur à 2 000 000 drachmes (5 870 euros environ). Dès lors, la haute juridiction prononça l'annulation de la procédure, conformément à la loi no 2944/2001 : cette dernière, publiée au Journal Officiel le 8 octobre 2001, exclut l'accès au Conseil d'Etat pour les litiges dont l'objet financier est inférieur à la somme susmentionnée (arrêt no 3150/2002). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le requérant est né en 1935 et réside à Athènes. Il est retraité de l'Organisme de Sécurité Sociale (Ίδρυμα Κοινωνικών Ασφαλίσεων - ci-après “IKA”).
Le 17 décembre 1993, le requérant saisit le tribunal administratif du Pirée d'une demande contre l'IKA tendant à la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts pour avoir mal calculé le montant de sa pension.
Le 31 juillet 1995, le tribunal rejeta le recours (décision no 3681/1995). Cette décision fut notifiée au requérant le 4 mars 1996.
Le 20 mars 1996, le requérant interjeta appel de cette décision.
Le 30 juin 1997, la cour administrative d'appel du Pirée infirma la décision attaquée et fit droit à la demande du requérant (arrêt no 1374/1997).
Le 6 avril 1998, l'IKA se pourvut en cassation. L'audience devant le Conseil d'Etat eut lieu le 27 janvier 2003. A ce jour, la haute juridiction n'a pas encore rendu son arrêt. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le requérant est né en 1934 et réside à Athènes. Employé en qualité de conducteur de train au sein de l'organisme des chemins de fer helléniques, il est actuellement retraité.
Le 30 novembre 1994, le requérant saisit le tribunal administratif d'Athènes d'une demande contre l'Organisme de Sécurité Sociale (Ίδρυμα Κοινωνικών Ασφαλίσεων - ci-après “IKA”) tendant à la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts pour avoir mal calculé le montant de ses cotisations.
Le 27 novembre 1996, le tribunal rejeta le recours (décision no 16822/1996).
Le 15 avril 1997, le requérant interjeta appel de cette décision.
Le 30 avril 2001, la cour administrative d'appel d'Athènes confirma la décision attaquée (arrêt no 2206/2001). Cet arrêt fut notifié au requérant le 21 mars 2002.
Le 10 avril 2002, le requérant se pourvut en cassation.
Le 26 mars 2004, le Conseil d'Etat prononça l'annulation de la procédure en application des dispositions de la loi no 2944/2001 qui exclut le pourvoi en cassation pour les litiges ayant un objet financier inférieur à 2 000 000 drachmes (arrêt no 87/2004). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le requérant est né en 1933 et réside à Athènes. Il est retraité de l'Organisme de Sécurité Sociale (Ίδρυμα Κοινωνικών Ασφαλίσεων - ci-après “IKA”).
Le 23 juin 1995, le requérant saisit le tribunal administratif d'Athènes d'une demande contre l'IKA tendant à la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts pour avoir mal calculé le montant de ses cotisations. Il sollicitait en particulier une somme de 299 607 drachmes (879 euros).
Le 30 avril 1998, le tribunal rejeta le recours (décision no 4722/1998).
Le 9 septembre 1998, le requérant interjeta appel de cette décision.
Le 21 novembre 2000, la cour administrative d'appel d'Athènes déclara l'appel irrecevable au motif que le requérant avait omis de payer la consignation prévue par la loi pour l'exercice du recours (arrêt no 4828/2000). Cet arrêt fut notifié au requérant le 30 janvier 2002.
Le 28 mars 2002, le requérant se pourvut en cassation. A ce jour, le Conseil d'Etat n'a pas encore rendu son arrêt. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
L’association Işsizlik ve Pahalılıkla Savaş Derneği (association de lutte contre le chômage et les prix excessifs, ci-après « IPSD ») fut fondée le 13 juillet 1992, en vertu de la loi no 2908 sur la création et les activités des associations. Aux termes de l’article 2 des statuts qu’elle déposa à la préfecture d’Istanbul (« la préfecture »), l’association avait pour but de « réunir les personnes souffrant de la pauvreté, afin qu’elles prennent conscience de leurs propres intérêts et trouvent ainsi la voie de la libération, sans aucune distinction fondée sur les opinions politiques ».
Le 10 août 1992, la préfecture communiqua les statuts de l’IPSD au ministère de l’Intérieur. Dans une lettre du 15 septembre 1992 adressée à la préfecture, le ministère de l’Intérieur souligna que les termes tels que « (...) les peuples de Turquie (...) » et « (...) considère nécessaire de lutter contre les impérialistes qui veulent dominer la Turquie en la transformant en un marché et une source de matières premières » employés dans les statuts de l’association étaient d’une part de nature à bafouer l’Etat turc et d’autre part contraires au principe de l’intégrité territoriale de l’Etat et de l’unité indivisible de la nation.
Le 5 octobre 1992, des scellés furent apposés sur les locaux du siège de l’association sur ordre du ministère de l’Intérieur.
Par un acte du 9 octobre 1992, le procureur de la République de Fatih requit la dissolution de l’association en vertu de l’article 50 § 1 de la loi no 2908, en raison des irrégularités figurant dans les statuts.
Par des lettres des 13 octobre 1992 et 16 décembre 1992 adressées au tribunal de grande instance de Fatih (« le tribunal de grande instance »), l’avocat des requérants forma opposition contre la procédure en question, et demanda un sursis à exécution afin d’obtenir la réouverture des locaux de l’association. Il fit valoir que l’administration n’avait pas respecté les dispositions des articles 10 et 50 § 1 de la loi no 2908, notamment en ce qu’elle ne leur aurait pas accordé le délai de trente jours prévu par lesdites dispositions pour le « redressement » des irrégularités reprochées. Il invoqua par ailleurs l’article 11 de la Convention.
Par un jugement du 17 septembre 1993, le tribunal de grande instance accueillit les demandes des requérants et annula la procédure au motif qu’elle était dénuée de fondement.
Par des lettres des 28 septembre et 16 novembre 1993, les requérants s’adressèrent à la préfecture d’Istanbul en vue d’obtenir la réouverture des locaux de l’association. Ils alléguèrent que, faute de pourvoi en cassation présenté dans les délais, le jugement du 17 septembre 1993 était devenu définitif.
Les 17 novembre et 20 décembre 1993, les requérants demandèrent au procureur de la République de Fatih de leur restituer les registres de l’association en exécution de la décision du tribunal de grande instance.
Par une lettre du 1er juillet 1994 adressée au procureur de la République de Fatih, le ministère de la Justice demanda le dépôt de l’intégralité du dossier pour examen, en vue de l’introduction d’un recours « dans l’intérêt de la loi » contre le jugement du 17 septembre 1993. Ce recours à caractère extraordinaire, prévu par l’article 427 § 6 du code de procédure civile (« CPC »), permet au procureur de la République d’attaquer un jugement de première instance devenu définitif, sans que celui-ci ait fait l’objet d’un pourvoi en cassation dans les délais légaux. L’arrêt rendu par la Cour de cassation à la suite d’un recours « dans l’intérêt de la loi » n’a aucun effet sur le jugement définitif de première instance.
Par une deuxième lettre du 2 septembre 1994 adressée au procureur de la République de Fatih, le ministère de la Justice indiqua que l’examen du dossier avait fait ressortir que la notification du jugement rendu le 17 septembre 1993 par le tribunal de grande instance était entachée d’un vice de forme, en violation de l’article 43 du code de notification, et que ce jugement n’était de ce fait pas devenu définitif. Le ministère de la Justice souligna que le recours « dans l’intérêt de la loi » ne pouvait être formé que contre un jugement définitif. A une date non précisée, le jugement rendu par le tribunal de grande instance le 17 septembre 1993 fut notifié aux parties, conformément à l’article 43 du code de notification. Le 15 septembre 1994, le procureur de la République de Fatih introduisit alors un pourvoi en cassation contre le jugement du 17 septembre 1993, au motif que celui-ci résultait d’un examen lacunaire. Il soutint que l’IPSD avait pour but de mener des activités politiques et demanda sa dissolution.
Dans leurs observations du 14 octobre 1994, les requérants alléguèrent que le pourvoi en cassation formé par le procureur était contraire à la loi, tant sur la forme que sur le fond. Ils firent valoir que le ministère de la Justice n’était pas partie à l’affaire et que son intervention constituait une ingérence de l’exécutif dans le domaine judiciaire. Ils demandèrent la confirmation de la décision rendue en première instance.
Le 12 décembre 1994, la Cour de cassation rendit un arrêt infirmant le jugement de première instance. Dans ses attendus, la Cour de cassation souligna notamment que les propos suivants : « (...) les peuples de Turquie (...) » et « (...) considère nécessaire de lutter contre les impérialistes, qui veulent dominer la Turquie en la transformant en un marché et une source de matières premières », employés dans les statuts de l’association étaient contraires à l’article 5 §§ 11 et 12 de la loi no 2908 qui interdit aux associations de mener des activités politiques et de bafouer l’Etat turc.
Par un jugement du 25 octobre 1995, la deuxième chambre du tribunal de grande instance se conforma à l’arrêt de la Cour de cassation et décida, à la majorité, de dissoudre l’association requérante.
Le 24 novembre 1995, les requérants formèrent un pourvoi en cassation. Ils soulignèrent que le procureur de la République avait initialement engagé une procédure en dissolution, en vertu de l’article 50 de la loi no 2908, et non une procédure, au titre de l’article 5, mettant en cause la conformité des buts de l’association avec la Constitution.
Le 5 mars 1996, la Cour de cassation confirma le jugement du 25 octobre 1995.
Le 22 avril 1996, les requérants introduisirent un recours en rectification devant la Cour de cassation. Celle-ci les débouta et, le 30 septembre 1996, rendit l’arrêt définitif qui fut notifié aux requérants le 28 octobre 1996.
Le 13 novembre 1996, la préfecture confirma la dissolution de l’association.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les dispositions pertinentes de la loi no 2908 régissant la création et les activités des associations se lisent ainsi :
Article 4
« Toute personne majeure capable de discernement peut fonder une association sans autorisation préalable. »
Article 5
« Il est interdit de créer une association [poursuivant un but] contraire aux principes fondamentaux énoncés dans le préambule de la Constitution ; [il est interdit de créer une association ayant pour but de]
(...)
(...) mener des activités politiques, par exemple soutenir un parti politique ou œuvrer contre celui-ci (...)
dénigrer ou bafouer l’Etat turc. »
Article 9
« Une association acquiert la personnalité juridique lorsqu’elle dépose la déclaration de création et ses annexes devant l’autorité administrative supérieure du lieu où elle a son siège. »
Article 10
« (...) si lors de l’examen de la déclaration, des statuts de l’association et du statut juridique des fondateurs l’autorité administrative compétente constate des irrégularités ou des lacunes, elle adresse une demande écrite au conseil d’administration provisoire, afin qu’il comble les lacunes en question. Si celles-ci ne sont pas corrigées dans un délai de trente jours à partir de la notification de la demande, et selon l’avis de l’autorité administrative compétente, le parquet engage devant le tribunal compétent une procédure en dissolution de l’association. Le parquet peut également demander l’interruption des activités de l’association.
Si aucune irrégularité n’est constatée dans la déclaration ou dans les statuts, ou si ces irrégularités ou lacunes sont redressées dans le délai prévu, l’autorité qui examine la déclaration et les statuts adresse une confirmation écrite à l’association. »
Article 50
« L’association est dissoute par décision du tribunal de grande instance saisi par le procureur de la République à la suite d’une demande écrite de l’autorité administrative supérieure du lieu où se trouve le siège de l’association si
les irrégularités ou les lacunes figurant dans les statuts et leurs annexes ne sont pas redressées dans un délai de trente jours, nonobstant la demande écrite formulée par les autorités compétentes en vertu de l’article 10.
(...) »
Article 76
« Toute personne fondant une association dont les buts sont contraires aux principes mentionnés à l’article 5 de la présente loi (...) sera punie d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de trente à cent mille livres, si les faits n’exigent pas une peine plus lourde. Dans tous les cas, l’association en question est dissoute. »
La disposition pertinente du code procédure civile est ainsi libellée :
Article 427 § 6
« Les décisions définitives ou devenues définitives au motif que les parties n’ont pas formé un pourvoi en cassation dans les délais peuvent faire l’objet d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi introduit par le procureur de la République sur ordre du ministre de la Justice (...). La décision de la Cour de cassation sur un tel pourvoi n’a aucun effet sur l’issue du litige. » | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
H.Y. et Hü.Y. sont nés respectivement en 1951 et 1953 et résident à Istanbul.
Le 5 décembre 1997, leur fils, Mahmut Y., né le 21 décembre 1981, décéda à l’hôpital militaire de Diyarbakır où il avait été transféré à la suite de son arrestation le 21 novembre 1997.
A. Arrestation de Mahmut Y.
Le 21 novembre 1997 à 22 h 45, Mahmut Y. fut arrêté à Siirt par des policiers rattachés de la direction de la sûreté de cette ville sur dénonciation d’un certain N.S., militant du PKK. Mahmut Y. fut placé en garde à vue dans les locaux de la direction de la sûreté.
Le 22 novembre 1997 à 13 h 5, Mahmut Y. fut examiné par un médecin dans les locaux de la sûreté. Celui-ci rédigea un rapport aux termes duquel l’intéressé ne présentait aucune trace de violence.
Le même jour à 14 h 45, Mahmut Y. fut remis aux gendarmes rattachés à la gendarmerie départementale de Siirt où il fut placé en garde à vue dans l’attente d’une confrontation avec N.S.
Toujours le même jour, à 15 h 55, Mahmut Y. fut examiné par un médecin. Dans son rapport, celui-ci ne constata aucune trace de coups ou de violence.
Le 23 novembre 1997 fut dressé un procès-verbal de confrontation aux termes duquel N.S. identifia Mahmut Y.
Le même jour, sur la base du dossier qui lui était présenté, le procureur de la République de Siirt prononça la prolongation de quatre jours de la garde à vue de Mahmut Y.
Le dossier contient peu de détails quant aux conditions de la garde à vue de Mahmut Y. à la gendarmerie de Siirt. Selon les éléments du dossier, la salle de surveillance où il fut détenu mesurait 9,70 x 2,20 m. Deux bancs en bois de 36 cm de largeur y étaient installés. La salle n’était équipée ni de sanitaires ni de lits pour les détenus.
B. Décès de Mahmut Y.
Selon le procès-verbal dressé le jour même par les gendarmes, le 24 novembre 1997 vers 6 heures, Mahmut Y. fit une chute alors qu’il déambulait dans la salle de surveillance et sa tête heurta le sol.
Le même jour furent dressés les procès-verbaux des témoignages de A. Satık et L. Arslan, des prévenus qui se trouvaient dans la salle de surveillance avec Mahmut Y. au moment des faits.
A. Satık déclara notamment :
« Je me trouvais avec Mahmut Y. et L. Arslan dans les mêmes locaux. J’étais à moitié endormi aux environs de 5 h 30 - 6 heures ; soudain, j’ai entendu le bruit d’une chute et j’ai vu Mahmut Y. allongé au sol. De l’écume blanche est apparue sur la bouche. Les gendarmes ont ouvert la porte et regardé Mahmut Y. (...) »
L. Arslan dit notamment :
« (...) le 24 novembre 1997, entre 5 h 30 et 6 heures, Mahmut Y. était assis sur le banc à côté de moi, à ma droite. En face de moi, était assis A. Satık, un autre détenu. Mahmut Y., qui était assis à ma droite, se levait et s’asseyait tout le temps et déambulait dans la salle. Tôt le matin, vers 5 h 30 – 6 heures, j’ai vu Mahmut Y. sur ma droite tomber face sur le sol. Les deux gendarmes ont ouvert la porte et ont examiné Mahmut Y. qui ne s’est plus levé après cette chute (...) dans les cinq minutes qui suivirent, un médecin arriva sur les lieux et examina Mahmut Y. (...) Pendant la garde à vue, ni moi-même ni les autres n’avaient subi aucune violence. Je n’ai pas vu Mahmut Y. subir de la violence non plus »
Toujours le même jour, les déclarations de Y. Aras et K. Tonguç, deux gendarmes de permanence dans la zone de garde à vue le jour de l’incident, furent enregistrées par le commandant de la gendarmerie.
Y. Aras déclara notamment :
« (...) Les 21 et 22 novembre, onze personnes suspectées de porter aide et soutien au PKK ont été amenées à la gendarmerie. Elles ont été placées dans les locaux de surveillance. L. Arslan, A. Satık et Mahmut Y. étaient détenus dans les locaux longs et larges rassemblés par un corridor. Aux environs de 5 - 6 heures, je montais la garde avec K. Tonguç et on marchait dans le corridor jouxtant les locaux de surveillance (...) J’ai vu Mahmut Y. se lever et tomber face contre le sol en béton. Les autres détenus aussi ont vu la chute et sont intervenus de suite. J’ai informé notre commandant et nous nous sommes rendus dans les locaux (...) »
K. Tonguç confirma les déclarations de Y. Aras.
De suite après la chute alléguée, le Dr Kayacı se rendit sur les lieux et examina Mahmut Y., lequel fut par la suite conduit à l’hôpital militaire de Siirt en ambulance.
A l’hôpital militaire, vers 8 heures, le Dr Yosunkaya, médecin spécialiste en anesthésie et réanimation, examina Mahmut Y. et ordonna son transfert à l’hôpital militaire de Diyarbakır. Ce dernier y fut transporté par hélicoptère.
Selon le registre de l’hôpital militaire de Diyarbakır, le 24 novembre 1997, Mahmut Y. fut transféré au service de biochimie de l’hôpital universitaire de Diyarbakır.
Le même jour, Mahmut Y. fut opéré à l’hôpital militaire de Diyarbakır par le Dr Özer, neurochirurgien, en vue d’évacuer les hématomes sous durales.
Par une lettre du 25 novembre 1997, le commandant du régiment de gendarmerie de Diyarbakır informa l’hôpital militaire de Diyarbakır que Mahmut Y., garde de village, avait fait une chute lors d’une opération et demanda son examen au centre de neurochirurgie.
Il ressort du dossier qu’à plusieurs reprises, Mahmut Y. fut emmené à l’hôpital universitaire de Diyarbakır pour des analyses médicales.
Le 5 décembre 1997 à 4 heures, Mahmut Y. décéda à l’hôpital militaire de Diyarbakır.
C. Enquête préliminaire diligentée sous l’autorité du parquet
Le 5 décembre 1997, dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte d’office par les parquets de Diyarbakir et de Siirt, une autopsie fut pratiquée par un médecin légiste et deux assistants, en présence du procureur de la République et d’un secrétaire.
Les parties pertinentes du rapport d’autopsie se lisent ainsi :
« le cadavre présente une trace de plaie chirurgicale de 15 cm de long sur le côté pariétal gauche (...) et des ecchymoses sont constatées sur les talons des deux pieds et au bout du quatrième orteil droit probablement dues à un coup de chaussure. Par ailleurs, l’on constate une bulle de 3 x 1 cm sur le dos du pied gauche et de 2 x 1 cm sur l’intérieur de la cheville droite. La cyanose a été constatée au niveau des doigts et des lèvres (...)
Examen interne
Crâne : une ecchymose et un hématome ont été décelés dans la partie interne de la région pariétale gauche (...) Lorsque la boite crânienne a été ouverte, un hématome sous dural couvrant la région inférieure du pariétal gauche (...) a été observé (...)
Cause du décès : l’examen externe du corps, l’enquête judiciaire, les documents concernant le patient et l’autopsie du corps permettent de conclure que Mahmut Y. est décédé des suites d’un hématome sous dural aigu qui a pu être causé par un traumatisme aigu tel que la chute.
Conclusion : A l’issue de l’autopsie, comme il a été indiqué ci-dessus, on conclut que le décès est dû à un hématome sous dural aigu généré par un traumatisme crânien aigu (künt kafa travması) (...) »
Aucune photographie médico-légale du corps n’a été prise lors de l’autopsie.
Le permis d’inhumer, délivré également le même jour par le procureur de la République de Diyarbakır, fit état de ce qui suit :
« à l’issue de l’autopsie effectuée sur le corps du [défunt], décédé le 5 décembre 1997 à l’hôpital militaire de Diyarbakır, il est établi que la mort est due à un hématome lié à un choc traumatique aigu (künt travmaya bağlı hematom) ».
Toujours le 5 décembre 1997, le procureur de la République de Diyarbakır entendit A. Satık. Ce dernier déclara avoir été placé en garde à vue le 22 novembre 1997 dans les mêmes locaux que le défunt. Hormis pour l’interrogatoire ou les allers-retours aux toilettes, il était constamment avec Mahmut Y.
Il déclara notamment :
« Le matin de l’incident à 5 h 30 - 6 heures, alors que je dormais, j’ai entendu le bruit d’une chute et, lorsque je me suis levé pour voir ce qui se passait, j’ai vu Mahmut Y. allongé face contre terre, de l’écume blanche coulait de sa bouche. Entre-temps, le gendarme de permanence était venu ; il avait vu Mahmut Y. allongé à terre et averti le personnel responsable. Cinq ou dix minutes plus tard, un médecin est arrivé sur les lieux et a ordonné l’hospitalisation de Mahmut Y. après l’avoir examiné (...)
Moi, j’avais dormi sur le banc et Mahmut Y. et L. Arslan étaient assis sur l’autre banc où ils s’allongeaient parfois. Pour autant que je sache, Mahmut Y. était en bonne santé et, avant sa chute, il avait une bonne mine. Après mon arrestation le 22 novembre, j’étais constamment avec lui jusqu’à sa chute. Moi, j’ai vu Mahmut Y. tomber sur le sol alors que j’étais à moitié endormi. Je suis allé de suite lui porter aide. Toutefois, lui, il était inconscient (...) Puisque j’ai vu sa chute, je pense que Mahmut Y. devait être debout et puis est tombé face contre terre (...) »
Le 8 décembre 1997, le procureur de la République de Diyarbakır recueillit la déclaration de L. Arslan.
Ce témoin dit notamment :
« (...) le 23 novembre, j’ai été arrêté et conduit à la gendarmerie de Siirt. Les locaux où j’ai été placé étaient comme un corridor. A. Satık et un jeune homme dénommé Mahmut Y. y étaient détenus. Deux bancs se trouvaient là. Mahmut Y. était assis sur le même banc que moi. Il se levait parfois et déambulait. Moi, j’ai été placé tard le soir du 23 novembre, à peu près en même temps que A. Satık. Mahmut Y. est arrivé dans les locaux quelques heures plus tard. La nuit du 23 novembre, tout le monde dormait sur les bancs. Le matin aux environ de 5 h 30 - 6 heures, alors que j’étais à moitié endormi, Mahmut Y. marchait. Un moment, il s’est approché du côté droit du banc où j’étais assis. A peine s’est-il assis qu’il est tombé face contre terre. Je me suis complètement réveillé et j’ai appelé de suite A. Satık et les gendarmes de garde. Deux gendarmes ont ouvert la porte et ont examiné (...) Pendant la détention, ni moi-même ni Mahmut Y. et A. Satık ont subi aucune violence. Mahmut Y., autant que je puisse le voir était en bonne santé et est tombé soudainement sur sa bouche, alors qu’il allait s’asseoir (...) »
Le 12 décembre 1997, le procureur de la République de Diyarbakır se déclara incompétent pour connaître de l’affaire, les faits litigieux étant survenus dans le département de Siirt. Il mena toutefois son enquête avant de transmettre le dossier au procureur de la République de Siirt.
Le 12 décembre 1997, il entendit le Dr Yosunkaya. Celui-ci déclara avoir vu Mahmut Y. après son transfert à l’hôpital militaire de Siirt à 8 heures le 24 novembre. Il affirma avoir diagnostiqué un œdème au cerveau et n’avoir constaté aucune trace de violence sur le corps. Le patient fut amené par hélicoptère à l’hôpital militaire de Diyarbakır.
Dans ses déclarations recueillies par le procureur de la République de Diyarbakir le 16 décembre 1997, le Dr Kayacı affirma avoir été appelé en urgence vers 6 heures – 6 h 30. Il se rendit tout de suite sur les lieux où se trouvait Mahmut Y., allongé et sans connaissance. On lui dit que celui-ci était tombé. Une écume blanche coulait de sa bouche. Il dit ne pas avoir constaté de trace de violence sur le corps. Par ailleurs, il affirma avoir accompagné Mahmut Y. pendant son transfert à Diyarbakır.
Les parties pertinentes des déclarations de ce médecin peuvent se lire comme suit :
« J’ai examiné la tomographie du cerveau de Mahmut Y. et on m’a dit que l’hémorragie interne était apparue dans la partie postérieure (occipital) de la tête. Lorsque j’ai fait le premier examen du patient et lors de mes examens postérieurs, je n’ai observé aucune trace de violence, fracture etc. sur la tête ou sur les différents parties du corps (...) Le sol des locaux où s’est produit l’incident était en béton, l’hémorragie peut survenir des suites d’un choc de la tête sur ce sol. Selon les données en main, il est possible que Mahmut Y. soit tombé face contre terre ; parce que, dans ce cas de figure, l’hémorragie apparaît dans la partie postérieure de la tête. »
Le 8 janvier 1998, le procureur de la République de Siirt décida de procéder à une expertise médicale afin de déterminer les causes de la mort de Mahmut Y. et renvoya le dossier à l’institut médico-légal d’Istanbul.
Le 4 février 1998, les requérants déposèrent plainte pour torture contre les gendarmes en charge de la garde à vue de leur fils auprès du procureur de la République de Diyarbakır.
Le 4 mars 1998, le rapport d’expertise dressé par le comité d’experts médico-légal auprès de l’institut médico-légal fut versé au dossier d’enquête. Il s’agit d’un rapport de trois pages, en large partie consacrée à l’établissement des faits. Après avoir résumé les faits, les experts conclurent ainsi :
« (...) 4. Dans le procès-verbal d’autopsie du 5 décembre 1997, il a été noté que l’intéressé a été blessé à la suite d’une chute, l’examen externe du corps a permis de déceler une plaie chirurgicale de 15 cm de longueur (...) dans la région pariétale gauche ; une ecchymose et un hématome sous-cutané dans la partie chevelue de la région pariétale gauche (...) un hématome sous dural dans l’hémisphère gauche (...)
(...)
Le décès était dû aux complications survenues à la suite d’un hématome sous dural aigu résultant d’un traumatisme crânien. »
Le 29 avril 1998, le procureur de la République de Siirt décida de joindre la plainte pour torture déposée par les requérants à l’enquête en cours.
Le 11 mai 1998, il dressa un rapport d’enquête additionnel selon lequel la déposition du fils des requérants n’avait pas été recueillie avant son décès.
Le 29 décembre 1998, le procureur de la République saisit à nouveau l’institut médico-légal aux fins de savoir si le corps du défunt présentait des traces permettant de déterminer s’il avait ou non été victime de torture ou de mauvais traitements au cours de sa garde à vue. Il demanda en outre que fût dressé un rapport de manière à établir si de tels faits auraient pu causer la mort ou la chute du défunt.
Le 4 janvier 1999, le procureur de la République entendit C. Demir, sergent de la gendarmerie. Celui-ci déclara notamment :
« A la suite des aveux de N.S., quinze ou seize personnes ont été placées en garde à vue (...) Mahmut Y., L. Arslan et A. Sartık se trouvaient dans les mêmes locaux. Le jour de l’incident, un gendarme nous a prévenu de la chute d’un accusé, alors que j’étais en train d’interroger un autre accusé. De suite, nous nous sommes dépêchés sur les lieux. La personne était couchée face contre terre. On l’a renversée et allongée sur le banc sur le dos et on a appelé le médecin (...) »
Le 27 avril 1999, le procureur de la République procéda à une reconstitution des faits à laquelle participa un expert. La déposition du témoin C. Demir fut également consignée sur les lieux par le procureur de la République, qui déclara notamment :
« Lorsque les gendarmes de permanence m’ont appelé, je me suis rendu de suite sur les lieux et j’ai vu Mahmut Y. allongé (...) J’ai ouvert la porte qui était verrouillée. Les deux détenus se trouvant sur les lieux, à savoir L. Arslan et A. Satık, ont dit que le défunt s’était levé et lorsqu’il a voulu marcher, il est soudainement tombé à terre. »
L’expert prit des photographies des lieux, puis rédigea un rapport et réalisa un croquis, qu’il remit au procureur de la République trois jours plus tard.
Selon ces rapport et croquis, il s’agit d’un local de 2,20 m de large, 9,70 m de long et 3,50 m de haut. Les deux façades opposées étaient fermées par des barreaux. A l’intérieur, se trouvaient deux bancs en bois de 36 cm de large et 7,50 m de long. Le sol était recouvert de béton avec incrustation de mosaïque et était glissant.
Le 3 mai 1999, le procureur de la République recourut à une nouvelle expertise. Il demanda à nouveau aux experts près l’institut médico-légal s’il existait des traces sur le corps du défunt permettant d’établir s’il avait été ou non victime de torture ou de mauvais traitements et, dans l’affirmative, si ceux-ci pouvaient avoir causé le décès ou la chute.
Le 30 juin 1999, un comité de spécialisation, composé de sept médecins légaux, auprès de l’institut médico-légal établit un rapport d’expertise qui fut versé au dossier d’enquête.
Se fondant sur l’examen des documents versés au dossier d’enquête, ce comité conclut que le décès pouvait avoir été causé aussi bien par un choc traumatique direct qu’à la suite d’une chute accidentelle ou d’une chute provoquée par un tiers, sans qu’il soit toutefois possible de privilégier l’une de ces hypothèses.
Les parties pertinentes de ce rapport sont ainsi libellées :
« (...)
Il ressort du dossier d’enquête concernant Mahmut Y., des documents médicaux y relatifs, du croquis et des photographies des lieux que :
Il n’existe pas de trace de trauma externe sur la tête et le corps. Toutefois, étant donné que les analyses radiologiques ont permis de déceler des changements traumatiques sur la partie droite extra crânienne et sous cutanés et qu’un hématome sous dural a été décelé de l’autre côté de la tête, l’hémorragie cérébrale s’est produite par suite d’un trauma qui ne laisse pas de trace externe.
Il n’existe pas de preuve médicale donnant à penser que le défunt a subi d’autres traumas sur les autres parties de la tête et sur le corps.
Les changements traumatiques décelés sur la partie droite de la tête ayant provoqué le décès peuvent se produire tant par l’application d’un trauma direct sur la tête que suite d’un choc de la tête sur un sol dur. Il est également possible que la chute ou le heurt soient provoqués par l’acte d’un tiers. Toutefois, il est conclu, à l’unanimité, à l’absence d’une hypothèse préférée. »
D. Non-lieu du 9 novembre 1999
Le 9 novembre 1999, le parquet de Siirt rendit un non-lieu à l’égard des fonctionnaires de gendarmerie. Il considéra notamment :
« Se basant sur les renseignements et sur les déclarations d’un indicateur, membre de l’organisation terroriste PKK (...), le 21 novembre 1997 à 22 h 40, Mahmut Y. fut arrêté par des fonctionnaires de la direction de la sûreté de Siirt, et, le 22 novembre 1997 à 14 h 45, il fut remis aux fonctionnaires de la gendarmerie départementale de Siirt. Le 24 novembre 1997, à la suite de sa chute par terre alors qu’il se trouvait dans les locaux de surveillance, il fut transféré d’urgence à l’hôpital militaire en vue de lui faire subir des interventions préliminaires ; par la suite, vu le danger vital, l’intéressé fut transféré à l’hôpital militaire de Diyarbakır, doté de l’équipement médical approprié. Malgré l’opération chirurgicale effectuée dans le but de lui sauver la vie, l’intéressé décéda le 5 décembre 1997. Un médecin légiste procéda à l’examen du corps et à son autopsie sous la surveillance du procureur compétent. Ce dernier conclut que le décès était dû à un hématome lié à un choc traumatique et ne constata aucune anomalie sur le corps. Le dossier d’examen médical de l’intéressé fut soumis à la présidence de l’institut médico-légal afin d’obtenir un avis supplémentaire. Le rapport daté du 4 mars 1998 établi par le comité d’expertise confirma la conclusion du médecin légiste concernant la cause du décès. »
Le procureur se référa également aux conclusions du rapport établi par l’institut médico-légal le 30 juin 1999 (paragraphes 52-53 ci-dessus). Il se fonda en outre sur les dépositions de deux témoins, à savoir celles de A. Satık et L. Arslan, recueillies le 8 décembre 1997.
Le procureur de la République observa que le défunt se trouvait dans la même salle de surveillance que les deux témoins oculaires. Au vu des déclarations de ces derniers ainsi que des rapports établis par l’institut médico-légal, il estima établi que Mahmut Y. était tombé à terre en heurtant sa tête contre le sol en béton et que ce choc avait entraîné une hémorragie cérébrale qui causa sa mort. Compte tenu de l’absence de retard ou de négligence dans l’intervention médicale après la chute et de l’absence de preuve à même d’établir, au-delà de tout soupçon, que le défunt avait fait l’objet de violences au cours de sa garde à vue, le procureur conclut qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites.
E. Mise en accusation des fonctionnaires de gendarmerie
Le 24 novembre 1999, les requérants formèrent opposition au non-lieu adopté par le procureur devant le président de la cour d’assises de Batman. Ils soutinrent notamment que les rapports de l’institut médico-légal établissaient que la mort de leur fils était due à un coup porté à la tête. Ils firent valoir que cette situation justifiait l’ouverture d’une procédure publique et équitable. Par ailleurs, ils critiquèrent l’inertie dont avait fait preuve le parquet pendant près de deux ans. Enfin, ils précisèrent que l’hypothèse d’une chute était clairement exclue, dans la mesure où les traces du coup ayant causé la mort étaient concentrées sur une petite zone alors que la plaie aurait été large et dispersée s’il s’était agi d’une chute.
Le 5 janvier 2000, le président de la cour d’assises de Batman prononça la levée du non-lieu et ordonna l’approfondissement de l’enquête et l’engagement de poursuites pénales contre les fonctionnaires de la gendarmerie. Il considéra notamment qu’au vu des pièces du dossier, la cause du décès n’avait pu être établie avec certitude et que la mort était survenue lors de la garde à vue.
Le 4 avril 2000, le procureur de la République inculpa sept gendarmes chargés de la garde à vue de Mahmut Y. (D. Şenel, B. Gelebek, C. Evgi, Y. Gürlek, H. Küçük, A. Bozkuş et C. Demir) et requit leur condamnation en vertu des articles 452 (homicide involontaire) et 243 (torture) du code pénal.
Le 5 avril 2000, la cour d’assises de Siirt (« la cour d’assises ») tint sa première audience consacrée à la constitution du dossier de procédure.
Le 2 juin 2000, les requérants présentèrent une demande d’intervention à l’action pénale. Dans leur mémoire à cet effet, ils soutinrent que leur fils était décédé suite aux actes de torture qu’il avait subis au cours de sa garde à vue et que la procédure n’avait pas été menée par les autorités internes conformément aux exigences des articles 2, 5, 6 et 13 de la Convention.
Le 6 juin 2000, la cour d’assises tint une audience.
Simultanément, le 6 juin 2000, la déclaration de K. Tonguç (paragraphe 25 ci-dessus) fut recueillie sur commission rogatoire. Il déclara que, le jour de l’incident, il montait la garde avec son collègue Y. Aras et avait vu Mahmut Y. tomber à terre. Il affirma que les autres détenus se trouvant dans la salle étaient debout et que, par la suite, une ambulance amena le blessé à l’hôpital.
Le 20 juin 2000, le Dr Yosunkaya fut entendu sur commission rogatoire (paragraphe 27 ci-dessus). Il déclara notamment :
« Un patient avait été amené à une heure dont je ne me souviens pas. La première intervention avait déjà été faite par un autre médecin. Il ne présentait pas de trace visible de blessure. Seulement un peu de sang coagulé avait coulé du nez. Il avait perdu connaissance (...) Nous avons pensé à un trauma à la tête par suite d’une chute (...) Nous avons attentivement examiné le corps du blessé et n’avons constaté aucune blessure résultant de l’usage d’une arme ou aucune fracture. Par ailleurs, les deux graphies du crâne effectuées dans l’hôpital ne nous ont pas donné une indication concernant la blessure (...) Les personnes qui l’avaient emmené avaient seulement dit avoir retrouvé le blessé sur le sol recouvert de béton et n’avaient pas indiqué que celui-ci était tombé à terre. »
Lors de l’audience du 28 septembre 2000, la cour d’assises accueillit la demande de constitution de « partie intervenante » déposée par les requérants. Elle entendit également l’un des accusés, A. Bozkuş, qui nia les faits qui lui étaient reprochés et déclara avoir été informé de la chute de Mahmut Y. alors qu’il procédait à l’interrogatoire d’un détenu. Il précisa avoir informé ses collègues, s’être rendu dans la salle de surveillance du défunt, l’avoir vu allongé à terre puis avoir appelé un médecin. Il déclara notamment :
« A la suite des informations obtenues de la part de N.S., nous avions arrêté 10 à 15 personnes. Nous avons placé deux ou trois suspects dans les locaux de surveillance (...) Du fait de l’absence de place dans ces cellules, nous avons placé Mahmut Y. et ses compagnons dans la salle se trouvant au corridor où il y a des bancs. Avant la chute de Mahmut Y., je suis sûr que l’interrogatoire n’avait pas encore commencé (...) »
A l’audience du 9 novembre 2000, la cour d’assises entendit la mère de Mahmut Y., en tant que « partie intervenante ». Celle-ci affirma que son fils était allé à Siirt pour vendre des oignons. Puis, en l’absence de nouvelles pendant trois jours, elle entama des recherches au terme desquelles elle avait appris qu’il se trouvait à l’hôpital militaire. Ses tentatives de visite à l’hôpital étaient vouées à l’échec. Enfin, elle avait été informée que son fils était décédé onze jours après son hospitalisation en raison d’actes de torture. Elle demanda que les responsables fussent condamnés.
Lors de cette même audience, la cour d’assises entendit le détenu A. Satık. Celui-ci affirma avoir été placé dans la même salle de surveillance que Mahmut Y. et L. Arslan, où il se trouvait depuis trois-quatre heures lorsque, soudainement, Mahmut Y. était tombé à terre, évanoui. Il avait vainement tenté de le réanimer puis appelé les gendarmes. Il précisa qu’il n’avait pas encore déposé au cours de la survenance des faits en question. Il déclara en outre n’avoir fait l’objet d’aucun mauvais traitement pendant sa garde à vue.
Ha.Y., le frère de Mahmut Y., fut également entendu lors de cette audience. Il affirma avoir examiné le corps de son frère à Siirt et avoir remarqué des bleus sur ses épaules. En outre, il précisa avoir vu les traces de l’opération chirurgicale que son frère avait subie et dont les cicatrices étaient ensanglantées.
La déposition de B. Gelebek, sergent de la gendarmerie, fut obtenue le 3 novembre 2000 sur commission rogatoire.
B. Gelebek dit notamment :
« A l’époque de l’incident, j’étais responsable de l’interrogatoire. Le défunt Mahmut Y. a été arrêté par la police, puis il nous a été livré. Il a été examiné par un médecin. La personne en question a été placée dans la partie corridor de nos locaux de surveillance avant d’être interrogé. Il a fait une chute dans ce corridor alors qu’entre trente-cinq et quarante détenus s’y trouvaient. L’endroit où il a chuté était en béton dur. Moi, je n’ai pas vu la chute et lorsque j’en ai été informé, j’ai donné les ordres nécessaires pour qui lui fussent prodigués des soins médicaux (...) Je ne lui ai pas fait subir de mauvais traitements. »
Le 17 novembre 2000, la déposition de C. Evgi, sous-officier de la gendarmerie, fut consignée sur commission rogatoire.
C. Evgi déclara notamment :
« A la suite de la dénonciation de N.S, un militant du PKK, sept ou dix suspects étaient placés en garde à vue. Alors que l’interrogatoire de N.S. se poursuivait, un soldat est venu et a dit qu’un détenu était tombé face contre le sol (...) Lorsque l’on s’est rendu dans la salle de surveillance, nous avons vu Mahmut Y. couché (...) Selon notre enquête, alors que tous les accusés étaient debout, Mahmut Y. était tombé par terre en raison d’une chute de tension et s’était cogné la tête contre le sol en béton (...) »
Dans sa déposition recueillie le 29 novembre 2000 sur commission rogatoire, C. Demir confirma ses déclarations du 4 janvier 1999 (paragraphe 47 ci-dessus).
Le 19 décembre 2000, la cour d’assises tint une audience et décida, après lecture, de verser au dossier les dépositions recueillies par commission rogatoire.
Au cours des audiences des 13 février, 15 mars, 31 mai et 19 juillet 2001, la cour d’assises compléta le dossier d’instance.
En même temps, le 21 mars 2001, l’accusé H. Küçük fut entendu sur commission rogatoire. Il déclara avoir entendu que Mahmut Y. avait fait une chute. Il s’était rendu sur les lieux et l’avait vu allongé à terre.
De même, le 26 avril 2001, la déposition de l’accusé Y. Gürlek fut consignée sur commission rogatoire. Celui-ci nia tous les chefs d’accusation.
Le 29 juin 2001, le Dr Kayacı fut entendu toujours sur commission rogatoire. Il réitéra ces déclarations recueillies par le procureur (paragraphe 40 ci-dessus).
Le 2 octobre 2001, la cour d’assises demanda à l’institut médico-légal d’établir un rapport complémentaire aux fins de déterminer l’origine des bleus constatés par Ha.Y. sur le corps de son frère.
Le 2 novembre 2001, le rapport établi par le comité de spécialisation auprès de l’institut médico-légal fut versé au dossier. Les parties pertinentes de ce rapport sont ainsi libellées :
« Conclusion : (...)
Au terme de l’examen de Mahmut Y. le jour de son arrestation, aucune trace de violence n’a été constatée. De même, lorsque celui-ci a été examiné à l’hôpital le 25 novembre 1997 et soumis à une tomographie de la tête, à l’exception de l’hématome sous dural et d’une hypodermique dans la partie droite de la tête, aucune modification traumatique n’a été décelée. A l’issue de l’autopsie effectuée le 5 décembre 1997, onze jours après la chute alléguée, outre la blessure sur la tête, des traces dues à un allongement prolongé ont été mentionnées. Par ailleurs, les bleus constatés par [des proches] du défunt s’expliquent par les changements post mortem. Il est conclu, à l’unanimité, à l’absence de preuves médicales certaines donnant à penser que le défunt a subi un autre traumatisme, à l’exception du traumatisme crânien sur la région pariétale droite provoqué par une chute ou une application directe d’un trauma. »
Entre-temps, le 31 octobre 2001, les déclarations de Y. Aras (paragraphe 24 ci-dessus) furent obtenues sur commission rogatoire. Il déclara notamment :
« [Ces jours-là], plusieurs personnes ont été placées en garde à vue pour aide et soutien au PKK. L. Arslan, A. Satık et Mahmut Y. se trouvaient dans la même salle, dont les deux parties sont fermées par des barreaux. Aux environs de 6 heures du matin, je marchais avec K. Tonguç, un autre gendarme. Mahmut Y. parfois se levait, parfois s’asseyait. Alors qu’il était debout, il a fait une chute soudaine. Nous avons tout de suite informé nos commandants. Une écume blanche coulait de la bouche de Mahmut Y. Le médecin s’est rendu sur les lieux (...) »
Par un jugement du 29 janvier 2002, la cour d’assises acquitta les gendarmes responsables de la garde à vue de Mahmut Y. pour insuffisance de preuves à charge. Elle fonda son verdict sur le fait, d’une part, que les déclarations des témoins oculaires, à savoir celles d’A. Satık, recueillies au cours de l’enquête et réitérées devant la cour, et celles de L. Arslan, recueillies au stade de l’instruction (son adresse n’ayant pu être déterminée, il ne put être entendu par la cour d’assises), étaient concordantes et, d’autre part, sur le rapport de l’institut médico-légal concluant à l’absence de traces de violence sur le corps du défunt.
Elle considéra notamment :
« Le rapport établi par le comité de spécialisation auprès de l’institut médico-légal le 2 novembre 2001 fait état de l’absence de traces de violence sur le corps du défunt lors de son arrestation ; lorsque celui-ci a été examiné à l’hôpital le 25 novembre 1997 et soumis à une tomographie de la tête, à l’exception de l’hématome sous dural et d’une hypodermique dans la partie droite de la tête, aucune modification traumatique n’a été décelée. A l’issue de l’autopsie effectuée le 5 décembre 1997, onze jours après la chute alléguée, outre la blessure sur la tête, des traces dues à un allongement prolongé ont été mentionnées. Par ailleurs, les bleus constatés par [des proches du défunt] s’expliquent par les changements post mortem. Il fut établi que le défunt n’avait subi aucun trauma, autre que celui de la tête.
Vu l’ensemble des preuves du dossier, il peut passer pour établi que le défunt Mahmut Y. a été arrêté et placé en garde à vue dans un local avec L. Arslan et A. Sartık. Puis, le défunt est tombé au sol, à la suite de quoi il respirait bruyamment et une écume blanche coulait de sa bouche. Le témoin oculaire L. Arslan a averti les soldats. Tout de suite, le médecin s’est rendu sur les lieux et Mahmut Y. a été transféré à l’hôpital où il a trouvé la mort onze jours plus tard (...)
Etant donné l’insuffisance de preuve concernant l’allégation de mauvais traitements, il y a lieu d’acquitter les accusés (...) »
Le 11 mars 2002, les requérants se pourvurent en cassation contre le jugement du 29 janvier 2002. Dans leur mémoire introductif, ils contestèrent l’acquittement des accusés et dénoncèrent l’inertie pendant près deux ans des autorités ayant mené l’enquête. Ils critiquèrent en outre le défaut d’inspection des lieux de l’incident par le parquet et la qualification des faits opérée par ce dernier. Ils soutinrent par ailleurs qu’à la lecture des rapports établis par l’institut médico-légal, la mort de Mahmut Y. a été causée par un coup administré sur la tête et soulignèrent qu’en cas d’une chute, la plaie aurait dû être large et dispersée alors qu’en l’espèce, les traces du coup ayant causé la mort étaient concentrées sur une région étroite, ce qui excluait clairement l’hypothèse d’une chute.
A l’heure actuelle, la procédure pénale demeure pendante devant la Cour de cassation.
F. Pièces produites par les requérants
Les requérants contestent notamment les déclarations de L. Arslan et soutiennent que celui-ci a déposé sous la pression des forces de l’ordre. A cet effet, ils produisent un certificat médical établi par le Dr İ. Öz, le 23 novembre 1997 à 11 heures, selon lequel l’état général de L. Arslan était bon et il présentait :
« (...) une érosion de 3 x 1 cm dans la région frontale, un hématome sur les lèvres, une des incisives est cassée. Toutefois, ces blessures pouvaient être survenues deux ou trois jours avant. Une érosion de 2 x 3 cm sur les deux tibias a été décelée. (...) pas de trace de violence sur son corps. »
Par ailleurs, les requérants soumettent à la Cour la copie d’une demande de mise en liberté présentée par L. Arslan le 3 décembre 1997. Celui-ci disait avoir été victime de pressions lors de sa garde à vue et avoir signé plusieurs documents sans les avoir lus. De même, dans une autre demande de mise en liberté signée le 16 décembre 1997 par quatre détenus, y compris L. Arslan, les signateurs plaidaient leur innocence et soutenaient avoir été torturés pendant huit et dix jours. En outre, il ressort des déclarations de L. Arslan établies lors de la procédure engagée à son encontre que celui-ci niait les chefs d’accusation qui lui étaient reprochés. Il soutenait avoir subi des tortures pour lui faire signer des aveux.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La loi no 2253 du 7 novembre 1979 portant instauration des tribunaux pour enfants
A l’époque des faits, selon l’article 41 de la loi no 2253, le terme « mineur » désignait toute personne qui n’avait pas atteint l’âge de seize ans. Par une révision législative du 7 août 2003, toute personne ayant moins de dix-huit ans est considérée comme mineure.
Selon l’article 6 de cette loi, les infractions commises par des mineurs et relevant de la compétence des juridictions ordinaires étaient jugées par des tribunaux pour enfants, sous réserve des dispositions relatives aux infractions énumérées à l’article 143 de la Constitution. L’article 143 prévoyait l’institution des cours de sûreté de l’Etat et énonçait que les dispositions relatives aux attributions, aux compétences et à la procédure de ces juridictions seront définies par la loi. Fondée sur l’article 143 de la Constitution, la loi no 2845 portant instauration des cours de sûreté de l’Etat énonçait, dans son article 9 § 1 a), la compétence exclusive de ces juridictions pour les infractions visées, entre autres, aux articles 125, 168 et 169 du code pénal.
L’article 6 de la loi no 2253 fut modifié le 7 août 2003 de sorte que la compétence des cours de sûreté de l’Etat concernant les mineurs a été abrogée. Par ailleurs, par une révision constitutionnelle du 7 mai 2004, les cours de sûreté de l’Etat ont été abolies.
D’après l’article 19 de la loi no 2253, l’instruction des infractions prétendument commises par des mineurs est menée par le procureur de la République ou par des adjoints désignés par celui-ci en personne.
B. Le placement en garde à vue des mineurs et leur interrogatoire
« La directive sur la garde à vue, l’interrogatoire et le témoignage » de la Gendarmerie no 318 du 18 janvier 1996 se lit comme suit :
« (...)
Droit de la personne gardée à vue et règles que doivent respecter les forces de sécurité :
(...)
b) les hommes et les femmes sont placés en garde à vue dans des lieux différents. Si cela est possible, les enfants aussi sont gardés dans un lieu séparé.
(...)
e) les proches de la personne gardée à vue sont informés dans les plus brefs délais s’il n’y a pas d’empêchement légal (...) »
La circulaire no 23480 portant sur l’arrestation, la garde à vue et l’interrogatoire prévoit pour les mineurs un régime de garde à vue spécial. Toutefois, cette circulaire qui a abrogé « la circulaire no 318 du 18 janvier 1996 de la Gendarmerie sur la garde à vue, l’interrogatoire et le témoignage » est entrée en vigueur le 1er octobre 1998, c’est-à-dire après les faits de l’espèce.
D’après son article 18, l’arrestation de mineurs atteignant l’âge de quinze ans et ne dépassant pas dix-huit, doit être communiquée à leurs parents et, en principe, leur déposition ne peut être recueillie qu’en présence de leur défenseur. Ces mineurs doivent également être placés dans des locaux séparés de ceux des détenus adultes. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Les requérants sont nés respectivement en 1968 et 1953, et résident à Van.
Le 25 juillet 1994, les requérants furent arrêtés et, le 16 août 1994, traduits devant le juge près le tribunal d’instance pénale de Gevaş qui ordonna leur mise en détention provisoire.
Le 5 octobre 1994, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır inculpa les requérants et dix-sept autres personnes des chefs d’appartenance et d’aide et assistance au PKK. Il requit leur condamnation en application des articles 168 et 169 du code pénal.
Le 8 décembre 1994, la cour de sûreté de l’Etat (« la cour ») entendit les requérants en leur défense. Elle demanda au procureur de la République de rechercher l’adresse d’un prévenu, constata le décès d’un accusé, demanda au tribunal correctionnel de Gevaş de communiquer un dossier et ordonna une expertise balistique des armes appartenant aux requérants.
Lors des audiences des 7 février et 23 mars 1995, la cour demanda au tribunal correctionnel de Gevaş de recueillir les déclarations de plusieurs témoins, à la cour d’assises de Mersin les déclarations d’un accusé et à la cour d’assises de Van celles de deux témoins.
Le 13 juin 1995, la cour releva que l’adresse de l’accusé, dont l’audition avait été demandée à la cour d’assises de Mersin, n’avait pas été établie et ordonna des recherches en ce sens. Elle réitéra sa demande auprès de la cour d’assises de Van.
Le 31 août 1995, la cour décida la jonction de la présente affaire à une autre affaire pendante devant elle. Elle communiqua à la cour d’assises de Van l’adresse d’un témoin, demanda à la cour d’assises d’Istanbul de recueillir la déposition d’un accusé et réitéra sa demande de recherche d’adresse.
Le 24 octobre 1995, la cour réitéra sa demande de recherche d’adresse et d’audition de témoins auprès de la cour d’assises de Van.
Le 19 décembre 1995, la cour fit droit à la demande de complément d’enquête du procureur de la République. A cet égard, elle délivra un mandat d’amener à l’encontre d’un témoin et demanda la communication du dossier de l’affaire le concernant.
Lors de sept audiences qui eurent lieu entre le 8 décembre 1994 et le 19 décembre 1995, la cour écarta les demandes d’élargissement des requérants et prononça leur maintien en détention compte tenu de la nature de l’infraction et l’état des preuves. Lors de l’audience du 13 juin 1995, elle invoqua en sus la durée de leur détention provisoire.
Le 12 janvier 1996, le procureur de la République déposa un acte d’accusation complémentaire et requit la condamnation des requérants sur le fondement de l’article 125 du code pénal.
Le 23 janvier 1996, la cour renouvela le mandat d’amener délivré à l’encontre d’un témoin et demanda la production de ses dépositions recueillies lors de la procédure pénale engagée à son encontre. Elle décida de notifier l’acte d’accusation complémentaire aux requérants et prononça leur maintien en détention, eu égard à la nature et à la qualification de l’infraction reprochée, au contenu du dossier et à l’état des preuves.
Le 12 mars 1996, la cour accusa réception des procès-verbaux de déposition du témoin, lesquels furent versés au dossier. Elle réitéra sa demande relative à la recherche d’adresse d’un témoin et délivra un mandat d’amener à l’encontre d’un autre témoin. Au terme de l’audience, elle prononça le maintien en détention des requérants sans indiquer de motif.
Du 7 mai au 14 août 1996, la cour tint trois audiences aux cours desquelles elle constata par deux fois le refus du premier requérant de comparaître. Elle demanda à la cour d’assises de Van de recueillir la déposition du témoin dont l’adresse avait été établie, réitéra sa demande de recherche d’adresse et délivra des mandats d’amener à l’encontre de plusieurs témoins. Au terme de ces audiences, elle prononça le maintien en détention des requérants, ce eu égard à la nature de l’infraction reprochée et l’état des preuves.
Le 17 octobre 1996, la cour accusa réception des documents produits par la 1re cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, réitéra ses demandes de recherche d’adresse, d’expertise balistique et de documents auprès de la 2e cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır et délivra un mandat d’amener à l’encontre de deux témoins.
Lors des audiences qui se tinrent le 17 décembre 1996 et les 25 février et 1er avril 1997, la cour entendit un témoin, réitéra sa demande de recherche d’adresse et le mandat d’amener émis à l’encontre d’un témoin.
Le 3 juin 1997, la cour demanda au tribunal correctionnel de Hizan de recueillir la déposition du deuxième témoin dont l’adresse avait été établie et délivra un mandat d’amener à l’encontre d’un accusé.
Le 30 juillet 1996, la cour renouvela sa demande de recherche d’adresse d’un témoin.
Lors de ces cinq audiences, la cour écarta les demandes d’élargissement des requérants et prononça leur maintien en détention compte tenu de la nature de l’infraction reprochée et l’état des preuves.
Du 16 septembre 1997 au 1er septembre 1998, la cour tint huit audiences au terme desquelles elle prononça le maintien en détention des requérants en se fondant sur la nature et la qualification de l’infraction reprochée et l’état des preuves. A l’audience du 23 mars 1998, elle entendit un témoin en ses déclarations et, le 1er septembre 1998, elle réitéra, sur requête du représentant des requérants, la demande d’expertise balistique.
Lors des audiences des 13 octobre et 24 novembre 1998, la cour releva que la demande d’expertise balistique n’avait pas été dûment formulée et fit une nouvelle demande en ce sens. Sur requête du procureur de la République, elle demanda la production du dossier de l’affaire relative aux faits dénoncés dans l’acte d’accusation complémentaire ainsi que des informations à ce sujet. Elle demanda la production de documents à la 1re cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır et l’audition de dix témoins. Au terme de ces audiences, elle prononça le maintien en détention des requérants sans énoncer de motif et demanda à être informée des raisons de l’absence des requérants aux audiences.
Les 26 janvier, 2 mars et 13 avril 1999, la cour entendit le deuxième requérant en sa défense. Elle accusa réception des documents envoyés par le parquet de Van et la 1re cour de sûreté de l’Etat, releva que les déclarations des témoins avaient été recueillies et demanda à plusieurs reprises au procureur de la République près la cour de sûreté de Van des informations complémentaires concernant les faits à l’origine de l’acte d’accusation complémentaire. Elle réitéra la demande d’expertise balistique, la recherche d’adresse concernant un accusé et ordonna une nouvelle expertise balistique sur trois armes consignées. Au terme des ces audiences, elle prononça le maintien en détention des requérants compte tenu de la nature de l’infraction et l’état des preuves. Lors de l’audience du 13 avril 1999, elle n’indiqua aucun motif.
Le 11 mai 1999, la cour demanda à la cour de sûreté de l’Etat de Van de recueillir la déposition de l’accusé dont l’adresse avait été établie. Elle accusa réception du rapport d’expertise balistique, réitéra sa demande concernant l’expertise balistique des armes consignées et décida d’avertir les autorités qui n’avaient pas donné suite à ses demandes. Au terme de cette audience, elle ordonna le maintien en détention des requérants, ce eu égard à la nature de l’infraction reprochée et l’état des preuves.
Le 15 juin 1999, la cour ordonna la libération provisoire du deuxième requérant et prononça le maintien en détention du premier compte tenu de la nature de l’infraction et l’état des preuves. Elle accorda un délai supplémentaire au procureur de la République pour rédiger ses réquisitions sur le fond.
Le 4 août 1999, la cour entendit le premier requérant en sa défense. Elle accusa réception de l’expertise des armes consignées et de la réponse de la cour de sûreté de l’Etat de Van. Elle ordonna une nouvelle recherche d’adresse concernant un accusé et transféra à nouveau le dossier au procureur de la République pour la préparation des réquisitions sur le fond. Au terme de cette audience, elle écarta la demande d’élargissement du requérant et prononça son maintien en détention, ce en raison de la nature de l’infraction et l’état des preuves.
Le 28 septembre 1999, le procureur de la République présenta ses réquisitions sur le fond. La cour accorda un délai au représentant des accusés pour la préparation de leur plaidoirie et ordonna le maintien en détention du premier requérant compte tenu de la nature de l’infraction reprochée et de l’état des preuves.
Le 1er octobre 1999, le représentant des requérants forma un recours contre la décision de la cour du 28 septembre 1999 quant au maintien en détention de son client. Faisant observer la date de sa mise en détention et l’absence de preuve à charge, il soutint que son maintien en détention allait à l’encontre du droit interne et des articles 5 et 6 de la Convention.
Le 5 octobre 1999, la cour rejeta ce recours.
Le 9 novembre 1999, la cour prononça la libération provisoire du premier requérant.
Le 30 novembre 1999, la cour condamna le premier requérant à douze ans et six mois d’emprisonnement et le deuxième à trois ans et neuf mois d’emprisonnement, en application des articles 168 § 2 et 169 du code pénal.
Par un arrêt du 6 novembre 2000, notifié au représentant des requérants le 19 juillet 2002, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1934 et réside à Torez, dans la région de Donetsk, en Ukraine.
Par un jugement du 2 avril 2001, le tribunal de Torez ordonna au combinat minier « Progrès » (une entreprise d’Etat) de payer à la requérante la somme de 41 349,18 UAH (hryvnyas ukrainiennes) au titre de la compensation de la perte du soutien de famille et des indemnités dues à son mari décédé, jadis employé de l’entreprise.
En août 2002, la requérante se vit verser la somme de 1 900 UAH.
Le jugement restant inexécuté, la requérante s’adressa au service local des huissiers de justice qui, par deux lettres des 30 septembre 2002 et 10 septembre 2003, l’informa que lors de la saisie des comptes bancaires du combinat minier, le manque de fonds avait été constaté, que la requérante était inscrit sur la liste d’attente des créanciers sous le numéro 337 et que les prétentions des créanciers étaient traitées par ordre de précédence au fur et à mesure de l’alimentation du compte de la société débitrice.
Le directeur du service se référa, en outre, à la loi de l’Ukraine no 2864-III « Sur l’introduction du moratoire sur la vente forcée de la propriété » (en vigueur depuis le 26 décembre 2001) interdisant la vente de la propriété des compagnies, dont 25% des actions ou plus appartenaient à l’Etat, pour rembourser des dettes. Il mentionna également la décision de la cour économique de la région de Donetsk du 8 janvier 2003 portant sur l’initiation de la procédure de faillite du combinat minier. Enfin, il informa la requérante qu’en mars 2003, le combinat minier « Progrès » et plusieurs autres entreprises d’Etat avaient fusionné en une seule entreprise « Torez-anthracite » et que par une décision du 25 juillet 2003, le tribunal de Torez décida sur le transfert de leurs obligations à leur successeur – le « Torez - anthracite ».
En juin et en septembre 2004, Mme Rybak perçut la totalité de la somme due en vertu du jugement en sa faveur. Le 9 septembre 2004, la procédure d’exécution de ce jugement fut clôturée par la décision d’un huissier d’Etat.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le droit interne pertinent est décrit dans l’arrêt Romachov c. Ukraine (no 67534/01, du 27 juillet 2004). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
La requérante est née en 1972 et réside à Londres.
Le 2 février 1998, elle fut déclarée coupable de coups et blessures volontaires graves. On constata qu'elle était atteinte d'une maladie mentale. Elle fut internée à l'hôpital conformément aux articles 37 et 41 de la loi de 1983 sur la santé mentale (Mental Health Act 1983 – « la loi de 1983 »). Elle s'adressa à la commission de contrôle psychiatrique (Mental Health Review Tribunal – « la commission ») dans le but d'obtenir sa libération de l'hôpital.
Le premier contrôle effectué par la commission de contrôle psychiatrique
Le 24 mai 1999, la commission examina la demande de la requérante pour la première fois. Elle suspendit son examen, notamment le temps d'obtenir le rapport psychiatrique d'un médecin, le docteur Hamilton, sur la question de savoir si la requérante pouvait bénéficier d'un élargissement sous conditions.
Le 16 août 1999, la commission rouvrit l'audience portant sur la demande de la requérante. Elle avait devant elle le rapport du docteur Hamilton selon lequel l'intéressée n'était pas prête à être libérée. En outre, le psychiatre chargé de suivre la requérante, le docteur O'Grady, et un travailleur social indiquèrent à la commission qu'ils étaient opposés à la libération. Ils suggérèrent que la requérante fût au lieu de cela placée dans un foyer sous la surveillance d'un psychiatre consultant.
La commission conclut néanmoins que la requérante devait être libérée sous conditions, à savoir résider au domicile de ses parents, accepter le suivi d'un travailleur social et d'un psychiatre expert, et suivre tout traitement qui lui serait prescrit.
Pour parvenir à sa décision, la commission apporta aux trois questions ci-après les réponses indiquées en regard de celles-ci :
La commission expliqua dans son raisonnement :
« La commission est convaincue (...) que la patiente souffre en ce moment d'une maladie mentale, à savoir la schizophrénie, et que la prise de médicaments permet d'en maîtriser totalement les symptômes ; elle estime que l'intéressée doit poursuivre son traitement et continuer à prendre ses médicaments afin de contenir sa maladie.
La patiente (...) ne présente plus de symptômes depuis au moins huit à douze mois.
(...)
(...) compte tenu du risque de rechute, il faut conserver la possibilité de la réinterner en vue d'une reprise du traitement. »
La commission ajourna la libération de la requérante jusqu'à ce que soient prises les dispositions nécessaires pour répondre aux conditions fixées par elle.
Tentatives menées pour respecter les conditions posées par la commission
Le 30 septembre 1999, le psychiatre chargé du suivi de la requérante hors milieu hospitalier, le docteur Kennedy, l'examina avec deux membres de son équipe. Il conclut qu'il n'accepterait de la suivre que si elle résidait dans un foyer où elle bénéficierait d'un soutien, mais pas si elle était chez elle. Il décrivit la consultation dans une lettre du 6 octobre 1999 adressée au docteur O'Grady :
« J'ai clairement indiqué que je ne jugerais pas sûr de me charger du suivi de [la requérante] si elle devait rentrer directement chez elle et être soignée par ses parents, car il existe des points importants sur lesquels elle n'a pas fait suffisamment de progrès pour qu'on puisse penser qu'il n'existe pas de risque de rechute et de nouvelle infraction. »
Le docteur Kennedy fit clairement savoir que, selon lui, pour la phase suivante du traitement, de la réadaptation et de la gestion des risques, l'intéressée devrait certes être placée près de sa famille, mais dans une unité de moyenne sécurité ou dans un centre de soins psychiatriques agréé. A défaut, il proposait de demander à l'un de ses collègues ou à l'un des psychiatres du St Anne's Hospital s'ils seraient prêts à suivre la requérante au cas où elle serait libérée sous conditions et retournerait au domicile de ses parents.
Le 11 octobre 1999, le docteur O'Grady écrivit à la commission pour l'informer à l'avance que son équipe n'était pas en mesure de répondre aux conditions posées par la commission pour la libération de la requérante. Il expliqua que tant le docteur Hamilton que le docteur Kennedy pensaient qu'il serait délicat d'assurer le suivi de l'intéressée si elle était renvoyée directement au domicile de ses parents. Il continua en ces termes :
« Dès lors, j'estime qu'il est très peu probable qu'un autre psychiatre expert accepte d'assurer le suivi prévu dans les conditions fixées par la commission (...) Nous continuons à penser qu'il n'est pas dans l'intérêt [de la requérante] d'être renvoyée directement dans sa famille mais [qu'elle] devrait bénéficier d'une autre période de réadaptation dans la collectivité afin qu'elle puisse affronter à nouveau la vie en société. »
Le 19 octobre 1999, le docteur O'Grady adressa une nouvelle lettre à la commission pour l'informer qu'il écrirait aux autres psychiatres experts du service médicolégal de Londres Nord (« NLFS ») afin de savoir s'ils seraient prêts à suivre la requérante dans les conditions énoncées par la commission. Il est apparu qu'aucun des psychiatres n'y était disposé.
Le 15 novembre 1999, l'autorité sanitaire responsable de la zone dans laquelle la requérante résidait (« l'autorité sanitaire ») pria le directeur du NLFS de prendre contact avec des psychiatres experts du secteur privé pour savoir s'ils seraient prêts à suivre la requérante.
Le 2 décembre 1999, le NLFS informa l'autorité sanitaire que le nouveau médecin traitant de la requérante, le docteur Duffield, estimait qu'il n'était pas opportun que la patiente rentrât chez elle. Il avait toutefois accepté de s'adresser à tous les psychiatres experts du secteur pour leur demander si, au cas où elle serait renvoyée au domicile de ses parents, ils accepteraient de suivre la requérante à l'issue de son traitement à l'hôpital.
Le 15 décembre 1999, le NLFS écrivit à l'autorité sanitaire pour confirmer qu'aucun psychiatre expert de son secteur n'était prêt à suivre la requérante hors milieu hospitalier. En outre, le NLFS déclara qu'il ne connaissait ni individu ni organisme convenablement équipé pour entreprendre une telle tâche dans la collectivité. Il était noté dans la lettre que la plupart des services proposés dans le secteur privé visaient exclusivement les patients nécessitant des soins intensifs et internés à l'hôpital.
Le 17 décembre 1999, le docteur Duffield écrivit à la commission pour l'informer que les conditions qu'elle avait posées n'étaient pas encore respectées et pour expliquer pourquoi il en était ainsi.
En décembre 1999 et janvier 2000, l'autorité sanitaire écrivit aux directeurs des services d'expertise psychiatrique de Londres, du Hertfordshire et de l'Essex, ce qui représentait neuf unités en plus du NLFS. Les directeurs étaient priés d'étudier d'urgence le cas avec leurs collègues consultants afin d'établir si l'un d'entre eux était prêt à examiner la requérante en vue d'assurer les fonctions de psychiatre expert chargé de la suivre selon les conditions énoncées par la commission. Aucun ne se dit en mesure d'intervenir ou disposé à le faire.
Par la suite, l'autorité sanitaire adressa la même demande à des organismes publics et privés du Cambridgeshire et du Northamptonshire. Une fois de plus, aucune institution ne se déclara prête à mettre en œuvre les conditions posées par la commission.
L'autorité sanitaire conclut qu'elle avait entrepris toutes les démarches possibles.
Le 3 mars 2000, le docteur Kennedy écrivit au ministère de l'Intérieur afin d'expliquer que, selon lui, les conditions fixées par la commission étaient impossibles à respecter. Il invita par conséquent le ministre de l'Intérieur à faire usage du pouvoir que lui conférait l'article 71 § 1 de la loi de 1983 de renvoyer la requérante devant une commission de contrôle psychiatrique. Le ministre de l'Intérieur accéda à cette demande le 17 mars 2000.
La demande de contrôle juridictionnel introduite par la requérante devant la High Court
Le 3 décembre 1999, la requérante introduisit une demande de contrôle juridictionnel de la décision de l'autorité sanitaire de ne pas lui accorder un suivi psychiatrique hors milieu hospitalier conforme aux conditions définies par la commission, en conséquence de quoi elle ne pouvait être libérée de l'hôpital. Elle demandait notamment l'annulation de cette décision et/ou une ordonnance enjoignant à l'autorité sanitaire de lui assurer le traitement psychiatrique nécessaire au respect des conditions définies par la commission.
Le 18 janvier 2000, la High Court accorda à la requérante l'autorisation de demander un contrôle juridictionnel. Le ministre de la Santé refusa d'intervenir dans la procédure mais formula les observations suivantes :
« La loi sur la santé mentale fixe un cadre juridique pour les affaires de ce type dans le but de préserver l'intérêt des patients. Dans ce cadre, les médecins traitants exercent une responsabilité qui ne leur permet pas de contester les décisions de commissions de contrôle psychiatrique constituées selon les règles (...) Il appartient à la commission de décider si elle doit ordonner une libération sous conditions contre l'avis du médecin traitant. »
Le 9 juin 2000, le juge de la High Court (M. Burton) examina la demande de contrôle juridictionnel formulée par la requérante sur le fond. L'intéressée soutint qu'elle avait le droit d'être libérée de l'hôpital, que l'autorité sanitaire, en ne lui fournissant pas les services nécessaires au respect des conditions posées par la commission, avait enfreint l'obligation qui était la sienne en vertu de l'article 117 de la loi de 1983, et que le non-respect de ces conditions dans un délai raisonnable était contraire à l'article 5 de la Convention.
Le juge rejeta la demande de la requérante. Il déclara que, en vertu de l'article 117 de la loi de 1983, l'autorité sanitaire n'avait pas l'obligation absolue de mettre en œuvre les conditions posées par la commission mais seulement celle de prendre toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elle pour assurer le respect de ces conditions. Il jugea en outre que, au vu des faits de l'espèce, l'autorité sanitaire avait rempli cette obligation. Il rejeta aussi l'argument de la requérante selon lequel des psychiatres consultants avaient « contrecarré » les conclusions de la commission : il expliqua à cet égard que les médecins avaient tant le droit que l'obligation d'exercer leur propre jugement professionnel.
Le second contrôle effectué par une commission de contrôle psychiatrique
Le 24 août 2000, à la suite du renvoi demandé par le ministre de l'Intérieur le 17 mars 2000 (paragraphe 25 ci-dessus), une commission de contrôle psychiatrique composée différemment reprit entièrement l'étude du dossier. Elle conclut que la requérante devait être libérée sous conditions : l'intéressée devait résider dans un lieu approuvé par son médecin traitant, accepter la surveillance de celui-ci et prendre les médicaments qu'il lui prescrirait ainsi qu'accepter le suivi du travailleur social qui s'occupait d'elle.
La commission répondit aux trois questions que s'était posées la première commission (paragraphe 12 ci-dessus) de façon identique à celle-ci. Elle repoussa également la libération de la requérante jusqu'au moment où les dispositions nécessaires seraient prises pour répondre aux conditions fixées. Elle expliqua de plus ce qui suit :
« (...) Nous considérons qu'il convient de conserver la possibilité de réinterner [la requérante]. L'élément essentiel à prendre en compte est que l'état mental satisfaisant dans lequel Mlle Kolanis se trouve à l'heure actuelle dépend, selon nous, de la poursuite de l'administration des médicaments.
Nous osons croire que la condition de résidence que nous avons fixée pourra être respectée dans un délai relativement bref. Compte tenu du fait que Mlle Kolanis pouvait légitimement espérer, il y a un an, être libérée sans délai, son médecin traitant et les autres autorités responsables devraient d'urgence lui trouver un hébergement adapté. Nous pensons pour l'avoir vue que Mlle Kolanis est très bien de sa personne ; nous avons du mal à imaginer qu'une institution responsable puisse légitimement refuser de la loger. »
Le 23 décembre 2000, la requérante fut libérée de l'hôpital sous conditions et placée dans un foyer de réinsertion de Londres.
L'appel formé par la requérante
La Cour d'appel accorda par la suite à la requérante l'autorisation de faire appel du jugement rendu par la High Court le 9 juin 2000 dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel introduite par l'intéressée. Elle estima que, comme la libération sous conditions de la requérante avait eu lieu après le prononcé du jugement de la High Court, les questions soulevées par l'appel étaient, en un sens, théoriques. Elle octroya cependant l'autorisation de faire appel en raison de l'importance de ces questions.
Le 21 février 2001, la Cour d'appel débouta la requérante. Elle approuva l'interprétation de l'article 117 de la loi de 1983 sur laquelle le juge de la High Court avait fondé sa décision (paragraphe 29 ci-dessus).
Au paragraphe 16 de son arrêt, Lord Phillips analysa les conséquences d'un arrêt rendu auparavant par la Chambre des lords dans l'affaire R. v. Oxford Regional Mental Health Review Tribunal, ex parte Secretary of State for the Home Department (All England Law Reports 1987, vol. 3, p. 8 (« l'affaire Oxford »)) comme suit :
« Si, pour quelque raison que ce soit, il se révèle impossible de mettre en œuvre les conditions posées par une commission, celle-ci ne peut examiner s'il est opportun de définir d'autres conditions ou même d'ordonner la libération du patient sans conditions. Dans de telles circonstances, le patient est détenu jusqu'à ce que l'affaire soit le cas échéant de nouveau portée devant une commission. Le patient n'a pas le droit de demander un renvoi devant une commission avant douze mois. Le ministre n'est pas soumis à la même restriction, mais, en pratique, il peut se passer beaucoup de temps avant qu'il ne renvoie l'affaire devant une commission. La Cour européenne des Droits de l'Homme s'est penchée sur les conséquences de cette situation dans l'affaire Johnson c. Royaume-Uni (...) »
A l'époque des faits, la requérante ne disposait d'aucun recours distinct au titre de la loi de 1998 sur les droits de l'homme (qui a incorporé la Convention dans l'ordre interne). Lord Phillips partit néanmoins du principe que, lorsqu'il n'y avait pas de contradiction avec la jurisprudence antérieure, la démarche à adopter était toujours d'interpréter la législation dans le respect de la Convention. Il examina donc ainsi les questions qui se posaient en matière de droits de l'homme :
« 32. Est-ce que le cadre législatif, tel qu'interprété dans [l'affaire Oxford], viole le droit à la liberté conféré par l'article 5 de la [Convention] ? Pour examiner cette question, il faut distinguer deux situations. La première est celle dans laquelle, comme en l'espèce, la commission estime que le patient souffre de maladie mentale et doit être soigné, mais que le traitement peut, dans certaines conditions, être assuré hors milieu hospitalier. La seconde est celle dans laquelle, comme dans l'affaire Johnson, la commission estime que le patient ne souffre plus de maladie mentale et n'a pas besoin de soins mais doit être remis en liberté dans un cadre surveillé afin de réduire l'anxiété associée à la situation, de s'assurer que le patient est effectivement guéri et de diminuer les risques de rechute.
Lorsque i) un patient est atteint de maladie mentale et ii) il est nécessaire de traiter cette maladie dans l'intérêt du patient ou pour assurer la protection d'autrui et iii) il se révèle impossible ou impraticable de fournir au patient le traitement requis en dehors du cadre hospitalier, il me semble que les trois critères définis par la Cour européenne dans l'affaire Winterwerp sont réunis. La question de savoir s'il faut ou non détenir un patient à l'hôpital pour traitement peut dépendre du niveau des services de soins disponibles au sein de la collectivité. Ni l'article 5 ni la jurisprudence de Strasbourg n'énoncent de critères précisant dans quelle mesure les Etats membres doivent prévoir, dans la collectivité, des infrastructures de soins à l'intention des personnes atteintes de maladie mentale de façon que celles-ci puissent ne pas être détenues pour traitement dans un hôpital.
Si une autorité sanitaire n'est pas en mesure, en dépit de tous ses efforts raisonnables, d'apporter à un patient, hors milieu hospitalier, le niveau de soin et de traitement qu'une commission considère comme une condition préalable à la libération du patient, le maintien en détention à l'hôpital n'emporte pas, selon moi, violation du droit à la liberté protégé par l'article 5.
Il en va tout autrement dans une situation telle que celle examinée par la Cour de Strasbourg dans l'affaire Johnson. Lorsqu'un patient est guéri de sa maladie mentale, il n'est plus aliéné au sens de l'article 5 § 1 e) et l'exception au droit à la liberté énoncée dans cette disposition ne s'applique pas. Dans l'affaire Johnson, la Cour a reconnu que, dans de telles circonstances, il peut toutefois être légitime de libérer le patient sous conditions plutôt que de manière inconditionnelle, et de reporter, dans une certaine mesure, la libération à laquelle le patient a droit. Le report doit cependant être proportionné à son objet et ne saurait devenir indéfini. L'arrêt Johnson laisse penser que le régime légal, tel qu'interprété dans [l'affaire Oxford], pourrait ne pas être conforme à l'article 5. Si la commission impose une condition qui se révèle impossible à mettre en œuvre, il se peut qu'il s'écoule un délai trop long avant que le dossier ne soit réexaminé à la suite d'un renvoi.
La solution consiste à ne pas considérer que l'article 117 impose aux autorités sanitaires l'obligation absolue de satisfaire aux conditions posées par les commissions. J'estime qu'il n'est pas opportun de tenter en l'espèce d'apporter une réponse définitive au problème. Je me bornerai à observer que la solution impliquerait peut-être bien de reconsidérer la décision rendue par la Chambre des lords dans [l'affaire Oxford] (...) »
Pour sa part, le Lord Justice Buxton émit l'avis suivant :
« 39. L'article 5 § 4 de la [Convention] donne la possibilité à une personne qui se trouve dans une situation telle que celle de [la requérante] de voir statuer sur la légalité de sa détention un organe de type judiciaire au sein du système de l'Etat qui la détient. Dans le cas du Royaume-Uni, cette fonction de type judiciaire est remplie par la commission de contrôle psychiatrique. Cet organe doit, pour satisfaire aux conditions énoncées par l'article 5 § 4, rendre des décisions qui débouchent sur la libération effective des personnes dont il juge la détention illégale : voir (...) X c. Royaume-Uni [arrêt du 5 novembre 1981, série A no 46] (...)
En l'espèce, la commission de contrôle psychiatrique a conclu que la détention de [la requérante] serait illégale dès que les conditions mises à sa libération seraient remplies. Selon ces conditions, [la requérante] devait en particulier accepter le suivi d'un psychiatre expert, ce qui signifiait forcément que l'organe compétent de l'Etat devait fournir un tel suivi. Pour que la décision fût effective, comme l'exige l'article 5 § 4, semblable suivi devait être mis en place.
Il ressort d'après moi clairement de l'arrêt Johnson (...) (§§ 66 et 67) que, conformément à l'exigence d'effectivité, l'Etat commet une violation de l'article 5 § 1 de la Convention si, après avoir décidé qu'un patient doit être libéré, la commission de contrôle psychiatrique impose pour faciliter cette libération des conditions qui ne sont en fait pas observées – du moins si l'inobservation peut être attribuée à un autre organe de l'Etat.
En appliquant cet aspect de la jurisprudence de la Cour, je ne ferais pas la distinction qu'établit [Lord Phillips] au paragraphe 32 de son arrêt, distinction qui se fonde sur l'analyse effectuée par la Cour de Strasbourg dans l'affaire Winterwerp, entre les affaires dans lesquelles la commission conclut que le patient est atteint de maladie mentale mais peut être soigné hors milieu hospitalier et celles (comme l'affaire Johnson) dans lesquelles la commission estime que le patient ne souffre plus de maladie mentale mais a tout de même besoin, à sa libération, d'être placé dans un environnement surveillé. Dans ce dernier cas, seuls les antécédents de maladie mentale de l'intéressé et, comme dans l'affaire Johnson, la perspective d'une rechute peuvent justifier le maintien de restrictions à l'encontre du patient. Dans l'un et l'autre cas, la détention est maintenue et la commission a pour rôle d'exercer les fonctions de type judiciaire exigées par l'article 5 § 4 et, selon la jurisprudence relative à cette disposition, les autorités nationales sont également tenues de respecter la décision de la commission et d'agir en conséquence.
Par ailleurs, le critère énoncé dans l'affaire Winterwerp – savoir si le trouble mental dont il s'agit revêt un « caractère ou une ampleur légitimant l'internement » – est en pratique difficile à appliquer à des décisions qui n'ont pas été prises en ayant cette formulation précise à l'esprit. Dans le cas de [la requérante], la commission a répondu « oui » à la question : « La commission est-elle convaincue que la patiente ne présente pas en ce moment de maladie mentale (...) qui, par sa nature ou son intensité, nécessite son internement pour traitement médical ? », mais elle a clairement indiqué dans l'exposé de ses motifs que toute libération devait être subordonnée à la poursuite du traitement. Il ne s'agit pas là d'une décision aussi tranchée que l'arrêt Winterwerp le laisserait supposer.
Quoi qu'il en soit, selon la jurisprudence de la [Convention] (...) une fois rendue la décision de la commission prévoyant que [la requérante] pouvait être libérée à condition d'être placée sous la surveillance d'un psychiatre expert, l'Etat avait la responsabilité de mettre en œuvre cette surveillance. Autrement, si rien n'était fait, on risquait d'aboutir à une situation identique à celle identifiée au paragraphe 67 de l'arrêt Johnson, c'est-à-dire à un report indéfini de la libération ordonnée par la commission. On pourrait valablement soutenir que ce report entraîne une violation de la [Convention]. La question tourne autour du point de savoir si, la commission ayant décidé que l'état de la patiente était tel qu'elle pouvait et même devait être soignée hors milieu hospitalier, celle-ci devait quand même, d'après l'analyse effectuée dans Winterwerp, être considérée comme atteinte d'un trouble mental revêtant un caractère ou une ampleur légitimant l'internement. Or j'ai déjà souligné la difficulté de cette question. Nous n'avons reçu aucune observation à ce sujet, l'argumentation ayant suivi une autre orientation, et je n'entends pas trancher cette question ici.
En évoquant la possibilité que la détention de [la requérante] soit devenue illégale, je n'ai pas ignoré le point de vue exprimé par [Lord Phillips] au paragraphe 33 de son arrêt, à savoir qu'une telle conclusion peut dépendre de la disponibilité de services de soins dans la collectivité concernée ; mais ce qui compte au regard de la [Convention] est la décision de la commission de contrôle psychiatrique, l'organe décisionnel créé pour satisfaire à l'article 5 § 4. Si la décision de la commission n'est pas respectée dans un cas où, en vertu de la jurisprudence de la [Convention], le patient ne devrait plus être détenu, alors ce patient, comme en l'espèce, est privé de la protection prévue à l'article 5 § 4 – c'est ainsi que la [Cour], me semble-t-il, en aurait décidé dans l'affaire Johnson si le litige n'avait pas déjà été tranché sous l'angle de l'article 5 § 1 ; voir les paragraphes 69-72 de l'arrêt.
Je reconnais volontiers qu'un tel constat entraîne un certain nombre de difficultés pratiques, dont la moindre n'est pas qu'il peut sembler impliquer la libération d'une personne qui est ou a été atteinte de maladie mentale sans le soutien que la commission jugeait nécessaire pour cette libération. Cela peut paraître surprenant, non seulement sur le plan du bon sens, mais également compte tenu de l'importance que la jurisprudence de la [Convention] accorde au jugement des autorités nationales : voir par exemple les observations de la [Cour] dans l'arrêt Luberti c. Italie [arrêt du 23 février 1984, série A no 75], § 27, pour ce qui concerne la pertinence, dans ce contexte, de la théorie de la marge d'appréciation, ainsi que les observations formulées au paragraphe 63 de l'arrêt Johnson quant au respect dû à l'appréciation discrétionnaire des personnes responsables de malades mentaux. Le problème en l'espèce provient toutefois de la rigidité de la procédure devant la commission, analysée aux paragraphes 16 et 36 de l'arrêt de [Lord Phillips]. Si la commission avait effectivement le pouvoir de réexaminer ses décisions à la lumière des circonstances pratiques, comme le juge Woolf l'envisageait dans l'affaire [Oxford], de tels problèmes ne se poseraient pas ; d'ailleurs, à condition que les autorités nationales entreprennent toutes les démarches raisonnables pour se conformer aux décisions provisoires de la commission, je ne pense vraiment pas qu'une telle procédure puisse susciter des objections au regard de la [Convention]. Or tel n'est pas l'état actuel du droit interne : la décision de la commission étant définitive, c'est cette décision que l'article 5 § 4 commande de respecter.
(...)
(...) [la requérante] a peut-être un grief à faire valoir sur le terrain de l'article 5 quant à l'ensemble des circonstances qui ont entraîné son maintien en détention, à savoir, notamment, que la commission ayant décidé que ce maintien n'était pas justifié, la mise en œuvre par l'Etat de cette décision a en l'occurrence abouti à la poursuite de son internement. L'Etat est responsable de l'ensemble de ces circonstances. Voilà vraisemblablement pourquoi, dans l'affaire Johnson, l'Etat a été jugé coupable d'une violation à compter de la date de la décision initiale de la commission (voir la dernière phrase du paragraphe 67 de l'arrêt). De la même manière, vu les circonstances de la présente affaire, [la requérante] pourrait peut-être obtenir gain de cause à Strasbourg. »
Le Lord Justice Sedley a exprimé le point de vue suivant dans son arrêt (paragraphes 55 et 56) :
« (...) il convient peut-être de prendre en compte plus d'un avis légitime – celui du psychiatre affecté aux services sociaux locaux en plus de celui de la commission – aux fins de l'article 5 § 4, du moins dans la mesure où la décision de la commission est explicitement subordonnée à la collaboration du psychiatre.
(...) Je serais plutôt moins catégorique que le Lord Justice Buxton pour dire que la Cour de Strasbourg peut offrir à [la requérante] un recours qu'elle ne peut trouver ici. Il me semble (...) que le régime législatif, même s'il n'est pas toujours satisfaisant dans la pratique, est dans son principe conforme à la Convention. »
Le 3 juillet 2001, la Chambre des lords refusa à la requérante l'autorisation de former devant elle un recours contre l'arrêt de la Cour d'appel.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Trouble mental
L'article 1 § 2 de la loi de 1983 sur la santé mentale (Mental Health Act 1983 – « la loi de 1983 ») définit le « trouble mental » comme « une maladie mentale, un développement intellectuel interrompu ou incomplet, un trouble psychopathique ou tout autre désordre ou faiblesse d'esprit ».
B. Ordonnances d'internement
L'article 37 de la loi de 1983 habilite les tribunaux à ordonner l'internement, dans un hôpital désigné, des personnes reconnues coupables d'une infraction pénale punie d'une peine d'emprisonnement (« ordonnance d'internement »).
Un tribunal ne peut émettre une telle ordonnance que si le témoignage écrit ou oral de deux médecins l'a convaincu que le délinquant souffre d'un trouble mental (paragraphe 39 ci-dessus) et que
« le trouble mental (...) justifie, par son caractère ou son ampleur, l'internement de l'intéressé en hôpital pour qu'il y suive un traitement et, en cas de trouble psychopathique ou de retard mental, que pareil traitement est susceptible de ralentir ou de prévenir une aggravation de son état » (article 37 § 2 a) i))
et
« eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, notamment la nature de l'infraction, la personnalité du délinquant, ses antécédents et les autres solutions possibles, qu'[une ordonnance d'internement] constitue le moyen le plus indiqué » (article 37 § 2 b)).
L'article 37 § 7 dispose que l'ordonnance d'internement doit préciser la ou les formes de trouble mental dont souffre le délinquant, avec l'attestation de deux médecins.
C. Ordonnances restrictives
En vertu de l'article 41 § 1 de la loi de 1983, lorsque la Crown Court rend une ordonnance d'internement et que, compte tenu de la nature de l'infraction, des antécédents du délinquant et du risque de le voir commettre de nouvelles infractions s'il est remis en liberté, cela lui semble nécessaire pour protéger le public de préjudices graves, cette juridiction peut ordonner en outre que le délinquant soit soumis à certaines restrictions spécifiques, décrites à l'article 41 de la loi. Elle rend alors une « ordonnance restrictive » (restriction order) qui peut s'appliquer sans limitation de durée ou pour une période définie dans l'ordonnance.
D. Recours portés devant la commission de contrôle psychiatrique
La commission de contrôle psychiatrique a pour fonction d'examiner les recours et les renvois émanant de patients ou concernant des patients en vertu des dispositions de la loi de 1983 (article 65 § 1).
En vertu de l'article 70 de la loi de 1983, une personne assujettie à une ordonnance d'internement et à une ordonnance restrictive peut demander à la commission de contrôler sa détention à l'hôpital :
i. initialement à l'issue de six à douze mois de détention ;
ii. puis chaque année.
En application de l'article 71 § 1 de la loi de 1983, le ministre peut à tout moment soumettre à la commission le cas d'un tel patient. Ce pouvoir est discrétionnaire. Un patient ne peut donc contraindre le ministre à l'exercer.
E. Libération inconditionnelle
En vertu de l'article 73 §§ 1 et 2 combiné avec l'article 72 § 1 de la loi de 1983 (dans leur version en vigueur à l'époque des faits, ces dispositions ayant été modifiées par la suite), quand la commission était saisie par un patient sous le coup d'une ordonnance restrictive ou par le ministre, elle devait ordonner sa libération inconditionnelle lorsqu'elle était convaincue :
a) i. que le patient ne présentait pas à ce moment-là de maladie mentale, trouble psychopathique, altération des facultés mentales, légère ou prononcée, ou toute autre forme de trouble qui, par sa nature ou son intensité, nécessitait son internement pour traitement médical ; ou
ii. qu'il n'était pas nécessaire, pour la santé ou la sécurité du patient ou pour la protection d'autrui, qu'il reçoive un tel traitement (article 73 § 1 de la loi de 1983) ; et
b) qu'il ne convenait pas de conserver la possibilité de réinterner le patient en vue d'une reprise du traitement (article 73 § 2 de la loi de 1983).
Aux termes de l'article 73 § 3, un patient élargi sans conditions cesse d'être assujetti à l'ordonnance d'internement et l'ordonnance restrictive cesse de déployer ses effets.
F. Elargissement sous conditions
L'article 73 § 2 de la loi de 1983 disposait que, lorsque la commission était convaincue du respect des conditions énoncées au point a) figurant au paragraphe 47 ci-dessus, mais non de celles citées au point b), elle devait ordonner la libération sous conditions du patient.
En prononçant la décision en l'affaire R. v. Merseyside Mental Health Review Tribunal, ex parte K. (All England Law Report 1990, vol. 1, pp. 699-700), Lady Justice Butler-Sloss a déclaré à ce sujet :
« L'article 73 habilite la commission à ordonner une libération sous conditions et à conserver un certain contrôle sur des patients qui ne souffrent pas à ce moment de trouble mental, ou en sont atteints mais pas au point de justifier un internement psychiatrique. Cette disposition apparaît comme conçue tant pour le soutien du patient dans la collectivité que pour la protection du public ; il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire important confié à une commission indépendante, qui ne saurait être écarté à la légère en l'absence d'indication nette. »
En vertu de l'article 73 § 4 de la loi de 1983, un patient libéré sous conditions peut être réinterné sur ordre du ministre et doit en outre se conformer aux conditions prescrites. Contrairement à un malade élargi sans conditions, le premier reste assujetti à l'ordonnance d'internement formulée à son égard.
Conformément à l'article 73 § 7 de la loi de 1983, une commission peut différer la libération conditionnelle d'un malade sous le coup d'une ordonnance restrictive jusqu'à ce que des arrangements qu'elle juge satisfaisants aient été pris en vue de cette libération.
Ainsi qu'il ressort des faits exposés ci-dessus, dans la procédure concernant la requérante devant la Cour d'appel (R. (K.) v. Camden and Islington Health Authority, England and Wales Court of Appeal (Civil Division), 2001, p. 240), Lord Phillips étudia l'effet de la décision rendue par la Chambre des lords dans l'affaire Oxford. Il conclut que, s'il se révélait impossible de mettre en œuvre les conditions énoncées par une commission, le patient resterait détenu jusqu'à ce que son dossier fût éventuellement porté de nouveau devant une commission. La commission qui avait initialement fixé les conditions n'avait pas le pouvoir de réexaminer sa décision.
Ainsi, le cas d'un patient ne peut être réexaminé que par une commission composée différemment, qui doit alors reprendre entièrement l'étude du dossier.
Le ministre peut également ordonner la libération d'un patient, avec ou sans conditions (article 42 de la loi de 1983).
G. Assistance aux patients libérés de l'hôpital
L'article 117 § 2 de la loi de 1983 se lit comme suit :
« L'autorité sanitaire et les services sociaux locaux ont l'obligation de fournir, en coopération avec les associations de bénévoles pertinentes, une assistance après hospitalisation à toute personne à laquelle cet article s'applique (...) »
Ainsi qu'il ressort des faits exposés ci-dessus, la Cour d'appel, lorsqu'elle a statué sur l'affaire de la requérante (précitée), a conclu que l'obligation imposée par l'article 117 § 2 n'était pas absolue mais exigeait des autorités qu'elles prissent toutes les mesures raisonnables pour s'efforcer de répondre aux conditions posées par la commission.
H. Jurisprudence postérieure à l'arrêt rendu en l'affaire de la requérante
Dans l'arrêt R. (I.H.) v. Secretary of State for the Home Department and Another, England and Wales Court of Appeal (Civil Division), 2002, p. 646, rendu le 15 mai 2002, la Cour d'appel a examiné la question de savoir si les articles 73 § 2 et/ou 73 § 7 de la loi de 1983 étaient contraires à l'article 5 § 1 e) et/ou § 4 de la Convention en ce que les commissions n'avaient pas le pouvoir de garantir que les conditions dont elles pouvaient assortir une ordonnance de libération conditionnelle différée seraient mises en œuvre dans un délai raisonnable. Cette affaire concernait un patient qui, comme la requérante, était atteint de maladie mentale mais se trouvait en phase de rémission. Elle a été tranchée par la Cour d'appel après celle de la requérante, et a été intentée en vertu de la loi de 1998 sur les droits de l'homme. Elle a donc pris en compte les décisions rendues au Royaume-Uni dans l'affaire de la requérante, les dispositions de la Convention et la jurisprudence de Strasbourg.
Au paragraphe 53 de son arrêt, Lord Phillips a confirmé que la décision de la Chambre des lords dans l'affaire Oxford faisait clairement apparaître qu'une commission n'avait ni l'obligation ni le droit de réexaminer sa décision antérieure de libération sous conditions pour tenir compte de faits nouveaux susceptibles de l'amener à modifier la décision.
Il a ajouté :
« (...) La décision [Oxford] entraîne un risque par rapport aux exigences de l'article 5 § 4. Si, après avoir décidé qu'un patient doit bénéficier d'une libération sous réserve de certaines conditions qui exigent le report de la libération, la commission ne peut pas revenir sur sa décision, le patient est susceptible de se trouver dans une situation incertaine au cas où il se révélerait impossible de mettre en place les dispositions nécessaires pour qu'il puisse se conformer aux conditions énoncées. Si elle dure trop longtemps, cette situation incertaine peut être contraire à l'article 5 § 4, en conséquence de quoi la détention risque de violer l'article 5 § 1. » (paragraphe 54)
Lord Phillips a par conséquent estimé que la décision rendue dans l'affaire Oxford devait être reconsidérée à la lumière des exigences de l'article 5 de la Convention. Il a conclu :
« Les commissions ne devraient plus partir du principe qu'elles ne peuvent pas reconsidérer une décision d'ordonner une libération sous réserve de certaines conditions lorsque, après un report de la libération et avant la décision de libérer, survient un changement des circonstances à prendre en compte (...) La décision initiale devrait être traitée comme une décision provisoire et la commission devrait suivre de près les progrès accomplis en vue de sa mise en œuvre afin que le patient ne soit pas laissé dans une situation incertaine pendant un laps de temps excessif. » (paragraphe 71)
Lord Phillips a ensuite énoncé des directives à l'intention des commissions examinant la possibilité de libérer un patient. Ces directives indiquaient les mesures spécifiques qu'une commission pouvait adopter en cas de difficultés à prendre les dispositions nécessaires au respect des conditions mises à une libération. Parmi ces mesures figuraient la possibilité de différer à nouveau la libération, de modifier les conditions proposées pour tenter de surmonter les difficultés, d'ordonner une libération conditionnelle sans conditions spécifiques ou de décider que le patient devait rester détenu à l'hôpital pour traitement. La Cour d'appel a conclu aux paragraphes 96 à 98 de son arrêt qu'un tel régime, proposé à la lumière de son analyse de la décision rendue par la Chambre des lords dans l'affaire Oxford, serait conforme à l'article 5 § 1 de la Convention.
A la suite d'un recours devant la Chambre des lords, Lord Bingham a expliqué le 13 novembre 2003 dans son arrêt, qui a emporté l'approbation des autres membres de la Chambre :
« 18. La clé, pour bien comprendre l'affaire Johnson, est d'apprécier la nature de la cause dont la Cour était saisie. Il s'agit d'un patient qui, à compter de juin 1989, fut considéré comme ne souffrant plus de maladie mentale et dont l'état ne justifiait plus l'internement. Le raisonnement de la Cour ne s'applique à aucune autre affaire.
(...)
Je n'approuve pas l'idée selon laquelle, puisque la commission n'avait pas le pouvoir d'obtenir le respect des conditions qu'elle posait, elle n'avait pas celui de contraindre, qui est l'une des prérogatives essentielles de toute juridiction. L'article 5 § 1 e) et § 4 exige qu'un aliéné détenu d'office dans un hôpital ait accès à un tribunal compétent pour décider si sa détention est légale et, lorsque ce n'est pas le cas, pour ordonner sa libération. Or la commission avait bien ce pouvoir. Rien dans l'article 5 ne laisse entendre que l'élargissement sous conditions est en principe interdit, et rien dans la jurisprudence de la Convention ne donne à penser que le pouvoir d'ordonner une libération conditionnelle (qu'elle soit assortie de conditions spécifiques ou qu'il s'agisse de la simple possibilité de réinterner), utilisé à bon escient, doit être considéré d'un mauvais œil. En effet, le régime de libération sous conditions, correctement utilisé, apporte un grand bénéfice aux patients et au public, et contribue à réaliser l'objet de la Convention – limiter les restrictions à la liberté individuelle dans toute la mesure du possible – car il permet aux commissions de garantir que seuls les patients atteints de maladie mentale, constituant incontestablement un risque pour eux-mêmes ou pour autrui et ne pouvant être efficacement traités et surveillés ailleurs que dans un hôpital, soient soumis à des restrictions et internés d'office à l'hôpital. S'il existe la moindre possibilité de traiter et de suivre un patient hors milieu hospitalier, imposer des conditions permet de l'explorer et, le cas échéant, de la mettre en pratique.
Lorsque, après le prononcé de la décision de la commission du 3 février 2000, il s'est révélé impossible, au bout de quelques mois, de faire respecter les conditions fixées, il y a eu violation dans le chef de l'appelant du droit garanti par l'article 5 § 4, et ce parce que la commission, après avoir rendu sa décision, ne pouvait, conformément à la jurisprudence Oxford, la réexaminer. L'appelant est ainsi resté dans une situation incertaine pendant un laps de temps bien supérieur à ce qui est acceptable ou conforme à la Convention. Je souscris donc à la décision de la Cour d'appel d'infirmer la décision Oxford et j'approuve la conclusion à laquelle elle a abouti au paragraphe 71 de son arrêt précité. Les éléments dont dispose la Chambre des lords montrent que cette décision a déjà sensiblement amélioré la situation en pratique. (...)
L'appelant n'a selon moi été détenu illégalement à aucun moment entre le 3 février 2000 et le 25 mars 2002 ; il n'y a donc pas eu violation de l'article 5 § 1 e). Entre cette affaire et l'affaire Johnson, il y a une différence de nature et non de degré. M. Johnson était un patient au sujet duquel on avait constaté que les critères définis dans l'arrêt Winterwerp n'avaient plus été respectés à compter de juin 1989. Ainsi, s'il était raisonnable de tenter de faciliter la réinsertion du patient dans la société en fixant des conditions, l'autre solution, pour le cas où ces conditions se seraient révélées impossibles à respecter, n'était pas le maintien en détention, mais l'élargissement, qu'il fût sans conditions ou subordonné à la seule possibilité d'un réinternement. La détention de M. Johnson était devenue illégale peu après juin 1989 parce qu'il n'existait plus – tous les médecins en convenaient – de motif de le maintenir en détention. La présente espèce est tout à fait différente. Les médecins ne sont jamais tombés d'accord pour dire que les critères définis dans l'affaire Winterwerp n'étaient pas remplis. La commission non plus ne les a pas jugés réunis. Elle a estimé que l'appelant pouvait être convenablement soigné et suivi hors milieu hospitalier si les conditions qu'elle définissait étaient mises en œuvre, comme elle l'espérait. Toutefois, si ces conditions se révélaient impossibles à réaliser, la solution de remplacement n'était pas la libération – qu'il s'agisse d'une libération sans conditions ou soumise à la simple possibilité d'un réinternement –, mais le maintien en détention (...)
L'autorité sanitaire avait pour obligation, que ce soit en application de l'article 117 de la loi de 1983 ou de la décision de la commission du 3 février 2000, de faire tout ce qui était en son pouvoir pour assurer le respect des conditions énoncées par la commission. C'est bien ce qu'elle a fait. Elle n'avait pas l'obligation absolue d'assurer ce respect et n'a pas commis de faute en n'y parvenant pas. Elle ne pouvait exiger de quelque psychiatre que ce soit qu'il agisse de façon contraire à ce que sa conscience professionnelle lui dictait. Ainsi, l'appelant ne saurait tirer grief du fait que les conditions fixées par la commission n'ont pas été remplies (...)
Je ne suis pas d'avis que la violation de l'article 5 § 4 que j'ai constatée appelle l'attribution de dommages et intérêts car a) la violation a été constatée publiquement, l'appelant se voyant par là même reconnaître son droit ; b) la législation a été modifiée en sorte que des violations similaires ne se reproduisent pas et c) l'appelant n'a pas été victime d'une détention illégale, ce que l'article 5 a pour but de prévenir.
Par ces motifs (...) je rejette l'appel. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1947. Il est homosexuel. En 1994, on découvrit qu'il était porteur du VIH (virus de l'immunodéficience humaine) et qu'il avait contaminé un jeune homme de dix-neuf ans avec lequel il avait eu des relations sexuelles pour la première fois en 1990.
Dans ce contexte, un médecin de comté (smittskyddsläkaren) donna le 1er septembre 1994 les instructions suivantes au requérant, en application de la loi de 1988 sur les maladies contagieuses (smittskyddslagen, ci-après « la loi de 1988 ») :
« [Le requérant] ne peut avoir de relations sexuelles sans informer préalablement son partenaire qu'il est séropositif. Il doit utiliser un préservatif. Il doit s'abstenir de consommer de l'alcool au point d'obscurcir son jugement et de faire courir à des tiers le risque d'être contaminés par le VIH. Si l'intéressé a à subir un examen, une opération, un vaccin ou une analyse de sang ou s'il vient à saigner pour quelque raison que ce soit, il doit informer le personnel médical de son état. Il doit également en informer son dentiste. En outre, il est interdit [au requérant] de donner son sang, un organe ou son sperme. Enfin, l'intéressé devra consulter à nouveau son médecin traitant et respecter les rendez-vous fixés par le médecin de comté. »
Les parties ne sont apparemment pas d'accord sur le point de savoir si ces instructions ont été reportées au dossier médical du requérant, comme l'exige l'article 16 de la loi de 1988. Il n'est en revanche pas contesté que le requérant ait été informé, tant oralement que par écrit, des instructions émises le 1er septembre 1994.
Le requérant se rendit à trois consultations du médecin de comté en septembre 1994 et à une consultation en novembre 1994. Le même médecin fit deux visites au domicile de M. Enhorn. Par cinq fois en octobre et novembre 1994, le requérant ne se présenta pas aux rendez-vous fixés.
Le 2 février 1995, le médecin de comté demanda au tribunal administratif de comté (länsrätten) de rendre une décision permettant de placer le requérant en isolement forcé dans un hôpital pendant une période maximum de trois mois, en vertu de l'article 38 de la loi de 1988.
D'après la transcription du tribunal, le requérant déclara entre autres ceci :
« Ayant appris qu'il était séropositif, l'intéressé n'a quasiment plus eu de relations sexuelles. Il a l'intention de ne plus en avoir qu'avec d'autres personnes atteintes du virus. Il ne veut pas rencontrer le médecin de comté ou le psychiatre, mais estime satisfaisant son dialogue avec son médecin traitant, qu'il envisage donc de consulter tous les mois. »
Pour sa part, le médecin de comté déclara notamment :
« Il est possible que [le requérant] n'ait pas de relations sexuelles actuellement, mais on a déjà constaté que lorsque l'occasion se présente il est susceptible d'en avoir, de préférence avec des hommes plus jeunes, sans penser aux conséquences de ses actes. [Le requérant] ne veut pas voir la réalité en face, il refuse de modifier son comportement et déforme les faits de manière qu'on ne puisse jamais lui reprocher quoi que ce soit. Afin que son comportement évolue, l'intéressé doit consulter un psychiatre. Comme il [refuse de le faire], il risque manifestement de propager la maladie. »
Un médecin-chef adjoint spécialisé en psychiatrie, S.A., qui avait rencontré le requérant deux fois à l'unité psychiatrique d'une clinique soignant les maladies contagieuses, remit au tribunal administratif de comté une déclaration datée du 16 février 1995. Il y disait notamment ce qui suit :
« Ayant appris qu'il était séropositif, le requérant a éprouvé une vive angoisse qu'il a tenté de juguler en buvant. Il affirme qu'il boit trois bières fortes le soir afin de pouvoir dormir. Depuis qu'il a connaissance de son état, mais aussi depuis qu'il a perdu son travail, il consomme par moments des quantités excessives d'alcool. Le fait que M. Enhorn n'ait pas de vie sociale et se sente exclu, auquel peut venir s'ajouter une consommation excessive d'alcool, pourrait accroître le risque que l'intéressé ne se livre à des relations sexuelles destructrices. »
Dans un jugement du 16 février 1995, le tribunal administratif de comté estima que le requérant ne s'était pas conformé aux mesures que le médecin de comté lui avait prescrites dans le but de l'empêcher de propager le virus et, se fondant sur l'article 38 de la loi de 1988, demanda son placement en isolement pendant une période maximum de trois mois.
Cette décision prit effet immédiatement mais le requérant ne se présenta pas à l'hôpital. C'est donc la police qui l'y emmena, le 16 mars 1995.
Il ressort du dossier que cette décision, ainsi que d'autres rendues ensuite par le tribunal administratif de comté, fut confirmée en appel par la cour administrative d'appel (kammarrätten), de sorte que l'isolement du requérant fut à plusieurs reprises prolongé de six mois.
Pendant la période d'isolement, le requérant pouvait sortir chaque jour accompagné de membres du personnel de l'hôpital, mais pas seul. Il avait également la possibilité de se joindre au personnel pour des activités ayant lieu en dehors des locaux de l'hôpital.
Le requérant s'enfuit à plusieurs reprises de l'hôpital. Sa première évasion eut lieu le 25 avril 1995. La police, que M. Enhorn alerta lui-même, le ramena à l'hôpital le 11 juin 1995. Le 27 septembre 1995, l'intéressé s'enfuit à nouveau et demeura en liberté jusqu'au 28 mai 1996, jour où la police le retrouva. Il s'enfuit une troisième fois le 6 novembre 1996 mais se présenta de lui-même à l'hôpital le 16 novembre 1996. Il s'échappa une quatrième fois le 26 février 1997 et ne fut pas ramené à l'hôpital avant le 26 février 1999.
Du 26 février au 2 mars 1999, il fut confiné dans sa chambre.
Le 14 avril 1999, le médecin de comté s'adressa au tribunal administratif de comté dans le but d'obtenir une prolongation de l'isolement du requérant. D'après le compte rendu d'une audience tenue à huis clos le 20 avril 1999, le requérant donna alors des renseignements résumés comme suit :
« (...) avant 1994, il avait entre dix et douze relations sexuelles par an. Ses partenaires étaient soit d'anciennes soit de nouvelles connaissances, qu'il rencontrait entre autres dans des parcs. Le garçon, âgé de quinze ans lorsqu'ils firent connaissance, avait pris l'initiative de leur relation, sur le plan tant sentimental que sexuel. [Le requérant] se rend compte aujourd'hui qu'il a contaminé le garçon, et le regrette vivement. Une personne de sa famille, atteinte de troubles psychiatriques, avec laquelle [le requérant] avait entretenu une relation sexuelle plus durable, avait elle aussi été à l'origine de la relation. Entre le [26 février] 1997 et le [26 février] 1999, époque à laquelle il était en fuite, l'intéressé n'a pas eu de relations sexuelles. Il a pris des précautions afin de ne pas propager la maladie. Il est allé consulter un médecin deux fois au cours de cette période et à chaque occasion a informé le praticien de sa séropositivité. Pour l'essentiel, il est resté seul. D'octobre 1997 à juin 1998, et d'août 1998 à février 1999, il a vécu dans un foyer rural et, dans l'intervalle, celui-ci étant complet, il a campé. Il a passé son temps à faire des courses, cuisiner, regarder la télévision, dépenser de l'argent au jeu et boire de la bière. Il buvait en général six bières fortes par semaine et n'a jamais été ivre. Il rêve d'avoir son propre appartement et de subvenir à ses besoins grâce à l'indemnité de maladie. Il a perdu toute appétence sexuelle et à l'avenir il refusera toute relation de ce type. Dans le cas où il ne serait pas contraint à l'isolement, il se plierait aux instructions du médecin de comté. »
Le propriétaire du foyer rural témoigna à décharge. Il déclara notamment ceci :
« Le [requérant] a séjourné, sous un faux nom, dans son foyer rural d'octobre 1997 à juin 1998 et d'août 1998 à janvier 1999. [Le propriétaire] a parlé à l'intéressé un bref moment quasiment chaque jour. M. Enhorn n'a dérangé personne et n'a pas noué de relations personnelles. Généralement, il allait faire des courses une fois par jour, le plus souvent pour chercher de la bière. [Le témoin] estime que l'intéressé buvait de quatre à six canettes de bière par jour (...) M. Enhorn s'est rendu à Stockholm ou à Norrköping à plusieurs reprises afin de régler des problèmes d'argent (...) En fait, il allait à Norrköping essentiellement pour acheter de l'alcool (...) Selon [le témoin], il est peu probable que l'intéressé ait eu des relations sexuelles pendant son séjour au foyer (...) »
Toujours à la décharge du requérant, le médecin-chef P.H. remit un avis du 16 avril 1999 relatif à la consommation d'alcool de l'intéressé. Le médecin, après avoir examiné plusieurs analyses que l'on avait effectuées depuis le 31 juillet 1995 dans le but de surveiller l'état du foie du requérant, conclut qu'il n'y avait pas eu d'évolution. Au vu de la dernière analyse, du 18 mars 1999, le foie de M. Enhorn était sain.
Il était indiqué que le requérant avait à son retour consulté un médecin-chef spécialisé en psychiatrie mais sans lien avec l'hôpital, C.G.
La déclaration d'un médecin-chef psychiatre, P.N., attaché à l'unité de soins spécialisés dans laquelle le requérant avait été admis, fut déposée devant le tribunal. Après le retour forcé du requérant, P.N. avait tenté de communiquer avec lui à trois occasions, mais en vain. Il affirma que la dernière fois, en mars 1999, le requérant s'était jeté sur lui. Selon le médecin, l'état du requérant ne s'était pas amélioré depuis le 10 octobre 1996, c'est-à-dire depuis le dernier avis officiel que P.N. avait donné à ce sujet en ces termes :
« M. Enhorn souffre de psychopathie paranoïde et se livre à une consommation excessive d'alcool. On estime qu'il n'a en rien conscience d'être malade et est coupé de la réalité. Le fait qu'il soit attiré par des hommes plus jeunes et qu'il soit atteint d'une détérioration neuropsychologique pouvant être liée à l'alcool, associé à une psychopathie paranoïde occasionnelle, proche de la psychose, ainsi qu'au comportement à risque en ce qui concerne la propagation de la maladie qui a déjà été constaté, pose problème. Aussi le médecin estime-t-il que l'isolement prolongé, conforme à la loi, reste, tout bien considéré, une solution à envisager pour limiter ou éliminer le risque de propagation de la maladie. »
Fut également produite une déclaration du 8 avril 1999 émanant d'un psychologue, B.S., de l'unité de soins spécialisés de l'hôpital. B.S. avait rencontré le requérant une fois et trouvait que celui-ci montrait des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne, semblait immature, fragile, soupçonneux et méfiant.
D'après la transcription du tribunal, devant lequel il déposa, le médecin de comté déclara notamment ceci :
« Au cours des deux dernières années qu'il passa en fuite, [le requérant] consulta deux fois un médecin. Il est établi qu'il précisa à chacune de ces occasions qu'il était porteur du VIH [ce qui n'avait pas été le cas lorsqu'il avait disparu de l'hôpital, de septembre 1995 à mai 1996 : il s'était alors abstenu à trois reprises d'informer le personnel médical de son état]. Par ailleurs, [le requérant] a [enfin] admis qu'il avait contaminé le jeune homme avec lequel il avait eu une longue relation au début des années 90 ; il reconnaît donc que ce n'est pas le contraire qui s'est passé. De plus, il a accepté de signer un protocole de traitement et de consulter deux praticiens de son choix (...) Tout cela semble indiquer une amélioration de l'attitude [du requérant] à l'égard du traitement. Néanmoins, il n'est pas établi que [le requérant] ait concrètement modifié son comportement en ce qui concerne le risque de propagation de la maladie. Il se montre toujours incapable d'accepter l'aide et les mesures de soutien auxquelles il a droit ; il a refusé de consulter le psychiatre P.N. et le psychologue B.S. En outre, le médecin de comté considère, après discussion avec les praticiens que [le requérant] a [récemment] consulté de sa propre initiative [P.H. et C.G.], que ce qui avait poussé l'intéressé à se rendre à ces consultations était, d'une part, l'argent [il fallait au requérant des certificats médicaux pour continuer à toucher l'indemnité de maladie], d'autre part, le souhait d'être déclaré sain mentalement, mais non la volonté de commencer un traitement. Au cours des entretiens entre [le requérant] et les deux médecins, il ne fut pas du tout question du risque de propagation de la maladie. L'intéressé ne signa pas de protocole de traitement officiel. En bref, le médecin de comté est d'avis que [, s'il est libéré, le requérant] ne se pliera pas de plein gré aux instructions données et ne cherchera pas à limiter la propagation de la maladie. »
En ce qui concerne les analyses pratiquées sur le foie du requérant, le médecin de comté les jugea peu fiables, étant donné qu'elles avaient été exécutées dans le cadre de l'isolement forcé du requérant à l'hôpital, mais jamais dans un moment d'ébriété du sujet.
Le 23 avril 1999, le tribunal administratif de comté rendit son jugement. Il débouta le requérant et s'exprima en ces termes :
« [M. Enhorn] est séropositif pour le VIH ; il est donc porteur d'une infection par le VIH. Il est soumis à un régime d'isolement depuis février 1995 mais s'est enfui de l'hôpital à plusieurs reprises. La dernière fois, il a disparu pendant plus de deux ans, au cours desquels il n'a rencontré ni le médecin de comté ni son médecin traitant. Il a par moments utilisé un faux nom, a vécu coupé du monde, certainement parce qu'il craignait d'être découvert. Si elle vit seule, une personne atteinte de l'infection doit faire face à de grandes difficultés. Au cours de la période qui a précédé son placement en isolement, [le requérant] n'a pas été en mesure de respecter les instructions pratiques qui lui avaient été données. Par la suite, il a constamment refusé l'aide proposée par son médecin traitant et le psychiatre de l'unité de soins spécialisés de l'hôpital ; il a au contraire montré de l'aversion et de la défiance, et s'est s'enfui. [Le tribunal] constate que l'intéressé a du mal à admettre qu'il est séropositif et qu'il a besoin d'aide pour faire face à cette situation critique. Il ressort des éléments de preuve que [le requérant] se refuse toujours au traitement proposé et que les médecins considèrent comme probable qu'il s'enfuira à nouveau. [Le tribunal] n'est pas convaincu que l'intéressé ne se livre pas à un usage impropre de l'alcool et juge que, spécialement à cause de cela, il risque de ne pas maîtriser son comportement sexuel. Dès lors, [le tribunal] estime qu'il existe de bonnes raisons de supposer que, si l'intéressé demeurait en liberté, il ne se plierait pas aux instructions pratiques données et que cela entraînerait un risque de propagation de la maladie. »
Le 12 juin 1999, le requérant s'échappa à nouveau sans indiquer où il se rendait. Il avait entre-temps interjeté appel du jugement ci-dessus auprès de la cour administrative d'appel, devant laquelle il avait tiré argument d'un avis du 14 mai 1999 émanant du médecin-chef spécialisé en psychiatrie (susmentionné), C.G., selon lequel, notamment :
« Les avis [des autres psychiatres et d'un psychologue] émis à la suite des examens pratiqués précédemment sont quasiment unanimes : le demandeur souffre de psychopathie paranoïde et fait un usage impropre de l'alcool. L'« usage impropre », en termes psychiatriques, se définit comme l'utilisation inadaptée de substances (...) Ce diagnostic se distingue de la dépendance à l'alcool, qui désigne une consommation compulsive accompagnée de complications en cas d'abstinence ainsi que de problèmes relationnels, et est plus difficile à maîtriser. Le diagnostic de « psychopathie paranoïde » se définit comme un état constant de suspicion et un manque de confiance à l'égard d'autrui, dont les motivations sont toujours perçues comme malveillantes. Il ressort de la définition même de ce trouble qu'il se manifeste dans la personnalité du patient à partir du moment où celui-ci devient adulte. Puisque l'intéressé perçoit ce trouble comme une partie de soi, il est généralement peu enclin à modifier son comportement. Il ne s'agit pas d'absence de conscience de la maladie, puisque l'on considère que ce n'est pas une maladie qui est en cause mais plutôt une modification de la personnalité, même si cette modification est tout à fait susceptible de provoquer des complications relationnelles et sociales. Quand de telles complications surviennent, un individu sujet à des troubles de la personnalité peut présenter différents symptômes (dépression, anxiété, etc.). Lors de [mon] entretien avec l'appelant, ce dernier s'est montré plutôt ouvert et communicatif. Lorsqu'il a parlé de sa vie scolaire, il a manifesté des émotions variées. Il a également montré de l'empathie à l'égard des personnes qu'il avait connues à l'époque. Il était aussi capable d'endosser, pour partie, la responsabilité de ses propres erreurs sans accuser autrui. Toutefois, il se montrait rigide dans son interprétation de ce qui s'était passé dans sa vie adulte, en particulier s'agissant des événements récents, après qu'il eut appris, en septembre 1994, qu'il était porteur du VIH. Son attitude envers le médecin de comté et le personnel de l'unité des maladies contagieuses – qui, selon lui, n'avaient cessé de le harceler injustement – tenait de la haine. L'appelant avait le sentiment d'avoir été persécuté durant la période 1994-1995. Cela pourrait s'interpréter comme une manifestation délirante. A partir de 1996, M. Enhorn n'avait plus éprouvé de sentiment de persécution, en partie parce qu'il s'était enfui. S'agissant des relations sexuelles, l'appelant a déclaré qu'il privilégiait les rapports avec de jeunes hommes âgés de dix-sept ans environ. Il ne s'intéressait pas aux garçons prépubères. Il n'avait pas eu de vie sexuelle depuis 1996 et n'avait plus de désir ou fantasme sexuel particulier. Il était pleinement conscient d'être porteur du VIH et prenait bien soin de souligner qu'il n'avait pas peur de mourir. Il voyait d'un mauvais œil les traitements administrés contre le virus. Cela s'explique par le fait que les médicaments peuvent avoir des effets secondaires mais peut-être surtout par cela que, l'obligeant à se soumettre à différents contrôles, ils limiteraient la liberté de l'intéressé. L'appelant a spontanément déclaré qu'il voudrait discuter de sa maladie de sa propre initiative. Lorsqu'on lui a demandé si les entretiens pourraient être intégrés dans un protocole de traitement auquel le médecin de comté et le personnel de l'unité des maladies infectieuses seraient associés, l'appelant a répondu que non, en expliquant qu'il aurait honte de lui-même s'il devait abandonner ce combat. »
En conclusion, C.G. estima que le requérant souffrait bien de psychopathie paranoïde et que, au vu de renseignements antérieurs, il se livrait à un usage impropre de l'alcool mais ne souffrait pas de dépendance à l'alcool. Selon C.G., on aurait pu dire, en termes ordinaires, que le requérant était une personne étrange, mais non pas que c'était un malade mental. En ce qui concerne le risque de transmission du VIH de M. Enhorn à autrui, on en était réduit à faire des suppositions. Cela étant, les indices les plus patents concernant ce risque se trouvaient dans le comportement du requérant au cours des années qu'il avait passées en liberté.
Dans un jugement du 18 juin 1999, la cour administrative d'appel débouta le requérant. Le 5 octobre 1999, la Cour suprême administrative (Regeringsrätten) refusa à celui-ci l'autorisation de former un pourvoi.
Ultérieurement, le médecin de comté demanda et obtint à plusieurs reprises la prolongation de l'isolement forcé, qui fut ainsi maintenu jusqu'au 12 décembre 2001. A cette date, le tribunal administratif de comté refusa une nouvelle prorogation au motif que l'on ne savait pas où se trouvait le requérant et que, par conséquent, on ne disposait pas d'informations concernant son comportement, son état de santé, etc.
Apparemment, on sait depuis 2002 où se trouve le requérant mais le médecin de comté compétent estime que rien ne justifie plus de le placer en isolement.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
La loi de 1988 sur les maladies contagieuses (« la loi de 1988 ») établit une distinction entre les maladies dangereuses pour la société et les autres maladies contagieuses. L'une des maladies qualifiées de dangereuses pour la société est l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Les articles pertinents de la loi sont ainsi libellés :
Article 5
« Le conseil de comté [landsting] veille dans sa juridiction à la prise des mesures nécessaires à la prévention des maladies contagieuses (...) »
Article 6
« Un médecin de comté est affecté au conseil de comté (...) »
Article 13
« Toute personne qui craint d'avoir contracté une maladie dangereuse pour la société a l'obligation de consulter un médecin sans retard et de l'autoriser à pratiquer des examens et à prélever les échantillons nécessaires pour établir si elle a effectivement été contaminée. Elle a également pour obligation de se conformer aux instructions pratiques du médecin. Il en va de même lorsqu'une personne, contaminée par une maladie dangereuse pour la société, déclare avoir été en contact avec une autre personne d'une manière telle que l'infection aurait pu être transmise. »
Article 14
« Toute personne atteinte d'une maladie dangereuse pour la société doit donner à son médecin traitant des informations concernant la ou les personnes susceptibles d'être à l'origine de la contamination, et celle ou celles à qui la maladie aurait pu être transmise. Elle doit également donner tous les renseignements en sa possession concernant la source possible de la contamination et la propagation éventuelle de la maladie. »
Article 16
« Le médecin traitant donne à un patient atteint d'une maladie dangereuse pour la société toutes les instructions pratiques destinées à en prévenir la propagation. Ces instructions concernent les consultations médicales, l'hygiène, l'isolement à domicile, l'emploi et la fréquentation d'établissements d'enseignement, ainsi que le mode de vie de l'intéressé de manière générale. Les instructions sont reportées au dossier médical de la personne contaminée. Le médecin doit veiller dans toute la mesure possible au respect des instructions. »
Article 17
« Le médecin de comté peut, de sa propre initiative ou à la demande de l'individu concerné, modifier les instructions de la façon qui lui semble la plus appropriée. »
Article 25
« Un médecin traitant qui soupçonne qu'un patient contaminé ou susceptible d'être contaminé par une maladie dangereuse pour la société ne se conformera pas ou ne se conforme pas aux instructions pratiques qu'il a reçues, doit promptement en informer le médecin de comté. Cela vaut également lorsque le patient interrompt le traitement en cours sans le consentement de son médecin traitant. »
Article 28
« (...) Dans la mesure où ceci ne risque pas d'entraîner une propagation de la maladie, le médecin de comté doit, avant de décider d'une mesure coercitive, chercher à obtenir de l'intéressé qu'il se conforme à ses instructions de son plein gré. »
Article 30
« Le médecin de comté informé par un médecin traitant qu'un patient porteur du VIH ne se conforme pas ou est soupçonné de ne pas se conformer aux instructions pratiques qui lui ont été données, en avise les services sociaux, la police et l'agent principal de probation. Ce faisant, il indique l'identité de la personne à laquelle les instructions s'appliquent et la teneur de celles-ci. S'il estime que ces informations ne sont pas nécessaires pour garantir le respect des instructions pratiques, ou qu'elles sont sans intérêt pour la prévention de la maladie contagieuse, il ne les communique pas. »
Article 38
« Si le médecin de comté lui en fait la demande, le tribunal administratif de comté ordonne l'isolement forcé d'une personne contaminée par une maladie dangereuse pour la société si cette personne ne se conforme pas d'elle-même aux mesures nécessaires pour prévenir la propagation de la maladie. Le tribunal rend une décision identique lorsqu'il y a de bonnes raisons de supposer que la personne contaminée ne se conforme pas aux instructions pratiques émises et que cela entraîne un risque manifeste de propagation de la maladie. L'isolement forcé a lieu dans un hôpital géré par le conseil de comté. »
Article 39
« Si une personne doit être placée d'urgence en isolement et que l'on ne peut attendre l'ordonnance du tribunal administratif de comté, le médecin de comté prend lui-même la décision visée à l'article 38. Cette décision est soumise immédiatement à l'approbation du tribunal administratif de comté. »
Article 40
« L'isolement ne peut excéder une période de trois mois à compter du jour où la personne contaminée est entrée à l'hôpital en application de l'ordonnance d'isolement. »
Article 41
« Le tribunal administratif de comté peut, à la demande du médecin de comté, ordonner la prolongation de l'isolement au-delà de la période maximale visée à l'article 40. En aucun cas la prolongation ne peut être ordonnée pour une période excédant six mois à la fois. »
Article 42
« Lorsqu'il n'y a plus lieu de maintenir l'isolement, le médecin de comté en ordonne la levée immédiate (...) »
Article 43
« Une personne placée en isolement forcé reçoit des soins adéquats. Le soutien et l'aide nécessaires doivent lui être apportés ; on l'encourage à changer de comportement et de mode de vie afin que l'isolement puisse prendre fin. Sous réserve des dispositions de la présente loi, une personne placée en isolement ne peut subir aucune autre restriction à sa liberté. Une personne qui fait l'objet de soins imposés se voit offrir un emploi et un entraînement physique adaptés à son âge et à son état de santé. Sauf circonstances exceptionnelles, l'intéressé doit avoir la possibilité de prendre l'air au moins une heure par jour. »
Article 44
« Une personne placée en isolement forcé peut se voir interdire de quitter les locaux de l'hôpital ou l'unité dans laquelle elle se trouve ; des restrictions peuvent frapper sa liberté de mouvement si la nécessité de garantir l'isolement l'impose ou encore si la protection de sa propre sécurité ou de celle d'autrui l'exige. »
Article 52
« Les décisions qu'un médecin de comté prend en application de la loi de 1988 peuvent faire l'objet d'un recours devant le tribunal administratif de comté si elles concernent :
les instructions pratiques visées à l'article 17 ;
une détention temporaire sur la base de l'article 37 ;
le rejet d'une demande visant à la levée de l'isolement ;
(...) »
La loi ne prévoit aucune sanction pénale contre les personnes qui transmettraient une maladie dangereuse. En revanche, certains comportements sont considérés comme délictuels et tombent par conséquent sous le coup du code pénal.
En mars 1999, une commission parlementaire qui avait été chargée de revoir la législation en matière de maladies contagieuses remit son rapport (SOU 1999:51). Elle y formulait l'avis que l'isolement forcé ne devait être décidé que dans des circonstances très particulières et exceptionnelles. Elle proposait, eu égard notamment à l'article 5 de la Convention, que l'isolement forcé prît automatiquement fin passé un délai maximum de trois mois. Le gouvernement n'a à ce jour pas soumis de projet de loi au Parlement.
III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS
De nombreuses chartes et déclarations ayant pour objet la reconnaissance, en termes généraux ou spécifiques, des droits de l'homme des individus atteints du VIH/SIDA ont été adoptées dans le cadre de conférences nationales et internationales. Quelques-unes d'entre elles sont mentionnées ci-après.
En 1998, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH) et le Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) ont publié des « Directives internationales concernant le VIH/SIDA et les droits de l'homme ». Elaborées à partir d'avis d'experts, ces directives avaient pour finalité de traduire les principes et normes internationaux des droits de l'homme dans les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de VIH/SIDA. Au titre « I. Obligations internationales en matière de droits de l'homme et VIH/SIDA », sous-titre « C. Exercice de droits de l'homme spécifiques dans le contexte de l'épidémie de VIH/SIDA » sont donnés plusieurs exemples de l'exercice de droits de l'homme spécifiques dans le contexte de l'épidémie de VIH/SIDA. Ainsi, à la section 9, « Droit à la liberté et à la sécurité de la personne », on lit :
« L'article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose ce qui suit : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraires. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. »
Il ne devrait donc jamais y avoir d'immixtion arbitraire dans le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, sous forme de mesures telles que quarantaine, détention dans des lieux spéciaux ou isolement au simple motif de l'infection à VIH. Aucun motif de santé publique ne justifie cette privation de liberté. De fait, il a été démontré que le meilleur moyen de servir la santé publique consistait à intégrer les personnes touchées par le VIH/SIDA dans les communautés et à tirer profit de leur participation à la vie publique et économique.
Il peut être nécessaire d'apporter des restrictions à la liberté dans des cas exceptionnels qui auraient fait l'objet de jugements objectifs portant sur un comportement dangereux et délibéré. Les dispositions courantes en matière de santé publique ou la législation pénale devraient alors s'appliquer dans le respect de la légalité.
Un dépistage obligatoire du VIH peut constituer une privation de liberté et une violation du droit à la sécurité de la personne. Cette mesure de caractère coercitif vise fréquemment les groupes qui ont le plus de difficultés à se protéger parce qu'ils relèvent soit de l'autorité d'institutions gouvernementales soit de la loi pénale, comme les membres des forces armées, les détenus, les prostitué(e)s, les toxicomanes par voie intraveineuse et les hommes ayant des partenaires de sexe masculin. La santé publique ne justifie en rien un dépistage obligatoire du VIH. Pour que le droit à l'intégrité physique soit respecté, il faut que le dépistage ait un caractère facultatif et se fonde sur le consentement éclairé des intéressés. »
A la suite de la Troisième consultation internationale sur le VIH/SIDA et les droits de l'homme, tenue à Genève les 25 et 26 juillet 2002, la Directive 6 concernant l'« Accès à la prévention, au traitement, aux soins et au soutien » a été révisée afin que soient prises en compte les nouvelles normes du traitement de l'infection par le VIH en droit international de la santé.
Dans sa Recommandation sur les incidences éthiques de l'infection VIH dans le cadre sanitaire et social, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe recommande ce qui suit, au sujet des contrôles sanitaires (annexe à la Recommandation no R (89) 14, I. Politique de santé publique, C. contrôles sanitaires) :
« Il est recommandé aux autorités de santé publique de :
– s'abstenir d'introduire des restrictions à la liberté de déplacement au moyen de procédures aux frontières, inefficaces et coûteuses, et ce pour toutes les catégories de voyageurs, y compris les travailleurs migrants ;
– ne pas avoir recours à des mesures coercitives, tels la quarantaine et l'isolement pour les individus infectés par le VIH ou les patients atteints du sida. »
Lors de l'adoption de cette recommandation, le 24 octobre 1989, la déléguée de la Suède, se référant à l'article 10.2.d du règlement intérieur des réunions des Délégués des Ministres, a fait enregistrer son abstention et, dans une déclaration explicative, a indiqué que son gouvernement ne se considérait pas comme lié par la recommandation. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1967 et séjourne actuellement aux Pays-Bas.
Arrivé dans ce pays le 8 mai 2001, il y sollicita l'asile (verblijfsvergunning asiel voor bepaalde tijd) au centre d'accueil (aanmeldcentrum) de Schiphol le 21 mai 2001. Il vit un fonctionnaire du service de l'immigration et des naturalisations du ministère de la Justice le même jour. Au cours de l'entretien, qui visait à l'établissement de son identité, de sa nationalité et de son itinéraire, il livra un récit qu'on peut résumer comme suit.
Après avoir terminé le 1er décembre 1995 son service militaire de dix-huit mois, M. Said fut rappelé à l'occasion d'une mobilisation générale décrétée en avril 1998. Il fut affecté à une unité antichars et participa à la guerre contre l'Ethiopie.
La guerre se termina le 13 juin 2000, mais la démobilisation des troupes ne commença que bien plus tard, parce que les autorités érythréennes craignaient de nouvelles incursions militaires de la part des Ethiopiens. En août 2000, une réunion fut organisée avec le bataillon du requérant, qui était fort de 5 000 à 7 000 hommes. Il s'agissait d'évaluer les performances de ceux-ci pendant la guerre. D'après le requérant, il était habituel que de telles réunions fussent organisées. Elles permettaient aux officiers haut gradés de l'armée de se dédouaner de leurs défaillances en imputant celles-ci aux hommes de troupe. Au cours de ladite réunion, les commandants du bataillon déclarèrent que les soldats ne s'étaient pas bien battus. Le requérant prit la parole et affirma que c'était la faute des chefs, qui avaient insisté pour que les soldats, qui étaient affamés, assoiffés et fatigués, continuent à se battre sur le front, ce qui avait entraîné des pertes. Il déclara que son unité aurait dû être remplacée ou renforcée. D'autres soldats présents lors de la réunion exprimèrent eux aussi des critiques, disant par exemple qu'ils n'avaient pas disposé d'un armement suffisant. Lorsque le requérant avait parlé, les autres soldats l'avaient vigoureusement appuyé et une vive discussion s'en était suivie.
Après la réunion, le requérant avait eu pendant quelque temps l'impression que les autorités militaires le tenaient à l'œil. Il était convaincu, par exemple, qu'on le suivait chaque fois qu'il rendait visite à d'autres unités, et on lui refusait l'autorisation de descendre en ville. Il avait fini par penser que tout cela avait été oublié lorsqu'il fut convoqué au commandement du bataillon le 5 décembre 2000. On lui dit qu'il avait incité les soldats à la révolte. On le pria de remettre ses armes, puis on le plaça en détention dans une cellule souterraine, où il demeura pratiquement cinq mois. Il ne fut jamais interrogé, ni inculpé, ni traduit devant un tribunal militaire.
Le 20 avril 2001, on le mit dans une jeep avec un chauffeur et un garde qui étaient tous deux armés. Il ne fut ni menotté, ni attaché. Sur le chemin, ils tombèrent sur un véhicule militaire qui avait eu un accident. Tant le chauffeur que le garde sortirent de la voiture pour voir s'ils pouvaient prêter leur aide. Laissé seul, le requérant saisit l'occasion et s'échappa par l'arrière du véhicule.
Il gagna alors sans encombre le Soudan voisin en évitant les postes frontière officiels. Une de ses connaissances à Khartoum le mit en rapport avec un agent de voyages, qui lui procura un passeport et des billets d'avion. Accompagné de l'agent de voyages, le requérant gagna la Belgique via la Syrie et un autre pays européen, non précisé. De Bruxelles, toujours accompagné de l'agent de voyages, il prit le train pour Breda, aux Pays-Bas. Une fois là-bas, l'agent de voyages lui indiqua qu'ils étaient arrivés à destination. Il lui demanda de lui restituer le passeport et de se présenter à un commissariat de police.
Le requérant introduisit alors une demande d'asile, que le secrétaire d'Etat à la Justice (Staatssecretaris van Justitie) rejeta le 23 mai 2001, à l'issue d'une procédure accélérée, considérant notamment que le fait que le requérant n'avait soumis aucun document propre à établir son identité, sa nationalité ou son itinéraire de voyage, affectait la plausibilité de ses déclarations. De surcroît, le secrétaire d'Etat jugea qu'il était peu plausible que le requérant pût s'être échappé de la manière qu'il avait indiquée : il n'était guère crédible, selon lui, qu'un individu en détention depuis quatre mois pût avoir été transporté sans entraves, qu'il pût s'être échappé sans être intercepté par ses gardiens, et que ceux-ci pussent l'avoir laissé seul à l'arrière d'une jeep ouverte afin de prêter leur assistance aux victimes d'un accident de la route. Les observations que le requérant disait avoir faites lors de la réunion supposée s'être tenue en août 2000 n'étaient pour le secrétaire d'Etat pas d'une nature telle que l'intéressé pût avoir de bonnes raisons de craindre d'être persécuté pour ce motif, d'autant que les observations en question ne s'écartaient pas particulièrement de l'avis de ses supérieurs, auxquels M. Said disait les avoir adressées. De surcroît, le requérant lui-même avait déclaré qu'il n'était pas le seul soldat à avoir émis des critiques. Or nul n'avait jamais allégué et il n'était pas apparu que l'un quelconque des autres soldats eût connu des problèmes à la suite des critiques en question. Le requérant n'avait de même pas expliqué pourquoi il n'avait été arrêté que quatre mois plus tard et pourquoi on ne l'avait pas inquiété dans l'intervalle.
Le requérant attaqua la décision devant le tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) de La Haye siégeant à Amsterdam, sollicitant par ailleurs du président du même tribunal le prononcé d'une mesure provisoire ordonnant qu'il soit sursis à son expulsion. Dans l'attente de l'issue de la procédure, le requérant soumit une déclaration écrite émanant d'un certain M. Khalifa et aux termes de laquelle le fils de ce dernier avait été exécuté en Erythrée en octobre 2000, après être demeuré trois mois auprès de sa mère sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de ses supérieurs militaires. Le requérant produisit également une carte d'identité, une carte d'identité militaire, un permis de conduire et un acte de mariage. Le 18 juin 2001, le président du tribunal d'arrondissement rejeta la demande de mesure provisoire et, considérant qu'un complément d'enquête ne pouvait pas raisonnablement contribuer à éclairer la cause, débouta le requérant de son recours. Il estima que la désertion alléguée du requérant et sa crainte d'une sanction disproportionnée pour cet acte n'avaient pas été établies de manière suffisamment plausible. Il jugea peu probable que l'armée eût toujours été mobilisée à l'époque de la fuite du requérant, en avril 2001, dès lors que la guerre s'était terminée en juin 2000 et que, à en croire le requérant lui-même, l'armée avait évalué la manière dont elle avait mené la guerre lors d'une réunion qui s'était tenue en août 2000. Quant à l'allégation du requérant selon laquelle il était accusé d'incitation à la révolte, le président estima qu'elle se fondait sur une pure supposition. Eu égard au peu de difficulté que le requérant avait éprouvé pour s'échapper, le président jugea par ailleurs peu probable que les autorités (militaires) voulussent sévèrement punir l'intéressé. Estimant dans ces conditions que le récit du requérant n'était ni crédible ni plausible, le président du tribunal d'arrondissement considéra qu'il ne s'imposait pas d'entendre M. Khalifa comme témoin.
Le requérant interjeta appel (hoger beroep) devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat (Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad van State), plaidant en particulier qu'un complément d'enquête au sujet de la cause, notamment concernant la question de savoir si l'armée érythréenne avait déjà été démobilisée à l'époque de sa désertion, était nécessaire et réalisable. S'il se vérifiait que l'armée était toujours mobilisée en avril 2001, le raisonnement suivi par le président du tribunal d'arrondissement pour conclure au manque de crédibilité et de plausibilité du récit du requérant ne pouvait plus tenir. Le requérant sollicita également le prononcé d'une mesure provisoire l'autorisant à attendre l'issue de son recours aux Pays-Bas. Il retira cette demande le 6 juillet 2001, au vu de la jurisprudence pertinente de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat.
Le 16 juillet 2001, la section du contentieux administratif débouta le requérant de son appel. Elle jugea que le recours que l'intéressé avait formé devant le tribunal d'arrondissement avait été rejeté non pas uniquement pour des raisons relatives à la mobilisation, mais aussi pour des raisons relatives au récit livré par le requérant concernant son arrestation et son évasion. Elle estima que, compte tenu de ses conclusions aux termes desquelles le secrétaire d'Etat à la Justice n'avait pas eu tort de qualifier le récit du requérant de peu crédible, le président du tribunal d'arrondissement avait pu à bon droit décider qu'il ne s'imposait pas d'entendre M. Khalifa comme témoin. Elle précisa que le fait qu'il n'était pas contesté que le requérant eût servi dans l'armée n'affectait en rien ce constat.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Asile
En vertu de l'article 29 de la loi de 2000 sur les étrangers (Vreemdelingenwet 2000), qui était déjà en vigueur à l'époque pertinente, un étranger peut obtenir un permis de séjour aux fins d'asile, notamment,
a) s'il est un réfugié au sens de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ou
b) s'il a établi qu'il a de bonnes raisons de supposer qu'il courra un risque réel d'être soumis à la torture ou à des traitements ou à des peines cruels ou dégradants s'il est expulsé vers son pays d'origine.
B. La politique néerlandaise relative aux demandeurs d'asile de nationalité érythréenne
Afin de faciliter l'appréciation des demandes d'asile et la réponse à la question de savoir si l'on peut en toute sécurité renvoyer vers leurs pays d'origine des déboutés du droit d'asile, le ministre des Affaires étrangères publie régulièrement des rapports officiels (ambtsberichten) sur la situation qui prévaut dans les pays d'origine des demandeurs d'asile. Pour établir ces rapports, le ministre utilise les sources publiées, ainsi que les rapports rédigés par les organisations non gouvernementales et ceux établis par les missions diplomatiques néerlandaises.
La décision du 23 mai 2001 rejetant la demande d'asile formée par le requérant se fondait sur des informations contenues dans le rapport du 20 octobre 2000 relatif à l'Erythrée. Ce rapport décrivait le conflit opposant l'Erythrée à l'Ethiopie et les hostilités en étant résultées. La première série d'hostilités avait pris fin en juin 1998. D'âpres combats avaient recommencé en février 1999, et des escarmouches avaient eu lieu en septembre et en octobre 1999. Une véritable guerre avait éclaté à nouveau le 12 mai 2000. Le 18 juin 2000, les deux pays avaient signé un accord mettant fin aux hostilités. Depuis lors, la situation en matière de sécurité était bonne, mais la situation humanitaire était préoccupante.
Ledit rapport précisait que le simple fait de provenir de l'Erythrée ne constituait pas un motif juridique justifiant une admission aux Pays-Bas. Chaque demandeur d'asile devait établir de manière convaincante que sa situation personnelle – considérée de manière objective – justifiait la crainte d'être persécuté, au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, ou la délivrance d'un permis de séjour aux fins d'asile au motif que le demandeur risque d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention si on le renvoie vers son pays d'origine.
Le rapport du 1er mars 2002 confirmait les conclusions du rapport précédent, tout en précisant que les déserteurs faisaient partie, du point de vue des droits de l'homme, des catégories de personnes qui couraient un risque accru d'être exposées à des traitements rigoureux. Quant aux sanctions frappant les déserteurs, le rapport indiquait que la peine maximale pour une désertion au cours d'une mobilisation générale était l'emprisonnement à vie ou, dans des cas extrêmes, la mort. D'après le rapport, ces peines et la question de savoir si elles s'appliquaient en temps de guerre ou en temps de paix étaient toutefois largement théoriques. En pratique, les déserteurs n'étaient pas jugés devant un tribunal, pas même devant une cour martiale. Ils étaient punis par leurs supérieurs et astreints à travailler dans les mines ou à la construction des routes pour des périodes variant de six mois à un an, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une nouvelle levée de recrues reçoivent leur formation initiale. Les déserteurs punis étaient alors envoyés rejoindre les nouvelles recrues et étaient par la suite réintégrés dans le service actif. D'après certaines sources, des déserteurs pris en flagrant délit avaient été exécutés en mai/juin 2000 pendant la guerre avec l'Ethiopie.
Le rapport le plus récent, celui du 28 février 2005, contient les mêmes informations que le rapport précité pour ce qui est des peines pour désertion. Il ajoute qu'il semble probable que la sévérité des châtiments infligés aux déserteurs dépende des situations spécifiques, et notamment des questions de savoir si la désertion a eu lieu en temps de guerre ou en temps de paix et si les autorités étaient au courant de la désertion à l'époque, ainsi que de la situation personnelle de l'individu concerné.
Le même rapport précise de surcroît qu'ont été signalés des cas de mauvais traitements infligés à des déserteurs par la police (militaire) et les forces de sécurité, ainsi que des cas d'infliction de peines disciplinaires telles l'exposition de longue durée à des températures importantes ou le ligotage des mains, avec pour conséquence, dans certains cas, des séquelles irréversibles.
Etant donné l'existence d'un système d'enregistrement des conscrits, il faut, selon le rapport, partir du principe que les déserteurs sont eux aussi enregistrés et dès lors connus des autorités.
III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Les documents soumis par le requérant
A l'appui de sa requête, le requérant a produit devant la Cour des informations relatives à la démobilisation de l'armée et au traitement réservé aux déserteurs.
D'après un rapport publié le 25 août 2001 dans l'hebdomadaire The Economist, l'armée érythréenne attendait toujours à l'époque sa démobilisation.
D'après une lettre datée du 27 mai 2002 et adressée à l'avocat du requérant par le spécialiste de la Corne de l'Afrique de la branche néerlandaise d'Amnesty International, il était habituel pour l'armée érythréenne de se réunir après une offensive et de se livrer à une évaluation de ses performances. La lettre ajoutait qu'il n'était pas rare qu'un laps de temps considérable s'écoule entre la formulation de critiques ouvertes et une arrestation, ou que des déserteurs soient punis par leurs supérieurs en dehors de tout procès. D'après la lettre, la démobilisation de l'armée érythréenne avait commencé en mai 2002.
Le requérant a également produit des déclarations écrites émanant de deux ressortissants érythréens séjournant actuellement en exil en Allemagne et au Royaume-Uni respectivement. Datée du 6 mars 2002, la première déclaration décrit comment un proche de son auteur a été exécuté en avril 1999 alors qu'il avait volontairement regagné sa base militaire après avoir assisté sans l'autorisation de ses supérieurs à l'enterrement de son frère. D'après la seconde déclaration, faite le 11 mars 2002 par l'un des fondateurs et membre éminent du Front de libération populaire de l'Erythrée et ancien gouverneur d'une capitale provinciale de ce pays, les conscrits et soldats qui quittent l'armée sont « pourchassés et tués ».
B. Autres documents internationaux pertinents
Dans son rapport annuel 2003, qui couvrait les événements survenus entre janvier et décembre 2002, Amnesty International, s'exprimant à propos de l'Erythrée, disait notamment ce qui suit :
« Les personnes qui tentent de se soustraire à la conscription ou de protester contre le service militaire sont, aux termes de la loi en vigueur, passibles de trois ans d'emprisonnement ; dans la réalité, une fois arrêtées, elles sont soumises à des tortures, détenues arbitrairement et contraintes d'exécuter des travaux forcés pendant des mois avant d'être réincorporées contre leur gré dans les rangs de l'armée. Parmi les méthodes de torture signalées figure celle consistant à abandonner des heures durant la victime sous un soleil brûlant, pieds et poings liés, au risque qu'un tel traitement laisse des séquelles irréversibles. »
Un communiqué de presse diffusé par Amnesty International le 11 août 2003 exprimait les préoccupations de ladite organisation au sujet de l'intention présumée des autorités libyennes de renvoyer de force vers l'Erythrée sept ressortissants érythréens. Les hommes en question avaient déserté de l'armée érythréenne à différents moments au cours de l'année 2002 et avaient gagné le Soudan, puis la Libye, dans l'espoir de rejoindre un pays d'asile en Europe. Le communiqué de presse indiquait que des centaines d'Erythréens avaient fui le pays au cours des deux années précédentes pour gagner d'abord le Soudan après s'être soustraits au service national ou à la conscription. Plusieurs des personnes séjournant en détention militaire avaient exprimé des opinions critiques à l'égard du gouvernement ou des autorités militaires. Le communiqué de presse comportait notamment le passage suivant :
« Si ces sept détenus érythréens sont rapatriés de force en Erythrée, ils courent un grand risque d'être arrêtés à leur arrivée et détenus au secret dans un lieu de détention inconnu sans inculpation ni jugement pour une durée indéterminée. Ils pourraient être soumis à la torture – fréquemment employée par les militaires en Erythrée. Au moins deux d'entre eux, détenus dans le passé en Erythrée pour des motifs politiques, pourraient être victimes d'exécutions extrajudiciaires. »
Quant au rapport annuel 2004 d'Amnesty International, qui couvrait les événements de janvier à décembre 2003, il contenait le passage suivant :
« La torture a continué d'être utilisée (...) de façon courante, comme méthode punitive dans l'armée. Des déserteurs (...) ont été torturés lors de leur détention par des militaires. Ils ont été frappés et laissés des heures au soleil, pieds et poings liés dans des positions douloureuses (méthode dite de l'hélicoptère), ou pendus au plafond par des cordes. »
Le rapport annuel 2005, qui couvre les événements de janvier à décembre 2004, décrit une situation identique.
Le 19 mai 2004, Amnesty International publia un rapport intitulé « Erythrée : « Vous n'avez pas le droit de demander » – Le Gouvernement s'oppose à un contrôle de la situation en matière de droits de l'homme ». Le rapport décrivait notamment le renvoi forcé dans leur pays par les autorités maltaises en septembre et en octobre 2002 de quelque 220 Erythréens arrivés sur l'île de Malte au cours de la même année à la suite principalement de naufrages ou de sauvetages en mer. Le rapport contenait le passage suivant :
« [Les personnes renvoyées] furent toutes immédiatement placées en détention à leur arrivée à Asmara puis transférées au centre de détention militaire tout proche d'Adi Abeto. (...) Ainsi qu'Amnesty International l'apprit plus tard, les femmes, les enfants et ceux qui avaient dépassé l'âge limite de la conscription (quarante ans) furent libérés après quelques semaines mais le reste des expulsés de Malte – pour la plupart déserteurs de l'armée – furent détenus au secret et torturés. »
Le 28 février 2005, le Département d'Etat américain publia son rapport 2004 sur les pratiques en matière de droits de l'homme en Erythrée. Ce rapport comportait le passage suivant :
« Le Gouvernement continue d'autoriser l'usage de la force contre toute personne qui oppose une résistance lors d'une opération militaire de recherche de déserteurs ou qui tente de fuir lors de pareille opération (...)
Durant l'année, les policiers ont sévèrement maltraité et battu des déserteurs de l'armée (...) Les forces de sécurité ont placé en détention des déserteurs (...) qu'elles ont ensuite soumis à diverses mesures disciplinaires. L'une d'elles consistait à exposer les intéressés pendant de longues heures au soleil, sous des températures pouvant atteindre 113 degrés Fahrenheit. Une autre consistait à ligoter les mains, les coudes et les pieds des intéressés et à les garder ainsi pendant de longues périodes (...)
Le Gouvernement a déployé des forces de police militaire sur toute l'étendue du pays et a eu recours à des barrages routiers, à des rafles et à des perquisitions maison par maison pour débusquer les déserteurs (...) » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1952 et réside en Slovénie.
Le 6 janvier 1994, il fut victime d'un accident dans la mine de lignite où il travaillait. Il souffre depuis lors d'un handicap et touche une pension d'invalidité. Son employeur avait souscrit pour son compte une assurance accident auprès de la compagnie T. (« ZT »). Son invalidité fut fixée à 13 %. ZT lui versa partiellement sa pension de 1994 à 1996.
Le 30 décembre 1998, le requérant engagea contre la compagnie ZT une procédure civile devant le tribunal d'arrondissement de Celje (Okrajno sodišče v Celju) pour réclamer une augmentation de 7 % de sa pension, en se fondant sur les conclusions d'une expertise médicale. Il demandait aussi à être dispensé de payer les frais de justice.
Le 26 août 1999, le requérant déposa un mémoire et des éléments de preuve supplémentaires et pria le tribunal de désigner un médecin expert indépendant pour déterminer son degré d'invalidité. Il soumit de nouveau des documents et observations les 13 octobre 1999, 16 novembre 2000 et 27 février, 9 et 17 avril et 30 mai 2002.
Le 7 novembre 2000 se tint une audience pour examiner la demande de désignation d'un expert formulée par le requérant. La demande fut accueillie, mais aucun expert ne fut désigné.
Le 23 novembre 2000, le requérant déposa des documents et pria le tribunal de procéder à la désignation d'un expert.
Le 28 novembre 2000, le tribunal nomma un expert qui, chargé de déterminer le degré d'invalidité du requérant, remit son rapport le 26 avril 2001.
Le 25 mai 2001, le requérant soumit un mémoire et augmenta sa demande de 2,5 %.
Le 10 juillet 2001, il présenta un mémoire et demanda que l'on charge l'expert de soumettre un nouvel avis.
Le 16 octobre 2001 se tint une audience au cours de laquelle le tribunal décida qu'il convenait de demander à l'expert des explications complémentaires.
Le 23 novembre 2001, le tribunal donna pour instructions au même expert de soumettre un nouvel avis.
Le 11 février 2002, l'expert remit son rapport qui fut notifié aux parties.
Les 9 avril et 30 mai 2002, le requérant demanda la tenue d'une audience.
Le 25 septembre 2002, le tribunal tint une audience et décida de rendre un jugement écrit.
Le 30 décembre 2002, les avocats du requérant reçurent le jugement, qui faisait droit en partie aux prétentions de l'intéressé.
Le 31 décembre 2002, le requérant interjeta appel. ZT forma un appel incident.
Le 19 février 2004, la cour d'appel de Celje (Višje sodišče v Celju) accueillit en partie l'appel du requérant. Elle augmenta le montant de la pension d'invalidité et alloua une somme au requérant pour frais et dépens. Cette décision devint définitive le jour même.
Le 8 avril 2004, l'arrêt fut notifié aux avocats du requérant.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution de 1991
Les dispositions pertinentes de la Constitution de la République de Slovénie (Ustava Republike Slovenije) sont ainsi libellées :
Article 23
« Toute personne a droit à ce qu'un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, se prononce sans délai inutile sur ses droits et devoirs ainsi que sur les accusations portées à son encontre. (...) »
Article 26
« Toute personne a droit à la réparation du préjudice causé par les agissements illégaux commis par un individu ou un organe dans l'exercice de ses fonctions ou de ses activités au service de l'Etat ou d'une autorité locale, ou en tant que détenteur d'une fonction publique. (...) »
Article 157
« Un tribunal compétent pour revoir les décisions administratives statue sur la légalité des décisions individuelles définitives émanant d'autorités de l'Etat ou d'autorités locales ou de détenteurs de fonctions publiques et portant sur les droits, les obligations ou les avantages légaux d'individus et organisations, lorsqu'aucune autre protection légale n'est spécifiquement prévue.
Si aucune autre protection légale n'est prévue, le tribunal compétent pour revoir les décisions administratives juge en outre de la légalité des actes et décisions individuels qui portent atteinte aux droits constitutionnels d'autrui. »
Article 160
« La Cour constitutionnelle juge :
(...) des recours constitutionnels dans lesquels il est allégué que des actes spécifiques ont violé des droits de l'homme ou des libertés fondamentales ;
(...)
Sauf disposition contraire de la loi, la Cour constitutionnelle ne se prononce sur un recours constitutionnel qu'après l'épuisement des voies de recours. Elle décide si un recours est recevable sur la base des critères et procédures définis par la loi. »
B. La loi de 1994 sur la Cour constitutionnelle
Les dispositions pertinentes de la loi sur la Cour constitutionnelle (Zakon o Ustavnem sodišču) sont ainsi libellées :
Article 1
« La Cour constitutionnelle est la juridiction suprême en matière de protection de la constitutionnalité, de la légalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...)
Les décisions de la Cour constitutionnelle sont juridiquement obligatoires. »
Article 50
« Toute personne estimant qu'il a été porté atteinte à ses droits et libertés fondamentaux par un acte particulier d'un organe de l'Etat, d'un organe local ou d'une autorité légale peut saisir la Cour constitutionnelle d'un recours constitutionnel, sous réserve des conditions prévues dans la présente loi. (...) »
Article 51
« Un recours constitutionnel ne peut être intenté qu'après l'épuisement de toutes les voies de recours.
A titre exceptionnel, la Cour constitutionnelle peut se prononcer sur un recours constitutionnel avant l'épuisement de toutes les voies de recours extraordinaires si la violation alléguée est manifeste et que l'appelant risque de subir des dommages irréparables du fait de l'acte particulier qui a été commis. »
C. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
Dans une décision du 7 novembre 1996 (no Up 277/96), la Cour constitutionnelle (Ustavno sodišče) conclut que les recours constitutionnels formés en vertu de l'article 160 de la Constitution slovène étaient recevables dans des affaires de durée de procédure lorsque la procédure en cause était encore pendante. Toutefois, elle déclara également que, pour garantir le droit à un procès équitable dans le système juridique slovène, la seule protection judiciaire adéquate disponible consistait à saisir les tribunaux administratifs. Un recours constitutionnel n'était par principe recevable qu'après l'épuisement de cette voie de recours.
Par une décision du 7 décembre 2000 (no Up 73/97), la Cour constitutionnelle décida que, une fois la procédure en justice terminée, un individu ne pouvait plus engager une action administrative pour se plaindre de la durée de la procédure. Dès lors, comme il n'y avait plus de violation à redresser, il n'était plus possible de former un recours constitutionnel.
Dans une décision du 17 décembre 2003 (no Up 85/03-12), la Cour constitutionnelle dit que, lorsqu'il n'était plus possible d'engager une action administrative pour durée de procédure au motif que la procédure en question avait pris fin, la personne qui nourrissait un tel grief pouvait chercher à obtenir une indemnisation au civil.
D. La loi de 1997 sur le contentieux administratif
La loi de 1997 sur le contentieux administratif (Zakon o upravnem sporu) garantit le droit constitutionnel à bénéficier d'un procès dans un délai raisonnable par le biais d'une procédure devant les juridictions administratives et, en appel, devant la Cour suprême (Vrhovno sodišče). En vertu de l'article 2 §§ 1 et 2, le tribunal jouit d'une grande latitude pour adapter sa décision à la nature du droit constitutionnel qui a été enfreint, pour ordonner le redressement adéquat et pour statuer sur la demande d'indemnisation du requérant. L'article 62 prévoit la possibilité de solliciter une déclaration selon laquelle il y a eu violation d'un droit garanti par l'article 23 de la Constitution ainsi que l'indemnisation du préjudice. En outre, en vertu de l'article 69, on peut demander une injonction temporaire pour prévenir un dommage grave ou pour protéger contre une menace de violence imminente.
E. La jurisprudence des tribunaux administratifs
Dans l'affaire no U 836/98, le Tribunal administratif (Upravno sodišče) a conclu le 7 mars 2000 à la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable alors que l'affaire était pendante depuis vingt-trois mois devant le tribunal du travail et des affaires sociales. Le 18 décembre 2002, toutefois, la Cour suprême cassa l'arrêt en appel car la procédure avait entre-temps pris fin. Le 17 décembre 2003, la Cour constitutionnelle rejeta le recours constitutionnel (no Up 85/03-12) au motif que la procédure en cause était terminée et que le plaignant pouvait demander une indemnisation au civil.
De même, dans l'affaire no U 148/2002-19, le Tribunal administratif rejeta le 21 janvier 2003 une plainte concernant la durée d'une procédure en ce que celle-ci s'était terminée peu après le dépôt de la plainte. Le 28 mai 2003, la Cour suprême confirma cette décision en appel.
Dans l'affaire no U 148/2002-19, le Tribunal administratif rejeta le 21 janvier 2003 une plainte pour violation du droit à un procès dans un délai raisonnable déposée le 18 juillet 2002. Cette décision fut confirmée en appel le 28 mai 2003. La procédure avait duré dix mois et dix jours pour deux degrés de juridiction.
Dans l'affaire no U 459/2003-23, le Tribunal administratif conclut le 7 décembre 2004 à la violation du droit à un procès équitable s'agissant d'une procédure qui avait débuté le 8 décembre 2003 et duré moins d'un an pour un degré de juridiction.
F. Le code des obligations de 2001
Lorsqu'un tribunal est à l'origine de la durée excessive d'une procédure et qu'un individu a subi de ce fait un préjudice, cet individu peut demander une indemnisation à l'Etat en vertu du code des obligations (Obligacijski zakonik) de 2001. La personne qui sollicite l'indemnisation devra alors prouver, premièrement, qu'il y a eu un retard de procédure, deuxièmement, que cela a occasionné un préjudice et, troisièmement, qu'il existe un lien de causalité entre le comportement du tribunal et le préjudice subi. Le code ne prévoit toutefois pas spécifiquement l'indemnisation du préjudice moral en pareil cas.
G. La jurisprudence des juridictions civiles
Par un jugement du 22 janvier 2001, le tribunal de district de Ljubljana (Okrožno sodišče v Ljubljani) alloua une indemnité de près de 6 700 euros (EUR), qui fut toutefois ramenée le 16 décembre 2002 par la cour d'appel de Ljubljana à moins de 850 EUR.
Par un jugement du 18 avril 2001, confirmé en appel le 12 février 2003 par la cour d'appel de Ljubljana, le tribunal de district de Ljubljana octroya une somme de 3 350 EUR environ.
H. La loi de 1994 sur l'organisation judiciaire
L'article 3 § 4 de la loi sur l'organisation judiciaire (Zakon o sodiščih) dispose que les juges doivent statuer sur les droits et obligations et sur les accusations en matière pénale de manière indépendante et impartiale et dans un délai raisonnable.
L'article 38 de la loi dispose que, lorsqu'il fixe le nombre de juges à désigner pour un tribunal particulier, le conseil judiciaire (sodni svet) doit tenir compte des critères établis par le ministre de la Justice, du nombre moyen d'affaires traitées par ce tribunal au cours des trois années précédentes et des changements prévisibles susceptibles d'avoir une incidence sur ce nombre, ainsi que du nombre moyen d'instances nouvelles dont le tribunal a été saisi au cours des trois années précédentes. La loi habilite le ministre de la Justice à modifier ses critères en fonction de la complexité des affaires et des changements qui interviennent dans leur mode de traitement.
L'article 72 dispose que, en cas de retard de procédure, toute partie peut former un recours hiérarchique (nadzorstvena pritožba) auprès du président du tribunal, lequel peut prier le juge qui préside de faire rapport sur l'avancement de la procédure et doit indiquer par écrit à ce juge toute irrégularité qu'il est susceptible de constater. Le président du tribunal peut décider d'inscrire l'affaire sur la liste des affaires prioritaires ou fixer des délais à respecter pour prendre certaines mesures procédurales. Si le retard est dû à l'encombrement du rôle, il peut décider de transférer à un autre juge l'affaire en cause ou d'autres affaires. Il peut aussi proposer des mesures en vertu des dispositions de la loi sur le service judiciaire.
Si le recours hiérarchique est soumis au ministère de la Justice ou au président d'une juridiction supérieure, ceux-ci le transmettent au président du tribunal compétent et peuvent demander un rapport sur les mesures prises pour accélérer la procédure.
Le ministre de la Justice ou le conseil judiciaire peuvent demander au président du tribunal de présenter un rapport sur tous les recours hiérarchiques reçus pendant une période donnée et sur les mesures prises pour résoudre les problèmes posés.
Conformément à l'article 73 de la loi, le président d'une juridiction supérieure peut, d'office ou à la demande du ministre de la Justice, d'un procureur disciplinaire ou d'une juridiction disciplinaire, demander un examen du fonctionnement du tribunal et en soumettre les conclusions au ministère.
III. RÉSOLUTION RES(2004)3 DU COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L'EUROPE
Dans le cadre des mesures visant à garantir l'efficacité du système de contrôle institué par la Convention, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté le 12 mai 2004 une résolution (Res(2004)3) sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent. Après avoir souligné l'intérêt d'aider l'Etat concerné à identifier les problèmes sous-jacents et les mesures d'exécution nécessaires (7e paragraphe du préambule), il a invité la Cour « à identifier dans les arrêts où elle constate une violation de la Convention ce qui, d'après elle, révèle un problème structurel sous-jacent et la source de ce problème, en particulier lorsqu'il est susceptible de donner lieu à de nombreuses requêtes, de façon à aider les Etats à trouver la solution appropriée et le Comité des Ministres à surveiller l'exécution des arrêts » (paragraphe I de la résolution). Cette résolution doit être replacée dans son contexte, à savoir une augmentation de la charge de travail de la Cour due en particulier à des séries d'affaires découlant de la même cause structurelle ou systémique. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Les requérants sont des ressortissants grecs d'origine rom nés en 1980 et résidant à Missolonghi, dans l'ouest de la Grèce.
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Résumé des événements
Le 8 mai 1998, vers 0 h 45, un véhicule de patrouille du commissariat de police de Missolonghi répondit à l'appel téléphonique du petit-fils du propriétaire d'un kiosque qui était en train d'être cambriolé. Arrivé sur les lieux, M. Pavlakis, le propriétaire, trouva le premier requérant qui tentait de pénétrer par effraction dans le kiosque au moyen d'une barre de fer tandis que le second requérant semblait faire le guet. Une lutte s'engagea entre M. Pavlakis et le second requérant, qui déclara par la suite que le propriétaire du kiosque lui avait donné un coup de poing au visage.
Trois fonctionnaires de police, M. Sompolos, M. Alexopoulos et M. Ganavias, arrivèrent alors. Le premier requérant affirme qu'on le menotta d'abord sans le frapper. Puis un policier lui ôta les menottes et lui asséna plusieurs coups de matraque dans le dos et à la tête. Il cessa lorsque le premier requérant lui dit qu'il était malade et se sentait pris de vertiges.
Après leur arrestation, les requérants furent conduits au commissariat de police de Missolonghi, où se trouvaient les fonctionnaires Tsikrikas, Avgeris, Zalokostas, Skoutas et Kaminatos. Le premier requérant allègue qu'en le conduisant à sa cellule un policier le frappa deux fois avec une matraque et un autre le gifla.
A 10 heures du matin, le premier requérant fut conduit dans la salle d'interrogatoire, où, affirme-t-il, trois policiers lui donnèrent des coups de poing dans l'estomac et dans le dos pour essayer de lui faire avouer d'autres infractions et obtenir des informations sur les trafiquants de drogue dans les environs. Selon le premier requérant, les policiers se relayèrent pour le rouer de coups et le gifler. En outre, un autre policier l'aurait frappé avec la barre de fer utilisée pour la tentative de cambriolage, l'aurait projeté contre le mur en lui comprimant la gorge avec la barre, et l'aurait menacé de l'agresser sexuellement, lui disant « je vais t'e... » tout en essayant de baisser son pantalon.
Le second requérant a aussi déclaré avoir été maltraité lors de l'interrogatoire. Tôt le matin, un policier lui aurait matraqué le dos et lui aurait donné des coups de pied dans l'abdomen puis serait revenu le frapper à nouveau. Par la suite, le second requérant a identifié ce policier comme étant M. Tsikrikas. Il a également affirmé que les policiers « lui avaient introduit une matraque dans le postérieur puis l'avaient approchée de [son] visage, en [lui] demandant si ça sentait ».
Les requérants disent s'être entendus l'un l'autre crier et pleurer tout au long de l'interrogatoire. Le premier requérant a déclaré devant le tribunal interne : « J'entendais Koutropoulos pleurer dans l'autre pièce. » Le second requérant a dit ceci : « Je criais et je pleurais sous leurs coups. J'entendais aussi les cris et les pleurs de Bekos. » Les intéressés allèguent également avoir été insultés à maintes reprises au sujet de leur origine rom. Le premier requérant affirma dans sa déposition du 3 juillet 1998 devant le procureur que le policier qui lui avait comprimé la gorge avec la barre de fer lui avait dit « vous, les mecs, vous b... vos sœurs » et « vos mères sont b... par d'autres » (voir aussi le paragraphe 25 ci-dessous).
Le Gouvernement conteste que les requérants aient subi des voies de fait ou aient essuyé des insultes racistes pendant leur garde à vue.
Les requérants furent détenus jusqu'au matin du 9 mai 1998. A 11 heures, ils furent conduits devant le procureur de Missolonghi. Le premier requérant fut inculpé de tentative de vol et le second de complicité de tentative de vol. Le procureur fixa la date du procès et remit les requérants en liberté. En novembre 1999, les requérants furent condamnés respectivement à trente jours et vingt jours d'emprisonnement, peines assorties d'un sursis de trois ans.
Le 9 mai 1998, les intéressés s'étaient rendus à l'hôpital régional dans le but de faire constater leurs blessures par un médecin. Toutefois, l'interne qui les ausculta put seulement noter qu'ils présentaient des ecchymoses. Pour se procurer des preuves plus solides de leurs blessures, les requérants consultèrent un médecin légiste à Patras. Celui-ci délivra un certificat médical daté du 9 mai 1998, dans lequel il déclara que les requérants présentaient « des blessures légères provoquées au cours des dernières vingt-quatre heures par un lourd instrument contondant (...) ». En particulier, le premier requérant avait « deux contusions parallèles d'un rouge profond (presque noir) avec des zones de peau saine, s'étendant sur 10 cm environ de l'articulation de l'épaule gauche à la zone du muscle deltoïde et l'articulation de l'épaule droite ; il se plai[gnait] de douleurs au genou et dans la zone pariétale gauche ». Le second requérant présentait « de multiples contusions parallèles, « doubles », d'un rouge profond (presque noir) avec des zones de peau saine s'étendant sur 12 cm environ de l'articulation de l'épaule gauche le long du pli arrière de l'aisselle au bas de l'omoplate, une contusion de la même couleur d'environ 5 cm à l'arrière de la partie supérieure gauche du bras et une contusion de la même couleur d'environ 2 cm sur l'articulation carpienne droite. Il se plai[gnait] de douleurs au côté droit de la zone pariétale ainsi qu'à l'abdomen [et] d'un déchirement d'un ménisque du genou droit. Il souffr[ait] lorsqu'il se dépla[çait] et il a[vait] du mal à marcher ». Les requérants ont communiqué à la Cour des photographies de leurs blessures prises le jour de leur libération. Le Gouvernement révoque en doute l'authenticité de ces clichés et soutient qu'ils auraient d'abord dû être remis aux autorités internes. Il conteste aussi la crédibilité du médecin légiste qui a examiné les requérants et qui, selon lui, a déjà été condamné pour parjure.
Le 11 mai 1998, le Greek Helsinki Monitor et le Groupe grec de défense des droits des minorités adressèrent au ministère de l'Ordre public une lettre ouverte commune pour protester contre l'incident. La lettre était intitulée : « objet : incident de mauvais traitements infligés à de jeunes Roms (Tsiganes) par des fonctionnaires de police » ; il y était indiqué que des membres des deux organisations susmentionnées avaient eu des contacts directs avec les deux victimes au cours d'une longue visite qu'ils avaient effectuée dans des campements roms en Grèce et qu'ils avaient recueilli une trentaine de déclarations faisant état d'incidents analogues de mauvais traitements envers des Roms. Le Greek Helsinki Monitor et le Groupe grec de défense des droits des minorités demandaient instamment au ministre de l'Ordre public en personne de faire en sorte qu'une enquête fût promptement menée sur l'incident et que les policiers impliqués fussent punis. Ils exprimaient l'opinion qu'il fallait donner à tous les commissariats de police du pays des instructions précises et détaillées sur la manière dont la police devait traiter les Roms. Plusieurs journaux grecs rendirent compte de l'incident par la suite.
B. L'enquête administrative sur l'incident
Le 12 mai 1998, une certaine publicité ayant été donnée à l'incident, le ministère de l'Ordre public décida d'ouvrir une enquête informelle.
Puis, comme l'incident avait encore fait l'objet d'une plus grande publicité, la direction de la police grecque demanda la modification de l'enquête interne en enquête administrative sous serment (Ενορκη Διοικητική Εξέταση). Celle-ci débuta le 26 mai 1998.
Le rapport sur cette enquête fut publié le 18 mai 1999. Les policiers qui avaient arrêté les requérants y étaient identifiés et la conclusion était que leur comportement au cours de l'arrestation avait été « légal et approprié ». Il était dit par ailleurs que deux autres policiers, M. Tsikrikas et M. Avgeris, s'étaient montrés « particulièrement cruels » envers les requérants pendant leur garde à vue. Le rapport relevait que le premier requérant avait invariablement identifié ces deux policiers dans ses dépositions sous serment des 30 juin et 23 octobre 1998 et que le second requérant avait aussi répété tout au long de l'enquête que M. Tsikrikas était le policier qui l'avait maltraité.
Plus précisément, il était établi que M. Tsikrikas avait maltraité les requérants en les frappant avec une matraque et/ou en leur donnant des coups de pied dans l'abdomen. Le rapport indiquait en outre que, même si les deux policiers niaient avoir maltraité les requérants, ni l'un ni l'autre n'avait pu « expliquer de manière convaincante et logique où et comment les plaignants avaient été blessés, alors que le médecin légiste avait affirmé que les mauvais traitements avaient eu lieu à un moment qui correspondait à celui de la garde à vue ».
Le rapport recommandait donc de prendre des mesures disciplinaires – « une suspension temporaire » – à l'encontre de M. Tsikrikas et de M. Avgeris. L'enquête disculpa les autres fonctionnaires de police identifiés par les requérants. En dépit de cette recommandation, ni M. Tsikrikas ni M. Avgeris ne furent suspendus de leurs fonctions.
Le 14 juillet 1999, le directeur de la police grecque infligea une amende de 20 000 drachmes (moins de 59 euros) à M. Tsikrikas au motif qu'il n'avait pas « pris les mesures nécessaires pour empêcher ses subordonnés de faire subir des traitements cruels aux détenus ». Le directeur de la police reconnut que les requérants avaient été maltraités. Il déclara que « les détenus avaient été frappés par des fonctionnaires de police pendant leur garde à vue (...) et avaient été blessés ».
C. Les poursuites pénales contre des fonctionnaires de police
Le 1er juillet 1998, les requérants et le père du premier d'entre eux déposèrent plainte contre le commandant en chef adjoint du commissariat de police de Missolonghi et « tous les autres » policiers du commissariat qui étaient « responsables ».
Le 3 juillet 1998, le premier requérant fit une déclaration sous serment concernant ses allégations de mauvais traitements. Il affirma qu'au moment de son arrestation il avait été frappé à la tête avec une matraque par un « grand policier blond » qui l'avait aussi frappé au commissariat de police, et qu'il avait reçu des insultes racistes (paragraphe 14 ci-dessus).
Le 18 décembre 1998, le procureur de Missolonghi pria le juge d'instruction de cette ville de mener une enquête préliminaire sur l'incident (προανάκριση). Les résultats de l'enquête furent communiqués au procureur près la cour d'appel de Patras. En janvier 2000, celle-ci ordonna l'ouverture d'une enquête judiciaire officielle sur l'incident (κύρια ανάκριση).
Le 27 janvier 1999 et le 1er février 2000, le premier requérant déclara que le comportement des policiers n'avait pas été « si grave », qu'il voulait « tourner la page » et ne souhaitait pas que « les policiers fussent punis ». Aux mêmes dates, le second requérant répéta qu'il avait été passé à tabac par M. Tsikrikas, mais dit que le comportement des policiers avait été « brutal à juste titre » et qu'il ne voulait pas qu'ils fussent poursuivis. Il présenta ses excuses au propriétaire du kiosque et expliqua qu'il voulait « tourner la page » parce qu'il entrait dans l'armée et voulait « reprendre le droit chemin ».
Le 31 août 2000, le procureur de Missolonghi recommanda l'ouverture de poursuites pénales contre trois policiers, MM. Tsikrikas, Kaminatos et Skoutas, pour violences physiques au cours d'un interrogatoire.
Le 24 octobre 2000, la chambre d'accusation du tribunal pénal de première instance (Συμβούλιο Πλημμελειοδικών) de Missolonghi prononça la mise en accusation de M. Tsikrikas. Selon elle, « les preuves disponibles montr[ai]ent que M. Tsikrikas avait maltraité [les requérants] lors de l'interrogatoire préliminaire dans le but de leur faire avouer la tentative de vol (...) et d'autres infractions similaires non élucidées qu'ils auraient commises par le passé ». La chambre d'accusation ajoutait que M. Tsikrikas n'était pas parvenu à fournir une explication plausible aux blessures subies par les requérants pendant l'interrogatoire et relevait que ceux-ci avaient l'un et l'autre identifié sans hésitation en M. Tsikrikas le policier qui les avait maltraités. Elle décida par contre d'abandonner les poursuites contre MM. Kaminatos et Skoutas au motif que leur présence au moment des événements n'était pas établie (acte d'accusation no 56/2000).
Le procès de M. Tsikrikas eut lieu les 8 et 9 octobre 2001 devant la cour d'appel de Patras, siégeant en formation de trois juges. La cour entendit plusieurs témoins et les requérants, qui réitérèrent leurs allégations de mauvais traitements (paragraphes 10-14 ci-dessus). Déposa, entre autres, M. Dimitras, un représentant du Greek Helsinki Monitor ; il déclara que cette organisation surveillait la situation des Roms en Grèce et que l'incident lui avait été rapporté au cours d'une visite qu'il avait effectuée dans des campements roms/tsiganes. Il dit avoir été horrifié lorsqu'il avait vu les blessures que portaient les corps des requérants et que ceux-ci avaient d'abord craint de porter plainte contre les policiers. M. Dimitras mentionna également les démarches que le Greek Helsinki Monitor avait entreprises par la suite pour prêter assistance aux requérants. La cour donna aussi lecture, entre autres documents, de la lettre ouverte conjointe du Greek Helsinki Monitor et du Groupe grec de défense des droits des minorités au ministère de l'Ordre public (paragraphe 17 ci-dessus).
Le 9 octobre 2001, la cour conclut qu'il n'était pas démontré que M. Tsikrikas eût participé à quelques mauvais traitements que ce fût et le déclara non coupable (décision no 1898/2001). Elle commença par évoquer les circonstances dans lesquelles les requérants avaient été arrêtés et la façon dont des membres du Greek Helsinki Monitor s'étaient occupés du cas des requérants, en relevant que cette organisation surveillait les violations des droits de l'homme dont les minorités seraient victimes. Elle prit aussi en compte les constatations du médecin légiste. Elle aboutit à la conclusion que voici :
« (...) Apparemment, le second [requérant] et M. Pavlakis en sont venus aux mains. En outre, les [requérants] étant légèrement vêtus, il n'est pas étonnant qu'ils aient été blessés pendant la bagarre qui eut lieu au moment de leur arrestation. Même si certaines des blessures ont été infligées par des policiers pendant la garde à vue, il n'a pas été démontré que l'accusé y ait participé d'une façon ou d'une autre car il était absent lorsque MM. Bekos et Koutropoulos furent amenés au poste de police et il ne les rencontra qu'environ deux heures plus tard, lorsqu'il arriva lui-même au commissariat. Dans sa déposition sous serment datée du 3 juillet 1998, le premier [requérant] a déclaré qu'au moment de son arrestation il avait été frappé avec une matraque par un grand policier blond (description qui ne correspond pas à la physionomie de l'accusé) et que le même policier l'avait également battu pendant la garde à vue. Or l'accusé n'était pas présent lorsque les [requérants] furent arrêtés. Si ceux-ci avaient effectivement été frappés par des fonctionnaires de police pendant leur garde à vue, ils en auraient informé leurs proches venus au commissariat cette nuit-là. Par conséquent, l'accusé doit être déclaré non coupable. »
Le droit grec ne permettait pas aux requérants, qui s'étaient constitués partie civile au procès, de faire appel de la décision.
II. RAPPORTS D'ORGANISATIONS INTERNATIONALES SUR LA DISCRIMINATION DONT LES ROMS SERAIENT VICTIMES
Dans ses rapports par pays ces dernières années, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) du Conseil de l'Europe s'est dite préoccupée par les actes de violence à motivation raciste perpétrés par la police, en particulier contre les Roms, dans un certain nombre de pays européens dont la Bulgarie, la France, la Grèce, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie.
Dans le rapport qu'il a établi en 2002, à la demande de la Commission européenne, sur la situation des droits fondamentaux dans l'Union européenne et ses Etats membres, le réseau d'experts indépendants en droits fondamentaux de l'Union européenne (UE) indique qu'ont été signalés dans plusieurs Etats membres de l'Union européenne tels que l'Autriche, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Italie et le Portugal, des abus de la police à l'égard des Roms et de certains autres groupes, dont des violences physiques et un recours excessif à la force.
Dans son deuxième rapport sur la Grèce qu'elle a adopté le 10 décembre 1999 et publié le 27 juin 2000, l'ECRI dit notamment ceci :
« 26. Il est fait état, de manière persistante, de nombreux cas dans lesquels des Roms/Tsiganes, des Albanais et d'autres immigrés seraient victimes de comportements illicites de la part de la police en Grèce. Les Roms/Tsiganes, en particulier, seraient fréquemment victimes d'un usage excessif de la force – ayant parfois des suites fatales – , de mauvais traitements et d'insultes verbales de la part de la police. Les contrôles et vérifications discriminatoires visant les membres de ces groupes sont monnaie courante. Il semble que, le plus souvent, ces affaires ne fassent l'objet que d'une enquête superficielle, dont les résultats manquent de transparence. La plupart de ces incidents ne donnent pas lieu au dépôt d'une plainte par la victime ; mais quand la victime porte des accusations, il arrive parfois, semble-t-il, que des pressions s'exercent sur elle afin qu'elle renonce à porter plainte. L'ECRI souligne le besoin urgent d'améliorer la réponse apportée par les mécanismes de contrôle interne et externe aux plaintes visant le comportement de la police à l'égard des membres de groupes minoritaires. A cet égard l'ECRI note avec intérêt la création récente d'une instance chargée d'examiner les plaintes visant les cas les plus graves de comportements illicites de la part de la police ; il importe que cette instance soit indépendante et accessible aux membres des groupes minoritaires.
Parallèlement, l'ECRI encourage les autorités grecques à poursuivre leurs efforts en ce qui concerne la mise en place d'une formation initiale et d'une formation continue de la police en matière de droits de l'homme et de normes anti-discrimination. Des efforts supplémentaires doivent aussi être engagés pour assurer un recrutement permanent de membres de groupes minoritaires dans la police.
(...)
Comme l'ECRI le notait dans son premier rapport, la population rom/tsigane de Grèce est particulièrement vulnérable aux désavantages, à l'exclusion et à la discrimination dans de nombreux domaines. (...)
(...)
Il existe également des rapports indiquant que les Roms/Tsiganes sont victimes de discrimination dans divers secteurs de la vie publique. (...) Ils sont souvent en butte à un traitement discriminatoire, et parfois à des violences et des insultes de la part de la police. (...) »
Dans son troisième rapport sur la Grèce, adopté le 5 décembre 2003 et publié le 8 juin 2004, l'ECRI déclare notamment ce qui suit :
« 67. L'ECRI note avec inquiétude que, depuis l'adoption de son second rapport sur la Grèce, la situation des Roms en Grèce n'a pas fondamentalement changé et qu'en général, ils connaissent les mêmes difficultés – y compris des discriminations – en matière de logement, d'emploi, d'éducation ou d'accès aux services publics. (...)
(...)
L'ECRI note avec satisfaction que le Gouvernement a pris d'importantes mesures pour améliorer les conditions de vie des Roms en Grèce. Il a mis en place un comité interministériel pour l'amélioration des conditions de vie des Roms. (...)
(...) l'ECRI déplore les nombreux cas où les autorités locales refusent d'intervenir en faveur des Roms quand ceux-ci sont harcelés par des membres de la population locale. Elles refusent souvent aussi de leur accorder des droits que la loi garantit pourtant aux membres de la communauté rom au même titre qu'à tout autre citoyen grec. (...)
(...)
105. L'ECRI exprime son inquiétude quant aux allégations sérieuses de mauvais traitements à l'encontre de membres des groupes minoritaires tels que les Roms et les immigrés en situation régulière ou non. Ces allégations de mauvais traitements vont de l'insulte raciste aux violences physiques infligées soit au moment d'une arrestation soit en détention. L'ECRI déplore notamment qu'une utilisation abusive d'armes à feux, parfois fatale, ait pu devenir l'objet d'allégations tenaces. Il en est de même en ce qui concerne des mauvais traitements infligés à des mineurs, ainsi que des expulsions de non-ressortissants en dehors de la procédure légale.
106. Les autorités grecques ont indiqué qu'elles suivent attentivement la situation et qu'il existe des mécanismes permettant de sanctionner efficacement de tels abus. Par exemple, la Direction des affaires internes de la Police grecque a été mise en place en 1999 et a pour tâche de mener des investigations notamment sur des actes de torture et d'atteinte à la dignité humaine. La police – et notamment des fonctionnaires de police travaillant dans un autre secteur que celui de la personne mise en cause – et le Ministère public sont compétents à titres égaux et doivent informer cet organe quand ils traitent d'une affaire mettant en cause un policier. L'Ombudsman grec est aussi compétent pour enquêter, à la suite d'une plainte ou de son propre chef, sur les allégations de mauvais comportement d'agents de police, mais son pouvoir se limite à recommander de prendre des mesures appropriées. L'ECRI salue le fait que le Procureur général a récemment rappelé à ses subordonnés la nécessité de prévenir et de poursuivre avec toute la sévérité nécessaire les cas de mauvais traitements de la part de la police, notamment à l'encontre des non-ressortissants. Les autorités ont souligné le fait que les mauvais traitements existants étaient surtout dus aux conditions de détention difficiles. L'ECRI note avec satisfaction des exemples où des représentants de la loi ont été poursuivis et, dans certains cas, sanctionnés pour mauvais traitements. Toutefois, les ONG de droits de l'homme évoquent des cas d'impunité de fonctionnaires, responsables de violences pour lesquelles les poursuites n'ont pas abouti ou n'ont même pas été entamées. L'ECRI déplore une telle situation et espère qu'elle ne sera plus tolérée. »
Dans leur rapport commun publié en avril 2003 (« Cleaning Operations – Excluding Roma in Greece » (« Les opérations de nettoyage – L'exclusion des Roms en Grèce »)), le Centre européen des droits des Roms et le Greek Helsinki Monitor, qui représentent les requérants en l'espèce, déclarent notamment :
« La surveillance des activités policières assurée par le CEDR et le GHM au cours des cinq dernières années a permis de constater que les mauvais traitements, notamment les sévices physiques et les insultes verbales racistes, dont les Roms font l'objet pendant les gardes à vue sont monnaie courante. Bien que les autorités grecques démentent que les mauvais traitements infligés aux Roms soient inspirés par le racisme, les victimes roms avec lesquelles le CEDR et le GHM se sont entretenus ont déclaré que les policiers les avaient insultées en employant des épithètes racistes.
Le sentiment anti-Roms qui habite les policiers se traduit souvent par des actes de harcèlement, des traitements inhumains et dégradants, des agressions physiques et verbales, ainsi que par des arrestations et détentions arbitraires de Roms par la police. Le CEDR et le GHM constatent régulièrement des mauvais traitements que des Roms subissent de la part de la police, que ce soit au moment de leur arrestation ou pendant leur garde à vue. Le fait que les policiers emploient des épithètes racistes dans certains cas de brutalités policières envers les Roms est un signe que les préjugés raciaux jouent un rôle dans l'hostilité dont les policiers font montre quand ils ont affaire à des Roms. (...) »
III. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Selon l'article 2 § 1 de la Constitution grecque, le respect et la protection de la valeur humaine constituent l'obligation primordiale de la République.
L'article 5 § 2 de la Constitution énonce :
« Tous ceux qui se trouvent sur le territoire hellénique jouissent de la protection absolue de leur vie, de leur honneur et de leur liberté sans distinction de nationalité, de race, de langue, de convictions religieuses ou politiques. Des exceptions sont permises dans les cas prévus par le droit international (...) »
La loi no 927/1979 (telle qu'elle a été modifiée par la loi no 1419/1984 et la loi no 2910/2001) est le principal texte d'application consacré à la prévention des actes ou activités s'apparentant à de la discrimination raciale ou religieuse.
IV. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT
La Directive 2000/43/CE du Conseil de l'Union européenne du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique et la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, énoncent, respectivement à l'article 8 et à l'article 10 :
« 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement.
Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à l'adoption par les Etats membres de règles de la preuve plus favorables aux plaignants.
Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux procédures pénales.
(...)
Les Etats membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la juridiction ou à l'instance compétente. » | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1943 et réside à Brno.
Entre 1993 et 1995, il engagea devant les tribunaux tchèques trois procédures civiles.
Procédure menée à l’encontre de la Chambre médicale tchèque
Le 4 octobre 1993, la Chambre médicale tchèque (Česká lékařská komora), plus particulièrement sa section de district de Brno, débouta le requérant de sa demande du 26 juillet 1993, par laquelle il tendait à l’obtention d’une licence lui permettant d’ouvrir son propre cabinet de gynécologie. Le requérant attaqua cette décision par un recours introduit auprès du tribunal régional (Krajský soud) de Brno. Le 7 avril 1994, le tribunal rejeta ledit recours, faute de compétence légale pour réexaminer ce type de décision.
Le 3 juin 1994, le requérant saisit la Chambre médicale tchèque (ci-après « Chambre ») d’une nouvelle demande de licence. Il fut informé par une lettre du 14 juin 1994 que la décision serait prise après le rassemblement de documents pertinents.
Le 4 novembre 1997, la Chambre émit un document formel énonçant qu’elle avait, par sa décision du 10 juin 1995, rejeté la demande de licence formée par le requérant, faute pour lui de remplir les conditions nécessaires (dont notamment le respect du code éthique de la Chambre). Le document fut notifié au requérant le 22 décembre 1997.
Le 16 janvier 1998, le requérant saisit le tribunal régional d’Ostrava d’un recours contre la décision du 10 juin 1995, alléguant qu’elle souffrait de vices de forme et n’était pas conforme à la loi.
Le 29 janvier 1998, le tribunal régional d’Ostrava se déclara incompétent pour connaître de l’affaire et la transmit au tribunal régional de Brno. En avril 1998, ce dernier invita le requérant à payer les frais de procédure et sollicita l’avis de la Chambre, obtenu en juin 1998.
Le 7 décembre 1998, le tribunal régional de Brno débouta le requérant de son recours, considérant que la décision attaquée ne pouvait pas faire l’objet d’un réexamen judiciaire.
A l’issue de l’audience tenue le 5 septembre 2000, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) accueillit le recours du requérant formé le 5 février 1999, dans lequel celui-ci invoquait son droit à la protection judiciaire et demandait l’annulation de la décision du 7 décembre 1998. Relevant que la Chambre avait rendu sa décision en position d’autorité publique, la cour considéra que le recours prévu par la loi pouvait être dirigé non seulement contre les attestations émises par cette autorité mais aussi (et surtout) contre ses décisions négatives.
Le 30 novembre 2000, faisant suite à la décision de la Cour constitutionnelle, le tribunal régional de Brno annula la décision de la Chambre du 10 juin 1995 pour manque de clarté et de motivation.
Le 28 juillet 2001, la Chambre accorda au requérant la licence demandée, relevant notamment l’absence, pendant les cinq dernières années, de plaintes relatives au respect de l’éthique médicale par l’intéressé.
Procédure en paiement de la somme de 152 985 CZK
Le 20 janvier 1994, le requérant demanda au tribunal municipal (Městský soud) de Brno de rendre une ordonnance de paiement à l’encontre de R.H.
Quatre audiences eurent lieu entre les 1er juin 1994 et 11 janvier 1995. Entre-temps, l’intéressé fut débouté de sa demande de mesure provisoire.
Par le jugement du 11 janvier 1995, le tribunal enjoignit à R.H. de verser au requérant la somme demandée.
En mars 1995, le défendeur fit appel. Par la suite, le requérant forma, en vain, deux nouvelles demandes de mesure provisoire.
Après une audience tenue le 19 février 1997, le tribunal régional de Brno réforma, en date du 26 février 1997, le jugement attaqué en déboutant le requérant.
Le 22 avril 1997, l’intéressé se pourvut en cassation. Trois jours plus tard, il fut invité à payer les frais correspondants. Le dossier, transmis à la Cour suprême (Nejvyšší soud) en mai 1997, fut renvoyé au tribunal municipal le 10 septembre 1998, au motif que le requérant ne s’était pas acquitté des frais. Le 18 janvier 1999, le tribunal municipal ordonna à ce dernier de payer les frais, sous peine d’extinction de l’instance. Le requérant s’étant acquitté de son obligation le 11 février 1999, le dossier fut retransmis à la Cour suprême le 22 février 1999.
Le 16 novembre 1999, la Cour suprême annula l’arrêt attaqué et renvoya l’affaire au tribunal régional.
Le tribunal régional tint une audience le 19 avril 2000. Le 26 avril 2000, il annula le jugement du 11 janvier 1995 et renvoya l’affaire au tribunal municipal.
En réaction à une plainte du requérant, la présidente du tribunal municipal considéra que les retards de la procédure ne résultaient pas de la conduite du juge mais du non-paiement par le requérant des frais de la procédure de cassation.
A l’audience du 1er décembre 2000, l’avocate du requérant fit une proposition de règlement amiable. En mars 2001, les deux parties demandèrent au tribunal de leur accorder un délai jusqu’en septembre 2001 pour réaliser le règlement convenu.
Le 6 septembre 2001, le requérant se désista de son action. La décision d’extinction de l’instance, datée du 20 septembre 2001, passa en force de chose jugée le 25 octobre 2001.
Procédure en paiement de la somme de 138 370 CZK
Le 20 avril 1995, le requérant saisit le tribunal municipal de Brno d’une demande tendant à l’adoption d’une ordonnance de paiement, en vertu de laquelle R.H. serait obligé de lui verser la somme de 138 370 CZK.
L’ordonnance réclamée fut rendue le 28 août 1995. R.H. s’y opposa le 21 décembre 1995, déclenchant ainsi une procédure judiciaire.
Quatre audiences eurent lieu entre les 19 avril 1996 et 11 avril 1997. A cette dernière date, le tribunal décida de suspendre la procédure dans l’attente de l’issue définitive de la procédure précitée (portant sur le paiement de la somme de 152 985 CZK).
A la suite de l’appel du requérant interjeté le 12 mai 1997, le tribunal régional de Brno réforma la décision attaquée, en date du 18 mars 1998, décidant qu’il n’y avait pas lieu de suspendre la procédure.
Le 8 juillet 1998, le juge du tribunal municipal fut récusé de l’examen de l’affaire sur sa propre demande, motivée par le contenu injurieux d’une plainte que l’intéressé avait adressée au ministère de la Justice.
Après une audience tenue le 14 janvier 1999, celle du 9 mars 1999 fut reportée en vue de faire établir un rapport d’expertise. Celui-ci fut soumis le 14 juin 1999. Le requérant s’opposa aux conclusions de l’expert et sollicita un complément au rapport.
A l’audience du 3 février 2000, l’intéressé souleva une objection de partialité à l’encontre du juge, laquelle fut rejetée par le tribunal régional le 7 avril 2000.
Le 20 juin 2000, le tribunal municipal rejeta l’objection de partialité concernant l’expert ; le 9 septembre 2000, ce dernier réagit aux remarques du requérant.
A l’audience du 24 octobre 2000, le requérant demanda l’élaboration d’un rapport de révision. Le 11 décembre 2000, un nouvel expert fut chargé de cette tâche.
Le 23 mars 2001, les avocates des parties informèrent le tribunal de la possibilité de régler le litige à l’amiable, demandant à cette fin un délai jusqu’en août 2001.
Le 6 septembre 2001, le requérant se désista de son action. La décision d’extinction de l’instance, datée du 20 septembre 2001, passa en force de chose jugée le 19 octobre 2001.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Hartman c. République tchèque (no 53341/99, §§ 43-51, CEDH 2003VIII). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1978 et réside à Diyarbakır.
Le 28 octobre 2001, il fut arrêté par des gendarmes et placé en garde à vue à la gendarmerie de Diyarbakır.
Le 30 octobre 2001, sa déposition fut recueillie par les gendarmes. Il était soupçonné de porter aide et soutien au PKK, organisation illégale en droit turc. Il aurait signé sa déposition les yeux bandés. Au terme de la garde à vue, le requérant fut examiné par le médecin légiste ; aucune trace de mauvais traitement ne fut décelée sur son corps.
Le 1er novembre 2001, après avoir été entendu par le procureur de la République, le requérant fut traduit devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır (« la cour de sûreté de l'Etat »), qui ordonna sa mise en détention provisoire. Devant ces deux magistrats, le requérant rejeta les accusations portées contre lui. Il fut ensuite conduit à la prison de Diyarbakır.
Les différents placements du requérant à la gendarmerie
Le 1er novembre 2001, statuant sur des demandes du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence et du procureur de la République, et se basant sur l'article 3 c) du décret-loi no 430 sur les mesures complémentaires à prendre dans le cadre de l'état d'urgence (« décret-loi no 430 »), le juge assesseur autorisa le renvoi du requérant à la gendarmerie pour interrogatoire pour une durée ne dépassant pas dix jours. Le requérant fut remis entre les mains des gendarmes à la prison le jour même à 22 h 45.
Le 6 novembre 2001, la cour de sûreté de l'Etat rejeta l'opposition formée par la famille du requérant, au motif que la durée de placement attaquée était conforme aux limites fixées dans la législation interne.
Le 10 novembre 2001, le juge assesseur prolongea de dix jours le placement du requérant à la gendarmerie, toujours sur la base du même décret-loi no 430.
Le 15 novembre 2001, l'opposition formée par le représentant du requérant fut rejetée par la cour de sûreté de l'Etat.
Le 20 novembre 2001, le requérant fut reconduit à la prison.
Les 20 et 21 novembre 2001, le gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence et le procureur de la République, toujours sur la base dudit décret-loi, demandèrent au juge assesseur de prolonger une nouvelle fois de dix jours le placement du requérant à la gendarmerie.
Le 21 novembre 2001, le juge refusa d'accéder à cette demande au motif que le dossier ne contenait aucun élément de preuve pour la justifier et que cette omission engageait la responsabilité des autorités.
Le procureur de la République fit opposition à cette décision.
Le 22 novembre 2001, la cour de sûreté de l'Etat accueillit l'opposition et constata qu'il existait trois autres instructions concernant le requérant. Elle accorda un nouveau délai de dix jours et autorisa la sortie de prison à des fins d'interrogatoire.
Le même jour, le requérant fut remis aux mains des gendarmes.
Le 1er décembre 2001, le juge assesseur prolongea une nouvelle fois de dix jours le placement du requérant à la gendarmerie.
Le 12 décembre 2001, le requérant fut reconduit à la prison de Diyarbakır.
A chaque fois que le requérant sortit de la prison et y retourna, il fut examiné par un médecin. Les rapports établis ne mentionnaient aucune trace de coups et blessures sur le corps du requérant.
La procédure intentée contre le requérant
Par un acte d'accusation du 6 avril 2001, le procureur de la République intenta une action pénale contre le requérant sur la base de l'article 168 du code pénal, qui réprime l'appartenance à une bande armée.
Lors de l'audience du 26 juin 2001, la cour de sûreté de l'Etat ordonna la mise en liberté provisoire du requérant.
Le 27 août 2001, le requérant fut acquitté faute de preuve autre que sa première déposition recueillie par les gendarmes.
Le 20 septembre 2001, le jugement devint définitif.
L'enquête sur la plainte du requérant
Le 9 novembre 2001, le représentant du requérant déposa une plainte devant le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat à l'encontre des gendarmes, qui lui auraient infligé des mauvais traitements afin de lui extorquer des aveux. Il demanda un examen médical approfondi du requérant. Il allégua, en outre, que les placements répétés à la gendarmerie enfreignaient la disposition de la Constitution régissant la durée maximale de la garde à vue ainsi que l'article 5 de la Convention.
Le 13 novembre 2001, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat se déclara incompétent et renvoya le dossier devant le parquet de Diyarbakır.
Le 13 décembre 2001, le requérant fut entendu par le procureur de la République de Diyarbakır. Il affirma avoir été arrosé de jets d'eau froide, injurié, menacé et battu, avoir eu les testicules écrasés et avoir été placé nu devant un appareil qui soufflait de l'air froid. Il porta plainte contre les gendarmes ayant participé à son interrogatoire. Il demanda, en outre, un examen médical et que des soins lui fussent prodigués.
Dans une lettre du 21 décembre 2001 adressée au procureur de la République de Diyarbakır, le représentant du requérant réitéra les allégations de torture et demanda que son client fût examiné dans un service médical spécialisé.
Le 14 février 2002, le procureur de la République ordonna des examens médicaux approfondis dans le service d'urologie ainsi qu'une scintigraphie des testicules et une échographie pelvienne dans le service de médecine nucléaire de l'Université de Dicle, afin de détecter toute trace de mauvais traitements.
Par un acte du 27 mars 2002 adressé au préfet du département de Diyarbakır, le procureur de la République demanda l'autorisation d'engager des poursuites à l'encontre des responsables de la garde à vue du requérant.
L'échographie urologique du 18 avril 2002 et la scintigraphie des testicules établie le 13 mai 2002 ne mentionnèrent aucune anomalie.
Une enquête préliminaire fut entamée par le comité administratif de la préfecture de Diyarbakır à l'encontre du commandant de la gendarmerie.
Le 1er mai 2002, le comité administratif décida, faute de preuves suffisantes, de ne pas ouvrir d'enquête en vue de poursuivre le fonctionnaire incriminé.
Le 22 mai 2002, le requérant fit opposition à cette décision devant le tribunal administratif de Diyarbakır.
Le 31 décembre 2002, le tribunal administratif de Diyarbakır confirma cette décision. Celle-ci fut suivie par une décision de non-lieu rendue par le parquet de Diyarbakır.
Le 7 février 2003, le requérant s'opposa auprès de la cour d'assises de Siverek à la décision de non-lieu.
Le 26 mars 2003, l'opposition fut rejetée en considération de la décision de la préfecture de Diyarbakır.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Contrôle de la légalité de la détention
Tel qu'il a été modifié par la loi no 4709 du 17 octobre 2001, l'article 19 de la Constitution est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté.
Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et dans le respect des formes et conditions définies par la loi : (...)
Toute personne arrêtée ou détenue doit être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures et, en cas d'infractions collectives, dans les quatre jours suivant une arrestation (...)
Les proches des personnes arrêtées ou détenues sont aussitôt avisés de la situation de celles-ci. (...)
Les dommages subis par les personnes victimes d'un traitement contraire à ces dispositions doivent être réparés par l'Etat, conformément aux règles générales du droit de la réparation. »
Par ailleurs, l'article 144 du code de procédure pénale prévoit que toute personne appréhendée ou mise en détention provisoire peut s'entretenir en privé avec son défenseur sans que ce dernier ait besoin d'une procuration.
Législation en vigueur pendant la période de l'état d'urgence
Le décret-loi no 430 du 16 décembre 1990 relatif aux mesures complémentaires à prendre dans le cadre de l'état d'urgence renforce les pouvoirs du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence. Il prévoit en son article 3 c) que, sur proposition du gouverneur, sur demande du procureur de la République et par décision du juge, les personnes détenues après condamnation ou placées en détention provisoire peuvent être sorties des établissements pénitentiaires aux fins d'interrogatoire pour une durée ne dépassant pas dix jours. Un examen médical est obligatoire à la sortie des établissements pénitentiaires ainsi qu'au retour dans ces établissements.
Aucune action en justice n'est possible contre les décisions du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence.
L'article 8 de ce décret-loi se lit ainsi :
« La responsabilité pénale, financière ou juridique du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence ou d'un préfet d'une région où a été proclamé l'état d'urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l'exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens contre l'Etat devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l'Etat des dommages injustifiés subis par elle. »
La Cour constitutionnelle a rejeté le recours en annulation de l'article 8 du décret-loi no 430 pour incompatibilité ratione materiae, au motif que ce décret-loi ne pouvait faire l'objet d'un contrôle constitutionnel, dans deux arrêts rendus les 3 juillet 1991 et 26 mai 1992, publiés au Journal officiel respectivement les 8 mars 1992 et 18 décembre 1993.
Depuis le 30 novembre 2002, l'état d'urgence qui était en vigueur dans deux départements du Sud-Est de la Turquie (Diyarbakır et Şırnak) a été définitivement levé. En conséquence, le décret-loi no 430 a cessé d'être appliqué à cette date. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1969 et réside à İzmir.
Le 19 avril 1995, plusieurs personnes dont le requérant furent arrêtées par la police à Ankara, dans le cadre d’une enquête menée contre une organisation illégale, Ekim.
Le même jour, le requérant fut placé en garde à vue dans le commissariat du quartier où il fut arrêté. Quelques heures plus tard, il fut emmené dans les locaux de la section antiterroriste de la direction de sûreté.
Le 20 avril 1995, les policiers effectuèrent plusieurs perquisitions, y compris au domicile du requérant, accompagné de ce dernier. Le procès-verbal de l’état des lieux établi le 20 avril 1995 et signé par le requérant indiquait que celui-ci avait été arrêté dans le cadre d’une enquête menée au sujet des activités d’Ekim. Le procès-verbal précisait que des publications d’organisations illégales, des livres, un ordinateur et une imprimante avaient été trouvés dans l’appartement.
Le 24 avril 1995, sur les demandes de la direction de sûreté des 21 et 24 avril 1995, le procureur près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara (« le procureur »-« la cour de sûreté de l’Etat ») ordonna, dans un premier temps, la garde à vue du requérant jusqu’au 28 avril 1995. Enfin, il prolongea ce délai jusqu’au 2 mai 1995 à la troisième demande de la direction.
Le 26 avril 1995, le requérant fut conduit par les policiers dans certains lieux afin de procéder à la reconstitution des faits.
Le 2 mai 1995, le requérant fut examiné à l’institut médico-légal. Selon le rapport établi le même jour par le médecin légiste, une lésion de 1 x 15 cm en passe de guérison à l’intérieur du bras gauche ainsi qu’une perte de sensibilité et une douleur au bras droit furent constatées. Le médecin ordonna le transfert du requérant à l’hôpital et déclara que le rapport médical définitif serait établi après son examen par des spécialistes en neurologie.
Toujours le 2 mai 1995, le requérant fut entendu par le procureur. Celuici traduisit le requérant devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat. Devant le procureur ainsi que devant le juge assesseur, le requérant revint sur ses déclarations obtenues dans les locaux de la police, et prétendit qu’elles lui avaient été extorquées lors de sa garde à vue. Devant le juge assesseur, tout en niant être un membre d’Ekim, le requérant admit connaître certains sympathisants de l’organisation et avoir rédigé des documents sur son ordinateur. Il reconnut que les livres énumérés sur le procès-verbal de la perquisition lui appartenaient, mais nia le contenu des procèsverbaux de confrontation avec des coaccusés. Le juge assesseur ordonna le placement en détention du requérant.
Le 17 mai 1995, s’appuyant sur le rapport médical du 2 mai 1995, l’avocate du requérant porta plainte devant le parquet d’Ankara contre les présumés responsables des tortures. A une date non indiquée, une procédure pénale fut entamée à l’encontre des policiers responsables de la garde à vue du requérant.
A l’issue de la procédure pénale en question, les policiers furent acquittés.
Le 1er juin 1995, le procureur mit en accusation le requérant du chef d’appartenance à une organisation illégale, infraction prévue à l’article 168 § 2 du code pénal et l’article 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme.
Dans ses observations écrites du 10 juillet 1995, en rappelant les dispositions du droit interne et faisant référence à l’article 3 de la Convention, l’avocate du requérant demanda à la cour de sûreté de l’Etat de ne pas tenir compte des déclarations extorquées, ni des procès-verbaux rédigés par les policiers lors de la garde à vue.
Le 10 juillet 1995, dans sa défense écrite, le requérant relata les circonstances de son arrestation et de sa garde à vue et précisa que les policiers lui avaient demandé les noms des militants de « l’organisation ».
Le 10 juillet 1995, le requérant fut remis en liberté par la cour de sûreté de l’Etat.
Le 15 avril 1996, l’avocate du requérant plaida devant la cour de sûreté de l’Etat l’inconstitutionnalité des articles 1, 2 et 7 de la loi no 3713, et invoqua la liberté de pensée et d’expression.
Le 13 mai 1996, la cour de sûreté de l’Etat jugea le requérant coupable d’avoir rédigé et distribué des tracts illégaux d’Ekim et le condamna à un an d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de 458 333 000 livres turques (TRL), en vertu de l’article 7 § 2 de la loi no 3713 ainsi que de l’article additionnel no 1 de la loi no 3506.
Le requérant se pourvut devant la Cour de cassation qui confirma, le 4 février 1998, l’arrêt attaqué.
Selon le tampon apposé sur l’arrêt de la Cour de cassation, le 12 mars 1998, ce dernier fut versé au dossier de l’affaire auprès du greffe de la cour de sûreté de l’Etat. L’arrêt définitif fut ainsi mis à la disposition des parties.
L’arrêt définitif n’ayant pas été notifié, le requérant en aurait pris connaissance par ses propres moyens le 20 mars 1998.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les modalités de garde à vue applicables à l’époque des faits sont exposées dans la décision sur la recevabilité Acar c. Turquie (no 24940/94, 3 mai 2001).
L’article 94 du code de procédure pénale prévoit la perquisition au domicile d’une personne soupçonnée de commettre une infraction. En vertu de l’article 96 du même code, une perquisition ne peut avoir lieu de nuit hormis le cas de flagrant délit ou le cas où un retard serait préjudiciable ou bien lorsqu’il s’agit de l’arrestation d’un détenu ou condamné fugitif. L’article 97 dispose que la décision de procéder à une perquisition est prise par le juge. Toutefois, dans le cas où un retard serait préjudiciable, les procureurs de la République ou les policiers chargés d’exécuter leurs ordres peuvent procéder à une perquisition.
Les articles 193 et 194 du code pénal répriment le fait de procéder illégalement à une perquisition domiciliaire. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1966 et réside à Sofia.
A. Le contexte de l’affaire
En 1993 le requérant créa une société anonyme « East West International » dont il était l’actionnaire principal et membre du directoire jusqu’en mars 1994. Il devint après cette date membre du conseil de surveillance. Quelques mois après sa création, la société procéda à une augmentation de capital en l’ouvrant à l’épargne publique. Elle promettait aux investisseurs des dividendes considérables.
Vers la fin de l’année 1994, la société connut des difficultés et le cours de ses actions chuta. Des milliers de petits porteurs furent privés de tout bénéfice et du capital investi. L’affaire eut un important retentissement médiatique et le requérant fut soupçonné de malversations. Une enquête préliminaire fut effectuée par le parquet qui conclut dans un premier temps qu’il n’y avait pas lieu à des poursuites pénales. Une commission parlementaire fut créée pour enquêter sur la question.
Le 11 septembre 1994, le requérant quitta le pays.
B. L’ouverture de la procédure pénale
Le 9 août 1995, une information fut ouverte par les services de l’instruction de Sofia.
Le 1er septembre 1995, un procureur ordonna la mise en examen du requérant pour abus de confiance (обсебване). Il lui était reproché d’avoir détourné, au préjudice d’autrui, les fonds qui lui avaient été confiés, avec les circonstances aggravantes de détournement de montants considérables et constituant un cas d’une particulière gravité. Ces faits étaient visés à l’article 206 alinéa 4 du Code pénal qui prévoyait une peine de cinq à quinze années d’emprisonnement. Le montant des détournements était évalué à 360 millions de levs bulgares, soit plus de 5 millions de dollars américains selon le taux applicable à cette époque.
En l’absence du requérant, la mise en examen fut notifiée à un avocat commis d’office. Une mesure de détention provisoire fut ordonnée à son encontre et un mandat d’arrêt international fut délivré.
Le 30 mai 1996, une nouvelle charge fut retenue contre le requérant pour abus des biens de la société en sa qualité spécifique de dirigeant (длъжностно присвояване). Les circonstances de détournement de montants considérables, constituant un cas d’une particulière gravité furent également retenues, ce qui rendait l’intéressé passible, en vertu de l’article 203 du Code pénal, d’une peine de dix à trente ans d’emprisonnement. Les montants incriminés additionnels étaient évalués à 127 millions de levs.
Cette nouvelle charge fut notifiée à l’avocat désigné d’office.
C. L’arrestation et l’extradition du requérant
Le requérant fut arrêté à Cannes le 20 août 1996 par la police française, avec la collaboration d’Interpol.
Le 4 septembre 1996, les autorités bulgares firent une demande en vue de son extradition. Un décret d’extradition fut pris par le Premier Ministre de la France le 24 avril 1997. Le requérant fut remis aux autorités bulgares le 17 juin 1997.
D. La poursuite de la procédure pénale
Le requérant fut conduit au service de l’instruction de Sofia, où l’ordonnance de mise en examen et de placement en détention provisoire du 1er septembre 1994 lui fut notifiée et où il fut entendu par un enquêteur. Il fut incarcéré dans les cellules du service de l’instruction.
Le 16 décembre 1997, l’enquêteur chargé du dossier procéda à une modification des chefs d’inculpation, abandonnant la qualification d’abus de confiance pour ne retenir que celle d’abus des biens de la société, visée à l’article 203 du Code pénal, et évaluant les montants détournés à 174 millions de levs.
L’instruction fut clôturée le 19 décembre 1997 avec une proposition de renvoi devant la juridiction de jugement. Le 28 décembre 1997, le dossier fut transmis au procureur afin qu’il se prononce sur le renvoi. Par une ordonnance du 7 mai 1998, le procureur décida de retourner le dossier pour un complément d’information, en donnant des instructions concrètes quant aux actes à accomplir et aux éléments à établir.
Suite à la nouvelle clôture de l’enquête, le 16 juin 1999 le procureur décida une deuxième fois de retourner l’affaire pour un complément d’instruction, constatant, d’une part, que certaines de ses instructions antérieures n’avaient pas été exécutées et, d’autre part, que l’assistance d’un avocat n’avait pas été assurée lors des interrogatoires du requérant, alors que celle-ci était obligatoire compte tenu de la gravité des charges.
Le 12 novembre 1999, le procureur établit un acte d’accusation et ordonna le renvoi en jugement du requérant devant le tribunal de la ville de Sofia.
Par une ordonnance du 2 mars 2000, le juge rapporteur constata que les charges notifiées au requérant n’étaient pas suffisamment précises et détaillées pour lui permettre d’assurer sa défense et que certains autres actes d’instruction devaient être effectués. Il retourna le dossier au procureur pour y remédier.
Sur la base des instructions du tribunal, le procureur transmit le dossier aux services de l’instruction. Le 20 juillet 2000, puis le 21 août 2000, l’enquêteur notifia au requérant une modification des charges retenues.
Le requérant fut renvoyé en jugement. Toutefois, par une ordonnance du 22 décembre 2000, le juge rapporteur décida de nouveau de retourner l’affaire au procureur, considérant que les charges notifiées présentaient des lacunes et des contradictions susceptibles de porter atteinte aux droits de la défense.
Le 18 janvier 2001, le requérant fut renvoyé en jugement par un nouvel acte d’accusation.
A l’issue de la première audience qui se tint le 2 mai 2001, le tribunal reporta l’examen de l’affaire au 1er octobre 2001, afin de permettre, notamment, l’audition de nouveaux témoins à la demande de la défense.
A l’audience du 1er octobre 2001, le tribunal constata l’absence de certains témoins régulièrement cités, leur imposa des amendes et ordonna que leur comparution pour l’audience suivante soit assurée, au besoin avec le recours de la force publique. Il ordonna également des mesures d’instruction complémentaires, dont une expertise comptable sollicitée par la défense.
L’audience du 1er mars 2002 fut reportée afin de permettre aux parties de prendre connaissance des conclusions de l’expert. A l’audience du 15 mars 2002, le tribunal admit un certain nombre de preuves présentées par les parties et désigna un nouvel expert.
Aux audiences des 10, 13 et 14 mai 2002, le tribunal interrogea plusieurs témoins et ordonna une nouvelle expertise graphologique. Aux audiences des 8 et 9 juillet 2002, d’autres témoins et experts furent entendus. Le tribunal ordonna en outre une nouvelle expertise à la demande du requérant.
Une audience eut lieu le 5 février 2003, à laquelle plusieurs témoins furent entendus. Le tribunal admit au dossier le rapport d’expertise rendu mais, considérant que celui-ci ne répondait pas à toutes les questions soulevées, ordonna un complément d’expertise.
Le 3 avril 2003, le nouveau rapport d’expertise fut déposé, le tribunal auditionna un témoin, puis l’audience fut levée en raison d’une menace de bombe.
Le 11 avril 2003, le rapport d’expertise comptable fut déposé. L’audience fut reportée en raison du défaut de comparution des témoins. Le 4 juin 2003, un témoin fut auditionné et le tribunal nomma un nouvel expert. L’audience du 2 octobre 2003 fut ajournée en raison de l’absence des témoins cités.
A l’audience du 10 décembre 2003, le tribunal procéda à la lecture des dépositions faites pendant l’instruction préliminaire par les témoins non comparants.
L’audience du 10 février 2004 fut ajournée, l’expert n’ayant toujours pas déposé son rapport. A l’audience du 7 juin 2004, l’expert déposa son rapport et le requérant fut interrogé.
Selon les dernières informations dont dispose la Cour, de nouvelles audiences furent tenues du 2 au 8 septembre 2004, au cours desquelles eurent lieu les plaidoiries. Par un jugement du 15 septembre 2004, le requérant fut reconnu coupable d’escroquerie de montants considérables au préjudice de plus de cinq mille victimes, constituant un cas d’une particulière gravité, et condamné à huit ans d’emprisonnement. Le requérant interjeta appel de ce jugement.
E. Les recours du requérant contre la détention provisoire
Placé en détention provisoire le 17 juin 1997, le requérant introduisit un recours devant le tribunal de la ville de Sofia le 21 octobre 1997. Il y alléguait que les éléments au dossier ne permettaient pas de conclure à la commission d’une infraction pénale et qu’il n’y avait en outre aucun risque de fuite ou d’obstruction à la manifestation de la vérité, la plupart des actes d’instruction ayant déjà été effectués. Par une ordonnance du 13 novembre 1997, le tribunal rejeta le recours, en soulignant que son contrôle se limitait à vérifier la régularité formelle du placement en détention, le fait que l’accusation portait sur une infraction intentionnelle grave et l’absence des circonstances s’opposant au placement en détention. Sur ce dernier point, il considéra qu’un risque de fuite ne pouvait être exclu, le requérant ayant déjà tenté de se soustraire à la justice. Quant à l’état de santé de l’intéressé, qui indiquait souffrir notamment d’arthrose, il ne justifiait pas, au vu du rapport médical, son élargissement.
Un deuxième recours, introduit le 16 janvier 1998, fut examiné le 2 février 1998. L’intéressé y invoquait l’état de santé de son père dont il devait prendre soin, son propre état de santé et le fait que l’instruction était terminée. Le tribunal considéra que l’état de santé du requérant ne comportait pas d’éléments nouveaux depuis la précédente décision et que la maladie de son père ne pouvait exclure le risque de fuite compte tenu de ses antécédents.
Un recours introduit le 6 février 1998 fut rejeté le 20 février 1998. Le tribunal considéra que le requérant soumettait les mêmes arguments et n’apportait aucun nouvel élément susceptible de justifier une modification de la mesure de détention.
Le requérant introduisit un nouveau recours le 25 mars 1998. Le tribunal rejeta sa demande le 23 avril 1998 en considérant qu’il ne pouvait pas réexaminer la question de l’existence d’un risque de fuite, celle-ci ayant déjà été constatée dans les précédentes décisions. Il considéra par ailleurs que la durée de la détention n’avait pas dépassé la durée raisonnable voulue par l’article 5 § 3 de la Convention.
Un autre recours du requérant, introduit le 1er juillet 1998, fut rejeté le 3 août 1998. Le tribunal considéra qu’il ne pouvait examiner les questions ayant fait l’objet des recours précédents, notamment en ce qui concernait le caractère raisonnable de la durée de la détention au regard de la Convention.
Le requérant introduisit un nouveau recours le 6 août 1998, dans lequel il invoquait que la durée de sa détention dépassait le maximum prévu à l’article 152 alinéa 3 du Code de procédure pénale. Le 15 septembre 1998, le tribunal considéra qu’il n’était pas compétent pour se prononcer, dans la mesure où il appartenait au procureur de veiller d’office au respect des délais en question. Il renvoya le dossier au procureur.
Le procureur rejeta la demande d’élargissement le 12 octobre 1998, considérant que le délai de deux ans, qui ne devait être décompté qu’à partir du 12 août 1997, date à laquelle cette limitation avait été instaurée, n’était pas dépassé.
Dans un nouveau recours judiciaire, introduit le 4 novembre 1998, le requérant fit valoir que le délai dans le cas de l’espèce était d’une année. Son recours fut rejeté le 1er décembre 1998, au motif que le délai maximal en l’occurrence était de deux années et qu’il n’avait pas été dépassé. Par ailleurs, s’appuyant sur les constatations faites dans les précédentes décisions quant à la nécessité de la détention, le tribunal considéra que la durée de celle-ci n’était pas déraisonnable compte tenu de la complexité de l’affaire.
Le 24 février 1999, le tribunal de la ville de Sofia examina un nouveau recours du requérant. Il jugea que le délai maximal de la détention dans le cas de l’espèce était d’une année, constata que celui-ci avait été dépassé et ordonna l’élargissement du requérant. Il lui imposa, au titre de garantie de sa comparution au procès, la mesure la plus légère prévue par la loi, à savoir l’obligation de ne pas quitter sa ville de résidence sans l’autorisation des organes compétents.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le placement en détention provisoire
L’article 152 du Code de procédure pénale (CPP), dans sa rédaction au moment des faits et jusque la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2000, tel qu’interprété par la jurisprudence pertinente, prévoyait que pour les personnes accusées d’une infraction intentionnelle grave, c’est à dire punie d’une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans, le placement en détention provisoire était automatique, sauf à ce que l’intéressé parvienne à prouver que tout danger de fuite, d’entrave à l’enquête ou de commission d’une nouvelle infraction pouvait être exclu de manière objective.
Le placement en détention était effectué par le procureur ou par un enquêteur des services de l’instruction, ces autorités étant également compétentes pour retenir la qualification juridique des faits et, en conséquence, pour déterminer s’il s’agissait d’une infraction intentionnelle grave ou non.
B. Durée de la détention provisoire
Un nouvel alinéa 3 de l’article 152, entré en vigueur le 12 août 1997, limite à une année la durée de la détention provisoire au stade de l’instruction préliminaire, sauf pour les infractions passibles d’une peine supérieure à quinze ans d’emprisonnement, de la réclusion à perpétuité ou de la peine de mort, pour lesquelles cette durée peut aller jusqu’à deux ans.
C. Contrôle judiciaire de la détention provisoire
L’article 152a CPP, en vigueur à compter du 12 août 1997 et jusqu’à la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2000, prévoyait le droit de toute personne placée en détention provisoire d’introduire un recours judiciaire contre sa détention. En cas de modification des circonstances, le détenu avait la possibilité d’introduire un nouveau recours devant le tribunal (article 152a alinéa 4 CPP).
Selon la jurisprudence de la Cour suprême, lors de l’examen d’un recours contre un placement en détention provisoire, les tribunaux ne devaient pas rechercher l’existence de preuves suffisantes pour étayer les charges pesant sur le détenu mais devaient se borner à contrôler la légalité formelle de la détention (опред. no 24 от 23.5.1995 по н.д. 268/95, I н.о. na ВС, Сб. 1995, стр. 149). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1961 et 1960 et résident à Muş.
Le 15 août 1993, de nombreux manifestants, parmi lesquels figuraient les requérants, furent arrêtés lors d’un rassemblement à Mollabaki (Malazgirt) et placés en garde à vue.
Le 20 août 1993, les requérants furent examinés par un médecin. Le rapport établi par ce dernier mentionna les traces suivantes sur le corps du premier requérant : saignement scléral à l’œil droit, un œdème sur la pommette gauche, une ecchymose sur la lèvre inférieure, une hyperémie de 1 mm à 1 cm sur les testicules et le pénis, trois blessures avec croûte de 0,5 cm sur le deuxième orteil du pied droit et une diminution de force du même pied.
Le même rapport indiqua les traces suivantes sur le corps du second requérant : trois surfaces ecchymotiques de 1 mm sur le testicule droit, une surface ecchymotique de la grandeur d’une tête d’épingle, une surface hyperémique de 1 mm sur le cinquième orteil du pied droit, une diminution de sensibilité et de force du coude gauche, une diminution de force de la jambe droite, une surface hyperémique étendue et une blessure de 0,5 cm sur la pommette gauche, une égratignure avec croûte sur l’os frontal. Le médecin indiqua qu’il s’agissait d’un rapport médical provisoire.
Entendus le 20 août 1993 par le procureur de la République de Malazgirt, les requérants contestèrent leurs dépositions recueillies lors de la garde à vue. Le second requérant indiqua avoir déposé sous la contrainte et été maltraité. Le premier précisa qu’il avait refusé de signer le procès-verbal de déposition dans la mesure où il ne contenait pas ses déclarations.
Le 21 août 1993, les requérants furent traduits devant le juge assesseur près le tribunal de police de Malazgirt qui ordonna leur mise détention provisoire. Devant le juge, ils réitérèrent leurs dépositions faites devant le procureur de la République.
Le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, reprochant aux requérants d’avoir distribué des tracts encourageant la participation à une manifestation illégale et d’avoir participé à celle-ci, intenta une action pénale à leur encontre sur le fondement des articles 27 et 34 de la loi no 2911 relative aux manifestations et réunions publiques.
Le 16 janvier 1995, les requérants furent mis en liberté provisoire.
Par un arrêt du 14 septembre 1995, la cour de sûreté de l’Etat déclara les requérants coupables des faits qui leur étaient reprochés et les condamna à deux ans et six mois d’emprisonnement.
Le 24 octobre 1996, la Cour de cassation confirma cet arrêt.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans les arrêts Batı et autres c. Turquie (nos 33097/96 et 57834/00, 3 juin 2004) et Ayşe Tepe c. Turquie (no 29422/95, 22 juillet 2003). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le 3 avril 1995, le Parti de la Démocratie et de l'Évolution (« DDP ») fut fondé et la déclaration y afférente fut déposée auprès du ministère de l'Intérieur. Son programme comprenait notamment les passages suivants :
« L'administration fédérée kurde qui est apparue en Irak du Nord juste après la guerre de Golfe est une nouvelle situation pour la région. Les Kurdes qui ont lutté contre le régime d'oppression d'Irak (...) ont enfin fondé un parlement et un gouvernement avec le soutien international et ont exprimé leur volonté de fonder une fédération kurdo-arabe.
Il faut respecter la volonté des Kurdes et que l'administration kurde soit reconnue dans le monde entier.
(...)
La Turquie doit être consciente de la nouvelle situation et doit opter pour des politiques réalistes pour la résolution des problèmes dans la région. Ces politiques doivent être fondées sur des principes de droit international et non pas sur la violence et l'oppression.
(...) Une des raisons de cet engrenage de pressions est le problème kurde. Comme l'exprimaient les fondateurs mêmes de la République, sur le territoire de la République turque, telle qu'elle fut fondée en 1923, vivaient des Turcs, des Kurdes et d'autres groupes ethniques. Les dirigeants ont évité, dès le départ, de fonder une structure politique et administrative conforme à la réalité ethnique et à la pluralité culturelle et linguistique du pays. Ils ont œuvré pour assimiler les structures ethniques et les 'turciser' de force. Cette politique d'oppression n'a pas répondu aux attentes de ceux qui l'ont suivie ; au contraire, elle a donné lieu à une série d'insurrections kurdes (...). Aujourd'hui aussi, le problème kurde est la première question qui occupe l'actualité de la Turquie.
La politique d'oppression des Kurdes a renforcé le militarisme et a entraîné, pour les Turcs aussi, une limitation des droits et des libertés. Les dirigeants de l'armée se sont toujours considérés comme les vrais maîtres du pays, au-dessus de l'administration civile. Ils ont pris le pouvoir par le moyen de coups d'État à chaque fois qu'ils ont senti leur position s'affaiblir. La junte militaire du 12 septembre, tout en opprimant les forces démocratiques, a cru pouvoir résoudre ces problèmes en établissant 'un régime d'interdictions' appelé Constitution. Ce 'régime d'interdiction' est en vigueur actuellement. Mais il n'a fait qu'aggraver les problèmes.
Jamais au cours de son histoire, la Turquie n'a connu de véritable démocratie. Dans ce pays on n'a rencontré qu'une caricature de celle-ci. Aujourd'hui, le système pluraliste parlementaire et l'administration civile ne sont qu'illusoires. Le parlement est symbolique ; il est dépourvu de son pouvoir législatif. Le pays est dirigé par les décrets-lois du gouvernement et conformément aux instructions du Conseil de sécurité nationale qui est sous l'influence des généraux.
(...)
Dans ces conditions, il serait dérisoire de parler de la souveraineté du peuple en Turquie. La souveraineté du peuple est celle qui se manifeste dans un pays où les droits et libertés fondamentaux sont véritablement garantis, où toutes les couches de la population peuvent s'associer librement, où le parlement est composé par un système d'élections démocratique, qui permettrait la représentation équilibrée de toutes ces couches (...).
(...)
Il s'agit d'un État de police ; l'ambiance politique du pays est étouffante. La Turquie a besoin de la paix et de la démocratie. Celles-ci ne peuvent être obtenues que par le biais d'une solution pacifique du problème kurde basée sur l'égalité.
(...)
Et la raison essentielle de la crise économique actuelle est la mauvaise politique menée au sujet du problème kurde, le climat de violence que celle-ci provoque et le prix économique, lourd, qui est payé. Les dépenses faites pour la prétendue «lutte contre le terrorisme » atteignent sept milliards de dollars américains par an. C'est un chiffre énorme pour la Turquie, qui suffit à lui seul à expliquer la cause essentielle de la crise économique actuelle.
(...)
Pour que la paix s'instaure en Turquie, pour une véritable démocratie et un développement économique, la résolution du problème kurde est indispensable. Cette résolution ne peut advenir par le moyen de la violence et de la pression, mais seulement par des moyens pacifiques. Notre parti est pour la coexistence fraternelle des Turcs et des Kurdes et cela ne peut se réaliser qu'en mettant fin à la politique d'oppression menée jusqu'aujourd'hui, en reconnaissant les droits des Kurdes conformément aux principes de droit et des conventions internationaux qui lient la Turquie (...). Pour cela, il faudrait d'abord faire taire les armes et créer un terrain de discussion libre pour la résolution de la question. Tous les partis politiques doivent pouvoir exprimer leurs opinions à ce sujet, et présenter leurs programmes, sans aucune restriction. La population pourra ainsi choisir librement entre ces opinions.
(...) La politique d'assimilation portant sur la langue et la culture kurdes doit prendre fin (...). Les dispositions nécessaires seront prises pour la libre pratique de la langue kurde dans tous les domaines, y compris dans les émissions de radio et de télévision, ainsi que dans les démarches officielles (...). »
Par acte du 5 juin 1995, le procureur général près la Cour de cassation (« le procureur général ») intenta devant la Cour constitutionnelle turque une action en dissolution du DDP. Se référant aux passages cités du programme du parti politique en question, le procureur général lui reprocha d'avoir enfreint la Constitution et la loi no 2820 sur les partis politiques. D'après lui, l'affirmation de l'existence d'un peuple kurde à part, à coté de la nation turque et qui disposerait de droits et libertés qui lui seraient propres, portait atteinte à l'intégrité territoriale, à l'unité de la nation et de la langue officielle de l'État. Invoquant les articles 11 § 2 et 17 de la Convention, le procureur général avança que ces dispositions n'interdisaient pas de restreindre la liberté d'association en vue de la protection de la sécurité nationale, de la sûreté publique et de la défense de l'ordre.
Le 28 juillet 1995, les avocats du parti requérant présentèrent leurs observations écrites préliminaires et maintinrent que la dissolution du DDP a été demandée deux mois après son institution de telle manière qu'il n'a pu exercer une quelconque activité politique. Ils avancèrent que le programme du parti politique ne proposait qu'une résolution pacifique du problème kurde et ne pouvait être interprété comme portant atteinte à l'intégrité territoriale de l'État. De plus, ils firent valoir que la dissolution du parti enfreindrait des textes internationaux tel que la Charte de Paris pour une nouvelle Europe et les articles 9, 10 et 14 de la Convention.
Le 13 octobre 1995, les avocats du parti politique présentèrent leurs observations quant au fond.
Le 24 octobre 1995, les avocats du DDP présentèrent leur plaidoirie.
Le 19 mars 1996, la Cour constitutionnelle prononça la dissolution du DDP au motif notamment que son programme « était de nature à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'État ainsi qu'à l'unité de la nation et de sa langue officielle, et qu'il violait ainsi les articles 78 a) et 81 a) et b) de la loi sur les partis politiques ».
Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle rappela en premier lieu les principes de la Constitution relatifs à cette affaire et selon lesquels les personnes qui vivent sur le territoire turc, quelle que soit leur origine ethnique, forment une unité à travers leur culture commune. L'ensemble de ces personnes qui fonde la République de Turquie se nomme la « nation turque ». Les groupes ethniques constituant la « nation » ne se divisent pas en majorité ou minorité. D'après la Cour, tous les ressortissants peuvent bénéficier de tous les droits civils, politiques et économiques, et ce, sans aucune distinction d'ordre politique ou juridique fondée sur l'origine ethnique ou raciale. La Cour releva que le programme du DDP distinguait deux nations, les Kurdes et les Turcs. Or, l'on ne pourrait admettre l'existence de deux nations au sein de la République turque, quelle que soit leur origine.
La Cour constitutionnelle considéra que les propositions des statuts du DDP, sous couvert de promouvoir le développement de la langue kurde, viseraient à créer des minorités au détriment de l'intégrité territoriale et l'unité nationale turques. En conséquence, des objectifs qui, tels ceux du DDP, favoriseraient le séparatisme et la division de la nation turque, ne seraient pas admissibles et justifieraient la dissolution de ce parti politique.
L'arrêt de la dissolution du DDP rendu par la Cour constitutionnelle entraîna ipso jure la liquidation des biens du parti et leur transfert au Trésor public, conformément à l'article 107 § 1 de la loi no 2820.
Le 23 octobre 1997, l'arrêt de la Cour constitutionnelle fut publié au journal officiel. Il eut pour effet d'interdire aux fondateurs et dirigeants du parti d'exercer des fonctions similaires dans toute autre formation politique pour une durée de cinq ans (article 69 de la Constitution et article 95 § 1 de la loi no 2820).
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les dispositions légales pertinentes en vigueur à l'époque des faits sont décrites dans Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, arrêt du 30 janvier 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998I, pp.11-13, §§ 1112. | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1967 et réside à Izmir. Il est ouvrier.
Le 1er avril 1996 à 22 h 20, le requérant, soupçonné d'avoir commis un vol de voiture, fut arrêté par la police. Tout de suite, fut établi un procès-verbal d'arrestation, signé par des policiers et M. Sunal, qui relate l'arrestation comme suit :
« [M. Sunal] s'est mis à marcher à côté d'une voiture dans la rue no 1819/3 de Bostanlı lorsqu'il a remarqué la voiture de police. Puis il a lancé la torche électrique par terre et a commencé à s'enfuir. Il s'est fait arrêté par la suite. »
Selon le procès-verbal d'incident établi à 22 h 30, signé uniquement par des policiers, M. Sunal avait pris des comprimés [drogue] avant son arrestation et avait avoué avoir tenté de voler des radiocassettes se trouvant dans des voitures, avec son compagnon H.T. qui avait fui avant son arrestation.
Vers 22 h 40, le requérant fut placé en garde à vue au poste de police de Bostanlı, à Karşıyaka (Izmir), où il fut interrogé au sujet du vol.
Puis, selon le procès-verbal dressé à 23 h 30 au poste de police de Bostanlı, le requérant fut placé dans une voiture de police pour qu'il indique le domicile de son compagnon, lequel y fut retrouvé et arrêté de suite.
Le 2 avril 1996, à 1 heure, fut dressé un procès-verbal, signé par des policiers. Selon ce document, le requérant, lorsqu'il est sorti de la cellule de surveillance pour aller aux toilettes, n'a pas voulu la réintégrer et, en résistant au policier chargé de le surveiller, s'est brutalement cogné la tête contre la vitre ; il s'est blessé à la tête et sur différentes parties du visage. Sur ce, il fut de suite conduit à l'hôpital civil de Karşıyaka.
A l'hôpital, le requérant fut examiné par un médecin qui établit un certificat médical à 1 h 15. Il fut mentionné que l'intéressé présentait une plaie de 0,5 cm sur la région pariétale, des hématomes sur la partie gauche des lèvres et de multiples zones ecchymotiques linéaires descendant de l'épaule droite vers la région lombaire, ainsi que de multiples lésions sur l'épaule gauche. Le médecin ordonna son transfert vers un centre médico-légal en vue de lui faire subir un contrôle d'alcoolémie. Il ressort toutefois du dossier que ce contrôle n'a pas eu lieu.
Selon le procès-verbal de déposition établi le 2 avril 1996 par des fonctionnaires de police et signé par le requérant et son représentant, nommé d'office, Me B. Akbaba, l'intéressé avait bu de l'alcool et consommé de la drogue avant son arrestation, alors qu'il n'en était pas dépendant. Dans sa déposition, le requérant exposa que, sous l'emprise de l'alcool et des comprimés [drogue], il avait cassé la vitre de la salle d'interrogatoire en y heurtant sa tête et qu'il s'était ainsi également blessé diverses parties du corps. Par la suite, il avait payé les frais de la vitre cassée.
Toujours le 2 avril 1996, H.T. fut entendu par des fonctionnaires de police. Celui-ci déclara avoir été arrêté avec le requérant. A 1 heure du matin, M. Sunal avait demandé à aller aux toilettes. Alors qu'il y avait été conduit, il avait cassé la vitre et s'était mis à insulter les fonctionnaires de police. La déposition de Z.K.A. fut aussi recueillie par des fonctionnaires de police. Celui-ci affirma avoir été dans les locaux de la police pour y voir son frère placé en garde à vue. Alors qu'il se trouvait dans la salle d'attente, M. Sunal, qui était sous l'emprise de l'alcool, avait cogné sa tête contre la vitre et s'était blessé. Les fonctionnaires de police l'avaient emmené à l'hôpital.
Le même jour à 16 heures, le requérant fut relaxé sans avoir fait l'objet d'une poursuite pénale.
Aussitôt libéré, il s'adressa au parquet de Karşıyaka et déposa une plainte pour mauvais traitements à l'encontre des policiers chargés de le questionner lors de sa garde à vue. A 16 h 20 le même jour, à la demande du parquet de Karşıyaka, le requérant fut examiné par un médecin légiste. Devant lui, il expliqua avoir reçu des coups sur la tête, le visage et le corps, subi des électrocutions au niveau de différentes parties de son corps, y compris la langue, et avoir eu les mains et les pieds attachés pendant l'interrogatoire.
A l'issue de son examen, le médecin mentionna dans son rapport que l'intéressé présentait : une plaie suturée (sütüre kesi) de 2 cm sur la région pariétale, deux hématomes de 1 et 3 cm de diamètre sur la langue, un hématome sous l'œil gauche, un œdème répandu sur le visage, des hématomes hémorragiques de 1 et 3 cm de diamètre, cinq ecchymoses de 3 x 10 cm sur le dos, des ecchymoses de 3 x 10 cm sur les deux bras, quatre ecchymoses de 3 cm de longueur sur les deux poignets et une ecchymose de 3 x 5 cm sur la région fémorale. Il conclut que les séquelles constatées méritaient un arrêt de travail de dix jours. Il ordonna également le transfert de l'intéressé vers un centre hospitalier en vue de déterminer l'origine de deux lésions constatées sur sa langue.
A une date imprécise, un rapport médical concernant la biopsie de la langue établi par le Dr D. Sınmaz fut transmis au parquet de Karşıyaka. Ce rapport fut consigné comme suit : « une lésion consécutive à (?) une brûlure d'électrocution sur la langue ».
Le 8 avril 1996, le parquet de Karşıyaka se déclara incompétent ratione materiae en vertu de la loi sur la poursuite des fonctionnaires et renvoya le dossier au comité administratif de la sous-préfecture de Karşıyaka.
A une date imprécise, le commissaire divisionnaire K. Üvez fut nommé par le sous-préfet de Karşıyaka en tant qu'inspecteur chargé d'enquêter sur la plainte du requérant.
Le 6 mai 1996, dans le cadre de l'enquête administrative, la déposition de Me Akbaba (paragraphe 16 ci-dessus) fut enregistrée par des fonctionnaires de police. Il déclara que son client, qui s'était cogné la tête contre une vitre, s'était blessé de son propre fait dans les locaux de la police. En outre, alors qu'il était conduit à l'hôpital, il s'était cogné à gauche et à droite et s'était blessé.
Le 10 mai 1996, le requérant forma opposition à la décision d'incompétence rendue par le parquet de Karşıyaka devant la sous-préfecture. Il soutint que l'enquête sur ses allégations devait être menée par le parquet. Il demanda également à être informé du résultat de cette plainte.
Les 2 et 8 juillet et 14 août 1996, l'inspecteur Üvez recueillit les dépositions des fonctionnaires de police mis en cause, à savoir A.T, A.A., İ.K. et A.K. Ceux-ci déclarèrent que, lors de son arrestation, le requérant présentait des plaies sur un bras. Il s'agissait d'une personne bien connue de leur service en raison de ses actes de vols. Lors de l'interrogatoire, étant sous l'emprise de l'alcool et de la drogue, l'intéressé avait heurté sa tête contre une vitre des locaux de la direction de la sûreté. Puis, alors qu'ils essayaient de le faire monter dans le véhicule de police pour le conduire à l'hôpital, celui-ci avait cogné sa tête contre la carrosserie du véhicule. Un rapport provisoire fut établi à l'hôpital.
Le 12 août 1996, Me Akbaba fut entendu par l'inspecteur Üvez et confirma sa déposition du 6 mai 1996 (paragraphe 23 ci-dessus).
Le 10 septembre 1996, le comité administratif de Karşıyaka décida de ne pas engager de poursuites à l'encontre des policiers mis en cause. Dans sa décision, se fondant sur le dossier d'instruction établi par l'inspecteur Üvez, le comité considéra notamment :
« Il ressort du dossier soumis par l'inspecteur que les plaignants, M. Sunal et H.T., ont été amenés dans les locaux de la sûreté de Karşıyaka, que M. Sunal, sous l'emprise de l'alcool et des comprimés [drogue], a cassé la vitre de la salle d'interrogatoire en y cognant sa tête, et qu'il s'est ainsi également blessé diverses parties du corps. Il est également établi par les déclarations des témoins que les plaignants, toujours parce qu'ils étaient sous l'emprise de l'alcool, ont agressé des gens et se sont blessés eux-mêmes. Dès lors, il y a lieu de conclure à l'absence de preuves suffisantes de mauvais traitements à l'encontre des policiers. »
Pendant l'enquête administrative, le dossier est resté inaccessible au requérant qui n'a eu aucune possibilité d'interroger les témoins ou de présenter sa propre version des faits.
Le 23 septembre 1996, le requérant forma opposition à la décision du 10 septembre 1996 devant le tribunal administratif régional d'Izmir qui était également saisi d'office en vertu de la loi sur la poursuite des fonctionnaires.
Le 6 novembre 1996, sur la base du dossier écrit, le tribunal administratif confirma la décision du 10 septembre 1996 pour absence de preuve suffisante permettant d'établir la nécessité de l'ouverture d'une enquête pénale. Cette décision ne fut pas signifiée au requérant.
Par une lettre du 24 février 1998, le requérant demanda à la sous-préfecture de Karşıyaka le résultat de son recours du 23 septembre 1996.
Par une lettre du 26 février 1998, la sous-préfecture de Karşıyaka communiqua au requérant la décision du tribunal administratif du 6 novembre 1996.
Le 13 septembre 2001, le représentant du requérant s'adressa à la Fondation des droits de l'homme d'Izmir pour que celle-ci établisse un rapport sur les allégations du requérant au vu des éléments médicaux. Dans son rapport daté du même jour, le Dr T. Baykal diagnostiqua un trauma du tissu mou (yumuşak doku) dû à des actes de mauvais traitements, eu égard aux pièces médicales présentées par le requérant.
Le Gouvernement a produit le casier judiciaire du requérant qui atteste que celui-ci a fait l'objet de deux poursuites en raison d'un vol et d'un usage de faux papiers. Quant à son compagnon, H.T., il ressort de son casier judiciaire qu'il a fait l'objet de neuf poursuites pour vols de voitures.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le code pénal érige en infraction le fait de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 et 245).
Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale (« CPP »), il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d'instruire les plaintes dont ils sont saisis, le premier décidant s'il y a lieu d'engager des poursuites, conformément à l'article 148 dudit code.
Lorsque le procureur de la République estime qu'il n'y a pas lieu de poursuivre l'affaire, la décision prise à cet égard est notifiée à la personne mise en examen, à la partie lésée et au plaignant (article 164 du CPP). Un plaignant peut faire opposition contre cette décision devant le président de la cour d'assises (article 165 du CPP) dans un délai de quinze jours à compter de la notification. Ce dernier peut soit accueillir l'opposition et décider de lancer l'action publique (article 168 du CPP) soit rejeter l'opposition. Dans ce dernier cas, une action publique ne peut être lancée que sur présentation de nouveaux faits ou nouvelles preuves (article 167 du CPP).
A l'époque des faits incriminés, si l'auteur présumé d'une infraction était un agent de la fonction publique et si l'acte avait été commis pendant l'exercice des fonctions, l'instruction préliminaire de l'affaire était régie par la loi de 1913 sur les poursuites contre les fonctionnaires, laquelle limitait la compétence ratione personae du ministère public dans cette phase de la procédure. En pareil cas, l'enquête préliminaire et, par conséquent, l'autorisation d'ouvrir des poursuites pénales était du ressort exclusif du comité administratif local concerné (celui du district ou du département selon le statut de l'intéressé), lequel était présidé par le préfet ou par le sous-préfet. Une fois délivrée l'autorisation de poursuivre, il incombait au procureur de la République d'instruire l'affaire.
Les décisions desdits comités étaient susceptibles de recours devant les tribunaux administratifs ; lorsque ce comité décidait de ne pas engager de poursuites (men'i muhakeme kararı), la saisine intervenait d'office. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1975 et a la nationalité turque. A la date d’introduction de sa requête, elle se trouvait en fuite.
A. Les faits à l’origine de la requête
Le 23 septembre 1997, la requérante fut condamnée par la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul à douze ans et six mois de réclusion pour appartenance à une organisation terroriste, le TIKB (L’Union des communistes révolutionnaires de Turquie).
Alors qu’elle purgeait sa peine à la prison de Gebze (Gebze M Tipi Kapalı Cezaevi), la requérante entama une grève de la faim de longue durée.
Le 29 mai 2001, son état de santé s’étant détérioré, elle fut examinée par les services de l’hôpital civil de Gebze. Selon le rapport établi le même jour, elle pesait 33 kilogrammes et présentait un dysfonctionnement cérébelleux ainsi qu’une marche ataxo-spamodique.
Par la suite, elle fut transférée devant la chambre de spécialistes no 3 (« la chambre de spécialistes ») de l’institut médicolégal (« l’institut »).
Par un rapport du 4 juin 2001, la chambre de spécialistes diagnostiqua, notamment en raison de troubles de la marche et de la mémoire, le syndrome de Wernicke-Korsakoff (« S-WK ») chez la requérante et émit l’avis qu’il y avait lieu de surseoir pour six mois à l’exécution de sa peine.
Le même jour, sur le fondement de ce rapport et en application de l’article 399 § 2 du code de procédure pénale (« CPP »), le procureur de la République de Gebze accorda le sursis à exécution de la peine et ordonna la libération de la requérante.
Cette dernière s’installa chez ses parents, à Ümraniye (Istanbul).
Par un rapport du 19 décembre 2001, la chambre de spécialistes entérina les conclusions du rapport précédent et déclara qu’il y avait lieu de surseoir à l’exécution de la peine de la requérante jusqu’à sa guérison.
Le 24 décembre 2001, le procureur de la République d’Üsküdar, chargé alors de l’affaire, prolongea le sursis initialement accordé.
Par un rapport du 26 juin 2002, la chambre de spécialistes confirma le diagnostic de S-WK, traduit par un dysfonctionnement dissociatif et une dépression majeure. Elle observa un nystagmus, un syndrome cérébelleux accompagné de troubles de la marche et d’une ataxie du tronc, ainsi que des troubles de mémoire avec bradypsychie et fabulations chez la requérante. Elle recommanda la prolongation de la mesure de sursis jusqu’à la guérison de l’intéressée.
Le lendemain, le procureur d’Üsküdar prolongea à nouveau le sursis.
Suite au rapport du 12 mars 2003 allant dans le même sens, le procureur d’Ümraniye, à qui l’affaire avait été entre-temps transférée, prolongea le sursis en date du 17 mars 2003.
Dans l’intervalle, la mère de la requérante demanda aux autorités concernées la grâce présidentielle pour sa fille.
Le procureur d’Ümraniye demanda alors à l’institut d’établir un rapport médical en vue de la nécessité de mettre la requérante au bénéfice de la grâce présidentielle selon l’article 104 de la Constitution.
Par un rapport du 12 novembre 2003, après avoir fait passer à la requérante un examen neuropsychologique au département de neurologie de l’Université d’Istanbul, lequel observa une dégradation modérée des fonctions exécutives et de la mémoire antérograde, la chambre de spécialistes, en s’appuyant sur l’amélioration des troubles de mémoire, émit l’avis que l’état de santé de la requérante ne nécessitait pas la grâce de sa peine.
Par un rapport du 31 décembre 2003, après avoir examiné la requérante et lui faire subir des tests et radiographies crâniennes, la chambre de spécialistes ne constata aucune anomalie contre-indiquant l’exécution de la peine de la requérante.
Le 14 janvier 2004, le procureur d’Ümraniye délivra alors un mandat d’amener (mahkumlara mahsus yakalama müzekkeresi) ; la requérante prit la fuite.
Le 13 février 2004, la représentante de la requérante demanda la levée du mandat d’amener et l’établissement d’un nouveau rapport médical par la chambre plénière de l’institut.
Le 20 février 2004, le procureur d’Ümraniye accueillit partiellement cette demande et transmit le dossier à l’institut pour l’établissement d’un rapport définitif par la chambre plénière, en application de l’article 15 de la loi sur l’institut.
Le 13 mai 2004, après avoir examiné le dossier médical de la requérante, la chambre plénière de l’institut déclara que son état de santé ne nécessitait ni le sursis à exécution de sa peine, ni la grâce présidentielle.
Le 16 juin 2004, au vu du rapport de la chambre plénière, le procureur d’Ümraniye rejeta la demande concernant la levée du mandat d’amener (paragraphe 23 ci-dessus).
B. La mission d’enquête de la Cour
Les visites d’établissements pénitentiaires
Afin de se forger une idée sur les conditions matérielles régnant dans les différents types d’établissements carcéraux en Turquie (paragraphe 6 ci-dessus), la délégation de la Cour, accompagné des représentants des requérants et du Gouvernement, a rendu visite à deux prisons de type F (Tekirdağ et Kocaeli), à deux prisons de type H (Tekirdağ et Istanbul), à une maison d’arrêt de type H (Bayrampaşa-İstanbul), et au service hospitalier de ce dernier établissement. Lors de ces visites, la délégation s’est également entretenue avec le personnel pénitencier ainsi que les procureurs et les médecins en poste dans ces établissements.
Le comité d’experts a accompagné la délégation lors des visites de la maison d’arrêt de Bayrampaşa et de son service hospitalier.
La délégation, qui s’est également entretenu avec dix-sept des cinquante-trois requérants en question lors de cette mission, s’est entretenue avec la requérante le 7 septembre 2004.
Les examens médicaux du comité d’experts
La Cour avait chargé le comité d’experts (paragraphe 6 ci-dessus) de déterminer notamment si la requérante présentait de troubles neurologiques ou psychiatriques et, dans l’affirmative, dans quelle mesure ces troubles s’avéraient compatibles avec la vie carcérale. Il devait également procéder, au besoin, à une évaluation scientifique du dossier médical de l’intéressé, tel que constitué par les instances médicolégales turques.
Dans ce contexte, le comité d’experts releva tout d’abord que, dans toutes les affaires de ce groupe, les intéressés expliquaient leurs séquelles neuropsychiatriques alléguées par leurs grèves de la faim et désignaient ces séquelles comme étant celles du S-WK, tel que l’institut l’avait diagnostiqué.
Partant, le comité d’experts décida de recourir à des examens médicaux standardisés, propres à mettre en évidence d’éventuels éléments de surcharge ou de simulation fréquents chez les prisonniers ainsi qu’à dégager les caractéristiques véritables du syndrome invoqué sur le plan tant neurologique que neuropsychologique.
Les examens eurent lieu entre le 8 et le 11 septembre 2004, dans les locaux disposés à cette fin par le Gouvernement à l’hôpital universitaire de Çapa à Istanbul, et ce, dans le respect absolu de l’intimité médicale.
La requérante a été examinée le 11 septembre 2004.
Les parties pertinentes du rapport médical du comité d’experts de la Cour quant à la requérante se lisent comme suit :
« A. Antécédents
29 mai 2001 : la requérante est transférée à l’hôpital civil de Gebze ; elle pèse 33 kgs et présente un dysfonctionnement cérébelleux ainsi qu’une marche ataxo-spamodique.
4 juin 2001 : la chambre recommande l’application d’une mesure de sursis, après avoir diagnostiqué chez la requérante un S-WK sur les troubles de la marche et de la mémoire.
19 décembre 2001 : les conclusions ci-dessus de la chambre sont confirmées par la chambre plénière de l’institut médicolégal.
26 juin 2002 : second examen par la chambre. Celle-ci confirme le diagnostic S-WK traduit par un dysfonctionnement dissociatif et une dépression majeure. Elle observe un nystagmus, un syndrome cérébelleux accompagné de troubles de la marche et d’une ataxie du tronc, ainsi que des troubles de mémoire avec bradypsychie et fabulations. La mesure de sursis est prolongée.
26 août 2003 : la requérante passe un examen neuropsychologique au département de neurologie de l’Université d’Istanbul, lequel observe une dégradation modérée des fonctions exécutives et de la mémoire antérograde.
12 novembre 2003 : la chambre revient sur sa décision en s’appuyant simplement sur l’amélioration des troubles de mémoire, sans mentionner une quelconque régression des signes neurologiques.
31 décembre 2003 : après examen et des tests (EMG, EEG, IRM), la chambre ne constate aucune anomalie et considère que l’état de santé de l’intéressée ne justifie plus le maintien de la mesure de sursis.
13 mai 2004 : cette décision est confirmée par la chambre plénière de l’institut médicolégal.
B. Commentaires
Le diagnostic de S-WK semble avoir été établi sur la présence de signes neurologiques francs. Le Comité est étonné de la décision d’exclure la requérante du bénéfice d’une mesure de sursis, car, si les troubles de mémoire peuvent avoir régressé, rien ne laisse à penser que les signes neurologiques observés auparavant aient disparu dans l’intervalle.
C. Examen (11 septembre 2004)
La présentation est normale et la coopération est excellente, sans aucun signe de surcharge. L’examen neurologique montre un syndrome cérébelleux statique (troubles de la marche et de l’équilibre) et cinétique (dysmétrie, incoordination motrice au niveau des membres supérieurs et inférieurs) ainsi qu’un nystagmus bilatéral. L’examen neuropsychologique révèle des troubles de mémoire modérés corrigés par les procédures de facilitation du rappel ; on observe également des difficultés d’abstraction par rapport au niveau d’études du sujet. Pas de trouble psychopathologique évident.
D. Avis
Les troubles neurologiques observés par le Comité correspondent aux séquelles d’un S-WK. Celles-ci sont de nature à rendre difficile l’exécution autonome des gestes de la vie quotidienne et de la marche et, par conséquent, difficilement compatibles avec la vie carcérale. »
La partie des conclusions générales du rapport médical du comité d’experts de la Cour est citée dans l’arrêt Tekin Yıldız précité.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
La structure et les fonctions de l’institut médicolégal, la grâce présidentielle pour les condamnés atteints d’une maladie irréversible (article 104 de la Constitution), le sursis à exécution de la peine pour motifs de santé selon le code de procédure pénale (articles 399 et 402 du CPP), ainsi que les travaux du Conseil de l’Europe en la matière sont décrits dans l’arrêt Tekin Yıldız précité. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1965 et a la nationalité turque. A la date d’introduction de la requête, il se trouvait en fuite.
A. Les faits à l’origine de la requête
Par un arrêt du 7 juillet 1998, la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité pour appartenance à une organisation terroriste, le TIKB (Union des communistes révolutionnaires de Turquie), et actes terroristes perpétrés au nom de cette organisation, tels que préparation et usage de fausses pièces d’identité, trafic d’armes, attaques et vols à main armée, et homicide.
Alors qu’il purgeait sa peine à la prison de Kandıra, le requérant entama une grève de la faim de longue durée.
Il fut examiné par les services de l’hôpital civil de Kocaeli, lesquels établirent, le 13 juin 2001, un rapport concluant que son état de santé était « bon », malgré une « malnutrition ».
Le 22 juin 2001, la chambre de spécialistes no 3 (« la chambre de spécialistes ») de l’institut médicolégal (« l’institut ») diagnostiqua le syndrome de Wernicke-Korsakoff (« S-WK ») chez le requérant, notamment sur les symptômes de dissymétrie, désorientation et nystagmus. Elle recommanda le sursis à exécution de la peine du requérant pour six mois, précisant que son maintien en prison l’exposerait à un danger réel de mort.
Le 26 juin 2001, le procureur de la République de Kocaeli accorda le sursis, en application de l’article 399 du code de procédure pénale (« CPP »), et ordonna la libération du requérant.
Le requérant fut libéré le 28 juin 2001. Il s’installa à İstanbul, selon toute vraisemblance chez ses parents.
Le 20 novembre 2001, le requérant demanda la prolongation du sursis. Il fut examiné par les services de l’hôpital civil de Kocaeli, lesquels, par un rapport du 23 novembre 2001, confirmèrent le diagnostic de S-WK et recommandèrent le sursis de la peine du requérant pour une durée d’un an.
Le requérant fut toutefois réexaminé par la chambre de spécialistes. Le 7 décembre 2001, celle-ci confirma le diagnostic de S-WK en présence de paralysies oculaires, de signes cérébelleux et de troubles amnésiques, et recommanda le sursis à exécution de la peine du requérant jusqu’à sa guérison.
Sur ce rapport, le 19 décembre 2001, le procureur de Kocaeli prolongea pour six mois le sursis initialement accordé.
Cette mesure fut encore prolongée à deux reprises, suite aux rapports des 5 juin 2002 et 15 janvier 2003 de la chambre de spécialistes. Dans ce dernier rapport, la chambre de spécialistes mentionna également que l’état de santé du requérant était considéré dans le cadre de la grâce présidentielle prévue par l’article 104 de la Constitution.
Le 7 mars 2003, suite aux controverses existant en pratique quant à l’application de l’article 399 du CPP, le ministère de la Justice diffusa la circulaire no 3.3.9/44, laquelle rappelait, entre autres, que les rapports médicaux de l’institut devait mentionner concrètement la durée du sursis à accorder.
Par son rapport du 27 août 2003, la chambre de spécialistes entérina ses rapports précédents et recommanda à nouveau le sursis à exécution de la peine du requérant. Elle mentionna aussi dans ce rapport qu’il ne lui était pas possible de préciser une durée de sursis, dans la mesure où cette maladie pouvait durer indéfiniment. Partant, elle précisa encore une fois que l’état de santé du requérant entrait également dans le cadre de la grâce présidentielle.
Toutefois, un médecin membre de la chambre de spécialistes formula l’opinion dissidente selon laquelle les recherches scientifiques étant insuffisantes quant au S-WK, il était impossible d’établir si cette maladie était irréversible ou non. Par conséquent, la chambre n’aurait pas du se prononcer sur la grâce présidentielle.
Le 17 octobre 2003, bien qu’ayant été avisé du rapport du 27 août 2003, le procureur de Kocaeli refusa de prolonger le sursis à exécution de la peine du requérant au motif que, ne précisant pas la durée du sursis à accorder, ce rapport n’avait pas été établi conformément à la circulaire susmentionné. Il ordonna l’établissement d’un rapport médical conforme.
Toutefois, le requérant ne se présenta pas devant les autorités concernées.
Le 12 novembre 2003, le requérant forma opposition contre cette décision, devant la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul.
Dans son réquisitoire du 19 janvier 2004, le procureur près la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul demanda la levée de la décision du parquet de Kocaeli, et l’octroi, sur le fondement du rapport médical du 27 août 2003, du sursis à exécution de la peine du requérant pour une période de six mois.
Par une décision du 26 janvier 2004, la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul se déclara incompétente ratione loci et renvoya le dossier devant la cour d’assises de Kocaeli.
Le 9 février 2004, la 2ème chambre de la cour d’assises de Kocaeli rejeta l’opposition du requérant.
Dans l’intervalle, le 6 février 2004, le père du requérant demanda la grâce présidentielle pour le restant de la peine de son fils.
Le 26 février 2004, le procureur de Bağcılar, dont la dernière adresse connue du requérant était de son ressort, délivra un mandat d’amener (mahkumlara mahsus yakalama müzekkeresi).
Par une lettre du 27 février 2004 adressée au parquet de Kocaeli, le ministère de la Justice exposa les démarches à entreprendre pour la grâce présidentielle – entre autres, l’établissement de deux rapports médicaux, le premier par un hôpital civil, le deuxième par l’institut – et demanda au procureur de compléter les lacunes du dossier.
L’opposition formée contre la décision du 9 février 2004 (paragraphe 25 ci-dessus) fut rejetée le 27 mai 2004 par la 1ère chambre de la cour d’assises de Kocaeli.
Le 3 septembre 2004, saisi par son procureur au vu de la mesure provisoire indiqué par la Cour (paragraphe 5 ci-dessus), la cour d’assises d’Istanbul ordonna le sursis à exécution de la peine du requérant jusqu’au 13 septembre 2004, en application des articles 399 et 402 du CPP.
La Cour a par la suite, prolongé cette mesure provisoire jusqu’à nouvel ordre (paragraphe 7 et 9 ci-dessus). Le Gouvernement a fait savoir que l’exécution du mandat d’amener avait été suspendue conformément à cette décision.
La Cour ne dispose pas de renseignements précis sur la suite qui pourrait avoir été finalement donnée à l’affaire devant les autorités internes.
B. La mission d’enquête de la Cour
Les visites d’établissements pénitentiaires
Afin de se forger une idée sur les conditions matérielles régnant dans les différents types d’établissements carcéraux en Turquie (paragraphe 6 ci-dessus), la délégation de la Cour, accompagné des représentants des requérants et du Gouvernement, a rendu visite à deux prisons de type F (Tekirdağ et Kocaeli), à deux prisons de type H (Tekirdağ et İstanbul), à une maison d’arrêt de type H (Bayrampaşa-İstanbul), et au service hospitalier de ce dernier établissement. Lors de ces visites, la délégation s’est également entretenue avec le personnel pénitentiaire ainsi que les procureurs et les médecins en poste dans ces établissements.
Le comité d’experts a accompagné la délégation lors des visites de la maison d’arrêt de Bayrampaşa et de son service hospitalier.
La délégation, qui s’est également entretenu avec dix-sept des cinquante-trois requérants en question lors de cette mission, s’est entretenue avec le requérant le 7 septembre 2004.
Les examens médicaux du comité d’experts
La Cour avait chargé le comité d’experts (paragraphe 6 ci-dessus) de déterminer notamment si le requérant présentait de troubles neurologiques ou psychiatriques et, dans l’affirmative, dans quelle mesure ces troubles s’avéraient compatibles avec la vie carcérale. Il devait également procéder, au besoin, à une évaluation scientifique du dossier médical de l’intéressé, tel que constitué par les instances médicolégales turques.
Dans ce contexte, le comité d’experts releva tout d’abord que, dans toutes les affaires de ce groupe, les intéressés expliquaient leurs séquelles neuropsychiatriques alléguées par leurs grèves de la faim et désignaient ces séquelles comme étant celles du S-WK, comme l’institut l’avait diagnostiqué.
Partant, le comité d’experts décida de recourir à des examens médicaux standardisés, propres à mettre en évidence d’éventuels éléments de surcharge ou de simulation fréquents chez les prisonniers ainsi qu’à dégager les caractéristiques véritables du syndrome invoqué sur le plan tant neurologique que neuropsychologique.
Les examens eurent lieu entre le 8 et le 11 septembre 2004, dans les locaux disposés à cette fin par le Gouvernement à l’hôpital universitaire de Çapa à İstanbul, et ce, dans le respect absolu de l’intimité médicale.
Le requérant a été examiné le 11 septembre 2004.
Les parties pertinentes du rapport médical du comité d’experts de la Cour quant au requérant se lisent comme suit :
« A. Antécédents
23 novembre 2001 : un rapport de la chambre établit le diagnostic de S-WK sur la présence de paralysies oculaires, de signes cérébelleux et de troubles amnésiques.
7 décembre 2001 : la chambre no 3 confirme ce diagnostic et conclut que le requérant devrait bénéficier d’une mesure de sursis.
15 janvier 2003 : après avoir réexaminé le requérant, la chambre no 3 considère que ces troubles sont permanents et tombent sous le coup de l’article 104. Aussi la chambre décide-t-elle de prolonger la mesure de sursis.
27 août 2003 : cette décision est maintenue.
B. Commentaires
Cette dernière décision profitant au patient est justifiée.
C. Examen (11 septembre 2004)
La présentation du requérant est normale et la coopération est parfaite, sans signes de surcharge. L’examen neurologique met en évidence un syndrome cérébelleux à prédominance statique (troubles de l’équilibre et de la marche) ainsi qu’un nystagmus modéré mais certain. L’examen neuropsychologique ne met pas en évidence d’anomalies de mémoire ou de la capacité d’abstraction compte tenu du niveau d’études du sujet. Pas d’anomalies psychopathologiques.
D. Avis
Le diagnostic de S-WK est parfaitement établi. Les séquelles motrices sont suffisamment importantes pour rendre difficile la vie en prison notamment du fait des difficultés de la marche et de l’exécution de certains gestes de la vie quotidienne. La décision de la chambre no 3 du 15 janvier 2003, selon laquelle ces séquelles sont définitives et justifient tant une mesure de sursis que l’application de l’article 104, est parfaitement justifiée et doit être respectée. »
Les conclusions générales du rapport médical du comité d’experts de la Cour sont citées dans l’arrêt Tekin Yıldız c. Turquie (no 22913/04, 10 novembre 2005).
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
La structure et les fonctions de l’institut médicolégal, la grâce présidentielle pour les condamnés atteints d’une maladie irréversible (article 104 de la Constitution), le sursis à exécution de la peine pour motifs de santé selon le code de procédure pénale (articles 399 et 402 du CPP), ainsi que les travaux du Conseil de l’Europe en la matière sont décrits dans l’arrêt Tekin Yıldız précité. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants résident à Istanbul. Zülcihan Şahin est née en 1977, Sevgi Kaya en 1980, Arzu Kemanoğlu en 1972, Devrim Öktem en 1975, Bülent Gedik en 1974, Müştak Erhan İl en 1971, Özgür Öktem en 1976, Sinan Kaya en 1978, İsmail Altun en 1974 et Okan Kablan en 1980.
A. L’incident du 7 juillet 1997
En février-mars 1996, la police d’Istanbul procéda à une opération contre le TKEP/L (Parti communiste de travail/Léniniste), une organisation illégale, au terme de laquelle les requérants furent arrêtés et placés en garde à vue dans les locaux de la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté d’Istanbul (« la direction de la sûreté »).
Le 5 mars 1996, les requérants portèrent plainte auprès du parquet d’Istanbul contre les policiers responsables de leur garde à vue, soutenant avoir été soumis à des mauvais traitements au cours de celle-ci.
Dans le même temps, le 10 avril 1996, les requérants furent inculpés et poursuivis devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul du chef de tentative de changer ou modifier entièrement ou partiellement la Constitution de la République de Turquie ou perpétrer un coup d’état contre l’Assemblée nationale ou l’empêcher par la force d’exercer ses fonctions, ainsi que pour appartenance à une bande armée, en vertu des articles 146 et 168 § 2 du code pénal.
Le 4 mars 1997, le procureur de la République d’Istanbul (« le procureur de la République ») intenta une action publique devant la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises ») contre cinq policiers près la direction de la sûreté, sur la base de l’article 243 du code pénal (mauvais traitements pour extorquer des aveux).
Le 7 juillet 1997, les requérants détenus, à savoir tous à l’exception de Sevgi Kaya, furent conduits à la salle d’audience pour témoigner en qualité de plaignants dans le cadre de l’action pénale engagée contre les cinq policiers. A leur arrivée au palais de justice d’Istanbul, des affrontements survinrent entre les requérants, qui étaient menottés, et les forces de l’ordre en charge de leur surveillance.
Le même jour, les gendarmes en charge de la surveillance des détenus, établirent un procès-verbal, lequel relate les faits comme suit :
« Le 7 juillet 1997, à 10 heures, les détenus, dont la présence au palais de justice d’Istanbul était demandée (...), ont été amenés au palais de justice et placés dans les cellules situées, (...) dans les couloirs du palais de justice. Lorsqu’ils aperçurent les membres de la presse et leurs proches, ils ont commencé à scander des slogans et [parce que] leurs proches se dirigeaient vers les militaires, les militaires ont pris les détenus par le bras pour éviter leur fuite. [Les détenus] ont commencé à résister aux gendarmes en donnant des coups de pied et des gifles. Quand on a voulu (...) les emmener dans les cellules, ils ont résisté, se sont jetés à terre, l’un des détenus en se jetant à terre est tombé des escaliers, son visage a heurté le béton, il saignait un peu du nez. A ce moment, les détenus continuaient à scander des slogans (...). Pour ne pas donner lieu à un incident, les détenus ont à nouveau été placés dans les cellules (...) »
Le même jour, des membres des familles des détenus en question dressèrent un procès-verbal décrivant les faits comme suit :
« (...) [alors que] les détenus qui étaient emmenés en salle d’audience, ont levé la main pour saluer (...) leurs familles, les militaires (...) sans prévenir, ont attaqué [les détenus] en donnant des coups de pied, gifles (...) les ont jetés à terre (...) étranglés (...) Quand les familles qui assistaient à cela (...) ont commencé à scander des slogans pour empêcher que leurs enfants ne soient frappés, (...) les détenus ont été introduits dans un petit salon où ils ont continué à être frappés (...) Tous ces évènements ont eu lieu devant les caméras de télévision (...) »
Ce jour-là, la cour d’assises tint l’audience pour laquelle elle s’était réunie et dressa un procès-verbal d’audience, aux termes duquel :
« (...) L’avocat (...) des plaignants prit la parole (...) : « nos clients ont été frappés par les policiers et les militaires alors qu’ils étaient conduits en salle d’audience. » Aux dires de leurs familles, ils sont en train d’être frappés, en ce moment, dans le lieu où ils sont enfermés (...)
Entre-temps, l’officier de gendarmerie, Naif Baz, sergent major, entra en salle d’audience. Il déclara que lorsque les accusés [parties intervenantes] avaient été conduits, ils s’étaient mis à crier, à scander des slogans, (...) et à lancer des injures. Dans cette situation, il devenait difficile de les conduire en salle d’audience (...)
Dans le même temps, les plaignants détenus pour une autre infraction, Okan Kaplan, Müştak Erhan İl, Devrim Öktem, Zülcihan Şahin, Bülent Gedik, (...), Arzu Kemanoğlu, Sinan Kaya, İsmail Altun et Özgür Öktem ont été conduits (...) la plaignante Sevgi Kaya, non détenue, a comparu (...) »
Au terme de cette audience, la cour d’assises transmit le procès-verbal d’établissement des faits au procureur de la République et l’invita à se prononcer sur la demande des requérants tendant à l’établissement d’un examen médical.
Toujours le même jour, les requérants, hormis Sevgi Kaya, furent examinés par le médecin près la maison d’arrêt de Bayrampaşa. Ce dernier établit des rapports médicaux, avec les constats suivants :
– (s’agissant de) Zülcihan Şahin :
« (...) une lacération superficielle sur le côté droit du cou, des douleurs au ventre (...) »
– Sinan Kaya :
« (...) légère douleur dans la région occipitale, douleur sur la partie extérieure de l’avant-bras, légers maux de tête (...) »
– Müştak Erhan İl :
« (...) douleur sur la ligne cervicale centrale, une ecchymose de 2 x 1 cm au niveau d’une épaule, différentes ecchymoses de 1 x 2 cm sur l’intérieur des deux bras, une ecchymose de 3 x 3 cm sur l’avant-bras droit, des ecchymoses diffuses sur les deux poignets, une ecchymose de 2 x 2 cm sur l’épaule droite au niveau de l’axillaire, maux de tête (...) »
– Arzu Kemanoğlu :
« (...) ecchymose de 1 x 1 cm sur la région frontale droite et derrière le zygoma droit, trois lacérations superficielles d’1 cm sur la partie extérieure du coude gauche, ecchymose sur la partie intérieure et extérieure du poignet gauche, deux ecchymoses de 2 x 2 cm sur la patelle du genou gauche, maux de tête (...) »
– Bülent Gedik :
« (...) zone douloureuse et sensible de 3 x 3 cm sur la ligne centrale de la région occipitale, légères lacérations aux deux poignets (...) »
– Özgür Öktem :
« (...) ecchymose de 3 x 1 cm sur le côté gauche du front, écorchure en forme de point sur la ligne centrale de la région occipitale, œdème et sensibilité de 3 x 2 cm sur la région tibiale antérieure, des douleurs au niveau des épaules et dans la région lombaire, légère nausée, lacérations superficielles aux deux poignets (...) »
– Devrim Öktem :
« (...) ecchymoses, hématomes de 1x 1 x 1 cm sur la partie arrière du coude gauche, lacérations de 1 x 3 cm sur le poignet gauche, zone sensible et légèrement œdémateuse de 3 x 2 x 0,5 cm sur la partie supérieure de la région frontale gauche, zone sensible sur la région occipitale, douleurs au dos et au cou, légers vertiges, douleurs sur la région patellaire du genou droit (...) »
– İsmail Altun :
« (...) ecchymose de 2 x 1 cm sur le côté droit de la région frontale, zone œdémateuse douloureuse et sensible de 2 x 3 x 0,5 cm sur la région du zygoma gauche, zone douloureuse sous le téton gauche, lacérations aux deux poignets, légers maux de tête (...) »
– Okan Kablan :
« (...) ecchymoses de 4 x 4 cm sur la région frontale droite et de 2 x 1 cm à gauche, enflure à la lèvre inférieure, coupure de 0,5 cm sur la partie intérieure de la lèvre inférieure (...) et de 2 cm sur la partie intérieure de la lèvre supérieure, ecchymose de 5 cm sur une ligne fine au niveau de la région mandibulaire droite, lacérations aux deux poignets, douleurs et sensibilité dans tout le dos, deux ecchymoses de 2 x 2 cm sur la région lombaire droite, une ecchymose de 1 x 3 cm sur l’épaule gauche, ecchymose de 3 cm sur une fine ligne du côté gauche du cou, violents maux de tête, vertiges, nausées (...) »
A 16 h 45, au terme de l’examen médical, le médecin ordonna que O. Kablan fût transféré aux services des urgences de l’hôpital. Il estima également utile de réaliser un rapport médico-légal définitif.
Le 8 juillet 1997, le procureur de la République demanda au directeur de la maison d’arrêt d’Istanbul de présenter les requérants au service de médecine légale aux fins d’établissement d’un rapport médical définitif.
Le 11 juillet 1997, le médecin légiste près l’institut médico-légal d’Eyüp (« le médecin légiste ») établit un rapport médical sur l’état de santé de B. Gedik et conclut, au vu de ses blessures, à un arrêt de travail d’un jour. Il examina également Z. Şahin et D. Öktem et conclut, au regard de leurs blessures, à un arrêt de travail de cinq jours chacune.
Le 14 juillet 1997, le médecin légiste établit quatre rapports médicaux afférents à l’état de santé de Ö. Öktem, M. Erhan İl, O. Kablan et Sinan Kaya. Dans chacun, il souligna n’avoir pu ausculter les intéressés, ces derniers ayant refusé de se soumettre à un examen médical en présence de gendarmes. Il précisa avoir conclu au vu des constatations médicales faites le 7 juillet 1997 par le médecin près la maison d’arrêt de Bayrampaşa. Aux termes de ces rapports, Ö. Öktem et M. Erhan İl se virent prescrire un arrêt de travail de sept jours chacun et O. Kablan de dix jours. L’état de santé de Sinan Kaya ne donnait pas lieu à un arrêt de travail.
Le 28 août 1997, le directeur de la maison d’arrêt d’Istanbul transmit au procureur de la République les rapports d’expertise médico-légale ainsi établis. Il souligna que la requérante Kemanoğlu n’avait pas voulu se soumettre à un tel examen. Enfin, il précisa que Sevgi Kaya n’était pas inscrite sur les registres de la maison d’arrêt.
B. Plainte pour mauvais traitements
Le 21 août 1997, les requérants portèrent plainte contre les gendarmes ayant pris part aux évènements litigieux.
Le 10 septembre 1997, le parquet d’Istanbul se déclara incompétent pour connaître du fond de la plainte, du fait que l’acte incriminé avait été commis par les forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, et renvoya le dossier d’instruction au comité d’administration d’Istanbul, en vertu de la loi sur les poursuites contre les fonctionnaires. Cette décision n’aurait pas été notifiée aux requérants.
Le 18 septembre 1997, le préfet adjoint du département d’Istanbul adressa une lettre à la gendarmerie d’Istanbul lui demandant de nommer un inspecteur chargé d’enquêter sur la plainte des requérants.
Le 9 octobre 1997, A. Işıltan, colonel de la gendarmerie, fut désigné en tant qu’inspecteur.
Avant cette désignation, le 14 septembre 1997, A. Işıltan avait déjà recueilli les dépositions de cinq gendarmes ayant pris part aux évènements litigieux. Parmi ceux-ci, Naif Baz, sous-officier de gendarmerie, avait notamment déclaré :
« Le 7 juillet 1997, alors que l’on attendait avec les détenus au palais de justice d’Istanbul, nous avons été informés que l’audience allait avoir lieu dans une autre salle (...) Lorsque nous nous sommes dirigés vers la salle d’audience, dans le corridor, nous avons trouvé une foule composée de proches des détenus et de journalistes. Les détenus, profitant de cette foule, ont commencé à scander des slogans, à frapper les gendarmes chargés de leur surveillance et se sont jetés à terre. Les parents des détenus nous ont alors attaqués et ont marché vers nous. Profitant de ce trouble, Devrim Öktem a fui et s’est mêlée aux journalistes et aux proches des détenus, une fois repérée, elle a été capturée et emmenée dans une geôle. Les autres détenus essayaient de s’enfuir à droite et à gauche et se jetaient à terre. Ils ont aussi résisté aux gendarmes qui essayaient de les tenir par les bras pour les empêcher de fuir. Les gendarmes ont eu du mal à maîtriser les détenus. C’est la raison pour laquelle ils ont eu recours à la force (en tirant par les bras et tenant par les bras ceux qui se jetaient à terre, et les neutraliser), à ce moment, un détenu s’est jeté à terre pour empêcher les gendarmes de le tenir par les bras et, en heurtant les marches de l’escalier, s’est légèrement blessé aux lèvres [il s’agit d’Okan Kablan]. D’autre part, au début des évènements, ce même détenu a donné un coup de pied à la jambe du gendarme Y.A., et les évènements se sont produits ainsi. Alors qu’on les conduisait vers les cellules, les détenus ont continué à proférer des menaces et des insultes en scandant les slogans suivants : « Soldats fascistes turcs. Chiens vendus de l’Etat. Tortionnaires, sachez qu’un de nos bras se trouve à l’extérieur, nous allons vous demander des comptes » (...) »
Au cours de leur déposition, les autres gendarmes confirmèrent ces faits.
Toujours le 14 septembre 1997, l’inspecteur Işıtan avait remis son rapport et conclu qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites à l’égard des gendarmes qui avaient accompli leurs fonctions dans le cadre des limites prévues par la loi. Les parties pertinentes de ce rapport se lisent ainsi :
« Examen et analyse : (...) le 7 juillet 1997, les plaignants Bülent Gedik, Zülcihan Şahin, Sinan Kaya, Sevgi Kaya, Devrim Öktem, Okan Kaplan, Arzu Kemanoğlu, Müştak Erhan İl, (...), ont été préparés pour l’audience devant se tenir au palais de justice d’Istanbul (...) sous la surveillance du personnel de gendarmerie sous les ordres du (...) sergent major Naif Baz. Toutefois la salle d’audience [fut] changée (...) alors que les plaignants étaient conduits en salle d’audience sous la surveillance de la patrouille de gendarmerie, en raison de l’[obstruction] du couloir par les proches des détenus et des membres de la presse, les détenus en prenant courage au vu de la foule, ont commencé à résister à la patrouille de gendarmerie qui les surveillait, et ont essayé de se disperser à droite et à gauche dans le but de s’enfuir, en scandant des slogans et faisant de la propagande. [Ils] ont donné des coups de pied au personnel de gendarmerie en fonction. Parmi les détenus, Devrim Öktem, en échappant aux mains du personnel de fonction, s’est mêlée à la foule, toutefois, grâce aux efforts des gendarmes, [elle] a été empêchée de s’enfuir. Pendant les évènements, les proches des détenus, en opposant de la résistance au personnel de gendarmerie, ont tenté de faciliter la fuite des détenus [de sorte que] la patrouille de gendarmerie, dans le cadre des pouvoirs qui lui sont reconnus par la loi, en utilisant son pouvoir de recourir à la force, a empêché les détenus de s’enfuir. Au cours des évènements, suite [au fait que] parmi les détenus Okan Kaplan s’était blessé à la lèvre en se jetant à terre, il fut envoyé par le président du tribunal pour être soigné (...) ; placé dans le local de la sûreté, il a été soigné par une équipe médicale (...)
Conclusions : au vu des témoignages recueillis et du contenu du dossier, les plaignants en prenant courage de la présence de la foule dans le couloir du palais de justice, des membres de leurs familles et des membres de la presse qui se trouvaient dans la foule, ont tenté de fuir et [ce sont] les efforts de la patrouille de gendarmerie qui ont empêché leur fuite. Pour empêcher les détenus de fuir, le personnel de gendarmerie en fonction a utilisé dans les proportions nécessaires le pouvoir d’user de la force qui lui est reconnu par la loi (...) Les allégations selon lesquelles le personnel de gendarmerie en fonction aurait frappé les plaignants de façon arbitraire (...) sont dénuées de fondement. C’est pourquoi (...) il n’y a pas lieu de poursuivre (...) »
Pendant l’enquête administrative, le dossier est resté inaccessible aux requérants qui n’ont eu aucune possibilité d’interroger les témoins ou de présenter leur propre version des faits.
Le Gouvernement n’a fourni aucun renseignement sur l’issue de cette enquête administrative.
C. Procédure pénale engagée contre les requérants pour résistance aux forces de sécurité
Le 12 novembre 1997, le procureur de la République recueillit la déposition des requérants Şahin, Kablan, Erhan İl, Sinan Kaya, Altun et Ö. Öktem. Ils nièrent avoir scandé des slogans et déclarèrent avoir été frappés alors qu’ils saluaient leurs familles.
Le procureur entendit également trois gendarmes impliqués dans les heurts litigieux. Ces derniers déclarèrent porter plainte contre les requérants qui avaient fait des signes de victoire alors qu’ils étaient conduits en salle d’audience et scandé des slogans injurieux à leur endroit. Parmi eux, Naif Baz, précisa avoir ordonné à ses soldats de retenir les requérants par le bras pour éviter toute tentative de fuite et qu’ainsi des ecchymoses avaient pu leur être causées.
Le 13 novembre 1997, le procureur de la République entendit deux gendarmes, également impliqués dans les évènements litigieux, lesquels nièrent avoir frappé les requérants et déclarèrent porter plainte contre eux. Ils soutinrent avoir seulement voulu empêcher les requérants, alors conduits en salle d’audience, de faire des signes de victoire, ce sur quoi, ces derniers avaient scandé des slogans injurieux à leur endroit.
Le 12 décembre 1997, le procureur de la République recueillit la déposition de B. Gedik et D. Öktem, lesquels nièrent avoir scandé des slogans ou lancé des injures à l’encontre des gendarmes et déclarèrent avoir été frappés sans raison valable.
Le 16 février 1999, le procureur de la République inculpa treize personnes, dont les requérants, et requit leur condamnation auprès du tribunal correctionnel d’Istanbul (« le tribunal correctionnel ») pour injures et résistance à agent public en raison des évènements litigieux.
Le 30 juin 1999, le tribunal correctionnel entendit les accusés en leur défense, lesquels nièrent les faits reprochés et soutinrent devoir être considérés comme des victimes dans les circonstances d’espèce. Le tribunal correctionnel entendit également les proches des requérants qui avaient établi, le 7 juillet 1997, un procès-verbal relatant les faits. Ces derniers confirmèrent la description des évènements, telle qu’énoncée dans ce procès-verbal (paragraphe 17, ci-dessus).
La requérante Sevgi Kaya, entendue à cette occasion, précisa que le jour des faits litigieux elle n’était pas détenue et ne se trouvait pas sur les lieux lors de l’altercation en question. Elle déclara notamment :
« Je réfute les accusations. Le jour des faits, j’étais (...) en liberté. Lorsqu’une altercation a eu lieu, je n’étais pas sur les lieux. Je suis entrée en salle d’audience une demi-heure plus tard. C’est là que j’ai vu mes autres camarades. Les camarades que j’ai vus là avaient été maltraités (...) »
Le 2 février 2000, le tribunal correctionnel entendit le requérant Altun dans sa défense. Celui-ci nia les faits reprochés et souligna qu’eu égard au nombre de gendarmes présents et au fait qu’ils avaient les mains menottées, il ne pouvait avoir opposé une quelconque résistance.
Le 26 mars 2001, le tribunal correctionnel décida de surseoir à statuer pour une durée de cinq ans, en application de la loi no 4616.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le code pénal érige en infraction le fait de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 et 245).
Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale (CPP), il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d’instruire les plaintes dont ils sont saisis, le premier décidant s’il y a lieu d’engager des poursuites, conformément à l’article 148 dudit code.
Lorsque le procureur de la République estime qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’affaire, la décision prise à cet égard est notifiée à la personne mise en examen, à la partie lésée et au plaignant (article 164 du CPP). Un plaignant peut faire opposition contre cette décision devant le président de la cour d’assises (article 165 du CPP) dans un délai de quinze jours à compter de la notification. Ce dernier peut soit accueillir l’opposition et décider d’engager l’action publique (article 168 du CPP) soit rejeter l’opposition. Dans ce dernier cas, une action publique ne peut être engagée que sur présentation de nouveaux faits ou nouvelles preuves (article 167 du CPP).
A l’époque des faits incriminés, si l’auteur présumé d’une infraction était un agent de la fonction publique et si l’acte avait été commis pendant l’exercice des fonctions, l’instruction préliminaire de l’affaire était régie par la loi de 1913 sur les poursuites contre les fonctionnaires, laquelle limitait la compétence ratione personae du ministère public dans cette phase de la procédure. En pareil cas, l’enquête préliminaire et, par conséquent, l’autorisation d’ouvrir des poursuites pénales était du ressort exclusif du comité administratif local concerné (celui du district ou du département selon le statut de l’intéressé), lequel était présidé par le préfet ou par le sous-préfet. Une fois accordée l’autorisation de poursuivre, il incombait au procureur de la République d’instruire l’affaire.
Les décisions de ces comités étaient susceptibles de recours devant les tribunaux administratifs ; lorsque ce comité décidait de ne pas engager de poursuites (men’i muhakeme kararı), leur saisine intervenait d’office. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
La procédure de faillite
Le requérant est né en 1949 et réside à Pomezia (Rome).
Par un jugement déposé le 22 mars 1986, le tribunal de Rome déclara la faillite personnelle du requérant.
Le 4 avril 1986, ce dernier fit opposition. Il estima que, en tant que petit entrepreneur, il ne devait pas faire l'objet d'une déclaration de faillite.
Entre le 8 avril 1986 et le 11 juin 1986, huit demandes d'amission au passif de la faillite furent déposées devant le tribunal.
Entre-temps, le 14 mai 1986, le requérant demanda au juge délégué (« le juge ») l'autorisation à exercer provisoirement son activité.
Le 6 juin 1986, la vérification du passif de la faillite eut lieu et, le 5 juillet 1986, le juge déclara le passif de la faillite exécutoire.
Le même jour, le requérant demanda au juge de lui accorder une pension alimentaire en raison de ce que ses conditions financières étaient précaires et, le 19 juillet 1986, le juge fit droit à cette demande.
Entre le 1er octobre 1986 et le 25 février 1990, six demandes d'amission tardives à la faillite furent déposées devant le tribunal.
Entre-temps, le 4 octobre 1986, un autre juge fut nommé en raison de la mutation du premier juge.
Par un jugement déposé le 12 février 1988, le tribunal rejeta l'opposition du requérant introduite le 4 avril 1986 en raison de ce que celui-ci n'avait pas fourni la preuve de sa qualité de petit entrepreneur.
A une date non précisée, le juge nomma un expert pour l'évaluation des biens du requérant et, le 10 juin 1991, l'expert déposa son rapport.
Le 13 avril 1992, suite à la mutation du juge, un troisième juge fut nommé.
Le 12 février 1994, le syndic fut révoqué et un autre syndic fut nommé à sa place.
Le 3 mars 1994, le syndic demanda au juge d'ordonner à l'ancien syndic de lui remettre les documents relatifs à la faillite du requérant.
Par une ordonnance du 5 avril 1994, le juge fit droit à cette demande et fixa à cet effet une audience au 11 mai 1994.
Le 11 avril 1994, le requérant introduisit une demande de concordat.
Le 10 mai 1994, le syndic signala au juge qu'une procédure d'exécution immobilière introduite à l'encontre du requérant était pendante et lui demanda l'autorisation à intervenir dans cette affaire. Le 24 mai 1994, le juge fit droit à cette demande.
Le 22 avril 1999, le syndic déposa un rapport devant le juge ayant pour objet une mise à jour de la procédure d'exécution.
Le 30 mai 2001, le requérant introduisit une nouvelle proposition de concordat.
Le 11 septembre 2001, le syndic ordonna la vente aux enchères des biens du requérant.
Le 30 novembre 2001, les biens du requérant furent adjugés.
Les 17 et 21 décembre 2001, le requérant et le syndic demandèrent respectivement au juge de clore la procédure de faillite.
Par une décision du 6 mars 2002, le juge décida de clore la procédure pour épuisement du passif de la faillite.
La procédure introduite conformément à la loi Pinto
Le 7 août 2002, le requérant introduisit un recours devant la cour d'appel de Pérouse conformément à la loi Pinto se plaignant de la durée de la procédure ainsi que des incapacités dérivant de sa mise en faillite.
Par une décision déposée le 5 juillet 2004, la cour d'appel accorda au requérant 10 000 euros (EUR) pour le préjudice qu'il avait subi en raison de la durée de la procédure.
Selon les informations fournies par le Gouvernement le 31 mars 2005, le requérant ne se pourvut pas en cassation.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le droit interne pertinent est décrit dans les arrêts Campagnano c. Italie (no 77955/01, §§ 19-22, 23 mars 2006), Albanese c. Italie (no 77924/01, §§ 23-26, 23 mars 2006) et Vitiello c. Italie (no 77962/01, §§ 17-20, 23 mars 2006). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
Le requérant est né en 1930 et réside à Ankaran.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
La procédure devant la Caisse slovène d'assurance vieillesse et invalidité
Au cours de sa vie, le requérant travaillait principalement en Allemagne. Il reçoit la partie proportionnelle de la pension de retraite allemande depuis le 1er aout 1991.
Le 29 juin 1992, le requérant présenta une demande de se voir reconnaître la partie proportionnelle de sa pension de retraite selon l'accord slovéno-allemand relatif à la sécurité sociale auprès de la Caisse slovène d'assurance vieillesse et invalidité (« la caisse »).
Par ailleurs, le 29 novembre 1993, le requérant formula une autre demande auprès de la caisse concernant la prise en compte du nombre d'années de travail en Slovénie.
Le 15 mars 1994, la caisse allemande fit parvenir à la caisse slovène les formulaires remplis par le requérant. Selon le Gouvernement, étant donné que la documentation fournie n'était pas complète, la caisse devait se procurer des informations concernant des années de travail effectuées en Slovénie.
Le 8 avril 1994, la caisse rejeta une partie de la demande du requérant. Le 5 mai 1994, il contesta cette décision.
Le 2 décembre 1994, l'autorité centrale de la caisse fit droit à sa contestation.
Le 30 juin 1995, l'unité de Ljubljana transmit le dossier au service des accords internationaux de la caisse.
En septembre 1995, la caisse demanda d'autres renseignements, lesquels furent fournis dans de brefs délais. Le 20 mai 1996, la caisse demanda d'autres renseignements, lesquels furent fournis en septembre 1996.
Le 7 juillet 1997, la caisse fixa le montant de la partie proportionnelle de sa pension de retraite slovène pour environ 3 années de travail en Slovénie, à être versé à partir du 1er juin 1992.
Le 15 juillet 1997, le requérant contesta cette décision. L'autorité centrale de la caisse rejeta sa contestation le 18 mars 1999.
De plus, il ressort des documents que, le 18 mai 2001, la caisse informa le requérant que la pension lui serait versée. Par ailleurs, elle demanda à la caisse d'assurance maladie de lui assurer la couverture médicale à partir du 1er juin 2001.
Le 9 juillet 2001, commencèrent les versements de la pension de retraite.
La procédure devant les juridictions du travail et des affaires sociales
Le 30 mars 1999, le requérant entama une procédure devant le tribunal du travail et des affaires sociales. Le 20 août 1999, il compléta son action.
Les 31 mars, 8, 13 et 26 avril, 4, 7 et 18 mai, 1er septembre, 4 novembre, 1er, 6, 8 et 13 décembre 1999 ainsi que les 3 mai, 12 et 14 juin, 4 et 5 juillet 2000 et 28 mars 2002, le requérant soumit des documents.
Le 2 avril 2002, le tribunal fixa une audience au 23 avril 2002.
Le 9 avril 2002, le requérant précisa sa demande.
Le 23 avril 2002, une audience fut tenue, en absence de la partie défenderesse.
Le 30 avril 2002, le requérant soumit un mémoire.
Le 11 juin 2002, le tribunal demanda à la partie demanderesse de fournir des informations demandées, ce qu'elle fit le 16 juillet 2002.
Les 18 juillet et 6 aout 2002, le requérant soumit des mémoires.
Le 13 juin 2003, le tribunal rendit un jugement, infirmant les décisions de la caisse et faisant partiellement droit à la demande du requérant. Ce jugement fut notifié aux parties les 29 août et 8 septembre 2003.
Le 10 septembre 2003, le requérant interjeta appel.
Le 24 octobre 2005, le tribunal supérieur du travail et des affaires sociales rejeta l'appel et confirma le jugement de première instance.
Le 20 janvier 2006, suite à l'arrêt du tribunal supérieur, la caisse rendit une décision, fixant un nouveau montant de sa pension pour la période 1992-2006.
Le 20 février 2006, un montant de 464 457 SIT fut versé au requérant.
La procédure devant le tribunal administratif
Par ailleurs, le 25 juillet 2000, le requérant formula une demande auprès du tribunal administratif afin de se plaindre de la durée de la procédure relative à sa pension.
Le 7 novembre 2000, le tribunal administratif, unité de Nova Gorica, demanda au requérant de compléter sa demande.
Le 14 novembre 2000, le requérant répondit au tribunal.
Le 17 septembre 2001, le tribunal invita le requérant à dûment compléter sa demande dans un délai de quinze jours.
Le 30 septembre 2001, le requérant soumit un mémoire.
Le 20 décembre 2002, le tribunal décida de rejeter la demande. Cette décision fut notifiée aux parties le 24 décembre 2002.
Autres démarches et procédures
En 1999, le requérant s'adressa à l'Ombudsman, qui lui répondit le 6 mai 1999, en précisant que la procédure devant le tribunal du travail et des affaires sociales était pendante et qu'il avait droit à la couverture médicale déjà en tant que bénéficiaire d'une pension étrangère domiciliée en Slovénie.
En outre, le 30 mars 2000, le requérant forma un recours devant la Cour constitutionnelle. Le 11 septembre 2000, cette dernière rejeta son recours constitutionnel, étant donné que le requérant n'avait pas fourni dans le délai prévu les explications requises par la Cour constitutionnelle.
En 2001, le requérant forma également un recours hiérarchique auprès du ministère de la Justice. Après avoir reçu un rapport du tribunal du travail et des affaires sociales, il informa le requérant que son affaire n'avait pas de caractère prioritaire et qu'une audience devrait avoir lieu en février 2002.
Enfin, il déposa plusieurs plaintes contre les employés de la caisse et du ministère du Travail, de la Famille et des Affaires sociales. Une de ces plaintes fut rejetée par le bureau du procureur de district le 9 juillet 2001. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1977 et réside à Iaşi.
Procédure pénale contre le requérant
Le 3 décembre 1998, le requérant fut placé en détention provisoire pour une durée de trente jours par un procureur du parquet près le tribunal de première instance de Iaşi. Dans l’ordonnance dressée à cette occasion, le procureur relevait que le requérant était soupçonné de viol sur mineure, infraction punie de cinq à quinze ans d’emprisonnement par l’article 197 § 2 du code pénal. Il notait en outre qu’il y avait des preuves convaincantes à la charge du requérant et que son maintien en liberté mettrait en danger l’ordre public.
Le requérant fut incarcéré dans le centre pénitentiaire de Iaşi. A la date à laquelle son mandat de dépôt arrivait à échéance, les juridictions compétentes prolongèrent successivement la durée de son dépôt pour un délai de trente jours, par des jugements avant dire droit prononcés en audiences publiques et susceptibles de recours.
Par un réquisitoire du 18 décembre 1998, le parquet renvoya le requérant et deux autres jeunes hommes devant le tribunal de première instance de Iaşi du chef de viol sur mineure, en vertu de la disposition précitée du code pénal.
Par un jugement du 15 février 2000, adopté à l’issue d’une audience publique à laquelle le requérant et son avocat avaient assisté et durant laquelle ils avaient présenté les arguments qu’ils jugeaient pertinents, le tribunal condamna le requérant à sept ans de prison ferme pour viol sur mineure et l’obligea à payer à la victime, qui s’était constituée partie civile, solidairement avec les autres coïnculpés, 20 millions de lei (soit environ 1 002 euros (EUR) pour préjudice moral.
Le tribunal releva que le requérant et les deux autres inculpés avaient plaidé la thèse du consentement de la victime pour justifier leurs agissements à son égard, et qualifia de « surprenantes » les dépositions de certains témoins entendus sur demande de la défense. Il décela aussi certaines contradictions dans les témoignages à décharge, ce qui prouvait, selon lui, l’intention des coïnculpés de l’induire en erreur.
Il jugea, enfin, que les preuves versées au dossier montraient indubitablement que la victime avait réellement été menacée par les coïnculpés et ainsi forcée à avoir des rapports sexuels avec chacun d’entre eux. Pour fonder la responsabilité pénale du requérant, le tribunal s’appuya notamment sur les déclarations de la victime, celles des témoins et des coïnculpés, ainsi que sur le rapport médical dressé par le médecin de l’hôpital où la mineure avait été hospitalisée après l’incident, qui attestait de la réalité des rapports sexuels et des traumatismes psychiques de la victime.
Le requérant et les autres condamnés introduisirent un appel, demandant une réduction de leur peine. La partie civile fit appel du volet civil du jugement, demandant une augmentation de la somme qu’elle s’était vu octroyer au titre de son préjudice moral.
Par un arrêt du 13 juillet 2000 prononcé à l’issue d’une audience publique à laquelle le requérant et un avocat commis d’office avaient pu soutenir oralement leurs motifs d’appel, la cour d’appel de Iaşi confirma le bienfondé du volet pénal du jugement du tribunal de première instance. Elle accueillit en revanche l’appel de la partie civile et porta à 45 millions de lei (soit environ 2 255 EUR) le montant de la somme allouée pour préjudice moral.
La cour d’appel relevait notamment que la victime avait subi un traumatisme psychique grave, qu’elle avait été internée, à plusieurs reprises, depuis les faits reprochés aux condamnés, dans des hôpitaux psychiatriques sous le diagnostic de « mélancolie anxieuse interprétative » et qu’il y avait un lien direct de causalité entre l’infraction commise par les condamnés et son affection psychique, ce qui justifiait l’octroi d’une somme d’un montant plus élevé au titre du préjudice moral.
Par un arrêt définitif du 24 novembre 2000, prononcé à l’issue d’une audience publique à laquelle assistèrent le requérant et son avocat commis d’office, la Cour suprême de justice confirma le bien-fondé de l’arrêt de la cour d’appel. Elle estima que la juridiction inférieure avait fait une individualisation correcte de la peine infligée, en interprétant avec justesse les éléments de preuve versés au dossier qui prouvaient le cynisme des condamnés et leur mépris pour le droit de la victime de mener librement et sans contrainte sa propre vie sexuelle.
Les mauvais traitements qu’aurait subis le requérant dans le centre pénitentiaire de Iaşi et ses plaintes pénales pour garde à vue abusive et mauvais traitements
Le 2 juin 1999, le requérant introduisit auprès du parquet militaire de Iaşi une plainte contre l’officier de police G., le mettant en cause du chef de mise abusive en garde à vue. Un dossier fut ouvert par le parquet militaire près le tribunal territorial de Bucarest. Après plusieurs actes d’instructions, dont la confrontation du requérant avec la partie lésée et l’audition de plusieurs témoins, une décision de non-lieu fut prise à l’égard de l’officier de police G. le 10 mai 2000. La plainte du requérant contre cette décision fut rejetée le 24 avril 2003 comme mal fondée.
Le 29 mai 2001, le Parquet militaire territorial de Bucarest releva que le requérant s’était plaint, le 7 septembre 1999, contre le colonel B., alléguant des mauvais traitements que celui-ci lui aurait fait subir du 1er au 7 juillet 1999. Un dossier fut ouvert auprès du parquet militaire de Iaşi.
Le 3 octobre 2001, le requérant, entendu par un procureur militaire dudit parquet, réitéra sa plainte pénale contre le colonel B., en faisait état de ce qui suit :
Le 1er juillet 1999, à la suite d’une demande d’entretien avec le colonel B., commandant du centre pénitentiaire de Iaşi, auquel il entendait se plaindre de l’illégalité des prolongations successives de sa détention provisoire, le requérant fut reçu par le capitaine D., qui lui indiqua qu’il ressortait des documents versés au dossier pénitentiaire que le requérant avait dûment été tenu informé des décisions successives prolongeant la durée de son dépôt, décisions qu’il aurait luimême signées. Le requérant contesta avoir vu et signé de tels documents. Il aurait alors été frappé et injurié par quatre gardiens sur ordre du capitaine D. Une demi-heure plus tard, il fut menotté et amené au bureau du colonel B., auquel il réitéra qu’il n’avait pas pris connaissance des décisions prolongeant sa détention provisoire et lui fit savoir qu’il allait demander au parquet militaire une enquête et une expertise graphologique des signatures qu’il aurait prétendument apposées sur les documents pénitentiaires.
Selon le requérant, le commandant B., étonné par son courage, aurait alors ordonné au gardien P. de l’amener dans une cellule destinée aux prisonniers qui s’automutilaient et de lui menotter les mains et les pieds. Pendant plusieurs jours, le requérant aurait régulièrement été frappé aux genoux avec un marteau par les gardiens, bien que menotté. Il aurait été privé d’eau, de nourriture et d’air frais. Il ne se serait vu conduire aux toilettes qu’une fois par jour et n’aurait pas eu le droit de recevoir sa correspondance, notamment un colis provenant de l’étranger.
Le 7 juillet 1999, le requérant fut ramené dans sa cellule. En dépit de son état d’inconscience, il n’aurait pas été examiné par un médecin. Ses codétenus l’auraient toutefois soigné et aidé à se rétablir.
Le 4 octobre 2001, le dossier fut renvoyé au Parquet militaire territorial de Bucarest, compétent pour instruire l’affaire compte tenu du grade de colonel de la personne mise en cause par le requérant.
Après avoir entendu le colonel B. et les autres membres du personnel pénitentiaires ainsi que les détenus ayant occupé la même cellule que le requérant à la date des faits dénoncés dans sa plainte pénale, et suite à un examen de sa fiche médicale établie par les médecins de la prison et des registres pénitentiaires, le parquet milliaire prononça le 13 décembre 2001 une résolution de non-lieu, estimant les faits dénoncés par le requérant non confirmés.
Le requérant fut mis en liberté à une date non précisée.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les dispositions et la pratique internes pertinentes sur le statut des procureurs militaires sont décrites au § 40 de l’arrêt Barbu Anghelescu c. Roumanie (no 46430/99, § 70, 5 octobre 2004).
Une loi no 293 du 28 juin 2004, publiée au Moniteur officiel du 30 juin 2004, régit la réorganisation de la Direction générale des pénitentiaires, établissements qui sont désormais démilitarisés et placés sous la coupe du ministère de la Justice. Le personnel de l’Administration nationale des pénitentiaires s’est vu octroyer la qualité de « fonctionnaire public », toutes éventuelles poursuites pénales à son égard relevant désormais de la compétence des parquets et des tribunaux ordinaires. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Les requérants, M. Sarı et Mme Çolak, sont nés en 1973 et 1977 respectivement. A l'époque des faits ils résidaient à Ankara.
Le 17 novembre 1997, à 23 h 45, les requérants furent arrêtés puis placés en garde à vue par les policiers de la direction de la sûreté d'Ankara, dans le cadre d'une enquête menée contre l'organisation illégale THKP/C Dev Yol – Devrim Hareketi .
En application de l'article 16 de la loi no 2845 (paragraphe 17 cidessous), la garde à vue des requérants fut prolongée dans un premier temps jusqu'au 21 novembre 1997, sur autorisation du procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara (« le procureur » – « la cour de sûreté de l'Etat »), puis jusqu'au 23 novembre 1997 (inclus), par une ordonnance d'un juge assesseur de la juridiction précitée.
Avant le terme de leur garde à vue, à 23 h 45, les requérants furent entendus par le procureur. Ils ne furent traduits devant un juge que le lendemain matin, à savoir le 24 novembre 1997. Celui-ci ordonna la libération de Mme Çolak pendant la procédure et la mise en détention provisoire de M. Sarı.
Par un acte d'accusation du 8 décembre 1997, le procureur renvoya les requérants devant la cour de sûreté de l'Etat. Leur reprochant d'être membres d'une bande armée, il requit leur condamnation en vertu de l'article 168 § 2 du code pénal.
A l'issue de l'audience du 9 juin 1998, les juges du fond ordonnèrent la mise en liberté provisoire de M. Sarı.
Par un arrêt du 22 avril 1999, la cour de sûreté de l'Etat, après avoir requalifié les faits, déclara les requérants coupables d'assistance à une bande armée, infraction réprimée par l'article 169 du code pénal, et les condamna chacun à une peine d'emprisonnement de trois ans et neuf mois ainsi qu'à une interdiction de la fonction publique pendant une durée de trois ans.
Les requérants se pourvurent en cassation contre ce jugement.
Par un arrêt du 23 février 2000, la Cour de cassation infirma l'arrêt du fait de la qualification erronée du délit en cause.
Par un arrêt du 7 novembre 2001, la cour de sûreté de l'Etat sursit à statuer sur l'affaire des requérants.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Aux termes de l'article 9 a) de la loi no 2845 sur la procédure devant les cours de sûreté de l'Etat, les infractions visées aux articles 125, 168 et 169 du code pénal relèvent de la compétence exclusive de ces juridictions. A l'époque des faits, l'article 16 de cette loi prévoyait quant à ce type d'infractions que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en cas de délit collectif commis en dehors de la région soumise à l'état d'urgence, dans les sept jours, ce sans compter le temps nécessaire pour amener le détenu devant le juge.
Le quatrième paragraphe de l'article 128 du code de procédure pénale (le « CPP ») dispose que toute personne arrêtée ou dont la garde à vue a été prolongée sur ordre d'un procureur peut contester la mesure en question devant le juge d'instance compétent et, le cas échéant, être libérée. L'avocat, le représentant légal, les personnes ayant un lien de parenté au premier ou deuxième degré avec l'intéressé(e) ainsi que son conjoint peuvent également faire usage de cette voie de recours.
Le troisième paragraphe de l'article 128 du CPP, modifié par la loi no 4744 du 6 février 2002, se lit ainsi :
« Lorsqu'une personne est arrêtée, [les autorités] informent sans délai, par une décision du procureur, un parent ou une autre personne désignée par l'intéressé(e) de l'arrestation ou de la prolongation de la garde à vue. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1964 et purge actuellement une peine de prison aux Pays-Bas.
A. Les circonstances relatives à la détention du requérant
Le 1er octobre 1997, le requérant fut placé en détention provisoire (voorlopige hechtenis), car il était soupçonné d'avoir participé au vol dont un couple avait été victime aux Pays-Bas. Lors de cette agression, l'homme avait été tué sous les yeux de la femme, laquelle avait été violée à plusieurs reprises, pour être finalement tuée en Belgique. Les poursuites contre M. Salah – qui répondait notamment des chefs de viol, séquestration, meurtre, vol et vol avec violence – s'achevèrent le 5 septembre 2000, date à laquelle la Cour de cassation (Hoge Raad) confirma l'arrêt rendu le 22 avril 1999 par la cour d'appel (gerechtshof) de Bois-le-Duc, qui avait condamné l'intéressé à une peine de vingt ans d'emprisonnement. Dans l'intervalle, c'est-à-dire le 18 mars 1998 et le 24 juin 1998 respectivement, les demandes en vue de l'extradition du requérant formées par les autorités compétentes de l'Allemagne et de la Belgique – pays où l'intéressé était recherché car soupçonné de plusieurs infractions graves – avaient été déclarées recevables.
Dans un premier temps, le requérant fut détenu dans une maison d'arrêt (huis van bewaring) ordinaire. Le 16 janvier 1998, sur la foi d'informations selon lesquelles il semblait jouer un rôle central dans la préparation d'un plan d'évasion impliquant une prise d'otages, il fut transféré à l'unité nationale d'isolement (Landelijke Afzonderingsafdeling), dans un établissement pénitentiaire de Rotterdam. Le 2 février 1998, il retourna dans une maison d'arrêt ordinaire ; cependant, le 11 mai 1998 – en raison d'informations selon lesquelles lui et un autre détenu avaient fait entrer frauduleusement un téléphone et des armes dans la maison d'arrêt –, il fut à nouveau transféré à l'unité nationale d'isolement.
Le 25 juin 1998, sur avis du comité spécial de sélection de l'EBI, le ministre de la Justice décida de placer l'intéressé dans une unité de détention provisoire de l'EBI, qui fait partie du nouveau complexe pénitentiaire de Vosseveld à Vught. La détention de M. Salah au sein de cette unité fut réexaminée et prolongée par le ministre tous les six mois. Le 26 octobre 2000, sur avis du comité spécial de sélection, la détention du requérant à l'EBI fut à nouveau prorogée par le ministre. La condamnation étant devenue définitive entre-temps, le requérant fut transféré à l'unité carcérale de l'EBI. Sa détention à l'EBI fut réexaminée et prolongée par le ministre tous les six mois. Le requérant attaqua en vain chaque décision de prorogation devant la Commission de recours (beroepscommissie) du Conseil central pour l'application du droit pénal (Centrale Raad voor Strafrechtstoepassing). Le 1er avril 2001, le Conseil central fut remplacé par le Conseil pour l'application du droit pénal et la protection de la jeunesse (Raad voor Strafrechtstoepassing en Jeugdbescherming).
En mai 2001, à la suite d'une bagarre avec un codétenu, M. Salah fut placé en « régime individuel » au motif que l'établissement ne pouvait garantir sa sécurité s'il venait à se trouver en contact avec d'autres détenus. Cette mesure – qui privait le requérant des activités collectives et ne lui permettait de s'occuper que de façon individuelle – fut réexaminée et prolongée tous les quinze jours. L'intéressé attaqua en vain chaque décision de prorogation. En mai 2002, à une date non précisée, cette mesure fut levée.
Selon un rapport du 17 octobre 2001, lors d'une évaluation de l'état psychologique du requérant effectuée au Centre de sélection pénitentiaire (Penitentiair Selectie Centrum), l'intéressé fit nettement l'impression d'un homme furieux, impulsif et combatif. Il ne présentait aucun symptôme manifeste de dépression, et ses allusions au suicide semblaient être dues à la colère – car il estimait avoir été injustement condamné et placé à l'EBI – et avoir pour but de « punir » les personnes de son entourage pour ce qu'elles lui avaient fait. Il paraissait souffrir de graves troubles de la personnalité, associés à de fortes tendances narcissiques et asociales. Après une période difficile, la situation s'était stabilisée de façon satisfaisante et ses relations avec le personnel de l'EBI étaient devenues plus faciles.
Par une lettre du 23 octobre 2001, le requérant fut informé que le ministre de la Justice avait à nouveau prorogé sa détention à l'EBI. Le passage pertinent de cette lettre se lisait ainsi :
« D'après les informations dont on dispose à votre sujet – sans parler de votre appartenance à une organisation criminelle –, il y a lieu de vous considérer comme étant susceptible de faire une tentative d'évasion (vluchtgevaarlijk). A cet égard, je vous informe de ce qui suit.
Vous êtes actuellement détenu parce que vous avez commis, avec d'autres personnes, des crimes très graves qui ont suscité une vive émotion au sein de la population et ont sérieusement troublé l'ordre public. De plus, vous êtes soupçonné d'avoir commis des infractions très graves dans d'autres pays d'Europe, de sorte que l'Allemagne et la Belgique ont déposé à votre sujet des demandes d'extradition, lesquelles ont été jugées recevables par le tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) de Breda. Vous allez être extradé vers la Belgique. Le 20 octobre 1999, vous avez été interrogé par la police allemande, et le 17 avril 2001 par les autorités belges. Selon toute vraisemblance, vous devrez faire face à une/de lourde(s) peine(s) de prison dans les pays susmentionnés. Le 16 janvier 1998, certains éléments vous concernant – à [la maison d'arrêt ordinaire de] Breda – ont donné à penser que vous (et d'autres personnes) aviez l'intention de vous évader. De plus, il est apparu qu'il était prévu de prendre en otage des membres du personnel. Vous deviez jouer un rôle central dans ce plan d'évasion. A un stade antérieur de votre détention – également à [la maison d'arrêt de] Breda –, des informations (officielles) avaient indiqué que vous projetiez de vous évader en utilisant une carte de visiteur. Ces faits ont entraîné votre placement – le 16 janvier 1998 – à l'unité nationale d'isolement [de Rotterdam].
Le 2 février 1998, vous avez été placé à [la maison d'arrêt ordinaire de] Middelburg. Le 11 février 1998, vous avez indiqué avoir reçu des vêtements et des chaussures ne vous appartenant pas. On a trouvé dans les chaussures un grand couteau pliant mesurant entre 23 et 25 centimètres, que vous avez remis à un membre du personnel. Le 4 avril 1998, vous avez cassé la fenêtre de votre cellule.
Le 6 mai 1998 sont parvenues des informations vous concernant selon lesquelles vous projetiez de faire entrer frauduleusement dans l'établissement un téléphone et/ou des armes dissimulés dans un appareil audio.
Le 11 mai 1998, vous avez à nouveau été transféré à l'unité nationale d'isolement, dans l'attente d'une décision sur votre éventuel placement à l'EBI.
Après votre placement à l'EBI, survenu le 25 juin 1998, vous avez montré un intérêt tout particulier pour la sécurité de l'établissement. Pendant un déplacement de détenus, vous avez observé attentivement ce qui se passait, relevant quelles étaient les portes qui s'ouvraient et celles qui restaient fermées. Vous avez également demandé au personnel quel était le niveau de sécurité du bâtiment, si les conversations étaient écoutées et quelle était la capacité d'accueil des locaux.
Aux alentours du 30 juillet 1999, vous avez tenté à deux reprises de contourner le dispositif de sécurité de l'EBI, si bien qu'un avertissement vous a été adressé. Durant la période comprise entre janvier 2000 et le 19 juin 2000, vous avez fait preuve d'un comportement récalcitrant et de l'envie de repousser les limites, en vous en prenant notamment aux règles concernant le régime carcéral.
Entre juillet 2000 et le 23 octobre 2000, vous avez proféré des menaces à l'encontre de plusieurs personnes, notamment un juge. Dans ce contexte, vous avez déclaré que « [vous connaissiez] encore des gens à l'extérieur qui s'occuper[aient] de cela pour [vous] ».
Par ailleurs, entre novembre 2000 et le 11 avril 2001, vous avez formulé des menaces à l'endroit de membres du personnel de l'EBI. Vous avez affirmé que l'administration et le médecin de la prison étaient responsables de la situation dans laquelle vous vous trouviez, et indiqué que ces personnes allaient payer pour ce que, selon vous, elles vous avaient fait.
A la lumière de ce qui précède, il semble justifié de supposer que (vous réalisez que) vous n'avez plus rien à perdre et qu'en conséquence vous allez saisir toutes les occasions de vous évader.
Après avoir été condamné en première instance à une peine d'emprisonnement à vie, vous vous êtes vu infliger, par un jugement irrévocable, une peine de vingt ans d'emprisonnement pour des crimes graves. De plus, vous êtes soupçonné d'avoir commis des infractions très graves dans d'autres pays d'Europe, de sorte que l'Allemagne et la Belgique ont déposé à votre sujet des demandes d'extradition, lesquelles ont été jugées recevables par le tribunal d'arrondissement de Breda. Vous allez être extradé vers la Belgique. Selon toute vraisemblance, vous devrez faire face à une/de lourde(s) peine(s) de prison dans les pays susmentionnés.
Votre évasion serait inacceptable pour la société. Eu égard aux éléments ci-dessus ainsi qu'aux vives préoccupations exprimées par la société et l'opinion publique face aux crimes très graves que vous avez commis et qui ont sérieusement troublé l'ordre public, le comité de sélection [de l'EBI], après avoir entendu l'agent de sélection avec lequel vous vous êtes entretenu, m'a conseillé de vous maintenir en détention à l'EBI. J'ai donc pris une décision en ce sens. »
Comme il l'avait fait pour les précédentes prorogations, le requérant attaqua cette nouvelle décision en saisissant la Commission de recours du Conseil pour l'application du droit pénal et la protection de la jeunesse. Il argua que son maintien en détention à l'EBI constituait, notamment, une atteinte à ses droits au regard des articles 3 et 8 de la Convention.
Le 29 janvier 2002, la Commission de recours le débouta. Elle fit observer qu'il avait été condamné à une peine de vingt ans d'emprisonnement pour des crimes très graves ayant suscité de vives préoccupations au sein de la société et de l'opinion publique. De plus, il était soupçonné d'avoir commis des infractions graves dans d'autres pays d'Europe, raison pour laquelle la Belgique et l'Allemagne avaient demandé son extradition. Selon toute vraisemblance, il aurait à faire face dans ces deux pays à de lourdes peines de prison. La Commission estimait en conséquence que l'intéressé, s'il venait à s'évader, représenterait un risque inacceptable pour la société, en termes de troubles graves à l'ordre public. De moindre importance était en soi le risque d'évasion, situation prévue à l'article 6 b) de l'arrêté du 15 août 2000 sur la sélection, le placement et le transfert des détenus (Regeling selectie, plaatsing en overplaatsing van gedetineerden). La Commission de recours concluait que, dès lors qu'elle n'avait relevé ni faits ni circonstances militant contre le maintien du requérant à l'EBI, la décision de prorogation était légale et que, après mise en balance de tous les intérêts en jeu, elle ne pouvait être jugée déraisonnable ou injuste. La Commission n'examina pas les arguments présentés par l'intéressé sur le terrain des articles 3 et 8 de la Convention.
Par une décision du 19 avril 2002, la détention du requérant à l'EBI fut à nouveau prolongée. Le 22 juillet 2002, la Commission le débouta d'un recours dans le cadre duquel il avait à nouveau invoqué les articles 3 et 8 de la Convention, entre autres.
La Commission de recours réaffirma que l'intéressé, s'il venait à s'évader, représenterait un risque inacceptable pour la société en termes de troubles graves à l'ordre public, et que le risque d'évasion revêtait en tant que tel une importance moindre. En l'absence de faits ou de circonstances militant contre le maintien du requérant à l'EBI, la Commission jugea également que la décision de prolonger sa détention dans cet établissement était légale et, après mise en balance de tous les intérêts en jeu, ne pouvait être jugée déraisonnable ou injuste. Elle ajouta toutefois qu'avant toute décision sur l'opportunité de prolonger encore la détention à l'EBI de l'intéressé, celui-ci devrait avoir un entretien avec un psychologue du Centre de sélection pénitentiaire, et que le rapport à établir à la suite de cette conversation devrait être pris en compte dans le processus décisionnel.
Le 12 mai 2003, le requérant fut transféré dans une prison ordinaire, à Maastricht.
B. La procédure civile engagée contre l'Etat néerlandais
Le 10 août 2004, un autre individu – qui avait été détenu à l'EBI du 26 juin 1998 au 24 décembre 2003 – engagea contre l'Etat néerlandais une action pour faute (onrechtmatige daad) devant le tribunal d'arrondissement de La Haye. Il demandait réparation du dommage moral occasionné par des actes illicites dont il jugeait l'Etat responsable, en se fondant notamment sur le fait que, de son arrestation en mars 1998 jusqu'à la fin du mois de décembre 2003, il avait été soumis à un traitement inhumain et dégradant à raison des conditions de sa détention, notamment des fouilles à corps selon lui inutiles et humiliantes qu'il avait eu à subir. Ce volet de l'action reposait entre autres sur les conclusions de la Cour européenne des Droits de l'Homme dans les arrêts Van der Ven c. PaysBas (no 50901/99, CEDH 2003II) et Lorsé et autres c. Pays-Bas (no 52750/99) du 4 février 2003, les constats présentés dans deux rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) (paragraphes 44-45 ci-dessous), et un rapport du 10 octobre 2003 relatif à l'impact psychologique du régime EBI sur le bienêtre mental des (anciens) détenus, établi par des chercheurs universitaires (paragraphe 21 ci-dessous).
Le 11 juillet 2005, le requérant et huit autres (anciens) détenus de l'EBI sollicitèrent auprès du tribunal d'arrondissement l'autorisation d'intervenir dans la procédure civile dirigée contre l'Etat néerlandais. Leur demande portait sur la partie de l'action concernant la réparation du dommage moral causé par le traitement inhumain et dégradant ayant résulté des conditions de détention à l'EBI, notamment des fouilles à corps, jugées inutiles et humiliantes. La procédure civile en question est toujours pendante et, à ce jour, aucune décision n'a été rendue quant à la demande d'intervention du requérant.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Les fouilles à corps hebdomadaires effectuées de manière routinière à l'EBI
Des informations générales sur le droit et la pratique internes pertinents sont présentées dans l'arrêt Van der Ven c. Pays-Bas (précité, §§ 26-35) et la décision Baybaşın c. PaysBas (no 13600/02, 6 octobre 2005).
Le 1er mars 2003, le règlement intérieur de l'EBI (huisregels) fut amendé à la lumière des conclusions formulées par la Cour dans les arrêts Van der Ven et Lorsé et autres (tous deux précités) du 4 février 2003. La pratique des fouilles à corps accompagnant de manière routinière l'inspection hebdomadaire des cellules fut ainsi abandonnée, l'article 6 § 4 modifié du règlement intérieur indiquant que les fouilles corporelles pouvaient être effectuées de façon aléatoire pendant ou juste après l'inspection hebdomadaire des cellules.
Depuis le 10 juillet 2003, les fouilles à corps aléatoires ne sont plus associées aux inspections de cellules, conformément à une décision rendue le 7 juillet 2003 par le juge des mesures provisoires (voorzieningenrechter) auprès du tribunal d'arrondissement de La Haye, lors d'une procédure en référé engagée contre l'Etat néerlandais en juin 2003 par treize détenus de l'EBI. Depuis cette date, l'administration de l'EBI détermine au cas par cas dans quelle mesure il y a lieu de procéder à des fouilles à corps aléatoires sur les détenus. Les situations individuelles sont désormais examinées lors de la réunion mensuelle que le personnel de l'EBI consacre aux détenus.
Le 10 octobre 2003, des chercheurs de l'Université libre d'Amsterdam soumirent leur rapport sur une étude (demandée par le ministre de la Justice en janvier 2001) relative à l'impact psychologique du régime EBI sur le bien-être mental des (anciens) détenus (paragraphes 45-46 ci-dessous). Ce rapport concluait que le régime EBI avait un effet négatif sur le fonctionnement cognitif des détenus – eu égard en particulier à la vitesse de traitement des informations et à l'inhibition des réactions – et expliquait que cela était probablement dû au manque de stimulation lié à la détention. Le rapport indiquait par ailleurs que le régime EBI favorisait davantage la dépression qu'un régime de communauté restreinte, et que les fouilles à corps étaient perçues comme humiliantes et constituant un poids supplémentaire pour les personnes détenues à l'EBI. En revanche, le régime EBI ménageait un meilleur équilibre entre repos et activité qu'un régime de communauté restreinte, de sorte que les prisonniers de l'EBI avaient un rythme de vie plus sain. En outre, il n'avait pas été démontré que ces détenus présentaient davantage de symptômes physiques correspondant à une tension nerveuse continue.
B. Les actions civiles pour faute engagées contre l'Etat néerlandais
Le contrôle par les tribunaux civils des actes accomplis par les pouvoirs publics
En droit néerlandais, les juridictions civiles connaissent traditionnellement des actions contre l'administration pour autant qu'il n'existe aucun autre recours. Lorsqu'une personne engage une action contre l'administration en alléguant que celle-ci a commis à son encontre une faute au sens de l'article 6 :162 du code civil (Burgerlijk Wetboek), les tribunaux civils sont en principe compétents. Lorsque tel est le cas, la juridiction saisie peut aussi connaître d'une action en référé (kort geding), par laquelle un demandeur peut la prier notamment d'adresser une injonction à l'administration. Un acte de l'administration est illégal et constitue une faute s'il viole un droit du demandeur, se heurte à une norme de droit international ou interne tendant à protéger les intérêts de l'intéressé, ou transgresse les principes généraux de bonne administration (algemene beginselen van behoorlijk bestuur). L'article 3 :310 § 1 du code civil dispose que le délai de prescription d'une action pour faute est de cinq ans.
S'agissant de la compétence des tribunaux civils dans les affaires où un recours administratif est possible, il est en droit interne un principe établi selon lequel – compte tenu du caractère fermé du système des voies de recours judiciaires (gesloten system van rechtsmiddelen) – la juridiction civile s'abstient de contrôler la légalité d'une décision administrative, pour autant que le recours administratif offre des garanties suffisantes d'équité de la procédure. Au cours des dernières décennies, la Cour de cassation (Hoge Raad) des Pays-Bas a produit à ce sujet une jurisprudence abondante – approuvée par diverses autorités – indiquant que lorsqu'un recours administratif ne présente pas de garanties suffisantes d'équité les tribunaux civils ont la plénitude de juridiction pour contrôler la légalité d'une décision administrative. En revanche, une action civile doit être déclarée irrecevable lorsqu'il existe un autre recours spécifique offrant des garanties suffisantes d'équité (voir Cour de cassation, 12 décembre 1986, Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise – « NJ ») 1987, no 381 ; voir aussi Oerlemans c. Pays-Bas, arrêt du 27 novembre 1991, série A no 219, §§ 21-35 et §§ 5356).
Dans une affaire où elle statua le 3 décembre 1971, la Cour de cassation se pencha sur la question de savoir si une partie s'estimant lésée par une décision judiciaire qui lui était défavorable pouvait engager contre l'Etat une action civile pour faute en arguant que le juge n'avait pas statué avec tout le soin requis. La Cour de cassation conclut que cela n'était pas possible et indiqua qu'il appartenait exclusivement au corps législatif de déterminer dans quels cas un recours devait être prévu. Il était incompatible avec ce principe qu'une partie ayant succombé puisse par une action civile soumettre le bien-fondé d'une décision judiciaire (définitive) à une nouvelle procédure, et obtenir ainsi le réexamen de sa cause suivant des modalités autres que celles prévues par la loi. La juridiction suprême ajouta que c'était uniquement si la procédure ayant abouti à une décision judiciaire avait porté atteinte à des principes juridiques tellement fondamentaux (fundamentele rechtsbeginselen) que l'affaire ne puisse plus passer pour avoir été tranchée de façon équitable et impartiale, et si la possibilité d'un recours n'existait pas et n'avait jamais existé, que l'Etat pourrait voir engager sa responsabilité – dans une action civile pour faute – à raison des effets d'une telle décision (NJ 1972, no 137 ; voir aussi Cour de cassation, 29 avril 1994, NJ 1995, no 727 ; cour d'appel de La Haye, 16 juillet 1998 et 12 novembre 1998, NJ 1999, nos 256 et 127 ; et cour d'appel de La Haye, 7 avril 2000 et 18 mai 2000, Jurisprudentie Bestuursrecht (Recueil de jurisprudence administrative) 2000, nos 147 et 142).
La Cour de cassation statua le 3 avril 1987 au sujet d'une action civile engagée contre l'Etat néerlandais par une association de détenus protestant contre un régime de détention très strict appliqué dans une unité de la prison de La Haye. Elle considéra que, puisque chaque détenu disposait d'un recours spécifique lui permettant de s'opposer à son transfert à l'unité en question (à savoir le recours individuel prévu aux articles 51 et suivants de la loi de 1953 sur les prisons (Beginselenwet Gevangeniswezen) telle qu'en vigueur à l'époque), et puisqu'il n'était pas contesté que ce recours offrait des garanties de procédure suffisantes, la cause de la demanderesse avait à juste titre été déclarée irrecevable. Selon la juridiction suprême, l'association avait agi uniquement « dans le cadre de la défense des intérêts de ses membres », lesquels intérêts étaient déjà protégés par le recours individuel en vertu des articles 51 et suivants de la loi de 1953 (NJ 1987, no 744).
Dans un arrêt rendu le 1er février 1991 (NJ 1991, no 413), dans le cadre d'une procédure civile contre l'Etat néerlandais engagée par le coaccusé d'une personne ayant obtenu gain de cause devant la Cour européenne des Droits de l'Homme (Kostovski c. Pays-Bas, arrêt du 20 novembre 1989, série A no 166), la Cour de cassation déclara :
« Il est inscrit dans l'ordre juridique [néerlandais] qu'une condamnation qui a été prononcée par une juridiction pénale et qui n'est plus susceptible d'appel est censée être – et doit être – exécutée. Par ailleurs, il est incompatible avec le caractère fermé du système des voies de recours judiciaire en matière pénale qu'une personne condamnée ait la possibilité, par le biais d'une action [en réparation pour faute] contre l'Etat, d'engager une nouvelle procédure judiciaire pour attaquer la décision de la juridiction pénale ou la recevabilité de la procédure [pénale] ayant abouti à cette décision, et de faire réexaminer [l'objet de la cause] par les juridictions civiles.
Compte tenu des obligations découlant des articles 1, 5 et 13 [de la Convention] de garantir les droits énoncés à l'article 6 [de la Convention] et d'offrir un recours effectif en cas de violation de ces droits, il convient toutefois de déroger aux principes susmentionnés lorsqu'un arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme, que le juge pénal n'a pu prendre en considération dans sa décision, conduit à conclure que ladite décision est intervenue de telle manière que l'on ne puisse plus affirmer qu'il y a eu une procédure équitable au sens de l'article 6 § 1.
Face à une situation exceptionnelle de ce type, on ne peut plus considérer que l'ordre juridique autorise l'exécution immédiate de la décision : la personne condamnée peut alors engager [au civil] une procédure en référé et demander – en fonction des circonstances – que l'exécution soit interdite, suspendue ou restreinte. Vu la nature de la procédure en référé et la circonspection qui s'impose au juge lorsqu'il se penche dans ce contexte sur la façon dont une décision irrévocable a été prise au pénal, pareille demande ne peut être accueillie que lorsqu'il est constaté, audelà de tout doute raisonnable, que l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme commande en effet la conclusion susmentionnée. »
Dans cette affaire, la Cour de cassation a approuvé la conclusion de la cour d'appel, qui était défavorable au demandeur, au motif que, lorsque la décision litigieuse avait été rendue (le 22 décembre 1988) la Cour européenne des Droits de l'Homme n'avait pas encore rendu son arrêt dans l'affaire Kostovski.
Les actions civiles engagées par des personnes détenues à l'EBI
Un certain nombre de personnes détenues à l'EBI ont par le passé tenté d'engager au civil des procédures en référé en vue d'obtenir un assouplissement du régime EBI ou de certains de ses aspects (pour de plus amples informations, voir Lorsé et autres, précitée, §§ 40-42).
La révision des condamnations pénales définitives
Le 1er janvier 2003 est entré en vigueur un amendement à l'article 457 du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering – « CCP »), concernant les moyens qui permettent d'obtenir la révision (herziening) de jugements définitifs. Aux motifs pour lesquels la révision d'une condamnation définitive peut être demandée, cet amendement a ajouté l'existence d'un arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme déclarant que la procédure pénale ayant abouti à la condamnation a emporté violation de la Convention. Le passage pertinent du texte modifié de l'article 457 CPP dispose :
« 1. Un recours en révision d'une décision définitive (eindbeslissing) qui comporte une condamnation et est passée en force de chose jugée peut être formé :
(...)
3o sur le fondement d'un arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme constatant que [la Convention ou l'un de ses protocoles] ont été violés dans la procédure ayant débouché sur la condamnation (...), si la révision est nécessaire pour garantir la réparation au sens de l'article 41 de [la Convention]. »
Le recours en révision peut être formé auprès de la Cour de cassation par le procureur général, la personne condamnée ou l'avocat de celle-ci, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la personne condamnée a eu connaissance de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme visé à l'article 457 § 1, alinéa 3 (article 458 CPP).
Lorsque la Cour de cassation accueille un recours fondé sur cette disposition, elle peut soit statuer elle-même sur les accusations après réouverture de la procédure pénale, soit ordonner la suspension de l'exécution du jugement initial et renvoyer l'affaire pour un nouvel examen à une cour d'appel distincte de celle ayant rendu la décision initiale (article 567 § 2 CPP).
Procédures internes engagées par des requérants après des procédures fondées sur la Convention dans lesquelles la Cour avait constaté la violation de la Convention et avait examiné et tranché des demandes de satisfaction équitable au titre de l'article 41
Dans son arrêt Van Mechelen et autres c. Pays-Bas (Recueil des arrêts et décisions 1997-III) du 23 avril 1997, la Cour européenne des Droits de l'Homme conclut à la violation de la Convention, au motif que la procédure pénale contre les quatre requérants n'avait pas été conforme aux exigences de l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. Elle alloua à chacun d'eux un montant pour frais et dépens et ajourna l'examen des prétentions relatives au préjudice moral, considérant que cette partie de la demande des requérants au titre de la satisfaction équitable ne se trouvait pas en état.
Le 23 avril 1997, les intéressés déposèrent une demande de mise en liberté immédiate, en menaçant, s'ils n'obtenaient gain de cause, d'intenter une action en référé contre l'Etat. Le 25 avril 1997, le ministre de la Justice leur accorda une mise en liberté temporaire (strafonderbreking) ; ils furent libérés le jour même.
La Cour statua sur les demandes des intéressés au titre du dommage moral par un arrêt du 30 octobre 1997 (Van Mechelen et autres c. Pays-Bas (article 50), Recueil 1997-VII), dans lequel elle releva que le droit interne ne prévoyait pas la possibilité pour les requérants d'obtenir un nouveau procès. Les intéressés ayant réclamé 250 florins néerlandais (NLG) par jour de détention, les sommes totales demandées allaient de 746 000 NLG à 752 500 NLG. Après avoir examiné les commentaires du gouvernement défendeur sur ces prétentions, la Cour alloua pour dommage moral 30 000 NLG (13 613,41 euros (EUR)) à l'un des requérants et 25 000 NLG (11 344,51 EUR) à chacun des trois autres ; elle rejeta la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Le 19 février 1999, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, exerçant ses pouvoirs de contrôle en vertu de la Convention sur l'exécution des arrêts de la Cour du 23 avril 1997 et du 30 octobre 1997, adopta une résolution finale (Rés DH(99)124) relative à cette affaire. Ayant pris acte des mesures adoptées par les Pays-Bas à la lumière des arrêts de la Cour, le Comité des Ministres concluait que cet Etat avait exécuté les deux arrêts en question de façon conforme à ses obligations au regard de la Convention.
Le 29 avril 1999, trois des quatre requérants engagèrent devant le tribunal d'arrondissement de La Haye une action civile pour faute contre l'Etat néerlandais. Ils souhaitaient obtenir une décision déclaratoire reconnaissant que l'Etat était responsable du préjudice matériel et moral qui était résulté d'une mauvaise administration de la justice, laquelle avait violé leurs droits au regard de l'article 6 §§ 1 et 3 d). Ils demandaient à être indemnisés à hauteur de 250 NLG par jour de détention, moins le montant alloué par la Cour à titre de réparation. Ils se fondaient sur l'argument suivant lequel, compte tenu des conclusions de la Cour dans l'arrêt du 23 avril 1997, il était établi que dans les poursuites dont ils avaient fait l'objet au niveau interne le juge avait transgressé des principes juridiques fondamentaux, et que le jugement consécutif et leur détention avaient été entachés d'illégalité.
Dans son arrêt du 5 juillet 2003, sur recours formé par l'Etat néerlandais, la cour d'appel de La Haye infirma le jugement litigieux rendu le 17 janvier 2001 par le tribunal d'arrondissement. Au titre du dommage moral, pour le temps passé en détention (avant et après condamnation), elle alloua au premier demandeur 190 240 EUR, moins les 13 613,41 EUR déjà octroyés par la Cour européenne. Au deuxième demandeur, elle accorda 127 120 EUR, moins les 11 344,51 EUR alloués par la Cour européenne, et au troisième 127 140 EUR, moins les 11 344,51 EUR alloués par la Cour européenne. La cour d'appel déclara notamment :
« La conclusion de la Cour européenne des Droits de l'Homme selon laquelle une réparation intégrale (volledige genoegdoening) au moyen d'un « nouveau procès » aux Pays-Bas n'est pas possible signifie que ladite Cour peut allouer une indemnité sur le fondement de l'équité (vergoeding naar billijkheid), et non que la juridiction interne ne peut plus accorder d'indemnisation intégrale du dommage (volledige schadevergoeding) dans le cadre d'une procédure civile postérieure. L'argument de l'Etat selon lequel [les trois demandeurs] ont sollicité la réparation du dommage pour la première fois devant la Cour européenne et non auparavant devant le tribunal interne, et selon lequel la Cour européenne aurait tenu compte dans son arrêt de demandes de dédommagement (schadeposten) identiques à celles en jeu dans la présente procédure, ne tient pas car aucune règle n'interdit de soumettre au juge néerlandais une demande tendant à l'obtention d'une réparation, réparation dont une partie – à savoir une somme allouée en équité – a déjà été accordée lors d'une procédure distincte devant la Cour européenne. »
Dans son arrêt du 18 mars 2005, sur pourvoi en cassation formé par l'Etat néerlandais contre l'arrêt de la cour d'appel du 5 juillet 2003, la Cour de cassation conclut que l'Etat avait eu raison de ne pas contester cette partie du raisonnement contenu dans le jugement litigieux.
Le 4 février 2003, la Cour rendit son arrêt dans l'affaire Lorsé et autres (précitée). Elle y concluait à la violation de l'article 3 de la Convention dans le chef du requérant, M. Lorsé, au motif que, durant son séjour de plus de six ans à l'EBI, ce dernier – qui faisait déjà l'objet de nombreuses mesures de contrôle – avait été soumis à la fouille à corps hebdomadaire de routine sans qu'il y eût à cela de raisons de sécurité convaincantes. La Cour ne constata aucune violation s'agissant des autres griefs formulés par M. Lorsé et les autres requérants (son épouse et ses enfants) au regard des articles 3, 8 et 13 de la Convention. Pour le dommage, les intéressés avaient prié la Cour de leur allouer un montant symbolique de 1 000 NLG (453,78 EUR), en indiquant toutefois qu'aucune somme ne pouvait compenser le préjudice qui leur avait été causé. Considérant que M. Lorsé avait subi un dommage psychologique à raison du traitement jugé contraire à l'article 3, la Cour lui accorda 453,78 EUR en réparation de ce préjudice, soit l'intégralité du montant réclamé à ce titre.
Le 6 février 2003, M. Lorsé engagea contre l'Etat néerlandais une action en référé devant le juge des mesures provisoires près la chambre civile du tribunal d'arrondissement de La Haye, ce afin que l'Etat se vît adresser l'injonction de cesser immédiatement l'exécution de la peine de quinze ans d'emprisonnement infligée à l'intéressé, de le libérer sur-le-champ et de ne pas chercher à recouvrer l'amende de 1 million de NLG (453 780,22 EUR) à laquelle il avait aussi été condamné.
Le 12 février 2003, le juge des mesures provisoires statua sur l'action du requérant. Les passages pertinents de sa décision se lisent ainsi :
« 3.1. Cette demande revêt pour l'intéressé un caractère urgent. Le juge civil – en l'occurrence le juge des mesures provisoires, dans le cadre d'une procédure en référé – est compétent pour connaître [de l'affaire], car le demandeur affirme que l'Etat a agi à son égard de manière illégale, notamment en le maintenant en détention.
2. Quant au fond, force est de constater que l'Etat a violé les droits du demandeur en vertu de l'article 3 (...)
3. En vertu de l'article 41 [de la Convention], le demandeur a droit à réparation (rechtsherstel) pour cette irréparable violation de la Convention. Il peut si nécessaire faire valoir ce droit devant les tribunaux. L'Etat sera réputé avoir agi de manière illégale à son encontre si aucune forme convenable de réparation n'est fournie.
4. Les parties répondent différemment aux questions de savoir si les mesures réclamées par le demandeur (...) constituent une forme de réparation compatible avec notre ordre juridique et si, dans l'affirmative, ces mesures sont convenables et appropriées en l'espèce.
5. [Le juge des mesures provisoires rejette] l'argument de l'Etat selon lequel le système fermé des voies de recours judiciaires en matière pénale et l'obligation correspondante pour l'Etat d'exécuter les jugements des juridictions pénales militent contre cette forme de réparation. Dans le cadre de ce système, rien n'a été prévu à ce jour pour [fournir une réponse convenable à] une violation semblable à celle ici en cause. Il n'y a pas de précédent similaire, et l'apparition possible de telles affaires n'est apparemment pas prise en compte dans la législation ou la jurisprudence. En principe, la libération anticipée ou le non-recouvrement d'une amende infligée peuvent constituer une forme convenable de réparation d'une violation de l'article 3 comparable à celle dont il s'agit. Cette dérogation au système fermé des voies de recours judiciaires en matière pénale est à cet égard compatible avec l'approche suivie par la Cour de cassation dans son arrêt du 1er février 1991 (NJ 1991, 413).
6. L'Etat a évoqué la réparation pécuniaire allouée par la [Cour européenne des Droits de l'Homme] et la satisfaction équitable qui, dans le cas du requérant, réside dans le fait que son grief a été déclaré fondé [par la Cour européenne]. Toutefois, ces deux éléments ne constituent pas pour le demandeur une forme convenable, et encore moins suffisante, de réparation. En conséquence, ils n'empêchent pas d'accueillir les demandes de l'intéressé. Celui-ci peut prier la juridiction interne d'ordonner l'adoption de mesures complémentaires.
7. En réponse à une question, l'Etat a déclaré que l'on pouvait à cet égard envisager de faire purger au demandeur le reliquat de sa peine d'emprisonnement suivant un régime moins sévère ou encore de lui octroyer une grâce selon la procédure en vigueur. (...) Là encore, ces options n'empêchent pas qu'il soit fait droit aux demandes. La première option ne constitue pas une réparation suffisante en l'espèce ; quant à la seconde, elle correspond à une [demande de] concession et non à la reconnaissance d'un droit, ce dont il est ici question.
8. Dans ces conditions, l'Etat devrait libérer le demandeur avant juin 2004 [moment à partir duquel celui-ci pourra prétendre à une libération anticipée] et renoncer à l'exécution intégrale de la peine. Compte tenu de la nature de la violation de la Convention – violation qui est un fait établi –, une forme de redressement (genoegdoening) ayant trait à la liberté de l'intéressé convient mieux et est en tout état de cause prioritaire par rapport au non-recouvrement de la partie de l'amende restant due.
9. Il n'existe aucune norme fixe permettant de « compenser » le reliquat de la peine d'emprisonnement du demandeur. La législation actuelle ne contient pas de références pertinentes à ce sujet. Cela signifie que le montant de la réparation doit être déterminé sur le fondement de l'équité (naar billijkheid). La gravité de la violation justifie que la peine soit écourtée d'une période correspondant à 10 % du nombre de jours pendant lesquels le demandeur a été soumis au régime EBI (...) Cela équivaut à une réduction de 230 jours (chiffre arrondi) (...)
10. Compte tenu de cette solution, il convient de rejeter la demande de l'intéressé. En effet, il n'y a pas pour ce dernier d'intérêt urgent à obtenir une mesure provisoire qui ne prendra effet qu'après environ neuf mois [c'est-à-dire lorsqu'il aura purgé sa peine allégée] (...) Il est présumé que l'Etat (le ministre de la Justice) exécutera la présente décision et remettra en liberté le demandeur à une date pouvant être fixée avec précision en vertu du critère ici établi. Si nécessaire, l'intéressé pourra à nouveau saisir, le moment venu, le juge des mesures provisoires.
11. Les deux parties peuvent passer pour avoir succombé. »
Les deux parties convinrent de saisir directement la Cour de cassation (sprongcassatie), laquelle rejeta les deux pourvois le 31 octobre 2003. Tout en estimant, comme l'Etat néerlandais, que le juge des mesures provisoires avait à tort considéré que l'article 41 de la Convention donnait à M. Lorsé un droit (autonome) à réparation pouvant le cas échéant être revendiqué devant le tribunal interne, la Cour de cassation conclut que cela ne pouvait conduire à la cassation de la décision, car selon la Convention l'Etat est tenu de fournir une réparation. Cependant, s'appuyant sur le raisonnement suivi par la Cour dans les affaires Papamichalopoulos et autres c. Grèce ((Article 50), arrêt du 31 octobre 1995, série A no 330B) et Scozzari et Giunta c. Italie ([GC], nos 39221/98 et 41963/98, CEDH 2000VIII), la Cour de cassation jugea que, si l'Etat était en principe libre de choisir le mode de réparation, cette liberté ne signifiait pas que la juridiction interne ne pouvait prendre de décision sur ce point mais simplement qu'une forme convenable de réparation devait être trouvée dans le cadre de l'ordre juridique national. L'Etat néerlandais ayant agi de manière illégale envers M. Lorsé dès lors que, comme la Cour l'avait constaté, il y avait eu violation des droits de l'intéressé au regard de l'article 3, M. Lorsé était en droit de demander réparation à l'Etat, lequel agirait illégalement s'il n'offrait pas un redressement approprié. La Cour de cassation admit que pareille réparation pouvait prendre une autre forme que celle d'une somme d'argent. Dans des affaires semblables à celle en question, où la violation constatée portait sur les modalités d'exécution d'une peine privative de liberté, la réparation pouvait se traduire par la cessation de l'exécution de la peine. La Cour de cassation estima que la décision du juge des mesures provisoires concernant la cessation de l'exécution de la peine de prison devait passer pour une forme appropriée de réparation en nature dans le cas de M. Lorsé. Concernant l'argument présenté par l'Etat, selon lequel le système fermé des voies de recours judiciaires et l'obligation correspondante pour l'Etat d'exécuter les jugements des juridictions pénales excluaient le type de redressement sollicité par M. Lorsé, la Cour de cassation admit qu'il y avait une différence entre une situation où la violation constatée a trait à la condamnation pénale nationale en soi ou à la procédure ayant abouti à cette condamnation [comme dans l'affaire Van Mechelen et autres] et une situation où la violation relevée est sans rapport avec pareille condamnation ou procédure [comme dans la cause de M. Lorsé], mais jugea que cette différence ne signifiait pas que le juge des mesures provisoires avait fondé le point 3.5 de la décision litigieuse sur une interprétation erronée du droit. Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, de la violation de l'article 3 constatée par la Cour et de l'absence de voie de recours légale spécifique permettant de déterminer la réparation à apporter à une telle violation, la Cour de cassation conclut que dans cette affaire on pouvait admettre une dérogation au système fermé des voies de recours judiciaires. Elle considéra par ailleurs que le juge des mesures provisoires avait suffisamment motivé sa décision quant à la réparation accordée à M. Lorsé.
Le 8 avril 2003, la Cour européenne des Droits de l'Homme rendit son arrêt dans l'affaire M.M. c. Pays-Bas (no 39339/98), dans laquelle le requérant se plaignait que ses conversations téléphoniques avec une certaine Mme S. eussent été enregistrées par celle-ci à l'aide d'un appareil fourni par la police, ce en vue de leur utilisation comme éléments à charge contre lui. La Cour constata qu'il y avait eu violation de l'article 8 de la Convention, au motif que l'enregistrement en question n'avait pas été effectué de façon « prévue par la loi ». Le requérant ayant renoncé à la possibilité de présenter une demande de réparation pour préjudice matériel ou moral et indiqué qu'il préférait soumettre pareille demande aux juridictions nationales, la Cour ne lui alloua pas de satisfaction équitable à ce titre. Pour autant que l'intéressé sollicitait le remboursement des frais et dépens exposés par lui dans le cadre de la procédure nationale, la Cour rejeta son argument selon lequel les poursuites contre lui étaient résultées entièrement de l'acte à l'origine de la violation constatée par la Cour ; elle estima que si la procédure en question avait eu lieu, c'est parce qu'il existait des raisons plausibles de soupçonner le requérant d'avoir commis des actes répréhensibles, et rappela qu'au stade de la recevabilité elle avait déjà rejeté les griefs de l'intéressé quant à l'utilisation des éléments recueillis au moyen de l'acte litigieux.
A une date non précisée, le requérant M.M. saisit la Cour de cassation. Se fondant sur les conclusions formulées par la Cour dans l'arrêt du 8 avril 2003, il demandait la révision du jugement interne définitif du 16 juin 1995, dans lequel la cour d'appel – sans prendre en compte comme éléments de preuve les enregistrements susmentionnés – l'avait déclaré coupable d'attentat à la pudeur envers Mme S. et une autre femme et lui avait infligé une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et une amende de 10 000 NLG (4 537,80 EUR), à remplacer par cent jours de détention en cas de non-paiement.
Le 27 septembre 2005, la Cour de cassation accueillit le recours en révision et, en vertu de l'article 467 § 2 CPP, statua elle-même dans cette affaire. Elle s'exprima ainsi :
« 4.4. (...) lorsque la Cour européenne des Droits de l'Homme constate la violation d'une disposition de la Convention, l'Etat a l'obligation d'offrir une réparation. Celleci peut être fournie en tout ou en partie dans le cadre de la procédure de révision, laquelle a été modifiée à cet effet.
5. La Cour européenne ayant dans cette affaire conclu à la violation de l'article 8, la Cour de cassation juge la révision nécessaire aux fins de la réparation. Dès lors, le recours est fondé. (...) Il vise pour l'essentiel à obtenir de la Cour de cassation qu'elle déclare irrecevables les poursuites et casse l'arrêt objet de la demande de révision.
6. La Cour de cassation ne saurait accueillir cette demande, car c'est seulement dans des cas exceptionnels que des poursuites peuvent être déclarées irrecevables, et la présente affaire ne saurait être considérée comme relevant de cette catégorie. A cet égard, le demandeur s'appuie à tort sur [l'arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 1995 ; NL 1996, no 249]. Dans cette affaire, la Cour de cassation a conclu que dans certaines circonstances une atteinte grave aux règles de bonne procédure peut conduire à déclarer irrecevables les poursuites si du fait de cette atteinte le droit du prévenu à une procédure équitable a été violé, de façon délibérée ou en raison d'une grave méconnaissance de ses intérêts. Etant donné que la Cour européenne – dans la décision sur la recevabilité [M.M. c. Pays-Bas (déc.), no 39339/98] du 21 mai 2002, qui a précédé l'arrêt du 8 avril 2003 – a déclaré le grief [du requérant] tiré de l'article 6 de la Convention irrecevable pour défaut manifeste de fondement, on ne saurait affirmer qu'il y a eu une atteinte grave aux règles de bonne procédure et qu'à cause de cela le droit de l'intéressé à une procédure équitable a été violé, de façon délibérée ou en raison d'une grave méconnaissance de ses intérêts.
7. Dès lors que, dans la procédure ayant abouti au jugement objet du recours en révision, il n'y a pas eu atteinte à l'article 6 et que le contenu des enregistrements n'a pas été utilisé comme élément de preuve, il n'y a pas de motif de renvoyer l'affaire à une autre cour d'appel en vertu de l'article 461 CPP aux fins d'une réparation, ainsi que le demande l'intéressé à titre subsidiaire.
8. Compte tenu de l'importance de la violation [de la Convention] et de la nature et de la gravité des irréparables lacunes de l'instruction préliminaire – selon le constat de la Cour européenne –, la Cour de cassation, après avoir accueilli le recours [en révision], statuera elle-même, conformément à l'article 467 § 2 CPP, et réduira selon les modalités qui suivent l'amende infligée par la cour d'appel.
(...) »
La Cour de cassation cassa l'arrêt de la cour d'appel en partie, à savoir uniquement pour ce qui est de l'amende et de la durée de la période de détention en cas de non-paiement. Elle ramena ainsi le montant de l'amende à 4 000 EUR (soit une réduction de 10 %) et la durée de la détention subsidiaire à 90 jours.
III. LES CONSTATATIONS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES ET TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS
L'arrêt Van der Ven (précité, §§ 32-35) du 4 février 2003 présente les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) concernant l'EBI, telles qu'exposées dans le rapport sur la visite effectuée aux PaysBas du 17 au 27 novembre 1997, ainsi que les réponses du gouvernement néerlandais.
Le CPT s'est à nouveau rendu aux Pays-Bas du 17 au 26 février 2002 et a fait à cette occasion une visite de suivi à l'EBI. Ses conclusions étaient les suivantes (Rapport aux autorités du Royaume des Pays-Bas relatif à la visite effectuée au Royaume en Europe et aux Antilles néerlandaises par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) en février 2002 – CPT/Inf (2002) 30, extraits) :
[Traduction du greffe de la Cour européenne des Droits de l'Homme]
« 33. Lors de la visite de février 2002, l'Etablissement de sécurité maximale (EBI), au nouveau complexe pénitentiaire de Vosseveld, était en cours de rénovation, et les détenus qui y avaient été placés étaient alors hébergés dans le bâtiment de l'Etablissement temporaire de sécurité maximale ((T)/EBI), situé à proximité (voir CPT/Inf (98) 15, paragraphe 58).
La délégation du CPT a visité brièvement les locaux en cours de rénovation, examiné le régime actuellement en vigueur et étudié les procédures suivies pour le placement et la prorogation du placement à l'EBI. Durant la visite, elle s'est entretenue avec l'ensemble des 14 détenus, la direction et le personnel de l'établissement, ainsi que des représentants du Comité de sélection de l'EBI.
(...)
c. Le régime
Après sa première visite à l'EBI, le CPT avait fait part de sa vive préoccupation concernant le régime appliqué au sein de l'établissement. Il en avait recommandé la révision, surtout au niveau de certaines caractéristiques : le système des groupes (à défaut de le supprimer, il convenait au moins de l'assouplir et d'offrir aux détenus plus de temps hors cellule et un plus large éventail d'activités) ; les règles en matière de fouille (à revoir, de sorte qu'elles soient strictement nécessaires du point de vue de la sécurité) ; les modalités des visites (à revoir, l'objectif étant que les visites se déroulent dans des conditions plus « ouvertes ») (voir CPT/Inf (98) 15, paragraphes 61 à 70).
Cependant, dans leur réponse (datée du 1er mars 1999) au rapport de visite du CPT, les autorités néerlandaises ont défendu point par point les différents aspects du régime en vigueur à l'EBI (voir CPT/Inf (99) 5, paragraphe 29).
Lors de la visite de février 2002, le directeur du nouveau complexe pénitentiaire de Vosseveld et le directeur par intérim de l'EBI ont informé la délégation du CPT qu'un petit nombre de modifications avaient été apportées au régime et à sa mise en œuvre. Par exemple, des mesures étaient prises pour développer la communication entre le personnel et les détenus, grâce à un programme de formation intitulé « Sécurité à la porte » et à l'adaptation des cours de la prison. En outre, depuis que l'on avait quelque peu élargi l'éventail des activités proposées, les détenus pouvaient faire de la musique dans leur cellule. Une autre évolution positive à relever tenait au fait que le régime spécial « avec menottes » (voir CPT/Inf (98) 15, paragraphe 8) n'avait été appliqué à aucun détenu depuis 1999.
Cependant, malgré ces progrès encourageants, le régime en vigueur dans l'unité était pour l'essentiel le même qu'en 1997, et la direction de l'établissement a reconnu que « la plupart des règles étaient demeurées inchangées ». Si officiellement il était possible de consacrer beaucoup de temps à des activités (50 heures ou plus par semaine), en pratique le temps passé hors cellule par la plupart des détenus ne semblait pas avoir augmenté (en moyenne, de 2 à 4 heures par jour). Comme auparavant, le seul travail proposé – effectué individuellement, en cellule – consistait à enfiler sur de courtes tringles des crochets à rideaux en plastique. En outre, des fouilles à corps (avec inspection anale) continuaient à être effectuées au moins une fois par semaine13 sur chaque détenu, et cette pratique était invariablement perçue comme humiliante. De plus, les conditions dans lesquelles se déroulaient les visites et les rencontres avec le personnel non affecté à la surveillance étaient encore très restrictives. Les paroles des détenus devant la délégation (par exemple : « perte d'optimisme », difficulté à « se projeter dans l'avenir », « commencer à haïr les gens du fond du cœur », avoir besoin de « se déconnecter ») faisaient souvent écho à celles qui avaient été formulées en novembre 1997.
En résumé, les personnes détenues à l'EBI continuaient à être soumises à un régime carcéral très pauvre.
Dans un environnement qui est potentiellement dangereux pour la santé mentale des détenus, il est primordial d'offrir un programme varié d'activités stimulantes et appropriées (éducation, sport, travail à valeur professionnelle, etc.). Le CPT invite les autorités néerlandaises à poursuivre leurs efforts en vue d'augmenter le temps passé hors cellule, d'autoriser plus de contacts humains, d'élargir l'éventail des activités (professionnelles et éducatives) et d'alléger les mesures de fouilles appliquées aux détenus de l'EBI. Par ailleurs, il faudrait favoriser des contacts moins limités avec l'ensemble du personnel.
A la suite d'une recommandation faite par le CPT dans le rapport relatif à sa précédente visite périodique (voir CPT/Inf (98) 15, paragraphe 70), les autorités néerlandaises avaient chargé l'université de Nimègue d'effectuer une étude indépendante sur la santé psychologique des détenus (actuels et anciens) de l'EBI. Une étude préliminaire achevée le 17 avril 2000 a conclu qu'« une étude empirique relative aux effets potentiels du régime de sécurité maximale sur la santé mentale des détenus [était] faisable ». Les autorités néerlandaises ont indiqué que cette étude avait débuté et qu'elle serait achevée pour l'été 2003. Le CPT espère vivement en recevoir les résultats, le moment venu.
On relèvera une observation livrée dans l'étude préliminaire, selon laquelle l'absence d'influence des détenus sur la sévérité du régime qui leur est appliqué constitue une « contradiction dans la politique » de l'EBI. Le CPT souhaite connaître l'avis des autorités néerlandaises sur cette affirmation. »
_______________
[note de bas de page] 13. Chaque détenu a été soumis à une fouille à corps avant et après son entretien avec les membres de la délégation du CPT.
Le gouvernement néerlandais a répondu comme suit à ces conclusions (CPT/Inf (2003) 39, extraits) :
« L'« Etablissement de sécurité maximale », au sein du nouveau complexe pénitentiaire de Vosseveld :
Recommandations
(...)
– Le CPT invite les autorités néerlandaises à poursuivre leurs efforts en vue d'augmenter le temps passé hors cellule, d'autoriser plus de contacts humains, d'élargir l'éventail des activités (professionnelles et éducatives) et d'alléger les mesures de fouilles appliquées aux détenus de l'EBI. Par ailleurs, il faudrait favoriser des contacts moins limités avec l'ensemble du personnel. (paragraphe 39)
Réponse : Au total, les personnes détenues à l'EBI consacrent environ 52 heures par semaine à des activités hors cellule, lesquelles sont tout aussi variées que dans d'autres prisons. Il s'agit d'exercice physique, de visites, de sport, de travail et d'activités éducatives et récréatives. Tous les détenus ne participent pas à toutes les activités ; ce qu'ils font dépend en partie de leurs intérêts et de leurs aptitudes. Le travail proposé à l'EBI est certes élémentaire, mais il est difficile de fournir du travail plus varié tout en satisfaisant aux exigences en matière de sécurité. En principe, le travail au sein de l'EBI est pratiqué en commun. Le Gouvernement conteste l'affirmation selon laquelle les détenus ne consacrent, en moyenne, pas plus de deux à quatre heures par jour à des activités. En fait, les activités hors cellule les occupent en moyenne quatre à cinq heures par jour.
Le Gouvernement admet que les prisonniers et le personnel devraient avoir plus de contacts. Des corridors grillagés destinés au personnel ont été aménagés dans les cours de la prison. Ils augmentent les possibilités de contacts informels et d'interaction entre les détenus et le personnel.
Le nombre de fouilles a considérablement diminué depuis l'ouverture de l'EBI. Outre une fouille hebdomadaire à l'occasion des inspections de cellule, des fouilles sont effectuées lorsqu'un détenu s'est rendu à un endroit où il y a des objets potentiellement dangereux, comme par exemple chez le coiffeur, le médecin ou le dentiste, et lorsqu'il a eu des contacts avec le monde extérieur, notamment en recevant des visites. Les fouilles demeurent nécessaires du point de vue de la sécurité. Le Gouvernement fait observer qu'elles sont aussi pratiquées dans les prisons ordinaires.
Le 4 février 2003, dans deux affaires distinctes contre les Pays-Bas, la Cour européenne des Droits de l'Homme a conclu que : « la combinaison des fouilles à corps routinières et des autres mesures de sécurité draconiennes en vigueur au sein de l'EBI s'analyse en un traitement inhumain ou dégradant contraire à l'article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition. » (Van der Ven c. Pays-Bas, requête no 50901/99, CEDH, 4 février 2002, § 63 ; Lorsé et autres c. PaysBas, requête no 52750/99, CEDH, 4 février 2002, § 74). Ces arrêts et d'autres considérations ont poussé le Gouvernement à interrompre durablement les fouilles à corps hebdomadaires de routine qui étaient effectuées à l'EBI. Le règlement de l'EBI va être modifié.
(...)
Demandes d'informations
– Résultats de l'« étude empirique relative aux effets potentiels du régime de sécurité maximale sur la santé mentale des détenus », réalisée par l'université de Nimègue. (paragraphe 39)
Réponse : Comme cela a été indiqué, cette étude devrait être achevée d'ici l'automne 2003. Le Gouvernement en adressera les conclusions au CPT dès qu'elles seront disponibles.
– Le CPT souhaite connaître l'avis des autorités néerlandaises sur l'affirmation, formulée dans l'étude préliminaire, selon laquelle l'absence d'influence des détenus sur la sévérité du régime qui leur est appliqué constitue une « contradiction dans la politique » de l'EBI. (paragraphe 39)
Réponse : Le Gouvernement comprend l'observation présentée dans l'étude préliminaire au sujet de l'absence d'influence des détenus sur le régime. Cependant, les possibilités d'exercer une influence sont forcément plus limitées à l'EBI que dans d'autres prisons, compte tenu de la nature du système. La structure en question est destinée exclusivement aux prisonniers qui sont fortement susceptibles de s'évader ou qui représentent une menace grave pour la société. Le placement à l'EBI repose essentiellement sur des considérations de sûreté et de sécurité. L'EBI se distingue en cela des autres prisons. L'importance accordée à la sûreté et à la sécurité signifie que le placement à l'EBI ne dépend pas du comportement d'un prisonnier mais du risque que celui-ci représente. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1944 et réside à Prague.
En 1993, une fille M.M. est née du mariage du requérant avec H.M.
En décembre 1999, l’épouse du requérant, atteinte d’une maladie musculaire ayant entraîné son invalidité, quitta le domicile conjugal en emmenant M.M. avec elle. Elle se réfugia dans un foyer pour femmes, alléguant avoir été victime de violences conjugales dont sa fille aurait été témoin, ce que corroborent des certificats médicaux fournis par le Gouvernement, la déclaration de la directrice dudit foyer et la déposition faite par la mineure à la police le 25 janvier 2000. Le requérant le conteste, affirmant n’avoir jamais été inculpé d’avoir attaqué sa femme.
Le 16 décembre 1999, le requérant intenta auprès du tribunal d’arrondissement (Obvodní soud) de Prague 4 une procédure relative à l’exercice de l’autorité parentale avant et après le divorce. A cette occasion, les deux parents demandèrent de se voir provisoirement attribuer la garde de M.M. Par la suite, le requérant se désista de sa demande, étant parvenu à un accord avec son épouse au sujet de ses contacts avec l’enfant. Ceux-ci se réalisèrent entre les 5 janvier et 28 février 2000, date à laquelle ils cessèrent en raison de l’opposition de H.M.
Le 12 avril 2000, le tribunal adopta une mesure provisoire par laquelle il attribua la garde de la mineure à la mère et enjoignit au requérant de payer une pension alimentaire. Le 13 juin 2000, cette mesure fut annulée par le tribunal municipal (Městský soud) de Prague pour vices de procédure.
Le 25 avril 2000, le tribunal d’arrondissement débouta le requérant de ses demandes de mesures provisoires concernant les voyages de la mineure à l’étranger et les ingérences de H.M. dans l’éducation de celle-ci.
Dans ses observations, le Gouvernement note que, le 28 avril 2000, le requérant sollicita l’adoption d’une mesure provisoire sur son droit de visite, mais ne mentionne pas l’issue de cette demande. Le requérant ne s’y prononça pas dans ses commentaires.
Dans son rapport du 15 mai 2000, le tuteur de l’enfant informa le tribunal que la mineure avait déclaré vouloir vivre avec sa mère et ne plus voir son père car il aurait endommagé la chambre de son demi-frère et battu H.M. ; il recommanda l’élaboration d’une expertise en pédopsychologie. Il ressort par ailleurs des lettres de la directrice de l’école fréquentée par M.M. que le requérant, parfois muni d’une caméra, attendait celle-ci devant l’école et provoquait des incidents qui la perturbaient.
Le 13 août 2000, le requérant émit une objection de partialité. Le 31 octobre 2000, la juge concernée fut récusée sur sa propre demande.
A l’issue de l’audience du 29 août 2000, pour laquelle le requérant s’était excusé, le tribunal accueillit la demande de H.M. datée du 25 août 2000 et adopta une mesure provisoire lui attribuant la garde ; l’intéressé fut obligé de payer une pension alimentaire. Sur appel du requérant interjeté le 18 décembre 2000, ladite mesure fut annulée le 18 janvier 2001.
Le 5 janvier 2001, la vice-présidente du tribunal municipal admit que la procédure avait accusé des retards.
Le 13 mars 2001, H.M. sollicita de nouveau l’adoption d’une mesure provisoire lui confiant la garde. Le 19 mars 2001, le tribunal accéda à sa demande, relevant dans un rapport médical que le divorce des parents et notamment le comportement du père provoquaient chez la mineure un traumatisme psychique atteignant le niveau d’une névrose phobique. Le 24 août 2001, le tribunal municipal confirma cette décision, relevant qu’une réglementation provisoire était nécessaire car il n’avait pas encore été établi lequel des parents avait les meilleures capacités éducatives. Il annula également une autre mesure provisoire d’un contenu identique, adoptée le 22 mars 2001, et rejeta l’objection de partialité que le requérant avait émise, contre tout le tribunal d’arrondissement, lors de l’audience du 27 mars 2001.
A l’audience du 2 octobre 2001, ajournée au 8 novembre 2001, le requérant modifia sa demande initiale en sollicitant la garde alternée.
Le 16 octobre 2001, le tribunal rejeta la demande de mesure provisoire, dans laquelle le tuteur proposait d’interdire au requérant de s’approcher de la mineure et de la filmer ; il estima qu’une telle atteinte aux droits parentaux présumerait la décision finale. H.M. fit appel.
Le 19 octobre 2001, le tribunal débouta le requérant de sa demande de mesure provisoire portant sur son droit de visite. Le 25 octobre 2001, H.M. fut déboutée de sa demande d’interdire le contact entre l’intéressé et l’enfant. Les appels des parents furent rejetés le 13 décembre 2001.
Le 13 décembre 2001, le tribunal municipal réforma la décision du 16 octobre 2001, sans tenir d’audience, statuant que « le père doit s’abstenir de tout contact verbal et physique avec la mineure, se retenir de la filmer et de s’approcher d’elle à moins de 200 mètres ». Sur la base des preuves écrites versées au dossier, et notamment d’un rapport médical du 27 septembre 2001 selon lequel des « attaques quotidiennes » du père au cours du mois de septembre menaçaient gravement la santé de l’enfant, le tribunal estima qu’une telle réglementation provisoire était nécessaire pour prévenir la dégradation de l’état de santé de la mineure. Admettant que les droits parentaux du père étaient ainsi considérablement restreints, le tribunal jugea prioritaire la santé de la mineure.
Après une audience tenue le 29 janvier 2002, le tribunal désigna, le 6 février 2002, les experts chargés d’établir un rapport en pédopsychologie et pédopsychiatrie. Le 25 mars 2002, le requérant émit des objections contre ces experts. Le 25 mai 2002, le tribunal municipal décida de ne pas les récuser. Selon l’intéressé, le tribunal d’arrondissement mit plus d’un an à transmettre le dossier aux experts.
A la demande du requérant, l’audience du 4 mars 2002 fut reportée au 30 avril 2002 ; celle-ci fut ajournée au 13 juin 2002 en vue d’auditionner H.M.
Le 15 mars 2002, le tribunal débouta H.M. de sa demande de mesure provisoire concernant la pension alimentaire. A la suite de son appel, la décision fut annulée le 17 juillet 2002. La mesure provisoire du 9 août 2002 enjoignant au requérant une obligation alimentaire fut modifiée, le 15 janvier 2003, quant au montant de la pension.
Le 8 avril 2003, les experts demandèrent la prolongation du délai imparti pour l’élaboration de leur rapport, au motif que la notification à H.M. de sa convocation à l’examen avait été retardée du fait du changement d’adresse.
Dans leur rapport du 7 mai 2003, les experts se prononcèrent contre la garde alternée, susceptible de provoquer le stress chez la mineure.
Le 3 juillet 2003, le requérant demanda l’annulation de la mesure du 13 décembre 2001.
Le 11 juillet 2003, le tribunal fut informé que les rencontres entre le requérant et sa fille pourraient se dérouler dans un centre spécialisé.
Lors de leur audition à l’audience du 5 août 2003, les auteurs du rapport d’expertise déclarèrent que le requérant n’était pas en mesure de comprendre les intérêts et besoins de la mineure, ce qui était plutôt défavorable à leurs contacts. En revanche, lors de l’examen, l’enfant n’avait pas réagi négativement à la rencontre avec son père et le syndrome d’aliénation parentale n’avait pas été constaté chez lui. Un contact entre le requérant et sa fille fut dès lors préconisé, à condition que le rétablissement de leurs relations se fasse en coopération avec des experts et que leurs rencontres se déroulent dans un centre spécialisé.
Le 6 août 2003, le tribunal rejeta une demande de mesure provisoire relative au droit de visite de la mère du requérant (grand-mère de l’enfant).
A l’issue de l’audience tenue le 2 octobre 2003, le tribunal d’arrondissement adopta son jugement par lequel il attribua la garde de l’enfant à H.M. et ordonna au requérant de payer une pension alimentaire. Il détermina également les dates des rencontres entre ce dernier et sa fille, lesquelles devaient se dérouler jusqu’au 22 octobre 2004 dans un centre spécialisé, en présence d’un expert et – jusqu’au 27 avril 2004 – de la mère ; il décida aussi des dates des rencontres entre l’enfant et sa grand-mère. Le tribunal se fonda sur des dépositions des parents, de nombreuses preuves écrites, des rapports établis par des médecins, l’école fréquentée par la mineure et le tuteur, ainsi que sur le rapport d’expertise du 7 mai 2003. Il releva que l’éducation dispensée par H.M. était sans manquement, que la mineure préférait rester chez sa mère et que la garde alternée ne respecterait pas les intérêts de la mineure (notamment en raison des conflits entre ses parents). Quant au droit de visite, le tribunal nota d’abord que, par le passé, le requérant avait manifesté son intérêt de façon inappropriée, ce qui se répercutait sur la santé de la mineure et avait mené à la décision de supprimer leurs contacts. Il décida néanmoins de suivre la recommandation des experts concernant un rétablissement prudent de leurs relations dans un milieu neutre et invita les parents à s’abstenir de tout conflit.
Les 21 novembre et 1er décembre 2003, les parents interjetèrent appel. Le 13 février 2004, le dossier fut soumis au tribunal municipal.
Après avoir tenu deux audiences, les 29 mars et 7 avril 2004, et complété les preuves, le tribunal rendit son arrêt, adopté à cette dernière date, par lequel il confirma la décision sur la garde, apporta des précisions à la décision sur la pension alimentaire et modifia les modalités des rencontres de l’enfant avec sa grand-mère et son père. Sur ce dernier point, le tribunal décida qu’à compter du 1er octobre 2004, le requérant pouvait voir sa fille un samedi sur deux en dehors du centre et sans présence de tiers.
Le 1er juillet 2004, le tribunal accueillit la demande de mesure provisoire de la mère, tendant à la suppression des rencontres pendant l’été 2004, au motif que le médecin avait recommandé à la mineure un séjour en dehors de Prague. La mesure ne passa pas en force de chose jugée car le requérant fit appel, lequel ne fut rejeté (étant devenu sans objet) que le 10 février 2005. L’intéressé demanda par la suite l’exécution de la décision sur le droit de visite et le tuteur infligea à H.M. un avertissement pour les rencontres ayant échoué les 9 et 16 juillet 2004.
Le 7 juillet 2004, le requérant attaqua l’arrêt du 7 avril 2004 par un recours constitutionnel, dans lequel il invoquait, entre autres, les articles 6 § 1, 8 et 14 de la Convention et l’article 5 du Protocole no 7. A la suite de la sommation de la Cour constitutionnelle (Ústavní soud), le requérant se fit représenter par un avocat, lequel compléta son recours en date du 1er octobre 2004.
Le 12 octobre 2004, la Cour constitutionnelle rejeta ce recours pour tardiveté, relevant que le délai de soixante jours imparti pour son introduction avait expiré le 28 juin 2004.
Il ressort du rapport dressé le 24 septembre 2004 par la psychologue présente lors des rencontres du requérant avec sa fille que cette dernière s’efforçait de rétablir la communication avec son père, lequel se comportait cependant d’une manière inappropriée, égocentrique, voire vulgaire, et sans empathie ; après son départ, la mineure semblait soulagée. Selon la psychologue, il était donc absolument exclu que les rencontres commencent à se dérouler en dehors du centre, comme prévu par l’arrêt du 7 avril 2004.
Le 7 octobre 2004, le tuteur demanda au tribunal d’adopter une mesure provisoire ordonnant la poursuite des rencontres en présence des experts, et ce en raison de la réapparition de troubles psychosomatiques chez la mineure. Le requérant sollicita en revanche une garde alternée (intentant ainsi une nouvelle procédure sur le fond) et une attribution provisoire de la garde.
Le 13 octobre 2004, le tribunal rejeta la dernière demande de l’intéressé et décida par une mesure provisoire que les rencontres devaient se dérouler dans le centre jusqu’au 31 mars 2005, car l’enfant avait peur de son père. Le tribunal municipal confirma cette décision le 10 février 2005.
D’autres demandes de mesures provisoires formées par l’intéressé furent rejetées entre les 27 janvier et 16 mars 2005 ; celui-ci fit appel.
Il ressort du rapport du centre spécialisé daté du 16 mars 2005 qu’il n’y avait pas eu d’amélioration dans la communication entre la mineure et le requérant, que celui-ci était très critique à l’égard de l’enfant et n’allait pas à la rencontre de ses souhaits. C’est pourquoi le centre ne recommanda pas la poursuite de leurs rencontres. Le tuteur, s’appuyant sur un rapport du pédopsychiatre, se joignit à cette demande le 24 mars 2005.
Le 30 mars 2005, le tribunal d’arrondissement n’accéda pas auxdites demandes et adopta une mesure provisoire ordonnant que les intéressés continuent à se voir dans le centre. Il nota que la décision sur une éventuelle suppression de contacts allait être prise après une administration complexe des preuves. Le requérant fit appel.
La nouvelle procédure sur les droits de garde et de visite reste pendante. Un rapport d’expertise a été commandé le 22 avril 2005.
Le Gouvernement note en outre que le requérant fit l’objet de plusieurs poursuites pénales et qu’il fut condamné, le 9 avril 2003, pour le non-paiement de la pension alimentaire (qu’il ne paie que sporadiquement) et, les 17 octobre 2003 et 5 mai 2005, pour atteinte illégitime au domicile d’autrui (car il empêche H.M. et la mineure d’entrer dans l’appartement où, jadis, ils vivaient ensemble).
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
L’article 27 § 3 de la loi no 94/1963 sur la famille autorise le tribunal à restreindre ou interdire le contact entre le parent et l’enfant si l’intérêt de celui-ci l’exige. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1933 et réside à Amorosi (Bénévent).
Par un jugement déposé le 30 juin 1997, le tribunal de Bénévent prononça la faillite de sa société, un commerce de boissons, ainsi que sa faillite personnelle.
Le 15 octobre 1997, le syndic présenta un rapport.
Le 9 avril 1998, le juge délégué (« le juge ») vérifia l’état du passif de la faillite et, le 7 juin 1999, déclara celui-ci judiciairement constaté (esecutivo).
Les 1er, 5 et 9 juillet 1999 respectivement, les sociétés C.D.O., C.C.C. et F.C. formèrent une demande d’opposition à l’état du passif de la faillite.
A l’audience du 14 avril 2000, le juge ordonna la radiation du rôle, pour tardiveté, de l’action engagée par la société F.C.
Le 18 décembre 2000, le syndic demanda au comité des créanciers de s’exprimer sur la possibilité de vendre deux camions en très mauvais état qui figuraient à l’actif de la faillite.
Le 8 janvier 2001, le syndic pria le juge de déclarer les camions non vendables (illiquidabili), afin de pouvoir clore la procédure.
Le 5 février 2001, le syndic soumit le compte de gestion, que le juge approuva le 12 mars 2001.
Par une décision déposée au greffe le 20 mars 2001, le juge clôtura la procédure de faillite pour insuffisance de l’actif.
Cette décision fut affichée au tribunal le 23 mars 2001. Elle devint définitive le 7 avril 2001.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
La loi sur la faillite (décret royal no 267 du 16 mars 1942) dispose notamment :
Article 26
« Dans un délai de trois jours à compter de sa date d’adoption, la décision du juge délégué peut faire l’objet d’un recours (...) formé devant le tribunal par le syndic, le failli, le comité des créanciers ou toute autre personne intéressée.
Le tribunal statue en chambre du conseil, par une décision motivée.
Le recours ne suspend pas l’exécution de la décision attaquée. »
Article 36
« Les actes d’administration du syndic peuvent faire l’objet d’un recours formé devant le juge délégué par le failli ou toute autre personne intéressée ; le juge statue par une décision motivée.
Contre cette décision, il est possible de former dans le délai de trois jours un recours devant le tribunal. Celui-ci statue par une décision motivée, après avoir entendu le syndic et le demandeur. »
Article 42
« Le jugement déclaratif de faillite prive le failli de l’administration et de la disponibilité des biens existants à la date dudit jugement. (...) »
Article 48
« La correspondance adressée au failli doit être remise au syndic, qui a le droit de garder celle relative aux intérêts patrimoniaux. Le failli peut prendre connaissance de la correspondance. Le syndic doit garder le secret sur le contenu de la correspondance qui ne concerne pas les intérêts patrimoniaux. »
Article 49
« Le failli ne peut quitter son lieu de résidence sans autorisation du juge délégué et il doit se présenter audit juge, au syndic ou au comité des créanciers chaque fois qu’il est convoqué, sauf si en raison d’un empêchement légitime le juge l’autorise à comparaître par l’intermédiaire d’un représentant.
Le juge peut faire amener le failli par la police s’il ne répond pas à la convocation. »
Article 50
« Le greffe de chaque tribunal tient un registre public où sont consignés les noms des faillis. Le nom d’un failli est rayé du registre après jugement du tribunal. Le failli est soumis aux incapacités prévues par la loi tant que son nom n’a pas été rayé du registre. »
Article 119
« La clôture de la procédure de faillite est prononcée par une décision motivée du tribunal (...)
Cette décision peut être attaquée devant la cour d’appel dans les quinze jours suivant son affichage au tribunal (...) »
Article 143
« La réhabilitation peut être accordée au failli :
qui a payé intégralement les créances prises en compte dans la faillite, y compris les intérêts et les dépens ;
qui a régulièrement exécuté le concordat de faillite, si le tribunal le juge digne de bénéficier d’une telle mesure, compte tenu des causes et des circonstances de la faillite, des conditions du concordat ainsi que du pourcentage retenu. La réhabilitation ne peut pas être accordée dans les cas où le pourcentage fixé pour les créanciers chirographaires est inférieur à 25 % (...) ;
qui a fait preuve d’une bonne conduite effective et constante pendant au moins cinq ans à compter de la clôture de la faillite. »
L’article 2, paragraphe 1, lettre a), du décret du président de la République no 223 du 20 mars 1967, modifié par la loi no 15 du 16 janvier 1992, prévoit essentiellement la suspension de l’exercice des droits électoraux du failli pendant la durée de la procédure de faillite et, en tout état de cause, pendant une période non supérieure à cinq ans à partir de la déclaration de faillite.
Le décret législatif (decreto legislativo) no 5 du 9 janvier 2006, qui porte sur la réforme de la loi sur la faillite, contient notamment les dispositions suivantes :
« Article 45 – Remplacement de l’article 48 du décret royal no 267
du 16 mars 1942
L’article 48 du décret royal no 267 du 16 mars 1942 est remplacé par l’article qui suit :
« Article 48 (correspondance adressée au failli) : L’entrepreneur déclaré failli ainsi que les administrateurs ou les liquidateurs de sociétés ou établissements faisant l’objet d’une procédure de faillite sont tenus de remettre au syndic toute correspondance, notamment électronique, concernant les intérêts patrimoniaux [rapporti] faisant partie de la faillite. »
Article 46 – Remplacement de l’article 49 du décret royal no 267
du 16 mars 1942
L’article 49 du décret royal no 267 du 16 mars 1942 est remplacé par l’article qui suit :
« Article 49 (obligations du failli) : L’entrepreneur déclaré failli ainsi que les administrateurs ou les liquidateurs de sociétés ou établissements faisant l’objet d’une procédure de faillite sont tenus de signaler au syndic tout changement de résidence ou de domicile.
Si des informations ou éclaircissements s’avèrent nécessaires pour la gestion de la procédure, les individus susmentionnés doivent se présenter personnellement au juge délégué, au syndic ou au comité des créanciers.
En cas d’empêchement, le juge peut autoriser l’entrepreneur ou le représentant légal de la société ou de l’établissement objet de la procédure de faillite à comparaître par le biais d’un mandataire. »
Article 47 – Abrogation de l’article 50 du décret royal no 267
du 16 mars 1942
L’article 50 du décret royal no 267 du 16 mars 1942 est abrogé.
Article 152 – Normes abrogatives en matière de restrictions personnelles
imposées au failli
Les normes qui suivent sont abrogées :
a) article 2, paragraphe 1, lettre a) (...) du décret du président de la République no 223 du 20 mars 1967 ;
(...) »
Selon la doctrine, l’institution de la faillite trouve ses origines dans le bas moyen âge (XIIIe siècle), époque à laquelle le marchand (c’est-à-dire, au sens large, le commerçant, l’entrepreneur, le banquier) était au centre d’une nouvelle classe sociale. Dans ce contexte, où l’intérêt public coïncidait parfois avec celui de la classe marchande, la faillite était destinée à imposer au marchand insolvable des mesures vigoureuses. Ainsi, le failli faisait l’objet de sanctions pénales (telles que le bannissement, l’arrêt et, parfois, la torture ou la peine de mort) ou civiles comme l’inscription de son nom dans un registre, l’application de marques infamantes (par exemple le port d’un béret vert), la perte de nationalité et d’autres incapacités (A. Jorio, La crisi d’impresa, il fallimento, éd. Giuffré, 2000, p. 364 ; S. Bonfatti et P.F. Censoni, Manuale di diritto fallimentare, éd. Cedam, 2004, pp. 1-2 et 7273 ; L. Guglielmucci, Lezioni di diritto fallimentare, éd. G. Giappichelli Torino, 2004, p. 122). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
La requérante est née en 1974 et réside à Istanbul.
Le 7 octobre 1995, la requérante fut arrêtée et placée en garde à vue par des agents de la direction de la sûreté d'Edirne, section de la lutte contre le terrorisme.
Le 12 octobre 1995, elle fut placée en détention provisoire à la maison d'arrêt d'Edirne.
Le rapport médical établi le même jour par l'institut médico-légal d'Edirne mentionna une zone ecchymotique de 3 cm sur la face intérieure du coude gauche de la requérante. Une incapacité temporaire de travail d'un jour fut ordonnée.
Le 23 janvier 1996, la requérante présenta une requête devant la cour de sûreté de l'État d'Istanbul. Elle se plaignit d'avoir subi des mauvais traitements lors de sa garde à vue et fit état d'un rapport médical.
Le 11 mars 1997, la cour de sûreté de l'État condamna la requérante à trois ans et neuf mois d'emprisonnement pour aide et assistance à une organisation illégale, arrêt confirmé le 31 mai 1999 par la Cour de cassation.
Le 16 novembre 1998, la requérante déposa une plainte pour mauvais traitements auprès du procureur de la République d'Edirne à l'encontre des policiers en fonction le 30 octobre 1995 à la direction de la sûreté. Lors de sa garde à vue, elle aurait été suspendue par les bras, aurait subi des électrochocs et aurait été arrosée de jets d'eau froide après avoir été dévêtue. Conduite ensuite dans le bureau d'un commissaire du nom de Ahmet, elle aurait été victime d'attouchements. Elle demanda à être examinée en psychiatrie.
Le 27 novembre 1998, le procureur de la République interrogea la direction de la sûreté pour savoir si la requérante avait été placée en garde à vue le 30 octobre 1995. La direction de la sûreté répondit par la négative.
Le 16 décembre 1998, le procureur de la République demanda au parquet de Bağcılar (Istanbul) d'entendre la requérante sur ses allégations.
Entendue par la police le 9 avril 1999, la requérante réitéra ses allégations.
Le 30 avril 1999, le procureur de la République demanda à la direction de la sûreté de vérifier si la requérante avait été placée en garde à vue antérieurement au 30 octobre 1995, dans l'affirmative de produire la liste des agents en fonction à l'époque des faits et de rechercher s'il existait un commissaire du nom de Ahmet.
Le 7 mai 1999, la direction de la sûreté informa le procureur de la République que la requérante avait été placée en garde à vue du 7 au 12 octobre 1995 et produisit la liste des agents en service pendant cette période. Elle précisa qu'un commissaire du nom de Ahmet était en service pendant la même période et qu'il s'agissait de Ahmet Alkan.
Entre le 22 juin 1999 et le 3 janvier 2000, le procureur de la République recueillit les dépositions de douze policiers responsables de la garde à vue de la requérante, à l'exception du commissaire Ahmet Alkan. Les policiers rejetèrent les accusations portées à leur encontre.
Le 13 janvier 2000, le procureur de la République rendit une ordonnance de non-lieu. Il releva que la requérante avait été arrêtée le 8 octobre 1995 et mise en détention provisoire le 12 octobre 1995, et que la procédure pénale engagée à son encontre s'était terminée par sa condamnation. Il fit valoir que l'intéressée n'avait à aucun stade de cette procédure soulevé ses allégations de mauvais traitements. Eu égard à l'absence de preuve dans le dossier, il estima qu'il n'y avait pas lieu d'engager des poursuites à l'encontre des policiers incriminés.
Le 18 février 2000, le président de la cour d'assises de Kırklareli rejeta le recours formé contre l'ordonnance de non-lieu.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l'époque des faits sont décrits dans les arrêts Batı et autres c. Turquie (nos 33097/96 et 57834/00, 3 juin 2004) et Ayşe Tepe c. Turquie (no 29422/95, 22 juillet 2003). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Le requérant, Andrej Obrovnik, est un ressortissant slovène, né en 1974 et résidant à Velenje.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 17 avril 1997, le requérant, par l’intermédiaire de ses avocats, intenta une action en dommages-intérêts s’élevant à 751 912 tolars (SIT) contre une compagnie d’assurances devant le tribunal d’arrondissement (Okrožno sodišče) de Žalec et demanda au tribunal d’être exempté du paiement des frais de procédure.
Le 11 décembre 1997, le tribunal d’arrondissement de Žalec se déclara incompétent. L’affaire fut transférée au tribunal d’arrondissement à Ljubljana.
Les 25 mars, 4 juin et 9 novembre 1998, 24 mars et 28 septembre 1999, et 3 avril 2000, le requérant demanda au tribunal de tenir une audience.
Le 6 juillet 2000, le tribunal rejeta la demande du requérant tendant à être exempté des frais de procédure. Le 26 juillet 2000, le requérant interjeta appel devant le tribunal supérieur (Višje sodišče).
Le 23 mai 2001, le requérant demanda au tribunal de tenir une audience.
Le 8 août 2000, le tribunal d’arrondissement demanda au requérant de compléter son appel.
Le 5 septembre 2001, le tribunal supérieur rejeta l’appel. Le 6 novembre 2001, le requérant paya les frais de procédure.
Les 8 mars et 23 avril 2002, le requérant demanda au tribunal de tenir une audience.
Le 10 mai 2002, le requérant saisit le ministère de la Justice demandant un traitement accéléré de son affaire. Le 22 mai 2002, le ministère transmit la demande au tribunal d’arrondissement.
Le 12 septembre 2002, le tribunal tint une audience.
Le 17 décembre 2002, un expert médical fut nommé. Le 27 mars 2002, il prépara son opinion. Suite à la demande du requérant, le tribunal demanda à l’expert de compléter son rapport.
Le 15 septembre 2003, le requérant demanda au tribunal de tenir une audience.
Une audience fut fixée au 13 janvier 2004, mais fut ensuite ajournée.
L’affaire est toujours pendante. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
La requérante est née en 1976 et réside à Celje.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 23 avril 1994, la requérante fut blessée lors d’un accident de la route.
Le 22 avril 1997, la requérante, par l’intermédiaire de ses avocats, intenta une action en dommages-intérêts s’élevant à 519 206 tolars (SIT) contre une compagnie d’assurances devant le tribunal de district (Okrožno sodišče) de Celje et demanda à être exemptée du payement des frais de procédure.
Les 16 mars et 30 septembre 1998 ainsi que le 22 janvier 1999, la requérante demanda au tribunal de tenir une audience.
Le 14 mai 1999, le tribunal tint une audience.
Le 6 janvier 2000, la requérante demanda au tribunal de tenir une audience.
Les 30 mai et 19 septembre 2000, le tribunal tint des audiences. Il décida de nommer un expert en code de la route.
Le 20 novembre 2000, la requérante demanda au tribunal de nommer l’expert.
Le 23 novembre 2000, un expert en code de la route fut nommé.
Le 6 novembre 2001, l’expert soumit son avis.
Le 3 juin 2002, une audience fut tenue. Le tribunal décida de nommer un autre expert médical. Ce dernier soumit son avis le 31 mars 2003.
Au cours de la procédure, la requérante soumit plus de 10 mémoires.
Le 23 septembre 2003, après une audience, un jugement fut rendu, donnant partiellement gain de cause à la requérante. Ce jugement lui fut notifié le 15 octobre 2003.
Le 22 octobre 2003, la requérante interjeta appel.
Le 25 mai 2004, le tribunal supérieur rendit une décision.
Cette décision fut notifiée à la requérante le 24 juin 2004. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1944 et réside à Torez, Ukraine.
Par trois décisions du 16 juin 2000, la commission des contentieux du travail fit droit aux demandes du requérant et ordonna à son employeur, le combinat minier « Progrès » (une entreprise d’Etat) de lui payer la somme de 2 666,74 UAH (hryvnyas ukrainiennes) au titre des arriérés de salaires, la somme de 8 760,01 UAH au titre d’une allocation exceptionnelle, ainsi que la somme de 8 535,32 UAH à titre d’indemnités.
En 2001 et 2002, le requérant se vit verser la totalité de la somme accordée à titre d’allocation exceptionnelle.
Les deux autres décisions restant inexécutées, le requérant s’adressa au service local des huissiers de justice qui, par une lettre du 21 novembre 2003, l’informa qu’en mars 2003, le combinat minier « Progrès » et plusieurs autres entreprises d’Etat avaient fusionné en une seule entreprise « Torez - anthracite » et que l’exécution des décisions rendues à leur encontre avait été suspendue jusqu’à ce que le tribunal de Torez statua sur le transfert de leurs obligations à leur successeur – le « Torez - anthracite ».
Au 2 juin 2004, le requérant perçut la totalité des sommes dues en vertu de ces décisions. Le même jour, la procédure d’exécution fut clôturée.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le droit interne pertinent est décrit dans l’arrêt Romashov c. Ukraine (no 67534/01, du 27 juillet 2004, paragraphes 16-19). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1943 et réside à Ankara.
A. Le décès du fils du requérant
Arrêté le 11 avril 1996, le fils du requérant, Engin Huylu (ci-après « Engin »), fut inculpé le 21 mai 1996 pour appartenance à une organisation armée illégale.
Le 25 septembre 1996, le représentant d'Engin informa la cour de sûreté de l'État que son client avait été opéré à trois reprises.
Le 7 novembre 1996, le responsable du service de dermatologie de l'hôpital universitaire d'Ankara indiqua qu'Engin avait été opéré le 7 mars 1996 d'un kyste.
Le 27 mai 1997, la cour de sûreté de l'État condamna Engin pour appartenance à une organisation armée illégale à une peine d'emprisonnement de dix-neuf ans et deux mois ainsi qu'à une amende.
Le 16 mars 1998, la Cour de cassation cassa cet arrêt.
A partir de mars 1998, Engin commença à souffrir de violents maux de tête. Le médecin de la prison diagnostiqua une migraine.
Selon le requérant, Engin fut conduit à plusieurs reprises à l'hôpital public de Çankırı. Les gendarmes qui l'accompagnaient lui auraient fait subir des violences physiques et psychologiques et étaient présents lors des consultations, pendant lesquelles Engin aurait eu les mains menottées.
Le 4 août 1998, la cour de sûreté de l'État condamna Engin à une peine d'emprisonnement de dix-huit ans et vingt jours ainsi qu'à une amende.
Selon le requérant, à partir de fin 1998, Engin ne pouvait plus se nourrir, lire, effectuer des tâches manuelles, pratiquer un sport ou participer aux promenades réglementaires.
Le 26 janvier 1999, Engin fut transféré à l'hôpital de Çankırı puis renvoyé à la prison sans avoir pu consulter un médecin. Lors du transfert, les gendarmes qui l'accompagnaient lui auraient infligé des violences.
Le 27 janvier 1999, Engin fut à nouveau transféré au service neurologique de l'hôpital public de Çankırı, où on lui administra des médicaments contre la douleur. Sa demande de transfert à l'hôpital d'Ankara fut rejetée.
Selon le requérant, à partir de février 1999, Engin ne pouvait sortir de son lit qu'avec l'aide des autres détenus en raison de maux de tête aigus. Il ne pouvait pas se tenir debout, encore moins marcher tout seul. Il tremblait, n'avait pas d'appétit, vomissait et avait des pertes de connaissance.
Le 5 février 1999 à 23 heures, Engin fut transféré en urgence à l'hôpital public de Çankırı. Il était inconscient. Le médecin lui prescrivit des médicaments contre la douleur. Il fut reconduit à la prison vers une heure.
Le 6 février 1999 à 2 h 40, un médecin de l'hôpital public de Çankırı demanda le transfert d'Engin en urgence au service neurologique de l'hôpital public d'Ankara.
Le même jour, à 4 heures, Engin fut transféré à l'hôpital public d'Ankara, non pas dans une ambulance mais à bord d'un véhicule blindé utilisé pour le transfert des détenus.
Selon le rapport médical établi le 6 février 1999 par les médecins de l'hôpital d'Ankara, Engin décéda à 6 h 50. Le même jour, le parquet d'Ankara demanda une autopsie pour déterminer la cause du décès. Une analyse supplémentaire fut ordonnée.
Le même jour, le parquet d'Ankara délivra un permis d'inhumer. Il indiqua qu'Engin était décédé des suites d'une insuffisance respiratoire et circulatoire.
Le rapport des analyses chimiques du 1er mars 1999 indiqua que l'analyse des organes du défunt n'avait pas permis de déceler la présence de stupéfiants, de somnifères ou d'alcool.
Le 20 mars 1999, M.E., H.Y. et S.K., trois codétenus d'Engin, furent entendus. Ils déclarèrent que les problèmes de santé d'Engin avaient commencé au début de l'année 1998. L'intéressé avait été conduit à l'infirmerie de la maison d'arrêt où on lui avait donné un médicament contre la douleur. En novembre 1999, il avait eu des douleurs plus aiguës et une migraine avait été diagnostiquée. En janvier 1999, il souffrait de vomissements, avait des problèmes d'équilibre et du mal à s'alimenter.
Le 23 mars 1999, Ç.A., un autre codétenu, déclara qu'en décembre 1998, Engin s'était plaint de maux de tête et avait présenté certains symptômes, notamment des vomissements et des tremblements. En janvier 1999, son état de santé s'était aggravé.
A une date non précisée, Muh.K., un autre codétenu, confirma les dires de Ç.A.
Le 11 mai 1999, le parquet de Çankırı entendit M.K., un codétenu, qui déclara qu'au début Engin avait des crises plusieurs fois par mois. A la fin, elles survenaient trois à quatre fois par semaine. Transféré à l'hôpital de Çankırı, les médecins avaient diagnostiqué une migraine. On lui avait prescrit trois médicaments : il en utilisait deux régulièrement, et le troisième seulement en cas de maux de tête. Ces médicaments étaient sans effet lors des maux de tête, c'est pourquoi ses codétenus lui injectaient par piqûre des produits médicamenteux.
Les 11 et 25 mai 1999, le parquet de Çankırı entendit respectivement M.E., Mu.K. et A.N.G., des codétenus d'Engin. Ils confirmèrent la déclaration de M.K.
Le 25 mai 1999, le parquet de Çankırı entendit S.K. et Şa.K., deux codétenus qui déclarèrent qu'Engin avait des douleurs qui se manifestaient sous forme de crises qui, vers la fin, étaient très rapprochées ; lors de ces crises, Engin perdait conscience.
Le 26 mai 1999, Ergün Huylu et Şahnigar Huylu, respectivement le frère et la sœur du défunt, furent entendus par la police. Ils déclarèrent qu'ils voulaient déposer devant le parquet d'Ankara et non devant la police.
Le rapport d'autopsie complémentaire ordonné par le parquet d'Ankara, établi le 23 septembre 1999, indiqua ainsi la cause du décès :
« 1 – La personne est décédée de mort naturelle résultant d'une insuffisance respiratoire et circulatoire due à une bronchopneumonie ;
2 – Aucun élément traumatique ou toxique n'a contribué au décès ;
3 – Selon le rapport du bureau spécialisé des analyses chimiques, l'analyse de sang et les prélèvements des organes internes n'ont révélé la présence d'aucun élément toxique, ni drogue/somnifère ni présence d'alcool. »
Le 22 octobre 1999, le directeur de la prison informa le parquet de Çankırı que le transfert des malades à l'extérieur de la ville se faisait soit en ambulance soit en véhicule ordinaire, compte tenu notamment de la situation des condamnés (de droit commun ou non) et des conditions de sécurité.
A une date non précisée, Ergün Huylu, l'un des fils du requérant, déposa une plainte à l'encontre des personnes responsables de la mort d'Engin.
B. La plainte à l'encontre des médecins de l'hôpital public de Çankırı
Le 9 avril 1999, le requérant déposa une plainte pénale contre le personnel de la prison de Çankırı et les gendarmes qui étaient de service lors des faits, ainsi que contre les médecins de l'hôpital de Çankırı.
Le 11 février 1999, le parquet de Çankırı entendit Soner Işık, médecin aux urgences de l'hôpital. Le médecin expliqua que, le 5 février 1999 vers 23 h 55, Engin avait été amené aux urgences ; il l'avait examiné, l'intéressé était fatigué. Il lui avait administré un sérum et donné des antibiotiques, des antalgiques et des vitamines. Plus tard, on l'appela pour lui dire que l'état du patient s'était aggravé ; le transfert d'Engin vers l'hôpital d'Ankara fut ordonné car le médecin pensait qu'il pouvait être atteint d'une tumeur cérébrale. Lorsqu'il l'avait examiné, l'intéressé n'avait pas été capable de parler avec lui ; sur la fiche médicale établie par la prison, il était indiqué que le détenu avait une migraine. Les analyses avaient permis de déceler une infection chez Engin et le médecin avait fait le nécessaire à cet égard.
Le 7 avril 1999, le parquet entendit Cüneyt Uzunlar, médecin neurologue. Celui-ci déclara que, le 27 janvier 1999, il avait examiné Engin et diagnostiqué une migraine ; il lui avait prescrit des médicaments. Le 5 septembre 1998, on avait décelé chez l'intéressé une ankylose du pouce gauche.
Le 18 août 2000, le procureur de la République de Çankırı intenta à l'encontre des deux médecins incriminés une action pénale pour imprudence et négligence ayant entraîné la mort.
Le 22 février 2001, en application de l'article 1 § 4 de la loi no 4616 (paragraphe 52 ci-dessous), le tribunal correctionnel de Çankırı sursit à statuer pour une durée de cinq ans.
C. Plainte à l'encontre du personnel de la prison de Çankırı
Le 15 février 1999, le parquet de Çankırı entendit Selim Engez, médecin à la prison. Celui-ci déclara que, le 25 janvier 1999, Engin lui avait rendu visite en lui disant qu'il avait mal à la tête ; il lui avait prescrit des antalgiques. Deux jours plus tard, Engin était revenu le voir ; il était très fatigué et se plaignait d'avoir extrêmement mal à la tête ; le médecin l'avait fait transférer à l'hôpital de Çankırı où l'on avait constaté que l'intéressé souffrait de migraine.
Le 15 février 1999, le parquet entendit Hüseyin Kaş, infirmier à la prison. Celui-ci expliqua que, le 6 février 1999, vers 3 h 30, le directeur de la prison l'avait appelé pour accompagner le transfert d'un détenu à Ankara.
Le 9 avril 1999, le parquet entendit Hürrem Gümüş, directeur de service à la prison au moment des faits. A sa prise de service, celui-ci avait appris qu'Engin avait été emmené à l'hôpital de Çankırı. Vers 2 heures, ce dernier avait été ramené dans sa cellule ; vers 3 h 45, Hürrem Gümüş avait ordonné son transfert à Ankara.
Le 9 avril 1999, le parquet entendit Nevzat Koroman, directeur adjoint de la prison. Celui-ci déclara que, le 5 février 1999, il était de service de 16 heures à 24 heures. A 23 heures, il avait transféré Engin à l'hôpital.
Le 19 octobre 1999, le parquet entendit Ali Rıza Yıldırım, directeur de la prison de type E de Çankırı. Celui-ci déclara que, le 6 février 1999, Engin avait été transféré à l'hôpital public de Çankırı, puis avait été reconduit à la prison, pour être ensuite transféré à Ankara.
Le 19 novembre 1999, le parquet rendit une ordonnance de non-lieu à l'encontre d'Ali Rıza Yıldırım, Nevzat Koroman, Hürrem Gümüş, Selim Engez, Hüseyin Kaş, Demir et Mehmet Ali Kadan.
Le 19 novembre 1999, le procureur intenta une action publique à l'encontre de Hürrem Gümüş, directeur adjoint de la prison.
Le 13 janvier 2000, la cour d'assises infirma l'ordonnance de non-lieu du 19 novembre 1999 et renvoya Ali Rıza Yıldırım, Hürrem Gümüş, Hüseyin Taş et Selim Engez devant le tribunal correctionnel de Çankırı.
Le 27 janvier 2000, le tribunal correctionnel entendit Cüneyt Uzunlar, médecin à l'hôpital public de Çankırı, qui déclara avoir examiné Engin le 27 janvier 1999. Le médecin précisa que l'intéressé souffrait de migraines et qu'il lui avait prescrit un traitement.
Le 2 février 2000, le tribunal correctionnel entendit Ali Rıza Yıldırım. Celui-ci déclara que, le jour de l'incident, il avait ordonné le transfert d'Engin à l'hôpital public d'Ankara dans un véhicule blindé car l'ambulance était vétuste.
Sur commission rogatoire du tribunal correctionnel, le requérant fut entendu le 7 avril 2000 par le tribunal correctionnel d'Ankara. Il déclara que son fils était malade depuis un an. Il s'était adressé à la direction de la prison pour qu'Engin fût soigné et transféré à l'hôpital public d'Ankara. Son fils avait été transporté à l'hôpital d'Ankara, dans un véhicule blindé et non dans une ambulance. Il affirma que son fils était décédé faute d'avoir été transféré à temps.
Le 5 avril 2001, en application de l'article 1 § 4 la loi no 4616, le tribunal correctionnel de Çankırı sursit à statuer pour une durée de cinq ans.
II. LE DROIT INTERNE ET AUTRES TEXTES PERTINENTS
La loi no 4616
Le 22 décembre 2000 entra en vigueur la loi no 4616 relative à la libération conditionnelle, à l'ajournement des procès et à l'exécution des peines pour les infractions commises avant le 23 avril 1999.
Recommandation (98)7 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, adoptée le 8 août 1998
Les parties pertinentes de cette recommandation se lisent comme suit :
« I. Aspects principaux du droit aux soins de santé en milieu pénitentiaire
A. Accès à un médecin
Lors de leur admission dans un établissement pénitentiaire et ultérieurement, pendant leur séjour, les détenus devraient avoir accès, si leur état de santé le nécessite, à tout moment et sans retard, à un médecin ou à un(e) infirmier(ère) diplômé(e), quel que soit leur régime de détention. Tous les détenus devraient bénéficier d'une visite médicale d'admission. L'accent devrait être mis sur le dépistage des troubles mentaux, l'adaptation psychologique à la prison, les symptômes de sevrage à l'égard des drogues, des médicaments ou de l'alcool et les affections contagieuses et chroniques.
(...)
Un service de santé en milieu pénitentiaire devrait assurer au minimum des consultations ambulatoires et des soins d'urgence. Lorsque l'état de santé des détenus exige des soins qui ne peuvent être assurés en prison, tout devrait être mis en œuvre afin que ceux-ci puissent être dispensés en toute sécurité dans des établissements de santé en dehors de la prison.
Les détenus devraient, si nécessaire, avoir accès à un médecin à toute heure du jour et de la nuit. Dans chaque établissement, une personne compétente pour donner les premiers soins devrait en permanence être présente. En cas d'urgence grave, le médecin, un membre du personnel soignant et la direction devraient être alertés. La participation active et l'engagement du personnel de surveillance sont primordiaux.
(...)
Pour les trajets vers les hôpitaux, le malade devrait être accompagné, au besoin de membres du personnel médical ou soignant.
B. Equivalence des soins
La politique de santé en milieu carcéral devrait être intégrée à la politique nationale de santé et être compatible avec elle. Un service de santé en milieu pénitentiaire devrait pouvoir dispenser des soins médicaux, psychiatriques et dentaires, et mettre en œuvre des programmes d'hygiène et de traitement préventif, dans des conditions comparables à celles dont bénéficie le reste de la population. Les médecins exerçant en milieu pénitentiaire devraient pouvoir faire appel à des spécialistes. Si un second avis est nécessaire, il incombe au service de santé de le solliciter.
(...)
Le rôle du ministère de la Santé devrait être renforcé en matière de contrôle de l'hygiène, de la qualité des soins et de l'organisation des services de santé en milieu carcéral, conformément à la législation nationale. Un partage clair des responsabilités et des compétences devrait être établi entre le ministère de la Santé et les autres ministères compétents, qui devraient coopérer pour la mise en œuvre d'une politique de santé intégrée au sein des prisons.
C. Consentement du malade et secret médical
Le secret médical devrait être garanti et observé avec la même rigueur que dans la population générale.
(...)
Les prévenus malades devraient pouvoir demander à leurs frais une consultation auprès de leur médecin traitant ou auprès d'un autre médecin extérieur à la prison. Les détenus condamnés peuvent solliciter un deuxième avis médical et le médecin exerçant en milieu pénitentiaire devrait répondre à cette demande de façon bienveillante. Cependant, toute décision quant au bien-fondé de cette demande relève en dernier lieu de la responsabilité du médecin.
Aucun détenu ne devrait être transféré dans un autre établissement pénitentiaire sans un dossier médical complet. Le dossier devrait être transféré dans des conditions garantissant sa confidentialité. Les détenus concernés devraient être informés que leur dossier médical sera transféré. Ils devraient pouvoir y opposer leur refus, conformément à la législation nationale. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
La requérante est née en 1946 et réside à Celje.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 23 janvier 1995, la requérante, par l’intermédiaire de ses avocats, intenta une action en dommages-intérêts contre une compagnie d’assurances et son employeur, l’entreprise J., devant le tribunal de district (Okrožno sodišče) de Celje et demanda à être exemptée des frais de procédure..
Les 6 novembre 1995 et 6 février 1996, la requérante demanda au tribunal de tenir une audience.
Le 1er mars 1996, la requérante demanda au tribunal de nommer un expert en psychiatrie et de tenir une audience.
Les 16 octobre, 18 novembre et 9 décembre 1996, le tribunal tint des audiences.
Le 17 février 1997, au cours d’une audience, le tribunal décida de nommer un expert mécanique.
Le 18 février 1997, l’expert fut nommé.
Le 2 mars 1998, la requérante demanda au tribunal de tenir une audience et de nommer un expert en psychiatrie.
Le 13 juillet 1998, le tribunal tint une audience.
Le 9 septembre 1998, la requérante demanda au tribunal de nommer un expert en psychiatrie.
Le 16 septembre 1998, un expert en psychiatrie fut nommé.
Le 22 décembre 1998, la requérante demanda au tribunal de tenir une audience.
Le 27 janvier 1999, la requérante demanda au tribunal de tenir une audience.
Le 8 mars 1999, la requérante demanda au tribunal de tenir une audience.
Le 19 avril 1999, après une audience, le tribunal rendit un jugement, donnant partiellement gain de cause à la requérante et l’exemptant du paiement des frais de procédure.
Le 14 juin 1999, la requérante interjeta appel devant le tribunal supérieur et demanda au tribunal de district de rectifier son jugement. La partie défenderesse interjeta également appel.
Le 1 juillet 1999, le tribunal de district rectifia son jugement.
Le 13 juillet 2000, le tribunal supérieur rendit un arrêt, faisant partiellement droit à l’appel de la requérante, et modifia une partie du jugement de première instance. Le reste des appels fut rejeté.
Le 17 octobre 2000, la requérante introduisit un recours extraordinaire devant la Cour suprême.
Le 9 janvier 2002, la Cour suprême rendit une décision, faisant partiellement droit au recours de la requérante, en modifiant une partie des décisions antérieures. La décision fut notifiée au cabinet d’avocats de la requérante le 4 mars 2002. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants, A.D., d’origine kurde, né en 1969, et son épouse, P.S., d’origine azérie, née en 1976, sont respectivement de confession snnite et chiite. Leur fille, P.D., est née en 1997. A l’heure actuelle, la famille réside à Kastamon (Trqie) en vertu d’un permis de séjour provisoire.
A. La version du requérant quant à la genèse de l’affaire
Le 31 novembre 1994, persécté par les atorités iraniennes d fait de ses activités au nom du Parti démocratiqe d Krdistan d’Iran (« PDKI »), A.D. entra irréglièrement en Turquie, où il obtint un permis de séjour temporaire de trois semaines.
Le 5 décembre 1994, il demanda au Haut Commissariat des Nations Unies por les réfgiés (« HCR ») son admission à ce statut.
Cependant, à l’expiration de son permis de séjor, alors que l’examen de sa demande était, semble-t-il, pendant devant le HCR, le reqérant ft cité à comparaître devant le tribnal correctionnel de Yüksekova à Ankara, en même temps qe trois atres demanders d’asile iraniens.
Le 28 avril 1995, le tribnal condamna le reqérant à ne amende por atteinte à la législation sr la circlation des étrangers et décida son renvoi forcé vers l’Iran.
Dès son retour en Iran le 4 jin 1995, le reqérant se livra à la police, espérant en vain pouvoir bénéficier de la grâce promise ax repentis par l’Ayatollah Khomeiny. Il ft arrêté et interrogé sos la contrainte pendant qatre mois par le service de renseignements de Naghadeh.
Le 7 octobre 1995, le reqérant obtint finalement un certificat de pardon et recouvrit ainsi la liberté, à condition toutefois de ne pas quitter Naghadeh. Il apprit plus tard qu’il avait été interdit d’accès à l’université et de toute activité lucrative, en raison de son casier jdiciaire. Aussi, devint-il marchant ambulant.
En 1996, le requérant rencontra P.S. Ils décidèrent de se marier. Cependant, le père et le frère de P.S., membres du service des renseignements d’İran, s’opposèrent fermement à cette union. Le 11 septembre 1996, P.S. quitta le foyer et s’installa chez le reqérant. Le 26 septembre, ils se marièrent selon le rite snnite, sans l’accord préalable d père de P.S., donc en violation à la charia chiite.
Dex jors pls tard, le cople ft appréhendé. A la demande des instances chiites, P.S. sbit n examen forcé de virginité puis libérée.
Le 30 septembre 1996, n jge du tribunal islamique de Naghadeh déclara le mariage nl et non aven et condamna chacn des reqérants à ne amende de 300 000 rials. A l’adience, le jge convainquit, par ailleurs, le père de P.S. de consentir à un mariage chiite. Celui-ci obtempéra et le couple se remaria.
Les intéressés, ignorant la teneur de cette décision, furent informés par la site qu’ils avaient également été condamnés chacn à cent cops de foet por fornication (« zina-e qir mohseneh »), en vertu de l’article 88 du code pénal. Cette condamnation, dite de haad, était irrévocable.
Quelques mois pls tard, les reqérants frent assignés à comparaître devant n jge chiite, ax fins de l’exéction des sentences.
Le 12 avril 1997, on administra cent cops de foets à A.D. à ce titre. En revanche, la peine de son épose, alors enceinte de P.D., ft reportée d’abord jsqu’à la naissance de l’enfant le 28 août 1997, pis jsqu’a 11 octobre 1999, en raison de la précarité de sont état de santé physique et mentale. A cette dernière date, il ft néanmoins décidé qu’il ne serait pls srsis à la flagellation de P.S. et que celle-ci allait être exéctée en dex fois, à raison de cinqante fustigations par séance. Le passage pertinent du dispositif se lit ainsi :
« (...) eu égard à l’avis no 02/15/7083-17.7.78 de l’Institut médico-légal, la requête de la prévenue P.S., l’avis consultatif no 7/5112 du Département Juridique et également l’article 94 du code pénal islamique (« CPI »), il a été décidé que la peine de flagellation infligée par la sentence no 556-09.07.75 soit administrée en deux séances (...) »
Sur ce, la famille décida de qitter l’Iran, pour éviter la flagellation de P.S. et aussi parce qu’A.D. craignait qe la police n’apprenne qu’il avait encoragé son cosin et dex de ses amis à rejoindre l’antenne locale d PDKI dans le nord de l’Irak.
Le 22 novembre 1999, P.S., accompagnée de sa fille, entra en Trqie à l’aide d’n passeport valide, par le poste frontière de Salmas. En revanche, A.D. dt entrer clandestinement via Serro, à l’aide de passers.
Les intéressés se retrovèrent à Van.
B. Les nouvelles procédures engagées en Turquie
Le 23 novembre 1999, les reqérants s’adressèrent au bureau local d HCR qi les dirigea vers le service de l’immigration de Van, où ils furent enregistrés en tant que demandeurs d’asile.
Le 17 janvier 2000, n responsable du HCR entendit uniquement A.D., les autres membres de la famille étant considérés comme des dépendants. P.S. ne fut consultée qe dans le sel bt de vérifier les dires de son épox. A cette occasion, le responsable du HCR remplit un formulaire au nom de P.S., afin qu’elle soit examinée par un psychologue de l’hôpital civil de Van.
Le 24 avril 2000, les requérants furent interrogés au service des étrangers de Van, en présence d’n demandeur d’asile faisant office d’interprète. Par la suite, A.D. et P.S. furent invités à résumer, par écrit, leurs dires, ce qu’ils firent le 27 avril 2000. Les traductions non officielles du persan vers l’anglais contiennent les passages suivants :
A.D. :
« (...) My wife was condemned to 100 lashes in because she is a Shi’a Muslim and her father was not willing to let her daughter get married to me. (...) Since my wife suffered from serious kidney problems and depression and since specialized physicians including from the Forensic organisation stated that lashing [would have] fatal consequences for my wife, we fled to to protect my wife life’s and our family’s honour and dignity. (...) »
P.S. :
« (...) I was sentenced to 100 lashes (...). I escaped home and married my husband. After we exhausted all possible reprieves we decided to go to UNHCR (...) »
En mai 2000, les reqérants furent admis au bénéfice d statut provisoire de « demandeur d’asile », en ler qalité de non-Européens susceptibles d’encorir n risqe de perséction dans ler pays d’origine. Par conséquent, la famille se vit octroyer un titre de séjour temporaire mais renovelable, moyennant ne somme de cent dollars américains (USD).
Ils frent logés à Kastamon, où ils drent déborser à la police locale cent USD de pls.
Cependant, le 6 novembre 2000, A.D. ft déboté de sa demande d’asile par ne décision peu motivée d HCR. Les reqêtes de P.S. tendant à obtenir n examen séparé de son propre cas n’abotirent pas.
Le reqérant forma opposition.
Le 20 septembre 2001, le HCR informa le reqérant qe son recors avait été écarté et qe son dossier ne pourra être réexaminé, à moins qu’il fasse valoir des faits noveax et décisifs.
Le 31 décembre 2001, le reqérant sollicita la réovertre de la procédre. En jin 2002, le HCR l’informa que rien dans le dossier ne jstifiait n réexamen et qe son affaire était désormais classée.
Par conséqent, le 21 novembre 2002, le service de l’immigration trc refsa de prolonger le titre de séjor accordé jusqu’alors.
Le 27 janvier 2003, l’organisation Iranian Refgees’ Alliance Inc. écrivit en vain a HCR por qe celi-ci fasse part a reqérant, ne serait-ce qe des motifs de son rejet.
Le 19 mars 2003, se référant a dossier classé par le HCR, le ministère des Affaires étrangères écrivit a ministère de l’Intérier por l’aviser qu’a regard d règlement no 94/6169 et de la Convention de Genève, les arguments invoqués par l’intéressé à l’appi de sa demande d’asile n’étaient pas pertinents.
Le 22 avril 2003, les requérants se virent notifier n arrêté ministériel, les informant qu’en tant qe demanders d’asile débotés, ils étaient libres de retorner en Iran o de se rendre dans n pays tiers de ler choix, fate de qoi ils risqueraient l’expulsion forcée.
Cette décision était ssceptible d’opposition devant le ministère de l’Intérier, dans n délai de quinze jours.
Le 6 mai 2003, le reqérant déposa à cette fin un mémoire ampliatif accompagné de tous les docments en sa possession.
C. La situation actuelle
Le 12 août 2005, l’opposition du requérant se trouvait encore sous examen devant le ministère de l’Intérier. A l’heure actelle, acn arrêté d’explsion définitif n’existe à l’encontre des requérants, qui continuent à résider à Kastamonu, en vert des titres de séjour renouvelés depis lors, en attendant que les procédures en cours se clôturent.
Le 9 septembre 2005, à la demande du ministère des Affaires étrangères, le HCR fournit l’information suivante, concernant les motifs l’ayant amené à classer le dossier des requérants :
« (...) The asylum claim of Mr [D.] and Mrs [S.] was based on the risk of physical punishment to Mrs [S.], on the grounds of illicit relationship with Mr [D.] (...). Mr [D.] and Mrs [S.]’s claim was rejected by the UNHCR Office Ankara in the first and appeal instance, owing to lack of well-founded fear of persecution. A review of the case was not successful. Mrs [S.] claims that they left for fear of implementation of the sentence of one hundred lashes (...). However, documents presented to UNHCR attest to the fact that due to Mrs [P.S.]’s medical condition the punishment was not administered for several years, and in 1999 reduced to a punishment according to Article 94 of the Islamic Punishment Law of Iran. According to information available, Article 94 involves the symbolic application of the sentence bearing in mind the individual’s state of health. After the issuance of the reduced sentence the applicant was also able to obtain a passport, and to depart legally, a strong indication that neither husband nor wife [were (...)] in conflict with the Iranian justice system at the time of departure. Therefore, the office concluded that there were insufficient indications that Mrs [S.] could fear punishment that would amount to persecution. (...) »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. La Turquie
Pour la législation et la pratiqe des atorités jdiciaires et administratives trqes relatives aux demandeurs d’asile, voir Jabari c. Turquie (no 40035/98, §§ 22-30, CEDH 2000-VIII) et Müslim c. Turquie (no 53566/99, §§ 42-47, 26 avril 2005).
B. L’Iran
Le deuxième chapitre du CPI traite de la peine de hodoud, le pluriel de hadd, à savoir « une sanction dont la forme, la sévérité et la nature » est à définir par les lois de la sharia (article 13 du CPI). Qazf signifie une accusation portée, entre autres, pour fornication, punie par l’article 88 du CPI et qui, en principe, est passible d’une peine de cent coups de fouet (article 139 du CPI). S’agissant d’une femme adultère, l’exécution d’une peine de hadd peut être suspendue pendant la grossesse et même après, si le nouveau-né court un danger du fait de l’absence d’une personne susceptible de le protéger (article 91 du CPI). Si la flagellation d’une femme enceinte ou allaitante risque de mettre en péril la vie du fœtus ou du nouveau-né, l’exécution de la peine est reportée jusqu’à la disparition dudit risque (article 92 du CPI).
D’après la réglementation du septembre 2003, concernant les modalités d’exécution des peines corporelles, une sentence de flagellation est infligée publiquement à l’aide d’un martinet à plusieurs lanières de cuir d’un mètre de long chacune. Les bras et les jambes de l’individu sont attachés de manière à empêcher le mouvement du corps, afin que les « zones prohibées », à savoir la tête, le visage et les parties génitales ne soient pas touchées par inadvertance. S’agissant de l’adultère ou de la fornication, la fustigation est appliquée de manière plus intense que celle requise, par exemple, pour l’ébriété.
Les femmes sont flagellées en position assise et le corps vêtu.
D’après la pratique qui semble être en vigueur en Iran, la peine de flagellation revêt une forme particulière, lorsqu’il s’agit d’une personne atteinte d’une maladie fatale et dont l’intolérance à la fustigation est confirmée par l’organisation médico-légal iranienne. Dans ce cas, prévu à l’article 94 du CPI, un seul coup est administré, à l’aide d’un martinet spécial, composé de lanières d’un nombre égal à celui des coups, tel que fixé par le juge répressif, soit par un martinet à cent lanières pour une peine initiale de cent coups. La puissance de la frappe ne semble dépendre que de l’exécuteur, aucune consigne officielle et précise n’existant en la matière. Il est admis que l’intensité de la frappe demeure toujours plus importante dans l’exécution d’un hadd.
S’agissant de personnes atteintes de maladies curables, l’exécution est suspendue jusqu’à la guérison (article 93 du CPI).
C. Les rapports d’Amnesty International
En 2003, Amnesty International a recensé 197 cas de flagellation en Iran. Dans son rapport annuel de 2005, Amnesty International dénonce au moins trente-six condamnations à des peines de flagellation, et relate notamment, le cas de Mohsen Mofidi, mort en février 2005 à Téhéran, après avoir été fustigé. Il n’est pas exclu que ce nombre soit en deçà de la réalité. En dernier lieu, le 11 janvier 2005, l’organisation a exprimé ses craintes d’exécution d’une peine de flagellation à l’encontre de Leyla Mafi, condamnée à mort, à l’âge de 19 ans, pour actes « immoraux » (voir aussi Jabari, précité, §§ 31 et 32). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1936 et réside à Bénévent.
Par un jugement déposé le 5 janvier 1995, le tribunal de Bénévent déclara la faillite du requérant. L’audience pour la vérification de l’état du passif de la faillite fut fixée au 19 septembre 1995.
Le 25 janvier 1995, le requérant fit opposition à la déclaration de faillite.
Par un jugement déposé le 5 septembre 2001, le tribunal rejeta cette opposition.
Le 8 janvier 2002, le requérant interjeta appel devant la cour d’appel de Naples. Une audience fut fixée au 10 octobre 2003.
Entre-temps, l’audience de vérification de l’état passif de la faillite fut renvoyée à neuf reprises jusqu’au 29 avril 1999, date à laquelle l’état du passif de la faillite fut déclaré exécutoire et le comité des créanciers fut constitué.
Les 18 septembre et 23 octobre 2001, le juge délégué (« le juge ») autorisa la vente aux enchères de certains biens faisant partie de la faillite.
Selon les informations fournies par le Gouvernement le 31 mai 2005, la procédure de faillite était à cette date encore pendante.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le droit interne pertinent est décrit dans les arrêts Campagnano c. Italie (no 77955/01, §§ 19-22, 23 mars 2006), Albanese c. Italie (no 77924/01, §§ 23-26, 23 mars 2006) et Vitiello c. Italie (no 77962/01, §§ 17-20, 23 mars 2006). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant, M. Karen Davtian, est un ressortissant géorgien, né en 1977. Il a été détenu à Roustavi, Géorgie, jusqu’au 9 septembre 2005.
En 1992, le requérant et sa mère quittèrent la Géorgie et s’installèrent à Yerevan, Arménie. Le requérant s’engagea comme volontaire dans le bataillon du Haut-Karabakh, stationné dans la ville de Massis. Sa mère s’installa alors également dans cette ville. Le requérant et sa mère se rendaient parfois à Tbilissi pour régler certaines formalités nécessaires.
Dans une affaire de brigandage (article 179 du code pénal géorgien), l’action publique fut mise en mouvement le 10 mars 1999 par les autorités géorgiennes. Dans la même affaire, le 27 avril 1999, le requérant fut mis en examen, mais son arrestation ne fut pas possible. Le 28 avril 1999, le tribunal de première instance du district d’Issani-Samgori à Tbilissi ordonna le placement en détention provisoire du requérant « qui se dérobait à la justice ». Le même jour, un mandat de recherche à son encontre fut décerné par les autorités d’instruction.
Le 14 juin 1999, se trouvant dans un marché de Tbilissi, le requérant fut reconnu par deux commerçants, parties civiles dans l’affaire précitée, et dénoncé à la police. Les commerçants témoignèrent que, le 9 mars 1999, le requérant les avait guettés à la porte de leur appartement, les avait menacés à main armée et entraînés dans l’appartement, avait tout volé après les avoir battus et torturés pendant deux heures.
Le requérant fut aussitôt arrêté et mis en garde à vue à la police du district d’Issani-Samgori à Tbilissi.
Le 16 juin 1999, l’instructeur du ministère de l’Intérieur dans le district d’Issani-Samgori, chargé de l’affaire, saisit le tribunal de première instance de ce district d’une demande de confirmation de la mise en détention du requérant, décidée le 28 avril 1999 en l’absence de l’intéressé (article 160 du code de procédure pénale). Le 17 juin 1999, la mesure préventive en question fut confirmée par le tribunal. Le requérant passa la nuit dans la cellule de garde à vue du commissariat de police du district d’Issani-Samgori, situé à Varkétili.
Le 15 juillet 1999, le requérant saisit le procureur de district en l’informant qu’il souffrait de psychopathie et de névrose et requit qu’il soit transféré à l’hôpital pénitentiaire. Le 2 août 1999, l’instructeur chargé de l’affaire ordonna une expertise psychiatrique. Il ressort du rapport de cette expertise, rendu le 4 août 1999, que le requérant avait suivi un traitement psychiatrique les 12-16 juillet 1996, qu’après sa participation aux combats armés dans le Haut-Karabakh, un diagnostic de psychopathie avait été établi et qu’après le divorce à un jeune âge, il avait commencé à boire. Le requérant affirma devant les experts que, parfois, pour se détendre, il se tailladait les paumes avec un couteau. De nombreuses cicatrices, d’origine auto-traumatique, furent relevées sur son avant-bras gauche. L’impulsivité, l’irritabilité, un penchant vers l’auto-traumatisme et l’émotivité furent constatés, mais le requérant fut déclaré psychiquement responsable de ses actes au moment où le crime avait été commis, ainsi qu’au moment de son examen.
Le 9 novembre 1999, le requérant saisit le procureur de district d’une plainte dans laquelle il exposa, entre autres, que, dans la nuit du 17 au 18 juin 1999 (paragraphe 13 ci-dessus), un agent de police l’avait sorti de sa cellule à trois heures du matin et l’avait battu. Ne pouvant pas lui extorquer des aveux, le policier l’avait soumis à un traitement par électrochoc plusieurs fois. Le requérant avait perdu connaissance. Suite à ce traitement, il avait signé un procès-verbal. Le lendemain, visité par son avocat, le requérant ne lui révéla pas ce fait de peur de subir des représailles. Il confia uniquement à sa grand-mère qu’il avait été maltraité. Le requérant demanda que lui ainsi que sa grand-mère soient interrogés à ce sujet et affirma pouvoir reconnaître l’agent de police en question.
Suite à cette plainte, le 18 novembre 1999, l’instructeur chargé de l’affaire rencontra le requérant qui lui fit part de son intention de collaborer avec l’instruction à condition que, préalablement, l’ensemble des instructeurs du ministère de l’Intérieur dans le district d’Issani-Samgori soit récusé par le Parquet général. Il affirma que, dans le cas contraire, il ne prendrait pas part à l’instruction et ne déposerait pas. Le Gouvernement met l’accent sur ce dernier aspect de la rencontre.
Le 19 novembre 1999, l’instructeur interrogea deux inspecteurs de police ayant été d’astreinte au commissariat à Varkétili dans la nuit du 17 au 18 juin 1999. Les policiers affirmèrent que le requérant n’avait pas été sorti de sa cellule pendant la nuit et qu’il n’avait pas été maltraité.
L’instructeur questionna par écrit le responsable de la cellule de garde à vue où le requérant passa la nuit litigieuse ainsi que le chef de la prison de garde à vue où il fut maintenu du 18 au 22 juin 1999 avant d’être placé à cette dernière date dans la prison d’instruction préparatoire no 1 de Tbilissi. Dans leurs réponses respectives des 22 et 24 novembre 1999, les personnes interrogées affirmèrent que le requérant ou ses proches ne s’étaient plaints à aucun moment de mauvais traitements auxquels celui-ci aurait été soumis dans la nuit litigieuse et qu’au moment de son placement dans la prison de garde à vue le 18 juin 1999, l’intéressé n’avait subi aucun examen médical, puisqu’il n’avait fait aucune déclaration à cet égard.
Le 15 décembre 1999, l’information préparatoire fut close et le requérant fut renvoyé en jugement. Le 12 juillet 2000, il fut reconnu coupable des faits reprochés par le tribunal de première instance du district d’Issani-Samgori et condamné à une peine d’emprisonnement de sept ans, à purger dans un établissement pénitentiaire de strict régime. Le 26 décembre 2000, ce jugement fut confirmé en appel et, le 13 mars 2001, en cassation.
Entre les 27 juillet 2002 et 26 juillet 2003 ainsi qu’à partir du 27 novembre 2003, le requérant fut détenu dans la prison no 1 de Tbilissi.
Le 26 février 2003, sa mère saisit le ministère de la Justice soutenant que le requérant, détenu dans la prison no 1 de Tbilissi, avait été torturé dans la cellule no 10 dite « de presse » par ses codétenus et que, par conséquent, il souffrait de lésions à dix endroits sur la tête ainsi que d’entailles sur le corps. Ne pouvant pas faire entendre sa voix auprès de l’administration de la prison, le requérant se serait cousu la bouche en signe de protestation.
Faisant suite à la plainte de sa mère, en mars 2003, le requérant saisit le ministre de la Justice en l’informant que M. Z.OU., directeur adjoint de la prison no 1, tentait de lui extorquer de l’argent à l’aide de l’un de ses codétenus de la cellule no 18 (bâtiment II). Le détenu en question et M. Z.OU. auraient été amis, ce dernier venant discuter avec le premier pendant longtemps dans une cellule séparée. Le détenu en question conseillait au requérant que, s’il voulait lui aussi « se porter bien », il fallait que sa famille apporte à M. Z.OU. une somme de 200 dollars américains. Placé ensuite dans la cellule no 17 (bâtiment II), un autre détenu également ami avec M. Z.OU. aurait obligé le requérant à acheter à M. Z.OU. son téléphone portable. Le même détenu lui aurait demandé de faire apporter à sa famille 200 dollars américains pour M. Z.OU. Ayant refusé, le requérant aurait alors été davantage persécuté. Après un rendez-vous au parloir dont le requérant ne précisa pas la date, M. Z.OU. l’aurait envoyé directement dans le « bâtiment spécial » (cellule no 4) sans qu’il puisse prendre ses affaires personnelles dans sa cellule. Ayant alors déclaré la grève de la faim, le requérant aurait été visité par M. Z.OU lui disant qu’il avait pourtant été bien conseillé sur ce qu’il fallait faire pour se porter bien. Placé le 29 septembre 2002 dans la cellule no 10 dite de « presse », le requérant aurait été battu sans merci par ses codétenus et, pendant longtemps, il n’aurait pas pu remarcher. Transféré dans la cellule no 12, il aurait été battu personnellement par M. Z.OU. Le requérant demanda au ministre de prendre des mesures nécessaires à son éloignement de M. Z.OU. et des détenus collaborant avec celui-ci.
Il ressort des informations produites par le Gouvernement (paragraphes 6 et 7 ci-dessus) que, suite aux deux plaintes susmentionnées, un groupe d’enquête du service de l’enquête du Département pénitentiaire du ministère de la Justice demanda au requérant plus d’explications, mais celui-ci refusa d’abord de préciser ses griefs pour se limiter ensuite à des affirmations vagues et hypothétiques. Interrogée, la grand-mère du requérant confirma que, lors d’un rendez-vous au parloir en septembre 2002, elle avait constaté que son petit-fils portait des marques de passage à tabac sur le corps. Le 18 mars 2003, une expertise médicale eut lieu. Le requérant soutint devant l’expert qu’il avait été battu en novembre 2002 à coups de poing et de pied ainsi qu’avec une chaise et que, par ailleurs, il s’était infligé des blessures lui-même. L’expertise conclut que les cicatrices sur son corps constituaient des traces de blessures causées par un objet tranchant, qu’elles étaient situées aux endroits facilement accessibles pour l’intéressé lui-même et qu’il n’était pas possible d’établir leur ancienneté. Le directeur, le médecin principal et l’inspecteur de la prison no 1, ainsi que M. Z.OU. et le codétenu du requérant, prétendument ami avec M. Z.OU., furent également interrogés, mais ils nièrent tout fait de pression exercée sur le requérant. Par ailleurs, il fut relevé qu’aucun rendez-vous au parloir ne figurait dans le dossier du requérant pour le mois de septembre 2002 et que sa grand-mère lui avait rendu visite en août 2002 et en janvier 2003 seulement. En outre, du 27 septembre au 10 octobre 2002, le requérant était demeuré dans la cellule no 59 du bâtiment V.
Dans ces conditions, le groupe d’enquête conclut que, « malgré d’importants efforts déployés » en vue de l’identification des auteurs des méfaits allégués, les assertions du requérant n’avaient pas trouvé leur confirmation. De surcroît, le requérant avait adopté un ton hypothétique affirmant qu’« il lui semblait que M. Z.OU. lui extorquait de l’argent ». Ne trouvant pas ainsi d’éléments de preuve confirmant les allégations en cause, le groupe d’enquête conclut le 2 avril 2003 au classement de la plainte sans suite. Cette ordonnance de classement fut avalisée le 9 avril 2003 par le Parquet général.
Elle était susceptible de recours devant le parquet ou le tribunal dans un délai de quinze jours, ce droit de recours étant explicité dans la partie opérationnelle de la décision.
Le requérant affirme avoir subi des pressions de la part des agents de la prison pour qu’il retire sa requête introduite devant la Cour.
Le 15 mars 2004, le requérant saisit à nouveau le ministre de la Justice en soutenant qu’il faisait l’objet de « moqueries, passages à tabac, humiliation et intrigues de toute sorte. » Il demanda d’être assigné au service de la logistique de la prison pour survivre.
Interrogé par le service de la sécurité du Département pénitentiaire du ministère de la Justice suite à cette plainte, le requérant affirma qu’il ne présentait aucune prétention envers l’administration de la prison no 1 et demanda qu’il soit maintenu dans cet établissement. Il ne cita aucun nom de détenu qui l’aurait soumis à une pression quelconque. Sa demande d’assignation au service de la logistique de la prison fut par conséquent rejetée.
En avril 2004, le ministère de la Justice demanda à l’administration de la prison no 1 de renforcer la sécurité du requérant. Faisant alors suite à la demande d’isolement de l’intéressé, l’administration le plaça le 16 avril 2004 dans une cellule pour une personne. A partir du 12 février 2005, le requérant purgea sa peine dans la prison no 2 à Roustavi. Le 9 septembre 2005, il fut mis en liberté conditionnelle.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Code de procédure pénale (« CPP »), en vigueur à l’époque des faits
Article 61 § 1
« L’instruction préparatoire (...) est réalisée par les instructeurs du parquet, du ministère de l’Intérieur et du ministère de la sécurité d’Etat. »
Article 62 § 1
« L’instruction préparatoire d’une affaire pénale relève des instructeurs du ministère de l’Intérieur si le présent code ne prévoit pas autrement. »
Article 269 (aboli le 25 mars 2005)
« L’ordonnance de (...) classement d’une plainte sans suite est susceptible d’un recours dans un délai de 15 jours devant le parquet ou le tribunal. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants, Mme Perk, M. Korkulu et M. Akpınar, sont nés respectivement en 1940, 1965 et 1966, et résident à Istanbul. La première requérante est la mère de Fuat Perk, le deuxième requérant le frère de Ayten Korkulu et le troisième requérant le frère de Meral Akpınar. Fuat Perk, Ayten Korkulu et Meral Akpınar sont décédés le 9 février 1996, lors d’une opération dirigée contre le DHKP-C (Parti / Front révolutionnaire de la libération du peuple), mouvement radical armé d’extrême gauche.
L’intervention armée de la police et l’instruction préliminaire
Le 9 février 1996, à 12 h 30, une équipe de quinze policiers rattachés à la section de lutte contre le terrorisme de la direction de la sûreté d’Istanbul, munis de casques et de gilets pare-balles, intervint aux abords d’un appartement situé au deuxième étage d’un immeuble sis à Bahçelievler (Istanbul). A l’issue d’un affrontement armé, Fuat Perk, Ayten Korkulu et Meral Akpınar décédèrent sur place.
Selon le Gouvernement, cette opération a été menée à la suite des dénonciations d’un membre de l’organisation incriminée, T.Ç., qui avait été arrêté le jour même. Celui-ci aurait indiqué l’adresse de l’appartement en question et déclaré que les trois personnes précitées allaient perpétrer une attaque armée le 9 février.
Le même jour, à 14 h 10, un procès-verbal d’état des lieux fut établi par M. Erdoğan, procureur de la République, M. Kaçaroğlu, chef de la direction de la sûreté de Bahçelievler, et Mme Ağca, secrétaire. Ce document indiquait :
« Le 9 février 1996, (...) compte tenu de l’information selon laquelle il y avait eu entre des terroristes et des policiers un affrontement armé à l’issue duquel trois terroristes, dont deux femmes et un homme, avaient été tués (...), le procureur de la République de garde (...), le médecin légiste, la secrétaire (...) [et] l’assistant du médecin légiste (...) se sont rendus sur place. Les faits se sont produits au deuxième étage de la résidence (...) Ont été découvertes : cinq traces [d’impact] de balles sur le mur de gauche, à l’entrée de l’appartement ; toujours à gauche, sur le mur séparant les toilettes et la cuisine, six traces de balles (...) ; sur le sol de l’entrée et du salon, plusieurs cartouches vides de 6 mm (...). (...) [I]l y avait une grande chambre à droite, mais les affaires s’y trouvant étaient en désordre ; à gauche, il y avait un coin servant de cuisine (...), un petit hall donnant sur la salle de bains, une chambre et, en face, une autre chambre. Sur le mur de ce hall, six impacts de balles (...) Les corps des défunts se trouvaient dans la chambre située à gauche ; seize traces de balles ont été découvertes sur la porte de la chambre (...) Juste sous la porte, il y avait de nombreuses cartouches de balles. Toujours dans la chambre, neuf traces de balles ont été relevées sur le mur de droite, douze sur le mur près de la fenêtre et vingt-cinq sur celui opposé à la porte ; les balles en question proviennent d’armes à canon long (...) Le corps de l’une des femmes a été retrouvé près de la chaîne hi-fi ; il y avait sous sa main un revolver. L’autre femme était sur le fauteuil, à plat ventre, et elle avait un revolver à la main. Le corps de l’homme se trouvait sur le divan situé en face de la porte (...), avec un revolver juste sous la main gauche, [et un autre] sous la main droite. Sur le mur, derrière la porte d’entrée, il y avait onze traces de balles. Il a été constaté que la terroriste, identifiée comme étant Meral Akpınar, et dont il a été remarqué (voir ci-dessus) qu’elle avait une arme près de la main droite, en avait également une à sa gauche. Toujours dans la chambre, une pièce de tissu portant le symbole de l’organisation DHKP-C a été découverte. Plusieurs cartouches vides ont aussi été retrouvées sur le sol (...) »
Le même jour, à 14 h 30, un rapport préliminaire d’autopsie fut établi sur les lieux par M. Erdoğan, le Dr Çin, médecin, M. Kasacı, son assistant, M. Kaçaroğlu ainsi que Mme Ağca. D’après ce procès-verbal, cinq revolvers de calibre 7,65 mm et 9 mm et dix cartouches vides avaient été retrouvés sur les lieux. Sept entrées et sorties de balles avaient été relevées sur le corps de Fuat Perk, vingt et une sur celui de Meral Akpınar, et cinq sur celui de la personne non identifiée (Ayten Korkulu). D’après le médecin, les décès étaient survenus trois ou quatre heures avant l’examen. Il fut décidé de procéder à une autopsie approfondie des trois corps.
Vers 18 heures, deux policiers recueillirent les dépositions de deux résidentes de l’immeuble ainsi que du concierge. Le premier témoin, Mme M.E., une résidente, déclara avoir entendu « Rendez-vous ! Police ! ». Ensuite, l’avertissement avait été réitéré à trois reprises. Quelques minutes plus tard, elle avait entendu des coups de feu et des bruits. Le deuxième témoin, Mme F.Y., affirma que, le 9 février 1996, à midi, elle attendait l’arrivée de son enfant. Vers 12 h 30, des policiers en tenue civile avaient emmené son enfant et lui avaient dit de ne pas ouvrir la porte. Ensuite, elle avait entendu « Rendez-vous ! Police ! », puis, plus tard, « Vous êtes encerclés ! Sortez ! Police ! ». Quant au concierge, M. A.Y., il déclara avoir entendu les avertissements des policiers, auxquels il avait été répliqué « A bas le fascisme ! Vive la lutte révolutionnaire du peuple ! ». Les policiers avaient averti à nouveau en criant : « Police ! Sortez ! Jetez vos armes et livrez-vous ! ». Ensuite, A.Y. avait entendu les mots « Fascistes, allez-vous-en ! » provenant de l’intérieur, et, un peu plus tard, deux coups de feu, le bruit de la porte fracturée, puis plusieurs coups de feu.
Le 11 février 1996, trois médecins effectuèrent une autopsie classique sur les corps des défunts. D’après leurs conclusions, la mort de Fuat Perk était due à une hémorragie interne, celle de Meral Akpınar à une destruction des tissus cérébraux et à une hémorragie cérébrale et interne, et enfin celle d’Ayten Korkulu à une fracture des os crâniens, à une destruction des tissus cérébraux et à une hémorragie cérébrale, causées par des balles. Les médecins dénombrèrent sur le corps de Fuat Perk sept entrées et sorties de balles, sur celui de Meral Akpınar dix-neuf entrées et sorties de balles ainsi que trois égratignures de balles, et enfin sur celui d’Ayten Korkulu treize entrées et sorties de balles. Il s’avéra que ces balles avaient été tirées de loin, et il fut décidé de pratiquer un examen balistique sur les vêtements des défunts afin de déterminer la distance de tir. Trois rapports d’autopsie détaillés furent également versés au dossier.
Le 13 février 1996, le procureur de la République se rendit sur les lieux de l’incident, où des photographies furent prises.
Le même jour, le procureur de la République recueillit la déposition de Mmes M.E et F.Y., résidentes de l’immeuble, ainsi que de M. A.Y, le concierge. Tous trois déclarèrent avoir entendu les sommations des policiers. M. A.Y. précisa toutefois ne pas avoir entendu de bruit provenant de l’intérieur de l’appartement.
Le 16 février 1996, le laboratoire rattaché à la direction de la police criminelle d’Istanbul réalisa une expertise balistique des armes, douilles et balles retrouvées sur les lieux de la fusillade. Le rapport sur ces examens indiquait :
« (...) selon l’examen comparatif (...) des 117 douilles et 15 balles de calibre 9 mm et des 8 douilles de calibre 7,65 mm, découvertes sur les lieux de la fusillade (...) :
– 8 douilles de calibre 9 mm proviennent d’un revolver semi-automatique de marque Browning, de fabrication belge, tirant des balles de calibre 9 mm Parabellum (...)
– 5 douilles et une balle de calibre 9 mm proviennent d’un revolver semiautomatique de marque Browning, de fabrication belge, tirant des balles de calibre type Browning long (...)
– 3 douilles de calibre 7, 65 mm proviennent d’un revolver semi-automatique de marque Beretta (...)
– 5 douilles de calibre 7, 65 mm proviennent d’un pistolet de marque Makarov (...)
– 104 douilles et 14 balles de calibre 9 mm proviennent des armes appartenant aux forces de sécurité (...) »
De même, il fut établi qu’un des revolvers retrouvés sur les lieux correspondait à l’arme ayant servi à tuer un fonctionnaire de police le 27 septembre 1995 et un civil le 3 décembre 1995.
Le 26 février 1996, l’avocat des requérants déposa au parquet de Bakırköy une demande d’examen balistique des vêtements des défunts, en vue de la détermination de la distance de tir.
Cet examen balistique, ordonné par le procureur de la République, fut effectué le 27 mars 1996. D’après le rapport daté du même jour, l’examen des orifices laissés par les balles montrait que celles-ci n’avaient pas été tirées à une distance de 35-40 cm, considérée comme une distance de tir proche pour les armes à canon court, ni d’une distance de 75-100 cm, considérée comme proche pour les armes à canon long. La distance ne pouvait pas être déterminée avec précision.
La procédure pénale diligentée à l’encontre des policiers
Dans le cadre de l’enquête pénale engagée d’office, les dépositions des policiers ayant participé à l’opération furent recueillies par le procureur de la République de Bakırköy.
Ş.K., le chef d’équipe de l’opération, déposa le 10 mai 1996. Il exposa comme suit les faits survenus après qu’il avait sécurisé l’immeuble :
« (...) j’ai moi-même frappé à la porte. J’ai signalé que nous étions de la police. Personne n’a ouvert la porte, mais il y a eu du vacarme et de la précipitation dans la pièce, et on a également entendu des slogans tels que « Vive DHKP ! Vive notre leader Dursun Karataş ! A bas les chiens fascistes ! Le DHKP ne peut pas se rendre ! ». Ils ont ouvert le feu. Sur ce, nous avons répété les sommations. Les mêmes slogans ont à nouveau été scandés. Nous avons fracturé la porte et avons pénétré dans l’appartement. Là, il y avait un couloir en « L » d’environ 3035 m de long. Nous avons réitéré nos sommations. Ils ont répliqué par des coups de feu. Nous étions munis de gilets pare-balles. Nous avons procédé à des tirs de sommation pour qu’ils arrêtent de faire feu sur nous. A l’issue de cet affrontement, qui a duré six-sept minutes, les personnes en question sont décédées (...) Moi, je n’ai pas tiré (...) Nous n’avons pas agi pour tuer ces individus, mais malgré nos sommations répétées ils répliquaient par des coups de feu (...) »
Les cinq autres policiers (S.B., A.Ö., H.D., E.T. et A.T.T.) ayant participé à l’affrontement armé confirmèrent la déposition de Ş.K. et déclarèrent que les coups de feu provenaient de la chambre où se trouvaient les personnes en question. Ils ne les voyaient pas directement et avaient ouvert le feu ensemble, dans la direction d’où partaient les tirs, sans viser de cible précise.
Les passages pertinents de la déposition d’E.T., l’un des policiers impliqués, sont les suivantes :
« (...) le couloir était en « L ». Nous nous sommes placés dans le coin du L. Les individus ont ouvert un feu croisé depuis la chambre située à gauche, au bout du couloir. Nous avons tiré sans viser de cible précise. Nous nous sommes approchés de la chambre en continuant à tirer. Ensuite, les coups de feu ont cessé (...) »
Dans leurs dépositions livrées le 21 mai 1996, les policiers A.E., Ş.Y. et N.Ç. déclarèrent avoir participé à l’opération. Une équipe était arrivée sur les lieux et avait sonné à la porte. Une voix féminine avait répondu. Le chef d’équipe avait averti : « Police ! Nous venons perquisitionner ! ». Ils avaient entendu le bruit du mécanisme des armes, puis un coup de feu. Ensuite, leurs collègues avaient lancé des sommations, en vain. Ils avaient entendu d’autres coups de feu. Sur ce, l’équipe avait fracturé la porte et avait pénétré dans l’appartement. Les policiers qui étaient entrés étaient S.B., E.T., A.Ö., A.T.T., H.D., ainsi que leur chef, Ş.K. Eux-mêmes étaient restés dans le couloir et n’avaient pas été témoins de l’incident. Ils avaient entendu des coups de feu et des slogans.
Le même jour, les policiers A.D., T.K., S.A., Ç.Y. et Y.P. indiquèrent dans leurs dépositions qu’ils avaient attendu à la porte d’entrée de l’immeuble.
Le 30 mai 1996, le procureur de la République engagea devant la cour d’assises de Bakırköy une action pénale à l’encontre des quinze policiers ayant participé à l’opération, notamment pour homicide volontaire, en vertu de l’article 450 § 5 du code pénal.
Durant l’audience du 11 octobre 1996, la cour d’assises de Bakırköy accueillit la demande de constitution de partie intervenante formée par les requérants. Elle entendit en outre tous les accusés dans leur défense. A cette occasion, Ş.K., directeur adjoint au sein de la direction de la sûreté, déclara :
« (...) Lors de l’opération, nous avons arrêté T.Ç., lequel a déclaré qu’il y avait à Bahçelievler un appartement qui appartenait à l’organisation incriminée et abritait des militants armés. T.Ç. a précisé que trois militants étaient présents dans l’appartement et que d’autres personnes pouvaient également s’y trouver. Il a affirmé que ce jour-là, à 13 heures, ils allaient procéder à une attaque armée. Nous nous sommes rendus sur place avec T.Ç. et avons découvert l’adresse indiquée. Puis, nous avons déposé T.Ç. au poste de police. Nous avons encerclé l’immeuble. Nous avons mis les gilets pare-balles. Devant la porte de l’appartement, nous avons signalé que nous étions de la police et que nous allions procéder à un contrôle d’identité et à une perquisition. Nous n’avons pas obtenu de réponse. Il y avait du vacarme et de la précipitation dans la pièce. Un bruit provenant du mécanisme d’un revolver a également été entendu. Nous avons à nouveau averti qu’ils étaient encerclés et qu’ils étaient obligés d’ouvrir la porte. Cette fois, ils nous ont répondu qu’ils n’avaient pas à ouvrir la porte et se sont mis à scander des slogans ; puis nous avons entendu des coups de feu. Nous avons dû fracturer la porte, avec mes collègues, et nous sommes entrés dans l’appartement. Là, il y avait un long couloir. Au bout du couloir, ils ont ouvert le feu sur nous (...) Nous avons procédé à des tirs de sommation. Ensuite, les tirs se sont arrêtés. Les personnes étaient décédées (...) »
Les autres policiers réitérèrent les dépositions qu’ils avaient faites devant le procureur (paragraphe 23 ci-dessus).
Les requérants contestèrent les dépositions des policiers et soutinrent que la police n’avait jamais lancé de sommations aux défunts. M. Korkulu déclara avoir examiné les murs de l’appartement et être convaincu que le feu avait été ouvert à faible distance, quelques balles ayant selon lui traversé les murs.
Le conseil de la partie intervenante demanda que le concierge fût entendu. Il interrogea les accusés et leur demanda notamment s’il y avait eu des blessés parmi les policiers et pour quels motifs la police n’avait pas employé de projectiles à gaz lacrymogène ou de balles plastiques pour arrêter les suspects vivants. L’accusé Ş.K. précisa n’avoir pas agi en vue de tuer les individus en question mais de les appréhender. Il ajouta qu’il n’y avait pas de blessés parmi les policiers et que ceux-ci n’avaient pas pu employer de projectiles à gaz lacrymogène parce que les tirs étaient ininterrompus. D’ailleurs, il n’était pas possible techniquement d’employer sur les lieux de l’incident de tels projectiles, qui servaient lors de manifestations publiques et en plein air. De plus, l’emploi de ces projectiles était inutile lorsque des personnes répondaient à des sommations par des tirs. En outre, la direction de la sûreté ne disposait pas de balles plastiques.
Le témoin F.Y. fut également entendu. Elle déclara avoir entendu les sommations des policiers, mais pas de coups de feu avant la fracture de la porte.
Le témoin M.E. réitéra la déposition qu’elle avait faite devant le procureur. Elle affirma avoir entendu les policiers lancer des sommations. Ensuite, elle avait entendu plusieurs tirs qui, soudain, avaient cessé.
La cour d’assises décida d’entendre le concierge et rejeta la demande d’expertise présentée par les plaignants sur l’opportunité de l’emploi de projectiles à gaz lacrymogène sur les lieux de l’incident. Quant à la demande de reconstitution des faits déposée par la partie intervenante, la cour décida de la reconsidérer à un stade ultérieur.
Lors de l’audience du 23 décembre 1996, à la suite de la demande de la partie intervenante, il fut demandé aux accusés s’ils avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour épargner la vie des individus en question. Les accusés répondirent qu’il avait été impossible d’arrêter ces personnes vivantes parce qu’elles étaient armées et tiraient sur eux. L’un des représentants de la partie intervenante contesta les déclarations des accusés et prétendit n’avoir jamais entendu que les policiers arrêtaient les suspects vivants lors de telles opérations. Le représentant des accusés répondit qu’il n’était pas possible d’arrêter les suspects vivants parce que l’organisation terroriste avait déclaré toute la police ennemie et avait ordonné à tous ses membres la résistance armée lors des opérations policières.
A l’audience du 16 juin 1997, se basant sur les éléments du dossier, la cour d’assises estima qu’il n’y avait pas lieu de procéder à une reconstitution des faits et rejeta la demande renouvelée par la partie intervenante.
Le 29 décembre 1997, le conseil de la partie intervenante soumit un mémoire à la cour d’assises. Il contesta la version des faits présentée par les accusés. Il soutint que ces derniers, munis de M5, armes lourdes, avaient agi dans le but de tuer les intéressés. A aucun moment de l’opération, ils n’avaient envisagé de capturer vivantes les trois personnes, réfugiées dans une petite pièce. En outre, il affirma que le croquis sommaire établi par la police était mensonger. Le couloir était en « L ». Toutefois, sur le croquis en question, le plan de l’appartement était tel que les intéressés auraient pu tirer vers les policiers. Or les trois individus s’étaient réfugiés dans la petite pièce au bout du couloir, et il ne leur était pas possible de tirer sur des personnes ayant pénétré dans l’appartement par la porte. A l’appui de sa thèse, il produisit un croquis sommaire de l’appartement, qui fut versé au dossier.
A l’audience du 29 décembre 1997, le procureur présenta son réquisitoire et sollicita l’acquittement des accusés. La cour d’assises rejeta à nouveau la demande de reconstitution des faits déposée par la partie intervenante et rendit un verdict d’acquittement.
Dans ses attendus, elle indiquait notamment :
« (...) Une enquête préliminaire a été menée. Lors de l’investigation, des procèsverbaux sur l’état et la fermeture des lieux, un croquis sommaire, des procès-verbaux de dépositions et d’autopsies, ainsi qu’un rapport d’expertise établi par le bureau d’examen balistique de l’institut médicolégal, ont été dressés. Durant la procédure, la partie intervenante, les accusés et les témoins M.E. et F.Y. ont été entendus. Les documents concernant les défunts ont été versés au dossier.
Il en ressort qu’à l’issue de l’interrogatoire de T.Ç., membre du DHKP-C, placé en garde à vue auprès de la direction de la sûreté d’Istanbul, section antiterroriste, [la police] a été informée que les individus en cause préparaient une attaque armée contre l’équipe de police chargée d’assurer la sécurité de la banque Koçbank, à Bakırköy ; que les accusés, policiers rattachés à la section antiterroriste, se sont rendus sur les lieux en vue d’arrêter les intéressés, soupçonnés d’appartenance à l’organisation illégale en question. Ils ont adressé des sommations aux individus. Ces derniers n’ont pas ouvert la porte, ont scandé des slogans et ont ouvert le feu. Sur ce, après avoir fracturé la porte, les policiers ont pénétré dans l’appartement. Les individus sont décédés à l’issue d’un affrontement armé. Toutefois, il n’est pas possible d’établir quelles balles tirées par les policiers ont provoqué la mort. Des revolvers ayant appartenu aux défunts, des balles, des documents du DHKP-C, des publications, des revues et un symbole de cette organisation ont également été retrouvés (...) »
La cour d’assises conclut que l’usage de la force était prévu par l’article 16 de la loi no 2559 sur les attributions et obligations de la police, et qu’il y avait eu légitime défense, au sens de l’article 49 du code pénal.
Le 28 janvier 1998, les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur mémoire, ils contestaient l’appréciation des preuves opérée par la cour d’assises et prétendaient que la force employée par la police n’avait été ni nécessaire ni proportionnée. En outre, faute de reconstitution des faits et d’un croquis fiable, ils dénonçaient l’absence d’une procédure approfondie.
Le 23 juin 1998, la Cour de cassation confirma l’arrêt du 29 décembre 1997.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS
Les passages pertinents de l’article 17 de la Constitution turque disposent :
« Chacun a droit à la vie (...)
La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de l’alinéa premier si elle résulte de l’usage de la force meurtrière dans les cas de nécessité absolue où la loi l’autorise (« kanunun cevaz verdiği zorunlu durumlarda ») [:] légitime défense, exécution d’une arrestation ou d’une décision de mise en détention, prévention de l’évasion d’un détenu ou d’un condamné, répression d’une émeute ou d’une insurrection (...) »
A l’époque des faits, les dispositions pertinentes du code pénal étaient les suivantes :
Article 49 §§ 2 et 3
« Echappe à toute sanction quiconque a agi : (...)
poussé par la nécessité de contrer immédiatement une attaque illégale dirigée contre sa vie ou contre son honneur, ou contre la vie ou l’honneur d’autrui ;
poussé par la nécessité de se sauver lui-même ou de sauver autrui d’un danger grave imminent et personnel, danger qui n’était pas la conséquence d’un acte volontaire de sa part et qui ne pouvait être évité. (...) »
Article 50
« Quiconque, en agissant dans les circonstances énoncées à l’article 49, a dépassé les limites fixées par la loi, l’autorité ou la nécessité, est puni de huit ans d’emprisonnement au moins si la peine prévue pour le délit commis est la peine de mort, et de six à quinze ans d’emprisonnement si la peine prévue pour le délit commis est la réclusion à perpétuité. (...) »
Article 456
« Quiconque, sans intention de tuer, provoque chez autrui une souffrance physique, une atteinte à la santé ou une perturbation des facultés mentales est puni de six mois à un an d’emprisonnement. (...) »
Article 463
« Si l’un des délits visés aux articles 448, 449, 450, 456, 457 a été commis par plus d’une personne et que l’on ne peut pas en identifier l’auteur, toutes les personnes impliquées se voient infliger la peine prévue, réduite dans une proportion allant d’un tiers à la moitié. (...) »
Le code de procédure pénale contient une disposition permettant à une personne de se constituer partie civile afin d’obtenir réparation du dommage matériel résultant d’une infraction. Selon l’article 365, toute personne victime d’une infraction grave peut à tout moment de l’enquête porter plainte, se constituer « partie intervenante » et demander à être indemnisée du dommage résultant directement de l’infraction commise par le prévenu. Ce recours n’est ouvert qu’aux victimes directes et ne peut être exercé au nom d’un défunt. Le recours ne peut être exercé si le prévenu est acquitté. Pour qu’une personne puisse se constituer partie civile, il ne faut pas qu’elle ait auparavant saisi les tribunaux civils d’une demande en indemnisation du dommage résultant de l’infraction.
L’article 16 de la loi no 2559 sur les attributions et obligations de la police, adoptée le 4 juillet 1934 et publiée au Journal officiel le 14 juillet 1934, énumère toute une série de situations dans lesquelles un policier peut faire usage d’une arme à feu, à savoir : a) la légitime défense ; b) la défense des tiers contre une agression dirigée contre la vie ou contre l’intégrité physique et morale (ırz), si un autre moyen de défense n’est pas envisageable ; c) la tentative d’évasion ou d’agression d’une personne détenue, si un autre moyen de l’arrêter n’est pas envisageable ; d) l’agression dirigée contre des lieux, des armes ou des personnes que les policiers sont chargés de surveiller ; e) la fuite d’un suspect lors d’une perquisition et le refus de l’intéressé d’obéir aux sommations, si un autre moyen de l’arrêter n’est pas envisageable ; f) la fuite d’une personne recherchée par la police, accusée d’une infraction lourde ou condamnée pour avoir commis une telle infraction, alors qu’elle est sur le point d’être arrêtée, et le refus de cette personne d’obéir aux sommations, sous réserve qu’il n’y ait pas d’autre moyen de l’arrêter ; g) le refus d’obéir à un ordre de remettre des armes ou du matériel aux policiers ou la tentative visant à reprendre par la force des armes ou du matériel rendus aux policiers ; h) les cas de résistance individuelle ou collective ou d’agression lors de l’accomplissement de leurs fonctions par les forces de l’ordre ; i) les cas de résistance armée contre la souveraineté et les activités de l’Etat. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1956 et réside à Bergama.
A. L’arrestation et la garde à vue du requérant
Le 17 juillet 1998, dans le cadre des opérations menées par la police d’İzmir, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans les locaux de la Direction de sûreté d’İzmir. Il était soupçonné d’appartenir à une organisation armée d’extrême gauche, nommée « organisation de la restructuration du parti communiste » (Komünist Parti İnşa Örgütü).
Le jour de son arrestation, le requérant fut d’abord examiné par un médecin légiste. Dans son rapport, le médecin constata la présence des traces suivantes sur le corps de l’intéressé : des traces de menottes sur les poignets, des égratignures sur la partie extérieure du genou droit et sur la partie intérieure de la cheville gauche. Le requérant fut ensuite amené à la section anti-terroriste de la Direction de sûreté de Bozkaya où il fut placé dans une cellule.
A la fin de sa garde à vue, le 23 juillet 1998, le requérant fut examiné par le médecin légiste du bureau médico-légal d’İzmir t le rapport fait état d’égratignures sur les deux coudes, d’une zone d’ecchymose d’un cm de long et 0,3 cm de large sur la partie supérieure extérieure du bras droit, ainsi que d’une éraflure croûteuse d’un cm de long à l’arrière du pied droit. Le médecin légiste précisa que, malgré les déclarations de l’intéressé selon lesquelles il aurait subi des électrochocs sur ses organes génitaux et ses orteils lors de la garde à vue, aucune lésion justifiant cette affirmation ne fut décelée à l’hôpital d’İzmir où il fut transféré. Il ajouta dans son rapport qu’une biopsie était nécessaire afin de repérer de telles traces. Le médecin nota également que l’état du requérant ne nécessitait pas un arrêt de travail.
Le 23 juillet 1998, après l’avoir entendu, le juge assesseur de la cour de sûreté d’İzmir orna la mise en détention provisoire du requérant. Il fut placé à la maison d’arrêt de Bergama.
Le médecin de la maison d’arrêt qui examina le requérant le 25 juillet 1998 constata les traces suivantes sur son corps : une lésion croûteuse de 1 x 2 cm de large sur le talon du pied droit, deux érosions de 1 x 2 cm de large sur la partie supérieure du pied gauche, sensibilité dans la région droite des lombes.
B. Procédure pénale engagée contre le requérant
Par un acte d’accusation présenté le 17 août 1998, le procureur de la République près de la cour de sûreté de l’Etat d’İzmir accusa le requérant d’être membre d’une organisation armée. Il requit sa condamnation en vertu de l’article 168 § 2 du code pénal, réprimant l’appartenance à une bande armée.
Par un arrêt du 14 décembre 2000, la cour de sûreté de l’Etat d’İzmir déclara le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à une peine d’emprisonnement de douze ans et 6 mois.
Suite à une grève de la faim, le requérant, atteint de la maladie de Wernicke Korsakoff, fut mis en liberté conditionnelle le 1er octobre 2002 pour des raisons de santé.
C. Procédure pénale engagée contre les membres des forces de sécurité
Sur dénonciation du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations Unis quant aux mauvais traitements qu’auraient subis le requérant et ses co-détenus, le parquet d’İzmir rendit, le 11 septembre 1998, une ornance de non-lieu, statuant sur dossier et estimant qu’il n’existait aucun élément de preuve en l’absence d’une plainte de la part des éventuelles victimes. Cette ornance ne fut pas notifiée au requérant.
Le 22 septembre 1998, l’avocat du requérant porta plainte auprès du procureur de la République d’İzmir contre les agents de police responsables de l’interrogatoire de son client lors de sa garde à vue. Il leur reprocha d’avoir infligé de mauvais traitements à ce dernier afin de lui extorquer des aveux. Il soutint notamment que, lors de sa garde à vue, le requérant avait été battu, menacé, qu’il avait subi des électrochocs et des jets d’eau à haute pression.
Le 12 octobre 1998, le parquet d’İzmir rendit une ornance de non-lieu au motif qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes à l’appui des allégations selon lesquelles les traces constatées sur le corps du requérant avaient été causées par lesdits policiers. Cette ornance fut notifiée au conseil du requérant le 16 novembre 1998.
L’avocat du requérant fit opposition devant le président de la cour d’assises de Karşıyaka contre l’ornance de non-lieu. Par une décision rendue le 11 décembre 1998 et notifiée au conseil du requérant le 25 décembre 1998, le président de la cour d’assises rejeta cette opposition.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS À L’ÉPOQUE DES FAITS
Le code pénal turc réprime les actes de torture (article 243) et les mauvais traitements (article 245) infligés par un agent public. Les procureurs ont le devoir d’examiner les allégations d’infractions graves qui parviennent à leur connaissance, même en l’absence de plainte.
L’article 135 alinéa a) du code de procédure pénale interdit également la pratique de la torture et de toute autre sorte de mauvais traitements aux fins de l’extorsion d’aveux. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants, MM. Paşa Erol (père) et Erkan Erol (fils), sont nés respectivement en 1943 et 1986, et résident à Tunceli.
Le 11 mars 1995, Paşa Erol, en sa qualité de maire du village, fut informé qu’entre 11 et 15 heures, des mines antipersonnel seraient enterrées sur un coté des locaux du commandement de la gendarmerie d’Akdemir, district de Pertek (Tunceli). Le procès-verbal dressé le même jour par la gendarmerie indiqua que la zone fut entourée « de fils barbelés à hauteur de la taille » et des panneaux d’avertissement placés tous les vingt mètres.
Le lendemain, une notification fut adressée aux villageois afin de les informer de la présence de mines antipersonnel dans la zone située autour du commandement de la gendarmerie qui servait de pâturage du village. Des avertissements furent réitérés oralement les jours suivants.
Le 11 mai 1995, Erkan Erol, alors âgé de neuf ans, faisait paître des moutons avec ses camarades. Les animaux s’orientèrent alors vers la zone minée et y pénétrèrent. Le requérant et les autres enfants, qui avaient entre sept et treize ans, les poursuivirent et traversèrent aussi les fils barbelés. Puis, en voulant ramasser une pièce en métal qu’il avait remarquée dans la terre, le requérant fut blessé par l’explosion de ce qui s’avéra être une mine antipersonnel. Transporté par hélicoptère militaire à l’hôpital civil d’Elazığ, il fut amputé de la jambe gauche à hauteur du genou, partie remplacée par une prothèse. Une opération de sauvetage par hélicoptère militaire fut organisée pour sortir les autres enfants de la zone, dont certains furent légèrement blessés lors de l’explosion.
Le même jour ainsi que les 13, 14 et 15 mai 1995, neuf villageois, le maire, les enfants et leurs parents furent entendus par les gendarmes. Tous affirmèrent avoir été avertis du danger et avoir reçu des notifications. Les parents avaient interdit à leurs enfants d’entrer sur la zone. Toutefois, il ressort des témoignages que le maire du village se rendait sur cette zone avec ses animaux sans crainte.
Lors de sa déposition du 15 mai 1995, Paşa Erol reconnut sa négligence pour s’être lui-même rendu sur la zone.
Le 10 avril 1996, Paşa Erol introduisit une demande auprès du ministère de l’Intérieur pour obtenir des dommages et intérêts pour défaut de mesures de sécurité autour de la zone militaire.
Le 9 juillet 1996, il ouvrit une action en dédommagement contre ce ministère devant le tribunal administratif de Malatya, sur la base de l’article 125 de la Constitution relatif à la responsabilité objective de l’Etat.
Le 2 avril 1997, le tribunal administratif rejeta la demande au motif que les éléments du dossier permettaient d’établir que les mesures de sécurité avaient été prises autour de la zone minée et que celle-ci avait été entourée de « signalisation et de panneaux d’avertissement ». De plus, des notifications écrites et orales avaient été adressées en particulier à Paşa Erol, en tant que maire du village, ainsi qu’aux autres villageois. Le tribunal estima qu’aucune faute ne pouvait être imputable à l’Etat étant donné que le second requérant avait pénétré sur une zone interdite et était responsable de l’accident. Quant à son père, il en était responsable de par sa propre négligence.
Le 24 novembre 1998, sur pourvoi du requérant, le Conseil d’Etat confirma ce jugement. Il souligna que « la responsabilité objective de l’Etat nécessite obligatoirement une indemnisation même en cas d’absence de faute de service imputable aux agents de l’Etat en vertu de l’article 125 de la Constitution, cependant, si la personne a provoqué le dommage de par sa propre action et si sa responsabilité personnelle peut être engagée, le lien de causalité nécessaire pour la responsabilité objective de l’Etat cesse d’exister ».
L’arrêt définitif du Conseil d’Etat fut notifié aux requérants le 19 mars 1999.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONALES
L’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution énonce :
« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel.
(...)
L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. ».
L’article 1 de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, signée le 18 septembre 1997, impose aux Etats parties, d’une part, de ne pas employer de mines antipersonnel et, d’autre part, de détruire toutes les mines antipersonnel ou veiller à leur destruction dans les dix années suivant la date d’entrée en vigueur de la Convention après approbation par leur autorité interne.
La Turquie est partie à la Convention d’Ottawa depuis le 28 mars 2003. Celle-ci y est entrée en vigueur le 1er mars 2004. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1970 et est actuellement détenu à la maison d’arrêt de Villepinte.
Il est paraplégique depuis un accident de la circulation survenu en 1989. Il ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant. Il a conservé une mobilité normale des membres supérieurs et est autonome. Son état est actuellement stabilisé.
Le 25 novembre 2002, il fut mis en examen du chef d’enlèvement et séquestration d’un mineur de quinze ans (enfant de sept mois), et de séquestration pour favoriser la fuite ou l’impunité de l’auteur ou du complice de ce crime. Il fit l’objet d’une ordonnance de mise en détention provisoire du même jour et fut immédiatement incarcéré à la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Le 4 mars 2005, le requérant a été condamné par la cour d’assises de Seine et Marne à quatorze ans de réclusion criminelle assortis d’une période de sûreté de sept ans.
Le 15 mars 2006, cette peine a été ramenée en appel à dix ans de réclusion criminelle.
A. Nanterre
Le requérant a été incarcéré à la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine (Nanterre) du 25 novembre 2002 au 17 février 2003.
Le 25 décembre 2002, suite à une tentative de suicide (phlébotomie de la cheville), il fut admis au service des urgences de l’hôpital de Nanterre où il fut conduit avec des entraves. Il y resta quelques jours avant de retourner à la maison d’arrêt.
a) Thèse du requérant
Dans sa cellule, il rencontra des difficultés quotidiennes d’ordre pratique : il ne pouvait utiliser ni le miroir, ni les placards, placés trop haut, et ne pouvait accéder au bain de l’infirmerie en raison de l’absence d’aménagements spécifiques pour les fauteuils roulants.
Il indique n’avoir pu disposer de son fauteuil roulant du 31 janvier au 4 février 2003, en raison d’une défaillance mécanique. Le fauteuil de remplacement fourni par la prison étant vétuste et inutilisable, il dut se déplacer en se traînant sur le sol, notamment pour se rendre aux toilettes.
Le 17 février 2003, il fut transféré à Fresnes à la demande du psychiatre de l’établissement, ce dernier souhaitant qu’il puisse être suivi dans un centre pénitentiaire doté d’un service médico-psychologique régional (SMPR) et si possible incarcéré dans un hébergement adapté aux personnes à mobilité réduite.
Ce transfert eut lieu en fourgon cellulaire. L’état de santé du requérant exigeait selon lui un transport sanitaire adapté en ambulance.
b) Thèse du Gouvernement
Le Gouvernement souligne qu’un fauteuil de remplacement a été fourni au requérant lorsque le sien a dû être réparé.
Par ailleurs, le requérant disposait à Nanterre d’une chambre individuelle au rez-de-chaussée, avec des portes suffisamment larges pour qu’il passe avec son fauteuil. Il n’avait pas de lit médicalisé et ne pouvait accéder au bain sans un transfert de son fauteuil. Toutefois, il bénéficiait d’une intervention du personnel infirmier pour la toilette et de celle d’un détenu auxiliaire pour le nettoyage de la cellule.
Un rapport du chef d’établissement en date du 5 décembre 2002 à la Direction régionale des services pénitentiaires de Paris signalait des difficultés dans la prise en charge sanitaire du requérant. Il demandait le transfert vers un établissement doté de lits médicalisés et d’un service médico-psychologique régional (SMPR). Cette demande fut renouvelée le 12 février 2003 car il n’y avait pas de place la première fois. Le requérant fut transféré le 17 février 2003 en fourgon cellulaire, le médecin ayant estimé que le transport en ambulance n’était pas nécessaire.
B. Fresnes
Le requérant fut incarcéré à la maison d’arrêt du Val-de-Marne (Fresnes) du 17 février 2003 au 11 juin 2003. Il y bénéficia d’une cellule avec lit médicalisé, partagée avec un autre détenu également en fauteuil et disposa en outre d’une salle de bain spécialement aménagée partagée avec trois co-détenus.
a) Thèse du requérant
Durant ce séjour, il éprouva des difficultés de déplacement à l’intérieur de la prison en raison du manque d’aménagements et notamment de l’étroitesse des portes qui ne lui permettait pas de les franchir en fauteuil. Il ne pouvait accéder au bâtiment du secteur socio-éducatif et ne participa à aucune activité (sport, culte, travail).
Le 28 février 2003, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) adressa au requérant une note ainsi rédigée :
« Après avoir évoqué votre problème pour accéder aux activités au rapport de division, il s’avère effectivement que vous ne pouvez franchir aucune porte avec votre fauteuil roulant. (....) »
Le 3 mars 2003, le Docteur Fac de l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) fournit au requérant à sa demande une attestation ainsi formulée :
« Je soussigné, Dr C. Fac certifie que [le requérant] (...) bénéficie d’une cellule et de sanitaires adaptés. Néanmoins, il ne peut accéder, comme un détenu valide, à certaines activités en particulier musculation, enseignement, culte... »
Le requérant se trouva dans l’impossibilité matérielle d’accéder seul aux activités sportives, culturelles, cultuelles et d’enseignement, ainsi qu’aux cabinets des médecins et psychologues. Habituellement autonome, il se retrouva de fait dans une situation de dépendance, l’intervention d’un surveillant étant à chaque fois nécessaire pour le porter afin de l’aider à franchir les portes et passer le fauteuil en en démontant une roue.
Le requérant estime en outre qu’en cas « d’incendie ou d’incident extraordinaire », cette dépendance aurait mis sa vie et sa santé en danger en raison de l’impossibilité pour lui d’évacuer les lieux par ses propres moyens.
Enfin, il conteste avoir refusé de l’aide pour se déplacer à l’intérieur de l’établissement.
Dans sa cellule, le requérant éprouva également des difficultés à utiliser la douche, celle-ci étant équipée d’appuis latéraux malaisés à utiliser. Il demanda à plusieurs reprises que lui soit fournie une chaise et précise qu’il n’en obtint une que le 16 avril 2003, soit deux mois après son arrivée à Fresnes. Durant cette période, il ne put prendre aucune douche.
Le requérant se plaint par ailleurs de ce que le service médical de la maison d’arrêt lui fournit des sondes urinaires périmées.
Il déplore en outre le fait d’avoir eu à effectuer ses soins intimes en présence et à la vue directe de ses trois co-détenus (sondages urinaires et touchers rectaux pour l’évacuation des urines et des selles). Il se plaint également des rumeurs que ses co-détenus auraient alimentées dans la prison à ce sujet.
Le 6 mars 2003, il fut extrait en fourgon cellulaire pour comparaître devant le juge d’instruction.
Lors de cette extraction le médecin qui donna son accord pour ce mode de transport déclara qu’elle n’était « pas vétérinaire ». Jugeant ces propos inadmissibles, le requérant déposa une plainte contre elle auprès du procureur de la République de Créteil. Le médecin a ultérieurement fait l’objet d’un avertissement de la part d’un magistrat.
Le 22 mai 2003, se tenait l’audience de la cour d’appel de Paris concernant l’appel du requérant contre l’ordonnance de mise en détention provisoire du 25 novembre 2002. Il refusa de sortir du fourgon cellulaire pour protester contre ce moyen de transport qu’il estimait inapproprié à son état de santé. En conséquence, l’audience se tint hors de sa présence. Son appel fut déclaré irrecevable comme tardif par un arrêt du 22 mai 2003.
Il forma un pourvoi en cassation, estimant que le principe du contradictoire n’avait pas été respecté. Le pourvoi fut rejeté le 23 septembre 2003.
b) Thèse du Gouvernement
La maison d’arrêt de Fresnes a été conçue à la fin du XIXe siècle. Des travaux ont été faits dans une partie des locaux pour améliorer leur accessibilité aux détenus se déplaçant en fauteuil. Ainsi, des cellules ont été aménagées et les embrasures des portes des salles de soin situées au rez-de-chaussée ont été élargies. De même, la porte d’une salle a été élargie pour permettre aux détenus en fauteuil d’être reçus en audience dans des conditions de confidentialité satisfaisantes.
Le requérant partageait une cellule aménagée (sanitaire et mobilier) en rez-de-chaussée avec un autre détenu en fauteuil et avait un lit médicalisé. Il partageait une salle de bains adaptée avec trois autres détenus à mobilité réduite, y avait accès quotidiennement et bénéficiait pour ce faire de l’aide d’un détenu auxiliaire rémunéré par l’administration pénitentiaire.
Le Gouvernement ajoute que des infrastructures d’accueil des détenus handicapés ont été mises en place sous la forme d’un suivi et d’une garde médicale 24h/24, d’un accès direct aux cours de promenade ainsi qu’aux parloirs. En outre, un accompagnement est proposé pour l’accès à la bibliothèque, aux salles d’enseignement et à la chapelle, mais le requérant a toujours refusé. Un système de prêt d’ouvrages à distance et de cours par correspondance était effectif au moment de l’incarcération du requérant.
L’accès aux infrastructures sportives était subordonné à une liste d’attente.
Pour ce qui est des promenades, le Gouvernement précise que le requérant refusait de sortir de sa cellule car il ne souhaitait pas se promener avec d’autres handicapés.
En ce qui concerne l’extraction du 6 mars 2003, il indique que le médecin avait estimé que l’état du requérant n’était pas incompatible avec un transport en fourgon cellulaire.
Enfin, pour ce qui est de l’incident avec le médecin le même jour, le Gouvernement précise que le rapport de la Commission nationale de déontologie établit que, lorsque le médecin a décidé que le requérant pouvait être transporté en fourgon cellulaire, celui-ci a haussé le ton et indiqué qu’il n’était pas un animal. C’est en réponse à ces mots que le médecin a prononcé les paroles litigieuses. Ce n’était donc pas une expression de mépris mais simplement la réponse aux déclarations excessives du requérant. Elle a toutefois reconnu ensuite que ces propos étaient inappropriés. Elle a été entendue le 17 juin 2003 par les autorités judiciaires et a fait l’objet d’un avertissement de la part d’un magistrat du parquet.
C. Cergy-Pontoise
Le requérant a été incarcéré à la maison d’arrêt de Cergy-Pontoise (Osny) du 11 juin 2003 au 21 février 2005.
a) Thèse du requérant
Il rencontra là aussi des difficultés d’accès aux différentes activités de la prison.
L’accès à la bibliothèque et aux enseignements requérait l’aide d’une tierce personne pour gravir les escaliers. Convoqué à plusieurs reprises à la bibliothèque, le requérant ne put s’y rendre en l’absence de personnel disponible pour l’aider.
Le requérant déclare que l’accès au sport lui fut impossible jusqu’au 1er septembre 2003, puis de décembre 2003 à octobre 2004 car il avait été, selon lui, exclu sans motif. Il conteste par ailleurs avoir pu travailler.
Dans sa cellule, la douche n’était pas adaptée à une personne paraplégique puisqu’il devait actionner le bouton poussoir avec l’arrière de sa tête pour obtenir de l’eau.
Le requérant critique le manque de diligence du directeur de la maison d’arrêt qui constata ce problème de douche le 16 octobre 2003 et ne prit une mesure d’aménagement que le 23 novembre 2003.
Par ailleurs, lors de son extraction pour la confrontation du 31 juillet 2003, le requérant rapporte qu’il resta de 9 heures à 20 heures sans boire ni manger.
b) Thèse du Gouvernement
Le requérant était hébergé dans une cellule individuelle, située en rez-de-chaussée et équipée d’une douche. Il pouvait accéder, de manière autonome, à l’unité médicale, à la cour de promenade, aux parloirs et aux structures sportives. En revanche, une assistance était nécessaire pour accéder aux activités situées au premier étage (bibliothèque, salle de culte et unité scolaire).
Le requérant pouvait bénéficier du système de bibliothèque ambulante, de l’enseignement par correspondance et de rencontres en cellule avec un aumônier. Il a pu accéder aux activités sportives à partir du 1er septembre 2003.
Il a été classé dans un petit atelier spécifique destiné aux détenus handicapés ou fragiles. Toutefois, faute de commandes, aucune tâche n’a pu lui être proposée. Le Gouvernement précise qu’à cette période, seuls 9% des détenus de cette maison d’arrêt se voyaient régulièrement proposer du travail.
Pour ce qui est des difficultés rencontrées avec la douche, les travaux ont été exécutés un mois et demi après leur constatation, après l’établissement d’un devis, la commande de la prestation et le délai d’intervention. Le Gouvernement souligne par ailleurs que, dans un courrier qu’il a adressé le 4 juillet 2003 au directeur régional, le requérant indiquait : « du côté des sanitaires (WC, douche), vu mon état de santé actuel, j’ai encore la possibilité d’y avoir accès grâce à une relative autonomie, cependant vu la rapidité avec laquelle l’évolution de mon état de santé se dégrade, cela sera impossible d’ici quelques mois. » Il en conclut que le requérant reconnaissait avoir pu, dès son arrivée, utiliser la douche de sa cellule, et ce même avant que les travaux soient effectués.
En ce qui concerne les extractions pour lesquelles l’heure de retour du prévenu est inconnue, le détenu se voit remettre un « panier repas ».
D. Meaux-Chauconin
Le requérant a été transféré le 21 février 2005 dans cet établissement récent et particulièrement adapté aux personnes handicapées. Il ne soulève aucun grief à l’égard de cet établissement.
Un médecin inspecteur de santé publique fit, le 27 mai 2005, un compte-rendu d’enquête qui se lit comme suit :
« Situation de Mr Vincent au regard de l’accessibilité des lieux :
Mr Vincent est porteur d’un handicap l’amenant à être en permanence en fauteuil roulant.
Au regard de cette contrainte
- la maison d’arrêt de Meaux/Chauconin est accessible aux handicapés dans tous les lieux.
- Il y a des ascenseurs, accessibles aux fauteuils roulants.
La cellule de Mr Vincent :
- mesure 10m², comporte une douche accessible, aménagée à l’aide d’une chaise à accoudoirs, mais sans tablette ou chaise rabattable,
- des toilettes sont aménagées avec barre d’appui,
- le lit est à bonne hauteur,
- il n’y a pas de sonnette d’appel en cas de chute,
- les portemanteaux ne sont pas à une hauteur facile d’accès.
Au regard des loisirs sportifs
- Mr Vincent me dit avoir accès au gymnase, au tennis de table, au basket ;
- en revanche, il est plus difficile d’accéder à la salle de musculation en raison de marches à monter ;
Au regard de l’accès à la culture et à l’information
- Mr Vincent me fait savoir que l’accès est total.
Il est du reste sollicité pour prochainement devenir le responsable de la médiathèque, qui lui permettra d’accéder à un travail.
Au regard de l’accès aux soins
Mr Vincent peut faire tous les soins que requiert son état :
-Matériel, traitement, accès aux consultations ambulatoires comme les autres détenus.
La kinésithérapie n’est pas un soin possible dans l’UCSA en raison de l’absence de candidature de kinésithérapeute dans l’hôpital (et hors hôpital).
Au total :
Les plaintes de Mr Vincent portent essentiellement sur ses conditions de détention antérieures.
Les conditions actuelles de détention garantissent apparemment sans discrimination son accès aux lieux de vie du centre de détention, son accès aux soins, aux loisirs, à la culture, et prochainement au travail. »
E. Villepinte
Le requérant a été transféré le 21 mars 2006 à la maison d’arrêt de Villepinte.
a) Thèse du requérant
Selon lui, cette maison d’arrêt n’est pas adaptée à son handicap et il ne bénéficie plus dans cet établissement d’un suivi médical et psychologique. Il ajoute qu’il est privé de l’accès aux services et que sa cellule n’est pas aménagée pour qu’il puisse l’utiliser.
b) Thèse du Gouvernement
Le Gouvernement souligne que c’est suite à son propre comportement que le requérant a été transféré à Villepinte. En effet, à partir de la fin de l’année 2005, il a commencé à mettre en cause le directeur adjoint de l’établissement de Meaux-Chauconin et à l’accuser de « harcèlement » et de « brimades ». Il a déposé le 26 décembre 2005 une plainte contre X pour harcèlement moral, qui visait notamment le Directeur adjoint de cet établissement. Dans ces conditions, son maintien à Meaux n’était pas possible et les raisons de son transfèrement lui ont été expliquées dans un courrier du Directeur régional de l’administration pénitentiaire en date du 11 avril 2006 et qui se lit comme suit :
« Pour faire suite à votre courrier du 28 mars 2006 dans lequel vous vous plaignez d’avoir fait l’objet d’un transfert de la maison d’arrêt de Meaux-Chauconin sur la maison d’arrêt de Villepinte, je vous informe que votre transfert a été motivé par votre mauvais comportement sur l’établissement de Meaux-Chauconin. Je vous rappelle que durant votre présence sur la maison d’arrêt de Meaux-Chauconin, vous n’avez eu de cesse de vous plaindre de vos conditions de détention, en atteste votre précédent courrier adressé au Directeur régional le 26/12/2005, tout comme durant l’ensemble de votre détention sur les établissements de Nanterre, Fresnes ou Osny.
Je vous indique d’autre part qu’un dossier d’orientation est en cours d’instruction sur la maison d’arrêt de Villepinte afin de vous affecter sur un établissement pour peines. Vous avez la possibilité de joindre à ce dossier une lettre indiquant vos vœux concernant cette affectation. »
Le Gouvernement ajoute que le requérant est hébergé dans une cellule aménagée pour les handicapés, équipée d’une douche. Il a la possibilité d’accéder à la salle de sport, mais n’en avait pas encore fait la demande au 25 avril 2006, à la promenade, au culte, aux parloirs et aux ateliers. La bibliothèque n’est pas directement accessible, mais un fond d’une centaine d’ouvrages, régulièrement renouvelé, est accessible dans l’unité où il se trouve et en outre, la bibliothécaire peut lui apporter les livres demandés.
F. Recours exercés
Le requérant indique avoir adressé plusieurs courriers en vain au directeur de la maison d’arrêt de Fresnes les 14 avril, 30 avril et 13 mai 2003, ainsi qu’au directeur de la maison d’arrêt de Cergy-Pontoise les 30 décembre 2003 et 28 janvier 2004.
Concernant le problème du fauteuil roulant à Nanterre entre les 31 janvier et 4 février 2003, le requérant déposa une plainte le 10 août 2004 devant le procureur de la République de Nanterre. Celle-ci fit l’objet d’un classement sans suite le 30 décembre 2004, après que le requérant, l’infirmière responsable du personnel para-médical de la maison d’arrêt et un premier surveillant eurent été entendus.
L’infirmière, Mme R., déclara ce qui suit :
« Le jeudi soir, une infirmière m’a appelée à la maison pour me signaler que l’une des roues du fauteuil de M. Vincent était à plat. (...) Je lui ai dit d’échanger ce fauteuil avec celui dont nous disposions au service. Nous avons un fauteuil qui nous sert à aller chercher les détenus dans les étages quand ils ont un malaise ou autre. C’était donc un jeudi soir de 2003. Le vendredi matin j’ai essayé de voir s’il était possible au niveau de la maintenance interne de réparer une chambre à air pour cette roue. Ce n’était pas possible. (...). J’ai vu la directrice qui se trouvait présente à cette période, qui m’a autorisée à sortir la roue de l’établissement et à la faire réparer à mon domicile par mon mari. En attendant, M. Vincent était toujours dans le fauteuil du service, qui se trouvait être en bon état. Le lundi matin, je suis revenue avec la roue réparée par mon mari, que nous avons remise en place sur son fauteuil.
Quand je suis allée, le même jour, rapporter le fauteuil à M. Vincent, j’ai tout de même été très étonnée de voir qu’il me rendait un fauteuil cassé. Il manquait des écrous, plus de roulement à bille. Il me l’a rendu en mauvais état, une roue étant à nouveau cassée et j’ai encore eu un mal fou à le faire réparer, ici et à l’hôpital. Les écrous n’étaient plus sur l’appareil. Il n’a pas rendu les pièces manquantes, ni dit où elles pouvaient être, sans pouvoir nous indiquer où les récupérer et comment il avait pu faire.
Par contre, je ne sais pas à quelle période il a cassé ce fauteuil. Je n’irais pas jusqu’à dire que ce fut volontaire mais je me demande comment il a pu faire. Ces appareils sont tout de même costauds et il aurait pu au moins restituer les pièces manquantes (écrous).
Je sais que le vendredi des faits le fauteuil n’était pas cassé, sinon il aurait bien su nous le faire savoir. Il l’a récupéré le lundi suivant, j’en suis sûre. Il a pu rester trois jours avec le fauteuil de l’administration.
Des infirmières de l’UCSA sont présentes le week-end dans l’établissement même. Il n’a jamais fait appel à celles-ci durant le week-end. Il savait très bien, comme tout détenu, qu’elles étaient là en cas de besoin.
Il est vrai que s’il l’a cassé durant le week-end, il n’avait plus de moyen de locomotion, mais il aurait pu faire appel. (...)
J’ai regardé dans son dossier, il n’y a pas trace d’appel et les infirmières ne se souviennent pas d’une quelconque sollicitation.
Je ne peux rien dire de plus. Nous lui avons fourni un appareil, qu’il a cassé, je ne sais pas à quel moment. »
Le premier surveillant, M. Z., déclara quant à lui :
« Je me souviens très bien de cet incident. A l’époque, j’étais responsable du bâtiment B. Ce monsieur avait un fauteuil roulant personnel. Il était très procédurier. Il sollicitait souvent des audiences pour tout et n’importe quoi. Tous les jours, je descendais lui rendre visite dans sa cellule adaptée pour les handicapés. C’est très rare que nous recevions des personnes handicapées. Il était toujours accompagné quand il avait à circuler dans le bâtiment, soit par le père Léo, soit par une infirmière quand il devait se rendre au service médical.
Par la suite, nous avions convenu avec la direction qu’il pouvait finalement se déplacer tout seul. C’est là que les problèmes ont commencé. Je ne sais pas s’il avait crevé une de ses roues ou pas, toujours est-il qu’il s’est vu attribuer un autre fauteuil, dont disposait l’administration (médicale). Sa roue a été prise par l’infirmière en chef, Mme R., du fait que nous ne disposions pas de l’outillage (rustines) en maison d’arrêt. Elle l’a fait réparer elle-même. Nous lui avions fourni un fauteuil donc, et du fait qu’à mon sens il n’était pas satisfait d’avoir ce nouveau fauteuil, il me l’avait signifié, il avait démonté les deux roues, pas seulement une, arrières de ce nouveau fauteuil. J’ai vu les deux roues arrières, après remise, démontées dans sa cellule. Elles étaient à terre. Je m’étais mis en colère. C’est un type intelligent. Il m’avait déjà menacé de déposer plainte contre nous pour maltraitance. Nous n’avions pas d’autre chariot à lui proposer.
Il n’était pas isolé puisque je venais le voir tous les jours. La plupart du temps, il dormait, était couché dans son lit. Quand je l’interrogeais, il ne répondait pas ou à peine. (...)
Pour moi, le démontage par M. Vincent du fauteuil prêté était volontaire, parce qu’il était mécontent de ce matériel. Il est vrai qu’il pouvait paraître moins facile, moins sophistiqué que le sien. Les deux roues étaient enlevées, écrous dévissés. Je me souviendrai toujours qu’il trouvait ce matériel défectueux, voulait son fauteuil personnel.
Il est vrai que nous n’étions pas préparés à ce genre d’incident. Il a conservé le fauteuil de l’administration à peine deux jours. Il n’en voulait pas.
Quand j’ai retrouvé le fauteuil ainsi dans sa cellule, j’ai signalé au personnel médical que s’il y avait un problème, il lui faudrait se déplacer jusqu’à la cellule.
Il est resté sans fauteuil effectivement le temps de la réparation de la roue de son fauteuil personnel.
De toute façon, il n’allait pas en promenade. Il était mécontent de la structure de l’établissement, voulant aller à Fresnes, mieux adapté pour son cas. Il a toujours été revendicatif pour n’importe quoi.
Il était en surveillance spéciale, ce qui veut dire que les agents doivent le visiter plus régulièrement que les autres, au même titre que les suicidaires ou autres, jour et nuit.
Pour les toilettes, il se débrouillait dans sa cellule, seul, les cellules étant aménagées. Pour la douche, il était conduit tous les deux jours par les infirmières dans les locaux ad hoc. (...) »
Le requérant saisit le médecin inspecteur de la santé publique (MISP) qui écrivit ce qui suit au directeur de la maison d’arrêt du Val d’Oise dans un courrier non daté :
« En ma qualité de médecin inspecteur de la santé publique et en application de l’article D. 348-1 du code de procédure pénale, j’ai été saisi à deux reprises par des détenus de la maison d’arrêt du Val d’Oise pour un défaut d’accessibilité de certains services, comme la bibliothèque ou d’autres services de type socioculturel situés dans les étages. Les personnes à mobilité réduite ne peuvent s’y rendre en l’absence d’ascenseur.
J’imagine que la mise en place d’un tel équipement n’est pas réalisable immédiatement, mais je vous demanderais de rechercher tout autre moyen d’améliorer l’accessibilité des étages aux détenus handicapés, leur donnant ainsi des droits égaux à ceux des autres détenus. »
Le 14 mai 2003, le requérant reçut en réponse à un courrier du 27 mars 2003 adressé au ministre de la santé, la copie d’un rapport du directeur de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) du Val-de-Marne adressé au chef de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui se lit comme suit :
« (...) [Le requérant] se plaint des conditions d’incarcération non adaptées à son handicap. A Nanterre, les portes larges permettaient [au requérant] de circuler librement mais il ne pouvait accéder au bain sans être transféré de son fauteuil roulant.
A Fresnes, [le requérant] occupe une cellule aménagée spécialement pour handicapés et partage également avec trois autres co-détenus une salle de bain spécialement aménagée. Le siège de douche, trop haut pour lui et sans appuis latéraux, serait malaisé à utiliser. Les portes étroites de la maison d’arrêt (en dehors de celles des cellules, spécialement aménagées) ne lui permettent pas de sortir sur son fauteuil sans être transféré. Refusant de l’aide pour ce transfert, il ne participe pas aux activités. Il a toutefois accès aux promenades.
(...) La visite de la cellule ne permet pas de révéler d’anomalies au niveau de l’aménagement de la salle de bain. Le siège ne comporte pas d’appuis latéraux mais une chaise a été proposée au détenu par l’administration pénitentiaire pour pallier à cet inconvénient. La salle de bains n’est pas tout à fait adaptée au handicap du détenu mais les installations peuvent être utilisées s’il le désire (...)
La demande [du requérant] est d’être transféré dans un centre tout à fait adapté à son handicap.
[Le requérant] a fourni lors de l’enquête des sondes urinaires sèches de marque Coloplast, de type Easicath 5352 et de lot 9290718 périmées en avril 2002. Selon ses dires, ces sondes lui auraient été fournies par [l’unité de consultation et des soins ambulatoires (UCSA)] à son arrivée à Fresnes.
La consultation du dossier médical permet de retrouver que lors de son incarcération à Nanterre, le détenu a continué à utiliser ses propres sondes sèches refusant d’utiliser le matériel fourni par l’UCSA (sondes lubrifiées).
L’équipe infirmière de l’UCSA de Fresnes a été interrogée à ce sujet. Elle a donné [au requérant] des sondes Coloplast Speedicath et n’a pas dans son stock des sondes de type Easicath qui ne sont plus utilisées en raison du risque infectieux supplémentaire induit par l’obligation de les enduire d’eau stérile lors de l’utilisation.
La pharmacie de l’UCSA de Fresnes a retrouvé dans son stock des sondes Coloplast Easicath mais de lot (9994968) et de date de péremption (05/2002) différents. La boîte non entamée n’avait jamais été utilisée. Il s’agit d’un vieux stock oublié.
Conclusion :
[Le requérant] a une personnalité revendicatrice.
La prise en charge [du requérant] au sein de Fresnes dans une cellule spécialement aménagée est optimale en fonction des possibilités offertes par cette prison.
L’accusation par rapport à l’UCSA d’avoir fourni des sondes périmées ne paraît pas plausible.
Le patient a fait l’objet d’un suivi psychiatrique et ne nécessite plus actuellement de prise de traitement. »
Le 30 mai 2003 le requérant obtint en réponse à un courrier adressé au ministre de la justice, garde des sceaux le 12 mars 2003, une lettre du chef du bureau de la gestion de la détention indiquant ceci :
« (...) j’ai transmis votre requête à M. le directeur régional des services pénitentiaires de Paris à qui j’ai demandé de procéder à un examen attentif et d’y réserver la suite qu’il convient. (...) »
Le 25 avril 2003, l’observatoire international des prisons (OIP) alerté par le requérant, saisit l’IGAS qui diligenta une enquête. Par un courrier du 26 juin 2003 l’IGAS informa l’OIP des résultats de l’enquête et indiqua que :
« (...) La prise en charge de Monsieur [Vincent] à la maison d’arrêt de Fresnes dans une cellule spécialement aménagée pour handicapés est optimale en fonction des possibilités offertes par cette prison. Monsieur [Vincent] partage avec trois autres co-détenus une salle de bain spécialement aménagée. Les portes étroites de la maison d’arrêt ne lui permettant pas de sortir sur son fauteuil sans être transféré, il refuse de l’aide pour ce transfert, et ne participe donc pas aux activités. Il a toutefois accès aux promenades.
Le signalement de la fourniture de sondes périmées ne me paraît pas plausible. (...) ».
Le 30 juillet 2003, le directeur régional des services pénitentiaires, saisi par courriers des 19 mars et 4 juillet 2003 du requérant, fournit à ce dernier une réponse ainsi formulée :
« (...) La gestion des personnels placés sous main de justice à mobilité réduite ou en fauteuil roulant est très difficile car nos établissements sont mal adaptés pour cette catégorie de détenus. Dans votre situation après vos difficultés d’adaptation à la maison d’arrêt de Nanterre et à la maison d’arrêt de Fresnes, la maison d’arrêt du Val d’Oise semblait la plus adaptée à votre pathologie malgré quelques inconvénients. Comme dans chaque établissement le personnel pénitentiaire fait preuve de patience et de bonne volonté pour gérer vos difficultés. »
La commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la république (autorités publiques, services publics et personnes privées) fut saisie le 1er juillet 2003 par M. Noël Mamère, député de la Gironde. Elle auditionna le requérant le 19 novembre 2003 et adopta un avis et une recommandation le 9 janvier 2004 (voir annexe).
Le requérant écrivit le 28 février 2004 à la direction régionale des services pénitentiaires de Paris (DRSP) pour attirer l’attention sur sa situation. Le directeur répondit au requérant en ces termes dans un courrier du 22 mars 2004 :
« (...) Vous vous plaignez ainsi de ne pouvoir accéder aux bâtiments du secteur socio-éducatif pour y suivre des enseignements et aller à la bibliothèque. Vous indiquez par ailleurs n’avoir reçu aucune explication de la part de la direction à ce sujet.
Saisi par mes soins, le directeur de la maison d’arrêt du Val d’Oise m’a précisé qu’il vous avait reçu et vous [avait] déjà fourni toutes les explications : si l’unité de soins se trouve en rez-de-chaussée, les salles de cours et la bibliothèque sont situées à l’étage, sans ascenseur. Votre mobilité réduite ne peut vous permettre d’accéder à ce secteur.
Néanmoins, la direction a tout mis en œuvre pour que vos conditions de détention soient aussi justes que possible : le directeur de la maison d’arrêt m’a indiqué que vous aviez la possibilité de vous faire descendre les livres choisis, possibilité dont vous usez actuellement. Si vous souhaitez suivre des enseignements, je vous informe qu’il est possible que soit mis en place à votre attention un enseignement adapté à distance : je vous invite à vous rapprocher du responsable local de l’enseignement.
Concernant votre cellule, le directeur m’a également précisé qu’il avait fait procéder à des travaux complémentaires pour un aménagement aussi satisfaisant que possible, eu égard à votre état de santé.
Par ailleurs, je note dans votre dossier que vous avez été initialement écroué à la maison d’arrêt de Nanterre, dont vous avez été transféré le 17/02/03 sur demande médicale pour la maison d’arrêt de Fresnes, du fait d’une prise en charge médicale et psychologique insuffisante dont vous vous êtes plaint.
Sur Fresnes, par courrier adressé à la direction de cet établissement le 20 février 2003, vous vous êtes à nouveau plaint de votre transfert, jugeant que celui-ci était selon vous incompréhensible, et estimant vos nouvelles conditions de détention insuffisantes. Vous demandiez de pouvoir retourner à Nanterre dont vous aviez peu de temps auparavant demandé à être sorti.
Vous avez en conséquence été réaffecté sur la maison d’arrêt du Val d’Oise, un établissement équivalent à Nanterre, en juin 2003. Dans un courrier du 4 juillet 2003, vous indiquez que vous avez des difficultés à vous rendre dans le secteur socio-éducatif, en raison de l’architecture des lieux, vous notez, je cite, « ...une réelle volonté d’y remédier de la part du personnel pénitentiaire, ce qui n’était pas le cas à Nanterre et à Fresnes »
Il me semble donc qu’à chaque fois, l’ensemble du personnel des différents établissements ainsi que mes services, ont tout mis en œuvre pour répondre au mieux à vos demandes (...). »
Le requérant alerta le juge d’instruction sur sa situation dans un courrier du 15 mars 2004. Aucune suite ne semble avoir été donnée à ce courrier.
Le requérant fait par ailleurs état de plaintes, sans autres précisions, portées auprès du procureur de la république de Pontoise, contre la direction de la maison d’arrêt du Val d’Oise.
Enfin, le requérant signale qu’il alerta par un courrier du 28 avril 2003 le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe (CPT).
G. Autres procédures
Dans ses différentes correspondances adressées au Greffe, le requérant fait état de diverses procédures auxquelles il est partie :
D’abord, le requérant interjeta appel de l’ordonnance de mise en détention provisoire du 25 novembre 2002. Son appel fut déclaré irrecevable comme tardif par un arrêt du 22 mai 2003. Il forma un pourvoi en cassation qui fut rejeté le 23 septembre 2003, la Cour relevant notamment qu’ayant refusé d’être extrait pour comparaître devant la chambre de l’instruction, le requérant ne pouvait se faire un grief de ce que cette juridiction ait statué en son absence.
Ensuite, le requérant formula plusieurs demandes de remises en liberté. Elles firent toutes l’objet de décisions de rejet (18 mars, 4 avril, 17 avril, 5 mai, et 20 mai 2003) au motif qu’il n’apportait aucun élément nouveau.
Par ailleurs, un litige est pendant contre son avocate, qui ne s’est, selon lui, jamais présentée aux audiences et confrontations de son client et qui refuserait de lui restituer certains documents. Le bâtonnier et le procureur de la république de Melun sont saisis de l’affaire.
Le 27 novembre 2002, le requérant fit l’objet d’un article de journal qu’il considère comme discriminatoire, diffamatoire et mensonger. Il déposa deux plaintes, les 28 avril et 28 mai 2003, auprès du procureur de la République de Melun, la première pour diffamation, la seconde contre le directeur de la publication pour son refus d’insérer un droit de réponse. Persuadé que ces plaintes seront classées sans suite, il porta également plainte auprès du procureur de la république de Créteil le 3 juin 2003.
Le requérant critique enfin les greffes des maisons d’arrêt qui ne transmettraient pas ses correspondances entrantes et sortantes dans les temps. De plus, deux courriers provenant du greffe de la Cour auraient été ouverts par l’administration pénitentiaire. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1960 et réside à Stryama.
A. La détention de la requérante
Le 13 mai 1996, un certain S.V. et son épouse saisirent le service régional de la police de Rakovski d’une plainte contre la requérante, en alléguant que vers 8 heures du matin elle leur avait volé deux sacs contenant des documents et une certaine somme d’argent. Avant de porter plainte, S.V. et son épouse avaient en vain tenté de persuader la requérante de reconnaître avoir pris les sacs et de les leur rendre.
La mère et la fille de la requérante furent interrogées par la police. Après en avoir été informée, la requérante se rendit au poste de police de Rakovski et reconnut avoir pris les sacs, en proposant de les restituer à S.V et à son épouse. Entre 16 et 17 heures, un policier (Y.B.) se rendit avec la requérante au magasin dans lequel elle travaillait et elle lui remit les sacs, en l’absence de témoins et sans qu’un inventaire de leur contenu soit établi.
Après avoir averti les propriétaires que les sacs avaient été retrouvés, vers 18 heures Y.B. se rendit aux locaux du service de la police de Rakovski où il vérifia le contenu des sacs en présence du directeur du service. Ils constatèrent le manque d’une certaine somme d’argent (environ trois mille dollars américains et quarante mille leva).
Y.B. se rendit à Stryama, au magasin où travaillait la requérante qui fut contrainte de l’accompagner au poste de police de Rakovski où elle fut interrogée au sujet de l’argent manquant en présence du directeur du service. Par la suite, une confrontation entre la requérante et les plaignants eut lieu, lors de laquelle l’intéressée nia avoir subtilisé l’argent. A l’issue de cette confrontation, Y.B. sortit la requérante dans le couloir et la menotta au radiateur du chauffage. Quelques minutes plus tard, Y.B., S.V. et son épouse quittèrent le poste de police.
Y.B. revint environ une heure plus tard, vers 22 heures, accompagné de l’époux et de la fille de la requérante qui s’étaient auparavant rendus au domicile de S.V. afin de discuter de l’incident. La requérante fut interrogée par Y.B en leur présence. Par ailleurs, ce dernier lui ordonna de lui remettre son document d’identité.
Après cet interrogatoire, l’époux et la fille de la requérante quittèrent les lieux. Le mari de l’intéressée se rendit de nouveau chez S.V. afin de discuter de l’incident.
Environ vingt minutes après leur départ, vers 23 heures 30, la requérante fut conduite par Y.B. et un autre policier à Stryama, où elle habitait, et fut relâchée.
Le 14 mai 1996, vers 13 heures, la requérante consulta un médecin légiste. Ce dernier procéda à l’examen de la requérante et lui délivra un certificat médical.
D’après le certificat, la requérante présentait une enflure d’environ deux centimètres sur la tête, un hématome de huit centimètres de long et de quatre centimètres et demi de large sur la partie extérieure de l’aisselle gauche ; un hématome mesurant trois centimètres et demi de long et trois centimètres de large sur l’arrière de l’aisselle gauche ; un hématome mesurant cinq centimètres de long et trois centimètres de large sur le revers de la main gauche, au niveau de la base du pouce ; un autre hématome de trois centimètres de long et de trois centimètres de large, au niveau de la base du majeur de la main gauche ; un hématome d’un centimètres de long et d’un centimètre et demi de large sur l’arrière de l’articulation du poignet droit ; et un autre hématome mesurant deux centimètres de long et un centimètre de large au niveau de la base du pouce de la main droite ; un hématome formant une bande de sept centimètres de long sur la paume droite, au niveau de la base des doigts ; un hématome similaire de trois centimètres de long et d’un centimètre et demi de large et une abrasion de la peau d’un demi-centimètre de long et d’un demi-centimètre de large au niveau de la base du cinquième doigt de la main droite ; un hématome tout au long de l’arrière de l’articulation médiane du quatrième doigt de la main droite ; un hématome formant une bande mesurant vingt-quatre centimètres sur dix centimètres sur la fesse gauche et sur une partie de la fesse droite ; un hématome formant deux bandes superposées de neuf centimètres de long et de trois centimètres de large sur la partie extérieure de la cuisse gauche et un hématome de deux centimètres de long et de deux centimètres de large sur la partie intérieure de la cuisse.
Le médecin conclut que les blessures avaient été causées à l’aide d’un objet solide et pouvaient avoir été causées au moment et de la manière décrits par la requérante, à savoir au moyen de coups de matraque administrés par un policer en civil le jour précédent, vers 20 heures 30, et qu’elle avait l’un des poignets attaché au radiateur de chauffage.
Le 26 juin 1996, la requérante se vit restituer son document d’identité.
B. Les tentatives de la requérante pour déclencher des poursuites pénales contre Y.B.
Le 16 mai 1996, la requérante porta plainte auprès du parquet militaire, en alléguant qu’elle avait été maltraitée par Y.B. lors de la confrontation avec S.V. et son épouse. Elle indiqua que par la suite le policer l’avait traînée dans le couloir et l’avait attachée au radiateur de chauffage au moyen de menottes.
La requérante cita les noms d’une personne qui l’avait vue lorsqu’elle se rendait au poste de police en compagnie de Y.B., de l’officier de service et de T.R, le policier qui conduisait la voiture dans laquelle elle avait été transportée à Stryama. Par ailleurs, elle affirma que son époux et sa fille pouvaient témoigner de son état, ayant été présents lors du deuxième interrogatoire. La requérante relata cette partie des événements dans les termes suivants :
« Y.B. me dit qu’il allait se rendre à mon domicile pour arrêter mon époux et mes enfants qu’il comptait ramener au poste de la police et battre jusqu’à ce que j’avoue [avoir pris l’argent]. Il les ramena au service de la police de Rakovski environ une heure plus tard. Mon époux et ma fille me virent couverte de bleus et meurtrie de coups. Il me demanda ce qui se passait, quels sont ces bleus. Je lui répondis qu’Y.B. m’avait battue. Il nous amena tous dans son bureau. Alors, il me demanda mon passeport et je le lui donnai. Il m’obligea à écrire une déclaration. Par ailleurs, il obligea mon mari et ma fille à partir, en disant à mon époux qu’il n’allait pas me relâcher tant que je n’avoue pas. Il déclara devant mon mari qu’il allait me conduire à la prison la nuit même si je n’avouais pas où était l’argent. Mon époux partit avec ma fille. Quand il vit ma déclaration il se mit en rage et il me dit que si je perdais mon travail il allait me liquider. Par la suite, il m’amena au premier étage et me laissa au fond du couloir. Il me dit qu’il allait chercher une voiture pour m’amener à la prison. Il revint vingt minutes plus tard et me dit de le suivre. »
N’ayant pas été informée du résultat de l’information, la requérante introduisit une nouvelle plainte auprès du parquet, le 24 février 1997.
Le 12 mai 1997, le parquet militaire régional prononça un non-lieu au motif que Y.B. et T.R. avaient nié avoir infligé des mauvais traitements à la requérante. Le procureur suggéra l’imposition d’une sanction disciplinaire à Y.B pour ne pas avoir dressé un inventaire du contenu des sacs.
A une date non précisée, la requérante forma un recours contre l’ordonnance de non-lieu. Le 31 mars 1998, le parquet militaire rejeta son recours. Le procureur constata que la requérante avait été arrêtée le 13 mai 1996, vers 20 heures. Elle avait été amenée aux locaux du service de la police de Rakovski où une confrontation entre la requérante et les plaignants avait eu lieu. Par la suite, Y.B. avait interrogé la requérante en présence de son époux qui avait quitté les lieux après l’avoir menacée. Après son départ, vers 24 heures, la requérante avait été conduite par Y.B. et T.R. à son domicile.
Après s’être livré à une analyse des preuves recueillies, le procureur estima que les allégations de la requérante qu’elle était maltraitée lors de la confrontation avec S.V. et son épouse se trouvaient contredites par les témoignages de Y.B., de T.R., de S.V. et de son épouse.
Le 22 juin 1999, la requérante présenta un recours devant le parquet général, en dénonçant le fait qu’hormis S.V. et son épouse, le parquet militaire avait interrogé uniquement les collègues de Y.B. sans recueillir les témoignages du mari et de la fille de la requérante. Par ailleurs, elle faisait valoir que le parquet n’avait pas cherché la cause des blessures constatées par le légiste, notamment les marques de menottes sur le poignet droit.
Le 17 septembre 1999, le parquet rejeta le recours au motif que les preuves réunies lors de l’enquête ne corroboraient pas les allégations de la requérante.
C. Autres tentatives de la requérante pour engager la responsabilité de Y.B.
Le 29 mai 1996, la requérante se plaignit des agissements de Y.B. auprès du directeur de la direction du ministère de l’Intérieur de Plovdiv.
A une date non précisée, la requérante porta plainte auprès du ministre de l’Intérieur. Par une lettre du 18 novembre 1996, elle fut informée qu’une procédure disciplinaire aurait lieu après la clôture de la procédure pénale engagée suite à la plainte de la requérante.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Mise en œuvre de l’action publique
Selon les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale (CPP), le procureur et l’enquêteur sont seuls compétents pour engager des poursuites pénales lorsqu’au vu des éléments du dossier il existe un soupçon raisonnable qu’une infraction a été commise. Ils agissent sur plainte ou de leur propre initiative (articles 186 à 192 CPP).
Les autorités de poursuites ont la faculté de procéder à une enquête préliminaire afin de déterminer s’il y a lieu d’engager des poursuites (article 191 CPP). En vertu de l’article 237 alinéa 6, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, les victimes pouvaient introduire un recours contre une décision de non-lieu devant le procureur de rang supérieur.
Les infractions commises par des agents des forces de police relèvent de la compétence des tribunaux militaires et des procureurs et enquêteurs militaires (article 388 alinéa 1 CPP, tel qu’en vigueur l’époque des faits).
B. La garde à vue
Les articles 33 et 34 de la loi sur la police nationale, en vigueur à l’époque des faits, prévoyaient la possibilité pour les agents de police de placer en garde à vue pour une période de 24 heures les personnes soupçonnées de la commission d’une infraction. Aux termes de l’article 33 alinéa 3, la personne concernée pouvait recourir contre la garde à vue devant le tribunal compétent qui était sous l’obligation d’examiner le recours dans les meilleurs délais. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1963 et réside à Zagreb.
Le 29 avril 1999, entre 20 heures et 20 heures 30, l'intéressé et plusieurs autres individus étaient en train de ramasser de la ferraille dans la rue Harambašićeva (Zagreb).
Soudain, deux inconnus surgirent près du groupe qu'ils formaient et agressèrent le requérant. Ils lui administrèrent des coups de planche sur tout le corps en proférant des injures racistes pendant que deux autres individus non identifiés – qui s'étaient semble-t-il joints à eux – faisaient le guet à proximité.
Peu de temps après, une patrouille de police alertée de la rixe par une personne non identifiée se transporta sur place. Les policiers interrogèrent les individus présents sur les lieux et parcoururent les rues avoisinantes à la recherche des agresseurs.
L'intéressé fut conduit en ambulance à un hôpital proche, où il fut examiné par des médecins qui ne décelèrent aucune fracture et qui le renvoyèrent se reposer chez lui après lui avoir donné des antalgiques.
Pendant la nuit, le requérant éprouva de vives douleurs. Le lendemain, il se rendit à un autre hôpital pour y subir de nouveaux examens. Ceux-ci révélèrent que ses agresseurs lui avaient cassé plusieurs côtes, notamment les neuvième, dixième et onzième. Hospitalisé pour recevoir des soins plus poussés, il fut autorisé à rentrer chez lui une semaine plus tard, le 5 mai 1999.
L'intéressé allègue que l'agression dont il a été victime l'oblige à suivre un traitement psychiatrique depuis le 1er juin 1999. Il se serait rendu à au moins dix-huit reprises à la clinique psychiatrique de Zagreb. On aurait diagnostiqué chez lui un syndrome de stress post-traumatique caractérisé par un état dépressif, de l'angoisse, des accès de panique, des craintes pour sa propre sécurité et celle de sa famille, des insomnies, des cauchemars occasionnels et, de manière générale, un effondrement émotionnel.
Le 15 juillet 1999, l'avocate du requérant saisit le parquet de Zagreb (Općinsko državno odvjetništvo u Zagrebu – « le parquet ») d'une plainte contre X où elle relatait le déroulement de l'agression et indiquait que son client avait été gravement blessé. Celui-ci offrit de faire une déposition, sollicita l'audition de trois témoins et demanda au parquet d'ouvrir une enquête sur les violences dont il se plaignait, d'identifier les agresseurs et de les poursuivre pénalement.
Le même jour, l'avocate de l'intéressé écrivit aux services de police de Zagreb (Policijska uprava Zagrebačka – « la police ») pour les informer de l'agression et solliciter les renseignements nécessaires à l'ouverture de poursuites. Elle réitéra cette demande le 30 août 1999.
Le 31 août 1999, la police lui indiqua que les agresseurs n'avaient pas été identifiés.
Le 2 septembre 1999, l'avocate du requérant écrivit au ministère de l'Intérieur (ministar unutarnjih poslova) pour l'informer de l'agression et lui signaler que la police n'en avait pas identifié les auteurs. Invoquant les dispositions tant internes qu'internationales pertinentes de protection des droits de l'homme, elle exigea une intervention décisive de la police dans cette affaire.
Le 29 septembre 1999, la police interrogea le requérant sur les événements survenus dans la soirée du 29 avril 1999. Ce dernier fournit une description imprécise des deux agresseurs, déclarant que sa myopie l'empêcherait probablement de les reconnaître.
Le même jour, la police entendit un dénommé B.T., qui se trouvait avec le requérant le jour de l'agression. L'individu en question décrivit aussi les auteurs des violences, mais précisa qu'il n'avait pas vu leur visage distinctement car il se cachait au moment où elles avaient eu lieu.
Cinq jours plus tard, la police interrogea N.C., qui résidait dans le secteur où l'agression s'était déroulée et en avait été témoin. Celui-ci donna une description des agresseurs, indiquant cependant qu'il n'avait pas pu les voir clairement car tout s'était passé très rapidement.
Le 7 octobre 1999, la police entendit un autre témoin oculaire de l'attaque, Z.B., qui livra un récit analogue.
En janvier 2000, l'avocate de l'intéressé demanda à deux reprises au parquet de l'informer sur les démarches entreprises en vue de l'identification et de la poursuite des agresseurs de son client, tout en se plaignant de l'insuffisance des investigations menées.
Le 10 février 2000, le parquet l'informa qu'il avait enjoint à la police d'accélérer l'enquête.
Le 21 février 2000, le parquet lui signala que la police avait commencé à enquêter sur les lieux aussitôt après avoir été informée de l'agression, qu'elle avait interrogé le requérant ainsi que plusieurs témoins et qu'elle avait fouillé le secteur sans avoir identifié quiconque répondant à la description des auteurs de l'agression.
Le 16 mars 2000, l'avocate de l'intéressé indiqua au parquet que les agresseurs de son client semblaient impliqués dans de nombreux autres actes de violence commis à la même période contre des Roms à Zagreb. Elle ajouta que deux Roms victimes de ces brutalités – I.S. et O.D. – lui avaient assuré qu'ils pourraient en reconnaître les auteurs, que le second d'entre eux avait personnellement assisté à l'agression de l'intéressé et que la police avait déjà identifié et appréhendé les auteurs des coups portés sur O.D. Elle souligna que toutes ces exactions étaient motivées par la haine raciale car les violences physiques s'étaient accompagnées d'insultes racistes.
Le 16 juin 2000, le parquet l'informa que la police n'était pas parvenue à retrouver O.D. et que les registres dont elle disposait ne mentionnaient pas l'agression subie par ce dernier.
Le 1er août 2000, O.D. fut localisé et interrogé par le parquet de la commune de Beli Manastir. Il déclara qu'il avait été agressé en janvier 2000 par un dénommé S., que celui-ci était aussi l'un des agresseurs du requérant et qu'il se souvenait car il portait une large cicatrice au visage.
Par la suite, la police identifia S. comme étant un alcoolique bien connu des autorités locales pour les diverses infractions dont il s'était rendu coupable. Toutefois, elle l'élimina de la liste des suspects parce qu'aucun autre témoin ne l'avait identifié malgré sa balafre très reconnaissable et que, selon les renseignements dont elle disposait, il n'était pas membre d'un groupe de skinheads. Aucune des informations figurant dans le dossier de la police n'indique que S. ait été convoqué pour un interrogatoire concernant l'incident.
Entre-temps, l'avocate du requérant avait une nouvelle fois écrit au parquet, le 24 mai 2000, pour signaler que la radiotélévision croate (la HRT) avait diffusé le 14 mai 2000 un reportage dans lequel un jeune skinhead avait été interrogé sur les raisons qui le poussaient à agresser des Roms à Zagreb. Dans sa lettre, elle affirmait que l'individu en question avait fait allusion aux brutalités dont son client avait été victime le 29 avril 1999.
Le parquet demanda au rédacteur en chef de la HRT de lui communiquer les informations nécessaires à l'identification de la personne ayant fait l'objet de l'interview.
Le 18 avril 2001, la police interrogea le journaliste qui avait réalisé l'interview en question. Celui-ci indiqua que le skinhead qu'il avait interviewé avait manifesté en termes généraux sa haine des Roms mais qu'il n'avait pas expressément évoqué l'agression subie par le requérant. Il ajouta que son interlocuteur résidait dans la zone où l'agression avait eu lieu et qu'il lui avait dit à quel point il détestait voir des Roms s'y rendre pour collecter de la ferraile. Invoquant son droit à la protection de ses sources d'information, il refusa de révéler l'identité de cet individu.
Entre-temps, le 14 février 2001, l'avocate du requérant s'était plainte auprès du parquet et du ministre de l'Intérieur des carences de l'enquête ainsi que de la durée de celle-ci, qu'elle jugeait inacceptable. Exigeant d'être tenue informée de l'avancement des investigations, elle avait signalé que les autorités compétentes ne semblaient pas avoir réellement tenté d'identifier les auteurs des violences en vue de les arrêter. Par ailleurs, elle avait fourni au parquet de nouvelles informations selon lesquelles les agresseurs de son client appartenaient à un groupe de skinheads responsables de nombreuses exactions envers la population rom de Zagreb. Relatant plusieurs agressions similaires qui avaient eu lieu à cette époque, elle avait aussi communiqué aux autorités une liste de noms et d'adresses de victimes et de témoins des actes en question.
Le 22 mai 2001, le ministre de l'Intérieur lui indiqua que les services de police avaient pris les mesures nécessaires à réception des informations qu'elle avait livrées.
Le 6 avril 2002, le requérant saisit la Cour constitutionnelle d'un recours lui demandant d'enjoindre au parquet de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de clôturer l'enquête dans les meilleurs délais, et au plus tard dans les six mois.
Le 12 novembre 2002, la haute juridiction informa l'avocate de l'intéressé qu'elle n'avait pas compétence pour statuer sur des recours mettant en cause l'inertie des autorités de poursuite au stade de l'instruction mais ne rendit pas de décision formelle sur celui dont elle était saisie.
L'affaire est encore en cours d'instruction.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
En son article 1 § 2, la loi sur les médias (Zakon o medijima, Journal Officiel no 59/2004 du 10 mai 2004) énonce que toutes ses dispositions doivent être appliquées et interprétées conformément à la Convention.
Les passages pertinents de l'article 30 de ladite loi (anciennement l'article 28 § 6 de la loi de 2003 sur les médias (Journal Officiel no 163/2003 du 16 octobre 2003)) sont ainsi libellés :
« 1. On ne peut contraindre un journaliste à révéler les sources d'informations qu'il a publiées ou qu'il a l'intention de publier (...)
(...)
Le parquet peut demander au tribunal compétent d'enjoindre à un journaliste de révéler les sources d'informations que celui-ci a publiées ou qu'il a l'intention de publier si pareille mesure est nécessaire à la sécurité nationale, à la préservation de l'intégrité territoriale ou à la protection de la santé publique (...)
(...)
Un tribunal peut enjoindre à un journaliste de révéler les sources d'informations que celui-ci a publiées ou qu'il a l'intention de publier si pareille mesure est nécessaire à la sauvegarde de l'intérêt public et si des raisons déterminantes et graves l'exigent, lorsqu'il est établi de manière indiscutable :
i) qu'il n'existe aucune autre mesure raisonnable ou qu'une telle mesure a déjà été prise par l'autorité dont il est fait mention au quatrième paragraphe du présent article et qui requiert la révélation de sources d'informations, et
ii) que l'intérêt public auquel la loi subordonne la révélation de sources d'informations prévaut manifestement sur l'intérêt public à la protection des sources en question. » | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1975 et 1956 et résident à Istanbul et Adana.
Le 13 août 2001, les requérants, alors incarcérés à la prison de Sincan, adressèrent une lettre à leur avocat dans laquelle ils dénonçaient les traitements qu'ils avaient subis le 11 août 2001.
Dans sa lettre, Mustafa Çamlı expliqua que les faits dénoncés avaient eu lieu le 11 août 2001 vers 17 heures lorsque le directeur adjoint de la prison et trois surveillants étaient venus pour la fermeture de la porte de la cellule. Le directeur adjoint avait ordonné aux requérants de ramasser les miettes de pain laissées dans la cour d'aération pour les oiseaux. Lorsque le requérant Yunus Özgür avait indiqué qu'il refusait de le faire, le directeur adjoint, en colère, s'était avancé vers lui et l'avait giflé à plusieurs reprises et roué de coups de pied. Pendant ce temps, les surveillants avait tiré Mustafa Çamlı par le bras et lui avaient porté des coups de pieds. Il précisa que leur ami Ercan Uçuk avait subi les mêmes agressions.
Yunus Özgür expliqua avoir été agressé en raison des miettes de pain qu'il avait laissées dans la cour d'aération. Il indiqua que le directeur adjoint lui avait porté des coups de poings et de pied alors qu'il était au 68e jour de sa grève de la faim.
Le 16 août 2001, l'avocat des requérants déposa une plainte devant le procureur de la République de Sincan (« procureur de la République »), à laquelle il joignit les lettres des requérants du 13 août 2001. L'avocat demanda l'examen des requérants par un médecin ainsi que la recherche et l'audition de témoins de l'incident.
Le 28 août 2001, le procureur de la République s'informa auprès de l'administration pénitentiaire pour savoir si les requérants avaient subi un examen médical après l'incident dénoncé. Si tel n'était pas le cas, il ordonna que les requérants soient soumis à un tel examen pour relever d'éventuelles traces de coup et blessure sur leur corps.
Le 29 août 2001, l'administration pénitentiaire informa le procureur de la République que Yunus Özgür avait refusé de subir un examen médical le 11 août 2001. Quant à Mustafa Çamlı, il n'avait pas été examiné à cette date et son nom ne figurait pas sur le registre des visites médicales.
Le 4 septembre 2001, les requérants furent soumis à un examen médical à l'Institut médicolégal d'Ankara. Le rapport établi au terme de cet examen mentionne qu'aucune trace de coup et blessure ne fut relevée sur le corps des requérants qui se plaignaient d'avoir été agressés trois semaines plus tôt. Le rapport fait état d'une cicatrice de 0,5 cm sur le ventre et d'une cicatrice de 0,7 cm sur la partie intérieure de la cuisse de Yunus Özgür, cicatrices de nature indéterminée.
Le 28 septembre 2001, le procureur de la République entendit les trois surveillants mis en cause. Ces derniers expliquèrent que Yunus Özgür avait refusé de se conformer à la demande du directeur adjoint de nettoyer les miettes de pain dans la cour d'aération, manifesté un comportement agressif et s'était avancé, de façon menaçante, vers le directeur adjoint. Aucune intervention n'avait eu lieu dans la mesure où les détenus étaient en grève de la faim.
Entendu le 29 septembre 2001, le directeur adjoint expliqua qu'il avait demandé aux requérants de nettoyer les miettes de pain laissées dans la cour d'aération. Alors que Mustafa Çamlı s'était montré conciliant, Yunus Özgür avait manifesté une vive contestation et protestation, et s'était avancé, de façon menaçante, vers lui. Il expliqua qu'il n'avait pas estimé utile d'établir un procès-verbal concernant cet incident dans la mesure où Yunus Özgür était en grève de la faim à l'époque des faits. Il précisa qu'il n'était pas question qu'il emploie la force à l'encontre de personnes en grève de la faim et qu'il savait comment se comporter avec eux.
Le directeur adjoint ajouta que les requérants avaient la possibilité de consulter le médecin à la permanence médicale de la prison. De plus, un médecin spécialiste de l'hôpital de Sincan venait tous les matins à la prison, et procédait, avec le médecin de la prison, à l'examen des détenus en grève de la faim. Selon lui, les requérants auraient dû se faire examiner par le médecin de la prison. Il indiqua que le détenu Ercan Uçuk était présent lors de l'incident.
Le 2 octobre 2001, le procureur de la République rendit une ordonnance de non-lieu au motif que les allégations des requérants n'avaient pas été étayées par les déclarations des personnes mises en cause et les rapports médicaux.
Le 14 novembre 2001, la cour d'assises de Kırıkkale rejeta l'opposition formée par le représentant des requérants. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant, né en 1964, réside actuellement à Francfort (Allemagne). A l'époque des faits, ses parents vivaient dans le quartier de Hasköy, à 5 km du centre-ville de Yayladere, district de Bingöl. Ce département était sis dans la région alors soumise à l'état d'urgence, et où de graves troubles entre les forces de sécurité et les membres du PKK faisaient rage.
Le 16 septembre 1994, vers minuit, un obus de mortier frappa la maison d'A.E., à Hasköy. Le projectile rentra par le toit, heurta un mur et explosa. Les shrapnels projetés vers la maison voisine des parents du requérant touchèrent Mme Uzun à la tête et au cou. Au vu du visage ensanglanté de sa femme, à même le sol, Hasan Uzun s'élança vers le balcon et appela au secours son voisin A.E., sorti indemne.
Dans la demi-heure qui suivit, Mme Uzun succomba à ses blessures.
Les développements qui eurent lieu le 17 septembre 1994 se présentent ainsi :
Vers 8 heures, A.E. et Hasan Uzun, accompagnés des villageois T.K. et T.D. ainsi que des maires de Yayladere et de Hasköy, se rendirent au poste de la gendarmerie de Yayladere (« le poste »). Ils portèrent plainte et, déplorant le décès de Mme Uzun et la destruction de leurs biens, réclamèrent l'identification des responsables et la réparation de leurs préjudices.
Aux dires du requérant, à la sortie du poste, son père aurait aperçu un obusier de 70 mm orienté vers Hasköy et se serait exclamé « Je sais que vous avez tué ma femme avec ça ! » ; le commandant lui aurait répondu « laisse tomber [mon ami], c'était une erreur, mais cela est arrivé ; personne n'a intentionnellement visé ta femme, O.K. ? Chaque jour des dizaines de soldats meurent pour la patrie ; est-ce si important qu'une vieille femme soit décédée ? ».
Une fois retournés au village, les villageois inhumèrent la défunte, autorisés à ce faire par le commandant de la gendarmerie qui, d'après le requérant, n'aurait pas manqué de menacer son père en disant « il y a eu erreur, mais n'essayez pas d'en faire toute une histoire, sinon je règlerai votre compte ; on sait que vous hébergez des terroristes, alors que des enfants de cette patrie meurent tous les jours ; donc, ressaisissez-vous. »
Pendant les funérailles, une équipe de gendarmes relevant du poste vint à Hasköy afin d'enquêter. Ils dessinèrent un croquis des lieux et évaluèrent les dégâts causés dans les habitations d'A.E. et d'Hasan Uzun. Le procès-verbal dressé en conséquence décrit les impacts de shrapnels mais reste muet quant à leur collecte.
Dans l'intervalle, Fındık, un officier du poste, écrivit au commandement départemental de Bingöl : « les recherches ont commencé au sujet de cette explosion dont l'origine demeure inconnue ; vous serez informés des résultats ». Fındık écrivit également aux garnisons locales de commando et de l'artillerie à Yayladere, les invitant à l'informer si un tir de mortier avait bien été effectué par leurs troupes la nuit du 16 septembre. Enfin, Fındık prépara des messages destinés au procureur de Kiğı, notamment pour savoir s'il entendait procéder à une autopsie sur la dépouille de Mme Uzun, déjà enterrée. Il s'avéra par la suite que ces derniers messages n'avaient jamais été envoyés.
Par des lettres en réponse communiquées le jour même, les commandants des deux garnisons susmentionnées déclarèrent n'avoir effectué aucun tir d'obusier, entre 21 et 24 heures.
Le 20 décembre 1994, le requérant saisit l'antenne de l'Association des droits de l'Homme à Istanbul. Il se plaignit des autorités militaires locales qu'il tenait pour responsables de la mort de sa mère. L'Association transmit ces allégations à la Commission des Droits de l'Homme près l'Assemblée parlementaire qui, à son tour, achemina la plainte vers le parquet de Bingöl. Or, le 18 janvier 1995, celui-ci déclina sa compétence ratione loci et envoya le dossier au procureur de Kiğı, faute d'un parquet à Yayladere.
Le 27 janvier 1995, le procureur de Kiğı repris l'instruction de l'affaire, sous le no de dossier 1995/7 ; le chef d'accusation y était décrit comme « décès prétendument causé par tir d'armes à feu de la part des forces de sécurité ». Le procureur exhorta d'abord le poste de justifier les raisons pour lesquelles on ne l'aurait pas informé de l'incident, survenu il y a des mois.
Sur ce, Dilbaz, un autre officier du poste, dut d'abord s'expliquer au commandement départemental de Bingöl. Il soutint que le 17 septembre 1994 le parquet de Kiğı avait bien été informé du décès et de l'inhumation de Mme Uzun. Du reste, l'enquête menée par leurs soins avait démontré qu'aucun obusier n'avait été utilisé le jour de l'incident par les troupes déployées dans la région. En fait, si le poste disposait bien de deux obusiers, le mécanisme d'armement du premier était en panne depuis longtemps et le réglage de nivellement du second était cassé lors d'un tir effectué le 26 août 1994 ; aussi, leur réparation avait-elle été officiellement sollicitée. En somme, contrairement à ce qui était allégué, les forces de la gendarmerie ne pouvaient donc être tenues pour responsable du décès, causé par un engin explosif « de type inconnu ».
Par une lettre du 24 février suivant, l'officier Dilbaz répondit au procureur de Kiğı, invoquant les deux messages officiels que Fındık lui avait adressés afin de l'aviser de l'incident. Le procureur rétorqua n'avoir jamais reçu de message en ce sens.
Le 29 avril 1995, il s'avéra qu'en fait, aucun magistrat n'avait été informé de l'incident du 16 septembre 1994.
Le 22 mai 1995, le procureur de Kiğı entendit A.E. qui fournit les précisions suivantes :
« (...) l'un des shrapnels projetés après la déflagration a touché Pakize Uzun et l'a tuée en vingt minutes. Comme il était interdit de sortir le soir et que les lignes téléphoniques ne marchaient pas, on n'a pas pu prévenir ni le docteur ni la gendarmerie. (...) Le lendemain, après avoir déposé à la gendarmerie, nous sommes retournés au village et avons procédé à l'enterrement, au su de la gendarmerie. Je ne sais pas si une autorisation officielle d'inhumer avait été délivrée. Après l'enterrement, des gendarmes sont venus enquêter. Ce sont eux qui ont fait les recherches, puis ils sont partis avec les morceaux du projectile à l'origine de l'incident. »
Le 10 août 1995, un autre groupe d'enquêteurs du poste se rendit à Hasköy afin d'explorer les lieux. Les résultats obtenus ne se trouvent pas dans le dossier.
Le 27 octobre 1995, le parquet de Kiğı déclina sa compétence ratione loci en faveur du parquet de Yayladere (« le procureur »), instauré entre-temps.
Le procureur reprit l'enquête, sous le dossier no 1995/6. Il releva d'emblée que la correspondance effectuée pendant la période 17 janvier au 22 mai 1995 entre le parquet de Kiğı et les autorités militaires recelait certaines omissions graves. Il découvrit que l'officier Fındık avait peut-être effectivement préparé des messages destinés audit parquet, mais avait omis de les envoyer. Partant, le 22 novembre 1995, il enjoignit le poste, entre autres :
– d'identifier le gendarme dénommé Fındık ou quiconque susceptible d'être fautif dans la transmission des messages et d'assurer leur comparution au parquet pour audition ;
– de convoquer tous les signataires des procès-verbaux dressés sur les lieux de l'incident les 17 septembre 1994 et 10 août 1995 ;
– de faire savoir si des éclats de shrapnels ont été collectés sur les lieux et, dans l'affirmative, la raison pour laquelle ils n'ont pas été déposés au parquet ;
de livrer au parquet toutes les pièces à conviction recueillies jusqu'alors ;
– de rechercher tous les témoins oculaires de l'incident, autres que les plaignants, et de les convoquer pour témoignage ; et
– d'identifier la tombe de la défunte, aux fins d'une exhumation pour autopsie.
Le 21 décembre 1995, le procureur entendit le sous-officier K.Ç., l'un des signataires du constat des lieux (paragraphe 12 ci-dessus). Celui-ci expliqua que le commandant avait autorisé l'enterrement du corps compte tenu du risque de décomposition et parce que le procureur de Kiğı l'avait informé qu'il n'était pas en mesure de se rendre sur les lieux. K.Ç. précisa que les informations pertinentes sur les caractéristiques de l'explosif mortel pouvaient être fournies par F.G., commandant du poste central d'Alaçatı.
Le 15 février 1996, le procureur réécrivit au poste, l'invitant à lui confirmer, dans l'immédiat et documents à l'appui, si un obus avait été tiré de leur base le jour de l'incident. Il fut répondu par la négative.
Le 26 février 1996, le procureur interrogea H.A., maire de Yayladere, qui déclara que le lendemain de l'incident, il était, lui aussi, allé au poste, où le commandant F.G. était présent ; il avait prévenu F.G. que l'affaire était judiciaire et qu'il fallait immédiatement en aviser le parquet ; F.G. avait répondu que le procureur de Kiğı, bien qu'informé, ne pouvait venir faute d'un hélicoptère disponible, puis ajouta que c'était bien le gouverneur de l'état d'urgence qui avait ordonné l'inhumation de la défunte. H.A. exposa encore avoir aperçu des morceaux d'obus dispersés dans les maisons touchées et averti A.E. et Hasan Uzun qu'il fallait préserver ces preuves. Par la suite, il avait entendu les gens dire que dans la nuit, la veille, la gendarmerie de Yayladere avait bien effectué des tirs, après avoir été informée d'une descente de terroristes dans le village.
Le 8 mai 1996, le villageois T.D. fut interrogé par le procureur. Il confirma avoir entendu, lui aussi, que les gendarmes venus pour enquêter avaient pris les morceaux de l'obus. Il déclara aussi avoir vu, entre les débris, une pièce métallique en forme de tuyau, de couleur aluminium, avec une petite hélice au bout, et une inscription sur le bas.
Plus tard, A.E. allait préciser devant la cour d'assises de Yayladere (paragraphe 31 ci-dessous) qu'il avait vu, gravées sur la capsule postérieure de l'obus mortel, les initiales M.K.E., à savoir l'abréviation de « Türkiye Makine ve Kimya Endüstrisi » (L'Industrie mécanique et chimique de Turquie).
Le 11 juin 1996, la dépouille mortelle de Pakize Uzun fut exhumée et autopsiée par le médecin généraliste du dispensaire de Yayladere, en présence du procureur. A l'examen intracrânien, le médecin conclut que le décès était survenu à la suite d'une dépression respiratoire due à un choc traumatique subi au niveau occipital, causé par un objet dur de 0.5 x 5 cm.
Le lendemain, le procureur se rendit sur les lieux de l'incident et examina les dégâts. A.E. lui confia cinq petits éclats de shrapnels qu'il avait conservés, chacun d'environ 5 gr.
Le 8 novembre 1996, le procureur mit en accusation le sous-officier K.Ç. et le commandant F.G. pour abus de pouvoir, au sens de l'article 240 du code pénal. Il souligna qu'au mépris de ses devoirs, F.G. avait omis d'informer le parquet de l'incident litigieux, de lui transmettre les plaintes formelles déposées par les victimes, avait précipité l'enterrement du corps sans réaliser une autopsie, et avait fait disparaître les morceaux de shrapnels collectés à son su par les gendarmes. Quant à K.Ç., il avait dissimulé ces pièces à conviction, en omettant de les mentionner dans le constat des lieux du 17 septembre 1994.
K.Ç. et F.G. furent déférés devant la cour d'assises de Yayladere, qui rendit son jugement le 7 juillet 1999. Elle tint pour établi tous les faits reprochés et déclara les prévenus coupables d'abus de pouvoir et d'entrave à la justice. Cependant, les juges du fond atténuèrent puis commuèrent toutes les peines prononcées en l'espèce et, finalement, décidèrent de surseoir à leur exécution. Le 13 septembre suivant, ce jugement devint définitif, faute de pourvoi.
Le 5 mai 2000, le procureur émit un mandat de recherche, dit « permanent », valable jusqu'au 16 septembre 2009, date de prescription pénale pour l'infraction poursuivie. Dans ce mandat, observant que les investigations menées jusqu'alors n'avaient pas permis de retrouver le ou les responsables de la mort de Mme Uzun, le procureur enjoignait les instances compétentes de la gendarmerie de poursuivre l'enquête et de le tenir au courant des résultats, tous les trois mois.
Le 25 juillet 2000, le requérant se rendit, pour la première fois, à Hasköy, ce qui lui aurait été impossible jusqu'alors du fait d'un blocus militaire prétendument mis en place après l'incident. Accompagné de son épouse, il chercha à voir le maire et le procureur. Le maire lui aurait raconté qu'après l'incident, le procureur de Kiğı l'avait convoqué à deux reprises pour le convaincre de déposer en faveur des militaires. Du reste, le procureur lui aurait conseillé d'oublier cette affaire, compte tenu de la concertation entre les autorités de la gendarmerie locale.
Le 26 septembre 2002, conformément au mandat du 5 mai 2000, le commandement de la gendarmerie de Yayladere informa le procureur que malgré « toutes les recherches effectuées, il n'avait pas encore été possible d'identifier le ou les responsables ».
Le 14 novembre 2002, le commandement général de la gendarmerie à Ankara écrivit au ministère de l'Intérieur au sujet de l'introduction et l'objet de la présente requête, afin de l'informer :
« (...) a. qu'à l'issue d'une explosion survenue dans la maison d'A.E., sise à Hasköy (...), l'un des habitants, Pakize Uzun, a trouvé la mort, mais que malgré toutes les recherches, le ou les auteurs n'ont pas pu être identifiés ;
b. qu'aucun tir d'obusier n'a été effectué le 16 septembre 1994 par les troupes militaires en poste à Yayladere et que l'allégation selon laquelle Pakize Uzun aurait été tuée du fait d'un tel tir (...) est sans fondement (...) »
Les investigations au sujet du décès de Mme Uzun continueront sans doute jusqu'à 16 septembre 2009 ; à ce jour, elles n'ont abouti à aucun résultat tangible.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Quant au droit et à la pratique internes pertinents, la Cour renvoie aux arrêts Yaşa c. Turquie du 2 septembre 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, pp. 2425-2427, §§ 48-55) et Tepe c. Turquie (no 27244/95, §§ 115-122, 9 mai 2003). Pour ce qui est des voies de recours prévues en droit turc, en la matière voir, par exemple, Sabri Oğraş et autres c. Turquie ((déc.), no 39978/98, 7 mai 2002). | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1964. Il est actuellement détenu au centre pénitentiaire de Rahova.
L'interpellation du requérant par des policiers de Baia Mare, le 23 avril 1998, et le premier placement en garde à vue de l'intéressé
Le 23 avril 1998, vers 14 h 30, alors qu'il assistait aux obsèques d'un parent à Baia Mare, le requérant fut appréhendé par des policiers du bureau de police de Baia Mare, qui lui mirent deenottes et le conduisirent à l'aéroport de Cluj, où ils le firent embarquer dans un avion à destination de Bucarest. Pendant tout le trajet, l'intéressé fut escorté par des policiers et resta menotté. Deux équipes de policiers qui l'attendaient à l'aéroport de Bucarest le conduisirent au siège de l'inspection générale de police de Bucarest (« l'IGP »). Le colonel P., du département des poursuites pénales, lui demanda de faire une déposition concernant certains événements auxquels il avait apparemment participé dans la nuit du 16 au 17 avril 1998, à l'aéroport militaire d'Otopeni, lorsqu'une grande quantité de cigarettes avait été déchargée d'un avion immatriculé en Ukraine et avait été introduite illégalement sur le territoire roumain.
Le 24 avril 1998, à 1 h 20, un policier du département des poursuites pénales de l'IGP plaça le requérant en garde à vue pour une durée de vingtquatre heures, en vertu des articles 143 et 148 h) combinés du code de procédure pénale (CPP). Dans la décision de placement en garde à vue, il indiqua que l'intéressé était soupçonné d'avoir introduit illégalement dans le pays, par voie aérienne, troiille cartouches de cigarettes d'une valeur de 600 000 dollars américains (USD) et de les avoir sorties de l'enceinte de l'aéroport d'Otopeni sans passer les contrôles douaniers, en vue de leur commercialisation. Il estima également qu'il y avait des preuves et des indices sérieux quant à la culpabilité du requérant, sans toutefois préciser lesquels.
Le requérant fut ensuite incarcéré à la maison d'arrêt de l'IGP.
Vers 15 heures, il fut conduit au bureau du colonel P. pour y faire une nouvelle déposition concernant les faits en question.
Plus tard, il fut conduit auprès du procureur près la cour d'appel militaire, où il aurait été interrogé pendant plusieurs heures, en présence de son avocat. Le procureur chargé de l'enquête l'informa qu'il était poursuivi pour complicité dans le cadre d'une opération de contrebande et lui demanda de ne pas quitter la localité où il était domicilié et de se présenter au parquet lors des prochaines convocations, accompagné par son avocat.
Vers 22 heures, l'intéressé fut ramené à la maison d'arrêt de l'IGP. Il y fut réincarcéré pour deux ou trois heures.
Le 25 avril 1998, vers 1 h 20, il fut remis en liberté.
Le 9 octobre 1998, il se plaignit au procureur général du parquet de la cour d'appel d'avoir été illégalement privé de sa liberté par les policiers de Baia Mare qui l'avaient appréhendé et transporté à Bucarest sous escorte les 23 et 24 avril 1998.
Le 25 novembre 1998, un procureur du parquet militaire territorial de Bucarest rendit une décision de non-lieu en faveur des policiers en question. Il releva que c'était sur ordre du chef de la police judiciaire que ces derniers avaient arrêté le requérant et l'avaient amené à Bucarest sous escorte, du fait qu'il était poursuivi pénalement par le parquet militaire de Bucarest. Il considéra qu'aucun indice ne donnait à penser que les policiers avaient commis des abus ou dépassé les limites de leurs attributions et que, dès lors, ils ne pouvaient faire l'objet de poursuites pénales ni pour privation illégale de liberté – infraction réprimée par l'article 266 § 1 du code pénal –, ni pour aucun autre chef d'inculpation.
L'interpellation du requérant par des membres du service des interventions et actions spéciales du ministère de l'Intérieur, et l'incident du 27 avril 1998
Le 27 avril 1998, vers 22 heures, le requérant, qui était au volant de son véhicule, se vit bloquer le passage par deux voitures. Selon lui, les faits se déroulèrent de la façon suivante. Plusieurs personnes en tenue civile sautèrent des deux voitures – qui n'arboraient aucun signe distinctif de la police ou d'une autre autorité de l'Etat –, ouvrirent la portière de son véhicule et, sans révéler leur identité, le menacèrent d'une arme à feu pour le dissuader d'opposer une quelconque résistance. Ils le tirèrent hors de son véhicule et le jetèrent à terre en lui donnant des coups de pied et de poing. L'intéressé se mit à crier, en réclamant l'aide de la police. Sans lui fournir d'explication, les agresseurs le menottèrent et continuèrent à le frapper avec des bâtons jusqu'à ce qu'il s'évanouisse. Ils le placèrent ensuite dans l'une de leurs voitures et l'amenèrent au siège de l'IGP. Le requérant y apprit que les individus qui l'avaient agressé étaient des membres du service des interventions et actions spéciales (« le SIAS »), qui dépendait du ministère de l'Intérieur.
Le Gouvernement conteste la version des faits présentée par le requérant. Selon lui, les quatre membres du SIAS ont agi sur ordre de leurs supérieurs hiérarchiques, qui leur avaient demandé d'identifier, de retenir et de conduire M. Popescu devant le procureur ; l'un d'eux portait un uniforme militaire avec l'inscription « police ». Ils auraient décliné leur identité et auraient averti le requérant qu'ils devaient l'amener au poste de police. L'intéressé s'y étant opposé et ayant agi brusquement, comme s'il avait eu une arme sous sa veste, les policiers – sachant qu'il était soupçonné d'avoir commis l'infraction particulièrement grave de contrebande –, se seraient employés à l'immobiliser à l'aide des menottes, lui causant ainsi quelques lésions superficielles. Cette version des faits est confirmée par un procèsverbal dressé le jour même de l'intervention par les quatre membres du SIAS ainsi que par les déclarations des membres SIAS recueillies par le parquet et datées du 1er mai 1998, pièces versées au dossier par le Gouvernement.
Le colonel P., du département des poursuites pénales de l'IGP, qui avait déjà enquêté le 24 avril 1998, lui demanda de reconnaître que, dans la nuit du 16 au 17 avril 1998, il avait introduit illégalement sur le territoire roumain des cigarettes en vue de les commercialiser. Le requérant demanda à être entendu en présence de son avocat, mais se heurta à un refus. Il admit que, dans la nuit du 16 au 17 avril 1998, à l'aéroport militaire d'Otopeni, il avait participé, en tant que directeur général d'une société d'affrètement d'avions, au déchargement des cigarettes qui se trouvaient à bord d'un avion IL-76 immatriculé en Ukraine. Il déclara qu'il avait considéré cette opération comme étant autorisée, puisqu'elle se déroulait sur l'ordre et sous la surveillance directe du colonel T., inspecteur en chef au service de protection des hommes politiques et des hauts dignitaires de l'Etat, qui dépend du ministère de l'Intérieur. L'interrogatoire aurait duré environ onze heures. Pendant ce laps de temps, le colonel P. n'aurait permis au requérant ni de quitter le bureau ni de téléphoner chez lui ou à son avocat.
Le Gouvernement conteste la durée susmentionnée. Selon lui, pendant la nuit du 27 au 28 avril 1998, le colonel P. a simplement discuté avec le requérant, dans son bureau et en présence de deux sous-officiers de police, au sujet de diverses questions liées à l'affrètement des avions.
Le 28 avril 1998, vers 9 heures, le requérant fut conduit auprès du parquet de la cour d'appel militaire et fut présenté au procureur D.
Il fut ensuite ramené au siège de l'IGP, où il fut placé sous la garde de deux membres du SIAS.
Le 29 avril 1998, à une heure du matin, il fut élargi, après avoir été informé qu'il devait se présenter le jour même au parquet pour d'autres investigations.
La détention provisoire du requérant
Le 29 avril 1998, vers 14 heures, le requérant se présenta au parquet. Après l'avoir entendu, le procureur D. le plaça en détention provisoire pour une durée de trente jours (soit jusqu'au 28 mai 1998) en vertu de l'article 148 h) CPP. Dans la décision de mise en détention, il indiqua que l'intéressé était soupçonné de contrebande et de participation à une association de malfaiteurs, infractions réprimées par les articles 323 du code pénal et 175 et 179 combinés de la loi no 141/1997, pour lesquelles il encourait une peine allant de cinq à quinze ans d'emprisonnement. Il observa ensuite que le maintien en liberté du requérant présenterait un danger pour l'ordre public, sans donner de précisions à cet égard.
Le 29 avril 1998, le requérant fut incarcéré dans les locaux du parquet du tribunal de Bucarest. A la demande du parquet, le tribunal militaire territorial prolongea par la suite la détention provisoire du requérant pour des périodes successives comprises entre dix-huit et trente jours, le maintien en détention étant jugé nécessaire en raison du manque de sincérité de l'intéressé et de la complexité de la cause, de son ampleur et de ses implications au niveau national.
Par un arrêt définitif du 28 juillet 1998, la cour d'appel militaire ordonna la remise en liberté de l'intéressé au motif que les raisons qui avaient auparavant justifié sa détention n'existaient plus.
Le 28 juillet 1998, le requérant fut remis en liberté.
La procédure pénale dirigée contre des policiers de l'IGP et des membres du SIAS après l'incident du 27 avril 1998
Le 28 avril 1998, le requérant déposa auprès de D., procureur militaire au sein du parquet général de la Cour suprême de justice, une plainte contre certains policiers du département des poursuites pénales de l'IGP et quatre membres du SIAS pour détention illégale et investigations abusives, infractions réprimées respectivement par les articles 189 § 2 et 266 du code pénal. Dans sa plainte, le requérant donna des détails sur la manière dont s'était déroulée son interpellation, le 27 avril 1998, par leembres du SIAS ; il indiqua notamment que ces derniers l'avaient frappé et avaient omis de décliner leur identité. Il se plaignit aussi du déroulement de son interrogatoire dans le bureau du colonel P., du département des poursuites pénales de l'IGP.
Le procureur D. ordonna alors que le requérant fût immédiatement soumis à une expertise médicolégale. Il fit venir au parquet deux médecins de l'institut de médecine légale Mina Minovici (Bucarest). Ceux-ci examinèrent l'intéressé le 28 avril 1998 et constatèrent qu'il présentait au niveau du visage, des bras et des jambes, ainsi que dans les régions du thorax, du sternum et des lombaires, des excoriations et des ecchymoses qui pouvaient résulter de coups infligés avec un corps dur le 27 ou le 28 avril 1998, et dont la guérison nécessitait cinq à sept jours de soins.
Le 30 avril 1998, le requérant fut réexaminé, sur ordre du parquet, par des médecins de l'institut susmentionné ; ceux-ci confirmèrent les constats antérieurs, relevant en outre la présence, sur la cuisse gauche de l'intéressé, d'un hématome non visible lors de l'examen médical précédent.
a) La décision de non-lieu du 14 octobre 1998
Le 14 octobre 1998, le lieutenant-colonel T., procureur militaire au sein de la section des parquetilitaires du parquet de la Cour suprême de justice, rendit à l'égard de trois policiers du département des poursuites pénales de l'IGP et de quatre membres du SIAS impliqués dans les événements des 27 et 28 avril 1998 une décision de nonlieu quant aux chefs de conduite abusive par recours aux coups ou à d'autres actes violents, de privation illégale de liberté et d'abus dans le cadre du service, infractions réprimées respectivement par les articles 250 § 2, 189 et 246 du code pénal.
Le procureur militaire estima que les agents du ministère de l'Intérieur qui avaient ordonné aux membres du SIAS d'appréhender le requérant le 27 avril 1998 et de le conduire au siège de l'IGP avaient agi sur ordre verbal du parquet militaire de la Cour suprême de justice, ordre qu'ils ne pouvaient vérifier ou refuser vu les conditions spécifiques imposées par l'urgence. Il considéra en outre qu'ils étaient intervenus dans le but de présenter l'intéressé au procureur et qu'ils avaient agi de bonne foi, en étant convaincus de la légalité de l'ordre donné par leurs supérieurs hiérarchiques.
Quant aux quatre membres du SIAS, le procureur militaire conclut qu'ils avaient utilisé la force uniquement pour immobiliser le requérant, lequel, prenant peur, avait tenté de s'enfuir. Il releva à cet égard que les lésions constatées dans le certificat médicolégal du 28 avril 1998 étaient superficielles, ce qui était de nature à prouver que la force utilisée à l'encontre du plaignant était de faible intensité et que leoyens employés étaient adéquats et non disproportionnés au but de la mission, à savoir l'interpellation de l'intéressé.
Enfin, le procureur militaire transmit l'affaire à la section anticorruption du parquet de la Cour suprême de justice afin qu'elle enquêtât sur l'éventuelle implication dans cette affaire de dirigeants du parquet de la juridiction suprême.
b) La décision de non-lieu du 11 février 1999
Le 11 février 1999, le procureur en chef de la section anticorruption du parquet de la Cour suprême de justice rendit une décision de non-lieu concernant les procureurs qui avaient dirigé le parquet au moment des faits litigieux. Relevant que ces derniers n'exerçaient plus les fonctions qu'ils avaient assumées à l'époque, il nota qu'en avril 1998 ils avaient réellement ordonné aux cadres du ministère de l'Intérieur de trouver le requérant et de le conduire devant le procureur militaire qui avait engagé des poursuites pénales à son encontre pour contrebande et participation à une association de malfaiteurs. D'après le procureur en chef, l'ordre en question – justifié par des indices et des craintes selon lesquels le requérant risquait de se soustraire aux poursuites pénales – n'avait pas eu pour effet de priver irrégulièrement l'intéressé de liberté, et les policiers avaient agi durant les événements des 27 et 28 avril 1998 dans la limite de leurs compétences réglementées par la loi, laquelle leur permettait d'interpeller une personne soupçonnée d'avoir commis un acte menaçant l'ordre public et de la maintenir en garde à vue pendant une durée maximum de vingtquatre heures, en vue de sa présentation à l'organe compétent pour engager des poursuites pénales. Le procureur en chef releva d'ailleurs que, le 28 avril 1998 au matin, soit moins de vingt-quatre heures après l'avoir interpellé, les policiers avaient amené le requérant devant le procureur D. Il ordonna que cette décision fût communiquée à l'intéressé.
c) La plainte du requérant contre la décision du 14 octobre 1998, et la décision de non-lieu du 18 juin 2004
Le 12 mars 1999, le requérant déposa auprès du procureur général près la Cour suprême de justice une plainte contre la décision rendue le 14 octobre 1998 par le procureur T., de la section des parquets militaires.
Par une lettre du 8 juin 1999, le procureur militaire en chef de la section des parquetilitaires informa le requérant qu'il avait confirmé la décision du 14 octobre 1998, qu'il estimait fondée et conforme à la loi.
Le 31 août 2001, V., procureur en chef adjoint à la section des parquets militaires, infirma la décision du 14 octobre 1998 au motif que, pendant leurs investigations, les procureurs chargés du dossier avaient omis d'entendre les personnes indiquées par le requérant, lequel avait escompté prouver au moyen de leurs témoignages qu'il ne s'était pas soustrait aux poursuites pénales à l'époque de son interpellation par des membres du SIAS. Dans sa décision, le procureur V. mentionnait le fait que, le 27 août 2001, l'agent du gouvernement roumain auprès de la Cour européenne des Droits de l'Homme avait examiné le dossier ouvert par le parquet au sujet du requérant.
Le 18 juin 2004, S., procureur en chef adjoint à la section des parquets militaires du parquet de la Haute Cour de justice et de cassation, confirma le bien-fondé du non-lieu du 14 octobre 1998, qu'il jugeait correctement motivé et fondé sur des preuves suffisantes quant au caractère nécessaire des actes commis par les agents du ministère de l'Intérieur les 27 et 28 avril 1998 et à leur conformité à la loi.
Les éléments du dossier n'indiquent pas que le parquet a communiqué cette décision au requérant.
La procédure pénale dirigée contre le requérant pour contrebande
Par un jugement du 18 février 1999, le tribunal militaire territorial de Bucarest condamna le requérant à une peine de douze ans d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs et pour contrebande, infractions réprimées par les articles 323 du code pénal et 175 et 179 combinés de la loi no 141/1997.
Par un arrêt du 8 juin 2000, la cour d'appel militaire accueillit l'appel du requérant et ramena la durée de sa peine d'emprisonnement à huit ans.
Par un arrêt définitif du 26 février 2001, la Cour suprême de justice, sur recours du parquet, releva à quatorze ans la peine d'emprisonnement du requérant, que celui-ci purge actuellement au centre pénitentiaire de Rahova.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (CPP) concernant les recours disponibles pour contester une décision du parquet sont les suivantes :
Article 275 § 1 – Droit de déposer une plainte
« Toute personne peut se plaindre d'une mesure ou d'un acte qui, dans le cadre de poursuites pénales, a porté atteinte à ses intérêts légitimes. »
Article 277 – Délai imparti pour le traitement d'une plainte
« Le procureur traite la plainte dans un délai de vingt jours à compter de la date de sa réception et communique immédiatement sa décision à l'auteur de la plainte. »
Article 278 – Plainte contre un acte du procureur
« Une plainte contre une mesure ou un acte d'instruction pénale accomplis par le procureur (...) donne lieu à une décision du procureur en chef du parquet. Si la mesure ou l'acte contestés ont été accomplis par le procureur en chef ou sur la base de ses instructions, la plainte donne lieu à une décision du procureur hiérarchiquement supérieur. »
La loi no 281 du 26 juin 2003 (publiée au Journal officiel le 1er juillet 2003) a introduit dans le CPP le nouvel article 2781, qui est ainsi libellé :
Article 2781 – Plainte auprès du tribunal contre une décision de non-lieu rendue par le procureur
« 1. Après rejet d'une plainte déposée en vertu des articles 275 et 278 du code de procédure pénale contre une décision de non-lieu rendue par le procureur, la personne lésée ou toute autre personne dont les intérêts légitimes sont lésés peut, dans un délai de vingt jours à compter de la date de la communication de la décision, déposer une plainte auprès du tribunal compétent, selon la loi, pour trancher l'affaire en première instance.
Si le procureur en chef du parquet ou, selon le cas, le procureur général du parquet de la cour d'appel, le procureur en chef de section du parquet de la Cour suprême de justice ou le procureur hiérarchiquement supérieur, n'a pas tranché la plainte dans le délai de vingt jours mentionné à l'article 277, le délai de vingt jours prévu au premier paragraphe court à compter de l'expiration du premier délai.
Le parquet adresse le dossier au tribunal compétent dans un délai de cinq jours (...)
La personne visée par la décision de non-lieu et l'auteur de la plainte sont cités à comparaître (...) Le tribunal qui statue sur la plainte examine la décision attaquée en se fondant sur les éléments versés au dossier de l'affaire et sur tout nouvel élément de preuve écrit produit devant lui.
(...)
Il prononce l'une des décisions suivantes :
a) rejet de la plainte et maintien de la solution adoptée dans la décision attaquée ;
b) admission de la plainte, annulation de la décision attaquée et renvoi de l'affaire au procureur pour qu'il engage ou rouvre des poursuites pénales ;
c) admission de la plainte, annulation de la décision attaquée et, si les preuves versées au dossier sont suffisantes pour juger l'affaire, conservation de l'affaire en vue de son jugement ;
(...)
Le procureur, l'auteur de la plainte, la personne visée par la décision de nonlieu et toute personne dont les intérêts légitimes sont lésés peuvent introduire un recours contre le jugement du tribunal.
(...)
Le tribunal se prononce sur la plainte dans un délai de vingt jours à compter de la date à laquelle il en a été saisi et communique immédiatement sa décision motivée à l'auteur de la plainte. »
S'agissant des décisions du parquet adoptées avant l'entrée en vigueur de la loi, les articles IX et XI de la loi no 281 du 26 juin 2003 précisent :
Article IX
« (...)
Le délai imparti pour le dépôt d'une plainte fondée sur l'article 2781 du code de procédure pénale contre une décision de non-lieu prise par le procureur avant l'entrée en vigueur de la présente loi est de une année à compter de la date de l'entrée en vigueur de la loi si la responsabilité pénale n'est pas prescrite. »
Article XI
« La présente loi entrera en vigueur à la date de sa publication au Journal officiel et sera mise en application (...) à compter du 1er janvier 2004. »
Les dispositions pertinentes du droit interne concernant le statut des policiers et des procureurs militaires figurent au § 40 de l'arrêt Barbu Anghelescu c. Roumanie (no 46430/99, 5 octobre 2004 ; voir aussi Notar c. Roumanie, no 42860/98, (déc.), 13 novembre 2003). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. La genèse de l'affaire
Le requérant, né en 1960, était agent publicitaire à Istanbul. Il fut une première fois condamné en 1981 pour appartenance à l'organisation armée d'extrême gauche, TKP-ML (Parti communiste turc, marxiste-léniniste). Après avoir purgé une peine d'emprisonnement de sept ans, il recouvra la liberté en 1988.
Cependant, il était suspecté de continuer à œuvrer pour le TKP ML/TİKKO, une fraction du TKP-ML. Le 2 janvier 1993, un mandat d'arrêt fut délivré à son encontre. Le requérant réussit néanmoins à se soustraire à la justice pendant plus de sept ans.
Le 26 mai 2001, le requérant eut un accident de voiture grave et fut conduit à l'hôpital universitaire de Kartal. Victime d'une contusion spinale ainsi qu'une fracture pariétale droite, le requérant présentait une parésie au côté gauche ainsi qu'une hyperesthésie générale. Vu l'évolution de son tableau clinique, les médecins décidèrent d'opter pour un traitement plutôt conservatif que chirurgical.
Le requérant quitta l'hôpital le 12 juin 2001, mais devait subir des contrôles réguliers et porter une minerve.
Le 5 juillet 2001, vers une heure du matin, le requérant fut appréhendé à son domicile avec N. Mutlu, sa compagne, infirmière de profession.
Une fausse pièce d'identité ainsi que plusieurs documents et ouvrages en rapport avec le TKP-ML furent découverts. Les policiers firent allonger le requérant dans leur autocar et le conduisirent à la direction de la sûreté d'Istanbul, accompagné de N. Mutlu.
Le requérant n'étant pas à même de se déplacer et de subvenir à ses besoins, les policiers décidèrent de le garder à vue, allongé sur un matelas en mousse ; ils demandèrent à N. Mutlu de veiller sur lui.
Le lendemain, vers 11h15, le requérant fut conduit aux urgences de l'hôpital civil d'Haseki. Le médecin nota l'absence d'une quelconque trace de violence, précisant toutefois que l'intéressé avait besoin d'un suivi dans un milieu hospitalier.
Vers 2 heures, le requérant comparut devant le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul (« la CSEI »). Incapable de se maintenir assis, il fut interrogé en position allongée.
Par la suite, il fut traduit devant un juge assesseur de la CSEI. Contestant les accusations portées à son encontre, il demanda son élargissement, au motif qu'il n'était même pas en mesure d'aller tout seul aux toilettes.
Le juge assesseur décida, sans plus attendre, de le placer en détention provisoire.
Vers 17h30, le requérant fut emmené à la maison d'arrêt de Bayrampaşa. Le médecin pénitentiaire décida son admission immédiate dans l'unité de soins, où il demeura cinq jours, jusqu'à son transfèrement à la maison d'arrêt de type F de Tekirdağ.
Le 11 juillet 2001, le procureur mit le requérant en accusation devant la CSEI, pour appartenance à une organisation illégale, au sens de l'article 168 § 1 du code pénal.
Le 13 juillet 2001, l'avocat du requérant lui rendit visite. Il observa que son client ne pouvait utiliser ses membres ni parler correctement. Le requérant lui expliqua qu'après avoir passé trois jours dans l'unité médicale pour les détenus, il avait été placé dans une cellule de trois personnes, afin qu'il puisse se faire aider. Depuis lors, ce sont les codétenus qui le faisaient manger ; ils lui avaient même fabriqué une sorte de chaise percée, à partir d'un tabouret en plastique.
B. Les éléments médicaux concernant le requérant
Le 17 juillet 2001, à la demande du médecin pénitentiaire, le requérant fut examiné par le conseil de santé de l'hôpital civil de Tekirdağ (« l'hôpital civil »), composé de sept spécialistes. D'après les médecins, le requérant souffrait des suites d'un traumatisme cervical externe spasmodique, accompagné d'une défaillance neurologique, se manifestant par une quadri-parésie ainsi qu'une atrophie au niveau des mains. Dans son rapport no 2838 établi le même jour, le conseil indiquait ce qui suit :
« L'intéressé a besoin d'un traitement spécifique. Il faut sursoir en urgence à l'exécution de sa peine. Son maintien en prison est contre-indiqué pour sa santé ».
Le 26 octobre 2001, le requérant fut transféré à la maison d'arrêt de type F d'Edirne, les établissements hospitaliers de ce département étant mieux équipés.
Le 1er novembre 2001, il fut pris en charge par le service de neurochirurgie de l'hôpital universitaire de Trakya (« l'hôpital universitaire »). Les examens poussés, effectués jusqu'au 6 novembre suivant, permirent de constater un déchirement de la membrane cérébrale, responsable d'écoulements du liquide cérébral.
Le 13 novembre, le requérant subit une craniotomie bi-frontale de reconstruction. Il quitta l'hôpital le 23 novembre. Il devait y retourner pour des contrôles fixés aux 7 décembre 2001, 4 janvier et 22 février 2002.
A son retour à la prison d'Edirne, les deux camarades de cellule du requérant se montrèrent réticents à l'aider. Il se trouva même contraint à ne rien boire pour ne pas avoir à uriner la nuit.
Aussi le 27 novembre 2001 le requérant fit-il part au médecin de la prison de son souhait de retourner à Tekirdağ. Le médecin tenta en vain de convaincre le requérant qu'il était dans son intérêt de poursuivre son traitement à l'hôpital universitaire et attira son attention sur les contrôles médicaux qui y étaient planifiés.
Par une lettre du 28 novembre, le requérant réitéra sa demande. Déplorant ses conditions de vie à Edirne, il expliqua qu'il serait beaucoup mieux assisté par ses camarades de la prison de Tekirdağ et que ses contrôles pouvaient être effectués à l'hôpital civil.
Le 23 décembre 2001, la demande du requérant fut acceptée.
Le 4 janvier 2002, le médecin de la prison de Tekirdağ informa le requérant qu'il allait être transféré à l'hôpital civil pour le premier contrôle. A cette occasion, le requérant déclara avoir été averti que son état nécessitait un suivi dans un hôpital spécialisé et qu'il était bien conscient qu'il ne pouvait recevoir le meilleur traitement à Tekirdağ.
Le 11 janvier 2002, le parquet de Tekirdağ saisit le conseil de spécialistes no 3 de l'Institut médico-légal d'Istanbul (« l'Institut »), afin qu'elle se prononce sur l'applicabilité au requérant de l'article 399 du code de procédure pénale (« CPP » ). Cette disposition prévoyait la suspension des peines infligées aux détenus atteints de maladies graves (paragraphe 52 ci-dessus).
Vu la difficulté de conduire le requérant à Istanbul, des membres dudit conseil se rendirent à Tekirdağ et examinèrent le requérant à l'hôpital civil.
Dans leur avis médical no 202 du 14 janvier 2002, ils conclurent ainsi :
« Du fait de la quadri-parésie spasmodique dont il est atteint, il n'est pas envisageable que Hüseyin Yıldırım (...) puisse continuer à vivre dans des conditions carcérales ; il a besoin, en permanence, des soins et de l'aide d'un tiers. Nous concluons, à l'unanimité, qu'il échet de surseoir à l'exécution de sa peine pour une durée d'un an, en application de l'article 399 § 2 du CPP ».
Le 16 janvier 2002, le bureau d'exécution des peines du ministère de la Justice décida de renvoyer le requérant à la maison d'arrêt de type F d'Edirne et qu'il soit pris en charge par l'hôpital universitaire jusqu'au terme de son traitement.
Le 12 février 2002, les neurologues dudit hôpital observèrent que les symptômes de myélopathie cervicale perduraient ; ils conseillèrent au requérant de se faire hospitaliser aux fins d'examens plus poussés, ce que le requérant refusa. Il déclara par écrit qu'il craignait les risques fatals inhérents à des interventions cervicales et qu'il préférait conserver ses chances de se faire soigner dans des circonstances plus favorables.
Le 21 février suivant, le requérant retourna à la prison de Tekirdağ.
Par une lettre du 10 mai 2002, le directeur pénitentiaire informa le parquet que le requérant avait été placé dans l'unité de soins et qu'il ne présentait aucun symptôme nécessitant une intervention urgente.
Le 13 mai suivant, le médecin de la prison de Tekirdağ renvoya le requérant à l'hôpital civil pour contrôle. Le neurologue conclut qu'une auscultation s'imposait à l'hôpital universitaire, mais le requérant refusa de s'y rendre.
Les 2 juillet, 1er août, 26 septembre et 21 octobre 2002 suivants, le requérant se vit respectivement prescrire des traitements pour le tinea pedis, une kératose séborrhéique, une myalgie et une amygdalite.
Le 24 octobre 2002, il fut reconduit à l'hôpital civil. Le conseil de santé, qui l'examina le lendemain, observa la pertinence de symptômes neurologiques, tels qu'une parésie spastique partiale des deux côtés, une quadri-parésie partiale des membres inférieurs et supérieurs, une atrophie des mains, accompagnés de problèmes sphinctériens. Le requérant présentait également les signes francs d'une dépression chronique. Partant, le conseil émit l'avis suivant :
« 1. Le patient à besoin d'un traitement spécifique ; 2. Un sursis à l'exécution de sa peine s'impose d'urgence ; 3. Son maintien en prison est préjudiciable pour sa santé. »
Le 31 octobre 2002, à la demande du bureau d'exécution des peines du ministère de la Justice, le requérant fut admis à l'unité des détenus de l'hôpital civil, accompagné de son frère.
Le 1er novembre 2002, le conseil de santé de l'hôpital civil réexamina le dossier du requérant. Aucune amélioration n'ayant été constatée, le conseil réitéra ses conclusions précédentes (paragraphe 24 ci-dessus), ajoutant que « le tableau clinique actuel s'analyse en une séquelle, non susceptible de guérison ».
A cette date, le requérant se trouvait encore dans l'unité des détenus, confié à son frère.
Le 13 décembre 2002, les médecins de l'hôpital civil décidèrent de transférer le requérant à la clinique de réhabilitation physique de l'hôpital universitaire de Trakya.
Le 14 décembre 2002, le requérant écrivit à l'administration pénitentiaire :
« (...) l'isolement et l'absence d'autonomie (...) que j'ai subis lors de mes longues hospitalisations à l'hôpital universitaire et à l'hôpital civil m'ont mis dans une situation très difficile et m'ont fait souffrir de préjudices psychiques considérables. Je suis encore sous traitement médicamenteux. Si j'étais transféré à nouveau à la clinique de réhabilitation physique de l'hôpital universitaire de Trakya, cela n'aurait comme effet que d'aggraver ma santé mentale et d'exacerber mon état dépressif. Je ne peux prendre ce risque et je n'ai d'ailleurs pas la force mentale de le faire. De surcroît, si j'étais hospitalisé, les membres de ma famille seraient obligés de subir, avec moi, une vie carcérale (...). Pour ces raisons, et en toute connaissance de cause, je ne veux pas être transféré à la clinique de réhabilitation physique (...). »
Selon toute vraisemblance, l'administration dut accueillir cette demande.
A l'issue des contrôles médicaux effectués les 6, 30 janvier et 10 mars 2003, le requérant commença un traitement antidépressif, en sus de son traitement habituel à base de myorelaxants.
Le 19 mars 2003, le parquet de Tekirdağ saisit le président de l'Institut afin de déterminer si le requérant pouvait bénéficier de la grâce présidentielle, en vertu de l'article 104 b) de la Constitution (paragraphe 52 ci-dessus).
Par conséquent, le 28 mars suivant, le requérant fut réexaminé par le conseil de spécialistes no 3 de l'Institut. Le conseil fit remarquer que le patient souffrait d'une quadri-parésie et de défaillances motrices le condamnant à un fauteuil roulant, sachant que jusqu'alors il avait dû porter une sonde urétrale. Aussi le conseil conclut-il que le tableau clinique du requérant correspondait à une maladie incurable, au sens de l'article 104 b) de la Constitution, applicable en l'espèce.
A partir de cette date et jusqu'en avril 2004, le requérant se présenta trente-deux fois au médecin de la prison, en raison notamment de problèmes dermatologiques, ophtalmologiques et des voies respiratoires.
Le 16 avril 2003, entérinant les conclusions du conseil de spécialistes no 3 (paragraphe 30 ci-dessus), le président de l'Institut informa le parquet de ce qui suit :
« A l'unanimité, nous émettons l'avis que la quadri-parésie dont souffre Hüseyin Yıldırım (...) tombe sous le coup des invalidités permanentes décrites à l'article 104 b) de la Constitution (...) »
Le 27 avril 2004, à la demande bureau d'exécution des peines du ministère de la Justice, le requérant fut entendu sur l'éventualité d'une hospitalisation.
Insistant sur sa position (paragraphe 28 ci-dessus), le requérant rappela que la permanence de sa maladie et l'impossibilité d'une opération curative étaient établies ; il n'avait donc aucun intérêt plausible à accepter les contraintes personnelles et familiales liées à une hospitalisation.
Il ressort du dossier que, jusqu'à son élargissement, qui intervint le 25 juin 2004, le requérant est demeuré sous surveillance dans l'unité des détenus de la prison de Tekirdağ, accompagné tantôt par son frère tantôt par l'une de ses deux sœurs.
C. Le déroulement du procès du requérant et les réactions judiciaires face à son état de santé
Lors de la première audience du 30 juillet 2001, les juges du fond ordonnèrent le maintien en détention du requérant, compte tenu de « la nature du délit reproché » et de « l'insuffisance des preuves » réunies jusqu'alors. Ils enjoignirent aussi au parquet d'assurer la comparution du requérant à la prochaine audience, fixée au 31 octobre 2001.
Le 25 juillet 2001, l'avocate du requérant, se fondant sur le rapport médical no 2838 du 17 juillet précédent (paragraphe 14 ci-dessus), demanda que son client soit réexaminé par l'Institut et qu'il soit décidé à la lumière des résultats obtenus.
Par une décision du 6 août 2001, la CSEI rejeta cette demande au motif que « le requérant étant en détention préventive, les actes visant son traitement médical étaient de nature administrative » ; en d'autres termes, il appartenait au médecin de la prison concernée de décider en la matière. La CSEI décida, en outre, le maintien en détention du requérant, compte tenu de « la nature du délit reproché », de « l'état des preuves », du « contenu du dossier » et de la « date de son placement en détention provisoire ».
Le 8 août 2001, l'avocate du requérant forma opposition contre cette décision, insistant sur la nécessité d'un examen médico-légal par l'Institut. Aucune suite ne semble être donnée à cette demande.
A l'audience du 31 octobre 2001, le requérant ne put se présenter. Son avocate, se référant aux éléments médicaux disponibles, sollicita le transfert de son client à un établissement hospitalier dûment équipé et capable d'assurer le traitement approprié. En outre, elle redemanda une consultation au sein de l'Institut, en vue de déterminer la nature des risques vitaux liés aux conditions carcérales. Elle plaida enfin que son client devait être dispensé de comparaître, eu égard à la précarité de son état de santé.
Les juges du fond décidèrent le maintien en détention du requérant et l'assignèrent à comparaître, précisant qu'il lui était toujours loisible de saisir les instances carcérales sur ses doléances quant à son traitement.
Le 12 novembre 2001, les déclarations du requérant furent recueillis par commission rogatoire à l'hôpital universitaire, où il avait été transféré dans l'intervalle (paragraphe 15 ci-dessus).
Le 15 novembre 2001, Me Kırdök s'adressa au ministère de la Justice (« ministère ») pour assurer le renvoi de son client devant l'Institut, aux fins de la procédure prévue par l'article 399 du CPP.
Le 30 novembre 2001, l'avocate du requérant sollicita de nouveau l'élargissement de son client, en application des articles 399 du CPP et/ou 104 b) de la Constitution. Elle mit en exergue le fait que la vie carcérale imposée du requérant s'analysait en un traitement inhumain et dégradant.
Cette demande fut écartée le 11 décembre 2001, eu égard à « la nature du délit reproché » en l'espèce et à « l'état des preuves ».
Le 24 décembre 2001, Me Kırdök forma opposition, déplorant qu'on refuse au requérant l'application de l'article 399 du CPP, alors que par le passé des centaines de détenus, grévistes de la faim, avaient été admis au bénéfice de cette disposition.
Ce recours fut vain.
Le 11 janvier 2002, le procureur consentit finalement à ce que le requérant soit examiné à l'Institut.
A l'audience du 25 septembre 2002, le transfèrement du requérant eut lieu dans un fourgon cellulaire ; il fut couché à même le sol avec une minerve au cou, alors que les autres prévenus essayaient de le tenir stable. Faute de fauteuil roulant, des gendarmes durent le traîner sur ses pieds jusqu'à la salle d'audience, en le prenant sous les aisselles. Lors des débats, assis seul au banc des accusés, le requérant se renversa à deux reprises. Aussi deux gendarmes furent-ils chargés de le retenir tout au long de la séance.
Au vu de ce qui précède, Me Kırdök plaida ainsi :
« (...) comme la libération provisoire est refusée à mon client, cette affaire à été portée devant la Cour européenne des droits de l'homme, devant laquelle notre Gouvernement a affirmé que, dans la maison d'arrêt, un fonctionnaire avait été personnellement chargé d'assister mon client. Cependant, cette affirmation est fausse et notre Gouvernement n'a pas dit la vérité à la Cour européenne des droits de l'homme. Mon client n'est nullement capable de vivre incarcéré. Tel qu'il est expliqué dans les rapports médicaux versés au dossier, il a besoin de l'assistance de deux personnes au moins ; par ailleurs, ses transfèrements pour les audiences lui sont préjudiciables. Je porte plainte contre l'administration pénitentiaire qui n'a pas emmené mon client dans un fauteuil roulant.
(...) j'estime que mon client est victime d'une pratique discriminatoire quant à [l'application] de l'article 399 du CPP ; vu son état, qui ne peut échapper à l'attention du tribunal, je demande son élargissement, car il est incapable de fuir (...) ».
Les juges du fond écartèrent cette demande, estimant que l'état de santé du prévenu, malgré sa sévérité incontestable, ne suffisait pas à ôter le doute qu'il puisse se soustraire à la justice. D'après eux, le traitement du requérant devait donc continuer en milieu carcéral, parce que « l'Etat de la République de Turquie et les autorités du ministère de la Justice (...) disposent toujours des moyens pour [assurer ce traitement] (...) ».
Du reste, les juges déclarèrent que le requérant était libre de porter plainte au sujet des négligences commises lors de son transfèrement en fourgon et enjoignirent le parquet de veiller à ce que ces transfèrements aient désormais lieu en conformité avec l'état de santé du prévenu.
A la fin de l'audience, les gendarmes qui accompagnaient le requérant à la sortie du palais de justice le firent tomber par terre. Dans les images qui allaient être publiées, on aperçoit le requérant, agonisant, à même le sol, entre des gendarmes cherchant à le redresser, devant les yeux du public.
Le 2 octobre 2002, l'Association des droits de l'Homme à İzmir pria le ministère d'intervenir pour l'élargissement du requérant. Le ministère transmit cette demande à la CSEI, qui l'estima digne d'examen au regard des droits invoqués. Après avoir longuement exposé les actes terroristes reprochés au requérant, les différents arguments présentés par son conseil, la CSEI renvoya à ses attendus antérieurs et conclut que, malgré son handicap avéré, le requérant continuait à présenter un risque de fuite réel et imminent ; dans la mesure où son suivi médical pouvait être assuré au sein des unités spécifiques des prisons ou des hôpitaux dûment équipés, il n'y avait pas lieu de le libérer.
A l'audience suivante du 27 novembre 2002, le requérant fut conduit dans une ambulance, installé dans un fauteuil roulant et accompagné d'un proche. Les juges rejetèrent sa demande de libération provisoire, alors que l'accusation requit sa condamnation à une peine allant de dix à quarante-deux ans d'emprisonnement.
Par un jugement du 11 décembre 2002, le requérant fut condamné à la réclusion à perpétuité.
Le 6 mai 2003, la Cour de cassation infirma ce jugement pour cause de vice de procédure et retourna le dossier à la juridiction inférieure.
Le 26 janvier 2004, après s'être corrigée, la CSEI confirma ses conclusions précédentes ainsi que la peine infligée.
Par un arrêt de cassation du 27 avril suivant, la condamnation du requérant devint définitive.
51. Le 25 juin 2004, s'appuyant sur l'avis médicol-égal susmentionné du 16 avril 2003 (paragraphe 32 ci-dessus) et en application de l'article 104 b) de la Constitution, le Président de la République gracia le requérant, qui fut immédiatement libéré.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
Le droit interne
L'article 104 de la Constitution régit les tâches et compétences du président de la République et, en son alinéa b), il habilite celui-ci à remettre, pour raison de maladie chronique, d'invalidité ou de vieillesse, tout ou partie des peines prononcées.
Par ailleurs, l'article 399 §§ 1 et 2 du CPP dispose :
« S'agissant des condamnés atteints d'une maladie mentale, il est sursis à l'exécution de la peine privative de liberté, ce jusqu'à la guérison.
Cette disposition est aussi appliquée s'agissant de toute autre maladie présentant un danger certain pour la vie d'un condamné, en cas de l'exécution d'une peine privative de liberté. »
Selon l'interprétation jurisprudentielle qui est faite de ces dispositions, celles-ci ne s'appliquent qu'aux personnes « condamnées », non à celles « en détention provisoire ».
L'unité des détenus de l'hôpital civil de Tekirdağ
Le 20 décembre 2002, les autorités compétentes turques ont réuni des informations concernant les conditions matérielles de l'unité des détenus de l'hôpital civil de Tekirdağ.
Ladite unité est sise au rez-de-chaussée d'un bâtiment de deux étages, dont le premier fait office de crèche. Elle dispose d'un système d'éclairage suffisant et est aménagée comme les autres locaux communs de l'hôpital. L'unité est chauffée par des radiateurs et dispose d'une salle de bain équipée d'un chauffe-eau électrique.
La présence d'un aide-soignant est assurée en permanence.
L'administration hospitalière se charge de la subsistance du requérant et de ses proches, à savoir son frère et ses deux sœurs, qui se relayent en tant qu'accompagnateurs. Ces derniers sont autorisés à quitter l'unité et d'y retourner librement, en passant par la procédure ordinaire de fouille corporelle, et ce à condition de ne ramener ni nourriture ni boisson. Ils assistent personnellement le requérant dans ses soins quotidiens, notamment ses besoins de toilettes et de bain, sous la surveillance de l'agent de sécurité. L'unité étant dûment sécurisée, il est permis que la porte de la cabine de toilette reste fermée.
D'après le plan des lieux produit par le Gouvernement, le dortoir no 1, où demeure le requérant, fait 15 m² et s'ouvre sur un couloir. En face se trouvent une cabine de toilette et une cabine de douche, chacune d'environ 3 m².
Il ressort des registres du service que l'épouse du requérant, N. Mutlu Yıldırım, a été régulièrement autorisée à voir son mari.
La réglementation turque concernant les détenus hospitalisés
D'après l'article 75 du règlement du 13 janvier 1983 « sur le fonctionnement des établissements hospitaliers à lits », la surveillance des détenus hospitalisés relève de la responsabilité de l'autorité judiciaire ayant ordonné l'hospitalisation, pareil établissement devant disposer d'un local sécurisé à cette fin.
L'article 37 du règlement du 1er août 1998 sur « les droits des patients », impose l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour la sécurité des patients et de leurs visiteurs, sous réserve des dispositions spécifiques concernant les patients détenus. D'après les articles 15 et 22, aucun patient ne peut être assujetti à un traitement médical contre son gré, mais a le droit d'être informé des conséquences de sa décision ainsi que des solutions médicales alternatives.
Les travaux du Conseil de l'Europe
En la matière, il convient de renvoyer à la Recommandation no (98)7F du Comité de Ministres du 8 avril 1998, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire (voir, notamment, titre C, §§ 50 et 51).
Par ailleurs, il y a l'annexe 2 à la Recommandation no (2000) 22, adoptée le 29 septembre 2000, concernant l'amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la Communauté. Celle-ci énonce des « principes directeurs tendant à une utilisation plus efficace des sanctions et mesures appliquées dans la communauté » (voir, la rubrique « Législation », la recommandation no 1).
Il faut aussi rappeler le troisième rapport général d'activités du CPT, couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1992. Ce rapport met en exergue la question de l'intervention médicale dans le milieu carcéral (voir aussi le rapport du CPT au Gouvernement turc, adopté le 6 juillet 2001 (CPT (2001) 38)). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1963 et réside à Silistra.
A. Les allégations de mauvais traitements
Le 8 janvier 1996, le requérant emprunta à un certain M.S. 200 000 levs bulgares (BGL). Aux termes du contrat conclu, il s'engageait à rembourser cette somme au 17 janvier 1996. A titre de garantie du remboursement de l'emprunt, le requérant céda la propriété de son appartement à M.S. par un contrat de vente devant notaire.
Le requérant n'ayant pas remboursé l'emprunt dans le délai imparti, le 17 janvier 1996, il transféra son appartement à M.S. afin de garantir le paiement de la somme. Apparemment, le paiement ne fut pas effectué dans les mois suivants.
Le requérant indique que le soir du 18 août 1997, il rencontra V.S. - frère de M.S., et ses amis (S.P. et V.P). Ils se rendirent ensemble dans un bar où ils discutèrent d'une affaire pénale (« l'affaire de l'hôtel S. ») dans laquelle le requérant était impliqué en tant que témoin.
Aux dires du requérant, il décida de rentrer chez lui vers 3 heures du matin. V.S. lui proposa de l'accompagner et ils quittèrent le bar. Quelques minutes plus tard, ils furent rattrapés par la voiture de S.P. et V.P. Les trois protagonistes forcèrent alors le requérant à monter dans la voiture et le conduisirent en dehors de la ville. Le requérant fut obligé de sortir de la voiture et maltraité avec un pieu aiguisé que V.S. introduisit à plusieurs reprises dans son anus, pendant que S.P. et V.P. le maintenaient immobile. V.S. essaya de l'étouffer à quelques reprises et l'obligea à manger de l'herbe.
Les ravisseurs questionnèrent le requérant au sujet d'une importante somme d'argent qu'il devait recevoir dans les prochains jours. Ils exigèrent également qu'il modifie sa déposition dans « l'affaire de l'hôtel S. » et le menacèrent de mort.
Vers 6 heures du matin, ils reconduisirent le requérant à son domicile. Le même jour, il fut examiné par un médecin légiste. D'après le certificat établi, le requérant présentait plusieurs éraflures et hématomes sur les tempes, le cou, l'épaule gauche et le dos, ainsi qu'une fissure anale d'un centimètre et demi de long et d'une profondeur d'environ quatre millimètres.
Le jour suivant, le 20 août 1997, le requérant fut admis à l'hôpital régional où la plaie fut suturée. Aux dires du requérant, V.S. lui rendit visite pendant son séjour à l'hôpital, insista sur le fait qu'il devait modifier sa déposition dans « l'affaire de l'hôtel S. » et le menaça à nouveau.
L'intéressé sortit de l'hôpital le 22 août 1997. Il allègue que V.S. l'attendait à la sortie et l'accompagna jusqu'à son domicile. Il le menaça de mort et l'avertit qu'il devait lui avancer une importante somme d'argent. Les jours suivants, il aurait été constamment surveillé par V.S. et des amis de ce dernier.
B. Le déroulement de l'enquête au sujet de l'incident
Le 19 août 1997, le requérant porta plainte auprès du service régional de l'instruction de Silistra. Le 2 septembre 1997, des poursuites pénales pour menace de mort, fait prévu et réprimé par l'article 144 alinéa 3 du Code pénal (CP), furent engagées contre V.S., S.P. et V.P.
Par une ordonnance du 12 septembre 1997, un procureur du parquet régional de Silistra modifia les charges soulevées et V.S., S.P. et V.P furent mis en examen pour extorsion aggravée, fait prévu et réprimé par l'article 213a alinéa 2 §§ 2 et 4.
Le requérant fut interrogé le 2 septembre 1997. Le jour suivant, l'enquêteur entendit le médecin légiste qui attesta des blessures et des lésions reçues par le requérant, et indiqua que l'intéressé lui avait affirmé avoir été maltraité par V.S.
Le jour suivant, l'enquêter recueillit les dépositions du médecin qui avait soigné les blessures de l'intéressé. Ce dernier décrivit les blessures constatées et indiqua que le requérant lui avait déclaré avoir été victime de mauvais traitements. Le médecin précisa que V.S. était venu chercher le requérant à sa sortie de l'hôpital.
Le 4 septembre 1997, deux amis du requérant (T.T. et J.G.) furent interrogés. Le premier indiqua avoir entendu parler de l'incident. Il relata une querelle impliquant notamment le requérant et deux des accusés, V.S. et V.P., qui avait eu lieu le 17 août 1997. Par ailleurs, il fit savoir qu'il avait rencontré V.S. le 26 ou le 27 août 1997. Ce dernier l'aurait menacé en lui disant qu'il avait déjà préparé un pieu pour lui.
Le second, J.G., exposa que le 17 août 1997 V.S. avait voulu discuter avec son frère au sujet de « l'affaire de l'hôtel S. ». Le 21 août 1997, il l'avait rencontré à nouveau. V.S. s'était enquis de son frère et ils étaient partis le chercher en voiture. V.S. l'avait amené en dehors de la ville, avait essayé de l'étrangler et l'avait menacé avec un pieu aiguisé. Le 28 août 1997, il avait une nouvelle fois été maltraité par V.S. qui l'avait averti qu'il ne disposait que de deux jours pour retrouver son frère. Avant de le laisser partir V.S. l'avait menacé :
« Demande à Nidim [le requérant] ce qui lui est arrivé. Il a fait un faux pas (...) et nous l'avons baisé et lui avons mis un pieu dans le cul. Pour toi, ça va être pire. »
En septembre 1997, le requérant fut arrêté sur des accusations de fraude fiscale. Quelques semaines après son placement en détention provisoire, il retira sa plainte au sujet de l'incident.
Le 8 décembre 1997, M.S. vendit l'appartement du requérant à un tiers. Peu après, le requérant et sa famille furent expulsés par le nouveau propriétaire. Le 6 janvier 1998, l'intéressé communiqua ces faits au parquet. Il fit savoir également que V.S. avait rencontré à plusieurs reprises des membres de sa famille (sa mère, son épouse et sa belle-mère). Il leur avait déclaré que le bien serait vendu à moins que le requérant ne retire sa plainte.
Entre-temps, le 29 décembre 1997, l'enquêteur chargé de l'enquête avait proposé au parquet de mettre fin aux poursuites pénales au motif que le requérant avait retiré sa plainte.
Par une ordonnance du 6 janvier 1998, le procureur régional adjoint refusa de mettre fin à la procédure pénale et renvoya le dossier pour un complément d'information. Le procureur observa qu'il y avait des indices suffisants d'une infraction particulièrement grave, et qu'il était possible de rassembler les éléments de preuve nécessaires pour renvoyer les accusés en jugement au vu des dépositions de T.T. et J.G., d'autant plus que le requérant avait indiqué que d'autres personnes pouvaient témoigner au sujet de menaces et d'intimidations de la part des accusés.
Le 12 février 1998, le requérant fut auditionné à nouveau. Il relata les circonstances entourant le transfert de l'appartement à M.S. Par ailleurs, il exposa que lui-même avait été arrêté le 2 septembre 1997. Pendant qu'il était détenu, V.S. avait rendu visite à des membres de sa famille et à son avocat, et les avait obligés à convaincre le requérant de retirer sa plainte. L'avocat du requérant avait préparé la lettre de retrait de la plainte et l'intéressé l'avait signée. Le requérant affirma également que V.S. continuait à exercer des pressions sur lui afin qu'il retire les déclarations écrites faites suite à la vente de l'appartement.
Le 15 avril 1998, l'enquêteur constata que l'un des accusés (V.P.) avait changé d'adresse sans en informer les autorités de poursuite. En réponse à sa demande expresse, la direction régionale de la police lui indiqua ne pas connaître la nouvelle adresse de V.P.
Le 26 mai 1998, l'enquêteur proposa au parquet de suspendre la procédure jusqu'à ce que V.P. soit retrouvé. Le 30 juin 1998, le parquet de district ordonna la suspension provisoire des poursuites.
Le 11 février 2000, le requérant s'enquit auprès du directeur du service régional de l'instruction du déroulement de l'enquête. Par une ordonnance du 20 mars 2000, le procureur de district décida de poursuivre la procédure, ayant constaté que V.P. avait été retrouvé et était actuellement détenu dans les locaux du service de l'instruction.
Le 14 avril 2000, l'enquêteur proposa au parquet de mettre fin aux poursuites pénales, estimant que les faits n'étaient pas constitutifs d'une infraction. Il indiqua que l'intéressé avait retiré sa plainte, que lors d'une confrontation avec V.S. il avait déclaré ne pas avoir été maltraité par ce dernier, et que ses allégations selon lesquelles il avait été forcé de transférer son appartement au frère de V.S. étaient peu crédibles dans la mesure où le contrat avait été établi devant notaire. Enfin, l'enquêteur conclut qu'il était impossible de rechercher la cause des blessures du requérant au vu du laps de temps écoulé depuis l'incident.
Par une ordonnance du 20 avril 2000, le parquet de district de Silistra mit fin aux poursuites pénales. Le dossier fut transmis d'office au parquet régional.
Le 25 mai 2000, le procureur régional adjoint confirma la décision du parquet de district de mettre fin aux poursuites et transmit du dossier au tribunal régional de Silistra, en application de l'article 237 alinéa 5 du Code de procédure pénale (CPP).
Une copie de l'ordonnance du procureur régional fut signifiée au requérant au début du mois de juin 2000. Le 8 juin 2000, le requérant saisit le tribunal régional d'un recours en annulation de cette ordonnance. Par ailleurs, le 9 juin 2000, le requérant adressa des courriers au Conseil supérieur de la magistrature et au parquet général. Il y faisait valoir que le procureur régional adjoint, qui supervisait l'enquête, était impliqué dans la procédure pénale engagée contre lui et dans laquelle V.S et S.P. étaient témoins à charge. Le requérant admettait qu'il avait retiré sa plainte et que lors de la confrontation avec V.S. il était revenu sur ses allégations au sujet des mauvais traitements. Toutefois, par la suite, il avait expliqué à l'enquêteur qu'il y avait été contraint par V.S. qui menaçait de vendre son appartement.
Par une lettre du 23 juin 2000, le parquet général informa le requérant que son courrier avait été transmis au parquet auprès de la cour d'appel de Varna.
Par une lettre en date du 30 juin 2000, le Conseil supérieur de la magistrature informa le requérant qu'en vertu de l'article 237 alinéa 5 CPP, le dossier était transmis d'office au tribunal régional.
Par un courrier du 21 juillet 2000, le parquet d'appel indiqua au requérant que par une décision du 9 juin 2000, le tribunal régional avait confirmé la décision du parquet de mettre fin aux poursuites. Cette ordonnance n'était pas susceptible de recours.
Le requérant en prit connaissance le 19 septembre 2000 ; il y était notamment indiqué :
« Dans le dossier il n'y a pas d'éléments indiquant que les prévenus aient commis une infraction. Il n'y pas de preuves de menaces ou de mauvais traitements sur la personne de Nikolay Dimitrov. Ce dernier a à maintes reprises modifié ses dépositions au cours de l'enquête et les a même retirées suite à une confrontation avec V.S. »
C. La procédure pénale à l'encontre du requérant
Le 3 septembre 1997, une procédure pénale pour fraude fiscale fut engagée contre le requérant et un certain M.K. Le même jour, le requérant fut placé en détention provisoire ; il fut relâché le 12 décembre 1997. V.S. fut interrogé en tant que témoin dans le cadre de cette procédure.
En 1999, l'affaire fut renvoyée devant le tribunal régional de Silistra. Par un jugement du 27 mars 2000, le requérant fut reconnu coupable d'un des chefs d'accusation et condamné à cinq ans d'emprisonnement. Toutefois, suite à l'appel formé, le jugement fut annulé par la cour d'appel de Varna le 12 octobre 2000. Le dossier fut renvoyé au parquet pour un complément d'instruction.
Par une ordonnance du 31 octobre 2002, le parquet mit un terme à la procédure, estimant que les faits reprochés au requérant n'étaient pas constitutifs d'une infraction.
Le 7 janvier 2003, le requérant introduisit contre le tribunal régional de Silistra et les autorités de poursuite une demande en réparation du préjudice subi du fait de la procédure pénale et de la détention effectuée dans le cadre de cette procédure. Par un jugement du 27 octobre 2003, tribunal régional de Dobritch fit partiellement droit aux prétentions du requérant et lui accorda une indemnité d'un montant de 6 000 levs (environ 3 060 euros), plus les intérêts. Suite aux appels formés par les défendeurs, la cour d'appel de Varna diminua le montant des intérêts dus.
Par un arrêt du 28 octobre 2005, la Cour suprême de cassation confirma le principe de la responsabilité et augmenta le montant alloué à 9 000 levs bulgares (4 596 euros), plus les intérêts.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le Code pénal
Le Code pénal (CP) érige en infraction le fait de causer à autrui un dommage corporel léger, moyennement grave ou grave (articles 128 à 130 CP). Le fait de causer un dommage corporel léger est passible d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à six mois. Lorsque le dommage a entraîné une détérioration de la santé de la victime, la peine peut aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement. Le fait que le dommage corporel ait été causé de manière particulièrement pénible pour la victime constitue une circonstance aggravante de ces infractions (article 131 alinéa 5).
Par ailleurs, les dommages corporels causés sont des éléments aggravants d'autres infractions. Ainsi, en vertu de l'article 213a alinéa 2-2 CP, l'extorsion, lorsqu'elle est accompagnée de dommage corporel léger, est passible d'une peine de trois à huit ans d'emprisonnement et d'une amende.
B. L'engagement de poursuites pénales
Une procédure pénale est engagée lorsque les autorités sont en présence d'un motif légal (законен повод) et d'éléments suffisants indiquant qu'une infraction pénale a été commise (достатъчно данни), en vertu des articles186 à 190 de l'ancien Code de procédure pénale de 1974 (CPP).
Pour la plupart des infractions graves, telles que l'extorsion, les poursuites pénales ne peuvent être intentées par un particulier, seule la décision d'un procureur pouvant les déclencher (articles 56 et 192 CPP).
Certaines infractions moins graves, tels les dommages corporels légers, ne sont pas en principe poursuivis par la mise en œuvre de l'action publique mais seulement par la victime elle-même, par la voie de la citation directe (частна тъжба). La personne concernée doit saisir le tribunal compétent dans un délai de six mois après avoir pris connaissance de l'infraction, à défaut de quoi sa demande est déclarée irrecevable (article 57 CPP). Dans certains cas exceptionnels, notamment lorsque la victime n'est pas en mesure d'assurer la défense de ses intérêts en raison d'un état de dépendance ou de faiblesse, le procureur peut lui-même engager ou encore intervenir dans une telle procédure (articles 45-46a).
Le parquet met un terme aux poursuites pénales engagées lorsqu'il constate, inter alia, que les faits reprochés ne sont pas constitutifs d'une infraction ou encore que ceux-ci ont déjà fait l'objet d'une procédure pénale ayant pris fin par un jugement, une ordonnance du parquet ou une décision passés en force de chose jugée (article 21 alinéas 1-1 et 1-6 CPP).
Enfin, le parquet met fin aux poursuites lorsqu'il s'avère que le cas relève des infractions poursuivies par la voie de la citation directe. Dans cette dernière hypothèse, la victime peut saisir le tribunal compétent à condition de respecter le délai de six mois. L'engagement de l'action publique a pour effet d'interrompre le cours de ce délai, qui court de nouveau à compter de l'acte de clôture des poursuites (voir par exemple Arrêt no 80 du 27 février 1995, Cour suprême, 3ème chambre pénale).
A l'époque des faits de l'espèce, lorsque le parquet mettait fin aux poursuites pénales au motif que les faits n'étaient pas constitutifs d'une infraction ou qu'il n'y avait pas d'éléments de preuve suffisants, le dossier était transmis d'office au procureur supérieur qui pouvait confirmer, modifier ou annuler l'ordonnance (article 237 alinéa 3 CPP). Une copie de l'ordonnance du procureur supérieur était notifiée à la victime. Le dossier était ensuite transmis d'office au tribunal compétent (alinéa 5) qui, statuant en chambre du conseil, contrôlait la légalité et le bien-fondé de l'ordonnance du parquet. Le tribunal était tenu de rendre sa décision dans un délai de sept jours à compter de la réception du dossier (alinéa 6) ; il pouvait annuler, confirmer ou modifier l'ordonnance du parquet. Sa décision n'était pas susceptible d'appel (alinéa 9) et n'était pas formellement signifiée à la victime.
C. L'exercice de l'action civile
La victime d'une infraction a la faculté d'introduire une action en réparation du préjudice résultant de l'infraction dans le cadre de la procédure pénale. L'action civile peut être introduite jusqu'au moment où le tribunal entreprend l'examen du fond de l'affaire (article 61 CPP).
L'action en réparation peut également être introduite devant les juridictions civiles. Lorsque les poursuites pénales ont été terminées par une ordonnance du parquet, le tribunal civil qui statue sur la responsabilité délictuelle de l'auteur de l'infraction n'est pas lié par les constatations de celle-ci (article 372 CPP). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
La requérante est née en 1958 et réside en Allemagne. Elle a introduit cette requête en son propre nom, ainsi qu'en celui de son mari Mustafa Hacı Dölek, décédé en 1995, de leurs enfants Ali et Figen, mineurs à l'époque des faits, et du frère et de la sœur du défunt, Ali (1951) et Elif.
A. L'événement du 24 juin 1995
Le 24 juin 1995, très tôt dans la matinée, les forces de l'ordre arrivèrent au domicile de la requérante, au village de Cennetpınar du district de Pazarcık du département de Kahramanmaraş. Lors de la perquisition, le mari de la requérante fut touché par balles.
Le récit du déroulement de cet événement précis fait divergence entre les parties.
Selon la requérante, vers cinq ou six heures du matin, trois membres des forces d'intervention spéciale sonnèrent à leur porte alors que toute la famille dormait. Elle ouvrit la porte, les agents dirent qu'ils allaient effectuer une perquisition et lui demandèrent d'appeler son mari. Ce dernier arriva à l'entrée, les agents entrèrent dans le hall. Au moment où la requérante s'était éloignée, au moins deux coups de feu furent tiré. La requérante vit son mari au sol, touché à la poitrine et à la jambe ; il décéda immédiatement. Les agents sortirent du domicile et appelèrent la requérante à l'extérieur, puis la frappèrent. Ils la menacèrent de la tuer, elle et ses enfants qui s'étaient réveillés dans l'intervalle, au cas où elle porterait plainte. Puis ils transportèrent le corps du défunt jusqu'à leur véhicule, en disant à la requérante que son mari n'était pas mort et qu'ils l'emmenaient à l'hôpital civil de Kahramanmaraş.
Selon le Gouvernement, suite à des informations selon lesquelles sept personnes armées avaient été vues au village, les forces de l'ordre procédèrent à une opération. Ils perquisitionnèrent plusieurs domiciles au village, dont celui de la requérante. Après que cette dernière leur ait ouvert la porte et alors que les agents commençaient à perquisitionner, Mustafa Hacı Dölek tenta d'arracher l'arme de service de l'agent S.A. Lors de l'échauffourée, le coup partit et le blessa. Les agents le transportèrent à l'hôpital, mais celui-ci succomba à ses blessures avant d'y arriver.
B. L'enquête en la matière
Les forces de l'ordre dressèrent un procès-verbal sur-le-champ. Selon ce document signé par trois gendarmes, au cours de l'opération effectuée le 24 juin 1995 à partir de cinq heures du matin en collaboration avec les forces d'intervention spéciale, la requérante tarda à ouvrir la porte du domicile. Ce retard ayant suscité leurs doutes, les agents perquisitionnèrent la maison ; il était environ 5 h 30. C'est à ce moment qu'un individu, identifié ultérieurement comme le mari de la requérante apparut et tenta de saisir l'arme d'un agent qui était rentré ; le coup partit dans l'échauffourée. A première vue, Mustafa Hacı Dölek avait reçu deux balles dans les jambes. Il fut transporté immédiatement dans le véhicule des forces d'intervention spéciale. Les gendarmes signataires mentionnèrent être informés de son décès qui survint lors de son transport à l'hôpital civil de Kahramanmaraş.
A sept heures, le procureur de Kahramanmaraş arriva à la morgue de l'hôpital civil où il effectua un examen du cadavre avec le médecin. Selon le procès-verbal (« ölü muayene ve otopsi tutanağı »), ils procédèrent d'abord à l'identification, par l'intermédiaire du père du défunt.
Puis, les vêtements du défunt furent enlevés : une chemise à manches courtes, de couleur violette, sans aucune trace liée à une arme à feu ou arme blanche, ainsi qu'un sous-vêtement blanc. Un pantalon vert à rayures, fermé par une ceinture en cuir brun, fut retiré. Le pantalon était déchiré et taché de sang dans sa partie gauche.
Le procès-verbal indique qu'il n'y a pas de blessures causées par une arme à feu ou arme blanche à la tête, au visage, au dos, au thorax, à l'abdomen, aux bras et à la jambe droite ; que la nuque n'est pas fracturée et qu'il n'y a aucune trace de strangulation, ni d'étouffement autour de la bouche et qu'aucun élément externe ne laisse penser à un empoisonnement.
Quant à la jambe gauche, le procès-verbal fait état de deux entrées de balles de 0,5 centimètre (« cm ») de diamètre sur le fémur et une troisième entrée à cinq cm au dessus du genou. Le point de sortie des trois balles se situerait sur la partie postérieure du genou sur une surface de dix cm sur dix cm.
Selon le médecin, la mort est due à un choc hypovolémique suite à l'hémorragie ; ainsi il estima qu'il n'était pas nécessaire de procéder à une autopsie classique.
Le procès-verbal ainsi finalisé fut signé par le procureur de Kahramanmaraş, le secrétaire, leur conducteur, le médecin, son assistant et le témoin.
Dans la même journée, le procureur de Pazarcık recueillit la déposition en tant qu'accusé de l'agent S.A. Ce dernier fit état qu'au moment où ils étaient arrivés au domicile de la requérante, ils avaient vu quelqu'un, dont ils n'ont pu identifier le sexe, entrouvrir à plusieurs reprises les rideaux de la fenêtre se situant à la droite de l'entrée de la maison. Ayant des doutes, ils ont frappé à la porte, ils ont même toqué à la fenêtre, puis une femme a ouvert la porte. Informée de la perquisition, elle dit qu'elle n'avait rien à cacher et que son mari était à l'intérieur. Au moment où S.A. entrait dans le hall, son mari sortait d'une chambre. Ils firent quelques pas dans le hall et il lui demanda d'ouvrir la porte d'une chambre sur la droite, sur quoi l'homme se retourna et saisit le canon de son fusil, pour le lui prendre, [...], puis le coup partit et l'homme, blessé à la jambe, tomba au sol. Les agents l'amenèrent à l'hôpital civil.
S.A. clama son innocence exposant que le tir était parti accidentellement alors qu'il essayait de reprendre son arme des mains de cet individu et que, suite à cet incident, il fut mis fin à la perquisition.
Il semble qu'après ces évènements, le cadavre fut remis aux proches aux fins d'inhumation.
Le 26 juin 1995, le procureur de Pazarcık recueillit les dépositions de la requérante et de sa fille Figen, ainsi que du frère du défunt, Ali, en tant que témoins.
La requérante fit état de ce qu'elle avait d'abord entendu la sonnerie de la porte du jardin et qu'ensuite quelqu'un avait frappé à la porte d'entrée de la maison. Après avoir ouvert la porte et laissé son mari avec les agents, elle entendit trois coups de feu alors qu'elle était allée réveiller ses enfants pour qu'ils n'aient pas peur. Quand elle est revenue dans le hall, après avoir traversé le salon, elle vit son mari gisant au sol, les trois ou quatre agents étaient déjà à l'extérieur. Puis ils l'appelèrent à l'extérieur et la frappèrent du fait qu'elle avait crié. Sa fille, réveillée, pleurait près de son père. Puis, les agents cassèrent la porte de la chambre d'hôte qui était fermée à clé alors qu'elle avait proposé de l'ouvrir. Ce n'est qu'ensuite qu'ils lui demandèrent qui était son mari. Elle se plaignit donc des agents en fonction en disant qu'ils avaient tué son mari sans même connaître son identité alors qu'il avait travaillé pour l'Etat pendant vingt et un ans dans des constructions de barrage et rajouta qu'il était impossible pour elle qu'il ait essayé de saisir l'arme de l'un des agents.
Figen, la fille de la requérante et du défunt, qui avait onze ans à l'époque des faits, dit qu'elle dormait avec ses cousins S. et E. ; son petit frère dormait avec ses parents. Elle avait ouvert les rideaux et regardé par la fenêtre après avoir entendu la sonnerie. Elle voyait de sa chambre que sa mère avait ouvert la porte et que son père était en train de mettre sa chemise, les personnes entrèrent et lui tirèrent dessus sans rien dire, deux fois dans le dos et deux fois [...]. L'arme était « une mitraillette pas un pistolet ». Puis, les policiers cassèrent la porte de la chambre d'hôte. Elle avait vu que le policier qui avait tiré était « gros, de petite taille, avec une grande moustache et un chapeau » ; elle pouvait le reconnaître. Ce n'est qu'après que les policiers demandèrent le nom de son père, ils l'avaient donc « tué sans savoir qui il était ». Son père ne s'était pas retourné pour saisir l'arme des policiers. En plus, il était déjà mort quand ils le transportèrent parce que « quand il était au sol, un des policiers lui avait serré le cou ; il ne vérifiait pas son pouls parce qu'il le serrait fort ». Elle avait aussi entendu d'autres paysans qui avaient vu qu'ils lui serraient le nez et la bouche quand ils le mettaient dans le véhicule. Finalement, la fille répondit par la négative à la question du procureur pour savoir s'ils avaient reçu une visite chez eux le soir de l'incident.
Ali, le frère du défunt, dit qu'il était sorti acheter du pain entre 5 heures et 5 h 30. Il croisa des policiers qui lui demandèrent à quelle heure la boulangerie ouvrait, puis ils lui dirent de rentrer. Alors qu'il retournait chez lui, il entendit quatre coups de feu venant de la maison de son frère, il courut mais fut empêché d'aller plus loin par un policier alors qu'il entendait sa belle-sœur crier. Puis, il vit que des officiers sortaient le corps de son frère, l'un d'eux semblait prendre des photos avec un appareil, il mit son arme sur le corps de son frère et prit un autre cliché. A ce moment là, le commandant arriva et ils s'arrêtèrent. Il dit au commandant que son frère était mort, celui-ci lui répondit qu'il était blessé à la jambe et qu'il l'emmenait à l'hôpital. Deux personnes le menacèrent de mort s'il n'arrêtait pas de crier. Il a aussi entendu dire que quelqu'un avait tiré dans le creux de l'aisselle de son frère, mais il n'avait pas vu la blessure. Ali finit sa déposition en demandant la poursuite des auteurs du meurtre.
Le 27 juin 1995, la requérante déposa une plainte au parquet de Pazarcık. Elle contesta le procès-verbal d'examen de cadavre et allégua que son mari avait été également touché à la poitrine. Elle indiqua à cet égard les traces sur la chemise et le sous-vêtement qu'elle avait remis le jour de l'incident au procureur de Pazarcık arrivé sur les lieux. Elle allégua aussi que les policiers la menacèrent de la tuer pour la dissuader de parler et la giflèrent. Elle demanda que le cadavre de son mari soit exhumé et que soit effectuée une autopsie complète.
Selon le procès-verbal d'exhumation (« feth-i kabir tutanağı ») du 30 juin 1995, le procureur de Pazarcık, le secrétaire, un huissier, deux médecins et deux assistants se rendirent à la tombe de Mustafa Hacı Dölek. Après l'identification de la tombe par l'intermédiaire d'Ali, le frère du défunt, ils exhumèrent le corps.
Les médecins firent état de la décomposition du corps et relevèrent un trou régulier d'un cm de diamètre, sans trace d'ecchymose, sur le thorax, au croisement de la ligne claviculaire et de la zone hypocondriaque, et un deuxième trou du même diamètre sur le dos au croisement du creux de l'aisselle gauche et de la onzième côte. Un fluide gazeux coulait de ce trou et sa cause paraissait incertaine. Un trou régulier d'un cm de diamètre entouré d'une ecchymose de quatre à cinq cm de diamètre, situé à l'extrémité gauche du bas du corps, sur la partie distale du fémur, ainsi qu'un trou régulier d'un cm de diamètre également circonscrit d'une ecchymose de quatre à cinq cm de diamètre, situé sur la partie supérieure postérieure gauche du genou furent relevés.
Les médecins estimèrent que la destruction du tissu cellulaire sur une surface de dix cm sur la cavité postérieure du genou correspondait éventuellement à une sortie de balle. Ils précisèrent toutefois qu'il était nécessaire de procéder à des recherches plus approfondies dans un centre médicolégal pour déterminer la cause exacte du décès.
A la question du procureur concernant la possibilité d'établir si « les trous situés à droite et à gauche au dessous de l'aisselle » résultaient d'une arme à feu ou d'une arme blanche et si ces blessures avaient eu lieu avant ou après le décès, les médecins répondirent qu'il leur était impossible d'y répondre dans ces circonstances et recommandèrent le transport du cadavre au centre médicolégal le plus proche pour éclaircir ces divers points.
Le procureur ordonna donc le transfèrement de la dépouille mortelle à la Présidence du groupe médicolégal d'Adana (« l'Institut médicolégal »). Le procès-verbal, ainsi finalisé, fut signé par toutes les personnes susmentionnées, y compris deux personnes qui avaient déterré le corps, dont Ali.
Le procès-verbal d'autopsie du 3 juillet 1995 de l'Institut médicolégal indique ce qui suit :
« (...) décès dû à l'hémorragie des lésions des organes internes, poumon droit, foie et autres, causé par la balle ayant touché la partie droite du thorax. Des segments d'organes internes ont été prélevés afin de procéder à une analyse toxicologique. Comme pièce à conviction, la balle déformée extraite du corps a été remise au procureur d'Adana N.Ş. par un procès-verbal. Pas d'inconvénient à l'inhumation, le rapport détaillé sera délivré ultérieurement (...) »
Hüseyin Dölek, frère du défunt, signa ce document en sa qualité de personne à laquelle la dépouille mortelle fut remise.
Le 1er août 1995, le procureur de Pazarcık établit un procès-verbal relatif à l'examen de la chemise et du sous-vêtement que lui avait remis la requérante.
S'agissant de la chemise, de couleur violette et bordeaux, il releva plusieurs petites taches de sang sur le col gauche, sur le pli droit et les parties basses du dos ; des petites taches et une tache d'un liquide méconnaissable sur la droite, à la couture joignant l'avant et le dos ; deux taches de sang, en forme de goutte l'une à côté de l'autre sur la partie droite de l'avant, et un trou se situant à environ huit cm de la couture joignant les parties arrière et avant droite et à quinze cm de l'aisselle, autour duquel il n'y avait aucune tache.
Quant au sous-vêtement qui était un maillot de corps, il releva, en supposant qu'il ait été vêtu dans le sens correct, partie avant et arrière distinguable grâce aux coutures, un trou à 10,5 ou 11 cm en dessous de la partie correspondante à l'aisselle droite, probablement une sortie vers l'extérieur ; une tache de sang de quatre cm sur deux cm à la droite de ce trou ; une importante tache de sang au bas du milieu du dos ; dans la partie avant, entre le quatorzième et vingt-deuxième cm à partir du bas, des taches de sang provenant d'une main ou de doigts ensanglantés.
Le 4 septembre 1995, l'Institut médicolégal d'Adana rendit son rapport détaillé quant à l'autopsie effectuée le 3 juillet 1995. Ce rapport, qui reprend les constatations déjà susmentionnées quant à la jambe gauche, ainsi que des détails sur la décomposition du corps, se lit comme suit en ses parties pertinentes :
« EXAMEN EXTERNE
(...) Lésions décelées :
1 - Sur la ligne axillaire droite postérieure du thorax, au niveau des huitième et neuvième côtes, une blessure, de 0,5 cm de diamètre, faisant penser à une blessure d'arme à feu et qui a perdu ses caractéristiques à cause des changements post-mortem du tissu cellulaire ;
2 – Blessure de 0,5 cm sur la partie antérieure du fémur gauche (...). La partie postérieure du fémur gauche a perdu sa consistance épidermique (...) sur une surface de 10 cm sur 5 cm. Deux pertes épidermiques de 0,5 cm chacune, alignées sur la partie latérale du bas du fémur.
Après un examen attentif, il a été relevé que le trou sur la gauche du thorax, décrit dans le procès-verbal d'exhumation du 30 juin 1995, duquel coulait apparemment un liquide gazeux ne s'y trouve pas.
EXAMEN INTERNE
(...)
Examen de l'abdomen : l'abdomen a été ouvert, un changement de couleur et de consistance dû au changement post-mortem a été décelé. En suivant la trajectoire de la blessure indiqué au point (1) de l'examen externe, l'on peut voir que la balle qui est entrée par cet endroit a fracturé la neuvième côte de la ligne axillaire, démantelant le foie en le perçant dans sa partie latérale droite et en sortant de sa partie gauche supérieure, blessant le bas gauche des poumons, et restée dans les cellules hypodermiques de la peau, fracturant la neuvième côte sur la ligne axillaire supérieure gauche. Une balle déformée a été extraite de cet endroit.
(...) il est indiqué dans le rapport toxicologique du 12 juillet 1995, effectué sur les segments d'organes internes prélevés lors de l'autopsie, qu'aucune substance (...) toxique n'a été décelée.
CONCLUSION
(...) le décès de Mustafa Hacı Dölek est dû aux blessures et complications du foie et du poumon gauche causées par la balle ayant touché la droite du thorax. A cause de la décomposition du corps, une seule entrée de balle a pu être décelée sur la partie latérale droite du thorax ; cette blessure est de nature mortelle. La blessure ouverte au dessus du genou peut être due à une balle, toutefois il est scientifiquement impossible d'indiquer les lésions de cette partie vu qu'elle est à un stade avancé de décomposition. Les entrées de balles ayant perdu en raison de leur décomposition leurs aspects initiaux, il est recommandé de procéder à une expertise des vêtements portés par le défunt lors de l'événement (...). Balle extraite remise au procureur. »
Par une lettre du 16 octobre 1995 (fezleke), le procureur de Pazarcık demanda au parquet de Kahramanmaraş de mettre en accusation l'agent S.A. pour homicide involontaire, estimant qu'au vu des éléments rassemblés, ce dernier avait tiré pour blesser afin de pouvoir dégager son arme des mains de Mustafa Hacı Dölek, qui l'avait saisi par le canon, mais avait toutefois causé sa mort. Il lui transmit le dossier.
Par un acte d'accusation du 23 octobre 1995, le procureur de Kahramanmaraş requit devant la cour d'assises de ce département, instance compétente en la matière, la condamnation de l'agent S.A. pour homicide involontaire.
La cour d'assises demanda le transfert de l'affaire pour des raisons de sécurité publique. Le 17 novembre 1995, la Cour de cassation chargea les instances d'Ankara d'examiner l'affaire.
La requérante, représentée par un avocat, se constitua partie civile à ce procès.
Le 11 mai 1998, la cour d'assises d'Ankara condamna l'agent mis en cause à huit ans de réclusion pour homicide involontaire en application de l'article 452 § 1 du code pénal, ayant conclut que, contrairement aux réglementations en la matière qui autorisent l'agent, dans pareilles circonstances, à blesser et non tuer, celui-ci aurait dû se limiter à tirer une fois pour dégager son arme des mains du défunt alors que quatre tirs ont eu lieu. La cour d'assises rejeta la version des faits de la requérante. Puis, elle atténua cette peine à un an et quatre mois de réclusion en application des articles 49 et 50 du même code au motif qu'était en cause un outrepassement des compétences légales. Atténuant encore une fois cette peine au vu du bon comportement de l'accusé et du fait qu'il ait admis les faits, elle réduisit la condamnation à un an, un mois et dix jours de réclusion avec sursis conformément à l'article 6 de la loi no 647 sur l'application des peines.
Cette dernière peine fut prononcée moyennant un avertissement en vertu de l'article 94 du code pénal, qui prévoit que l'intéressé est averti du fait que, en cas de commission d'un délit quelconque, la peine à laquelle il a été sursis sera aussi exécutée et que, en cas de récidive, la peine ultérieure sera majorée.
Pour parvenir à cette conclusion, la cour d'assises se référa à tous les documents cités dans les paragraphes précédents mais aussi aux rapports balistiques des 26 juillet 1996 et 11 juin 1997 ainsi qu'aux dépositions, comme témoins oculaires, des trois autres agents présents sur les lieux lors de l'incident, dont elle précisa n'avoir décelé aucun élément permettant de douter de leur témoignage. Ces documents ne figurent pas dans le dossier de la Cour. L'arrêt indique aussi dans sa partie relative aux faits que les agents ont engagés les balles dans les canons de leurs armes en raison de leurs soupçons, provoqués par l'ouverture tardive de la porte et les mouvements des rideaux, et les ont dégagés du cran de sécurité. La partie de dispositif prévoit également la restitution de l'arme, qui était un fusil M-16, saisie dans l'intervalle de l'agent condamné, au Ministère de l'intérieur quand l'arrêt deviendrait définitif. Finalement, il découle de l'arrêt que l'expertise balistique du 11 juin 1997 établit la distance des tirs entre 35 et 40 cm des points d'impact.
Le 2 novembre 1998, cet arrêt fut infirmé par la Cour de cassation au motif que la sentence devait être assortie d'une interdiction d'exercer des fonctions publiques.
Le 28 décembre 1998, appelée à réexaminer l'affaire, la cour d'assises réitéra son arrêt précédent et infligea en outre à l'accusé une interdiction d'exercer des fonctions publiques pendant un délai identique à celui de la peine de réclusion. Il fut aussi sursis à l'exécution de cette peine selon les dispositions susmentionnées.
La Cour d'assises mentionna également que les droits à réparation de la partie civile restaient réservés.
Cet arrêt devint définitif le 5 janvier 1999.
C. Les faits concernant l'allégation d'entrave au droit de requête individuelle
La requérante allègue que le 26 juin 1995, un militaire gradé, qui serait chef de bataillon (binbaşı), dont le nom était, à son souvenir, H.B., est venu lui offrir un chèque d'un montant de cent millions de livres turques (environ 500 livres sterling à l'époque) pour la corrompre. Quand elle a refusé et dit qu'elle ne voulait pas d'argent mais la punition des meurtriers, cette personne l'aurait menacée d'avoir des ennuis. Plus tard, son beau-frère Ali lui aurait conseillé de prendre le chèque pour l'utiliser devant la Cour mais de ne pas l'encaisser, ce qu'elle fit. Par lettre manuscrite du 30 janvier 1997, elle communiqua à la Cour une copie du chèque en question, émis par le Fonds d'entraide et de solidarité sociale (Sosyal Yardımlaşma ve Dayanışma Vakfı) et daté du 26 juin 1995.
Les représentants de la requérante au début de la procédure, alléguaient que, selon les déclarations de leur cliente, le procureur de Pazarcık lui aurait aussi proposé, à l'époque, de lui verser un revenu mensuel et de placer à la charge de l'Etat ses enfants jusqu'à l'âge de dixhuit ans. Ils estimaient que cette proposition était de nature à remplacer une enquête pénale et alléguaient qu'il s'agissait d'une pratique administrative en Turquie.
D'après la lettre manuscrite susmentionnée, il s'agissait d'une proposition du sous-préfet (kaymakam) de Pazarcık, que la requérante refusa.
La requérante allègue aussi qu'après avoir introduit sa requête devant la Cour, elle a « été appelée pour se voir menacée d'être emprisonnée et tuée » ; c'est pourquoi elle se réfugia en Allemagne.
Le Gouvernement rejette toute allégation d'entrave.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
S'agissant des voies de recours internes relatives à la responsabilité pénale pour les cas d'homicide et à la responsabilité administrative pour les actes résultant des agissements des agents publics ainsi qu'en ce qui concerne les moyens d'indemnisation prévus par le code des obligations, la Cour renvoie à l'exposé de la législation repris dans l'arrêt Aytekin c. Turquie (arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998VII, §§ 46-64).
GRIEFS
Invoquant l'article 2 de la Convention, la requérante allègue que son mari a fait l'objet d'une exécution extrajudiciaire par les forces de l'ordre.
Faisant valoir la souffrance subie suite au décès de son mari, le fait qu'elle ait été frappée devant ses enfants, les menaces dont elle, sa fille et son beau-frère ont fait l'objet, elle allègue une violation de l'article 3 de la Convention.
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante allègue en son nom et celui de ses enfants, une violation de son droit à un procès équitable dans la mesure où l'exercice des voies de recours internes civiles n'aurait aucune chance de succès, d'abord parce qu'il existerait une pratique administrative à l'encontre des demandeurs ou plaignants lorsqu'il s'agirait de telles affaires et ensuite elle risquerait de subir des représailles.
Elle allègue aussi une violation des articles 8 de la Convention et 1 du Protocole nº 1 à cause du bris d'une porte de chambre chez elle par les forces de l'ordre.
La requérante allègue également une violation de l'article 13 pour absence de voies de recours internes efficaces s'agissant de l'ensemble de ses griefs.
Finalement, la requérante allègue qu'elle a été menacée maintes fois en raison de sa requête, qu'il existe aussi une pratique administrative à ce sujet et que les autorités ont souhaité lui faire retirer sa requête en la payant. Elle communique le chèque qu'elle a reçu, mais qu'elle n'a pas encaissé, et invoque l'article 34 de la Convention. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1954 et réside à Istanbul.
A. Arrestation et garde à vue du requérant
Le 26 novembre 1999, Mme S.D. déposa une plainte contre S.Ç. et G.A. pour menaces. Dans sa déposition, elle mentionna qu’« un certain Erdoğan, directeur de la sûreté, » avait protégé ces deux personnes.
Le 5 février 2000 vers 17 heures, le requérant, médecin depuis quinze ans auprès de la direction de la sûreté d’Istanbul, reçut un appel téléphonique de son chef lui demandant de se rendre au bureau. A son arrivée, le requérant fut interpellé sur le parking par trois policiers au moment où il sortait de son véhicule. Sous les yeux des personnes présentes, les agents lui passèrent les menottes et lui signifièrent qu’il était en état d’arrestation. Le requérant dit avoir informé les policiers qu’il était médecin officiel auprès de la direction de la sûreté et avoir ajouté qu’il devait s’agir d’une erreur ; il les aurait suppliés en vain de ne pas lui mettre les menottes sous les regards des centaines de personnes présentes sur les lieux. Il fut placé en garde à vue dans les locaux de la section du crime organisé et du trafic d’armes.
Le même jour, sans avoir informé l’intéressé des accusations portées contre lui, la police procéda à une perquisition de son lieu de travail et de son domicile. Conduit menotté dans ces deux endroits, le requérant aurait à nouveau demandé à être débarrassé des menottes afin de ne pas être vu entravé par ses enfants et ses voisins. Il aurait aussi suggéré aux policiers de mener leur opération après le coucher du soleil afin de lui éviter d’être exposé publiquement. Les policiers auraient refusé et lui auraient même fait parcourir à pied une distance de 70 mètres dans la rue menant à son domicile. Pendant la perquisition de celui-ci, au cours de laquelle son arme de fonction fut saisie, il aurait été insulté devant sa famille.
Le requérant aurait signé les procès-verbaux des perquisitions les mains toujours entravées par les menottes. Reconduit dans les locaux de la direction de la sûreté, il y aurait été contraint de rester assis sur une chaise, les yeux bandés et les menottes aux poignets, pendant toute la durée de la garde à vue. Sa chaise aurait été placée à l’entrée des toilettes, et il aurait ainsi été bousculé à chaque passage. Il aurait entendu le personnel de l’établissement demander pourquoi leur médecin se trouvait en garde à vue. Il aurait refusé de boire et de manger.
Le 7 février 2000, sa déposition fut recueillie par la police sans qu’il eût été informé des accusations portées contre lui. Il répondit ainsi aux questions suivantes :
« Questions : (...) S.D. vous a identifié comme étant la personne qui s’est présentée en qualité de directeur de la sûreté. Après avoir entendu les accusations portées contre vous, qu’avez-vous à répondre ? Connaissez-vous les dénommés S.Ç. et G.A. ? Quelles sont vos relations avec ces personnes placées en garde à vue ?
Erdoğan Yağız : Au début du mois de novembre 1999, je me suis rendu dans la concession automobile de S.Ç et G.A. pour vendre ma voiture afin de faire face à un besoin urgent d’argent (...) Je me suis présenté en tant que médecin auprès de la direction de la sûreté. Ils ont proposé de me prêter l’argent dont j’avais besoin contre la signature d’une reconnaissance de dette. Le lendemain, S.Ç. m’a invité à une réception pour l’ouverture d’un hôtel et, les jours suivants, nous avons dîné au restaurant tous les trois. Je n’ai pas pu les rembourser dans le délai prévu. Un jour, G.A. et S.Ç. m’ont appelé en me demandant de venir immédiatement au magasin pour une urgence. Quand je suis arrivé, il y avait du monde : des policiers et Mme S.D. (...) J’ai présenté mon badge aux policiers en indiquant que j’étais médecin à la direction de la sûreté. Ensuite, S.Ç. et G.A. m’ont dit qu’ils s’étaient mis d’accord avec Mme S.D. et que je devais dire aux policiers de ne pas les conduire au commissariat. J’ai dit au chef des policiers de ne pas les emmener étant donné que le différend avait été résolu. L’agent de police m’a répondu qu’il était obligé de les conduire à la direction parce qu’il avait un mandat d’amener. Sur ce, je leur ai dit que je voulais parler avec leur supérieur hiérarchique ; j’ai discuté avec un commissaire, auquel je me suis présenté et à qui j’ai relaté la situation. Celui-ci m’a confirmé que les personnes devaient être conduites à la direction et qu’il verrait après. Je n’ai plus appelé les policiers. Par la suite, quinze à vingt jours après cet incident, j’ai remboursé S.Ç., y compris les intérêts. Je n’ai plus revu ces personnes. Je connais aussi M.Ç., qui est le frère de S.Ç. ; il m’avait dit qu’il était gérant d’un casino (...) »
Les 5, 6 et 7 février 2000, le requérant fut examiné par un médecin légiste. Les rapports médicaux établis ne mentionnèrent aucune trace de coups et blessures. Il y fut indiqué que l’intéressé avait été coopératif, conscient et en possession de toutes ses facultés, et qu’il n’avait pas fait part de doléances particulières.
Le 8 février 2000, le requérant fut conduit au parquet de Bakırköy, puis il fut relâché sans avoir été présenté au procureur.
Le 10 février 2000, il fut examiné par un médecin psychiatre qui prescrivit un arrêt de travail de vingt jours motivé par un traumatisme psychiatrique. Cette prescription fut renouvelée à plusieurs reprises pour raison de dépression aiguë.
Le 15 février 2000, le requérant déposa devant le tribunal de grande instance d’Istanbul une plainte très détaillée concernant sa garde à vue. Il y rapportait les conditions dans lesquelles il avait été arrêté, détenu puis relâché au bout de trois jours sans aucune explication. Il demanda également au tribunal de lui indiquer la raison de son placement en garde à vue.
Le même jour, le tribunal lui répondit qu’il avait été interrogé dans le cadre du dossier d’instruction pénale no 2000/102, au motif qu’il était en relations avec des personnes suspectes.
Le 16 février 2000, le requérant fut informé de sa mise à pied jusqu’à la fin de l’instruction pénale en raison de ses relations avec des individus qui avaient été déjà condamnés pour chantage, pillage et séquestration en bande organisée.
Le 19 février 2000, l’usine dans laquelle il avait trouvé à se reclasser comme médecin contractuel le remercia, lui reprochant son manque d’attention et de soins à l’égard du personnel. La lettre de licenciement faisait également mention de son suivi psychiatrique.
Par une ordonnance du 1er mars 2000, le tribunal de grande instance décida que, aucune infraction n’ayant été commise et aucun acte d’accusation n’ayant été déposé, l’arme de fonction du requérant devait lui être rendue.
Le 9 mars 2000, le parquet rendit une ordonnance de non-lieu concernant la plainte déposée par requérant.
Le 12 juillet 2000, l’intéressé fut réintégré dans ses fonctions auprès de la direction de la sûreté. Toutefois, incapable d’exercer dans son ancien service avec des symptômes psychosomatiques aggravés, il resta en arrêt de travail jusqu’au 3 janvier 2002, date à laquelle il fut hospitalisé.
Le 28 février 2002, il fut mis à la retraite anticipée pour raison de santé, avec un diagnostic formulé en ces termes : « hallucination de type persécution sous dépression majeure ». Il subit plusieurs hospitalisations psychiatriques dans le service neuropsychiatrique de l’hôpital universitaire de Bakırköy.
B. Plainte déposée par le requérant contre les policiers responsables de son arrestation et de sa garde à vue
Entre-temps, le 9 janvier 2001, le requérant avait déposé une plainte auprès du parquet de Fatih contre cinq policiers, H.Ö., A.A., B.K., Z.G. et A.S., pour abus de pouvoir et mauvais traitements infligés en vue d’extorquer des aveux. Il y rapportait toutes les humiliations ressenties et expliquait en détail comment on l’avait menotté sans l’informer des accusations portées contre lui, puis insulté devant sa famille et le personnel de la police.
Le parquet demanda au comité administratif (İl İdare Kurulu) de la préfecture d’Istanbul l’autorisation d’ouvrir une enquête judiciaire.
Le 6 juin 2001, le comité administratif refusa l’ouverture d’une telle enquête au motif qu’aucune faute ne pouvait être imputée aux agents de police.
Le 27 juillet 2001, le requérant forma opposition devant le tribunal administratif d’Istanbul.
Par un jugement du 21 novembre 2001, le tribunal administratif rejeta l’opposition.
Le 12 décembre 2001, le parquet rendit une ordonnance de non-lieu fondée sur la décision du comité administratif.
Le 15 janvier 2002, le requérant fit opposition à l’ordonnance de non-lieu devant la cour d’assises d’Istanbul.
Le 20 mars 2002, la cour d’assises rejeta l’opposition.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
L’article 1 de la loi no 466 sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues, en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellé :
« Seront compensés par l’Etat les dommages subis par toute personne :
arrêtée ou mise en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution ou aux lois ; (...)
à laquelle les griefs à l’origine de son arrestation ou détention n’auront pas été immédiatement communiqués ;
qui n’aura pas été traduite dans le délai légal devant le juge après avoir été arrêtée ou mise en détention ;
qui aura été privée de sa liberté sans décision judiciaire après que le délai légal pour être traduite devant le juge aura expiré ;
dont les proches n’auront pas été immédiatement informés de son arrestation ou de sa détention ;
qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ;
(...) »
Cette législation n’est plus en vigueur depuis le 1er juin 2005. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est un ressortissant turc, né en 1967. Il réside actuellement à Athènes. Il est représenté devant la Cour par Maître Zeynel Polat, avocat au barreau d’Istanbul.
A. Genèse de l’affaire
Le 21 mai 1998, lors d’une opération effectuée dans un domicile à Istanbul, le requérant fut arrêté par la police, placée en garde à vue et soumis à des interrogatoires. Il lui était reproché d’être membre actif d’une organisation armée illégale, le Parti Révolutionnaire Turc (Türkiye Devrim Partisi)
Le 25 mai 1998, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul entendit le requérant. Dans sa déposition, le requérant revint sur sa déposition faite lors de sa garde à vue et l’incriminant lui même. Il allégua avoir subi, de la part des responsables de sa garde à vue, des tortures intenses, notamment des pénétrations à l’aide d’objets en bois et de tuyaux.
Le même jour, le requérant fut traduit devant le juge assesseur auprès de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul chargé de l’instruction, qui ordonna sa mise en détention provisoire. Devant le juge, le requérant réitéra ses allégations concernant les mauvais traitements lors de sa garde à vue.
A la demande du parquet de Fatih, le requérant fut examiné par un médecin légiste, membre de l’Institut de médecine légale. Dans son rapport du 25 mai 1998, le médecin mentionna les traces suivantes sur le corps du requérant : une rougeur de 2 x 1 cm et une ecchymose de 2 x 0, 5 cm sur le cou, une ecchymose jaunâtre de 4 x 0,5 cm sur la partie latérale interne du bras gauche, une lésion de 5 cm sur le genou gauche, un érythème autour de l’anus ainsi qu’une douleur congestive au niveau des testicules.
B. Procédure pénale engagée sur dénonciation par le conseil du requérant
Le 26 novembre 1998, le requérant porta plainte auprès du procureur de la République de Fatih contre les agents de police responsables de son interrogatoire lors de sa garde à vue, auxquels il reprocha de lui avoir infligé des tortures intenses afin d’extorquer des aveux.
Le 28 janvier 2000, le parquet de Fatih rendît une ordonnance de non-lieu quant à la plainte du requérant faute d’éléments de preuve indiquant que les prévenus auraient commis les faits reprochés.
Le 15 juin 2001, le requérant fit opposition contre cette ordonnance de non-lieu devant le président de la cour d’assises de Fatih. Ce dernier, par une décision notifiée au représentant du requérant le 29 août 2001, rejeta cette opposition.
C. Procédure pénale déclenchée par le parquet de la cour de sûreté de l’Etat sur dénonciation par le requérant
Suite aux dépositions du requérant faites devant le parquet et le juge assesseur, le parquet prés la cour de sûreté de l’Etat ouvrit un dossier sous le no 1998/242 quant aux allégations du requérant concernant les mauvais traitements lors de la garde à vue et le transmit au parquet compétent, celui de Fatih. Celui-ci, après avoir identifié les policiers responsables de la garde à vue en cause et les avoir entendus, transféra le dossier au parquet d’Istanbul, avec son rapport d’instruction (fezleke).
Par acte d’accusation du 18 janvier 1999, le parquet d’Istanbul intenta devant la cour d’assises d’Istanbul une action pénale contre cinq policiers responsables de la garde à vue du requérant.
En octobre 2000, la cour d’assises d’Istanbul invita le requérant à comparaître devant elle. Les autorités pénitentiaires informèrent oralement le requérant de cette invitation, sans préciser de quelle procédure s’agissaitil et en quelle qualité il était appelé à comparaitre. Par lettre du 19 octobre 2000, le requérant demanda d’être excusé de l’audience « en raison d’agissements arbitraires et dégradants des gendarmes chargés de transferts ».
Après les incidents survenus dans les prisons de type F en décembre 2000, causant la mort de près de 30 détenus, le requérant fut transféré à la prison de type F de Kandirali. Il mena une grève de la faim afin de protester le style des prisons de type F et fut atteint de la maladie de Werniche Korsakoff. Sur un rapport médical délivré par l’Institut de la médecine légale d’Istanbul le déclarant inapte à purger sa peine, il fut libéré en avril 2002. Le requérant se rendit en Grèce et demanda l’asile politique.
En examinant les observations du Gouvernement sur la recevabilité de la présente requête, le conseiller du requérant s’informa du verdict dans la procédure devant la cour d’assises d’Istanbul. Il participa à l’audience du 21 novembre 2002. La cour d’assises d’Istanbul ajourna l’examen de l’affaire dans l’attente que l’adresse du requérant lui soit communiquée.
Le 2 juin 2004, la cour d’assises d’Istanbul déclara les accusations dirigées contre les accusés éteintes pour prescription, le délai équivalent à la peine maximum prévue pour le crime reproché s’étant écoulé. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1963 et réside à Tekirdağ.
A la suite d’une opération de maintien de l’ordre menée dans certaines maisons d’arrêt, le requérant, qui était détenu à la maison d’arrêt de type E d’Üsküdar, fut d’abord transféré à celle de type F de Kandıra les 19 et 22 décembre 2000, puis, le 24 février 2001, à celle de type F de Tekirdağ. Cette opération était au centre de l’attention des média et du public à l’époque.
Le 24 février 2001, à son arrivée à la maison d’arrêt de type F de Tekirdağ, le requérant fut examiné à l’infirmerie de l’établissement. Le rapport médical du même jour fit état d’absence de traces de coups et blessures sur le corps de l’intéressé.
Le 2 mars 2001, le requérant déposa une plainte devant le procureur de la République de Tekirdağ contre les responsables de la maison d’arrêt pour traitements inhumains et dégradants, ainsi que pour torture et violation des droits constitutionnels. Il déclara notamment avoir été soumis au falaka (bastonnade sur les plantes des pieds) le 26 février 2001. Il indiqua comme date des infractions le 24 février 2001 et les jours suivants, et demanda à être examiné par un médecin. Il se plaignit également des conditions générales de sa détention.
Un rapport médical du 6 mars 2001 indiqua que le requérant présentait une sensibilité sur son côté gauche et une myalgie [douleur musculaire].
Un rapport médical du 19 mars 2001 indiqua une absence de traces de coups et de blessures sur le corps de l’intéressé.
Le 28 mars 2001, le procureur de la République entendit le requérant, qui réitéra ses griefs et argua qu’il avait fait l’objet de mauvais traitements depuis son arrivée à la maison d’arrêt le 24 février 2001. Le même jour, le procureur entendit I.G., détenu dans la cellule voisine de celle du requérant, qui déclara à son tour avoir subi des mauvais traitements.
Le 29 mars 2001, le procureur de la République rendit un non-lieu. Il indiqua notamment que le rapport médical du 24 février 2001 et les déclarations d’I.G., qui aurait affirmé ne pas avoir subi de mauvais traitements, ne confirmaient pas les allégations du requérant.
Le 18 avril 2001, le requérant forma opposition contre ce non-lieu devant la cour d’assises de Kırklareli. Il affirma que sa plainte portait pour l’essentiel sur les événements qui s’étaient produits le 24 février 2001 et après cette date. Par conséquent, il était injuste de se référer à un rapport médical établi le 24 février. En outre, il soutint que, contrairement au libellé du non-lieu, I.G. avait confirmé ses allégations.
Le 28 mai 2001, le président de la cour d’assises confirma le non-lieu. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Le requérant est né en 1940 et est actuellement détenu au pénitencier de Parme.
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
En septembre 1999, à l’issue d’une dispute avec ses enfants, le requérant tua sa femme et blessa l’un de ses enfants.
Condamné à la réclusion à perpétuité par la cour d’assises d’appel de Rome en janvier 2002, le requérant purgea une partie de sa peine dans l’hôpital de la prison de Regina Coeli à Rome.
En décembre 2003, le requérant, qui ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant, demanda à être transféré dans une autre prison de Rome où, vu l’absence d’obstacles architecturaux (barriere architettoniche), il pourrait bénéficier des heures de sortie et de conditions de détention plus humaines.
Le 5 avril 2004, le département régional de l’administration pénitentiaire du Latium refusa le transfert, invoquant des difficultés de prise en charge du requérant en raison de son état de santé.
Selon un rapport médical du 9 janvier 2006, établi à la demande du conseil du requérant, les conditions de santé de ce dernier étaient « amplement incompatibles avec la détention en prison et imposaient l’adoption de mesures alternatives à celle-ci, telles le transfert dans un hôpital externe à la prison apte à fournir au requérant les soins adéquats et nécessaires, ou dans un centre de prise en charge et de réhabilitation pour personnes en long séjour exigeant une assistance continue 24 heures sur 24 ».
Le 2 mars 2006, le requérant demanda au tribunal d’application des peines de Rome de lui accorder la détention à domicile ou son hospitalisation à l’extérieur de la prison.
Le 11 avril 2006, le requérant fut hospitalisé à l’hôpital civil Sandro Pertini en raison d’une fracture du fémur.
Il ressort d’un rapport médical rédigé le 6 juin 2006 que la pose d’une prothèse de la hanche envisagée immédiatement après l’arrivée du patient ne fut pas réalisée au motif que, le requérant ne marchant plus depuis 1987, l’intervention chirurgicale aurait été inutile et dangereuse. Selon le médecin rédacteur du rapport, le requérant pouvait quitter l’hôpital à condition d’être transféré dans un centre de traitements équipé pour lui dispenser les soins nécessaires (en particulier, assistance continue, mise à disposition d’un matelas spécial antiescarres, kinésithérapie passive).
Par une ordonnance du 16 juin 2006, dont le texte fut déposé au greffe le 21 juin 2006, le tribunal d’application des peines de Rome accorda au requérant la détention à domicile pour une durée d’un an (avec obligation de résider à Rome, autorisation de se rendre à l’hôpital pour les soins, interdiction de détenir des armes). Le tribunal fonda sa décision sur les conclusions du rapport médical du 6 juin 2006 et estima que les conditions de santé du requérant, d’une part, exigeaient des soins qui ne pouvaient pas être prodigués en prison, et, d’autre part, finissaient par entraîner une « inutile violation de l’interdiction de traitements inhumains à l’égard du condamné ». L’ordonnance du tribunal d’application des peines indiquait que le requérant était détenu au pénitencier de Rome-Rebibbia et que ce dernier était « non apte à gérer la condition médicale de l’intéressé » (« non (…) idonea a gestire la situazione sanitaria del predetto »). En réalité, il ressort d’une note du ministère de la Justice du 19 septembre 2007 que le 14 juin 2006 (et donc avant le prononcé de l’ordonnance du tribunal d’application des peines), à sa sortie de l’hôpital Sandro Pertini, le requérant avait été transféré à la prison de Rome-Regina Coeli. La note en question précise que depuis le 14 juin 2006 le requérant était contraint de rester dans son lit et que dès lors ne pouvait ni se doucher ni bénéficier de la promenade en plein air ; avec l’aide d’un autre prisonnier il était en mesure de se laver et de prendre soin de son hygiène.
Le 23 juin 2006, le conseil du requérant s’adressa au directeur de la prison Regina Coeli en le priant d’autoriser le transfert de son client auprès de la clinique dans laquelle la sœur du requérant avait réservé une chambre.
Le 7 juillet 2006, le conseil du requérant informa le directeur que la clinique précédemment choisie avait refusé d’accueillir son client. Toutefois, il demanda l’autorisation de faire examiner le requérant par un médecin d’une autre clinique afin de déterminer si, eu égard aux conditions de santé du patient, l’établissement avait les équipements adéquats.
Le 8 septembre 2006, le tribunal d’application des peines révoqua sa décision du 16 juin car la détention à domicile n’avait pas trouvé application faute pour le requérant d’avoir un domicile adapté à son état.
Selon une note du ministère de la Justice du 13 mars 2007, le requérant avait été transféré au centre clinique du pénitencier Regina Coeli de Rome afin de contrôler son état de santé, en particulier ses pathologies métaboliques, et pour lui assurer des séances de kinésithérapie, de nature à éviter un affaiblissement de sa masse musculaire et à préserver la mobilité de ses jambes. Il était contraint de se déplacer dans un fauteuil roulant à cause d’une fracture du fémur droit. La prison Regina Coeli disposait de moyens pour éliminer les obstacles architecturaux et un matelas anti-escarres avait été mis à la disposition du requérant. Des contrôles d’endocrinologie avaient été effectués pour réduire l’administration d’insuline et entamer une thérapie orale avec une alimentation adéquate. De tests cardiologiques n’avaient mis en évidence aucune anomalie, alors que les examens urologiques avaient montré une hypertrophie de la prostate. Un suivi psychiatrique avait été mis en place pour surveiller la dépression dont le requérant souffrait. Enfin, le pénitencier Regina Coeli avait demandé au garant des droits des détenus pour le Latium d’étudier la possibilité de transférer le requérant dans de structures d’accueil à l’extérieur du pénitencier, et le requérant avait été à plusieurs reprises transféré auprès de structures hospitalières civiles.
Le 29 décembre 2006, la direction générale pour les détenus du ministère de la Justice ordonna le transfert du requérant au pénitencier de Parme, qui disposait de structures adaptées aux exigences des personnes handicapées. Ce transfert fut effectué le 23 septembre 2007. Par une télécopie du 1er octobre 2007, le requérant a affirmé que ce transfert l’a plongé dans l’angoisse, le privant de la possibilité de recevoir des visites régulières de la part de sa sœur et de son avocat, tous les deux résidants à Rome.
Dans une note du 5 novembre 2007, le département pour l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice a précisé que le transfert du requérant au pénitencier de Parme s’expliquait par ses difficultés de mobilité. En effet, suite à une chute du lit qu’il occupait dans le pénitencier de Rome, le requérant s’était fracturé le fémur gauche. Il avait été hospitalisé, mais les médecins avaient estimé qu’il ne pouvait pas être opéré à cause de ses pathologies cardiaques. A Parme, le requérant fut soumis à des tests cliniques afin de mieux traiter ses maladies. En septembre et octobre 2007, il fut soumis à une radiographie nasale et à des examens neurologique, urologique et cardiologique. Ces derniers examens n’ont décelé aucune pathologie significative. Une endoscopie nasale et un contrôle urologique ultérieur, visant à déceler l’existence éventuelle d’un calcul à la vessie, ont été programmés. Par ailleurs, le requérant avait été hospitalisé à la suite d’épisodes d’occlusion intestinale dénoncés pendant sa détention au pénitencier de Regina Coeli. Malgré l’avis contraire de ses médecins traitants, il avait décidé de quitter l’hôpital. Par conséquent, un médecin du pénitencier de Parme a été chargé d’effectuer une colonoscopie.
Dans une autre note, datée du 28 janvier 2008, le département pour l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice a précisé que le transfert du requérant au pénitencier de Parme a eu lieu seulement le 23 septembre 2007 car, pendant son séjour à Regina Coeli, l’intéressé avait suivi un cycle d’activités de diagnose et de thérapie que la direction sanitaire n’estimait pas opportun d’interrompre. Par ailleurs, au cours de sa détention, le requérant a été hospitalisé dans des hôpitaux civils pendant les périodes suivantes : du 22 au 23 janvier 2002 suite à un malaise ; du 11 avril au 14 juin 2006 en raison d’une fracture au fémur ; du 18 janvier au 13 février 2007 et du 11 au 13 septembre 2007 à cause d’occlusions intestinales ; du 19 mai au 19 juin 2007 pour évaluer l’opportunité d’une intervention chirurgicale au fémur.
Le requérant estime que les explications données par le Gouvernement dans la note citée ci-dessus sont incohérentes et souligne que son état de santé n’a fait que s’aggraver au cours de sa détention. Il allègue que son transfert à Parme n’a amené aucune amélioration, le plongeant au contraire dans une situation de détresse psychologique liée à l’éloignement de sa sœur et de ses conseils juridiques. Il estime qu’au lieu de le transférer dans un autre pénitencier, l’Etat aurait dû le placer dans une structure hospitalière extérieure à la prison.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
La suspension de l’exécution de la peine est prévue par l’article 147 § 1 no 2) du code pénal, aux termes duquel
« L’exécution d’une peine peut être suspendue : (...)
2) si une peine privative de liberté doit être exécutée à l’encontre d’une personne se trouvant en condition d’infirmité physique grave (...). »
Aux termes de l’article 678 du code de procédure pénale, la décision de suspendre l’exécution de la peine peut être adoptée même d’office par le tribunal d’application des peines. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante, née en 1948, réside à Bilecik. Elle est la mère de Baybars Geren, né en 1972 et décédé le 24 novembre 2001, alors qu’il était incarcéré dans la prison de Bilecik.
A. La genèse de l’affaire
Le 1er octobre 1999, M. Baybars Geren fut arrêté et placé en détention provisoire dans le bloc no 1 du centre pénitentiaire de Pazaryeri, puis mis en accusation pour résistance aux forces de l’ordre lors d’un contrôle d’identité.
Lors de sa détention de 56 jours, il eut une conduite qualifiée de déséquilibrée par le personnel pénitentiaire ; il se disputait sans cesse avec les codétenus et était allé jusqu’à se fracturer le bras intentionnellement en le cognant au soupirail afin d’obtenir une libération. Quelques jours avant le terme de la détention, le procureur de la prison de Pazaryeri avait dû convoquer la requérante pour lui faire part des problèmes de son fils, lequel, aux prises avec une insomnie, refusait de manger craignant d’être empoisonné.
Le 25 novembre 1999, ledit procureur envoya M. Geren au service psychiatrique de l’hôpital civil d’Eskişehir. Les médecins observèrent qu’il présentait un manque d’appétit, était insomniaque, agité, et souffrait d’une anxiété et de susceptibilité nerveuse. Ils conclurent à un syndrome délirant, caractéristique de la schizophrénie, dit « délire paranoïde aigu ». Hospitalisé, M. Geren fut soumis à un traitement médicamenteux basé sur des anti-cholinergiques et des neuroleptiques.
Il fut autorisé à quitter l’hôpital le 29 novembre suivant. D’après son psychiatre R.A., la forme de schizophrénie dont souffrait M. Geren risquait d’évoluer rapidement. Son incarcération n’était néanmoins pas à proscrire, à condition qu’il poursuive son traitement, faute de quoi son tableau clinique pouvait s’aggraver.
Le 9 décembre 1999, M. Geren fut condamné par le tribunal correctionnel de Bozüyük à six mois et un jour d’emprisonnement.
Le 3 janvier 2000, il se pourvut en cassation.
Alors que cette procédure était encore pendante, M. Geren effectua un service militaire de courte durée, entre les 13 juillet et 13 août 2000, moyennant un paiement à l’Etat de 15 000 marks allemands. D’après le registre de visites médicales des appelés, durant la période en question, M. Geren a sollicité le dispensaire à cinq reprises mais ne s’y est présenté que trois fois.
La condamnation de M. Geren devint définitive le 30 mai 2001 et le 13 novembre suivant, il se livra au centre pénitentiaire de Pazaryeri.
Jusqu’au 21 novembre, M. Geren demeura dans le bloc no 1 avec quatorze codétenus. A cette dernière date, vers 16 h 30, il commença à hurler à travers les barreaux, demandant à être mis seul dans une cellule, au motif que certains codétenus qu’il avait connus pendant sa détention préventive lui en voudraient (paragraphe 6 ci-dessus).
Vers 17 h 15, le procureur de la prison, E.K., fit droit à cette demande.
Le matin du 22 novembre 2001, vers 3 h 30, M. Geren appela les gardiens C.Ö. et Ü.Y., demandant, cette fois-ci, à passer dans le bloc no 4 parce qu’il avait froid. Les gardiens acceptèrent, après en avoir parlé au détenu A.C., porte-parole du bloc no 4 abritant huit personnes.
Vingt minutes plus tard, une bagarre surgit entre A.C. et M. Geren qui refusait de regagner son lit et perturbait le sommeil des autres. Celui-ci administra un coup de tête à A.C. ; alors que d’aucuns tentaient de séparer les deux protagonistes, les gardiens C.Ö. et Ü.Y. intervinrent et conduisirent ces derniers dans leur bureau, où l’échauffourée reprit ; A.C. s’empara d’un pique-feu et frappa M. Geren à la tête.
Entendus par le procureur E.K., les gardiens confirmèrent ces faits ; également interrogés, cinq codétenus du bloc no 4 s’accordèrent pour déclarer qu’immédiatement après son arrivée, M. Geren – se parlant souvent à lui-même – s’était fait remarquer par un comportement inquiétant et compulsif.
Ni M. Geren ni A.C. n’ayant porté plainte, l’affaire fut classée.
Le procureur E.K. demanda le transfèrement de M. Geren à la prison de Bilecik, considérant que, du fait « de ses problèmes psychologiques », l’intéressé n’avait pas été en mesure de s’accommoder à la vie carcérale et aux codétenus et que, dans ces conditions, il risquait de mettre en danger « tant sa vie que celle d’autrui ».
Avant son transfèrement, vers 5 h 45, M. Geren fut examiné par A.G.D., médecin de garde du centre médical de Pazaryeri, lequel décela sur son front une enflure correspondant à un coup d’objet contondant. A.G.D. émit également l’avis que l’intéressé soit « mis sous surveillance, car souffrant de problèmes psychologiques » et réexaminé dans un établissement hospitalier approprié. Le rapport médical no 169 établi par A.G.D. ne contenait pas la mention « urgent » concernant cet réexamen. Ce rapport fut versé au dossier personnel de M. Geren.
Le jour même, vers 16 heures, le procureur de la République de Bilecik autorisa l’admission de M. Geren dans la prison de Bilecik, mettant en exergue son comportement perturbateur du fait « de problèmes psychologiques ». L’admission de M. Geren eut lieu sans examen préalable par le médecin de l’établissement d’accueil, qui se trouvait en arrêt de maladie depuis cinq jours.
L’administration décida le placement de M. Geren dans la cellule no 3, dite d’observation. Il fut autorisé à garder sa ceinture et même à disposer d’un drap, conformément au règlement intérieur de l’établissement, au motif qu’il n’avait montré aucun signe franc de troubles psychiques lors de son admission.
Le 23 novembre 2001, le procureur E.K. infligea à A.C. et M. Geren un mois d’interdiction de visites, à titre disciplinaire.
Le même jour, le juge de l’exécution des peines de Pazaryeri proposa l’admission de M. Geren au bénéfice de la libération conditionnelle, à compter du 30 novembre 2001.
B. Le décès de M. Geren
Au matin du 24 novembre 2001, lors de la ronde de 3 h 30, les surveillants Ö.Ş.Z. et M.A.K. demandèrent au chef gardien K.A. de leur donner les clés des cellules d’observation, afin de donner à manger au détenu R.R., à jeun, dans la cellule no 1. C’est alors qu’ils découvrirent le corps de M. Geren, pendu par le cou aux grillages à l’aide de sa ceinture, les pieds touchant le sol. Le surveillant de sécurité E.G. et K.A. arrivèrent ; ce dernier avisa immédiatement le directeur-adjoint E.E., qui de son côté alerta le substitut et le directeur de l’établissement.
D’après le compte-rendu rédigé sur-le-champ, les deux surveillants n’avaient aperçu rien d’anormal sur les lieux de l’incident et le détenu R.R., avait déclaré n’avoir rien entendu.
C. Les procédures qui s’ensuivirent
La procédure disciplinaire diligentée contre le personnel pénitentiaire
Suivant le constat du décès de M. Geren, une enquête administrative fut ouverte par E.İ., le directeur de la prison de Bilecik, afin d’établir les éventuelles fautes de service de son adjoint E.E. et des surveillants K.A., Ö.Ş.Z., E.G. et M.A.K. dans la survenance de l’incident.
Le 15 janvier 2002, compte tenu des éléments disponibles, le directeur E.İ. décida qu’il n’y avait pas lieu de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de ses subalternes.
Cette décision était susceptible d’opposition devant le parquet de Bilecik, mais nul n’emprunta cette voie.
La procédure pénale sur les circonstances du décès
Toujours immédiatement après l’incident, vers quatre heures, le procureur de la République de Bilecik, accompagné de K.M.B., médecin de garde, et d’Ü.Ş., un fonctionnaire du palais de justice de Bilecik, se rendit sur les lieux aux fins d’un examen post-mortem. La cellule ne présentait aucun signe de lutte physique.
A l’examen externe, le corps sans vie – mesurant 1,82 m. – présentait une blessure de 5 x 5 cm sur le sourcil droit et une autre, juste en-dessous, de 1 x 2 cm, anciennes d’au moins trois jours ; la langue, cyanosée, était mordue et il y avait eu exsudation de sperme.
Le sillon de pendaison passait au-dessous des angles mandibulaires et se dirigeait vers le nœud, situé en haut du cou, à 1,54 cm du sol. La palpation du cou révélait une fracture cervicale et une rupture des cartilages laryngés. Au niveau des membres, on apercevait des lésions de 1 x 5 cm sur la main gauche et de 1 x 3 cm sur la main droite, anciennes elles aussi de trois jours. Hormis cela, le corps ne présentait aucune trace d’empoisonnement ou de blessure par balle ou par arme blanche.
Eu égard aux lividités déclives qui étaient apparues sur les membres inférieurs et à l’absence de cyanose sur la pulpe des doigts, le médecin conclut que la mort était survenue entre trois et six heures auparavant, des suites de lésions bulbaires et médullaires, accompagnées d’asphyxie. Il s’agissait d’un cas typique de « pendaison incomplète ».
Considérant que la cause du décès était déterminée avec certitude, le procureur ne jugea pas nécessaire d’ordonner une autopsie classique et permit le transfert du corps à la morgue de l’hôpital civil de Bilecik.
Toujours le 24 novembre 2001, E.E., le directeur-adjoint de la prison de Bilecik, recueillit les témoignages des surveillants E.G., Ö.Ş.Z. et M.A.K, du chef gardien K.A. ainsi que des détenus R.R. et H.B.
Ö.Ş.Z. et M.A.K. expliquèrent avoir repris la garde des cellules d’observation à minuit ; tout paraissant normal lors du contrôle de présence, ils avaient enchaîné leurs rondes, en alternance, à des intervalles de 15 à 30 minutes, jusqu’à ce qu’ils découvrirent le corps au cours de leur passage de 3 h 30.
Le détenu R.R. déclara qu’il n’y avait personne dans la cellule no 2 située entre la sienne et celle la victime. R.R. raconta que, le jour de son arrivée, M. Geren était resté muet. Le lendemain, il l’avait entendu se parler à lui-même et, la veille de l’incident, s’exclamer qu’il était déprimé ; il se demandait si sa mère allait lui rendre visite ou s’il allait être transféré dans les blocs ordinaires. Le jour de l’incident, vers minuit, ils avaient échangé quelques paroles, avant de se coucher. R.R. déclara avoir appris la tragédie lorsque les surveillants étaient venus lui donner à manger à 3 h 30 ; il n’avait entendu rien d’alarmant jusqu’alors.
De son côte, H.B., le détenu de la cellule no 5, déclara s’être couché immédiatement après le contrôle de présence de minuit. Celui-ci, réinterrogé par le procureur A.D., ajouta qu’entre minuit et le moment où la panique des gardiens l’avait réveillé, il n’avait entendu aucun bruit de lutte ou cri humain.
Le lendemain, le procureur voulut s’enquérir auprès du surveillant Y.Ö. de la dernière visite que le défunt avait reçue, le 21 novembre 2001. Y.Ö. expliqua que la veille, ils avaient donné à la requérante l’ordonnance médicale rédigée par le médecin İ.K. du centre médical de Pazayeri, concernant les problèmes gastriques de son fils ; or, la requérante avait refusé d’acheter les médicaments prescrits, disant qu’ils n’avaient rien à voir avec la maladie de son fils et qu’elle devait d’abord consulter son médecin habituel.
La note apposée par le directeur de la prison E.İ. sur la fiche personnelle de M. Geren, au sujet de l’incident, se lit comme suit :
« Le 24 novembre 2001, à 3 h 30, Baybars Geren s’est suicidé dans sa cellule (...) en pliant ses jambes après s’être attaché aux barreaux avec sa ceinture. Cet indicent, qui a immédiatement été porté à la connaissance des autorités concernées, n’est pas attribuable à un acte délibéré ou négligent du personnel. Il ressort du rapport médical [envoyé de] Pazaryeri que l’intéressé était agressif et son état psychologique, instable. »
Le 26 novembre 2001, la cour d’assises de Pazaryeri décida, à titre posthume, la libération conditionnelle de M. Geren, le 30 novembre 2001 (paragraphes 10 et 16 ci-dessus).
Le 26 décembre 2001, en réponse au parquet de Bilecik, le directeur E.İ. écrivit que M. Geren avait été placé en cellule d’observation pour être surveillé de près, conformément à l’avis exprimé en ce sens dans le rapport médical versé dans son dossier (paragraphe 14 ci-dessus), car l’intéressé avait été transféré du fait de son comportement psychologique agressif, mettant en danger l’intégrité physique des autres détenus.
Le 31 décembre 2001, le procureur de la République de Bilecik rendit un non-lieu dans le cadre de l’enquête entamée d’office. Rappelant les faits qu’il avait pu établir et tenant notamment compte « des rapports médicaux » attestant les problèmes psychologiques de M. Geren, il conclut que celui-ci s’était donné la mort seul, sans implication quelconque d’autrui.
Rien n’indique que cette ordonnance, susceptible d’opposition devant le président de la cour d’assises, ait été notifiée à la famille du défunt.
Les plaintes de la requérante et la procédure ouverte à la demande du ministère de la Justice
Sans doute après avoir pris connaissance de l’ordonnance (paragraphe 27 ci-dessus), la requérante saisit le ministre de la Justice d’une plainte contre les dirigeants et les procureurs des prisons de Pazaryeri et de Bilecik. Elle adressa le même écrit à l’Association des droits de l’homme à Bursa.
Dans sa plainte, la requérante faisait remarquer que, de son vivant, son fils avait subi un traitement médicamenteux pour délire paranoïde aigu. Or, le 20 novembre 2001, un surveillant de la prison l’avait appelée, lui demandant de rapporter du Sekrol pour la toux, du Rennie pour le reflux et de l’Akset, médicaments sans rapport avec la maladie psychiatrique de son fils. Le lendemain, au parloir, la requérante avait aperçu les signes francs d’une rechute dépressive, mais malgré son insistance, le procureur avait refusé de faire interner son fils, sollicitant d’abord la communication du rapport psychiatrique et l’audition du psychiatre ayant posé le diagnostic (paragraphe 7 ci-dessus).
La requérante raconta que le 22 novembre suivant, vers 5 heures du matin, elle avait reçut deux appels consécutifs de son fils, affolé par l’idée qu’on l’assassinerait. Aussi, elle s’était immédiatement rendue à la prison, accompagnée de son frère, mais on ne leur avait pas permis de voir M. Geren. Sur ce, les deux protagonistes étaient allés à l’hôpital civil d’Eskişehir pour obtenir copie du rapport psychiatrique demandé par le procureur ; cela leur fut refusé, faute d’une demande officielle du parquet concerné. A son retour à la prison de Pazaryeri, la requérante apprit que son fils allait être transféré à la prison de Bilecik, dont les responsables l’avaient assurée que tout irait bien.
Le 8 janvier 2002, le ministère de la Justice exhorta le procureur de la République de Bilecik (« le procureur de la République ») d’ouvrir une enquête, d’auditionner la requérante sur ses doléances et d’établir les faits ainsi que les responsabilités éventuelles des fonctionnaires mis en cause.
Le 16 janvier suivant, le procureur de la République interrogea la requérante. Elle relata ce dont elle avait été témoin pendant l’épisode passé à la prison de Pazaryeri (paragraphes 6-7 ci-dessus) et lors de sa dernière visite du 21 novembre 2001 (paragraphe 28 ci-dessus). Elle déplora qu’on n’ait pas envisagé l’hospitalisation immédiate de son fils, ou, du moins, sa surveillance rapprochée ; quoi qu’il en soit, d’après elle, on n’aurait jamais dû laisser son fils garder sa ceinture.
Le lendemain, le procureur de la République entendit le directeur-adjoint E.E. (paragraphe 18 ci-dessus). Celui-ci rappela d’abord les circonstances ayant entouré l’admission de M. Geren dans la prison de Bilecik (paragraphe 15 ci-dessus). Il ajouta que lors du contrôle de présence de minuit, l’intéressé n’avait eu aucun comportement anormal, laissant présager une prédisposition suicidaire, étant entendu que sa famille non plus n’avait jamais attiré l’attention de l’administration sur son état mental prétendument perturbé ; sinon, des mesures adéquates auraient été prises, autres que celles appliquées de routine dans les cas de transfèrements habituels, comme celui d’espèce. Soulignant que les deux autres codétenus, interrogés sur-le-champ, avaient déclaré n’avoir rien entendu, E.E. affirma qu’aucune faute ne pouvait en l’occurrence être imputée au personnel pénitentiaire.
Toujours le 17 janvier 2002, le procureur de la République écrivit à plusieurs instances administratives pour s’enquérir des circonstances dans lesquelles M. Geren avait effectué son service national, pour obtenir copie du rapport psychiatrique du 22 novembre 2001 (paragraphe 14 ci-dessus) et du relevé des appels téléphoniques passés par le défunt. Plus particulièrement, il demanda à l’hôpital civil d’Eskişehir (paragraphe 7 ci-dessus) de lui faire savoir le diagnostic exact posé concernant M. Geren, les symptômes caractéristiques de sa maladie, le moment où celle-ci s’était déclarée, si le patient était guéri après son séjour à l’hôpital, et si cette maladie était compatible ou non avec la vie carcérale.
Par ailleurs, l’administration pénitentiaire de Pazaryeri fut invitée à fournir les dossiers des enquêtes administratives et disciplinaires menées au sujet de l’incident, le registre des relèves de garde pour la période 2023 novembre 2001, la liste des blocs où le défunt avait été incarcéré et de ses camarades de cellule, ainsi que l’inventaire des biens personnels du défunt. Le procureur de la République demanda aussi combien de fois celui-ci avait été vu par le médecin pénitentiaire, quels médicaments lui avaient été prescrits, et comment avait-il pu utiliser le poste téléphonique des surveillants.
Le procureur de la République enjoignit enfin à l’administration de la prison de Bilecik de lui indiquer si l’intéressé avait passé un examen médical préalablement à son admission dans l’établissement, la raison pour laquelle il avait été placé dans une cellule d’observation et pourquoi on lui avait laissé sa ceinture. Il fallait aussi lui fournir la liste des gardiens en faction les 23 et 24 novembre 2001 et lui expliquer si la famille de la victime avait réellement demandé que l’on fasse cas de sa maladie mentale.
Le 21 janvier 2002, les procureur des prisons de Pazaryeri et de Bilecik fournirent les renseignements requis.
Le premier expliqua notamment que M. Geren avait en effet eu accès au téléphone du bureau des surveillants pour appeler sa mère, le 22 novembre 2001 vers 4 h 43, lorsque les gardiens C.Ö. et Ü.Y. le laissèrent seul pour ramener A.C. à sa cellule (paragraphe 13 ci-dessus).
Le second précisa que M. Geren n’avait pas subi d’examen médical préalablement à son admission dans l’établissement, compte tenu du rapport médical déjà existant dans son dossier personnel. Avant d’être placé en cellule d’observation, conformément à la règlementation, l’intéressé avait déclaré n’avoir « aucun problème médical » ; sa famille non plus ne leur avait pas davantage fait part d’une maladie mentale quelconque. Concernant la ceinture, le procureur se référa au décret ministériel no 005808, autorisant les détenus à garder leur ceinture (paragraphe 64 ci-dessus).
Toujours le 21 janvier 2002, le procureur de la République interrogea le chef gardien K.A. (paragraphe 17 ci-dessus). Il dit avoir vu la victime de son vivant dernièrement vers 23 h 50 ; il paraissait tout à fait normal. Il expliqua entre autres que dans leur établissement, le bloc d’observation contient des cellules à barreaux. Pour éviter toute promiscuité et ne pas déranger les détenus, la porte d’accès à ce bloc reste fermée et la surveillance de l’ensemble de l’intérieur est assurée « si besoin est, à travers le soupirail de ladite porte. La surveillance n’est pas permanente ».
Le lendemain, le procureur de la République entendit M.K., procureur de la prison de Pazaryeri, à l’époque où M. Geren se trouvait en détention provisoire (paragraphe 6 ci-dessus). Il raconta que lorsqu’il exerçait ses fonctions dans cet établissement, il n’avait remarqué personne qui soit sujet à des troubles mentaux. A cette époque, ni M. Geren ni les surveillants ne lui avaient fait part d’un souci quelconque. Cependant, à la suite de l’incident où il s’était auto-fracturé le bras, les codétenus de M. Geren lui avaient raconté que ce dernier avait commencé à avoir des phases de dépression lourde et ne supportait plus le milieu carcéral.
M.K. se rappela aussi avoir discuté avec la requérante au sujet des problèmes de son fils liés à l’absence d’un père ainsi qu’avoir ordonné, par conséquent, le renvoi de l’intéressé au service psychiatrique de l’hôpital civil d’Eskişehir.
Le procureur de la République réinterrogea également les détenus R.R. et H.B. (paragraphe 22 ci-dessus).
H.B. expliqua n’avoir jamais conversé avec le défunt durant son séjour dans le bloc d’observation, contrairement à R.R. M. Geren avait attiré son attention parce qu’il laissait souvent son plateau de repas intact dans le couloir. Il disait à R.R. qu’il n’arrivait pas à manger. H.B. confirma que, de minuit jusqu’à 3 h 30, il n’avait entendu rien d’inquiétant.
R.R., qui avait eu quelques échanges avec le défunt, raconta l’avoir entendu se parler à lui-même la veille de sa mort. Il se demandait quand il allait être transféré dans les blocs ordinaires et si sa mère viendrait le voir. De temps en temps il évoquait un certain Ayhan. La nuit de l’incident, vers 0 h 15, un bruit avait retenti dans le bloc ; M. Geren avait dit qu’il était tombé. R.R. expliqua que ce fut le dernier bruit qu’il a entendu jusqu’à la découverte du cadavre, alors qu’il était resté éveillé en bouquinant tout au long de cet épisode.
R.R. ajouta qu’il était matériellement impossible que les surveillants puissent observer la cellule no 3 à travers le soupirail de la porte d’accès du bloc, d’où seule la cellule no 1 était visible (paragraphe 34 in fine ci-dessus).
Le 23 janvier suivant, le procureur de la République auditionna le surveillant Ö.Ş.Z. (paragraphe 17 ci-dessus) qui réitéra ses dires précédents.
Il entendit également les détenus H.G. et Y.P. A l’époque pertinente, H.G. était chargé de servir les repas dans le bloc d’observation. Il dit ne pas savoir si M. Geren finissait ses plats ou non, car il rendait toujours son plateau nettoyé, conformément à la règle, et ce, sans un mot. H.G. précisa que la nuit de l’incident, lorsqu’il est entré pour servir le repas de Ramadan à R.R., celui-ci n’était pas encore couché.
De son côté, Y.P., l’un des codétenus de M. Geren à Pazaryeri, raconta que ce dernier ne se nourrissait que de biscuits, de lait et d’eau pétillante, et ne mangeait pas ses rations. Il était préoccupé par des problèmes qu’il ne dévoilait jamais et se montrait compulsif.
Le même jour, le procureur de la République ordonna l’exhumation de la dépouille de M. Geren, aux fins d’une autopsie classique (paragraphe 21 in fine ci-dessus) pour la vérification des circonstances exactes de sa mort.
Le 25 janvier 2002, le procureur de la République de Bilecik communiqua les dates des appels téléphoniques reçus et lancés par la requérante. Celle-ci avait été contactée par l’administration pénitentiaire les 20, 21 et 22 novembre 2001, respectivement à 23 heures, 7 h 49 et 11 h 28, tandis que le 11 novembre 2001, elle avait appelé les procureurs pénitentiaires N.A. et E.K. à cinq reprises, entre 13 h 55 et 20 h 23.
Toujours le 25 janvier 2002, le procureur de la République recueillit le témoignage du médecin A.G.D. qui avait procédé à l’ultime examen de M. Geren (paragraphe 14 in fine ci-dessus). Hormis les traces de blessures, A.G.D. déclara avoir constaté que l’intéressé avait un « comportement agressif et agité » et ses dires présentaient des contradictions. A.G.D. continua comme suit :
« Comme son état général psychologique me paraissait fragilisé, j’ai recommandé qu’il soit examiné plus avant à ce sujet. (...) j’ai prescrit son renvoi dans un établissement sanitaire adéquat. J’ai également émis l’avis qu’il fallait le placer sous surveillance [dans la prison d’accueil] afin que sa situation psychologique puisse être évaluée. (...) cependant son tableau psychiatrique n’était pas si grave que ça. J’ai été surpris par son suicide. En tant que médecin, il ne m’avait pas paru prédisposé à se donner la mort (...). »
Le procureur de la République interrogea par ailleurs les détenus A.C. (paragraphe 13 ci-dessus), C.A., E.K., les surveillants Ü.Y., C.Ö (paragraphe 12 ci-dessus), H.C., F.B., Y.K., le sous-officier L.A. de la gendarmerie locale et İ.K. le second médecin du centre médical de Pazaryeri.
A.C. raconta de nouveau pourquoi il en était venu aux mains avec le défunt. Dès son arrivée dans le bloc no 4, celui-ci avait commencé à tenir des propos insensés. Refusant de manger avec les autres, il rodait et fumait sans cesse, et ne parlait à personne. Il avait peur de tout et voyait un ennemi potentiel dans quiconque lui était étranger.
Ces dires furent corroborés par ceux de C.A. et E.K. Ce dernier confirma par ailleurs que les vêtements qu’on voyait sur les photographies du cadavre de M. Geren étaient bien ceux qu’il portait au moment où il s’était bagarré avec A.C.
De leur côté, les surveillants réitérèrent leurs observations sur le comportement conflictuel de M. Geren ainsi que leurs déclarations antérieures concernant le jour où il s’était volontairement fracturé le bras, sa querelle avec A.C., ses craintes face aux autres codétenus et la visite rendue par la requérante le 21 novembre 2001.
Le sous-officier L.A., qui avait dirigé le transfèrement de M. Geren à Bilecik, fit entre autres la remarque suivante :
« (...) Sur le trajet, j’ai parlé avec l’intéressé de tout et de n’importe quoi. Il me répondait normalement. Cependant, à un moment il m’a dit « Mon commandant, pourquoi voulez-vous me tirer dessus ? ». Choqué par ces mots, je lui ai dit « Détrompe-toi mon garçon, crois-tu que nous tirons comme ça sur des gens ? » (...) ».
Le médecin İ.K. était celui qui, le 20 novembre 2001, avait prescrit les médicaments que la requérante s’était vue priée de fournir pour son fils (paragraphes 22 in fine et 28 ci-dessus). Il déclara que l’unique fois qu’il avait vu l’intéressé – en raison de ses problèmes gastriques – il n’avait observé aucun trouble psychologique.
Le 28 janvier 2002, la dépouille de M. Geren fut exhumée et transférée à la morgue de l’Institut médicolégal. Le procureur de la République ordonna l’opération immédiate d’une autopsie classique.
Par ailleurs, il entendit K.Ö. et S.S., deux autres détenus de la prison de Pazaryeri (paragraphe 41 ci-dessus). Ils confirmèrent le déroulement de l’incident ayant opposé M. Geren à A.C.
Le 18 février 2002, le procureur de la République réinterrogea E.G. et M.A.K., surveillants de la prison de Bilecik (paragraphe 17 ci-dessus) qui répétèrent leurs déclarations initiales.
Convoqué le 1er mars 2002, le frère du défunt, M.A.G., expliqua qu’à sa connaissance, son frère n’avait jamais eu de problèmes psychologiques jusqu’à ce qu’il ait eu à faire avec la justice ; ce n’est que vers la fin de sa détention préventive qu’il avait commencé à être suspicieux et à inquiéter la famille.
Le 18 mars 2002, la requérante déposa une seconde plainte formelle devant le parquet de Bilecik, accusant les gardiens Ö.S.Z. et M.A.K d’avoir assassiné son fils. Elle demandait également la condamnation du procureur A.D., responsable de l’enquête initiale, et des fonctionnaires ayant participé à l’examen post mortem pour abus de pouvoir et dissimulation de preuves.
D’après la requérante, il était inconcevable qu’une personne décide de mettre fin à sa vie quelques jours avant sa libération. Tirant argument des traces de violences relevées sur le cadavre, la requérante affirma qu’il était impossible que son fils, faisant 1,82 m, puisse se pendre à l’aide d’un nœud fixé à une hauteur de 1,54 m. Par ailleurs, à supposer que les surveillants fissent des rondes toutes les 15 à 30 minutes, le présumé suicide devrait alors avoir eu lieu entre 3 heures et 3 h 30 ; or d’après l’examen médicolégal, la mort devait se situer entre 22 h 30 et 1 h 30.
A titre subsidiaire, elle soutint que, s’il y avait vraiment eu suicide, l’administration pénitentiaire devait néanmoins en être tenue responsable au regard de son obligation de protéger son fils qui, à l’abri d’une surveillance adéquate, a été autorisé à garder sa ceinture.
Le 3 avril 2002, le procureur de la République entendit T.K., frère de la requérante. Il confirma que, jusqu’à son placement en détention provisoire, son neveu n’avait présenté aucun problème psychologique. Réinterrogé le lendemain, le frère de M. Geren confirma ses dires précédents (paragraphe 44 ci-dessus).
Le 16 avril suivant, le procureur de la République entendit à nouveau la requérante qui déplora notamment l’indifférence des procureurs des prisons de Pazaryeri et Bilecik face à ses demandes concernant l’hospitalisation de son fils.
Cependant, elle retira sa plainte contre le procureur A.D. ayant dirigé l’examen post mortem.
Entre les 23 et 30 avril 2002, le procureur de la République interrogea les surveillants F.A., E.D., K.A., Y.K., S.T., T.D., E.E., E.G. et S.Y. de la prison de Bilecik. Leur témoignage n’apporta rien de nouveau quant aux circonstances du décès ; ils déclarèrent tous n’avoir aucune implication dans la survenance de l’incident. Du reste, ils mirent l’accent sur l’insuffisance de l’effectif pénitentiaire, en raison de laquelle l’administration ne serait pas en mesure d’assurer un contrôle permanent du bloc d’observation par un gardien. Aussi, toutes les demi-heures, les gardiens du bloc D devaient se relayer pour contrôler ce bloc. M.A.K. précisa encore qu’il était impossible d’observer la cellule no 3 à travers le soupirail de la porte du bloc. Ils ne pouvaient pas non plus y accéder, car seul le directeur adjoint en avait les clés (paragraphe 17 ci-dessus). M.A.K. expliqua aussi que, sauf appel de la part des détenus, la surveillance de ce bloc consistait généralement en une écoute de l’extérieur derrière la porte, sans ouvrir le soupirail, pour vérifier discrètement si tout est en ordre.
Le 16 mai 2002, le procureur de la République réinterrogea le codétenu R.R. (paragraphes 22 et 36 ci-dessus). Reprenant ses déclarations antérieures, il se dit convaincu que son camarade s’était suicidé.
Le 24 mai 2002, le procureur convoqua la requérante concernant les plaintes qu’elle avait déposées au parquet et au ministère. Elle déplora une nouvelle fois le manque de diligence des autorités pénitentiaires face à la situation de son fils.
Entre les 27 mai et 6 juin 2002, le procureur de la République entendit les gardiens Ö.Ş.Z. (paragraphe 17 ci-dessus), le médecin légiste K.M.B. et Ü.Ş. (paragraphe 20 ci-dessus) à propos de la conduite de l’examen post mortem, dénoncée par la requérante. Ils contestèrent les accusations, affirmant que leur intervention avait été conforme aux règles et qu’aucune observation n’avait justifié de procéder à une autopsie classique.
Le 12 juin 2002, l’Institut médicolégal transmit au parquet son rapport d’autopsie classique, datée du 29 mai précédent.
Confirmant les constats de K.M.B., ce rapport – fruit d’une exploration complète – concluait à l’absence de trace quelconque d’intoxication ou de coups et blessures, sauf celle observée sur l’arcade gauche, et tenait pour établi qu’il y avait eu suicide par pendaison.
Le 13 juin 2002, le procureur de la République communiqua au ministère de la Justice son rapport conclusif sur les investigations menées, lesquelles venaient de confirmer le non-lieu du 31 décembre 2001 (paragraphe 26 ci-dessus). En particulier, le procureur précisa que, si le 23 novembre 2001 M. Geren avait été admis à la prison de Bilecik sans examen préalable, c’est parce que le médecin pénitentiaire était en arrêt de maladie et qu’il n’y avait pas assez de temps pour faire venir le médecin de garde ; quoi qu’il en soit, M. Geren n’avait pas demandé à voir un médecin. De surcroît, l’administration de Pazaryeri n’avait pas été dûment avertie des problèmes psychiatriques de l’intéressé, lequel s’était présenté à la prison sans ses médicaments. Par ailleurs, le seul certificat émanant de A.G.D. ne portait pas la mention « urgent » (paragraphe 14 in fine ci-dessus). Aussi, le renvoi de l’intéressé dans un milieu hospitalier en dehors de l’établissement pénitentiaire ne pouvait être assuré sans l’accord du ministère de la Justice ; vu le temps qu’un tel accord aurait pris, toute initiative aurait été vaine pour prévenir la tragédie.
Partant, le 14 juin 2002, le procureur de la République décida qu’il n’y avait pas lieu d’introduire une action publique contre les surveillants dénoncés en l’espèce et rendit une ordonnance de non-lieu à leur encontre. En ce qui concerne les trois procureurs E.K., N.A. et A.D., l’affaire fut classée sans suite.
La requérante forma opposition contre cette dernière devant la cour d’assises d’Eskişehir, réitérant les moyens invoqués dans ses plaintes pénales. Le 30 juillet 2002, ce recours fut écarté, et la décision y afférente notifiée le 8 août 2002.
Toujours le 30 juillet 2002, la direction des affaires pénales du ministère de la Justice répondit à la requérante qu’aucune action judiciaire n’était à entamer contre les trois procureurs.
D. Les déclarations ultérieures du codétenu R.R.
Le 24 décembre 2002, l’ex-codétenu R.R., libéré entre-temps, participa à un programme télévisé de la chaîne Star TV. Il était censé témoigner d’un meurtre. Dans l’émission, on voyait R.R. se rendre à la maison de la requérante, accompagné de caméramans, et raconter pourquoi il avait dû se taire jusqu’alors au sujet de la mort litigieuse pour ne pas subir le même sort que son fils, qui en réalité avait été assassiné par les gardiens M.A.K., Ö.Ş.Z., E.G. et K.A.
En résumé, R.R. affirmait que, contrairement à ce qu’il avait été contraint de raconter auparavant, il n’était pas en train de dormir la nuit de l’incident ; il avait entendu les quatre gardiens battre son camarade puis un dernier gémissement de quelqu’un étranglé. Les protagonistes avaient ensuite simulé un suicide en suspendant le corps sans vie.
Le 15 janvier 2003, R.R. fut arrêté et placé en détention provisoire.
Le 3 février 2003, le procureur de la République de Bilecik mit R.R. en accusation pour diffamation par la voie des médias, délation fallacieuse et chantage. Le procureur motiva sa décision en soulignant que R.R., apatride et imposteur récidiviste, était connu pour ses propos farfelus ou controuvés, selon lesquels par exemple il serait hermaphrodite et le père du milliardaire Bill Gates. Jusqu’à sa prestation télévisée, il n’avait jamais fait part aux instances judiciaires de tels faits et, après le programme, il avait disparu. En raison de ses propos, les familles des quatre surveillants ont été l’objet de menaces, d’intimidations ainsi que d’une nouvelle enquête judiciaire aussi pénible qu’inutile. De fait, avant d’apparaître à la télévision, R.R. était venu à Bilecik ; il avait cherché à contacter le personnel pénitentiaire et insisté notamment pour s’entretenir avec le gardien K.A., qu’il allait plus tard menacer implicitement avec ces paroles : « que pouvez-vous faire pour moi, sachant que la famille de Baybars [Geren] me pousse et m’offre de l’argent pour que je revienne sur ma déposition ? ».
Lors des audiences des 17 avril, 1er et 3 juillet, 12 août 2003, les juges entendirent des témoins à charge et les plaignants, qui maintinrent leurs doléances, niant toute implication dans le décès de M. Geren.
Le 9 mars 2004, R.R. comparut devant le tribunal correctionnel de Bilecik. Sa défense se résume comme suit :
« (...) J’ai eu l’impression que le détenu Baybars [Geren] avait été pendu par les plaignants M.A.K., Ö.Ş.Z., E.G. et K.A. ; sinon je ne les ai pas vu directement, ce qui était d’ailleurs impossible de là où j’étais enfermé (...). A ma connaissance, personne ne peut entrer dans le bloc d’observation à partir de 23 heures, sans l’autorisation du directeur pénitentiaire. Je crois que, la nuit de l’incident, seul l’un des plaignants était en faction dans ce bloc, mais les autres y sont rentrés et en sont sortis un certain nombre de fois. (...) je les voyais passer devant ma cellule. Par la suite, il y a eu des bruits de leur lutte avec [Baybars Geren]. (...) Je ne pense pas que celui-ci ait pu se suicider ; ce sont les plaignants qui l’ont assassiné d’une manière ou d’une autre (...). Je confirme mes affirmations (...) je dis la vérité. (...) Je n’ai rien reçu pour participer au programme télévisé. (...) Je renie les déclarations que j’avais faites par peur lors de ma détention (...). »
Le 10 mars 2005, R.R. fut libéré. Par une jugement du 18 septembre 2007, le tribunal correctionnel de Bilecik disculpa R.R. des chefs de chantage et de diffamation. En revanche, il le condamna pour délation fallacieuse à une peine d’emprisonnement, qui fut commuée en une amende de 1 800 nouvelles livres turques.
Ce jugement devint définitif le 5 février 2008, aucune des parties ne s’étant pourvu en cassation.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les dispositions pertinentes du règlement no 12667 du 1er août 1967 sur la direction des établissements pénitentiaires et l’exécution des peines se présentent comme suit.
Article 97
(Cellule d’observation)
« Tout condamné admis à l’établissement est d’abord placé dans une cellule d’observation pour une durée maximum de trois jours. »
Article 98
(Examen d’admission des condamnés)
« Le condamné en cellule d’observation est envoyé devant le service de l’établissement, l’hôpital ou le dispensaire pour examen médical (...). Les résultats de l’examen sont inscrits sur sa fiche de soins.
Si l’examen révèle que le condamné est frappé d’un (...) handicap quelconque faisant obstacle à son incarcération, la situation est immédiatement portée à la connaissance du procureur de la République par l’intermédiaire de la direction pénitentiaire. »
Article 37
(Devoirs des médecins)
« Le médecin est tenu d’organiser les conditions sanitaires de l’établissement et d’assurer les examens et le traitement des condamnés (...). »
Article 227 § 1
(Traitement médical des condamnés et détenus)
« Le médecin de l’établissement est obligé de se présenter chaque fois qu’il est appelé à ce faire. »
Aux termes des articles 239 à 243 de ce règlement, avant son transfèrement d’un établissement pénitentiaire à un autre, tout détenu est examiné par le médecin de l’établissement d’origine. Dans l’établissement d’accueil, il est assujetti à la même procédure d’admission, y compris le séjour en cellule d’observation. La différence est que, s’agissant des mesures à prendre pendant ce séjour, l’établissement d’accueil tient compte du dossier personnel du détenu, que l’établissement d’origine lui transmet.
D’après un communiqué ministériel, les informations parvenues au ministère de la Justice auraient permis d’établir l’existence de certaines pratiques irrégulières en matière de transfèrements de prisonniers. Il en irait ainsi, par exemple, des détenus demandant leur transfert pour motif de santé, d’hostilités intra-carcérales ou de menaces contre la vie. Il arriverait que pareils détenus soient envoyés sans examen attentif de leur dossier et en l’absence de l’avis du procureur de la prison concernée.
La directive générale pour les règlements intérieurs des prisons et des maisons d’arrêt dispose :
Article 5 § 2
(Hygiène et examen médical)
« Après les fouilles corporelles, les condamnés et détenus sont renvoyés (...) aux bains (...). Ensuite, ils sont renvoyés devant le médecin pénitentiaire (...) afin de passer un examen médical général. »
Article 7
(Cellule provisoire)
« Après (...) l’examen médical, les condamnés et détenus sont placés dans la cellule d’observation. Le séjour en cellule d’observation est de trois jours. Si le médecin pénitentiaire l’estime nécessaire, cette durée peut être prolongée (...). Les personnes en cellule d’observation n’ont pas de contacts avec les autres. »
Le règlement intérieur de la prison de Bilecik reprend les dispositions des articles 5 § 2 et 7 mentionnés au paragraphe précédent, concernant le séjour dans les cellules d’observation.
Conformément à la règlementation, notamment l’arrêté ministériel no 005808 du 31 janvier 2001 (paragraphe 33 in fine ci-dessus), tout détenu a le droit de disposer d’une ceinture. La législation pénitentiaire est muette sur la question de savoir dans quelles conditions ce droit peut être restreint. Cependant, dans la pratique des établissements pénitentiaires, il est des cas où les objets personnels, tels que les lacets et ceintures, peuvent être confisqués, à la demande du procureur de la prison. Il en va ainsi lorsque l’administration observe que le détenu risque de mettre sa vie ou sa santé en danger. Dans ce cas, l’objet est confisqué sur-le-champ et l’intéressé, envoyé devant un médecin pour la vérification de son état psychique. Si le médecin confirme la réalité du risque, l’objet n’est pas rendu, à titre de mesure préventive. Le détenu peut alors former opposition contre cette mesure devant le juge d’exécution des peines, dont le verdict est définitive. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A l’époque des faits, le requérant – né en 1965 – se trouvait incarcéré à la prison de Bursa en vertu d’une condamnation à perpétuité pour appartenance à une organisation terroriste d’extrême gauche.
Le 25 février 2000, il fut examiné au service de neurochirurgie de l’hôpital civil de Bursa. Le rapport établi en conséquence vint confirmer le diagnostic de discopathie cervicale posé un an auparavant à Istanbul ; concernant cette maladie, caractérisée par de violentes douleurs se propageant du cou au bras droit, les médecins précisèrent que si une intervention chirurgicale s’imposait, il convenait de la réaliser dans un établissement universitaire à Istanbul. Plus tard, à la demande de l’administration pénitentiaire, l’hôpital universitaire de Bursa fit savoir qu’il était à même de prodiguer au requérant les soins nécessaires, mais qu’il ne disposait d’aucun service pour détenus.
Aussi le requérant demanda-t-il à être transféré à la maison d’arrêt de Bayrampaşa à Istanbul. Or le 2 juin 2000, l’administration pénitentiaire décida de le transférer à la prison de Kartal sise, elle aussi, à Istanbul.
A. Le transfèrement du requérant à la prison de Kartal
Le 5 juin 2000, lors de son transfèrement en fourgon cellulaire sous la responsabilité de cinq appelés de la gendarmerie M.A., G.A., H.B., M.B., M.Y. et du sergent spécialisé (uzman çavuş – ci-après « le sergent ») S.A., le requérant se rendit compte qu’ils ne se dirigeaient pas vers Bayrampaşa ; il protesta alors auprès des gendarmes et menaça d’entamer une grève de la faim s’il n’était pas immédiatement ramené à Bursa, mais ses protestations restèrent sans effet.
A l’arrivée, les gendarmes du poste de contrôle de la prison de Kartal, à savoir R.E., U.Ü., İ.K., M.T. et U.Y., voulurent procéder aux formalités d’admission du requérant, ce qui impliquait une fouille corporelle et un relevé d’empreintes digitales. Il semble que le requérant leur ait résisté, en commençant par refuser de quitter le fourgon.
Le jour même, l’intéressé fut conduit aux urgences de l’hôpital expérimental de Kartal, où il devait être pris en charge. Cependant, d’après le registre des consultations, il refusa les soins, en signe de protestation contre les gendarmes responsables de son transfèrement, qu’il accusait de mauvais traitements (paragraphe 13 ci-dessous). La note afférente, apposée dans le registre, se présente comme suit (paragraphe 19 ci-dessous) :
« Discopathie cervicale
J’ai sciemment – illisible – (torture ... – phrase incomplète –
Le choix de traitement du patient : il refuse le traitement.
Cachet du médecin / Signature : Süleyman Akt(...)».
Le 6 juin 2000, le requérant fut examiné par le médecin pénitentiaire de Kartal, lequel observa que l’intéressé – qui portait une minerve – présentait une lacération d’un centimètre sur l’arcade zygomatique gauche et se plaignait de douleurs vives.
Le 13 juin 2000, le requérant fut reconduit à la prison de Bursa et, le lendemain, il fut réexaminé par le médecin pénitentiaire. Celui-ci décela une ecchymose verdâtre de 1 x 1,5 cm au niveau de l’arcade gauche, une lésion de 1 cm sur le zygoma gauche ainsi qu’une égratignure sur le poignet droit ; les oreilles du requérant présentaient en outre un excès de cérumen et il souffrait d’acouphènes à l’oreille gauche.
B. La plainte pénale du requérant
Le 14 juin 2000, le requérant déposa une plainte par le truchement du procureur de la prison de Bursa, dans laquelle il soutint avoir subi des mauvais traitements tant lors de son transfèrement en fourgon que lors de son admission à la prison de Kartal. Il fit valoir les rapports médicaux des 5, 6 et 13 juin 2000.
Le même jour, il fut entendu par le procureur de la République de Bursa. D’après les déclarations du requérant, les événements se résument comme suit :
Dans le fourgon cellulaire, alors que le requérant était menotté, le sergent S.A. et ses subalternes commencèrent à le frapper, notamment au niveau de la tête, lorsqu’il menaça d’entamer une grève de la faim.
Lors de son admission à la prison de Kartal, les gendarmes le forcèrent à descendre du fourgon et le traînèrent par la barbe. Une fois à l’intérieur, ils lui ordonnèrent de se déshabiller, ce qu’il refusa de faire ; les protagonistes, dont le sergent S.A., recommencèrent à le battre, après lui avoir attaché les mains derrière une chaise. Ils lui tiraillèrent les favoris et, après l’avoir dévêtu de force, l’aspergèrent d’eau. Ils continuèrent jusqu’à son évanouissement.
Par la suite, les gendarmes le conduisirent chez le médecin urgentiste de l’hôpital expérimental de Kartal ; le requérant chercha à expliquer à ce médecin qu’il s’opposait à tout traitement pour protester contre les violences qu’il venait de subir ; cependant, le sergent S.A., qui était présent, lui coupa la parole en s’écriant que rien de tel ne s’était passé. Le médecin demanda au requérant d’écrire, dans le registre des consultations, qu’il renonçait aux soins de son plein gré ; le sergent S.A. intervint à nouveau et l’empêcha de terminer la phrase qu’il avait commencée en prononçant le mot « torture ».
Une fois de retour à la prison de Kartal, les gendarmes du poste de contrôle demandèrent au requérant de se déshabiller aux fins d’une fouille. Comme il n’obtempérait pas, les gendarmes le dévêtirent et recommencèrent à le frapper, tout en l’injuriant ; l’un d’eux toucha même ses organes génitaux et son anus avec une matraque.
Cette scène dura jusqu’à ce qu’un sous-officier vînt le faire se rhabiller pour le conduire dans sa cellule.
C. Les procédures ouvertes en l’espèce
Le 27 juin 2000, le procureur de la République de Bursa décida de poursuivre l’instruction concernant les circonstances qui avaient entouré le transfèrement du requérant en fourgon cellulaire (paragraphe 7 ci-dessus), mais déclina sa compétence ratione loci en faveur du parquet de Pendik s’agissant des actes prétendument commis dans les locaux de la prison de Kartal (paragraphe 8 ci-dessus).
A partir de ce moment, deux instructions séparées furent conduites contre les gendarmes mis en cause par les instances de Bursa et de Kartal, la première contre M.A., G.A., H.B., M.B., M.Y. et S.A., et la seconde contre R.E., U.Ü., İ.K., M.T. et U.Y.
Rien dans le dossier n’indique que le requérant ait été informé de la disjonction de son dossier.
L’instruction conduite par les instances de Bursa
Le 29 août 2000, le parquet de Bursa entendit le sergent S.A. Selon celui-ci, le requérant avait porté plainte parce qu’il était déçu de ne pas avoir été transféré à la prison de Bayrampaşa, ou peut-être simplement parce qu’il voulait l’intimider, étant donné qu’en tant qu’officier de sécurité à Bursa, il lui était arrivé d’interdire qu’on remette au requérant certains objets prohibés, envoyés par ses proches.
A une date non précisée, le parquet transmit le dossier au conseil administratif de Bursa, l’instance compétente pour autoriser, en vertu de la loi no 4483 du 2 décembre 1999, la mise en examen des gendarmes M.A., G.A., H.B., M.B., M.Y. et S.A.
A cette fin, ledit conseil désigna comme inspecteur-rapporteur A.K., un capitaine du commandement de la gendarmerie de Bursa.
Le 16 octobre 2000, le capitaine A.K. entendit les appelés M.A., H.B. et G.A., qui se trouvaient, au moment des faits, dans le fourgon cellulaire.
M.A. expliqua qu’ils étaient chargés de transférer le requérant à Kartal sous les ordres du sergent S.A. A leur arrivée, le requérant avait refusé de descendre du fourgon ; il avait fallu l’en extraire avec l’aide des gendarmes du poste de contrôle. M.A. ajouta ne rien savoir de ce qui aurait pu se passer à l’intérieur dudit poste ; en revanche, il avait bien accompagné le requérant à l’hôpital, où celui-ci s’était opposé au traitement, alléguant avoir été maltraité.
H.B. et G.A. confirmèrent les déclarations de M.A.
Le 28 octobre suivant, A.K. entendit le sergent S.A., qui contesta les accusations. Il affirma que dans le fourgon, le requérant s’était révolté, s’était mis à protester contre son transfèrement à Kartal et s’était débattu pour ne pas descendre du fourgon ; à l’hôpital, il n’avait pas changé d’attitude et avait refusé tout traitement.
A une date ultérieure, l’appelé M.Y. fut interrogé. Reprenant les dires de ses camarades, il précisa que, devant le médecin, le requérant avait voulu inscrire sur le registre des consultations qu’il avait été torturé ; toutefois, le sergent S.A. l’en avait empêché et lui avait fait savoir que ce n’était pas l’endroit approprié pour agir de la sorte et qu’il ferait mieux de se conformer à la procédure ordinaire.
L’appelé M.B. ne put être interrogé.
Dans son rapport d’évaluation, le capitaine A.K. conclut que rien ne justifiait la poursuite des mis en cause, faute d’éléments appuyant les griefs du requérant.
Par une décision du 8 novembre 2000, le conseil administratif de Bursa entérina cet avis et refusa l’ouverture d’une instruction à l’encontre des appelés M.A., G.A., H.B., M.B., M.Y. et du sergent S.A. Il tint pour établi qu’en réalité c’était le requérant qui n’avait cessé de manifester son hostilité contre ceux qui ne faisaient que l’accompagner à l’hôpital pour qu’il pût recevoir un traitement adéquat.
Le 20 décembre 2000 – date du transfèrement du requérant à la prison spéciale de type F de Kocaeli – le parquet de Bursa s’aligna sur la décision préfectorale et rendit une ordonnance de non-lieu.
Le 19 avril 2001, le conseil du requérant prit connaissance de cette décision, qui n’avait jusqu’alors pu être notifiée à l’intéressé. Le 25 avril suivant, il introduisit une action en annulation de ladite décision devant le tribunal administratif régional de Bursa, en application de l’article 9 § 2 de la loi no 4483. Il déplora l’insuffisance des investigations menées et le manque de motivation de la décision préfectorale à laquelle celles-ci aboutirent. Par un mémoire complémentaire du 18 mai, le conseil fit également valoir l’interdiction absolue posée par l’article 3 de la Convention.
Le 18 mai 2001, alors que cette procédure était en cours, le conseil du requérant forma également une opposition devant le président de la cour d’assises de Yalova, cette fois contre l’ordonnance de non-lieu du parquet de Bursa. Il invoqua notamment les articles 3 et 13 de la Convention.
Le 25 mai 2001, le président confirma l’ordonnance attaquée, au motif que la décision préfectorale du 8 novembre 2000, qui mettait un terme à l’instruction, était devenue définitive, le requérant ayant omis d’en demander l’annulation devant les juridictions administratives.
Cependant cette voie avait bien été exercée (paragraphe 22 ci-dessus). D’ailleurs, par un jugement du 11 juin 2002, le tribunal administratif régional de Bursa infirma la décision préfectorale et autorisa l’ouverture de poursuites contre les six gendarmes mis en cause.
Le 9 juillet 2002, compte tenu de ce jugement, le parquet de Bursa se déclara incompétent ratione loci, au motif qu’il appartenait désormais au parquet de Pendik d’introduire l’action publique (paragraphe 14 ci-dessus).
Rien dans le dossier n’indique que cette décision ait été notifiée au requérant.
L’instruction conduite par les instances de Pendik
Saisi par son homologue de Bursa relativement aux faits prétendument survenus dans les locaux de la prison de Kartal (paragraphes 12 et 14 ci-dessus), le procureur de la République de Pendik sollicita, le 20 avril 2001, le conseil administratif de ce district d’autoriser la mise en examen des gendarmes U.Ü., İ.K., M.T., U.Y. et du sergent spécialisé R.E.
Le conseil chargea le lieutenant G.T. de la gendarmerie locale d’instruire ce volet de l’affaire.
Le 17 mai 2001, le lieutenant G.T. entendit l’appelé H.A., qui déclara qu’il avait bien fallu une demi-heure pour persuader le requérant de descendre du fourgon, mais qu’aucune violence ne lui avait été infligée.
Le 25 mai suivant, l’appelé M.T. fut entendu. Il avait lui-même pris les empreintes digitales du requérant et fouillé celui-ci, sans recourir à une force quelconque. Interrogé le 29 mai, le sergent spécialisé R.E. contesta fermement les allégations du requérant et souligna qu’il ne connaissait même pas le sergent S.A. Le 8 juin 2001, l’enquêteur G.T. entendit l’appelé U.Ü. (garde du poste de contrôle), lequel déclara que le jour en question ils avaient effectivement dû forcer le requérant à descendre du fourgon et, qu’avant de l’accompagner à l’intérieur, ils avaient dû lui mettre la main sur la bouche, parce qu’il proférait des injures contre les forces armées turques ; il précisa toutefois que personne n’avait frappé l’intéressé.
Le 21 juin 2001, le lieutenant G.T. interrogea l’appelé İ.K. (garde du poste de contrôle). Celui-ci raconta que dans le bureau, le requérant s’était jeté à terre pour éviter la fouille.
Il ne ressort pas du dossier que l’appelé U.Y. ait été entendu.
Entre-temps, le 13 juin 2001, le requérant avait été examiné à l’hôpital civil de Kocaeli. D’après le rapport établi en conséquence, son tableau clinique était « bon », nonobstant des symptômes de malnutrition dus à la grève de la faim. Une semaine plus tard, l’état de santé du requérant s’était aggravé. Le 22 juin suivant, il fut réexaminé à l’Institut médicolégal d’Istanbul : il souffrait de dissymétrie, de désorientation et de nystagmus, symptômes constitutifs du syndrome de Wernicke-Korsakoff. D’après les médecins légistes, il y avait lieu de surseoir à l’exécution de la peine du requérant pour une durée renouvelable de six mois, au motif que la vie carcérale l’exposerait à un danger réel de mort.
Le 26 juin 2001, le procureur de la République de Kocaeli accorda le sursis, en application de l’article 399 du code de procédure pénale, et ordonna la libération du requérant. Deux jours plus tard, celui-ci s’installa à Istanbul, chez ses parents (Uyan c. Turquie, no 7454/04, §§ 15 et 16, 10 novembre 2005).
Le 24 juillet 2001, le lieutenant G.T. avisa le préfet de Pendik que, d’après ses investigations, il n’y avait pas lieu de poursuivre R.E., U.Ü., İ.K., M.T. et U.Y.
Par une décision du 26 juillet 2001, mise au net le 1er août suivant, le conseil administratif de Pendik entérina cet avis, convaincu qu’aucun élément tangible n’appuyait les doléances du requérant.
Il ressort du dossier qu’à l’instar de la première décision (paragraphe 22 ci-dessus), cette décision ne put être notifiée au requérant. Selon toute vraisemblance, celui-ci n’habitait plus chez ses parents (paragraphe 28 in fine ci-dessus). Les circonstances ayant marqué cet épisode permettent de présumer que ses proches entendaient le protéger de la police, craignant que les instances judiciaires ne reviennent sur leur décision de surseoir à l’exécution de sa peine pour raisons de santé (Uyan, précité, §§ 17-31).
La Cour ne dispose pas d’autres documents relatifs à cette procédure. Toutefois, tout comme la procédure qui s’est déroulée à Bursa (paragraphe 21 ci-dessus), elle a forcément abouti à une ordonnance de non-lieu délivrée par le parquet de Pendik.
D. L’action pénale engagée contre les appelés M.A., G.A., H.B., M.B., M.Y. et le sergent S.A.
Le 13 décembre 2002, le parquet de Pendik mit M.A., G.A., H.B., M.B., M.Y. et le sergent S.A. en accusation devant le tribunal correctionnel pour coups et blessures infligés dans l’exercice de leurs fonctions, au sens de l’article 245 § 1 du code pénal.
La partie requérante omit de se constituer partie intervenante à ce procès.
Un juge assesseur entendit M.Y. le 4 mars 2003, puis le sergent S.A., le 20 mars suivant. Ce dernier contesta à nouveau les accusations de mauvais traitements portées à son encontre.
A l’audience du 9 mai 2003, le sergent S.A. présenta sa défense. Ses déclarations, notamment sur ce qui se passa à l’hôpital expérimental de Kartal, se résument ainsi :
« (...) alors que le médecin voulait examiner le prévenu [le requérant], celui-ci s’est opposé à tout traitement ; le médecin lui a alors demandé de confirmer sa position par écrit ; aussi, il a commencé à écrire une phrase comme quoi il aurait été victime d’une oppression fasciste ; je lui ai alors pris le stylo des mains (...) ; sur ce, le médecin a lui-même apposé une note expliquant que le patient s’était opposé au traitement ; ensuite, on a signé cette note (...) ».
G.A., M.A. et H.B. comparurent devant les juges du fond le 20 novembre 2003, le 19 janvier 2004 et le 1er mars 2005.
A l’audience suivante du 2 juin 2005, le greffe n’avait pas encore été en mesure d’assigner M.B. à comparaître.
Par un jugement du 23 mars 2006, le tribunal correctionnel de Pendik acquitta les six prévenus.
Renvoyant au rapport médical du 6 juin 2000, délivré par le médecin pénitentiaire de Bursa (paragraphe 10 ci-dessus), les juges conclurent qu’en l’absence d’une quelconque preuve concluante, les allégations du requérant étaient dénuées de fondement ; en particulier, rien ne permettait d’attribuer la blessure d’un cm observée sur le visage de l’intéressé aux gendarmes présents dans le fourgon.
Ce jugement, notifié au requérant le 17 janvier 2007, passa en force de chose jugée faute de pourvoi, le requérant n’étant pas habilité à utiliser cette voie, réservée aux seules parties intervenantes.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
La Cour se réfère à l’aperçu du droit interne livré, entre autres, dans l’arrêt Batı et autres c. Turquie (nos 33097/96 et 57834/00, §§ 96100, CEDH 2004IV). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1940 et réside à Istanbul. Il est le père de Fatih Aydın (« F. Aydın », « le fils du requérant ») qui s’est suicidé alors qu’il effectuait son service militaire obligatoire.
Après avoir commencé son service militaire le 25 mai 2000 dans la marine, F. Aydın fut affecté le 9 juillet 2000 comme caporal sur un bateau de la base navale d’Aksaz, à Marmaris.
Le 2 avril 2001, une altercation eut lieu entre le fils du requérant et un appelé, au cours de laquelle le premier fractura le nez de son camarade. Le 4 juin 2001, il fut mis en accusation pour coups et blessures volontaires.
Le 5 juin 2001, il revint d’une permission.
Le 6 août 2001, le tribunal militaire ordonna l’extinction de l’action pénale ouverte contre F. Aydın à la suite du retrait de la plainte par la victime. Il ne ressort pas du dossier que l’intéressé ait été informé de cette décision avant son décès.
Le 10 août 2001, sur sa demande, le fils du requérant fut transféré à l’hôpital militaire d’Aksaz, où le médecin recommanda son transfert au service de psychiatrie de l’hôpital public de Muğla, ce qui fut fait le 14 août 2001. A cette date, il fut examiné par un psychiatre qui établit que F. Aydın était asocial et qu’il souffrait de troubles de l’anxiété. Le médecin recommanda son transfert à l’hôpital militaire d’İzmir.
Le 16 août 2001, le fils du requérant subit un examen psychiatrique à l’hôpital militaire d’İzmir. Le psychiatre releva que F. Aydın souffrait de troubles de l’anxiété. Il estima que son état ne nécessitait pas d’intervention ou de traitement et recommanda une nouvelle visite quinze jours plus tard.
Le 26 août 2001 vers 19 h 50, alors que le bateau sur lequel il était affecté était à l’amarrage, le fils du requérant se blessa grièvement en s’immolant pas le feu.
Pour cela, il avait fracturé la serrure de l’armoire où été entreposé le bidon de fuel pour les lampes à pétrole, s’était aspergé de ce liquide et immolé sur le pont du bateau. Puis il s’était jeté à l’eau où il avait été secouru pour être transféré à l’hôpital militaire d’Aksaz. Il fut ensuite transporté par avion à l’hôpital militaire d’Ankara.
Enquête pénale
Le 28 août 2001, le parquet militaire ouvrit d’office une enquête. Le procureur militaire se rendit sur le bateau pour procéder à une reconnaissance des lieux et entendit le commandant du bateau, l’officier Ali Haydar Uçan, son second, l’officier Resul Öztürk, les sous-officiers Tanju Dolar et Ercan Bostancı, ainsi que les appelés Ahmet Cebeci, Osman Altaş, Mustafa Nural, Fikret Özgür, Seyfettin Şahin, Davut Sonsuz et Şahin Doğu.
Les officiers Ali Haydar Uçan et Resul Öztürk déclarèrent qu’ils n’étaient pas à bord lors de l’incident. Ils firent état d’actes d’indiscipline et de négligences du fils du requérant dans l’accomplissement de ses tâches et précisèrent avoir l’averti à plusieurs reprises à cet égard. Ils rapportèrent également que, lors de leurs rencontres, l’intéressé avait expliqué qu’il s’ennuyait à l’armée et qu’il avait hâte de terminer son service militaire. Le commandant et son second firent état des difficultés relationnelles et de l’insociabilité de F. Aydın, accentuées depuis son retour de permission. Selon eux, c’est après ce retour que l’intéressé avait fait part de ses problèmes psychologiques et demandé son transfert vers un établissement hospitalier sans vouloir donner d’explication. Bien que son état ne laissât apparaître aucun problème psychologique nécessitant son hospitalisation, ils avaient ordonné son transfert à l’hôpital. Ils ajoutèrent que le fils du requérant n’était pas enclin au suicide et qu’ils n’avaient pas relevé chez lui de problème psychologique apparent. Enfin, ils précisèrent que F. Aydın n’avait jamais été victime de traitements dégradants de la part de ses camarades. Pour l’officier Resul Öztürk, le fils du requérant avait des problèmes de famille mais refusait d’en parler, et avait pu agir de la sorte afin d’obtenir un congé pour convalescence sans prévoir les conséquences de son acte.
Les sous-officiers Tanju Dolar et Ercan Bostancı témoignèrent que F. Aydın avait des relations difficiles et conflictuelles avec ses amis, qu’il était par moment agressif et qu’il manquait de discipline. Ils avaient entendu dire qu’il avait des problèmes de famille et des problèmes financiers. Ils ajoutèrent n’avoir relevé chez lui aucun signe avant-coureur de suicide. L’officier Tanju Dolar précisa avoir vu le fils du requérant peu avant l’incident et n’avoir rien relevé d’anormal chez lui. Pour le sous-officier Ercan Bostancı, F. Aydın avait pu agir de la sorte pour obtenir un congé pour convalescence. Ils affirmèrent tous deux que l’intéressé n’avait pas été victime de mauvais traitements de la part de ses supérieurs ou de ses camarades.
Les appelés Ahmet Cebeci, Osman Altıntaş, Mustafa Nural, Fikret Özgür, Seyfettin Şahin, Davut Sonsuz et Şahin Doğu firent état d’actes d’indiscipline de la part du fils du requérant et de difficultés relationnelles avec ses camarades. Ils le décrivirent comme replié sur lui-même et asocial. Ils soulignèrent que, depuis son retour de permission, F. Aydın exprimait de façon insistante son souhait de repartir en permission et que, comme il ne lui restait plus de jour de permission à prendre, il cherchait à obtenir un congé pour convalescence. Ils indiquèrent que F. Aydın n’avait pas de problème psychologique apparent, qu’il n’était pas enclin au suicide et qu’ils n’avaient relevé chez lui aucun signe avant-coureur d’un tel acte. Davut Sonsuz précisa que le fils du requérant avait hâte d’écourter la durée de son service militaire au moyen d’un congé pour convalescence. Les appelés ajoutèrent ne l’avoir jamais vu être victime de mauvais traitements de la part de ses supérieurs ou des ses camarades. Ils précisèrent que ses commandants avaient toujours fait preuve d’une attitude constructive à son égard, qu’ils se préoccupaient de ses problèmes et qu’ils lui avaient même apporté leur soutien financier.
Le 29 août 2001, le requérant s’adressa au parquet militaire pour demander l’audition de son fils hospitalisé à l’hôpital militaire d’Ankara. Il expliqua que lors de son entretien avec son fils à l’hôpital, celui-ci avait déclaré avoir été frappé par son commandant, ce qui l’avait mis dans un état de dépression psychologique et l’avait conduit à s’immoler par le feu.
Le même jour, le procureur militaire se rendit à l’hôpital militaire pour entendre F. Aydın. Celui-ci déclara que le jour de l’incident, vers 18 heures, il s’était disputé avec son camarade Şahin Doğu au sujet d’une garde. Lors de cette dispute, le sous-officier Tanju Dolar serait arrivé sur les lieux et, sans chercher à connaître la cause de la dispute, il aurait commencé à lui donner des coups de pied et des gifles. Il ajouta qu’il était souvent frappé et insulté par ses supérieurs, les sous-officiers Fehmi Keben, Süleyman Çavuş et Tanju Dolar, et qu’il avait été affecté par ces traitements. Il aurait avisé l’officier Resul Öztürk de cette situation, lequel n’aurait pas réagi. Il expliqua que la pression exercée par les sous-officiers en question l’avait conduit au bord de la dépression, qu’il avait perdu tout contrôle de lui-même après avoir été battu injustement par le sous-officier Tanju Dolar et qu’il avait même envisagé de déserter. C’est en raison de l’état psychique dans lequel il se trouvait qu’il s’était aspergé de fuel au niveau du cou et immolé. Il précisa que ses camarades Davut Sonsuz, Muhammer Harmancı, Şahin Doğu, Dinçer Kalaycı, Özcan Kılıç et Barış Özzehir avaient été témoins des pressions exercées par les sous-officiers en question.
Le 1er septembre 2001, F. Aydın décéda à l’hôpital militaire des suites de ses blessures. Un examen externe du corps fut pratiqué le même jour. Les médecins légistes constatèrent que 91,5 % du corps étaient brûlés au troisième degré et établirent la cause du décès comme étant l’arrêt du cœur et de la circulation sanguine lié à des dysfonctionnements métaboliques provoqués par les brûlures. La cause du décès étant définie avec certitude, ils estimèrent qu’il n’y avait pas lieu de procéder à une autopsie classique.
Le 4 septembre 2001, à la lumière des déclarations faites par le fils du requérant, le procureur militaire recueillit les déclarations de ses camarades ainsi que des sous-officiers mis en cause par lui.
Les appelés Dinçer Kalaycı, Barış Özzehir, Özcan Kılıç et Muhammer Harmancı déclarèrent n’avoir pas été témoins de l’altercation qui avait eu lieu le jour de l’incident entre le fils du requérant et l’appelé Şahin Doğu. Ils précisèrent n’avoir jamais vu les sous-officiers mis en cause infliger des mauvais traitements à l’intéressé.
L’appelé Davut Sonsuz expliqua que le jour de l’incident, alors qu’ils se trouvaient dans la salle des appelés, un simple accrochage verbal avait eu lieu entre F. Aydın et l’appelé Şahin Doğu au sujet d’une garde. Il affirma que le sous-officier Tanju Dolar n’avait pas été informé de cette altercation et n’était pas intervenu lors de cette dispute. Il ajouta que F. Aydın n’avait jamais été l’objet de mauvais traitements ou d’insultes de la part de ses supérieurs ou de ses camarades.
L’appelé Şahin Doğu déclara que le jour de l’incident il s’était disputé avec le fils du requérant au sujet d’une garde. L’appelé Davut Sonsuz présent sur place aurait empêché que l’affrontement dégénère. Le sous-officier Tanju Dolar serait arrivé au cours de la dispute, aurait ordonné aux protagonistes de ne pas crier et les aurait interrogés sur la cause de leur dispute avant de les réconcilier. Il ajouta qu’il n’avait jamais été témoin de mauvais traitements sur la personne de F. Aydın de la part de ses supérieurs.
Le sous-officier Fehmi Keben déclara avoir averti le fils du requérant à plusieurs reprises pour des actes d’indiscipline et en avoir informé le second du commandant du bateau. Il indiqua que l’intéressé était asocial et renfermé sur lui-même, qu’il avait des difficultés d’adaptation, qu’il manifestait des comportements instables et incohérents et qu’il était connu parmi ses camarades pour être bagarreur et nerveux. Il ajouta que les derniers temps l’intéressé sollicitait des permissions alors qu’il avait épuisé le nombre de jours réglementaire et qu’il demandait à être transféré au dispensaire. Pour le sous-officier, F. Aydın avait commis cet acte pour obtenir un congé pour convalescence et que les conséquences avaient excédé le but recherché. Enfin, il précisa n’avoir jamais vu les sous-officiers Tanju Dolar ou Süleyman Çavus insulter ou frapper le fils du requérant. De même, il n’avait jamais vu ou entendu ses camarades lui infliger des mauvais traitements.
Le sous-officier Süleyman Çavuş déclara que F. Aydın était asocial, bagarreur et agressif, qu’il avait des difficultés relationnelles avec ses camarades et qu’il négligeait ses devoirs. Il expliqua l’avoir averti à plusieurs reprises en raison de ses actes d’indiscipline et en avoir informé le second du commandant du bateau. Il ajouta que F. Aydın avait des comportements instables et étranges, comportements qu’il attribuait au fait qu’il n’aimait pas le service militaire et qu’il éprouvait des difficultés d’adaptation. Il assura n’avoir pas relevé chez lui de problème psychologique particulier. Il précisa que de retour de permission le fils du requérant s’était montré davantage replié sur lui-même et qu’il demandait souvent son transfert au dispensaire. Un jour, alors qu’il se trouvait en compagnie du commandant, l’intéressé avait déclaré : « Je veux aller au dispensaire, j’ai des problèmes psychologiques. » Interrogé par le commandant, il aurait déclaré : « Je ne veux pas accomplir de fonction sur ce bateau. » Il précisa que l’intéressé n’était pas enclin au suicide. D’après Süleyman Çavuş, F. Aydın avait pu tenter de se blesser légèrement avant sa deuxième visite à l’hôpital militaire d’İzmir pour influencer le psychiatre. Il ajouta que ni lui ni les autres supérieurs n’avaient jamais frappé ou insulté l’intéressé.
Le sous-officier Tanju Dolar donna des explications au sujet de la dispute qui avait eu lieu le jour de l’incident entre le fils du requérant et un appelé. Il déclara qu’il avait entendu des voix en provenance de la salle des appelés et qu’il s’y était rendu. Là il aurait vu que Şahin Doğu était assis et que le F. Aydın était débout et énervé, et qu’ils se disputaient à voix haute. Il les aurait interrogés sur la cause de la dispute et aurait appris qu’il s’agissait d’une question de garde. Il avait alors expliqué aux deux soldats qu’ils ne pouvaient pas résoudre le problème de cette manière et qu’ils devaient en informer le commandant compétent à son retour. Puis il aurait réconcilié les protagonistes. Il affirma n’avoir jamais insulté ou frappé le fils du requérant, ni lors de cet incident ni avant. Il précisa n’avoir jamais été sanctionné pour des faits semblables au cours de ses neuf années de carrière. Enfin, il affirma que, exerçant sur le même bateau avec les sous-officiers Fehmi Keben et Süleyman Çavuş depuis deux ans, il ne les avait jamais vus insulter ou maltraiter un soldat.
Le 11 septembre 2001, le requérant déposa une plainte auprès du procureur militaire. Il réitéra que son fils avait été battu par son supérieur et poussé à la dépression psychologique. Il soutint en outre que quinze à vingt jours avant cet incident, une personne l’avait appelé au téléphone et s’était présentée comme le commandant de son fils. Elle aurait déclaré : « Vous n’avez pas appris le respect à votre fils, nous le lui apprendrons. » Le requérant indiqua que, lors de leurs conversations téléphoniques, son fils s’était plaint que son commandant sous-officier le harcelait et lui infligeait des traitements qu’on pouvait considérer comme de la torture. Après son examen psychiatrique à l’hôpital militaire d’İzmir, son fils l’avait informé par téléphone qu’il n’avait reçu aucun traitement ni lors de son examen ni après son retour à bord du bateau. Le requérant affirma que son fils avait été victime d’une dépression à la suite des traitements infligés par son commandant sous-officier et des négligences des autorités.
Le 18 septembre 2001, le procureur militaire rendit une ordonnance de non-lieu au motif qu’il n’y avait pas de faute ou de négligence imputable à l’armée dans la survenance de l’incident.
Il releva que le 10 août 2001 le fils du requérant avait fait part de ses problèmes psychologiques à ses supérieurs, et qu’il avait été transféré à l’hôpital militaire d’Aksaz, puis à l’hôpital public de Muğla et enfin à l’hôpital militaire d’İzmir, où le psychiatre avait diagnostiqué des troubles de l’anxiété et prescrit une visite médicale quinze jours plus tard. F. Aydın avait ensuite rejoint le bateau.
Le procureur militaire releva que, selon les déclarations des militaires auditionnés dans le cadre de l’enquête, le fils du requérant était calme, renfermé sur lui-même et isolé. Depuis son retour de permission, le 5 juin 2001, son insociabilité et ses comportements violents avaient augmenté ; il exprimait sans cesse qu’il s’ennuyait à bord du bateau et présentait des demandes de transfert à l’hôpital. Toutefois, il n’avait pas été observé chez lui de comportements relatifs à un trouble psychologique de nature à exiger un traitement. Après l’épuisement de ses jours de permission, il avait tenu des propos visant à l’obtention d’un congé pour convalescence ; la demande de transfert de F. Aydın avait été interprétée dans ce sens par ses camarades et n’avait pas été considérée comme sérieuse. D’ailleurs, bien que sa demande eût été acceptée dans un souci de prévention, aucun trouble psychologique nécessitant un congé pour convalescence n’avait été décelé à l’hôpital. En outre, aucun mauvais traitement ou traitement inhumain envers le fils du requérant n’avait été constaté et, malgré l’indifférence de l’intéressé vis-à-vis de ses tâches et ses comportements indisciplinés, ses supérieurs avaient toujours fait preuve d’une approche constructive à son égard.
A la lumière des éléments recueillis sur les lieux de l’incident, des déclarations des témoins et de l’ensemble des éléments présents dans le dossier, le procureur militaire conclut que le fils du requérant avait agi de la sorte pour obtenir un congé pour convalescence. Il considéra qu’il y avait lieu d’analyser son geste comme un acte ayant excédé l’intention initiale et dont les conséquences n’avaient pas été dûment évaluées parce que l’intéressé avait pu omettre la possibilité d’inflammabilité rapide des uniformes synthétiques. Il estima infondées les allégations présentées par le requérant dans sa requête du 11 septembre 2001, selon lesquelles son fils avait subi des mauvais traitements de la part d’un sous-officier dont le nom n’est pas connu.
Le 24 janvier 2002, le tribunal militaire écarta l’opposition formée par le requérant contre cette ordonnance.
Enquête administrative
Le 26 août 2001, immédiatement après l’incident, une commission d’enquête administrative (« la commission »), composée d’officiers et de sous-officiers, fut chargée d’instruire l’affaire. Le même jour, elle procéda à l’audition de deux sergents et de huit soldats, témoins oculaires, qui déclarèrent avoir vu le fils du requérant couvert de flammes courir sur le pont avant de se jeter à l’eau.
Le 3 septembre 2001, la commission rendit son rapport dans lequel elle conclut qu’il n’y avait pas de faute ou de négligence imputable au personnel dans la survenance de l’incident et qu’elle n’avait relevé aucun manquement au devoir de contrôle et de surveillance.
Elle observa que F. Aydın avait bénéficié d’une formation d’intégration lors de son arrivée sur le bateau et de formations sur la sécurité à bord et la prévention des accidents.
Elle releva également que le fils du requérant craignait une prolongation de son service militaire en raison de la procédure pénale diligentée à son encontre. Elle estima que, en raison de son état psychologique, il avait tenté, en se brûlant sciemment, d’obtenir un congé pour convalescence afin d’écourter son service militaire. Pour parvenir à ce constat, la commission se fonda sur le journal intime de F. Aydın et sur les déclarations de ses camarades Emre Bakır, Şahin Doğu et Davut Sonsuz.
En effet, Emre Bakır avait déclaré que le fils du requérant était inquiet à l’idée de voir son service militaire se prolonger et que son état psychologique avait changé depuis son retour de permission. Pour lui, F. Aydın pouvait avoir des problèmes familiaux et il avait pu tenter de se blesser légèrement pour écourter son service militaire. Şahin Doğu avait expliqué que l’intéressé avait planifié un congé pour convalescence en se blessant légèrement dans le but d’écourter son service militaire. Enfin, Davut Sonsuz avait déclaré que F. Aydın était très nerveux depuis son retour de permission et qu’il s’était exprimé ainsi : « Que je prenne quatre-vingt-dix jours de hava değişimi (changement d’air) à l’hôpital d’İzmir et que je termine le service militaire. » Il aurait ajouté qu’il déserterait s’il était condamné à l’issue de la procédure pénale menée à son encontre.
Quant au journal intime de F. Aydın, dont certains passages sont illisibles, il ne mentionne pas de pression ou mauvais traitements exercés contre lui. Aucune allusion au suicide n’y est faite. L’intéressé y exprime sa lassitude et son envie de terminer au plus vite son service militaire.
Le gouvernement turc produisit une enquête de dépistage de problèmes concernant le fils du requérant. Selon cette enquête – réalisée à une date non connue – par une psychologue consultante, l’adaptation du fils du requérant à l’armée et son attitude vis-à-vis de ses supérieurs sont considérées comme normales. Quant à ses relations avec les autres appelés, elles sont estimées normales sur les quatre premières périodes et mauvaises sur la dernière période. Parmi les éléments de la personnalité de F. Aydın à prendre en considération par ses supérieurs, la psychologue mentionne qu’il est instable, coléreux/querelleur et pensif.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
L’article 17 de la loi no 211 sr le fonctionnement interne des forces armées trqes dispose :
« Le spérier hiérarchiqe se doit d’inspirer à ses sbornés le respect et la confiance. Il doit en permanence srveiller et protéger ler état moral, physiqe et psychiqe (...) »
Lue avec, notamment, l’article 13 d règlement portant application de la loi no 211, cette disposition exige que la sitation personnelle, l’aptitde et l’état de santé des appelés soient srveillés de près par les officiers responsables de ler bien-être et c de l’accomplissement de lers obligations sos les drapeax dans les meilleres conditions. L’objet et l’étende des devoirs incombant à ce titre ax spériers hiérarchiqes varient selon les circonstances dans lesquelles pareils devoirs s’imposent. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant, né en 1976, est actuellement détenu à la maison d’arrêt de type F de Tekirdağ.
A. Arrestation et garde à vue du requérant
Le 21 janvier 2001, le requérant fut placé en garde à vue à la suite d’une opération menée contre l’organisation illégale du TİKB (Türkiye İhtilalcı Komünistler Birliği). Le procès-verbal d’arrestation établi le même jour par la police et signé par l’intéressé indique que, lors de son arrestation, celui-ci avait scandé des slogans tels que « Police assassine – Police tortionnaire – Elle me place en garde à vue – Police fasciste » (« Katil polis, İşkençeci polis, beni gözaltına alıyor, Faşist polis »). Comme il aurait opposé une résistance physique aux policiers qui voulaient l’interpeller, ils seraient tombés ensemble par terre et d’autres policiers seraient venus prêter main-forte à leurs collègues. Le procès-verbal mentionne également que le requérant présentait des égratignures à différents endroits du corps.
Un rapport médical daté du même jour fait état chez l’intéressé d’une hyperémie et d’un œdème sur la cheville et le talon droit, d’écorchures ecchymotiques sur le bras droit, d’égratignures au niveau scapulaire gauche et d’une ecchymose de 3 centimètres, de couleur jaunâtre et verdâtre, sur la partie supérieure du sternum. Le médecin demanda un examen complémentaire du pied droit par un orthopédiste.
L’orthopédiste qui examina le requérant par la suite (à une date non précisée) indiqua dans son rapport que le pied droit était enflé sans que les mouvements de la cheville en fussent restreints, qu’une douleur apparaissait lorsqu’on appliquait une pression mais qu’aucun déficit vasculaire ou osseux n’avait été relevé.
Le rapport médical établi le 25 janvier 2001 indique que le requérant ne présentait aucune trace de lésion.
Le rapport médical daté du 27 janvier 2001 indique que l’intéressé ne présentait aucune trace de lésion ni aucune anomalie à l’abdomen et au thorax.
B. Mise en détention du requérant à la maison d’arrêt de Kartal
Le 27 janvier 2001, le juge près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul ordonna le placement en détention du requérant à la maison d’arrêt de Kartal. Celui-ci entama une grève de la faim.
Le registre médical du 28 janvier 2001 signale que le requérant présentait des séquelles sous les aisselles (le reste de la copie du registre étant illisible).
Le rapport médical du 9 février 2001, établi par l’Union des ordres de médecins, note que l’intéressé avait déclaré qu’il poursuivait une grève de la faim à la maison d’arrêt de Kartal ; qu’en 1997 et 1998 il avait subi un traumatisme crânien lors de sa garde à vue ; qu’à son entrée à la maison d’arrêt en 2001 il avait été frappé, que les poils sous ses aisselles avaient été brûlés et qu’il avait subi une tentative de viol par matraque. Le rapport médical indiqua qu’il avait sous l’aisselle droite une blessure de 1,5 centimètre sur 2, sous l’aisselle gauche une blessure de 2 centimètres sur 3 ; une égratignure de 1 centimètre sur 4 à l’intérieur du genou gauche ainsi que deux égratignures sur l’extérieur du genou gauche de 0,5 centimètre sur 1 et d’un centimètre sur 2 ; sur le genou droit une blessure ancienne de 2 centimètres sur 6.
Le rapport médical du 16 février 2001 indique que l’intéressé faisait une grève de la faim depuis vingt-trois jours et qu’il souffrait de nausées et de vertiges. Il mentionne également une blessure de 1,5 centimètre sur 2 sous l’aisselle droite ; une autre de 2 centimètres sur 3 sous l’aisselle gauche ; une lésion de 1 centimètre sur 4 sur l’intérieur du genou droit, et deux éraflures de 0,5 centimètre sur 1 et de 1 centimètre sur 2 ainsi qu’une ancienne éraflure de 2 centimètres sur 6 sur l’extérieur du même genou.
C. Enquête pénale au sujet des allégations de mauvais traitements
L’enquête pénale sur demande du ministre de la Justice
Le 12 mars 2001, à la suite de la parution d’un article intitulé « Les détenus sont sous pression » (« Tutuklular baskı altında ») dans le quotidien Yeni Şafak, le ministre de la Justice ordonna au parquet de Kartal de mener une enquête au sujet des allégations de mauvais traitements subis par le requérant.
Le 21 mars 2001, celui-ci fut transféré à la maison d’arrêt de type F de Tekirdağ.
Le même jour, le parquet de Kartal se déclara incompétent ratione loci au profit du parquet de Pendik pour ce qui concernait les allégations de mauvais traitements subis le 27 janvier 2001.
Le 12 avril 2001, le parquet de Pendik entendit le requérant. Celui-ci déclara que les gendarmes l’avaient soumis à la falaka et lui avaient brûlé les poils sous les aisselles, et qu’il avait été soigné à l’infirmerie de la maison d’arrêt. Il déclara porter plainte contre les gendarmes auteurs de ces faits.
Le 10 mai 2001, le parquet de Pendik demanda à la sous-préfecture de Pendik l’autorisation d’entendre les gendarmes Ö.D., Y.Y. et E.C.
Le 8 juin 2001, en vertu de la loi no 4483, le comité administratif de la sous-préfecture de Pendik décida de ne pas engager de poursuites à l’encontre des trois gendarmes mis en cause pour les mauvais traitements que le requérant alléguait avoir subis à la maison d’arrêt de Kartal. Se fondant sur l’enquête conduite par le gendarme Ü.İ., le comité déclara notamment que la maison d’arrêt avait été visitée, que le registre des entrées et sorties des détenus avait été consulté et que les détenus faisaient l’objet de fouilles de routine. Dans leurs dépositions, les gendarmes mis en cause assuraient que les détenus ne faisaient pas l’objet d’aucun mauvais traitement ou torture ni d’aucune agression verbale ou physique, que les fouilles étaient effectuées dans le respect de la loi et des règlements et qu’aucun élément de preuve ne venait étayer les allégations du requérant.
Le 15 janvier 2002, la cour administrative régionale confirma la décision du comité administratif de la sous-préfecture de Pendik.
Le 26 mars 2002, le parquet de Pendik rendit une ordonnance de non-lieu concernant la plainte du requérant pour mauvais traitements déposée contre les gendarmes, au motif qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes et convaincantes.
Le 20 mai 2002, le requérant fit opposition à l’ordonnance de non-lieu devant la cour d’assises de Kadıköy.
Le 27 juin 2002, la cour d’assises de Kadıköy confirma l’ordonnance de non-lieu attaquée et ordonna la notification de la décision au requérant. Il ne ressort pas du dossier que celle-ci ait été notifiée à l’intéressé.
L’enquête pénale sur plainte des parents du requérant
Le 5 juillet 2001, les parents du requérant portèrent plainte pour mauvais traitements contre les policiers responsables de la garde à vue de leur fils et contre les gendarmes en fonction à la maison d’arrêt de Kartal le 27 janvier 2001.
Le 25 juillet 2001, le parquet de Kartal se déclara incompétent ratione loci au profit du parquet de Pendik pour ce qui concernait la plainte contre les gendarmes.
Le 20 avril 2002, le requérant fut entendu par le parquet. Il réitéra ses allégations.
Le 17 juin 2002, à la suite d’une demande émanant du parquet de Pendik, le commandement général de la gendarmerie transmit le nom de deux gendarmes, auteurs présumés des mauvais traitements qui auraient été infligés au requérant à la maison d’arrêt.
Le premier gendarme, A.A., était en congé annuel au moment des faits. Le second gendarme, M.A., fut entendu le 21 août 2002 par le parquet de Konya. Il déclara qu’à l’époque concernée il était gendarme appelé à la maison d’arrêt de Kartal et qu’il procédait, avec deux autres gendarmes, Y.Y. et Ö.D., sous la direction de S.T., à la fouille des détenus transférés. Il exposa que le requérant avait refusé d’être fouillé. Sur l’ordre de S.T., deux gendarmes l’auraient alors tenu par les bras et un autre l’aurait fouillé. Ni lui-même ni les autres gendarmes n’auraient utilisé la force et personne n’aurait fait subir de mauvais traitements à l’intéressé.
Le 28 novembre 2002, le parquet d’Eceabat entendit le gendarme Ö.D. Celui-ci déclara que, le 27 janvier 2001, il était gendarme appelé à la maison d’arrêt et qu’il n’avait infligé aucun mauvais traitement au requérant.
Le 17 avril 2003, le parquet d’Istanbul entendit le gendarme Y.Ü., qui déclara n’avoir pas été, à l’époque des faits litigieux, préposé à la fouille des détenus entrants et sortants. Il nia les faits reprochés et protesta de son innocence.
Le 13 janvier 2004, le parquet de Çumra entendit le gendarme Y.Y. Celui-ci déclara lui aussi que, le 27 janvier 2001, il était gendarme appelé à la maison d’arrêt de Kartal et qu’il n’avait infligé aucun mauvais traitement au requérant.
Le 15 janvier 2004, à la lumière des rapports médicaux des 21, 25 et 27 janvier 2001 et des déclarations du requérant, le médecin légiste près l’ordre des médecins d’Istanbul conclut que les traces de lésions mentionnées dans les rapports médicaux dataient soit de l’arrestation de l’intéressé soit de sa détention à la maison d’arrêt.
Le 5 août 2004, le parquet de Pendik rendit une ordonnance de non-lieu pour absence de preuve à charge concernant les prétendus mauvais traitements subis par le requérant.
Le dossier de l’affaire ne contient pas d’information au sujet d’une éventuelle opposition par les parents du requérant à cette ordonnance de non-lieu devant la cour d’assises compétente.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans l’arrêt Batı et autres c. Turquie (nos 33097/96 et 57834/00, §§ 95100, CEDH 2004IV). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1965 et réside à Istanbul.
Le 11 octobre 2002, le requérant, alors président du syndicat Deri-İş du secteur du cuir de Tuzla, participa à une manifestation pour soutenir des personnes qui avaient été licenciées. Il fut placé en garde à vue par le commandement de la gendarmerie de Tuzla.
Le rapport médical du 11 octobre 2002 à 19 h 55, établi juste après son arrestation, indique que le requérant présentait un état de santé moyen et qu’il déclarait souffrir de maux de tête ainsi que d’un traumatisme y relatif. Le médecin demanda son transfert à l’hôpital de Kartal.
Le 11 octobre 2002, après le placement en garde à vue du requérant, ce dernier et six autres personnes furent conduits au dispensaire d’Orhanlı. Le rapport médical collectif ainsi établi, dont l’heure n’est pas précisée, indique que le requérant, après avoir été placé en garde à vue, s’était jeté à terre pour se causer des blessures. Il présentait notamment une lésion au coude droit, une ecchymose sur l’intérieur du bras droit ainsi qu’une hyperémie sur l’épaule droite et une autre sur l’intérieur de la jambe droite.
Le 12 octobre 2002 à 7 heures, le requérant et sept autres personnes furent conduits au dispensaire de Tuzla. Le rapport médical collectif indique que le requérant présentait sur le bras droit, à hauteur des épaules, une ecchymose de 20 cm et une hyperémie à hauteur des poignets (le reste du rapport est illisible). Il fut mis en liberté le même jour.
Le 15 octobre 2002, le requérant fut examiné par le centre de santé de Güzelbahçe. Le rapport médical indique que l’intéressé présentait un traumatisme récent sur le visage, en particulier sur l’os du nez, ainsi que sur le poignet droit et sur le majeur de la main droite.
Le 26 décembre 2002, à la demande du requérant et à la suite de ses allégations de mauvais traitements, celui-ci fut examiné par la Fondation des droits de l’homme de Turquie (Türkiye İnsan Hakları Vakfı). Le rapport médical indique que le requérant présentait une ecchymose de 3 x 3 cm de couleur jaune verdâtre sur l’intérieur du bras droit ; une plaie croûtée de 1 x 1 cm sur le coude droit ; un gonflement du majeur de la main droite ; une ecchymose de 3 x 4 cm de couleur jaune mauve sur l’intérieur du bras droit ; une ecchymose de 2 x 2 cm de couleur mauve sous l’œil gauche ; une lésion de 2 x 2 cm sur le cuir chevelu et une hyperémie sur l’œil gauche.
A une date non précisée, le requérant déposa une plainte pénale contre les gendarmes Halil İbrahim Akpınar, Murat Çoşkun et Kenan Çatalçam, lesquels lui auraient infligé des mauvais traitements lors de la garde à vue.
Le 3 décembre 2002, le parquet de Tuzla rendit une ordonnance de non-lieu. Il indiqua que le requérant avait participé à une manifestation non autorisée, organisée dans la zone industrielle du cuir de Tuzla ; ayant refusé de se disperser, les gendarmes avaient placé en garde à vue, en utilisant la force, le requérant et sept autres personnes ; ces derniers avaient scandé des slogans à leur arrivée dans les locaux de la gendarmerie ; le requérant avait résisté pour ne pas être placé en cellule puis, une fois en cellule, il s’était jeté à terre pour se causer des blessures et avait arrêté ce comportement dès qu’il avait commencé à être filmé.
Le requérant contesta cette ordonnance devant le président de la cour d’assises de Kadıköy. Il précisa notamment qu’à la suite des mauvais traitements qu’il avait subis, il s’était évanoui ; l’avocat Cafer Şahinkaya, qui en avait été témoin, n’a pas été auditionné.
Par un arrêt du 28 janvier 2003, notifié au requérant le 18 février 2003, le président de la cour d’assises confirma l’ordonnance attaquée.
Par un jugement du 4 novembre 2003, le tribunal correctionnel d’Istanbul acquitta le requérant pour avoir participé à une manifestation non autorisée et résistance à la police.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A l’époque des faits, l’ancien code pénal érigeait en infraction le fait pour un agent public de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements). Les obligations incombant aux autorités quant à la conduite d’une enquête préliminaire au sujet de faits et omissions susceptibles de constituer pareilles infractions sont régies par les articles 151 à 153 de l’ancien code de procédure pénale. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante, née en 1981, réside à Istanbul.
D’après la version officielle, le 7 novembre 1995, vers 15 heures, trois policiers en civil, patrouillant aux alentours du lycée de Barbaros (Bağcılar), à savoir R.Ç., M.Y. et İ.K., aperçurent sept ou huit jeunes suspendre sur les grilles de l’école une bannière au nom de Devrimci Öğrenci Birliği (Union révolutionnaire des étudiants). Ils les exhortèrent, en vain, à cesser la manifestation ; ils se virent menacer par des barres de fer et des bâtons que certains protagonistes brandirent.
Sur ce, les policiers tirèrent d’abord en l’air, en guise d’avertissement. Les manifestants se dispersèrent dans les ruelles, poursuivis par les policiers qui continuaient à les sommer par le feu. C’est alors, dans la ruelle no 1/15, que R.Ç. découvrit la requérante blessée en dessous du genou par une balle perdue.
La requérante précise s’être retrouvée sur les lieux de l’incident par hasard.
Le policier R.Ç. la transporta immédiatement à l’hôpital civil de Bağcılar, où l’on décela des fractures multiples au niveau de l’impact ; une intervention chirurgicale s’imposa pour extraire la balle.
Le lendemain, la requérante fut confiée à sa famille.
Toujours le 8 novembre 1995, des expertises balistiques furent pratiquées sur l’arme de fonction de R.Ç. Celui-ci fut identifié comme étant l’auteur du tir litigieux.
Le 9 novembre suivant, la requérante fut prise en charge au centre de soins de Validebağ ; elle y resta jusqu’au 30 novembre, date à laquelle le conseil des médecins du centre prescrivit un arrêt de convalescence de deux mois. Par la suite, la requérante fut réexaminée à l’institut médicolégal de Bakırköy.
Le rapport médical définitif, mis au net le 19 mars 1996, confirma qu’il y avait bien eu une blessure par balle ayant entraîné une incapacité de soixante jours.
Le 14 mars 1996, le père de la requérante porta plainte contre R.Ç. auprès du procureur de la République de Bakırköy.
Interrogé le 17 avril 1996, R. Ç. déclara que, face aux manifestants, il avait d’abord essayé de demander des renforts, mais que les protagonistes étaient passés rapidement à l’attaque en scandant que ce lieu allait être son tombeau. Il ajouta qu’il avait dû ouvrir le feu en l’air pour les dissuader, qu’il avait aussi tiré vers le sol et qu’une balle qui avait ricoché avait touché la requérante.
Le 18 avril 1996, le procureur mit R.Ç. en accusation devant le tribunal correctionnel de Bakırköy pour coups et blessures par arme à feu, et requit sa condamnation en vertu des articles 456 § 2, 457 § 1 et 281 du code pénal.
Les débats furent ouverts le 22 avril 1996. L’audience suivante du 4 octobre fut réservée aux questions de procédure, dont l’assignation du prévenu à comparaître.
A l’audience du 25 février 1997, en l’absence de R.Ç., le père de la requérante se constitua partie intervenante ; se fondant sur les expertises et les rapports médicaux, il accusa le prévenu d’avoir agi délibérément.
Le 15 mai 1997, la requérante fut entendue par les juges du fond. Elle s’exprima comme suit :
« Le jour de l’incident, je passais devant l’école. C’était l’heure de la fin des cours, les élèves étaient en train de sortir. A ce moment, une personne en civil a surgi d’un taxi, avec une arme à la main ; elle a ouvert le feu sur la foule. Tout le monde a pris la fuite, moi y compris. L’une des balles m’a touchée et m’a blessée. Je n’imaginais pas que cette personne puisse être de la police. Il n’y avait aucune manifestation sur le lieu de l’incident, ou alors je ne m’en suis pas rendue compte. Il y avait certes un petit groupe, mais c’était justement l’heure de sortie de l’école. »
Jusqu’alors ni R.Ç. – ayant pris sa retraite entre-temps – ni ses deux coéquipiers n’avaient pu être entendus, leurs adresses n’ayant pu être identifiées. La situation demeura la même pendant les sept audiences qui suivirent.
Le 14 mai 1999, un mandat d’arrestation fut délivré à l’encontre de R.Ç.
Le 9 novembre 1999, le policier M.Y. fut auditionné. Il déclara que ce jour-là il n’avait fait que conduire le véhicule puis reporter sur un procès-verbal les dires de R.Ç. et de İ.K., décédé par la suite.
Le procès ne marqua aucun avancement lors des huit sessions suivantes, R.Ç. étant resté introuvable jusqu’au 9 mars 2000.
A cette date, le prévenu comparut pour la première et la dernière fois. Il s’agissait d’une séance tenue en l’absence de la partie plaignante, l’audience publique ayant été fixée au 9 juin (paragraphe 18 ci-dessous).
La défense de R.Ç. se présente comme suit :
« (...) Le jour de l’incident, je patrouillais dans un véhicule banalisé, accompagné de mes collègues M.Y. et İ.K. En passant devant le lycée de Barbaros à Bağcılar, à l’heure de sortie des élèves, on a vu un groupe d’individus étrangers. On s’est approché de l’entrée de l’école ; les protagonistes qui attendaient devant ont ouvert des pancartes et se sont mélangés aux lycéens en lançant des slogans. On est alors descendu du véhicule et on a ordonné à la foule de se disperser en disant qu’on était de la police. Mais les gens n’ont pas obtempéré ; au contraire, certains individus du groupe ont sorti des barres de fer et des bâtons et se sont avancés vers nous. Ils nous ont attaqués. Sur ce, moi-même et mes collègues avons dégainé et tiré en l’air afin de les disperser. (...) j’ai tiré trois ou quatre fois ; lorsque j’ai vu le groupe continuer à s’approcher, j’ai fait feu deux ou trois fois en direction d’un terrain vague. Quant à mes camarades, ils ont tiré vers le sol. Comme le groupe s’était éparpillé, on a dû faire feu dans différentes directions. S’agissant des individus qui m’avaient menacé, j’ai encore dû tirer deux ou trois balles ; c’est alors que j’ai aperçu, parmi ces derniers, la victime s’écrouler, blessée à la jambe. Une balle qui avait ricoché l’avait atteinte. Je n’avais jamais braqué mon arme sur les manifestants, j’avais tiré vers le sol. A la vue de la jeune fille blessée, à terre, les manifestants ont pris la fuite, après quoi j’ai transporté la victime à l’hôpital. »
Les juges décidèrent qu’il n’y avait pas lieu de placer le prévenu en détention préventive.
Après l’audience infructueuse du 9 juin 2000, le tribunal correctionnel tint sa séance de clôture le 3 octobre 2000. Pendant les débats, l’avocate de la requérante soutint que, sa cliente s’étant retrouvée par hasard au milieu de cette manifestation, rien ne pouvait rendre légitime l’usage délibéré d’une arme à feu à son encontre. Elle précisa que l’intéressée, poursuivie pour avoir participé à une manifestation illégale, avait été innocentée par le tribunal pour enfants d’Istanbul.
De son côté, le ministère public requit l’acquittement de R.Ç., analysant son acte en une légitime défense, au sens de l’article 49 du code pénal.
A l’issue de l’audience, les juges prononcèrent l’acquittement de R.Ç.
D’après les attendus de ce jugement, mis au net par la suite, le tribunal tint pour établi que la requérante avait été touchée par une balle provenant de l’arme de fonction du prévenu ; il estima cependant qu’elle n’aurait pas dû continuer à le fuir au mépris des sommations ; il considéra que, compte tenu de la nature et de l’évolution de l’incident, du comportement des manifestants et du refus de ceux-ci d’obtempérer, le prévenu avait été en droit d’user de son arme, ce qu’il avait d’ailleurs fait en conformité avec la réglementation. Il conclut qu’il n’y avait pas eu de recours abusif à la force.
La partie requérante se pourvut en cassation.
Par un arrêt du 11 mars 2002, la Cour de cassation infirma le jugement attaqué, au motif qu’il était contraire à la loi d’asseoir l’acquittement de R.Ç. sur le terrain de l’article 49 du code pénal sans envisager de surseoir à son jugement en vertu de la nouvelle loi no 4616, promulguée le 22 décembre 2000 et prévoyant des mesures de sursis relativement à certains délits commis avant le 23 avril 1999.
Ainsi, le tribunal correctionnel de Bakırköy se ressaisit de l’affaire et, par un jugement du 12 septembre 2002, il décida de surseoir au prononcé du verdict concernant R.Ç.
Le 19 septembre 2002, la partie requérante forma opposition contre cette décision, tirant argument de l’impunité accordée au prévenu au titre de la loi no 4616.
Le 27 septembre 2002, ce recours fut écarté.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Un aperçu des dispositions du droit turc et des normes de droit international pertinentes pour la présente affaire figurent, entre autres, dans les arrêts Hamiyet Kaplan et autres c. Turquie (no 36749/97, §§ 40 et 41, 13 septembre 2005) et Şimşek et autres c. Turquie (nos 35072/97 et 37194/97, §§ 82 à 93, 26 juillet 2005).
L’article 16 de la loi no 2559 sur les pouvoirs et compétences de la police, publiée au Journal officiel le 14 juillet 1934, en vigueur à l’époque pertinente, énumérait une série de situations dans lesquelles un policier pouvait faire usage d’une arme à feu, si les circonstances ne permettaient pas d’envisager un autre moyen : a) la légitime défense ; b) la défense des tiers contre une menace pesant sur leur vie ou leur intégrité physique et morale ; c) la tentative d’évasion ou d’agression d’une personne détenue ; d) l’agression dirigée contre des lieux ou des personnes que les policiers sont chargés de surveiller ; e) la fuite d’un suspect lors d’une perquisition ou le refus de l’intéressé d’obéir aux sommations ; f) la fuite d’une personne recherchée par la police, accusée d’une infraction lourde ou condamnée pour avoir commis une telle infraction, alors qu’elle était sur le point d’être arrêtée et le refus de cette personne d’obéir aux sommations ; g) le refus de remettre aux policiers les armes ou le matériel similaire, ou la tentative de récupérer par la force les armes ou le matériel rendus aux policiers ; h) les cas de résistance individuelle ou collective ou d’agression face aux forces de l’ordre lors de l’exercice de leurs fonctions ; i) les cas de rébellion armée contre la souveraineté et les activités de l’Etat. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant, né en 1965, réside à Berlin. A l'époque des faits, il était membre du groupe de travail du Kurdistan formé au sein de l'Association des étudiants de l'université libre de Berlin.
En 1993, l'association chargea un comité composé de neuf personnes, dont le requérant, de mettre en place une coopération avec l'université de Süleymaniyah en Irak, où le comité devait se rendre via Istanbul.
A. L'arrestation et le maintien en garde à vue du requérant
La version des autorités
Selon les autorités, le 3 août 1993, vers 10 h 10, la police des frontières de l'aéroport Atatürk (Istanbul) aurait reçu un appel anonyme annonçant l'arrivée d'étudiants berlinois impliqués dans la mouvance séparatiste du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
A leur atterrissage, vers 19 heures, le requérant et les autres membres du comité auraient été arrêtés et placés en garde à vue.
La section antiterroriste de la direction de la sûreté de Gayrettepe (« la section ») aurait été immédiatement appelée à procéder à des vérifications sur la situation des intéressés. La fouille des bagages de ceux-ci n'aurait révélé aucune preuve d'infraction.
Le 4 août 1993, la section ayant informé la police des frontières que le casier judiciaire des suspects était vierge, ceux-ci auraient été relâchés.
La version du requérant
Le 3 août 1993, une fois à l'aéroport, les membres du comité se seraient dispersés dans les files de contrôle des passeports afin de ne pas « attirer l'attention ». Alors qu'ils attendaient leurs bagages, le requérant et cinq de ses camarades auraient été interpellés par la police des frontières, qui aurait retenu leurs passeports et les aurait conduits au poste de police de l'aéroport.
Interrogé sur son identité et le but de son voyage, le requérant n'aurait pas osé parler de son appartenance au groupe de travail du Kurdistan et aurait prétendu être l'interprète du comité universitaire.
Vers 22 heures, M.A., un avocat alerté par le restant du groupe, serait venu au poste de police pour s'entretenir avec les intéressés. Il en serait ensuite parti pour chercher à manger. En son absence, les policiers auraient servi du thé, permis l'accès aux toilettes et autorisé le requérant à parler avec sa sœur.
Avant le retour de M.A., le requérant et un certain A.T. auraient été séparés des autres et conduits à la section. A l'entrée, un policier aurait saisi le requérant par les cheveux pour lui montrer le buste de Mustafa Kemal Atatürk.
Par la suite, le requérant aurait été emmené dans une autre pièce. Voulant poser une question, il aurait reçu un coup de poing sur le menton. Puis on lui aurait bandé les yeux. D'autres policiers arrivés auraient commencé à discuter du décès d'un collègue. L'un d'eux aurait violemment frappé le requérant sur le dos. Des attouchements de nature sexuelle et d'autres coups – dont l'un administré au niveau costal – auraient suivi, accompagnés de questions répétitives sur l'identité et les antécédents du requérant.
Après un certain temps, le requérant aurait été laissé avec un seul agent qui l'aurait roué de coups, sans retenue, pendant quinze à vingt minutes. Le soir, le requérant aurait été placé dans une cellule insalubre.
Le lendemain, le 4 août 1993, vers 9 heures, il aurait été accompagné aux toilettes et aurait reçu une brique de lait. Plus tard, le requérant et A.T., bien plus atteint, auraient été reconduits au poste de police de l'aéroport en minibus. Au commissaire qui leur aurait demandé s'ils entendaient porter plainte, ils auraient tous deux, en proie à la peur, répondu par la négative et auraient signé un document à décharge avant d'être relâchés.
B. Les événements ultérieurs
Le 6 août 1993, le requérant s'adressa à l'antenne locale de la Fondation des droits de l'homme à Istanbul. Le jour même, un médecin attaché à la fondation examina le requérant. Le rapport médical fait état d'écorchures superficielles sur la jambe gauche et d'une ecchymose de 2 centimètres sur 2 sur l'épine iliaque antéro-supérieure.
Le médecin nota encore que le requérant se plaignait de douleurs au niveau de l'abdomen (hypocondre gauche).
La procédure pénale
Toujours le 6 août, sur les conseils de la fondation, le requérant déposa une plainte auprès du procureur de la République de Bakırköy contre les agents de police responsables de sa garde à vue. Le procureur adressa le requérant à l'institut médicolégal à Bakırköy pour examen. Le rapport établi en conséquence mentionne l'existence d'écorchures de 6 centimètres sur 1 et de 1 centimètre sur 0,2, d'œdèmes et de douleurs subjectives sur la partie gauche du sacrum, d'une ecchymose de 2 centimètres sur la zone fémorale ainsi que de douleurs subjectives au niveau de l'hypocondre gauche, des dents et de la tête.
Le médecin prescrivit un arrêt de cinq jours.
Le 9 août 1993, le requérant retourna à la Fondation des droits de l'homme, aux fins d'examens complémentaires. Devant la persistance des douleurs abdominales, l'intéressé se vit prescrire un examen par un spécialiste, qui ne décela aucune anomalie. Le requérant se plaignait également d'insomnies, mais refusa la consultation proposée par le psychiatre.
Le 7 septembre 1993, le parquet de Bakırköy déclina sa compétence ratione loci en faveur du parquet de Şişli. Observant que la plainte visait des agents en faction, à savoir le commissaire A .E. et l'officier M.A., le parquet de Şişli se déclara à son tour incompétent et transmit le dossier à la préfecture d'Istanbul afin que le comité administratif préfectoral se prononce en application de la loi sur la poursuite des fonctionnaires.
Le 8 octobre 1993, le requérant ayant, dans sa plainte, indiqué comme adresse celle de sa sœur à Küçükçekmece, la direction de la sûreté d'Istanbul (« la direction ») demanda au commissariat de ce district de convoquer l'intéressé pour qu'il soit entendu.
Le 29 novembre 1993, la sœur du requérant informa les policiers, venus sur place, que son frère n'habitait pas à cette adresse et qu'elle n'avait pas ses coordonnées.
Le 1er décembre 1993, la direction réitéra sa demande au commissariat de Küçükçekmece. Le 2 décembre 1993, le commissariat répondit qu'aux dires de sa sœur le requérant était domicilié en Allemagne, à une adresse inconnue d'elle.
Les autorités tentèrent en vain de localiser le requérant jusqu'au 6 octobre 1994, date à laquelle sa sœur fournit les coordonnées recherchées. Le 13 octobre, le commissariat transmit l'information à la direction, qui, le 24 octobre, ordonna une commission rogatoire afin que le requérant soit entendu pour sa plainte à l'ambassade de Turquie, à Berlin.
Le 29 mars 1995, le consulat général de Turquie à Berlin informa la direction que, malgré les notifications et rappels, le requérant ne s'était pas présenté.
Le comité administratif préfectoral prit note de la non-réponse du requérant aux invitations du consulat. Quant au bien-fondé de la plainte de l'intéressé, le comité observa qu'un délai de deux jours avait séparé la relaxe du requérant de son examen à l'institut médicolégal de Bakırköy. Il conclut que l'intéressé avait agi conformément au dessein du PKK de ternir l'image de la police et d'en entraver le travail et, le 18 mai 1995, il rendit une ordonnance de non-lieu à l'égard des policiers mis en cause.
Le 2 mai 1997, le Conseil d'Etat, saisi d'office de l'affaire, confirma l'ordonnance du comité administratif préfectoral. Cette décision, qui ne pouvait être notifiée au requérant selon les voies ordinaires, fut publiée le 20 juillet 1995 dans le quotidien turc Meydan.
Le 9 mars 1998, l'avocat du requérant, İ.G., s'enquit de l'issue de la procédure auprès des autorités préfectorales d'Istanbul et obtint copie des décisions susmentionnées.
La procédure disciplinaire
Le 26 octobre 1993, une enquête disciplinaire fut déclenchée à l'encontre des agents mis en cause, parallèlement à la procédure pénale.
Le 25 avril 1995, après avoir entendu les policiers, un comité composé de cinq inspecteurs de police émit l'avis qu'il n'y avait pas lieu d'entamer des poursuites disciplinaires, ayant estimé que le requérant, une fois relâché, s'était infligé lui-même les blessures avant de saisir le parquet, le surlendemain, et qu'il avait agi dans le but de compromettre l'image de la police turque, conformément au dessein du PKK.
Le 4 juillet 1995, entérinant les conclusions de ce rapport, le Conseil disciplinaire départemental d'Istanbul arrêta qu'aucune sanction n'était à infliger dès lors qu'aucun « élément concret » ne venait étayer les accusations du requérant.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les dispositions pertinentes du droit turc quant à la poursuite des actes de mauvais traitements infligés par des agents de l'Etat et quant aux voies de droit ouvertes en la matière figurent, entre autres, dans la décision Şahmo c. Turquie (no 37415/97, ler avril 2003). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants précités sont nés respectivement en 1954, 1945, 1952, 1953, 1949, 1948 et 1920 et résident à Van. Ils sont les frères, la sœur et la mère d’İzzettin Yıldırım.
İzzettin Yıldırım était le président d’une fondation culturelle et éducative, Zehra Eğitim ve Kültür Vakfı (« la fondation Zehra »). Il était d’origine kurde et connu par ses activités éducatives au sein de celle-ci. La fondation Zehra, créée en 1990, est implantée dans les différentes régions de la Turquie, y compris dans l’Est de l’Anatolie. Elle subventionne des besoins d’hébergement et de nourriture des étudiants défavorisés et apporte des soutiens divers à des personnes démunies ; elle organise aussi des activités culturelles.
Mehmet Kanlıbıçak et Mehmet Şehit Avcı, des amis d’İzzettin Yıldırım furent portés disparus respectivement les 27 et 28 décembre 1999. Des plaintes furent déposées par leur famille.
Le 30 décembre 1999, le représentant d’İzzettin Yıldırım déposa une plainte auprès du parquet d’Istanbul et l’informa de sa disparition depuis le 29 décembre 1999. Il expliqua que deux personnes en civil avaient enlevé İzzettin Yıldırım à son domicile qu’il partageait en colocation avec H.B.
Le 31 décembre 1999, une ONG, Mazlum-der, (Organisation des droits de l’homme et de solidarité avec les personnes oppressées) et la fondation Zehra tintent une conférence de presse pour dénoncer la série de disparitions survenues au cours des mois précédents à Istanbul. Neuf cas de disparition avaient été portés à la connaissance de la police, mais ils restèrent sans suite. Une liste de personnes disparues sur laquelle figuraient, entre autres, Mehmet Kanlıbıçak, Mehmet Şehit Avcı et İzzettin Yıldırım fut publiée.
Le même jour la fondation Zehra tint une autre conférence de presse et souligna que « la fondation n’avait aucun lien avec aucune organisation illégale. En conséquence, il n’était pas question d’accuser qui que ce soit » et « que le président İzzettin Yıldırım avait exposé ses idées et critiques constructives qui avaient pour seul but d’apporter des solutions aux problèmes du pays sur une plateforme démocratique et légale».
Le 31 décembre 1999, à 21 h 30, dans le cadre de l’enquête sur ces disparitions, la police entendit l’épouse de Mehmet Kanlibıçak. Celle-ci indiqua que son mari travaillait comme contrôleur dans l’entreprise de son oncle, Mehmet Şehit Avcı. La police lui demanda si elle connaissait İzzettin Yıldırım. Elle répondit qu’elle n’avait pas entendu parler de lui.
La même nuit, à 22 h 30, la police entendit B.S., l’associé de Mehmet Şehit Avcı. Il déclara que, le 29 décembre 1999, son employé F.S. l’avait appelé pour l’avertir que ni Mehmet Kanlıbıçak ni Mehmet Şehit Avcı n’étaient venus au bureau. Quant à İzzettin Yıldırım, B.S. le connaissait à travers les activités culturelles de la fondation Zehra, mais il ne savait pas où il se trouvait.
Cette même nuit, la police entendit R.K., un collègue de Mehmet Kanlıbıçak et l’épouse de Mehmet Şehit Avcı, sans pour autant recueillir plus d’informations concernant les disparitions. Ces personnes déclarèrent, elles aussi, connaître İzzettin Yıldırım par le biais de la fondation Zehra.
Les jours suivants une quarantaine d’ONG alertèrent l’opinion publique sur les cas de disparitions, entre autres, İzzettin Yıldırım en tant que président d’une fondation culturelle, et Konca Kuriş, une femme écrivaine islamiste connue par ses déclarations et interprétations modernes du Coran concernant la situation de la femme.
Le 5 janvier 2000, la police entendit F.S., un collègue de Mehmet Kanlıbıçak. Il affirma connaître İzzettin Yıldırım à travers les activités de la fondation Zehra, mais ne rien savoir sur sa disparition.
Le même jour, B.S. fut réentendu par la police. Il confirma sa première déposition concernant İzzettin Yıldırım.
Le 17 janvier 2000, lors d’une opération menée dans un appartement situé à Beykoz, un quartier d’Istanbul, visant l’organisation illégale Hizbullah turque (le Parti de Dieu), la police découvrit une cassette audio enregistrée par les militants de cette organisation pendant les tortures infligées à İzzettin Yıldırım. Il ressort des transcriptions de cet enregistrement que l’une des deux voix appartenait à la victime et l’autre à une personne qui fut désignée comme la « personne X ». La police saisit la carte d’identité d’İzzettin Yıldırım, des relevés relatifs aux comptes bancaires de Mehmet Şehit Avcı, et de Mehmet Kanlıbıçak sur lesquels des sommes avaient été prélevées depuis leur disparition. Il y fut saisi également plusieurs documents, de nombreuses armes et des vidéos cassettes montrant les tortures infligées aux personnes séquestrées, y compris l’écrivaine Konca Kuriş.
Lors de cette opération le leader de l’organisation Hizbullah Hüseyin Velioğlu fut tué et deux autres membres furent interpellés. L’opération qui dura cinq heures fut diffusée en direct sur les chaînes de télévision.
Le 19 janvier 2000, dans le jardin d’une maison en banlieue d’Istanbul, à Üsküdar, dix corps parmi lesquels celui de l’écrivaine Konca Kuriş furent déterrés. La police convoqua les requérants pour identification. Les requérants n’ayant pas pu reconnaître leur frère en raison de la décomposition des cadavres, son dentiste confirma qu’aucun d’eux n’appartenait à İzzettin Yıldırım.
Les 20 et 27 janvier 2000, lors des opérations menées dans l’Est et le Sud-Est, aux alentours des villes Mardin et Batman, des armes à feu et d’importants stocks de munitions furent saisis dans des maisons appartenant au Hizbullah et furent exposés dans les médias. Il fut découvert également des cachots construits spécialement pour séquestrer les personnes enlevées entièrement clos hormis les trous servant à glisser la nourriture.
Le 28 janvier 2000, lors d’une deuxième opération organisée dans une maison appartenant au Hizbullah, neuf corps enterrés dans le jardin furent découverts. La police tint une conférence de presse et expliqua que, d’après les premiers indices, les assassinats auraient eu lieu après l’opération à Beykoz. Le même jour, l’un des requérants identifia le corps d’İzzettin Yıldırım parmi les neuf cadavres. Les corps de Mehmet Şehit Avcı et Mehmet Kanlıbıçak se trouvaient également dans le jardin. Le parquet d’Istanbul ouvrit une instruction préliminaire.
Les jours suivants, d’après la presse, au total 33 cadavres furent découverts à Istanbul, Ankara, Konya, Tarsus et Adana. Il ressort des coupures de journaux versées au dossier par les requérants que les images schématisées et décrites des actes de barbarie, tels que « l’asphyxie par strangulation en position accroupie » définie par « l’égorgement du cochon », « les brûlures par gouttes de nylon en fusion ou par des cigarettes », « le clou de béton enfoncé dans le crâne », « l’enterrement vivant après avoir amputés des membres », « l’enfoncement des aiguilles sous les ongles », infligés aux victimes furent largement diffusées par les médias les jours suivant la découverte des corps. A la suite de ces publications, des députés, des écrivains de journaux, et des personnalités politiques firent des commentaires et déclarations dans la presse laissant entendre des relations tripartites d’intérêts illicites entre des personnages politiques, des institutions gouvernementales et des coteries clandestines en faisant référence au « rapport de Susurluk ». De nombreux articles concernant les allégations de soutien de la part de certains agents de l’Etat qui auraient été apportées au Hizbullah furent publiés dans les journaux nationaux.
Le 31 janvier 2000, une autopsie fut effectuée sur le corps d’İzzettin Yıldırım. Le rapport du médecin légiste daté du 30 juin 2000 établit que la victime fut probablement tuée entre 3 à 7 jours avant le 31 janvier 2000 par égorgement après avoir subi des tortures.
Le 4 mars 2000, H.B., le colocataire d’İzzettin Yıldırım, fut interrogé. Il déclara que le 29 décembre 1999, trois personnes en civil se présentèrent vers 18 heures à l’appartement et demandèrent à İzzettin Yıldırım de les suivre. İzzettin Yıldırım était inquiet mais, après avoir parlé au téléphone avec son ami Mehmet Şehit Avcı, il accepta de les suivre. Plus tard dans la nuit, H.B. quitta son domicile pour une heure et, à son retour, il découvrit que la chambre d’İzzettin Yıldırım avait été fouillée. Il appela leurs amis de la fondation Zehra, par l’intermédiaire desquels l’affaire devait être portée à la connaissance de la police.
Le 24 mai 2000, un certain Hacı İnan fut interpellé et entendu par le parquet dans le cadre d’une opération contre le Hizbullah. Dans sa déposition, il affirma ce qui suit :
« Je ne sais pas comment ces personnes ont été enlevées, je ne connais pas non plus ceux qui les ont interrogées. Mais je pense qu’elles ont été interrogées par Hüseyin Velioğlu. Je ne connais pas ceux qui les ont tuées. J’ai appris dans la presse que les corps avaient été découverts dans le jardin de la maison utilisée pour les interrogatoires. İzzettin Yıldırım a été tué parce qu’il était le leader du groupe Med-Zehra et le président de la fondation Zehra. Cette fondation, avec son identité musulmane kurde, apparaissait comme une rivale de l’organisation Hizbullah, surtout dans l’Est et le Sud-Est. Pour cette raison l’organisation Hizbullah se sentait menacée et avait décidé d’exécuter İzzettin Yıldırım. ».
Invoquant son droit de garder le silence, il refusa de donner plus d’informations.
Par un acte d’accusation du 8 juin 2000, le parquet près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul entama une procédure pénale pour la disparition de quinze personnes et pour le meurtre de vingt-trois autres, parmi lesquelles figuraient Mehmet Şehit Avcı et Mehmet Kanlıbıçak. Quarante-trois personnes proches des victimes se portèrent parties intervenantes. Le procureur de la République accusa onze personnes, dont Hacı İnan, d’être membres du Hizbullah, et d’avoir organisé des activités criminelles dans le but de changer l’ordre constitutionnel et d’instaurer un système fondé sur les principes de la charia (la loi islamique). Dans la présentation des faits criminels reprochés, la disparition d’İzzettin Yıldırım et la plainte déposée par son avocat furent mentionnées. L’acte d’accusation cita également la déposition d’un coaccusé, A.A., qui s’était servi de la carte d’identité d’İzzettin Yıldırım afin de retirer son argent à la banque sur les instructions de Hacı İnan. Toutefois, le meurtre d’İzzettin Yıldırım ne figura pas parmi les faits reprochés aux accusés.
Les demandes successives des requérants pour obtenir une copie du rapport d’autopsie restèrent sans suite jusqu’au 12 janvier 2001, date à laquelle une copie illisible dudit rapport leur fut communiquée.
Le 25 février 2003, le représentant des requérants s’adressa au parquet près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul et demanda à être informé des résultats de l’instruction pénale ouverte à la suite du décès d’İzzettin Yıldırım.
Le même jour, le parquet transmit la demande à la chambre de la cour de sûreté d’Istanbul chargée du « procès du Hizbullah ». La présidence de la 5e chambre de la cour de sûreté répondit que le procès en cours n’incluait pas le cas d’İzzettin Yıldırım.
Par un acte d’accusation complémentaire du 31 mars 2006, le procureur demanda la jonction de l’instruction préliminaire concernant İzzettin Yıldırım à la procédure pénale relative au Hizbullah dans le cadre de laquelle Hacı İnan et d’autres personnes étaient accusés. Le procureur motiva sa demande par le fait que, bien que les prévenus eussent invoqué, à propos du meurtre d’İzzettin Yıldırım, leur droit de garder le silence, il fut établi que la maison dans laquelle fut retrouvé son corps, avait été louée par les intéressés. Il souligna que Hacı İnan et certains autres accusés faisaient partie du conseil décisionnel du Hizbullah et que, à ce titre, l’organisation les autorisait à procéder à des interrogatoires et à exécuter des personnes enlevées et séquestrées. Enfin, le procureur se référa à la déposition de Hacı İnan (paragraphe 24 ci-dessus).
D’après le procès-verbal de l’audience du 16 mai 2006, les accusés contestèrent l’acte d’accusation complémentaire leur imputant le meurtre d’İzzettin Yıldırım et demandèrent la désignation d’office d’un avocat. La cour d’assises d’Istanbul ajourna l’audience. Elle fit droit à la demande de constitution de partie civile des requérants. Elle décida de convoquer le requérant Cesim Yıldırım pour recueillir sa déposition.
A ce jour, l’affaire est toujours pendante devant les juridictions internes.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
La Cour se réfère à l’aperçu du droit interne livré dans d’autres arrêts, notamment Sabuktekin c. Turquie (no 27243/95, §§ 61-68, CEDH 2002II) et Ekinci c. Turquie (no 25625/94, §§ 38-46, 18 juillet 2000).
Le Rapport de 1993 de la Commission d’enquête parlementaire au sein de la Grande Assemblée Nationale de Turquie (10/90 no A.01.1.GEC) avait été communiqué, la première fois, à la Cour dans le cadre de l’arrêt Kılıç c. Turquie (no 22492/93, § 33, CEDH 2000 III). Le rapport est relatif aux exécutions extrajudiciaires et les homicides perpétrés par des inconnus. Ce document mentionne 908 meurtres non élucidés, dont neuf de journalistes. Il expose le manque de confiance du public dans les autorités du Sud-Est de la Turquie et fait état d’informations selon lesquelles l’organisation Hizbullah turque aurait installé un camp dans la région de Batman, où ses membres bénéficieraient d’une formation et d’un soutien politiques et militaires de la part des forces de l’ordre. Il conclut que l’impunité règne dans la région et que certains groupes ayant un lien avec l’Etat pourraient être impliqués dans les meurtres. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1961 et réside à Burgas.
Au début du mois de novembre 1994, il fut soupçonné de vol et arrêté à Stara Zagora. Il indique avoir été aussitôt transféré au service régional de la police de Burgas. Son placement en garde à vue fut ordonné le 9 novembre 1994.
Le requérant affirme avoir été maltraité par des policiers lors de sa garde à vue. Ses complices auraient également subi des mauvais traitements pendant leurs gardes à vue respectives.
Le 11 novembre 1994, le requérant consulta un médecin légiste. D’après le certificat établi à l’issue de l’examen, le requérant présentait plusieurs ecchymoses et enflures superficielles au visage, à la poitrine, au dos, aux coudes, aux cuisses et aux genoux. Le médecin conclut que les blessures avaient été causées par des objets solides et contondants et qu’elles pouvaient avoir été provoquées de la manière décrite par le requérant, à savoir au moyen de coups de matraque, de batte de base-ball et de gant de boxe. Par ailleurs, il estima que les blessures avaient été infligées deux à trois jours avant l’examen et qu’il était par conséquent possible que les coups eussent été administrés le 8 novembre 1994, comme le prétendait le requérant.
Le rapport d’expertise médicolégale concernant les blessures constatées sur le corps du requérant fut mis au net le 15 août 1995, à la demande des organes de la police que le requérant avait saisis d’une plainte pour mauvais traitements. Par la suite, des rapports d’expertise médicolégale concernant ses complices furent établis.
Le requérant fut mis en liberté provisoire le 29 janvier 1996. Le 20 mai 1996, l’intéressé et les deux autres détenus saisirent le parquet militaire de Sliven d’une plainte pour mauvais traitements. Le requérant y indiqua que son arrestation avait eu lieu le 7 novembre 1994.
Une instruction préliminaire fut ouverte le 13 janvier 1997.
Elle fut suspendue le 30 décembre 1997 au motif que le requérant et ses complices n’étaient pas venus témoigner, en dépit des convocations qui leur avaient été adressées.
Le requérant fut interrogé le 21 mai 1998. Il mentionna le nom ou le patronyme d’un des policiers qui l’avaient battu et décrivit le visage d’un deuxième policier. Il déclara également qu’il était capable de reconnaître les hommes qui l’avaient maltraité.
L’instruction reprit le 25 mai 1998.
Plusieurs policiers furent interrogés les 15, 20, 21 et 27 octobre 1998. Ils déclarèrent qu’à leur connaissance le requérant et ses complices n’avaient pas été battus.
Le 30 octobre 1998, l’enquêteur proposa au procureur de mettre fin à la procédure pénale, au motif que les éléments versés au dossier ne permettaient pas de conclure que l’intéressé et ses complices avaient réellement subi des mauvais traitements.
Le 29 mars 1999, le procureur militaire rendit une ordonnance de non-lieu dans laquelle il observa que le requérant avait été arrêté le 8 novembre 1994, mais qu’il n’avait déposé plainte qu’en 1996. Invoquant le laps de temps qui s’était écoulé entre la date de placement en garde à vue et la saisine du parquet, il conclut qu’il était impossible d’établir si l’intéressé avait été réellement battu ou non. Une copie de cette ordonnance fut adressée à la prison de Burgas où le requérant était détenu.
Il indique avoir pris connaissance du non-lieu en question le 22 octobre 1999.
Il appert des documents fournis qu’en novembre 1999 le requérant saisit le parquet général d’un recours en annulation du non-lieu, qui fut transmis d’office au parquet militaire d’appel. Ce recours ne semble pas avoir été examiné.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La répression des actes de mauvais traitements
Les articles 128 à 131 du code pénal de 1968 (CP) érigent en infractions pénales le fait de causer intentionnellement à autrui des blessures graves, moyennes ou légères. La commission de ces faits par un policier ou un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions est une circonstance aggravante.
En vertu de l’article 287 CP, tout fonctionnaire qui utilise des mesures coercitives illégales dans le but d’extorquer une déposition à une personne accusée, un témoin ou un expert est puni d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement.
B. Conditions à l’engagement de l’action publique
Aux termes des articles 186 à 190 du code de procédure pénale de 1974 (CPP), désormais abrogé, une procédure pénale était engagée lorsque les autorités étaient en présence d’un motif légal (законен повод) et d’éléments suffisants indiquant qu’une infraction pénale avait été commise (достатъчно данни).
Le motif légal pouvait être un renseignement (съобщение) adressé au procureur ou à l’enquêteur et portant sur la commission d’une infraction, une publication dans la presse, les déclarations faites par l’auteur d’une infraction ou la connaissance directe par le procureur ou l’enquêteur d’indices d’une infraction.
Dans le cas d’une infraction supposée avoir été commise par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions, les poursuites pénales ne pouvaient être intentées par un particulier, seule la décision d’un procureur pouvant les déclencher (articles 56 et 192 CPP, article 161 CP).
Lorsqu’il refusait d’engager des poursuites pénales, le procureur devait en informer immédiatement la victime et l’auteur du renseignement, lesquels pouvaient introduire un recours contre le refus de poursuivre devant le procureur supérieur (article 194, alinéas 2 et 3). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1958 et réside à Beba-Veche.
A. Les mauvais traitements allégués par le requérant
Les faits
a) Version du requérant
Le 4 avril 1999, vers 11 heures du matin, alors qu’il était sorti de chez lui, dans la commune de Beba Veche, pour acheter des cigarettes, le requérant fut interpellé par une connaissance, Viorel C., qui lui déclara qu’il avait entendu dire que le requérant l’avait cherché à son domicile. Le requérant confirma la chose, expliquant qu’il cherchait un certain Mircea H., employé par Viorel C, qui aurait agressé son fils et lui aurait cassé des dents. Viorel C. invita le requérant à venir poursuivre la discussion chez lui ; les deux hommes firent le trajet en voiture. Une fois dans le jardin de la maison, Viorel C. se mit à tabasser le requérant. Il lui dit ensuite qu’il pouvait s’expliquer à la police et l’amena au poste, qui se trouvait en face de sa maison. L’adjudant Costel L. y installa le requérant sur une chaise et lui dit de patienter. Il sortit avec Viorel C. dans la cour, où les deux hommes conversèrent pendant quelques minutes. Une fois de retour dans le bureau, l’adjudant Costel L. menotta le requérant et se mit à le frapper, imité par Viorel C. Au cours de l’après-midi, le frère de Viorel C., Ioan C., maire de Beba Veche, arriva au poste de police accompagné de l’adjoint au maire Tiberiu F. Le requérant fut menotté au pied de la table et reçut des coups de poing et des coups de pied de la part du policier et des trois civils présents, si bien qu’il se retrouva par terre, le visage en sang.
Vers 19 h 30, le chef de poste, Iulian S., arriva sur place. Lorsqu’il vit l’état critique dans lequel se trouvait le requérant, il fit venir l’infirmière de la commune, le médecin n’étant pas disponible. L’infirmière demanda aux policiers de transporter le requérant d’urgence à l’hôpital.
Dans la soirée du 4 avril 1999, vers 21 h 15, le requérant fut admis à l’hôpital de Sânnicolaul Mare.
Il sortit de l’hôpital le 8 avril 1999.
b) Thèse du Gouvernement
Le 4 avril 1999, vers 14 h 30, le requérant fut aperçu par Roxa B., la grand-mère de Viorel C., rôdant dans le jardin et dans la maison de ce dernier, apparemment en quête d’argent ou d’autres valeurs. Mis au courant, Viorel C. partit à la recherche du requérant, le retrouva et l’amena chez lui, où ils se disputèrent. Le requérant tenta de s’enfuir mais fut attrapé par Viorel C. Les deux hommes tombèrent par terre, puis Viorel C. frappa le requérant. Par la suite, il l’amena au poste de police de la commune et porta plainte contre lui pour violation de domicile, demandant au policier présent, le sous-officier Costel L., de prendre les mesures légales.
Le frère de Viorel, Ioan C., se rendit lui aussi au poste de police, accompagné de Tiberiu F.
Afin d’effectuer quelques investigations préliminaires, le policier Costel L. quitta le poste de police, enfermant le requérant à clé dans la cour intérieure du bâtiment abritant les locaux de la police et invitant les autres personnes présentes à l’accompagner.
Le policier se rendit à la maison de Viorel C. et procéda aux constatations sur les lieux (cercetare la faţa locului), après quoi il dressa deux procès-verbaux. Ensuite, il demanda à Viorel C. et à Tiberiu F. d’aller en voiture chercher son chef, Iulian S., et de le ramener au poste de police.
Resté seul avec le requérant, le policier Costel L. eut peur que l’intéressé tente de s’échapper et le menotta jusqu’à l’arrivée de son chef.
Après l’arrivée de Iulian S., les deux policiers amenèrent le requérant à un commissariat de police de la ville de Sânnicolau Mare pour des investigations plus approfondies.
L’intéressé se plaignant d’avoir mal aux côtes, il fut amené à l’hôpital public de la ville.
Les examens médicolégaux
a) Examens effectués immédiatement après les incidents du 4 avril 1999
Le 4 avril 1999, le chirurgien M.P. de l’hôpital de Sânnicolau Mare établit une feuille d’observation clinique qui comportait les passages suivants :
« Antécédents hérédo-collatéraux sans pertinence clinique ; antécédents personnels physiologiques ou pathologiques sans pertinence clinique ; (...)
Historique de l’affection : au courant de l’après-midi, (...) [M. Iambor] a été victime d’une agression physique. Il a reçu des coups de pied au niveau de la région céphalique [et de la région thoracique] qui ont provoqué des douleurs (...) et des difficultés respiratoires, accentuées par les mouvements [du corps].
Il a été amené à l’hôpital par l’agent de police Costel L. pour des examens spécialisés et des soins éventuels.
Examen local :
– pyramide nasale légèrement tuméfiée, sensible au toucher, sans signes cliniques de fracture ;
– hématome suborbital gauche de 2 x 2 cm ;
– lèvre supérieure contusionnée, œdémateuse ;
– sur la face dorsale du thorax inférieur et dans la région lombaire, plusieurs excoriations ;
– hémothorax gauche douloureux, hypertonicité à l’examen par palpation, avec signes cliniques (...) de fractures des arcs costaux nos VII à X ; emphysème sous-cutané au niveau du tiers inférieur de la face postéro-latérale ;
– suffusions sanguinolentes sur la face antérieure latérale de l’hémithorax gauche ;
(...) »
Au cours de son hospitalisation, le requérant fut examiné par plusieurs spécialistes, dont un ORL et un chirurgien. Des soins lui furent dispensés et il passa des radiographies. En raison de l’absence d’un radiologue, les clichés ne furent pas interprétés.
Son état de santé s’étant amélioré, le requérant quitta l’hôpital le 8 avril 1999. A cette occasion, le médecin M.P. nota sur sa feuille d’observation :
« [M. Iambor] a été hospitalisé d’urgence à la suite d’une agression physique par coups de poing et par coups de pied au niveau des régions céphalique et thoracique. A l’examen clinique, nous avons constaté une tuméfaction de la pyramide nasale, un hématome (...) suborbital à l’œil gauche, une tuméfaction de la lèvre inférieure ; un emphysème sous-cutané au niveau du tiers inférieur de la région postéro-latérale de l’hémithorax gauche, avec des signes cliniques de fracture des arcs costaux CVII-CX du côté gauche, et une dilatation pulmonaire bilatérale.
[M. Iambor] s’est vu administrer un traitement (...) anti-inflammatoire, antibiotique, sédatif, avec repos au lit, immobilisation de l’hémithorax gauche (...). Évolution apparemment favorable.
L’examen ORL révèle une déviation post-traumatique du septum nasal qui justifie une intervention chirurgicale (...).
L’examen de chirurgie thoracique (radiographies non interprétées par un médecin radiologue) révèle une forte contusion de l’hémithorax gauche. Un traitement conservateur est recommandé. »
Le 9 avril 1999, le requérant fut examiné par M.C., médecin légiste au laboratoire médicolégal de Timişoara. Le rapport médicolégal dressé à la suite de cet examen comportait les constats suivants :
« 1. Une ecchymose vert violacé au niveau de la zone suborbitale gauche, avec extension jusqu’à la région mandibulaire ;
Partie gauche du menton – ecchymose vert violacé de ½ cm ;
Immobilisation thérapeutique de l’hémithorax gauche ;
Dans la région lombaire et pré-vertébrale du côté droit : multiples excoriations linéaires, de un à huit centimètres, couvertes d’une croûte hématique et d’une plaie semi-circulaire avec concavité orientée à droite et extrémités érythémateuses et légèrement descensionnelles affectant une surface de dix centimètres sur dix-huit ;
Il ressort du registre no 2604/9.04.99 de la polyclinique no 1 de Timişoara que [M. Iambor] ne présentait pas de lésions traumatiques des os nasaux ; qu’il présentait au niveau de l’hémithorax gauche un trajet de fracture transversale de la côte no 9, sur la ligne axillaire postérieure, avec niveau minimum de liquide de base (hémothorax).
Ces lésions peuvent dater du 4 avril 1999 et elles peuvent avoir été produites par des coups directs et répétés portés au moyen d’un objet contondant. [M. Iambor] nécessite dix-huit jours de soins médicaux, à condition que d’autres complications ne surviennent pas. »
Considérant que le certificat médicolégal retenait à tort et contrairement à la feuille d’observation clinique dressée lors de son hospitalisation, qu’il n’y avait pas de lésions traumatiques au niveau du nez, le requérant demanda au parquet militaire de Timişoara un nouvel examen par un médecin légiste.
Par une lettre du 13 avril 1999, le parquet militaire demanda au laboratoire médicolégal de Timişoara « de réexaminer » M. Iambor, en prenant en compte la feuille d’observation clinique établie à l’occasion de son hospitalisation du 4 avril 1999.
Le 14 avril 1999, le médecin légiste M.C. adressa à la clinique ORL de Timişoara une lettre demandant l’examen du requérant en vue d’établir s’il présentait des lésions traumatiques au niveau de la pyramide nasale, spécialement une déviation du septum nasal.
Dans une lettre datée du même jour et adressée à l’institut médicolégal, le médecin M. de l’hôpital Sânnicolau Mare confirma en ces termes le traumatisme subi par le requérant :
« En réponse à votre lettre no 478/1999, nous vous confirmons que le patient Iambor Simion, âgé de 41 ans, résidant à Beba Veche, (...) a séjourné à l’hôpital de Sânnicolau Mare, dans le service de chirurgie (FO – [feuille d’observation] no 1547) du 4 au 8 avril 1999. Le diagnostic suivant fut établi : agression physique, traumatisme thoracique avec fractures des arcs latéraux CVIII-CX du côté gauche (sans confirmation radiologique), traumatisme crânien facial aigu fermé, avec déviation post-traumatique du septum nasal.
Le patient a suivi un traitement conservateur avec évolution favorable.
Pour des raisons d’ordre administratif, il ne lui a pas été délivré de feuille de soins à la sortie de l’hôpital. »
Par une lettre du 16 avril 1999, le médecin légiste M.C. du laboratoire médicolégal local, qui avait réalisé la première expertise, répondit au parquet militaire que les lésions aux os nasaux du requérant étaient antérieures à l’agression du 4 avril 1999. Sa lettre était ainsi rédigée :
« Après avoir confronté l’examen clinique objectif effectué à l’occasion de l’hospitalisation avec l’examen clinique ORL, qui établit le diagnostique de déviation du septum nasal et d’obstruction (înfundare) de l’aile nasale droite, et avec l’examen radiologique du 9 avril 1999, qui infirme l’existence de lésions traumatiques des os nasaux proprement dits, nous considérons que les constats de l’examen clinique sont conformes à la réalité mais se rapportent à des lésions ayant une ancienneté dont la date, même si elle ne peut pas être précisée, est bien antérieure au traumatisme subi le 4 avril 1999. »
Le 10 mai 1999, le médecin légiste M.C. demanda de nouvelles explications à l’hôpital de Sânnicolau Mare au sujet de l’existence ou de l’absence, au moment de l’hospitalisation du 4 avril 1999, de lésions au niveau du nez du requérant.
Le 19 mai 1999, le médecin M.P. de l’hôpital de Sânnicolau Mare répondit que le diagnostic établi le 4 avril 1999 par le service de chirurgie de l’hôpital était : « 1. traumatisme thoracique avec signes cliniques de fracture des arcs latéraux costaux C VII-C X ; 2. traumatisme crânien-facial aigu, fermé – déviation post-traumatique du septum nasal ». Il ajoutait qu’au moment de l’hospitalisation il n’y avait pas de médecin radiologue à l’hôpital.
Il observait qu’il ressortait de la feuille d’observation que le requérant présentait une « pyramide nasale légèrement tuméfiée, sensible au toucher, sans signes cliniques de fracture ». Il précisait qu’à son avis la déviation de septum était antérieure à l’agression.
b) Examens médicaux ultérieurs
Quatre ans après l’agression subie le 4 avril 1999, le requérant, qui était en train de purger une peine d’emprisonnement sans rapport avec les faits à l’origine de la présente affaire, fut hospitalisé à plusieurs reprises : du 7 janvier au 17 février et du 2 au 13 juin 2003 à l’hôpital pénitentiaire de Dej, puis du 18 au 30 juillet 2003, à l’hôpital pénitentiaire de Bucarest Rahova.
Le 13 mars 2003, une commission formée de trois experts, un médecin légiste, un spécialiste ORL de l’hôpital militaire de Timişoara et un médecin de la prison de Timişoara donna son avis quant à la possibilité de soigner le requérant en milieu carcéral :
« M. Iambor Simion présente une déviation du septum nasal avec des troubles de fonctionnement modérés. Il nécessite un traitement médicamenteux qui peut être administré dans le réseau sanitaire de la Direction générale des prisons. En cas d’aggravation de sa pathologie, il pourra être hospitalisé dans une clinique spécialisée. »
Sur la base de ce rapport, le tribunal de première instance de Timişoara rejeta le 7 avril 2003 une demande de suspension de l’exécution de sa peine formulée par le requérant.
Le 13 juin 2003, le médecin spécialiste de chirurgie générale de l’hôpital pénitentiaire de Dej rédigea le rapport médical suivant au sujet du requérant :
« Le patient a été hospitalisé du 7 janvier au 17 février 2003 car il se plaignait de douleurs dans la région occipitale, d’épistaxis répétées, de difficultés à respirer par le nez, d’une déformation de la pyramide nasale, de douleurs lombaires et d’une éruption érythémateuse prurigineuse généralisée.
A la suite de l’examen clinique général et de l’examen ORL a été établi un diagnostic de dystrophie septo-nasale post-traumatique, de spondylite lombaire (...) et de gale.
Le patient a suivi un traitement anti-inflammatoire (...) ; une intervention chirurgicale pour la dysmorphie septo-nasale étant par ailleurs recommandée.
Le 2 juin 2003, il est revenu dans notre service pour une intervention chirurgicale ORL, qui n’a pas pu être effectuée faute de la présence sur place d’un médecin ORL. Le patient reviendra au cours du mois d’août 2003. »
Le 29 juillet 2003, un médecin ORL de l’hôpital pénitentiaire de Bucarest Rahova dressa au sujet du requérant le rapport suivant :
« L’examen clinique ORL a mis en évidence une déviation post-traumatique du septum nasal déjà ancienne, sans déterminations pathologiques de voisinage, avec un déficit fonctionnel moyen (obstruction nasale partielle du côté gauche).
L’examen paraclinique effectué (hématologie et biochimie sanguine, radiographie SAF) corrobore le diagnostic clinique susmentionné.
Compte tenu du fait que le déficit esthétique est une composante importante du problème du patient, nous recommandons une intervention de rhino-septo-plastie, à effectuer en une seule fois lorsque l’intéressé aura été remis en liberté, le milieu pénitentiaire n’étant pas propice à une évolution postopératoire favorable dans les cas d’intervention à caractère esthétique. »
B. L’enquête pénale concernant les mauvais traitements subis par le requérant
L’instruction de la plainte du requérant dénonçant l’agression subie le 4 avril 1999. Le dossier no 203/P/1999 ouvert par le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare
Un dossier (no 203/P/1999) fut ouvert par le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare à la suite de la plainte formée par Viorel C. contre le requérant le 4 avril 1999 pour tentative de vol et violation de domicile.
Au dossier d’enquête furent versés le procès-verbal de constatations sur les lieux (cercetare la faţa locului) et le procès-verbal d’identification du requérant, dressés par le policier Costel L. le 4 avril 1999, et deux dépositions de Viorel C. et Tiberiu F. datées du 4 avril 1999. Le procès-verbal d’identification du requérant était ainsi rédigé :
« Aujourd’hui [4 avril 1999], à 15 heures, mon intervention a été sollicitée pour les faits suivants : Iambor Simion serait entré sans autorisation dans la demeure de [C.] Viorel de Beba Veche (...), [C.] Viorel l’y aurait surpris puis retenu.
En même temps, j’ai pris acte que Iambor Simion a été agressé par [C.] Viorel et qu’il présentait des traces de sang au visage et se plaignait de douleurs à la poitrine.
En présence du témoin assistant [F.] Tiberiu (...) j’ai procédé à l’identification de la personne amenée ; j’ai établi qu’il s’agit de Iambor Simion, fils de (...), qui dit avoir perdu sa carte d’identité. »
Le 14 avril 1999, le requérant saisit le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare d’une plainte pénale contre le policier Costel L. et trois autres personnes qu’il accusait de l’avoir soumis à des mauvais traitements le 4 avril 1999, à savoir Viorel C., Ioan C. et Tiberiu F.
Sa plainte fut jointe au dossier no 203/P/1999, ouvert à la suite de la plainte portée par Viorel C. à son encontre.
Plusieurs dépositions furent recueillies par la police de Sânnicolau Mare dans le cadre de l’enquête concernant les deux plaintes pénales jointes.
Entendu le 1er juin 1999, le policier Costel L. déclara que le requérant avait été amené au poste de police par C. Viorel et qu’il avait été battu par ce dernier, qui l’avait surpris dans son jardin, en pleine tentative de vol. Il ajouta : « Moi, au poste de police, j’ai enregistré la plainte de C. Viorel pour tentative de vol et violation de domicile et j’ai effectué un constat sur place (...) rédigeant un procès-verbal de constatations sur les lieux et un procès-verbal d’identification de l’accusé (de identificare a făptuitorului) ». Le policier ne donna dans sa déposition aucun détail au sujet des signes d’agression visibles sur le requérant à son arrivée au poste de police.
Le 5 juin 1999, Viorel C. fut entendu par la police de Sânnicolau Mare. Il déclara qu’il avait attrapé le requérant par derrière, qu’il lui était « tombé dessus », puis qu’il l’avait amené au poste de police, où il l’avait laissé pour aller chercher le chef du poste. Il précisa qu’il n’avait agressé le requérant ni chez lui ni au poste de police et qu’il ne l’avait pas vu menotté.
Entendu le 5 juin 1999 par la police de Sânnicolau Mare, Tiberiu F., adjoint au maire de la commune de Beba Veche, déclara que le 4 avril 1999, alors qu’il se trouvait chez lui, il avait assisté à une bagarre entre Viorel C. et le requérant dans le jardin du premier et que le second avait été amené « amoché » à la police.
Il ressort d’un certificat en date du 7 avril 1999 versé au dossier de l’enquête pénale que Tiberiu F. souffrait d’une forte myopie aux deux yeux, d’une cataracte à l’œil droit et d’un décollement de la rétine à l’œil gauche, qu’il voyait à une distance de 20 centimètres avec l’œil gauche et que sa vue était également diminuée du côté de l’œil droit.
Entendue le 5 juin 1999 par la police de Sânnicolau Mare, Roxa B., la grand-mère de Viorel C., allégua avoir surpris le requérant en train de fouiller la maison de son petit-fils et que, prise de peur, elle n’avait rien vu d’autre et ne savait pas si son petit-fils avait battu Simion Iambor, que ce fût dans son jardin ou au poste de police.
Le 8 juin 1999, les dépositions de quatre témoins, F.M.I., T.N.C., I.V. et C.C., furent recueillies par la police de Sânnicolau Mare. Tous ces témoins déclarèrent que le 4 avril 1999 ils avaient vu le requérant sortant d’un bar de la commune pour aller chercher Viorel C. ou en train de se rendre chez ce dernier. Aucun des quatre témoins ne mentionna quoi que ce soit au sujet de l’agression dont le requérant avait été victime.
Le 16 juin 1999, le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare déclina sa compétence en faveur du parquet militaire territorial de Timişoara, en raison de la qualité de policier d’une des personnes accusées d’avoir agressé le requérant.
L’instruction de la plainte du requérant contre le médecin légiste. Le dossier no 5148/P/99 ouvert par le parquet du tribunal de première instance de Timişoara
Le 17 novembre 1999, le requérant porta plainte contre le médecin légiste M.C., du laboratoire de médecine légale de Timişoara. Il l’accusait d’avoir intentionnellement omis de noter certaines constatations dans le certificat médical du 9 avril 1999, notamment au sujet de ses lésions au nez. Cette omission aurait servi à atténuer la gravité des effets produits par les mauvais traitements dénoncés, en profitant aux accusés. La plainte du requérant donna lieu à l’ouverture d’un dossier (no 5148/P/99) par le parquet du tribunal de première instance de Timişoara.
Par une lettre du 12 janvier 2000, ce parquet invita le parquet militaire de Timişoara à joindre ledit dossier no 5148/P/99 au dossier ouvert à la suite du dépôt par le requérant d’une plainte contre le policier Costel L. et les trois autres personnes qu’il accusait de mauvais traitements.
La suite de l’instruction des plaintes du requérant. Le dossier no 573/P/1999 ouvert par le parquet militaire territorial de Timişoara
Un dossier d’enquête pénale (no 573/P/1999) fut ouvert par le parquet militaire territorial de Timişoara concernant le policier Costel L., les trois autres personnes accusées d’avoir soumis le requérant à des mauvais traitements et le médecin légiste M.C. Le parquet militaire instruisit dans le cadre du même dossier la plainte déposée par Viorel C. contre le requérant pour violation de domicile et tentative de vol.
Entendu le 19 mai 2000 par le procureur militaire, le policier Costel L. déclara que, le 4 avril 1999 vers 14 heures, Viorel C. s’était présenté au poste de police accompagné du requérant « qui se plaignait de douleurs à la poitrine et tamponnait sa bouche à l’aide d’une serviette ». Peu après leur arrivée au poste de police, Tiberiu F. serait également arrivé. Le policier aurait alors identifié le requérant, en présence de Tiberiu F.
Il aurait ensuite quitté le poste de police pour se rendre à la maison de Viorel C. afin de vérifier les faits exposés par ce dernier. Il se serait rendu sur place pour y dresser un constat « en laissant Simion Iambor avec Ioan C. dans la cour du poste de police, parce que l’intéressé se plaignait de douleurs à la poitrine et [qu’il avait] voulu éviter une nouvelle altercation entre la partie lésée [Viorel C.] et [Simion Iambor]. »
Après avoir dressé un constat au domicile de Viorel C., il aurait demandé à ce dernier et à Tiberiu F. d’aller chercher son chef et serait retourné au poste de police « afin d’interroger Iambor Simion ». Etant seul au poste de police et connaissant Iambor Simion comme un « voyageur délinquant » capable de s’enfuir, il aurait, « pour des raisons de sécurité », passé les menottes à l’intéressé, attachant sa main gauche au pied de la table à laquelle il était assis pour être interrogé.
Après l’arrivée de son chef, l’officier Iulian S., il aurait ôté les menottes au requérant et aurait fait venir l’infirmière L.U., qui aurait dit que le requérant ne présentait pas de blessures externes graves. Ils auraient ensuite décidé le placement en garde à vue (reţinere) du requérant, craignant que celui-ci ne prenne la fuite. Les deux policiers auraient par la suite accompagné l’intéressé à la police de Sânnicolau Mare « afin de le déposer à la maison d’arrêt ».
Enfin, le capitaine Z. de la police de Sânnicolau Mare aurait demandé que le requérant soit amené à l’hôpital « pour vérifier s’il pouvait supporter le régime de détention » et le médecin de garde aurait constaté que l’intéressé semblait avoir des côtes fracturées et il aurait décidé de l’hospitaliser.
Entendu le 19 mai 2000 par le procureur militaire, le chef du poste de police de Beba Veche, Iulian S., déclara qu’à son arrivée au poste de police, le 4 avril 1999, il avait vu le requérant menotté, la main gauche attachée au pied de la table, et souffrant de douleurs à la poitrine. Il aurait alors demandé à l’adjudant Costel L. d’enlever les menottes à l’intéressé et appelé l’infirmière résidant dans la commune de Beba Veche. Celle-ci n’aurait constaté aucun signe particulier de souffrance chez le requérant. Iulian S. aurait ensuite accompagné le prisonnier au commissariat de police de Sânnicolau Mare afin de le déposer à la maison d’arrêt (arestul poliţiei), puis à l’hôpital de la ville, sur demande du capitaine Z. Il n’aurait vu le requérant être agressé ni à l’intérieur ni à l’extérieur des locaux de la police de Beba Veche. Une déposition similaire du policier Iulian S. fut recueillie par le procureur militaire le 8 juin 2000.
Vasile P., un homme qui n’avait ni participé ni assisté aux incidents du 4 avril 1999, fut entendu par le procureur militaire comme témoin le 29 mai 2000. Il déclara ne rien savoir concernant l’incident du 4 avril 1999. Il précisa qu’au cours de l’année 1998 il avait été interpellé et injurié par le requérant, qu’il aurait alors « bousculé ». Cette altercation aurait donné lieu à une plainte pénale contre lui, dans laquelle Iambor aurait soutenu qu’il lui avait brisé le nez, chose ne correspondant pas à la réalité.
Le 8 juin 2000, le policier Costel L. fut à nouveau entendu par le procureur militaire, et une confrontation entre lui et le requérant eu lieu le même jour. Il déclara qu’à son arrivée au poste de police le requérant « présentait des lésions au niveau du nez et dans la région costale ».
Le même jour, le procureur présenta au requérant la déclaration du policier pour la confronter à sa propre version. Le requérant contesta le récit du policier, affirmant qu’en réalité il avait été attaché sur une chaise et battu par les frères [C.], par Tiberiu [F.] et par le sous-officier, qui l’aurait frappé au nez avec les menottes. Le but recherché aurait été de le forcer à reconnaître avoir commis les infractions qui lui étaient reprochées.
Entendue le 8 juin 2000 par le procureur militaire, l’infirmière L.U. déclara avoir été appelée par le chef du poste de police pour examiner le requérant, qui se plaignait de douleurs dans la région des côtes. Elle déclara qu’elle n’avait pas vu de lésions au niveau du visage et qu’elle n’avait pas parlé du tout au requérant, mais qu’elle avait suggéré aux policiers de le conduire à l’hôpital, étant donné qu’ils avaient l’intention de l’amener à Sânnicolau Mare.
Le capitaine Z. de la police de Sânnicolau Mare fut entendu le 8 juin 2000 par le procureur militaire. Il déclara qu’aux alentours de 22 heures le policier Costel L. et les frères [Viorel et Ioan] C. lui avaient amené le requérant afin qu’il le place en détention provisoire. Il aurait rejeté cette demande, en raison de l’absence de l’avis du bureau des enquêtes pénales. Il aurait entendu le requérant se plaindre de douleurs aux côtes mais « sans dire qui lui avait provoqué ses lésions ». Il n’aurait pas observé de blessures au visage de l’intéressé, mais aurait noté que celui-ci pressait ses mains contre ses côtes (« se ţinea de zona coastelor »). Ensuite, il aurait ordonné au sous-officier Costel L. d’amener le requérant à l’hôpital.
Le fils du requérant, alors âgé de 20 ans, fut lui aussi entendu, le 8 juin 2000, par le parquet militaire. Il déclara qu’alors qu’il se trouvait à une distance d’environ 200 mètres de la maison de Viorel C. il avait vu sortir Viorel C. et l’adjudant Costel L. encadrant son père et l’emmenant de force au poste de police. Il aurait ensuite vu Tiberiu F. se rendre à la police. Après environ cinq ou six heures, Viorel C. et l’adjudant Costel L. auraient fait sortir son père et l’auraient fait monter dans une voiture.
I.P., un homme qui n’avait ni participé ni assisté aux incidents du 4 avril 1999, fut lui aussi entendu, le 8 juin 2000, comme témoin par le procureur militaire. Il ne fit aucune déclaration au sujet des incidents, mais démentit avoir cherché à convaincre le requérant de retirer sa plainte contre les frères C. et contre le policier en lui offrant une bouteille de cognac.
Le 19 juillet 2000, Viorel C. fut entendu par le procureur militaire. Il déclara qu’il avait eu « une altercation avec [le requérant] » pour l’empêcher de s’enfuir, qu’il l’avait poussé par terre et qu’il lui était tombé dessus. Il l’aurait ensuite conduit au poste de police « sans aucune violence ». Là-bas, l’adjudant [L.] n’aurait pas agressé Iambor Simion, mais lui aurait seulement demandé une déclaration manuscrite.
Ioan C., frère de Viorel C. et maire de la commune de Beba Veche, ne fut pas entendu par le parquet au sujet de la plainte pénale déposée par le requérant relativement aux mauvais traitements qu’il affirmait avoir subis le 4 avril 1999. Aucun autre témoin ne fut entendu par le parquet militaire de Timişoara.
Le 26 juillet 2000, le parquet reçut du médecin légiste M.C. une lettre indiquant que le requérant s’était présenté au laboratoire de médecine légale sans documents d’identité ni documents médicaux, muni seulement de « deux ou trois radiographies non interprétées » dont il sollicitait l’interprétation. Le médecin légiste M.C. lui aurait alors délivré un certificat médicolégal. Le requérant serait revenu le 16 avril 1999, se plaignant que le certificat ne mentionnait pas sa lésion au nez. D’après le médecin légiste, il « revendiquait l’existence d’une fracture de la pyramide nasale, non confirmée radiologiquement ». Et le médecin légiste d’ajouter que « même à admettre la réalité de celle-ci, selon les critères de la médecine légale ce type de lésion nécessitait de douze à quatorze jours de soins médicaux. »
Le médecin légiste expliquait ensuite qu’en raison des innombrables réapparitions du requérant au service de médecine légale, il avait demandé à l’hôpital de Sânnicolau Mare des informations médicales au sujet des lésions constatées lors de son hospitalisation. Par une lettre du 19 mai 1999, le médecin M. lui aurait alors fait savoir que le requérant présentait, au moment de son hospitalisation, une « pyramide nasale légèrement tuméfiée, sensible au toucher, sans signes cliniques de fracture ».
A la fin de sa lettre, le médecin légiste M.C. indiquait qu’à son avis la déviation du septum nasal était bien antérieure à l’agression dénoncée par le requérant, comme tendait à le prouver, d’après lui, la photo figurant sur le permis de conduire de l’intéressé, lequel avait été délivré en 1977.
Par une décision du 4 septembre 2000, le parquet militaire de Timişoara rendit un non-lieu à l’égard du policier Costel L., du médecin légiste M.C., de Ioan C. et de Tiberiu F., considérant que les preuves administrées ne confirmaient pas les accusations pénales contenues dans la plainte. En ce qui concerne Viorel C., le parquet déclina sa compétence en faveur du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare. Il déclina par ailleurs sa compétence en faveur du parquet civil du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare pour l’examen de la plainte pour violation de domicile et tentative de vol portée contre le requérant.
Le point 4 du dispositif de la décision du 4 septembre 2000, contrairement à son point premier, indiquait que tant Viorel C. que Ioan C. étaient renvoyés devant le tribunal de première instance de Sânnicolau Mare, du chef des accusations de coups et blessures portées par le requérant.
La contestation par le requérant de la décision du 4 septembre 2000
Le requérant forma des recours hiérarchiques contre la décision de non-lieu rendue par le parquet militaire de Timişoara. Les 11 décembre 2000 et 31 juillet 2001, la section des parquets militaires de la Cour suprême de justice confirma la décision rendue le 4 septembre 2000. Il ressort de la copie du dossier no 101/2000, auquel avait été joint le dossier no 305/2001, soumise par le Gouvernement, qu’aucun acte d’enquête supplémentaire ne fut accompli par la section des parquets militaires de la Cour suprême de justice au sujet de la plaine du requérant.
Dans son rapport (referat) du 29 novembre 2000, versé au dossier et non communiqué au plaignant, le procureur O. retenait sommairement que le 4 avril 1999 le requérant était entré dans la demeure de Viorel C. « avec l’intention évidente de voler » et que peu après Viorel C. l’avait retrouvé et « lui avait porté plusieurs coups en le conduisant à la police pour une enquête ».
Le requérant saisit le tribunal militaire de Bucarest d’un recours contre les décisions du parquet. Après trois renvois d’audience pour non-respect de la procédure de citation, le tribunal entendit le requérant le 30 janvier 2002. Assisté d’un avocat, l’intéressé demanda au tribunal la requalification des faits dénoncés : à la qualification de coups et blessures, au sens de l’article 180 du code pénal, retenue par le parquet, il souhaitait voir substituer celle d’atteinte à l’intégrité corporelle (vătămare corporală), au sens de l’article 181 du code pénal.
Le tribunal militaire de Bucarest rendit son jugement le 30 janvier 2002. Statuant exclusivement sur la base du dossier d’enquête du parquet militaire, il rejeta le recours du requérant, constatant par ailleurs qu’un des coaccusés, Tiberiu F., était décédé.
Il s’exprima notamment comme suit :
« Le 4 avril 1999, vers 14 h 30, Iambor Simion fut aperçu par Roxa B. à l’intérieur de la maison de Viorel C., en train de fouiller les armoires et les tiroirs pour trouver de l’argent. Iambor Simion justifia sa présence au domicile de Viorel C. en disant qu’il cherchait un tiers, puis il quitta la maison.
Ayant appris ces faits, Viorel C. partit à la recherche de Iambor Simion, le retrouva et l’invita à l’accompagner chez lui. Une fois sur place Viorel C. lui demanda pour quel motif il avait violé son domicile. Iambor Simion ayant alors tenté de s’enfuir, Viorel C. le rattrapa, le fit tomber par terre et l’agressa physiquement.
Iambor Simion fut ensuite conduit au poste de police par Viorel C., qui demanda au policier Costel L. de prendre les mesures légales. Juste après, Ioan C. et Tiberiu F. arrivèrent eux aussi au poste de police. Le policier décida alors d’effectuer certains actes d’enquête. Il invita les trois hommes à quitter les lieux, installa Iambor Simion dans la cour du bâtiment abritant le siège de la police, puis referma la porte à clé. Il se rendit ensuite au domicile de Viorel C. pour un constat sur place et dressa un procès-verbal. Le policier et les trois civils se retrouvèrent ensuite au poste de police.
A son retour au poste, Costel L. jugea nécessaire d’appeler son chef, Iulian S., qui se trouvait à son domicile, [dans une autre commune]. Viorel C. et Tiberiu F. se rendirent en voiture au domicile de Iulian S. et l’amenèrent au poste de police de Beba Veche.
Dans l’intervalle, le requérant se retrouva seul avec le policier Costel L., qui, ayant appris qu’il avait tenté de s’enfuir, lui passa les menottes afin d’empêcher une nouvelle tentative d’évasion. A l’arrivée de son chef, Costel L. enleva les menottes au requérant.
Après avoir effectué d’autres actes de poursuite pénale, les deux policiers susmentionnés conduisirent le requérant à un commissariat de police de la ville de Sânnicolau Mare, où l’intéressé commença à se plaindre de douleurs dans la région costale, motif pour lequel il fut conduit de suite à l’hôpital de la ville, où il fut hospitalisé. »
Le tribunal militaire conclut que les lésions corporelles subies par Iambor Simion avaient été causées antérieurement à son arrivée à la police, lors de l’agression perpétrée par Viorel C.
Concernant ce dernier, le tribunal constata que des poursuites pénales avaient été engagées contre lui le 8 juin 2000 et que le dossier de l’affaire avait été envoyé au tribunal de première instance de Sânnicolau Mare.
Quant aux accusations portées contre le médecin légiste M.C., le tribunal confirma ce que le parquet avait établi, à l’issue de son enquête. Il s’exprima comme suit :
« Iambor Simion se présenta au médecin légiste sans être en possession ni d’une carte d’identité, ni de la feuille de soins délivrée à sa sortie de l’hôpital, mais uniquement avec quelques radiographies non interprétées. Dans ces conditions, le médecin légiste M.C. demanda à la clinique no 1 de Timişoara d’interpréter les radiographies du requérant. La clinique répondit que « la pyramide nasale du requérant n’a[vait] pas subi de lésions traumatiques osseuses ». Concernant les autres lésions de Simion Iambor, le médecin légiste estima à dix-huit jours la durée des soins médicaux nécessaires au rétablissement de l’intéressé.
A la suite des démarches de Iambor Simion, la feuille d’observation clinique établie lors de son hospitalisation fut demandée, ainsi qu’une lettre médicale. Le chirurgien M.P. avait ainsi estimé que l’intéressé avait subi une tuméfaction de la pyramide nasale, sans signes cliniques de fracture. En outre, à la suite de l’examen ORL une déviation du septum nasal avait été constatée, mais sans précisions quant à son ancienneté.
Après avoir beaucoup insisté, le médecin légiste obtint de Iambor Simion une pièce d’identité avec photo, à savoir son permis de conduire, délivré le 18 janvier 1977. Sur cette pièce était visible la déviation vers la gauche de la pyramide nasale de l’intéressé. Dès lors, si la déviation du septum nasal avait une ancienneté qui ne pouvait être précisée, elle était bien antérieure au traumatisme subi lors de l’agression litigieuse. »
Le tribunal conclut que c’était à juste titre que le parquet avait prononcé le non-lieu.
Saisie d’un recours par le requérant, la cour militaire d’appel confirma le jugement du tribunal militaire territorial par un arrêt du 25 avril 2002. Elle considéra que le tribunal avait correctement apprécié les preuves administrées par les organes d’enquête pénale, sur la base desquelles le parquet avait prononcé un non-lieu à l’égard de Costel L., M.C., Ioan C. et Tiberiu F.
La suite de la procédure pénale à l’encontre de Viorel C. et Ioan C.
A la suite de la décision rendue par le parquet militaire de Timişoara le 4 septembre 2000, qui renvoyait la plainte du requérant devant le tribunal de première instance de Sânnicolau Mare, un dossier fut ouvert par ce tribunal concernant tant Viorel C. que Ioan C., tous deux accusés de coups et blessures (lovirea sau alte violenţe), au sens de l’article 180 § 2 du code pénal.
Par une lettre du 25 septembre 2000, le parquet militaire territorial informa le tribunal de première instance que le dispositif de la décision du 4 septembre 2000 indiquait de façon erronée que Ioan C. était renvoyé en jugement aux cotés de Viorel C. Il précisait qu’ainsi qu’il ressortait de la décision du parquet un non-lieu avait été rendu à l’égard d’Ioan C.
Le tribunal de première instance fixa l’audience au 28 septembre 2000 et ordonna la convocation du requérant et des inculpés Viorel et Ioan C.
Le jour venu, le requérant se vit infliger une amende contraventionnelle pour avoir perturbé le bon déroulement des débats en utilisant des expressions offensantes et en formulant des commentaires à l’endroit du juge, qui avait été contraint de suspendre l’audience jusqu’au rétablissement de l’ordre dans la salle. La décision ne précisait pas quelles expressions avaient été employées par le requérant lors de son intervention devant le tribunal. Dans le cadre de cette procédure, le requérant ne fut pas assisté par un avocat.
Après la reprise des débats, le tribunal prit acte de la demande du requérant tendant au renvoi de l’affaire devant un autre tribunal (cerere de strămutare) et décida de la soumettre à la Cour suprême de justice. A cette fin, il ajourna l’audience au 26 octobre 2000.
Le requérant ne se présenta pas à l’audience du 26 octobre 2000.
Le tribunal décida de reporter l’affaire au 30 novembre 2000, la demande de renvoi n’ayant pas encore été tranchée par la Cour suprême de justice. Il ordonna par ailleurs que le requérant soit convoqué à l’audience.
Il ressort du dossier soumis par le Gouvernement que le requérant ne fut pas cité à comparaître le 30 novembre 2000.
A cette date, le tribunal reporta l’audience au 11 janvier 2001 et ordonna que le requérant soit dûment cité à comparaître.
Le 11 janvier 2001, le requérant informa le tribunal que sa demande de renvoi avait été rejetée par la Cour suprême de justice. Le tribunal décida de reporter l’audience au 8 février 2001 afin de demander une nouvelle expertise médicolégale du requérant.
Le 8 février 2001, le requérant déclara devant le tribunal qu’il s’opposait à un nouvel examen à l’institut local de médecine légale, dont il contestait l’impartialité. Le tribunal décida de reporter l’audience au 22 février 2001, afin de permettre l’administration de nouvelles preuves.
Le 22 février 2001, le tribunal reporta l’audience au 15 mars 2001 afin de permettre l’administration d’autres preuves. Le procès-verbal de l’audience du 22 février 2001 indiquait que le requérant était absent (lipsă partea vătămată). Comme pour les parties présentes, il précisait que le requérant connaissait la date à laquelle l’audience avait été reportée. En conséquence, le tribunal n’estima pas nécessaire de convoquer l’intéressé à l’audience du 15 mars 2002.
Le requérant affirme pour sa part qu’il s’était présenté devant le tribunal le 22 février 2001, mais qu’il avait été expulsé de la salle d’audience sur ordre du juge, sans que lui soit communiquée la date à laquelle l’audience avait été reportée. Il aurait ensuit tenté en vain de s’enquérir de cette date, le greffe ayant refusé de la lui communiquer oralement, au motif qu’il allait recevoir une convocation écrite.
Le 15 mars 2001, en absence du requérant, le tribunal de première instance de Sânnicolau Mare décida de clôturer le procès pénal concernant les allégations de mauvais traitements dirigées contre Viorel C. et Ioan C., au motif que l’intéressé avait été absent à deux audiences consécutives, les 22 février et 15 mars 2001, et que sa plainte pénale devait en conséquence être considérée comme retirée en vertu de l’article 2841 du code de procédure pénale combiné avec les articles 11 § 2 b) et 10 h) du même code.
Le requérant contesta cette décision, alléguant que, ayant été expulsé du prétoire, il n’avait pas pu participer à l’audience du 22 février 2001 et que le tribunal ne l’avait pas régulièrement cité à comparaître à l’audience du 15 mars 2001.
Par une décision du 25 juin 2001, le tribunal départemental du Timiş rejeta le recours du requérant au motif que « la véracité des allégations de la partie lésée ne ressort[ait] pas du procès-verbal de l’audience du 22 février 2001 ».
C. La sanction disciplinaire infligée au policier Costel L. et l’enquête pénale ouverte contre lui dans le dossier no 227/P/1999
A une date non précisée au cours du mois de mai 1999, D.R., rédactrice de la chaîne locale de la télévision publique (TVR) réalisa à Beba Veche un reportage au sujet du requérant. Elle recueillit tant les propos du requérant que ceux du policier Costel L. Lors de son entretien avec la journaliste, le policier lui remit un extrait du casier judiciaire du requérant. Par la suite, la journaliste appela le requérant pour lui remettre le document, sans en faire usage pour son reportage.
Le 7 juin 1999, le requérant porta plainte contre le policier Costel L., lui reprochant d’avoir remis à la journaliste D.R. un extrait de son casier judiciaire, qui comprenait des données à caractère personnel dont il contestait la réalité.
Une enquête disciplinaire fut ouverte contre le policier.
Le 5 juillet 1999, une commission disciplinaire (consiliul de judecată) constituée par cinq officiers de police décida que l’adjudant Costel L. avait enfreint la discipline en remettant un extrait du casier judiciaire du requérant à la journaliste D.R. et en accomplissant de manière défectueuse les actes d’enquête concernant le vol prétendument commis par l’intéressé le 4 avril 1999. La commission sanctionna le policier d’une peine disciplinaire de cinq jours de consigne. Sa décision comportait notamment les passages suivants :
« (...) A la suite des délibérations, il ressort que le 2 juin 1999 Iambor Simion, résidant à Beba Veche, s’est rendu au studio de TVT (Télévision Timişoara), où il s’est vu remettre sa propre fiche de casier judiciaire CF 6, de la main de la journaliste [R.D.].
Cette fiche avait été remise [à la journaliste] par le policier L. Costel, avec prière de restitution après le reportage. Après se l’être vu restituer le délinquant l’a remise à la police de la ville de Sânnicolau Mare.
Elle avait été remise au studio territorial en méconnaissance des dispositions de la loi no 23/1971, afin d’incriminer [Simion Iambor]. Par ailleurs, à l’occasion de l’enquête sur un vol commis par ce même Iambor Simion, le policier L. Costel a dressé un procès-verbal de constatations sur les lieux (cercetare la faţa locului) sans accomplir d’actes de procédure et sans identifier deux témoins assistants, rendant ainsi l’enquête plus difficile par le non-respect d’éléments essentiels de forme et de fond.
[La commission] (...) constate la violation des dispositions de la loi no 23/1971 et de l’arrêté 0150/[...] et le manque d’intérêt [de L. Costel] pour l’accomplissement de ses obligations professionnelles et pour l’amélioration de sa spécialité.
(...) »
Par une lettre du 5 janvier 2000, l’inspecteur en chef S., de la direction départementale de la police du Timiş, répondit à une pétition du requérant adressée au ministre de l’Intérieur. Il l’informait que « les aspects signalés au sujet du comportement abusif du policier [L. Costel] [avaient] été vérifiés et que des mesures disciplinaires [avaient] été prises à son encontre par la direction départementale de la police ».
Un dossier d’enquête pénale fut également ouvert, sous le no 227/P/1999, à la suite de la plainte déposée par le requérant le 7 juin 1999.
100. Dans sa déposition du 10 août 1999, le policier Costel L. s’exprima comme suit :
« Iambor Simion ayant dénigré par tous les moyens l’activité des organes de la police et les journalistes de la télévision de Timişoara ayant décidé de mener une enquête pour vérifier la réalité des faits allégués par Iambor Simion, ils m’ont demandé des informations de nature à confirmer que ce dernier était un élément réfractaire contrôlé par la police. J’ai alors apporté des arguments et j’ai défendu la légalité des actes accomplis, notamment en livrant une copie du verso du casier judiciaire. »
101. Par une décision du 23 septembre 1999, le parquet militaire de Timişoara rendit un non-lieu à l’égard du policier Costel L., considérant que les faits dénoncés n’étaient pas constitutifs d’une infraction. Il retint qu’afin de donner un exemple révélateur du caractère et du comportement de Iambor Simion le sous-officier avait présenté à la journaliste la fiche de casier judiciaire litigieuse, qu’il gardait dans le dossier de surveillance (mapa de supraveghere) et dans laquelle figuraient plusieurs infractions qui avaient été commises entre 1976 et 1994 mais avaient été amnistiées. Après avoir relevé que ce type de casier n’était pas utilisé dans les dossiers pénaux et n’était pas public, le parquet considéra qu’il ressortait des preuves administrées que le sous-officier n’avait eu l’intention ni de porter atteinte aux intérêts légitimes du requérant ni de le calomnier. Il constata enfin que le policier [L. Costel] s’était vu infliger une sanction disciplinaire pour la méconnaissance de la déontologie professionnelle.
102. Le 9 décembre 1999, sur recours du requérant, la section des parquets militaires de la Cour suprême de justice confirma le non-lieu.
D. Le résultat de la procédure pénale ouverte à l’encontre du requérant
103. A la suite de la décision du 4 septembre 2000, par laquelle le parquet militaire territorial de Timişoara avait décliné sa compétence pour les faits que le requérant était accusé d’avoir commis le 4 avril 1999, le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare, par décision du 15 mars 2001, le relaxa de toute charge pénale et lui infligea une amende administrative.
E. Les entraves alléguées à l’exercice par le requérant de son droit de recours individuel devant la Cour
104. Le 4 septembre 2001, le requérant fut condamné par la cour d’appel de Bucarest à une peine de trois ans d’emprisonnement pour un vol sans rapport avec les faits à l’origine de la présente requête commis le 17 décembre 1998. Cette procédure fait l’objet d’une autre requête, enregistrée sous le no 31062/03, devant la Cour.
105. A la suite de cette condamnation, le requérant fut incarcéré à la maison d’arrêt de Sânnicolau Mare, où il commença à purger sa peine le 27 septembre 2001.
106. Au cours de sa détention, il poursuivit sa plainte pénale concernant le policier Costel L., le médecin légiste M.C., Viorel C. et Ioan C., ainsi que sa requête devant la Cour.
107. A plusieurs reprises, il se plaignit auprès du ministre de la Justice de l’inertie des autorités judiciaires menant la procédure interne, à savoir les procureurs et les tribunaux militaires.
108. Face au manque de réaction des autorités, il entama à plusieurs reprises une grève de la faim. Ainsi, le 8 novembre 2001, il communiqua aux autorités de la maison d’arrêt de Sânnicolau Mare son intention d’entamer une grève de la faim.
109. Le 13 novembre 2001, il fut transféré à la prison de Timişoara, où il poursuivit sa grève. Il affirme que le médecin Z., psychiatre de la prison, le menaça de « s’occuper de lui » s’il ne retirait pas ses plaintes devant le parquet et devant la Cour de Strasbourg. Faute de l’assistance médicale requise, il tomba dans le coma. Il fut soigné à l’aide de perfusions, puis transféré à l’hôpital pénitentiaire de Colibaşi le 20 novembre 2001.
110. Le 13 décembre 2001, le requérant quitta l’hôpital pénitentiaire de Colibaşi pour être transféré à la prison de Bucarest-Jilava.
111. Le 22 mai 2002, il fut transféré à la prison de Timişoara.
112. Les 28 novembre 2001, 7 janvier, 7 mars et 28 mai 2002, il demanda par écrit aux directeurs des prisons de Bucarest-Jilava et de Timişoara de lui délivrer copie des documents à caractère juridique (mandat d’exécution de la peine, réquisitoires, décisions de justice) et médical des dossiers le concernant. Chaque fois, il se heurta à un refus.
113. Il réitéra verbalement ses demandes tant auprès du directeur qu’auprès du médecin de la prison, précisant qu’il avait besoin de ces documents pour étayer ses requêtes devant la Cour. A plusieurs reprises, il se vit refuser les copies demandées.
114. Pendant trois périodes, du 7 au 19 juin 2002, du 5 juillet au 21 août 2002 et du 20 septembre au 23 octobre 2002, il séjourna à l’hôpital pénitentiaire de Colibaşi, après avoir entamé des grèves de la faim. Il fut chaque fois ramené à la prison de Timişoara.
115. Le 8 août 2002, alors qu’il se trouvait hospitalisé à Colibaşi, il demanda par écrit copie de la décision rendue par la cour militaire d’appel de Bucarest le 25 avril 2002 et de deux procès-verbaux de citation à comparaître devant la cour militaire d’appel.
116. Il ressort d’un document fourni par le Gouvernement qu’un responsable de l’hôpital pénitentiaire apposa sur cette requête un ordre manuscrit ainsi libellé : « à délivrer par la prison d’où il vient » (să i le dea penitenciarul de unde a venit).
117. Le 14 avril 2003, le docteur R., médecin militaire à la prison de Timişoara, refusa de délivrer au requérant certains documents médicaux demandés par lui, malgré la réponse favorable du directeur de la prison. Le docteur R. lui communiqua son refus avec la remarque suivante : « Ce n’est pas parce que la Cour européenne demande tel ou tel document que nous allons nous plier » (Doar nu trebuie să cadă toată lumea pe spate când Curtea Europeană cere ceva acte [...]). Il précisa que tant qu’il serait le médecin de la prison le requérant ne recevrait pas ces documents.
118. Le 2 juin 2003, le requérant fut transféré à l’hôpital pénitentiaire de Dej. Le 13 juin 2003, l’administration de cet établissement fit droit à ses demandes et lui délivra copie de certains rapports médicaux et documents juridiques.
119. Il ressort d’une lettre de l’Administration nationale des prisons (« ANP ») en date du 5 août 2005 que le 5 juin 2003 l’ANP rendit une décision (no 3386) prévoyant l’obligation pour les responsables des établissements pénitentiaires de délivrer aux requérants détenus copie des documents figurant dans leurs dossiers pénitentiaires et de tenir un registre des demandes formées à cet égard. Dans la même lettre, l’ANP précisait qu’avant cette décision il n’existait de registre ni des demandes ni des décisions prises.
120. Le 1er octobre 2003, le requérant fut libéré sous conditions. Il rentra à son domicile, à Beba Veche.
121. Après cette date, il continua à envoyer des lettres à la Cour au sujet tant de la présente requête que de la requête, enregistrée sous le no 31062/03, relative à la procédure pénale ouverte à son encontre du chef du vol commis le 17 décembre 1998 et aux conditions de sa détention subséquente.
F. Les atteintes à la correspondance du requérant avec l’organisation Amnesty International et avec la poste roumaine
122. Le 19 mai 2004, le requérant envoya une lettre à Amnesty International, à Londres. L’organisation non gouvernementale lui répondit par une lettre du 28 mai 2004, que le requérant reçut le 18 juin 2004, alors qu’il se trouvait à son domicile à Beba Veche, dans une enveloppe ouverte ne présentant de cachet ni de la poste britannique ni de la roumaine.
123. Le requérant adressa à la poste roumaine une lettre dans laquelle il se plaignait que sa correspondance avec Amnesty International avait été violée. Le 5 juillet 2004, le département du trafic postal international de Bucarest lui répondit que les règlements internes en vigueur n’exigeaient plus l’apposition du cachet de la poste sur les enveloppes à l’arrivée des lettres simples de l’étranger. Envoyée par pli recommandé, cette réponse parvint au requérant dans une enveloppe ouverte le 7 juillet 2004.
124. Il porta plainte à cet égard et, le 2 août 2004, la direction départementale de la poste de Timişoara lui adressa la réponse suivante :
« A la suite de votre plainte relative à la réception de la lettre recommandée no 6662 dans une enveloppe détériorée, nous avons effectué une enquête et sommes en mesure de vous communiquer ce qui suit :
La lettre recommandée expédiée par le département du trafic postal international de Bucarest est arrivée à Beba Veche le 7 juillet 2004, date à laquelle elle vous a été délivrée.
A la réception de l’envoi, la fonctionnaire de la poste a constaté que les marges de l’enveloppe étaient décollées. Elle a mentionné ce fait sur l’enveloppe lors de sa distribution.
Les employés coupables de ne pas avoir respecté les instructions internes en vigueur concernant le traitement du courrier se sont vu infliger une sanction disciplinaire.
Nous regrettons l’incident et vous remercions pour votre compréhension. »
125. Le 21 juin 2004, le requérant porta plainte pour violation de sa correspondance avec Amnesty International. Le 21 juillet 2004, il fut convoqué au poste de police de Beba Veche, où il fut questionné, selon ses dires, au sujet de sa correspondance tant avec cette organisation qu’avec la Cour.
126. D’après le Gouvernement, la plainte déposée par le requérant pour violation de sa correspondance fit l’objet d’une enquête pénale conduite par le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare, sous le dossier no 550/P/2004, dont le Gouvernement n’a pas soumis copie à la Cour.
127. Selon le Gouvernement, le requérant fut entendu dans le cadre de ce dossier les 20 juillet et 30 août 2004. E.B. et C.B., employés de la poste, furent également entendus, le 21 juillet 2004.
128. Par une décision du 8 septembre 2004, le procureur rendit un non-lieu, en l’absence de preuves de nature à faire conclure que les employés de la poste auraient commis une violation de la correspondance du requérant. En ce qui concerne l’omission de l’employé de la poste concerné de dresser un procès-verbal attestant le fait que la lettre recommandée adressée au requérant par la poste avait été délivrée dans une enveloppe endommagée, le procureur précisa que cette omission constituait une faute disciplinaire, insusceptible d’engager la responsabilité pénale de l’intéressé pour violation de correspondance.
129. Le requérant ne contesta pas la décision de non-lieu et ne forma pas d’action civile contre la poste.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Dispositions législatives relatives aux mauvais traitements
130. Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi :
Article 180 – Des coups et autres actes de violence
« Les coups ou autres actes de violence causant des souffrances physiques sont passibles d’une peine de prison comprise entre un et trois mois ou d’une amende. (...) Les coups ou autres actes de violence ayant causé des lésions nécessitant des soins médicaux pendant 20 jours au maximum sont passibles d’une peine de prison comprise entre trois mois et deux ans ou d’une amende (...) L’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée (...) »
Article 267 – Des mauvais traitements
« Le fait de soumettre à des mauvais traitements une personne se trouvant en garde à vue ou en détention (...) est passible d’une peine de un à cinq ans de prison. »
B. Dispositions législatives pertinentes en matière d’expertises médicolégales
Le code de procédure pénale
131. L’article 119 du CPP prévoit que les instances de poursuite pénale ou les tribunaux doivent s’adresser aux services médicolégaux et aux laboratoires d’expertise criminalistique pour obtenir des expertises spécifiques. Tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, l’article 120 du CPP prévoyait en son paragraphe 5 la possibilité pour chaque partie de demander la désignation d’un expert de son choix pour participer à l’accomplissement d’une expertise, à l’exception des expertises médicolégales ou criminalistiques.
132. Par sa décision no 143/1999 publiée le 30 novembre 1999, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel le paragraphe 5 de l’article 120 du CPP au motif qu’en refusant aux parties le droit de proposer un expert en matière d’expertise médicolégale il méconnaissait les droits de la défense.
133. Le paragraphe en question a été abrogé par la loi no 281/2003 réformant le CPP, publiée dans le Journal officiel no 468 du 1er juillet 2003.
Le décret no 446 du 25 mai 1966 relatif à l’organisation des instituts et services médicolégaux
134. Les dispositions pertinentes étaient ainsi rédigées :
Article 2
« Les instituts médicolégaux sont l’Institut de recherches scientifiques médicolégales « Prof. Dr. Mina Minovici », placé sous la tutelle du ministère de la Santé, et les filiales de cet institut. Une commission supérieure médicolégale ainsi que des commissions consultatives et des commissions de contrôle des actes médicolégaux agissent dans le cadre de l’Institut et de ses filiales. »
Article 3
« Sur le plan régional, les services médicolégaux sont subordonnés aux comités exécutifs des conseils populaires (...) »
Article 6
« L’Institut de recherches scientifiques « Prof. Dr. Mina Minovici » et ses filiales effectuent (...) des expertises médicolégales, sur demande des organes judiciaires habilités, en cas d’homicide, de coups et blessures (...), de déficiences dans la dispensation de soins médicaux, ainsi que tous autres examens médicolégaux prévus par le règlement d’application du présent décret. »
Le règlement d’application du décret no 446 du 25 mai 1966, approuvé par la décision no 1085/66 du Conseil des ministres de l’époque
135. Les dispositions pertinentes étaient ainsi rédigées :
Article 27
« Les comités exécutifs des conseils populaires assurent les moyens de transport et le paiement des dépenses effectuées lors des déplacements des médecins (...) »
Article 62
« Les instructions relatives aux [attributions des médecins qui effectuent des expertises médicolégales] et à l’activité des instituts et services médicolégaux sont émises par le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur et le parquet général. »
136. Le décret no 446 du 25 mai 1966 et son règlement d’application ont été abrogés par le règlement gouvernemental no 1 du 20 janvier 2000 sur l’organisation et le fonctionnement des établissements de médecine légale, publié au Journal officiel no 22 du 21 janvier 2000. Ce règlement a été approuvé, après modifications, par la loi no 459/2001, puis modifié par le règlement no 57/2001, approuvé, après modifications, par la loi no 271/2004. La version consolidée du règlement no 1/2000 a été publiée dans le Journal officiel no 996 du 10 novembre 2005.
137. L’article 5 § 1 a) du règlement no 1/2000 prévoit que l’Institut national de médecine légale est une personne morale subordonnée au ministère de la Santé. En vertu de l’article 6 § 3, le ministère de la Santé assure le contrôle et l’évaluation de l’activité de médecine légale. Le directeur général de l’Institut national de médecine légale et les directeurs des instituts médicolégaux des centres médicaux universitaires sont nommés par ordre du ministre de la Santé, conformément à l’article 12 § 3 du règlement no 1/2000. L’activité de médecine légale est contrôlée par le ministère de la Santé et le Conseil supérieur de médecine légale, composé des directeurs des instituts médicolégaux et de représentants des ministères de la Santé, de la Justice et de l’Intérieur, et du ministère public. L’article 32 de la version consolidée (anciennement article 26) prévoit que le financement de l’Institut national de médecine légale est « assuré par des subventions prélevées sur le budget de l’Etat, par l’intermédiaire du budget du ministère de la Santé ».
C. Dispositions législatives pertinentes en matière de plainte préalable et de recours contre les décisions du parquet
138. Les dispositions législatives pertinentes en matière de plainte préalable et de recours contre les décisions du parquet sont décrites dans l’arrêt Macovei et autres c. Roumanie, no 5048/02, § 34-35, 21 juin 2007.
D. Dispositions législatives pertinentes concernant la clôture du procès pénal
139. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent ainsi :
Article 2481 – Absence injustifiée de la partie lésée
« Pour ce qui est des infractions prévues par l’article 279 § 2 a), l’absence injustifiée de la partie lésée à deux audiences consécutives devant la juridiction de première instance vaut désistement et la plainte est présumée avoir été retirée. »
140. L’article 2481 du code de procédure pénale a été abrogé par la loi no 356/2006 du 21 juillet 2006, publiée dans le Journal officiel no 677 du 7 août 2006.
E. Dispositions du code pénal concernant la violation de la correspondance
141. L’article 195 du code pénal, relatif à la violation du secret de la correspondance, se lit comme suit :
« 1. L’ouverture sans autorisation de la correspondance adressée à autrui (...) est punie d’une peine de six mois à trois ans de prison.
Est puni de la même peine le fait de soustraire, détruire ou retenir de la correspondance, ainsi que le fait de divulguer son contenu, même si elle a été envoyée ouverte ou ouverte par erreur (...) ;
L’action pénale est mise en mouvement sur plainte de la victime. (...). »
F. Dispositions du code civil concernant la responsabilité civile délictuelle
142. Les dispositions pertinentes du code civil sont ainsi libellées :
Article 998
« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Article 999
« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
III. RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Le rapport adressé au gouvernement de la Roumanie par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) après la visite effectuée par lui en Roumanie du 24 janvier au 5 février 1999
143. En ce qui concerne les blessures constatées sur des personnes placées en garde à vue par la police, les recommandations du CPT relativement aux constats médicaux sont ainsi libellées :
« Le CPT recommande en outre que tout constat médical effectué sur une personne présentant des signes de blessure contienne :
i. un compte rendu des déclarations faites par l’intéressé qui sont pertinentes pour l’examen médical (y compris la description de son état de santé et de toute allégation de mauvais traitements) ;
ii. un relevé des constatations médicales objectives fondées sur un examen médical approfondi ;
iii. les conclusions du médecin à la lumière de i) et ii). Dans ses conclusions, le médecin devrait indiquer le degré de compatibilité entre les allégations faites et les constatations médicales objectives ; ceci permettra aux autorités compétentes et, en particulier aux procureurs, de faire une évaluation idoine des informations contenues dans le constat. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont d’origine rom et résident avec leurs familles sur l’aire de Psari, près d’Aspropyrgos, commune située dans la partie ouest de la région de l’Attique.
A. Les démarches accomplies par les requérants en vue de l’inscription de leurs enfants pour l’année scolaire 2004-2005
Le 24 juin 2004, le ministre délégué à la Santé, accompagné de la secrétaire générale de son ministère, visita le camp des Roms de Psari. Il avait été informé, entre autres, de la non-scolarisation des enfants roms. Le 2 août 2004, les représentants du « European Roma Rights Center » et du « Moniteur grec Helsinki » rencontrèrent le ministre délégué à l’Education nationale et aux Affaires religieuses. A la suite à cette rencontre, celui-ci publia un communiqué de presse soulignant, entre autres, l’importance de l’intégration des enfants roms dans le processus d’éducation nationale.
La rentrée scolaire 2004-2005 eut lieu le 10 septembre 2004. Le 17 septembre 2004, le secrétaire du service de l’éducation des personnes d’origine grecque et de l’éducation interculturelle visita les camps de Roms à Psari, en compagnie de deux représentants du Moniteur grec Helsinki, afin d’enregistrer tous les enfants roms en âge de scolarisation. A cet effet, ils rendirent visite aux deux écoles primaires de la commune (les 10e et 11e écoles primaires d’Aspropyrgos). Les directeurs respectifs des écoles encouragèrent les parents roms à inscrire leurs enfants à l’école primaire. Le Moniteur grec Helsinki avertit subséquemment les autorités compétentes du ministère de l’Education et des Affaires religieuses, qui ne donnèrent aucune suite à sa démarche.
Les requérants affirment que le 21 septembre 2004 ils visitèrent avec d’autres parents roms les locaux des écoles primaires d’Aspropyrgos pour y faire enregistrer leurs enfants mineurs. Les directeurs des deux écoles auraient refusé d’inscrire les enfants au motif qu’ils n’avaient pas reçu d’instructions à ce sujet de la part du ministère compétent. Ils auraient informé les parents intéressés que dès réception des instructions nécessaires ils les inviteraient à accomplir les formalités requises. Jamais par la suite les parents n’auraient été invités à inscrire leurs enfants.
Selon le document no Φ20.3/747 délivré le 5 juin 2007 par le 1er Bureau de l’éducation primaire de l’Attique de l’Ouest à la demande du Conseil juridique de l’Etat, les requérants se présentèrent à la directrice de la 10e école primaire d’Aspropyrgos pour recueillir des informations en vue de l’enregistrement de leurs enfants mineurs. La directrice leur aurait indiqué les documents nécessaires pour enregistrer les enfants en âge de scolarisation. Selon le même document, le 23 septembre 2004, le directeur départemental de l’éducation de la région de l’Attique convoqua une réunion informelle des instances compétentes de la commune d’Aspropyrgos afin de résoudre le problème de la capacité d’accueil des écoles primaires d’Aspropyrgos face aux inscriptions supplémentaires des élèves d’origine rom. D’une part, il fut décidé que les élèves ayant atteint l’âge de la première scolarisation seraient accueillis dans les locaux existants des 10e et 11e écoles primaires d’Aspropyrgos. D’autre part, la réunion considéra que l’intégration dans les classes ordinaires des enfants ayant atteint un âge supérieur à celui de la première scolarisation se ferait à leur détriment du point de vue psychopédagogique : la différence d’âge ne leur permettrait pas d’avoir une scolarisation efficace. Sur cette base, la réunion informelle décida de prévoir deux classes supplémentaires à caractère préparatoire en vue de l’intégration desdits élèves dans les classes ordinaires.
Les 13 et 18 septembre et le 2 octobre 2004, le Moniteur grec Helsinki saisit le Médiateur de la République au nom des requérants de trois requêtes concernant les difficultés d’accès à l’éducation primaire des enfants roms, en l’invitant à intervenir. Le 3 janvier 2005, le Médiateur répondit par écrit que trois représentants de son cabinet avaient, à une date non précisée, rendu visite au camp des Roms à Psari. Dans sa réponse, le Médiateur constatait qu’il n’y avait pas, de la part des services compétents, un refus systématique et injustifié d’inscrire les enfants d’origine rom à l’enseignement primaire. Il notait avoir déjà informé les professeurs affectés aux écoles primaires d’Aspropyrgos que la législation interne prévoyait la possibilité d’inscrire les enfants à l’école primaire sur simple déclaration des personnes exerçant l’autorité parentale à condition de soumettre en temps utile le certificat de naissance. Le Médiateur se référait par ailleurs aux conclusions de plusieurs réunions avec les responsables de la commune d’Aspropyrgos et, plus précisément, à leur intention de faire construire un bâtiment distinct de l’établissement scolaire le plus proche du camp des Roms pour accueillir les enfants roms les plus âgés en vue de leur remise à niveau. Le Médiateur mentionnait enfin les tensions qui existaient entre la population d’Aspropyrgos, composée majoritairement de rapatriés venus d’Etats de l’ex-Union soviétique, et la minorité rom comme un élément supplémentaire empêchant l’intégration des enfants roms à l’environnement scolaire.
Le 1er octobre 2004, le ministre délégué à l’Education nationale et aux Affaires religieuses demanda à la société responsable de l’exploitation du domaine immobilier de l’Etat de concéder un terrain public déterminé avec deux cellules préfabriquées devant servir de salles de cours pour les écoliers roms. A une date non précisée, le ministre rejeta la demande.
Selon le Gouvernement, en novembre et décembre 2004 une délégation de professeurs des écoles primaires nos 10 et 11 rendit visite au camp des Roms à Psari afin d’informer et convaincre les parents des enfants mineurs de la nécessité d’inscrire ceux-ci aux classes préparatoires. Cette démarche serait restée sans succès, les parents concernés n’ayant pas enregistré leurs enfants pour l’année scolaire en cours.
Le 13 février 2005, l’Association de coordination des organisations et des communautés pour les droits de l’homme des Roms en Grèce (la SOKARDE) adressa au conseil d’administration de l’éducation primaire de l’Attique de l’Ouest une lettre officielle dans laquelle elle sollicitait des informations au sujet de la scolarisation des Roms d’Aspropyrgos.
Le 17 février 2005, le conseil d’administration lui répondit que l’affaire avait connu des retards imputables au ministère de l’Environnement : celui-ci avait tardé à résoudre la question du terrain public à concéder pour l’installation des salles de cours préfabriquées. Le conseil d’administration exprima son intention de tout mettre en œuvre pour la mise en place de la scolarisation des enfants roms au primaire l’année suivante.
B. L’enregistrement des enfants roms pour l’année 2005-2006
Le 24 mai 2005, la SOKARDE adressa au ministre délégué à l’Education nationale et aux Affaires religieuses une lettre soulignant la nécessité de prendre toutes les mesures requises pour assurer la réussite de la scolarisation des enfants roms pour l’année scolaire 2005-2006.
Il ressort d’une lettre en date du 1er juillet 2005 adressée à la SOKARDE que les autorités scolaires entreprirent diverses démarches pour informer les familles Roms d’Aspropyrgos de la nécessité d’inscrire leurs enfants à l’école primaire : elles émirent des messages radiophoniques, affichèrent sur les murs de l’école des annonces informant les Roms qu’ils pouvaient venir inscrire leurs enfants entre le 1er et le 21 juin 2005 et envoyèrent aux intéressés des lettres recommandées à ce sujet.
Le 9 juin 2005, à l’initiative de la SOKARDE, vingt-trois enfants d’origine rom, dont les enfants des requérants, furent inscrits à l’école primaire d’Aspropyrgos pour l’année scolaire 2005-2006. Selon le Gouvernement, le nombre d’enfants d’origine rom qui furent inscrits s’élève à cinquante-quatre.
C. Les incidents contre les enfants roms survenus en septembre et en octobre 2005
Le 12 septembre 2005, premier jour de l’année scolaire, des parents roms, dont les requérants, accompagnèrent leurs enfants à l’école. Devant l’entrée de celle-ci, plusieurs parents non roms, la plupart d’origine pontique, c’est-à-dire provenant de la région du , sur les côtes sud de la mer Noire, étaient rassemblés, harcelant les personnes d’origine rom. Ils criaient : « Il n’y a aucun enfant rom qui entrera à l’école. Vous n’allez pas y avoir accès, c’est tout ». Ensuite, les parents non roms bloquèrent l’accès à l’école jusqu’à ce que les enfants roms fussent transférés dans un autre bâtiment.
Le 12 octobre 2005, les parents non roms bloquèrent de nouveau l’accès à l’école. Ils accrochèrent à l’extérieur une pancarte disant : « L’école restera fermée en raison du problème des Gitans ; mercredi 12.10.05 ».
Le 13 octobre 2005, des enfants d’origine rom essayèrent d’accéder à l’école. Ils furent une nouvelle fois confrontés à un groupe de parents non roms. En particulier, la présidente de l’association montra à la caméra d’une chaîne de télévision qui s’était rendue sur les lieux les fiches médicales des enfants d’origine rom pour prouver qu’ils étaient inadéquatement vaccinés. Finalement, avec l’assistance de la police, qui s’était rendue sur place, les enfants roms purent accéder à l’école.
Dans le cadre de l’enquête judiciaire sur cet incident, l’officier de police D.T. fit une déposition comportant le passage suivant : « Le 13 septembre 2005, vers 9h10, deux cents parents environ d’élèves d’origine grecque pontique protestèrent à l’extérieur des écoles contre la scolarisation des enfants d’origine rom à l’école primaire (...). Un affrontement fut évité grâce à la prompte intervention de la police d’Aspropyrgos (...). Les 15 et 16 septembre 2005, l’association des parents organisa un boycottage de la participation aux classes par les élèves. Dès le premier jour des incidents, des policiers furent postés à l’extérieur de l’école afin de sécuriser l’entrée et la sortie des élèves d’origine rom. Le 10 octobre 2005, l’association des parents bloqua l’accès à l’école en guise de protestation contre l’accueil l’après-midi des élèves d’origine rom dans les mêmes salles que celles qui accueillaient les autres élèves le matin. Les 11 et 12 octobre, en présence de la police, les élèves d’origine rom eurent accès aux classes sans difficulté. Le 13 octobre 2005, cinquante à soixante parents d’origine non rom se rassemblèrent pour protester contre la présence d’élèves d’origine rom et encercler l’entrée de l’école afin d’en empêcher l’accès (...) ».
Par une lettre, datée du 1er mars 2006, le conseil d’administration de la police de l’Attique de l’Ouest informa le Moniteur grec Helsinki que les 13, 14, 15, 16 et 19 septembre 2005 et les 10, 11, 12, 13, 17, 19, 21, 25, 26, 27 et 31 octobre 2005 des forces de police avaient été diligentées aux 10e et 11e écoles primaires afin de maintenir l’ordre et d’empêcher la commission d’actes illégaux contre des élèves d’origine rom.
A partir du 31 octobre 2005, les enfants des requérants furent scolarisés dans un bâtiment distinct de l’école primaire principale d’Aspropyrgos et le blocage de l’école par les parents non roms prit fin.
D. La scolarisation des enfants des requérants
En vertu de l’acte no 39/20.9.2005 du Conseil périphérique de l’éducation primaire, trois classes préparatoires furent créées pour répondre aux besoins de scolarisation des enfants d’origine rom ; les cours de l’une se déroulaient le matin alors que ceux des deux autres avaient lieu après 15h30. Le Conseil périphérique indiqua que les élèves d’origine rom de tous âges qui seraient confrontés à des problèmes d’apprentissage scolaire pourraient suivre des classes préparatoires spéciales, le but étant de permettre leur intégration sans entraves dans les classes ordinaires.
Le 25 octobre 2005, les requérants signèrent une déclaration rédigée par les enseignants de l’école d’Aspropyrgos et exprimant leur volonté de voir leurs enfants transférés dans le bâtiment distinct de l’école primaire. Les requérants allèguent qu’ils avaient signé la déclaration en question sous l’effet de pressions exercées par le ministre de l’Education, par des parents non roms et par certains chefs de la communauté rom.
Le 31 mai 2007, le premier requérant déclara sous serment devant le tribunal de paix d’Elefsina qu’il aurait préféré que ses enfants fussent scolarisés dans les classes ordinaires plutôt que dans l’école spéciale. Il précisa qu’il lui était toutefois difficile de maintenir cette position dès lors que l’intégrité de ses enfants était mise en péril par des habitants non roms furieux et que les professeurs l’incitaient indirectement à consentir à ce que ses enfants fussent scolarisés dans l’« l’école ghetto ».
Entre-temps, en vertu de l’acte no 261/22.12.2005, le préfet de l’Attique avait décidé que trois classes de l’école primaire no 10 de la commune d’Aspropyrgos seraient accueillies dans des salles préfabriquées installées sur un terrain dont la commune d’Aspropyrgos était propriétaire.
Le 17 mars 2006, la Direction de l’éducation primaire de l’Attique de l’Ouest adressa une lettre au ministère de l’Education nationale et des Affaires religieuses. Elle l’y informait que pour l’année scolaire 2005-2006 cinquante-deux nouveaux élèves d’origine rom avaient été inscrits à la 10e école primaire d’Aspropyrgos. Elle notait que « en raison du manque d’espace dans le bâtiment principal de l’école, et avec l’accord des parents, les élèves d’origine rom [avaient] été accueillis dans une annexe installée près du camp des Roms ».
Le 20 juin 2006, la 3e circonscription du Conseil éducatif de l’éducation primaire de l’Attique de l’Ouest adressa une lettre au directeur de la périphérie de l’Attique. Elle l’y informait que pour l’année scolaire 2005-2006 cinquante-quatre élèves d’origine rom avaient été inscrits à la 10e école primaire d’Aspropyrgos. Elle précisait que « des classes préparatoires [avaient] été prévues pour les élèves d’origine rom, en vue d’assurer leur adaptation à l’environnement scolaire, compte tenu des déficiences dont ils souffr[aient] et de diverses autres raisons rendant impossible leur intégration dans les classes ordinaires ». Elle ajoutait que « malgré les progrès effectués par les élèves roms dans les classes préparatoires, l’ensemble des ces élèves n’[étaient] pas encore aptes à intégrer les classes ordinaires ».
Le 5 avril 2007, les salles préfabriquées de la 10e école primaire furent incendiées par des inconnus. Il ressort du dossier qu’en septembre 2007 les deux salles ont été remplacées mais qu’en raison de problèmes d’infrastructure elles n’étaient pas opérationnelles. En septembre 2007 fut créée à Aspropyrgos une 12e école primaire, à laquelle les enfants roms furent transférés. Il ressort du dossier qu’en octobre 2007 cette école n’était pas encore opérationnelle, en raison de problèmes d’infrastructure. Le Gouvernement allègue que la création de la 12e école primaire d’Aspropyrgos ne visait qu’à décongestionner la 10e école primaire.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Le droit et la pratique internes
Le droit interne
Selon l’article 7 § 1 du décret présidentiel no 201/1998,
« Sont enregistrés en première classe de l’école primaire tous les élèves ayant atteint l’âge légal de scolarité. Les inscriptions ont lieu du 1er au 15 juin de l’année scolaire précédente (...). »
La directive Φ4/350/Γ1/1028/22.8.1995 du ministre de l’Education nationale et des Affaires religieuses souligne la nécessité « d’une coopération entre les familles roms, les directeurs et les conseils des établissements scolaires afin que les enfants roms résidant dans des camps soient enregistrés dans des écoles maternelles et primaires (...). Les directeurs [des écoles] doivent non seulement encourager les enfants roms à s’inscrire dans les écoles primaires mais, aussi, identifier les enfants roms de leur circonscription et veiller à leur enregistrement ainsi qu’à leur assiduité aux cours (...) ». De surcroît, la directive Φ4/127/Γ1/694/1.9.1999 du ministre de l’Education nationale et des Affaires religieuses et l’article 7 § 8 du décret présidentiel no 201/1998 font obligation aux autorités compétentes de faciliter l’accès des enfants roms à l’enseignement public.
Les articles pertinents du décret législatif no 18/1989 sur la « Codification des dispositions des lois sur le Conseil d’Etat » disposent :
Article 45
« Actes incriminés
« 1. Le recours en annulation pour excès de pouvoir ou violation de la loi est recevable uniquement contre les actes exécutoires des autorités administratives et des personnes morales de droit public qui ne sont susceptibles de recours devant aucune autre juridiction.
(...)
Dans les cas où la loi impose à une autorité de régler une question déterminée en édictant un acte exécutoire soumis aux dispositions du paragraphe 1, le recours en annulation est recevable même contre la carence de cette autorité à édicter un tel acte.
L’autorité est présumée refuser d’édicter l’acte soit lorsque le délai spécial éventuellement fixé par la loi arrive à expiration, soit après l’écoulement d’un délai de trois mois à partir du dépôt de la requête auprès de l’administration, qui est tenue de délivrer un accusé de réception (...) indiquant le jour dudit dépôt. Le recours en annulation exercé avant l’expiration des délais susmentionnés est irrecevable.
Le recours en annulation valablement introduit contre un refus implicite [de l’administration] vaut également recours contre l’acte négatif qui serait le cas échéant adopté ultérieurement par l’administration ; toutefois, cet acte peut aussi être attaqué séparément. »
Article 52
« ( ...)
Un comité institué pour les besoins de la cause par le président du Conseil d’Etat ou de la section compétente du Conseil d’Etat et constitué dudit président ou de son substitut, du rapporteur de l’affaire et d’un conseiller d’Etat, peut, sur demande de l’auteur du recours en annulation, suspendre l’exécution de l’acte attaqué, par une décision brièvement motivée et adoptée en chambre du conseil (...). »
La Ligue hellénique des droits de l’homme (LHDH) et le Centre de recherche sur les groupes minoritaires (KEMO)
La LHDH, constituée en 1953, est l’organisation non gouvernementale la plus ancienne en Grèce. Elle est membre de la Fédération internationale des droits de l’homme. Le KEMO est une association à but non lucratif constituée en 1996. L’objet de son activité est la recherche scientifique sur les groupes et langues minoritaires en Grèce.
Le rapport annuel des LHDH et KEMO pour l’année 2007 sur l’état du racisme et de la xénophobie en Grèce observe une nette amélioration des conditions de scolarisation des personnes appartenant aux minorités musulmane et rom par rapport aux années quatre-vingt-dix. Cela étant, le rapport note que l’enregistrement des enfants d’origine rom à l’école continue d’être une source de tensions, d’intolérance et de réactions violentes. Cela oblige parfois au placement des enfants roms dans des écoles spéciales créées uniquement pour les Roms, malgré l’engagement ferme de l’administration d’éviter la ségrégation des minorités dans le milieu scolaire. Le rapport constate que les incidents d’intolérance les plus graves concernent l’enregistrement des enfants roms dans l’enseignement primaire.
L’Institut de l’éducation des personnes d’origine grecque et de l’éducation interculturelle
Par une lettre datée du 2 février 2004, l’Institut de l’éducation des personnes d’origine grecque et de l’éducation interculturelle avait informé le représentant du Moniteur grec Helsinki que dix-huit écoles fréquentées uniquement par des « enfants gitans » avaient été opérationnelles sur le territoire grec durant l’année scolaire 2002-2003.
B. Les sources du Conseil de l’Europe
Le Comité des Ministres
La Recommandation no R (2000) 4 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’éducation des enfants roms/tsiganes en Europe (adoptée par le Comité des Ministres le 3 février 2000, lors de la 696e réunion des Délégués des Ministres)
Les termes de cette recommandation sont les suivants :
« Le Comité des Ministres, conformément à l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres et que ce but peut être poursuivi notamment par l’adoption d’une action commune dans le domaine de l’éducation ;
Reconnaissant qu’il est urgent de poser de nouvelles fondations pour de futures stratégies éducatives en faveur des Rom/Tsiganes en Europe, notamment en raison du taux élevé d’analphabétisme ou de semi-analphabétisme qui sévit dans cette communauté, de l’ampleur de l’échec scolaire, de la faible proportion de jeunes achevant leurs études primaires et de la persistance de facteurs tels que l’absentéisme scolaire ;
Notant que les problèmes auxquels sont confrontés les Rom/Tsiganes dans le domaine scolaire sont largement dus aux politiques éducatives menées depuis longtemps, qui ont conduit soit à l’assimilation, soit à la ségrégation des enfants roms/tsiganes à l’école au motif qu’ils souffraient d’un « handicap socioculturel » ;
Considérant qu’il ne pourra être remédié à la position défavorisée des Rom/Tsiganes dans les sociétés européennes que si l’égalité des chances dans le domaine de l’éducation est garantie aux enfants roms/tsiganes ;
Considérant que l’éducation des enfants roms/tsiganes doit être une priorité des politiques nationales menées en faveur des Rom/Tsiganes ;
Gardant à l’esprit que les politiques visant à régler les problèmes auxquels sont confrontés les Rom/Tsiganes dans le domaine de l’éducation doivent être globales et fondées sur le constat que la question de la scolarisation des enfants roms/tsiganes est liée à tout un ensemble de facteurs et de conditions préalables, notamment les aspects économiques, sociaux, culturels et la lutte contre le racisme et la discrimination ;
Gardant à l’esprit que les politiques éducatives en faveur des enfants roms/tsiganes devraient s’accompagner d’une politique active en ce qui concerne l’éducation des adultes et l’enseignement professionnel ; (...)
Recommande aux gouvernements des Etats membres :
de respecter, dans la mise en œuvre de leur politique d’éducation, les principes énoncés en annexe de la présente Recommandation ;
de porter la présente Recommandation à l’attention des instances publiques compétentes dans leurs pays respectifs, par les voies nationales appropriées. »
Les passages pertinents de l’annexe à la Recommandation no R (2000) 4 se lisent ainsi :
« Principes directeurs d’une politique d’éducation à l’égard des enfants roms/tsiganes en Europe
I. Structures
Les politiques éducatives en faveur des enfants roms/tsiganes devraient s’accompagner des moyens adéquats et de structures souples indispensables pour refléter la diversité de la population rom/tsigane en Europe et pour tenir compte de l’existence de groupes roms/tsiganes ayant un mode de vie itinérant ou semi-itinérant. A cet égard, le recours à un système d’éducation à distance, s’appuyant sur les nouvelles technologies de la communication pourrait être envisagé.
L’accent devrait être mis sur une meilleure coordination des niveaux internationaux, nationaux, régionaux et locaux afin d’éviter la dispersion des efforts et de favoriser les synergies.
Les Etats membres devraient dans cette optique sensibiliser les ministères de l’Education à la question de l’éducation des enfants roms/tsiganes.
L’enseignement préscolaire devrait être largement développé et rendu accessible aux enfants roms/tsiganes, afin de garantir leur accès à l’enseignement scolaire.
Il conviendrait aussi de veiller tout particulièrement à une meilleure communication avec et entre les parents par le recours, le cas échéant, à des médiateurs issus de la communauté rom/tsigane qui auraient la possibilité d’accès à une carrière professionnelle spécifique. Des informations spéciales et des conseils devraient être prodigués aux parents quant à l’obligation d’éducation et aux mécanismes de soutien que les communes peuvent offrir aux familles. L’exclusion et le manque de connaissances et d’éducation (voire l’illettrisme) des parents empêchent également les enfants de bénéficier du système éducatif.
Des structures de soutien adéquates devraient être mises en place afin de permettre aux enfants roms/tsiganes de bénéficier, notamment par le biais d’actions positives, de l’égalité des chances à l’école.
Les Etats membres sont invités à fournir les moyens nécessaires à la mise en œuvre des politiques et des mesures susmentionnées afin de combler le fossé entre les écoliers roms/tsiganes et ceux appartenant à la population majoritaire.
II. Programmes scolaires et matériel pédagogique
Les mesures éducatives en faveur des enfants roms/tsiganes devraient s’inscrire dans le cadre de politiques interculturelles plus larges, et tenir compte des caractéristiques de la culture romani et de la position défavorisée de nombreux Rom/Tsiganes dans les Etats membres.
Les programmes scolaires, dans leur ensemble, et le matériel didactique devraient être conçus de manière à respecter l’identité culturelle des enfants roms/tsiganes. Il faudrait donc introduire l’histoire et la culture des Rom dans les matériels pédagogiques afin de refléter l’identité culturelle des enfants roms/tsiganes. La participation des représentants des communautés roms/tsiganes à l’élaboration de matériels portant sur l’histoire, la culture ou la langue roms/tsiganes devrait être encouragée.
Les Etats membres devraient toutefois s’assurer que ces mesures ne débouchent pas sur des programmes scolaires distincts pouvant mener à la création de classes distinctes.
Les Etats membres devraient également encourager l’élaboration de matériels pédagogiques fondés sur des exemples d’actions réussies afin d’aider les enseignants dans leur travail quotidien avec les écoliers roms/tsiganes.
Dans les pays où la langue romani est parlée, il faudrait offrir aux enfants roms/tsiganes la possibilité de suivre un enseignement dans leur langue maternelle.
III. Recrutement et formation des enseignants
Il conviendrait de prévoir l’introduction d’un enseignement spécifique dans les programmes préparant les futurs enseignants afin que ceux-ci acquièrent les connaissances et une formation leur permettant de mieux comprendre les écoliers roms/tsiganes. Toutefois, l’éducation des écoliers roms/tsiganes devrait rester partie intégrante du système éducatif global.
La communauté rom/tsigane devrait être associée à l’élaboration de ces programmes et pouvoir communiquer directement des informations aux futurs enseignants.
Il faudrait aussi favoriser le recrutement et la formation d’enseignants issus de la communauté rom/tsigane. (...) »
L’Assemblée parlementaire
a) La Recommandation no 1203 (1993) relative aux Tsiganes en Europe
Les observations générales de cette recommandation énoncent notamment :
« L’un des objectifs du Conseil de l’Europe est de promouvoir la formation d’une véritable identité culturelle européenne. L’Europe abrite de nombreuses cultures différentes qui toutes, y compris les multiples cultures minoritaires, concourent à sa diversité culturelle.
Les Tsiganes occupent une place particulière parmi les minorités. Vivant dispersés à travers toute l’Europe, ne pouvant se réclamer d’un pays qui leur soit propre, ils constituent une véritable minorité européenne qui ne correspond toutefois pas aux définitions applicables aux minorités nationales ou linguistiques.
En tant que minorité dépourvue de territoire, les Tsiganes contribuent dans une large mesure à la diversité culturelle de l’Europe, et cela à plusieurs égards, que ce soit par la langue et la musique ou par leurs activités artisanales.
A la suite de l’admission de nouveaux Etats membres d’Europe centrale et orientale, le nombre de Tsiganes vivant dans la zone du Conseil de l’Europe s’est considérablement accru.
L’intolérance à l’égard des Tsiganes a toujours existé. Des flambées de haine raciale ou sociale se produisent cependant de plus en plus régulièrement et les relations tendues entre les communautés ont contribué à créer la situation déplorable dans laquelle vivent aujourd’hui la majorité des Tsiganes.
Le respect des droits des Tsiganes, qu’il s’agisse des droits fondamentaux de la personne, ou de leurs droits en tant que minorité, est une condition essentielle de l’amélioration de leur situation.
En garantissant l’égalité des droits, des chances et de traitement, et en prenant des mesures pour améliorer le sort des Tsiganes, il sera possible de redonner vie à leur langue et à leur culture, et, partant, d’enrichir la diversité culturelle européenne.
Il importe de garantir aux Tsiganes la jouissance des droits et des libertés définis dans l’article 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, car cela leur permet de faire valoir leurs droits. (...) »
Concernant le domaine de l’éducation, la recommandation dispose :
« les programmes européens existants de formation des maîtres enseignant à des Tsiganes devraient être élargis ;
une attention particulière devrait être accordée à l’éducation des femmes, en général, et des mères accompagnées de leurs enfants en bas âge ;
les jeunes Tsiganes doués devraient être encouragés à étudier et à jouer le rôle d’intermédiaires pour les Tsiganes ; (...). »
b) La Recommandation no 1557 (2002) relative à la situation juridique des Roms en Europe
Cette recommandation énonce notamment :
« (...)
Aujourd’hui, les Roms font encore l’objet de discrimination, de marginalisation et de ségrégation. La discrimination est répandue dans tous les domaines de la vie publique et privée, y compris dans l’accès à la fonction publique, à l’enseignement, à l’emploi, aux services de santé et au logement, ainsi que lors du passage des frontières et dans l’accès aux procédures d’asile. La marginalisation et la ségrégation économique et sociale des Roms se transforment en discrimination ethnique, qui touche en général les groupes sociaux les plus faibles.
Les Roms constituent un groupe particulier, minoritaire à double titre : ethniquement minoritaires, ils appartiennent aussi très souvent aux couches socialement défavorisées de la société. (...)
Le Conseil de l’Europe peut et doit jouer un rôle important dans l’amélioration du statut juridique des Roms, du niveau d’égalité dont ils bénéficient et de leurs conditions d’existence. L’Assemblée appelle les Etats membres à satisfaire les six conditions générales ci-après, qui sont nécessaires pour une amélioration de la situation des Roms en Europe : (...)
c) garantir l’égalité de traitement à la minorité rom en tant que groupe minoritaire ethnique ou national dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, du logement, de la santé et des services publics. Les Etats membres devraient porter une attention spéciale :
(...)
ii. à donner la possibilité aux Roms d’intégrer toutes les structures éducatives, du jardin d’enfants à l’université ;
iii. à développer des mesures positives pour recruter des Roms dans les services publics intéressant directement les communautés roms, comme les établissements d’enseignement primaire et secondaire, les centres de protection sociale, les centres locaux de soins de santé primaire et les administrations locales ;
iv. à faire disparaître toute pratique tendant à la ségrégation scolaire des enfants roms, en particulier la pratique consistant à les orienter vers des écoles ou des classes réservées aux élèves handicapés mentaux ;
d) développer, et mettre en œuvre des actions positives et un traitement préférentiel pour les classes socialement défavorisées, y compris les Roms, en tant que communauté socialement défavorisée, dans les domaines de l’enseignement, de l’emploi et du logement (...) ;
e) prendre des mesures spécifiques et créer des institutions spéciales pour la protection de la langue, de la culture, des traditions et de l’identité roms ; (...)
ii. encourager les parents roms à envoyer leurs enfants à l’école primaire et secondaire, et dans les établissements d’enseignement supérieur et à les informer correctement de l’importance de l’éducation ; (...)
v. recruter des enseignants roms, notamment dans les zones où la population rom est importante ;
f) combattre le racisme, la xénophobie et l’intolérance, et garantir le traitement non discriminatoire des Roms aux niveaux local, régional, national et international : (...)
vi. porter une attention particulière aux phénomènes de discrimination à l’encontre des Roms, notamment dans le domaine de l’éducation et de l’emploi ; (...). »
La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)
a) La recommandation de politique générale no 3 de l’ECRI : La lutte contre le racisme et l’intolérance envers les Roms/Tsiganes (adoptée par l’ECRI le 6 mars 1998)
Les passages pertinents de cette recommandation sont ainsi libellés :
« La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance :
(...)
Rappelant que la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance fait partie intégrante de la protection et promotion des droits de l’homme, que ces derniers sont universels et indivisibles, et sont les droits de tout être humain, sans distinction aucune ;
Soulignant que la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance vise avant tout à protéger les droits des membres vulnérables de la société ;
Convaincue que toute action contre le racisme et la discrimination devrait partir du point de vue de la victime et tendre à améliorer sa situation ;
Constatant que les Roms/Tsiganes souffrent aujourd’hui partout en Europe de préjugés persistants à leur égard, sont victimes d’un racisme profondément enraciné dans la société, sont la cible de manifestations, parfois violentes, de racisme et d’intolérance, et que leurs droits fondamentaux sont régulièrement violés ou menacés ;
Constatant également que les préjugés persistants envers les Roms/Tsiganes conduisent à des discriminations à leur égard dans de nombreux domaines de la vie sociale et économique, et que ces discriminations alimentent considérablement le processus d’exclusion sociale dont souffrent les Roms/Tsiganes ;
Convaincue que la promotion du principe de tolérance est une garantie du maintien de sociétés ouvertes et pluralistes rendant possible une coexistence pacifique ;
recommande aux gouvernements des Etats membres ce qui suit :
(...)
– S’assurer que la discrimination en tant que telle ainsi que les pratiques discriminatoires sont combattues au moyen de législations adéquates et veiller à introduire dans le droit civil des dispositions spécifiques à cet effet, notamment dans les secteurs de l’emploi, du logement et de l’éducation ;
(...)
– Combattre de manière vigoureuse toute forme de ségrégation scolaire à l’égard des enfants roms/tsiganes et assurer de manière effective l’égalité d’accès à l’éducation ; (...). »
b) La recommandation de politique générale no 7 de l’ECRI sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale (adoptée par l’ECRI le 13 décembre 2002)
Aux fins de cette recommandation, on entend par :
« a) « racisme » la croyance qu’un motif tel que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique justifie le mépris envers une personne ou un groupe de personnes ou l’idée de supériorité d’une personne ou d’un groupe de personnes.
b) « discrimination raciale directe » toute différence de traitement fondée sur un motif tel que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique, qui manque de justification objective et raisonnable. Une différence de traitement manque de justification objective et raisonnable si elle ne poursuit pas un but légitime ou si fait défaut un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
c) « discrimination raciale indirecte » le cas où un facteur apparemment neutre tel qu’une disposition, un critère ou une pratique ne peut être respecté aussi facilement par des personnes appartenant à un groupe distingué par un motif tel que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique, ou désavantage ces personnes, sauf si ce facteur a une justification objective et raisonnable. Il en est ainsi s’il poursuit un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. »
Dans l’exposé des motifs relatif à cette recommandation, il est noté (point 8) que les définitions des notions de discrimination raciale directe et indirecte contenues dans le paragraphe 1 b) et c) de la recommandation s’inspirent de celles contenues dans la Directive 2000/43/CE du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, et dans la Directive 2000/78/CE du Conseil portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
c) Le rapport de l’ECRI sur la Grèce rendu public le 8 juin 2004
L’ECRI rappelle dans son rapport du 8 juin 2004 que dans son rapport précédent elle avait attiré l’attention des autorités grecques sur la situation des Roms, notamment sur les problèmes d’expulsion de leurs logements et de discrimination dans l’accès aux services publics, et souligné l’importance de surmonter les résistances locales aux initiatives en faveur des Roms.
Après avoir fait état de son inquiétude, l’ECRI estime dans son rapport du 8 juin 2004 que, depuis l’adoption de son second rapport sur la Grèce, la situation des Roms en Grèce n’a pas fondamentalement changé et qu’en général ils connaissent les mêmes difficultés - y compris des discriminations - en matière de logement, d’emploi, d’éducation ou d’accès aux services publics.
Le Commissaire aux Droits de l’Homme
Le Rapport final de M. Alvaro Gil-Robles sur la situation en matière de droits de l’homme des Roms, Sintis et Gens du voyage en Europe (daté du 15 février 2006)
Dans la troisième partie de ce rapport, consacrée à la discrimination dans le domaine de l’éducation, le Commissaire observe que si un nombre important d’enfants roms n’ont pas accès à une éducation de qualité égale à celle offerte aux autres enfants, c’est aussi en raison des pratiques discriminatoires et des préjugés. Il relève à cet égard que la ségrégation au sein du système éducatif est une caractéristique commune à de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe. Dans certains pays, il existe des écoles isolées dans des campements isolés, dans d’autres des classes spéciales pour enfants roms dans des écoles ordinaires, ou une surreprésentation nette des enfants roms dans des classes pour enfants ayant des besoins spéciaux. Il est fréquent que les enfants roms soient placés dans des classes pour enfants ayant des besoins spéciaux, sans évaluation psychologique ou pédagogique adéquate, les critères réels étant leur origine ethnique. Le placement dans des écoles ou classes spéciales fait que ces enfants suivent souvent un programme scolaire moins ambitieux que celui des classes normales, ce qui réduit leurs perspectives en matière d’éducation et, partant, leurs possibilités de trouver un emploi ultérieurement. Le placement automatique des enfants roms dans des classes pour enfants ayant des besoins spéciaux est propre à conforter la réprobation sociale en étiquetant les enfants roms comme moins intelligents et moins capables. Dans le même temps, l’éducation ségréguée prive les enfants roms et les enfants non roms de la possibilité de se connaître et d’apprendre à vivre comme des citoyens égaux. Elle exclut les enfants roms de la société normale dès leur toute petite enfance, en augmentant le risque pour eux d’être pris dans le cercle vicieux de la marginalisation.
En conclusion, le Commissaire formule un certain nombre de recommandations dans le domaine de l’éducation. Selon lui, lorsque la ségrégation en matière d’éducation existe encore sous une forme ou sous une autre, il faut lui substituer un enseignement intégré ordinaire et, s’il y a lieu, l’interdire par la législation. Des ressources suffisantes doivent être affectées à l’enseignement préscolaire, à la formation linguistique et à la formation d’assistants scolaires, afin de garantir le succès des efforts déployés en matière de déségrégation. Ensuite, une évaluation adéquate doit être faite avant de placer les enfants dans des classes spéciales, afin que les seuls critères de placement soient les besoins objectifs de l’enfant et non son origine ethnique. | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1980 et en 1982 et résident dans la ville de Nijni Novgorod.
A. La genèse de l'affaire
Entre le 4 et le 24 novembre 1999, la première requérante eut la qualité de témoin dans une affaire de meurtre sur laquelle la police et le parquet enquêtaient conjointement.
Il apparaît que ces autorités convoquèrent à plusieurs reprises l'intéressée pour la faire déposer au poste du ministère de l'Intérieur pour le district de Nijégorod (Нижегородское районное управление внутренних дел ; « le poste de police »).
Il semble en outre qu'à un certain moment de l'instruction le suspect B. déclara que la première requérante avait en sa possession des affaires ayant appartenu à la victime du meurtre.
La première requérante dit avoir été citée à comparaître par l'agent d'instruction J. le 25 novembre 1999 à 12 h 30. Le Gouvernement affirme que ce n'est pas cet agent mais le policier K. qui l'a convoquée.
B. Les faits survenus le 25 novembre 1999
Ci-après est exposé le récit des requérants, sur lequel le Gouvernement n'a pas livré d'observations particulières.
L'interrogatoire par les policiers Kh. et K.
La première requérante arriva au poste de police à l'heure puis fut soumise à un interrogatoire, mené dans un premier temps par les policiers Kh. et K., dans le bureau no 63.
Les policiers lui demandèrent de reconnaître qu'elle s'était trouvée en possession d'affaires ayant appartenu à la victime du meurtre. Comme l'intéressée s'y refusait, ils commencèrent à crier et la menacèrent de poursuites. Ils s'emparèrent de son écharpe de club de football, avec laquelle ils frappèrent la jeune femme plusieurs fois au visage.
K. quitta ensuite le bureau, où Kh. resta seul à seul avec la première requérante. Kh. verrouilla la porte de l'intérieur, puis entreprit de faire usage de moyens de contrainte physique et psychologique. Il attacha les mains de l'intéressée à l'aide de poucettes et la frappa à la tête et aux joues. Il la viola en utilisant un préservatif puis la força à lui pratiquer une fellation.
Kh. fut interrompu par un bruit dans le couloir et par quelqu'un qui frappait à la porte. La première requérante fut autorisée à aller s'arranger dans les toilettes.
La confrontation avec le suspect B. et les faits survenus au cours des trois heures suivantes
Vers 14 heures, la première requérante fut confrontée au suspect B. En présence de celui-ci, elle nia derechef être impliquée dans le meurtre.
Ensuite, Kh. et K. attachèrent les pouces de l'intéressée et la frappèrent au ventre à plusieurs reprises. Ils lui mirent un masque à gaz sur le visage et la firent suffoquer en lui coupant l'accès à l'air. De plus, ils l'électrisèrent à l'aide de fils reliés à ses boucles d'oreilles. Tout en commettant ces actes, ils lui enjoignaient de passer aux aveux.
Il semble que finalement la jeune femme ait admis avoir eu en sa possession les affaires en question et ait accepté de mettre ses aveux par écrit. Ne pouvant écrire correctement en raison de son état d'agitation, elle dut s'y reprendre à deux fois. Les aveux furent communiqués à un procureur local.
Kh. et K. proposèrent alors que la mère de la première requérante apporte le carnet sur lequel étaient notés les numéros de téléphone et adresses des amis et connaissances de l'intéressée.
Jointe au téléphone par sa fille, la mère de la première requérante arriva au poste de police à 16 h 40, accompagnée du second requérant, pour y apporter le carnet. Tous deux restèrent dans un vestibule près du bureau no 63.
A 17 heures, S., un agent d'instruction du parquet local, entra dans le bureau no 63. La première requérante lui ayant dit qu'elle soutenait l'équipe de football du CSKA Moscou, il commença à l'injurier et à la frapper à la tête avec l'écharpe qu'elle portait, lui ordonnant d'insulter ce club.
L'interrogatoire de la première requérante par l'agent d'instruction J.
Quelque temps après, Kh. conduisit la première requérante au bureau no 3 du parquet du district de Nijégorod de la ville de Nijni Novgorod (Прокуратура Нижегородского района г. Нижний Новгород ; « le parquet local »), situé dans le même bâtiment que le poste de police.
La jeune femme y fut interrogée par J., un agent d'instruction du parquet local, au sujet de ses aveux.
Afin d'accroître la pression sur l'intéressée, les agents d'instruction arrêtèrent et incarcérèrent simultanément sa mère. Il semble que celle-ci ait passé deux heures en détention.
Les faits survenus entre 18 h 30 et 19 heures
Le second requérant allègue que, vers 18 h 30, l'agent d'instruction S. se trouvait dans le vestibule et l'aperçut. S. somma brutalement le jeune homme de quitter le bâtiment, lui donna un coup de pied à la hanche, le poussa vers la sortie puis le rattrapa et le força à entrer dans le bureau no 54, où deux policiers non identifiés étaient présents.
S. verrouilla la porte de l'intérieur, frappa plusieurs fois le second requérant au thorax et lui donna quelques coups à la tête et au thorax avec l'écharpe du CSKA Moscou que portait l'intéressé.
S. conduisit le second requérant au bureau no 7 et, en présence de Kh. et de l'agent d'instruction M., continua de le rouer de coups, lui ordonnant d'insulter le CSKA Moscou. Comme l'intéressé s'y refusait, S. lui passa l'écharpe autour du cou et commença à l'étouffer tout en le frappant au thorax. Finalement, le second requérant céda.
Ensuite, l'intéressé fut envoyé par M., J. et Kh. dans un magasin situé à proximité pour y acheter de l'alcool, des cigarettes et de la nourriture. A son retour, il fut expulsé du bâtiment.
Les faits survenus entre 19 heures et 22 h 30
Vers 19 heures, S. et M. entrèrent dans le bureau no 3, où l'agent d'instruction J. finissait d'interroger la première requérante. Ils la gardèrent encore après l'interrogatoire et commencèrent à boire de l'alcool. Elle dit avoir demandé à partir, mais en vain.
A sa demande, l'intéressée fut escortée aux toilettes du troisième étage du bâtiment, où elle tenta sans succès de s'ouvrir les veines du poignet gauche.
A son retour au bureau no 3, elle fut violée pendant les deux heures suivantes par J., S. et M. Il semble que ceux-ci utilisèrent des préservatifs et nettoyèrent ensuite les lieux avec des chiffons. Il apparaît également que Kh. quitta ce bureau lorsque la première requérante revint des toilettes et qu'il ne participa pas au viol.
A 21 heures, S. partit. Pendant une heure, J. et M. violèrent une nouvelle fois la première requérante, puis vers 22 heures la relâchèrent.
Les faits survenus après 22 h 30
A 22 h 30, la première requérante se rendit chez RB, l'une de ses connaissances. Peu après, IA et EA la rejoignirent. Après discussion, EA appela les parents de la jeune femme et les informa que RB et IA allaient l'accompagner à l'hôpital.
Le lendemain, à 1 h 20, ils arrivèrent à l'hôpital no 21 et la première requérante dit à une infirmière auxiliaire qu'elle avait été violée au poste de police. L'infirmière et le médecin ne l'examinèrent pas mais lui conseillèrent de s'adresser à un service d'examens médicolégaux. L'intéressée refusa car le service en question était trop proche du poste de police. On lui recommanda alors de se rendre dans un service équivalent d'un autre district, ce qu'elle ne semble pas avoir fait.
C. L'instruction pénale
Il apparaît que, le 26 novembre 1999, la première requérante saisit le parquet, se plaignant d'avoir été torturée et violée. Le parquet de Nijni Novgorod (прокуратура г. Нижний Новгород) mit en mouvement l'action pénale et ouvrit une instruction. Le second requérant eut dans cette affaire la qualité de victime d'une infraction.
Le 25 avril 2000, Kh., J., S. et M. furent inculpés d'infractions relevant des articles 131, 132 et 286 du code pénal.
Le 5 juillet 2000, l'acte d'accusation fut signé et le dossier de l'action dirigée contre Kh., J., S. et M. fut communiqué au tribunal de district de Nijegorod de la ville de Nijni Novgorod (Нижегородский районный суд г. Нижний Новгород ; « le tribunal de district ») pour que l'affaire soit jugée.
L'acte indiquait que Kh. était accusé, pour les faits relatés aux paragraphes 12 à 21 et 25 à 32 ci-dessus, de torture et de viol sur la première requérante, de sévices sur le second requérant, d'abus de pouvoir et d'atteinte à la réputation de l'autorité. J. était accusé, pour les faits relatés aux paragraphes 22 à 24 et 29 à 32 ci-dessus, de viol et d'abus sexuels sur la première requérante, d'abus de pouvoir et d'atteinte à la réputation de l'autorité. S. était accusé, pour les faits relatés aux paragraphes 16 à 21 et 25 à 28 ci-dessus, de sévices sur les deux requérants, d'abus de pouvoir et d'atteinte à la réputation de l'autorité et, pour les faits relatés aux paragraphes 29 à 32 ci-dessus, de viol et d'abus sexuels sur la première requérante, d'abus de pouvoir et d'atteinte à la réputation de l'autorité. M. était accusé, pour les faits relatés aux paragraphes 29 à 32 ci-dessus, de viol et d'abus sexuels sur la première requérante, d'abus de pouvoir et d'atteinte à la réputation de l'autorité. Les faits délictueux imputés aux accusés relevaient respectivement des articles 131 §§ 1 et 2 b), 132 §§ 1 et 2 b) et 286 § 3 a) et b) du code pénal.
Il semble que les accusés nièrent toute implication dans les infractions en question, gardèrent le silence et refusèrent de donner des échantillons d'urine ou de sperme aux fins d'un examen.
Les conclusions de l'acte d'accusation reposaient principalement sur les témoignages des deux requérants, qui avaient identifié les inculpés et livré un récit très détaillé des faits.
Cet acte se basait par ailleurs sur les déclarations du témoin B., qui avait entendu les hurlements de Kh. et les gémissements de la première requérante puis avait vu celle-ci abattue et en larmes. B. avait également cité Kh., qui aurait dit que l'intéressée avait « craqué » et tout reconnu.
Au dossier figuraient en outre les déclarations des témoins RB, EA et IA, de l'infirmière auxiliaire, du médecin, des parents de la première requérante, de la mère du second requérant et d'un employé du magasin qui avait vendu de la nourriture et de l'alcool au second requérant (paragraphe 28 ci-dessus).
Parmi les autres éléments versés au dossier, il y avait notamment les pièces recueillies lors de perquisitions effectuées dans les locaux du poste de police et du parquet, la déclaration par laquelle la première requérante s'incriminait elle-même, rédigée « d'une main tremblante » selon un expert (paragraphe 18 ci-dessus), la confirmation par un médecin que l'intéressée avait tenté de s'ouvrir les veines (paragraphe 30 ci-dessus) et l'expertise médicolégale. Il apparaît que plusieurs autres personnes auparavant poursuivies dans le cadre de procédures menées par les accusés confirmèrent que ceux-ci avaient employé des moyens de torture tels qu'un masque à gaz, des fils électriques et des poucettes.
D'après l'expertise médicolégale no 650 en date du 31 décembre 1999, des traces de cellules épithéliales du vagin du même groupe antigène que celui de la première requérante avaient été relevées sur les vêtements portés par Kh. le 25 novembre 1999. L'instruction permit en outre d'établir que Kh. et son épouse avaient des groupes antigènes distincts.
Au cours de la perquisition effectuée sur les lieux le 27 novembre 1999, les enquêteurs découvrirent deux préservatifs usagés, l'un dans la cour du poste de police et l'autre sur la corniche de la fenêtre du bureau no 3 du parquet.
Un seul de ces préservatifs put apparemment être expertisé. L'analyse génomique révéla la présence de cellules vaginales appartenant, à un taux de probabilité de 99,9999 %, à la première requérante, de spermatozoïdes et de cellules urétrales masculines.
La même perquisition permit en outre de découvrir dans la cour du poste de police deux chiffons présentant des traces de sperme.
Enfin, l'expertise médicolégale établit que les vêtements que la première requérante disait avoir portés au moment des faits présentaient des traces de sperme.
D. La procédure de première instance
Le 16 août 2000, au cours d'un examen préliminaire du dossier, le conseil de la défense souligna que l'instruction était entachée de plusieurs vices de forme et demanda le renvoi de l'affaire pour complément d'enquête.
Le même jour, le tribunal de district fit droit à cette demande.
Il jugea que, lors de leurs investigations, les autorités chargées de l'instruction avaient commis de graves vices de forme qui portaient atteinte aux droits des accusés et rendaient irrecevables la plupart des éléments de preuve versés au dossier.
Dans sa décision, le tribunal de district relevait de nombreuses erreurs et irrégularités dans la conduite de l'affaire, notamment le fait que la procédure spéciale prévue pour l'ouverture de toute instruction visant des agents du parquet avait été méconnue et que Kh., J., S. et M. n'avaient joui du statut procédural d'accusé qu'à partir du 24 avril 2000, ce qui signifiait que la quasi-totalité des mesures d'instruction (perquisitions, interrogatoires, parades d'identification, expertises, etc.) antérieures à cette date avaient été mises en œuvre en violation des droits de la défense, entraînant l'inadmissibilité des preuves ainsi recueillies.
E. Les procédures d'appel et de révision
Le 13 octobre 2000, la décision rendue par le tribunal de district le 16 août 2000 fut confirmée par le tribunal régional de Nijni Novgorod (Нижегородский Областной Суд ; « le tribunal régional »), saisi en appel par le parquet.
En septembre 2001, à une date non précisée, le conseil de la première requérante pria le présidium du tribunal régional de statuer en révision sur les décisions du 16 août et du 13 octobre 2000.
Le 1er octobre 2001, il saisit la Cour suprême de la Fédération de Russie (Верховный Суд РФ ; « la Cour suprême ») d'une demande analogue.
Le 6 juin 2002, après avoir examiné le dossier, le présidium du tribunal régional rejeta la demande de recours en révision formulée par les requérants.
Il apparaît que la Cour suprême se prononça de manière similaire le 21 juin 2002.
F. La clôture de l'action pénale
Le 12 janvier 2001, après avoir examiné le dossier, le parquet de la région de Nijni Novgorod (Нижегородская областная прокуратура) estima que les accusations reposaient essentiellement sur les dépositions incohérentes et peu concluantes de la première requérante et que les éléments du dossier, pris dans leur ensemble, ne concordaient pas. Il en conclut qu'aucune pièce à conviction solide n'avait été recueillie au cours de l'instruction.
Tenant compte également des conclusions des décisions juridictionnelles du 16 août et du 13 octobre 2000, le parquet régional constata que « les violations répétées de la loi et, en particulier, le non-respect des règles et procédures régissant la mise en mouvement de l'action publique à l'égard de catégories particulières de personnes – en l'occurrence des agents d'instruction du parquet – n'offr[ai]ent aucune perspective de réussite [pour l'accusation], car ces vices ayant entaché l'instruction sembl[aient] irréparables ». Pour ces motifs, le parquet décida de mettre fin à la procédure pénale. Il était indiqué dans la décision que celle-ci serait signifiée à la première requérante et aux accusés et pouvait être conée devant un parquet de rang supérieur.
Par une lettre du 19 juin 2001 portant la cote 15/1-1018-99, le parquet régional rejeta le recours formé par la première requérante contre sa décision du 12 janvier 2001, reprenant point par point les motifs et conclusions de celle-ci. La lettre ne mentionnait pas la possibilité d'attaquer cette décision en justice.
Selon le Gouvernement, l'instruction en l'espèce fut rouverte puis close à maintes reprises.
Le 30 août 2002, le parquet régional annula la décision de clôture de l'action pénale qu'il avait prise le 12 janvier 2001 et renvoya l'affaire pour complément d'instruction. Il estimait que le défaut de qualification juridique des faits dont le second requérant avait été victime viciait la décision en question.
Le 16 octobre 2002, au motif qu'aucune infraction n'avait été établie et que l'implication de policiers et d'agents du parquet n'avait pas été prouvée, le parquet local mit fin à l'instruction en l'espèce.
Cette décision semble avoir été annulée ultérieurement mais, le 24 février 2002, le parquet local prononça une nouvelle fois la clôture de la procédure pour manque de preuves.
Le 19 septembre 2004, l'avocat de la première requérante cona la décision du 24 février 2002 devant le tribunal de district, lequel, par un jugement rendu le 28 septembre 2004, confirma celle-ci, souscrivant à ses motifs sur tous les points. Le 29 octobre 2004, ce jugement fut confirmé en appel par le tribunal régional.
Le 29 avril 2005, le parquet régional décida derechef de rouvrir la procédure.
Selon les requérants, la clôture de l'action fut à nouveau prononcée le 28 juin 2005.
D'après le Gouvernement, la procédure en l'espèce fut rouverte le 22 août 2005. Les accusés attaquèrent la décision de réouverture, laquelle fut jugée illicite et annulée le 22 novembre 2005 par le tribunal de district, dont le jugement fut confirmé par le tribunal régional le 30 décembre 2005. Ultérieurement, le procureur général adjoint forma une demande de recours en révision à l'égard des décisions du 22 novembre et du 30 décembre 2005.
Le 1er février 2007, statuant en instance de révision, le tribunal régional examina puis rejeta la demande du procureur. Toutefois, ayant constaté que la décision du 30 décembre 2005 avait été adoptée par une formation de jugement irrégulière, il décida de se saisir une nouvelle fois du dossier en appel.
L'issue de la procédure demeure incertaine, mais aucune autre mesure ne semble avoir été prise dans le cadre de l'action pénale dirigée contre les policiers et les agents d'instruction.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Les infractions pénales en jeu
L'article 131 §§ 1 et 2 b) du code pénal de la Fédération de Russie punit d'une peine d'emprisonnement d'une durée pouvant aller jusqu'à quinze années le viol commis en bande, organisée ou non, qu'il y ait eu ou non entente délictueuse au préalable.
L'article 132 §§ 1 et 2 b) de ce même code punit d'une peine d'emprisonnement d'une durée pouvant aller jusqu'à quinze années les actes sexuels forcés commis en bande, organisée ou non, qu'il y ait eu ou non entente délictueuse au préalable.
L'article 283 § 3 a) et b) punit d'une peine d'emprisonnement d'une durée pouvant aller jusqu'à trois années l'abus de pouvoir avec emploi ou menace de l'emploi de la force, avec ou sans recours aux armes ou à un autre matériel spécial.
B. L'audition des témoins (code de procédure pénale de 1960, tel qu'en vigueur au moment des faits)
Article 155
« Un témoin est convoqué en vue de son audition par le biais d'un acte écrit qui lui est notifié en personne ou qui, en son absence, est notifié à un membre adulte de sa famille (...)
Cet acte contient le nom de la personne appelée à témoigner et indique à quelle adresse, devant qui, à quelle date et à quelle heure cette personne doit se présenter, ainsi que les conséquences d'un éventuel défaut de comparution. Un témoin peut également être convoqué par téléphone ou télégramme. »
Article 157
« L'audition d'un témoin se tient au lieu où se déroule l'enquête. Un enquêteur peut toutefois décider de se déplacer pour aller interroger un témoin. »
C. L'instruction pénale officielle
En vertu des articles 108 et 125 du code de procédure pénale, l'instruction pénale peut être ouverte par un agent d'instruction du parquet à la demande d'un particulier ou par les autorités chargées de l'instruction à leur propre initiative. L'article 53 de ce même code dispose que toute personne lésée par une infraction pénale peut prétendre au statut de victime et peut prendre part à la procédure en qualité de partie civile. Au cours de l'instruction, la victime peut présenter des preuves et formuler des demandes ; à la clôture de l'instruction, elle a accès à toutes les pièces du dossier.
En vertu des articles 210 et 211 de ce même code, la supervision générale de l'instruction est confiée à un procureur, qui peut notamment ordonner l'adoption d'une mesure d'enquête particulière, le transfert du dossier d'un agent d'instruction à un autre ou la réouverture de la procédure.
En vertu de l'article 209 du code, l'agent chargé de l'instruction peut mettre fin à l'action pénale si aucune infraction n'a pu être établie. Sa décision peut être attaquée devant un procureur de rang élevé ou devant le juge, lequel peut ordonner la réouverture de l'instruction s'il l'estime incomplète.
L'article 210 du code dispose que l'instance peut être rouverte par le procureur « s'il y a lieu ». Seules font exception à cette règle les infractions prescrites.
L'article 161 du code pose comme principe général le secret de l'instruction. La communication des éléments recueillis ne peut être autorisée par le parquet que si elle ne porte pas atteinte à la bonne conduite des investigations ni aux droits et intérêts légitimes des personnes participant à la procédure. Les informations se rapportant à la vie privée des parties à l'instance ne peuvent être rendues publiques sans le consentement des intéressés.
L'article 42 de la loi relative au parquet et le décret no 44 du procureur général en date du 26 juin 1998 prévoient une procédure spéciale pour traduire les agents du parquet devant les juridictions administratives ou pénales. En particulier, seuls certains fonctionnaires expressément énumérés peuvent introduire une instance de ce type.
D. Les recours civils contre les actes illégaux des agents publics
En son article 1069, le code civil de la Fédération de Russie, entré en vigueur le 1er mars 1996, dispose que tout préjudice causé par une action ou une omission de l'Etat doit donner lieu à réparation. Il en va de même pour le dommage moral (articles 151 et 1099 à 1101), qui doit notamment être réparé indépendamment de toute indemnité accordée au titre d'un préjudice matériel (article 1099). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1946 et réside à Plovdiv.
Par un jugement du 20 novembre 1997, le tribunal de district de Plovdiv reconnut le requérant coupable d’avoir proféré des menaces de mort à l’encontre de deux personnes et le condamna à trois mois d’emprisonnement. Le jugement disposait que la peine devait être purgée sous le régime pénitentiaire le moins contraignant dit « régime léger ». Ce jugement acquit la force de chose jugée le 7 juillet 2000.
Le 21 juillet 2000, le requérant fut arrêté par la police et amené à la prison de Plovdiv afin de purger sa peine.
A. Les conditions de détention du requérant à la prison de Plovdiv
Le requérant fut incarcéré à la prison de Plovdiv le 21 juillet 2000 et fut libéré de cet établissement pénitentiaire le 18 octobre 2000.
Selon un rapport de l’administration de la prison de Plovdiv, présenté par le Gouvernement, l’intéressé fut incarcéré dans une cellule de 28 mètres carrés comprenant un coin sanitaire d’environ 3 mètres carrés. Pendant la période en cause, le nombre des prisonniers dans la même cellule variait entre huit et douze.
Le même rapport indique que la porte de la cellule restait ouverte tout au long de la journée et que les fenêtres étaient suffisamment larges pour permettre l’ensoleillement et la ventilation des locaux.
Le requérant affirme, de son côté, que la porte de la cellule restait fermée tout au long de la journée et ce malgré les températures dépassant les 40o C. Quant aux fenêtres, elles étaient petites et couvertes de plaques de métal. La ventilation des locaux, selon le requérant, était insuffisante. Il affirme encore qu’il partageait sa cellule avec des fumeurs et qu’à cause de la fumée des cigarettes il souffrait d’étouffement et d’une toux persistante.
Tous les prisonniers avaient le droit à une heure par jour d’exercice en plein air. Depuis le 28 septembre 2000, et suite à l’autorisation du directeur de la prison, le requérant bénéficia de trente minutes supplémentaires par jour d’exercice en plein air.
Du 21 au 23 septembre 2000, le requérant fut placé en cellule disciplinaire parce qu’il avait proféré des injures envers le personnel médical auxiliaire de la prison. Un rapport du directeur de la prison de Plovdiv, présenté par le Gouvernement, indique que la prison disposait de huit cellules disciplinaires, chacune mesurant 1,75 mètres sur 2,75 mètres. Il y avait un lit en bois au sol. Il n’y avait pas de toilettes dans la cellule disciplinaire mais les détenus étaient conduits aux facilités sanitaires au moins trois fois par jour. Les détenus punis avaient également le droit à une heure d’exercice en plein air par jour.
Selon un certificat du directeur de la prison de Plovdiv en date du 26 août 2002, présenté par le requérant, ce dernier avait purgé sa peine sous le régime dit « commun » et non pas sous le régime pénitentiaire « léger ».
B. Le régime alimentaire du requérant et son traitement médical pendant son incarcération à la prison de Plovdiv
Un an avant son arrestation, le requérant fut examiné par la commission médicale locale (« la commission ») afin d’obtenir une pension d’invalidité. La commission constata que le requérant souffrait notamment de :
« (...) obésité de quatrième degré, hypercholestérolémie, perturbation de la tolérance au glucose, hypertension artérielle (...), crises fréquentes d’hypertension (...), maladie ischémique du cœur (...), fibrose pulmonaire accompagnée d’insuffisance respiratoire de premier degré (...), psoriasis vulgaris accompagné d’arthropathie psoriasique (...) ».
Elle prit la décision de classer le requérant comme invalide de deuxième degré.
Le jour de son arrestation, l’intéressé fut examiné par le médecin de l’établissement pénitentiaire. Le requérant l’informa qu’il était diabétique et qu’il devait suivre un régime alimentaire adapté.
Pendant la période de son incarcération, le requérant consulta plusieurs fois le médecin de la prison. Son état de santé était régulièrement suivi, y compris entre le 21 septembre et le 2 octobre 2001 quand il était en grève de la faim. On lui administrait des médicaments contre l’hypertension et, moins souvent, des médicaments contre la douleur. L’intéressé fut placé à plusieurs reprises dans les locaux du service médical de la prison pour le suivi de son état de santé.
Le requérant expose que son état de santé se détériora brusquement après son 45ème jour en prison : il eut des gonflements au visage et aux pieds. A ses dires, le médecin de la prison lui administrait des médicaments périmés. Il a produit devant la Cour une photocopie de la face correspondante de plusieurs blisters de médicaments avec des dates de péremption de décembre 1999, de février et d’avril 2000.
Le lendemain de sa libération, le 19 octobre 2000, le requérant fut visité à la maison par son médecin généraliste qui ordonna des analyses biologiques. Après l’obtention des résultats des analyses, le 3 novembre 2000, le requérant fut hospitalisé avec le diagnostic suivant – « diabète non compensé et hypertension artérielle ». Le rapport du médecin traitant à l’hôpital indiquait que le diabète du requérant avait été diagnostiqué sept ans auparavant et que son traitement nécessitait l’observation d’un régime alimentaire adapté. L’intéressé resta à l’hôpital jusqu’au 13 novembre 2000.
C. Les demandes du requérant de suspension de l’exécution de sa peine
Le 31 août 2000, l’intéressé demanda au directeur de la prison de suspendre l’exécution de sa peine pour des raisons médicales. Sa demande lui fut renvoyée le lendemain par le responsable de son groupe de prisonniers avec l’indication qu’elle devait être adressée au parquet ou au tribunal régional et introduite par le biais du directeur de la prison.
Aux dires du requérant et selon les déclarations de deux autres prisonniers présentées par l’intéressé, quelques jours plus tard il remit au médecin de la prison une deuxième demande de suspension de l’exécution de sa peine en l’adressant cette fois au tribunal régional mais ne reçut pas de réponse.
Selon un certificat du directeur de la prison de Plovdiv en date du 24 juillet 2002, le requérant n’avait introduit aucune demande de suspension de sa peine en septembre 2000.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La suspension de la peine d’emprisonnement
L’article 425 du code de procédure pénale de 1974, en vigueur à l’époque des faits (ci-dessous « le CPP »), prévoyait que le condamné pouvait demander la suspension de sa peine d’emprisonnement en cas de maladie grave et jusqu’à sa guérison. Le directeur de la prison pouvait demander également la suspension de la peine d’un prisonnier (article 426, alinéa 2 du CPP).
Selon l’article 426, alinéa 1 du CPP, la suspension de la peine pour plus de sept jours était autorisée par le président du tribunal régional et la suspension pour moins de sept jours, par le procureur régional. Selon l’article 43, alinéa 2 du règlement d’application de la loi sur l’exécution des peines, les demandes des prisonniers adressées aux tribunaux sont envoyées par l’administration pénitentiaire dans un délai de vingt-quatre heures. L’alinéa 3 du même article prévoit que les demandes de suspension de la peine doivent être accompagnées de l’avis du directeur de la prison.
B. La loi sur la responsabilité de l’Etat et des municipalités pour dommages
Les dispositions de cette loi permettant d’engager la responsabilité de l’Etat pour les dommages subis du fait des mauvaises conditions de détention et de l’absence de soins médicaux en prison, ainsi que l’aperçu de la jurisprudence interne pertinente, sont exposés dans les arrêts et décisions suivants de la Cour : Dobrev c. Bulgarie, no 55389/00, §§ 40 et 41, 10 août 2006, Kirilov c. Bulgarie, no 15158/02, §§ 21 et 22, 22 mai 2008 et Hristov c. Bulgarie (déc. partielle), no 36794/03, 18 mars 2008.
III. LE TROISIÈME RAPPORT GÉNÉRAL DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS (CPT)
Dans son troisième rapport général (CPT/Inf (93) 12), le CPT a abordé les problèmes liés au fonctionnement des services de santé dans les prisons et à la qualité des soins dispensés en milieu carcéral. La partie pertinente du rapport se lit comme suit :
« (...) b. Équivalence des soins
i) médecine générale
Le service de santé pénitentiaire doit être en mesure d’assurer les traitements médicaux et les soins infirmiers, ainsi que les régimes alimentaires, la physiothérapie, la rééducation ou toute autre prise en charge spéciale qui s’impose, dans des conditions comparables à celles dont bénéficie la population en milieu libre. Les effectifs en personnel médical, infirmier et technique, ainsi que la dotation en locaux, installations et équipements, doivent être établis en conséquence.
Une supervision appropriée de la pharmacie et de la distribution des médicaments doit être assurée. En outre, la préparation des médicaments doit être confiée à un personnel qualifié (pharmacien, infirmier, etc.) (...) ». | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1965 et réside à Galaţi.
La procédure pénale dirigée contre la requérante du chef de trafic d’influence
Par une ordonnance du procureur du 26 septembre 2002, la requérante, greffière dans un tribunal, fut mise en détention provisoire pour une durée de trente jours à la maison d’arrêt de l’inspectorat général de police de Bucarest (ci-après « l’IGP »). Elle avait été dénoncée par un tiers auquel elle avait réclamé et dont elle avait reçu différentes sommes d’argent pour intervenir auprès d’une juge chargée d’une affaire pénale dirigée contre lui, affaire qui était en cours.
La cour d’appel de Galaţi ordonna ensuite, en chambre du conseil, la prolongation successive de la durée de son dépôt jusqu’au renvoi de la requérante devant le tribunal, le 16 janvier 2003, du chef de trafic d’influence.
Par un jugement du 14 mai 2003, le tribunal départemental de Galaţi condamna la requérante à une peine d’emprisonnement de deux ans et dix mois pour trafic d’influence, infraction punie par l’article 257 du code pénal. A compter de cette date et jusqu’à la fin du procès pénal dirigé contre elle, la requérante fut maintenue sous écrou dans différents centres pénitentiaires roumains (voir paragraphe 10 ci-après).
Le bien-fondé du jugement rendu par le tribunal de première instance fut confirmé sur appel et recours de la requérante par un arrêt du 4 septembre 2003 de la cour d’appel de Galaţi et par un arrêt définitif de la Haute Cour Suprême de Cassation et de Justice du 6 novembre 2003.
Les conditions de détention de la requérante
La requérante fut détenue successivement à l’IGP (du 16 septembre au 17 décembre 2002), au dépôt de police de Galaţi (du 17 décembre 2002 au 20 février 2003), au centre pénitentiaire de Galaţi (du 20 février au 23 octobre 2003), et ensuite aux centres pénitentiaires de Rahova (du 23 octobre au 15 novembre 2003) et de Târgşorul Nou (du 15 novembre 2003 au 6 juillet 2004, date à laquelle elle fut mise en liberté conditionnelle).
a) Version de la requérante
Lors de sa détention à l’IGP, la requérante fut placée dans une cellule dépourvue de chauffage, où elle dormait habillée. Les visites que son avocat lui a rendues à cette maison d’arrêt étaient dépourvues de confidentialité, les policiers étant présents et pouvant entendre leurs propos respectifs.
Lors de sa détention au dépôt de police de Galaţi, elle fut placée dans une cellule sans lumière naturelle et de taille réduite, prévue pour quatre personnes, qu’elle partagea parfois avec sept autres détenues. Les visites que son avocat lui a rendues à cette maison d’arrêt étaient dépourvues de confidentialité, les policiers étant présents et pouvant entendre leurs propos respectifs.
Au centre pénitentiaire de Rahova, elle fut placée dans une cellule contenant dix lits, qu’elle partagea avec vingt-deux autres détenues ; elle se vit obligée de dormir par terre et, à cause des conditions sanitaires précaires, elle contracta plusieurs maladies cutanées.
Au centre pénitentiaire de Târgşorul Nou, la requérante ne bénéficia d’eau chaude qu’une fois tous les dix jours. Sa cellule n’étant pas dotée de douche, elle ne pouvait utiliser que la salle de bain située dans la cour du centre pénitentiaire. Chaque fois qu’elle prenait une douche, elle devait traverser près de 100 m dans un peignoir, quelles qu’eussent été les conditions atmosphériques. Les douches étaient insuffisantes par rapport au nombre de détenues qui les utilisaient.
Lors de sa détention provisoire et pendant toute la durée du procès pénal dirigé contre elle, la requérante - citée aux audiences publiques organisées en vue d’examiner les demandes de prolongation successive de la durée de son dépôt ainsi que ses motifs d’appel et de recours - était transportée d’un établissement pénitentiaire à l’autre ou d’un établissement pénitentiaire aux juridictions qui l’avaient convoquée dans des conditions qu’elle qualifie d’humiliantes, à savoir dans un fourgon pénitentiaire où il faisait froid et il pleuvait, et où elle ne recevait pas d’aliments pendant toute la durée du trajet, soit près de dix heures.
b) Version du Gouvernement
Toutes les cellules de l’IGP de Bucarest, y compris celles où la requérante a été détenue, étaient équipées d’une installation de chauffage en état de marche. La requérante a été visitée le 11 octobre 2002 par son époux et, les 7 octobre et 18 novembre, par son avocat. La confidentialité des entretiens avec son avocat a été assurée, car, conformément aux instructions édictées par le ministère des Affaires étrangères en la matière, la surveillance de tels entretiens ne peut être autre que visuelle. La requérante a pu faire des promenades journalières en plein air.
Lors de sa détention au dépôt de police de Galaţi, la requérante fut placée dans une cellule qui disposait de lumière naturelle et artificielle et qui disposait d’une toilette propre, équipée de douche. Se référant à une lettre des autorités de cette maison d’arrêt produite devant la Cour, le Gouvernement indique que la cellule avait des dimensions adéquates, sans fournir davantage de précision sur ses dimensions ou sur le nombre de détenus qu’il y avait. La requérante a reçu deux visites de sa famille d’une durée d’une heure chacune et une visite illimitée avec son avocat. La confidentialité de son entretien avec son avocat a été assurée.
Au centre pénitentiaire de Rahova, la requérante fut placée dans une cellule de 19,58 m2, conçue pour dix détenus, qui était dotée d’un groupe sanitaire propre contenant une cabine de WC, une douche et un double lavabo. Les documents contenant des précisions sur le nombre de détenues avec lesquelles la requérante a partagé sa cellule ont été détruits, compte tenu de ce que le délai pendant lequel les registres de la prison étaient maintenus était échu. La requérante bénéficia de l’eau froide en permanence et, une fois par semaine, de l’eau chaude. Les détenus avaient accès aux moyens d’information mass média – postes de radio ou de télévision, abonnements aux différents périodiques - dont le coût était supporté par eux-mêmes ou par les membres de leurs familles.
Pendant sa détention au centre pénitentiaire de Târgşorul Nou, la requérante fut placée, à une date non précisée, au centre de réintégration « Movila Vulpii », dans un bâtiment extérieur au bâtiment principal, lequel était en travaux. Dans ce centre, la cellule de la requérante, conçue pour un nombre de vingt détenues, mesurait 43 m2 et disposait de deux groupes sanitaires propres, qui étaient séparés de l’espace de vie dans la cellule. Il y avait de l’eau chaude en permanence, les détenus pouvant prendre un bain une fois par semaine en hiver et deux fois par semaine ou plus, en été.
Il ressort des informations fournies par l’administration du centre pénitentiaire de Târgşorul Nou au Gouvernement défendeur et produites par ce dernier devant la Cour, qu’à compter de 2003, des travaux de modernisation de grande envergure ont été menés dans cet établissement, travaux qui ont compris la construction d’un nouveau bâtiment, ainsi que des réparations des installations sanitaires et du canal thermique des bâtiments existants ; une partie des bâtiments devant être libérée en vue de ces travaux, les détenues ont été transférées dans les autres bâtiments disponibles, ce qui a généré, de façon temporaire, un état de surpeuplement. A cause des réparations menées, les détenues ont dû prendre la douche dans un autre bâtiment que celui où elles étaient hébergées, bâtiment qui se trouvait dans la cour de l’établissement pénitentiaire. Les autorités indiquent avoir néanmoins pris toutes les mesures nécessaires afin de prévenir tout abus ou contrainte que l’agglomération temporaire des cellules aurait pu générer. Durant sa détention au centre pénitentiaire de Târgşorul Nou, la requérante a pu recevoir des visites de sa famille et des colis et a pu téléphoner à l’extérieur de la prison ; elle a eu accès à un poste de télévision et de radio et a pu consulter de nombreux livres et périodiques à la bibliothèque de la prison.
Quant au transport de la requérante en vue d’assister au jugement des demandes de prolongation de sa détention provisoire et aux autres audiences auxquelles elle avait été convoquée, celui-ci a été effectué avec des véhicules affectés à cette tâche. Selon les instructions en vigueur à l’époque des faits, les détenus n’avaient pas le droit de recevoir de la nourriture pendant le transport d’un établissement pénitentiaire à un autre ou pendant le transport d’un établissement pénitentiaire à un parquet ou à un tribunal si la durée de ce transport était inférieure à douze heures.
II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT
Un résumé des dispositions du droit et de la pratique internes pertinents relatives aux modalités d’exécution des peines privatives de liberté et aux voies de recours internes disponibles en la matière figure aux paragraphes 21 à 23 de l’arrêt Petrea c. Roumanie (no 4792/03, 29 avril 2008). L’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 56/2003 du 25 juin 2003 (« l’OUG no 56/2003 ») renforça la protection des droits des personnes exécutant une peine privative de liberté. L’OUG no 56/2003 garantissait entre autres aux détenus le droit de recevoir des visites des membres de leur famille sous la surveillance visuelle du personnel de la prison, ainsi que le droit de s’entretenir, de façon illimitée et confidentielle, avec leurs avocats, pendant qu’ils sont emprisonnés. L’OUG no 56/2003 a été abrogée et remplacée par la loi no 275, publiée au Journal officiel du 20 juillet 2006 et entrée en vigueur le 20 octobre 2006 (« la loi no 275/2006 »), qui a repris les droits précités.
Le rapport du 2 avril 2004 du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) dresse un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents dépôts de police et établissements pénitentiaires roumains qu’il a visités du 16 au 25 septembre 2002 et du 9 au 11 février 2003, dont l’IGP et le dépôt de la police de Galaţi. A l’égard de l’IGP, le CPT nota que certaines cellules n’offraient aux détenus qu’un espace vital restreint (par exemple, trois personnes dans 10 m2 ou quatre dans 14 m2) et qu’elles auraient été très surchargées si elles avaient été occupées au maximum de leur capacité officielle ; il releva, en outre, que les groupes sanitaires dans les cellules étaient insuffisamment cloisonnés. Au dépôt de police de Galaţi, le CPT releva que les cellules ne bénéficiaient que de très peu ou pas du tout de lumière du jour, que l’éclairage artificiel était médiocre et que l’aération était manifestement insuffisante ; il releva que le taux d’occupation des cellules était parfois extrêmement élevé. A titre d’exemple, le CPT nota que des cellules qui mesuraient entre 5 et 6 m2 étaient utilisées pour accueillir 3, 4 voire 5 personnes et que des cellules de 10 à 13 m2 accueillaient jusqu’à 10 personnes, de nombreux détenus étant obligés de partager un lit ; les cellules étaient équipées de WC qui n’étaient pas cloisonné.
Le CPT attira l’attention des autorités roumaines sur le fait que la réglementation en vigueur au niveau national, qui n’imposait qu’un minimum de 6 m3(mètres cubes) d’espace de vie par détenu (soit environ 2 m2 d’espace de vie pour chacun), était insuffisante.
Dans son récent rapport, daté du 11 décembre 2008, le CPT a recommandé aux autorités roumains, à la suite d’une autre visite rendue en juin 2006 dans les différents dépôts de police et établissements pénitentiaires roumaines, de prendre des mesures immédiates afin que le taux d’occupation des cellules soit réduit de façon significative et que tous les détenus disposent d’un lit, d’un matelas propre et de couvertures propres. Dans ses constats, le CPT a relevé que les établissements pénitentiaires roumains connaissaient, de façon générale, un taux de surpeuplement particulièrement élevé, ce qui impliquait que les détenus avaient souvent l’obligation de partager des lits, qu’ils vivaient dans des espaces confinés et qu’ils subissaient un manque quasi total d’activités hors de la cellule, ce qui les soumettait à une absence constante d’intimité, une tension accrue et, partant, une grande violence entre eux ou entre eux et le personnel de la prison. Le CPT s’est déclaré gravement préoccupé par le fait que le manque de lits apparaissait, depuis plusieurs années, comme un problème chronique à l’échelon national et a recommandé aux autorités roumaines de prendre des mesures en vue de faire respecter la norme de 4 m2 d’espace vital par détenu occupant une cellule collective dans tous les établissements pénitentiaires du pays.
Dans sa réponse, le Gouvernement roumain a indiqué que la loi no 275/2006 (article 33 § 3), ainsi que son règlement d’application (article 82), prévoyaient désormais que chaque détenu devait disposer d’un lit individuel. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant, étudiant, est né en 1978 et réside à Istanbul.
Le 29 septembre 2001, alors qu’il se rendait à une manifestation organisée par l’association des droits de l’homme à Bakırköy (Istanbul) pour dire « non à la guerre », le requérant fut arrêté à 14 h 15 par les brigades d’intervention rapide à l’entrée du parc où une centaine de personnes s’étaient réunies pour manifester. Après avoir sommé à plusieurs reprises les manifestants de se disperser en raison du caractère illégal du rassemblement, les policiers auraient dispersé ceux-ci de manière musclée.
Le requérant fut embarqué dans un fourgon de police où il aurait été battu. Il fut ensuite conduit dans les locaux de la direction de la sûreté de Bakırköy et remis en liberté le lendemain 30 septembre 2001, à 18 heures.
Le rapport médical provisoire du 29 septembre 2001 établi à 17 h 05, à l’hôpital de Haseki indiquait que le requérant présentait une tuméfaction zygomatique de 4 x 5 cm et une déviation du nez vers la gauche. Un examen oto-rhino-laryngologique fut ordonné.
Le rapport d’examen oto-rhino-laryngologique du requérant établi le même jour à 19 h 20 précisait, entre autres, que l’intéressé avait la pyramide nasale déviée à gauche, et révélait la présence de foyers de saignement, d’un œdème et d’une hyperémie des muscles zygomatiques gauches.
Le rapport médical provisoire du 30 septembre 2001, établi à la fin de la garde à vue par l’hôpital de Bakırköy, indiquait que le requérant avait un œdème sur l’extérieur du bras gauche. Dans son rapport, le médecin ordonnait un examen orthopédique.
Le 5 octobre 2001, le requérant déposa devant le parquet de Bakırköy une plainte pénale pour mauvais traitements contre les forces de l’ordre responsables de son arrestation.
Le même jour, sur la demande du parquet, il fut examiné par un médecin de l’institut médicolégal de Bakırköy, qui indiqua dans son rapport que le requérant présentait les séquelles suivantes : une égratignure avec croûte de 1 x 1 cm sous l’œil gauche ; un pansement sur le nez ; l’avant-bras et la main gauches plâtrés ; des ecchymoses de couleur jaunâtre de 2 x 1 cm et 4 x 3 cm sous le scapulaire gauche ; des ecchymoses de couleur jaunâtre de 2 x 1 cm, 3 x 1 cm et 1 x 1 cm sur la région axillaire gauche arrière ; une ecchymose de 4 x 5 cm ; quatre ecchymoses de couleur jaunâtre de 1 x 1 cm sur l’extérieur du mamelon droit ; huit ecchymoses de couleur jaunâtre de 1 x 1 cm sur le bras gauche, des ecchymoses de couleur verdâtre de 4 x 1 cm et 4 x 5 cm sur le bas et l’extérieur de la cuisse gauche ; une ecchymose de 8 x 2 cm avec des égratignures sur l’avant-bras droit ; une ecchymose de couleur vert clair et jaune de 5 x 4 cm sur la partie gauche du visage. Le médecin légiste constata que le requérant avait une fracture du nez et qu’il présentait des douleurs en position assise. Le médecin ordonna une radiographie du coccyx avant d’établir le rapport définitif.
A une date non indiquée, le parquet se dessaisit du dossier pour noncompétence judiciaire en vertu de la loi de 1913 relative aux poursuites des fonctionnaires. Il transmit le dossier, conformément à cette législation, au préfet d’Istanbul, seul compétent pour effectuer une enquête préliminaire afin de décider l’ouverture d’une action publique.
Le 10 janvier 2002, T.T., adjoint du chef de la direction de la sûreté, dressa un rapport d’enquête préliminaire. Le 14 janvier 2002, le préfet d’Istanbul refusa l’autorisation de poursuites pénales contre les agents de la brigade d’intervention rapide.
Le 8 février 2002, le requérant contesta cette décision devant le tribunal administratif.
Par un jugement du 10 mai 2002, le tribunal administratif infirma la décision du préfet pour insuffisance de l’enquête préliminaire menée au sujet de l’origine des griefs du requérant.
Le 17 juillet 2002, le policer H.A., adjoint du chef de la direction de la sûreté, établit un deuxième rapport d’enquête préliminaire au sujet des allégations du requérant. Après avoir examiné, entre autres, la plainte pénale de ce dernier, les deux rapports médicaux établis par les hôpitaux de Haseki et de Bakırköy, et avoir entendu tous les fonctionnaires de police impliqués, il constata l’absence de responsabilité des agents de police. Dans leur déposition devant l’inspecteur, les policiers reconnurent que le rassemblement avait été dispersé par la force, après plusieurs sommations.
Le 22 juillet 2002, le préfet d’Istanbul rejeta de nouveau l’autorisation de poursuites pénales contre les forces de l’ordre.
Par un jugement du 21 novembre 2002, le tribunal administratif d’Istanbul confirma la décision du préfet.
Le 19 février 2003, le parquet de Bakırköy rendit une ordonnance de non-lieu.
Par un arrêt du 23 mars 2004, notifié au requérant le 10 mai 2004, le président de la cour d’assises d’Eyüp confirma cette ordonnance de nonlieu.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans l’arrêt İhsan Bilgin c. Turquie, no 40073/98, § 40, 27 juillet 2006). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1953 et réside à Port-Vendres (France).
Par un jugement du 25 septembre 2000, le tribunal départemental de Bucarest condamna le requérant, en détention provisoire depuis le
28 mai 1999, à une peine de huit ans de réclusion criminelle pour tentative de meurtre aggravé sur trois personnes. Après avoir ordonné des expertises médicolégales et une expertise psychiatrique du requérant et après avoir entendu plusieurs témoignages ainsi que des déclarations des parties impliquées dans l’incident survenu en juin 1996 dans une boîte de nuit, le tribunal retint que le requérant avait agressé trois personnes au moyen
d’un couteau, qu’il les avait grièvement blessées et qu’il avait mis en danger la vie de l’une d’elles. Il rejeta l’argument du requérant, qui avait plaidé la légitime défense, estimant que, de toute manière, sa riposte avait été disproportionnée. Tant l’appel que le recours formés par le requérant furent rejetés comme mal fondés, le premier par un arrêt du 6 février 2001 de la cour d’appel et le second par un arrêt définitif du 25 septembre 2001 rendu par la Cour suprême de justice.
Le requérant purgea une partie de sa peine de prison dans l’établissement pénitentiaire de Bucarest-Jilava. Les parties n’ont pas fourni des renseignements précis quant à la période passée dans cette prison. Il ressort néanmoins du dossier que, après avoir été détenu la majeure partie de l’année 2002 dans la prison de Giurgiu, le requérant avait été transféré à la prison de Bucarest-Jilava pour la période entre septembre 2002 et
avril 2003, puis détenu successivement dans les prisons de Tulcea, Giurgiu, et à nouveau Bucarest-Jilava ainsi que, à partir du 17 février 2004, dans celle de Brăila.
Le requérant fut remis en liberté conditionnelle le 11 octobre 2004.
A. Conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava décrites par le requérant
Selon le requérant, la prison de Bucarest-Jilava était infestée de parasites (poux, punaises, etc.), les détenus devaient partager leurs lits en raison de la surpopulation des cellules et l’hygiène était précaire, voire absente. Pour laver son linge à l’eau chaude ou faire du thé, l’intéressé affirme qu’il était obligé d’improviser, à l’insu des gardiens, des bouilloires en utilisant des couvercles métalliques et divers matériaux conducteurs, ce qui lui faisait courir un risque élevé d’électrocution. Il ajoute que la qualité de l’eau de boisson était déplorable, celle-ci contenant de nombreuses impuretés et dégageant une odeur putride (de mocirlă). Enfin, il décrit que les détenus étaient souvent confrontés à un groupe spécial d’intervention constitué de gardiens masqués qui intervenaient en force, sans motif, contre les détenus, dans le seul but de susciter leur peur et de les décourager de faire valoir leurs droits.
B. Conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava décrites par le Gouvernement
Le Gouvernement ne conteste pas dans l’ensemble les conditions de détention susmentionnées. Il ajoute cependant plusieurs éléments. Renvoyant à une lettre du 30 septembre 2008 du directeur de la prison de Bucarest-Jilava et au « dossier de prison » du requérant – dont il ne ressort toutefois pas dans quelle cellule et pendant quelle période précisément l’intéressé a été détenu lors de ses séjours à Bucarest-Jilava entre 2002 et 2004 –, le Gouvernement mentionne que la taille des deux types de cellules de cette prison est de 29,14 m2 (« moyenne ») et de 45,17 m2 (« grande »), avec un nombre moyen de 15 à 20 et de 30 à 35 détenus par cellule respectivement. Ces cellules bénéficieraient de fenêtres pour la lumière et l’aération naturelles et de mobilier (lits superposés triples, table, banquettes en métal, étagère pour stocker les aliments, etc.) ainsi que d’un ensemble sanitaire (toilettes, lavabo avec eau froide) séparé du reste de la cellule. Les cellules seraient pourvues d’eau courante, mais la potabilité de l’eau n’aurait pas fait l’objet de contrôles à l’époque de la détention du requérant. Par ailleurs, celui-ci aurait eu accès deux fois par semaine aux douches chaudes situées à l’extérieur de sa cellule, et les draps auraient été lavés deux fois par mois à la laverie de la prison. En outre, le requérant aurait eu la possibilité de faire quotidiennement des promenades dans la cour de la prison pendant une heure maximum ; au cours de cette période et lors des compétitions organisées, il aurait eu la possibilité de faire des exercices physiques et de pratiquer des activités sportives. Enfin la prison de Bucarest-Jilava disposerait de deux bibliothèques pour les détenus.
II. LES RAPPORTS PERTINENTS CONCERNANT LES CONDITIONS DE DÉTENTION
Les principales conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) rendues à la suite des visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme les observations à caractère général du CPT, sont résumées dans l’arrêt Bragadireanu c. Roumanie (no 22088/04, §§ 73-76, 6 décembre 2007).
Le rapport du CPT publié en avril 2003 à la suite de sa visite de février 1999 dans plusieurs prisons, dont celle de Bucarest-Jilava, concluait :
« Les conditions de détention de la grande majorité des détenus dans ces établissements étaient miséreuses. (...) le degré de surpeuplement avait abouti à des conditions de détention telles qu’elles constituaient une atteinte, voire un affront, à la dignité humaine. De fait, la très grande majorité des détenus était soumise à un ensemble de facteurs négatifs – surpeuplement, conditions matérielles précaires, manque d’activités – qui mériterait aisément le qualificatif de traitement inhumain et dégradant. (...) le manque drastique d’espace vital et l’insuffisance de lits entraînaient une promiscuité inacceptable pour la plus grande majorité des détenus. A titre d’exemple, [dans la prison de Jilava] jusqu’à 8 détenus devaient se partager des cellules de 13 m², et de 35 à 40 détenus des cellules de 20 à 35 m². De plus, la literie était le plus souvent en piètre état, pas propre et usée. Nombre de cellules étaient en outre sales (...) »
Lors de sa visite de juin 2006 dans une section de la prison de Bucarest-Jilava (rapport publié le 11 décembre 2008), le CPT a constaté que les caractéristiques observées à l’occasion de sa visite de 1999 restaient globalement valables pour la section en question – celle des détenus dangereux –, y compris en ce qui concernait la surpopulation ou les conditions d’hygiène. Par ailleurs, il notait que « la direction de la prison [avait] attiré l’attention de la délégation du CPT sur le fait que les conditions de détention étaient extrêmement médiocres dans l’ensemble de la prison ».
Dans ce rapport, le CPT conclut comme suit :
« (...) malgré les efforts consentis, les établissements visités [y compris celui de Bucarest-Jilava] connaissaient un taux de surpeuplement qui pouvait s’avérer particulièrement élevé. Une telle situation signifiait pour l’administration d’importantes difficultés à gérer les différentes catégories de détenus, et pour une grande partie des détenus, être dans l’obligation de partager des lits, être à l’étroit dans des espaces resserrés, une absence constante d’intimité, un manque quasi total d’activités hors cellule (à l’exception de l’exercice en plein air), des services de santé surchargés, une tension accrue et, partant, plus de violence, qu’elle ait lieu entre détenus, entre détenus et personnel, voire sous la forme d’actes d’automutilation. Dans certaines cellules des prisons de (...) Bucarest-Jilava (...), où de plus les conditions matérielles pouvaient être déplorables, les conditions de détention pourraient à juste titre être qualifiées d’inhumaines et dégradantes.
Dans ce contexte, le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit.
En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. »
Dans sa réponse, le Gouvernement roumain a indiqué que
la loi no 275/2006 (article 33 § 3) ainsi que son règlement d’application (article 82) prévoyaient désormais que chaque détenu devait disposer
d’un lit individuel. Il a en outre noté que les normes minimales obligatoires relatives aux conditions d’hébergement des personnes condamnées allaient être fixées par un arrêté, en cours de préparation, du ministère de la Justice. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Le requérant est né en 1979 et réside à Iskenderun.
Le 29 décembre 1999, il fut arrêté pour appartenance à une organtion illégale. Le 4 janvier 2000, il fut mis en détention provisoire puis jugé devant la cour de sûreté de l'Etat d'Adana.
Il entama des grèves de la faim de longue durée.
Le 10 avril 2001, au vu de la durée de la peine qu'il encourait et du temps qu'il avait passé en détention provisoire, il fut remis en liberté.
Lorsque, par la suite, le requérant fut appelé pour effectuer son service militaire, l'hôpital militaire de Gülhane diagnostiqua dans son rapport du 22 novembre 2002 une atrophie cérébrale et le déclara inapte au service.
Le 20 décembre 2005, une « dégénération du système nerveux central (encéphalopathie de Wernicke) » fut diagnostiquée chez le requérant. Il lui fut prescrit des médicaments à prendre pendant deux ans.
Le 18 avril 2006, la cour d'assises d'Adana, devenue entre-temps compétente à la suite de la suppression des cours de sûreté de l'Etat, condamna le requérant à trois ans et neuf mois de réclusion.
Dans l'intervalle, le 9 mars 2007, une « entéropathie sensitive au gluten » fut diagnostiquée chez le requérant. A titre médicamenteux, le rapport préconit la consommation de « 10 kilogrammes de farine par mois, 2 kilogrammes de pâtes, 2 kilogrammes de biscuits, 2 kilogrammes de gaufrettes », produits qui devaient être pris en charge par la caisse de sécurité sociale.
Selon le requérant, il lui aurait été contre indiqué toute consommation de produits dérivés du blé.
Un rapport établi le 22 mai 2007 par l'hôpital civil d'İskenderun indique un taux d'incapacité physique du requérant de 50 %. Ce rapport indique également ce qui suit : « système nerveux : des mouvements incontrôlés seraient apparus après la grève de la faim entamée il y a sept ans. Sa façon de parler est dysarthrique (...), la mobilité est ataxique, apparence de dissymétrie (...), le système squelette présente des séquelles de la maladie de Wernicke-Korsakoff ».
Le 9 juillet 2007, la condamnation du 18 avril 2006 fut confirmée par la Cour de cassation. Le 16 octobre 2007, le procureur de la République à İskenderun émit un mandat d'amener à l'encontre du requérant en vue de l'exécution de la sentence.
Le 5 novembre 2007, l'avocat du requérant introduisit une demande vnt l'obtention d'un sursis à l'exécution de la peine.
Le 11 décembre 2007, le procureur s'adressa à l'hôpital civil d'İskenderun pour obtenir un avis sur dossier quant à la compatibilité de l'état santé du requérant avec les conditions carcérales.
Le 4 janvier 2008, l'hôpital informa le parquet de la nécessité de soumettre l'intéressé à un examen.
Le 7 janvier 2008, le procureur d'İskenderun rejeta la demande de sursis. Dans sa décision, il indiquait notamment que le requérant pouvait bénéficier de tous les traitements nécessaires en prison et, que la nécessité de sursis ne pourrait être examinée qu'après le commencement de l'exécution de la peine.
Le requérant forma opposition contre cette décision. Un épisode d'incompétence ratione materiae eut lieu entre différents tribunaux. A une date non précisée, la cour d'assises d'Adana rejeta l'opposition.
Le 18 juin 2008, le procureur renouvela le mandat d'arrêt.
Un avis médical établi par trois médecins en fonction à l'hôpital civil d'Ankara et daté du 23 octobre 2008 indique que le rapport du 9 mars 2007 est correct mais qu'il aurait dû également porter la mention « produits sans gluten », conformément au diagnostic effectué à l'époque.
Le requérant est actuellement en fuite. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est né en 1978 et est actuellement détenu à la prison de Herby Stare (Pologne).
Le requérant souffre d'épilepsie depuis sa petite enfance. Plus récemment, il a été diagnostiqué qu'il est également atteint de schizophrénie et d'autres troubles mentaux graves. Avant son incarcération, il avait tenté de se suicider et avait séjourné en établissement psychiatrique.
A. Le traitement médical du requérant en détention
Soupçonné de vol et de coups et blessures, le requérant fut placé en détention provisoire en vertu d'un jugement prononcé le 19 avril 2005 par le tribunal de district (Sąd Rejonowy) de Będzin. Ultérieurement, son maintien en détention fut ordonné par des décisions rendues le 14 octobre 2005 et le 11 janvier 2006 par le tribunal de district de Będzin, puis par des décisions rendues le 5 juin et du 26 septembre 2006 par le tribunal de district de Myszków.
A son incarcération, le requérant fut emmené dans une maison d'arrêt dont le nom n'est pas précisé, probablement celle de Sosnowiec.
Victime d'hallucinations auditives intenses de nature psychotique, il fut conduit le 20 avril 2005 dans un établissement psychiatrique public à Czeladź, où il demeura deux jours.
Le 22 avril 2005, il fut incarcéré dans la maison d'arrêt de Zabrze mais, le même jour, il fut transféré à l'hôpital psychiatrique de Rybnik pour observation. Le 17 ou le 18 juillet 2005, il fut renvoyé dans la maison d'arrêt de Zabrze, où il demeura jusqu'au 4 janvier 2006.
Au cours de sa détention à la maison d'arrêt de Zabrze, l'intéressé prenait des psychotropes et fut examiné par un psychiatre le 19 juillet, le 23 août, les 6, 21 et 27 septembre, les 8 et 22 novembre et les 20 et 30 décembre 2005. En outre, il était suivi en permanence par un psychologue qu'il vit le 19 juillet, le 23 août, le 15 novembre et le 15 décembre 2005. Enfin, il consulta un médecin pénitentiaire généraliste pour des problèmes dermatologiques, des toux, des douleurs au dos et des troubles gastriques.
Du 4 janvier au 5 avril 2006, le requérant séjourna à la maison d'arrêt de Sosnowiec.
Le 15 janvier 2006, il fut à nouveau transféré à l'hôpital psychiatrique de Czeladź parce qu'il avait des hallucinations auditives et des pensées suicidaires. Le lendemain, son état de santé se stabilisa. Des médicaments lui furent prescrits et il fut renvoyé à la maison d'arrêt de Sosnowiec. On suggéra qu'il restât sous surveillance psychiatrique.
Le 23 janvier 2006, vers 23 heures, le requérant tenta de se pendre dans la maison d'arrêt de Sosnowiec. Il fut sauvé par ses compagnons de cellule. Aussitôt après, il fut examiné par le médecin pénitentiaire, qui ne releva sur lui aucune blessure.
Le 24 janvier 2006, l'intéressé fut conduit à l'hôpital psychiatrique de Czeladź. Faute de place, il fut transféré à l'hôpital psychiatrique d'Opole, où il fut examiné par des médecins. Il fut diagnostiqué schizophrène et on suggéra qu'il restât sous surveillance psychiatrique. Cependant, là encore faute de place, il ne fut pas hospitalisé et fut donc renvoyé à la maison d'arrêt de Sosnowiec.
L'intéressé dit avoir souffert d'hallucinations pendant le reste de son séjour dans la maison d'arrêt de Sosnowiec. On lui administrait régulièrement des médicaments, notamment des psychotropes. Entre janvier 2006 et avril 2006, il fut examiné à neuf reprises par un psychiatre ou un généraliste.
Le 22 mai 2006, le requérant fut transféré dans la prison de Herby Stare.
A son admission à la prison de Herby Stare, l'intéressé fit l'objet d'un examen neurologique, qui ne permit pas de confirmer l'existence des troubles dont il disait souffrir (épilepsie, hallucinations et angoisses, entre autres). Le médecin lui prescrivit toutefois un traitement médicamenteux ainsi qu'une consultation et un suivi psychiatriques.
Le 25 mai 2006, le requérant fut examiné par un psychiatre. Il se plaignait d'insomnies et d'hallucinations auditives. Il se disait également suivi et espionné par ses codétenus. Le médecin lui prescrivit un médicament contre sa schizophrénie et ordonna qu'il restât sous suivi psychiatrique.
Le 1er juin 2006, le requérant rata son rendez-vous avec le psychiatre mais put en consulter un une semaine plus tard. Le 27 juin 2006, il fut examiné par un généraliste puis une nouvelle fois par un psychiatre le 10 juillet 2006. Au cours de cette dernière visite, il se déclara en bonne santé.
Par la suite, entre juillet 2006 et août 2007, le requérant fut examiné à 35 reprises par divers spécialistes, notamment par un psychiatre et un neurochirurgien.
Il apparaît que, du 2 avril au 4 juin 2007, le requérant fut hospitalisé dans l'aile psychiatrique d'un établissement pénitentiaire.
Le 4 juin 2007, il fut reconduit à la prison de Herby Stare, où il resta jusqu'à son élargissement le 23 ou le 28 août 2007. A cette dernière date, il déclara aller bien et n'avoir eu dernièrement aucune hallucination.
Le 7 septembre 2007, l'intéressé revint à la prison de Herby Stare, où il demeure détenu à ce jour.
B. Les conditions de détention du requérant
Les versions des parties quant aux conditions de détention du requérant divergent notablement.
Dans la maison d'arrêt de Zabrze
a) Faits non conés
A la maison d'arrêt de Zabrze, le requérant fut détenu dans la cellule no 41 du 18 juillet au 20 octobre 2005 et dans la cellule no 42 du 20 octobre 2005 au 4 janvier 2006. Ces deux cellules font environ 6,7 m² de superficie chacune.
b) Faits conés
i. Le Gouvernement
Muet sur le nombre de détenus avec lesquels le requérant avait partagé ses cellules, le Gouvernement a toutefois indiqué que la maison d'arrêt de Zabrze connaissait un problème de surpeuplement. Il a précisé que le directeur de cet établissement avait d'ailleurs décidé d'abaisser le seuil légal de 3 m² par personne et en avait avisé le juge d'application des peines le 14 juin, le 30 septembre et le 29 novembre 2005.
Le Gouvernement a ajouté que, dans la maison d'arrêt de Zabrze, chacune des cellules où le requérant avait séjourné disposait d'une annexe dotée d'un espace toilettes et un lavabo. Cette annexe aurait été séparée du reste de la cellule et préservé l'intimité. Des accessoires de toilette auraient été fournis aux détenus et la literie aurait été changée toutes les deux semaines. Chacune de ces cellules aurait disposé d'un fenêtrage d'une superficie supérieure à 1 m². L'intéressé aurait été autorisé à prendre une douche par semaine. La salle de douche aurait été dotée de huit pommeaux de douche. D'une capacité de 16 personnes, elle aurait accueilli deux groupes qui se douchaient l'un après l'autre.
Le Gouvernement dit que le requérant était autorisé à faire une heure d'exercice à l'extérieur dans l'une des sept cours, dont deux faisaient 150 et 220 m2 de superficie. L'intéressé aurait également eu la possibilité de participer à des activités sociales deux ou trois fois par semaine pendant environ deux heures et de rester dans la salle de jeux pour regarder la télévision, lire ou jouer à des jeux de société. Enfin, il aurait eu accès à des programmes de radio et de télévision grâce au système de diffusion interne de l'établissement et la possibilité d'emprunter jusqu'à cinq ouvrages par semaine à la bibliothèque carcérale.
Le requérant n'aurait jamais été l'objet de sanctions disciplinaires à la maison d'arrêt de Zabrze. Au contraire, il aurait été récompensé à deux reprises pour bonne conduite.
ii. Le requérant
Le requérant dit avoir partagé les cellules en question avec deux autres détenus.
Il allègue en outre que ces cellules étaient sales et infestées de punaises des lits, de cafards et de moisissures. Ses codétenus auraient fumé des cigarettes toute la journée à l'intérieur des cellules. La literie et les serviettes n'y auraient pas été correctement nettoyées et l'air y aurait été nauséabond. Les détenus s'y seraient lavés à l'eau froide. En outre, il n'y aurait eu ni poste de télévision ni jeu de société dans la salle de jeux et l'intéressé n'aurait jamais été prévenu que l'établissement proposait des activités sociales.
Le requérant affirme par ailleurs que le personnel de la maison d'arrêt de Zabrze avait pour pratique de tyranniser les détenus. D'après lui, les surveillants infligeaient des sanctions disciplinaires sous n'importe quel prétexte, mettaient sens dessus dessous des cellules au cours de fréquentes fouilles injustifiées, forçaient des détenus à se déshabiller et à s'accroupir et les empêchaient aussi de s'endormir.
Dans la maison d'arrêt de Sosnowiec
a) Faits non conés
Dans la maison d'arrêt de Sosnowiec, entre le 4 janvier et le 5 avril 2006, le requérant fut d'abord placé dans la cellule no 37, d'une superficie de près de 16 m² et partagée par quatre ou cinq personnes, dont lui-même. Du 6 février au 30 mars 2006, il fut incarcéré avec deux autres personnes dans la cellule no 58 de l'aile médicale, d'une superficie de 13 m². Enfin, du 30 mars au 5 avril 2006, il fut détenu dans la cellule no 56, d'une superficie de 10,5 m² et partagée par deux personnes. Lorsque le nombre de nouvelles admissions augmenta à partir de janvier 2006, le directeur de cet établissement décida de réduire l'espace carcéral disponible en deçà du seuil légal et d'en aviser dûment le juge d'application des peines compétent.
b) Faits conés
i. Le Gouvernement
Le Gouvernement dit que les conditions sanitaires dans la maison d'arrêt de Sosnowiec étaient décentes, que chaque cellule disposait d'une annexe sanitaire séparée dotée d'un espace toilettes et d'un lavabo et que les détenus prenaient un bain ou une douche à l'eau chaude chaque semaine. Il ajoute que, dans la cellule de détention no 58, le requérant pouvait prendre un bain par jour et que les détenus avaient accès à l'eau chaude. Selon lui, dans toutes les autres cellules, les détenus pouvaient utiliser un thermoplongeur ou une bouilloire portative. Toutes les cellules auraient été suffisamment éclairées et ventilées. Les détenus auraient disposé d'une heure d'exercice à l'extérieur par jour et auraient été autorisés à utiliser la salle de jeux. La salle de jeux de l'aile IV de la maison d'arrêt de Sosnowiec, où l'intéressé était détenu, aurait été équipée de jeux de société et de tables de baby-foot et de ping-pong. Par ailleurs, dans cet établissement, les détenus auraient eu accès à une bibliothèque et, au printemps et en été, à un terrain de volley-ball.
ii. Le requérant
Conant les allégations ci-dessus, le requérant dit que les conditions sanitaires dans la maison d'arrêt de Sosnowiec étaient inadéquates. Selon lui, les cellules étaient humides et sales, les serviettes et la literie n'étaient pas nettoyées et les détenus se lavaient à l'eau froide.
Dans la prison de Herby Stare
a) Faits non conés
Le requérant a séjourné dans la prison de Herby Stare du 22 mai 2006 au 2 avril 2007 et du 4 juin au 28 août 2007. Il y demeure depuis le 7 septembre 2007.
b) Faits conés
i. Le Gouvernement
Le Gouvernement a produit la liste des cellules occupées à différentes périodes par le requérant. Leur superficie varie de 10 à 18 m². Le nombre d'occupants n'a toutefois pas été révélé. Cela étant, le Gouvernement a indiqué que le directeur de la prison avait décidé d'abaisser l'espace carcéral disponible en deçà du seuil légal et que, entre mai 2006 et octobre 2007, il en avait informé le juge d'application des peines à dix-neuf reprises.
Le Gouvernement affirme que, dans la prison de Herby Stare, les conditions sanitaires sont décentes, que chaque cellule dispose d'une annexe sanitaire séparée dotée d'un espace toilettes et d'un lavabo et que les détenus prennent un bain ou une douche à l'eau chaude chaque semaine. La salle de douche serait équipée de 19 pommeaux de douche et quatre ou cinq personnes à la fois y seraient autorisées à se laver.
ii. Le requérant
Le requérant dit que toutes les cellules occupées par lui dans la prison de Herby Stare étaient fortement surpeuplées. Ainsi, la cellule no 32, d'une superficie de 18 m2, aurait été partagée par neuf ou dix personnes.
Il estime en outre inadéquates les conditions sanitaires dans la prison de Herby Stare. Selon lui, tout comme dans les autres établissements pénitentiaires où il a séjourné, les cellules y sont humides et sales, les serviettes et la literie ne sont pas nettoyées et les détenus se lavent à l'eau froide. L'intéressé ajoute que, dans cette prison, la salle de douche est située dans un bâtiment séparé et que revenir en cellule les cheveux mouillés et sans les bons vêtements pose problème pour les détenus, surtout en hiver. Enfin, il se plaint d'un manque d'intimité du fait que les douches ne seraient pas séparées.
C. Les griefs soulevés par le requérant devant l'administration et les juridictions nationales
Le requérant n'a saisi les autorités carcérales d'aucun grief formel fondé sur le code de l'exécution des peines. En revanche, il s'est plaint devant diverses instances nationales, par exemple le médiateur (Rzecznik Praw Obywatelskich), de l'inadéquation de ses soins médicaux et de ses conditions de détention. Il a également formulé plusieurs demandes de mise en liberté pour raisons de santé.
Par une lettre du 6 juillet 2006, le requérant fut avisé par le médiateur que ses allégations avaient été jugées mal fondées. Il était souligné qu'il faisait l'objet d'un suivi psychiatrique constant et qu'il avait été hospitalisé chaque fois que nécessaire.
Le 31 juillet 2006, le tribunal de district de Myszków rejeta la demande, formulée par l'avocat du requérant, tendant à mettre fin à la détention provisoire de ce dernier pour raisons de santé. Il se fondait sur des rapports médicaux non précisés indiquant que l'intéressé souffrait non pas d'une maladie mentale, mais d'un simple trouble de la personnalité antisocial.
Le 23 novembre 2006, le tribunal régional (Sąd Okręgowy) de Częstochowa rejeta un appel interlocutoire formé par le requérant contre le jugement rendu le 28 septembre 2006 par le tribunal de district de Myszków ordonnant son maintien en détention.
Le requérant avait soutenu que la maladie mentale dont il souffrait nécessitait sa détention non pas en maison d'arrêt mais dans un établissement psychiatrique. Il s'était appuyé sur un certain nombre de rapports médicaux confirmant son diagnostic de schizophrénie et recommandant qu'il restât sous surveillance psychiatrique.
Le tribunal régional de Częstochowa jugea que rien ne s'opposait au séjour du requérant en maison d'arrêt. Il dit que, si un certain nombre de psychiatres d'établissements médicaux tant publics que pénitentiaires avaient certes ordonné la mise sous surveillance psychiatrique de l'intéressé, leur diagnostic n'était pas crédible étant donné qu'ils ne le connaissaient pas depuis longtemps et qu'ils n'avaient pas eu intégralement accès à son dossier médical. Il s'appuyait plutôt sur le rapport d'experts psychiatres de l'hôpital de Rybnik, qui avait conclu que le requérant ne souffrait d'aucun trouble psychotique. Il souligna que, à la différence des autres expertises, ce dernier rapport était complet car établi à l'issue du séjour de cinq semaines effectué par l'intéressé en observation psychiatrique dans cet établissement en 2005 et fondé sur son dossier médical relatant ses antécédents psychiatriques antérieurs à sa détention. Toutefois, ayant donné acte des contradictions dans les rapports médicaux présentés devant lui, il recommanda la mise à jour de l'expertise de l'hôpital psychiatrique de Rybnik, tout en refusant néanmoins de mettre fin à la détention provisoire du requérant en maison d'arrêt.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Dispositions constitutionnelles pertinentes
L'article 2 de la Constitution est ainsi libellé :
« La République de Pologne est un Etat démocratique de droit mettant en œuvre les principes de la justice sociale. »
L'article 40 de la Constitution se lit ainsi dans ses parties pertinentes :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
L'article 41 de la Constitution dispose, dans ses parties pertinentes :
« 4. Toute personne privée de liberté est traitée humainement. »
B. Principes généraux relatifs aux conditions de détention
Le code de l'exécution des peines
En son article 110, le code de l'exécution des peines (Kodeks karny wykonawczy) dispose :
« 1. Tout condamné est placé en cellule individuelle ou partagée.
L'espace dont chaque détenu dispose dans sa cellule ne peut être inférieur à 3 m². »
Son article 248 est ainsi libellé :
« 1. Dans les cas jugés particulièrement justifiés, le directeur d'un établissement pénitentiaire peut décider que, pendant une période déterminée, les détenus disposeront dans leur cellule d'un espace inférieur à 3 m² par personne. Il en avise alors le juge d'application des peines compétent.
Le ministre de la Justice fixe, par voie d'ordonnance, les règles que les autorités compétentes devront suivre en cas de dépassement de la capacité d'accueil globale dans l'ensemble des établissements pénitentiaires du pays (...) ».
Les ordonnances de 2000 et 2003
Le 26 octobre 2000, en application de l'article 248 § 2 du code de l'exécution des peines, le ministre de la Justice adopta une ordonnance fixant les règles à suivre par les autorités compétentes en cas de dépassement de la capacité d'accueil globale dans l'ensemble des établissements pénitentiaires du pays (Rozporzadzenie Ministra Sprawiedliwosci w sprawie trybu postepowania wlasciwych organow w wyapdku, gdy liczba osadzonych w zakladach karnych lub aresztach sledczych przekroczy w skali kraju ogolna pojemnosc tych zakladow ; « l'ordonnance de 2000 »). Le 26 août 2003, il prit une nouvelle ordonnance portant le même intitulé (« l'ordonnance de 2003 »), laquelle remplaça la première et entra en vigueur le 1er septembre 2003.
Le paragraphe 1, alinéa 1, de l'ordonnance de 2003 dispose :
« Dès lors que le nombre de personnes détenues dans les établissements pénitentiaires dépasse, dans l'ensemble du pays, leur capacité d'accueil globale, le directeur général des services pénitentiaires en informe, dans les sept jours à compter de la date du constat de dépassement, le ministre de la Justice, les directeurs régionaux des services pénitentiaires ainsi que les directeurs des établissements pénitentiaires. (...) »
Voici les parties pertinentes du paragraphe 2 de ce texte :
« 1. Une fois reçue l'information mentionnée au paragraphe précédent, les directeurs régionaux des services pénitentiaires ainsi que les directeurs des établissements pénitentiaires prennent, chacun dans le cadre de leurs propres attributions, des mesures en vue de convertir en cellules, en les mettant aux normes requises, des locaux qui à l'origine n'étaient pas affectés à cette fin.
(...)
En cas de dépassement de la capacité d'accueil dans un établissement pénitentiaire donné, les détenus peuvent être placés, pendant une période déterminée, dans des cellules réaménagées.
Au cas où le nombre de places obtenues après le réaménagement des cellules s'avérerait insuffisant, les détenus peuvent être placés dans des conditions telles que chacun d'eux disposera d'une surface inférieure à 3 m² ».
C. Les soins médicaux et psychiatriques en milieu carcéral
L'obligation générale incombant à l'Etat de protéger les personnes atteintes de handicaps mentaux découle de la loi du 19 août 1994 sur la protection de la santé mentale (Ustawa o ochronie zdrowia psychicznego ; « la loi de 1994 »), entrée en vigueur le 21 janvier 1995. Ce texte reconnaît le droit à la protection de la santé mentale comme un droit fondamental de la personne.
Le code de procédure pénale et le code de l'exécution des peines, ainsi qu'un certain nombre d'ordonnances adoptées par le ministère de la Justice, énoncent des règles spéciales régissant la détention en établissement médical et les traitements psychiatriques en milieu carcéral.
L'article 259, paragraphe 1, du code de procédure pénale dispose que, sauf si des raisons particulières s'y opposent, toute détention provisoire risquant de mettre en danger la vie ou la santé de la personne concernée doit être écartée.
En revanche, l'article 260 de ce même code prévoit que
« Si l'état de santé du prévenu l'impose, [sa] détention provisoire peut prendre la forme d'un placement dans un établissement médical approprié. »
Voici ce que dit l'article 213 du code de l'exécution des peines :
« Dans les cas énoncés par le code de procédure pénale, la détention provisoire s'effectue hors d'une maison d'arrêt, dans un établissement médical indiqué par l'autorité responsable du détenu. Cette même autorité donne également des instructions sur les conditions du placement de l'intéressé dans ledit établissement ».
Sur la base de l'article 115, paragraphe 10, du code de l'exécution des peines, le ministre de la Justice a adopté l'ordonnance du 31 octobre 2003 précisant les règles, l'étendue et la procédure des prestations médicales offertes aux personnes privées de leur liberté par les établissements de santé chargés de celles-ci (Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości w sprawie szczegółowych zasad, zakresu i trybu udzielania świadczeń zdrowotnych osobom pozbawionym wolności przez zakłady opieki zdrowotnej dla osób pozbawionych wolności ; « l'ordonnance d'octobre 2003 »), entrée en vigueur le 17 décembre 2003.
Aux termes du paragraphe 1.1 de l'ordonnance d'octobre 2003, les établissements de santé chargés des personnes privées de liberté proposent notamment à celles-ci des examens et traitements médicaux et psychologiques, ainsi que des soins préventifs.
Le paragraphe 1.2 de l'ordonnance d'octobre 2003 ajoute :
« 2. Dans les cas jugés justifiés, si les établissements de santé chargés des personnes privées de liberté ne peuvent assurer à celles-ci les prestations médicales énumérées à l'alinéa précédent, notamment lorsque l'équipement médical spécialisé fait défaut, ces prestations peuvent être fournies par les établissements de santé publics. »
Dans les cas énoncés à l'alinéa 2 du présent article, le directeur d'un établissement de santé chargé de personnes privées de liberté décide si les prestations médicales [assurées par les établissements de santé publics] sont nécessaires ou non (...) »
Le paragraphe 7 de l'ordonnance d'octobre 2003 prévoit :
« 1. Un médecin d'établissement pénitentiaire ou, en son absence, un infirmier décide du placement d'une personne privée de sa liberté dans l'aile médicale dudit établissement (...)
Le directeur d'un hôpital pénitentiaire ou un médecin de la prison habilité décide s'il est nécessaire ou non de placer une personne privée de sa liberté dans ledit hôpital. »
Le paragraphe 11 de l'ordonnance d'octobre 2003 dispose :
« S'il y a lieu de penser qu'une personne privée de sa liberté souffre de troubles mentaux, d'arriération mentale (...), le médecin de la prison :
1) donne des instructions sur le séjour de l'intéressé en prison, ainsi que sur les modalités du suivi et du traitement [de la personne concernée] ;
2) ordonne à l'intéressé de subir un examen psychiatrique. »
Voici ce que dit le paragraphe 12.1 de l'ordonnance d'octobre 2003 :
« Une personne privée de liberté doit être placée dans l'aile psychiatrique d'un hôpital pénitentiaire
1) si le juge a ordonné son examen assorti d'un suivi psychiatrique ;
2) [si cette mesure a été] ordonnée, conformément aux dispositions de la loi du 19 août 1994 sur la protection de la santé mentale, par un psychiatre à la suite d'un diagnostic de troubles mentaux appelant un examen ou un traitement en établissement. »
Le paragraphe 13 de l'ordonnance d'octobre 2003 prévoit en outre que
« Dans les cas jugés justifiés, si, à l'issue d'un examen et d'un suivi psychiatriques, il est diagnostiqué, sur la base d'une décision d'un médecin-chef, qu'une personne privée de sa liberté souffre d'une maladie mentale, d'arriération mentale ou de tout autre trouble mental (...), cette personne doit rester internée dans l'aile psychiatrique de l'hôpital pénitentiaire jusqu'à ce que le juge compétent statue ».
Sur la base de l'article 249 du code de l'exécution des peines, le ministre de la Justice a adopté l'ordonnance du 25 août 2003 relative au code de pratique pour l'organisation et les modalités de la détention provisoire (Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości w sprawie regulaminu organizacyjno-porządkowego wykonywania tymczasowego aresztowania ; « l'ordonnance d'août 2003 »), entrée en vigueur le 1er septembre 2003.
L'ordonnance d'août 2003 dispose que la détention provisoire se déroule en maison d'arrêt. Toutefois, son paragraphe 28 prévoit ceci :
« 1. En ce qui concerne les détenus hospitalisés (...), ainsi que les [détenus] atteints de maladies chroniques, le directeur [d'une maison d'arrêt] peut, à la demande d'un médecin ou après avoir consulté celui-ci, prévoir toute exception nécessaire aux modalités de détention provisoire telles qu'énoncées dans le code de pratique, pourvu que pareille mesure soit justifiée par l'état de santé des détenus concernés.
L'alinéa 1 du présent paragraphe s'applique aux détenus chez qui sont diagnostiqués des troubles mentaux non psychotiques, une arriération mentale (...) Le directeur [d'une maison d'arrêt] peut, à la demande ou après consultation d'un médecin ou d'un psychologue, prévoir toute exception [nécessaire]. »
Les règles régissant la collaboration entre les établissements de santé pénitentiaires et publics sont énoncées dans l'ordonnance adoptée par le ministère de la Justice le 10 septembre 2003, qui précise les règles, l'étendue et la procédure de la collaboration entre les établissements de santé publics et les services de santé pénitentiaires aux fins des prestations médicales assurées aux personnes privées de leur liberté (Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości w sprawie szczegółowych zasad, zakresu i trybu współdziałania zakładów opieki zdrowotnej ze służbą zdrowia w zakładach karnych i aresztach śledczych w zapewnianiu świadczeń zdrowotnych osobom pozbawionym wolności), entrée en vigueur le 17 octobre 2003.
(...)
F. Pratique constitutionnelle
La plainte introduite par le médiateur
Par une plainte formulée le 13 décembre 2005 en vertu de l'article 191 de la Constitution, combiné avec son article 188, le médiateur pria la Cour constitutionnelle (skarga konstytucyjna) de déclarer l'ordonnance de 2003 contraire à la Constitution. Plus précisément, il demandait à la haute juridiction de juger ce texte incompatible avec les articles 40 et 41 de la Constitution et avec l'article 3 de la Convention. Il conait en particulier le paragraphe 2, alinéa 4, de l'ordonnance de 2003, qui permettait aux autorités carcérales de placer indéfiniment un détenu dans une cellule d'une superficie inférieure à 3 m2 par personne. Selon lui, cette disposition contredisait l'article 248 du code de l'exécution des peines, en vertu duquel pareille mesure revêt un caractère provisoire, et avait pour effet de légitimer le surpeuplement chronique des établissements pénitentiaires polonais.
Le 18 avril 2006, le médiateur limita la portée de sa plainte initiale, priant la Cour constitutionnelle de juger l'alinéa 4 du paragraphe 2 de l'ordonnance de 2003 contraire à l'article 41 de la Constitution polonaise.
Le 19 avril 2006, soit la veille de la date prévue pour l'audience devant la Cour constitutionnelle, le ministre de la Justice abrogea dans son intégralité l'ordonnance dénoncée et la remplaça par une autre portant le même intitulé et prenant effet immédiatement (« l'ordonnance de 2006 »). Cette dernière reprend intégralement les dispositions du texte abrogé, sauf l'alinéa 4 du paragraphe 2, qui a été modifié et se lit à présent comme suit :
« Au cas où le nombre de places obtenues après le réaménagement des cellules s'avérerait insuffisant, les détenus peuvent être placés, pendant une période déterminée, dans des conditions telles que chacun d'eux disposera d'une surface inférieure à 3 m² ».
Cette modification amena le médiateur à retirer sa plainte le 19 avril 2006.
L'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 26 mai 2008
Le 22 mai 2006, J.G., une personne qui purgeait alors une peine d'emprisonnement, saisit la Cour constitutionnelle en vertu de l'article 191 de la Constitution, combiné avec son article 79, l'invitant à déclarer inconstitutionnel l'article 248 du code de l'exécution des peines. Il soutenait que la disposition attaquée méconnaissait notamment l'interdiction de la torture et des traitements ou peines inhumains et dégradants, telle que découlant des articles 40 et 41 de la Constitution. Il critiquait notamment l'article 248 en ce qu'il aurait permis de placer indéfiniment des détenus dans des cellules d'une superficie inférieure au seuil légal.
Par un arrêt du 26 mai 2008, la Cour constitutionnelle a jugé, entre autres, que l'article 248 du code de l'exécution des peines était contraire aux articles 40 (interdiction de la torture et des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants), 41 § 4 (droit pour un détenu d'être traité avec humanité) et 2 (principe de l'état de droit) de la Constitution. Elle a souligné que la disposition attaquée manquait de clarté et de précision, ce qui permettait de l'interpréter d'une manière excessivement large.
La Cour constitutionnelle a relevé que, en pratique, cette disposition permettait de placer indéfiniment et arbitrairement des détenus dans des cellules d'une superficie inférieure au seuil légal de 3 m² par personne, ce qui était à l'origine de la surpopulation chronique au sein des établissements pénitentiaires polonais et exposait les détenus à un risque de traitements inhumains. Elle a observé que la surpopulation carcérale devait être considérée comme un grave problème menaçant en permanence la réinsertion des détenus. Elle a ajouté que ce phénomène pouvait être qualifié en lui-même de traitement inhumain et dégradant, voire de torture en cas de circonstances aggravantes. Elle a constaté à cet égard que le seuil légal de 3 m2 par personne était déjà l'un des plus bas d'Europe.
La Cour constitutionnelle a souligné en outre que l'article 248 n'était censé s'appliquer que dans des cas jugés particulièrement justifiés, par exemple un défaut de construction ou l'écroulement d'un bâtiment carcéral. Une disposition de ce type ne devait laisser aucun doute quant à la définition des cas autorisés, à la superficie minimale des cellules et à la durée maximale de la période d'application des nouveaux seuils. Elle devait en outre énoncer des principes clairs précisant le nombre de fois où un détenu pouvait être placé dans des conditions inférieures aux minima légaux ainsi que les règles procédurales à suivre en pareil cas. Or, en pratique, l'article 248 donnait aux directeurs d'établissements pénitentiaires un large pouvoir discrétionnaire pour dire ce qui constituait un « cas jugé particulièrement justifié », légitimant ainsi la surpopulation permanente de ces établissements. Il permettait de placer indéfiniment les détenus dans une cellule d'une superficie inférieure au seuil légal, sans prévoir de minima autorisés.
Compte tenu de « la surpopulation permanente des établissements pénitentiaires polonais », la Cour constitutionnelle a considéré que l'article 248, jugé inconstitutionnel, devait être abrogé dans les dix-huit mois à compter de la date de publication de son arrêt. Elle a justifié ce délai par la nécessité d'adopter un train de mesures visant à réorganiser le système pénitentiaire polonais dans son ensemble et, à terme, à éliminer le problème de surpeuplement. Elle a également noté que, parallèlement, une réforme de la politique pénale était souhaitable, afin de recourir plus souvent aux mesures préventives autres que la privation de liberté. Elle a ajouté que la prise d'effet immédiate de son arrêt n'aurait fait qu'aggraver la situation problématique déjà existante où, faute de place dans les établissements pénitentiaires polonais, de nombreux condamnés ne peuvent purger leur peine d'emprisonnement. A la date du prononcé de son arrêt, ce problème touchait environ 40 000 personnes.
Par ailleurs, en vertu du principe appelé « droit de privilège » (przywilej korzyści), la Cour constitutionnelle a ordonné l'adoption d'une mesure individuelle, à savoir que, immédiatement après sa publication, son arrêt entrerait en vigueur à l'égard de l'auteur de la requête constitutionnelle. Ce principe est appliqué par elle lorsqu'un recours formé par une personne est clos par un arrêt dont la prise d'effet est ajournée. Il vise à récompenser, pour son sens de l'initiative, la personne qui a été la première à saisir la haute juridiction pour que celle-ci tranche une question particulière.
Pour ce qui est des circonstances de l'affaire en question, les instances de l'Etat qui ont participé à la procédure devant la Cour constitutionnelle, à savoir le procureur général, le médiateur et le président du Sejm, avaient toutes reconnu l'existence de la surpopulation carcérale en Pologne. Dans ses conclusions du 6 décembre 2007, le procureur général avait dit que ce problème de surpopulation persistait déjà depuis 2000 et était dû à la mauvaise interprétation donnée par les juridictions et les autorités pénitentiaires nationales aux dispositions dénoncées. Il avait fait remarquer en outre que, avec un taux de surpeuplement ayant atteint jusqu'à 118,9 % le 31 août 2007, lesdites autorités estimaient que 15 000 nouvelles places étaient nécessaires afin de garantir aux détenus la superficie légale de 3 m² par personne.
III. TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS
Voici les parties pertinentes de la Recommandation R (98) 7 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire :
« I. Aspects principaux du droit aux soins de santé en milieu pénitentiaire
A. Accès à un médecin
Lors de leur admission dans un établissement pénitentiaire et ultérieurement, pendant leur séjour, les détenus devraient avoir accès, si leur état de santé le nécessite, à tout moment et sans retard, à un médecin ou à un(e) infirmier(ère) diplômé(e), quel que soit leur régime de détention. Tous les détenus devraient bénéficier d'une visite médicale d'admission. L'accent devrait être mis sur le dépistage des troubles mentaux, l'adaptation psychologique à la prison, les symptômes de sevrage à l'égard des drogues, des médicaments ou de l'alcool et les affections contagieuses et chroniques.
(...)
Un service de santé en milieu pénitentiaire devrait assurer au minimum des consultations ambulatoires et des soins d'urgence. Lorsque l'état de santé des détenus exige des soins qui ne peuvent être assurés en prison, tout devrait être mis en œuvre afin que ceux-ci puissent être dispensés en toute sécurité dans des établissements de santé en dehors de la prison.
Les détenus devraient, si nécessaire, avoir accès à un médecin à toute heure du jour et de la nuit. Dans chaque établissement, une personne compétente pour donner les premiers soins devrait en permanence être présente. En cas d'urgence grave, le médecin, un membre du personnel soignant et la direction devraient être alertés. La participation active et l'engagement du personnel de surveillance sont primordiaux.
Un accès à des consultations et à des conseils psychiatriques devrait être garanti. Dans les grands établissements pénitentiaires, une équipe psychiatrique devrait être présente. A défaut, dans les petits établissements, des consultations devraient être assurées par un psychiatre hospitalier ou privé.
(...)
III. L'organisation des soins de santé dans les prisons notamment du point de vue de la gestion de certains problèmes courants
(...)
D. Symptômes psychiatriques : troubles mentaux et troubles graves de la personnalité, risque de suicide
Les détenus souffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l'équipement adéquat et disposant d'un personnel qualifié. La décision d'admettre un détenu dans un hôpital public devrait être prise par un médecin psychiatre sous réserve de l'autorisation des autorités compétentes.
(...)
Les risques de suicide devraient être appréciés en permanence par le personnel médical et pénitentiaire. Suivant le cas, si des mesures de contrainte physique conçues pour empêcher les détenus malades de se porter préjudice à eux-mêmes ont été utilisées, une surveillance étroite et permanente et un soutien relationnel devraient être utilisés pendant les périodes de crise. (...) »
Voici les parties pertinentes de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l'article 15.b du Statut du Conseil de l'Europe,
Prenant en compte la Convention européenne des Droits de l'Homme ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme ;
(...)
Recommande aux gouvernements des Etats membres :
– de suivre dans l'élaboration de leurs législations ainsi que de leurs politiques et pratiques les règles contenues dans l'annexe à la présente recommandation qui remplace la Recommandation no R (87) 3 du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes ;
(...)
Annexe à la Recommandation Rec(2006)2
(...)
1 Les personnes souffrant de maladies mentales et dont l'état de santé mentale est incompatible avec la détention en prison devraient être détenues dans un établissement spécialement conçu à cet effet.
2 Si ces personnes sont néanmoins exceptionnellement détenues dans une prison, leur situation et leurs besoins doivent être régis par des règles spéciales.
(...)
Les autorités pénitentiaires doivent protéger la santé de tous les détenus dont elles ont la garde.
(...)
3 Les détenus doivent avoir accès aux services de santé proposés dans le pays sans aucune discrimination fondée sur leur situation juridique.
4 Les services médicaux de la prison doivent s'efforcer de dépister et de traiter les maladies physiques ou mentales, ainsi que les déficiences dont souffrent éventuellement les détenus.
5 A cette fin, chaque détenu doit bénéficier des soins médicaux, chirurgicaux et psychiatriques requis, y compris ceux disponibles en milieu libre.
(...)
1 Des institutions ou sections spécialisées placées sous contrôle médical doivent être organisées pour l'observation et le traitement de détenus atteints d'affections ou de troubles mentaux qui ne relèvent pas nécessairement des dispositions de la Règle 12.
2 Le service médical en milieu pénitentiaire doit assurer le traitement psychiatrique de tous les détenus requérant une telle thérapie et apporter une attention particulière à la prévention du suicide. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1951. Il est à présent détenu dans l’établissement pénitentiaire d’Arad à la suite de sa condamnation à une peine de prison de dix ans pour escroquerie, peine établie par des arrêts du 14 août 2002 et du 11 novembre 2004 de la cour d’appel de Timişoara.
A. Faits relatifs aux conditions de détention du requérant
Version du requérant
Pendant sa détention provisoire, le requérant fut détenu dans les locaux de la police d’Arad. Il devait satisfaire certains de ses besoins naturels dans un seau en plastique, qui restait ensuite dans la cellule qu’il partageait avec d’autres détenus. Il n’avait accès aux toilettes que deux fois par jour, à 6 heures et à 17 heures. Transféré au plus tard au mois d’avril 2002 dans les prisons de Timişoara et d’Arad, où il a passé la majeure partie de son temps de détention jusqu’à présent, le requérant dut partager avec vingt-sept autres détenus une cellule d’environ 38 m2 et ayant 18 lits et une seule fenêtre. Selon le requérant, il n’y avait jamais d’eau chaude au lavabo de la cellule. La tenue pénitentiaire était une ancienne tenue militaire ayant plus de vingt ans et, à la prison de Timişoara, l’administration ne lui fournissait ni draps ni couverture. Quant à la nourriture, elle était de très mauvaise qualité : on lui servait chaque jour des pommes de terre bouillies et du thé sans sucre, mais jamais de viande.
Observations du Gouvernement
Au cours de sa détention dans les locaux de la police d’Arad, entre le 17 janvier et le 14 février 2002, le requérant partagea une cellule de 6,53 m2 et dotée de quatre lits avec un ou plusieurs codétenus (maximum quatre par cellule). Le Gouvernement confirme pour l’essentiel les affirmations du requérant quant à l’accès aux toilettes séparées de la cellule, précisant toutefois que durant la journée l’intéressé pouvait solliciter d’y être conduit. A partir de février 2002 et jusqu’à présent, le requérant a été détenu alternativement dans les prisons d’Arad et de Timişoara (il a passé la majeure partie de cette période dans la prison d’Arad, notamment une grande partie des étés à partir de 2003 et la période entre décembre 2004 et mars 2007).
Dans la prison d’Arad, il partagea avec un nombre non précisé de codétenus la cellule no 161, qui avait 15,37 m2 de superficie et était dotée d’une fenêtre de 1,50 m sur 1,80 m, ainsi que de six lits, une armoire, trois tables de chevet, une table, un support TV et deux petites banquettes métalliques. L’aération de la cellule se faisait par l’ouverture de la fenêtre. La cellule était équipée d’un ensemble sanitaire (toilettes, lavoir, petite baignoire) séparé par un hall du corps de la cellule et le requérant avait accès deux fois par semaine aux douches à l’eau chaude situées sur le couloir. A présent, il y a six détenus dans la cellule en cause.
Dans la prison de Timişoara, le requérant occupa différentes cellules. Le Gouvernement indique que, la base de données informatique étant incomplète, il ne dispose de renseignements qu’à l’égard des cellules où l’intéressé fut détenu après novembre 2004. Il ressort de ces renseignements que le requérant disposait généralement dans ces cellules, qu’il partageait avec d’autres codétenus, d’un espace de vie d’environ 1,50 m2 jusqu’en 2007 et d’environ 6,25 m2 par la suite. Le mobilier des chambres était similaire à celui de la prison d’Arad, tout comme l’étaient les conditions d’hygiène et d’aération des cellules. Selon une lettre du 4 septembre 2007 de la prison de Timişoara, qui renvoie à la règlementation en la matière, le requérant bénéficia d’une alimentation conforme ainsi que d’une heure de promenade en plein air jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines de prison (deux heures après cette date).
B. Faits relatifs à l’ancienne décharge d’ordures se trouvant à proximité de la prison d’Arad
Fonctionnement de la décharge d’ordures et mesures des autorités à cet égard
La prison d’Arad est installée à une vingtaine de mètres de l’ancienne décharge d’ordures ménagères qui, administrée par la société S., elle-même contrôlée par la mairie d’Arad, avait fonctionné de 1998 jusqu’à 2003, où l’administration locale choisit un autre site, situé dans une autre partie de la ville. Il ressort du dossier que la décharge avait fonctionné sans les autorisations nécessaires de la part des autorités locales chargées de la protection de l’environnement (APE) et, respectivement, de la santé publique. Par ailleurs, la fermeture de l’ancienne décharge en 2003 ne fut pas suivie d’une remise en état des lieux ou de travaux de couverture du site avec de la terre. Des entreprises et de nombreux particuliers continuèrent à y déposer des ordures et des déchets. D’après le requérant, des mouches, des insectes et même des oiseaux volent de l’ancienne décharge jusque dans sa cellule, ce qui représente un risque d’infection, compte tenu aussi du fait que les détenus gardent de la nourriture dans la cellule, laquelle ne dispose pas d’un réfrigérateur. Par ailleurs, selon le requérant, la proximité de l’ancienne décharge serait une source d’odeurs pestilentielles et de nuisances olfactives.
Par un arrêté no 76 du 4 avril 2002, la mairie d’Arad adopta une « stratégie sur le développement et le fonctionnement des services de salubrité ». Prenant note de l’ancienneté du système de dépôt d’ordures à ciel ouvert et des risques pour la population, la mairie se fixait pour objectif, entre autres, de « désaffecter » cette décharge d’ordures au plus tard en 2004.
Conformément à la loi no 137/1995 relative à la protection de l’environnement et à l’arrêté du Gouvernement no 162/2002 sur le dépôt des déchets, deux rapports environnementaux (« bilans I et II ») furent rédigés en juillet et septembre 2003 par l’université d’Arad pour la société S., qui les déposa le 17 novembre 2003 à l’APE. Selon cette dernière, le second rapport avait été rédigé afin d’obtenir l’autorisation de l’APE pour la fermeture de la décharge. Les rapports soulignèrent que la décharge « n’avait pas les autorisations requises » pour son fonctionnement et que son emplacement ne respectait pas la distance minimale de 1 000 m, prévue par l’ordre no 536/1997 du ministère de la Santé, entre la décharge et les immeubles d’habitation (situés principalement de l’autre côté et à plus grande distance de la décharge que la prison). Un autre point de nonconformité était l’absence de tout aménagement approprié, dont notamment celle d’un système pour collecter le gaz méthane produit par la fermentation des ordures. La décharge s’étalait sur environ 13 ha et était encore utilisée à cette époque : elle était remplie à 90 % de sa capacité, soit un volume d’ordures de 350 000 m3. Les rapports recommandaient d’organiser le dépôt des ordures d’une manière appropriée pour éviter le risque d’incendie et l’émanation de mauvaises odeurs, et pour faire disparaître les rats et les larves de mouches. Il ressortait des analyses d’air que les valeurs règlementaires étaient dépassées (indicateur ammoniac) même à des températures peu élevées (14o C), que l’air dans le périmètre de la décharge était « fortement pollué » et que pendant les saisons plus chaudes la pollution était encore plus élevée, la décomposition des ordures avec émanation d’ammoniac générant des nuisances et des perturbations (« puternic disconfort » et « disfuncţii ») pour les habitants des quartiers voisins ou même, en cas de vent, pour ceux situés à plus grande distance. Indépendamment de la solution qui serait adoptée par la mairie d’Arad (neutralisation de la décharge in situ ou déplacement des ordures), les rapports recommandaient la surveillance du niveau de pollution.
Le 26 novembre 2003 et le 24 février 2005, l’APE demanda à la mairie d’Arad de compléter sa demande de fermeture de la décharge par la fourniture de plusieurs documents. Devant l’insuffisance de la réponse donnée par la mairie le 18 mai 2005, qui se limitait à la question du financement, un complément fut à nouveau demandé par l’APE le
22 août 2006.
Entre temps, en février 2006, la mairie d’Arad délégua à la société S. la responsabilité de l’ancienne décharge d’ordures de la ville.
Le 11 juillet 2006, un incendie que l’adjoint au maire d’Arad qualifia « d’extrêmement puissant » se déclencha et s’étendit sur la majeure partie de l’ancienne décharge d’ordures près de la prison où le requérant était incarcéré à cette date, incendie favorisé par les émanations de gaz méthane issues des couches profondes d’ordures. Plusieurs dizaines de pompiers furent mobilisés pendant trois jours pour éteindre l’incendie qui fit s’élever des nuages noirs au-dessus des quartiers avoisinants. Des enquêtes furent ordonnées par la préfecture et la police d’Arad. Selon le Gouvernement, qui s’appuie sur des lettres de septembre 2007 de la prison d’Arad et de l’Inspection pour les situations d’urgence, le requérant ne fut pas affecté par l’incendie, le vent ayant soufflé dans la direction opposée.
Par un procès-verbal dressé le 12 juillet 2006, le commissaire D. de l’autorité départementale chargée de prévenir, constater et sanctionner les infractions à la règlementation sur l’environnement (Garda de mediu,
ci-après « la GM ») condamna la mairie d’Arad au paiement d’une amende contraventionnelle de 30 000 lei roumains (RON), en vertu de l’article 96 § 2 (4) de l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 195/2005 sur la protection de l’environnement (« O.U.G. no 195/2005 »). Le passage pertinent du procès-verbal était libellé comme suit :
« Dans le périmètre de la décharge il n’y avait aucun dispositif ou panneau pour informer et avertir le public quant aux risques générés pour l’environnement et pour la santé de la population du fait de l’existence de cette décharge d’ordures, à l’égard de laquelle les travaux de fermeture et de reconstruction écologique n’ont pas été réalisés jusqu’à présent. L’information du public aurait dû être faite par les autorités locales antérieurement, conformément à l’article 96 § 2 (4) de l’O.U.G. 195/2005. »
Sur demande de l’APE, une étude de faisabilité pour la fermeture de l’ancienne décharge d’ordures fut réalisée en juillet 2006 par l’université d’Arad. L’étude indiqua que la prison d’Arad se trouvait à 18 m de distance à l’est de la décharge et nota que celle-ci avait continué d’être utilisée « sans accord préalable », ayant un volume d’ordures de 462 000 m3 sur une superficie de 14 ha. Sur la base des analyses faites, l’étude indiquait que l’air dans le périmètre en question était pollué – par rapport aux normes fixées en 1987 –, ce qui générait un « inconfort total » pour les habitants de cette zone. Eu égard au degré de pollution, l’étude recommandait de dégager le site et transférer les ordures, pendant l’hiver, dans un autre site qui remplisse les exigences de l’arrêté du Gouvernement no 349/2005 et de l’ordre no 757/2004 du ministère de l’Environnement (« l’arrêté no 349/2005 » et « l’ordre no 757/2004 ») relatifs au dépôt des déchets. Appuyant cette proposition, le département technique de la mairie d’Arad indiqua la présence d’une « forte pollution » et le maire se référa en outre à l’absence des autorisations nécessaires et à la méconnaissance de l’ordre no 536/1997 du ministère de la Santé.
Par une décision du 22 août 2006, le conseil municipal d’Arad approuva l’étude susmentionnée, mais le 31 octobre 2006, le ministère de l’Environnement estima que le volume d’ordures était proche de 1 000 000 m3 et que la fermeture du site devait donc suivre la procédure prévue par l’ordre no 757/2004 précité. Plusieurs échanges de courriers eurent lieu en 2007 entre la mairie d’Arad et l’APE pour l’obtention par la première de l’accord de la seconde sur le programme de mise en conformité avec les obligations environnementales et sur les travaux de fermeture à effectuer, accord nécessaire selon l’ordre no 757/2004. Il ressort d’une lettre du 26 octobre 2007 de l’APE que l’accord sur le programme précité fut délivré le 18 octobre 2007, celui pour les travaux à réaliser étant alors en cours d’examen. Le programme en question prévoit, entre autres, comme obligation à la charge de la mairie d’Arad pour 2008-2009, l’amélioration de la qualité de l’air dans le périmètre de l’ancienne décharge d’ordures par des travaux de réhabilitation et de clôture du périmètre, y compris la couverture de la décharge avec des couches de terre et de l’herbe et la création de conduits pour les gaz émanant de la décharge. Le Gouvernement n’a pas fourni de renseignements plus récents sur la procédure d’autorisation et l’état d’avancement des travaux en question.
Dans une lettre du 29 octobre 2007 fournie par le Gouvernement, le directeur de la prison d’Arad notait que l’ancienne décharge d’ordures avait été « désactivée » depuis 2000. Selon le directeur, c’était pour cette raison que l’action du requérant sur la base de l’O.U.G. no 56/2003 avait été rejetée (paragraphes 22-23 ci-dessous) et que les détenus n’avaient pas été affectés par la proximité de la décharge, aucune maladie n’ayant été causée par les faits allégués. Par ailleurs, sur la base du dossier médical de l’intéressé, un rapport médical datant d’août 2007 indiqua que l’état de santé du requérant n’avait pas été affecté par l’existence de la décharge.
Démarches administratives et judiciaires du requérant
Le 27 avril 2004, en réponse à une lettre adressée par le requérant au sujet des effets nocifs de l’ancienne décharge d’ordures sur la vie des détenus, le préfet d’Arad lui indiqua qu’une société italienne avait l’intention d’acheter ce terrain public et de le remettre en état. Le préfet concluait en précisant qu’il espérait que ce projet allait se réaliser et en souhaitant au requérant de surmonter les moments difficiles qu’il vivait.
Le 1er juin 2004, la mairie d’Arad répondit à une lettre similaire du requérant que l’ancienne décharge avait été fermée et n’était plus utilisée. Elle ajoutait que la société S. avait rédigé un rapport environnemental et surveillait en permanence cette décharge. Par ailleurs, un programme de neutralisation des ordures ménagères était à l’étude, les autorités souhaitant obtenir à cette fin un financement par l’Union européenne.
Le 4 avril 2005, le requérant saisit le tribunal de première instance d’Arad d’une action fondée sur l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 56/2003 concernant certains droits des personnes exécutant une peine privative de liberté (ci-après, « l’O.U.G. no 56/2003 »), se plaignant notamment des conditions d’hygiène dans les locaux de détention de la police d’Arad et dans la prison d’Arad, de l’absence d’un réfrigérateur et du fait qu’il devait supporter dans la prison précitée l’air vicié et les odeurs pestilentielles émanant de l’ancienne décharge d’ordures ménagères.
Par un jugement du 27 janvier 2006, le tribunal de première instance d’Arad rejeta comme mal fondée l’action du requérant, jugeant que « certains aspects invoqués par le requérant n’entraient pas dans l’objet de l’O.U.G. no 56/2003 et [que] les autres aspects relatifs à la méconnaissance de ses droits n’avaient été aucunement prouvés. »
Par un arrêt du 24 mai 2006, le tribunal départemental d’Arad rejeta le recours formé contre le jugement précité par le requérant, qui sollicitait que l’administration pénitentiaire prenne des mesures de désinfection et de neutralisation de l’ancienne décharge. Il jugea que les aspects présentés par le requérant ne pouvaient pas faire l’objet d’un examen dans le cadre de l’O.U.G. no 56/2003, indiquant par ailleurs que l’intéressé pouvait éventuellement saisir l’administration locale chargée de la propreté de la ville et du maintien du niveau de confort environnemental de la population.
C. Faits relatifs aux conversations téléphoniques du requérant en prison
Dans une lettre du 29 septembre 2006, le requérant précise qu’un gardien de la prison était présent près de lui lors de ses conversations téléphoniques avec des personnes de l’extérieur de la prison et qu’il devait indiquer à l’administration, pour fichage dans un registre, les numéros de téléphone qu’il souhaitait appeler.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Les dispositions régissant le délit de mauvais traitements et la responsabilité civile délictuelle
Les dispositions des articles 267 et 2671 du code pénal (CP) relatifs, respectivement, aux délits de « mauvais traitements » et de « torture »,
sont citées dans les affaires Iambor c. Roumanie (no 64536/01, § 130,
24 juin 2008) et Velcea c. Roumanie ((déc.), no 60957/00, 23 juin 2005) respectivement. Les dispositions concernant la responsabilité civile délictuelle (articles 998-999 du code civil) sont décrites dans l’arrêt Iambor (précité, § 142).
B. Les dispositions relatives aux conversations téléphoniques des personnes privées de liberté
L’ordonnance d’urgence du gouvernement no 56/2003 concernant certains droits des personnes privées de liberté (« l’O.U.G. no 56/2003 »), publiée et entrée en vigueur le 27 juin 2003, prévoyait dans son article 3 que les détenus avaient le droit de saisir le tribunal de première instance d’une plainte contre les mesures de l’administration pénitentiaire relatives à l’exercice de leurs droits. L’article 9 indiquait que les détenus avaient le droit d’utiliser les cabines téléphoniques publiques installées dans les l’enceinte de la prison et que les conversations téléphoniques avaient un caractère confidentiel. L’O.U.G. no 56/2003 a été abrogée et remplacée par la loi no 275/2006, qui est entrée en vigueur le 20 octobre 2006 et contient des dispositions similaires, tout en prévoyant par ailleurs que les conversations téléphoniques des détenus ont lieu « sous surveillance à vue ».
C. Les dispositions internes et internationales pertinentes en matière de protection de l’environnement et, en particulier, de dépôt et de gestion des déchets
L’essentiel des dispositions internes pertinentes (l’article 35 de la Constitution de 1991, la loi no 137/1995 et l’ordonnance gouvernementale no 195/2005 sur la protection de l’environnement qui a remplacé la loi précitée, ainsi que l’ordre du ministère de l’Environnement no 125 du 11 avril 1996) est présenté dans l’affaire Tatar c. Roumanie (no 67021/01, 27 janvier 2009). Il en est de même des dispositions internationales pertinentes (la Déclaration finale de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, faite à Stockholm le 16 juin 1972 ; la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, du 14 juin 1992 ; et la Convention internationale sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement – Convention d’Aarhus –, du 25 juin 1998).
L’article 5 de la loi no 137/1995 précitée prévoyait que l’Etat reconnaissait à toute personne le droit à un environnement sain et garantissait l’accès aux informations concernant la qualité de l’environnement et le droit de s’adresser aux autorités administratives ou judiciaires dans un but de prévention ou de réparation du préjudice subi. L’article 82 de cette loi prévoyait que la méconnaissance des dispositions de cette loi entraînait la responsabilité civile, contraventionnelle ou pénale, selon le cas, et l’article 86 disposait que le constat et la poursuite des infractions prévues par ladite loi étaient opérés d’office par les autorités de poursuites.
Les dispositions relatives aux activités de stockage et de gestion de déchets ont fait l’objet de plusieurs actes normatifs. Ainsi, les ordres du ministère de la Santé nos 81/1994 et 536/1997 concernant les normes d’hygiène pour la population prévoyaient l’emplacement des décharges d’ordures à plus de 1 000 m de distance par rapport aux quartiers d’habitation. Par ailleurs, tant les ordres du ministère de l’Environnement no 437 du 17 juillet 1991 et 125 du 11 avril 1996 que la loi no 137/1995 précitée, en vigueur pendant la durée de fonctionnement de la décharge d’ordures d’Arad, prévoyaient qu’une « autorisation environnementale de fonctionnement » (autorizaţia de mediu) était obligatoire pour toute activité ayant des conséquences sur l’environnement, comme le stockage et la gestion des déchets. L’ordre no 125/1996 précité, qui prévoyait la procédure d’obtention de l’autorisation environnementale, précisa la nécessité d’études spécifiques dans le cas des activités qui, par leur nature, leur localisation ou leur ampleur, pouvaient avoir un impact sérieux sur l’environnement. De toute manière, dans la demande d’autorisation, il convenait de renseigner les autorités compétentes sur, entre autres, la quantité d’émissions polluantes, les installations dépolluantes utilisées, la distance jusqu’à la population éventuellement affectée et les mesures prises pour la protection de celle-ci. Des mesures étaient prévues pour assurer, dans le cadre de cette procédure d’autorisation, l’accès du public aux informations pertinentes (voir la description dans l’affaire Tatar précitée), notamment dans le cas où l’autorité compétente estimait nécessaire aux fins de l’autorisation un « bilan environnemental » - le rapport à cet égard devant être soumis au débat public. En cas de refus d’octroi de l’autorisation environnementale, la personne morale en cause devait cesser l’activité de stockage sur le site en question. S’agissant du bilan susmentionné, l’article 10 de la loi no 137/1995 prévoyait que celui-ci était ordonné par l’APE, en vue d’établir un « programme de [mise en] conformité », dans le cas des activités existantes qui ne remplissaient pas les conditions d’autorisation environnementale.
Par ailleurs, des actes normatifs spécifiques ont été adoptés en matière de stockage et de gestion des déchets : l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 78/2000 (« l’O.U.G. no 78/2000 »), entrée en vigueur le 22 juillet 2000, et les arrêtés du Gouvernement nos 162/2002 et 349/2005, ce dernier ayant transposé la Directive du Conseil de l’Union européenne no 1999/31/CE du 26 avril 1999.
L’O.U.G. no 78/2000 prévoyait que les autorités compétentes devaient autoriser et contrôler le processus « d’élimination des déchets » pour éviter, entres autres, les risques pour la santé de la population et les mauvaises odeurs (article 5 § 1). Elles devaient prendre des mesures pour faire utiliser des technologies et installations spécifiques pour éliminer les déchets et devaient réaliser des plans pour la gestion de ces derniers (articles 6 à 8). Les autorités et les entreprises chargées d’éliminer des déchets devaient obtenir des « autorisations environnementales » qui fixaient les techniques à utiliser et les mesures de sûreté à adopter (article 11) ; par ailleurs, elles devaient adopter des systèmes de dépollution, contrôler le niveau de pollution avant et après la fermeture du site, et faire effectuer des travaux de « reconstruction écologique » après avoir cessé d’utiliser la décharge en question (article 26).
L’arrêté du Gouvernement no 162/2002, ainsi que l’arrêté no 349/2005 qui l’a remplacé, prévoyaient les procédures pour accorder l’autorisation environnementale, y compris pour les décharges existantes à la date de leur entrée en vigueur (sur la base du rapport dit « bilan II »), la procédure pour surveiller en permanence le niveau de pollution, y compris le bon fonctionnement des installations et conduits pour capter et brûler les gaz émanés du fait de la fermentation des déchets, ainsi que celle pour fermer les sites non conformes ou en fin de durée de fonctionnement (la couverture des sites et la maintenance des conduits précités étaient nécessaires). La méconnaissance des dispositions de ces arrêtés constituait des contraventions, qui devaient être constatées et sanctionnées par le personnel qualifié de l’APE ou de l’administration centrale ou locale.
La méthodologie de fermeture des décharges d’ordures a fait successivement l’objet de dispositions détaillées dans des « règlements techniques » (normative) annexés aux ordres du ministère de l’Environnement nos 1147/2002 et 757/2004. Précisant que le projet initial d’autorisation d’une décharge d’ordures devait comprendre un projet pour la fermeture, la surveillance, et la reconstruction écologique postérieure de ladite décharge, ces règlements présentaient les obligations et les techniques en la matière.
III. DISPOSITIONS ET RAPPORTS ÉMANANT DU CONSEIL DE L’EUROPE
Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) rendues à la suite des visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont
résumées dans l’arrêt Bragadireanu c. Roumanie (no 22088/04, §§ 73-76, 6 décembre 2007).
Dans son dernier rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT précisa :
« § 70 : (...) le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit.
En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. »
IV. AUTRES RAPPORTS CONCERNANT LES CONDITIONS DE DÉTENTION ET LES EFFETS DE LA PROXIMITÉ DE LA DÉCHARGE D’ORDURES
Rédigé à la suite d’une visite les 6 et 7 juin 2001 dans la prison d’Arad, le rapport de l’organisation non gouvernementale « Association pour la défense des droits de l’homme-comité Helsinki » (Apador-CH) indiquait, entre autres, que dans l’aile ancienne de la prison, qui devait accueillir normalement 868 personnes, il y avait 1 229 détenus, et que la qualité de la nourriture était insatisfaisante. Par ailleurs, le rapport faisait mention de la passivité des autorités face au problème très grave lié à la présence dans l’immédiate proximité de la prison de la décharge d’ordures de la ville, dont émanaient des odeurs insupportables pendant les mois chauds et qui augmentait fortement le risque que le personnel et les détenus attrapent des maladies. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1980, 1985, 1986, 1984, 1980, 1976 et 1980 et résident à Istanbul.
Le 19 décembre 2002, les requérants furent arrêtées alors qu'ils participaient à une manifestation organisée à l'occasion du deuxième anniversaire de l'opération de « retour à la vie ».
Selon le procès-verbal d'incident, d'arrestation et de saisie rédigé à 15 heures, la police avait mis en place un dispositif à la suite de renseignements quant à la tenue d'une manifestation vers 14 h 30 avec la participation de sympathisants de l'organisation illégale TKEP/L (« Parti des travailleurs communistes de Turquie/Léniniste »). Le groupe de treize manifestants qui étaient arrivés à la rue İstiklal vers 14 h 30 et qui portaient des banderoles, lançaient des slogans et bloquaient la rue à la circulation routière et piétonne, avait été arrêté par une barricade de la police. Les forces de l'ordre avaient formé un cordon de sécurité et avaient sommé les manifestants de se disperser en les informant du caractère illégal de leur manifestation. Ils avaient alors ouvert le cordon de sécurité et indiqué aux intéressés un endroit pour se disperser et faire une déclaration de presse. Les manifestants avaient résisté et tenté de poursuivre leur action. La police avait alors fait usage de la force pour procéder à l'arrestation des treize manifestants.
Selon le procès-verbal de transcription de l'enregistrement vidéo de la manifestation par la police, le groupe de manifestants avait bloqué la voie piétonne et la voie du tramway, les policiers avaient mis en place en cordon de sécurité autour du groupe, un officier de police avait averti les intéressés pour qu'ils libèrent les voies et expliqué qu'ils pourraient faire ensuite leur déclaration de presse. Les manifestants ne s'étaient pas conformés aux sommations de la police et avaient résisté à la police.
Le même jour, entre 20 heures et 23 heures, les requérants furent examinés par un médecin légiste. Les rapports médicaux établis au terme de leur examen indiquent ce qui suit :
– Serkan Yılmaz : zones ecchymotiques de 2 x 0,1 cm et de 1,5 x 0,3 cm sur le sourcil droit, une incisive cassée au niveau de la mâchoire inférieure gauche. Incapacité de travail de sept jours.
– Burak Başkaya : zone ecchymotique de 1,5 x 0,3 cm sous l'œil gauche. Tuméfaction de 0,5 cm sur la partie médiane de la tête. Incapacité de travail de deux jours.
– Behlül Ocak : zones ecchymotiques autour des deux yeux, blessures d'1,5 cm sur le sourcil, de 0,5 cm sur l'oreille et égratignures sur le bras gauche. Ecchymoses de 2 x 0,1 cm sur la partie médiane du dos. Absence des incisives supérieures. Incapacité de travail de sept jours.
– Alev Oral : lacérations sur les lèvres inférieures et supérieures. Coupure superficielle de 2 cm sur la lèvre inférieure. Tuméfaction et rougeur de 1,5 x 0,5 cm sur le sourcil gauche. Zones ecchymotiques de 0,3 cm sur les deux mains. Incapacité de travail de trois jours.
– Ayşe Rojda Şendur : tuméfaction sur le sourcil gauche, éraflure de 0,5 cm sous le sourcil droit. Légère tuméfaction sur le nez. Incapacité de travail de trois jours.
– Özlem Oral : ecchymoses de 1,5 x 0,3 cm sur le sourcil gauche et de 0,2 cm sous l'œil droit. Eraflures sur les deux lèvres. Incapacité de travail d'un jour.
– Ruhsel Demirbaş : zone ecchymotique de 0,5 cm sur la partie gauche du front. Incapacité de travail d'un jour.
Les requérants Burak Başkaya et Behlül Ocak étant mineurs, ils furent libérés après leur examen médical.
Le 21 décembre 2002, à l'issue de leur garde à vue, les autres requérants furent une nouvelle fois examinés par un médecin légiste, qui confirma les rapports médicaux initiaux datés du 20 décembre 2002.
Les procédures pénales diligentées contre les requérants
Le 21 décembre 2002, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul rendit une ordonnance de non-lieu, considérant qu'il n'y avait pas de preuves tangibles corroborant les soupçons d'aide et d'assistance au TKEP/L qui pesaient sur les requérants.
Le 26 décembre 2002, le procureur de la République de Beyoğlu (« procureur ») requit la condamnation des requérants pour infraction à la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques. A la date de l'adoption du présent arrêt, cette procédure serait toujours pendante en droit interne.
L'enquête pénale diligentée concernant les conditions d'arrestation des requérants
Le 9 mai 2003, les requérants déposèrent une plainte devant le procureur contre les policiers responsables de leur arrestation pour mauvais traitements.
Le 1er octobre 2003, après avoir entendu les requérants, le procureur rendit une ordonnance de non-lieu. Il releva que les requérants avaient organisé une manifestation à un endroit interdit par la loi. Face au refus des manifestants de se conformer aux sommations de la police et de se disperser, les forces de l'ordre avaient été contraintes de faire usage de la force pour procéder à leur arrestation, conformément à l'article 24 de la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques. Les agissements des forces de l'ordre n'étaient pas constitutifs d'une infraction.
Par une décision du 18 novembre 2003, notifiée le 26 décembre 2003, le président de la cour d'assises d'Istanbul rejeta l'opposition formée par les requérants.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en l'espèce sont décrits dans l'arrêt Oya Ataman c. Turquie (no 74552/01, §§ 13-15, CEDH 2006XIII). | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante, d’origine rom, est née en 1980 et réside à Jarovnice. Elle termina sa scolarité obligatoire en sixième année et est sans emploi. Sa langue maternelle est le romani, qu’elle utilise de même qu’un dialecte local pour communiquer quotidiennement.
A. La stérilisation de la requérante à l’hôpital de Prešov
Le 23 août 2000, la requérante fut stérilisée pendant son séjour au centre hospitalier et de soins de Prešov (qui s’appelle désormais le centre hospitalier universitaire et centre de soins J.A. Reiman de Prešov – « l’hôpital de Prešov »), placé sous l’autorité du ministère de la Santé.
L’intervention fut pratiquée pendant que la requérante accouchait de son deuxième enfant par césarienne. Pour son premier accouchement, la requérante avait déjà eu une césarienne. La stérilisation fut effectuée par ligature des trompes suivant la méthode Pomeroy, qui consiste à sectionner et obturer les trompes de Fallope afin d’empêcher la fécondation.
La requérante ne fut pas suivie régulièrement sur le plan médical pendant sa grossesse. Elle ne se rendit qu’une seule fois chez son médecin généraliste.
Elle fut admise dans le service de gynécologie et d’obstétrique de l’hôpital de Prešov le 23 août 2000 peu avant 8 heures. Elle avait des douleurs car le travail avait déjà commencé. A son arrivée, on l’informa qu’elle accoucherait par césarienne.
Le déroulement de l’accouchement a été consigné par écrit dans un compte rendu comportant des indications notées à intervalles réguliers. La première mention a été enregistrée à 7 h 52. Puis la requérante a été placée sous monitoring (cardio-échographie). La dernière mention y afférente a été enregistrée à 10 h 35.
D’après le compte rendu, après 10 h 30, alors que le travail était bien avancé, la requérante demanda à être stérilisée. Cette demande a été consignée directement dans le compte rendu par le biais de la mention tapée à la machine : « La patiente demande la stérilisation. » En dessous figure la signature tremblée de la requérante : celle-ci a signé d’une main peu sûre en utilisant son nom de jeune fille, qu’elle portait à l’époque, écrit en deux mots.
La requérante déclare que, alors qu’elle était en travail depuis plusieurs heures et avait des douleurs, le personnel médical de l’hôpital de Prešov lui avait demandé si elle souhaitait avoir d’autres enfants. Elle aurait répondu par l’affirmative mais le personnel lui aurait dit que, dans ce cas, soit elle-même soit le bébé mourrait. Elle aurait commencé à pleurer et, comme elle était convaincue que sa prochaine grossesse lui serait fatale, elle aurait dit au personnel : « Faites ce que vous voulez. » On lui aurait alors demandé d’apposer sa signature sous la mention indiquant qu’elle avait demandé la stérilisation. Elle n’aurait pas compris le sens du terme stérilisation et aurait signé par peur de conséquences fatales si elle ne le faisait pas. Etant donné qu’elle était en fin de travail, ses capacités cognitives auraient été diminuées par le travail et la douleur.
A 11 h 30, la requérante fut placée sous anesthésie, après quoi on procéda à la césarienne. Vu l’état des organes reproductifs de la requérante, les deux médecins demandèrent au chef de service s’il valait mieux effectuer une hystérectomie ou une stérilisation. Ils optèrent pour une ligature des trompes. L’intervention se termina à 12 h 10 et la requérante se réveilla dix minutes plus tard.
Les termes « patiente d’origine rom » figurent dans le compte rendu de grossesse et d’accouchement de la requérante (rubrique « antécédents médicaux », sous-rubrique « situation sociale et emploi, en particulier durant la grossesse », du formulaire préimprimé conçu à cette fin).
Pendant son séjour dans le service de gynécologie et d’obstétrique de l’hôpital de Prešov, la requérante occupa une chambre où ne se trouvaient que des femmes d’origine rom. On lui interdit d’utiliser les mêmes sanitaires que les femmes d’origine non rom.
La requérante a connu de graves effets secondaires, tant médicaux que psychologiques, après sa stérilisation. Fin 2007 et début 2008, elle présenta tous les symptômes d’une grossesse nerveuse. Elle se croyait enceinte et montrait tous les signes de cet état. Toutefois, un examen par ultrasons révéla qu’elle ne l’était pas. Par la suite, en juillet 2008, elle fut traitée par un psychiatre à Sabinov. D’après la déclaration de ce dernier, la requérante continue à souffrir de sa stérilité.
La requérante a été mise à l’écart de la communauté rom. Son mari, le père de ses enfants, l’a quittée à plusieurs reprises à cause de sa stérilité. Elle et son mari divorcèrent en 2009. La requérante soutient que sa stérilité est l’une des raisons de leur séparation.
B. La position de l’hôpital de Prešov
Dans une déclaration datée du 3 juillet 2008, le directeur de l’hôpital de Prešov indique que le premier accouchement de la requérante, en 1998, s’est effectué par césarienne car la taille de son bassin excluait un accouchement par voie basse. Avant l’accouchement, la requérante ne se serait rendue au centre prénatal que deux fois, au début de sa grossesse. Après l’accouchement, elle aurait été placée dans une chambre équipée de sanitaires où on lui aurait prodigué des soins. Le troisième jour, elle aurait quitté l’hôpital sans l’accord des médecins et serait revenue vingt-quatre heures plus tard, atteinte d’une infection due à une inflammation de l’utérus. Après neuf jours d’hospitalisation où elle aurait reçu un traitement intensif aux antibiotiques, la requérante aurait été autorisée à sortir de l’hôpital avec son enfant. On lui aurait conseillé de consulter régulièrement un gynécologue, mais elle ne l’aurait pas fait.
Pendant sa deuxième grossesse, la requérante se serait rendue au centre prénatal une fois seulement, au début de la grossesse. Au moment de l’accouchement, en raison des douleurs éprouvées par la requérante à la partie inférieure de l’utérus (où la première césarienne avait été pratiquée), et vu la taille de son bassin, les médecins auraient estimé qu’il fallait pratiquer une nouvelle césarienne à cause d’un risque de rupture de l’utérus. Après qu’ils lui eurent expliqué la situation et les risques qu’entraînerait une éventuelle troisième grossesse, la requérante, qui aurait été parfaitement consciente de ce qui se passait, aurait signé la demande de stérilisation.
Dans une autre déclaration datée du 27 juillet 2009, le directeur de l’hôpital de Prešov nia avoir délibérément organisé la ségrégation des femmes roms ainsi que l’existence de « chambres pour Roms », précisant que, en pratique, les femmes roms étaient souvent placées ensemble dans les chambres à leur propre demande.
C. La procédure pénale
Le 23 janvier 2003, en réponse à la parution d’un rapport du Centre des droits reproductifs et du Centre des droits civils et des droits de l’homme intitulé « Le corps et l’âme : stérilisation forcée et autres atteintes à la liberté reproductive des Roms en Slovaquie (le rapport « Le corps et l’âme »), le service des droits de l’homme et des minorités du Bureau du Gouvernement ouvrit une enquête pénale sur les allégations de stérilisation illégale de plusieurs femmes roms.
L’enquête fut menée au sein de la direction régionale de la police de Žilina par le bureau de la police judiciaire et criminelle. Plusieurs décisions furent prises par l’enquêteur, les procureurs de plusieurs niveaux et la Cour constitutionnelle. Il fut en fin de compte mis un terme à la procédure au motif qu’aucune infraction n’avait été commise dans le cadre de la stérilisation de femmes d’origine rom (on trouvera des informations supplémentaires dans I.G. et autres c. Slovaquie (déc.), no 15966/04, 22 septembre 2009).
La requérante n’a elle-même engagé aucune procédure pénale individuelle.
D. La procédure civile
En janvier 2003, après la parution du rapport « Le corps et l’âme », la requérante apprit que la ligature des trompes n’était pas une intervention chirurgicale destinée à sauver la vie, comme le lui avait dit le personnel médical de l’hôpital de Prešov, et qu’il fallait pour pratiquer cette intervention obtenir le consentement éclairé de la patiente. C’est pourquoi elle chercha à voir son dossier médical, en vain. Elle fut autorisée à consulter son dossier avec son avocat en mai 2004, après avoir obtenu une ordonnance de justice à cette fin.
Le 9 septembre 2004, la requérante soumit une plainte au tribunal de district de Prešov au titre des articles 11 et suivants du code civil, pour demander la protection de ses droits personnels. Elle alléguait qu’elle avait été stérilisée au mépris de la législation slovaque et des normes du droit international des droits de l’homme, dont les articles 3, 8, 12 et 14 de la Convention. Elle faisait valoir qu’elle n’avait pas été dûment informée de la procédure elle-même, de ses conséquences et des autres solutions possibles. Elle réclamait des excuses et l’indemnisation du dommage moral qu’elle estimait avoir subi.
Au cours de la procédure, le tribunal de district examina les preuves documentaires et recueillit les déclarations de la requérante et de membres du personnel médical de l’hôpital de Prešov.
La requérante décrivit en particulier les circonstances dans lesquelles elle avait accouché dans cet hôpital et la manière dont on lui avait demandé de signer le compte rendu. Elle déclara aussi que le père de ses enfants l’avait quittée pendant deux ans parce qu’elle ne pouvait plus avoir d’enfants et que leur relation avait connu des problèmes pour cette raison. Elle exposa en outre ses problèmes de santé.
Le docteur Č., de l’hôpital de Prešov, qui avait opéré la requérante, déclara qu’il ne se rappelait pas précisément la requérante ou les circonstances de son hospitalisation. Sa déclaration était fondée sur les informations figurant dans le dossier médical de l’intéressée. Il soutenait que celle-ci avait été pleinement informée de son état de santé et des progrès du travail environ quatre-vingt-dix minutes avant l’accouchement. La nécessité d’une stérilisation lui avait été annoncée par le chef du service de gynécologie et d’obstétrique ainsi que par le second médecin qui participait à l’intervention et par l’anesthésiste. La stérilisation avait été pratiquée à la demande de la requérante car il s’agissait d’une nécessité médicale. Une troisième grossesse aurait en effet été dangereuse pour la requérante, sauf si elle était surveillée régulièrement pendant sa grossesse. Le docteur Č. déclara que la stérilisation de la requérante n’avait pas été effectuée afin de lui sauver la vie.
Le docteur K., chef du service de gynécologie et d’obstétrique de l’hôpital de Prešov, déclara approuver totalement le témoignage du docteur Č. Le docteur K. ne se souvenait pas non plus précisément de la requérante. Il supposait que son cas était comparable aux autres du même genre. Il n’était pas présent lors de l’accouchement et de la stérilisation de la requérante mais avait été informé de son cas par les autres médecins. Il décrivit la procédure de stérilisation telle que régie par la loi en vigueur. Dans le cas de la requérante, on n’avait pas eu le temps de réunir une commission car elle s’était présentée à l’hôpital très peu de temps avant d’accoucher.
Le docteur K. déclara également que, après qu’il eut désigné ses collègues Š. et Č. pour pratiquer l’intervention, il leur avait aussi demandé de voir si la patiente accepterait la stérilisation et de la faire signer en cas d’accord. Il précisa que, si une patiente refusait de donner son accord par écrit, la stérilisation pouvait quand même être pratiquée au titre de l’article 2 du règlement de 1972 sur la stérilisation, qui permettait d’agir ainsi en cas de danger pour la vie de la personne.
Au cours de la procédure civile, la requérante fournit aussi le rapport d’un psychologue sur ses capacités mentales daté du 17 février 2006. Ce rapport indiquait qu’elle avait de très faibles capacités intellectuelles qui confinaient à un retard mental, mais qu’elle avait de bonnes capacités de raisonnement à propos de questions pratiques. Le psychologue concluait que, lorsqu’on communiquait avec la requérante, il fallait adapter le discours à ses capacités mentales et linguistiques. La requérante n’était atteinte d’aucune maladie mentale l’empêchant de prendre des décisions concernant sa vie et d’assumer ses responsabilités dans les domaines touchant à la conduite de sa vie.
Le 28 février 2006, le tribunal de district de Prešov débouta la requérante, considérant que l’intervention n’avait été pratiquée qu’après que le personnel médical eut obtenu la signature de l’intéressée. Il reconnut que cette signature, apposée sur le compte rendu de l’accouchement, n’avait été recueillie que quelques moments avant que la césarienne ne soit pratiquée, alors que la requérante était allongée sur le dos. Il considéra que l’intervention avait été effectuée pour des raisons médicales et était nécessaire vu le mauvais état médical de la patiente et que le personnel médical avait agi dans le respect de la loi.
L’absence d’accord préalable d’une commission de stérilisation ne constituait selon lui qu’un manquement aux exigences formelles et n’avait en rien porté atteinte à l’intégrité personnelle de la requérante protégée par les articles 11 et suivants du code civil. Le tribunal jugea qu’aucune violation dans le chef de la requérante des droits protégés par la Convention n’était établie.
Enfin, le tribunal de district estima que la situation de la requérante n’était pas irréversible puisqu’elle pouvait recourir à la fécondation in vitro.
Le 12 mai 2006, la requérante interjeta appel. Elle soutenait avoir été stérilisée sans qu’elle ait donné son consentement plein et éclairé et alors qu’elle n’était pas en mesure de comprendre totalement la nature et les conséquences de l’intervention en question. Les déclarations du personnel médical contenaient des lacunes et des incohérences et il n’était pas indiqué dans son dossier médical qu’elle avait été dûment informée de la procédure, de son caractère irréversible et des autres solutions possibles. Contrairement à ce qu’exigeait la législation en vigueur, la stérilisation n’avait pas été approuvée par une commission. De plus, une ligature des trompes ne pouvait passer pour une intervention destinée à sauver la vie. La requérante s’appuyait sur des documents émis par des organisations médicales internationales.
Le 25 octobre 2006, le tribunal régional de Prešov confirma le jugement de première instance. Il conclut que la stérilisation de la requérante, rendue nécessaire par l’état de santé de celle-ci, avait été effectuée conformément à la législation en vigueur.
Renvoyant aux déclarations des médecins, le tribunal régional considéra que la requérante présentait un risque de rupture de l’utérus. Il constata que l’intéressée avait demandé sa stérilisation après avoir été dûment informée de son état de santé et que l’intervention avait respecté les dispositions pertinentes du règlement de 1972 sur la stérilisation. Il observa que la décision de savoir si la stérilisation était ou non nécessaire relevait dans ce genre de circonstances du chef de service, et que l’accord préalable d’une commission n’était exigé que si la stérilisation devait être pratiquée sur des organes reproductifs sains, ce qui n’était pas le cas chez la requérante.
E. La procédure constitutionnelle
Le 17 janvier 2007, la requérante forma un recours constitutionnel. Renvoyant à sa stérilisation et aux conclusions rendues par les juridictions inférieures dans la procédure civile précitée, elle soutenait qu’elle avait subi une stérilisation à l’hôpital de Prešov sans avoir donné son consentement éclairé et qu’elle n’avait pu obtenir réparation en raison de l’attitude et de la décision adoptées par le tribunal régional de Prešov. Selon elle, cette décision avait ainsi violé ses droits et libertés garantis par la Constitution – laquelle interdit la discrimination et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants –, son droit à être protégée d’une ingérence injustifiée dans sa vie privée et familiale et son droit à la protection de sa famille, ainsi que ses droits protégés par les articles 3, 8, 12, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 5 de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine. La requérante priait la Cour constitutionnelle d’annuler l’arrêt du tribunal régional.
Le 14 février 2008, la Cour constitutionnelle rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement (pour plus de détails, voir la décision sur la recevabilité de la présente requête, adoptée le 16 juin 2009).
F. Descriptions des pratiques de stérilisation en Slovaquie
Informations soumises par la requérante
La requérante mentionne plusieurs publications faisant état d’une pratique de stérilisation forcée des femmes roms remontant au début des années 1970, sous le régime communiste au pouvoir en Tchécoslovaquie, pratique dont elle pense qu’elle est à l’origine de sa propre stérilisation.
Elle soutient en particulier que le règlement de 1972 sur la stérilisation émis par le ministère de la Santé a été utilisé pour inciter à la stérilisation des femmes roms. D’après un document rédigé en 1979 par la Charte 77, un groupe dissident tchécoslovaque, un programme avait été lancé en Tchécoslovaquie pour offrir des incitations financières aux femmes roms afin de les pousser à se faire stériliser au vu des efforts précédemment menés en vain par les autorités pour « contrôler la population rom, en très mauvaise santé, par le biais du planning familial et de la contraception ».
La requérante indique en outre que, dans le district de Prešov, 60 % des stérilisations pratiquées de 1986 à 1987 l’avaient été sur des femmes roms, lesquelles ne formaient que 7 % de la population de ce district. Une autre étude concluait qu’en 1983, 26 % environ des femmes stérilisées dans l’est de la Slovaquie (région où habite la requérante) étaient des Roms et que, en 1987, ce chiffre était monté à 36,6 %.
Dans un rapport de 1992, Human Rights Watch notait que de nombreuses femmes roms n’avaient pas véritablement connaissance du caractère irréversible de cette intervention et étaient contraintes de la subir en raison de leurs difficultés économiques ou de pressions des autorités.
Selon d’autres rapports, des infirmières travaillant dans des centres d’accueil de réfugiés en Finlande avaient informé en 1999 des enquêteurs d’Amnesty International qu’elles avaient observé des taux inhabituellement élevés d’interventions gynécologiques telles que stérilisation ou ablation des ovaires chez les femmes roms demandant l’asile originaires de l’est de la Slovaquie. Dans tous ces rapports, l’hôpital de Prešov était cité comme l’un des établissements où avaient lieu de telles pratiques de stérilisation.
Informations soumises par le gouvernement défendeur
Le Gouvernement soutient que les soins médicaux sont fournis en Slovaquie à toutes les femmes sans distinction. On ne recueille en général pas de statistiques sur l’origine ethnique des patients car cela est considéré comme contraire aux droits de l’homme.
Après la publication du rapport « Le corps et l’âme », le ministère de la Santé a créé un groupe d’experts en vue d’enquêter sur les stérilisations illégales et la ségrégation censées frapper les femmes roms.
Le rapport du 28 mai 2003 soumis par le ministère à la commission parlementaire sur les droits de l’homme, les nationalités et le statut des femmes indiquait que les dossiers médicaux des 3 500 femmes stérilisées et des 18 000 femmes ayant accouché par césarienne au cours des dix années précédentes avaient été examinés.
Le taux de stérilisation des femmes en Slovaquie ne serait que de 0,1 % des femmes en âge de procréer. Dans les pays européens, ce taux serait compris entre 20 et 40 %. Le bas niveau du taux en Slovaquie serait principalement dû au fait que la stérilisation n’était pas couramment répandue comme méthode de contraception.
En l’absence de statistiques officielles concernant l’origine ethnique des habitants, le groupe d’experts n’a pu évaluer la situation des femmes d’origine rom que de manière indirecte. Dans les régions où il a été possible d’évaluer indirectement la proportion de femmes d’origine rom, la fréquence des stérilisations et césariennes parmi la population rom serait nettement inférieure à celle du reste de la population. Dans les régions de Prešov et Košice, la fréquence des stérilisations serait supérieure, mais de manière infime, par rapport aux autres régions de Slovaquie.
Le groupe a conclu que dans les hôpitaux où ses membres ont enquêté, il n’y a eu aucun génocide ni aucune ségrégation de la population rom. Toutes les stérilisations auraient été effectuées pour raisons médicales. Certaines lacunes dans les soins et certains manquements à la réglementation sur la stérilisation (comme un non-respect de la procédure administrative) auraient été constatés dans plusieurs cas. Toutefois, cela toucherait toute la population de manière égale, indépendamment de l’origine ethnique des patients. Les hôpitaux où des erreurs administratives ont été découvertes auraient adopté des mesures en vue d’y remédier.
Il n’aurait existé dans aucun des hôpitaux visités par le groupe d’experts de chambres réservées aux femmes roms : toutes les patientes auraient été soignées dans les mêmes locaux. En raison de la situation qui prévalait lors des décennies précédentes, le personnel médical et les individus ne seraient pas sur un pied d’égalité s’agissant de la responsabilité du maintien et de l’amélioration de l’état de santé des individus. Cela se refléterait en particulier dans le caractère limité des droits et responsabilités individuels en matière de soins de santé. Des mesures auraient été recommandées pour veiller à ce que les personnes reçoivent les informations nécessaires pour leur permettre de donner leur consentement éclairé à un traitement ou de le refuser. Les demandes individuelles d’intervention médicale devaient être présentées de manière valable juridiquement afin que les personnes concernées puissent exprimer librement leur volonté après avoir reçu les informations adéquates.
Parmi les mesures recommandées dans le rapport figurait l’amendement des règles juridiques sur la stérilisation en vue d’assurer le respect notamment de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, ratifiée par la Slovaquie. Le rapport contenait également une série de recommandations en matière d’éducation du personnel médical mettant l’accent sur les « différences culturelles dans les régions présentant une grande concentration de communautés roms ». Afin d’éduquer la population rom dans le domaine de la santé, l’université slovaque de la santé de Bratislava devait créer, en coopération avec le ministère de la Santé, un réseau d’assistants de santé censés recevoir une formation spéciale et travailler dans les campements roms.
A l’audience, le Gouvernement a indiqué que les femmes alléguant avoir été victimes de fautes médicales en matière de stérilisation avaient la possibilité de demander réparation devant les juridictions civiles. D’après les informations à la disposition du Gouvernement, cinq procédures de ce type étaient pendantes devant les tribunaux slovaques et six autres procédures s’étaient conclues par une décision définitive. Dans trois d’entre elles, les demanderesses avaient selon lui obtenu gain de cause.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code civil
En vertu de l’article 11 du code civil, toute personne physique a droit à la protection de ses droits de la personne (intégrité personnelle), en particulier de sa vie et de sa santé, de sa dignité civile et humaine, de sa vie privée, de son nom et de ses caractéristiques personnelles.
Au titre de l’article 13 § 1, les personnes physiques ont le droit de demander qu’il soit mis fin à des atteintes injustifiées à leurs droits personnels et que les conséquences de telles atteintes soient effacées. Elles ont aussi le droit à une réparation adéquate.
L’article 13 § 2 dispose que, lorsque la réparation obtenue au titre de l’article 13 § 1 est insuffisante, en particulier lorsque la dignité ou la position sociale de la partie lésée a été touchée de manière importante, celleci a aussi droit à percevoir une indemnisation du dommage moral.
B. Le règlement de 1972 sur la stérilisation
Le règlement no Z-4 582/1972-B/1 du ministère de la Santé de la République socialiste slovaque, publié au journal officiel no 8-9/1972 dudit ministère (« le règlement de 1972 sur la stérilisation »), en vigueur au moment des faits, contenait des directives régissant la stérilisation dans le cadre médical.
L’article 2 de ce règlement permettait la stérilisation dans un établissement médical, soit à la demande de la personne concernée soit avec le consentement de celle-ci, notamment lorsqu’une telle intervention était nécessaire d’après les règles de la médecine pour le traitement d’organes reproductifs malades (article 2 a)), ou lorsque la grossesse ou l’accouchement mettaient sérieusement en danger la vie ou la santé d’une femme dont les organes reproductifs n’étaient pas malades (article 2 b)).
L’article 5 § 1 a) autorisait le chef du service hospitalier où une personne était soignée à décider si la stérilisation de cette personne était nécessaire au sens de l’article 2 a). Dans tous les autres cas, la stérilisation devait être approuvée au préalable par une commission médicale.
Au point XIV de son annexe, le règlement de 1972 sur la stérilisation mentionnait les motifs obstétriques ou gynécologiques justifiant la stérilisation :
a) pendant et après une césarienne répétée, lorsque ce mode d’accouchement a été rendu nécessaire pour des raisons susceptibles selon toute probabilité de se reproduire lors des futures grossesses et lorsque la femme concernée ne souhaite pas subir une nouvelle césarienne ;
b) en cas de complications répétées survenues lors de la grossesse, de l’accouchement ou des six semaines suivantes, lorsqu’une autre grossesse risque de mettre sérieusement en danger la vie ou la santé de la mère ;
c) lorsqu’une femme a plusieurs enfants (quatre pour les femmes de moins de 35 ans et trois pour celles de plus de 35 ans).
Ce règlement a été abrogé par la loi de 2004 sur la santé à compter du 1er janvier 2005 (paragraphes 68 et suivants ci-dessous).
C. La loi de 1994 sur la santé
A l’époque des faits, les dispositions suivantes de la loi no 277/1994 sur la santé (Zákon o zdravotnej starostlivosti – « la loi de 1994 sur la santé ») étaient en vigueur.
Conformément à l’article 13 § 1, le traitement médical était subordonné au consentement du patient. Le consentement d’un patient à une intervention particulièrement grave ou de nature à affecter de manière importante l’avenir de la personne devait être donné par écrit ou de toute autre manière démontrable (article 13 § 2).
En vertu de l’article 15 § 1, le médecin était obligé d’informer le patient, de manière appropriée et démontrable, de la nature de la maladie et des interventions médicales rendues nécessaires, de façon que médecin et patient collaborent activement au traitement du patient. La quantité d’informations qu’il convenait de fournir au patient était déterminée par le médecin en fonction des circonstances. Ces informations devaient être communiquées dans le respect du patient et ne devaient pas influer sur le traitement.
D. La loi de 2004 sur la santé
La loi no 576/2004 sur les soins de santé et les services de santé et sur l’amendement de certaines lois (Zákon o zdravotnej starostlivosti, službách súvisiacich s poskytovaním zdravotnej starostlivosti a o zmene a doplnení niektorých zákonov – « la loi de 2004 sur la santé ») est entrée en vigueur le 1er novembre 2004 et a pris effet le 1er janvier 2005.
L’article 6 régit la communication d’informations aux patients et l’octroi par eux de leur consentement éclairé. Conformément à l’alinéa 1 de cet article, les médecins sont tenus, sauf si la loi dispose autrement, d’informer les personnes citées ci-après du but, de la nature, des conséquences et des risques du traitement, des possibilités de choix quant aux actes proposés et des risques liés à un refus du traitement. Cette obligation d’information vaut pour la personne à traiter ou pour toute autre personne choisie par elle, ou pour le représentant légal ou le tuteur lorsqu’il s’agit d’un mineur, d’une personne incapable ou à capacité légale réduite et, de la manière qu’il convient, aussi pour les personnes incapables de donner leur consentement éclairé.
L’article 6 § 2 oblige les médecins à fournir les informations de manière complète, avec respect et sans pression pour que le patient ait le temps de donner ou refuser librement son consentement éclairé, et de façon adaptée à la maturité intellectuelle et à l’état de santé de la personne concernée.
Conformément à l’article 6 § 3, toute personne qui a droit à recevoir de telles informations peut aussi les refuser. Pareil refus doit être consigné par écrit.
L’article 6 § 4 définit le consentement éclairé comme un consentement démontrable à un traitement, consécutif à la fourniture d’informations selon les modalités indiquées ailleurs dans la loi. Le consentement éclairé doit être donné par écrit notamment en cas de stérilisation. Toute personne ayant le droit de donner son consentement éclairé a également celui de le retirer librement à tout moment.
L’article 40 est ainsi libellé :
Stérilisation
« 1) Aux fins de la présente loi, la stérilisation est définie comme la prévention de la fécondation sans ablation ou altération des organes reproductifs.
2) La stérilisation ne peut être pratiquée que sur la base d’une demande écrite et d’un consentement éclairé donné par écrit après que des informations ont été communiquées à une personne légalement capable ou au représentant légal d’une personne incapable de donner son consentement éclairé, ou sur la base d’une décision de justice délivrée à la demande du représentant légal.
3) Les informations à fournir avant qu’une personne ne donne son consentement éclairé doivent l’être selon les modalités indiquées à l’article 6 § 2 et porter sur :
a) les autres méthodes de contraception et de planification des naissances ;
b) les éventuels changements aux conditions de vie qui ont conduit à la demande de stérilisation ;
c) les conséquences médicales de la stérilisation en tant que méthode visant à empêcher la fécondation de manière irréversible ;
d) la possibilité d’un échec de la stérilisation.
4) La demande de stérilisation doit être soumise à un fournisseur [de soins de santé] qui procède à ce type d’intervention. Les demandes de stérilisation féminine sont examinées et la stérilisation est effectuée par un gynécologue-obstétricien ; les demandes de stérilisation masculine sont examinées et la stérilisation est pratiquée par un urologue.
5) La stérilisation ne peut être effectuée moins de trente jours après que le consentement éclairé a été donné. »
L’article 50 annule le règlement de 1972 sur la stérilisation.
L’article IV de la loi de 2004 crée l’infraction de « stérilisation illégale », qui figure à l’article 246b du code pénal. Le paragraphe 1 de cet article dispose que toute personne qui pratique une stérilisation au mépris de la loi est punie d’une peine d’emprisonnement de trois à huit ans, d’une interdiction d’exercer ou d’une amende. La durée de la peine d’emprisonnement va de cinq à douze ans en cas de circonstances aggravantes (paragraphe 2 de l’article 246b).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1978. À l’introduction de sa requête, il était détenu à la prison de Rosdorf (Basse-Saxe).
Par un jugement du 25 avril 2008 (dossier no 63 Js 1244/07), le tribunal régional de Göttingen condamna le requérant pour deux chefs de cambriolage aggravé commis sous la contrainte et en réunion avec extorsion de fonds aggravée (gemeinschaftlicher schwerer Raub in Tateinheit mit schwerer räuberischer Erpressung) à une peine d’emprisonnement cumulée (Gesamtfreiheitsstrafe) de neuf ans et six mois.
Les crimes avaient été commis respectivement à Kassel le 14 octobre 2006 et à Göttingen le 3 février 2007.
A. Les faits établis par le tribunal régional de Göttingen
Les événements à Kassel
Le tribunal régional estima établis les faits suivants. Le soir du 14 octobre 2006, le requérant, agissant de concert avec un complice non identifié et conformément à un plan convenu au préalable, pénétra de force dans un appartement à Kassel et cambriola ses occupantes. Les deux hommes savaient que l’appartement était utilisé à des fins de prostitution et s’attendaient à ce que ses deux occupantes y conservent des biens de valeur et des espèces. Ils étaient passés plus tôt dans la soirée afin de s’assurer qu’aucun client n’était présent. Peu après, ils sonnèrent à la porte de l’appartement, dans lequel se trouvait la locataire, Mme L. Après avoir maîtrisé celle-ci par la force, le requérant la menaça avec un pistolet à gaz qui ressemblait à une véritable arme, et lui ordonna de garder le silence. Il se rendit alors dans la cuisine, où il trouva l’autre locataire de l’appartement, Mme I., une ressortissante lituanienne, qui y résidait et y travaillait comme prostituée. Sous la menace de son pistolet à gaz, il la contraignit à lui remettre son téléphone portable. Alors que son complice surveillait les deux femmes, le requérant fouilla l’appartement dans l’espoir d’y trouver des biens de valeur, et découvrit cinq autres téléphones portables ainsi que 100 euros (EUR) dans le porte-monnaie de I. Le requérant menaça alors de tuer les deux femmes si elles ne lui disaient pas où elles conservaient d’autres sommes. Cédant à la menace, L. lui donna 1 000 EUR supplémentaires qu’elle conservait dans la poche de sa veste. Les deux hommes quittèrent alors l’appartement avec leur butin. Plus tard le même soir, une connaissance de L., à qui celle-ci avait raconté l’incident, appela la police qui se rendit à l’appartement.
Les événements à Göttingen
Quant aux événements du 3 février 2007, le tribunal régional établit les faits suivants. Le requérant, conjointement avec plusieurs complices, dont deux étaient ses coaccusés dans la procédure devant le tribunal, cambriolèrent un autre appartement situé à Göttingen. Les intéressés agirent conformément à un plan convenu entre eux au préalable. Au moment des faits, l’appartement était occupé par Mme O. et Mme P., deux ressortissantes lettones qui résidaient illégalement en Allemagne et qui utilisaient l’appartement à des fins de prostitution. O. et P. étaient des amies de L., l’une des victimes de l’infraction commise à Kassel le 14 octobre 2006, et elles avaient toutes deux travaillé pendant quelque temps comme prostituées dans l’appartement de Kassel loué par L. avant de s’établir à Göttingen.
Le soir du 2 février 2007, la veille du crime, l’un des deux coaccusés du requérant passa avec un complice, R., à l’appartement de O. et P. à Göttingen en vue de vérifier si les deux femmes étaient ses seules occupantes et s’il s’y trouvait des biens de valeur. R. était une connaissance de O. et P., qu’il avait rencontrées chez leur amie L. lorsque les deux femmes avaient séjourné dans l’appartement de celle-ci à Kassel. Par conséquent, les femmes, qui ne soupçonnaient rien, ne s’opposèrent pas à ce que les hommes entrent dans l’appartement. À la suite de leur visite, les deux hommes rapportèrent aux autres membres de la bande criminelle qu’ils avaient aperçu un coffre-fort dans la cuisine de l’appartement.
Le 3 février 2007, vers 20 heures, le requérant et un autre complice, B., réussirent à entrer dans l’appartement de O. et P. en se faisant passer pour des clients potentiels, alors que l’un des coaccusés attendait dans une voiture garée près de l’immeuble où se situait l’appartement et que l’autre coaccusé était posté devant la maison. Une fois à l’intérieur de l’appartement, B. sortit un couteau qu’il dissimulait dans sa veste. P., tentant d’échapper aux deux hommes, sauta du balcon de l’appartement, qui était à deux mètres du sol environ, et s’enfuit. Le requérant se lança à sa poursuite, mais abandonna après quelques minutes en raison de la présence de passants dans la rue. Il appela alors sur son portable le coaccusé qui attendait devant l’appartement des femmes et lui raconta ce qui s’était passé. Les deux hommes convinrent d’un lieu de rendez-vous où le coaccusé était censé prendre le requérant en voiture une fois que le complice B. aurait quitté le lieu du crime et les aurait rejoint. Dans l’intervalle, à l’intérieur de l’appartement, B., après avoir maîtrisé O., menaça de la tuer avec son couteau si elle ne lui révélait pas l’endroit où les deux femmes cachaient leur argent ou si elle refusait de lui ouvrir le coffre. Craignant pour sa vie, O. ouvrit le coffre, dans lequel B. prit 300 EUR, et lui donna également le contenu de son porte-monnaie, soit un montant de 250 EUR. B. quitta l’appartement vers 20 h 30 en emportant l’argent et le portable de P. ainsi que le téléphone fixe de l’appartement, et rejoignit son coaccusé. Celui-ci et B. prirent alors le requérant à bord de leur voiture au point de rendez-vous convenu.
Vers 21 h 30, P. rejoignit O. à l’appartement. Les deux femmes appelèrent leur amie L. à Kassel et lui racontèrent les événements par le menu. Le lendemain, elles évoquèrent également l’infraction devant leur voisine, E. Plus tard le même jour, les deux femmes, craignant de rester seules dans l’appartement de Göttingen, se rendirent à Kassel, où elles demeurèrent quelques jours chez leur amie L. Par la suite, elles séjournèrent brièvement à Francfort-sur-le-Main et à Göttingen, avant de repartir en Lettonie en février 2007.
B. Les constatations de fait et l’appréciation des preuves par le tribunal régional
Les événements à Kassel
Le tribunal régional fonda ses constatations de fait concernant la première infraction commise le 14 octobre 2006 à Kassel sur les déclarations faites par les victimes L. et I. au cours de leurs interrogatoires de police ainsi que dans le cadre du procès ultérieur. Les deux témoins avaient identifié le requérant sans hésitation comme étant celui qui portait l’arme lorsqu’on leur présenta sa photo lors des interrogatoires et plus tard lorsqu’elles furent confrontées directement à lui pendant le procès. Le tribunal régional jugea les témoignages de L. et I. cohérents et crédibles, relevant en outre qu’ils étaient corroborés par les déclarations des policiers qui se trouvaient sur les lieux de l’infraction et avaient interrogé L. et I. au cours de l’enquête préliminaire, et qui avaient tous été entendus comme témoins pendant le procès.
Les événements à Göttingen
Quant à l’établissement des faits relativement à la seconde infraction commise à Göttingen, le tribunal régional se fonda en particulier sur les déclarations faites dans la phase préliminaire au procès par les victimes O. et P. au cours des interrogatoires de police dans la période du 15 au 18 février 2007 et devant un juge d’instruction le 19 février 2007.
Par une décision du 21 février 2008, le tribunal régional, rejetant une exception connexe soulevée par la défense, ordonna que les procès-verbaux des interrogatoires de O. et P. par la police et par le juge d’instruction fussent lus à voix haute au procès et admis comme preuves dans le cadre de la procédure, conformément à l’article 251 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale allemand (voir la partie « Droit interne pertinent » ci-dessous), lequel prévoyait une telle possibilité dans le cas où des obstacles insurmontables empêchaient l’audition d’un témoin dans un avenir prévisible. Le tribunal régional souligna à cet égard qu’il n’avait pas été possible d’entendre les deux femmes au cours du procès étant donné qu’elles étaient retournées dans leur pays, la Lettonie, peu après leurs interrogatoires au stade de l’enquête, et que toutes les tentatives pour qu’elles soient entendues à l’audience principale s’étaient avérées vaines.
Le tribunal régional précisa que O. et P. avaient été convoquées devant le tribunal régional le 24 août 2007, le troisième jour du procès, mais qu’elles avaient toutes les deux refusé d’assister à l’audience, sur le fondement de certificats médicaux en date du 9 août 2007 qui soulignaient leur état émotionnel et psychologique post-traumatique instable. En conséquence, le 29 août 2007, le tribunal avait envoyé des lettres aux deux témoins, dans lesquelles il leur demandait dans quelles conditions elles seraient disposées à témoigner au procès. Le tribunal précisa que, si des accusés de réception avaient été reçus pour les deux lettres, P. n’avait envoyé aucune réponse. Pour sa part, O. avait informé le tribunal régional par écrit qu’elle était toujours traumatisée par l’infraction et qu’en conséquence elle n’accepterait jamais de comparaître en personne au procès ni d’être interrogée par la voie audiovisuelle. O. avait en outre déclaré qu’elle n’avait rien à ajouter aux déclarations qu’elle avait faites à la police et au juge d’instruction en février 2007.
Le tribunal régional sollicita néanmoins l’assistance juridique des autorités lettones et demanda à ce que les deux femmes fussent entendues par un tribunal en Lettonie et que l’audience fût retransmise par voie audiovisuelle (audiovisuelle Vernehmung). Toutefois, une audience prévue par le tribunal letton compétent pour le 13 février 2008 fut annulée peu avant par le président dudit tribunal au motif que les témoins avaient de nouveau produit des certificats médicaux attestant qu’elles souffraient de troubles post-traumatiques en conséquence de l’infraction et que le fait d’être de nouveau confrontées aux événements de Göttingen risquerait d’aggraver leur état. Les deux femmes avaient en outre soutenu qu’à la suite de menaces des accusés elles craignaient de subir des représailles.
Le tribunal régional informa son homologue letton par une lettre du 21 février 2008 que, selon les règles de la procédure pénale allemande, les raisons avancées par les témoins n’étaient pas suffisantes pour justifier leur refus de déposer. Le tribunal suggéra au juge letton compétent de faire examiner les témoins par un médecin public (Amtsarzt) ou, à titre subsidiaire, de les contraindre à comparaître.
. La lettre étant restée sans réponse, le tribunal régional estima qu’il ne disposait d’aucun autre moyen juridique d’organiser une audition de O. et P. Considérant en outre que les certificats médicaux récemment renouvelés indiquaient que l’état de santé des deux femmes n’étaient pas prêt d’évoluer, le tribunal régional conclut qu’il était impossible de faire interroger les intéressées dans un avenir prévisible. Soulignant que les tribunaux étaient dans l’obligation de mener avec diligence les procédures impliquant des privations de liberté, et considérant que les accusés avaient déjà passé un temps considérable en prison, le tribunal déclara que rien ne pouvait justifier de retarder encore la procédure.
En conséquence, le tribunal régional rejeta une autre objection émise par l’avocat de l’un des coaccusés contre l’introduction des déclarations des témoins antérieures au procès, et les procès-verbaux des interrogatoires par la police et des auditions devant le juge d’instruction des témoins furent lus à voix haute pendant l’audience du 26 février 2008.
Dans son jugement de quelque 152 pages, le tribunal régional souligna que, lors de l’appréciation des éléments de preuve, il avait pris conscience de la valeur probante réduite des procès-verbaux des dépositions faites par O. et P. avant le procès. Il déclara avoir pris en compte en outre le fait que ni le requérant ni l’avocat de la défense n’avaient eu la possibilité d’interroger les seuls témoins directs de l’infraction à Göttingen à aucun stade de la procédure. Au moment de l’interrogatoire de O. et P. le 19 février 2007, avant le procès, le requérant n’était pas informé de la procédure pénale préliminaire engagée contre lui, afin que les investigations ne soient pas entravées. Aucun mandat d’arrêt n’avait encore été émis, et l’intéressé n’était alors pas représenté par un avocat. Le juge d’instruction avait exclu le requérant de l’audition conformément à l’article 168 c) du code de procédure pénale car il craignait que les témoins aient peur de dire la vérité en présence des accusés. Le tribunal régional souligna de plus qu’au stade de l’enquête rien n’indiquait que O. et P., qui avaient témoigné à plusieurs reprises devant la police puis devant le juge d’instruction, refuseraient de réitérer leurs déclarations au procès ultérieur.
Le tribunal régional estima que, malgré les restrictions qui en résultaient pour la défense, le procès dans son ensemble avait été équitable et conforme aux exigences de l’article 6 § 3 d) de la Convention, et que rien ne l’empêchait donc d’admettre les dépositions antérieures au procès comme preuves dans la procédure. Il déclara avoir consenti des efforts considérables pour permettre aux accusés et à l’avocat de la défense d’interroger directement O. et P. au procès. De plus, une fois que les témoins s’étaient avérés indisponibles, le tribunal régional avait veillé à ce qu’un maximum d’autres témoins qui avaient été en contact avec O.et P. relativement aux événements en question puissent être entendus au procès. Enfin, il avait pris en compte le fait que plusieurs éléments de preuve corroboraient les dépositions antérieures au procès lorsqu’il avait apprécié leur valeur probante.
De l’avis du tribunal régional, les procès-verbaux des interrogatoires de O. et P. au stade de l’enquête montraient qu’elles avaient donné des descriptions détaillées et cohérentes des circonstances du crime. Les contradictions mineures dans leurs déclarations pouvaient, selon le tribunal, s’expliquer par leur souci de ne pas révéler aux autorités leur situation et leurs activités illégales et par le stress psychologique auquel elles avaient été soumises pendant et après l’incident. Pour le tribunal, les deux femmes avaient eu peur d’avoir des problèmes avec la police et de subir des représailles de la part des délinquants, ce qui expliquait pourquoi elles n’avaient pas porté plainte immédiatement après les événements et pourquoi la police n’avait été informée de l’infraction que le 12 février 2007 par leur amie L. Quant au fait que O. et P. n’avaient pas identifié le requérant lorsqu’elles avaient été confrontées à plusieurs photos de suspects potentiels pendant les interrogatoires de police, le tribunal observa que l’attention des intéressées pendant l’incident s’était focalisée sur l’autre délinquant, qui tenait un couteau, et que le requérant lui-même n’était resté que peu de temps dans l’appartement. Selon le tribunal, leur incapacité à identifier le requérant montrait également que les deux femmes, contrairement à ce qu’alléguait la défense, n’avaient pas témoigné en vue de l’incriminer.
De l’avis du tribunal, le fait que la description détaillée des événements figurant dans les déclarations antérieures au procès correspondait au récit que les deux femmes avaient fait le lendemain matin à leur voisine E., qui avait été entendue comme témoin pendant le procès, constituait une autre indication forte de leur crédibilité et de la véracité de leurs déclarations. Ce témoin avait également déclaré que le soir du 3 février 2007, vers 21 h 30, une autre voisine, une femme âgée qui prit peur lorsqu’elle entendit du bruit venir de l’appartement, l’avait appelée et lui avait demandé de l’accompagner à l’appartement des deux femmes pour voir ce qui se passait. Toutefois, O.et P. n’avaient pas répondu lorsque les deux voisines avaient sonné à la porte.
Le tribunal régional observa en outre que la description des événements faite par O. et P. coïncidait également avec le souvenir qu’avait leur amie L. des conversations qu’elle avait eues avec O. et P. à la suite de l’infraction, tel qu’il ressortait de l’audition de L. au procès. Il rappela de plus que les policiers et le juge d’instruction qui avaient interrogé O. et P. au stade préliminaire avaient tous déclaré au procès qu’ils avaient trouvé les témoins crédibles.
Le tribunal régional releva que, étant donné que ni la défense ni le tribunal lui-même n’avaient eu la possibilité d’observer le comportement des témoins principaux au procès ou au moyen d’un interrogatoire conduit par la voie audiovisuelle, il devait examiner avec un soin particulier l’appréciation de la crédibilité des témoins par les policiers et le juge d’instruction. Le tribunal souligna en outre qu’en prenant en compte les déclarations de la voisine E. et de l’amie L. des deux femmes, il avait accordé une attention particulière au fait que leurs déclarations constituaient des témoignages par ouï-dire et devaient être évalués avec un soin particulier.
Dans ce contexte, il convenait, selon le tribunal, de prendre en compte le fait que les témoignages de O. et de P. ainsi que les déclarations d’autres témoins ayant déposé au procès étaient corroborés par d’autres éléments significatifs et admissibles, tels que les données obtenues au moyen des écoutes téléphoniques effectuées sur les téléphones portables du requérant et de ses coaccusés et au moyen d’un système de positionnement global par satellite (« GPS »). Le tribunal précisa que ces informations avaient été recueillies dans le cadre des mesures de surveillance effectuées par la police au moment des faits, dans le cadre de la procédure pénale préliminaire engagée contre les accusés, qui étaient soupçonnés de racket et d’extorsion de fonds (Schutzgelderpressung) dans le milieu des stupéfiants de Göttingen. Le lien entre les éléments obtenus au cours de ces investigations séparées et l’infraction en cause n’aurait pu être établi qu’après que O. et P. eurent rapporté l’incident du 3 février 2007 à la police. Selon le tribunal, il ressortait des enregistrements de deux conversations par portable entre l’un des deux coaccusés et le requérant le soir du 3 février 2007 à 20 h 29 et 20 h 31 que ce dernier se trouvait dans l’appartement des victimes en compagnie de B., et qu’il avait sauté du balcon afin de capturer l’une des victimes, qui tentait de fuir et qu’il n’avait pas réussi à rattraper, tandis que B. était resté à l’appartement. Le tribunal ajouta qu’une analyse des données GPS montrait que la voiture de l’un des coaccusés avait stationné près des lieux de l’infraction de 19 h 58 à 20 h 32 le soir du 3 février 2007, soit une période qui correspondait à l’intervalle de temps pendant lequel le cambriolage en question s’était déroulé.
Enfin, alors que le requérant et ses coaccusés niaient toute participation au cambriolage en tant que tel et toute activité répréhensible à cet égard, leurs propres déclarations au cours du procès avaient au moins confirmé que l’un des coaccusés s’était rendu en compagnie de R. à l’appartement de Göttingen le soir avant le crime, et que le requérant et B. se trouvaient dans l’appartement au moment de l’incident le jour suivant. Le requérant avait témoigné que lui-même et B. s’étaient rendus à l’appartement en vue de faire appel aux services des deux femmes en tant que prostituées. Il avait en outre admis avoir suivi P. lorsqu’elle s’était enfuie par le balcon et avait expliqué avoir agi ainsi afin de l’empêcher d’appeler les voisins ou la police puisqu’il avait eu peur d’avoir des problèmes en raison de son casier judiciaire et les problèmes qu’il avait eus lors d’un incident similaire avec des prostituées à Kassel.
De l’avis du tribunal, les éléments de preuve, pris dans leur ensemble, formaient une image globale cohérente et complète des événements qui corroborait la version donnée par les témoins O. et P. et réfutait les déclarations contradictoires faites par le requérant et ses coaccusés au cours du procès.
C. La procédure ultérieure
L’avocat du requérant introduisit un pourvoi contre le jugement du tribunal régional de Göttingen, dans lequel il soutenait que le requérant n’avait pas été en mesure d’interroger les seuls témoins directs du crime commis à Göttingen à aucun stade de la procédure, en violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. Il alléguait que pareille impossibilité était imputable aux autorités internes, expliquant que, selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, un avocat devait être désigné pour représenter tout accusé non représenté dès lors que des témoins clés de l’accusation étaient amenés à témoigner devant un juge d’instruction et que l’accusé était exclu de cette audition. Or, selon l’avocat, au moment de l’audition des témoins, le requérant n’était même pas informé de la procédure préliminaire engagée contre lui, et les autorités de poursuite n’avaient pas demandé à ce qu’un avocat de la défense lui soit attribué. En conséquence, l’avocat estimait que les témoignages de O. et P. auraient dû être exclus du procès.
Dans ses observations écrites en date du 9 septembre 2008, le procureur fédéral (Generalbundesanwalt) demanda à la Cour fédérale de justice de rejeter le pourvoi du requérant pour défaut manifeste de fondement par une procédure écrite conformément à l’article 349 § 2 du code de procédure pénale (voir la partie « Droit interne pertinent » ci-dessous). Tout en admettant que la procédure avait impliqué une « perte complète » du droit du requérant à interroger O. et P. (« Totalausfall des Fragerechts »), le procureur fédéral estima qu’elle avait été dans l’ensemble équitable et que rien ne justifiait d’exclure les témoignages de O. et de P. des éléments de preuve. Il releva que le tribunal régional avait apprécié les procès-verbaux des dépositions des témoins lues à voix haute au procès avec un regard particulièrement méticuleux et critique, et qu’il n’avait pas fait de ces déclarations le fondement exclusif ou déterminant de la condamnation du requérant mais qu’il avait pris en compte d’autres éléments significatifs. Il ajouta que, confronté aux divers éléments concordants, le requérant avait eu amplement la possibilité de mettre en question la crédibilité des deux principaux témoins et d’assurer effectivement sa défense. Le procureur fédéral, faisant siens les arguments pertinents du tribunal régional, estima que rien ne démontrait que les restrictions au droit de la défense d’interroger les témoins avaient été imputables aux autorités internes.
Par des observations écrites du 28 septembre 2008, le requérant répondit aux observations du procureur fédéral et demanda à la Cour fédérale de justice de tenir une audience dans la procédure d’appel.
Par une décision du 30 octobre 2008, la Cour fédérale de justice, sur le fondement de l’article 349 § 2 du code de procédure pénale, rejeta le pourvoi du requérant pour défaut manifeste de fondement.
Par des observations écrites du 17 novembre 2008, le requérant se plaignit d’une violation de son droit à être entendu (Anhörungsrüge), au motif qu’aucune audience n’avait été tenue dans la procédure d’appel et que la décision de la Cour fédérale de justice rejetant son recours n’était pas motivée.
Par une décision du 9 décembre 2008 rejetant le grief du requérant, la Cour fédérale de justice souligna que toute décision rejetant un pourvoi sur la base de l’article 349 § 2 du code de procédure pénale impliquait une référence aux arguments pertinents du procureur fédéral.
Par une décision non motivée du 8 octobre 2009, la Cour constitutionnelle fédérale refusa d’admettre pour examen le recours constitutionnel du requérant contre les décisions de la Cour fédérale de justice en date du 30 octobre et du 9 décembre 2008.
Il ressort des observations du requérant qu’il est dans l’intervalle sorti de prison et est retourné dans son pays natal, la Géorgie.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Selon l’article 160 du code de procédure pénale, dès que les autorités publiques de poursuite ont connaissance de soupçons quant à la commission d’une infraction pénale, soit par le dépôt d’une plainte pénale soit par d’autres moyens, elles doivent enquêter sur les faits en vue de décider s’il convient d’engager l’action publique. Elles doivent établir non seulement les circonstances à charge mais également les circonstances à décharge et doivent garantir que les éléments de preuve dont on peut craindre la perte soient recueillis.
En vertu de l’article 168 c), alinéa 2, du code de procédure pénale, le procureur, l’accusé et l’avocat de la défense sont autorisés à être présents pendant l’audition d’un témoin ou d’un expert par un juge avant l’ouverture de la procédure principale. Le juge peut exclure de l’audition un accusé dont la présence nuirait au but de l’enquête, en particulier si l’on peut craindre qu’un témoin ne dira pas la vérité en présence de l’accusé (article 168 c), alinéa 3, du code de procédure pénale). Les personnes dont la présence est autorisée reçoivent notification à l’avance des dates fixées pour l’audition. La notification peut être omise si elle risque de compromettre le succès de l’enquête (article 168 c), alinéa 5, du code de procédure pénale).
Un avocat de la défense peut être désigné pendant la procédure préliminaire ; le ministère public sollicite pareille désignation si, à son avis, l’assistance d’un avocat de la défense sera obligatoire dans la procédure principale (article 141 § 3 du code de procédure pénale). L’assistance d’un avocat de la défense est obligatoire si, notamment, l’audience principale est tenue en première instance devant le tribunal régional ou si l’accusé se voit reproché une infraction pénale grave (article 140 § 1, alinéas 1, 2 et 7, du code de procédure pénale).
Dans un arrêt de principe du 25 juillet 2000 (publié dans le Recueil officiel, BGHSt, volume 46, p. 96 et suiv.), la Cour fédérale de justice a estimé que, eu égard à l’article 6 § 3 d) de la Convention, l’article 141 § 3 du code de procédure pénale exigeait que les autorités d’enquête prévoient d’attribuer un avocat à un accusé non représenté si un témoin clé de l’accusation devait déposer devant un juge d’instruction et que l’accusé était exclu de l’audition. Dans le cas où pareil témoin clé peut légalement se prévaloir du droit de ne pas témoigner à l’éventuel procès ultérieur de l’accusé, la désignation d’un avocat est en général nécessaire afin d’éviter que l’accusé ne soit privé du droit que lui reconnaît l’article 6 § 3 d) d’interroger le témoin clé à tout stade de la procédure.
L’article 238 § 1 du code de procédure pénale dispose que le président du tribunal conduit l’instance, interroge le défendeur et administre les preuves. Aux termes de l’article 240 § 2, le président du tribunal peut, sur demande, autoriser le parquet, le défendeur et l’avocat de la défense ainsi que les juges non professionnels à poser des questions aux défendeurs, aux témoins et aux experts. Selon l’article 244 § 2, le tribunal, dans le but d’établir la vérité, peut de sa propre initiative étendre l’administration des preuves à l’ensemble des faits et moyens de preuve pertinents pour la décision.
En vertu de l’article 251 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale, l’audition d’un témoin peut être remplacée par la lecture à voix haute du procès-verbal d’une autre audition ou par un certificat contenant une déclaration écrite émanant du témoin si celui-ci est entre-temps décédé ou ne peut pour une autre raison être interrogé par le tribunal dans un avenir prévisible. L’audition d’un témoin peut aussi être remplacée par la lecture à voix haute du procès-verbal d’une audition précédente par un juge si une maladie, une infirmité ou d’autres obstacles insurmontables empêchent le témoin de comparaître à l’audience principale pendant une période longue ou indéterminée.
L’article 257 du code de procédure pénale dispose qu’après l’audition de tous les codéfendeurs et après l’administration des preuves dans chacune des affaires, le défendeur est invité à dire s’il a quelque chose à ajouter. Selon l’article 258 dudit code, le procureur et, par la suite, le défendeur devront se voir offrir de nouveau l’occasion de présenter leurs arguments et de déposer des demandes une fois l’administration des preuves terminée.
Les règles concernant les pourvois contre des décisions des juridictions pénales sont explicitées aux articles 333 à 358 du code de procédure pénale. L’article 337 dispose que pareil pourvoi ne peut être déposé qu’au motif que le jugement se fondait sur une violation de la loi. Selon l’article 345 § 2, la représentation par un avocat est obligatoire pour la présentation du pourvoi. L’article 349 §§ 2 et 3 stipule que la juridiction de pourvoi peut, à la demande motivée des autorités de poursuite, rejeter le pourvoi d’une personne condamnée par une décision unanime et sans audience dans le cas où elle juge le pourvoi manifestement mal fondé. Les autorités de poursuite doivent informer le plaignant du pourvoi et des motifs avancés à l’appui. Le plaignant peut soumettre une réponse écrite à la juridiction de pourvoi dans les deux semaines. Si celle-ci ne suit pas la demande du ministère public et tient une audience, elle statue sur le pourvoi par un arrêt.
Les articles 112 et suiv. du code de procédure pénale concernent la détention provisoire. En vertu de l’article 112 § 1, un défendeur peut être mis en détention provisoire s’il existe de forts soupçons qu’il ait commis une infraction pénale et s’il existe des raisons de l’arrêter. Tel est le cas si, notamment, certains faits appellent à conclure que le suspect risque de se soustraire à la justice (article 112 § 2, alinéa 2). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1966 et réside à Prague.
En septembre 2004, le requérant devint père d’un garçon, C., né de sa relation avec J.S. Depuis décembre 2005, les parents ne vivent plus ensemble, ce qui amena J.S. à saisir les tribunaux afin qu’ils décident notamment du droit de garde et de visite (voir paragraphe 7 et s. ci-dessous). Peu après la fin de cette procédure, J.S. engagea une nouvelle procédure visant à modifier le droit de visite du requérant (voir paragraphe 22 ci-dessous). Pendant ce temps-là, le droit de visite du requérant était régi par les mesures provisoires (voir paragraphe 27 ci-dessous).
A. Première procédure portant sur les droits de garde et de visite et sur la pension alimentaire (no 83 Nc 120/2005)
Le 21 décembre 2005, J.S. intenta devant le tribunal municipal de Brno une procédure relative à l’exercice de l’autorité parentale sur C., demandant de se voir attribuer sa garde. Le requérant sollicita d’abord une garde alternée, puis consentit à l’attribution de la garde à J.S. en contrepartie d’un droit de visite.
Après avoir tenu plusieurs audiences en l’affaire, le tribunal municipal ordonna une expertise psychologique et psychiatrique, qui fut réalisée en novembre 2007. Après avoir examiné les parents et rencontré le mineur, alors âgé de trois ans, l’expert conclut que les deux parents étaient volontaires et aptes à élever leur enfant et que rien n’indiquait qu’ils le monteraient l’un contre l’autre ; le mineur avait des liens normaux avec le requérant, leurs rencontres dans une structure spécialisée s’étaient bien déroulées et étaient bénéfiques pour l’enfant. Selon l’expert, la garde alternée n’était pas appropriée car les parents n’étaient pas à même de se mettre d’accord, et la meilleure solution était de laisser la garde de l’enfant à la mère et d’accorder au père un droit de visite à raison d’un week-end sur deux (sans la nuit pendant les deux premières années environ) et d’un après-midi par semaine. Etant donné que le requérant avait des liens affectifs à l’égard de son fils et ne risquait pas de lui faire du mal, l’expert estima que leurs rencontres pouvaient se dérouler en l’absence de tierce personne.
Par jugement du 30 mars 2010, le tribunal municipal de Brno décida d’attribuer la garde de C. à J.S., d’enjoindre au requérant une obligation alimentaire et de lui accorder un droit de visite à raison de deux heures toutes les deux semaines, dans un établissement spécialisé et en présence d’un des employés de celui-ci. Il prit en compte notamment les dépositions des parents, le rapport d’expertise susmentionné, les rapports de l’autorité de la protection sociale agissant en tant que tuteur de l’enfant, ainsi que ceux élaborés par deux établissements spécialisés abritant depuis février 2009 les rencontres entre le requérant et son fils, comme prévu par les mesures provisoires (voir paragraphes 28-31 ci-dessous) ; ces rapports faisaient entre autres état d’un comportement inacceptable du requérant (voir paragraphe 32 ci-dessous). Sur la base de ces preuves, le tribunal constata que J.S. s’occupait dûment du mineur mais que les relations entre les parents étaient très conflictuelles. Il releva que, selon les rapports du tuteur, qui proposait de ce fait de maintenir la forme et l’étendue actuelle du droit de visite, le requérant ne respectait pas les règles des établissements dans lesquels il réalisait son droit de visite provisoire et ne se comportait pas de manière appropriée, ce qui nuisait à l’ambiance des rencontres ainsi qu’à la relation entre lui et son fils.
En mai 2010, le requérant fit appel de ce jugement, contestant la décision sur la pension alimentaire et le droit de visite qu’il voulait non médiatisé. Il invita ensuite plusieurs fois les tribunaux municipal et régional à accélérer la procédure et, le 17 août 2010, il les informa de l’échec de plusieurs rencontres prévues par la mesure provisoire.
Deux audiences furent ensuite tenues par le tribunal régional de Brno en janvier et février 2011. Lors de la seconde, le tuteur de l’enfant proposa, compte tenu du déroulement des rencontres médiatisées ayant eu lieu jusqu’à lors, de ne pas changer ce régime mais de réduire la durée des rencontres. Il informa également le tribunal qu’il s’était entretenu avec l’enfant, sans présence de la mère ; à cette occasion, le mineur déclara qu’il ne voulait pas aller chez son père qui lui faisait peur. Il ressort du procès-verbal que le requérant ne proposa pas de compléter les preuves.
Par arrêt du 25 février 2011, passé en force de chose jugée le 11 avril 2011, le tribunal régional décida de revoir à la hausse le montant de la pension alimentaire à payer par le requérant et de réformer la décision sur son droit de visite de manière à lui permettre de voir son fils un samedi sur deux (de 10h à 17h) en l’absence d’autres personnes ; il enjoignit en outre à J.S. de dûment préparer le mineur à ces rencontres.
Pour définir le montant de la pension alimentaire, le tribunal régional prit en compte entre autres le revenu auquel le requérant pourrait prétendre au vu de ses capacités, et non son revenu réel de l’époque, et expliqua sa démarche.
Quant au droit de visite, il nota que J.S. avait légitimement reproché au tribunal de première instance que le rapport d’expertise élaboré en novembre 2007 ne pouvait pas, faute d’avoir été bien administré, servir de base à la décision. Selon le tribunal, il résultait des preuves restantes que, à part le fait que le mineur n’était plus accoutumé à voir son père, rien ne diminuait son intérêt à le rencontrer selon les modalités habituelles. Pour ce qui est du requérant, le tribunal estima que s’il était vrai que son comportement n’était pas à la hauteur de la situation et qu’il n’appréciait pas le droit de visite médiatisé qui, de toute manière, n’avait plus de sens après plusieurs années de durée, on ne pouvait pas lui faire de reproches essentiels ; ainsi, aussi longtemps que les rencontres entre le requérant et son fils ne compromettaient pas le bon développement de ce dernier, rien ne s’opposait à ce qu’ils se voient sans assistance de tiers.
Le 13 avril 2011, le tribunal municipal de Brno décida, eu égard au fait que J.S. avec l’enfant avaient déménagé, de transférer la compétence pour connaître de l’affaire au tribunal d’arrondissement de Prague 2 ; s’ensuivit un conflit de compétences qui ne fut résolu que le 13 septembre 2011. Entre-temps, le 4 mai 2011, le requérant réagit à la décision du 13 avril 2011 par une objection de partialité soulevée à l’encontre du juge du tribunal municipal.
Le 23 avril 2011, alors qu’il devait rencontrer son fils en vertu de l’arrêt du 25 février 2011, le requérant se rendit à l’endroit prévu en présence des journalistes et d’une équipe de télévision. Après que l’enfant, apeuré, eut refusé de partir avec lui, il appela la police qui entendit tous les intéressés.
Le 3 mai 2011, le requérant contesta les décisions sur le fond par un recours constitutionnel dans lequel il invoquait les articles 6 § 1, 8 et 14 de la Convention. Selon lui, les tribunaux n’avaient pas dûment pris en compte les conclusions du rapport d’expertise de 2007 qui étaient clairement en faveur d’un droit de visite normal, et n’avaient pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas suivi ces conclusions ni entendu l’expert. Ainsi, les tribunaux se seraient fondés uniquement sur les allégations de la mère et la prétendue désaccoutumance du mineur, situation à laquelle ils avaient contribué par leurs décisions antérieures. Le requérant dénonça également la durée et l’iniquité de la procédure, le manque de motivation de la décision sur la pension alimentaire ainsi que le fait que l’affaire avait été décidée par un autre juge que celui compétent en fonction du domicile réel de l’enfant. Il se plaignit enfin que, après avoir été privé d’un contact normal avec son enfant pendant presque trois ans, il s’était vu accorder un droit de visite très limité, qu’il n’avait même pas pu réaliser en raison de la résistance de J.S.
Le 21 mai 2011, l’enfant refusa de nouveau de voir le requérant. Le mineur confirma ensuite sa position devant les policiers que le requérant avait appelés.
Le 3 juin 2011, la Cour constitutionnelle rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement, considérant que le requérant ne faisait que répéter ses objections et polémiquer sur les conclusions des tribunaux, sans pour autant soulever des griefs relevant du droit constitutionnel. De l’avis de la Cour constitutionnelle, les décisions contestées étaient dûment motivées et dépourvues d’arbitraire et le requérant n’avait pas été empêché de défendre ses droits ; quant au grief tiré de la durée de la procédure, la référence fut faite à la possibilité de demander une indemnisation selon la loi no 82/1998. Cette décision fut notifiée à l’avocate du requérant le 24 juin 2011.
Entre le 9 mai 2011 et le 15 mars 2012, le requérant s’adressa à plusieurs reprises aux juridictions nationales pour les informer de la non-réalisation, depuis avril 2011, de son droit de visite accordé par l’arrêt du tribunal régional et pour demander l’exécution de celui-ci, soit par des sommations adressées à la mère, soit par l’infliction d’amendes à celle-ci. D’après lui, J.S. prétextait des problèmes de santé mineurs de C., organisait divers séjours de ce dernier de manière à compromettre la réalisation du droit de visite ou prétendait que C. ne voulait pas le rencontrer ; de plus, elle ne réagissait pas à ses demandes de voir son fils à d’autres dates. Selon les dires du requérant, il dénonça le comportement de J.S. également par les plaintes pénales qui furent toutes classées sans suite.
En réponse à l’invitation du tribunal du 20 décembre 2011, J.S. expliqua les raisons de la non-réalisation de certaines rencontres prévues, notamment celles du 23 avril 2011 et 21 mai 2011 visées par les demandes d’exécution du requérant. Elle fit valoir que, malgré ses efforts, considérés par C. comme une trahison, celui-ci refusait de voir le requérant qu’il jugeait méchant et grossier.
Les demandes d’exécution concernant l’année 2011 furent rejetées, le 3 février 2012, par le tribunal d’arrondissement de Prague 2 qui constata que, du fait des conflits entre les parents et de la communication problématique entre C. et son père, il n’avait pas été possible de réaliser leurs rencontres comme prévu par l’arrêt du 25 février 2011. Selon le tribunal, J.S. ne s’opposait pas à ces rencontres mais le mineur les refusait ; par ailleurs, J.S. avait entamé une nouvelle procédure sur le droit de visite, dans le cadre de laquelle de nouveaux rapports d’expertise seraient élaborés.
Sur appel du requérant, cette décision fut confirmée par le tribunal municipal de Prague le 21 mai 2012. Le tribunal releva que les relations entre les parents étaient tendues, que C. avait peur du requérant et était très perturbé par leurs rencontres ; ainsi, seules des rencontres avec assistance d’un tiers avaient pu avoir lieu, le 8 avril 2011, le 13 janvier 2012, le 27 janvier 2012 et le 10 février 2012. Eu égard à l’état psychique de l’enfant, la question se posait de savoir s’il était approprié de le forcer à rencontrer le requérant sans assistance ou s’il fallait résoudre le conflit par une mesure alternative, tel un régime d’adaptation progressif au sens de l’article 273 § 2 du code de procédure civile ; cette question fit l’objet de la nouvelle procédure initiée par J.S.
B. Nouvelle procédure relative au droit de visite du requérant
Le Gouvernement note dans ses observations que, le 20 décembre 2011, J.S. engagea devant le tribunal d’arrondissement de Prague 2 une nouvelle procédure visant à modifier le droit de visite du requérant. Le 1er octobre 2012, elle demanda l’interdiction de contact entre ce dernier et l’enfant.
Le 4 septembre 2012, le tuteur informa le tribunal du déroulement des visites prévues par la mesure provisoire du 26 juin 2012, du souhait de l’enfant de ne pas rencontrer son père et de l’avis de la psychologue de l’enfant selon laquelle le comportement du requérant durant ces visites avait des répercussions négatives sur le développement et la santé psychique de l’enfant.
Le 25 septembre 2012, un rapport d’expertise fut élaboré à la demande de J.S. et soumis au tuteur ainsi qu’au tribunal. Ayant examiné l’enfant à deux reprises, l’expert confirma son attitude négative à l’égard du requérant et constata l’existence chez l’enfant d’un trouble névrotique anxieux qui pourrait avoir des conséquences durables ; il recommanda dès lors l’interdiction de contact.
Après avoir tenu trois audiences entre octobre et décembre 2012, le tribunal d’arrondissement commanda lui-même un rapport d’expertise. Dans ce rapport, élaboré le 30 mai 2013, les experts constatèrent que le requérant voulait participer à l’éducation de son fils mais manquait d’empathie, et que le déroulement actuel de leurs rencontres ne faisait que fixer et accentuer leurs relations problématiques et l’opposition de l’enfant, souffrant d’une symptomatique anxieuse. Selon eux, un droit de visite médiatisé accompagné d’un travail psychologique avec les deux parents représentait la seule solution.
C. Droit de visite provisoire
En avril 2006, le requérant déclara devant les autorités nationales qu’il ne voyait son fils que pendant quelques heures tous les quinze jours. Il allègue devant la Cour que les relations entre lui et J.S. étaient constamment tendues et que cette dernière s’évertuait à lui rendre impossible tout contact avec son fils.
Dès lors, durant la première procédure relative aux droits de garde et de visite, les deux parents sollicitèrent un certain nombre de mesures provisoires relatives au droit de visite du requérant.
En vertu de la première d’entre elles, rendue par le tribunal municipal de Brno le 26 avril 2006, le requérant devait voir son fils tous les samedis en présence de J.S. Selon le dossier, les rencontres se réalisaient – malgré les conflits entre les parents, dus selon le tuteur de l’enfant notamment à un comportement problématique du requérant, que celui-ci conteste - jusqu’au 28 avril 2007. À cette dernière date, le requérant blessa le compagnon de J.S., ce qui lui valut d’être condamné à une peine de prison avec sursis (bien qu’il continue de nier sa culpabilité devant la Cour).
Le 16 mai 2007, le tribunal municipal adopta une nouvelle mesure provisoire selon laquelle le droit de visite du requérant devait se réaliser, en raison des conflits croissants entre les parents, dans un établissement spécialisé S., en présence d’un employé de celui-ci et de J.S., une fois par semaine. Selon le rapport de l’établissement, adressé au tribunal en juillet 2007, les rencontres se déroulaient comme prévu même si le requérant n’était pas assez sensible aux besoins de l’enfant.
Le 29 novembre 2007, le tribunal municipal accueillit la demande du requérant tendant à ce que son droit de visite se déroule sans présence de tiers ; sur appel de J.S., le tribunal régional de Brno limita, le 8 janvier 2008, l’étendue de ce droit de visite à un jour toutes les deux semaines.
Le 3 juin 2008, le requérant demanda que son droit de visite se déroule de nouveau dans l’établissement S. et soit limité à trois heures toutes les deux semaines, alléguant que, n’ayant pas pu voir son fils conformément à la mesure précédente, en raison du changement d’emploi, il était nécessaire de rétablir le contact entre eux. Le 23 juin 2008, le tribunal municipal accéda à cette demande mais limita l’étendue du droit de visite à deux heures toutes les trois semaines, tenant compte de l’avis et des disponibilités de l’établissement S. Malgré les demandes du requérant, cette étendue resta inchangée jusqu’à l’adoption du jugement sur le fond en mars 2010. Selon le requérant, seulement vingt-et-une rencontres de deux heures eurent ainsi lieu en un an et neuf mois.
Selon les rapports élaborés en octobre 2009 ainsi qu’en mars et mai 2010 par les établissements abritant ces rencontres, le requérant manquait d’empathie et se comportait de manière inappropriée, ce qui avait des répercussions négatives et traumatisantes sur l’enfant ; il aurait également méprisé les personnes proches à l’enfant et les éducateurs spécialisés.
Le 16 juin 2010, le requérant se vit infliger une amende dans une procédure en protection des droits de la personnalité engagée par l’époux de J.S., en raison des propos diffamatoires qu’il diffusait au sujet de ce dernier.
A la suite de la dernière rencontre médiatisée du 8 avril 2011, le fils du requérant manifesta des troubles de santé qui amenèrent J.S. à consulter plusieurs médecins et experts. Compte tenu des résultats de ces examens, selon lesquels l’enfant était anxieux, traumatisé, souffrait de problèmes psychosomatiques et ne devait pas être exposé aux situations stressantes, et de l’incident du 23 avril 2011 où le requérant était venu à la rencontre de son fils en présence de journalistes (voir paragraphe 14 ci-dessus), J.S. demanda en date du 9 juin 2011 l’adoption d’une mesure provisoire mettant en place un droit de visite médiatisé. Le 14 juin 2011, cette demande fut rejetée par le tribunal d’arrondissement de Prague 2.
Par une mesure provisoire du 10 janvier 2012, adoptée à la demande du tuteur de l’enfant et motivée par le comportement inapproprié du requérant, le tribunal d’arrondissement mit en place un droit de visite médiatisé à raison d’une heure toutes les deux semaines et enjoignit aux parents de coopérer avec un centre de conseil psychopédagogique. Sur appel du requérant, le tribunal municipal de Prague décida, le 22 février 2012, que les visites pouvaient se réaliser en dehors d’un établissement spécialisé.
Le 23 mars 2012, l’établissement dans lequel plusieurs rencontres s’étaient déroulées entre janvier et mars 2012 informa le tuteur que le requérant s’était comporté de manière inappropriée, ce qui provoquait une attitude négative de l’enfant ; de l’avis de l’établissement, le contact entre les intéressés devrait être interdit ou rester indéterminé. Quelques jours plus tard, le tuteur fut informé du résultat de l’examen subi par l’enfant dans le centre de conseil psychopédagogique, selon lequel le contact avec le requérant perturbait la stabilité psychique de l’enfant et mettait en péril son développement.
Le 4 avril 2012, le tribunal d’arrondissement accueillit la demande du tuteur tendant à ce que le droit de visite se déroule une fois par semaine dans l’établissement spécialisé.
Le 4 juin 2012, l’affaire fut examinée en présence des experts et de tous les intéressés, en vue d’établir un plan de protection de l’enfant et de soutien aux parents ; le résultat ainsi que l’information sur le déroulement des visites après le 4 avril 2012 furent portés à la connaissance du tribunal municipal de Prague.
Le 26 juin 2012, le tribunal municipal accéda à l’appel du requérant contre la mesure du 4 avril 2012 et décida que le droit de visite devait se dérouler une fois toutes les deux semaines sans assistance. Selon le Gouvernement, les rencontres entre les intéressés ne se réalisent plus depuis.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Code de procédure civile (loi no 99/1963) dans sa version en vigueur depuis le 1er octobre 2008
Le 1er octobre 2008, certaines dispositions du code de procédure civile concernant la procédure sur l’exercice de l’autorité parentale, l’exécution des décisions judiciaires relatives aux mineurs et la coopération des autorités locales dans le cadre des procédures d’exécution ont été amendées par la loi no 295/2008, et ce en vue d’assurer la rapidité des procédures concernant les enfants, développer la possibilité de la médiation et du règlement amiable des conflits parentaux et souligner l’obligation des tribunaux de demander l’avis de l’enfant.
Ainsi, conformément aux nouveaux articles 100 § 3 et 110 § 2 du code, les tribunaux peuvent suspendre la procédure pendant une période allant jusqu’à trois mois et ordonner aux parties de prendre part à des séances extrajudiciaires de conciliation ou de médiation ou à une thérapie familiale. Puis, l’article 100 § 4 impose au tribunal chargé d’une procédure impliquant un enfant mineur capable de formuler ses opinions d’établir l’opinion de celui-ci par son audition ou, à titre exceptionnel, par le biais de son représentant, d’un rapport d’expertise ou de l’autorité de la protection sociale de l’enfant. L’audition de l’enfant peut être effectuée en l’absence d’autres personnes dont la présence pourrait empêcher l’enfant d’exprimer sa propre opinion ; l’âge et la maturité de l’enfant sont pris en compte.
Les articles 272-273a du code relatifs à l’exécution des décisions judiciaires concernant les mineurs ont été complètement remaniés le 1er octobre 2008 (pour la version antérieure, voir Choc c. République tchèque (déc.), no 25213/03, 29 novembre 2005). L’ancienne phase initiale, consistant en conseils aux parties appelées à s’acquitter volontairement de leurs obligations, est devenue partie de la procédure sur le fond. Lors de celle-ci, les tribunaux doivent également instruire les parties sur la possibilité, en cas de non-respect par elles de leurs obligations, de procéder à une exécution par voie d’amende ou de séparation forcée de l’enfant. En vertu de l’article 273 § 1, l’infliction répétitive d’amendes, qui s’était avérée inefficace par le passé, est désormais limitée aux cas où cela s’avère utile, et les tribunaux sont censés en donner les motifs. L’article 273 § 2 permet aux tribunaux d’ordonner aux parents qui ne s’acquittent pas de leurs obligations de prendre part à des séances extrajudiciaires de médiation ou de conciliation ou bien à une thérapie appropriée ; lorsque c’est dans l’intérêt de l’enfant, les tribunaux peuvent également établir, après avoir sollicité l’avis d’un expert, un plan d’un « régime d’adaptation » visant le rétablissement progressif de contact. L’article 273 § 3 dispose que si ces mesures s’avèrent infructueuses, le tribunal ordonne la réunification forcée du parent avec son enfant.
B. Loi no 182/1993 sur la Cour constitutionnelle
L’article 39 dispose que la Cour constitutionnelle peut ne pas examiner les recours dont elle est saisie dans leur ordre chronologique lorsqu’elle estime qu’un recours porte sur une affaire urgente.
C. Pratique de la Cour constitutionnelle
Par l’arrêt no III. ÚS 1206/09 du 23 février 2010, la Cour constitutionnelle annula un arrêt par lequel un tribunal régional avait confirmé en appel l’octroi de la garde de l’enfant à la mère alors qu’il avait été prouvé, y compris par un rapport d’expertise commandé par le tribunal, que la garde alternée (sollicitée par le plaignant, le père de l’enfant) était dans l’intérêt de l’enfant. La Cour constitutionnelle reprocha aux tribunaux de s’être basés seulement sur les allégations de la mère dont le refus constituait le seul obstacle à la garde alternée (pourtant recommandée par l’expert), et de ne pas avoir analysé ces allégations à l’aide des preuves. Selon la cour, le désaccord de la mère ne pouvait peser sur la décision que s’il s’appuyait sur des motifs susceptibles de compromettre l’intérêt de l’enfant.
Dans l’arrêt no II. ÚS 3765/11 du 13 mars 2012, la Cour constitutionnelle considéra que le droit de la plaignante garanti par l’article 8 de la Convention avait été enfreint lorsqu’elle s’était vue infliger une amende par les tribunaux chargés de l’exécution du droit de visite accordé au père de l’enfant. Se référant amplement à la jurisprudence de la Cour en matière d’obligations positives des États, la Cour constitutionnelle reprocha aux tribunaux d’avoir considéré qu’il incombait à la plaignante, en tant que mère d’un enfant qui refusait de voir son père, d’agir activement et, le cas échéant, d’aller à l’encontre de la volonté de l’enfant, alors que la plaignante avait suivi les recommandations des experts. Selon la cour, les tribunaux s’étaient à tort limités à chercher celui qui était coupable du refus de l’enfant, sans avoir pris en compte que l’enfant, alors âgé de sept ou huit ans, pouvait avoir sa propre opinion.
D. Loi no 6/2002 sur les tribunaux et les juges (version en vigueur depuis le 1er juillet 2009)
Depuis le 1er juillet 2009, le moyen accélérateur prévu par l’article 174a de cette loi, à savoir la demande tendant à la fixation d’un délai pour l’accomplissement d’un acte procédural, n’est plus conditionné par l’introduction préalable d’un recours hiérarchique (voir, pour comparer, Vokurka c. République tchèque (déc.), no 40552/02, §§ 12-24 et §§ 51-57, 16 octobre 2007).
Article 174a de la loi no 6/2002
L’article 174a de cette loi est libellé comme suit :
« 1. Si un participant ou une partie à la procédure estime que celle-ci accuse des retards, il peut saisir le tribunal d’une demande visant à la fixation d’un délai pour l’accomplissement de l’acte procédural qu’il estime ne pas avoir été accompli en temps utile (ci-après « la demande de fixation de délai »). (...)
La demande de fixation de délai est à soumettre au tribunal auquel les retards sont reprochés. Elle doit faire apparaître qui en est l’auteur (ci-après « le demandeur »), de quelle affaire et de quel acte procédural il s’agit, en quoi consistent selon le demandeur voit les retards de la procédure et ce qu’il réclame ; en outre, la demande doit contenir le nom du tribunal visé par elle, être datée et signée.
Dans les 5 jours ouvrables à compter de sa réception, le tribunal auquel les retards sont reprochés transmet la demande de fixation de délai accompagnée de ses observations à la juridiction compétente pour en connaître; il en informe le demandeur. Cela ne s’applique pas lorsque le tribunal accomplit dans les 30 jours à compter de la réception de la demande tous les actes procéduraux que le requérant estime ne pas avoir été accomplis en temps utile ; dans un tel cas, l’examen de la demande ne se poursuit plus, sauf si le demandeur déclare expressément, dans le délai de 3 jours depuis qu’il appris que les actes avaient été accomplis, qu’il tient à son examen.
La juridiction compétente pour statuer sur la demande est au civil et au pénal le tribunal de degré immédiatement supérieur si la demande vise un tribunal de district, un tribunal régional ou une haute cour, et la Cour suprême administrative si la demande vise un tribunal régional dans une affaire relevant de la justice administrative ; si la demande vise la Cour suprême ou la Cour administrative suprême, elle relève de la compétence d’une autre chambre que celle à qui les retards sont reprochés.
Le demandeur est le seul participant à la procédure. Si la présente loi n’en dispose pas autrement, les dispositions des première et troisième parties du code de procédure civile s’appliquent de façon adéquate à la procédure relative à la demande de fixation de délai.
La juridiction compétente statue sur la demande de fixation de délai par une décision (usnesení). Elle déclare la demande irrecevable si elle a été soumise par une personne non autorisée, ou si le demandeur n’a pas dûment rectifié ou complété la demande dans le délai imparti ; sinon, elle statue sans audience dans les 20 jours ouvrables à compter de la transmission de la demande ou à compter de la date à laquelle la demande a été dûment rectifiée ou complétée.
Si le tribunal concerné par la demande de fixation de délai a déjà accompli l’acte procédural visé par la demande, la juridiction compétente rejette la demande ; elle procède de la même manière si elle conclut à l’absence de retards dans la procédure.
Si la juridiction compétente conclut que la demande de fixation de délai est fondée, considérant que, eu égard à la complexité de l’affaire, à l’enjeu de la procédure pour le demandeur, au comportement des participants ou des parties à la procédure et à la conduite du tribunal, la procédure accuse effectivement des retards, elle fixe un délai pour l’accomplissement de l’acte procédural visé par la demande ; le délai est obligatoire pour le tribunal compétent pour l’accomplissement de cet acte. Lorsque la demande est jugée fondée, les frais de procédure afférents à la demande sont payés par l’État.
La décision par laquelle la juridiction compétente a statué sur la demande de fixation de délai est notifiée au demandeur et au tribunal visé par la demande. La décision judiciaire sur la demande de fixation de délai n’est susceptible d’aucun recours. »
Pratique décisionnelle
Le Gouvernement soumet à la Cour plusieurs décisions des tribunaux nationaux par lesquelles ceux-ci ont accueilli les demandes formées en vertu de l’article 174a de la loi no 6/2002 notamment dans le cadre des procédures relatives à l’exercice des droits parentaux.
Par la décision no 8 UL 4/2010 du 9 mars 2010, le tribunal régional d’Ústí nad Labem a ainsi fixé un délai de cinq mois pour la tenue par le tribunal de district de Chomutov d’une audience dans une procédure relative à l’exercice de l’autorité parentale. Il a décidé ainsi malgré la charge de travail du juge compétent, en prenant en compte l’inactivité du juge depuis le début de la procédure en avril 2009, les répercussions négatives sur la vie des personnes concernées et le temps nécessaire pour préparer l’audience.
Par la décision no 16 UL 3/2010 du 4 août 2010, le tribunal régional d’Ostrava a fixé au tribunal de district de Frýdek-Místek un délai de quinze jours pour convoquer une audience, qui devait avoir lieu dans les deux mois à compter de la convocation, dans une procédure de divorce.
Par la décision no 25 UL 5/2011 du 25 mai 2011, le tribunal régional de Hradec Králové a ordonné au tribunal de district de Jičín de tenir avant le 15 juillet 2011 une audience dans une procédure relative à l’exercice de l’autorité parentale pendante depuis septembre 2010, prenant en compte qu’aucune des audiences prévues n’avait eu lieu, essentiellement pour les raisons incombant au tribunal.
Par la décision no 19 UL 1/2011 du 15 juillet 2011, le tribunal régional de Prague a fixé au tribunal de district de Beroun un délai d’un mois pour statuer sur la demande d’exécution du droit de visite du demandeur. Selon le tribunal régional, le tribunal de district n’aurait pas dû réagir aux demandes d’exécution du demandeur en invitant simplement la mère des enfants à se conformer à la décision sur le droit de visite, mais il aurait dû procéder à l’exécution même d’une manière prévue par l’article 273 §§ 1-3 du code de procédure civile.
Par la décision no 25 UL 8/2011 du 12 août 2011, le tribunal régional de Hradec Králové a ordonné au tribunal de district de Jičín de convoquer avant le 30 octobre 2011 une audience dans une procédure relative à l’exercice de l’autorité parentale, considérant qu’un tel délai correspondait aux possibilités réelles du tribunal, en dépit des difficultés objectives.
Par la décision no 8 UL 3/2012 du 14 mars 2012, le tribunal régional d’Ústí nad Labem a fixé au tribunal de district de Litoměřice un délai d’un mois pour statuer sur la demande d’exécution d’un droit de visite provisoire de la demanderesse. Le tribunal régional a reproché au tribunal de district de n’avoir pas encore notifié ladite demande d’exécution, datée du 28 avril 2011, à l’autre partie à la procédure et de s’être borné à informer la demanderesse, en février 2012, que l’infliction d’amendes à l’autre partie n’était plus considérée comme effective en l’espèce.
E. Pratique décisionnelle en matière du recours indemnitaire prévu par la loi no 82/1998
Dans la décision Vokurka (précitée, § 65), la Cour a considéré que le recours indemnitaire introduit dans l’ordre juridique tchèque par l’amendement no 160/2006 à la loi no 82/1998 était effectif et accessible pour dénoncer le dépassement du « délai raisonnable » dans toute procédure judiciaire tombant dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention.
Dans le cadre de la présente requête, le Gouvernement soumet à la Cour des informations relatives au fonctionnement de ce recours dans les procédures que la Cour examine habituellement sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Il en ressort ce qui suit.
Par l’arrêt no 64 Co 269/2011 du 22 mars 2012, le tribunal municipal de Prague a confirmé le jugement rendu en première instance le 22 mars 2011, par lequel le tribunal d’arrondissement de Prague 2 avait alloué au demandeur la somme de 58 750 CZK, en sus de la somme de 110 000 CZK allouée auparavant par le ministère de la Justice, au titre du préjudice moral causé par la durée d’une procédure relative à l’autorité parentale, qui l’avait empêché d’obtenir l’exécution de son droit de visite. Le tribunal municipal a ainsi approuvé le calcul selon lequel la somme de 112 500 CZK, correspondant à une durée de huit ans et six mois devant deux degrés de juridiction, devait être abaissée de 20% en raison de la complexité de la procédure (comportant un élément international et nécessitant un rapport d’expertise), puis augmentée de 20% car le demandeur n’avait pas contribué à la durée. De plus, la somme ainsi obtenue a été augmentée de 50% (le maximum possible) en raison de l’enjeu considérable de la procédure pour les parties ; il a été noté à cet égard que la durée de la procédure et l’incapacité de l’Etat à amener la mère à respecter la décision sur le droit de visite du demandeur avaient perturbé, de manière difficilement réversible, les relations entre ce dernier et son fils et avaient privé le demandeur de la possibilité de jouer son rôle paternel.
Dans l’arrêt no 30 Cdo 4091/2011 du 30 janvier 2013, la Cour suprême a considéré que, si les autorités nationales n’ont pas pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour permettre au parent de voir son enfant mineur, ou si elles ont pris ces mesures avec un retard, il s’agit d’un cas de durée excessive de la procédure qui est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention. Selon la cour, une telle violation de ce droit doit être prise en compte pour analyser l’existence du préjudice moral dans le chef du parent qui n’a pas la garde de l’enfant, ainsi que l’intensité de ce préjudice qui est décisive pour la détermination de la satisfaction raisonnable au sens de l’article 31a § 2 de la loi no 82/1998.
Par l’arrêt no 30 Cdo 1478/2012 du 6 mars 2013, la Cour suprême a annulé l’arrêt du tribunal municipal de Prague du 23 juin 2011, reprochant à celui-ci de ne pas avoir examiné de manière complète et correcte la demande de dommages-intérêts formulée au titre de l’atteinte à la vie familiale, faute d’avoir examiné la question de savoir si les tribunaux avaient pris, dans la procédure d’exécution du droit de visite du demandeur, toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’eux. Elle a relevé que la procédure d’exécution d’une décision sur le droit de visite était spécifique et ne pouvait pas être assimilée à une procédure d’exécution courante. Il ne s’agissait pas en effet d’une affaire susceptible d’être réglée en une fois mais d’une affaire concernant les situations répétitives. C’est pourquoi, une fois entamée, une telle procédure ne sera habituellement pas close et, si une obligation est de nouveau violée après un certain laps de temps, le tribunal poursuivra la procédure entamée auparavant. Nonobstant les demandes introduites par les parties à la procédure, le tribunal doit entamer et poursuivre cette procédure d’office et sans retards inutiles. La procédure d’exécution d’un droit de visite ne peut pas être examinée isolément de la procédure sur le fond du droit de visite dans le cadre de laquelle cette exécution doit se réaliser, car le résultat de la procédure sur le droit de visite constitue le fondement de l’exécution ultérieure. En analysant la conduite du tribunal lors de l’exécution, il est dès lors nécessaire de prendre en compte non seulement le point de savoir si une décision formelle a été rendue au sujet de toutes les demandes d’exécution, mais aussi tous les actes du tribunal visant à la réalisation du contact entre le demandeur et son enfant mineur.
Le requérant soumet à la Cour l’arrêt no 30 Cdo 4761/2009 du 10 mai 2010 par lequel la Cour suprême a annulé les décisions des tribunaux inférieurs rejetant la demande de dommages-intérêts formulée au titre de la durée d’une procédure. Se référant à la jurisprudence de la Cour, la Cour suprême a constaté qu’on ne saurait mettre à charge de l’intéressé le fait qu’il n’avait pas introduit le recours préventif prévu par la loi no 6/2002. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant réside à Sansan. Il est né en 1942 en Algérie, à Aïn El Hadjar, de parents également nés dans cette commune. L’Algérie était alors un département français, et le requérant relevait du statut civil de droit commun, applicable aux personnes d’origine européenne, par opposition au statut civil de droit local, applicable aux populations arabes ou berbères d’origine locale.
Durant la guerre d’Algérie, le requérant s’était engagé (en 1958) dans une des formations supplétives civiles de l’armée française, dites Moghaznis. Il quitta l’Algérie lorsqu’elle acquit l’indépendance.
À une date qu’il ne précise pas, le requérant déposa devant le Préfet du Gers une demande tendant à l’obtention de l’« allocation de reconnaissance » destinée aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés. Sa demande fut rejetée par le Préfet le 9 novembre 2004 au motif qu’il était « rapatrié de souche européenne ». Il exerça vainement un recours gracieux : la décision et son motif furent confirmés le 21 janvier 2005.
Le requérant déposa une requête en annulation de cette dernière décision devant le tribunal administratif de Pau. Il soutenait essentiellement qu’en réservant de la sorte l’allocation de reconnaissance aux membres des formations supplétives qui avaient avant l’indépendance de l’Algérie un statut civil de droit local, à l’exclusion de ceux qui – comme lui – avaient un statut civil de droit commun, les autorités avaient méconnu les articles 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1. Le tribunal rejeta la requête par un jugement du 25 janvier 2007.
Saisie par le requérant, la cour administrative d’appel de Bordeaux confirma ce jugement par une décision du 24 février 2009. Elle jugea que l’allocation de reconnaissance était un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, mais conclut ainsi :
« (...) les anciens supplétifs soumis au statut civil de droit local, qui relevaient d’un statut juridique spécifique, se trouvaient dans une situation objectivement différente de celle des anciens supplétifs soumis au statut civil de droit commun ; (...) par suite, si le législateur a subordonné l’octroi de l’allocation de reconnaissance à la soumission antérieure des intéressés au statut civil de droit local, une telle condition est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi, et ne méconnaît pas les stipulations précitées de la Convention (...) ».
Le 7 avril 2010, le Conseil d’État déclara non-admis le pourvoi formé par le requérant.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les personnes de statut civil de droit local originaires d’Algérie ont perdu automatiquement la nationalité française le 1er janvier 1963. L’article 2 de l’ordonnance no 62-825 du 21 juillet 1962 (en vigueur jusqu’au 21 mars 1967), a toutefois donné la possibilité à celles qui avaient établi leur domicile en France ainsi qu’à leurs enfants de se faire reconnaître la nationalité française par déclaration.
La loi no 87549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l’indemnisation des rapatriés (article 9) a institué une allocation de 60 000 francs (FRF) au profit des anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie, qui avaient conservé la nationalité française en application de l’article 2 de l’ordonnance no 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française et qui étaient domiciliés en France.
Une allocation forfaitaire complémentaire de 110 000 FRF a été créée par la loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie (article 2) au bénéfice de ceux-ci.
Par la suite, la loi du 30 décembre 1999 (article 47) a institué, à compter du 30 décembre 1999, une « rente viagère » (dont le montant sera ensuite fixé par décret à 9 000 FRF par an) sous conditions d’âge (l’âge minimum sera fixé ultérieurement par décret à 60 ans) et de ressources, au bénéfice des supplétifs visés à l’article 9 de la loi du 16 juillet 1987 précitée. L’article 67 de la loi de finance rectificative pour 2002, du 30 décembre 2002, a rebaptisé cette « rente viagère », « allocation de reconnaissance », et a supprimé la condition de ressources.
Les articles 1 et 2 du décret no 2003-167 du 28 février 2003 pris pour l’application de l’article 67 de la loi de finances rectificative pour 2002 sont ainsi libellés :
Article 1
« Une allocation de reconnaissance non réversible, indexée sur le taux d’évolution en moyenne annuelle des prix à la consommation de tous les ménages (hors tabac), est versée en faveur des personnes âgées de soixante ans au moins, désignées au premier alinéa de l’article 2 de la loi du 11 juin 1994 susvisée et de leurs conjoints ou ex-conjoints survivants non remariés. (...) ».
Article 2
« Le montant de l’allocation est de 1 830 euros par an. Ce montant est indexé le 1er octobre de chaque année par arrêté du ministre en charge des rapatriés, sur le taux d’évolution annuelle des prix à la consommation de tous les ménages (hors tabac) au 1er janvier de l’année en cours ».
Dans une décision du 30 mai 2007 (no 282553 ; Union nationale laïque des anciens supplétifs), le Conseil d’Etat a rejeté la thèse selon laquelle ce dispositif était contraire à l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 en ce qu’il institue une différence de traitement entre les anciens supplétifs soumis au statut civil de droit local et les anciens supplétifs soumis au statut civil de droit commun. Après avoir souligné que l’allocation de reconnaissance « a le caractère d’un bien au sens de cette dernière disposition », il a rappelé « qu’une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de l’article 14, si elle n’est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique ou si elle n’est pas fondée sur des critères objectifs et raisonnables en rapport avec les buts de la loi ». Il a ensuite jugé ce qui suit :
« (...) l’allocation de reconnaissance vise à reconnaître les sacrifices consentis par les harkis, moghaznis et anciens membres des formations supplétives et assimilés en Algérie soumis au statut civil de droit local, qui se sont installés en France, et a pour objet de compenser les graves préjudicies qu’ils ont subis lorsque, contraints de quitter l’Algérie après l’indépendance, ils ont été victimes d’un déracinement et connu des difficultés spécifiques et durables d’insertion lors de leur accueil et de leur séjour en France ; (...) les intéressés, qui relevaient d’un statut juridique spécifique, se trouvaient dans une situation objectivement différente de celle des anciens supplétifs soumis au statut civil de droit commun ; (...) par suite, si le législateur a subordonné l’octroi de l’allocation de reconnaissance à la soumission antérieure des intéressés au statut civil de droit local, une telle condition est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi, et ne méconnaît pas les stipulations précitées de la Convention (...) ».
Dans ses conclusions devant le Conseil d’État dans le cadre de cette affaire, la commissaire du gouvernement indique que tous les supplétifs ont connu la même situation durant la guerre, quel que soit leur statut, et que tous méritent à ce titre la reconnaissance de la Nation. Elle précise que le rapatriement des « Pieds-Noirs » (c’est-à-dire des Français d’origine européenne installés en Afrique du nord et plus précisément en Algérie, jusqu’à l’indépendance de ce pays) et, parmi eux, des supplétifs d’origine européenne, n’a pas été exempt de souffrances : ils ont subi la réticence des autorités à mettre immédiatement en place les moyens d’un rapatriement de masse, la désorganisation, les violences de l’organisation-armée secrète (« OAS ») et les expropriations brutales, enlèvements et assassinats du front de libération nationale (« FLN »). Elle constate de plus qu’ils ont eu des difficultés à se réinsérer en France, dans une société métropolitaine que beaucoup ne connaissaient pas et qui souvent leur reprochait la guerre et les crimes de l’OAS. Elle relève toutefois que ces conditions furent plus difficiles encore pour les supplétifs d’origine arabe ou berbère et leurs familles : bien que conscientes des risques de représailles auxquels ils étaient exposés puis informées des massacres dont ils ont fait l’objet à partir de juillet 1962, les autorités françaises ont montré de fortes réticences à accepter leur venue en France, interrompant les rapatriements au plus fort de ces massacres pour ne les reprendre qu’en septembre 1962 dans l’urgence et la panique. Elle ajoute que, soupçonnés de complicité avec l’OAS, ils ont été mal accueillis en France, où ils ont été dirigés vers des camps militaires d’où certains partiront au bout de quelques semaines pour des foyers pour travailleurs migrants ou des hameaux de forestage, mais où d’autres resteront durant plusieurs années. Elle précise que ce sont des émeutes d’enfants de supplétifs au milieu des années 1970 qui ont révélé à la société française la relégation dans laquelle vivait cette communauté, caractérisée par la détresse, les difficultés économiques et le chômage endémique. Elle ajoute également que, si l’ensemble des rapatriés ont bénéficié des dispositifs et aides mis en place à leur intention, dans les faits, les personnes d’origine arabo-berbère ont eu plus de difficultés à justifier la réalité et la consistance des biens matériels perdus et ont donc à peine profité des dispositifs d’indemnisation.
La commissaire du gouvernement en déduit que les anciens supplétifs d’origine arabo-berbère ont pris des risques particuliers et ont consenti des sacrifices spécifiques, et relève en outre que le dévouement à la France dont ils ont fait preuve était particulièrement douloureux puisqu’à la différence des anciens supplétifs d’origine européenne, il impliquait le choix entre deux appartenances. Selon elle, la spécificité de la situation des premiers est pertinente au regard de l’objet de l’allocation de reconnaissance, qui n’est pas d’exprimer la reconnaissance de la Nation à l’égard de l’action des anciens supplétifs pendant la guerre d’Algérie – cette reconnaissance s’étant exprimée plutôt par l’attribution à tous les supplétifs de la qualité d’anciens combattants, souligne-t-elle – mais de récompenser un dévouement particulier à la France et de compenser des sacrifices.
La condition de nationalité – qui avait déjà été censurée par le Conseil d’Etat par une décision du 27 juin 2005 (pourvoi no 251766) – a été supprimée en 2011, le Conseil constitutionnel l’ayant déclarée contraire à la Constitution par une décision no 2010-93 QPC du 4 février 2011. Il a notamment spécifiquement déclaré inconstitutionnelle la disposition suivante, qui figurait dans l’article 9 de la loi du 16 juillet 1987 précitée : « qui ont conservé la nationalité française en application de l’article 2 de l’ordonnance no 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, prises en application de la loi no 62-421 du 13 avril 1962 ».
Constatant que les dispositions législatives ainsi déclarées contraires à la Constitution étaient les seules, par les renvois qu’elles opéraient, à réserver le bénéfice de l’allocation de reconnaissance aux membres des formations supplétives qui avaient un statut civil de droit local, la cour administrative d’appel de Nantes a, dans une décision du 8 décembre 2011, jugé que l’allocation ne pouvait plus être refusée par ce motif à d’anciens supplétifs de statut civil de droit commun. Cette conclusion a été confirmée par le Conseil d’Etat par une décision du 20 mars 2013 (pourvoi no 356184 ; voir aussi une décision du même jour sur le pourvoi no 345648). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La genèse de l’affaire
Le requérant est né en 1952 et réside à Istanbul. Il est le fondateur de la chaîne de télévision turque Kanal 7 et directeur général de sa société d’exploitation, Yeni Dünya Iletisim A.S. Les programmes de Kanal 7 sont diffusés dans toute la Turquie et en Allemagne par l’intermédiaire de la chaîne de télévision Kanal 7 Int. Cette dernière est exploitée par des sociétés privées à responsabilité limitée de droit allemand et, depuis 2001, par Euro 7 Fernseh- und Marketing GmbH (Gesellschaft mit beschränkter Haftung), dont le requérant est l’un des actionnaires. Celui-ci a occupé tour à tour le poste de directeur général (Geschäftsführer) ou de fondé de pouvoir (Prokurist) dans ces sociétés.
À partir de 1998, dans la grille des programmes de la chaîne, un créneau horaire spécifique a été réservé à l’association à but non lucratif Deniz Feneri Yardimlasma Dernegi, qui avait été fondée entre autres par le directeur des ressources humaines de Kanal 7, lequel siégeait également au conseil d’administration de l’association. Dans ce programme, diffusé en Turquie et en Allemagne, l’association présentait ses initiatives caritatives et lançait des appels aux dons financiers. En 1999, une association similaire fut créée en Allemagne sous le nom de Deniz Feneri Dernegi e.V. (« Deniz Feneri ») par G., qui fut successivement l’un des autres actionnaires ou des directeurs généraux ou, sinon, l’un des autres fondés de pouvoir d’Euro 7 Fernseh- und Marketing GmbH. G. fut également désigné président de l’association et occupa cette fonction jusqu’en 2006. Dans ses appels aux dons diffusés à la télévision, Deniz Feneri soulignait que l’argent recueilli servirait directement et exclusivement à des fins caritatives et au financement de projets sociaux.
En 2006, le parquet (Staatsanwaltschaft) de Francfort-sur-le-Main lança des enquêtes au sujet du requérant et de plusieurs autres suspects, y compris G., qui étaient soupçonnés d’avoir frauduleusement utilisé, à des fins commerciales et pour leur propre profit, la majeure partie des fonds qui avaient été envoyés aux associations par les donateurs.
Le 11 mars 2008, l’enquête pénale préliminaire dirigée contre le requérant fut disjointe des enquêtes qui concernaient les autres suspects.
À la mi-2008, des enquêtes pénales fondées sur les mêmes allégations d’escroquerie furent également engagées à l’encontre du requérant en Turquie.
B. La procédure pénale engagée contre les autres suspects
Par un jugement dont le dispositif, accompagné d’un résumé de la motivation, fut prononcé oralement le 17 septembre 2008 (dossier no 5/26 Kls 6350 Js 203391/06 4/08), la chambre criminelle réunie en chambre de droit pénal des affaires (Große Strafkammer als Wirtschaftsstrafkammer) du tribunal régional de Francfort-sur-le-Main déclara deux des autres suspects, G. et T., coupables d’escroquerie aggravée (Betrug in einem besonders schweren Fall) commise dans le cadre d’une association de malfaiteurs dont les chefs se trouvaient en Turquie. Un autre accusé, E., fut reconnu coupable de complicité dans la réalisation de cette infraction. G. et T. furent condamnés à des peines de respectivement cinq ans et dix mois et deux ans et neuf mois d’emprisonnement tandis que E. reçut une peine d’un an et dix mois d’emprisonnement assortie d’un sursis. Le jugement complet, auquel était jointe l’intégralité de la motivation, fut communiqué ultérieurement par écrit entre le 17 septembre et le début du mois de novembre 2008.
Le tribunal régional estimait établi que G. avait créé et entretenu un montage complexe en vue de dissimuler le fait que la majorité des dons, recueillis à des fins caritatives comme le prétendait Deniz Feneri, étaient en réalité destinés à financer les activités commerciales d’entreprises privées dont G. et le requérant, entre autres, devinrent actionnaires, et utilisés dans ce but. À la demande de G., T. avait contribué à l’escroquerie notamment en rédigeant des procès-verbaux d’assemblées générales fictives de l’association Deniz Feneri dans le but de dissimuler aux autorités fiscales le détournement des fonds envoyés par les donateurs. De son côté, E., agissant également sur les instructions de G., avait omis d’indiquer dans les comptes officiels de l’association l’utilisation réelle des dons et l’avait consignée dans une comptabilité parallèle occulte (Nebenbuchhaltung).
Le tribunal fonda principalement ses conclusions sur des aveux que T., E. et G. avaient livrés à la suite d’un accord conclu entre le tribunal, le parquet et la défense ainsi que sur des éléments supplémentaires obtenus au cours du procès. Tandis que G. soutenait qu’il avait décidé seul de l’utilisation de l’argent recueilli sans consulter aucun de ses interlocuteurs en Turquie, T. et E. assurait que G. avait été intégré dans la hiérarchie d’une organisation criminelle dirigée depuis la Turquie, au sein de laquelle le requérant jouait un rôle prépondérant. Selon le témoignage livré par T. et E., G. devait obtenir l’aval préalable du requérant pour toutes les décisions essentielles relatives à l’utilisation des dons recueillis par l’association. Le tribunal était donc convaincu que G. ne se trouvait pas au sommet de la hiérarchie de l’organisation criminelle mais qu’il recevait des ordres donnés depuis la Turquie par les dirigeants de l’organisation.
La motivation du jugement se subdivise en six parties numérotées en chiffres romains. La partie I donne des informations sur la situation personnelle des accusés. La partie II décrit les circonstances de l’affaire. La partie III expose le type d’éléments sur lesquels le tribunal régional s’est appuyé pour établir les faits ainsi que son analyse de la véracité et de la crédibilité des éléments pertinents. Les parties IV et V concernent l’appréciation juridique des infractions commises par les accusés, la décision sur leur culpabilité respective ainsi que la peine qui en est résultée. La partie VI indique que les frais de la procédure sont à la charge des accusés. Le jugement mentionne plusieurs fois le rôle qu’ont joué depuis la Turquie les chefs de l’organisation criminelle dans l’utilisation à des fins non caritatives des fonds recueillis. À cet égard, le nom et les prénoms complets du requérant apparaissent à de nombreuses reprises dans le jugement, lequel comporte quelque trente-deux pages. Les passages les plus pertinents de ce jugement en ses parties II à V de sa motivation sont ainsi libellés :
« II.
(...)
Ce ne sont ni le président de l’association ni les adhérents de l’association [Deniz Feneri] qui ont décidé de l’utilisation des fonds recueillis au nom de l’association mais l’accusé G., en concertation avec Zekeriya Karaman, (...), (...) et (...), (...), qui sont poursuivis séparément (gesondert Verfolgte), et sur les instructions de ceux-ci. (pp. 8 à 9).
(...)
L’accusé G. et les personnes à la tête de Kanal 7 en Turquie (...) savaient que les dons recueillis au nom de l’association allemande [Deniz Feneri] ne seraient que partiellement utilisés à des fins caritatives ou sociales. En tout état de cause, depuis l’année 2002, G. ainsi que les personnes qui sont poursuivies séparément et qui agissaient en coulisse (Hinterleute) avaient l’intention d’affecter une grande partie de l’argent collecté à des activités économiques, et en particulier au financement de départ de projets commerciaux lancés par des sociétés de droit privé dont G. ou Zekeriya Karaman, (...), (...) et (...), qui sont poursuivis séparément, sont devenus actionnaires. (pp. 9 à 10)
(...)
Pour cette raison, l’accusé G. et Zekeriya Karaman, poursuivi séparément, ont ordonné à l’accusé E. de tenir une comptabilité occulte (Nebenbuchhaltung). (p. 11)
(...)
Chaque mois, G. et (...), (...) ou Zekeriya Karaman s’entendaient sur la teneur de la comptabilité occulte qui était tenue en Allemagne. (p. 12)
(...)
Selon les écritures figurant dans la comptabilité occulte, un montant total de 4 504 000 euros (EUR) a été transféré à Zekeriya Karaman, qui est poursuivi séparément. (p. 15)
(...)
Zekeriya Karaman, (...), (...), (...) et (...), qui sont poursuivis séparément, décidaient de l’utilisation des fonds recueillis auprès des donateurs. Un rôle prépondérant a été dévolu à Zekeriya Karaman à cet égard, en sa qualité de directeur général de Yeni Dünya Iletisim A.S. (p. 15)
(...)
L’accusé T. ignorait le montant exact des dons recueillis qui avaient été utilisés à des fins non caritatives. Il a toutefois avalisé de nouveaux appels aux dons alors qu’il savait que l’argent serait dans une large mesure employé à des fins non autorisées (...) À la suite de l’arrestation de G. en avril 2007, il est devenu l’interlocuteur de Zekeriya Karaman pour toutes les questions relatives à Deniz Feneri en Allemagne. Ce dernier lui a fourni un téléphone mobile et une carte prépayée car il craignait les écoutes téléphoniques. (p. 21)
(...)
III.
Les circonstances de l’espèce (Sachverhalt) ont été établies (steht fest) sur la base des aveux faits par les accusés ainsi que des éléments supplémentaires obtenus au cours du procès, comme l’indique le procès-verbal de l’audience. (p. 22)
(...)
La chambre n’a pas retenu la thèse de G. selon laquelle il avait décidé seul du détournement de l’argent des dons, sans consulter les personnes qui agissaient en coulisse depuis la Turquie. L’accusé E. et l’accusé T. avaient déclaré pendant l’interrogatoire de police puis dans le cadre des aveux faits durant le procès que G. avait été intégré dans une hiérarchie et qu’il devait se concerter sur toutes les décisions essentielles avec Zekeriya Karaman, (...) et (...), qui sont poursuivis séparément, tandis que Zekeriya Karaman, en sa qualité de directeur général de Yeni Dünya Iletisim A.S., jouait un rôle prépondérant. (p. 23)
La mise en place d’une comptabilité occulte, le montage parallèle faisant intervenir une chaîne de télévision et l’association Deniz Feneri, chargée de la collecte des dons, en Allemagne et en Turquie, l’actionnariat des sociétés qui étaient financées par les dons ainsi que le fait que les liquidités retirées ont changé de mains dans les locaux de Kanal 7 en Turquie suffisent à prouver l’intégration dans une structure dirigée depuis la Turquie que décrivent les deux accusés. En cherchant à assumer seul la responsabilité des appels aux dons et du détournement des fonds ainsi recueillis, l’accusé G. a apparemment tenté de protéger contre d’éventuelles poursuites pénales en Allemagne et/ou en Turquie les personnes qui lui donnaient des ordres depuis la Turquie. (p. 23)
(...)
IV.
(...)
L’accusé T. est coupable d’escroquerie en qualité de coauteur (in sukzessiver Mittäterschaft) au regard des articles 263 et 25 § 2 du code pénal allemand. Non seulement T. a voulu apporter son concours aux actes commis par d’autres mais il a également voulu prendre part à une opération conjointe (gemeinschaftliche Tätigkeit) en association avec G. et avec les personnes qui agissaient en coulisse en Turquie. (p. 25)
(...)
V.
(...)
De plus, il convient d’observer à la décharge de [G.] que celui-ci ne se trouvait pas au sommet de la hiérarchie qui avait organisé l’escroquerie (Spitze der Organisation des Betrugs) mais qu’il recevait des instructions des personnes qui agissaient en coulisse en Turquie. Il n’était pas en mesure de décider seul du détournement des fonds envoyés par les donateurs mais pouvait seulement élaborer des idées qui devaient in fine être validées par les personnes qui agissaient en coulisse depuis la Turquie. Il était un exécutant plutôt qu’un décideur (mehr ausführendes als bestimmendes Organ). (p. 28)
(...)
Les aveux de [T.] ne se limitent pas à sa propre participation à la commission de l’infraction. L’intéressé a également révélé ce qu’il savait du contexte, et en particulier des personnes qui agissaient en coulisse. Il ne savait que peu de choses car G. ainsi que les personnes desquelles il recevait des instructions ne lui avaient délibérément donné que peu d’informations. Il occupait dans la hiérarchie une place bien inférieure à celle de G. et des responsables en Turquie. (p. 29)
(...)
En tenant la comptabilité occulte [E.] a apporté une contribution significative au fonctionnement de l’ensemble du montage. Le fait que non seulement G. mais aussi directement M. Karaman, qui est poursuivi séparément, lui ont demandé de tenir cette comptabilité occulte témoigne de l’importance de celle-ci. (p. 30)
(...)
Les personnes qui agissaient en coulisse en Turquie avaient précédemment tenté d’empêcher [E.] de témoigner devant les autorités d’enquête en prenant contact avec son premier avocat ainsi qu’avec des membres de sa famille. » (p. 31)
Selon un article publié sur Internet le 18 septembre 2008 par le quotidien allemand Frankfurter Rundschau, le président en exercice de la chambre criminelle réunie en chambre de droit pénal des affaires du tribunal régional de Francfort-sur-le-Main avait déclaré au moment du prononcé du jugement que les personnes qui agissaient en coulisse avaient utilisé les dons pour servir leurs propres desseins tant économiques que politiques, même si une partie de l’argent avait effectivement été consacrée à des projets d’aide. Dans un article publié sur Internet le 15 septembre 2008, ce même quotidien avait rapporté que le parquet (Staatsanwaltschaft) avait qualifié le requérant de « principal instigateur et chef (führender Kopf) de toute l’organisation ». Des propos similaires furent publiés dans plusieurs journaux turcs le 17 et le 18 septembre 2008. Ainsi, selon un article paru dans le quotidien turc Hürriyet le 18 septembre 2008, le président de la chambre du tribunal avait déclaré au moment du prononcé du jugement que « l’on tirait les ficelles depuis Kanal 7. G. et T. ont suivi les instructions qu’ils avaient reçues depuis Kanal 7, en particulier de la part de Zekyria Karaman, (...), (...) et (...). Les principaux responsables se trouvaient en Turquie. »
Le jugement fut publié sur le site Internet du tribunal régional le 25 novembre 2008. Dans la version en ligne du jugement, les noms des accusés et des personnes poursuivies séparément avaient été remplacés par des lettres et les raisons sociales des sociétés impliquées par des chiffres. Le jugement publié sur Internet était introduit par un paragraphe indiquant qu’il était devenu définitif et ne valait qu’à l’égard des trois personnes condamnées. Il était précisé que les mentions et conclusions dans le jugement portant sur les actes d’autres personnes, en particulier de celles poursuivies séparément, ne s’appliquaient pas à ces personnes, lesquelles bénéficiaient toujours de la présomption d’innocence. Le texte du jugement ne contient pas en lui-même pareille réserve.
Le jugement est devenu définitif le 13 novembre 2008.
C. Le recours constitutionnel formé par le requérant
Par une requête écrite datée du 16 décembre 2008, le requérant saisit la Cour constitutionnelle fédérale allemande. Il arguait que les motivations du jugement rendu par le tribunal régional le 17 septembre 2008 contenaient des mentions de son rôle dans le détournement des fonds envoyés par les donateurs et il y voyait une violation du principe de la présomption d’innocence, présomption qui constituait à ses yeux un élément du droit à un procès équitable garanti par la Loi fondamentale combiné avec le principe de la prééminence du droit.
Par une décision du 3 septembre 2009, qui fut signifiée au requérant le 25 septembre 2009, la Cour constitutionnelle fédérale déclara le recours irrecevable (dossier no 2 BvR 2540/08).
La Cour constitutionnelle fédérale jugea que s’il n’était pas absolument exclu pour une personne qui n’avait pas été partie à une procédure de contester le jugement rendu à l’issue de celle-ci, cette personne devait être en mesure d’affirmer que la décision litigieuse avait nui à ses intérêts légitimes directement, et pas uniquement de facto, de manière indirecte. Rappelant sa jurisprudence constante, elle précisa ensuite que le principe de la présomption d’innocence garanti par la Loi fondamentale interdisait de prendre contre un accusé dont la culpabilité n’avait pas préalablement été établie par un procès équitable des mesures effectivement assimilables à une peine. Elle dit que le verdict de culpabilité devait être définitif avant que celui-ci pût être retenu contre l’intéressé. Elle ajouta qu’en matière pénale, la présomption d’innocence n’interdisait pas aux autorités répressives d’apprécier si et dans quelle mesure une personne pouvait être soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale.
Sur les faits de la cause, la Cour constitutionnelle fédérale indiqua que la présomption d’innocence ne protégeait pas ab initio l’intéressé de toute conséquence factuelle éventuelle de passages d’un jugement rendu dans le procès pénal de tiers qui porteraient sur sa propre participation à la commission de l’infraction. Elle précisa qu’un tel jugement ne constituait pas une décision qui nécessitait de se prononcer sur la culpabilité du requérant ou qui lui portait un préjudice assimilable à une condamnation ou à une peine. Elle ajouta que les déclarations faites au cours du procès pénal de tiers ne liaient ni les tribunaux ni le parquet, que ce fût dans le cadre d’une enquête préliminaire en cours ou de toute autre procédure judiciaire ou administrative à laquelle l’intéressé pourrait éventuellement être partie à l’avenir. Elle estima que le requérant ne pouvait pas être reconnu coupable sur la base de ce jugement et continuait de bénéficier de la protection conférée par le principe de la présomption d’innocence. Elle indiqua que l’établissement des faits par le tribunal régional concernait non seulement les accusés, qui furent condamnés à issue de la procédure, mais également le requérant et qu’il s’agissait d’une conséquence inévitable parce que dans les procédures pénales complexes, il n’était pratiquement jamais possible de mener et de faire aboutir la procédure contre tous les accusés simultanément.
D. Les faits ultérieurs
Une demande d’entraide judiciaire fut adressée aux autorités turques le 20 janvier 2009 dans le but de faire procéder à l’interrogatoire du requérant en Turquie. La Cour n’a pas reçu d’informations concernant la suite donnée à cette demande.
Le 20 août 2009, le parquet de Francfort-sur-le-Main inculpa le requérant et trois autres personnes en relation avec les faits en cause. Il apparaît de plus que le 9 avril 2012, le parquet général d’Ankara retint des chefs d’accusation similaires à l’encontre du requérant et que le procès de celui-ci en Turquie s’ouvrit le 16 janvier 2013. Selon les observations du Gouvernement, par une ordonnance du 19 août 2013, le tribunal régional de Francfort-sur-le-Main ordonna l’ouverture de l’audience en jugement dans le procès du requérant. Cette procédure est apparemment toujours pendante.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code de procédure pénale
En vertu de l’article 155 § 1 du code de procédure pénale, les enquêtes pénales et les décisions y afférentes ne concernent que les accusés et les charges retenues contre eux. L’article 264 § 1 dispose que le jugement rendu en matière pénale doit porter sur l’infraction telle qu’énoncée dans l’acte d’accusation et explicitée à l’issue des débats.
L’article 250 dispose que lorsque, en matière pénale, la preuve repose sur la perception par une personne des faits en question, celle-ci doit être entendue pendant l’audience en jugement. L’audition ne peut être remplacée ni par la lecture du procès-verbal établi lors d’une audition antérieure du témoin ni par une déclaration écrite faite par celui-ci.
En vertu de l’article 337 du code de procédure pénale, un jugement en matière pénale ne peut faire l’objet d’un pourvoi (Revision) que pour violation de la loi sur laquelle il repose.
B. La loi sur la Cour constitutionnelle fédérale
Les dispositions pertinentes de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgerichtsgesetz) sont libellées comme suit :
Article 90
1) Toute personne affirmant que la puissance publique a porté atteinte à l’un de ses droits fondamentaux ou à l’un des droits énoncés dans la Loi fondamentale à l’alinéa 4 de son article 20, ainsi qu’à ses articles 33, 38, 101, 103 et 104 peut en saisir la Cour constitutionnelle fédérale.
2) Si des voies de recours sont admissibles contre la violation, le recours constitutionnel ne peut être introduit qu’après épuisement de chacune d’elles. Toutefois, la Cour constitutionnelle fédérale peut statuer immédiatement sur un recours constitutionnel avant l’épuisement de toute les voies de droit lorsque ce recours revêt une importance générale ou que le requérant subirait un préjudice important et inéluctable au cas où il serait d’abord tenu d’épuiser les autres voies de droit.
(...)
Article 93a
1) Le recours en inconstitutionnalité doit préalablement être déclaré recevable aux fins de la décision.
2) Il doit être déclaré recevable
a) s’il soulève une question constitutionnelle d’importance fondamentale,
b) si cela est souhaitable pour la protection des droits visés à l’article 90 § 1 ; tel peut être le cas lorsque le refus d’admission causerait au demandeur un préjudice particulièrement grave. »
C. Le principe de la présomption d’innocence
Selon la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (voir, par exemple, BVerfGE 74, 358, 370 et suiv. et 82, 106, 114 et suiv.), le principe selon lequel toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente tant que sa culpabilité n’aura pas été légalement établie découle du principe de la prééminence du droit, et sa teneur ainsi que sa portée doivent s’interpréter au regard de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce principe serait étroitement lié au droit pour l’accusé de se défendre dans le cadre d’un procès équitable. Il interdirait de prendre contre l’inculpé dont la culpabilité n’a pas préalablement été établie au cours d’une procédure régulière des mesures effectivement assimilables à une peine. Il exigerait par ailleurs que la culpabilité soit légalement établie avant que celle-ci puisse être prononcée contre l’intéressé. Un verdict de culpabilité ne serait donc légitime à ce titre que s’il intervient à l’issue de débats ayant atteint le stade du jugement. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La première requérante, Mme Šárka Dubská, est née en 1985 et réside à Jilemnice. La deuxième requérante, Mme Alexandra Krejzová, est née en 1980 et réside à Prague.
A. Requête introduite par Mme Šárka Dubská
La première requérante donna naissance à son premier enfant à l’hôpital en 2007 sans aucune complication. Au cours de son accouchement, le personnel médical présent ne cessa, d’après elle, d’insister pour qu’elle accepte de subir divers types d’actes médicaux, alors qu’elle avait expressément manifesté son désir de ne recevoir aucun traitement médical non indispensable. Elle fut également contrainte d’accoucher dans une position qu’elle ne souhaitait pas. Étant donné qu’elle et son bébé se portaient bien, elle demanda à quitter l’hôpital quelques heures après la naissance, mais un médecin lui ordonna de rester à l’hôpital. Elle ne put donc pas sortir avant le lendemain, quand elle présenta une lettre de son pédiatre confirmant qu’elle se chargerait des soins de l’enfant.
En 2010, la requérante tomba enceinte pour la deuxième fois et son accouchement était prévu pour la mi-mai 2011. La grossesse ne présentait aucune complication et les examens et tests médicaux n’indiquaient aucun problème. Étant donné que la requérante estimait que son premier accouchement à l’hôpital avait été une source de stress, elle décida d’accoucher à son domicile et rechercha une sage-femme pour assister ce deuxième accouchement. Elle ne put toutefois trouver aucune sage-femme disposée à l’aider à accoucher chez elle.
Le 5 avril 2011, elle écrivit à sa compagnie d’assurance maladie et au Bureau régional de Liberec (krajský úřad) afin de leur demander une aide pour trouver une sage-femme.
Le 7 avril 2011, la compagnie d’assurance maladie lui répondit que la législation tchèque ne prévoyait pas la possibilité qu’une compagnie d’assurance maladie publique rembourse les coûts liés à un accouchement à domicile et qu’elle n’avait donc conclu aucun contrat avec des professionnels de la santé offrant ce type de services. De surcroît, la majorité des avis médicaux spécialisés n’étaient pas favorables à l’accouchement à domicile.
Par lettre du 13 avril 2011, le Bureau régional ajouta que les sages-femmes figurant dans son registre de professionnels de la santé n’étaient en tout état de cause légalement autorisées à assister un accouchement que dans une infrastructure possédant l’équipement technique prescrit par le décret no 221/2010, et pas dans une habitation privée.
N’ayant trouvé aucun professionnel de la santé pour l’assister, la requérante donna naissance à son fils seule chez elle le 11 mai 2011.
Le 1er juillet 2011, elle introduisit un recours constitutionnel (ústavní stížnost), dans lequel elle affirmait que la possibilité d’accoucher chez elle avec l’assistance d’un professionnel de la santé lui avait été refusée, en violation de son droit au respect de sa vie privée.
Le 28 février 2012, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) rejeta ce recours, estimant qu’il serait contraire au principe de subsidiarité qu’elle statue sur le fond de l’affaire parce que la requérante n’avait pas épuisé toutes les voies de recours disponibles, qui comprenaient une action en protection des droits de la personne sur la base du code civil et une demande de contrôle juridictionnel sur la base de l’article 82 du code de procédure judiciaire administrative. Elle exprima néanmoins des doutes quant à la conformité de la législation tchèque avec l’article 8 de la Convention et invita les parties concernées à entamer un débat sérieux et éclairé sur l’opportunité d’une nouvelle législation. Neuf des quatorze juges joignirent à cette décision une opinion séparée, dans laquelle ils marquèrent leur désaccord avec son raisonnement sous-jacent. La majeure partie d’entre eux considéraient que la Cour constitutionnelle aurait dû rejeter le recours en tant qu’actio popularis et s’abstenir d’exprimer toute opinion sur la constitutionnalité de la législation relative aux accouchements à domicile.
B. Requête introduite par Mme Alexandra Krejzová
La deuxième requérante est une mère de deux enfants, qui naquirent à son domicile en 2008 et 2010 avec l’assistance d’une sage-femme. Les sages-femmes assistèrent ces accouchements sans autorisation de l’État.
D’après la requérante, avant de décider d’accoucher chez elle, elle avait visité plusieurs hôpitaux, qui avaient tous refusé ses demandes de donner naissance à son bébé sans le moindre acte médical que la situation ne rendait pas nécessaire à tout prix. Ils avaient également refusé d’accéder à son souhait qu’un contact ininterrompu soit maintenu avec le bébé dès sa naissance, car la pratique ordinaire consistait à enlever l’enfant à la mère immédiatement après l’accouchement pour qu’il soit pesé, mesuré et soumis à d’autres observations médicales pendant deux heures.
Lorsqu’elle introduisit la requête de l’espèce, la requérante était à nouveau enceinte et devait accoucher à la mi-mai 2012. La grossesse se déroulait sans complications et elle souhaitait à nouveau accoucher chez elle avec l’assistance d’une sage-femme. Elle ne put toutefois pas trouver de sage-femme disposée à l’assister en raison du risque de se voir infliger une lourde amende pour la fourniture de services médicaux sans autorisation. La requérante sollicita plusieurs autorités pour l’aider à trouver une solution à son problème.
Par lettre du 18 novembre 2011, le ministère de la Santé lui répondit qu’il ne fournissait pas de services médicaux à des patients particuliers et que la requérante devait s’adresser à la Ville de Prague (Město Praha), qui, en sa qualité de bureau régional, enregistrait et délivrait les autorisations aux professionnels de la santé.
Le 29 novembre 2011, la compagnie d’assurance maladie de la requérante l’informa que la présence d’un professionnel de la santé lors d’un accouchement à domicile n’était pas couverte par l’assurance publique.
Le 13 décembre 2011, la Ville de Prague indiqua à la requérante qu’aucune sage-femme enregistrée à Prague n’était autorisée à assister un accouchement à domicile.
Le 7 mai 2012, la requérante accoucha dans une maternité de Vrchlabí, à 140 km de Prague. Elle avait choisi cet hôpital parce qu’il avait la réputation de respecter les souhaits des mères pendant l’accouchement. D’après elle, tous ses souhaits ne furent toutefois pas respectés. Même si elle et l’enfant se portaient bien et qu’aucune complication n’était survenue au cours de l’accouchement, la requérante dut rester à l’hôpital pendant 72 heures. Le nouveau-né fut séparé d’elle après l’accouchement et, avant sa sortie de l’hôpital, les restes du cordon ombilical de l’enfant avaient été coupés, contrairement à ce qu’elle souhaitait.
C. Informations générales sur les accouchements à domicile en République tchèque
Lignes directrices rédigées et publiées par le ministère de la Santé
Dans son bulletin no 2/2007 de février 2007, le ministère de la Santé a publié une orientation pratique contenant le passage suivant :
« La pratique d’un accouchement est réputée en République tchèque constituer une fourniture de soins de santé pouvant uniquement être fournis dans un établissement de santé. Chaque établissement de santé doit satisfaire aux exigences légales (...) et aux exigences fixées par la législation dérivée pertinente. »
L’Ordre des médecins de République tchèque (Česká lékařská komora) considère qu’en raison des risques y afférents un accouchement à domicile est une procédure non lege artis.
À ce jour, la quasi-totalité des accouchements en République tchèque ont lieu à l’hôpital, environ 0,2 % à 0,3 % seulement étant réalisés à domicile.
En réaction à ce qui fut perçu comme une tentative de criminalisation de l’activité de sage-femme dans certains pays d’Europe centrale et orientale, en particulier en Hongrie, le président de la Confédération internationale des sages-femmes et le président de la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique publièrent le 6 mars 2012 une déclaration commune, dans laquelle ils affirment : « Il existe des preuves solides attestant que l’accouchement en dehors de l’hôpital, avec le soutien d’une sage-femme agréée, est sûr et que de nombreuses mères privilégient cette forme d’accouchement. Ce choix ne devrait pas être refusé aux femmes à cause de l’absence de cadre réglementaire permettant aux sages-femmes d’exercer leur profession dans tout endroit que les femmes choisissent pour accoucher ».
Le 20 mars 2012, le ministère de la Santé créa un comité d’experts sur l’obstétrique, composé de représentants de bénéficiaires de soins, de sages-femmes, d’associations de médecins, du ministère de la Santé, du Commissaire du gouvernement aux droits de l’homme et de compagnies d’assurance maladie publiques, et lui assigna pour mission d’étudier la question des accouchements à domicile. Les représentants des associations de médecins boycottèrent ses réunions au motif que la situation actuelle était satisfaisante et qu’il ne fallait d’après eux rien changer. Le ministre de la Santé écarta ensuite les représentants des bénéficiaires de soins, des sages-femmes et du Commissaire du gouvernement aux droits de l’homme, affirmant que le comité ne pourrait s’accorder sur certaines conclusions que si ces modifications étaient apportées à sa composition.
Le 18 janvier 2013, le Conseil gouvernemental pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes (Rada vlády pro rovné příležitosti žen a mužů), une instance consultative du gouvernement, recommanda d’éviter la poursuite d’une discrimination à l’égard des femmes dans l’exercice de leur droit à choisir librement la méthode, les conditions et le lieu de leur accouchement. Il recommanda également d’éviter la discrimination à l’égard des sages-femmes en leur permettant d’exercer pleinement leur profession à travers leur intégration dans le système public d’assurance maladie. Le Conseil fit par ailleurs référence aux recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (paragraphe 56 ci-après), qui surveille la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, pour étayer sa position selon laquelle les femmes doivent pouvoir choisir où elles souhaitent accoucher.
Dans son bulletin no 8/2013 publié le 9 décembre 2013, qui remplaçait l’orientation pratique précédente de 2007 (paragraphe 22 ci-dessus), le ministère de la Santé décrit la procédure que les fournisseurs de services de santé doivent appliquer pour le retour des nouveau-nés dans leur environnement social. Il mentionne que les spécialistes recommandent qu’un nouveau-né ne quitte pas la maternité moins de 72 heures après la naissance. D’après la nouvelle procédure, la sortie de la maternité d’un nouveau-né moins de 72 heures après la naissance peut être autorisée à la demande du représentant légal du nouveau-né, dans les conditions suivantes :
« a) le représentant légal a retiré par écrit son accord à la fourniture de services médicaux au nouveau-né, il a déclaré par écrit son désaccord avec la fourniture de services médicaux, ou bien cet accord ou ce désaccord a été consigné dans le dossier médical du nouveau-né (...)
b) il est établi que le représentant légal a été dûment informé des conséquences possibles si le nouveau-né quitte l’hôpital moins de 72 heures après l’accouchement (...)
c) le représentant légal a été dûment informé que, dans l’intérêt du bon développement ultérieur du nouveau-né, les associations médicales spécialisées tchèques recommandent :
qu’un examen clinique soit pratiqué dans les 24 heures qui suivent la sortie de la maternité du nouveau-né (...)
qu’un prélèvement sanguin soit effectué dans les 48 à 72 heures qui suivent l’accouchement afin de dépister les dysfonctionnements métaboliques héréditaires (...) »
Dans le cas où le nouveau-né est hospitalisé sans l’accord de son représentant légal afin de recevoir un traitement médical nécessaire pour sauver la vie de l’enfant ou prévenir un préjudice grave pour sa santé, l’hôpital doit agir conformément aux articles 38 et 40 de la loi sur les services médicaux (loi no 372/2011). Cette orientation pratique est entrée en vigueur le 1er janvier 2014.
Données sur la mortalité périnatale
D’après les estimations publiées par l’Organisation mondiale de la santé dans un rapport de 2000, la République tchèque figure parmi les pays qui affichent le plus faible taux de mortalité périnatale. Ce taux, qui désigne le nombre de mortinaissances et de décès au cours de la première semaine de vie, s’élevait à 0,4 % en République tchèque. Dans les autres pays européens, il oscillait entre 0,5 % en Suède et en Italie et 5,8 % en Azerbaïdjan. Il était inférieur à 1 % dans la plupart des pays d’Europe. Selon le rapport, la mortalité périnatale constitue un indicateur important des soins maternels et de la santé et la nutrition maternelles. Par ailleurs, il reflète la qualité des soins obstétriques et pédiatriques disponibles et permet de comparer différents pays. Le rapport recommandait en outre que, dans la mesure du possible, tous les fœtus et les nourrissons pesant au moins 500 g à la naissance, nés en vie ou non, soient inclus dans les statistiques. Les données communiquées sur les mortinaissances n’ont pas été ajustées pour tenir compte de ce facteur dans l’étude.
D’après le rapport européen sur la santé périnatale relatif à la santé et la prise en charge médicale des femmes enceintes et des bébés en Europe en 2010, publié en 2013 dans le cadre du projet Euro-Peristat, la République tchèque se classe parmi les pays qui enregistrent la plus faible mortalité chez les nouveau-nés au cours de leurs vingt-sept premiers jours de vie, avec un taux de 0,17 %. Les données relatives aux autres pays étudiés, qui sont en majorité membres de l’Union européenne, révèlent un taux allant de 0,12 % en Islande à 0,55 % en Roumanie. Toutefois, si seules les statistiques portant sur les bébés nés après vingt-quatre semaines de gestation sont prises en considération, la République tchèque se rapproche de la moyenne de 0,2 %, avec un taux de 0,16 %. Les profondes disparités dans les taux de mortalité néonatale en fonction de l’âge gestationnel à vingt-deux à vingt-trois semaines donnent à penser, d’après le rapport, que la totalité des naissances et des décès survenus à un stade très précoce de la période néonatale n’ont pas été systématiquement comptabilisés. En conséquence, les données n’incluant que les bébés nés après vingt-quatre semaines de gestation sont considérées comme étant plus fiables dans le rapport.
Les requérantes affirment que les séries de données précitées ne pouvaient être comparées aisément d’un pays à l’autre en raison de différences dans les définitions utilisées. La majorité des pays européens fixent un seuil de poids de 500 g pour comptabiliser les naissances vivantes et les enfants mort-nés. En République tchèque, toutefois, jusqu’au mois d’avril 2012, une naissance était seulement enregistrée dans les statistiques si l’enfant pesait au moins 1 000 g.
Situation dans les hôpitaux tchèques
Le Gouvernement explique que les maternités tchèques offrent lors des accouchements des services de grande qualité qui respectent pleinement les droits et les souhaits des mères. Les requérantes présentent, quant à elles, des témoignages de nombreuses mères qui ont accouché dans une maternité au cours des dernières années et dénoncent des pratiques qui sont à leurs yeux inacceptables, dont les suivantes : exécution d’actes médicaux pendant l’accouchement sans le consentement de la mère, et parfois à l’encontre de sa volonté exprimée explicitement, comme la rupture artificielle de membranes ; épisiotomie ; administration de médicaments à la mère par voie intraveineuse ; manœuvre de Kristeller (pression avec le poing ou l’avant-bras sur le fond de l’utérus simultanément à une contraction et à une poussée de la mère au cours de la deuxième phase du travail) ; césarienne sans justification médicale suffisante ; techniques et médicaments visant à accélérer l’accouchement ; séparation entre la mère et son bébé pendant plusieurs heures après l’accouchement, au mépris du souhait de la mère d’avoir un contact immédiat avec le bébé après l’accouchement ; placement systématique de bébés sains dans une couveuse ; administration d’un traitement au bébé contre les souhaits exprès de la mère ; et obligation pour la mère et le bébé de rester à l’hôpital pendant 72 heures après l’accouchement même s’ils sont tous les deux en bonne santé. Des comportements arrogants, intimidants, irrespectueux et condescendants de la part du personnel de l’hôpital et un manque de respect de la vie privée ont également été dénoncés.
Poursuites pénales à l’encontre de sages-femmes
Il semble qu’en République tchèque, aucune sage-femme n’ait été poursuivie au seul motif d’avoir assisté un accouchement à domicile, bien que plusieurs aient été poursuivies à la suite d’accusations de faute professionnelle dans le cadre d’un accouchement à domicile. Les requérantes citent les cas de Mme Š. et Mme K., qui sont toutes deux bien connues pour défendre l’accouchement naturel sans actes médicaux superflus et qui pratiquaient régulièrement des accouchements à domicile.
Le 27 mars 2013, le tribunal de district (obvodní soud) de Prague 6 reconnut Mme Š. coupable d’avoir causé par négligence le décès d’un bébé qui était mort-né. Elle fut condamnée à deux ans d’emprisonnement, avec un sursis de cinq ans, et il lui fut interdit d’exercer la profession de sagefemme pendant trois ans. Le verdict de culpabilité de Mme Š. était fondé sur le fait qu’elle n’avait pas vivement conseillé à la mère de s’adresser à un établissement médical lorsque celle-ci l’a consultée par téléphone alors que le travail avait déjà commencé à son domicile. Mme Š. avait donc donné des conseils inadéquats à la future mère sans l’examiner. La condamnation fut maintenue en appel le 29 mai 2013, mais la peine fut revue à quinze mois d’emprisonnement avec un sursis de trente mois et une interdiction d’exercer la profession de sage-femme pendant deux ans. Un recours sur des points de droit est pendant.
Le 21 septembre 2011, le tribunal de district de Prague 3 reconnut Mme K. coupable d’avoir causé un préjudice corporel à un bébé dont elle avait assisté la naissance à domicile et qui avait arrêté de respirer pendant l’accouchement. Le bébé décéda quelques jours plus tard. Elle fut condamnée à deux ans d’emprisonnement avec un sursis de cinq ans, il lui fut interdit d’exercer la profession de sage-femme pendant cinq ans et elle dut verser 2,7 millions de couronnes tchèques (CZK) (soit 105 000 euros (EUR)) pour rembourser les coûts exposés par la compagnie d’assurance pour le traitement de l’enfant jusqu’à son décès. D’après le tribunal, Mme K. a commis une faute en ne suivant pas les procédures standard pour les accouchements établies par l’Ordre des médecins de République tchèque (Česká lékařská komora) et sa conduite a donc été « non lege artis ». La plainte pénale n’avait pas été introduite par les parents, mais par un hôpital.
Le 24 juillet 2013, la Cour constitutionnelle cassa toutes les décisions prononcées contre Mme K. au motif d’une violation de son droit à un procès équitable. Elle estima que les conclusions des tribunaux ordinaires sur la culpabilité de Mme K. étaient trop subjectives et n’étaient pas étayées au moyen d’éléments de preuve au-delà de tout doute raisonnable, enfreignant ainsi le principe de la présomption d’innocence. Elle indiqua notamment que les tribunaux s’étaient fiés aveuglément à une expertise qu’ils n’avaient pas soumise à un examen approfondi. Elle conclut que les tribunaux avaient, sur la base de cette expertise, imputé de façon extrêmement sévère une responsabilité à la conduite de Mme K., alors que nul ne pouvait dire clairement, dans la situation de l’espèce, comment elle aurait pu empêcher le décès du bébé. Il avait en outre été établi qu’elle avait essayé d’aider le bébé et qu’elle avait appelé une ambulance immédiatement lorsqu’elle découvrit que le bébé souffrait d’hypoxie. L’exigence de prévoir toute complication potentielle au cours d’un accouchement et de pouvoir y réagir immédiatement, ainsi que c’était demandé à Mme K., aboutirait de facto à une interdiction absolue de tout accouchement à domicile. Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle s’exprima comme suit :
« (...) un État démocratique moderne fondé sur l’état de droit est basé sur la protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation touche de près à la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les activités personnelles, s’accompagnent d’un certain degré de risque acceptable. Le droit des parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement est limité uniquement par l’intérêt de la sécurité de l’accouchement et de la santé de l’enfant, cet intérêt ne pouvant cependant être assimilé à une préférence univoque pour l’accouchement à l’hôpital. »
II. DROIT INTERNE PERTINENT
A. Loi no 160/1992 sur les soins médicaux (en vigueur jusqu’au 31 mars 2012)
En vertu de l’article 5 de cette loi, une personne ne pouvait fournir de soins médicaux que si elle était titulaire de la licence requise, dont les conditions de délivrance prévoyaient qu’un équipement technique approprié devait être disponible dans le lieu où ces services étaient fournis, comme précisé dans un décret arrêté par le ministère de la Santé. L’article 14 prévoyait qu’une personne prodiguant des soins médicaux était passible d’une amende en cas de violation de cette loi. Le montant de l’amende n’était pas précisé.
B. Loi no 372/2011 sur les services médicaux (entrée en vigueur le 1er avril 2012)
Conformément à l’article 11 § 5 de cette loi, les services de santé peuvent uniquement être fournis dans un établissement de santé aux endroits mentionnés dans la licence pour la fourniture de services de santé. En vertu de l’article 4 § 1, on entend par « établissement de santé » une infrastructure destinée à la fourniture de services de santé. Au titre de l’article 11 § 6, un établissement de santé doit posséder l’équipement technique et matériel nécessaire à la fourniture de services de santé. Cet équipement doit correspondre à la spécialisation, au type et à la forme des soins de santé fournis par l’établissement. Les exigences relatives au niveau minimal d’équipement technique et matériel doivent être établies dans un décret d’application.
En vertu de l’article 28 § 1, un service de santé ne peut être fourni à un patient qu’avec son consentement libre et éclairé. L’article 28 § 3 dispose que le patient jouit de plusieurs droits lorsqu’il reçoit un service de santé : droit au respect de la vie privée en fonction de la nature du service fourni ; droit au libre choix d’un fournisseur qui est autorisé à fournir un service de santé correspondant aux besoins médicaux du patient et au libre choix d’un établissement de santé ; droit à la présence d’un ami proche, d’un membre de la famille ou d’une autre personne choisie par le patient ; et droit à la fourniture du service de santé dans l’environnement le moins restrictif possible tout en assurant la qualité et la sécurité du service de santé fourni.
En vertu de l’article 114, une personne fournissant un service de santé sans licence valable est passible d’une amende allant jusqu’à 1 000 000 CZK (environ 40 000 EUR).
C. Décret no 221/2010 du ministère de la Santé sur l’équipement technique dans les établissements de santé (en vigueur du 1er septembre 2010 au 31 mars 2012)
Ce décret envisageait la possibilité que les sages-femmes pratiquent des accouchements dans des locaux spécialement équipés à cet effet. Les sages-femmes devaient posséder l’équipement indispensable suivant dans un tel local : un lit d’accouchement pour salle d’accouchement ou un autre dispositif approprié pour pratiquer un accouchement naturel, une lampe d’examen, une pince stérile ou une bande élastique pour le cordon ombilical, des ciseaux stériles, un moniteur fœtal électronique (MFE), un oxymètre de pouls, un dispositif d’aspiration, un laryngoscope et les instruments nécessaires pour dégager les voies respiratoires, un espace et une surface appropriés pour traiter les nouveau-nés, une balance pour nouveau-nés, un instrument de mesure de la taille des nouveau-nés et une source d’oxygène médical. De surcroît, ce local devait être situé à maximum quinze minutes d’un hôpital à même de pratiquer une césarienne. Ce décret ne prévoyait pas la possibilité qu’un professionnel de la santé assiste un accouchement à domicile.
D. Décret no 92/2012 du ministère de la Santé sur l’équipement technique dans les établissements de santé (entré en vigueur le 1er avril 2012)
Ce décret prévoit la possibilité que les sages-femmes pratiquent des accouchements dans des salles d’accouchement spécialement équipés à cet effet. Les exigences relatives à l’équipement sont identiques à celles énoncées dans le décret no 221/2010. Ce décret ne prévoit pas la possibilité qu’un professionnel de la santé assiste un accouchement à domicile.
E. Loi no 96/2004 sur les professions paramédicales
En vertu de l’article 6 de cette loi, l’exercice de la profession de sage-femme comprend la pratique d’accouchements naturels et la fourniture de soins aux nouveau-nés.
F. Loi no 374/2011 sur les services médicaux d’urgence
Cette loi régit le service d’ambulance d’urgence. En vertu de l’article 5 § 2, le service doit être organisé de manière à ce qu’une ambulance puisse atteindre n’importe quel endroit dans les vingt minutes qui suivent l’appel.
III. DROIT INTERNATIONAL PERTINENT
A. Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine)
Les dispositions pertinentes de cette Convention sont les suivantes :
Article 5 - Règle générale
« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.
Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.
La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »
Article 6 - Protection des personnes n’ayant pas la capacité de consentir
« (...) une intervention ne peut être effectuée sur une personne n’ayant pas la capacité de consentir, que pour son bénéfice direct.
Lorsque, selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi (...) »
Article 8 - Situations d’urgence
« Lorsqu’en raison d’une situation d’urgence le consentement approprié ne peut être obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée. »
Le rapport explicatif sur la Convention précise au paragraphe 34 qu’à l’instar de l’article 4, le terme « intervention » s’entend « dans son sens le plus large, c’est-à-dire comme comprenant tout acte médical, en particulier les interventions effectuées dans un but de prévention, de diagnostic, de thérapie, de rééducation ou de recherche ».
B. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
À l’article 12 de ce Pacte, les États parties reconnaissent le droit que possède toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre. Les mesures que les États parties au Pacte prennent en vue d’assurer le plein exercice de ce droit doivent comprendre les mesures nécessaires pour assurer la diminution de la mortinatalité et de la mortalité infantile, ainsi que le développement sain de l’enfant.
Dans son observation générale no 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, publiée le 11 août 2000 (E/C.12/2000/4), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels déclare, entre autres, ce qui suit :
« 1. La santé est un droit fondamental de l’être humain, indispensable à l’exercice des autres droits de l’être humain. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé susceptible d’être atteint, lui permettant de vivre dans la dignité (...)
(...) Le droit à la santé suppose à la fois des libertés et des droits. Les libertés comprennent le droit de l’être humain de contrôler sa propre santé et son propre corps, y compris le droit à la liberté sexuelle et génésique, ainsi que le droit à l’intégrité, notamment le droit de ne pas être soumis à la torture et de ne pas être soumis sans son consentement à un traitement ou une expérience médicale. D’autre part, les droits comprennent le droit d’accès à un système de protection de la santé qui garantisse à chacun, sur un pied d’égalité la possibilité de jouir du meilleur état de santé possible (...)
Les mesures visant « la diminution de la mortinatalité et de la mortalité infantile, ainsi que le développement sain de l’enfant » (par. 2 a) de l’article 12) peuvent s’entendre des mesures nécessaires pour améliorer les soins de santé maternelle et infantile, les services de santé en rapport avec la vie sexuelle et génésique, y compris l’accès à la planification de la famille, les soins pré et postnatals, les services d’obstétrique d’urgence ainsi que l’accès à l’information et aux ressources nécessaires pour agir sur la base de cette information. »
Le Comité déclare également que le droit à la santé, à l’instar d’autres droits sociaux, suppose l’existence des éléments interdépendants et essentiels suivants : la disponibilité (en d’autres termes, il doit exister dans l’État partie, en quantité suffisante, des installations, des biens, des services et des programmes fonctionnels en matière de santé publique et de soins de santé) ; l’accessibilité (les installations, biens et services en matière de santé doivent être accessibles à tous) ; l’acceptabilité (les installations, biens et services en matière de santé doivent être respectueux de l’éthique médicale et être appropriés sur le plan culturel) ; et la qualité (les installations, biens et services en matière de santé doivent également être scientifiquement et médicalement appropriés et de bonne qualité).
De plus, le Comité indique que l’obligation de faciliter l’exercice du droit à la santé comprend la diffusion d’« une information appropriée sur les modes de vie sains et une nutrition saine, les pratiques traditionnelles nocives et la disponibilité des services » et la fourniture d’une aide permettant aux intéressés de « faire des choix en connaissance de cause dans le domaine de la santé ».
Enfin, le Comité ajoute que chaque État est doté d’une marge d’appréciation discrétionnaire quand il décide quelles mesures sont effectivement les mieux adaptées à sa situation particulière.
C. Convention relative aux droits de l’enfant
Les dispositions pertinentes de cette Convention sont les suivantes :
Article 3
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées (...) »
Article 5
« Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention. »
Article 6
« 1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.
Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant.
(...) »
Article 18
« 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant (...) »
Article 24
« 1. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services.
Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :
a) Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ;
(...)
d) Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés ;
(...) »
Dans son observation générale no 7 sur la mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance, publiée le 20 septembre 2006 (CRC/C/GC/7/Rev.1), le Comité des droits de l’enfant déclarait notamment ce qui suit :
« 4. (...) Pour le Comité, la notion de droits de l’enfant dans la petite enfance devrait couvrir toutes les périodes de la vie du jeune enfant : naissance et première enfance (...)
Droit à la vie, à la survie et au développement. L’article 6 de la Convention porte sur le droit inhérent de tout enfant à la vie et l’obligation pour les États parties d’assurer dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant. Les États parties sont exhortés à prendre toutes les mesures possibles pour améliorer les soins périnatals aux mères et aux nourrissons, réduire la mortalité infanto-juvénile et créer des conditions propres à assurer le bien-être de tous les jeunes enfants pendant cette période décisive de leur vie (...) Assurer la survie et protéger la santé publique sont certes des priorités, mais les États parties doivent garder à l’esprit que l’article 6 englobe tous les aspects du développement et que la santé et le bien-être psychosocial du jeune enfant sont interdépendants à maints égards. L’une et l’autre peuvent être compromis par des conditions de vie difficiles, la négligence, l’indifférence, les mauvais traitements et des possibilités limitées d’épanouissement (...) Le Comité rappelle aux États parties (et aux autres parties prenantes) que le droit à la survie et au développement ne peut être réalisé que de manière holistique, en mettant en œuvre toutes les autres dispositions de la Convention, notamment droits à la santé, à une alimentation adéquate, à la sécurité sociale, à un niveau de vie suffisant, à un environnement sain et sûr et à l’éducation et aux loisirs (art. 24, 27, 28, 29 et 31), ainsi qu’en respectant les responsabilités des parents et en assurant une aide et des services de qualité (art. 5 et 18) (...)
Intérêt supérieur de l’enfant. L’article 3 de la Convention consacre le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants. En raison de leur manque relatif de maturité, les jeunes enfants dépendent des autorités compétentes pour définir leurs droits et leur intérêt supérieur et les représenter lorsqu’elles prennent des décisions et des mesures affectant leur bien-être, tout en tenant compte de leur avis et du développement de leurs capacités. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est mentionné à de nombreuses reprises dans la Convention (notamment aux articles 9, 18, 20 et 21, qui sont les plus pertinents pour la petite enfance). Ce principe s’applique à toutes les décisions concernant les enfants et doit être accompagné de mesures efficaces tendant à protéger leurs droits et à promouvoir leur survie, leur croissance et leur bien-être ainsi que de mesures visant à soutenir et aider les parents et les autres personnes qui ont la responsabilité de concrétiser au jour le jour les droits de l’enfant (...)
Le rôle crucial des parents et des autres personnes qui ont la charge d’un enfant à titre principal. Normalement, les parents du jeune enfant jouent un rôle crucial dans la réalisation de ses droits, de même que les autres membres de la famille, la famille élargie ou la communauté, y compris les tuteurs légaux, suivant les cas. Ce principe est pleinement reconnu dans la Convention (en particulier à l’article 5), ainsi que l’obligation incombant aux États parties d’accorder une aide aux parents, notamment en mettant en place des services de qualité chargés de veiller au bien-être des enfants (voir en particulier l’article 18) (...)
Respect du rôle parental. L’article 18 de la Convention dispose que la responsabilité d’assurer le développement et le bien-être de l’enfant incombe au premier chef aux parents ou à ses représentants légaux, qui doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 18, par. 1, et 27, par. 2). Les États parties devraient tenir compte du rôle primordial des parents (mère et père) (...)
Fourniture de soins de santé. Les États parties devraient faire en sorte que tous les enfants jouissent du meilleur état de santé et de nutrition possible pendant leurs premières années, afin de réduire la mortalité infantile et de permettre aux enfants de prendre un bon départ dans la vie (art. 24). En particulier :
(...)
b) Les États parties ont la responsabilité de réaliser le droit des enfants à la santé en favorisant l’éducation à la santé et au développement de l’enfant, y compris en informant la population sur les avantages de l’allaitement maternel, d’une bonne alimentation, de l’hygiène et des soins. La priorité devrait également être donnée à la fourniture de soins prénatals et postnatals appropriés pour les mères et les nourrissons afin qu’il s’établisse des relations saines entre l’enfant et sa famille et en particulier entre l’enfant et sa mère (...) »
Dans son observation générale no 15 sur le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible, publiée le 17 avril 2013 (CRC/C/GC/15), le Comité des droits de l’enfant déclarait, entre autres, ce qui suit :
« 33. Les États ont l’obligation de réduire la mortalité infantile. Le Comité demande instamment qu’une attention particulière soit accordée à la mortalité néonatale, qui constitue une proportion croissante de la mortalité des moins de 5 ans. En outre, les États parties devraient aussi se pencher sur la question de la morbidité et de la mortalité des adolescents, qui est généralement négligée.
Il conviendrait notamment de se pencher sur les naissances d’enfants mort-nés, les complications liées à la prématurité, l’anoxie à la naissance, l’insuffisance pondérale à la naissance, la transmission de la mère à l’enfant du VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles, les infections néonatales, la pneumonie, la diarrhée, la rougeole, la malnutrition, le paludisme, les accidents, la violence, le suicide et la morbidité et mortalité maternelles des adolescentes. Il est recommandé de renforcer les systèmes de santé pour que tous les enfants bénéficient de ces mesures dans le contexte du continuum des soins de santé procréative, maternelle, néonatale et infantile, y compris le dépistage des anomalies congénitales, les services d’accouchement sans risques et les soins aux nouveau-nés. Des contrôles de mortalité maternelle et périnatale devraient être effectués régulièrement aux fins de prévention et de responsabilisation.
(...)
Le Comité note que la mortalité et la morbidité maternelles évitables constituent de graves violations des droits fondamentaux des femmes et des filles et menacent gravement leur droit à la santé et celui de leurs enfants. La grossesse et l’accouchement sont des processus naturels, qui comportent des risques connus pouvant faire l’objet de mesures préventives et thérapeutiques s’ils sont identifiés à temps. Des situations à risque peuvent se présenter pendant la grossesse ou l’accouchement ainsi que durant les périodes anténatales et postnatales et elles ont des effets à court et à long terme sur la santé et le bien-être de la mère et de l’enfant.
Le Comité encourage les États à adopter des stratégies sanitaires qui tiennent compte des besoins particuliers des enfants aux différentes étapes de l’enfance, comme a) l’Initiative Hôpitaux amis des bébés, qui protège, favorise et soutient le maintien du nouveau-né dans la chambre de sa mère et l’allaitement au sein, b) des politiques de santé tenant compte des besoins particuliers des enfants et mettant l’accent sur la formation du personnel de santé afin que celui-ci offre des services de qualité de nature à réduire autant que possible la peur, l’anxiété et la souffrance des enfants et de leur famille (...)
(...) Les soins aux mères et aux nouveau-nés après l’accouchement ne devraient pas occasionner de séparation inutile entre la mère et l’enfant. »
Dans son observation générale no 14 sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, publiée le 29 mai 2013 (CRC/C/GC/14), le Comité des droits de l’enfant déclarait, entre autres, ce qui suit :
« 32. Le concept d’intérêt supérieur de l’enfant est complexe et sa teneur doit être déterminée au cas par cas. C’est en interprétant et en appliquant le paragraphe 1 de l’article 3, dans le sens des autres dispositions de la Convention, que le législateur, le juge, l’autorité administrative, sociale ou éducative sera en mesure de préciser le concept et d’en faire un usage concret. Le concept d’intérêt supérieur de l’enfant est donc souple et adaptable. Il devrait être ajusté et défini au cas par cas, en fonction de la situation particulière de l’enfant ou des enfants concernés, selon les circonstances, le contexte et les besoins des intéressés. Pour les décisions relatives à des cas individuels, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être évalué et déterminé en tenant compte de la situation concrète de l’enfant concerné. Pour ce qui est des décisions générales − telles que celles émanant du législateur −, l’intérêt supérieur des enfants en général doit être évalué et déterminé au vu de la situation du groupe concerné et/ou des enfants en général. Dans ces deux cas, l’intérêt supérieur devrait être évalué et déterminé en respectant pleinement les droits énoncés dans la Convention et dans les protocoles facultatifs s’y rapportant.
Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être appliqué à toutes les questions concernant l’enfant et être pris en considération pour résoudre d’éventuels conflits entre les droits consacrés dans la Convention ou dans d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme. Il faut s’employer attentivement à définir des solutions conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela implique pour les États l’obligation, lorsqu’ils adoptent des mesures d’application, de déterminer l’intérêt supérieur de tous les enfants, notamment de ceux en situation de vulnérabilité.
(...)
Comme le paragraphe 1 de l’article 3 couvre un large éventail de situations, le Comité reconnaît cependant la nécessité d’un certain degré de souplesse dans son application. L’intérêt supérieur de l’enfant − une fois évalué et déterminé − peut être en conflit avec d’autres intérêts ou d’autres droits (par exemple ceux d’autres enfants, du public, des parents, etc.). Les conflits potentiels entre l’intérêt supérieur d’un enfant, pris individuellement, et celui d’un groupe d’enfants ou des enfants en général doivent être résolus au cas par cas, en mettant soigneusement en balance les intérêts de toutes les parties et en trouvant un compromis acceptable. Il convient de procéder de même si les droits d’autres personnes sont en conflit avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Si une harmonisation est impossible, les autorités et les responsables devront analyser et mettre en balance les droits de toutes les parties concernées, en ayant à l’esprit que le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale signifie que les intérêts de l’enfant ont un rang de priorité élevé et ne sont pas une considération parmi d’autres seulement. Il convient donc d’attribuer un plus grand poids à ce qui sert au mieux les intérêts de l’enfant. »
D. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a notamment formulé, dans la section « Santé » de ses observations finales sur la République tchèque du 10 novembre 2010 (CEDAW/C/CZE/CO/5), les recommandations suivantes :
« 36. Tout en reconnaissant la nécessité d’assurer le maximum de sécurité aux mères et aux nouveau-nés pendant l’accouchement et en relevant le faible taux de mortalité périnatale dans l’État partie, le Comité prend acte d’informations faisant état d’ingérences dans les choix des femmes en matière de santé génésique dans les hôpitaux, notamment d’interventions médicales courantes, qui auraient souvent lieu sans le consentement préalable, libre et éclairé de la femme ou en dehors de toute prescription médicale, d’un accroissement rapide du taux de recours aux césariennes, de la séparation des nouveau-nés de leur mère pendant de longues heures sans motif lié à leur état de santé, d’un refus d’autoriser la mère et l’enfant à quitter l’hôpital dans les soixante-douze heures qui suivent l’accouchement et d’attitudes paternalistes de la part des médecins qui empêchent les femmes d’exercer leur liberté de choix. Il note également les informations selon lesquelles les femmes auraient peu de possibilités d’accoucher en dehors des hôpitaux.
Le Comité recommande à l’État partie de songer à adopter dans les meilleurs délais une loi sur les droits des patients, y compris les droits des femmes en matière de santé génésique, d’adopter un protocole normatif en matière de soins périnatals qui garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions médicales inopportunes, de faire en sorte que toutes les interventions ne puissent être effectuées qu’avec le consentement préalable libre et éclairé de la femme, de surveiller la qualité des soins dans les maternités, de dispenser une formation obligatoire à tous les personnels de santé au sujet des droits des patients et des normes éthiques connexes, de continuer de sensibiliser les patients à leurs droits, notamment en diffusant des informations, et d’envisager des mesures pour faire en sorte que les accouchements pratiqués en dehors des hôpitaux par des sages-femmes soient une option sans danger et abordable pour les femmes. »
E. Organisation mondiale de la santé
En 1996, un groupe d’experts réuni sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé adopta un document intitulé « Les soins liés à un accouchement normal : guide pratique » (WHO/FRH/MSM/96.24), qui contient des lignes directrices universelles sur les soins ordinaires à prodiguer aux femmes au cours d’un travail et d’un accouchement sans complications. Ce rapport fut publié en réaction à la prolifération de pratiques visant à déclencher, intensifier, accélérer, régler ou surveiller le processus physiologique du travail dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement. Après avoir adopté une définition de travail d’une « naissance normale », il recense les pratiques les plus courantes utilisées pendant le travail et tente de fixer certaines normes de bonne pratique pour la conduite d’un travail et d’un accouchement exempts de complications. Ce document formule, entre autres, les constats suivants :
« Sous l’effet du phénomène mondial de l’urbanisation croissante, les femmes sont beaucoup plus nombreuses à accoucher dans des services d’obstétrique, qu’elles aient un accouchement normal ou compliqué. La tentation existe de traiter tous les accouchements systématiquement avec le même niveau élevé d’intervention requis par ceux qui se révèlent compliqués. Il s’ensuit malheureusement toute une gamme d’effets négatifs, dont certains ont des incidences graves. Ces effets vont du simple coût en temps, en formation et en matériel qui va de pair avec nombre des méthodes utilisées au fait que de nombreuses femmes peuvent être dissuadées de rechercher les soins dont elles ont besoin parce que le coût élevé de l’intervention les inquiète. Les pratiques superflues peuvent nuire aux femmes et à leur nourrisson (...)
Dans certains pays industrialisés, des centres d’accouchement dans les hôpitaux et à l’extérieur ont été créés pour permettre aux femmes à faible risque d’accoucher dans une atmosphère comparable à celle du foyer, avec des soins primaires, d’ordinaire avec l’aide de sages-femmes. La plupart de ces centres, ne recourent pas au monitorage fœtal électronique ni à l’accélération du travail et l’utilisation des analgésiques est minimale (...) Des expériences portant sur des soins gérés par des sages-femmes ont été faites dans des hôpitaux en Grande-Bretagne, en Australie et en Suède, montrant que les femmes étaient beaucoup plus satisfaites de ces soins que des soins types. Le nombre de [sic] interventions était généralement inférieur, spécialement l’analgésie obstétricale, le déclenchement et l’accélération du travail. L’issue obstétricale n’était pas sensiblement modifiée par rapport aux soins dirigés par un consultant même si, dans certains essais, la mortalité périnatale tendait à être légèrement supérieure dans les modèles où les soins étaient confiés à des sages-femmes (...)
Dans un certain nombre de pays industrialisés, des petits groupes de femmes et de dispensateurs de soins mécontents des soins hospitaliers ont opté à la place pour l’accouchement à domicile, souvent plus ou moins en conflit avec le système de soins officiel. Il existe peu de données statistiques sur ces accouchements à domicile. Les données recueillies dans le cadre d’une étude effectuée en Australie donnent à penser que le choix des grossesses à faible risque n’a que modérément réussi. Dans les accouchements prévus pour se dérouler à domicile, le nombre des transferts dans un hôpital et le taux des interventions obstétricales étaient faibles. Les chiffres de la mortalité périnatale et de la morbidité néonatale étaient aussi relativement faibles mais aucune donnée n’a été fournie concernant les facteurs évitables (...)
Où donc une femme doit-elle accoucher ? Il est juste de dire qu’une femme doit accoucher là où elle se sent en sécurité, au niveau le plus périphérique où des soins appropriés sont possibles et sûrs (...) Pour une femme enceinte à faible risque, cela peut être à domicile, dans un petit dispensaire de maternité ou un centre d’accouchement urbain, voire dans le service de maternité d’un hôpital plus important. Il faut toutefois, dans cet endroit, que l’attention et les soins soient axés sur ses besoins et sa sécurité, et qu’il se situe aussi près de chez elle et de sa propre culture que possible. Si la naissance a lieu à domicile ou dans un petit centre d’accouchement périphérique, l’accès d’urgence à un centre d’orientation-recours disposant de personnel qualifié doit être prévu dans les préparatifs prénatals.
(...)
En conclusion, un accouchement normal, à condition qu’il soit à faible risque, nécessite seulement l’observation attentive d’une accoucheuse ou d’un accoucheur qualifié capable de déceler les signes précoces de complications. Il ne requiert aucune intervention, seulement des encouragements, un soutien et un peu de tendresse. Des directives générales peuvent être données quant à ce qui doit être en place pour protéger et favoriser le cours d’un accouchement normal. Un pays désireux d’investir dans ces services doit néanmoins adapter ces directives à sa situation particulière et aux besoins des femmes, et il doit veiller à ce que le minimum essentiel soit disponible pour servir les femmes de façon satisfaisante, qu’elles soient à faible risque, à moyen risque ou à haut risque, ainsi que celles qui auront des complications. »
Ce rapport énonce en outre des lignes directrices sur les tâches du dispensateur de soins lors d’un accouchement normal et les actes qu’il doit poser pendant le processus. L’une de ses tâches principales consiste à transférer la femme vers un niveau de soins supérieur si des facteurs de risque apparaissent ou si d’éventuelles complications justifient ce transfert, si ce transfert peut être réalisé aisément.
IV. LE DROIT ET LA PRATIQUE DANS LES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE
À la lumière des informations comparatives concernant trente-deux États membres dont dispose la Cour, les pratiques qui suivent peuvent être observées.
Seize États membres autorisent expressément l’accouchement à domicile sous certaines conditions (Allemagne, Autriche, Belgique, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Luxembourg, PaysBas, Pologne, Royaume-Uni, Suède et Suisse).
Dans seize États membres, la législation ne régit pas expressément la question de l’accouchement à domicile (Albanie, ancienne République yougoslave de Macédoine, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Espagne, Estonie, Finlande, Géorgie, Lituanie, Malte, Monténégro, Roumanie, Russie, Slovénie, Turquie et Ukraine). Dans la pratique, différentes approches prévalent dans ces pays à l’égard de l’accouchement à domicile avec l’assistance d’un professionnel de la santé. Dans certains d’entre eux, les sages-femmes assistent les accouchements à domicile selon une pratique tolérée (en Espagne, en Estonie, en Finlande, à Malte et en Turquie, par exemple), tandis que d’autres, comme l’Estonie et la Slovénie, envisagent de légiférer pour réglementer l’assistance professionnelle des accouchements prévus pour se dérouler à domicile. Un professionnel de la santé n’encourt une sanction pour le simple fait d’avoir assisté un accouchement prévu pour se dérouler à domicile que dans une poignée de pays (Croatie, Lituanie et Ukraine).
V. RÉSUMÉ DES ÉTUDES INTERNATIONALES PERTINENTES SUR LA SÉCURITÉ DES ACCOUCHEMENTS À DOMICILE PRÉSENTÉES À LA COUR PAR LES PARTIES
Une étude menée aux États-Unis et publiée en 2010 a conclu que les accouchements prévus pour se dérouler à domicile donnaient lieu à moins d’interventions maternelles telles que l’analgésie péridurale, la surveillance électronique de la fréquence cardiaque fœtale, l’épisiotomie ou l’accouchement chirurgical. Les femmes accouchant à domicile étaient moins susceptibles de souffrir de déchirures, d’hémorragies et d’infections. En ce qui concerne l’issue néonatale, les cas de prématurité et de faible poids à la naissance étaient moins fréquents, de même que la nécessité de ventilation assistée des nouveau-nés. Même si les accouchements prévus pour se dérouler à domicile et à l’hôpital présentaient un taux de mortalité périnatale similaire, le taux de mortalité néonatale était sensiblement plus élevé à domicile. Plusieurs articles scientifiques ont toutefois reproché de graves manquements méthodologiques à cette étude. Une autre étude réalisée sur la base de données de 2008 aux États-Unis a conclu que le risque d’obtention d’un score d’Apgar plus faible à 5 minutes et de convulsions néonatales était plus élevé pour les accouchements prévus à domicile.
Une étude menée au Canada et publiée en 2009 a révélé que les accouchements prévus pour se dérouler à domicile avec l’assistance d’une sage-femme agréée étaient associés à un taux extrêmement faible et comparable de mortalité périnatale et un taux moindre d’interventions obstétriques et d’autres issues périnatales défavorables par rapport aux accouchements prévus à l’hôpital avec l’assistance d’une sage-femme ou d’un médecin.
D’après une autre étude publiée en 2012, les essais randomisés n’ont pas permis de démontrer solidement qu’il faudrait privilégier la planification de l’accouchement à domicile ou à l’hôpital pour les femmes enceintes à faible risque. Les essais ont par contre révélé que les femmes vivant dans une région où elles ne sont pas bien informées sur l’accouchement à domicile pourraient accueillir favorablement des essais bien pensés sur le plan éthique qui garantiraient que le choix est fait en toute connaissance de cause. Une étude comparative entre les modèles dans lesquels les soins sont confiés aux sages-femmes et ceux dans lesquels ils sont dirigés par un médecin ou partagés, qui portait sur onze essais concernant un total de 12 276 femmes, a conclu que les premiers comportaient plusieurs avantages pour les mères et les bébés et qu’ils n’avaient pas d’effets indésirables, en prenant en considération les données sur les pertes fœtales et la mortalité néonatale.
Il ressort des résultats d’une étude menée aux Pays-Bas, publiés en 2009, que la planification d’un accouchement à domicile n’augmente pas les risques de mortalité périnatale ou de morbidité périnatale grave chez les femmes à faible risque si le modèle de soins de maternité soutient ce choix par la mise à disposition, d’une part, de sages-femmes hautement qualifiées et, d’autre part, d’un bon système de transport et de transfert. D’après une autre étude néerlandaise publiée en 2010, les enfants de femmes à faible risque dont le travail a débuté à un niveau de soins primaires présentent en revanche un risque supérieur de mortalité périnatale liée à l’accouchement que les enfants de femmes à haut risque dont le travail a débuté à un niveau de soins secondaires. Il est particulièrement préoccupant que le taux de mortalité le plus élevé ait été constaté chez les enfants de femmes transférées d’un niveau de soins primaires à un niveau de soins secondaires pendant le travail à la suite d’une complication.
Les auteurs d’une étude réalisée en Suisse ont affirmé dans leurs conclusions, en 1996, que les femmes en bonne santé à faible risque qui souhaitaient accoucher à domicile n’étaient exposées à un risque accru ni pour elles-mêmes, ni pour leurs bébés.
Une étude menée au Royaume-Uni et publiée en 2011 a abouti à la conclusion que, pour les femmes en bonne santé ayant une grossesse à faible risque, l’incidence des issues périnatales défavorables est faible dans tous les environnements d’accouchement. Pour les femmes multipares en bonne santé ayant une grossesse à faible risque, il n’existe aucune différence au niveau des issues périnatales défavorables entre un accouchement prévu à domicile ou dans un service sous la responsabilité de sages-femmes et un accouchement prévu dans un service obstétrique. Pour les femmes nullipares en bonne santé ayant une grossesse à faible risque, le risque d’issue périnatale défavorable semble plus élevé lors des accouchements prévus pour se dérouler à domicile, et le taux de transfert intrapartum est élevé dans tous les environnements autres qu’un service obstétrique. Une autre étude fondée sur des données recueillies en Angleterre et au pays de Galles entre 1994 et 2003 a mis en lumière que les femmes qui avaient prévu un accouchement à domicile et donné naissance à leur bébé chez elles présentaient apparemment un taux de mortalité périnatale généralement faible au cours du travail et de l’accouchement. En revanche, il s’est avéré que les femmes qui avaient prévu un accouchement à domicile, mais ont ensuite dû être transférées à l’hôpital affichaient le risque le plus élevé de mortalité périnatale au cours de la période de l’étude. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1963 et réside à Helsinki.
Elle était de sexe masculin à la naissance. Elle a toujours eu le sentiment d’être une femme dans un corps d’homme, mais elle avait décidé d’assumer cette situation. En 1996, elle épousa une femme, avec laquelle elle eut un enfant en 2002.
En 2004, son mal-être s’accentua et, en 2005, elle décida de se faire aider médicalement. En avril 2006, les médecins conclurent qu’elle était transsexuelle. Depuis lors, elle mène une vie de femme. Le 29 septembre 2009, elle subit une opération de conversion sexuelle.
Le 7 juin 2006, elle changea de prénoms et renouvela son passeport et son permis de conduire, mais elle ne put faire modifier son numéro d’identité. Celui-ci ainsi que son passeport la désignent donc toujours comme appartenant au sexe masculin.
A. La procédure de modification du numéro d’identité
Le 12 juin 2007, la requérante demanda au bureau d’état civil (maistraatti, magistraten) local de confirmer son sexe féminin et de substituer un numéro d’identité féminin à son numéro masculin, qu’elle estimait ne plus correspondre à la réalité.
Le 19 juin 2007, le bureau d’état civil local rejeta sa demande au motif que, selon les articles 1 et 2 de la loi sur la confirmation du genre des personnes transsexuelles (laki transseksuaalin sukupuolen vahvistamisesta, lagen om fastställande av transsexuella personers könstillhörighet), pareille confirmation exigeait que la personne ne fût pas mariée ou que le conjoint y consentît (paragraphe 29 ci-dessous). Pour le bureau d’état civil, dès lors que l’épouse de la requérante refusait de donner son consentement à la transformation de leur mariage en un partenariat enregistré (rekisteröity parisuhde, registrerat partnerskap), le nouveau sexe de l’intéressée ne pouvait pas être inscrit au registre d’état civil.
Le 6 juillet 2007, la requérante saisit le tribunal administratif (hallinto-oikeus, förvaltningsdomstolen) d’Helsinki, se plaignant notamment que la décision de son épouse de refuser son consentement – décision parfaitement légitime aux yeux de la requérante puisque toutes deux préféraient rester mariées – entraînait pour elle-même l’impossibilité de faire enregistrer son nouveau sexe. Elle expliquait qu’un divorce allait à l’encontre des convictions religieuses du couple. D’après elle, un partenariat enregistré n’offrait pas la même sécurité qu’un mariage et, entre autres conséquences, mettrait sa fille dans une situation différente de celle des enfants nés dans le mariage.
Le 5 mai 2008, le tribunal administratif d’Helsinki rejeta le recours de la requérante pour les mêmes motifs que le bureau d’état civil local. En outre, il estima notamment que la décision litigieuse du 19 juin 2007 n’était pas contraire à l’article 6 de la Constitution, les partenaires de même sexe ayant la possibilité, en faisant enregistrer leur relation, de bénéficier au regard du droit de la famille d’une protection en partie comparable à celle offerte par le mariage. Par ailleurs, selon le tribunal, les articles 1 et 2 de la loi sur la confirmation du genre des personnes transsexuelles ne portaient pas atteinte aux droits constitutionnels de l’enfant de la requérante.
Le 8 mai 2008, la requérante saisit la Cour administrative suprême (korkein hallinto-oikeus, högsta förvaltningsdomstolen), réitérant les moyens qu’elle avait présentés devant le bureau d’état civil local et le tribunal administratif. Elle invitait également la haute juridiction à poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes, en particulier sur l’interprétation à donner à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Invoquant les articles 8 et 14 de la Convention, elle soutenait que l’État n’avait pas à lui dire qu’un partenariat enregistré était adapté à son cas, expliquant notamment que pareille solution exigerait de son épouse qu’elle devînt lesbienne. L’intéressée estimait que l’identité sexuelle du couple était une question privée qui ne pouvait conditionner la confirmation de son nouveau sexe, et que le transsexualisme constituait un état médical relevant de la vie privée. Elle soutenait que l’État violait son droit à la vie privée à chaque fois que son transsexualisme était dévoilé par son numéro d’identité masculin. Elle ajoutait que la transformation de son mariage en un partenariat enregistré aurait pour conséquence qu’au regard de la loi elle ne serait plus le père de son enfant et ne pourrait pas non plus en devenir la mère, un enfant ne pouvant avoir deux mères.
Le 3 février 2009, la Cour administrative suprême rejeta la demande de la requérante tendant à ce qu’une question préjudicielle fût posée à la Cour de justice des Communautés européennes et écarta le recours de l’intéressée. La haute juridiction estima qu’en adoptant la loi sur la confirmation du genre des personnes transsexuelles le législateur n’avait pas voulu changer le fait que seuls un homme et une femme pouvaient s’unir par le mariage, et elle releva que les partenaires de même sexe pouvaient obtenir une reconnaissance judiciaire de leur relation par le biais de l’enregistrement. Elle expliqua que la Cour européenne des droits de l’homme avait conclu sous l’angle de l’article 12 de la Convention qu’aucun motif valable ne pouvait justifier de refuser aux transsexuels le droit de se marier mais qu’elle avait admis que la marge d’appréciation était ample à cet égard. Elle rappela que si en vertu du droit finlandais les personnes de même sexe n’étaient pas autorisées à se marier ensemble, elles avaient la possibilité de contracter un partenariat enregistré. Pour la haute juridiction, les effets juridiques et économiques d’un partenariat enregistré étaient pour l’essentiel comparables à ceux du mariage. La Cour administrative suprême ajouta que la question de la transformation de l’institution du mariage en une institution neutre du point de vue de l’appartenance sexuelle touchait à des valeurs éthiques et religieuses importantes et appelait l’adoption d’une loi par le Parlement. Elle conclut que les dispositions en vigueur du droit national n’outrepassaient pas la marge d’appréciation accordée par la Convention à l’État.
B. La procédure extraordinaire
Le 29 octobre 2009, la requérante introduisit devant la Cour administrative suprême un recours extraordinaire dans lequel elle demandait à celle-ci d’annuler sa décision précédente du 3 février 2009. Elle indiquait qu’elle avait subi une opération de conversion sexuelle le 29 septembre 2009 et qu’il n’existait plus aucune preuve de son appartenance au sexe masculin telle qu’elle ressortait de son numéro d’identité et de son passeport. Elle estimait ne pas avoir à subir de discrimination à raison de son genre, même si, aux fins de son mariage, elle continuerait à être considérée comme un homme.
Le 18 août 2010, la Cour administrative suprême rejeta le recours extraordinaire.
C. Autre procédure
À une date non précisée, la requérante saisit également la médiatrice pour l’égalité (Tasa-arvovaltuutettu, Jämställdhetsombudsmannen), se plaignant notamment du caractère inapproprié de son numéro d’identité.
Le 30 septembre 2008, la médiatrice pour l’égalité déclara qu’elle ne pouvait prendre position sur la question du numéro d’identité, expliquant que le tribunal administratif en avait déjà connu et qu’elle-même n’était pas compétente pour contrôler les décisions des tribunaux. Elle releva en outre que la question était pendante devant la Cour administrative suprême.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La Constitution
L’article 6 de la Constitution (Suomen perustuslaki, Finlands grundlag ; loi no 731/1999) se lit ainsi :
« Tous les individus sont égaux devant la loi.
Nul ne peut, sans raison valable, faire l’objet d’une différence de traitement fondée sur le sexe, l’âge, l’origine, la langue, la religion, les croyances, les opinions, la santé, le handicap ou tout autre motif lié à sa personne. Les enfants doivent être traités sur un pied d’égalité et comme des personnes, et ils doivent pouvoir, dans une mesure correspondant à leur degré de maturité, peser sur des questions qui les concernent.
L’égalité des sexes doit être encouragée dans les activités sociales et dans la vie professionnelle, en particulier en ce qui concerne le niveau de rémunération et les autres conditions d’emploi, selon des modalités fixées plus précisément par une loi [d’application]. »
B. La loi sur le mariage
L’article 1 de la loi sur le mariage (avioliittolaki, äktenskapslagen ; loi no 411/1987) énonce que le mariage est l’union entre un homme et une femme.
L’article 115 de la même loi (telle que modifiée par la loi no 226/2001) se lit ainsi :
« Un mariage conclu entre une femme et un homme dans un État étranger devant une autorité de cet État est valable en Finlande dès lors qu’il est valable dans l’État où il a été conclu, ou dans un État dont l’un ou l’autre des conjoints était ressortissant ou dans lequel l’un ou l’autre des conjoints résidait de manière habituelle au moment de la conclusion du mariage. »
C. La loi sur les partenariats enregistrés
D’après l’article 1 de la loi sur les partenariats enregistrés (laki rekisteröidystä parisuhteesta, lagen om registrerat partnerskap ; loi no 950/2001), tout partenariat entre deux personnes de même sexe et âgées de plus de dix-huit ans doit être enregistré selon les modalités fixées par la loi.
L’article 8 § 1 de la même loi est ainsi libellé :
« L’enregistrement du partenariat a les mêmes effets juridiques que la conclusion du mariage, sauf disposition contraire. »
D. La loi sur la confirmation du genre des personnes transsexuelles
Selon l’article 1 de la loi sur la confirmation du genre des personnes transsexuelles (laki transseksuaalin sukupuolen vahvistamisesta, lagen om fastställande av transsexuella personers könstillhörighet ; loi no 563/2002), il est établi qu’une personne appartient au sexe opposé à celui qui est inscrit dans le registre d’état civil dès lors qu’elle :
« 1) fournit des éléments médicaux attestant qu’elle a, de manière constante, le sentiment d’appartenir au sexe opposé et mène la vie d’une personne appartenant au sexe opposé, et qu’elle a été stérilisée ou est pour une autre raison incapable de procréer ;
2) est âgée de plus de dix-huit ans ;
3) n’a pas contracté mariage ni souscrit un partenariat enregistré ; et
4) a la nationalité finlandaise ou réside en Finlande. »
L’article 2 de la même loi prévoit des exceptions à la condition relative au statut marital. Un mariage ou un partenariat enregistré n’empêche pas la confirmation d’un changement de sexe si le conjoint ou partenaire donne son consentement à la confirmation en se présentant en personne devant le bureau d’état civil local. Lorsque l’appartenance au sexe opposé est confirmée, le mariage est transformé ex lege en partenariat enregistré ou le partenariat enregistré en mariage. La modification est inscrite au registre d’état civil.
Les travaux préparatoires de la loi sur la confirmation du genre des personnes transsexuelles (projet de loi HE 56/2001 vp) indiquent notamment qu’une paternité établie ne peut être annulée uniquement au motif que l’homme concerné devient par la suite une femme. De même, une femme qui a donné naissance légalement reste la mère de l’enfant, même si elle devient ensuite un homme. Les obligations liées à la garde, aux soins et à l’entretien des enfants sont essentiellement fondées sur la parentalité. Le changement de sexe de l’un des parents n’affecte donc pas ces droits et obligations.
III. DROIT COMPARÉ
Il ressort des informations dont la Cour dispose que dix États membres du Conseil de l’Europe (la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Islande, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles uniquement) et la Suède) autorisent le mariage homosexuel.
Il apparaît également que dans vingt-quatre États membres (en Albanie, à Andorre, en Azerbaïdjan, en Bulgarie, en Bosnie-Herzégovine, à Chypre, en Croatie, en Estonie, en Géorgie, en Grèce, en Lettonie, au Liechtenstein, en Lituanie, au Luxembourg, dans l’exRépublique yougoslave de Macédoine, en République de Moldova, à Monaco, au Monténégro, en Pologne, en Roumanie, en Russie, en Serbie, en Slovaquie et en Slovénie), il n’existe pas de cadre juridique précis réglementant la reconnaissance légale du genre ni aucune disposition juridique traitant spécifiquement de la situation des personnes mariées ayant suivi un processus de conversion sexuelle. L’absence de réglementation dans ces États membres laisse sans réponse un certain nombre de questions, notamment celle de savoir ce que devient le mariage conclu avant l’opération de conversion sexuelle. Six États membres (la Hongrie, l’Italie, l’Irlande, Malte, la Turquie et l’Ukraine) se sont dotés d’une législation sur la reconnaissance du genre. Dans ces pays, la loi pose spécifiquement une condition de célibat ou de divorce, ou des dispositions générales figurant dans le code civil ou dans les lois sur la famille précisent qu’après un changement de sexe tout mariage existant est annulé ou dissous. Seuls trois des pays membres étudiés (l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse) ont ménagé des exceptions permettant à une personne mariée d’obtenir la reconnaissance juridique de son changement de sexe tout en conservant ses liens maritaux.
Il apparaît donc que, lorsque le mariage homosexuel n’est pas autorisé, seuls trois pays autorisent par exception une personne mariée à obtenir la reconnaissance juridique de son nouveau sexe sans avoir à mettre fin à un mariage préexistant. Dans vingt-quatre États membres, la situation est peu claire du fait de l’absence de réglementation spécifique. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1953, 1966 et 1995 et résident à Bruxelles.
A. Procédure au Maroc et arrivée en Belgique
Le premier requérant, M. Brahim Chbihi Loudoudi, et la deuxième requérante, Mme Loubna Ben Said, sont un couple marié de nationalité belge.
Par un courrier du 9 mars 2001, les deux premiers requérants sollicitèrent auprès de l’office des étrangers (« OE ») belge des informations concernant les démarches à suivre pour faire venir en Belgique un enfant qu’ils souhaitaient adopter. Les informations sur les étapes de la procédure et les documents à produire leur furent données le 14 mars 2001.
Les parents biologiques de la troisième requérante donnèrent leur consentement à une kafala (voir paragraphes 48 à 52, ci-dessous) et acte fut dressé au Maroc par des adouls instrumentaires le 4 septembre 2002. L’enfant était confiée par ses parents biologiques aux deux premiers requérants, « à l’effet de la prendre à leur propre charge par la voie de la kafala, veiller à tous ses intérêts, en fait de logement, nourriture et scolarisation, et subvenir à toutes ses nécessités générales de sa vie ; l’emmener avec eux en voyage tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Maroc, la loger avec eux à l’étranger ». La kafala fut constatée et l’acte ensuite homologué, le 5 septembre 2002, par le juge du notariat du tribunal de première instance de Meknès.
Un certificat fut délivré par ce même tribunal le 16 octobre 2003, établissant qu’il n’y avait pas eu de recours contre la décision rendue en première instance. Par décision du 11 novembre 2003, le même juge autorisa la sortie de l’enfant du territoire marocain vers la Belgique.
Le 19 août 2003, un acte d’adoption simple fut dressé en Belgique par un notaire.
Les requérants sollicitèrent un visa pour l’enfant le 8 août 2005 et obtinrent, le 19 septembre 2005, un visa de court séjour « en vue d’adoption » permettant à l’enfant d’entrer légalement sur le territoire belge munie de son passeport.
La troisième requérante arriva en Belgique le 8 décembre 2005. Une déclaration d’arrivée lui fut remise le lendemain, couvrant son séjour jusqu’au 7 mars 2006.
B. Situation relative au séjour de la troisième requérante
Durant les procédures d’adoption
Le 20 mars 2006, l’OE donna instruction à l’administration communale du lieu de résidence des requérants d’autoriser la troisième requérante « au séjour pour six mois en application de l’article 13 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (ci-après « loi sur les étrangers ») ». Il lui fut remis une pièce d’identité pour enfant de moins de douze ans valable jusqu’au 20 septembre 2006 avec mention « séjour temporaire ». Les instructions données par l’OE précisaient que la prorogation du titre de séjour était subordonnée à l’accord préalable du service regroupement familial et à la condition de la production d’une preuve récente émanant du tribunal de la jeunesse relative à l’évolution de la procédure en homologation de l’acte d’adoption.
Le titre fut prolongé eu égard à l’évolution de la première procédure d’adoption (voir paragraphes 33 à 36, ci-dessus).
Le 10 juin 2009, le procureur du Roi du parquet de Bruxelles informa l’OE de l’issue négative de la première procédure d’adoption et signala qu’il ne lui semblait pas que la deuxième demande (voir paragraphe 37, ci-dessous) puisse être accueillie, l’enfant ayant été confiée aux requérants par ses parents et non par l’autorité compétente de son État d’origine comme l’exigeait la nouvelle loi en matière d’adoption.
Le 14 juillet 2009, des instructions furent données pour prolonger le séjour de la troisième requérante en application des articles 9 et 13 de la loi sur les étrangers et lui délivrer un certificat d’inscription au registre des étrangers (« C.I.R.E. ») sous le couvert d’une carte A (« séjour temporaire ») valable jusqu’au 13 janvier 2010. Cette décision ainsi que les conditions de prorogation du titre de séjour furent communiquées à la représentante des requérants le 25 août 2009.
Le 16 décembre 2009, informé de la poursuite de la seconde procédure d’adoption, l’OE donna instruction de proroger le titre de séjour jusqu’au 13 juillet 2010.
Le 14 mai 2010, l’avocate des requérants adressa un courrier à l’administration demandant la prorogation du titre de séjour jusqu’en septembre 2010, au cas où la cour d’appel de Bruxelles ne se prononçait pas avant l’expiration du titre de séjour, et évoquant la planification d’un voyage au Maroc durant l’été.
Le 20 mai 2010, les services de l’OE répondirent par la négative considérant qu’il était préférable de statuer sur la prolongation de séjour lorsque la cour d’appel de Bruxelles se serait prononcée dans le cadre de la deuxième procédure d’adoption (voir paragraphes 39 à 41, ci-dessous). Le courrier précisait également :
« Si Monsieur veut planifier des vacances, il peut le faire car l’enfant est marocain et peut partir au Maroc. Pour revenir, il pourra demander un visa et il sera statué sur cette demande, dans les plus brefs délais (donc de manière prioritaire), en fonction des éléments qui seront alors présents au dossier ».
Entre-temps, le 19 mai 2010, la cour d’appel de Bruxelles avait rejeté la demande des requérants dans le cadre de la deuxième procédure d’adoption (voir paragraphes 40 et 41, ci-dessous).
Un document interne à l’OE intitulé « Note de synthèse / séjour », récapitulant toutes les étapes des procédures en matière de séjour suivies depuis l’arrivée de la troisième requérante en Belgique, précisait, sur ce dernier point, que si l’arrêt de la cour d’appel devait être négatif, la demande de visa serait rejetée, et s’il était positif, elle serait accordée.
Après la clôture de la seconde procédure d’adoption
Le 25 mai 2010, les requérants introduisirent une demande d’autorisation de séjour illimité fondée sur l’article 9bis de la loi sur les étrangers formulée en ces termes :
« K. invoque à l’appui de la présente demande le respect dû aux articles 2 et 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ainsi que l’article 22bis de la Constitution qui énonce comme la CIDE que l’intérêt de l’enfant doit être considéré comme un intérêt primordial dans toute mesure le concernant.
D’autre part, il y a lieu de prendre en considération la vie familiale de K. protégée par l’article 8 de la Convention (...). Il est incontestable que K. mène une vie familiale depuis 7 ans avec Monsieur et Madame Chbihi. Ne pas lui reconnaître un permis de séjour [pour une durée illimitée] serait une ingérence dans son droit au respect de la vie familiale. Elle serait totalement disproportionnée puisque nous nous accordons sur le fait qu’en cas d’adoption, K. bénéficierait d’un permis de séjour à durée illimitée.
Les effets d’une kafala sont similaires à ceux d’une adoption puisque K. est prise en charge par ses parents tant sur le plan financier que sur le plan de son éducation mais également sur le plan affectif.
Aucun des objectifs limitativement énumérés par l’article 8 § 2 ne paraissent pouvoir conduire l’État belge à demander à K. de quitter le territoire après 7 années de séjour légal temporaire et ce même si une adoption ne peut être prononcée. (...) »
Le 27 mai 2010, le service « accès et séjour – regroupement familial » informa les requérants que le titre de séjour dont avait été titulaire la jeune fille jusque-là ne pouvait être renouvelé au motif que la procédure d’adoption s’était clôturée négativement. Le courrier signalait également que le dossier relevait désormais de la compétence du service « régularisation » de l’OE. Le jour même, des instructions furent données par le service « accès et séjour » pour que soit pris un ordre de reconduire la troisième requérante dans son pays d’origine. Cette dernière décision ne fut pas notifiée aux requérants.
Le 17 juin 2010, l’administration informa les requérants que, moyennant preuve d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, ils pourraient postuler la prolongation du délai pour obtempérer à l’ordre de reconduire la jeune fille.
Le 12 juillet 2010, la représentante des requérants sollicita un traitement en urgence de la demande d’autorisation de séjour introduite en mai (voir paragraphe 22, ci-dessus). Elle souhaitait que la demande soit examinée en tenant compte des recommandations de la cour d’appel de Bruxelles (voir paragraphe 41, ci-dessous). Elle relança l’administration à plusieurs reprises courant 2010 et profita de ces occasions pour mettre le dossier à jour avec les éléments relatifs à la poursuite de la scolarité de la jeune fille et établissant la cohabitation avec ses parents. À chaque fois, la détresse de la jeune fille face à la précarité de son séjour et à l’incertitude qu’elle engendrait fut mentionnée.
Le 16 février 2011, des instructions furent données de délivrer à la troisième requérante une autorisation de séjour d’une durée d’un an sur la base de l’article 9bis de la loi sur les étrangers. La carte de séjour fut délivrée le 20 mars 2011.
Le titre de séjour fut renouvelé en 2012.
Le 25 février 2013, le titre de séjour de la troisième requérante ayant expiré le 16 février, les requérants contactèrent l’OE et sollicitèrent à nouveau un titre de séjour à durée illimitée soulignant que « même avec un permis de séjour à durée limitée, [la troisième requérante] subit des difficultés au quotidien. Ainsi à plusieurs reprises, elle n’a pas pu partir en voyage scolaire à l’étranger avec son école ». Ils s’inquiétaient aussi de ce que la jeune fille était à nouveau en situation illégale alors que le voyage scolaire de fin d’études à l’étranger approchait.
Le 10 mars 2013, la situation n’ayant pas évolué, les requérants relancèrent l’OE afin que leur demande soit traitée.
Le 19 mars 2013, l’OE prit une décision de renouvellement de l’autorisation de séjour temporaire sur la base des articles 9bis et 13 de la loi sur les étrangers.
La demande de séjour illimité fut rejetée par l’OE par une décision du 20 mars 2013 formulée en ces termes :
« La demande [du 25/02/2013] de séjour illimité est prématurée. En effet, l’intéressée n’est autorisée au séjour que depuis le 20/03/2011 date à laquelle elle a été mise en possession d’un titre de séjour temporaire (carte A). Dès lors, force est de constater que cette période est trop restreinte pour pouvoir lui accorder, dès à présent, un titre de séjour illimité.
Son titre de séjour reste donc temporaire et est renouvelé jusqu’au 16/02/2014. (...) »
En avril 2014, la troisième requérante se vit délivrer un titre de séjour d’une durée illimitée (« carte B »).
C. Procédures d’adoption
Première procédure d’adoption
Par requête déposée le 12 décembre 2005, les requérants demandèrent au tribunal de première instance de Bruxelles d’homologuer l’acte notarié d’adoption simple (voir paragraphe 10, ci-dessus).
Par jugement du 21 décembre 2006, le tribunal refusa l’homologation de l’acte notarié au motif que, contrairement au prescrit de l’article 350, ancien, du code civil, l’acte notarié ne contenait aucune mention selon laquelle l’enfant, âgée de moins de quinze ans, avait été représentée à l’acte par une des personnes qui avaient consenti à son adoption ni que ses parents consentaient à l’adoption.
Le 29 mars 2007, un acte rectificatif fut dressé, devant notaire, par lequel les père et mère biologiques marquèrent, par procuration, leur consentement à l’adoption.
La cour d’appel de Bruxelles confirma le jugement de première instance par un arrêt du 12 juin 2007. Après avoir souligné que les conditions prévues par la loi devaient être remplies lors de la passation de l’acte d’adoption, elle écarta l’acte rectificatif.
Seconde procédure d’adoption
Le 19 mai 2009, les requérants déposèrent une nouvelle requête en prononciation d’adoption d’enfant marocain. Ils s’appuyaient sur les dispositions transitoires de l’article 24sexies de la loi du 24 avril 2003 réformant l’adoption pour soutenir qu’ils remplissaient les conditions leur permettant d’adopter la jeune fille par application de la loi antérieure relative à l’adoption. Ils faisaient valoir que le consentement à l’adoption avait été donné, que l’adoption reposait sur de justes motifs et qu’elle était dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Invoquant l’article 8 de la Convention et la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg (no 76240/01, 28 juin 2007), ils soutenaient que les autorités belges ne pouvaient se dispenser d’un examen concret de la situation et passer outre une décision valablement prise à l’étranger. Ils déduisaient les justes motifs et l’intérêt supérieur de l’enfant du fait que celle-ci vivait avec les adoptants depuis de nombreuses années, qu’elle leur avait été valablement confiée par l’autorité marocaine, qu’elle les considérait comme ses parents, était bien intégrée dans son environnement belge et avait d’excellents résultats scolaires. De plus, sur le plan administratif, tant que l’adoption n’était pas prononcée, la jeune fille conservait la nationalité marocaine, ce qui posait des difficultés pratiques pour circuler en dehors de l’espace Schengen et retourner dans son pays d’origine.
Le procureur du Roi émit un avis défavorable qui fut suivi par le tribunal de première instance de Bruxelles dans un jugement du 3 mars 2010. Celui-ci refusa d’appliquer la législation antérieure à la loi du 24 avril 2003 au motif que, contrairement au prescrit de l’article 24sexies, l’acte de kafala passé au Maroc ne concernait pas un cas où l’enfant avait été confiée par les autorités compétentes de l’État d’origine de l’enfant aux adoptants mais par les parents. Le tribunal considéra qu’à la différence de l’affaire Wagner et J.M.W.L. précitée, il ne s’agissait pas en l’espèce de reconnaître une situation préexistante ayant des effets juridiques à l’étranger mais de créer une situation juridique nouvelle. S’il n’était pas contestable que la jeune fille et les requérants avaient noué des liens affectifs forts et qu’elle était parfaitement intégrée à leur foyer, il n’en restait pas moins que l’adoption nécessitait aussi que soient remplies les conditions légales, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Les requérants firent appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Bruxelles. À l’audience tenue en chambre du conseil le 28 avril 2010, la troisième requérante, alors âgée de quatorze ans, fut entendue et demanda que l’adoption soit prononcée.
Dans un arrêt du 19 mai 2010, la cour d’appel de Bruxelles considéra que le premier juge avait décidé à juste titre que les dispositions transitoires de l’article 24sexies de la loi du 24 avril 2003 ne s’appliquaient pas. Ni la kafala adoulaire ni la décision du tribunal de première instance de Meknès du 11 novembre 2003 ne constituaient une décision de l’autorité visée par cette disposition. Elle poursuivit en ces termes :
« Une kafala valablement établie au Maroc crée certes un lien juridique entre K. et les époux (...). Ceux-ci revendiquent à juste titre, dans l’intérêt de l’enfant, que le lien juridique ainsi créé puisse produire des effets en Belgique.
L’adoption qu’ils sollicitent constitue cependant un statut juridique nouveau, différent, qui notamment crée un lien de filiation que ne crée pas la kafala. L’établissement d’un tel lien est d’ailleurs délicat en l’espèce, puisque K. garde des contacts avec sa mère, qui habite Meknès tout comme les grands-parents maternels chez qui les appelants séjournent chaque fois qu’ils se rendent en vacances au Maroc. Le risque que l’adoption établie en Belgique ne soit pas reconnue au Maroc est une difficulté supplémentaire.
À l’occasion d’une question orale posée au Sénat, [la] ministre de la Justice a déclaré que la "kafala en tant que telle peut être reconnue en Belgique mais en l’assimilant à un type de tutelle connu en droit belge. Je suis d’avis qu’une qualification comme tutelle officieuse s’impose". »
Après avoir déclaré l’appel non fondé, la cour d’appel indiqua qu’elle était toutefois sensible au fait que les requérants s’étaient soumis aux consignes reçues de l’OE et s’étaient senti insécurisés du fait de l’absence d’un titre de séjour définitif. Elle émit l’avis qu’eu égard à la durée de son séjour en Belgique et à son parcours scolaire, il était incontestablement dans l’intérêt de l’enfant que les effets de la kafala soient reconnus en Belgique. Elle souligna in fine que dans l’attente de la ratification, par la Belgique, de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, la jeune fille pouvait compter sur la protection offerte par l’article 22bis de la Constitution belge et l’article 20 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.
Les requérants déposèrent une requête en assistance judiciaire en vue de se pourvoir en cassation devant la Cour de cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. Dans leur requête, ils complétèrent leur argumentaire, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, en se référant à l’arrêt Moretti et Benedetti c. Italie (no 16318/07, 27 avril 2010).
Le 9 juillet 2010, un avocat à la Cour de cassation remit au bureau d’assistance judiciaire (« BAJ ») de la Cour de cassation un avis qui concluait à l’absence de chance de succès du pourvoi. L’avis soulignait notamment que la cour d’appel avait considéré que la reconnaissance de l’adoption ne correspondait pas nécessairement à l’intérêt de l’enfant. Il se référait également à un arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2003 qui avait considéré que l’article 8 n’obligeait pas les États à accorder à une personne le statut d’adoptant ou d’adopté. Sur la base de cet avis, le BAJ rejeta la demande des requérants par une décision du 27 juillet 2010.
Les requérants n’ont par la suite pas introduit de pourvoi en cassation.
D. Situation personnelle de la troisième requérante
Dès son arrivée en Belgique, la jeune fille fut scolarisée et suivit, avec succès, toute sa scolarité dans un établissement d’enseignement primaire puis au sein d’une école d’enseignement secondaire général.
Il ressort des bulletins scolaires trimestriels ainsi que de plusieurs courriers établis par l’équipe pédagogique et la direction de l’école d’enseignement secondaire que la troisième requérante a eu de très bons résultats tout au long de sa scolarité et était bien intégrée.
En avril 2011, en raison de l’absence d’un titre de séjour au moment des formalités de voyage (voir paragraphe 25, ci-dessus), la troisième requérante ne put participer à un voyage organisé par son école à Amsterdam et à York.
La troisième requérante a versé au dossier plusieurs courriers qu’elle a adressés à la représentante des requérants et à l’administration et dans lesquels elle fait part de son incompréhension, de sa souffrance et de sa tristesse face au refus de prononciation de l’adoption. Elle y souligne que son oncle et sa tante sont ses « vrais parents » qui l’ont prise en charge, protégée et éduquée alors que ses parents biologiques avaient comme projet de l’abandonner dans un orphelinat parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’élever leurs enfants. Elle indique considérer la Belgique comme étant son pays et n’avoir pas d’attache au Maroc autre que les voyages annuels durant les grandes vacances. Elle précise qu’elle n’a eu que très peu de contacts avec sa mère biologique qu’elle a vue une dizaine de fois à l’occasion de réunions familiales et n’avoir jamais revu son père biologique, entre-temps divorcé de sa mère, depuis son départ du Maroc. Elle fait également état de la honte qu’elle a ressentie tout au long de sa scolarité vis-à-vis de ses camarades de classe du fait de son séjour précaire, de la souffrance qu’a engendré l’impossibilité de participer à un voyage scolaire et du stress généré par cette situation à l’approche de chaque voyage scolaire.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La kafala
Textes internationaux
Le régime juridique de la kafala en droit islamique est décrit dans l’arrêt Harroudj c. France (no 43631/09, §§ 15 et 16, 4 octobre 2012).
Les dispositions relatives à la kafala dans les instruments internationaux sont également énoncées dans l’arrêt Harroudj précité (§§ 18 à 20). Il s’agit des articles 20 et 21 de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant ratifiée par la Belgique le 16 décembre 1991, des articles 1er, 2 et 4 de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, ratifiée par la Belgique le 26 mai 2005, ainsi que des articles 1er, 3 et 4 de la Convention du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, ratifiée par la Belgique le 28 mai 2014.
Droit marocain
Le code de la famille prohibe la filiation adoptive. L’article 149 de l’actuel code de la famille se lit ainsi :
« L’adoption n’a aucune valeur juridique et n’entraîne aucun des effets de la filiation. »
Le droit marocain connaît l’institution de la kafala. Elle est réglée par la loi no 15-01 du 13 juin 2002 relative à la prise en charge des enfants abandonnés, traduction publiée au Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, no 5036 du 5 septembre 2002. Selon l’article 2 de la loi, la kafala est l’engagement de prendre en charge la protection, l’éducation et l’entretien d’un enfant abandonné au même titre que le ferait un père pour son enfant. La kafala ne donne pas de droit à la filiation ni à la succession. La notion d’« enfant abandonné » est définie par l’article 1er de la loi qui se lit comme suit :
« Est considéré comme enfant abandonné tout enfant de l’un ou de l’autre sexe n’ayant pas atteint l’âge de 18 années grégoriennes révolues lorsqu’il se trouve dans l’une des situations suivantes :
- être né de parents inconnus ou d’un père inconnu et d’une mère connue qui l’a abandonné de son plein gré ;
- être orphelin ou avoir des parents incapables de subvenir à ses besoins ou ne disposant pas de moyens légaux de subsistance ;
- avoir des parents de mauvaise conduite n’assumant pas leur responsabilité de protection et d’orientation en vue de le conduire dans la bonne voie, comme lorsque ceux-ci sont déchus de la tutelle légale ou que l’un des deux, après le décès ou l’incapacité de l’autre, se révèle dévoyé et ne s’acquitte pas de son devoir précité à l’égard de l’enfant. »
En vertu des articles 6 et 7 de la loi, l’enfant est déclaré abandonné par le tribunal de première instance, puis mis sous la protection du juge des tutelles. La procédure de la kafala proprement dite est réglée par les articles 14 à 18 de la loi. En vertu de ces dispositions, le juge des tutelles peut, après avoir ordonné une enquête sur la capacité des personnes qui demandent la kafala sur l’enfant, leur confier l’enfant.
Avant l’entrée en vigueur de cette loi, la kafala d’un enfant déclaré abandonné pouvait également être constatée par deux adouls. Les adouls sont des officiers publics chargés d’établir des actes devant ultérieurement recevoir un caractère authentique. Ces officiers n’ont pour responsabilité que de constater des déclarations ou des témoignages sans faculté d’appréciation sur l’opportunité de la mesure envisagée. Cette kafala coutumière ou « notariale », assimilable à un engagement unilatéral de la part des personnes voulant prendre l’enfant en charge, pouvait faire l’objet d’un jugement d’homologation qui conférait à l’acte adoulaire un caractère authentique. La prise en charge de l’enfant ne faisait pas disparaître les obligations des parents légitimes à l’égard de l’enfant.
B. L’adoption d’un enfant placé sous kafala en droit belge
Constitution belge
La Constitution belge contient une disposition spécifique relative à la protection des droits des enfants. Il s’agit de l’article 22bis qui se lit comme suit :
Article 22bis
« Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.
Chaque enfant a le droit de s’exprimer sur toute question qui le concerne ; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement.
Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement.
Dans toute décision qui le concerne, l’intérêt de l’enfant est pris en considération de manière primordiale.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent ces droits de l’enfant. »
Régime d’adoption antérieur au 1er septembre 2005
La procédure, régie par les articles 344 à 350 du code civil, permettait l’adoption par ses kafils d’un enfant marocain leur remis par une kafala, pour autant qu’ait été remplie la condition de consentement des parents biologiques lorsque ceux-ci étaient en vie et que l’enfant ait été représenté par les personnes ayant consenti à son adoption lors de la passation de l’acte d’adoption par le notaire ou devant le juge de paix, lequel acte devait ensuite être homologué par le tribunal de première instance.
La loi du 24 avril 2003 réformant l’adoption
La législation belge en matière d’adoption a fait l’objet d’une refonte suite à la loi du 24 avril 2003 réformant l’adoption, entrée en vigueur au 1er septembre 2005.
Cette réforme avait un double objectif. Elle visait à apporter au droit belge les modifications nécessaires à la mise en œuvre de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 précitée. Cette convention établit des garanties pour que les adoptions internationales aient lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en droit international. Elle instaure un système de coopération entre les États contractants pour assurer le respect de ces garanties et prévenir ainsi l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants (Documents parlementaires, Chambre des représentants, session 2000-2001, doc. 50-1366/001, p. 5).
La nouvelle législation (articles 361-3 et 361-4 du code civil) prévoit plus de garanties pour les adoptés. Toute procédure d’adoption doit être initiée et encadrée en Belgique. Les candidats à l’adoption doivent suivre, préalablement à toutes démarches à l’étranger, une préparation à l’adoption et obtenir un jugement belge les déclarant qualifiés et aptes à adopter un enfant.
Par dérogation aux articles 361-3 et 361-4 du code civil, l’article 361-5, inséré dans le code civil par la loi du 6 décembre 2005 modifiant certaines dispositions relatives à l’adoption, permet de déplacer un enfant de son pays d’origine qui ne connaît pas l’adoption vers la Belgique en vue de son adoption et de l’adopter moyennant certaines conditions dont celle que l’enfant soit orphelin de père et de mère ou avoir été abandonné et placé sous la tutelle de l’autorité publique. Selon les travaux préparatoires, ladite tutelle vise une décision de tutelle dans le chef des adoptants, par exemple un jugement de kafala en droit marocain ou algérien.
Peu après l’adoption de la loi du 6 décembre 2005 précitée, la ministre de la Justice de l’époque précisa, en réponse à une question parlementaire, les motifs ayant soutenu l’insertion de cette disposition (Documents parlementaires, Sénat, annales no 3-140, session du 15 décembre 2005, question orale no 3-914) :
« J’informe (...) que la loi du 6 décembre 2005 modifiant certaines dispositions relatives à l’adoption, qui sera publiée demain au Moniteur belge, règle, en son nouvel article 361-5, tous les problèmes actuels en matière d’adoption d’un makfoul, c’est-à-dire d’un enfant placé sous kefala. Le déplacement de l’enfant en vue de l’adoption est désormais autorisé en cas de décès des parents de l’enfant ou lorsque l’enfant a fait l’objet, dans son pays d’origine, d’une décision d’abandon et d’une mise sous tutelle de l’autorité publique. En dehors de ces cas, l’adoption n’est pas permise, pour éviter des abus qui vont à l’encontre des intérêts de l’enfant.
Afin de permettre son adoption, la nouvelle loi modalise les importantes garanties de la loi réformant l’adoption, portant sur le consentement des instances concernées et des parents originaux.
Vu qu’un accord explicite de ces instances avec l’adoption n’est pas possible, comme leur législation ne connaît pas l’adoption, cette exigence est remplacée par la preuve que l’autorité compétente de l’État d’origine a établi une forme de tutelle sur l’enfant, dans le chef du ou des adoptants et que l’autorité centrale communautaire et l’autorité compétente de l’État d’origine ont approuvé par écrit la décision de leur confier l’enfant, en vue de son déplacement à l’étranger. »
En outre, au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 24 avril 2003, certains candidats à l’adoption étaient déjà engagés dans un projet d’adoption sans avoir vu la procédure aboutir. Il en résultait un problème concernant la détermination du droit applicable, lacune que des mesures transitoires, insérées dans la loi du 24 avril 2003 par la loi du 6 décembre 2005 précitée, sont venues combler.
Parmi ces mesures transitoires figure l’article 24sexies qui vise les enfants confiés en kafala avant le 1er septembre 2005 et qui se lit comme suit :
« Dans le cas où le droit applicable dans l’État d’origine de l’enfant ne connaît ni l’adoption, ni le placement en vue d’adoption :
1o les dispositions du droit antérieur qui régissent les conditions relatives à l’admissibilité et aux conditions de fond de l’adoption s’appliquent si un enfant a été confié par l’autorité compétente de l’État d’origine de l’enfant à l’adoptant ou aux adoptants avant le 1er septembre 2005.
(...) »
Dans sa réponse précitée, la ministre de la Justice donna les explications suivantes à l’insertion de l’article 24sexies :
« Des mesures transitoires ont aussi été insérées dans la loi. Le nouvel article 24sexies de la loi du 24 avril 2003 distingue deux hypothèses.
Si l’enfant a été confié à l’adoptant ou aux adoptants, par l’autorité compétente de l’État d’origine, avant le 1er septembre 2005, les dispositions du droit antérieur qui régissent les conditions relatives à l’admissibilité et aux conditions de fond de l’adoption s’appliquent. De plus, la condition visée à l’article 344 ancien du Code civil - à savoir les conditions de séjour en Belgique des candidats adoptants et de l’enfant - peut être écartée si les nouvelles règles de droit international privé sont remplies et si l’adoptant ou les adoptants ont suivi la préparation et obtenu le jugement d’aptitude.
Si l’enfant a été confié, entre le 1er septembre 2005 et la date d’entrée en vigueur de la loi (du 6 décembre 2005) - le 26 décembre (2005) - la nouvelle loi s’applique, sous réserve de la régularisation du transfert de l’enfant qui a eu lieu entre-temps, à condition que les personnes concernées suivent une préparation et obtiennent le jugement d’aptitude.
Pour répondre à votre deuxième question, la kafala en tant que telle peut être reconnue en Belgique mais en l’assimilant à un type de tutelle connu en droit belge. Je suis d’avis qu’une qualification comme tutelle officieuse s’impose.
En ce qui concerne (votre question de savoir si l’enfant porteur d’une kafala peut faire l’objet d’une procédure de tutelle officieuse en Belgique), je vous dirai que les deux institutions sont équivalentes. L’enfant ne doit donc pas nécessairement faire l’objet d’une tutelle officieuse.
Je vous informe en revanche que la plupart des personnes qui viennent en Belgique avec un makfoul, ont l’intention d’adopter l’enfant.
Enfin, concernant votre dernière question relative aux titres de séjour, je pense que vous devez vous adresser à mon collègue de l’Intérieur. Je préciserai simplement qu’il est dans l’intérêt de l’enfant d’obtenir le meilleur statut possible en Belgique. Un enfant orphelin ou abandonné a peu de chance de retour. Pourquoi donc ne pas stimuler son adoption au lieu de limiter le lien juridique à celui d’une tutelle officieuse ? »
Le régime de la tutelle officieuse
Le régime de la tutelle officieuse est régi par les articles 475bis à 475septies du code civil. L’article 475bis est ainsi formulé :
« Lorsqu’une personne âgée d’au moins 25 ans s’engage à entretenir un enfant non émancipé, à l’élever et à le mettre en état de gagner sa vie, elle peut devenir son tuteur officieux moyennant l’accord de ceux dont le consentement est requis pour l’adoption des mineurs. »
La tutelle officieuse est constatée par acte authentique dressé par notaire ou juge de paix et entériné par le tribunal de la jeunesse.
C. Règles pertinentes de droit belge relatives au séjour
Une personne étrangère, qui se trouve en Belgique en séjour irrégulier ou précaire, peut demander une autorisation de séjour de plus de trois mois en application de l’article 9 de la loi sur les étrangers. La demande peut être introduite directement sur le territoire belge notamment dans le cas où l’intéressé est, au moment de l’introduction de la demande, déjà admis ou autorisé au séjour en Belgique pour un court ou un long séjour.
Une demande de séjour de plus de trois mois peut également être faite sur pied de l’article 9bis de la loi sur les étrangers si l’étranger invoque des « circonstances exceptionnelles », autres que des motifs médicaux. Les circonstances exceptionnelles ne sont pas précisées dans la loi. Il appartient à l’OE d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, les circonstances alléguées par l’étranger.
Lorsque l’intéressé a fait état, dans une demande d’autorisation de séjour sur base de l’article 9bis, d’indications sérieuses et avérées d’une possible violation des articles 3 et 8 de la Convention, l’administration ne peut ensuite exercer ses pouvoirs de police conférés par l’article 7 de la loi sur les étrangers et mettre à exécution un ordre de quitter le territoire sans avoir égard à la protection de ces droits fondamentaux. Elle est tenue, au titre des obligations générales de motivation formelle et de bonne administration qui lui incombent, de statuer en prenant en considération tous les éléments pertinents qui sont portés à sa connaissance au moment où elle statue, y compris la demande qui aurait été faite au préalable faite sur la base de l’article 9bis de la loi sur les étrangers (Conseil du contentieux des étrangers, arrêt no 14.731, 31 juillet 2008).
La durée et les conditions de prolongation des autorisations de séjour sont énoncées à l’article 13 de la loi sur les étrangers et l’article 33 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. L’article 13 § 1 alinéa 1er de la loi prévoit que l’autorisation de séjour délivrée sur la base des articles 9 et 9bis vaut en principe pour une durée limitée. Elle n’est octroyée pour une durée illimitée que lorsque, dans un cas concret, l’OE en donne expressément l’instruction à l’administration communale. Cette disposition est mise en œuvre par l’article 33 de l’arrêté royal précité. Les extraits pertinents desdites dispositions sont les suivants :
Article 13 de la loi sur les étrangers
« § 1er. Sauf prévision expresse inverse, l’autorisation de séjour est donnée pour une durée limitée, soit fixée par la présente loi, soit en raison de circonstances particulières propres à l’intéressé, soit en rapport avec la nature ou la durée des prestations qu’il doit effectuer en Belgique.
(...)
Le titre de séjour délivré à un étranger autorisé ou admis au séjour pour une durée limitée est valable jusqu’au terme de validité de l’autorisation ou de l’admission.
(...)
§ 2. Le titre de séjour est prorogé ou renouvelé, à la demande de l’intéressé, par l’administration communale du lieu de sa résidence, à la condition que cette demande ait été introduite avant l’expiration du titre et que le ministre ou son délégué ait prorogé l’autorisation pour une nouvelle période ou n’ait pas mis fin à l’admission au séjour.
Le Roi détermine les délais et les conditions dans lesquels le renouvellement ou la prorogation des titres de séjour doit être demandé.
§ 3. Le ministre ou son délégué peut donner l’ordre de quitter le territoire à l’étranger autorisé à séjourner dans le Royaume pour une durée limitée, fixée par la loi ou en raison de circonstances particulières propres à l’intéressé ou en rapport avec la nature ou de la durée de ses activités en Belgique, dans un des cas suivants :
1o lorsqu’il prolonge son séjour dans le Royaume au-delà de cette durée limitée ;
2o lorsqu’il ne remplit plus les conditions mises à son séjour ;
3o lorsqu’il a utilisé des informations fausses ou trompeuses ou des documents faux ou falsifiés, ou a recouru à la fraude ou à d’autres moyens illégaux qui ont été déterminants pour obtenir l’autorisation de séjour.
(...) »
Article 33 de l’arrêté royal sur les étrangers
« (...)
Lorsque l’étranger a introduit sa demande de renouvellement, conformément à l’alinéa 1er, et que le Ministre ou son délégué n’a pas été en mesure de prendre une décision concernant cette demande avant l’expiration du titre de séjour dont il est titulaire, le Bourgmestre ou son délégué le met en possession d’une attestation conforme au modèle figurant à l’annexe 15.
Cette attestation couvre provisoirement le séjour de l’étranger sur le territoire du Royaume. La durée de validité de cette attestation est de quarante-cinq jours et peut être prorogée à deux reprises pour une même durée. »
En application de l’article 19 de la loi sur les étrangers, l’étranger qui quitte la Belgique, porteur d’un titre de séjour ou d’établissement valable, dispose d’un droit de retour dans le Royaume pendant un an.
L’étranger admis ou autorisé à séjourner plus de trois mois en Belgique est inscrit au registre des étrangers par l’administration communale du lieu de sa résidence (article 12 de la loi sur les étrangers). Il se voit délivrer un certificat d’inscription au registre des étrangers (« C.I.R.E. ») qui a la même durée que l’autorisation de séjour. S’il s’agit d’un séjour temporaire, une « carte A » est délivrée ; s’il s’agit d’un séjour illimité, une « carte B » est délivrée. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant, M. Henry de Lesquen du Plessis-Casso, est un ressortissant français, né en 1949 et résidant à Versailles.
À la suite de l’invitation lancée par le député-maire de Versailles E.P. à une cérémonie d’hommage aux auxiliaires de l’armée française pendant la guerre d’Algérie (achevée en 1962), désignés par le terme « harkis », le requérant, conseiller municipal de Versailles et président de l’Union pour le Renouveau de Versailles, lui adressa une lettre ouverte diffusée sur internet le 23 septembre 2006, qui se lit comme suit :
« Pas vous, pas ça, M. [P.] !
Lettre ouverte à [E.P.] sur l’hommage aux Harkis
Monsieur le Maire,
Vous avez invité les Versaillais à participer à une cérémonie d’hommage aux Harkis, qui aura lieu le 25 septembre, à 11 heures, devant le monument aux morts de l’hôtel de ville.
Je me réjouis qu’à l’initiative du ministre des anciens combattants nos concitoyens soient appelés à commémorer le sacrifice des musulmans d’Algérie qui ont choisi de se battre pour la France contre la rébellion.
Mais je suis surpris, et, je dois vous le dire, scandalisé, que ce soit vous qui nous invitiez à cette cérémonie du souvenir.
En effet, en dépit de votre âge, vous n’avez pas fait de service militaire en Algérie. Pourquoi ? Comme me l’a confié, un jour, une éminente personnalité versaillaise : "[E.P.], qui était de nationalité étrangère, a attendu la fin de la guerre d’Algérie pour demander sa naturalisation". Or, vous étiez engagé activement dans la vie politique nationale depuis plusieurs années déjà, en 1962, auprès d’un député, dont vous étiez l’attaché parlementaire, ainsi que dans l’appareil du parti majoritaire ! Vous auriez assurément dû devenir français beaucoup plus tôt, si vous aviez eu à cœur de servir sous le drapeau français pendant la guerre d’Algérie, aux côtés des Harkis. Mais vous ne l’avez pas voulu.
J’aurais eu scrupule à évoquer cet épisode peu glorieux de votre carrière si vous n’aviez pas eu l’indécence de prier les Versaillais, sous votre nom, de participer à la cérémonie du 25 septembre.
Ces simagrées, de votre part, paraissent d’autant plus odieuses quand on connaît vos accointances avec l’extrême gauche la plus antimilitariste, dont vous relayez systématiquement les revendications au sein de la majorité actuelle : les exemples en sont multiples, qu’il s’agisse du soutien aux immigrés illégaux, de la campagne pour l’abolition de la prétendue "double peine", ou encore de la mobilisation des intermittents du spectacle contre la réforme proposée par le gouvernement, etc. Je n’oublie pas non plus votre appui enthousiaste de la loi de socialisation et de révolution urbaines (S.R.U.) de l’ex-ministre communiste Gayssot. Ni l’incroyable délibération que vous avez fait adopter par le conseil municipal pour réserver certains avantages aux agents municipaux de nationalité étrangère "en raison de leur nationalité" (sic), délibération que j’ai dû faire annuler par la Justice.
Tout le démontre : en dépit de votre étiquette de droite, qui est un leurre, vous êtes idéologiquement beaucoup plus proche des anciens porteurs de valises du F.L.N. que des défenseurs des Harkis.
Oh ! c’est vrai, il vous est arrivé, dans votre carrière, de prendre fait et cause pour un musulman d’Algérie, en convoquant les média à cette occasion. C’était en 2002. Il s’appelait [C.B.]. Celui-là était Algérien, il n’était pas Français. C’était un délinquant multirécidiviste, sept fois condamné pour vols, violences, cambriolages, trafic de stupéfiants et conduite en état d’ivresse... Vous avez obtenu – avec l’aide du socialiste [J.L.], avec qui vous vous étiez acoquiné – qu’il reste en France, en empêchant son expulsion vers l’Algérie. (...)
Vous n’avez pourtant jamais exprimé de remords d’avoir pris le parti de ce dangereux criminel... (...)
Les Harkis, eux aussi, sont des victimes ; des victimes de l’histoire. Vous étiez, parmi les Français, l’un des moins qualifiés pour leur rendre hommage. Cette page de l’histoire de France est trop douloureuse pour que l’on puisse accepter une odieuse tentative de récupération politicienne du sacrifice des Harkis, par quelqu’un qui a choisi de déserter leur combat (...) ».
E.P. fit citer le requérant devant le tribunal correctionnel de Versailles pour y répondre du délit de diffamation publique envers un particulier, prévu et réprimé par les articles 29, 32 et 48 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en raison de plusieurs passages du courrier du 23 septembre 2006, diffusé au public :
« En effet, en dépit de votre âge, vous n’avez pas fait de service militaire en Algérie. Pourquoi ? Comme me l’a confié, un jour, une éminente personnalité versaillaise : "[E.P.], qui était de nationalité étrangère, a attendu la fin de la guerre d’Algérie pour demander sa naturalisation". »
« Vous auriez assurément dû devenir français beaucoup plus tôt, si vous aviez eu à cœur de servir sous le drapeau français pendant la guerre d’Algérie, aux côtés des Harkis. Mais vous ne l’avez pas voulu. »
« Les Harkis, eux aussi, sont des victimes ; des victimes de l’histoire. Vous étiez, parmi les Français, l’un des moins qualifiés pour leur rendre hommage. Cette page de l’histoire de France est trop douloureuse pour que l’on puisse accepter une odieuse tentative de récupération politicienne du sacrifice des Harkis, par quelqu’un qui a choisi de déserter leur combat. »
E.P. reprocha au requérant de lui avoir imputé des faits portant atteinte à son honneur et à sa considération au sens des dispositions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. Selon lui, des propos diffamatoires avaient été proférés à son encontre. Le requérant se défendit en affirmant que la date de naturalisation de l’intéressé lui avait été révélée par A.D., ancien maire de Versailles, et M.R.-B., ancien adjoint aux finances du premier.
Par un jugement du 18 juin 2007, le tribunal déclara le requérant coupable des faits reprochés, après avoir constaté le caractère diffamatoire des propos et refusé de lui accorder le bénéfice de la bonne foi. Dans leur motivation, les juges constatèrent qu’il ne versait aux débats aucun élément permettant d’étayer, d’une manière ou d’une autre, l’accusation lancée contre le plaignant, qu’ils qualifièrent de grave. En revanche, ils relevèrent, d’une part, qu’E.P. justifiait qu’il s’était trouvé, à l’époque considérée, compte tenu de son âge et de sa situation d’étudiant, en position de sursitaire, au regard de la législation belge (de 1957 à 1961), qu’il avait effectué une préparation militaire supérieure en France (en 1959), puis son service national (en 1964 et 1965) et, d’autre part, que le requérant ne donnait aucune indication sur ses sources, se bornant à citer, au cours de l’audience, le nom de « l’éminente personnalité versaillaise » évoquée dans le document, sans cependant s’assurer de son témoignage. Le tribunal observa que si le droit de critique et la polémique politique autorisent une large liberté d’expression, notamment pour discuter de l’aptitude d’un homme public à exercer sa mission, encore faut-il que le débat prenne assise sur des faits avérés, de manière à éclairer utilement l’opinion publique ; à défaut, l’attaque se réduit à l’invective, qui ne saurait nourrir la démocratie et se réclamer du droit de la liberté d’expression.
Le tribunal condamna le requérant à payer 2 000 euros (EUR) d’amende et un EUR de dommages-intérêts. Il ordonna, à titre de complément de réparation civile, l’insertion, par extraits, de la décision dans deux quotidiens ou hebdomadaires. Le requérant interjeta appel du jugement.
Par un arrêt du 20 mars 2008, la cour d’appel de Versailles confirma le jugement sur la culpabilité et condamna le requérant à payer 1 500 EUR d’amende ainsi que 2 000 EUR de dommages-intérêts. La cour d’appel releva notamment que les propos litigieux portaient indiscutablement atteinte à l’honneur et à la considération d’E.P., celui-ci se voyant reprocher d’avoir « déserté » le combat des harkis et étant ainsi associé à ceux qui avaient fait le choix de soutenir les rebelles algériens. Elle observa que si les critères habituels de la bonne foi justifiaient un assouplissement conséquent dans le cadre d’une polémique électorale ou d’un débat public équilibré de nature à préserver la liberté d’expression, le durcissement observé dans la vie politique versaillaise ayant alimenté de nombreuses procédures judiciaires et provoqué un recul sensible de l’expression démocratique au sein du conseil municipal, ne justifiait pas tous les excès et dérives. Elle ajouta qu’en ayant choisi, hors période électorale, d’entamer un débat public par le biais d’une lettre ouverte écrite hors toute passion polémique, sur un sujet totalement isolé de son contexte, le requérant n’avait pas poursuivi de but légitime. Constatant qu’il n’avait étayé son propos d’aucun élément extérieur probant, se contentant d’une rumeur versaillaise pour faire dévier ce qui aurait pu être un débat d’idées, sur la place réservée aux harkis par la communauté nationale, vers une approche touchant à un aspect de la vie privée du maire de Versailles, elle considéra que les propos émis par le requérant révélaient en cela une animosité personnelle particulièrement affichée. Selon elle, l’antagonisme persistant entre les deux hommes devait l’inciter à une prudence extrême et à un devoir d’enquête fiable et documentée, encore plus conséquent. Enfin, elle estima qu’aucun des critères traditionnellement retenus en matière de bonne foi n’était réuni en l’espèce.
Le requérant se pourvut en cassation, dénonçant une violation de l’article 10 de la Convention.
Le 8 décembre 2009, la Cour de cassation rejeta son pourvoi.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le droit interne pertinent est décrit dans les arrêts Renaud c. France (no 13290/07, § 16, 25 février 2010) et Brunet-Lecomte et Lyon Mag’ c. France (no 17265/05, § 26, 6 mai 2010). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né le 9 janvier 1981 et réside à Athènes.
Le 19 décembre 2003, il saisit le tribunal de première instance d’Athènes d’une action en recherche de paternité, soutenant que Y.M., compositeur très connu en Grèce, était son père. Le recours fut notifié à Y.M. le 22 décembre 2003.
Plus précisément, le requérant affirmait qu’il avait été conçu hors mariage par E.K., sa mère, et Y.M. Il précisait que sa mère ne lui avait jamais révélé l’identité de son père durant son enfance et son adolescence, et qu’elle lui avait seulement indiqué que son père était une personne très importante et connue en Grèce, qu’il avait fondé une autre famille et qu’il ne souhaitait pas avoir de relations avec lui. D’après le requérant, sa mère, soucieuse d’éviter tout scandale au détriment d’Y.M., avait interdit à sa propre mère et à toute autre personne ayant connaissance de l’identité de son père de la lui révéler, et ce n’est que quelques jours avant son décès, le 10 août 2001, qu’elle lui aurait révélé que son père était Y.M. Le requérant expliquait qu’il avait alors recherché puis rencontré Y.M. le 31 août 2001, lors d’un concert, et que ce dernier avait nié être son père, lui avait déclaré ne pas souhaiter le revoir et lui avait dit que sa mère « était folle et radotait ». Cependant, pour le requérant, sa ressemblance physique avec Y.M. ne permettait pas de mettre en doute les dires de sa mère.
Le requérant ajoutait que, n’ayant pas été convaincu par le comportement de Y.M., il avait essayé de prendre contact avec des personnes susceptibles d’être au courant de la relation entre sa mère et Y.M. D’après lui, le 23 décembre 2002, lors d’une fête de famille, sa marraine, amie proche de sa mère, lui avait dévoilé que celle-ci et Y.M. avaient eu une relation entre juillet 1979 et juillet 1980, cette période comprenant celle de sa conception, que Y.M. était son père biologique et qu’il avait incité sa mère à interrompre sa grossesse. Le 8 janvier 2003, par acte d’huissier de justice, le requérant convia Y.M. à entamer les démarches nécessaires pour faire reconnaître sa paternité, indiquant qu’à défaut il saisirait les juridictions compétentes.
Y.M. n’ayant pas donné de suite favorable à sa demande, le requérant saisit le tribunal de première instance d’Athènes le 19 décembre 2003 d’une action en recherche de paternité. Il soutenait, entre autres, que Y.M. avait ébranlé de manière dolosive sa croyance en la parole de sa mère selon laquelle Y.M. était son père. L’audience eut lieu le 1er novembre 2004 en l’absence de Y.M. ; la marraine du requérant y fit une déposition en tant que témoin.
Par un jugement du 4 juillet 2005, le tribunal rejeta l’action en recherche de paternité en se fondant sur l’article 1483 du code civil, aux termes duquel le droit de l’enfant d’exercer une action en reconnaissance de paternité s’éteint un an après sa majorité. Il releva que le requérant avait atteint sa majorité le 9 janvier 1999 et que, s’il prétendait avoir eu connaissance de l’identité de son père le 10 août 2001 et l’avoir rencontré le 31 août 2001, il ne précisait nullement en quoi il avait été induit en erreur de manière dolosive comme il le soutenait. D’après le tribunal, l’attitude de Y.M., qui aurait déclaré que la mère du requérant « était folle et radotait » et qui aurait nié sa paternité, ne constituait pas un comportement trompeur ou dolosif. De plus, le tribunal nota que le requérant ne mentionnait aucun cas de force majeure qui l’aurait contraint à n’agir qu’en 2003, quatre ans après le délai fixé par l’article précité. Le tribunal reconnut cependant l’existence d’une grande ressemblance physique entre le requérant et Y.M.
Le 15 septembre 2005, le requérant interjeta appel du jugement devant la cour d’appel d’Athènes.
L’audience devant la cour d’appel eut lieu le 22 mars 2007. Y.M. y assista et nia avoir rencontré le requérant le 31 août 2001.
Le 28 septembre 2007, la cour d’appel débouta le requérant.
Pour confirmer le jugement de première instance, elle entérina la motivation retenue par le tribunal. De plus, répondant à un moyen du requérant fondé, entre autres, sur les articles 6 et 8 de la Convention, elle souligna que le législateur était libre de fixer des délais de prescription pour l’exercice de certaines actions et que cette prérogative n’était pas contraire aux principes d’égalité et de sécurité juridique. Elle ajouta que la finalité sous-tendant l’instauration de tels délais était de préserver l’intérêt général et d’éviter que des situations, telles que celles liées à une recherche de paternité, ne restent trop longtemps en suspens.
Enfin, la cour d’appel rejeta le moyen du requérant selon lequel Y.M. avait tenté de l’induire en erreur de manière dolosive et l’avait empêché d’introduire plus tôt son action, ce qui aurait eu pour conséquence que le délai de prescription avait été suspendu par application de l’article 255 du code civil. Elle releva que, indépendamment du démenti apporté par Y.M. quant à l’existence d’une rencontre avec le requérant, Y.M. avait, selon la version du requérant, directement et immédiatement exclu tout lien biologique avec l’intéressé. D’après la cour d’appel, les propos qui auraient été tenus par Y.M., à savoir que la mère du requérant « était folle (...) », ne visaient pas à induire en erreur le requérant, mais témoignaient de la virulence avec laquelle Y.M. aurait voulu nier sa paternité. La cour d’appel considéra qu’un comportement trompeur de la part de Y.M. aurait consisté en l’occurrence en des atermoiements, négociations ou promesses dans le but de tergiverser jusqu’à l’expiration du délai de prescription de l’action.
Le 12 mai 2008, le requérant se pourvut en cassation. Se fondant sur les articles 8 et 14 de la Convention ainsi que sur la jurisprudence de la Cour, il soutint que l’application de l’article 1483 du code civil à son cas ne permettait ni de préserver les intérêts de son père présumé et des membres de la famille de ce dernier, ni de lever les éventuelles incertitudes sur la paternité de Y.M. Il affirma, en outre, que l’application de cette disposition entraînait pour lui une discrimination par rapport à la situation des enfants visés à l’article 1473 du code civil (enfants nés hors mariage et dont les parents se sont mariés après la naissance).
La Cour de cassation rendit son arrêt le 4 mai 2009 ; cet arrêt fut mis au net le 9 juillet 2009 et archivé le 18 septembre 2009 (l’archivage permettant d’obtenir la délivrance d’une copie officielle). Elle rejeta le pourvoi, et notamment les moyens relatifs aux articles 8 et 14 de la Convention, au motif que l’application du délai prévu à l’article 1483 du code civil à la situation du requérant n’avait pas eu pour effet une méconnaissance des articles susmentionnés de la Convention. Elle confirma que l’attitude de Y.M., reprochée à ce dernier par l’intéressé, ne pouvait être considérée comme constitutive d’un comportement dolosif et trompeur au sens de l’article 255 du code civil. Elle rejeta aussi le moyen selon lequel la cour d’appel n’avait pas tenu compte de la position du requérant qui soutenait que, dans son cas, le délai de prescription commençait à courir le 23 décembre 2002 ; à ce titre, concernant les révélations faites par la marraine de celui-ci à cette date, elle indiqua que « la connaissance de ces faits ne présentait pas d’intérêt d’un point de vue juridique ».
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code civil
Les articles pertinents en l’espèce du code civil disposent :
Article 255
Suspension de la prescription
« La prescription est suspendue lorsque le titulaire du droit d’agir a été empêché, en raison d’un moratoire ou d’un événement de force majeure, de faire valoir ses prétentions au cours des six derniers mois du délai de prescription. Elle est également suspendue lorsque le titulaire du droit d’agir a été dissuadé de manière dolosive, par la personne qui lui est redevable, de faire valoir ses prétentions au cours des six derniers mois du délai de prescription. »
Article 257
« La durée de la suspension n’est pas prise en compte dans la computation du délai de prescription.
Dès la fin de la suspension, la prescription reprend son cours ; elle ne s’achève en aucun cas avant l’écoulement d’un délai de six mois. »
Article 1473
Mariage subséquent des parents
« Après le mariage subséquent de ses parents, l’enfant né hors mariage a, à leur égard et à l’égard des membres de leurs familles, le même statut, sous tous ses aspects, qu’un enfant légitime. Il en va de même de l’enfant reconnu avant ou après la célébration du mariage, volontairement ou judiciairement, comme enfant du mari conformément aux dispositions des articles (...) 1479 à 1483 du code civil. (...) »
Article 1479
Reconnaissance judiciaire
« La mère a le droit de demander la reconnaissance judiciaire du lien de filiation entre son enfant né hors mariage et le père biologique de celui-ci. L’enfant dispose également de ce droit. (...) »
Article 1480
« L’action de la mère est intentée contre le père ou contre ses héritiers. L’action de l’enfant est intentée contre celui des parents qui n’a pas procédé à la déclaration nécessaire à la reconnaissance volontaire ou contre ses héritiers. L’action du père ou de ses parents est intentée contre la mère ou contre ses héritiers. »
Article 1481
« Lorsqu’il est établi qu’un homme a eu des rapports sexuels avec la mère de l’enfant pendant la période supposée être celle de la conception de ce dernier, sa paternité est présumée (...) »
Article 1482
« La présomption de l’article précédent est détruite si de graves doutes apparaissent quant à la paternité. »
Article 1483
« Le droit de la mère de demander la reconnaissance de paternité pour son enfant s’éteint dans un délai de cinq ans après la naissance de ce dernier. Le droit de l’enfant s’éteint dans un délai d’un an après sa majorité, et celui du père ou des parents de ce dernier dans un délai de deux ans à compter du refus de la mère de donner son consentement à une reconnaissance volontaire par le père.
(...)
Dans le cas de l’article 1473 du code civil, le droit n’est soumis à aucun délai de prescription. »
Article 1484
« En cas de reconnaissance, volontaire ou judiciaire, sauf disposition contraire de la loi, l’enfant a, à tous égards, le rang d’un enfant né dans le mariage, envers ses deux parents et les membres de leurs familles. »
Les délais de l’article 1483 ont donné lieu à plusieurs commentaires dans des articles de doctrine. Tant leur institution que le caractère raisonnable de leur longueur ont fait l’unanimité en doctrine (M. Stathopoulos, Problèmes relatifs au délai pour la reconnaissance judiciaire de la paternité selon l’article 1483 du code civil, Diki, mai 2006 ; Deliyannis, Dikaio kai Politiki 4, p.70 ; Koumandos, Droit de la famille, 1989, pp. 48-49, 83 et 86 ; Kounouyeri-Manoledaki, dans Code civil de Georgiadis-Stathopoulos, La reconnaissance judiciaire, pp. 42 et 79 ; Vathrakokoili, ERNOMAK, article 1470, no 1).
B. Le code de procédure civile
Les articles pertinents en l’espèce du code de procédure civile sont ainsi libellés :
Article 152 § 1
« Au cours d’une procédure, si une des parties n’a pu respecter un délai pour cause de force majeure ou de comportement dolosif de l’autre partie, elle peut demander le rétablissement des choses en l’état [αίτηση επαναφοράς των πραγμάτων στην προτέρα κατάσταση]. »
Article 153
« Le rétablissement des choses en l’état doit être demandé dans un délai de trente jours à compter de la levée de l’obstacle constituant la force majeure ou à compter de la connaissance du dol. »
Article 615 § 1
« Au cours d’une procédure, si une des parties (...) refuse, sans fournir de raisons de santé sérieuses, de se soumettre à une expertise médicale ordonnée par le tribunal aux fins de l’établissement d’un lien de paternité ou de maternité et conformément aux méthodes scientifiques reconnues, les prétentions de la partie adverse sont considérées comme étant fondées. »
Selon la jurisprudence des juridictions grecques, le recours en « rétablissement des choses en l’état » est prévu en cas d’omission de respecter les délais liés au déroulement d’une procédure et non les délais liés à l’exercice d’un droit substantiel (Commentaire du code de procédure civile I, Keramefs, Kondylis, Nikas, p. 369).
C. La jurisprudence pertinente
Les juridictions grecques ont admis que l’ignorance des faits permettant l’introduction d’une action en reconnaissance de paternité constitue pour l’enfant un cas de force majeure justifiant la suspension du délai prévu à l’article 1483 du code civil.
C’est ainsi que par un arrêt no 5125/1985, la cour d’appel d’Athènes a accueilli une action en reconnaissance de paternité introduite par un enfant quinze ans après sa majorité au motif que pendant cette période un cas de force majeure l’avait empêché d’introduire cette action, à savoir le fait que ses parents adoptifs lui avaient caché qu’il était un enfant né hors mariage et non pas leur propre enfant.
Cette jurisprudence a été confirmée ensuite par la Cour de cassation. La haute juridiction a jugé, en effet, que le délai de prescription du droit de l’enfant d’agir en reconnaissance de paternité commence à courir dès la majorité de l’enfant, mais il est suspendu si l’ayant-droit a été empêché pendant les six derniers mois du délai de faire valoir son droit pour cause de moratoire ou de force majeure. L’ignorance des faits constitue pour l’enfant un cas de force majeure (arrêt no 1044/1994 rendu sur une action en reconnaissance de paternité introduite par des enfants majeurs quatorze ans après leur majorité ; arrêt no 1680/2008).
Dans le même sens, la Cour de cassation a rejeté, plus récemment, le pourvoi d’un père qui soutenait que l’enfant avait exercé son droit après l’expiration du délai d’un an (soit en 2001), alors que l’enfant « connaissait son identité depuis 1993 ». En décidant ainsi, la Cour de cassation a souligné que la cour d’appel avait examiné cette allégation du père et l’avait rejetée comme non-fondée (arrêt no 575/2010). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1958 et réside à Bruxelles.
Il arriva en Belgique, via l’Italie, le 25 novembre 1998, accompagné de son épouse et de l’enfant de son épouse alors âgée de six ans. Le couple a ensuite eu un enfant en août 1999 et un second enfant en juillet 2006.
A. Procédures pénales
Le 29 décembre 1998, le requérant fut interpellé et écroué pour faits de vol et, le 14 avril 1999, il fut condamné à une peine de sept mois d’emprisonnement avec sursis, sauf pour ce qui concerne la période de détention préventive.
En 1999 et 2000, le requérant et son épouse furent interpellés à plusieurs reprises pour des faits de vol.
Le 28 avril 2000, l’épouse du requérant fut condamnée à quatre mois d’emprisonnement ferme pour vol.
Le 18 décembre 2001, le requérant fut condamné notamment pour vol avec violences et menaces à une peine de quatorze mois d’emprisonnement avec sursis, sauf pour ce qui concerne la période de détention préventive.
Le 9 novembre 2005, le requérant fut condamné par la cour d’appel de Gand à une peine d’emprisonnement ferme de trois ans pour participation à une organisation criminelle pour obtenir des avantages patrimoniaux en recourant notamment à l’intimidation, à des manœuvres frauduleuses ou à la corruption.
Ayant déjà passé une période en détention préventive, il fut ensuite incarcéré à la prison de Forest puis à la prison de Merksplas où il demeura incarcéré, afin de purger la peine à laquelle il avait été condamné, jusqu’en août 2007.
B. Demandes d’asile
Le lendemain de leur arrivée, le 26 novembre 1998, le requérant et son épouse introduisirent une demande d’asile.
Entendue dans le cadre de sa demande d’asile, l’épouse du requérant déclara avoir transité par l’Allemagne.
Une demande de reprise en charge fut adressée aux autorités allemandes en application de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de l’État responsable d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes (« Convention Dublin »).
Suite au refus des autorités allemandes, il apparut que le requérant et sa famille étaient en possession d’une visa Schengen délivré par les autorités italiennes de sorte qu’une demande de prise en charge fut adressée aux autorités italiennes. Celle-ci fut acceptée le 4 juin 1999.
Le 22 septembre 1999, le requérant introduisit une seconde demande d’asile, sous une fausse identité. Elle fut immédiatement rejetée par suite de la confrontation des empreintes digitales.
Le 23 octobre 2000, l’Office des étrangers (« OE ») informa le conseil du requérant que la demande d’asile qui avait été déposée le 26 novembre 1998 avait été clôturée négativement le 11 juin 1999.
C. Demandes d’autorisation de séjour
Première demande de régularisation pour raisons exceptionnelles
Le 20 mars 2000, le requérant introduisit une première demande de régularisation de plus de trois mois sur la base de l’article 9 alinéa 3 (actuel article 9bis) de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« loi sur les étrangers »). A l’appui de cette demande, le requérant indiquait qu’il avait avec son épouse une fille née en 1999 et que son épouse avait déjà une fille née en Géorgie d’une précédente union.
Le 30 mars 2004, l’OE déclara la demande sans objet, le requérant ayant quitté le territoire pour être intercepté en Allemagne, et, en tout état de cause, non fondée eu égard à la fin des soins médicaux pour tuberculose (voir paragraphes 59 et 60, ci-dessous). Il faisait également mention de l’absence d’intégration du requérant en Belgique et des nombreuses atteintes à l’ordre public dont il s’était rendu coupable.
Deuxième demande de régularisation pour raisons exceptionnelles
Le 28 avril 2004, le requérant introduisit une deuxième demande de régularisation de séjour sur la base de l’article 9 alinéa 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant invoquait, comme circonstances exceptionnelles à l’appui de sa demande, la durée de son séjour et son intégration sociale en Belgique, le risque qu’entraînerait un retour en Géorgie sur la scolarité de ses enfants, le fait qu’il ait été victime de persécution ainsi que son état de santé.
L’OE rejeta la demande de régularisation le 5 avril 2007 au motif que les éléments avancés ne constituaient pas des circonstances exceptionnelles au sens de l’article 9 alinéa 3 de la loi justifiant l’introduction de telles demandes en Belgique et non, comme il est de règle, auprès du poste diplomatique ou consulaire compétent. L’OE constata que le séjour du requérant se limitait aux nécessités de la procédure d’asile qui avait été définitivement clôturée. La décision était en outre motivée par l’absence de nécessité d’un suivi médical, les circonstances précaires et illégales de son séjour, l’absence de risque de persécution en Géorgie et la possibilité pour les enfants de poursuivre leur scolarité en Géorgie.
Par un arrêt du 29 février 2008, le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE ») rejeta le recours en annulation introduit contre la décision de l’OE. Il constata notamment que la décision attaquée n’étant pas assortie comme telle d’une mesure d’éloignement du territoire, elle ne pouvait engendrer de risque de violation de l’article 3 de la Convention.
Première demande de régularisation pour raisons médicales
Le 10 septembre 2007, invoquant les articles 3 et 8 de la Convention et alléguant notamment l’absence de possibilité de traitement de sa leucémie (voir paragraphes 62 et 63, ci-dessous) s’il était renvoyé en Géorgie, le requérant introduisit une première demande de régularisation pour raisons médicales sur la base de l’article 9ter de la loi sur les étrangers.
Le 26 septembre 2007, l’OE rejeta la demande au motif qu’en vertu de l’article 55/4 de la loi le requérant était exclu de l’application de celle-ci en raison des crimes graves ayant, entre-temps, conduit à l’arrêté ministériel de renvoi du 16 août 2007 (voir paragraphe 43, ci-dessous).
Le 17 décembre 2007, le requérant introduisit une demande en suspension ordinaire et un recours en annulation de cette décision. Il reprochait notamment à l’OE de l’avoir exclu de l’application de l’article 9ter de la loi sur les étrangers en s’appuyant uniquement sur l’arrêté ministériel de renvoi sans investigation quant à son état de santé et aux risques qu’il encourait d’être exposé à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention et sans avoir procédé à une mise en balance des intérêts en présence comme le requiert l’article 8 de la Convention.
Par un arrêt du 20 août 2008, le CCE rejeta le recours en ces termes :
« Il résulte de la lettre de [l’article 9ter] que rien n’empêche l’autorité administrative, qui est saisie d’une demande d’autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter précité mais qui considère d’emblée qu’il existe de sérieux motifs de croire que l’intéressé a commis des actes visés à l’article 55/4 précité, de statuer directement sur son exclusion du bénéfice dudit article 9ter, sans devoir préalablement se prononcer sur les éléments médicaux soumis à son appréciation, un tel examen se révélant du reste superflu dans un tel cas de figure puisque l’auteur de l’acte a en tout état de cause décidé de l’exclusion de l’intéressé.
(...)
S’agissant de la violation alléguée de l’article 3 de la Convention, force est de constater que l’acte attaqué dans le présent recours n’est assorti d’aucune mesure d’éloignement du territoire, en sorte que les risques d’interruption de traitement invoqués en cas de retour en Géorgie relèvent en l’occurrence de l’hypothèse. »
Le CCE écarta également le grief tiré de l’article 8 de la Convention eu égard au fait que l’acte attaqué n’était assorti d’aucune mesure d’éloignement du territoire.
Troisième demande de régularisation pour raisons exceptionnelles
Le 10 septembre 2007, invoquant les mêmes raisons que sous l’angle de l’article 9ter de la loi sur les étrangers (voir paragraphe 27, ci-dessus) ainsi que sa situation familiale, le requérant introduisit une demande de régularisation pour circonstances exceptionnelles sur la base de l’article 9bis de la loi sur les étrangers.
Le 7 juillet 2010, l’OE rejeta la demande en régularisation considérant que la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’État primait sur l’intérêt du requérant et ses intérêts sociaux et familiaux et qu’en commettant des faits hautement répréhensibles, celui-ci avait lui-même mis l’unité familiale en péril. Cette décision lui fut signifiée le 11 juillet 2010.
Le 26 juillet 2010, le requérant saisit le CCE d’une demande en suspension ordinaire et d’un recours en annulation du refus de régularisation du 7 juillet 2010 (rôle CCE no 57.444). Ce recours était également dirigé, pour autant que de besoin, contre l’ordre de quitter le territoire de la même date (voir paragraphes 48 à 51, ci-dessous). Il invoquait une violation des articles 2 et 3 de la Convention et soutenait que, vu la gravité de son état de santé, il se trouvait dans des circonstances humanitaires exceptionnelles au sens donné par la Cour dans l’arrêt D. c. Royaume-Uni (2 mai 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997III), qu’il n’aurait pas accès aux traitements en Géorgie et que l’arrêt des traitements entraînerait son décès prématuré. Il se plaignait également d’une atteinte à l’article 8 de la Convention et à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant au motif que son retour en Géorgie le séparerait définitivement des siens.
Une audience eut lieu le 16 novembre 2010. Le 31 mai 2011, le CCE décida d’ordonner la réouverture des débats afin de permettre aux parties de réactualiser les éléments de fait et de droit du litige. Une nouvelle audience fut prévue pour le 17 novembre 2011 mais elle fut ensuite annulée le 10 novembre 2011.
D’après les informations versées au dossier, cette procédure devant le CCE est encore pendante.
Seconde demande de régularisation pour raisons médicales
Entretemps, le 2 avril 2008, le requérant avait introduit une seconde demande de régularisation pour raisons médicales sur base de l’article 9ter de la loi sur les étrangers. Outre ses diverses pathologies, il invoquait sa présence ininterrompue depuis onze ans sur le territoire belge et les attaches sociales durables qu’il avait en Belgique ainsi que sa situation familiale. Il faisait également valoir qu’en cas de retour il se verrait livré à lui-même, malade, dans un pays où il n’avait plus d’attache familiale et dont les structures médicales étaient inadaptées et coûteuses.
Cette demande fut rejetée par l’OE le 4 juin 2008 pour le même motif que précédemment (voir paragraphe 26 ci-dessus).
Le requérant introduisit le 16 juillet 2008 un recours en annulation de cette décision devant le CCE (rôle CCE no 29.316).
D’après les informations versées au dossier, cette procédure est actuellement pendante.
D. Procédures d’éloignement et intervention de la Cour
Ordre de quitter le territoire en application de la Convention Dublin
Le 10 juin 1999, au motif que les autorités belges n’étaient pas compétentes, en application de la Convention Dublin, pour examiner leur demande d’asile, l’OE délivra un ordre de quitter le territoire au requérant et à son épouse en vue de leur transfert en Italie. Leur départ fut toutefois différé en raison de la grossesse de l’épouse du requérant.
Après la naissance, le séjour de la famille fut prolongé jusqu’au 14 octobre 1999 en raison de l’hospitalisation du nouveau-né. Ensuite, le séjour de la famille fut prolongé jusqu’au 15 mars 2000 au motif que l’enfant nécessitait un suivi régulier en gastroentérologie pédiatrique.
Le délai accordé à la famille pour quitter le territoire fut, à plusieurs reprises, prolongé au cours du premier semestre 2000 en raison du suivi médical dont le requérant avait besoin du fait de sa tuberculose (voir paragraphes 59 et 60, ci-dessous) et du traitement antituberculeux dont avait besoin l’ensemble de la famille pendant six mois.
Le 23 octobre 2000, l’OE informa le conseil du requérant que ce délai était prolongé jusqu’à la complète guérison du requérant et de son enfant.
Arrêté ministériel de renvoi
Le 16 août 2007, par un arrêté de renvoi, pris en application de l’article 20 de la loi sur les étrangers, le ministre de l’intérieur enjoignit au requérant de quitter le territoire et lui en interdit l’entrée sur le territoire belge pendant dix ans. Cette décision constatait les nombreux antécédents délictueux avec la circonstance que « le caractère lucratif du comportement délinquant de l’intéressé démontre le risque grave et actuel de nouvelle atteinte à l’ordre public ».
L’arrêté entra en vigueur à la date de la mise en liberté du requérant. Il n’y fut toutefois pas donné suite car le requérant était à ce moment en cours de traitement médical (voir paragraphe 63, ci-dessous).
Le requérant, hospitalisé, ne prit pas contact avec son avocat pour introduire un recours en annulation de l’arrêté ministériel mais l’avocat prit l’initiative d’un tel recours le 15 novembre 2007.
Par un arrêt du 27 février 2008, le recours fut rejeté par le CCE pour tardiveté.
Entre-temps, le requérant étant sur le point d’achever de purger la peine d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné en 2005, il fut transféré, en vue de l’exécution de l’arrêté ministériel de renvoi, à la prison de Bruges le 14 août 2007 où il resta jusqu’au 27 mars 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison de Merksplas.
Ordres de quitter le territoire à la suite du rejet de régularisation
Parallèlement à la décision de l’OE du 7 juillet 2010 rejetant sa demande de régularisation pour circonstances exceptionnelles (voir paragraphe 31, ci-dessus), l’OE lui délivra, le 7 juillet 2010, un ordre de quitter le territoire assorti d’une mesure de privation de liberté. Cet ordre lui fut signifié le 11 juillet 2010.
Il fut décidé, ce même 7 juillet 2010, de procéder au transfert du requérant, le 11 juillet, au centre fermé pour illégaux de Merksplas en vue de son éloignement vers la Géorgie.
Le 16 juillet 2010, l’ambassade de Géorgie à Bruxelles émit un document de voyage valable jusqu’au 16 août 2010.
Comme il a été indiqué ci-dessus (paragraphe 32), le 26 juillet 2010, le requérant introduisit devant le CCE une demande de suspension ordinaire et un recours en annulation du refus de régularisation du 7 juillet 2010 et, pour autant que de besoin, de l’ordre de quitter le territoire de la même date (rôle CCE no 57.444). D’après les informations versées au dossier, cette procédure est encore pendante (voir paragraphe 34, ci-dessus). Le même jour, il introduisit également une demande de suspension ordinaire et un recours en annulation spécialement dirigés contre l’ordre de quitter le territoire précité du 7 juillet 2010 (rôle CCE no 57.447). Cette procédure est également encore pendante.
Deux jours après l’indication d’une mesure provisoire par la Cour (voir paragraphe 57, ci-dessous), le 30 juillet 2010, des instructions de mise en liberté du requérant furent données et un délai courant jusqu’au 30 août 2010 fut laissé pour lui permettre de quitter volontairement le territoire.
Par courrier du 30 août 2010, le conseil du requérant sollicita la prolongation de l’ordre de quitter le territoire. Celui-ci fut une première fois prolongé jusqu’au 13 novembre 2010. Il le fut à nouveau à plusieurs reprises jusqu’au 28 février 2011.
Le requérant continua à faire régulièrement des demandes de prolongation qui demeurèrent sans réponse.
Le 18 février 2012, l’OE délivra un ordre de quitter le territoire « immédiat » en exécution de l’arrêté ministériel de renvoi du 16 août 2007.
Application de l’article 39 du règlement de la Cour
Le 23 juillet 2010, invoquant les articles 2, 3 et 8 de la Convention et se plaignant que, s’il était éloigné vers la Géorgie, il n’aurait plus accès aux soins de santé dont il avait besoin et que, vu son espérance de vie très courte, il décèderait dans des délais encore plus brefs et loin des siens, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires sur la base de l’article 39 de son règlement.
Le 28 juillet 2010, la Cour indiqua au gouvernement belge qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour, de suspendre, « jusqu’à l’issue de la procédure pendante devant le CCE », l’ordre de quitter le territoire délivré au requérant le 7 juillet 2010.
E. État de santé et situation familiale du requérant
En août 1999, l’épouse du requérant donna naissance à un enfant.
En 2000, on diagnostiqua au requérant une tuberculose « pulmonaire active, répondant favorablement à l’antibiothérapie ».
Le traitement antituberculeux du requérant fut poursuivi et il bénéficia, à cette fin, de l’aide médicale d’urgence et de l’aide sociale.
En juillet 2006, l’épouse du requérant donna naissance à un deuxième enfant.
Courant 2006, alors que le requérant était incarcéré (voir paragraphes 12 et 13, ci-dessus), on lui diagnostiqua une hépatite C ainsi qu’une leucémie lymphatique chronique (« LLC ») au stade Binet B avec CD38 très positif (marqueur associé à mauvais pronostique avec risque d’évolutivité de la maladie). Aucun traitement ne fut entamé.
L’état de santé du requérant s’étant dégradé, il fut hospitalisé du 14 août au 23 octobre 2007 au complexe médical pénitentiaire de Bruges afin de bénéficier d’une thérapie à base de Leukeran (Chlorambucil).
Pendant le séjour du requérant au sein de l’établissement pénitentiaire de Bruges du 14 août 2007 au 27 mars 2010 (voir paragraphe 47, ci-dessus), le requérant reçut la visite quasiment quotidienne de son épouse et/ou de ses enfants. L’établissement pénitentiaire de Merksplas, vers lequel il fut ensuite transféré et où il séjourna jusqu’au 11 juillet 2010 (voir paragraphes 47 et 49, ci-dessus), informa le requérant qu’il ne disposait pas du décompte des visites qu’il avait reçues.
Selon un rapport établi le 11 février 2008 par l’hôpital universitaire d’Anvers où le requérant était suivi, son pronostic vital était engagé et, d’après les moyennes observées en 2007, son espérance de vie était de trois à cinq ans à vivre. Ce même rapport attestait que, grâce aux traitements, le taux de globules blancs dans le sang était passé de 110300/mm3 avec 97 % de lymphocytes en août 2007 à 28900/mm3 avec 83 % de lymphocytes en janvier 2008.
Courant 2008, il s’avéra que la tuberculose était réactivée.
Du 8 au 14 mai 2010, le requérant fut hospitalisé à Turnhout en raison de troubles respiratoires. Le rapport médical établi à cette occasion lui prescrivit des antibiotiques et bronchodilatateurs. Il faisait également état d’une augmentation du taux de globules blancs dans le sang à 72440/mm3 avec 85 % de lymphocytes ainsi que de l’évolution des autres pathologies du requérant. Il recommandait que le requérant soit suivi en ambulatoire par un pneumologue et un hématologue. Ce suivi ne fut pas assuré à son retour à la prison de Merksplas où il était maintenu.
Le 22 juillet 2010, un médecin de l’hôpital universitaire d’Anvers se déplaça au centre fermé de Merksplas, où le requérant avait entretemps été transféré, pour y effectuer un examen médical complet de celui-ci. Ce rapport faisait état de ce que les traitements administrés à raison de la maladie pulmonaire n’étaient pas suffisants. Il faisait ensuite état de ce que le requérant n’avait pas bénéficié d’un suivi médical suffisant de sa leucémie, que la maladie évoluait rapidement vers le stade Binet C et qu’il fallait passer à une chimiothérapie associant Fludarabine et Cyclophosphamide. Le médecin constatait enfin qu’aucun examen médical n’avait été effectué concernant l’hépatite C. Il recommandait une hospitalisation en vue d’effectuer des examens et un suivi médical d’urgence. Le rapport fut transmis à l’OE.
Par télécopie datée du 28 juillet 2010, le médecin attaché au centre pour illégaux de Merksplas considéra que le requérant devait faire l’objet d’un suivi spécialisé qui ne pouvait être organisé au sein du centre fermé et recommandait dès lors sa libération pour raisons médicales.
Le 30 juillet 2010, le requérant fut libéré (voir paragraphe 52, ci-dessus).
Le 12 septembre 2012, un médecin du service hématologie du centre hospitalier universitaire (« CHU ») St Pierre à Bruxelles, où était suivi le requérant, désormais en liberté, établit un certificat en ces termes :
« (...)
D. Complications possibles en cas d’arrêt thérapeutique. L’absence de traitement de l’affection hépatique et de l’affection pulmonaire pourrait résulter en des dommages d’organes et un handicap conséquent (insuffisance respiratoire, cirrhose et/ou hépatocarcinome). L’absence de traitement de la LLC pourrait mener au décès du patient des suites directes de la maladie ou des suites d’infections sévères.
Tout retour en Géorgie condamnerait le patient à des traitements inhumains et dégradants.
E. Évolution et pronostic
Leucémie lymphatique chronique (LLC) : bon si traité mais le risque de rechute est réel et justifie même en rémission un suivi rapproché. Broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) : stabilisation si traité. Hépatite C : bon pronostic en cas de réponse au traitement.
(...)
F. Besoins spécifiques
Suivi régulier biologique et radiologique dans un centre spécialisé. Centre de chimiothérapie. »
Le requérant fut convoqué pour se rendre auprès du service médical de l’OE le 24 septembre 2012, afin de faire effectuer un bilan de son état de santé et de permettre aux autorités belges de « répondre aux questions posées par la Cour ».
Le rapport dressé par le médecin conseil à cette occasion énumérait les consultations effectuées et les traitements, notamment une chimiothérapie, entrepris depuis la libération du requérant en juillet 2010. Il indiquait que la leucémie s’était stabilisée après plusieurs cures de chimiothérapie et était en surveillance étroite, que la pathologie pulmonaire faisait l’objet d’un suivi médical, et que son traitement se composait de Zovirax en prévention de l’herpès, Pantomed en prévention de problèmes gastriques et de Flixotide, un corticoïde anti-inflammatoire.
Se référant à l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire N. c. Royaume-Uni [GC] (no 26565/05, CEDH 2008), le rapport conclut en ces termes :
« Ce dossier médical ne permet (...) pas de conclure à l’existence d’un seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention, tel qu’interprété par la Cour (...).
Au regard du dossier médical, il apparaît que les pathologies figurant dans des certificats médicaux (...) ne mettent pas en évidence de menace directe pour la vie du concerné. Les affections du requérant sont graves, potentiellement mortelles mais sont actuellement sous contrôle.
Aucun organe vital n’est dans un état tel que le pronostic vital est directement mis en péril. L’hépatite C ne cause actuellement aucune cirrhose. L’affection pneumologique est équilibrée par la thérapeutique composée seulement d’un corticostéroïde inhalé. La pathologie hématologique est actuellement stabilisée. On ne note plus la présence d’adénopathies. L’anémie hémolytique est résolue. La chimiothérapie est pour l’instant interrompue.
(...) Un monitorage des paramètres vitaux ou un contrôle médical permanent ne sont pas nécessaires pour garantir le pronostic vital du concerné.
Le stade de l’affection ne peut pas être considéré comme terminal à l’heure actuelle. (...) On est proche du stade Binet A à l’heure actuelle. La broncho-pneumopathie chronique obstructive est également contrôlée à l’heure actuelle ».
F. Régularisation du séjour de la famille du requérant
Le 5 novembre 2009, invoquant la situation de famille et la durée de son séjour en Belgique, l’épouse du requérant introduisit une demande de régularisation sur la base de l’article 9bis de la loi sur les étrangers (circonstances exceptionnelles).
Elle obtint pour elle et ses trois enfants une autorisation de séjour illimité le 29 juillet 2010.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Procédures en régularisation
Régularisation pour circonstances exceptionnelles
Pour pouvoir séjourner plus de trois mois sur le territoire belge, une personne étrangère doit en principe obtenir une autorisation préalablement à son arrivée sur le territoire. L’article 9 de la loi sur les étrangers prévoit que :
« (...) Sauf dérogations prévues par un traité international, par une loi ou par un arrêté royal, cette autorisation [de séjourner dans le Royaume au-delà du terme prévu à l’article 6] doit être demandée par l’étranger auprès du poste diplomatique ou consulaire belge compétent pour le lieu de sa résidence ou de son séjour à l’étranger.»
Une personne étrangère qui se trouve en Belgique en séjour irrégulier ou précaire, et qui souhaite obtenir une autorisation de long séjour sans avoir à retourner dans son pays d’origine, peut faire la demande directement sur le territoire belge à condition d’invoquer des circonstances exceptionnelles. La pratique et la jurisprudence ont dégagé de l’article 9bis (anciennement article 9, alinéa 3) de la loi sur les étrangers la possibilité d’accorder la régularisation de séjour au cas par cas. L’article 9bis qui remplace l’ancien article 9 alinéa 3, se lit comme suit :
« § 1er. Lors de circonstances exceptionnelles et à la condition que l’étranger dispose d’un document d’identité, l’autorisation de séjour peut être demandée auprès du bourgmestre de la localité où il séjourne, qui la transmettra au ministre ou à son délégué. Quand le ministre ou son délégué accorde l’autorisation de séjour, celle-ci sera délivrée en Belgique. (...) »
Ni les circonstances exceptionnelles qui permettent l’introduction de la demande depuis le territoire belge, ni les motifs de fond qui justifieraient l’octroi du séjour ne sont précisés dans la loi. Il appartient à l’OE d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, les circonstances alléguées par l’étranger. L’OE procède d’abord à l’examen des circonstances exceptionnelles afin déterminer si la demande est recevable. Si c’est le cas, elle se prononce ensuite sur les motifs de fond que l’étranger fait valoir pour appuyer sa demande d’autorisation de séjour.
Régularisation pour raisons médicales
Les demandes de régularisations médicales sont régies par l’article 9ter de la loi qui se lit comme suit :
« § 1er. L’étranger qui séjourne en Belgique qui démontre son identité conformément au § 2 et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne, peut demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume auprès du ministre ou son délégué. La demande doit être introduite par pli recommandé auprès du ministre ou son délégué et contient l’adresse de la résidence effective de l’étranger en Belgique. L’étranger transmet avec la demande tous les renseignements utiles concernant sa maladie et les possibilités et l’accessibilité de traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne.
Il transmet un certificat médical type prévu par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres. Ce certificat médical indique la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire. L’appréciation du risque visé à l’alinéa 1er, des possibilités de traitement, leur accessibilité dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne et de la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire indiqués dans le certificat médical, est effectuée par un fonctionnaire médecin ou un médecin désigné par le ministre ou son délégué qui rend un avis à ce sujet. Ce médecin peut, s’il l’estime nécessaire, examiner l’étranger et demander l’avis complémentaire d’experts. (...) »
Le CCE s’est récemment exprimé sur l’articulation entre l’article 9ter précité de la loi sur les étrangers et l’article 3 de la Convention (CCE, arrêts nos 92.258, 92.308 et 92.309 du 27 novembre 2012) en ces termes :
« 3.3. Le Conseil observe que la modification législative de l’article 9, alinéa 3, ancien, de la Loi a permis, par l’adoption de l’article 9ter, la transposition de l’article 15 de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.
Il n’en demeure pas moins que, en adoptant le libellé de l’article 9ter de la loi, le Législateur a entendu astreindre la partie défenderesse à un contrôle des pathologies alléguées qui s’avère plus étendu que celui découlant de la jurisprudence invoquée par la partie défenderesse. Ainsi, plutôt que de se référer purement et simplement à l’article 3 de la [Convention] pour délimiter le contrôle auquel la partie défenderesse est tenue, le Législateur a prévu diverses hypothèses spécifiques.
La lecture du paragraphe 1er de l’article 9ter révèle en effet trois types de maladies qui doivent conduire à l’octroi d’un titre de séjour sur la base de cette disposition lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans le pays d’origine ou dans le pays de résidence, à savoir :
- celles qui entraînent un risque réel pour la vie ;
- celles qui entraînent un risque réel pour l’intégrité physique ;
- celles qui entraînent un risque réel de traitement inhumain ou dégradant.
Il s’ensuit que le texte même de l’article 9ter ne permet pas une interprétation qui conduirait à l’exigence systématique d’un risque « pour la vie » du demandeur, puisqu’il envisage, au côté du risque vital, deux autres hypothèses. »
Par des arrêts nos 225.522 et 225.523 du 19 novembre 2013, le Conseil d’État cassa les arrêts nos 92.258 et 92.309, précités, du CCE. Il constata que l’article 15 b) de la Directive Qualification – directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts –, qui correspond en substance à l’article 3 de la Convention, fut transposé dans l’ordre juridique belge par l’insertion de l’article 9ter dans la loi sur les étrangers. En adoptant cette dernière disposition le législateur a manifestement et légitimement entendu réserver le bénéfice de l’article 9ter aux étrangers si « gravement malades » que leur éloignement constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, et il a voulu que cet examen se fasse en conformité avec la jurisprudence de la Cour telle qu’énoncée dans l’arrêt N. précité. Le fait que l’article 9ter vise trois hypothèses spécifiques n’implique pas qu’il ait un champ d’application différent de celui de l’article 3. Ces trois types de maladie, lorsqu’elles atteignent un seuil minimum de gravité qui doit être élevé, sont susceptibles de répondre aux conditions de l’article 3. Et le Conseil d’État de conclure que le CCE avait conféré à l’article 9ter une portée qu’il n’avait pas en jugeant que ce dernier astreignait l’État belge a un contrôle plus étendu que celui découlant de la jurisprudence de l’article 3 de la Convention.
Quelques jours plus tard, par un arrêt no 225.632 du 28 novembre 2013, une autre chambre du Conseil d’État parvint à une conclusion opposée. Cet arrêt adopta la même interprétation de l’article 9ter de la loi sur les étrangers que celle développée par le CCE dans ses arrêts nos 92.258, 92.308 et 92.309 du 27 novembre 2012 (voir paragraphe 81, ci-dessus). Le Conseil d’État écarta les arguments de l’État belge tirés du droit européen, notant que les standards minimaux de protection fixés par la Convention et la Directive Qualification ne pouvaient pas être invoqués pour réduire la portée du droit belge.
Recours
Les décisions de l’OE en matière de séjour peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant le CCE. Ce recours n’étant pas suspensif de l’exécution de la mesure contestée, la loi sur les étrangers prévoit qu’il puisse être assorti d’une demande en suspension de la mesure soit selon la procédure de l’extrême urgence, elle-même suspensive de l’exécution de la mesure, soit selon la procédure « ordinaire » et, ce, conformément à l’article 39/82 de la loi sur les étrangers qui se lit comme suit :
« § 1er. Lorsqu’un acte d’une autorité administrative est susceptible d’annulation en vertu de l’article 39/2, le Conseil est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution.
La suspension est ordonnée, les parties entendues ou dûment convoquées, par décision motivée du président de la chambre saisie ou du juge au contentieux des étrangers qu’il désigne à cette fin.
En cas d’extrême urgence, la suspension peut être ordonnée à titre provisoire sans que les parties ou certaines d’entre elles aient été entendues.
Lorsque le requérant demande la suspension de l’exécution, il doit opter soit pour une suspension en extrême urgence, soit pour une suspension ordinaire. Sous peine d’irrecevabilité, il ne peut ni simultanément, ni consécutivement, soit faire une nouvelle fois application de l’alinéa 3, soit demander une nouvelle fois la suspension dans la requête visée au § 3.
Par dérogation à l’alinéa 4 et sans préjudice du § 3, le rejet de la demande de suspension selon la procédure d’extrême urgence n’empêche pas le requérant d’introduire ultérieurement une demande de suspension selon la procédure ordinaire, lorsque cette demande de suspension en extrême urgence a été rejetée au motif que l’extrême urgence n’est pas suffisamment établie.
§ 2. La suspension de l’exécution ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l’annulation de l’acte contesté sont invoqués et à la condition que l’exécution immédiate de l’acte risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Les arrêts par lesquels la suspension a été ordonnée sont susceptibles d’être rapportés ou modifiés à la demande des parties.
§ 3. Sauf en cas d’extrême urgence, la demande de suspension et la requête en annulation doivent être introduits par un seul et même acte.
Dans l’intitulé de la requête, il y a lieu de mentionner qu’est introduit soit un recours en annulation soit une demande de suspension et un recours en annulation. Si cette formalité n’est pas remplie, il sera considéré que la requête ne comporte qu’un recours en annulation.
Une fois que le recours en annulation est introduit, une demande de suspension introduite ultérieurement n’est pas recevable, sans préjudice de la possibilité offerte au demandeur d’introduire, de la manière visée ci-dessus, un nouveau recours en annulation assorti d’une demande de suspension, si le délai de recours n’a pas encore expiré.
La demande comprend un exposé des moyens et des faits qui, selon le requérant, justifient que la suspension ou, le cas échéant, des mesures provisoires soient ordonnées.
La suspension et les autres mesures provisoires qui auraient été ordonnées avant l’introduction de la requête en annulation de l’acte seront immédiatement levées par le président de la chambre ou par le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne, qui les a prononcées, s’il constate qu’aucune requête en annulation invoquant les moyens qui les avaient justifiées n’a été introduite dans le délai prévu par le règlement de procédure.
§ 4. Le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne statue dans les trente jours sur la demande de suspension. Si la suspension est ordonnée, il est statué sur la requête en annulation dans les quatre mois du prononcé de la décision juridictionnelle.
Si l’étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’exécution est imminente, et n’a pas encore introduit une demande de suspension, il peut demander la suspension de cette décision en extrême urgence. Si l’étranger a introduit un recours en extrême urgence en application de la présente disposition dans les cinq jours, sans que ce délai puisse être inférieur à trois jours ouvrables suivant la notification de la décision, ce recours est examiné dans les quarante-huit heures suivant la réception par le Conseil de la demande en suspension de l’exécution en extrême urgence. Si le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers saisi ne se prononce pas dans ce délai, il doit en avertir le premier président ou le président. Celui-ci prend les mesures nécessaires pour qu’une décision soit rendue au plus tard septante-deux heures suivant la réception de la requête. Il peut notamment évoquer l’affaire et statuer lui-même. Si la suspension n’a pas été accordée, l’exécution forcée de la mesure est à nouveau possible.
(...) »
Les dispositions précitées doivent être lues à la lumière de l’interprétation qu’en a donnée le CCE à la suite de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, CEDH 2011), dans sept arrêts d’assemblée générale (nos 56.201 à 56.205, 56.207 et 56.208) du 17 février 2011. Par ces arrêts, le CCE a élargi la portée de son contrôle au titre de l’existence de « moyens d’annulation sérieux » et d’un « préjudice grave difficilement réparable » prévue par l’article 39/82 § 2 précité. Il s’est exprimé à ce sujet en ces termes :
« L’examen du caractère sérieux d’un moyen se caractérise, dans les affaires de suspension, par son caractère prima facie. Cet examen prima facie du grief défendable invoqué par la partie requérante, pris de la violation d’un droit garanti par la [Convention], doit, comme énoncé précédemment, être conciliable avec l’exigence de l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 de la [Convention], et notamment avec l’exigence de l’examen indépendant et rigoureux de tout grief défendable. Ceci implique que lorsque le Conseil constate, lors de l’examen prima facie, qu’il y a des raisons de croire que ce grief est sérieux ou qu’il y a au moins des doutes quant au caractère sérieux de celui-ci, il considère, à ce stade de la procédure, le moyen invoqué comme sérieux. En effet, le dommage que le Conseil causerait en considérant comme non sérieux, dans la phase du référé, un moyen qui s’avèrerait ensuite fondé dans la phase définitive du procès, est plus grand que le dommage qu’il causerait dans le cas contraire. Dans le premier cas, le préjudice grave difficilement réparable peut s’être réalisé ; dans le deuxième cas, la décision attaquée aura au maximum été suspendue sans raison pendant une période limitée.
(...)
La partie requérante doit invoquer des éléments qui démontrent, d’une part, la gravité du préjudice qu’elle subit ou risque de subir, ce qui signifie concrètement qu’elle doit donner des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent, d’autre part, le caractère difficilement réparable du préjudice.
Il convient néanmoins de remarquer qu’un exposé sommaire peut être considéré comme conforme aux dispositions de l’article 39/82, § 2, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980 (...), c’est-à-dire lorsqu’aucune personne raisonnable ne peut le contester, et donc également lorsque la partie défenderesse, dont les dispositions légales et réglementaires susmentionnées visent à préserver le droit à la contradiction, comprend immédiatement de quel préjudice il s’agit et peut, à cet égard, répondre à l’exposé de la partie requérante (cf. CE 1er décembre 1992, no 41.247). Il en va de même a fortiori si l’application exagérément restrictive ou formaliste de cette exigence avait pour conséquence que la partie requérante, dans le chef de laquelle le Conseil a constaté prima facie à ce stade de la procédure un grief défendable fondé sur la [Convention], ne peut obtenir le redressement approprié exigé par l’article 13 de la [Convention]. »
Saisie d’une requête en annulation de la loi du 15 mars 2012 modifiant la loi sur les étrangers qui instaurait une procédure accélérée pour les demandeurs d’asile en provenance de pays « sûrs », la Cour constitutionnelle s’est prononcée, par un arrêt no 1/2014 du 16 janvier 2014, sur le point de savoir si les recours en annulation et en suspension d’extrême urgence remplissaient les critères d’effectivité posés par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.
La Cour constitutionnelle annula partiellement la loi attaquée au motif que le CCE n’étant pas tenu d’examiner, sur la base d’éventuels éléments nouveaux présentés devant lui, la situation actuelle des intéressés, c’est-à-dire la situation au moment de statuer, par rapport à la situation prévalant dans son pays d’origine, les recours en annulation et de suspension d’extrême urgence dont cette juridiction pouvait être saisie ne permettaient pas le contrôle « attentif », « complet » et « rigoureux » de la situation des intéressés voulu par la Cour (M.S.S. précité, §§ 387 et 389 ; Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, no 10486/10, §§ 105 et 107, 20 décembre 2011).
Un recours en cassation administrative de l’arrêt du CCE rejetant le recours en annulation est possible devant le Conseil d’État. Ce recours n’est pas suspensif.
B. Éloignement et interdiction d’entrée en raison de l’atteinte à l’ordre public
Les dispositions de la loi sur les étrangers pertinentes en l’espèce sont les suivantes :
Article 20
« Sans préjudice des dispositions plus favorables contenues dans un traité international, et à l’article 21 le Ministre peut renvoyer l’étranger qui n’est pas établi dans le Royaume lorsqu’il a porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale ou n’a pas respecté les conditions mises à son séjour, telles que prévues par la loi. Dans les cas où en vertu d’un traité international une telle mesure ne peut être prise qu’après que l’étranger ait été entendu, le renvoi ne pourra être ordonné qu’après l’avis de la Commission consultative des étrangers. Le Roi fixe par arrêté délibéré en Conseil des Ministres les autres cas dans lesquels le renvoi ne pourra être ordonné qu’après l’avis de la Commission consultative des étrangers.
Sans préjudice de l’article 21, §§ 1er et 2, l’étranger établi ou bénéficiant du statut de résident de longue durée dans le Royaume peut lorsqu’il a gravement porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale, être expulsé par le Roi, après avis de la Commission consultative des étrangers. L’arrêté d’expulsion doit être délibéré en Conseil des Ministres si la mesure est fondée sur l’activité politique de cet étranger.
Les arrêtés de renvoi et d’expulsion doivent être fondés exclusivement sur le comportement personnel de l’étranger. Il ne peut lui être fait grief de l’usage conforme à la loi qu’il a fait de la liberté de manifester ses opinions ou de celle de réunion pacifique ou d’association. »
Article 74/11
« § 1er. La durée de l’interdiction d’entrée est fixée en tenant compte de toutes les circonstances propres à chaque cas.
La décision d’éloignement est assortie d’une interdiction d’entrée de maximum trois ans, dans les cas suivants :
1o lorsqu’aucun délai n’est accordé pour le départ volontaire ou ;
2o lorsqu’une décision d’éloignement antérieure n’a pas été exécutée.
Le délai maximum de trois ans prévu à l’alinéa 2 est porté à un maximum de cinq ans lorsque le ressortissant d’un pays tiers a recouru à la fraude ou à d’autres moyens illégaux afin d’être admis au séjour ou de maintenir son droit de séjour.
La décision d’éloignement peut être assortie d’une interdiction d’entrée de plus de cinq ans lorsque le ressortissant d’un pays tiers constitue une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité nationale.
§ 2. Le ministre ou son délégué s’abstient de délivrer une interdiction d’entrée lorsqu’il met fin au séjour du ressortissant d’un pays tiers conformément à l’article 61/3, § 3, ou 61/4, § 2, sans préjudice du § 1er, alinéa 2, 2o, à condition qu’il ne représente pas un danger pour l’ordre public ou la sécurité nationale.
Le ministre ou son délégué peut s’abstenir d’imposer une interdiction d’entrée, dans des cas particuliers, pour des raisons humanitaires.
§ 3. L’interdiction d’entrée entre en vigueur le jour de la notification de l’interdiction d’entrée. L’interdiction d’entrée ne peut contrevenir au droit à la protection internationale, telle qu’elle est définie aux articles 9ter, 48/3 et 48/4. »
III. ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ EN GÉORGIE
D’après des rapports établis par des organismes spécialisés – Georgia: Health System Review, publié en 2009 par le European Observatory on Health Systems and Policies (World Health Organisation/Europe) et Health Systems Strengthening and Reform Project Private Health Insurance publié en 2010 par la United States Agency for International Development –, le Gouvernement géorgien a mis en place, dès 2007, un vaste programme de privatisation des services publics, y compris les services de santé. En principe, seules les personnes bénéficiant d’une assurance privée ont accès aux soins de santé. Toutefois, parallèlement, des mesures ont été prises pour assurer que les personnes les plus démunies aient également accès aux soins de santé. Ainsi, l’arrêté no 218 du 9 décembre 2009 a été adopté dans le cadre d’un programme d’assistance basé sur la distribution de coupons (vouchers) donnant aux personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté l’accès gratuit à certains soins ambulatoires et hospitaliers, à l’exclusion des médicaments. Le seuil de pauvreté est déterminé selon un système de points et de critères énumérés dans l’arrêté qui tiennent compte de la situation familiale et financière des personnes intéressées. Le statut d’indigent fait l’objet d’une inscription dans un registre, laquelle doit avoir été effectuée avant le 1er avril 2013. En 2009, plus d’un million de personnes bénéficiaient de ce programme. Par ailleurs, des programmes publics sont destinés à couvrir en tout ou en partie certains soins de santé pour les personnes âgées de plus de soixante ans.
S’agissant en particulier des soins de santé nécessités par une leucémie, le rapport publié au sujet de la Géorgie en janvier 2010 par l’organisation internationale non gouvernementale Caritas International (Country Sheet Information Georgia) fait état de ce qui suit :
« Oncological diseases diagnostics and treatment assistance demand particularly great amounts of resources. Hence, full state financing is available for children with oncological diseases, including neuro-oncology. Adults with oncological diseases are divided into 15 groups based on the type of disease, and different tariffs and different levels of co-financing apply for each group. However, in all cases (the) State covers more than 70 % of treatment-related expenses (without medicaments); children
(0-18 years old) are financed 100 %; hospitalisation is covered by the State for 70 %, but not more than 150 GEL (Lari) and 160 GEL (Lari) in the case of tomography; (the) cost of chemotherapy (without medicaments) is covered by 50 % but not more than 250 GEL (Lari). Consultations and treatment in the case of hormone therapy is free. »
En collaboration notamment avec l’Union européenne et la Banque mondiale, le Gouvernement géorgien est engagé dans un projet de réforme du secteur des soins de santé. Ce projet est piloté sur la base d’un document intitulé National Health Care Strategy 2011-2015 qui prévoit plusieurs mesures visant à élargir l’accès aux soins de santé. En outre, le programme annoncé par le Gouvernement mis en place à la suite des élections d’octobre 2012 prévoit l’accès universel de tous les citoyens aux soins de santé de base. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant, né en 1972 au Maroc, déposa, le 5 mars 1996, une requête d’asile en Suisse qui fut rejetée. Une interdiction administrative d’entrée en Suisse du 1er novembre 1996 au 31 octobre 2001 fut prononcée à son encontre.
Le 6 juin 1997, il épousa une citoyenne suisse et put ainsi bénéficier d’un permis de séjour. Le couple rencontra des difficultés et se sépara à plusieurs reprises.
En 2003, des investigations furent ouvertes contre le requérant ainsi que d’autres personnes pour infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants.
Par une ordonnance du 7 février 2006, le requérant fut renvoyé devant le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de La Broye et du Nord Vaudois (ci-après, « le Tribunal correctionnel »).
Lors de l’audience du 27 juillet 2006 devant ce tribunal, suite à l’audition du témoin X., le président de la formation de jugement versa au dossier un procès-verbal antérieur d’audition de X., daté du 4 février 2005, produit le même jour par un enquêteur.
Ce procès-verbal d’audition avait été rédigé et signé par le juge d’instruction de l’arrondissement de la Broye et du Nord Vaudois et faxé le jour même (soit le 4 février 2005) à l’enquêteur qui le produisit à l’audience.
Il en ressort notamment le passage suivant :
« Vous m’avez donné connaissance des déclarations faites le 20 janvier 2005 par [B.] au sujet d’une transaction passée avec [Z.] sur une quantité d’un kilo de cocaïne, dont j’aurais pris moi-même la moitié et que j’aurais payée par la suite en plusieurs fois à [B.] pour 26 000 CHF ou 27 000 CHF. [B.] ne m’a jamais remis plus de 50 grammes de cocaïne (...). Ceci étant, [B.] m’a vendu un kilo à un kilo et demi de cocaïne au total, mais toujours par quantités de 50 grammes au maximum (...).
Z. est effectivement venu au fitness une ou deux fois (...). Je conteste avoir reçu B. dans le bureau avec un kilo de cocaïne, pesé celui-ci, l’avoir partagé et en avoir gardé la moitié (...). Sur votre question, il est possible que [A.] accompagnait Z. et B. lorsqu’ils sont venus pour la deuxième fois au fitness. »
Le procès-verbal de l’audience du 27 juillet mentionnait que :
« Le président verse au dossier le procès-verbal de l’audience de [X.], produit par [Y.], dénonciateur, dont une copie est remise aux parties. »
Le lendemain, 28 juillet 2006, deuxième jour des débats, et après avoir pu interroger les différents enquêteurs, le représentant d’un des coaccusés du requérant requit alors la production au dossier de toutes les pièces se trouvant éventuellement encore dans les locaux des enquêteurs ou du juge d’instruction. Il requit également que l’audience fut suspendue jusqu’au moment où le tribunal et les accusés auront pris connaissance des pièces qui ne se trouvaient pas encore versées au dossier. Les trois autres coaccusés, dont le requérant, adhérèrent à cette demande. Après avoir suspendu l’audience, le Tribunal correctionnel rejeta cette requête au motif que :
« Pour rendre son jugement, le Tribunal se fondera exclusivement sur le dossier du Tribunal, tel qu’il a été constitué et rendu accessible aux parties ; que la réquisition de dossiers ou pièces indéterminées apparaît purement exploratoire, que la pertinence de cette réquisition est inexistante, que si les dénonciateurs se sont référés à quelques rétroactifs contrôles téléphoniques, ceux-ci ont été produits au dossier, dans les séquestres accessibles aux parties, que la requête doit manifestement être rejetée. »
Par un jugement du 2 août 2006, le Tribunal correctionnel condamna le requérant pour recel, contravention et infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants, à sept ans de réclusion, révoqua les sursis qui lui avaient été accordés les 24 mai et 29 septembre 2000, ordonna l’exécution des peines de dix-huit mois de réclusion et l’expulsa du territoire suisse pour une durée de quinze ans. Dans la même décision, il condamna également A., B. et C. à des peines respectives de cinq, dix et trois ans de réclusion.
Par un arrêt du 22 décembre 2006, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois rejeta le recours du requérant. Quant au procès-verbal d’audition du témoin X., produit lors de l’audience du jugement au fond, elle constata que les coaccusés se bornaient à déclarer que le dossier de la cause n’était peut-être pas complet et estima que le procès-verbal litigieux ne suffisait pas pour considérer l’enquête comme étant incomplète.
Le requérant déposa un recours de droit public et un pourvoi en nullité pour arbitraire et violation de la présomption d’innocence.
Par un arrêt du 12 octobre 2007, notifié au requérant le 21 novembre 2007, le Tribunal fédéral rejeta le pourvoi en nullité comme irrecevable. Le recours de droit public fut rejeté par le même arrêt, notamment dans les termes qui suivent :
« 3. Invoquant une violation des art. 6 CEDH et 9 Cst., le recourant soutient qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable et se plaint d’arbitraire, au motif que les juges du fond n’ont pas ordonné aux organes d’instruction la production de tous les documents pertinents, alors qu’une pièce, à savoir le procès-verbal d’une audition de [X.], n’a été versée au dossier que le jour de l’audience.
(...)
2 Lors des débats, le Tribunal correctionnel a entendu [X.] avant de verser au dossier un procès-verbal d’audition de ce témoin, produit par un dénonciateur. Les coaccusés ont alors requis la production au dossier de toutes les pièces se trouvant éventuellement encore dans les locaux des dénonciateurs ou du juge d’instruction.
Le Tribunal correctionnel a rejeté cette requête au motif que celle-ci concernait des pièces indéterminées et était donc sans pertinence (jugement p. 24). La Cour de cassation a constaté que les coaccusés se bornaient à déclarer que le dossier de la cause n’était peut-être pas complet, qu’ils ne mentionnaient pas quelles étaient les pièces manquant au dossier et que rien n’indiquait qu’il existait de tels documents, le procès-verbal d’audition de [X.], produit lors de l’audience du jugement au fond, ne suffisant pas pour considérer l’enquête comme étant incomplète. Elle a également relevé que le Président du Tribunal correctionnel n’avait pas à demander aux dénonciateurs si d’autres pièces manquaient au dossier, les règles de la bonne foi commandant que le recourant posât lui-même la question s’il l’estimait utile (arrêt p. 12 et 14).
Dans son argumentation, le recourant se borne à affirmer que la production tardive d’un procès-verbal tendrait à démontrer que le dossier serait incomplet, alors que les juges cantonaux ont admis le contraire, sans que l’arbitraire ne soit allégué, ni démontré à ce sujet de manière à satisfaire aux conditions posées par l’art. 90 al. 1 let. b OJ. Par ailleurs, le recourant ne précise pas quelles sont les offres de preuves qui auraient pu être écartées du dossier et dans quelle mesure celles-ci auraient été propres à établir des faits pertinents. Il ne fournit aucune précision à ce sujet, de sorte qu’il n’est pas possible de discerner en quoi consiste la violation du droit d’être entendu dont il se prévaut. Le grief est dès lors irrecevable (...) »
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La Constitution fédérale de la Confédération suisse
Article 29
« 1. Toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable.
Les parties ont le droit d’être entendues. »
B. Le code de procédure pénale du canton de Vaud (en vigueur jusqu’au 1er janvier 2011)
Article 43 Droits fondamentaux
« a) Consultation du dossier
Les parties ont en tout temps le droit de consulter le dossier et d’en prendre copie au lieu fixé par le juge, le cas échéant sous surveillance.
Toutefois, si les nécessités de l’instruction l’exigent, le juge peut leur refuser communication de tout ou partie du dossier pour une durée déterminée. »
Article 44
« b) Réquisitions et assistance aux opérations du juge
Les parties ont en tout temps la faculté de requérir les opérations qu’elles estiment utiles ; elles peuvent, si la loi le permet, assister aux diverses opérations d’instruction ordonnées par le juge. »
Article 181 Onglet des auditions
« 1 L’onglet des auditions contient les procès-verbaux des dépositions faites devant le juge, le greffier ou la police et ceux des auditions exécutées par commission rogatoire.
Les procès-verbaux sont classés dans l’ordre chronologique des auditions : leurs pages font l’objet d’une numérotation continue.
3 L’onglet est précédé d’un répertoire alphabétique des personnes entendues, avec renvoi aux pages intéressant chacune d’elles. »
Article 411 Recours en nullité
« a) Motifs
1 Le recours en nullité prévu à l’article qui précède est ouvert en raison d’irrégularités de procédure postérieures à l’arrêt ou à l’ordonnance de renvoi, à savoir : si le tribunal a rejeté à tort des conclusions incidentes du recourant, lorsque ce rejet a été de nature à influer sur la décision attaquée. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Allégations de torture et action formée par M. Jones
Le 15 mars 2001, alors qu’il habitait et travaillait dans le Royaume d’Arabie saoudite, M. Jones fut légèrement blessé lorsqu’une bombe explosa à l’extérieur d’une librairie à Riyad. Il allègue que, le lendemain, il fut sorti de l’hôpital puis irrégulièrement incarcéré par des agents saoudiens pendant soixante-sept jours, au cours desquels il aurait été torturé par un certain lieutenant-colonel Abdul Aziz. Il dit en particulier avoir été frappé à l’aide d’une canne à la paume des mains, aux pieds, aux bras et aux jambes ; giflé et frappé au visage ; pendu par les bras de manière prolongée ; enchaîné aux chevilles ; privé de sommeil et drogué à l’aide de psychotropes.
M. Jones regagna le Royaume-Uni, où un examen médical conclut qu’il avait subi des blessures cadrant avec son récit et où on diagnostiqua chez lui un grave trouble de stress post-traumatique.
Le 27 mai 2002, M. Jones introduisit devant la High Court une action contre « le ministère de l’Intérieur du Royaume d’Arabie saoudite » et le lieutenant-colonel Abdul Aziz, demandant réparation notamment pour des faits de torture. Dans l’exposé de sa demande, il qualifia le lieutenant-colonel Abdul Aziz de serviteur ou d’agent de l’Arabie saoudite. L’introduction de l’action fut signifiée à cet État par le biais de ses solicitors d’alors, mais ceux-ci indiquèrent clairement ne pas avoir qualité pour accepter cette signification au nom du lieutenant-colonel Abdul Aziz.
Le 12 février 2003, l’Arabie saoudite demanda la radiation de l’action au motif qu’elle, ses serviteurs et ses agents avaient droit à l’immunité et que les juridictions anglaises étaient incompétentes. M. Jones demanda la permission de signifier l’action au lieutenant-colonel Abdul Aziz par un autre procédé. Dans un jugement rendu le 30 juillet 2003, un Master (juge procédural) de la High Court dit que l’Arabie saoudite avait droit à l’immunité prévue par l’article 1 § 1 de la loi de 1978 sur l’immunité des États (paragraphe 39 ci-dessous). Il ajouta que le lieutenant-colonel Abdul Aziz avait lui aussi droit à la même immunité et refusa la permission de lui signifier l’action par un autre procédé. M. Jones saisit la Cour d’appel.
B. Allégations de torture faites par M. Mitchell, M. Sampson et M. Walker et actions formées par eux
M. Mitchell et M. Sampson furent arrêtés à Riyad en décembre 2000 ; M. Walker y fut arrêté en février 2001. Ces requérants allèguent tous les trois avoir subi en détention des actes de torture prolongés et systématiques et avoir notamment été frappés aux pieds, aux bras, aux jambes et à la tête, et privés de sommeil. M. Sampson se dit victime d’un viol anal. Ils furent libérés et regagnèrent le Royaume-Uni le 8 août 2003. Pour chacun d’eux, un rapport médical conclut qu’ils avaient subi des blessures cadrant avec leurs récits.
Ces trois requérants décidèrent de former devant la High Court une action contre les quatre personnes qu’ils estimaient responsables : deux policiers, le directeur adjoint de la prison où ils avaient été détenus et le ministre de l’Intérieur, qui selon eux avait cautionné la torture. Ils demandèrent donc la permission de signifier l’introduction de l’action à ces quatre personnes hors du ressort juridictionnel. Le 18 février 2004, le même Master qui avait été saisi de l’action introduite par M. Jones rejeta cette demande, s’appuyant sur la décision qu’il avait antérieurement rendue dans le cas de M. Jones. Reconnaissant cependant avoir pu bénéficier d’arguments plus étoffés que dans le cadre de l’introduction de l’action formée par M. Jones, il dit ceci :
« (...) [s]i la demande dont je suis saisi était inédite, c’est-à-dire si je n’avais pas auparavant tranché l’affaire Jones (...), j’aurais été tenté d’accorder l’autorisation de signification hors ressort parce qu’il me semble que, au vu des arguments, des réponses s’imposent de la part de ces défendeurs sur la question de la compétence des tribunaux à leur égard ».
Avec l’autorisation du Master, les requérants formèrent un recours devant la Cour d’appel.
C. L’arrêt de la Cour d’appel
La jonction des deux affaires fut prononcée et, le 28 octobre 2004, la Cour d’appel publia son arrêt. Elle rejeta à l’unanimité le recours formé par M. Jones contre la décision du Master refusant l’autorisation de signification hors ressort de l’action à l’Arabie saoudite. Cependant, elle donna gain de cause aux demandeurs pour ce qui est du refus d’autorisation de signification de l’action aux personnes physiques défenderesses.
Sur l’immunité de l’Arabie saoudite, Lord Justice Mance, rejoint par Lord Phillips et Lord Justice Neuberger, refusa de s’écarter de la décision rendue par la Cour dans l’affaire Al-Adsani c. Royaume-Uni ([GC], no 35763/97, CEDH 2001XI). Il jugea en outre que l’article 14 § 1 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« la Convention contre la torture ») (paragraphe 63 ci-dessous), qui oblige les États parties à garantir que toute victime d’un acte de torture obtienne réparation, ne pouvait être interprété comme imposant à l’État d’ouvrir des voies de droit contre de tels faits lorsque ceux-ci sont commis par un autre État sur le territoire de celui-ci.
Sur l’immunité des personnes physiques défenderesses, Lord Justice Mance prit en compte la jurisprudence des tribunaux du Royaume-Uni et d’autres juridictions reconnaissant l’immunité d’État ratione materiae aux actes des agents de l’État. Il constata cependant qu’aucune des affaires en cause n’avait pour objet un comportement susceptible de sortir de l’exercice en bonne et due forme d’un pouvoir souverain ou d’être qualifié de crime international et encore moins de torture systématique. Il estima que la définition de la torture donnée à l’article premier de la Convention contre la torture, qui précise que celle-ci doit être infligée « par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite » (paragraphe 59 ci-dessous), ne faisait pas échec aux prétentions des demandeurs :
« 71. (...) Il semble douteux que l’expression « agissant à titre officiel » nuance l’expression « agent de la fonction publique ». Les différents types de buts dans lesquels toute douleur ou souffrance doit être infligée (...) sembleraient représenter une limitation suffisante lorsqu’il s’agit d’un agent de la fonction publique. Quoi qu’il en soit, la condition que la douleur ou la souffrance doit être infligée par un agent de la fonction publique ne fait rien de plus à mes yeux que préciser l’auteur et le contexte officiel dans lequel celui-ci doit agir. Elle ne prête pas aux actes de torture eux-mêmes le moindre caractère ni la moindre nature officiels ou étatiques et elle ne veut pas dire qu’en infliger puisse de quelque manière que ce soit être regardé comme une fonction officielle ni qu’un agent auteur d’actes de ce type puisse passer pour représenter l’État lorsqu’il les inflige. Elle ne signifie pas pour autant que l’agent auteur des méfaits puisse bénéficier du voile de l’immunité de l’État (...) Toute l’idée de la Convention contre la torture est de souligner la responsabilité individuelle des agents de l’État à raison d’actes de torture. »
Lord Justice Mance jugea indifférent que, dans l’exposé de sa demande, M. Jones eût qualifié le lieutenant-colonel Abdul Aziz de « serviteur ou agent » de l’Arabie saoudite. Il refusa en outre de reconnaître que les différences générales entre le droit pénal et le droit civil justifiassent une application différente de l’immunité selon l’un ou l’autre des domaines. Il releva que, dans son arrêt Pinochet (no 3) (paragraphes 44-56 cidessous) la Chambre des lords avait estimé qu’un agent de l’État commettant à titre officiel des actes de torture à l’étranger ne jouissait pas de l’immunité pénale. Il ajouta qu’il était difficile de voir en quoi un procès civil contre l’agent présenté comme tortionnaire pouvait passer pour une plus forte ingérence dans les affaires intérieures d’un État étranger qu’un procès pénal contre la même personne. Il estima en outre incongru que, dans l’hypothèse où le tortionnaire allégué relèverait de la juridiction de l’État du for et où il serait poursuivi sur la base de l’article 5 § 2 de la Convention contre la torture (paragraphe 62 ci-dessous) sans pouvoir prétendre à une immunité, la victime des méfaits allégués ne pouvait engager aucune action au civil. Il jugea enfin que rien ne permettait de supposer que, en matière civile, un État puisse être condamné à endosser la responsabilité de l’un de ses agents reconnu comme l’auteur de tortures systématiques ou à lui prêter un quelconque concours.
Lord Justice Mance estima préférable que la faculté de poursuivre une action contre une personne devant les juridictions anglaises reposât non pas sur l’existence ou non d’une immunité mais sur l’opportunité ou non pour elles d’exercer leur compétence. Il jugea qu’un certain nombre d’éléments devaient être pris en compte dans l’examen de cette question, notamment la sensibilité des questions soulevées et le pouvoir général pour les juridictions anglaises de se déclarer incompétentes au motif que l’Angleterre n’est pas le for approprié pour le litige.
Pesant l’effet de l’article 6, Lord Justice Mance constata d’importantes différences entre un État demandant une immunité ratione personae, comme dans l’affaire précitée Al-Adsani, et un État demandant une immunité ratione materiae pour l’un de ses agents, comme dans les présentes affaires. Il jugea tout d’abord impossible de dégager le moindre principe international établi habilitant l’État à demander l’immunité lorsque l’un de ses agents, et non lui-même, son chef ou ses diplomates, est mis en cause. Il estima que la législation et la jurisprudence des États-Unis (paragraphes 112-125 ci-dessous), clairement en défaveur d’un tel principe, allaient en sens contraire. Sur les éléments produits par le conseil du Gouvernement pour prouver l’existence d’une pratique établie, il releva que la jurisprudence qu’il avait citée auparavant portait soit sur l’immunité de l’État lui-même soit sur l’immunité de certains de ses agents pour des méfaits allégués sans rapport, de par leur nature ou leur gravité, avec le crime international de torture systématique. Il rappela les propos des juges Higgins, Kooijmans et Buergenthal dans leur opinion individuelle jointe à l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) en l’affaire du Mandat d’arrêt (paragraphes 84-85 ci-dessous), confirmant selon lui l’inexistence d’une pratique internationale établie en la matière.
Lord Justice Mance expliqua que dès lors que, en vertu de l’article 14 de la Convention contre la torture, un État a créé une voie de recours interne pour les actes de torture perpétrés sur son territoire, les juridictions d’autres États pouvaient être censées refuser d’exercer leur compétence. Il ajouta cependant que, lorsqu’il n’existe aucune voie de recours adéquate sur le territoire de l’État où les actes de torture systématiques ont été perpétrés, il pouvait être jugé disproportionné de rejeter systématiquement les recours devant les juridictions civiles d’un autre État. Il estima que, si une juridiction étrangère devait se garder de statuer à la légère sur des questions qui relèvent des affaires intérieures d’un autre État, il existait de nombreuses circonstances, en particulier dans le domaine des droits de l’homme, où les juridictions nationales étaient appelées à apprécier et à se prononcer sur la position ou le comportement d’un État étranger.
Lord Justice Mance conclut que donner plein effet à la demande d’immunité ratione materiae formulée par un État étranger à l’égard de l’un de ses agents présenté comme l’auteur d’actes de torture systématiques pouvait vider de toute portée réelle le droit d’accès à un tribunal découlant de l’article 6 si la victime de tels actes n’a aucune perspective de recours sur le territoire de cet État. Il fit donc droit au recours formé par les demandeurs contre les personnes physiques défenderesses et autorisa la poursuite des débats à ce sujet, concluant ceci :
« 96. (...) [I]l me semble que, lorsque sont allégués des actes de torture systématiques, toute conception absolue de l’immunité doit à tout le moins céder la place à une approche plus nuancée et proportionnée. En l’état, au vu des dispositions de la [Convention européenne des droits de l’homme], il suffit de dire dans le cadre du présent recours que, indépendamment de ce que les questions se rapportant à une immunité d’État soient considérées ou non comme théoriquement distinctes de celles se rapportant à la compétence en droit anglais, il faut statuer conjointement sur les questions de la possibilité, de l’opportunité et de la proportionnalité de l’exercice de la compétence. Cette conclusion s’explique par l’importance attachée dans le monde actuel, ainsi que dans la doctrine et la jurisprudence de droit international d’aujourd’hui, à la reconnaissance et à la positivité des droits de l’homme individuels. Elle s’articule harmonieusement avec la situation déjà constatée en matière pénale. Elle satisfait à notre obligation découlant de l’article 6 de [la Convention] de ne pas refuser l’accès à nos tribunaux dans des circonstances où il serait opportun par ailleurs d’exercer la compétence en application de principes de droit interne en la matière, sauf si le refuser [était] conforme à un but légitime et proportionné (...) »
Dans son jugement concordant, Lord Phillips partagea les conclusions de Lord Justice Mance à l’égard tant des demandes dirigées contre l’Arabie saoudite que de celles dirigées contre les personnes physiques défenderesses. Il considéra en particulier que l’arrêt Pinochet (no 3) (paragraphes 44-56 ci-dessous) avait démontré que la torture ne pouvait plus relever des fonctions officielles d’un agent de l’État. Il s’ensuivait selon lui que, dans le cas d’une action au civil formée contre des individus pour des actes de torture lorsque l’État jouissait d’une immunité juridictionnelle, rien ne permettait de dire que la responsabilité de l’État du fait de ses agents pût être engagée : c’est la responsabilité personnelle de ces individus, et non celle de l’État, qui était alors en cause.
Voici ce qu’il dit au sujet de l’approche suivie par la Cour :
« 134. Si la Grande Chambre avait été saisie d’une affaire où l’immunité d’État avait été demandée dans le cadre d’actions formées contre des individus, je ne pense pas qu’une majorité aurait conclu à une restriction légitime au droit d’accès à un tribunal sur le terrain de l’article 6 § 1. Si la Cour avait fait siennes les conclusions qui sont les nôtres dans le cadre du présent recours, elle aurait dit qu’aucune règle reconnue de droit international public ne conférait pareille immunité. Si elle avait conclu à l’existence d’une telle règle, je pense qu’elle aurait vraisemblablement dit qu’il n’aurait pas été proportionné de l’appliquer de manière à faire échec à des actions au civil dirigées contre des personnes physiques. »
D. L’arrêt de la Chambre des lords
L’Arabie saoudite forma devant la Chambre des lords un pourvoi contre la décision de la Cour d’appel à l’égard des personnes physiques défenderesses et M. Jones en fit de même contre la décision de la Cour d’appel à l’égard de ses griefs dirigés contre l’Arabie saoudite elle-même. Par un arrêt rendu le 14 juin 2006, la Chambre des lords, à l’unanimité, donna gain de cause à l’Arabie saoudite et rejeta le pourvoi formé par M. Jones.
Lord Bingham considéra qu’il existait au Royaume-Uni et ailleurs une « abondance de précédents » montrant que l’État pouvait prétendre à l’immunité pour ses serviteurs ou agents et que le droit de l’État à l’immunité ne pouvait être contourné en assignant ces derniers à sa place. Il ajouta que, dans certains cas limites, il pouvait y avoir des doutes sur le point de savoir si le comportement d’une personne, fût-elle serviteur ou agent, était suffisamment lié à l’État pour permettre à ce dernier de demander que ce comportement fût couvert par l’immunité. Il estima cependant qu’il ne s’agissait pas en l’espèce de cas limites. Il constata que le lieutenant-colonel Abdul Aziz était assigné en sa qualité de serviteur ou d’agent de l’Arabie saoudite et que rien n’indiquait qu’il n’eût pas agi dans l’exercice, délibéré ou non, de ses fonctions. Il nota également que les quatre défendeurs dans la seconde affaire étaient des agents de la fonction publique et que les faits dénoncés avaient été commis dans des bâtiments de l’État au cours d’une procédure d’interrogatoire.
Par ailleurs, s’appuyant sur le projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (« le projet d’articles sur la responsabilité de l’État » ; paragraphes 107-109 ci-dessous), Lord Bingham dit ceci : « le droit international n’exige pas, comme condition au droit pour l’État d’exercer son immunité pour le comportement de ses serviteurs ou agents, que ces derniers aient agi conformément à ses instructions ou à son autorité ». Selon lui, que ce comportement fût illégal ou répréhensible n’était pas en soi un motif de refus d’immunité.
Lord Bingham expliqua que, pour pouvoir obtenir gain de cause sur le terrain de la Convention, il y avait trois critères à satisfaire. Le premier d’entre eux était qu’il fallait démontrer que l’octroi de l’immunité rendait applicable l’article 6 de la Convention, ce que Lord Bingham était disposé à présumer compte tenu de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire précitée AlAdsani. Le deuxième était qu’il fallait démontrer que l’octroi de l’immunité empêchait les demandeurs d’accéder à un tribunal, ce dont Lord Bingham était manifestement convaincu. Le troisième était qu’il fallait démontrer que la restriction ne poursuivait aucun objectif légitime et était disproportionnée.
Lord Bingham écarta la thèse des requérants refusant de voir dans la torture un acte de nature étatique ou officielle, au motif que l’article premier de la Convention contre la torture précisait que la torture devait être infligée par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou avec son consentement tacite (paragraphe 59 ci-dessous). Bien que les demandeurs eussent cité bon nombre de précédents faisant autorité démontrant que, en matière d’immunité, les tribunaux des États-Unis estimaient que les actes d’un agent de l’État n’étaient pas accomplis à titre officiel s’ils étaient contraires à une interdiction relevant du jus cogens, Lord Bingham ne jugea pas nécessaire de les examiner car selon lui leur importance se limitait à ce qu’ils exprimaient des principes communément partagés et observés parmi les autres nations. Il rappela cependant que, comme l’avaient dit les juges Higgins, Kooijmans et Buergenthal dans leur opinion individuelle jointe à l’arrêt en l’affaire du Mandat d’arrêt, la démarche « unilatérale » des États-Unis « n’a[vait] pas d’une manière générale suscité l’approbation des États » (paragraphe 84 ci-dessous).
Sur l’invocation par les demandeurs de la recommandation du Comité des Nations unies contre la torture du 7 juillet 2005 concernant le Canada, des observations faites par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) dans son jugement Furundžija, et de l’arrêt de la Cour de cassation italienne dans l’affaire Ferrini c. Allemagne (voir, respectivement, les paragraphes 66, 82 et 140 ci-dessous), Lord Bingham ne vit qu’une moindre autorité dans la première, qu’un obiter dictum dans les deuxièmes et qu’un exposé inexact du droit international dans le troisième.
Lord Bingham distingua quatre arguments avancés par l’Arabie saoudite qui, selon lui, étaient « irrésistibles pris ensemble ». Premièrement, vu la conclusion tirée par la CIJ dans l’affaire du Mandat d’arrêt, il estima que les demandeurs devaient accepter que l’immunité d’État ratione personae pouvait être réclamée pour un ministre des Affaires étrangères en exercice accusé de crimes contre l’humanité et que, dès lors, l’interdiction de la torture ne l’emportait pas de plein droit sur toutes les autres règles de droit international. Deuxièmement, il considéra que l’article 14 de la Convention contre la torture ne donnait aucune compétence universelle en matière civile. Troisièmement, il ne vit dans la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens (paragraphes 75 à 80 ci-dessous) aucune exception à l’immunité en matière civile pour les actes de torture, relevant que, si une telle exception avait été envisagée par un groupe de travail de la Commission du droit international, elle n’avait pas été acceptée (paragraphe 79 ci-dessous). Il fit remarquer sur ce point que, bien qu’ils eussent critiqué cette convention parce qu’elle ne prévoyait aucune exception en matière de torture, certains commentateurs avaient néanmoins reconnu que ce domaine du droit international était « en évolution constante » et qu’il n’existait aucun consensus international en faveur d’une telle exception. Enfin, rien ne prouvait à ses yeux que les États eussent reconnu ou donné effet à une quelconque obligation internationale d’exercer une compétence universelle dès lors qu’est alléguée une violation de normes impératives du droit international, ni qu’il existât un consensus judiciaire ou doctrinal en faveur d’une telle obligation. Pour ces raisons, Lord Bingham confirma le rejet par la Cour d’appel de l’action formée par M. Jones contre l’Arabie saoudite.
S’agissant des personnes physiques défenderesses, Lord Bingham estima indéfendable la conclusion de la Cour d’appel sur les griefs de torture. Il jugea que cette dernière s’était écartée à tort de la position qu’elle avait antérieurement adoptée dans l’affaire Propend, où elle avait assimilé le fait d’un agent de l’État au fait de l’État lui-même (paragraphes 42-43 cidessous). Il expliqua :
« 30. (...) Ce revirement ne repose sur aucun principe. Un État ne peut agir que par le biais de ses serviteurs et agents : les actes accomplis par ces derniers à titre officiel sont ceux de l’État et l’immunité que l’État peut invoquer à leur égard est essentielle au principe de l’immunité d’État. Cette erreur a conduit à la conclusion que le Royaume jouissait d’une immunité, de même que le ministère de l’Intérieur en tant qu’organe de cet État, mais pas le ministre de l’Intérieur (le quatrième défendeur dans la seconde action), une anomalie particulièrement frappante. »
Lord Bingham expliqua que cette première erreur avait conduit la Cour d’appel à en commettre une seconde : sa conclusion qu’une action au civil contre un tortionnaire ne mettait pas directement en cause l’État d’une manière plus critiquable qu’en matière pénale. Il fit observer ceci :
« 31. (...) L’État n’est pénalement responsable ni en droit international ni en droit anglais et ne peut donc directement être mis en cause dans une procédure pénale. Les poursuites contre l’un de ses serviteurs ou agents pour des actes de torture, au sens de l’article premier de la Convention contre la torture, se fonde sur une exception expresse à la règle de principe de l’immunité. Il est toutefois évident qu’une action au civil formée contre des personnes physiques tortionnaires à raison d’actes de torture perpétrés à titre officiel met bel et bien indirectement l’État en cause puisque ces actes lui sont imputables. Permettre à de telles actions contre des personnes physiques d’être introduites et couronnées de succès heurterait manifestement les intérêts du Royaume, quand bien même celui-ci ne serait pas une partie désignée. »
Pour Lord Bingham, ces deux erreurs étaient dues à une mauvaise interprétation de l’arrêt Pinochet (no 3) (paragraphes 44-56 cidessous), dont la portée se limiterait au domaine pénal. La distinction entre la procédure pénale (qui est l’objet de la compétence universelle) et la procédure civile (qui ne l’est pas) était selon lui « fondamentale » et ne pouvait être « occultée ».
Enfin, Lord Bingham constata que la Cour d’appel avait conclu que la compétence pouvait être régie par « l’usage approprié ou le développement de principes d’appréciation souveraine ». Il y vit une dénaturation de la substance de l’immunité d’État. Selon lui, lorsqu’elle était applicable, l’immunité d’État était une fin de non-recevoir et soit l’État jouissait d’une immunité devant les juridictions étrangères soit il n’en jouissait pas, si bien qu’il n’y avait matière à l’exercice d’une appréciation souveraine.
Lord Hoffmann, s’associant à la décision, considéra qu’il n’y avait pas de conflit automatique entre l’interdiction de la torture tirée du jus cogens et les règles en matière d’immunité d’État : celle-ci était selon lui une règle de procédure et, en réclamant l’immunité, l’Arabie saoudite cherchait non pas à justifier la torture mais simplement à s’opposer à la compétence des juridictions anglaises pour déterminer si elle avait recouru ou non à la torture. Il s’appuya sur l’observation faite par Me Hazel Fox QC (The Law of State Immunity, Oxford University Press, 2004, p. 525), selon laquelle l’immunité d’État « ne contrevient pas à une interdiction tirée d’une règle de jus cogens mais se contente de renvoyer tout manquement à celle-ci à un autre mode de règlement ». Pour Lord Hoffmann, un conflit ne pouvait naître que si l’interdiction de la torture s’accompagnait d’une règle procédurale connexe qui, par exception à l’immunité d’État, donnait à un État compétence en matière civile à l’égard des autres États. À l’instar de Lord Bingham, il releva que les précédents cités ne permettaient pas d’établir l’existence d’une telle règle en droit international.
Sur l’application de l’immunité d’État aux personnes physiques défenderesses, Lord Hoffmann indiqua que, pour établir que l’octroi de l’immunité à un agent de l’État viole le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention, il est nécessaire, comme avec l’immunité de l’État lui-même, de démontrer que le droit international n’impose pas d’accorder l’immunité civile aux agents accusés d’actes de torture. Il constata une nouvelle fois qu’il était impossible de relever pareille exception dans un traité. Après avoir examiné en détail les modalités de mise en jeu de la responsabilité de l’État du fait de ses agents en droit international, il conclut qu’il était clair que cette responsabilité ne serait engagée que si l’un de ses agents, « se prévalant d’une compétence », torturait un ressortissant d’un autre État, que les actes fussent licites et autorisés ou non. Il exposa :
« 78. (...) Dire, pour les besoins de l’immunité d’État, que [l’agent] n’agissait pas à titre officiel conduirait à un hiatus entre les règles de responsabilité et les règles d’immunité.
De plus, en matière de torture, il y aurait un hiatus encore plus fort entre la Convention contre la torture et les règles d’immunité s’il fallait juger que le même acte est officiel pour les besoins de la définition de la torture mais ne l’est pas pour les besoins de l’immunité (...) »
Lord Hoffmann jugea insatisfaisante la conclusion de Lord Justice Mance selon laquelle la définition de la torture donnée dans la Convention contre la torture ne prêtait pas le moindre caractère officiel aux actes de torture eux-mêmes :
« 83. (...) Les actes de torture sont soit des actes officiels soit ne le sont pas. La Convention contre la torture ne leur « prête » aucun caractère officiel : il faut au préalable qu’ils aient été commis à titre officiel pour entrer dans le champ d’application de la Convention. Et s’ils l’ont suffisamment été pour y entrer, je ne vois pas pourquoi ils ne l’auraient pas suffisamment été pour faire jouer l’immunité. »
Lord Hoffmann jugea également inopportune la conception qu’avait la Cour d’appel de l’exercice de la compétence, au motif que l’immunité d’État était une restriction non pas imposée par celui-ci mais « par le droit international sans distinction entre un État ou un autre ». Il conclut qu’il aurait été « on ne peut plus injuste que le pouvoir judiciaire puisse décider d’autoriser une enquête sur des allégations de torture contre les agents d’un État étranger mais pas contre ceux d’un autre ».
II. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT ET DE PRATIQUE INTERNES
A. La loi de 1978 sur l’immunité des États
La partie I de la loi sur l’immunité de l’État de 1978 traite de l’étendue de l’immunité de l’État en matière civile. En voici l’article 1 :
« 1. 1) L’État jouit de l’ immunité devant les cours et tribunaux du Royaume-Uni sauf dans les cas visés aux dispositions suivantes de la présente partie de la loi.
2) Les tribunaux donneront effet à l’immunité conférée par le présent article quand bien même l’État ne comparaîtrait pas dans l’action en cause. »
Le reste de la partie I énonce les exceptions à l’immunité, notamment : l’acceptation de la compétence (article 2) ; les transactions et contrats commerciaux exécutoires au Royaume-Uni (article 3) ; les contrats de travail (article 4) ; les dommages aux personnes et aux biens « causés par une action ou une omission au Royaume-Uni » (article 5) ; la propriété, la possession et l’usage de biens (article 6) ; les brevets et marques déposées (article 7) ; la détention de parts sociales (article 8) ; l’arbitrage (article 9) ; les bateaux utilisés à des fins commerciales (article 10) ; la taxe sur la valeur ajoutée et les droits de douane (article 11).
L’article 14 de la loi dispose :
« 14. 1. Les immunités et privilèges conférés par la présente partie de la loi s’appliquent à tout État étranger et à tout État du Commonwealth autre que le Royaume-Uni et, par « État » il faut aussi entendre
a) le souverain ou chef de l’État en sa qualité officielle ;
b) le gouvernement de cet État ;
c) tout organe de ce gouvernement,
mais non une entité distincte des organes exécutifs du gouvernement et ayant capacité à ester en justice (ci-après « l’entité séparée »).
Une entité séparée jouit d’une immunité juridictionnelle au Royaume-Uni si et seulement si
a) l’action en justice a pour objet un acte commis par elle dans l’exercice de prérogatives de puissance publique et
b) l’État aurait joui d’une immunité au vu des circonstances. »
B. Propend Finance Pty Ltd v. Sing and another (1997) 111 ILR 611 (« l’affaire Propend »)
Dans l’affaire Propend, la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles examina l’applicabilité de la loi de 1978 au chef de la police fédérale australienne. Elle estima que le défendeur jouissait de l’immunité d’État, indiquant ceci :
« La protection offerte à l’État par la loi de 1978 serait compromise si ses employés [ou] agents (...) pouvaient être assignés individuellement pour des questions relevant des activités d’État pour lesquelles l’État qu’ils servent jouit d’une immunité. L’article 14 § 1 doit être interprété comme accordant aux personnes physiques employées par un État étranger ou agents de celui-ci une protection sous le même voile que celui qui protège l’État lui-même. »
La Cour d’appel releva que cette conclusion trouvait un large appui dans les juridictions du Commonwealth et étrangères, citant des affaires allemandes, canadiennes et américaines.
C. Regina v. Bow Street Metropolitan Stipendiary Magistrate and Others, ex parte Pinochet Ugarte (No. 3) [2000] 1 AC 147 (« l’affaire Pinochet (no 3) »)
L’affaire Pinochet (no 3) concernait une demande formulée par l’Espagne tendant à l’extradition du territoire britannique du sénateur Augusto Pinochet afin qu’il fût jugé pour des crimes, notamment des actes de torture, perpétrés principalement au Chili à l’époque où il en était le chef d’État. M. Pinochet ainsi que le gouvernement chilien soutenaient qu’il jouissait d’une immunité ratione materiae à l’égard des infractions alléguées. La Chambre des lords rendit son arrêt en mars 1999, jugeant à l’unanimité que le défendeur ne jouissait d’aucune immunité pénale s’agissant des chefs de torture.
Lord Browne-Wilkinson observa que, s’il fallait refuser au défendeur le droit à l’immunité à raison d’actes de torture, ce serait la première fois qu’une juridiction interne refuserait d’octroyer l’immunité à un ancien chef d’État au motif que certains crimes internationaux échappaient à toute immunité pénale. Il expliqua que la Convention contre la torture était censée créer un système international interdisant tout refuge aux tortionnaires. Il jugea importants les points suivants : 1) la « torture » sur ce terrain ne pouvait être que celle commise par un agent de la fonction publique ou par une autre personne agissant à titre officiel, ce qui incluait le chef de l’État ; 2) l’ordre d’un supérieur n’était pas un moyen de défense ; 3) il existait une compétence universelle en matière pénale ; 4) aucune disposition expresse ne régissait l’immunité de l’État ; 5) le Chili, l’Espagne et le Royaume-Uni étaient tous parties à la Convention et donc liés par ses dispositions.
Il en vint ainsi aux faits de l’espèce :
« La question qui se pose ensuite est celle de savoir si la torture d’État qu’aurait instaurée M. Pinochet (à la supposer avérée) constitue un acte commis par celui-ci dans le cadre de ses fonctions officielles de chef d’État. Il ne suffit pas de dire que perpétrer un crime ne saurait relever des fonctions d’un chef d’État. Il se peut qu’un fait délictueux au regard du droit interne soit néanmoins commis à titre officiel et fasse donc jouer l’immunité ratione materiae. Une analyse plus poussée s’impose. »
Lord Browne-Wilkinson estima qu’il y avait de bonnes raisons de dire que l’exécution d’actes de torture, tels que définis dans la Convention contre la torture, ne pouvait être une fonction d’État, même s’il doutait que, avant l’entrée en vigueur de cet instrument, l’existence d’un crime international de torture relevant du jus cogens fût suffisante pour justifier la conclusion que l’instauration d’une torture d’État n’était pas assimilable, à des fins d’immunité, à l’exécution d’une fonction officielle. Il poursuivit :
« (...) Ce n’est que lorsqu’il existera une certaine forme de compétence universelle pour la répression du crime de torture que l’on pourra réellement parler de crime international dans le sens entier du terme. Mais, à mon avis, la Convention contre la torture prévoit ce qui manquait : une compétence universelle partout dans le monde. De plus, elle impose à tous ses États parties d’interdire et de bannir la torture (article 2). Comment pourrait-il exister en droit international une fonction officielle consistant à faire quelque chose que le droit international lui-même prohibe et réprime ? »
Lord Browne-Wilkinson considéra qu’assimiler l’instauration d’un régime de torture à une fonction d’État donnant lieu à une immunité ratione materiae produirait des résultats bizarres. Il expliqua que, puisqu’une telle immunité s’étendrait à tous les agents de l’État participant à l’exercice de fonctions d’État et que le crime international de torture en vertu de la Convention contre la torture ne pourrait être commis que par un agent ou toute autre personne agissant à titre officiel, tous les tortionnaires jouiraient de l’immunité. Il estimait dès lors qu’il n’y avait aucune possibilité hors du territoire chilien de poursuivre avec succès la partie défenderesse pour des actes de torture tant que ce pays ne serait pas disposé à renoncer à son immunité. Il en conclut :
« (...) Ainsi, tout le schéma élaboré donnant compétence universelle en matière d’actes de torture commis par des agents de l’État avorterait et l’un des buts principaux de la Convention contre la torture – mettre en place un système où il n’y aurait aucun refuge pour les tortionnaires – serait contrecarré. À mon sens, tous ces éléments pris ensemble montrent que la notion d’immunité continue pour les anciens chefs d’État n’est pas conforme aux dispositions de la Convention contre la torture. »
Lord Hope of Craighead se pencha sur la question de savoir si la notion de fonction officielle englobait les actes de même nature que ceux allégués dans cette affaire, c’est-à-dire des actes non pas privés mais commis dans l’exercice de fonctions d’État. Il dit ceci :
« (...) Je pense que la réponse à cette question est bien établie en droit international coutumier. Le critère consiste à rechercher s’il s’agit d’actes privés ou d’actes d’État accomplis dans l’exercice des prérogatives du chef de l’État. Il faut rechercher si l’acte a été accompli dans l’intérêt de l’État, c’est-à-dire s’il a été commis au profit ou pour la gratification de son auteur, ou pour le compte de l’État (...) Le fait qu’un acte accompli pour le compte de l’État ait impliqué un comportement de nature délictueuse n’écarte pas l’immunité (...)
On peut affirmer que commettre des actes de nature délictueuse au regard des lois et de la Constitution de son propre État ou au regard du droit international coutumier ne relève pas des fonctions d’un chef d’État. Cela dit, j’estime inapproprié du point de vue des principes d’aborder ainsi la question. Le principe de l’immunité ratione materiae s’applique à tout acte accompli par le chef d’État dans l’exercice des prérogatives de puissance publique. La finalité de ces actes les protège de tout examen plus poussé. Le droit international coutumier ne reconnaît à ce principe que deux exceptions. La première concerne les faits délictueux commis par un chef d’État en se prévalant d’une compétence relevant de cette qualité mais qui, en réalité, ne visent que son plaisir ou son bénéfice (...) La seconde concerne les actes dont l’interdiction en droit international a acquis valeur de jus cogens. »
Lord Hope conclut que, depuis l’adoption de la Convention contre la torture, plus aucun État signataire de celle-ci ne peut invoquer l’immunité ratione materiae en cas d’allégation d’actes de torture systématiques ou généralisés, constitutifs d’un crime international, commis postérieurement. Il expliqua :
« Je n’y vois là aucun cas de renonciation. Je ne pense pas non plus que la Convention contre la torture dise implicitement que les anciens chefs d’État sont privés de leur immunité ratione materiae à l’égard de tout acte de torture commis à titre officiel, tel que défini à l’article premier. Ce que je veux simplement dire, c’est que les obligations que, à la date où le Chili a ratifié la Convention, le droit international coutumier reconnaissait pour des crimes internationaux aussi graves sont si lourdes qu’elles l’emportent sur toute exception tirée par cet État de l’immunité ratione materiae à l’exercice, par le Royaume-Uni, de sa compétence pour des crimes postérieurs à cette date. »
Lord Hutton conclut que le but manifeste de la Convention contre la torture était de poursuivre tout agent d’un État tortionnaire qui se trouverait sur le territoire d’un autre État. Il estima donc que la partie défenderesse ne pouvait arguer que la perpétration d’actes de torture postérieurement à l’entrée en vigueur de cette convention relevait des fonctions de chef d’État. Il considéra que si cette partie avait commis, en se prévalant de sa qualité de chef d’État, les actes de torture dont elle était accusée, ceux-ci ne pouvaient pas être regardés comme relevant des fonctions d’un chef d’État en droit international dès lors que celui-ci interdisait expressément la torture comme mesure qu’un État peut employer en toutes circonstances et l’a érigée en crime international.
Lord Saville of Newdigate estima lui aussi que, depuis l’entrée en vigueur de la Convention contre la torture, l’immunité d’État ratione materiae pour des actes de torture ne pouvait plus exister sans violer les dispositions de cet instrument. Donc, selon lui, il existait entre l’Espagne, le Chili et le Royaume-Uni un accord sur une exception à la règle de principe de l’immunité d’État ratione materiae à la date où ces trois États étaient devenus parties à ce traité.
Lord Millett dit que la définition de la torture dans la Convention contre la torture faisait entièrement échec à tout argument tiré de l’immunité ratione materiae. Il conclut :
« (...) étant partie à la Convention contre la torture, la République du Chili est réputée avoir consenti à l’imposition d’une obligation pour les juridictions étrangères d’assumer et d’exercer leur compétence en matière pénale dès lors qu’il est fait usage de la torture à titre officiel. À mon sens, il n’y avait aucune immunité à laquelle il fallait renoncer. L’infraction figure parmi celles qui ne peuvent être commises que dans des circonstances qui permettraient en principe de faire jouer l’immunité. La communauté internationale a créé une infraction échappant à toute immunité ratione materiae. Le droit international ne saurait être censé avoir instauré un crime ayant valeur de jus cogens tout en prévoyant une immunité de même portée que l’obligation qu’il cherche à imposer. »
Il vit une différence entre le civil et le pénal, disant ceci :
« (...) Il n’y a à mes yeux rien d’illogique ou de contraire à l’ordre public de refuser aux victimes d’une torture cautionnée par l’État le droit d’assigner celui-ci devant une juridiction étrangère tout en permettant (voire en imposant) en même temps aux autres États de condamner et de punir les personnes responsables si l’État en cause manque à agir. C’est le but même de la Convention contre la torture. Il est important de souligner que nul n’allègue que la responsabilité de M. Pinochet est engagée parce qu’il était chef d’État lorsque d’autres responsables ont recouru à la torture pour le maintenir au pouvoir. Nul n’allègue qu’il est responsable par procuration des méfaits perpétrés par ses subordonnés. C’est pour ses propres actes qu’il est directement incriminé, c’est-à-dire pour avoir ordonné et dirigé une campagne de terreur au cours de laquelle fut notamment employée la torture. »
Lord Phillips of Worth Matravers fit également observer que les principes du droit de l’immunité qui étaient applicables en matière civile ne l’étaient pas forcément en matière pénale. Il dit que, si la procédure dans l’affaire Pinochet avait été de nature civile, le Chili aurait pu soutenir qu’il était indirectement mis en cause, mais que cet argument ne jouait pas puisque le procès était pénal et qu’il était question de la responsabilité personnelle non pas du Chili mais de la partie défenderesse. S’agissant de la question posée en l’espèce, à l’instar de Lord Saville, il estima que l’immunité d’État ratione materiae ne pouvait coexister avec la notion de crime international. Étant donné que, en matière de torture, le seul comportement relevant de la Convention contre la torture était celui sujet à l’immunité ratione materiae si celle-ci devait jouer, cet instrument était incompatible selon lui avec l’applicabilité d’une telle immunité.
Lord Goff of Chieveley, en désaccord, estima évident que, s’il fallait exclure en l’espèce l’immunité d’État en matière de torture, seule la Convention contre la torture elle-même pouvait le faire. Il considéra que le principe bien établi voulant que l’État ne puisse renoncer qu’expressément à son immunité ne pouvait être contourné en concluant que la torture ne figurait pas parmi les fonctions d’un État et que de tels actes n’étaient pas couverts par l’immunité ratione materiae. Il souligna que rien n’indiquait que, au cours des négociations à l’origine de la Convention contre la torture, une renonciation à l’immunité d’État eût été envisagée de quelque manière que ce fût. Il ajouta que, s’il fallait exclure l’immunité ratione materiae, les anciens chefs d’État et les hauts fonctionnaires auraient à réfléchir à deux fois avant de se rendre à l’étranger, de peur d’être l’objet d’allégations infondées émanant d’États d’un autre bord politique. Il en conclut à l’applicabilité de l’immunité d’État.
D. Signification hors ressort de l’introduction d’instances
La partie 6 des règles de procédure civile pour l’Angleterre et le pays de Galles régit la signification hors ressort de l’introduction d’une instance. À l’époque des faits, les règles 6.20 et 6.21 imposaient à tout demandeur souhaitant signifier l’introduction d’une instance hors ressort d’établir que son action avait des chances raisonnables de succès, de convaincre le juge qu’il y avait lieu en l’espèce que celui-ci, en vertu de son pouvoir d’appréciation souverain, autorisât la signification, et de démontrer que l’Angleterre et le pays de Galles étaient le bon ressort où ouvrir l’instance.
E. Indemnisation dans une procédure pénale
L’article 130 de la loi de 2000 sur les pouvoirs des juridictions pénales en matière de fixation des peines (Powers of Criminal Courts Sentencing Act 2000) permet à toute juridiction pénale d’ordonner une indemnisation pour blessure physique, perte ou préjudice résultant d’une infraction pénale. Pareille décision vise les cas simples et ordinaires où le montant des dommages-intérêts peut être rapidement et facilement fixé et où le juge dispose de tous les éléments nécessaires. Elle n’est pas censée se recouper avec l’indemnisation en matière civile, lorsque l’estimation du préjudice est parfois difficile.
III. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL
A. Interdiction de la torture
Le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite et 151 autres États sont parties à la Convention contre la torture de 1984, dont voici l’article premier :
« 1. Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.
Cet article est sans préjudice de tout instrument international ou de toute loi nationale qui contient ou peut contenir des dispositions de portée plus large. »
L’article 2 § 1 de cet instrument impose aux États de prendre « des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction ».
L’article 4 impose aux États de garantir que tous les actes de torture, y compris la tentative de pratiquer la torture ou tout acte constitutif d’une complicité ou d’une participation à l’acte de torture, constituent des infractions au regard de son droit pénal.
L’article 5 dispose :
« 1. Tout État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4 dans les cas suivants :
a) quand l’infraction a été commise sur tout territoire sous la juridiction dudit État ou à bord d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet État ;
b) quand l’auteur présumé de l’infraction est un ressortissant dudit État ;
c) quand la victime est un ressortissant dudit État et que ce dernier le juge approprié.
Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit État ne l’extrade pas conformément à l’article 8 vers l’un des États visés au paragraphe 1 du présent article.
La présente Convention n’écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois nationales. »
L’article 14 dispose :
« 1. Tout État partie garantit, dans son système juridique, à la victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. En cas de mort de la victime résultant d’un acte de torture, les ayants cause de celle-ci ont droit à indemnisation.
Le présent article n’exclut aucun droit à indemnisation qu’aurait la victime ou toute autre personne en vertu des lois nationales. »
Les États-Unis ont assorti la ratification par eux de la Convention contre la torture d’une réserve indiquant que, selon leur interprétation de l’article 14, ce dernier faisait obligation à l’État partie de garantir aux particuliers le droit d’exercer une action en réparation uniquement à raison des actes de torture commis dans le territoire relevant de sa juridiction.
Dans ses conclusions et recommandations du 12 juin 2002 sur le rapport périodique produit par l’Arabie saoudite (CAT/C/CR/28/5), le Comité contre la torture a jugé préoccupante l’incapacité apparente de l’Arabie saoudite d’offrir des mécanismes d’enquête efficaces sur les plaintes pour manquement à la Convention contre la torture et il a relevé que, malgré la mise en place de mécanismes conçus pour assurer une indemnisation aux victimes d’actes contraires à la Convention contre la torture, dans la réalité, les intéressés obtenaient rarement satisfaction et qu’en conséquence le plein exercice des droits garantis par la Convention s’en trouvait limité.
Dans ses conclusions et recommandations du 7 juillet 2005 sur le rapport périodique produit par le Canada (CAT/C/CR/34/CAN), le Comité a jugé préoccupante l’absence, dans ce pays, de mesures effectives d’indemnisation au civil des victimes de torture dans toutes les affaires. Il a relevé que la possibilité d’indemnisation n’existait que pour les actes de torture infligés au Canada, pas pour ceux infligés ailleurs. Il a recommandé au Canada de revoir « sa position concernant l’article 14 de la Convention en vue d’assurer l’indemnisation par la juridiction civile de toutes les victimes de torture ».
Dans son Observation générale no 3 (2012), le Comité a examiné la question de la mise en œuvre de l’article 14 par les États parties. Sur la portée du droit à la réparation, il a notamment relevé ceci :
« 22. En vertu de la Convention, les États parties sont tenus de poursuivre ou d’extrader les auteurs présumés d’actes de torture qui se trouvent sur tout territoire sous leur juridiction et d’adopter la législation nécessaire à cette fin. Le Comité considère que l’application de l’article 14 ne se limite pas aux victimes de préjudices commis sur le territoire de l’État partie ou commis par ou contre un ressortissant de l’État partie. Le Comité a salué les efforts des États parties qui ont offert un recours civil à des victimes soumises à la torture ou à des mauvais traitements en dehors de leur territoire. Cela est particulièrement important quand la victime n’est pas en mesure d’exercer les droits garantis par l’article 14 sur le territoire où la violation a été commise. En effet l’article 14 exige que les États parties garantissent à toutes les victimes de torture et de mauvais traitements l’accès à des moyens de recours et la possibilité d’obtenir réparation. »
Sur les questions de l’immunité d’État et de l’obstacle qu’il constitue au droit à réparation, le Comité a dit ceci :
« 42. De même, le fait d’assurer l’immunité, en violation du droit international, à tout État ou à ses agents ou à des acteurs extérieurs à l’État pour des actes de torture ou de mauvais traitements est directement en conflit avec l’obligation d’assurer une réparation aux victimes. Quand l’impunité est permise par la loi ou existe de fait, elle empêche les victimes d’obtenir pleinement réparation car elle permet aux responsables de violations de rester impunis et dénie aux victimes le plein exercice des autres droits garantis à l’article 14. Le Comité affirme qu’en aucune circonstance la nécessité de protéger la sécurité nationale ne peut être invoquée comme argument pour refuser aux victimes le droit à réparation. »
Dans l’affaire Le procureur c. Furundžija (IT-95-17/1-T, jugement du 10 décembre 1998), le TPIY a jugé que l’interdiction de la torture avait valeur de jus cogens, ce qui selon lui traduisait l’idée que cette interdiction était désormais l’une des normes les plus fondamentales de la communauté internationale. Il en a dit de même dans les affaires Le procureur c. Delalić et autres (IT-96-21-T, jugement du 16 novembre 1998) et Le procureur c. Kunarac et autres (IT-96-23-T et IT-96-23/1-T, jugement du 22 février 2001).
B. Immunité d’État
La Convention européenne sur l’immunité des États de 1972 (« la Convention de Bâle »)
La Convention de Bâle a été signée par neuf États membres du Conseil de l’Europe et ratifiée par huit, dont le Royaume-Uni en 1979.
En vertu de l’article 15 de cet instrument, les États contractants bénéficient de l’immunité de juridiction devant les tribunaux d’un autre État contractant si la procédure ne relève pas des articles 1 à 14. L’article 27 précise que l’expression « État contractant » n’inclut pas une entité d’un État contractant distincte de celui-ci et ayant la capacité d’ester en justice, même lorsqu’elle est chargée d’exercer des fonctions publiques.
Les articles 1 à 14 englobent les procédures relatives aux contrats de travail (article 5), à la participation à une société ou à une autre personne morale (article 6), à des transactions commerciales (article 7), à la propriété intellectuelle et industrielle (article 8), à la propriété, la possession et l’usage de biens immobiliers (article 9), aux préjudices corporels ou matériels résultant d’un fait survenu sur le territoire de l’État du for (article 11) et aux accords d’arbitrage (article 12).
L’article 24 permet à l’État de déclarer que, sans préjudice des dispositions de l’article 15 et en dehors des cas relevant des articles 1 à 13, ses tribunaux pourront connaître de procédures engagées contre un autre État contractant dans la mesure où ils peuvent en connaître contre des États qui ne sont pas parties à cette convention. Six États, dont le Royaume-Uni, ont formulé une déclaration de ce type.
La Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens de 2004
En 1991, la Commission du droit international (« la CDI ») adopta son projet d’articles sur les immunités juridictionnelles des États (« le projet d’articles sur les immunités »).
La Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles, fondée sur ce projet d’articles, fut adoptée en 2004. Quatorze États y sont parties et dix-huit autres l’ont signée. Elle n’est pas encore entrée en vigueur car il lui faut encore trente ratifications pour ce faire. Le Royaume-Uni l’a signée mais ne l’a pas ratifiée et l’Arabie saoudite y a adhéré le 1er septembre 2010.
L’article 5 de cet instrument énonce comme principe que tout État jouit de l’immunité de juridiction devant les tribunaux d’un autre État. L’article 2 § 1 b) iv) précise que le terme « État » désigne aussi les représentants de celui-ci agissant à ce titre. La CDI, dans son commentaire relatif à cette disposition dans le projet d’articles sur les immunités (qui figure sous l’article 2 § 1 b) v)), donne l’explication suivante :
« 17) La cinquième et dernière catégorie comprend toutes les personnes physiques qui sont autorisées à représenter l’État dans toutes ses manifestations, telles que relevant des quatre catégories mentionnées aux alinéas b, i) à iv), du paragraphe 1. Les souverains ou chefs d’État agissant à titre officiel entrent donc à la fois dans cette catégorie et dans la première catégorie, puisque ce sont, au sens large, des organes du gouvernement de l’État. Parmi les autres représentants figurent les chefs de gouvernement, les directeurs de département ministériel, les ambassadeurs, les chefs de mission, les agents diplomatiques et les fonctionnaires consulaires, agissant dans leurs fonctions de représentation. Les mots « agissant en cette qualité », à la fin de l’alinéa b, v), du paragraphe 1, visent à préciser que ces immunités leur sont reconnues en tant que représentants ratione materiae. »
L’article 6 § 1 de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles prévoit qu’un État donne effet à l’immunité en s’abstenant d’exercer sa juridiction dans une procédure devant ses tribunaux contre un autre État. L’article 6 § 2 ajoute qu’une procédure devant un tribunal d’un État est considérée comme étant intentée contre un autre État lorsque celuici est cité comme partie à la procédure ou qu’il n’est pas cité comme partie à la procédure mais que cette procédure vise en fait à porter atteinte aux biens, droits, intérêts ou activités de cet autre État.
La troisième partie de cet instrument énumère les procédures où les États ne peuvent pas invoquer l’immunité, notamment les transactions commerciales (article 10), les contrats de travail (article 11), les atteintes à l’intégrité physique d’une personne ou les dommages aux biens dus à un acte ou à une omission s’étant produits en totalité ou en partie sur le territoire de l’État du for (article 12), la propriété, la possession et l’usage de biens (article 13), la propriété intellectuelle et industrielle (article 14), la participation à des sociétés ou à d’autres groupements (article 15), les navires dont un État est le propriétaire ou l’exploitant (article 16), et les accords d’arbitrage (article 17).
La Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles ne prévoit aucune exception à l’immunité d’État fondée sur une violation alléguée de règles de jus cogens (« l’exception tirée du jus cogens »). Lors de sa 51e session, en 1999, la CDI créa un groupe de travail sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, conformément à la résolution no 53/98 de l’Assemblée générale des Nations unies portant sur ce qui n’était encore que le projet d’articles sur les immunités. Dans sa résolution, l’Assemblée générale invitait la CDI à présenter toutes observations préliminaires qu’elle pourrait souhaiter formuler au sujet des questions de fond non encore réglées se rapportant au projet d’articles sur la responsabilité de l’État, compte tenu de l’évolution récente de la pratique des États et des autres facteurs se rapportant à cette question apparus depuis l’adoption du projet d’articles sur les immunités. Ce groupe de travail examina donc notamment la pratique récente en matière d’immunités juridictionnelles dans ce domaine. Il prit note de l’évolution récente de la pratique et de la législation des États et évoqua l’existence d’un certain soutien pour l’idée que les représentants de l’État ne devraient pas être en droit d’invoquer l’immunité devant les juridictions tant civiles que pénales pour les actes de torture commis sur le territoire de leur État. Aucun amendement au projet d’articles sur les immunités ne fut proposé avant l’adoption de la Convention en 2004.
Trois États présentèrent des déclarations lorsqu’ils ratifièrent la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles. La Norvège et la Suède déclarèrent que cet instrument était sans préjudice de tout développement juridique international éventuel concernant la protection des droits de l’homme. La Suisse considéra que l’article 12 ne réglait pas la question des actions en réparation pécuniaire pour des violations graves de droits de l’homme prétendument attribuables à un État et commises en dehors de l’État du for, ajoutant à l’instar de la Norvège et de la Suède que cette convention ne préjugeait pas les développements du droit international dans ce domaine.
Jurisprudence pertinente des tribunaux internationaux
a) Le procureur c. Blaškić (1997) 110 ILR 607
En l’affaire Blaškić, la chambre d’appel du TPIY a dit ceci sur la responsabilité personnelle des agents de l’État pour fait illicite :
« 38. La Chambre d’appel rejette la possibilité que le Tribunal international puisse décerner des injonctions aux responsables officiels des États agissant ès qualités. Ces officiels ne sont que des agents de l’État et leurs actions officielles ne peuvent être attribuées qu’à l’État. Ils ne peuvent faire l’objet de sanctions ou de pénalités pour une action qui n’est pas privée mais entreprise au nom d’un État. En d’autres termes, les responsables officiels des États ne peuvent subir les conséquences des actes illicites que l’on ne peut leur attribuer personnellement mais qui sont imputables à l’État au nom duquel ils agissent : ils jouissent d’une immunité dite fonctionnelle. C’est là une règle bien établie du droit international coutumier qui remonte aux dix-huitième et dix-neuvième siècles et qui, depuis, a été réaffirmée à de nombreuses reprises. Plus récemment, la France a adopté dans l’affaire du Rainbow Warrior une position fondée sur cette règle. Celle-ci a aussi été clairement énoncée par la Cour suprême d’Israël dans l’affaire Eichmann.
(...)
(…) Il est bien établi que le droit international coutumier protège l’organisation interne de chaque État souverain. Il laisse à chacun d’eux le soin de déterminer sa structure interne et, en particulier, de désigner les individus qui agiront en tant qu’organes ou agents de l’État. Chaque État souverain a le droit d’adresser des instructions à ses organes, aussi bien ceux opérant au plan national que ceux opérant dans le champ des relations internationales, de même qu’il peut prévoir des sanctions ou autres remèdes en cas de non-respect de ces instructions. Le corollaire de ce pouvoir exclusif des États est que chacun d’eux est en droit d’exiger que les actes ou opérations accomplis par l’un de ses organes agissant ès qualités soient imputés à l’État, si bien que l’organe en question ne peut être tenu de répondre de ces actes ou opérations. » (notes de bas de page omises)
b) Le procureur c. Furundžija (IT-95-17/1-T)
Dans son jugement rendu en l’affaire Furundžija, le TPIY n’a pas directement abordé la question de l’immunité, mais il a évoqué la responsabilité personnelle des tortionnaires et la possibilité de les traduire en justice pour de tels faits :
« 155. Le fait que la torture est prohibée par une norme impérative du droit international a d’autres effets aux échelons interétatique et individuel. À l’échelon interétatique, elle sert à priver internationalement de légitimité tout acte législatif, administratif ou judiciaire autorisant la torture. Il serait absurde d’affirmer d’une part que, vu la valeur de jus cogens de l’interdiction de la torture, les traités ou règles coutumières prévoyant la torture sont nuls et non avenus ab initio et de laisser faire, d’autre part, les États qui, par exemple, prennent des mesures nationales autorisant ou tolérant la pratique de la torture ou amnistiant les tortionnaires. Si pareille situation devait se présenter, les mesures nationales violant le principe général et toute disposition conventionnelle pertinente auraient les effets juridiques évoqués ci-dessus et ne seraient, au surplus, pas reconnues par la communauté internationale. Les victimes potentielles pourraient, si elles en ont la capacité juridique, engager une action devant une instance judiciaire nationale ou internationale compétente afin d’obtenir que la mesure nationale soit déclarée contraire au droit international ; elles pourraient encore engager une action en réparation auprès d’une juridiction étrangère qui serait invitée de la sorte, notamment, à ne tenir aucun compte de la valeur juridique de l’acte national autorisant la torture. Plus important encore, les tortionnaires exécutants ou bénéficiaires de ces mesures nationales peuvent néanmoins être tenus pour pénalement responsables de la torture que ce soit dans un État étranger ou dans leur propre État sous un régime ultérieur. En résumé, les individus sont tenus de respecter le principe de l’interdiction de la torture, même si les instances législatives ou judiciaires nationales en autorisent la violation. Comme le faisait observer le Tribunal militaire international de Nuremberg, « les obligations internationales qui s’imposent aux individus priment leur devoir d’obéissance envers l’État dont ils sont ressortissants. » (notes de bas de page omises)
c) Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, CIJ Recueil 2002 (« l’affaire du Mandat d’arrêt »)
La CIJ a jugé que la délivrance et la diffusion internationale d’un mandat d’arrêt délivré par la Belgique contre le ministre des Affaires étrangères en fonction de la République démocratique du Congo pour violations graves des Conventions de Genève et crimes contre l’humanité n’avaient pas respecté l’immunité en matière pénale et l’inviolabilité dont jouissait le ministre en vertu du droit international. Elle a souligné que l’affaire ne portait que sur l’immunité en matière pénale et sur l’inviolabilité d’un ministre des Affaires étrangères en fonction. Elle a estimé que l’immunité accordée à cette personne la protégeait de tout acte d’autorité de la part d’un autre État qui ferait obstacle à l’exercice de ses fonctions. Elle a dit qu’il n’était pas possible d’opérer de distinction entre les actes accomplis par le ministre des Affaires étrangères à titre « officiel » et ceux qui l’auraient été à titre « privé ». Et d’ajouter :
« 59. Il convient en outre de relever que les règles gouvernant la compétence des tribunaux nationaux et celles régissant les immunités juridictionnelles doivent être soigneusement distinguées : la compétence n’implique pas l’absence d’immunité et l’absence d’immunité n’implique pas la compétence. C’est ainsi que, si diverses conventions internationales tendant à la prévention et à la répression de certains crimes graves ont mis à la charge des États des obligations de poursuite ou d’extradition, et leur ont fait par suite obligation d’étendre leur compétence juridictionnelle, cette extension de compétence ne porte en rien atteinte aux immunités résultant du droit international coutumier, et notamment aux immunités des ministres des Affaires étrangères. »
Dans leur opinion individuelle, les juges Higgins, Kooijmans et Buergenthal ont fait remarquer que l’immunité et la compétence étaient deux règles de droit international distinctes et étaient « inextricablement liées ». Concernant la compétence, ils ont dit :
« En matière civile, nous assistons déjà à l’apparition d’une forme très large de compétence extraterritoriale. En vertu de leur loi sur les dommages causés aux étrangers [Alien Tort Claims Act], les États-Unis, se fondant sur une loi de 1789, ont établi leur compétence en ce qui concerne tant les violations des droits de l’homme que les violations majeures du droit international, commises par des non-nationaux à l’étranger. Cette compétence, avec la faculté d’ordonner le paiement de dommages-intérêts, a été exercée à l’égard d’actes de torture commis dans divers pays (Paraguay, Chili, Argentine, Guatemala) et d’autres violations majeures des droits de l’homme commises dans d’autres pays encore. Si cet exercice unilatéral de la fonction de gardien des valeurs internationales a été très commenté, il n’a pas d’une manière générale suscité l’approbation des États. »
Concernant l’immunité, ils ont constaté une tendance à rejeter l’impunité pour les graves crimes internationaux, à permettre d’établir une compétence plus large et à limiter la faculté d’invoquer l’immunité pour se protéger. Et d’ajouter :
« On affirme maintenant de plus en plus en doctrine (...) que les crimes internationaux graves ne peuvent être considérés comme des actes officiels parce qu’ils ne correspondent ni à des fonctions étatiques normales ni à des fonctions qu’un État seul (par opposition à un individu) peut exercer. (...) Cette opinion est mise en évidence par la prise de conscience accrue du fait que les mobiles liés à 1’État ne constituent pas le critère approprié pour déterminer ce qui constitue des actes publics de 1’État. La même opinion trouve en outre progressivement son expression dans la pratique des États, comme l’attestent des décisions et avis judiciaires. »
d) Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, CIJ Recueil 2008
L’affaire concernait l’immunité pénale en France du procureur de la République et du chef de la sécurité nationale de Djibouti. La CIJ a dit ceci :
« 194. (...) [I]l n’existe en droit international aucune base permettant d’affirmer que les fonctionnaires concernés étaient admis à bénéficier d’immunités personnelles, étant donné qu’il ne s’agissait pas de diplomates au sens de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques et que la Convention de 1969 sur les missions spéciales n’est pas applicable en l’espèce. »
Quant à l’existence de l’immunité ratione materiae, elle a ajouté :
« 196. À aucun moment les juridictions françaises (devant lesquelles on aurait pu s’attendre à ce que l’immunité de juridiction fût soulevée), ni d’ailleurs la Cour, n’ont été informées par le gouvernement de Djibouti que les actes dénoncés par la France étaient des actes de l’État djiboutien, et que le procureur de la République et le chef de la sécurité nationale constituaient des organes, établissements ou organismes de celuici chargés d’en assurer l’exécution.
L’État qui entend invoquer l’immunité pour l’un de ses organes est censé en informer les autorités de l’autre État concerné. Cela devrait permettre à la juridiction de l’État du for de s’assurer qu’elle ne méconnaît aucun droit à l’immunité, méconnaissance qui pourrait engager la responsabilité de cet État. Par ailleurs, l’État qui demande à une juridiction étrangère de ne pas poursuivre, pour des raisons d’immunité, une procédure judiciaire engagée à l’encontre de ses organes assume la responsabilité pour tout acte internationalement illicite commis par de tels organes dans ce contexte. »
e) Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, CIJ Recueil 2012
À l’origine de l’affaire se trouvait une requête introduite par l’Allemagne à la suite d’une série de décisions rendues par les juridictions italiennes disant que l’État allemand ne bénéficiait d’aucune immunité à raison d’allégations de violations du droit international humanitaire commises par l’Allemagne en Italie au cours de la Seconde Guerre mondiale et condamnant l’Allemagne à des dommages-intérêts. Le gouvernement italien avançait deux arguments. Selon lui, premièrement, le principe de l’immunité d’État prévoyait une exception pour les faits illicites commis sur le territoire de l’État où la demande est formulée (« l’exception territoriale ») et, deuxièmement, le droit international permettait de refuser à l’État l’immunité s’agissant d’un crime international contraire au jus cogens pour lequel aucune autre forme de réparation n’existait (« l’exception des droits de l’homme »).
Le droit à l’immunité d’État entre l’Allemagne et l’Italie étant tiré du droit international coutumier, la CIJ a recherché s’il existait une « pratique effective » ainsi qu’une opinio juris quant à l’existence d’une immunité. Elle a constaté que l’immunité de l’État était reconnue en tant que règle générale du droit international coutumier et jouait un rôle important en droit international et dans les relations internationales.
La CIJ a rejeté le principe de l’exception territoriale invoqué par le gouvernement italien. Quant à l’exception des droits de l’homme, elle a considéré qu’elle posait un problème d’ordre logistique en ce qu’elle appellerait un examen au fond pour statuer sur la question de la compétence. Mis à part ce problème, elle a constaté qu’il n’existait quasi aucune pratique étatique qui eût pu être considérée comme étayant la proposition selon laquelle un État serait privé de son droit à l’immunité en pareil cas et que par ailleurs ni la Convention de Bâle ni la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles ne semblaient prévoir une telle exception (voir, respectivement, les paragraphes 70-73 et 75-80 cidessus). Elle a également évoqué les conclusions du groupe de travail de la CDI créé en 1999 et le fait qu’aucun amendement au projet d’articles sur les immunités n’avait été proposé avant l’adoption en 2004 de la Convention des Nations unies (paragraphe 79 ci-dessus).
La CIJ a en revanche relevé que la pratique d’autres États attestant que, en droit international coutumier, le droit à l’immunité n’était pas fonction de la gravité de l’acte dont l’État était accusé ni du caractère impératif de la règle qu’il aurait violée était fort importante, citant des décisions rendues par des juridictions nationales au Canada, en France, en Slovénie, en Nouvelle-Zélande, en Pologne et au Royaume-Uni. Elle a estimé que l’affaire Pinochet (no 3) n’était pas comparable parce qu’elle avait trait à l’immunité de juridiction pénale d’un ancien chef d’État, et non à l’immunité de l’État lui-même, dans le cadre d’une procédure visant à établir sa responsabilité civile. Elle a également renvoyé à l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire précitée Al-Adsani, ainsi qu’à la décision postérieure Kalogeropoulou et autres c. Grèce et Allemagne (déc.), no 59021/00, CEDH 2002X, où la Cour n’avait aperçu aucun élément solide lui permettant de conclure qu’en droit international un État ne jouissait plus de l’immunité dans une action au civil où étaient formulées des allégations de torture.
La CIJ en a conclu que, en l’état du droit international coutumier à la date de son arrêt, l’État n’était pas privé de l’immunité pour la seule raison qu’il était accusé de violations graves du droit international des droits de l’homme ou du droit international des conflits armés. Et d’ajouter :
« 91. (...) En formulant cette conclusion, la Cour tient à souligner qu’elle ne se prononce que sur l’immunité de juridiction de l’État lui-même devant les tribunaux d’un autre État ; la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure l’immunité peut s’appliquer dans le cadre de procédures pénales engagées contre un représentant de l’État n’est pas posée en l’espèce. »
Examinant ensuite la relation entre le jus cogens et le principe de l’immunité d’État, la CIJ a jugé qu’aucun conflit entre eux n’existait. Elle a estimé que ces deux catégories de règles concernaient des questions différentes. Selon elle, celles régissant l’immunité de l’État étaient de nature procédurale et se bornaient à déterminer si les tribunaux d’un État étaient fondés à exercer leur compétence à l’égard d’un autre : elles étaient selon elle sans incidence sur la licéité ou non du comportement à raison duquel les actions étaient engagées. La CIJ n’a rien vu non plus qui vînt fonder la thèse voulant qu’une règle n’ayant pas la valeur de jus cogens ne puisse être appliquée si cela devait nuire à la mise en œuvre d’une règle de jus cogens. À cet égard, elle a notamment cité son arrêt dans l’affaire du Mandat d’arrêt (paragraphes 83-85 ci-dessus), l’arrêt rendu par la Chambre des lords en l’espèce ainsi que l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Al-Adsani, précitée.
Enfin, la CIJ a rejeté la thèse selon laquelle l’immunité pouvait être levée en cas d’échec de toutes les autres tentatives d’obtenir réparation. Elle n’a vu, dans la pratique des États, aucun élément permettant d’affirmer que le droit international faisait dépendre le droit d’un État à l’immunité de l’existence d’autres voies effectives permettant d’obtenir réparation. Elle a souligné en outre les difficultés pratiques que créerait une telle exception.
Travaux de la Commission du droit international sur l’immunité des représentants de l’État devant la juridiction pénale étrangère
En 2007, la CDI décida d’inscrire le sujet « l’immunité des représentants de l’État devant la juridiction pénale étrangère » dans son programme de travail et désigna M. Kolodkin en qualité de rapporteur spécial. Ce dernier produisit trois rapports, dans lesquels il cernait le champ d’examen du sujet, analysait un certain nombre de questions de fond en rapport avec l’immunité des représentants de l’État devant la juridiction pénale étrangère et examinait des questions de procédure touchant ce type d’immunité. La CDI et la sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies furent saisies de ces rapports en 2008 et 2011. Le 22 mai 2012, Mme Hernández fut désignée rapporteur spécial pour remplacer M. Kolodkin, qui n’était plus membre de la CDI. Elle présenta un rapport préliminaire sur l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État, que la CDI examina en 2012. Elle présenta un deuxième rapport en 2013.
Dans son deuxième rapport, M. Kolodkin analysa les divergences de vues sur l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État :
« 18. L’idée selon laquelle l’immunité de juridiction étrangère est la norme, c’est-à-dire une règle générale qui correspond à l’ordre naturel des choses et son absence dans certaines circonstances constitue une exception à cette règle est assez largement admise, même s’il existe un point de vue différent dans la doctrine. Si des représentants de haut rang, d’autres représentants en fonctions ou des actes accomplis par d’anciens représentants dans l’exercice de leurs fonctions sont mis en cause, il importe de prouver l’existence d’une exception ou d’une dérogation à la norme susmentionnée, – c’est-à-dire l’absence d’une immunité – et non pas l’existence de cette norme et, partant, l’existence d’une immunité. Sachant que l’immunité trouve son fondement dans le droit international général, on peut démontrer son absence (...) par l’existence d’une norme spéciale ou bien d’une pratique et d’une opinio juris attestant que la règle générale a connu ou connaît des exceptions. »
Sur la question de l’applicabilité de l’immunité ratione materiae aux actes illicites, M. Kolodkin dit ceci :
« 31. Si l’on affirme que l’immunité ne couvre pas ce type d’actes, la notion même d’immunité n’a plus aucun sens. La question de l’exercice de la juridiction pénale à l’encontre d’une personne quelconque, y compris un représentant d’un État étranger, ne se pose que lorsqu’il y a des raisons de soupçonner qu’il commet des actes illégaux et, de surcroît, passibles de sanctions pénales. Corrélativement, l’immunité de juridiction pénale étrangère répond précisément à un besoin pour ce type de situation (...) »
M. Kolodkin revint aussi sur le débat concernant la possibilité d’une exception tirée du jus cogens, disant ceci :
« 56. Les exceptions à l’immunité sont tout particulièrement nécessaires parce qu’il est impératif de défendre les droits de l’homme contre les violations les plus graves et massives et de lutter contre l’impunité. Le fait est ici qu’il est nécessaire de défendre les intérêts de la communauté internationale dans son ensemble et que, eu égard à ces intérêts et à la nécessité de lutter contre les crimes internationaux les plus graves, la responsabilité pénale de ceux qui les ont commis, lesquels sont le plus souvent des représentants de l’État, doit en conséquence être mise en jeu dans tout État compétent. À cette fin, il est donc nécessaire que l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État soit susceptible d’exceptions. Les exceptions (...) sont fondées sur des arguments divers. Les principales raisons qui les justifient se résument à celles exposées comme suit. Premièrement, comme il a déjà été observé, certains sont d’avis que les actes criminels les plus graves au regard du droit international qui ont été commis par des représentants de l’État ne peuvent être considérés comme des actes accomplis à titre officiel. Deuxièmement, des auteurs estiment que, étant donné qu’un crime international commis à titre officiel par un représentant de l’État est imputable non seulement à l’État concerné mais également au représentant lui-même, ce dernier n’est pas couvert par l’immunité ratione materiae dans une procédure pénale. Troisièmement, d’autres affirment que les normes impératives du droit international, qui interdisent et criminalisent certains actes, priment la norme relative à l’immunité et l’annulent en cas de crimes de ce type. Quatrièmement, l’opinion est avancée qu’une norme de droit coutumier s’est formée au plan international, selon laquelle l’immunité ratione materiae cesse de s’appliquer aux représentants de l’État lorsqu’ils ont commis un crime grave au regard du droit international. Cinquièmement, certains établissent un lien entre l’exercice de la compétence universelle pour les crimes les plus graves et l’inapplicabilité de l’immunité en cas de crimes de ce type. Sixièmement, d’autres enfin voient un lien analogue entre l’obligation d’extrader ou de poursuivre (aut dedere aut judicare) et l’inapplicabilité de l’immunité pour les infractions soumises à cette obligation. (…) » (notes de bas de page omises)
M. Kolodkin observa que l’idée s’était assez largement répandue que les crimes graves au regard du droit international ne pouvaient passer pour des actes accomplis à titre officiel et que l’immunité ratione materiae n’offrait donc aucune protection contre l’exercice de la juridiction pénale étrangère pour ce type de crimes. Dans son rapport préliminaire, Mme Hernández récapitula les débats tenus au sein de la CDI à ce sujet :
« 35. Les membres de la Commission se sont également prononcés sur la notion d’« acte officiel », tant du point de vue de sa portée que pour ce qui est de son rapport à la notion de responsabilité internationale de l’État. Pour certains membres de la Commission, tout acte accompli par une personne agissant en sa qualité de fonctionnaire ou apparaissant comme tel est réputé officiel et bénéficie de ce fait de l’immunité. D’autres membres de la Commission ont au contraire souhaité une définition plus restrictive de la notion d’acte officiel, qui exclut les comportements pouvant, par exemple, constituer des crimes internationaux. D’autres encore se sont prononcés en faveur d’un traitement différencié de la notion d’« acte officiel », selon que l’acte est le fait de l’État – entraînant une notion de responsabilité – ou qu’il est le fait de l’individu – entraînant une notion de responsabilité pénale ou d’immunité. »
100. Dans son deuxième rapport, Mme Hernández publia un premier groupe de projet d’articles, comportant des définitions et précisant la portée de l’immunité ratione personae en matière pénale. La CDI est censée publier un troisième rapport consacré à l’immunité ratione materiae, comportant des développements sur la notion d’« actes officiels » ainsi que du projet d’articles pertinent, qu’elle examinera à sa session de 2014.
101. Les rapports sont tous les cinq axés sur l’immunité des responsables de l’État en matière pénale et non civile.
La résolution de 2009 de l’Institut de droit international
102. Fondé en 1873 par des internationalistes de renom et visant à promouvoir l’essor du droit international, l’Institut de droit international adopte des résolutions à caractère normatif portées à l’attention des autorités gouvernementales, des organisations internationales et de la communauté scientifique. Ainsi, il vise à souligner certaines caractéristiques du droit en vigueur afin d’en assurer le respect. Il se prononce parfois de lege ferenda (c’est-à-dire dans la perspective du droit futur) de manière à contribuer à l’essor du droit international.
103. Lors de sa session de Naples en 2009, l’Institut de droit international a adopté une résolution sur l’immunité de juridiction de l’État et de ses agents en cas de crimes internationaux. Son article I définit le terme « juridiction » comme la compétence pénale, civile ou administrative des tribunaux nationaux et l’expression « crimes internationaux » comme englobant la torture.
104. L’article II de la résolution énonce les principes. Il précise que, conformément au droit international conventionnel et coutumier, les États ont l’obligation de prévenir et de réprimer les crimes internationaux et que les immunités ne devraient pas faire obstacle à la réparation adéquate à laquelle ont droit les victimes. Il invite les États à envisager de lever l’immunité de leurs agents lorsque ceux-ci sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis des crimes internationaux.
105. L’article III de la résolution, intitulé « Immunités des personnes agissant au nom d’un État », se lit ainsi :
« 1. Hors l’immunité personnelle dont un individu bénéficierait en vertu du droit international, aucune immunité n’est applicable en cas de crimes internationaux.
L’immunité personnelle prend fin au terme de la fonction ou de la mission de son bénéficiaire.
Les dispositions ci-dessus sont sans préjudice de :
a) la responsabilité en vertu du droit international de toute personne visée aux paragraphes précédents ;
b) l’imputation à un État des actes de cette personne qui sont constitutifs de crimes internationaux. »
106. L’article IV, intitulé « Immunité de l’État », se lit ainsi :
« Dans une affaire civile mettant en cause le crime international commis par l’agent d’un État, les dispositions qui précèdent ne préjugent pas de l’existence et des conditions d’application de l’immunité de juridiction dont cet État peut le cas échéant se prévaloir devant les tribunaux d’un autre État. »
C. Responsabilité de l’État
107. En 2001, la CDI a promulgué son projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (« le projet d’articles sur la responsabilité »). L’article 4 du projet d’articles prévoit la responsabilité de l’État à raison du comportement de ses organes :
« 1. Le comportement de tout organe de l’État est considéré comme un fait de l’État d’après le droit international, que cet organe exerce des fonctions législative, exécutive, judiciaire ou autres, quelle que soit la position qu’il occupe dans l’organisation de l’État, et quelle que soit sa nature en tant qu’organe du gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’État.
Un organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne de l’État. »
108. En vertu de l’article 5 du projet d’articles sur la responsabilité, le comportement d’une personne ou entité qui n’est pas un organe de l’État au titre de l’article 4, mais qui est « habilitée par le droit de cet État à exercer des prérogatives de puissance publique », est considéré comme un fait de l’État d’après le droit international, pour autant que, en l’espèce, cette personne ou entité « agisse en cette qualité ». L’article 7 du projet d’articles sur la responsabilité prévoit que le comportement d’un agent de l’État en excès de pouvoir ou contraire aux instructions est considéré comme le fait de l’État en droit international.
109. Enfin, l’article 58 du projet d’articles sur la responsabilité apporte la clarification suivante en matière de responsabilité individuelle simultanée :
« Les présents articles sont sans préjudice de toute question relative à la responsabilité individuelle d’après le droit international de toute personne qui agit pour le compte d’un État. »
IV. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT COMPARÉ
110. Le gouvernement défendeur a sollicité des observations sur l’étendue de l’immunité d’État accordée par le droit national des États membres du Conseil de l’Europe. Vingt et une réponses ont été reçues (Albanie, Allemagne, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Danemark, Estonie, l’ex-République yougoslave de Macédoine, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Russie, Suède, Suisse et Turquie). Il en ressort que peu d’États ont été confrontés en pratique au problème particulier de savoir s’il existe, en droit national ou en droit international coutumier, une immunité en matière civile pour les actes de torture. Aucun n’a abordé la question précise des agents de l’État. Les réponses étaient donc dans une large mesure hypothétiques et analytiques, plutôt que fondées sur des éléments probants. La question de la compétence a également été évoquée dans un certain nombre de réponses : plusieurs États ont confirmé que leurs tribunaux seraient incompétents s’agissant d’actes de torture commis à l’étranger par des ressortissants d’États tiers et en ont conclu que la question de savoir si les agents d’État responsables de pareils actes jouiraient de l’immunité ne se poserait donc pas en pratique.
111. Le gouvernement défendeur, les requérants et le tiers intervenant ont également produit d’autres éléments comparatifs exposant le droit et la pratique d’un certain nombre d’États dans le monde. Plusieurs de ceux-ci ont mis en place une législation régissant l’immunité de l’État et plusieurs juridictions nationales ont tranché des affaires civiles et pénales visant des agents de l’État. La synthèse ci-dessous des législations et jurisprudences nationales est principalement axée sur les affaires civiles et n’est pas limitative.
A. Les actions au civil pour actes de torture allégués
Les États-Unis d’Amérique
a) Compétence
112. La loi sur la responsabilité délictuelle pour les étrangers (Alien Tort Statute), adoptée par les États-Unis en 1789 (« la loi de 1789 »), donne compétence aux juridictions fédérales dès lors qu’un étranger cherche à intenter un procès civil pour un délit commis en violation du droit des gens ou d’un traité conclu par les États-Unis.
113. Dans l’arrêt Filártiga v. Peña-Irala (1980) 630 F.2d 876, la cour d’appel pour le deuxième circuit jugea que la loi de 1789 donnait compétence dans une action dirigée contre un policier au Paraguay pour des actes de torture. Il semble que la question de l’immunité d’État n’ait pas été soulevée devant elle, bien que le défendeur eût tenté de plaider en appel que, si le comportement reproché était présenté comme imputé à l’État paraguayen, la doctrine de l’acte d’État (act of State doctrine) constituait une fin de non-recevoir. En réponse, la cour d’appel dit :
« (…) Ce moyen n’ayant pas été soulevé en l’espèce, nous n’en sommes pas saisis. Nous observons au passage, cependant, que nous doutons que l’action d’un agent de l’État contraire à la Constitution et aux lois de la République du Paraguay, que le gouvernement du pays n’aurait en aucune manière cautionnée, puisse à bon droit être qualifiée d’acte d’État (...) Le Paraguay a beau avoir renoncé à la torture comme instrument légitime de politique d’État, le délit n’en demeure pas moins une violation du droit international dès lors que, concrètement, son auteur l’a perpétré en se prévalant d’une compétence de l’État (...) »
114. À la suite de cet arrêt, la loi de 1991 sur la protection des victimes de la torture (Torture Victim Protection Act) fut adoptée afin de codifier le motif d’action reconnu dans la jurisprudence Filártiga v. Peña-Irala et de l’étendre aux ressortissants des États-Unis. Elle prévoit en son article 2(a)(1) que « quiconque en vertu d’un pouvoir réel ou apparent d’un État étranger ou en se prévalant de la loi de celui-ci (...) soumet une personne à la torture est civilement responsable de tout dommage ainsi causé à cette personne ».
115. Dans l’affaire Sosa v. Alvarez-Machain 542 U.S. 692 (2004), la Cour suprême des États-Unis fut saisie d’une action fondée sur la loi de 1789, dirigée notamment contre un ressortissant mexicain pour un enlèvement présenté comme commis pour le compte du gouvernement des États-Unis. Elle débouta le demandeur au motif que rien ne permettait d’étayer l’idée qu’un enlèvement constituât une « violation du droit des gens » et qu’elle était donc incompétente en l’espèce. La question de l’immunité d’État ne fut pas soulevée mais, dans son opinion concordante, le juge Breyer examina si l’exercice de la compétence fondée sur la loi de 1789 était conforme au principe de la courtoisie internationale. Il observa :
« Aujourd’hui, le droit international sera parfois de la même manière le reflet d’un consensus non seulement sur le fond quant à certains comportements universellement condamnés mais aussi sur le plan procédural quant à l’existence d’une compétence universelle pour réprimer une sous-catégorie de l’un de ces comportements (...) La torture, le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sont des exemples de sous-catégorie de ce type.
(...)
L’existence de ce consensus d’ordre procédural indique que la reconnaissance d’une compétence universelle à l’égard d’un groupe de règles limité est compatible avec les principes relevant de la courtoisie internationale. Autrement dit, permettre aux tribunaux de chaque pays de statuer sur des faits commis hors du territoire et impliquant des parties étrangères ne menacera pas significativement l’harmonie politique que lesdits principes cherchent à protéger. Ce consensus concerne la compétence en matière pénale mais le consensus sur une compétence pénale universelle montre en lui-même qu’une compétence universelle en matière de responsabilité délictuelle n’en serait pas moins menaçante (...) En effet, les juridictions pénales dans de nombreux pays combinent les procédures civile et pénale, permettant aux personnes lésées par un comportement criminel d’être représentées, et indemnisées, dans le cadre de la procédure pénale elle-même (...) Donc, la compétence pénale universelle englobe nécessairement dans une large mesure la réparation en matière civile. » (les références ont été omises)
b) Immunités
i. Immunité pour l’État
116. La loi de 1976 sur les immunités des États étrangers souverains (Foreign Sovereign Immunities Act, « la FSIA ») précise la portée de la faculté d’assigner les États étrangers devant les juridictions des États-Unis. Pour pouvoir jouir de l’immunité, le défendeur doit établir qu’il est un « État étranger » au sens de cette loi. La définition de cette notion englobe les subdivisions politiques, organes et services des États étrangers.
117. Dans plusieurs affaires, des cours d’appel fédérales ont conclu que la FSIA ne connaissait aucune exception implicite à l’octroi de principe de l’immunité souveraine à un État étranger accusé de violation de règles de jus cogens (Siderman de Blake v. Argentina (1992) 965 F.2d 699 (neuvième circuit), Princz v. Germany (1994) 26 F.3d 1166 (circuit de D.C.), Smith v. Libya (1997) 101 F.3d 239 (deuxième circuit), et Sampson v. Germany (2001) 250 F.3d 1145 (septième circuit)).
ii. Immunité ratione personae pour les hauts fonctionnaires
118. Dans l’affaire Ye and Others v. Zemin and Falun Gong Control Office (2004) 383 F.3d 620 (septième circuit), les requérants firent appel du jugement d’un tribunal de district qui, saisi d’une action au civil où une violation de règles de jus cogens était alléguée, avait dit que le président chinois alors en exercice jouissait d’une immunité ratione personae au motif que le pouvoir exécutif avait fait une déclaration en ce sens. Ils soutenaient que, en droit international coutumier, l’exécutif n’avait pas le pouvoir de proposer l’immunité en cas de violation de règles de jus cogens. La cour d’appel releva que la FSIA ne régissait pas la question de l’immunité pour les chefs d’État étrangers et que la pratique générale consistait à s’en remettre à la position de l’exécutif en pareil cas. S’appuyant sur ses conclusions dans son arrêt Sampson (paragraphe 117 ci-dessus) selon lesquelles la FSIA ne renfermait aucune exception tirée du jus cogens, elle conclut que, les décisions d’octroi d’immunité par le législateur échappant à son contrôle, il en allait de même des décisions similaires prises par l’exécutif. Elle évoqua les implications non négligeables de l’octroi d’une immunité sur les relations des États-Unis avec les autres pays.
iii. Immunité ratione materiae pour les autres agents de l’État
119. Dans son arrêt Chuidian v. Philippine National Bank and Daza (1990) 912 F.2d 1095, la cour d’appel pour le neuvième circuit jugea que l’expression « État étranger » au sens de la FSIA incluait toute personne membre d’un service exécutif de l’État. Elle reconnut toutefois que la FSIA ne protégeait pas les agents agissant en excès de pouvoir. Sur ce fondement, des tribunaux de district fédéraux refusèrent par la suite d’accorder l’immunité à des agents de l’État dans les affaires Xuncax v. Gramajo (1995) 886 F. Supp. 162 (action contre un officier haut gradé de l’armée qui était ministre de la Défense du Guatemala pour des actes de torture) et Cabiri v. Assasie-Gyimah (1996) 921 F. Supp. 1189 (S.D.N.Y.) (action contre un conseiller en sécurité ghanéen pour des actes de torture). Les juridictions observèrent respectivement que, dans l’affaire Xuncax, les faits « dépass[aient] tout ce qui [pouvait] être considéré comme relevant légalement des attributions officielles [du défendeur] » et que, dans l’affaire Cabiri, le défendeur n’avait pas soutenu – et ne pouvait pas soutenir – que les actes de torture relevaient de ses attributions et n’étaient pas interdits par les lois ghanéennes.
120. Dans l’affaire Belhas v. Ya’alon (2008) 515 F.3d 1279 (circuit de D.C.), les demandeurs soutenaient que le défendeur avait violé des règles de jus cogens dans l’exercice de ses fonctions de directeur du renseignement militaire. La cour d’appel jugea que la FSIA s’appliquait et que cette loi ne connaissait aucune exception implicite (s’appuyant sur l’arrêt précité Princz v. Germany, paragraphe 117 ci-dessus). Le défendeur jouissait donc de l’immunité d’État.
121. Dans l’affaire Matar v. Dichter (2009) 563 F.3d 9 (deuxième circuit), le demandeur assigna l’ancien directeur de la sécurité israélienne, alléguant des violations de règles de jus cogens. L’exécutif soutint que l’immunité ratione materiae s’appliquait. La cour d’appel jugea que, même si la FSIA ne s’appliquait pas car le défendeur n’était plus un agent en exercice, celui-ci bénéficiait d’une immunité en vertu des règles jurisprudentielles. Elle releva que, avant l’adoption de cette loi, les tribunaux s’en remettaient à l’exécutif quant à l’opportunité de la reconnaissance de l’immunité jurisprudentielle aux souverains étrangers et à leurs agents. Elle estima que ces principes étaient demeurés en vigueur après l’adoption de la FSIA. Quant à l’existence d’une exception tirée du jus cogens, elle rappela sa conclusion dans l’affaire Smith v. Libya (paragraphe 117 cidessus) selon laquelle cette loi ne prévoyait aucune exception et la conclusion dans l’arrêt Ye and Others v. Zemin and Falun Gong Control Office (paragraphe 118 ci-dessus) écartant toute exception à l’immunité des dirigeants étrangers sur le terrain des règles jurisprudentielles. Elle conclut là encore dans cette affaire au rejet de la demande.
122. Dans son arrêt Samantar v. Yousuf (2010) 130 S. Ct. 2278, la Cour suprême jugea à l’unanimité que les agents des États étrangers échappaient au champ d’application de la FSIA et que leurs immunités étaient régies par les règles jurisprudentielles. Aussi estima-t-elle que c’était aux juridictions inférieures qu’il incombait de rechercher si les agents d’États étrangers pouvaient néanmoins invoquer une quelconque immunité d’origine jurisprudentielle. Devant le tribunal de district puis devant la cour d’appel, M. Samantar avait soutenu qu’il jouissait d’une telle immunité de par sa qualité tant de chef que d’agent d’un État étranger. Dans un arrêt rendu le 2 novembre 2012, une cour d’appel jugea qu’il ne jouissait d’aucune immunité d’origine jurisprudentielle dans l’action au civil introduite contre lui pour des faits de torture (699 F.3d 763 (quatrième circuit)). Elle dit, premièrement, que les tribunaux étaient tenus de s’en remettre à l’avis de l’exécutif quant à savoir si une personne jouit d’une immunité de chef d’État (ratione personae) et constata que l’exécutif avait estimé en l’espèce que M. Samantar n’y avait pas droit. Deuxièmement, sur la question de l’immunité d’agent d’État étranger (ratione materiae), elle ajouta ceci :
« À l’inverse des actes commis à titre privé sortant du champ de l’immunité d’agent d’État étranger, les violations du jus cogens peuvent très bien avoir été commises en se prévalant de la loi et constituer ainsi des actions accomplies dans l’exercice des fonctions exercées par l’intéressé pour le compte de l’autorité souveraine. Or, tant en droit international qu’en droit interne, les violations du jus cogens sont par définition des actes qui ne sont pas officiellement cautionnés par l’autorité souveraine. »
123. La cour d’appel constata l’existence en droit international d’une tendance accrue à la suppression de l’immunité des agents d’État auteurs d’actes, par ailleurs imputables à ce dernier, commis en violation de règles de jus cogens. Elle considéra qu’il ressortait de certaines décisions de juridictions étrangères une volonté de refuser l’immunité pour les actes commis à titre officiel en matière pénale pour des violations alléguées du jus cogens, citant en particulier l’arrêt Pinochet (no 3) (paragraphes 44-56 cidessus). Et de poursuivre :
« (...) Certains tribunaux étrangers ont levé le voile de l’immunité pour les actes officiels afin de connaître de demandes au civil où étaient alléguées des violations du jus cogens, mais l’exception tirée du jus cogens apparaît moins établie en matière civile (comparer avec Ferrini c. Allemagne (...) et Jones v. Saudi Arabia). »
124. La cour d’appel dit aussi ceci :
« Les tribunaux américains ont généralement suivi la tendance exposée ci-dessus, concluant que les violations de jus cogens ne sont pas des actes officiels légitimes et qu’elles n’appellent donc pas l’immunité réservée aux agents d’États étrangers, tout en reconnaissant néanmoins que l’immunité des chefs d’État, attachée à leur qualité, revêt un caractère absolu et s’applique même lorsqu’il est question de jus cogens (...) Nous concluons que, en droit international et en droit interne, les agents d’États étrangers n’ont pas droit à leur immunité officielle en cas de violation du jus cogens, quand bien même le défendeur aurait accompli à titre officiel les actes en cause. »
125. Le demandeur sollicita la saisine de la Cour suprême (certiorari). Sa requête est toujours en cours d’examen.
Canada
126. La loi de 1985 sur l’immunité des États (« la LIE ») précise dans quelles conditions les États étrangers peuvent être assignés devant les juridictions canadiennes. Elle est rédigée en des termes similaires à la législation des États-Unis. En particulier, afin de jouir d’une immunité, le défendeur doit avoir établi qu’il est un « État étranger » au sens de cette loi, cette expression englobant tout chef ou souverain d’un État étranger, tout gouvernement et toute subdivision politique de cet État, ainsi que ses ministères et organismes.
127. Dans son arrêt Jaffe v. Miller 5 O.R. (2d) 133, la cour d’appel de l’Ontario jugea que des employés d’un État étranger agissant dans l’exercice de leurs fonctions étaient couverts par la notion d’« État », au sens de la LIE, et qu’ils jouissaient donc d’une immunité. Selon elle, le caractère illégal et malveillant prêté aux actes dénoncés ne les faisait pas sortir du champ de l’immunité d’État.
128. Dans l’affaire Bouzari v. Islamic Republic of Iran (2004) 71 O.R. (3d) 675, le demandeur assigna l’Iran en dommages-intérêts pour les actes de torture qu’il disait avoir subis dans une prison iranienne. La cour d’appel de l’Ontario confirma le jugement de la juridiction inférieure concluant que la LIE faisait échec à la demande. Elle estima que l’article 14 de la Convention contre la torture (paragraphe 63 ci-dessus) n’allait pas jusqu’à prévoir le droit à un recours en matière civile contre un État étranger pour des actes de torture commis sur son territoire. Sa conclusion était la même sur le terrain du droit international coutumier : selon elle, bien que l’interdiction de la torture relevât du jus cogens, aucune exception au principe de l’immunité d’État n’existait en matière de torture.
129. Dans l’affaire Hashemi v. Islamic Republic of Iran and Others, le demandeur était le fils d’une femme de nationalité iranienne et canadienne qui avait été torturée en Iran et était décédée des suites de ses blessures. Il chercha à assigner au civil l’Iran, l’ayatollah Sayyid Ali Khamenei et deux agents désignés nommément qui, selon lui, avaient participé aux actes de torture subis par sa mère. Sa demande fut rejetée en première instance au motif que l’État iranien, le chef de celui-ci et les deux agents en question jouissaient tous de l’immunité d’État prévue par la LIE.
130. Le 15 août 2012, la cour d’appel du Québec confirma le jugement de première instance ((2012) QCCA 1449). Le juge analysa l’arrêt rendu par la CIJ dans l’affaire Allemagne c. Italie (paragraphes 88-94 ci-dessus) et reconnut, sur la base des conclusions de la CIJ, que l’immunité de l’État pouvait s’appliquer même en cas d’actes de torture. Il estima en outre que, à l’inverse de la législation des États-Unis, celle du Canada codifiait de manière complète le droit de l’immunité d’État.
131. Sur le point de savoir si les deux agents jouissaient eux aussi de l’immunité d’État sur le terrain de la LIE, le juge dit ceci :
« [93] À la lumière (...) d’un certain nombre de précédents persuasifs faisant autorité tirés d’autres pays, je considère que c’est à bon droit que le juge des motions a dit que la LIE s’applique aux agents d’un État étranger. Cette question avait déjà fait l’objet d’un examen poussé (...) dans l’affaire Jaffe, tranchée par la cour d’appel de l’Ontario en 1993. Dans l’affaire Jones, tranchée treize ans plus tard, la Chambre des lords a infirmé un arrêt de la Cour d’appel d’Angleterre qui avait suivi le mode de raisonnement aujourd’hui retenu par les demandeurs en l’espèce. »
132. Sur le moyen tiré de ce que la nature même des actions des agents s’opposât à l’invocation par eux du bénéfice de l’immunité de l’État, le juge dit ceci :
« [94] Je pense, là encore, que cette question a déjà été tranchée par les précédents pertinents faisant autorité, dont le plus récent est une nouvelle fois l’affaire Jones. »
133. Le juge considéra que ce moyen était identique à celui déjà soulevé dans l’affaire Jaffe v. Miller et qu’il ne s’articulait guère avec la notion de torture telle que définie dans différents instruments juridiques, notamment la Convention contre la torture. Il conclut que l’opinion exposée par Lord Hoffmann dans l’arrêt rendu par la Chambre des lords concernant les requérants permettait de réfuter de manière complète et imparable la thèse selon laquelle le traitement dénoncé était « si illégal qu’il [devait] sortir du champ de l’activité officielle ».
134. Une demande de pourvoi devant la Cour suprême fut acceptée et une audience est prévue en mars 2014.
Nouvelle-Zélande
135. Le 21 décembre 2006, la High Court néo-zélandaise rendit son arrêt dans l’affaire Fang v. Jiang ([2007] NZAR 420). Les demandeurs avaient cherché à signifier l’introduction d’une instance concernant notamment des actes de torture commis par d’anciens membres du gouvernement chinois. Ils soutenaient que l’immunité d’État ne protégeait pas ses agents d’assignations au civil en matière de torture. La High Court s’appuya largement sur l’arrêt rendu par la Chambre des lords en l’espèce et sur les instruments internationaux pertinents. Elle jugea que l’immunité d’État conférait incidemment une immunité ratione materiae à certaines personnes, dont les anciens chefs d’État, ainsi qu’à toute autre personne dont les actes accomplis dans l’exercice d’attributions d’État étaient ultérieurement dénoncés. Elle estima qu’il n’y avait aucune exception à l’immunité d’État lorsque des personnes physiques étaient assignées pour des actes de torture au motif que la Convention contre la torture ne prévoyait une exception qu’en matière pénale, que la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles n’en prévoyait aucune en matière de torture et que le droit jurisprudentiel néo-zélandais reflétait le droit international. Elle conclut :
« 71. Peut-être y aura-t-il des occasions où les juridictions néo-zélandaises prendront les devants et reconnaîtront de nouvelles tendances dans le droit international mais (...) je suis convaincu qu’il serait tout à fait inopportun pour la Nouvelle-Zélande d’adopter une manière de raisonner qui se démarquerait de celle récemment suivie au sein de la Chambre des lords après un examen minutieux des sources traditionnelles du droit international (...)
Je ne suis pas non plus convaincu qu’il soit opportun de s’écarter du raisonnement persuasif retenu par la Chambre des lords dans l’affaire Jones, une affaire que j’estime tout à fait pertinente. »
136. Pour ces motifs, l’autorisation de signification fut refusée.
Australie
137. La loi de 1985 sur l’immunité des États souverains étrangers (Foreign States Immunities Act 1985 – « la loi d’immunité ») précise dans quelles conditions les États étrangers peuvent être assignés devant les juridictions australiennes. Son article 9 prévoit l’immunité de juridiction et ses articles 10 à 20 les exceptions à celle-ci. De manière à pouvoir jouir de l’immunité, le défendeur doit avoir établi qu’il est un « État étranger » au sens de ce texte. L’article 3(3) de cette loi précise que l’expression « État étranger » inclut le chef d’un État étranger ou d’une subdivision politique d’un État étranger dans le cadre de ses attributions, ainsi que le gouvernement d’un État étranger, tout organe de ce gouvernement, ou toute subdivision politique d’un État étranger.
138. Le 5 octobre 2010, la cour d’appel de la Nouvelle-Galles-du-Sud rendit son jugement dans l’affaire Zhang v. Zemin ([2010] NSWCA 255), une action au civil concernant des actes de torture dirigée contre l’ancien président chinois, un organe du gouvernement chinois et un membre du Bureau politique du Parti communiste chinois. Elle jugea que chacun des agents était couvert par la loi d’immunité, observant qu’ils jouissaient du droit à l’immunité d’origine jurisprudentielle et que la loi d’immunité ne changeait rien aux règles jurisprudentielles sur ce point. Elle estima que, la possibilité d’assigner au civil d’anciens agents à raison de leurs actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions n’étant pas conforme au but de la loi d’immunité, celle-ci s’appliquait à eux aussi.
139. Sur le moyen tiré par les demandeurs de l’existence en droit international d’une exception fondée sur le jus cogens et en particulier de ce que nul acte contraire à celui-ci puisse être accompli à titre officiel ou public pour les besoins de l’immunité, la High Court expliqua que les juridictions australiennes étaient tenues d’appliquer les lois du pays quand bien même celles-ci seraient en conflit avec le droit international. Elle conclut que la loi d’immunité fixait de manière définitive l’immunité offerte et de manière limitative les exceptions. Il n’était pas possible selon elle de tirer d’autres exceptions du droit international.
Italie
140. Dans son arrêt Ferrini c. République fédérale d’Allemagne (no 5044/2004, ILR Vol. 128, p. 658), la Cour de cassation italienne autorisa l’introduction d’une action au civil contre l’Allemagne à raison de crimes de guerre commis en 1944-1945 et écarta l’immunité comme fin de non-recevoir. Elle jugea que les principes de l’immunité d’État devaient être interprétés conformément aux valeurs universelles découlant des règles de jus cogens et de la répression des crimes internationaux. Elle estima que l’affaire Al-Adsani, précitée, n’était pas comparable au motif que, dans l’affaire Ferrini, les crimes étaient présentés comme perpétrés sur le territoire italien. Les juridictions italiennes rendirent aussi d’autres décisions similaires.
141. Le 23 décembre 2008, l’Allemagne saisit la CIJ, soutenant que l’arrêt Ferrini, les décisions ultérieures le confirmant et les diverses mesures d’exécution adoptées à l’encontre de biens allemands en Italie n’avaient pas respecté l’immunité de juridiction que le droit international lui aurait conférée. Elle obtint gain de cause dans l’arrêt rendu en 2012 (paragraphes 88-94 ci-dessus).
Grèce
142. Dans son arrêt Préfecture de Béotie c. Allemagne (no 11/2000, 4 mai 2000), la Cour de cassation grecque (Άρειος Πάγος) jugea que, en cas de violation grave du droit international, l’État ne jouissait d’aucune immunité en matière civile.
143. La Cour de cassation refusa ultérieurement d’exécuter cet arrêt contre l’Allemagne en raison de l’immunité d’État dont jouissait ce pays. Elle s’appuya notamment sur l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire AlAdsani, précitée. Cette décision fut attaquée devant la Cour dans l’affaire précitée Kalogeropoulou, mais la requête fut déclarée irrecevable.
Pologne
144. Dans l’affaire Natoniewski c. Allemagne (no IV CSK 465/09, 29 octobre 2010, arrêt traduit en anglais dans le Polish Yearbook of International Law 30 (2010), pp. 299-303), le demandeur introduisit une action au civil pour des blessures causées par les forces armées allemandes au cours de la Seconde Guerre mondiale. La Cour suprême polonaise le débouta au motif que l’Allemagne jouissait de l’immunité d’État. Elle dit ceci :
« La particularité des causes des conflits armés fait que l’immunité d’État s’applique aux actions commises au cours de ceux-ci. Un conflit armé, qui se caractérise par de nombreuses victimes ainsi que par des destructions et souffrances considérables, ne saurait se réduire à une relation entre l’État auteur des faits et la personne lésée : le conflit existe au premier chef entre États. Habituellement, les demandes de réparation pour faits de guerre sont réglées dans les traités de paix, lesquels visent au règlement global – sur le plan tant international qu’individuel – des conséquences de la guerre. En pareils cas, l’immunité de juridiction est un outil de droit international permettant de statuer sur les demandes de ce type. Ôter au juge sa compétence dans toute une série d’actions au civil (ayant pour origine la guerre) permet de contrebalancer la situation, lorsque la normalisation des relations entre les États risque de pâtir d’un grand nombre d’instances introduites par des individus (...) »
145. Sur le moyen tiré de l’inapplicabilité de l’immunité d’État en cas d’allégation de violations du jus cogens, la Cour suprême dit ceci :
« (...) Une tendance en droit international et en droit interne se dessine en faveur d’une limitation de l’immunité d’État pour les atteintes aux droits de l’homme mais cette pratique n’est en aucun cas universelle. »
146. Sur la compatibilité avec l’article 6 § 1 de l’octroi de l’immunité d’État, elle dit ceci :
« Selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, cette exclusion n’est pas contraire au droit d’accès aux juridictions internes garanti par l’article 6 § 1 (...) Nul ne peut soutenir que l’immunité d’État impose une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal dès lors que les requérants disposent d’autres voies raisonnables pour protéger efficacement leurs droits (voir l’arrêt rendu par la CEDH le 18 février 1999 dans l’affaire Waite et Kennedy c. Allemagne). »
France
147. Dans l’affaire Bucheron c. Allemagne, le demandeur forma une action au civil devant les prud’hommes à raison de sa réquisition pour des travaux forcés au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il fut débouté au motif que l’Allemagne jouissait d’une immunité. En 2003, la Cour de cassation confirma ce rejet (no 0245961, 16 décembre 2003). Elle en fit autant en l’affaire Grosz c. Allemagne (no 04-475040, 3 janvier 2006), dans un arrêt confirmé par la Cour en l’affaire Grosz c. France (déc.), no 14717/06, 16 juin 2009.
Slovénie
148. En l’affaire A.A. c. Allemagne (no IP-13/99, 8 mars 2001), la Cour constitutionnelle slovène rejeta une action au civil introduite pour des faits commis par l’Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale. Le demandeur soutenait qu’il existait en droit international coutumier une exception aux règles d’immunité d’État tirée du jus cogens. La Cour constitutionnelle admit qu’il ressortait de certains éléments une tendance dans l’évolution récente du droit international à la limitation de l’immunité d’État devant les juridictions étrangères en cas d’allégation de violations des droits de l’homme. Cependant, ces éléments ne permettaient pas selon elle de démontrer l’existence d’une pratique générale des États reconnue comme étant le droit, ce qui en aurait fait une règle de droit international coutumier.
149. Pour ce qui est du moyen tiré d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour constitutionnelle, se référant à la décision rendue par la Cour dans l’affaire Waite et Kennedy c. Allemagne ([GC], no 26083/94, CEDH 1999I), conclut que la restriction du droit du demandeur à l’accès à un tribunal poursuivait un but légitime et était proportionnée, évoquant la possibilité pour le demandeur de saisir le juge civil en Allemagne.
B. Poursuites pénales pour actes de torture
France
150. Dans l’affaire pénale Ould Dah, l’accusé, un agent de l’État mauritanien, fut poursuivi puis finalement condamné en assises pour des actes de torture commis en Mauritanie. Un pourvoi en cassation introduit par la suite fut rejeté (no 02-85379, 23 octobre 2002). Le 1er juillet 2005, la cour d’assises octroya des dommages-intérêts aux différentes parties civiles en l’affaire. L’affaire pénale ultérieure Khaled Ben Saïd connut la même issue.
Pays-Bas
151. Dans l’affaire Bouterse, le demandeur réclamait l’immunité pénale au motif que les actes de torture en cause auraient été commis alors qu’il était chef d’État du Surinam. Le 20 novembre 2000, la cour d’appel d’Amsterdam lui refusa l’immunité au motif que la perpétration d’infractions très graves, comme celles en cause en l’espèce, ne pouvait passer pour une fonction officielle d’un chef d’État.
Suisse
152. Dans un arrêt rendu le 25 juillet 2012 en l’affaire A. c. Ministère public de la Confédération et autres, le Tribunal pénal fédéral suisse rejeta une demande d’immunité dans le procès d’un ressortissant algérien pour des crimes de guerre, dont des actes de torture, perpétrés en Algérie. Ancien ministre de la Défense, l’accusé était membre de la junte qui dirigeait l’Algérie à l’époque des faits. Il était donc question de l’immunité ratione materiae résiduelle d’une personne qui avait joui d’une immunité ratione personae dans l’exercice de ses fonctions. Le Tribunal indiqua que l’immunité ratione materiae avait pour but de protéger les agents publics des conséquences des actes imputables à l’État pour le compte duquel ils agissaient et, ainsi, de garantir le respect de la souveraineté de l’État.
153. Le Tribunal fit fond sur l’arrêt rendu par la Chambre des lords dans l’affaire Pinochet (no 3) et sur l’évolution, soulignée par la doctrine, vers un nombre accru d’exceptions à l’immunité ratione materiae. Il reconnut l’existence d’un débat quant à la possibilité qu’un acte illégal passe pour un acte officiel aux fins de cette immunité. Il conclut que la doctrine et la jurisprudence n’étaient plus unanimes à confirmer que l’immunité ratione materiae résiduelle englobait tous les actes accomplis dans l’exercice des fonctions, quand bien même ceux-ci auraient entraîné des violations graves des droits de l’homme. Il aurait donc été paradoxal selon lui de dire vouloir prévenir de graves violations des droits de l’homme tout en acceptant une interprétation extensive des règles d’immunité ratione materiae au bénéfice des agents de l’État, empêchant ainsi de faire la lumière sur les allégations de ce type.
Belgique
154. La loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire qualifie certains actes, notamment la torture et le génocide, de crimes de droit international punissables conformément à ses dispositions. Son article 5 fut modifié en 1999 pour ajouter expressément ceci :
« L’immunité attachée à la qualité officielle d’une personne n’empêche pas l’application de la présente loi. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1968 et réside à Athènes.
Il est marié depuis le 29 juillet 2009 avec T.P., la mère d’un enfant né le 17 septembre 1999, C.
D’après le requérant, de novembre 1998 à mars 1999 – période décisive quant à la conception de l’enfant –, T.P. et lui-même entretenaient une relation durable, constante et stable, au cours de laquelle ils avaient des rapports sexuels très fréquents. Selon lui, cette relation avait commencé en mars 1997, et elle s’était poursuivie quand T.P. avait déménagé à Bucarest – où lui-même exerçait une activité commerciale – puis lorsque T.P. avait emménagé, à nouveau, fin novembre 1998, en Grèce. Le requérant et T.P. se fiancèrent à Athènes le 31 mars 1998, mais leur relation prit fin à la mi-mars 1999.
Le 2 mai 1999, T.P. se maria avec C.P. dans la ville de Komotini. Elle se trouvait alors à son quatrième mois de grossesse. Les relations entre les deux époux se dégradèrent assez vite et ils se séparèrent de corps. T.P. quitta le domicile conjugal en emmenant C. avec elle. Afin de récupérer l’enfant, C.P. se rendit chez la mère de T.P. auprès de laquelle cette dernière avait laissé C. afin de pouvoir s’installer à Athènes. La garde de C. fut l’objet de plusieurs procédures judiciaires et fut finalement confiée à C.P.
Le 20 novembre 2002, le tribunal de première instance de Rhodopi prononça le divorce par consentement mutuel de T.P. et C.P. T.P. ne contesta jamais la paternité de C.P., et, dans tous les documents déposés par elle devant les juridictions grecques, elle indiquait que le père de son enfant était C.P. et que le seul désaccord qu’elle avait avec lui après la dissolution de leur mariage portait sur la garde de l’enfant.
Le 8 août 2003, le tribunal correctionnel de Komotini condamna T.P. à une peine d’emprisonnement de deux mois avec sursis car elle avait été arrêtée en train de se prostituer sans posséder une autorisation à cet effet. À la suite de cette condamnation, C.P. demanda au tribunal de première instance de Rhodopi de revoir les termes du droit de visite des deux ex-époux sur C. Le 1er décembre 2003, le tribunal maintint le droit de visite de T.P., mais supprima la possibilité pour l’enfant de passer la nuit chez sa mère.
Le 12 août 2004, le même tribunal rejeta une demande de T.P. visant à l’obtention de la modification du droit de visite.
Le 31 décembre 2004, le requérant se rendit à Komotini, au domicile de la mère de T.P. où était aussi présente C. Au cours de cette visite, le mari de la mère de T.P. aurait confié au requérant que ce dernier était le père de l’enfant et que T.P. le lui aurait caché en raison d’un accord conclu par elle avec son ex-mari pour lui accorder l’autorité parentale en échange d’un divorce par consentement mutuel. T.P. aurait confirmé ces dires au requérant ultérieurement par téléphone.
À compter du 17 janvier 2005, le requérant tenta, mais sans succès, de réaliser des tests ADN afin d’établir sa paternité, T.P. ayant, expliquetil, refusé de se soumettre à des prélèvements sanguins.
Le 11 avril 2005, T.P. et C.P. signèrent un accord relatif à l’autorité parentale sur C. et au droit de visite. C.P. se voyait confier l’autorité parentale et T.P. avait un droit de visite avec possibilité pour l’enfant de passer la nuit chez sa mère.
Le 9 juin 2005, le requérant demanda au tribunal de grande instance de Rhodopi d’attribuer la garde provisoire de C. à la grand-mère de celle-ci (mère de T.P.).
Le 16 juin 2005, le requérant introduisit devant le tribunal de première instance de Rhodopi une action en contestation de la paternité présumée de l’ex-mari de T.P. Il soutenait qu’il avait qualité pour agir car il aurait eu des rapports sexuels avec T.P. pendant la période décisive de conception de l’enfant et il serait le père naturel de cette dernière. Il ajoutait que C.P. n’aurait pas eu de rapports sexuels avec T.P. pendant ladite période de conception. Il indiquait aussi que l’action n’était pas prescrite : d’après lui, le délai de prescription était suspendu au motif qu’il n’avait eu connaissance que tardivement de la naissance de l’enfant et du lien de filiation entre celui-ci et lui-même, précisant que ces informations lui auraient été cachées par T.P. de manière frauduleuse.
Le 8 juillet 2005, le tribunal de grande instance de Rhodopi désigna comme tutrice spéciale de C. sa grand-mère afin que celle-ci la représente dans la procédure en contestation de paternité.
L’audience eut lieu le 16 novembre 2005. T.P., C.P. et C., qui était représentée par sa grand-mère, n’étaient pas présents.
Le 14 décembre 2005, le tribunal de première instance de Rhodopi rejeta l’action du requérant. Il jugea que l’action en contestation de paternité était irrecevable étant donné que le requérant ne faisait pas partie des personnes ayant qualité pour agir en vertu de l’article 1469 al. 5 du code civil (« le CC »). Il relevait que le requérant avait entretenu une relation avec la mère à une période précédant le mariage avec le père putatif et que, par conséquent il était exclu qu’ait eu lieu au cours de cette période une séparation de corps des époux – laquelle était une condition indispensable pour avoir qualité pour agir en contestation de paternité dans le cas de tiers ayant eu des rapports sexuels avec la mère.
Le 28 décembre 2005, le requérant interjeta appel contre ce jugement devant la cour d’appel de Thrace. Il soutenait que le tribunal de première instance avait mal interprété et appliqué l’article 1469 al. 5 du CC, lequel devait s’appliquer, d’après lui, à la situation d’un homme qui avait eu des rapports sexuels avec la mère d’un enfant pendant la période déterminante de sa conception et alors que celle-ci était célibataire. Selon lui, le but du législateur était d’exclure la possibilité de contester la présomption de paternité, prévue à l’article 1465 du CC, par le père biologique, dans le cas où, pendant la période de la conception, les époux avaient poursuivi une vie commune. Le plaignant ajoutait que, si la condition d’absence de vie commune, nécessaire pour avoir qualité pour agir, était remplie lorsqu’il y avait séparation après le mariage, elle l’était également dans le cas où il n’y avait pas encore de mariage. Il considérait que c’était par inadvertance et non par choix que cette dernière hypothèse n’avait pas été prévue par le législateur.
T.P., C.P. et la grand-mère de C. déposèrent des observations dans lesquelles ils demandaient le rejet de l’action du requérant. Ils soutenaient que cette action était « mensongère », « incompréhensible » et sans « aucun rapport avec la réalité ». T.P. et C.P. affirmaient que leur rencontre avait eu lieu en novembre 1998, qu’ils avaient décidé d’habiter ensemble à Komotini, que la conception de C. était estimée avoir eu lieu entre le 11 décembre 1998 et le 20 décembre 1998 et qu’à cette période le requérant se trouvait en Roumanie.
Le 24 janvier 2007, la cour d’appel débouta le requérant.
Les passages pertinents en l’espèce de son arrêt se lisent ainsi :
« (...) Ainsi, avec cette disposition [article 1469 al. 5 du code civil], le but du législateur est manifeste et consiste en la protection du mariage et de la famille, ainsi que de l’enfance et de l’intérêt de l’enfant, lequel prévaut sur [celui du] géniteur naturel qui souhaite le rétablissement de la vérité biologique. De plus, compte tenu du but du législateur, les limitations à la contestation de paternité [relative à] un enfant né pendant le mariage sont justifiées afin que le droit de contester la paternité ne soit pas étendu à d’autres personnes en plus de celles prévues, dans la mesure où cette extension servirait des intérêts autres que ceux du rétablissement de l’ordre familial. Par conséquent, il ne s’impose pas d’étendre l’article 1469 al. 5 du code civil à l’homme avec lequel la mère célibataire avait une relation durable et des rapports sexuels pendant la période décisive de conception, mais [qui] s’est mariée par la suite avec un autre homme et [dont] l’accouchement a eu lieu pendant le mariage.(...) Il est donc manifeste que le législateur n’a volontairement pas prévu l’extension des dispositions de l’article 1469 al. 5 [du code civil] à la situation précitée (...), et il n’y a pas dans cet article d’imprécision ni de vide qui exigerait une interprétation extensive pour [y remédier] (...). »
Le 13 février 2007, le requérant se pourvut en cassation. Dans son premier moyen, il soutenait que la cour d’appel avait mal interprété et appliqué l’article 1469 al. 5 du CC. Dans son deuxième moyen, il alléguait que l’arrêt de la cour d’appel avait violé la Constitution en ses articles 2 § 1 (respect de la valeur humaine), 4 §§ 1 et 2 (égalité devant la loi et entre hommes et femmes) et 5 § 1 (droit au libre développement de la personnalité). À cet égard, il indiquait que cet arrêt le privait du droit reconnu constitutionnellement de déclencher la reconnaissance en justice de sa qualité de parent et de développer un lien avec son enfant. Il considérait en outre que l’arrêt violait l’égalité entre hommes et femmes car – à ses dires –, dans le cas de conception d’un enfant avant le mariage, cette décision donnait le droit à la mère de contester le statut de l’enfant né pendant le mariage et refusait, dans les mêmes circonstances, ce droit au père biologique. Dans son troisième moyen, le requérant soutenait que, en rejetant son appel pour cause d’irrecevabilité, la cour d’appel avait violé l’article 559 § 14 du code de procédure civile (déclaration d’irrecevabilité prononcée par la juridiction compétente de manière illégale).
Le 2 juin 2008, la première chambre de la Cour de cassation, ayant adopté son arrêt à la majorité d’une voix, décida de renvoyer l’affaire quant à l’examen des premier et troisième moyens soulevés par l’intéressé à la formation plénière de la Cour de cassation. En effet, trois juges étaient d’avis que la cour d’appel n’avait pas violé l’article 1469 al. 5 du CC, tandis que les deux autres, y compris le juge rapporteur, étaient pour l’application par analogie de cet article à la situation du requérant.
Par un arrêt no 18/2009 du 23 juin 2009 (mis au net et certifié conforme le 24 juillet 2009), la Cour de cassation, siégeant en formation plénière, débouta le requérant par huit voix contre sept. Elle se prononça ainsi :
« (...)
Il ressort de l’article 1469 du code civil que le statut d’enfant né [pendant le] mariage peut être contesté par : 1) le mari de la mère, 2) le père ou la mère du conjoint si celui-ci est décédé sans avoir perdu son droit de contester la paternité, 3) l’enfant, 4) la mère de l’enfant, 5) l’homme avec lequel la mère, séparée de son conjoint, avait une relation durable et des rapports sexuels pendant la période critique de la conception. Le droit de cette dernière personne de contester le statut d’enfant né [pendant le] mariage est donc prévu par la loi [sous deux conditions] : a) la mère doit être séparée de corps de son mari ; b) le tiers doit avoir une relation durable et des rapports sexuels avec la mère. Ces deux conditions doivent être remplies conjointement pendant la période critique de la conception. La limitation des droits des tiers se justifie par la nécessité de préserver l’unité familiale, lorsqu’aucun de ses membres directement intéressés (époux de la mère, mère et enfant) ne souhaite la modification de la situation existante. La situation prévue à l’article 1469 al. 5 [du code civil] pose comme condition la séparation de corps entre la mère et [son époux] et présuppose donc un mariage [existant lors de la période critique de conception]. Elle ne couvre pas la situation d’un tiers contestant le statut d’enfant né [pendant] le mariage qui a eu lieu après la période de conception.
(...)
Le législateur n’a volontairement pas étendu l’application des dispositions de l’article 1469 al. 5 du code civil à la situation précitée, c’est-à-dire n’a pas accordé le droit et la qualité pour agir à l’homme qui avait des rapports sexuels avec la mère [qui était] célibataire à la période décisive de conception mais mariée à la date de l’accouchement. Il n’y a donc pas de vide juridique qui doit être comblé par une application par analogie de l’article 1469 al. 5 [du code civil] ou par une interprétation extensive de celui-ci (...) »
Selon les juges de la Cour de cassation ayant voté contre :
« Le droit de contester la paternité est consacré par les dispositions de l’article 1469 du code civil et vise [au renversement de] la présomption de l’article 1465 du code civil pour rapprocher [la paternité] et la réalité biologique. Ce droit est accordé limitativement aux personnes mentionnées à l’article 1469 [du code civil] (...). Parmi ces personnes, n’est pas inclus l’homme avec lequel la mère célibataire avait une relation durable avec des rapports sexuels pendant la période décisive de conception. Toutefois, cet homme a le droit de contester le statut d’enfant né [pendant le] mariage qui a été célébré après la période décisive de conception, par analogie (...). C’est manifestement par inadvertance et non pas volontairement que le législateur (...) n’a pas étendu cette mesure à la situation du tiers qui conteste le statut de l’enfant né [pendant le] mariage célébré après la période décisive de conception, malgré le besoin manifeste de légiférer en la matière. Cette situation est une situation analogue à celle prévue à l’article 1469 al. 5 du code civil. La condition de la séparation n’est pas requise pour l’application de ces dispositions puisque, par hypothèse, il n’y avait pas de vie commune [au moment de la conception de l’enfant]. »
Le 20 octobre 2009, le requérant introduisit à nouveau son pourvoi devant la première chambre de la Cour de cassation pour l’examen de son deuxième moyen. L’audience fut fixée au 4 octobre 2010. À cette date, l’intéressé déposa des observations complémentaires dans lesquelles il se fondait expressément sur les articles 8, 13 et 14 de la Convention ainsi que sur les arrêts Kroon et autres c. Pays-Bas (27 octobre 1994, § 40, série A no 297-C) et Mizzi c. Malte (no 26111/02, § 113, 12 janvier 2006).
Le 6 décembre 2010, la Cour de cassation rejeta également le deuxième moyen du requérant. Elle considérait que la cour d’appel n’avait pas violé les dispositions des articles 2 § 1, 4 §§ 1 et 2, et 5 § 1 de la Constitution auxquelles l’article 1469 al. 5 du CC se conformait pleinement, d’autant plus que l’article 21 § 1 de la Constitution prévoyait que « la famille, comme fondement du maintien et de la promotion de la nation, ainsi que le mariage, la maternité et l’enfance sont placés sous la protection de l’État ».
Le 29 juillet 2009, soit un peu plus d’un mois après le prononcé de l’arrêt no 18/2009, le requérant épousa T.P.
II. LE DROIT INTERNE ET LE DROIT COMPARÉ PERTINENTS
A. Le droit interne
Les articles pertinents en l’espèce du CC disposent :
Article 1465
Présomption de naissance pendant le mariage
« L’enfant qui est né au cours du mariage de sa mère ou dans les trois cents jours qui suivent sa dissolution ou son annulation est présumé avoir comme père le mari de la mère (enfant né pendant le mariage).
Si l’enfant est né après le trois centième jour qui suit la dissolution ou l’annulation du mariage, la preuve de la paternité du mari de la mère est à la charge de celui qui l’invoque. »
Article 1467
Contestation de paternité
« Le statut [d’enfant né pendant le mariage] de l’enfant à l’égard duquel existe une des présomptions des articles 1465 et 1466 (...) peut être contesté par voie judiciaire, s’il est prouvé que la mère ne l’a pas conçu [avec] son mari ou que pendant la période critique de la conception il [lui] était manifestement impossible d’avoir conçu l’enfant [avec] son mari, en raison notamment de l’impuissance ou de l’éloignement de celui-ci ou parce que [les époux] n’avaient pas de rapports. »
Article 1469
« Peuvent contester le statut d’enfant né pendant le mariage : 1) le mari de la mère ; 2) le père ou la mère du conjoint si celui-ci est décédé sans avoir perdu son droit de contester la paternité ; 3) l’enfant ; 4) la mère de l’enfant ; 5) l’homme avec lequel la mère, séparée de corps de son conjoint, avait une relation durable et des rapports sexuels pendant la période critique de la conception. »
Article 1470
« La contestation de paternité est exclue : (...) ; 5) pour l’homme qui avait des rapports sexuels avec la mère deux ans après l’accouchement. »
Article 1472
« L’enfant perd le statut d’enfant né pendant le mariage rétroactivement depuis sa naissance, dès que la décision qui fait droit à la contestation de ce statut devient irrévocable.
En cas de contestation de la paternité par l’homme qui avait des rapports sexuels avec la mère, la décision mentionnée au paragraphe précédent entraîne de plein droit la reconnaissance judiciaire de l’enfant par cet homme. »
Article 1517
Conflit d’intérêts
Si les intérêts de l’enfant sont en conflit avec les intérêts de son père ou de sa mère qui exercent l’autorité parentale, (...) un tuteur ad hoc est désigné. »
Article 1591
« Le tribunal ordonne la tutelle sur demande ou d’office, désigne le tuteur et fixe ce qui a trait à l’organisation et au fonctionnement de [ladite tutelle], conformément à la loi.
(...) »
B. Le droit comparé
La Cour dispose des informations concernant la législation pertinente de plusieurs pays signataires de la Convention. Si pratiquement tous les systèmes de droit interne en question ont recours à la présomption de paternité et permettent en principe la contestation de la filiation paternelle légitime, il n’existe pas une approche commune sur le point de savoir si oui ou non et dans quelles conditions le père biologique doit avoir la possibilité d’exercer ce droit procédural (Chavdarov c. Bulgarie, no 3465/03, § 23, 21 novembre 2010).
Dans certains pays (comprenant en particulier la Bosnie-Herzégovine, l’Estonie, la France, l’Irlande, la Russie, la Slovénie, le Royaume-Uni et l’Ukraine), la législation applicable permet au père biologique de contester la présomption de paternité relative à ses enfants naturels même au cas où ces derniers seraient socialement intégrés dans la famille de leur père et mère légitimes. Dans d’autres pays (l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et le Luxembourg), la possibilité pour le père biologique de contester la présomption de paternité légitime est ouverte uniquement dans des cas où il existe une contradiction entre la réalité sociale et la filiation légalement établie : l’absence de relations sociales et familiales entre le père légitime et l’enfant (en Allemagne) ; l’existence d’une « possession d’état » continue au profit du père biologique (en Espagne) ; l’absence de « possession d’état » pour le père légitime (en Belgique et au Luxembourg). Dans deux autres pays (la Pologne et le Portugal), la possibilité de contester la présomption de paternité légitime est ouverte aux autorités publiques (le parquet) qui peuvent agir à l’initiative du père biologique (ibidem § 24).
Plusieurs autres législateurs nationaux ont choisi d’exclure le père biologique du cercle des personnes ayant qualité pour contester la présomption de paternité légitime (l’Azerbaïdjan, la Croatie, la Finlande, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, Monaco, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Suisse), et ce nonobstant l’existence de relations familiales de fait entre le père biologique et ses enfants naturels (ibidem § 25). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Lorsqu’il y a controverse entre les parties, la version de chacune d’elle est présentée.
A. L’invasion de l’Irak
Le 20 mars 2003, une coalition de forces armées sous commandement unifié dirigée par les États-Unis d’Amérique et composée d’un nombre important de soldats britanniques et de petits contingents de soldats australiens, danois et polonais, commença à envahir l’Irak à partir d’un point de rassemblement situé du côté koweïtien de la frontière entre l’Irak et le Koweït. Le 5 avril 2003, Bassorah était prise par les forces britanniques et, le 9 avril 2003, les troupes américaines contrôlaient Bagdad. La fin des principales opérations de combat en Irak fut prononcée le 1er mai 2003.
B. La capture du frère du requérant par les forces britanniques
Avant l’invasion, le requérant était directeur général au secrétariat national du parti Baas et général de l’armée Al-Quds, force militaire de ce parti. Il habitait à Umm Qasr, ville portuaire de la région de Bassorah située à proximité de la frontière koweïtienne et à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Bassorah. Une fois entrée dans Bassorah, l’armée britannique commença à arrêter les hauts dignitaires du parti Baas. D’autres membres de ce parti furent tués par les milices irakiennes. Aussi le requérant partit-il se cacher avec sa famille, laissant son frère, Tarek Resaan Hassan (« Tarek Hassan »), et son cousin protéger le domicile familial.
Selon des informations données par le Gouvernement, le 23 avril 2003 au petit matin des membres d’une unité de l’armée britannique, le premier bataillon (The Black Watch), se rendirent au domicile du requérant pour l’arrêter. Ils ne trouvèrent pas l’intéressé mais tombèrent sur Tarek Hassan, que le rapport établi à l’époque des faits par l’unité qui procéda à l’arrestation (« le rapport du bataillon ») décrit comme un « tireur » posté sur le toit de la maison et armé d’un fusil d’assaut AK-47. Ce rapport indique que le « tireur » se présenta comme étant le frère du requérant et qu’il fut arrêté vers 6 h 30. Il ajoute que les soldats auteurs de l’arrestation trouvèrent dans la maison d’autres armes à feu et un certain nombre de documents, utiles pour le renseignement, concernant des membres locaux du parti Baas et de l’armée Al-Quds.
Dans une déclaration datée du 30 novembre 2006, le requérant indiqua que Tarek Hassan avait été arrêté par des soldats britanniques le 22 avril 2003, en son absence. Il ajouta : « [q]uand mes sœurs ont pris contact avec l’autorité militaire britannique, on leur a dit que mon frère ne serait pas libéré tant que je ne me serais pas livré ». Dans une déclaration ultérieure datée du 12 septembre 2008, il ne faisait plus mention de ses sœurs mais disait avoir demandé à son ami Saeed Teryag et à son voisin Haj Salem de se renseigner auprès des forces britanniques au sujet de Tarek Hassan. Il expliquait qu’il avait fait appel à ces amis parce qu’il considérait qu’il pouvait se fier à eux, Haj Salem étant un homme d’affaires respecté et Saeed Teryag étant allé à l’université et parlant anglais. Il ajoutait : « [q]uand ils ont pris contact avec l’autorité militaire britannique, elle leur a dit que mon frère ne serait pas libéré tant que je ne me serais pas livré ».
Selon la retranscription, datée du 2 février 2007, d’un entretien téléphonique avec M. Salim Hussain Nassir Al-Ubody, le voisin du requérant, Tarek Hassan fut emmené par des soldats britanniques un jour du mois d’avril vers 4 h 30, les mains attachées dans le dos. M. Al-Ubody déclara qu’il avait pris contact avec l’un des Irakiens qui accompagnaient les soldats pour lui demander ce que ces derniers voulaient et qu’on lui avait dit que les soldats étaient venus arrêter le requérant. Trois jours plus tard, le requérant aurait téléphoné à M. AlUbody afin de lui demander de trouver quelqu’un pour garder sa maison et de se renseigner auprès de l’armée britannique pour savoir ce qu’il était advenu de Tarek Hassan. Deux jours plus tard, M. Al-Ubody se serait rendu au centre de commandement britannique à l’hôtel du Chatt-el-Arab, où il aurait demandé à un interprète irakien s’il pouvait obtenir des renseignements sur Tarek Hassan. Deux jours plus tard, au retour de M. Al-Ubody, l’interprète lui aurait dit que les forces britanniques détenaient Tarek Hassan et qu’ils le garderaient tant que le requérant ne se livrerait pas. Il aurait également conseillé à M. Al-Ubody de ne pas revenir, lui expliquant qu’il risquait de subir un interrogatoire.
C. La détention à Camp Bucca
Les deux parties s’accordent à dire que Tarek Hassan fut emmené à Camp Bucca par des soldats britanniques. Situé à environ 2,5 km d’Umm Qasr et à environ 70 km au sud de Bassorah, ce camp était à sa création, le 23 mars 2003, un centre de détention britannique, avant de devenir officiellement, le 14 avril 2003, une installation américaine baptisée « Camp Bucca ». En avril 2003, il était formé de huit quartiers séparés par des clôtures de barbelés, avec chacun un seul point d’entrée. Dans chaque quartier se trouvaient des tentes ouvertes aptes à accueillir plusieurs centaines de détenus et dotées d’un robinet, de latrines et d’une zone découverte.
Pour des raisons de commodité opérationnelle, le Royaume-Uni continua à détenir à Camp Bucca les personnes capturées par lui. L’un des quartiers était réservé à ses détenus soupçonnés d’avoir commis des infractions pénales. Par ailleurs, le Royaume-Uni gérait un quartier distinct du camp destiné à son équipe conjointe d’interrogatoire avancé (Joint Forward Interrogation Team – « la JFIT »). Les forces britanniques avaient bâti ce quartier et continuaient de l’administrer. Y étaient interrogés aussi bien des détenus capturés par l’armée du Royaume-Uni que des détenus capturés par l’armée des États-Unis, et des équipes d’interrogateurs tant britanniques qu’américaines y travaillaient, mais la JFIT britannique surveillait la détention et les interrogatoires de tous les prisonniers qui s’y trouvaient. Dans les autres parties du camp, l’armée américaine était chargée de garder et d’escorter les détenus, et l’armée britannique était tenue de rembourser aux États-Unis tous les frais occasionnés par le séjour au camp des détenus capturés par elle. La prévôté militaire britannique (British Military Provost Staff – « la police militaire ») avait la responsabilité de surveiller (overseeing responsibility) les détenus du RoyaumeUni dont la garde était transférée aux États-Unis, à l’exception de ceux séjournant dans le quartier de la JFIT. Les détenus du Royaume-Uni malades ou blessés étaient traités dans les hôpitaux de campagne britanniques. Les autorités britanniques étaient chargées des liaisons avec le Comité international de la Croix-Rouge (« le CICR ») pour ce qui est du traitement des détenus du Royaume-Uni et de la notification de leur incarcération à leurs familles (pour plus de détails, voir le paragraphe 20 ci-dessous). Le RoyaumeUni demeurait aussi chargé de classer les détenus selon les catégories définies dans les articles 4 et 5 de la troisième Convention de Genève (paragraphe 33 ci-dessous).
En prévision de l’usage par le Royaume-Uni d’installations communes pour accueillir ses détenus, les gouvernements britannique, américain et australien conclurent le 23 mars 2003 un mémorandum d’accord relatif au transfert de la garde des détenus (« le mémorandum d’accord »). Ce texte disposait :
« Le présent accord fixe les procédures de transfert par les forces américaines, britanniques ou australiennes à l’une quelconque des autres Parties de tout prisonnier de guerre, interné civil ou détenu civil arrêté au cours des opérations contre l’Irak.
Les Parties prennent les engagements suivants :
Le présent accord sera exécuté conformément à la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre et à la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, ainsi qu’au droit international coutumier.
En leur qualité de Puissances acceptantes, les forces américaines, britanniques et australiennes accepteront, selon les modalités qu’elles définiront mutuellement, tout prisonnier de guerre, interné civil et détenu civil tombé au pouvoir de l’une quelconque des autres Parties (la Puissance détentrice) et devront garder et protéger toutes les personnes qui leur auront été ainsi confiées. Les transferts de prisonniers de guerre, de civils internés et de civils détenus entre Puissances acceptantes se dérouleront selon des modalités mutuellement définies par la Puissance acceptante et la Puissance détentrice.
Les modalités de transfert des prisonniers de guerre, internés civils ou détenus civils blessés seront fixées dans les meilleurs délais, de manière qu’ils puissent être traités selon l’urgence de leur cas. Tous ces transferts seront administrés et consignés dans le cadre des mécanismes mis en place en vertu du présent mémorandum pour le transfert des prisonniers de guerre, des internés civils et des détenus civils.
Tout prisonnier de guerre, interné civil ou détenu civil transféré par une Puissance détentrice sera renvoyé sans retard à celle-ci par la Puissance acceptante lorsque la Puissance détentrice en aura fait la demande.
Un prisonnier de guerre, un interné civil ou un détenu civil transféré ne pourra être libéré, rapatrié ou expulsé vers des territoires situés hors de l’Irak que par accord mutuel entre la Puissance détentrice et la Puissance acceptante.
La Puissance détentrice conservera un droit d’accès intégral à tout prisonnier de guerre, interné civil ou détenu civil transféré par elle pendant le temps qu’il sera confié à la Puissance acceptante.
La Puissance acceptante est responsable de la tenue des registres de détention pour tout prisonnier de guerre, interné civil ou détenu civil qui lui sera transféré. Ces registres pourront être inspectés par la Puissance détentrice à la demande de celleci. Les documents (ou copies conformes de ceux-ci) concernant tout prisonnier de guerre, interné civil ou détenu civil renvoyé à la Puissance détentrice devront également être remis à celle-ci.
Les Puissances détentrices désigneront des agents de liaison auprès des Puissances acceptantes de manière à faciliter la mise en œuvre du présent accord.
Seule la Puissance détentrice sera compétente pour classer ou non comme prisonniers de guerre, au sens des articles 4 et 5 de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, les personnes capturées par ses forces. Préalablement à cette décision, ces détenus seront traités comme des prisonniers de guerre et jouiront de l’ensemble des droits et protections offerts par ladite Convention même s’ils sont confiés à une Puissance acceptante.
En cas de doute quant au point de savoir laquelle des Parties est la Puissance détentrice, toutes les Parties seront solidairement responsables de toutes les personnes détenues et auront un accès total à celles-ci (ainsi qu’à tous documents relatifs à leur traitement) tant que la Puissance détentrice n’aura pas été déterminée par accord mutuel.
La juridiction première à l’égard des infractions pénales qu’auraient commises, avant leur capture, les prisonniers de guerre, internés civils et détenus civils transférés à une Puissance acceptante sera initialement confiée à la Puissance détentrice pour autant qu’une telle juridiction en matière pénale puisse être exercée. Les Puissances détentrices examineront favorablement toute demande de renonciation à cette juridiction formulée par une Puissance acceptante.
La juridiction première à l’égard des manquements aux règles disciplinaires ou infractions de droit commun qu’auraient commises les prisonniers de guerre, internés civils ou détenus civils après leur transfert à une Puissance acceptante est confiée à celle-ci.
La Puissance détentrice remboursera à la Puissance acceptante les frais occasionnés par l’entretien de tout prisonnier de guerre, interné civil ou détenu civil qu’elle aura pu lui transférer en vertu du présent accord.
Si l’une d’elles en fait la demande, les Parties se consulteront sur la mise en œuvre du présent accord ».
Dans sa déposition, le major Neil B. Wilson, qui servait dans la police militaire à Camp Bucca à l’époque des faits, a dit que, suivant la procédure habituelle, le détenu arrivait au camp escorté de militaires de l’unité qui l’avait capturé ; à l’arrivée, le détenu était incarcéré dans une zone de rétention temporaire, cependant que ses papiers étaient contrôlés et ses objets d’usage personnel saisis ; si nécessaire, des soins médicaux lui étaient administrés à ce stade ; le cas du détenu était ensuite examiné dans la tente des arrivées par des agents britanniques avec l’aide d’un interprète ; une photographie numérique du détenu était prise et, avec d’autres renseignements à son sujet, insérée dans la base de données, appelée AP3-Ryan, où les autorités britanniques répertoriaient de nombreuses informations au cours des opérations en Irak, notamment des informations concernant les détenus.
Il ressort d’une consultation de cette base de données qu’aucune mention n’y figurait sous le nom de Tarek Resaan Hassan mais qu’il y en avait une, avec une photographie, sous le nom de « Tarek Resaan Hashmyh Ali ». Dans sa déposition, le requérant expliqua que, aux fins des démarches officielles, les Irakiens indiquaient leur propre prénom, suivi de ceux de leur père, de leur mère, de leur grand-père et de leur arrière-grand-père, que « Ali » était le prénom de son arrière-grand-père et que celui de son grandpère, Hassan, avait été omis par erreur. Il ajouta qu’on avait délivré à Tarek Hassan un bracelet sur lequel était inscrit son numéro d’immatriculation d’interné du Royaume-Uni, UKDF018094IZSM, « DF » (detention facility) signifiant lieu de détention, « IZ » allégeance à l’Irak et « SM » (soldier male) soldat de sexe masculin. Des captures d’écran de cette base de données montrent également qu’il avait été demandé à Tarek Hassan s’il acceptait que les autorités de son pays fussent informées de sa détention et qu’il n’y avait pas consenti.
Selon des éléments soumis par le Gouvernement, une fois accompli le processus d’enregistrement britannique, les détenus étaient remis entre les mains des forces des États-Unis pour un second enregistrement, qui comportait notamment la délivrance d’un numéro d’immatriculation américain, inscrit sur un bracelet. Le numéro attribué à Tarek Hassan était le UK912-107276EPW46 ; les lettres « UK » signifiaient que le Royaume-Uni était le pays auteur de la capture et les lettres « EPW » (enemy prisoner of war) qu’il était traité par les forces américaines comme un prisonnier de guerre ennemi ; cependant, tous les détenus étaient à ce stade traités comme des prisonniers de guerre, sauf ceux capturés par les forces britanniques parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir commis des infractions pénales ; une fois enregistrés, les détenus faisaient habituellement l’objet d’un examen médical, puis on leur remettait de la literie, de la vaisselle et un nécessaire de toilette et, enfin, les forces américaines les conduisaient dans les zones d’hébergement.
Le Gouvernement a produit le témoignage de M. Timothy Lester, qui fut chargé de l’Irak au sein du Bureau d’information des prisonniers de guerre du Royaume-Uni (United Kingdom Prisoner of War Information Bureau ou UKPWIB – « le Bureau d’information ») à partir du début des opérations militaires dans ce pays en mars 2003. M. Lester indique que le Bureau d’information était pour l’Irak le « Bureau officiel de renseignements » imposé par l’article 122 de la troisième Convention de Genève et qu’il contrôlait les informations relatives aux prisonniers de guerre et aux délinquants en détention de manière à faciliter les contacts avec leurs proches. M. Lester explique par ailleurs que la troisième Convention de Genève imposait également la création d’une « Agence centrale de renseignements sur les prisonniers de guerre ». Cette fonction était d’après lui assumée par l’Agence centrale de recherches du CICR. Le CICR recueillait les renseignements sur les captures d’individus et, moyennant le consentement de ceux-ci, les transmettait à leur pays d’origine ou à la puissance dont ils dépendaient. En pratique, les renseignements sur tous les prisonniers incarcérés par les forces britanniques étaient enregistrés par des agents dans le lieu de détention en Irak et adressés à M. Lester à Londres, qui les saisissait ensuite dans un tableur avant de charger celui-ci sur le site Internet sécurisé du CICR. M. Lester transmettait généralement les données au CICR une fois par semaine au cours de la phase active de combat, et une fois par mois par la suite. L’intéressé explique toutefois que les informations sur Tarek Hassan ne furent communiquées au CICR que le 25 juillet 2003, en raison d’un retard causé par la mise à jour du système informatique du Bureau d’information. Il indique qu’en tout état de cause, il fut noté dans le dossier de Tarek Hassan que celui-ci n’avait pas accepté que les autorités irakiennes fussent prévenues de sa capture (paragraphe 17 ci-dessus). Faute de ce consentement, il serait peu vraisemblable que le CICR eût informé les autorités irakiennes de cette capture et que celles-ci en eussent informé à leur tour la famille Hassan.
D. Le processus de filtrage
Le Gouvernement déclare que, en cas d’incertitude quant au statut d’un détenu au moment de son arrivée à Camp Bucca, l’intéressé était enregistré comme prisonnier de guerre par les autorités britanniques. Il explique qu’un détenu capturé au cours d’une opération visant une personne précise, comme Tarek Hassan, était immédiatement conduit au quartier de la JFIT pour un entretien en deux étapes. D’après lui, deux équipes d’interrogateurs, l’une britannique et l’autre américaine, y travaillaient, et toutes deux interrogeaient aussi bien les détenus capturés par le Royaume-Uni que ceux capturés par les États-Unis. Le premier entretien pouvait être simplement conduit par l’équipe qui était disponible à l’arrivée du détenu. Ce processus d’interrogatoire aurait visé à identifier les membres de groupes militaires ou paramilitaires susceptibles de détenir des renseignements utiles pour la campagne militaire et, lorsqu’il était établi que le détenu n’était pas un combattant, à déterminer s’il y avait lieu de le soupçonner de représenter un risque pour la sécurité ou d’être un criminel. Le Gouvernement indique qu’en l’absence de motif raisonnable à cet égard, l’intéressé était classé dans la catégorie des civils ne représentant aucune menace pour la sécurité et sa libération était aussitôt ordonnée.
Il ressort d’un document imprimé à partir de la base de données informatique de la JFIT que, à Camp Bucca, Tarek Hassan s’était vu attribuer le no JFIT 494 et le numéro d’immatriculation UK107276. Ce document indique que Tarek Hassan est arrivé le 23 avril 2003 à 16 h 40 et qu’il est sorti le 25 avril 2003 à 17 heures, et à la rubrique « destination finale » (final destination), il porte la mention Registration (Civ Cage). Dans la rubrique « libérer/garder » (Release/Keep) figure la lettre R. Dans la rubrique « interrogatoire tactique » (TQ – Tactical Questioning) on trouve la mention « 231830ZAPR03-Steve » et dans la rubrique « Intg 1 » la mention « 250500ZAPR03 ». Le Gouvernement explique que la première de ces mentions veut dire que Tarek Hassan a d’abord subi un interrogatoire tactique le 23 avril 2003 à 18 h 30 Zulu (« Zulu » dans ce contexte signifierait temps universel coordonné ou temps moyen de Greenwich). Selon le Gouvernement, le 23 avril, 18 h 30 Zulu correspondait à 21 h 30, heure irakienne. La seconde mention signifierait que Tarek Hassan a été réinterrogé le 25 avril 2003 à 5 heures Zulu, soit 8 heures, heure locale, avant d’être relâché dans le secteur civil de Camp Bucca à 20 heures, heure locale, le 25 avril 2003.
Le Gouvernement a communiqué à la Cour copie d’un compte rendu, daté du 23 avril 2003, 18 h 30 Zulu, d’un entretien entre Tarek Hassan et des agents américains dans lequel on peut lire ceci :
« Le PGE [prisonnier de guerre ennemi] est né à BASSORAH le 3 août 1981. Il habite actuellement à son domicile avec son père, sa mère, son frère aîné (dénommé Qazm, né dans les années 1970) et sa petite sœur (âge ; non exploité). Son domicile est situé en face de l’école Khalissa dans le quartier Jamiyat du nord de BASSORAH. Le PGE a quitté le collège car il avait été recruté pour jouer au football. Il joue actuellement au club de football de Bassorah, où il occupe un poste d’attaquant. Les dépenses de l’équipe sont prises en charge par l’État et par le Comité olympique. Le PGE est sans emploi parce que le football est sa vie et que toutes ses dépenses pour la pratique de ce sport sont prises en charge.
Le PGE sait qu’il a été conduit ici à cause de son frère Qazm. Qazm est un Othoo Sherba du parti Baas et il s’est enfui de son domicile il y a quatre jours pour une destination inconnue. Qazm a adhéré au parti Baas en 1990 et il participe à des réunions régulières et à la planification des actions d’urgence (aucun autre élément exploité). Avant la guerre, le parti Baas lui avait fourni une camionnette. Quand les forces de la coalition sont entrées dans BASSORAH, Qazm a confié la camionnette à un voisin (nom non exploité) pour la protéger, puis il s’est rendu dans un hôtel du centre de BASSORAH (nom de l’hôtel inconnu). Qazm a passé quelques coups de téléphone pendant cette période mais il n’a jamais indiqué où il séjournait. Un problème est apparu lorsque les anciens propriétaires de la camionnette, la société pétrolière locale, sont venus réclamer le véhicule qu’ils avaient prêté au parti Baas. Embarrassé par tout cet imbroglio, Qazm s’est enfui peu après.
Le PGE semble être un bon petit gars qui, vraisemblablement, était si pris par le football qu’il n’a pas réellement cherché à savoir où se trouvait son frère. Cela dit, sa famille est très soudée et le PGE pourrait en savoir plus sur les activités de son frère au sein du parti Baas ainsi que sur ses amis associés au parti. Il ne servira à rien d’employer la manière forte. Le PGE aime sa famille et le football. Il coopérera mais il a besoin de quelqu’un en qui il puisse avoir confiance pour révéler sur son frère des informations susceptibles de nuire à celui-ci. Le PGE semble tout à fait innocent mais il peut avoir une utilité pour livrer des informations sur son entourage. »
Le Gouvernement a produit un compte rendu du second entretien sous la forme d’un rapport d’interrogatoire tactique. Ce document indique qu’il concerne « PW 494 » (prisonnier de guerre 494) avec, comme date d’information (date of information), « 250445ZAPR03 », c’est-à-dire 4 h 45 Zulu, soit 7 h 45, heure locale, le 25 avril 2003. Le rapport indique ceci :
« 1. Le PGE [prisonnier de guerre ennemi] est âgé de 22 ans, célibataire, et vit avec son vieux père de 80 ans (qui est cheikh) et sa mère dans le quartier de Jamiyet à BASSORAH. Il travaille comme homme à tout faire et, comme il possède le statut d’étudiant, n’a pas fait son service militaire. Il a déclaré qu’il y avait un AK-47 dans sa maison au moment de son arrestation mais que cette arme ne servait qu’à des fins de protection personnelle. Ni lui ni son père ne sont membres du parti Baas.
Le PGE dit qu’il a été arrêté à son domicile par des soldats américains (sic) qui recherchaient son frère Kathim. Son frère est un Uthoo Shooba au sein du parti Baas. Il a adhéré au parti en 1990 lorsqu’il est entré à la faculté de droit de l’Université du ChattelArab. Il est toujours étudiant, dans sa dernière année d’études, marié mais sans enfants. Il a entrecoupé ses études par des périodes de travail comme vendeur de voitures. Craignant pour sa vie en raison des risques de représailles contre les membres du parti Baas, il s’est enfui, peut-être en SYRIE ou en IRAN. Le PGE a parlé pour la dernière fois avec son frère il y a cinq jours au téléphone. Son frère n’a pas dit où il se trouvait.
COMMENTAIRE JFIT : Le PGE paraît dire la vérité et il a été arrêté à cause d’une erreur d’identité. Il n’a aucune valeur du point de vue du renseignement et il est recommandé de le relâcher dans le secteur civil. FIN COMMENTAIRE JFIT. »
E. Les éléments de preuve concernant la présence de Tarek Hassan dans le secteur civil de Camp Bucca et son éventuelle libération
Le requérant a produit le résumé d’un entretien, daté du 27 janvier 2007, avec M. Fouad Awdah Al-Saadoon, ancien président du Croissant-Rouge irakien à Bassorah et ami de sa famille. M. Al-Saadoon fut arrêté par des soldats britanniques et incarcéré à Camp Bucca, dans une tente accueillant environ 400 détenus. Il déclara lors dudit entretien que, le 24 avril 2003, vers 18 heures, Tarek Hassan avait été conduit dans cette tente. Il dit que Tarek semblait effrayé et perdu mais non qu’il se plaignait de mauvais traitements. Selon lui, Tarek Hassan ne fut pas interrogé pendant qu’ils se trouvaient ensemble à Camp Bucca. M. Al-Saadoon étant en mauvaise santé, Tarek Hassan lui aurait apporté de la nourriture et se serait occupé de lui. M. Al-Saadoon aurait été élargi le 27 avril 2003, avec un groupe de 200 prisonniers, les autorités britanniques ayant décidé de libérer tous les détenus âgés de 55 ans ou plus. Les détenus auraient été relâchés de nuit sur une autoroute entre Bassorah et Zoubaïr et contraints de marcher une quarantaine de kilomètres jusqu’au lieu le plus proche où il était possible de louer une voiture. À la suite de sa libération, M. AlSaadoon aurait informé la famille du requérant qu’il avait vu Tarek Hassan à Camp Bucca. Selon le requérant, c’est là la seule information reçue par sa famille sur le sort de son frère après l’arrestation de ce dernier. En réponse à ces déclarations, le Gouvernement dit qu’il ressort des comptes rendus des interrogatoires que Tarek Hassan a été relâché dans le secteur civil le 25 avril et qu’il est donc possible que M. Al-Saadoon se soit trompé au sujet de la date. Il affirme en outre que de grands efforts étaient déployés pour reconduire les détenus à l’endroit où ils avaient été capturés ou dans tout autre lieu choisi par eux, et que la distance entre Bassorah et Zoubaïr est bien inférieure à 40 kilomètres.
Selon la déposition, produite par le Gouvernement, du major Neil Wilson, qui commandait un groupe de soldats de la police militaire chargé d’une mission de conseil sur les questions de détention dans la zone d’opérations du Royaume-Uni en Irak pendant la période considérée, les choses se passaient comme suit. La décision d’élargir les personnes capturées par le Royaume-Uni et détenues à Camp Bucca – autres que celles poursuivies pénalement – était prise par une commission réunie par des juristes de l’armée britannique. Les informations en la matière étaient ensuite communiquées aux gardiens américains, préalablement à toute sortie du camp, et vérifiées et inscrites dans la base de données AP3-Ryan. Les ordres donnés par le Centre de commandement divisionnaire britannique à Bassorah et applicables à ce moment-là précisaient que les forces des États-Unis étaient chargées du rapatriement de tous les prisonniers dans les secteurs relevant de leur zone d’opérations et que les forces du Royaume-Uni étaient chargées du retour des prisonniers dans les secteurs relevant de leur zone d’opérations, à savoir le sud-est de l’Irak, quelles que fussent les forces qui avaient capturé les prisonniers. Le CICR devait avoir accès à toutes les personnes relâchées. Là encore, en vertu des ordres applicables, les prisonniers rapatriés par les forces britanniques devaient être conduits dans des autocars avec, à bord, des gardes armés et, devant et derrière, des véhicules militaires d’escorte armés. La libération se déroulait de jour dans des lieux de rapatriement précis, une quantité suffisante d’eau et de nourriture étant laissée aux personnes libérées pour leur permettre de tenir jusqu’à leur retour chez elles. Des efforts étaient faits pour que les personnes fussent reconduites là où elles avaient été capturées. Il y avait quatre points de dépôt dans la zone d’opérations du Royaume-Uni, dont « Al-Basrah GR TBC [référence carte à confirmer] ». Umm Qasr ne figurait pas parmi eux mais il était possible de l’inscrire comme lieu de libération dans les dossiers des personnes à relâcher.
Le Gouvernement a également produit un ordre militaire daté du 27 avril 2003 (FRAGO 001/03), au travers duquel il s’agissait d’élargir le plus grand nombre possible de civils et de prisonniers de guerre avant la cessation des hostilités (ultérieurement prononcée le 1er mai 2003). L’annexe à cet ordre fixait les procédures à suivre. Certaines personnes devaient rester en détention pour des motifs de sécurité ou parce qu’elles étaient soupçonnées d’avoir commis des infractions ; elles avaient déjà été identifiées par la JFIT, la décision correspondante avait été enregistrée dans la base de données AP3-Ryan, et une liste avait été remise aux autorités américaines de manière à garantir le maintien en détention de ces personnes. Les autres détenus devaient rester dans les différents quartiers et attendre que les autorités britanniques s’occupent de leur libération. Dans la tente où leur dossier était traité, trois éléments étaient vérifiés chez chaque détenu : son bracelet, son visage et son signalement numérique tiré d’AP3-Ryan. Les renseignements suivants devaient alors être saisis dans la base de données : « 1) élément de la force chargée de la libération (Releasing Force Element) ; 2) date de libération (Release Date) ; 3) pays chargé de la libération (Releasing Nation) ; 4) lieu de libération choisi (Selected Place of Release). L’ordre luimême indiquait quatre points de dépôt : Bassorah, Najef, Al-Kut et An Nasariah (les trois dernières villes étant situées au nord de Bassorah) mais son annexe ajoutait aussi Umm Qasr (au sud de Bassorah et à 2,5 km du camp). Les autorités britanniques devaient alors conserver la carte d’identité du détenu puis remettre celui-ci à leurs homologues américaines à charge pour elles de terminer le processus et de veiller notamment à remettre de l’eau et des victuailles à l’intéressé et à lui restituer ses objets d’usage personnel. La création de quatre zones de rétention était prévue – « une pour chaque lieu de libération » –, à partir desquelles les détenus devaient être transportés jusqu’aux lieux de rapatriement convenus et relâchés de jour. L’ordre imposait aussi un dernier contrôle pour vérifier si tous les détenus du Royaume-Uni énumérés dans la base de données AP3-Ryan avaient été soit libérés soit maintenus en détention. S’il était découvert qu’une personne n’était ni libérée ni détenue, une commission d’enquête devait être saisie pour faire la lumière sur ce qui s’était passé.
Le Gouvernement a produit en outre une déposition, datée du 29 octobre 2007, de l’adjudant de seconde classe Kerry Patrick Madison, administrateur de la base de données AP3-Ryan. D’après celle-ci, au 22 mai 2003 AP3-Ryan indiquait que les forces britanniques avaient capturé et soumis à examen 3 738 détenus en Irak depuis le début des hostilités et que tous avaient été libérés sauf 361 d’entre eux. Étaient jointes à cette déposition plusieurs impressions de captures d’écran affichant les entrées de la base de données concernant Tarek Hassan. Celles-ci montrent que la libération de « Tarek Resaan Hashmyh Ali » le 2 mai 2003 à 0 h 01 fut inscrite dans le système AP3-Ryan le 4 mai 2003 à 13 h 45. Elles indiquent en outre que l’autorité qui effectua la libération était le Royaume-Uni (« United Kingdom (ARMD) DIV SIG REGT »), que le lieu de libération était « Umm Qasr », que le mode de libération était « par autocar » et que le motif de libération était « fin des hostilités ». Une autre mention, enregistrée dans ce système le 12 mai 2003 à 22 h 13, énonçait : « l’absence du prisonnier de guerre (« PG ») a été constatée lorsqu’une vérification complète du lieu de détention a été conduite. La libération du PG a été inscrite dans la base AP3 le 12 mai 2003 ». Selon l’adjudant Madison, les dossiers d’environ 400 personnes comportaient la mention « la libération du PG a été inscrite dans la base AP3 le 12 mai 2003 » alors que les personnes en question avaient en fait été libérées auparavant et il est donc vraisemblable que les dossiers électroniques du camp relatifs aux libérations ont été mis à jour le 12 mai à la suite d’une vérification sur place. Le système informatique des États-Unis ne ferait état d’aucune libération avant le 17 mai 2003 mais là encore, selon le Gouvernement, c’est probablement parce que les autorités américaines ont effectué le 17 mai une mise à jour des informations de la base de données américaine de Camp Bucca après une inspection du camp menée aux fins de vérifier quels détenus s’y trouvaient encore.
F. La découverte du corps de Tarek Hassan
Le requérant affirme que Tarek Hassan n’a pas pris contact avec sa famille après sa libération alléguée. Le 1er septembre 2003, l’un de ses cousins aurait reçu un appel téléphonique d’un inconnu en provenance de Samara, une ville située au nord de Bagdad. Cet homme les aurait informés que dans la campagne environnante avait été retrouvé le corps d’un homme qui avait sur lui, dans la poche du haut de survêtement dont il était vêtu, un insigne d’identification en plastique et un morceau de papier sur lequel était inscrit le numéro de téléphone du cousin. Selon le requérant, Tarek Hassan portait des vêtements de sport lorsqu’il fut capturé par les forces britanniques. Le cousin aurait ensuite téléphoné au requérant, qui, avec un autre de ses frères, se serait rendu au service de médecine légale de l’hôpital général de Tekrit, à Samara. Ils y auraient trouvé le corps de Tarek Hassan, la poitrine criblée de huit blessures causées par des balles de fusil d’assaut AK-47. Selon le requérant, les mains de Tarek étaient attachées à l’aide d’un fil de plastique. L’insigne d’identité trouvé dans sa poche aurait été celui que lui avaient remis les autorités américaines à Camp Bucca. Un certificat de décès fut délivré par les autorités irakiennes le 2 septembre 2003. Il indiquait le 1er septembre 2003 comme date du décès, mais les cases réservées aux causes du décès n’étaient pas remplies. Un rapport de police identifia le corps comme étant celui de « Tariq Hassan » mais sans donner la moindre précision quant à la cause du décès.
G. Correspondance avec les Treasury Solicitors et procédures judiciaires
Le requérant demeura caché en Irak jusqu’en octobre 2006, date à laquelle il franchit la frontière pour gagner la Syrie. En novembre 2006, par le biais d’un représentant en Syrie, il prit contact avec des solicitors au RoyaumeUni. Par une lettre du 21 décembre 2006, ces derniers demandèrent aux Treasury Solicitors (service juridique de l’État) des explications au sujet de l’arrestation et de la détention de Tarek Hassan et des circonstances à l’origine de son décès. Il fallut du temps pour identifier le frère du requérant car il avait été inscrit dans les bases de données de Camp Bucca sous le nom de « Tarek Resaan Hashmyh Ali » (paragraphe 18 ci-dessus). Néanmoins, par une lettre du 29 mars 2007, les Treasury Solicitors signalèrent qu’une vérification des archives informatiques britanniques relatives aux prisonniers de guerre avait permis de retrouver la trace d’un Tarek Resaan Hashmyh Ali détenu à Camp Bucca. Dans une autre lettre, datée du 5 avril 2007, ils indiquèrent que d’autres archives informatiques avaient été récupérées et qu’elles « confirm[ai]ent la remise » de Tarek Hassan par les autorités britanniques à leurs homologues américaines à Camp Bucca et indiquaient qu’il avait été libéré le 12 mai 2003.
Le requérant saisit la High Court le 19 juillet 2007, demandant une décision déclarant que son frère avait été victime de violations de ses droits découlant des articles 2, 3 et 5 de la Convention, tels qu’exposés à l’annexe 1 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme, des dommages-intérêts et une injonction ordonnant au Gouvernement d’ouvrir une enquête publique et indépendante afin de déterminer ce qui était arrivé à son défunt frère après son incarcération par les forces britanniques le 22 avril 2003. L’affaire fut examinée les 19 et 20 janvier 2009. Le juge Walker rendit le 25 février 2009 un jugement déboutant le requérant de ses demandes ([2009] EWHC 309 (Admin)). Il y indiquait que, à la lumière de l’arrêt rendu par la Chambre des lords dans l’affaire Al-Skeini (voir, pour plus de détails, les extraits de cet arrêt reproduits aux paragraphes 83 à 88 de l’arrêt Al-Skeini, précité), on ne pouvait considérer que Tarek Hassan eût à aucun moment relevé de la juridiction du Royaume-Uni au sens de l’article 1 de la Convention. Il ajoutait que, dans son arrêt Al-Skeini, la Chambre des lords avait reconnu certaines exceptions à la règle de principe voulant qu’un État n’exerce pas sa juridiction hors de son territoire mais que parmi celles-ci ne figurait pas la détention d’un individu, sauf si celle-ci avait lieu à l’intérieur d’une prison militaire ou d’un autre établissement comparable contrôlé par l’État contractant. Il concluait de son analyse du mémorandum d’accord (paragraphe 16 cidessous) que, pour les motifs indiqués ci-dessous, Camp Bucca était un établissement militaire non pas britannique mais américain :
« (...) il est patent que, tant qu’elle n’exige pas le retour des personnes qu’elle a transférées, la puissance détentrice [le Royaume-Uni] renonce à les garder et à les protéger. C’est la puissance acceptante [les États-Unis] qui en assume la responsabilité. Dès qu’elle remet une personne à la puissance acceptante, la puissance détentrice cède à celle-ci la juridiction première pour ce qui est des décisions relatives aux contacts que peut prendre cette personne. Globalement, il en découle un régime juridique qui ne donne à la puissance détentrice aucun contrôle réel sur les conditions de vie quotidiennes de l’intéressé ».
Le requérant fut avisé qu’un appel n’aurait aucune chance de succès.
II. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT ET DE PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX
A. Les dispositions pertinentes des troisième et quatrième Conventions de Genève
Les articles exposés ci-dessous de la troisième Convention de Genève du 12 août 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre (« la troisième Convention de Genève ») et de la quatrième Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (« la quatrième Convention de Genève ») sont particulièrement pertinents pour les questions qui se posent en l’espèce.
Article 2 commun aux quatre Conventions de Genève
En dehors des dispositions qui doivent entrer en vigueur dès le temps de paix, la présente Convention s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles.
La Convention s’appliquera également dans tous les cas d’occupation de tout ou partie du territoire d’une Haute Partie contractante, même si cette occupation ne rencontre aucune résistance militaire.
Si l’une des Puissances en conflit n’est pas partie à la présente Convention, les Puissances parties à celle-ci resteront néanmoins liées par elle dans leurs rapports réciproques. Elles seront liées en outre par la Convention envers ladite Puissance, si celle-ci en accepte et en applique les dispositions.
Article 4 A de la troisième Convention de Genève
Sont prisonniers de guerre, au sens de la présente Convention, les personnes qui, appartenant à l’une des catégories suivantes, sont tombées au pouvoir de l’ennemi :
1) les membres des forces armées d’une Partie au conflit, de même que les membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées ;
2) les membres des autres milices et les membres des autres corps de volontaires, y compris ceux des mouvements de résistance organisés, appartenant à une Partie au conflit et agissant en dehors ou à l’intérieur de leur propre territoire, même si ce territoire est occupé, pourvu que ces milices ou corps de volontaires, y compris ces mouvements de résistance organisés, remplissent les conditions suivantes :
a) d’avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés ;
b) d’avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ;
c) de porter ouvertement les armes ;
d) de se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre ;
3) les membres des forces armées régulières qui se réclament d’un Gouvernement ou d’une autorité non reconnus par la Puissance détentrice ;
4) les personnes qui suivent les forces armées sans en faire directement partie, telles que les membres civils d’équipages d’avions militaires, correspondants de guerre, fournisseurs, membres d’unités de travail ou de services chargés du bien-être des forces armées, à condition qu’elles en aient reçu l’autorisation des forces armées qu’elles accompagnent, celles-ci étant tenues de leur délivrer à cet effet une carte d’identité semblable au modèle annexé ;
5) les membres des équipages, y compris les commandants, pilotes et apprentis, de la marine marchande et les équipages de l’aviation civile des Parties au conflit qui ne bénéficient pas d’un traitement plus favorable en vertu d’autres dispositions du droit international ;
6) la population d’un territoire non occupé qui, à l’approche de l’ennemi, prend spontanément les armes pour combattre les troupes d’invasion sans avoir eu le temps de se constituer en forces armées régulières, si elle porte ouvertement les armes et si elle respecte les lois et coutumes de la guerre.
Article 5 de la troisième Convention de Genève
La présente Convention s’appliquera aux personnes visées à l’article 4 dès qu’elles seront tombées au pouvoir de l’ennemi et jusqu’à leur libération et leur rapatriement définitifs.
S’il y a doute sur l’appartenance à l’une des catégories énumérées à l’article 4 des personnes qui ont commis un acte de belligérance et qui sont tombées aux mains de l’ennemi, lesdites personnes bénéficieront de la protection de la présente Convention en attendant que leur statut ait été déterminé par un tribunal compétent.
Article 12 de la troisième Convention de Genève
Les prisonniers de guerre sont au pouvoir de la Puissance ennemie, mais non des individus ou des corps de troupe qui les ont fait prisonniers. Indépendamment des responsabilités individuelles qui peuvent exister, la Puissance détentrice est responsable du traitement qui leur est appliqué.
Les prisonniers de guerre ne peuvent être transférés par la Puissance détentrice qu’à une Puissance partie à la Convention et lorsque la Puissance détentrice s’est assurée que la Puissance en question est désireuse et à même d’appliquer la Convention. Quand des prisonniers sont ainsi transférés, la responsabilité de l’application de la Convention incombera à la Puissance qui a accepté de les accueillir pendant le temps qu’ils lui seront confiés.
Néanmoins, au cas où cette Puissance manquerait à ses obligations d’exécuter les dispositions de la Convention, sur tout point important, la Puissance par laquelle les prisonniers de guerre ont été transférés doit, à la suite d’une notification de la Puissance protectrice, prendre des mesures efficaces pour remédier à la situation, ou demander que lui soient renvoyés les prisonniers de guerre. Il devra être satisfait à cette demande.
Article 21 de la troisième Convention de Genève
La Puissance détentrice pourra soumettre les prisonniers de guerre à l’internement. Elle pourra leur imposer l’obligation de ne pas s’éloigner au-delà d’une certaine limite du camp où ils sont internés ou, si ce camp est clôturé, de ne pas en franchir l’enceinte. Sous réserve des dispositions de la présente Convention relatives aux sanctions pénales et disciplinaires, ces prisonniers ne pourront être enfermés ou consignés que si cette mesure s’avère nécessaire à la protection de leur santé ; cette situation ne pourra en tout cas se prolonger au-delà des circonstances qui l’auront rendue nécessaire (...)
Article 118 de la troisième Convention de Genève
Les prisonniers de guerre seront libérés et rapatriés sans délai après la fin des hostilités actives (...)
Article 42 de la quatrième Convention de Genève
L’internement ou la mise en résidence forcée des personnes protégées ne pourra être ordonné que si la sécurité de la Puissance au pouvoir de laquelle ces personnes se trouvent le rend absolument nécessaire (...)
Article 43 de la quatrième Convention de Genève
Toute personne protégée qui aura été internée ou mise en résidence forcée aura le droit d’obtenir qu’un tribunal ou un collège administratif compétent, créé à cet effet par la Puissance détentrice, reconsidère dans le plus bref délai la décision prise à son égard. Si l’internement ou la mise en résidence forcée est maintenu, le tribunal ou le collège administratif procédera périodiquement, et au moins deux fois l’an, à un examen du cas de cette personne en vue d’amender en sa faveur la décision initiale, si les circonstances le permettent.
Article 78 de la quatrième Convention de Genève
Si la Puissance occupante estime nécessaire, pour d’impérieuses raisons de sécurité, de prendre des mesures de sûreté à l’égard de personnes protégées, elle pourra tout au plus leur imposer une résidence forcée ou procéder à leur internement.
Les décisions relatives à la résidence forcée ou à l’internement seront prises suivant une procédure régulière qui devra être fixée par la Puissance occupante, conformément aux dispositions de la présente Convention. Cette procédure doit prévoir le droit d’appel des intéressés. Il sera statué au sujet de cet appel dans le plus bref délai possible. Si les décisions sont maintenues, elles seront l’objet d’une révision périodique, si possible semestrielle, par les soins d’un organisme compétent constitué par ladite Puissance.
Les personnes protégées assujetties à la résidence forcée et contraintes en conséquence de quitter leur domicile bénéficieront sans aucune restriction des dispositions de l’article 39 de la présente Convention.
Article 132 de la quatrième Convention de Genève
Toute personne internée sera libérée par la Puissance détentrice, dès que les causes qui ont motivé son internement n’existeront plus (...)
Article 133 de la quatrième Convention de Genève
L’internement cessera le plus rapidement possible après la fin des hostilités (...)
B. La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, article 31
L’article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités (« la Convention de Vienne ») dispose :
Article 31 – Règle Générale d’Interprétation
Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.
Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ;
b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;
c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties.
C. La jurisprudence de la Cour internationale de justice sur les liens réciproques entre le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme
Dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (8 juillet 1996), la Cour internationale de justice a dit ceci :
« 25. La Cour observe que la protection offerte par le pacte international relatif aux droits civils et politiques ne cesse pas en temps de guerre, si ce n’est par l’effet de l’article 4 du pacte, qui prévoit qu’il peut être dérogé, en cas de danger public, à certaines des obligations qu’impose cet instrument. Le respect du droit à la vie ne constitue cependant pas une prescription à laquelle il peut être dérogé. En principe, le droit de ne pas être arbitrairement privé de la vie vaut aussi pendant des hostilités. C’est toutefois, en pareil cas, à la lex specialis applicable, à savoir le droit applicable dans les conflits armés, conçu pour régir la conduite des hostilités, qu’il appartient de déterminer ce qui constitue une privation arbitraire de la vie. Ainsi, c’est uniquement au regard du droit applicable dans les conflits armés, et non au regard des dispositions du pacte lui-même, que l’on pourra dire si tel cas de décès provoqué par l’emploi d’un certain type d’armes au cours d’un conflit armé doit être considéré comme une privation arbitraire de la vie contraire à l’article 6 du pacte. »
Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (9 juillet 2004), la Cour internationale de justice, rejetant la thèse israélienne de l’inapplicabilité dans le territoire occupé des instruments de protection des droits de l’homme auxquels Israël est partie, s’est exprimée comme suit :
« 106. (...) la Cour estime que la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé, si ce n’est par l’effet de clauses dérogatoires du type de celle figurant à l’article 4 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans les rapports entre droit international humanitaire et droits de l’homme, trois situations peuvent dès lors se présenter : certains droits peuvent relever exclusivement du droit international humanitaire ; d’autres peuvent relever exclusivement des droits de l’homme ; d’autres enfin peuvent relever à la fois de ces deux branches du droit international. Pour répondre à la question qui lui est posée, la Cour aura en l’espèce à prendre en considération les deux branches du droit international précitées, à savoir les droits de l’homme et, en tant que lex specialis, le droit international humanitaire ».
Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) (19 décembre 2005), la Cour internationale de justice a dit ceci :
« 215. Ayant établi que le comportement des UPDF [Forces de défense du peuple ougandais], de leurs officiers et de leurs soldats était attribuable à l’Ouganda, la Cour doit maintenant examiner la question de savoir si ce comportement constitue, de la part de l’Ouganda, un manquement à ses obligations internationales. La Cour doit pour ce faire déterminer quels sont les règles et principes du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire qui sont pertinents à cet effet.
216. La Cour rappellera tout d’abord qu’elle a déjà été amenée, dans son avis consultatif du 9 juillet 2004 sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, à se prononcer sur la question des rapports entre droit international humanitaire et droit international relatif aux droits de l’homme et sur celle de l’applicabilité des instruments relatifs au droit international des droits de l’homme hors du territoire national. Elle y a estimé que « la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé, si ce n’est par l’effet de clauses dérogatoires du type de celle figurant à l’article 4 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans les rapports entre droit international humanitaire et droits de l’homme, trois situations peuvent dès lors se présenter : certains droits peuvent relever exclusivement du droit international humanitaire ; d’autres peuvent relever exclusivement des droits de l’homme ; d’autres enfin peuvent relever à la fois de ces deux branches du droit international » (C.I.J. Recueil 2004, p. 178, par. 106.)
La Cour a donc conclu que ces deux branches du droit international, à savoir le droit international relatif aux droits de l’homme et le droit international humanitaire, devaient être prises en considération. Elle a en outre déclaré que les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme étaient applicables « aux actes d’un État agissant dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire », particulièrement dans les territoires occupés (ibid., p. 178-181, par. 107-113). »
D. Le Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international sur la fragmentation du droit international
Le rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international intitulé « La fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international » a été adopté par ladite Commission lors de sa 58e session, en 2006. Voici ce qu’indique à ce sujet l’étude analytique du Groupe d’étude, datée du 13 avril 2006 (A/CN.4/L.682), au paragraphe 104 :
« L’exemple tiré des lois de la guerre vise précisément un cas dans lequel la règle ellemême énonce les conditions de son application, notamment l’existence d’un « conflit armé ». Du fait de cette condition, la règle revêt un caractère plus « spécial » que dans l’hypothèse où une telle condition n’aurait pas été précisée. Le fait de considérer qu’on se trouve en présence d’une situation de lex specialis appelle l’attention sur un aspect important du principe. Même lorsque celui-ci est invoqué pour justifier le recours à une exception, ce qui est ainsi écarté ne disparaît pas pour autant. La Cour [internationale de justice] a tenu à préciser que le droit des droits de l’homme continuait de s’appliquer dans les conflits armés, l’exception, à savoir le droit humanitaire, n’ayant d’incidence que sur un aspect (fût-il important), qui est l’appréciation du « caractère arbitraire ». Le droit humanitaire en tant que lex specialis ne donnait pas à penser que les droits de l’homme étaient supprimés en temps de guerre. La lex specialis n’opérait pas d’une manière formelle ou absolue, mais elle illustrait le pragmatisme dont était imprégné le raisonnement de la Cour. On pouvait certes estimer souhaitable de faire disparaître la distinction entre la paix et le conflit armé, mais on ne pouvait ignorer purement et simplement l’exception que la guerre continuait d’être par rapport à la normalité de la paix lorsqu’on se prononçait sur les normes à appliquer pour juger un comportement dans pareille circonstance (exceptionnelle). La Licéité des armes nucléaires était une « affaire difficile » dans la mesure où la Cour [internationale de justice] devait arrêter son choix entre différents corps de règles dont aucun ne pouvait bénéficier d’une priorité absolue ni se substituer entièrement aux autres. La lex specialis se bornait à signaler que, même au cas où il aurait pu être souhaitable de n’appliquer que les droits de l’homme, une telle solution aurait péché par un excès d’idéalisme, compte tenu du caractère spécial du conflit armé et de la persistance de celui-ci. La Cour a de la sorte suscité une conception systémique du droit dans laquelle les deux corps de règles se rejoignent, l’un étant la réalité d’aujourd’hui, l’autre la promesse de demain, vu la nécessité primordiale d’assurer « la survie d’un État ». »
E. L’arrêt rendu par la Chambre des lords dans l’affaire Al-Jedda
Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 12 décembre 2007 en l’affaire AlJedda (R. (on the application of Al-Jedda) (FC) (Appellant) v Secretary of State for Defence (Respondent) [2007] UKHL 58), la majorité de la Chambre des lords a jugé que l’internement de M. Al-Jedda était autorisé par la Résolution 1546 du Conseil de sécurité de l’ONU et que l’article 103 de la Charte des Nations unies avait pour effet de faire primer les obligations du Royaume-Uni découlant de cette résolution sur ses obligations résultant de l’article 5 de la Convention (pour plus de détails, voir Al-Jedda c. Royaume-Uni [GC], no 27021/08, §§ 18-22, CEDH 2011). Lord Bingham a toutefois bien précisé que, malgré cette conclusion, l’article 5 continuait de s’appliquer dans une certaine mesure :
« 39. Il existe donc un conflit entre, d’une part, un pouvoir ou une obligation d’incarcérer, qui peut être mis(e) en œuvre en vertu de l’autorité expresse du Conseil de sécurité et, d’autre part, un droit fondamental que le Royaume-Uni s’est engagé à reconnaître aux personnes qui, à l’instar du demandeur, relèvent de sa juridiction. Comment les concilier ? Il n’existe à mes yeux qu’un seul moyen de le faire : en jugeant que le Royaume-Uni peut à bon droit, dès lors que des raisons impérieuses de sécurité l’imposent, exercer le pouvoir d’incarcérer que lui confèrent la Résolution 1546 et les résolutions postérieures, mais en veillant à ce que l’atteinte aux droits du détenu découlant de l’article 5 ne soit pas plus grave que celle qu’implique pareille détention. »
Dans un sens analogue, la Baronne Hale a observé ceci :
« 125. (...) Je conviens avec Lord Bingham, pour les raisons qu’il expose, que le seul moyen est d’opter pour une telle restriction aux droits de la Convention.
126. Je n’irai toutefois pas plus loin. Le droit voit certes sa portée restreinte, mais il n’est pas écarté. Il s’agit là d’une distinction importante, insuffisamment examinée dans les arguments exposés devant nous, qui préconisent le « tout ou rien ». Il n’est pas question de faire plus que ce que l’ONU nous impose implicitement de faire pour rétablir la paix et la sécurité dans ce pays en proie à des troubles. Le droit voit sa portée restreinte dans la seule mesure où la résolution l’exige ou l’autorise. Pour le reste il doit être respecté, ce qui peut emporter des conséquences tant sur le plan matériel que sur le plan procédural.
127. J’ai du mal à saisir la portée de la Résolution 1546 lorsqu’elle autorise la force multinationale à « prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak conformément aux lettres qui figurent en annexe à [cette] résolution et où on trouve notamment la demande de l’Irak tendant au maintien de la présence de la force multinationale et la définition des tâches de celleci » (par. 10). Le « large ensemble de tâches » évoqué par le secrétaire d’État, M. Powell, comprend « des opérations de combat contre des membres [des] groupes [qui cherchent à infléchir par la violence l’avenir politique de l’Irak], leur internement si nécessaire pour d’impérieuses raisons de sécurité, et la poursuite de la recherche et du contrôle d’armes qui menaceraient la sécurité de l’Irak ». Parallèlement, le secrétaire d’État indique clairement que les éléments de la force multinationale se sont engagés à agir « en toutes circonstances conformément à leurs obligations en vertu du droit des conflits armés, qui inclut les Conventions de Genève ».
128. À quel titre peut-on dire que la détention du demandeur en l’espèce est conforme à nos obligations découlant du droit des conflits armés ? L’intéressé n’est pas une « personne protégée » au sens de la quatrième Convention de Genève car il est l’un de nos concitoyens. En outre, le Royaume-Uni n’est plus l’occupant belligérant d’une quelconque partie du territoire irakien. Il faut donc invoquer une sorte de pouvoir analogue, naissant au lendemain d’un conflit ou d’une occupation et permettant d’interner toute personne si cette mesure est jugée « nécessaire pour d’impérieuses raisons de sécurité ». Or, quand bien même la résolution du Conseil de sécurité pourrait s’interpréter ainsi, la nécessité du maintien en détention du demandeur en Irak ne saute pas aux yeux, dès lors qu’il serait possible de résoudre tout problème qu’il représenterait dans ce pays en le rapatriant au Royaume-Uni et en traitant son cas dans ce pays. Un peu de recul par rapport aux circonstances particulières de la présente affaire permet de voir que c’est la solution qui s’impose très souvent lorsque des Britanniques ont maille à partir avec la justice à l’étranger et, dans le cas d’espèce, il s’agit de mesures que les autorités britanniques ont le pouvoir de prendre.
129. Or ce n’est pas ainsi que les débats se sont articulés devant nous. Comment, sinon, Lord Bingham et Lord Brown pourraient-ils parler d’« écarter ou restreindre » un droit sans distinguer entre les termes alors qu’ils veulent manifestement dire des choses très différentes ? Nous nous sommes attachés, d’un point de vue plus théorique, aux questions de l’attribution des faits à l’ONU ou de l’autorisation donnée par elle. Nous ne nous sommes guère intéressés à la portée précise de cette autorisation. Le champ d’application exact de la résolution et son applicabilité aux faits de l’espèce sont des questions qui méritent assurément plus ample débat. Comment procéder concrètement ? Il faudra le décider dans les autres procédures. Sous cette réserve, donc, mais en accord pour le reste avec Lord Bingham, Lord Carswell et Lord Brown, je rejetterais le pourvoi ».
F. Les dérogations en matière de détention au titre de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Hormis un certain nombre de déclarations formulées par le Royaume-Uni entre 1954 et 1966 concernant des pouvoirs instaurés pour réprimer des soulèvements au sein de certaines de ses colonies, les États contractants qui ont notifié des dérogations au titre de l’article 15 de la Convention ont à chaque fois invoqué des dangers apparus sur leur territoire.
L’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« le Pacte ») renferme une clause de dérogation similaire à l’article 15 de la Convention. Selon les informations dont la Cour dispose, depuis la ratification du Pacte, 18 États ont formulé des déclarations notifiant des dérogations à leurs obligations découlant de l’article 9, qui protège le droit de tout individu « à la liberté et à la sécurité de sa personne ». Seules trois de ces déclarations peuvent éventuellement se comprendre comme comportant l’évocation, par les autorités de l’État auteur de la dérogation, d’une situation de conflit armé international ou d’agression militaire par un autre État. Les États auteurs de ces dérogations sont le Nicaragua, entre 1985 et 1988, dont la déclaration mentionnait l’« agression injuste, illégale et immorale [des États-Unis] contre le peuple nicaraguayen et son gouvernement révolutionnaire », l’Azerbaïdjan, entre avril et septembre 1993, dont la déclaration mentionnait « la recrudescence des attaques menées par les forces armées arméniennes », et Israël, dont la déclaration formulée le 3 octobre 1991 et toujours applicable à l’heure actuelle est ainsi libellée :
« Depuis sa création, l’État d’Israël a été victime de menaces et d’attaques qui n’ont cessé d’être portées contre son existence même ainsi que contre la vie et les biens de ses citoyens.
Ces actes ont pris la forme de menaces de guerre, d’attaques armées réelles et de campagnes de terrorisme à la suite desquelles des êtres humains ont été tués et blessés.
Étant donné ce qui précède, l’état d’urgence qui a été proclamé en mai 1948 est resté en vigueur depuis lors. Cette situation constitue un danger public exceptionnel au sens du paragraphe 1 de l’article 4 du Pacte.
Le Gouvernement israélien a donc jugé nécessaire, conformément à ce même article 4, de prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures visant à assurer la défense de l’État et la protection de la vie et des biens de ses citoyens, y compris l’exercice de pouvoirs d’arrestation et de détention.
Pour autant que l’une quelconque de ces mesures soit incompatible avec l’article 9 du Pacte, Israël déroge ainsi à ses obligations au titre de cette disposition. »
Aucun de ces États n’a expressément déclaré que la dérogation était nécessaire pour incarcérer des personnes sur le fondement de la troisième ou de la quatrième des Conventions de Genève.
Pour ce qui est de la pratique des États, dans son ouvrage intitulé « Captured in War: Lawful Internment in Armed Conflict » (Hart Publishing, Oxford, et Editions A. Pedone, Paris, 2013), Mme Els Debuf se fonde sur une étude conduite par elle sur les dérogations notifiées aux autorités compétentes s’agissant de la Convention et du Pacte et enregistrées dans les bases de données de l’ONU et du Conseil de l’Europe accessibles en ligne (consultées pour la dernière fois le 1er octobre 2010). L’ouvrage comporte le passage suivant :
« Nos recherches dans ces bases de données – axées sur les conflits armés internationaux et sur les occupations auxquelles ont participé des États parties au Pacte et à la Convention depuis la date de ratification de ces instruments – nous ont fourni les informations suivantes (...) Ni l’Afghanistan ni l’Union soviétique n’ont dérogé au Pacte au cours du conflit qui les opposa de 1979 à 1989. De la même manière, ni l’Afghanistan, ni l’Allemagne, ni l’Australie, ni le Canada, ni le Danemark, ni les États-Unis, ni la France, ni l’Italie, ni les Pays-Bas, ni la Nouvelle-Zélande, ni le Royaume-Uni n’ont dérogé au droit à la liberté, que ce soit sur le terrain du Pacte ou sur celui de la Convention, lors de la phase internationale du conflit récent en Afghanistan (2001-2002). Il en va de même du conflit qui opposa l’Irak aux ÉtatsUnis, au Royaume-Uni et à d’autres États de 2003 à 2004. Les États suivants ont également interné des personnes sur la base des troisième et quatrième Conventions de Genève sans déroger au droit à la liberté, que ce soit sur le terrain du Pacte ou sur celui de la Convention : le Royaume-Uni et l’Argentine au cours du conflit concernant les îles Falkland/Malouines en 1982 ; les États-Unis au cours de leurs opérations militaires à la Grenade en 1983 ; l’Inde et le Bangladesh dans les conflits qui les opposèrent au Pakistan dans les années 1970 (le Pakistan n’est pas partie au Pacte) ; l’Iran et l’Irak au cours de la guerre qui les opposa de 1980 à 1988 ; Israël et les États arabes dans l’ensemble des conflits armés internationaux au Moyen-Orient (de 1948 à aujourd’hui) [noter cependant la dérogation, reproduite au paragraphe 40 ci-dessus, notifiée par Israël] ; les États parties à la Convention qui participèrent, sous l’égide des Nations unies, à la guerre de Corée de 1950 à 1953 ; l’Irak, le Koweït, les ÉtatsUnis et le Royaume-Uni au cours de la guerre du Golfe de 1991 (l’Arabie Saoudite, qui interna de nombreux prisonniers de guerre au cours de ce conflit, n’est pas partie au Pacte) ; l’Angola, le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC), la Namibie, le Rwanda, l’Ouganda et le Zimbabwe sur le territoire de la RDC de 1998 à 2003 ; l’Éthiopie dans le conflit qui l’opposa à l’Érythrée de 1998 à 2000 (l’Érythrée n’avait pas encore ratifié le Pacte à l’époque) ; l’Érythrée et Djibouti au cours de leur bref conflit frontalier en 2008 ; la Géorgie et la Russie au cours de la guerre-éclair d’août 2008 ; la Russie n’a pas dérogé au Pacte à l’occasion du conflit qui l’opposa à la Moldova concernant la Transnistrie en 1992 (la Russie n’était pas encore partie à la Convention et la Moldova n’était à l’époque encore partie ni au Pacte ni à la Convention). Ni Chypre ni la Turquie n’ont dérogé au Pacte ou à la Convention pour détenir des personnes sur le fondement des troisième et quatrième Conventions de Genève à ChypreNord (signalons que, selon la Turquie, le Pacte et la Convention ne sont pas d’application extraterritoriale) ; la Turquie a bien dérogé à la Convention à l’égard des personnes se trouvant en Turquie continentale, mais comme elle n’a pas précisé les articles auxquels elle entendait déroger, on ne sait pas vraiment si elle a estimé nécessaire de notifier une dérogation de manière à pouvoir interner des personnes sur la base des troisième et quatrième Conventions de Genève. De la même manière, l’Azerbaïdjan a dérogé au Pacte (il n’était pas encore partie à la Convention à l’époque) afin de prendre toute mesure rendue nécessaire par son conflit avec l’Arménie (1988-1994) mais on ne sait pas vraiment s’il a agi ainsi pour pouvoir interner des personnes sur la base des Conventions de Genève ; l’Arménie n’a pas dérogé au Pacte (elle n’était pas encore partie à la Convention à l’époque). De même, le Nicaragua a dérogé à l’article 9 du Pacte dans le cadre du conflit qui l’opposa aux Contras dans les années 1980, expliquant qu’il s’estimait tenu de le faire à la suite de l’implication des États-Unis dans le conflit. On ne sait pas vraiment si le Nicaragua avait jugé nécessaire de déroger au Pacte de manière à pouvoir procéder à des internements sur la base des Conventions de Genève (dans ses notifications de dérogation, il soulignait qu’il n’était dérogé à l’article 9 § 1 qu’à l’égard des délits touchant la sécurité de l’État et l’ordre public). » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né le 30 décembre 1947 et est actuellement détenu au centre pénitentiaire de Moulins. Il est inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés.
A. Situation pénale du requérant
Le requérant purge une peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée par la cour d’assises du Haut-Rhin le 2 octobre 2008 (voir paragraphe 16 ci-dessous). En plus de cette peine, le casier judiciaire du requérant porte mention de neuf condamnations prononcées entre 1969 et 2008, dont quatre sont de nature criminelle. En particulier, le 9 février 1996, la cour d’assises du Bas-Rhin le condamna à vingt ans de réclusion criminelle pour tentative de meurtre, vol avec port d’arme, viol commis sous la menace d’une arme, viol, évasion d’un détenu hospitalisé, vol et violences volontaires. Les trois peines criminelles auxquelles le requérant a été condamné entre 1994 et 1996 représentaient un total de cinquantequatre ans de réclusion criminelle. Conformément aux dispositions légales, elles furent exécutées dans la limite du maximum légal le plus élevé, soit vingt ans de réclusion criminelle.
Le 25 février 2004, le requérant fut admis au bénéfice de la libération conditionnelle et remis en liberté le 15 mars 2004.
B. La condamnation à perpétuité du requérant
Entre le 18 juin et le 25 juin 2004, trois meurtres furent perpétrés selon un mode opératoire similaire dans un rayon de vingt kilomètres autour des localités de Barr et Obernai (Bas-Rhin). Le premier meurtre concernait une fillette de dix ans (ci-après J.-M.K.), le deuxième une femme de trentehuit ans (E.V.) et le troisième une jeune fille de quatorze ans (J.S.). Les trois victimes furent noyées et présentaient un très grand nombre de blessures, en particulier au niveau de l’abdomen et des organes génitaux, occasionnées avec une grande violence à l’aide d’une ou plusieurs armes blanches. Les investigations menées par les enquêteurs et les juges d’instruction saisis des trois affaires finirent par être jointes en raison de leur lien de connexité et révélèrent que leur principal auteur était le requérant. Elles mirent également en évidence qu’il n’avait pas agi seul pour commettre les faits sur la première victime mais avec la coaction ou grâce à la complicité d’un certain nombre de membres des familles F. et R. Le requérant fit l’objet d’un mandat de dépôt le 1er juillet 2004.
Au terme de l’information, dans le cadre de la première affaire relative au meurtre de J.-M.K., vingt-et-une personnes furent mises en examen, dont deux mineurs âgés respectivement de 15 et 16 ans au moment des faits. Cette information fut complexe et donna lieu à de nombreuses mises en examen ainsi qu’à de multiple interrogatoires et vérifications. Les informations concernant les meurtres de E.V. et J.S. aboutirent à la seule mise en examen du requérant. Celui-ci fut en outre mis en examen pour deux tentatives d’enlèvement également commises au mois de juin 2004.
Par une ordonnance du 20 octobre 2006, comportant quatre cents pages, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Strasbourg renvoya le requérant devant la cour d’assises sous l’accusation de viols aggravés, de meurtres aggravés, d’enlèvement, de tentative d’enlèvement et de séquestrations en récidive. Il ressort de l’ordonnance que les trois meurtres mentionnés ci-dessus - dont deux sur mineurs de quinze ans précédés ou accompagnés d’un viol - furent établis, ainsi que les lieux et le moment de ces crimes.
Dans le cadre de la première affaire (meurtre de J.-M.K.), quatre des co-accusés furent renvoyés pour enlèvement et séquestration, viols en réunion et meurtre sur mineure de quinze ans. Les autres co-accusés furent renvoyés sous l’accusation de non-assistance à personne en danger et de non-dénonciation de crime. S’agissant de la détermination des rôles de chacune des personnes mises en examen, le juge d’instruction indiqua que, malgré son refus absolu de reconnaître son implication dans les faits, les investigations avaient rapidement permis d’établir que le requérant était l’auteur principal de l’enlèvement et du meurtre de J.-M.K. grâce à de multiples éléments matériels et notamment génétiques. Il ajouta que les déclarations du requérant avaient été démenties par toutes les vérifications effectuées : aucune des personnes qu’il disait avoir rencontrées le 18 juin 2004 ne confirmait ses allégations et il était présenté de manière quasiunanime par la plupart des autres mis en examen, au moins jusqu’en janvier 2005, comme étant l’instigateur et l’auteur principal des faits commis sur J.M.K. Concernant les autres personnes mises en examen, le juge d’instruction fit part des difficultés à obtenir des preuves formelles de leur implication dans les faits, en raison en particulier des versions des faits sans cesse contradictoires qu’ils donnèrent :
« (...) la plupart d’entre eux n’hésitaient pas, régulièrement, à construire des récits invraisemblables, ou à fournir des détails qui, après vérifications, s’avéraient inexacts. Leur déclarations ne cessaient de varier dans le temps, et étaient, d’une manière générale, empreintes d’une importante confusion ainsi que d’une évidente mauvaise foi, de sorte qu’il apparaissait extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de les synthétiser de manière claire et cohérente (...) ».
Concernant les autres affaires (meurtres de E.V. et J.S.), le juge d’instruction souligna que si le requérant s’obstinait, jusqu’à la fin de l’information, à soutenir qu’il n’était pas l’auteur des faits, tous les éléments recueillis dans le cadre de la procédure démontraient le contraire, en particulier les expertises génétiques qui constituaient des preuves accablantes.
Il conclut que « l’ensemble des éléments recueillis dans le cadre de l’information démontraient qu’indiscutablement, [le requérant] avait commis tous les faits qui lui étaient reprochés ».
Le requérant et les co-accusés interjetèrent appel de l’ordonnance de mise en accusation.
Par un arrêt de trois cent douze pages du 14 décembre 2006, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Colmar, après avoir rappelé les faits et les déclarations recueillies au cours de l’enquête et de l’instruction, infirma l’ordonnance attaquée du seul chef de ses dispositions afférentes au renvoi des quatre co-accusés pour meurtre et viol sur J.-M.K., prononça un non-lieu à cet égard, et requalifia le crime de séquestration pour lequel l’un d’entre eux avait été mis en examen en complicité de séquestration. Elle confirma pour le reste l’ordonnance en toutes ses dispositions. Le dispositif de l’arrêt se lit notamment comme suit :
« Et attendu qu’il résulte de l’information des charges suffisantes contre :
Pierre Bodein, né le 30.12.1947 à Obernai
1o) D’avoir, à Rhinau, le 18 juin 2004 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, enlevé J.-M.K. , ladite personne n’ayant pas été libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis son appréhension, avec cette circonstance que la victime était âgée de moins de 15 ans comme étant née le 28.07.1993.
Crime prévu et réprimé par les articles 224-1, 224-5 et 224-9 du code pénal.
2o) D’avoir, entre Rhinau, Artolsheim et Valff, en tout cas dans le département du Bas-Rhin et sur le territoire national, le 18 juin 2004 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, séquestré J.-M.K., ladite personne n’ayant pas été libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis son appréhension, avec cette circonstance que la victime était âgée de moins de 15 ans comme étant née le 28.07.1993.
Crime prévu et réprimé par les articles 224-1, 224-5 et 224-9 du code pénal.
3o) D’avoir, à Artolsheim, en tout cas dans le département du Bas-Rhin et sur le territoire national, le 18 juin 2004 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par violence, contrainte, menace ou surprise, imposé à J.-M.K., mineure de 15 ans comme étant née le 28.07.1993, un ou des acte(s) de pénétration sexuelle, avec cette circonstance que les faits ont été commis par plusieurs auteurs agissant en réunion.
Crime prévu et réprimé par les articles 222-23, 222-24, 222-44, 222-45, 222-47, 222-48 et 222-48-1 du code pénal.
4o) D’avoir, à Valff, en tout cas dans le département du Bas-Rhin et sur le territoire national, le 18 juin 2004 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, volontairement donné la mort à J.-M.K., mineure de 15 ans comme étant née le 28.07.1993, ce meurtre ayant été précédé, accompagné ou suivi d’un autre crime, en l’espèce un ou des viol(s).
Crime prévu et réprimé par les articles 221-1, 221-4, 221-8, 221-9, 221-9-1 et 22111 du code pénal.
5o) D’avoir, à Hindisheim, en tout cas dans le département du Bas-Rhin et sur le territoire national, le 22 juin 2004 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, volontairement donné la mort à E.V.
Crime prévu et réprimé par les articles 221-1, 221-8, 221-9 et 221-11 du code pénal.
6o) D’avoir, entre Russ et Schirmeck, en tout cas dans le département du Bas-Rhin et sur le territoire national, le 25 juin 2004, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, enlevé J.S., ladite personne n’ayant pas été libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis son appréhension, avec cette circonstance que la victime était âgée de moins de 15 ans comme étant née le 08.08.1989.
Crime prévu et réprimé par les articles 224-1, 224-5 et 224-9 du code pénal.
7o) D’avoir, entre Russ, Schirmeck et Nothalten, en tout cas dans le département du Bas-Rhin et sur le territoire national, le 25 juin 2004 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, séquestré J.S., ladite personne n’ayant pas été libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis son appréhension, avec cette circonstance que la victime était âgée de moins de 15 ans comme étant née le 08.08.1989.
Crime prévu et réprimé par les articles 224-1, 224-5 et 224-9 du code pénal.
8o) D’avoir, entre Russ, Schirmeck et Nothalten, en tout cas dans le département du Bas-Rhin et sur le territoire national, le 25 juin 2004 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par violence, contrainte menace ou surprise, imposé à J.S, mineure de 15 ans comme étant née le 08.08.1989, un ou des acte(s) de pénétration sexuelle.
Crime prévu et réprimé par les articles 222-23, 222-24, 222-44, 222-45, 222-47, 222-48 et 222-48-1 du code pénal.
9o) D’avoir, à Nothalten, en tout cas dans le département du Bas-Rhin et sur le territoire national, le 25 juin 2004 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, volontairement donné la mort à J.S., mineure de 15 ans comme étant née le 08.08.1989, ce meurtre ayant été précédé, accompagné ou suivi de viol(s).
Crime prévu et réprimé par les articles 221-1, 221-4, 221-8, 221-9, 221-9-1 et 22111 du code pénal.
10o) D’avoir, à Zellwiller, le 16 juin 2004, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, tenté d’enlever A.S., ladite tentative manifestée par un commencement d’exécution, en l’espèce le fait de bloquer la victime et de l’agripper par le bras, n’ayant manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur, en l’espèce la résistance et les cris de la victime.
Crime prévu et réprimé par les articles 121-4, 121-5, 224-1 alinéa 1, 224-9 du code pénal.
11o) D’avoir, à Molsheim, le 24 juin 2004, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, tenté d’enlever A.F., mineur de 15 ans comme étant né le 23.08.1989, ladite tentative manifestée par un commencement d’exécution, en l’espèce le fait de poursuivre sa route après avoir dépassé le domicile de la victime qu’il avait prise en auto-stop souhaitait être déposée, n’ayant manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur, en l’espèce la fuite de la victime ayant sauté du véhicule en marche.
Crime prévu et réprimé par les articles 121-4, 121-5, 224-1 alinéa 1, 224-5, 224-9 du code pénal.
L’ensemble de ces faits ayant été commis par Pierre Bodein en état de récidive légale au regard d’une condamnation définitive prononcée par la cour d’assises du Bas-Rhin le 9 février 1996. »
Par un arrêt du 11 juillet 2007, la cour d’assises du Bas-Rhin condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité et dit qu’aucune des mesures d’aménagement de peine énumérées à l’article 132-23 du code pénal (paragraphe 21 cidessous) ne pourrait être accordée. Elle prononça l’acquittement des autres co-accusés.
Le requérant fit appel. Le procès se déroula devant la cour d’assises du Haut-Rhin du 9 septembre au 2 octobre 2008. Les questions suivantes furent posées à la cour et au jury :
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir à Rhinau, le 18 juin 2004, enlevé J.-M.K. sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi ?
J.-M.K. a-t-elle été libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension ?
J.-M. K. était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés, âgée de moins de quinze ans ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir, entre Rhinau et Artolsheim et Valff, en tout cas sur le territoire national, le 18 juin 2004, séquestré J.-M.K. sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi ?
J.-M.K. a-t-elle été libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension ?
J.-M.K. était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés, âgée de moins de quinze ans ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir, sur le territoire national, le 18 juin 2004, commis sur la personne de J.-M.K., par violence, contrainte, menace ou surprise un acte de pénétration sexuelle ?
J.-M.K. était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés, âgée de moins de quinze ans ?
Le viol ci-dessus spécifié a-t-il été commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir à Valff, en tout cas sur le territoire national, le 18 juin 2004, volontairement donné la mort à J.-M.K. ?
J.-M.K. était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés, âgée de moins de quinze ans ?
Le meurtre spécifié à la question no 10 et qualifié à la question no 11, a-t-il précédé, accompagné ou suivi le crime de viol spécifié à la question no 7 et qualifié aux questions no 8 et no 9 ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir à Hindisheim, en tout cas sur le territoire national, le 22 juin 2004, volontairement donné la mort à E.V. ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir, entre Russ et Schirmeck, en tout cas sur le territoire national, le 25 juin 2004, enlevé J.S. sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi ?
J.S. a-t-elle été libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension ?
J.S. était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés, âgée de moins de quinze ans ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir, entre Russ, Schirmeck et Nothalten, en tout cas sur le territoire national, le 25 juin 2004, séquestré J. S. sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi ?
J.S. a-t-elle été libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension ?
J.S. était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés, âgée de moins de quinze ans ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir entre Russ, Schirmeck et Nothalten, en tout cas sur le territoire national, le 25 juin 2004, commis sur la personne de J.S. par violence, contrainte, menace ou surprise, un acte de pénétration sexuelle ?
J.S était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés, âgée de moins de quinze ans ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir à Nothalten, en tout cas sur le territoire national, le 25 juin 2004, volontairement donné la mort à J.S. ?
J.S. était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés, âgée de moins de quinze ans ?
Le meurtre spécifié à la question no 22 et qualifié à la question no 23, a-t-il précédé, accompagné ou suivi le crime de viol spécifié à la question no 20 et qualifié à la question no 21 ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir à Zellwiller, le 16 juin 2004, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, tenté d’enlever A.S. ladite tentative, manifestée par un commencement d’exécution, n’ayant été suspendue ou n’ayant manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de sa volonté ?
L’accusé Pierre Bodein est-il coupable d’avoir à Molsheim, le 24 juin 2004, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, tenté d’enlever A.F., ladite tentative, manifestée par un commencement d’exécution, n’ayant été suspendue ou n’ayant manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de sa volonté ?
A.F. était-il, à la date des faits ci-dessus spécifiés, âgé de moins de quinze ans ?
Il fut répondu « oui à la majorité de dix voix au moins » aux questions nos 1, 3, 4, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26 et 27. Il fut répondu « non à la majorité de dix voix au moins » aux questions nos 2, 5, 15 et 18, et « non » à la question no 9.
Par un arrêt du 2 octobre 2008, la cour d’assises du département du HautRhin, statuant en appel, confirma la condamnation à perpétuité à la majorité de dix voix au moins, vu l’état de récidive résultant de la condamnation définitive prononcée contre le requérant le 9 février 1996 par la cour d’assises du Bas-Rhin à la peine de vingt ans de réclusion criminelle. Par décision spéciale, à la majorité absolue, la cour d’assises confirma également qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132-23 du code pénal ne pouvait être accordée au requérant.
Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Il fit valoir dans ses moyens en cassation que l’absence de motivation de l’arrêt d’assises était contraire à l’article 6 § 1 de la Convention. Il dénonça l’absence d’explication des raisons de la décision sans motivation « autrement que par des réponses affirmatives à des questions posées de façon abstraite, ne faisant aucune référence à un quelconque comportement précis de l’accusé, et se bornant à rappeler chacune des infractions, objet de l’accusation et ses éléments constitutifs légaux ; que ce procédé ne garantit pas à l’accusé, à l’encontre de qui a été prononcée la peine la plus lourde en droit pénal français, un procès équitable ». Le requérant invoqua également la violation du principe non bis in idem et des droits de la défense en ce que la cour d’assises et le jury avait été interrogés deux fois sur le même fait, à savoir l’absence de libération volontaire de J.-M.K. et de J.S. Il fit valoir qu’ils avaient été interrogés d’abord par les questions nos 2 et 15 sur le point de savoir si les deux victimes avaient été libérées volontairement avant le 7e jour, à la suite des questions nos 1 et 14 sur l’enlèvement des deux mêmes personnes, puis par les questions nos 5 et 18 sur leur libération avant séquestration. Le requérant souleva enfin un moyen relatif au caractère inhumain et dégradant de sa peine, l’infliction d’une peine de réclusion à perpétuité « sans aucune possibilité offerte au condamné de bénéficier du moindre aménagement de peine, ni de possibilité éventuelle de sortir, à titre temporaire ou définitif, en dehors d’un décret de grâce » étant contraire à l’article 3 de la Convention.
Par un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant. Elle se prononça comme suit sur les trois moyens soulevés :
« Attendu que les crimes d’enlèvement, d’une part et séquestration illégale, d’autre part, qui constituent, bien que prévus et réprimés par le même texte des crimes distincts, et doivent faire l’objet de questions séparées ; qu’il en est de même pour les questions de libération volontaire avant le septième jour qui constituent pour chacun de ces crimes, une cause de diminution des peines prévues par l’article 221-4, dernier alinéa du code pénal ; (...)
Attendu que sont reprises dans l’arrêt de condamnation les réponses qu’en leur intime conviction, magistrats et jurés composant la cour d’assises d’appel, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité qualifiée des deux tiers, ont donné aux questions sur la culpabilité, posées conformément au dispositif de la décision de renvoi et soumises à la discussion des parties ;
Attendu qu’en cet état, et dès lors qu’ont été assurés l’information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l’arrêt satisfait aux exigences légales conventionnelles invoquées ; (...)
Attendu qu’en condamnant [le requérant] à la réclusion criminelle à perpétuité en disant qu’aucune des mesures énumérées à l’article 123-32 du code pénal ne pourra lui être accordée, la cour d’assises n’a pas prononcé une peine inhumaine et dégradante au sens de l’article 3 dès lors qu’il résulte de l’article 720-4 du code de procédure pénale qu’à l’issue d’une période de trente ans, le tribunal de l’application des peines peut, au vu de gages sérieux de réadaptation sociale, mettre fin à l’application de cette mesure ; »
C. Expertises psychiatriques
Au cours de son parcours, le requérant fit l’objet de plusieurs placements d’office dans des établissements psychiatriques et parvint à s’évader de l’un d’eux pendant une période de quatre jours en 1992. Au cours de la procédure soumise à l’examen de la Cour, le requérant fit l’objet de nombreuses expertises psychologiques et psychiatriques, en milieu pénitentiaire comme en milieu hospitalier psychiatrique. Ces expertises relevèrent notamment que le requérant présentait une personnalité de type psychopathique aggravé par un caractère particulier de perversité et qu’il fonctionnait sur le mode de l’emprise, signe de la « dimension perverse d’une personnalité complexe qui comporte dans la part de théâtralisation et de la mise en scène de son personnage des traits de caractère hystérique ». Les experts furent unanimes pour souligner la dangerosité du requérant en raison, selon l’un deux, dans un rapport de 2006, « de son impulsivité et de sa tendance au récidivisme »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
La loi du 1er février 1994 « instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale » a instauré, comme son intitulé l’indique, une peine incompressible. Celle-ci est prévue par les articles 221-3 et 221-4 du code pénal (paragraphe 21 ci-dessous) en répression des infractions criminelles d’assassinat ou de meurtre d’un mineur de moins de quinze ans précédé ou accompagné de viol, tortures, ou d’actes de barbarie. La loi de 1994 a modifié les règles d’exécution des peines de réclusion concernant les auteurs des infractions précitées. Elle permet à une cour d’assises qui prononce une peine de réclusion criminelle à perpétuité à l’encontre de ces auteurs de décider qu’aucune mesure d’aménagement de peine prévue par l’article 132-23 du code pénal (voir paragraphe 21 ci-dessous) ne pourra être prise. Le relèvement de cette sûreté perpétuelle peut être mis en œuvre lorsque le condamné a subi trente années d’incarcération (article 720-4 du code de procédure pénale, ci-après « CPP », paragraphe 21 ci-dessous). Dans ce cas, le juge de l’application des peines saisit un collège de trois experts médicaux qui se prononce sur la dangerosité du condamné. Selon la circulaire du 14 février 1994 relative à la présentation générale de la loi no 94-89 du 1er février 1994 (Bulletin officiel du ministère de la Justice no 94/53 p. 171-190), l’avis des experts est soumis à l’examen d’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation, qui peut mettre fin à l’interdiction imposée par la cour d’assises. Si tel est le cas, le condamné retrouve le droit commun de l’exécution des peines et peut, le cas échéant, bénéficier d’une libération conditionnelle.
La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011 a ajouté aux articles 221-3 et 221-4 du code pénal le cas de l’assassinat commis à l’encontre d’un magistrat, d’un fonctionnaire de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie, d’un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique. S’agissant des crimes réprimés par l’article 221-4, le législateur a ajouté que les infractions citées devaient être commises en bande organisée.
Les articles 132-23 du code pénal, 221-4 et 720-4 du code de procédure pénale se lisent ainsi :
Article 132-23
« En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, le condamné ne peut bénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l’extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle.
La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. La cour d’assises ou le tribunal peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu’aux deux tiers de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu’à vingt-deux ans, soit décider de réduire ces durées.
Dans les autres cas, lorsqu’elle prononce une peine privative de liberté d’une durée supérieure à cinq ans, non assortie du sursis, la juridiction peut fixer une période de sûreté pendant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucune des modalités d’exécution de la peine mentionnée au premier alinéa. La durée de cette période de sûreté ne peut excéder les deux tiers de la peine prononcée ou vingt-deux ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.
Les réductions de peines accordées pendant la période de sûreté ne seront imputées que sur la partie de la peine excédant cette durée. »
Article 221-4
« Le meurtre est puni de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il est commis :
1o Sur un mineur de quinze ans ;
(...)
Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues par le présent article. Toutefois, lorsque la victime est un mineur de quinze ans et que le meurtre est précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou lorsque le meurtre a été commis en bande organisée sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions, la cour d’assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu’à trente ans, soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132-23 ne pourra être accordée au condamné ; en cas de commutation de la peine, et sauf si le décret de grâce en dispose autrement, la période de sûreté est alors égale à la durée de la peine résultant de la mesure de grâce. »
Article 720-4
« Lorsque le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale, le tribunal de l’application des peines peut, à titre exceptionnel et dans les conditions prévues par l’article 712-7, décider qu’il soit mis fin à la période de sûreté prévue par l’article 132-23 du code pénal ou que sa durée soit réduite.
Toutefois, lorsque la cour d’assises a décidé de porter la période de sûreté à trente ans en application des dispositions du dernier alinéa des articles 221-3 et 221-4 du code pénal, le tribunal de l’application des peines ne peut réduire la durée de la période de sûreté ou y mettre fin qu’après que le condamné a subi une incarcération d’une durée au moins égale à vingt ans.
Dans le cas où la cour d’assises a décidé qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132-23 du code pénal ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le tribunal de l’application des peines ne peut accorder l’une de ces mesures que si le condamné a subi une incarcération d’une durée au moins égale à trente ans.
Les décisions prévues par l’alinéa précédent ne peuvent être rendues qu’après une expertise réalisée par un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation qui se prononcent sur l’état de dangerosité du condamné.
Par dérogation aux dispositions du troisième alinéa de , le tribunal de l’application des peines peut prononcer des mesures d’assistance et de contrôle sans limitation dans le temps ».
Dans une décision no 93-334 DC du 20 janvier 1994, le Conseil constitutionnel a validé les dispositions de la loi du 1er février 1994 instituant une peine incompressible :
« (...) 9. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée" ;
Considérant que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s’étendent au régime des mesures de sûreté qui les assortissent ; qu’en l’absence de disproportion manifeste avec l’infraction commise, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre appréciation à celle du législateur ;
Considérant qu’il est loisible au législateur de fixer les modalités d’exécution de la peine et notamment de prévoir les mesures énumérées à l’article 132-23 du code pénal ainsi que de déterminer des périodes de sûreté interdisant au condamné de bénéficier de ces mesures ;
Considérant que l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ;
Considérant que la disposition mise en cause prévoit que dans l’hypothèse où la Cour d’assises décide que les mesures énumérées à l’article 132-23 du code pénal ne seront pas accordées au condamné, le juge de l’application des peines, après la période de sûreté de trente ans, peut déclencher la procédure pouvant conduire à mettre fin à ce régime particulier, au regard du comportement du condamné et de l’évolution de sa personnalité ; que cette disposition doit être entendue comme ouvrant au ministère public et au condamné le droit de saisir le juge de l’application des peines ; qu’une telle procédure peut être renouvelée le cas échéant ; qu’au regard de ces prescriptions, les dispositions susmentionnées ne sont pas manifestement contraires au principe de nécessité des peines, énoncé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme ».
Dans une décision no 2011-625 du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel a validé la disposition de la loi du 14 mars 2011 (paragraphe 20 ci-dessus) qui étend aux auteurs de meurtres ou d’assassinat commis sur les dépositaires de l’autorité publique les dispositions selon lesquelles la cour d’assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté à trente ans soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu’aucune des mesures d’aménagement de peine ne pourra être accordée au condamné :
« (...) le tribunal de l’application des peines peut accorder l’une de ces mesures [énumérées à l’article 132-23 du code pénal] si le condamné a subi une incarcération d’une durée au moins égale à trente ans ; (...) les dispositions contestées (...) ne sont pas manifestement contraires au principe de nécessité des peines (...) ».
L’article 716-4 de la section I (Dispositions générales) du chapitre II (De l’exécution des peines privatives de liberté) du livre V (Des procédures d’exécution) du CPP est ainsi libellé :
« Quand il y a eu détention provisoire à quelque stade que ce soit de la procédure, cette détention est intégralement déduite de la durée de la peine prononcée ou, s’il y a lieu, de la durée totale de la peine à subir après confusion. (...) ».
Le condamné peut effectuer un recours en grâce auprès du président de la République. Le droit de grâce relève de la compétence personnelle du chef de l’État et consiste soit en une dispense d’exécution totale ou partielle de la peine, soit en une atténuation de celle-ci par voie de commutation. L’exercice du droit de grâce individuelle n’est entouré d’aucune condition de fond et il appartient au seul président de la République d’en apprécier souverainement l’opportunité, notamment lorsqu’une situation d’une particulière gravité appelle des mesures humanitaires.
L’article 720-1-1 du code de procédure pénale prévoit la possibilité de demander une suspension de peine pour des raisons médicales dans les conditions suivantes :
« Sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux.
La suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné se trouve dans l’une des situations énoncées à l’alinéa précédent. Toutefois, en cas d’urgence, lorsque le pronostic vital est engagé, la suspension peut être ordonnée au vu d’un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu ou son remplaçant. (...) »
Selon le Gouvernement, en 2010, seize condamnations à la réclusion criminelle à perpétuité ont été prononcées par les cours d’assises. Ce chiffre était de 58 en 1994. Actuellement, un peu plus de 520 personnes exécutent une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Parmi ces détenus, seule une personne, outre le requérant, a fait l’objet d’une condamnation assortie d’une exclusion des mesures prévues à l’article 123-32 du code pénal. Entre 2006 et 2012, cinquante-six condamnés à perpétuité ont bénéficié d’une mesure de libération conditionnelle après avoir effectué des durées de détention allant de huit à trente-trois ans.
III. SOURCES INTERNATIONALES
Il est renvoyé aux parties III (Éléments pertinents de droit européen, international et comparé concernant les peines perpétuelles et les peines « nettement disproportionnées ») et IV (Instruments internationaux pertinents concernant la réinsertion des détenus) de l’arrêt de Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, §§ 59 à 75 et §§ 76 à 81, CEDH 2013 (extraits)). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1971 et réside à Lipová - lázně.
A. Etat de santé du requérant et son internement à l’hôpital psychiatrique de Šternberk
En 1999, le requérant se vit diagnostiquer la maladie de Wilson, maladie génétique liée à une accumulation de cuivre dans l’organisme et se manifestant entre autres par des atteintes du foie et du système nerveux et par des modifications du caractère ; sans traitement permanent, elle mène progressivement à la dégradation de l’état de santé des personnes atteintes, voire à la mort. Au moment du diagnostic, la maladie avait déjà atteint un stade avancé chez le requérant qui commença à avoir des problèmes d’élocution et de motricité et à souffrir d’un trouble hébéphile (préférence sexuelle pour les adolescents), considéré comme étant une forme de pédophilie ; selon les experts, ce trouble résulte chez le requérant d’une modification de sa personnalité due à la maladie et de son incapacité d’avoir des relations sexuelles normales, et non d’une déviance sexuelle primaire.
En raison de son comportement hébéphile, le requérant fit à plusieurs reprises l’objet de poursuites pénales pour des infractions sur mineurs incluant atteinte aux mœurs, séduction en vue d’un rapport sexuel et abus sexuels. En 2002, il se vit infliger une peine de prison avec sursis ainsi qu’un traitement protectif. Par la suite, il subit des internements à l’hôpital psychiatrique de Šternberk et de Prague-Bohnice, entre lesquels il fut soumis à des traitements ambulatoires. En mars 2007, le tribunal de district d’Olomouc décida de limiter la capacité juridique du requérant afin qu’il ne puisse pas disposer à lui seul des sommes supérieures à 8 000 couronnes tchèques ; par la suite, sa mère lui fut désignée comme tutrice.
D’autres poursuites pénales se terminèrent, le 3 janvier 2007, par un non-lieu motivé par le manque de responsabilité pénale du requérant. Par la décision du 30 août 2007, le tribunal de district d’Olomouc accéda à la demande du procureur et en vertu de l’article 72 § 4 du code pénal ordonna au requérant de suivre un traitement sexologique protectif en institution, à la place du traitement ambulatoire imposé le 16 août 2006 par le tribunal d’arrondissement de Prague 8. Le tribunal entendit comme témoin le psychiatre référent du requérant qui déclara que ce dernier refusait de suivre un traitement par anti-androgènes (visant à faire baisser le taux de testostérone) au motif qu’il entraînait une détérioration de son état de santé ; à cet égard, le psychiatre considéra que ce traitement pouvait avoir des effets secondaires mais que sans traitement et en liberté le requérant pouvait être dangereux. En qualité d’expert en sexologie, le tribunal entendit le médecin-chef psychiatrique de Šternberk, où le requérant avait déjà été interné auparavant, qui déclara que l’administration des anti-androgènes ne dégradait pas l’état d’un patient atteint de la maladie de Wilson et que ce traitement était nécessaire pour atténuer les manifestations du trouble sexuel du requérant. Selon le tribunal, il était probable que le requérant eût commis de nouveaux faits criminels parce qu’il n’avait pas suivi le traitement médicamenteux, et il y avait donc lieu de changer son traitement ambulatoire en traitement avec internement. Le tribunal observa que cette mesure était également dans l’intérêt du requérant et que c’était de lui que dépendait la durée de l’internement.
Le 19 septembre 2007, cette décision fut confirmée par le tribunal régional d’Ostrava.
Le requérant fut interné à l’hôpital psychiatrique de Šternberk du 13 novembre 2007 au 4 septembre 2008 ; les conditions de cet internement sont à l’origine de la présente requête.
Il ressort du dossier que, au moment de l’admission du requérant le 13 novembre 2007, le médecin-chef et le médecin en charge définirent un plan de traitement, comprenant notamment des prélèvements et des médicaments tel que pris jusqu’à lors par le requérant (n’incluant pas les anti-androgènes). Ce jour-là, le requérant fut également examiné par un psychiatre. Par la suite, le requérant se vit également prodiguer des séances de rééducation.
À l’occasion d’un examen du requérant le 14 novembre 2007, le médecin-chef nota que, étant donné que le requérant refusait la castration par pulpectomie et ne voulait pas prendre d’anti-androgènes, son internement allait probablement être permanent.
Le dossier médical tenu par l’hôpital fait entre autres état des difficultés d’élocution et de motricité du requérant, de ses douleurs de dos, de son souhait de pouvoir rester au lit, de son comportement arrogant et parfois agressif et de son mécontentement général. Par ailleurs, dès le 22 novembre 2007, le requérant demanda au tribunal de changer son internement en traitement ambulatoire, exprimant son mécontentement avec l’internement et son refus du traitement médicamenteux. Dans son journal intime rédigé à l’hôpital, le requérant mentionne en outre que le médecin-chef n’avait jamais accepté de s’entretenir avec lui, qu’il lui était difficile de communiquer avec le personnel à cause de ses problèmes d’élocution et qu’aucune de ses demandes n’avait jamais été accueillie.
Selon une note faite dans le dossier médical du requérant par trois médecins, dont le médecin-chef, à l’occasion de la grande visite médicale du 3 décembre 2007, le requérant avait à cette date accepté le traitement par anti-androgènes, qui lui fut ensuite administré par voie intraveineuse une fois tous les quatorze jours. Lors de la visite médicale du 3 janvier 2008, le requérant ne fit pas de réserve quant au traitement. Après qu’il exprima son désaccord avec le traitement, le 29 janvier 2008, il fut convenu avec le médecin-chef que les anti-androgènes ne lui seraient administrés que toutes les quatre semaines. À la suite d’un contrôle du taux de testostérone effectué chez le requérant le 15 avril 2008, l’intervalle dans l’administration des anti-androgènes fut prolongé à six semaines. Après l’injection du 28 juillet 2008, le requérant exprima son mécontentement avec le traitement, se plaignant de l’aggravation de ses symptômes neurologiques. Dès lors, il convint avec le directeur d’une hospitalisation à l’hôpital universitaire d’Olomouc, qui eut lieu du 11 au 14 août 2008. Il ne reçut aucune autre dose d’anti-androgènes jusqu’à sa sortie d’hôpital.
À une date indéterminée, l’hôpital psychiatrique de Šternberk proposa au tribunal de changer l’internement du requérant en traitement ambulatoire. Le médecin-chef entendu en qualité de témoin déclara que le requérant avait suivi un traitement standard, s’étant vu administrer les anti-androgènes par voie intraveineuse dans des intervalles de plus en plus longs, et que l’internement avait selon lui rempli son but. Le requérant déclara qu’il avait suivi le traitement tout en étant convaincu que celui-ci avait une influence négative sur sa motricité, et qu’il le continuerait sous forme ambulatoire seulement si son psychiatre référent décidait ainsi. Prenant en compte que le requérant avait trouvé un logement social protectif, le tribunal de district d’Olomouc estima dans sa décision du 16 mai 2008 que le changement de milieu combiné avec un traitement ambulatoire par anti-androgènes pouvaient à l’avenir suffire pour contrer la dangerosité du requérant, et changea donc son internement en traitement sexologique ambulatoire.
Après que le procureur interjeta un recours contre cette décision, relevant que de nouvelles poursuites pénales avaient été engagées à l’encontre du requérant pour des faits commis en décembre 2007 et que celui-ci ne voulait pas suivre le traitement par anti-androgènes, un rapport d’expertise sur l’état psychique de ce dernier fut commandé par le tribunal de district d’Olomouc. Devant l’expert, le requérant soutint que sa maladie avait empiré durant l’internement, qu’il souffrait notamment de problèmes psychiques, ayant peur de l’hôpital, de la castration, de l’humiliation et d’une perte de dignité, que le traitement médicamenteux ne faisait qu’atténuer sa capacité d’érection mais ne le libérait pas de ses désirs sexuels et ne lui permettait pas de mener une vie sexuelle avec son amie, et qu’il souhaitait poursuivre une psychothérapie. Dans son rapport du 30 juillet 2008, l’expert M.K. estima qu’il ressortait des circonstances de l’espèce que, à lui seul, le traitement par anti-androgènes n’empêchait pas le requérant de récidiver, qu’il était possible d’influencer le comportement de ce dernier aussi par d’autres médicaments et que l’internement avait atteint ses limites. Selon l’expert, sans un traitement complexe incluant la pharmacothérapie, la psychothérapie et des soins sociaux, visant à ce que le requérant se rende compte de la gravité de son comportement et arrive à le maîtriser, il existait une probabilité élevée de récidive du comportement hébéphile.
Le recours du procureur ayant été rejeté par le tribunal régional d’Ostrava, le requérant fut mis en liberté en vertu d’une décision du tribunal de district d’Olomouc rendue le 4 septembre 2008, par laquelle le traitement protectif en institution fut remplacé par un traitement ambulatoire.
En 2008, deux séries de poursuites pénales concernant les faits commis par le requérant en 2007 et 2008 se soldèrent par un non-lieu, faute de sa responsabilité pénale.
Selon un rapport d’expertise en psychiatrie élaboré en octobre 2009 à la demande de la mère du requérant, la maladie de ce dernier avait progressé jusqu’à entraîner des conséquences très lourdes, notamment au niveau de la motricité, de l’élocution et des fonctions psychiques du requérant ; une altération de ses capacités intellectuelles avait également été constatée. L’expert K.H. releva dans les propos du requérant que son internement à l’hôpital psychiatrique de Šternberk n’avait pas été efficace puisque le traitement prodigué n’avait visé que l’atténuation de la sexualité par les médicaments et ne reposait pas sur une psychothérapie qui permettait au requérant de corriger, dans une certaine mesure, son comportement et qui était, même du point de vue de la récidive, plus effective qu’une simple mesure répressive telle l’internement. L’expert recommanda donc au requérant un traitement sexologique et psychiatrique ambulatoire, notamment une psychothérapie ou, en cas d’échec de celle-ci, une pharmacothérapie visant à atténuer sa sexualité, voire une castration chirurgicale qui garantirait la sûreté publique et permettrait au requérant de vivre hors institution.
Dans une expertise du 23 avril 2010, l’expert M.V. indiqua que, malgré la psychothérapie, le requérant manquait de regard critique suffisant, minimisait son comportement illicite et cherchait à éviter le traitement médicamenteux qui, pourtant, n’était pas contre-indiqué chez les patients souffrant de la maladie de Wilson. Ainsi, le traitement ambulatoire n’était pas efficace, faute pour le requérant de coopérer, et le risque de récidive persistait ; le requérant pouvait donc rester hors institution uniquement à condition qu’il accepte la thérapie pharmacologique visant à l’inhibition de son activité sexuelle.
Le 18 octobre 2010, le tribunal régional d’Ostrava confirma la décision du tribunal de district d’Olomouc du 13 septembre 2010, par laquelle le traitement ambulatoire du requérant avait été transformé en un traitement en institution. Entamé le 10 janvier 2011, l’internement du requérant à l’hôpital psychiatrique de Brno-Černovice fut prolongé de deux ans à la demande de l’hôpital, le 29 novembre 2012.
Dans une expertise du 20 février 2011, l’expert R.G. considéra qu’un traitement protectif ambulatoire était absolument insuffisant en cas de pédophilie. Selon lui, sans castration ou sans traitement d’inhibition médicamenteux, le séjour du requérant en liberté était dangereux.
Dans une expertise institutionnelle élaborée en avril 2013 par cinq experts médicaux, ceux-ci conclurent que, afin d’éviter la répétition des activités sexuelles indésirables chez le requérant, il fallait l’isoler des enfants et des adolescents ou inhiber son activité sexuelle par des médicaments.
Le 13 juillet 2013 passa en force de chose jugée le jugement du tribunal de district de Jeseník daté du 19 juin 2013, par lequel le requérant fut reconnu coupable des faits commis entre automne 2008 et mai 2009 et condamné à un an de prison avec sursis.
Le 15 octobre 2013, le tribunal municipal de Brno accéda à la demande du requérant et changea son internement en traitement ambulatoire.
B. Démarches procédurales du requérant visant à dénoncer les conditions de son internement à l’hôpital psychiatrique de Šternberk
Pendant toutes les démarches ci-dessous, le requérant fut représenté par un juriste du MDAC.
Médecin-chef
Le 12 septembre 2008, le requérant introduisit une plainte auprès du médecin-chef, se plaignant de ne pas avoir pu utiliser son lit pendant la journée et de ne pas avoir disposé d’un casier personnel, ainsi que du refus des infirmières de l’amener en promenade avec les autres patients. En ce qui concerne le traitement prodigué, il dénonça l’impossibilité de suivre une psychothérapie adéquate au sein de l’hôpital, et se plaignit du traitement par anti-androgènes auquel il était opposé mais qu’il avait accepté de peur de ne pas pouvoir sortir de l’hôpital, vu qu’aucun traitement alternatif ne lui avait été proposé. Il soutint enfin avoir subi une pression psychologique de la part des médecins visant à ce qu’il se soumette à une castration chirurgicale, et avoir reçu un traitement antidépresseur inadéquat.
Le 26 novembre 2008, le médecin-chef répondit au requérant en écartant ses doléances ; il releva par ailleurs que certaines limitations étaient dues au comportement inconvenable du requérant et souligna que ce dernier avait été avantagé par rapport aux autres patients du fait d’avoir obtenu de nombreuses autorisations de sortie et d’avoir pu se rendre chez un psychothérapeute en dehors de l’hôpital.
Chambre médicale tchèque
Le 17 octobre 2008, le requérant demanda à la Chambre médicale tchèque d’examiner la conduite des médecins affectés à l’hôpital psychiatrique de Šternberk, considérant qu’ils étaient responsables des conditions de son internement qu’il avait dénoncées dans sa plainte du 12 septembre 2008.
Le 31 mars 2009, la Chambre informa le requérant que la procédure disciplinaire ouverte contre les médecins concernés avait été suspendue car les mêmes faits faisaient l’objet d’une enquête menée par le ministère de la Santé (voir ci-dessous).
Ministère de la Santé
Le 22 octobre 2008, le requérant se plaignit des conditions de son internement auprès du ministère de la Santé, considérant que les codes déontologiques des médecins et du personnel paramédical n’avaient pas été respectés dans son cas et qu’il y avait eu violation des articles 3, 5 § 1 e) et 8 de la Convention. En sus des doléances mentionnées dans sa plainte du 12 septembre 2008, il se plaignit également d’avoir été obligé de se doucher avec d’autres patients, sans aucune intimité et en présence d’une infirmière.
Le ministère ouvrit une enquête pendant laquelle la documentation médicale du requérant fut examinée par un expert indépendant qui s’était entretenu avec le requérant ; ce dernier fut informé des résultats de l’enquête par une lettre du 4 août 2009. Le ministère nota d’abord que, durant son hospitalisation, le requérant n’avait pas fait preuve d’une attitude critique à l’égard de son comportement déviant, ce qui rendait une éventuelle psychothérapie ineffective, et qu’il avait refusé la pulpectomie testiculaire et tenté de manipuler le processus thérapeutique. Il fut observé ensuite que, l’hôpital psychiatrique de Šternberk ne disposant pas d’un département spécialisé dans le traitement sexologique protectif, les patients qui s’étaient vu ordonner un tel traitement dans cet hôpital étaient placés dans le département psychiatrique normal, à régime ouvert ou fermé. Le requérant ne s’était pas vu attribuer un casier à clef puisqu’il n’était pas capable de respecter les règles de l’hygiène, et il n’avait pas pu rester au lit puisqu’il s’était vu recommander une activité physique et une rééducation afin de prévenir l’atrophie et les contractures musculaires. Par ailleurs, il s’était vu accorder un nombre inhabituel d’autorisations de sortie dans l’enceinte de l’hôpital ou même en dehors. Quant à la surveillance et l’assistance du personnel dans les douches, elle était nécessaire en raison des difficultés motrices du requérant et de son incapacité de respecter les règles de l’hygiène. Le ministère observa également qu’aucune pression en vue d’une castration n’avait été démontrée et que le requérant avait pu communiquer avec le psychologue interne ainsi qu’avec sa psychothérapeute externe. À l’issue de l’enquête, le ministère conclut que ni le code déontologique ni la Convention n’avaient été violés en l’espèce mais constata qu’il y avait eu un manquement lorsque le tribunal avait ordonné de placer le requérant dans un hôpital psychiatrique qui n’avait ni le personnel ni les conditions pour prodiguer un traitement sexologique.
Médiateur
À une date indéterminée, le requérant adressa les mêmes doléances au médiateur qui ouvrit, le 10 juin 2009, une enquête visant à déterminer si les droits fondamentaux du requérant avaient été enfreints lors de son internement. Dans le cadre de cette enquête, des employés de l’office du médiateur se sont rendus à l’hôpital de Šternberk où ils se sont entretenus avec le personnel soignant, se procurant également une copie du dossier médical du requérant.
Dans sa réponse adressée le 16 février 2010 au requérant, le médiateur constata que le requérant avait suivi à Šternberk un traitement pharmacologique, complété par une ergothérapie et une psychothérapie. Bien qu’il ne coopérât pas lors du traitement, celui-ci avait été moins restrictif que d’ordinaire puisque le requérant avait bénéficié dès le début de son internement de nombreuses autorisations de sortie et de visite, sauf lorsqu’il s’était montré particulièrement agressif. Concernant les différentes objections du requérant relatives aux conditions de son internement, le médiateur releva que le personnel s’était efforcé de maintenir la motricité du requérant et ne lui avait donc pas permis de s’allonger dans son lit à chaque fois qu’il le souhaitait ; puis, si la non-attribution d’un casier au requérant était motivée par des raisons d’hygiène, celui-ci pouvait déposer ses affaires auprès du personnel. Le médiateur releva ensuite que la présence du personnel dans les douches était nécessaire pour assurer l’hygiène du requérant mais que celui-ci aurait pu demander de se doucher seul en dernier ; cependant, il ne s’était jamais plaint d’un manque d’intimité. En ce qui concerne le traitement suivi par le requérant, le médiateur releva que la mise en œuvre d’un traitement protectif n’était réglementée par aucune norme juridique (à la différence de la détention provisoire par exemple) et que la conduite de l’hôpital devait donc être appréciée au vu de l’ordre constitutionnel tchèque, de la Convention de biomédecine et de la loi no 20/1996 sur les soins de santé. Sur ce point, il constata qu’il ne lui appartenait pas de juger du caractère adéquat de la psychothérapie prodiguée, que les médecins soignants avaient nié toute pression concernant la castration chirurgicale du requérant et qu’ils avaient estimé que le traitement par anti-androgènes était nécessaire dans son cas en raison de la déviance sexuelle ; les médecins auraient également noté que, n’acceptant pas qu’il souffrait d’une déviance sexuelle, le requérant refusait tout traitement. En conclusion, le médiateur ne releva pas de manquement concernant le régime auquel le requérant avait été soumis à l’hôpital de Šternberk mais décida d’inviter le directeur de celui-ci à autoriser les patients d’accéder à leurs chambres pendant la journée, à mettre à leur disposition un nombre suffisant de casiers, sauf risque d’hygiène avéré, et à mieux protéger leur intimité dans les douches.
Par une lettre du 3 mars 2010, le médiateur informa le médecin-chef de Šternberk des conclusions de son enquête concernant le requérant, selon lesquelles les ingérences dénoncées par ce dernier étaient justifiées par son état de santé, tendaient à empêcher son aggravation ou à protéger les tiers et étaient proportionnées au risque menaçant les objets et intérêts protégés par la loi, c’est-à-dire conformes à la législation. En même temps, il avertit le directeur de certains faits qui n’étaient selon lui pas conformes à la législation. Ainsi, il l’invita à permettre aux patients d’accéder à leurs chambres tout au long de la journée, à assurer aux patients plus d’intimité dans les douches et à mettre à leur disposition un casier à clef. Le médiateur releva ensuite dans la documentation médicale du requérant que, pour le contenir, le personnel lui avait administré une injection, le 28 novembre 2007, sans décrire le comportement dangereux qui aurait exigé une telle mesure. Il nota ensuite que, le 5 décembre 2007, le requérant s’était vu administrer un placébo à la place d’un calmant qu’il réclamait ; à cet égard, le médiateur souligna que l’administration des calmants était réservée aux situations où le patient présentait un danger pour lui-même ou son environnement et que l’usage d’un placébo était problématique, notamment au vu de la question d’un consentement libre et éclairé. En raison des manquements constatés dans l’affaire du requérant, le médiateur invita donc le médecin-chef à lui répondre. Cette réponse n’est pas connue de la Cour.
Procédure en protection des droits de la personnalité
Le 23 décembre 2009, le requérant saisit le tribunal régional d’Ostrava d’une demande en protection des droits de la personnalité au sens de l’article 11 et suivants du code civil, demandant à l’hôpital psychiatrique de Šternberk de lui présenter des excuses et de lui payer 500 000 CZK (environ 19 280 EUR) au titre de l’indemnisation de son préjudice moral. Il soutint que les conditions de son internement et de son traitement avaient porté atteinte à son droit au respect de la vie privée et qu’elles constituaient une torture ou un traitement inhumain ou dégradant ; se référant à l’arrêt Peers c. Grèce (no 28524/95, § 75, CEDH 2001III), il reprocha aux autorités médicales de n’avoir pris aucune mesure pour améliorer les conditions de son internement. Le requérant dénonça notamment l’impossibilité de se reposer au lit pendant la journée, le mauvais état de son matelas, l’absence d’un casier personnel, l’obligation de se doucher avec d’autres patients en présence d’une infirmière, l’impossibilité de séjourner régulièrement en plein air, l’absence de psychothérapie et la pression concernant la castration chirurgicale et chimique. Sur ce dernier point, le requérant nota qu’il ne consentait pas au traitement par anti-androgènes mais qu’il l’avait accepté en échange d’un régime ouvert ; il se référa également aux rapports du CPT en la matière.
Dans sa réplique du 21 février 2011, l’hôpital psychiatrique contesta les accusations du requérant :
quant à l’impossibilité pour le requérant de rester au lit pendant la journée, il fut constaté que le but du traitement était d’instaurer un régime correspondant à celui d’une vie courante, que le requérant avait bénéficié d’un régime ouvert avec sorties, que le personnel s’était efforcé de maintenir sa motricité, que la qualité de son lit dépendait des possibilités techniques de l’hôpital et que le requérant ne s’en était jamais plaint ;
quant à la non-attribution du casier au requérant, celle-ci était due à son incapacité de respecter les règles de l’hygiène et, partant, à un risque d’infection, et le requérant aurait pu déposer ses affaires auprès du personnel ;
quant aux douches, il fut relevé que les patients pouvaient se doucher individuellement tous les jours et qu’ils se douchaient une fois par semaine en présence du personnel qui était là pour surveiller leur hygiène personnelle, ce qui était nécessaire dans le cas du requérant ; ils avaient également la possibilité de demander à se doucher en dernier, sans les autres, et en présence d’un infirmier de sexe masculin ; or, le requérant n’avait jamais formulé de plainte à cet égard ;
quant à la possibilité de séjourner dehors, l’hôpital nota que le traitement protectif constituait une mesure restrictive impliquant une limitation de la liberté ; nonobstant ce fait, le requérant avait bénéficié de 67 autorisations de sortie et de 7 autorisations de congé et il s’était promené presque quotidiennement dans l’enceinte de l’hôpital en compagnie de sa mère ou de son amie ; après avoir heurté un véhicule, il s’était cependant vu interdire le tricycle ;
pour ce qui est de la psychothérapie, le requérant n’avait pas pu suivre la psychothérapie en groupe à cause de ses problèmes d’élocution mais avait bénéficié de séances individuelles avec le psychologue interne, auquel il avait cependant soumis des demandes que celui-ci n’était pas responsable de traiter, et s’était même vu proposer une thérapie de couple ; il fut noté que vu le stade de la maladie du requérant, la psychothérapie devenait inefficace et se limitait à un soutien qui lui avait été fourni tout au long de son internement, en plus des consultations chez son psychothérapeute externe ;
toute pression concernant une castration chirurgicale fut niée ; pour ce qui est du traitement par anti-androgènes, le requérant l’avait déjà suivi auparavant et connaissait donc ses effets, il avait également été informé par le médecin soignant des effets secondaires de ce traitement ; il incombait au requérant de choisir s’il allait le suivre ou non, sachant que sans traitement, il n’aurait pas pu bénéficier du régime ouvert.
Le 22 juin 2011, le requérant proposa au tribunal d’élargir les motifs de sa demande en y incluant les deux incidents (injection du calmant et usage du placébo) relatés par le médiateur dans sa lettre adressée au médecin-chef le 3 mars 2010, dont il venait de prendre connaissance.
À l’audience du 23 juin 2011, le tribunal régional décida d’abord de ne pas admettre l’élargissement de la demande du requérant, en raison du non-respect du délai légal prévu à cet effet. Il procéda ensuite à l’audition du requérant, de sa mère, de son amie, de sa psychothérapeute externe, d’une personne qui avait été internée avec le requérant, du médecin ayant soigné le requérant à l’hôpital de Šternberk et d’un autre médecin de l’hôpital ; selon le Gouvernement, ces médecins, ainsi que plus tard le médecin-chef, déclarèrent n’avoir jamais proposé de castration chirurgicale à quiconque. À l’audience du 30 juin 2011, le tribunal entendit une infirmière et le psychologue de l’hôpital de Šternberk qui déclara avoir rencontré le requérant deux à trois fois par semaine. Par la suite, le tribunal fit lire les preuves écrites, dont les plaintes antérieures du requérant, les réponses des autorités et les pièces figurant dans le dossier du médiateur ; la demande du requérant tendant à inclure au dossier sa documentation médicale fut rejetée.
Par jugement du 7 octobre 2011, le tribunal régional d’Ostrava débouta le requérant de sa demande. Après avoir récapitulé toutes les preuves et rappelé que l’internement du requérant constituait une mesure restrictive imposée dans le cadre d’une procédure pénale, le tribunal estima que l’hôpital défendeur n’avait pas agi contrairement à la loi et n’avait pas fait subir des mauvais traitements au requérant. En effet, sa conduite avait été tributaire de la personnalité du requérant, de son comportement et de son état de santé, et non des équipements techniques de l’hôpital et de son règlement interne, même si le médiateur avait tenté d’améliorer celui-ci dans le cadre de la prévention. Il fut relevé en particulier que :
- le requérant s’était vu ordonner un régime normal et une rééducation afin d’éviter une atrophie et des contractures musculaires mais il avait pu se reposer au lit lorsque son état de santé s’était dégradé ;
- le requérant n’avait pas disposé d’un casier personnel car il n’avait pas été à même de respecter les règles de l’hygiène ;
- pour les mêmes raisons, il n’avait pas pu se doucher seul, sans surveillance, et il n’avait jamais demandé à se doucher en dernier :
- il n’était pas vrai que le requérant n’avait pas pu sortir de l’hôpital car il s’était vu autoriser des sorties presque quotidiennes ;
- le requérant n’avait pas dûment coopéré lors de la psychothérapie proposée par le psychologue interne, et il s’était vu autoriser les consultations externes ;
- le traitement par anti-androgènes représentait un traitement standard des déviances sexuelles et tendait à atténuer l’appétence sexuelle : sans un tel traitement le requérant n’aurait pas pu bénéficier d’un régime ouvert et aurait été dangereux pour la société :
- le requérant n’avait démontré aucune pression concernant la castration chirurgicale.
Le 8 novembre 2011, le requérant interjeta appel, reprochant au tribunal régional une mauvaise application des principes dégagés par la Cour de l’article 3 de la Convention. Il se plaignit que le tribunal n’avait pas accepté l’élargissement de sa demande ni n’avait admis comme preuve sa documentation médicale et qu’il était parvenu à des conclusions de fait erronées car, de l’avis du requérant, les preuves administrées étayaient sa thèse.
Par arrêt du 3 avril 2012, la haute cour d’Olomouc confirma le jugement entrepris. Constatant que le tribunal régional avait dûment établi les faits et y avait appliqué les conclusions juridiques pertinentes, la haute cour constata qu’il était incontestable que la conduite de l’hôpital envers le requérant n’avait pas été irrégulière ; elle ne constituait donc pas une torture ni un traitement inhumain ou dégradant. La haute cour observa en outre que le traitement sexologique du requérant avait été ordonné en vertu de code de procédure pénale et conformément à l’article 5 § 1 a) et e) de la Convention et que l’hôpital psychiatrique de Šternberk s’était vu ainsi obligé de prodiguer ce traitement au requérant ; ce faisant, il n’avait pas porté atteinte aux droits de la personnalité de ce dernier. Il incombait en revanche au requérant, malgré ses réserves, de subir ce traitement ainsi que la limitation de sa liberté et toutes les mesures, restrictions et actes médicaux en découlant.
Le 1er juin 2012, le requérant introduisit un recours constitutionnel contre les décisions du tribunal régional et de la haute cour, dans lequel il soutint notamment que les conditions de son internement à l’hôpital psychiatrique de Šternberk avaient enfreint les articles 3 et 8 de la Convention puisqu’il y avait subi des souffrances et des humiliations qui étaient contraires au but du traitement imposé. Il souligna à cet égard sa position incertaine résultant du fait que la durée de l’internement n’avait pas été déterminée par l’ordonnance du tribunal et que, en théorie, il aurait pu rester exposé aux conditions de détention dénoncées pendant toute sa vie. En ce qui concerne en particulier la pression relative à la castration, le requérant estima que, concernant les personnes vulnérables privées de leur liberté, pouvait être considérée comme pression également une « recommandation » répétée dans le contexte d’une libération. Se référant aux conclusions du CPT, il souligna que le traitement par anti-androgènes devrait toujours reposer sur un examen psychiatrique et médical individuel et diligent, que ces médicaments ne devraient pas être administrés contre le gré des patients ou en tant que condition de leur libération et que les patients devraient être dûment informés de tous les effets d’un tel traitement. En tout état de cause, la tentative d’une castration chirurgicale forcée et un traitement involontaire par anti-androgènes étaient selon lui contraires à la réglementation de l’époque, plus particulièrement à l’article 23 § 2 de la loi no 20/1966 sur les soins de santé publique et au code déontologique de la Chambre médicale tchèque.
Par décision du 7 août 2012, la Cour constitutionnelle rejeta le recours constitutionnel du requérant en partie comme inadmissible et en partie comme manifestement mal fondé. Quant à la demande du requérant visant à faire statuer que la conduite de l’hôpital avait enfreint ses droits garantis par les articles 3 et 8 de la Convention, la Cour constitutionnelle se déclara incompétente en rappelant qu’un recours constitutionnel ne pouvait être dirigé que contre une ingérence en cours ; or, en l’espèce, la Cour constitutionnelle ne pouvait pas intervenir car le requérant ne se trouvait plus à l’hôpital. De plus, le requérant aurait dû démontrer qu’il avait épuisé les voies de recours disponibles, en l’occurrence non seulement la demande en protection des droits de la personnalité mais aussi les recours offerts par le code de procédure pénale. Quant à la demande du requérant visant à annuler les décisions judiciaires contestées, la Cour constitutionnelle releva que, sauf en cas d’atteinte aux droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution, il ne lui appartenait pas de s’ingérer dans la compétence des autres autorités publiques et ce même lorsqu’elle aurait une autre opinion sur la manière concrète de protéger les droits garantis par les normes inférieures à la Constitution. En l’occurrence, les tribunaux avaient suffisamment établi les faits, ils y avaient appliqué les dispositions légales qu’ils avaient interprétées de manière satisfaisante et ils avaient explicité les motifs de leurs décisions qui ne pouvaient pas être qualifiées d’arbitraires, trop formalistes ou entachées d’une extrême contradiction entre les faits établis et les conclusions juridiques. Selon la Cour constitutionnelle, le requérant s’était borné à répéter ses doléances fondées sur sa vision des choses et n’avait pas mis en doute les conclusions des tribunaux ni la conformité de leurs décisions à la Constitution.
Plainte pénale
Le 10 septembre 2012, le requérant introduisit une plainte pénale pour dénoncer les mauvais traitements subis à l’hôpital psychiatrique de Šternberk, tels que décrits dans sa demande du 23 décembre 2009 (voir paragraphe 36 ci-dessus).
Le 14 novembre 2012, la police informa le requérant par une lettre qu’elle avait terminé la vérification de sa plainte et classé le dossier sans suite. Elle avait conclu que les mêmes faits avaient été dûment et amplement examinés par le tribunal régional d’Ostrava dans la procédure sur la protection des droits de la personnalité et qu’il ressortait du jugement du 7 octobre 2011 qu’aucun des points dénoncés par le requérant ne remplissait les éléments constitutifs d’une infraction pénale.
Le 11 février 2013, le requérant saisit le procureur de district d’Olomouc d’une demande tendant à réexaminer la conduite de la police et à obtenir l’ouverture d’une enquête effective, dont le but serait de punir les personnes concrètement responsables pour la violation de ses droits. Il nota que certains faits n’avaient pas été suffisamment élucidés lors de la procédure civile et que de nombreuses questions et preuves n’avaient pas été appréciées de manière adéquate.
Le 26 février 2013, le procureur de district classa l’affaire au motif qu’aucun mauvais traitement n’avait été constaté par les autorités saisies précédemment.
Le 6 avril 2013, le requérant demanda au parquet régional d’Ostrava de réexaminer la réponse du procureur de district. L’issue de cette demande n’est pas connue de la Cour.
Le recours constitutionnel du requérant, dans lequel celui-ci dénonça l’absence d’enquête effective sur ses allégations de mauvais traitements fut rejeté comme prématuré, le 21 août 2013, au motif que le parquet régional n’avait pas encore statué sur sa demande.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Code de procédure pénale (loi no 140/1961, version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2008)
Selon l’article 25, le tribunal pouvait renoncer à punir l’auteur de l’infraction si les facultés de discernement de ce dernier étaient réduites et s’il considérait qu’un traitement protectif assurerait la correction de l’auteur de l’infraction et la protection de la société mieux qu’une peine.
Aux termes de l’article 72 §§ 1 et 2 a), le tribunal ordonnait un traitement protectif également lorsque l’auteur des faits punissables était pénalement irresponsable et son séjour en liberté dangereux, ou lorsque le coupable avait commis l’infraction dans un état résultant d’un trouble mental et que son séjour en liberté était dangereux.
L’article 72 § 4 donnait au tribunal la possibilité d’ordonner soit un traitement protectif ambulatoire soit un traitement protectif en institution, et ce en fonction de la nature de la maladie et des possibilités thérapeutiques.
Selon l’article 72 § 5, le traitement protectif devait se poursuivre aussi longtemps que nécessaire. Il incombait au tribunal de décider de la libération du patient à la fin du traitement.
B. Loi no 20/1966 sur les soins de santé publique (version en vigueur au moment des faits), abrogée au 1er avril 2012 par la loi no 372/2011 sur les soins de santé
L’article 23 § 1 prévoyait l’obligation du personnel médical de fournir au patient les informations sur la nature des soins prodigués et de tous les actes médicaux ainsi que sur leurs conséquences, alternatives et risques.
En vertu de l’article 23 § 2, les actes de diagnostic et de thérapie ne pouvaient être réalisés qu’avec le consentement du patient ou lorsqu’un tel consentement pouvait être supposé.
Aux termes de l’article 23 § 4, sans le consentement du patient, il était possible d’effectuer les actes de diagnostic et de thérapie ou, si la nature de la maladie l’exigeait, d’hospitaliser le patient :
s’il s’agissait de maladies prévues par une réglementation spéciale, qui pouvaient donner lieu à un traitement obligatoire ;
lorsqu’une personne manifestant des signes d’une maladie mentale ou d’une intoxication représentait une menace pour soi-même ou son environnement ;
s’il n’était pas possible, compte tenu de l’état de santé du patient, d’obtenir son consentement et s’il s’agissait d’actes urgents nécessaires à la protection de sa vie ou de sa santé ;
s’il s’agissait d’un porteur d’une maladie infectieuse définie par une loi spéciale.
Les articles 27 et suivants réglementaient des interventions spécifiques, telle la castration. Selon l’article 27a §§ 1 et 2, la castration ne pouvait être effectuée qu’à la demande de la personne concernée et après approbation par une commission spéciale composée d’un juriste, de deux médecins spécialistes en la matière et de deux autres médecins ne participant pas à l’acte. Avant l’introduction de la demande, la personne concernée devait être dûment informée par le médecin de la nature de l’acte, de ses risques et des éventuelles conséquences défavorables de celui-ci. Aux termes de l’article 27c, tout acte médical qui n’était pas dans l’intérêt immédiat de la personne concernée ne pouvait être effectué qu’avec le consentement écrit préalable de cette personne ; avant de donner son consentement, la personne devait être entièrement informée de la nature de l’acte et de ses risques.
Au 1er avril 2012, la loi no 20/1966 fut abrogée par la loi no 372/2011 sur les soins de santé, dont l’article 38 § 5 disposait, au moment de son entrée en vigueur, que le patient hospitalisé involontairement en vertu d’une décision judiciaire lui ordonnant un traitement protectif ne pouvait se voir prodiguer, sans son consentement, que les soins urgents qui étaient directement liés au motif de son hospitalisation. Ladite loi a été complétée par la loi no 373/2011 sur les soins de santé spécifiques, entrée en vigueur également le 1er avril 2012, qui contient des dispositions spécifiques relatives à un traitement protectif. Son article 88 § 1 a) dispose que le patient doit se soumettre à un plan de traitement individuel défini aux fins du traitement protectif, ainsi qu’à tous les actes médicaux qui font partie de ce plan ; il conserve néanmoins le droit de choisir entre les traitements alternatifs possibles et le droit de consentir, selon la loi no 372/2011, aux actes médicaux qui n’ont pas de lien immédiat avec le but du traitement protectif.
C. Rapports du médiateur
Dans son rapport d’avril 2008 portant sur la visite systématique de l’hôpital psychiatrique de Šternberk effectuée en janvier 2008, le médiateur releva entre autres que la section 15A regroupait les patients nouvellement admis ainsi que des patients agités hospitalisés à court ou à long terme, qui étaient soumis à un traitement pharmacologique. Les chambres à coucher étaient fermées à clef pendant la journée et les patients ne pouvaient y accéder que sur demande et n’y disposaient d’aucun espace personnel ; l’intérieur était propre mais impersonnel.
Dans son rapport général sur les visites des hôpitaux psychiatriques (dont celui de Šternberk), publié en septembre 2008, le médiateur recommanda à ces hôpitaux de réduire le bruit dans les départements accueillant les patients au début de leur internement, d’y créer des zones de calme ainsi que de permettre aux patients d’accéder à leurs chambres toute la journée, pour éviter qu’ils ne s’allongent dans les salles communes, dans les couloirs et même au sol. Par ailleurs, tous les patients devaient disposer d’un espace privé pour stocker leurs affaires personnelles, par exemple d’un casier à clef. Le médiateur nota également que les patients devaient souvent passer leur journée dans les espaces communs et que ceux qui ne pouvaient pas sortir de manière autonome ne prenaient l’air qu’irrégulièrement car un accompagnement individuel n’était pas possible ; sur ce point, il recommanda aux hôpitaux d’assurer à tous les patients la possibilité de séjourner à l’air frais. Dans certains cas, les hôpitaux ne disposaient pas de psychologue ou celui-ci était très occupé et ne pouvait accorder que quelques minutes à chaque patient. Le médiateur observa ensuite que certains patients hommes vivaient mal l’obligation de prendre une douche en présence du personnel féminin, et recommanda au personnel d’assurer plus d’intimité dans les douches, de permettre aux patients de se doucher individuellement sans avoir à le demander, et de n’exercer la surveillance que dans les cas justifiés et par le personnel du même sexe.
Lors de sa visite ultérieure effectuée à l’hôpital psychiatrique de Šternberk en septembre 2009, le médiateur constata qu’aucune suite n’avait été donnée à certaines de ses recommandations. Le manque de coopération de la part de la direction de l’hôpital l’amena à publier en juin 2010 un communiqué de presse dénonçant le non-respect des droits et de la dignité des patients par cet hôpital. Il y nota entre autres que la réglementation du traitement psychiatrique des patients sans leur consentement était insatisfaisante en République tchèque et qu’il incombait au législateur de mettre en œuvre les dispositions de la Convention sur la biomédecine.
III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. La Convention relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 13 décembre 2006 et ratifiée par la République tchèque le 28 septembre 2009
La Convention dispose entre autres :
Article 2 – Définitions
Aux fins de la présente Convention : (...)
On entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales; (...).
Article 14 – Liberté et sécurité de la personne
Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, si elles sont privées de leur liberté à l’issue d’une quelconque procédure, aient droit, sur la base de l’égalité avec les autres, aux garanties prévues par le droit international des droits de l’homme et soient traitées conformément aux buts et principes de la présente Convention, y compris en bénéficiant d’aménagements raisonnables.
B. La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, adoptée à Oviedo le 4 avril 1997 et entrée en vigueur à l’égard de la République tchèque le 1er octobre 2001
La Convention dispose comme suit dans ses parties pertinentes :
Chapitre II – Consentement
Article 5 – Règle générale
Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement.
Article 6 – Protection des personnes n’ayant pas la capacité de consentir
Sous réserve des articles 17 et 20, une intervention ne peut être effectuée sur une personne n’ayant pas la capacité de consentir, que pour son bénéfice direct. (...)
Lorsque, selon la loi, un majeur n’a pas, en raison d’un handicap mental, d’une maladie ou pour un motif similaire, la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi. La personne concernée doit dans la mesure du possible être associée à la procédure d’autorisation. (...)
Article 7 – Protection des personnes souffrant d’un trouble mental
La personne qui souffre d’un trouble mental grave ne peut être soumise, sans son consentement, à une intervention ayant pour objet de traiter ce trouble que lorsque l’absence d’un tel traitement risque d’être gravement préjudiciable à sa santé et sous réserve des conditions de protection prévues par la loi comprenant des procédures de surveillance et de contrôle ainsi que des voies de recours.
C. La recommandation R (99) 4 du Comité des ministres aux Etats membres sur les principes concernant la protection juridique des majeurs incapables (adoptée le 23 février 1999)
Cette recommandation est ainsi libellée dans ses parties pertinentes :
Partie V – Interventions dans le domaine de la santé
Principe 22 – Consentement
Lorsqu’un majeur, même s’il fait l’objet d’une mesure de protection, est en fait capable de donner son consentement libre et éclairé à une intervention déterminée dans le domaine de la santé, celle-ci ne peut être pratiquée qu’avec son consentement. Le consentement doit être sollicité par la personne habilitée à intervenir.
Lorsqu’un majeur n’est de fait pas en mesure de donner son consentement libre et éclairé à une intervention déterminée, celle-ci peut toutefois être pratiquée à condition :
- qu’elle soit effectuée pour son bénéfice direct, et
- que l’autorisation en ait été donnée par son représentant ou par une autorité, ou une personne ou instance désignée par la loi.
Principe 25 – Protection des majeurs atteints de troubles mentaux
La personne qui souffre d’un trouble mental grave ne peut être soumise, sans son consentement, à une intervention ayant pour objet de traiter ce trouble que lorsque l’absence d’un tel traitement risque d’être gravement préjudiciable à sa santé et sous réserve des conditions de protection prévues par la loi comprenant des procédures de surveillance et de contrôle ainsi que des voies de recours.
Principe 28 – Possibilité d’appliquer des dispositions particulières à certaines interventions
Le droit interne peut prévoir, conformément aux instruments internationaux en vigueur, des dispositions particulières applicables aux interventions qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
D. La recommandation Rec (2004) 10 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux (adoptée le 22 septembre 2004)
Cette recommandation dispose entre autres :
Article 12 – Principes généraux des traitements pour trouble mental
Les personnes atteintes de troubles mentaux devraient bénéficier de traitements et de soins dispensés par des personnels suffisamment qualifiés, sur la base d’un plan de traitement personnalisé approprié. Dans la mesure du possible, le plan de traitement devrait être élaboré après consultation de la personne concernée et son opinion devrait être prise en compte. Ce plan devrait être réexaminé régulièrement et modifié si nécessaire.
Sous réserve des dispositions du chapitre III et des articles 28 et 34 ci-dessous, un traitement ne peut être dispensé à une personne atteinte d’un trouble mental qu’avec son consentement si elle a la capacité de consentir, ou lorsque la personne n’a pas cette capacité avec l’autorisation d’un représentant, d’une autorité, d’une personne ou d’une instance désigné par la loi.
Lorsque, en raison d’une situation d’urgence, le consentement ou l’autorisation approprié ne peut être obtenu, tout traitement pour un trouble mental médicalement nécessaire pour éviter des dommages graves pour la santé de la personne concernée, ou pour la sécurité d’autrui, pourra être effectué immédiatement.
Chapitre III – Placement involontaire pour trouble mental dans des établissements psychiatriques, et traitement involontaire pour trouble mental
Article 16 – Champ d’application du chapitre III
Les dispositions du présent chapitre s’appliquent aux personnes atteintes de troubles mentaux :
i. qui ont la capacité de consentir au placement ou au traitement concernés, et le refusent ; ou
ii. qui n’ont pas la capacité de consentir au placement ou au traitement concernés, et s’y opposent.
Article 18 – Critères pour le traitement involontaire
Sous réserve que les conditions suivantes sont réunies, une personne peut faire l’objet d’un traitement involontaire :
i. la personne est atteinte d’un trouble mental ;
ii. l’état de la personne présente un risque réel de dommage grave pour sa santé ou pour autrui ;
iii. aucun autre moyen impliquant une intrusion moindre pour apporter les soins appropriés n’est disponible ;
iv. l’avis de la personne concernée a été pris en considération.
Article 19 – Principes relatifs au traitement involontaire
Le traitement involontaire devrait :
i. répondre à des signes et à des symptômes cliniques spécifiques ;
ii. être proportionné à l’état de santé de la personne ;
iii. faire partie d’un plan de traitement écrit ;
iv. être consigné par écrit ;
v. le cas échéant, avoir pour objectif le recours, aussi rapidement que possible, à un traitement acceptable par la personne.
Outre les conditions énoncées dans l’article 12.1 ci-dessus, le plan de traitement devrait :
i. dans la mesure du possible, être élaboré après consultation de la personne concernée et, le cas échéant, de sa personne de confiance, ou du représentant de la personne concernée ;
ii. être réexaminé à des intervalles appropriés et, si nécessaire, modifié, chaque fois que cela est possible, après consultation de la personne concernée, et, le cas échéant, de sa personne de confiance, ou du représentant de la personne concernée.
Les Etats membres devraient s’assurer que les traitements involontaires ne sont effectués que dans un environnement approprié.
Article 20 – Procédures pour la prise de décision sur le placement et/ou le traitement involontaires
Décision
La décision de soumettre une personne à un placement involontaire devrait être prise par un tribunal ou une autre instance compétente. Le tribunal ou l’autre instance compétente devrait :
i. prendre en considération l’avis de la personne concernée ;
ii. prendre sa décision selon les procédures prévues par la loi, sur la base du principe suivant lequel la personne devrait être vue et consultée.
La décision de soumettre une personne à un traitement involontaire devrait être prise par un tribunal ou une autre instance compétente. Le tribunal ou l’autre instance compétente devrait :
i. prendre en considération l’avis de la personne concernée ;
ii. prendre sa décision selon les procédures prévues par la loi, sur la base du principe suivant lequel la personne devrait être vue et consultée.
Toutefois, la loi peut prévoir que, lorsqu’une personne fait l’objet d’un placement involontaire, la décision de la soumettre à un traitement involontaire peut être prise par un médecin possédant les compétences et l’expérience requises, après examen de la personne concernée, en prenant en considération l’avis de cette personne.
Toute décision de soumettre une personne à un placement ou à un traitement involontaires devrait être consignée par écrit et indiquer la période maximale au-delà de laquelle, conformément à la loi, elle doit être officiellement réexaminée. Cela s’entend sans préjudice des droits de la personne aux réexamens et aux recours, en accord avec les dispositions de l’article 25.
Procédures préalables à la décision
Le placement ou le traitement involontaires, ou leur prolongation, ne devraient être possibles que sur la base d’un examen par un médecin possédant les compétences et l’expérience requises, et en accord avec des normes professionnelles valides et fiables.
Ce médecin ou l’instance compétente devrait consulter les proches de la personne concernée, sauf si cette dernière s’y oppose, si cela ne peut être réalisé pour des raisons pratiques ou si, pour d’autres raisons, cela n’est pas approprié.
Tout représentant de cette personne devrait être informé et consulté.
Article 22 – Droit à l’information
Les personnes qui font l’objet d’un placement ou d’un traitement involontaires devraient être rapidement informées oralement et par écrit de leurs droits et des voies de recours qui leur sont ouvertes.
Elles devraient être informées de manière régulière et appropriée des raisons qui ont motivé la décision et des critères retenus pour sa prolongation ou son interruption éventuelle.
Le représentant de la personne, le cas échéant, devrait également recevoir ces informations.
Article 24 – Arrêt du placement et/ou du traitement involontaires
Il devrait être mis fin au placement ou au traitement involontaires si l’un des critères justifiant cette mesure n’est plus rempli.
Le médecin responsable des soins de la personne devrait aussi vérifier si l’un des critères pertinents n’est plus rempli, à moins qu’un tribunal ne se soit réservé la responsabilité de l’examen des risques de dommage grave pour autrui ou qu’il n’ait confié cet examen à une instance spécifique.
Sauf si la levée d’une mesure est soumise à une décision judiciaire, le médecin, l’autorité responsable et l’instance compétente devraient pouvoir agir, sur la base des critères énoncés ci-dessus, pour mettre fin à l’application de cette mesure.
Les États membres devraient s’efforcer de réduire au minimum, chaque fois que cela est possible, la durée du placement involontaire, au moyen de services de post-cure appropriés.
E. Les rapports relatifs aux visites effectuées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT »)
Les rapports relatifs aux visites effectuées en République tchèque
Lors d’aucune des visites mentionnées ci-dessous, le CPT n’a visité l’hôpital psychiatrique de Šternberk.
a) Le rapport du CPT relatif à sa visite du 27 mars au 7 avril 2006 et du 21 au 24 juin 2006, publié le 12 juillet 2007 (CPT/Inf (2007) 32)
(...)
Treatment of sex offenders
(...)
107. All the sex offenders in both hospitals had undergone libidinal suppressant treatment (also referred to as ‘chemical castration’). While such treatment appeared to be routine, surgical castration could, exceptionally, also be applied. Both patients and staff told the CPT’s delegation that, in principle, all patients would be treated with medication to reduce their libido, thus rendering them more receptive to psychotherapy and other non-medicinal interventions. However, a few patients, most notably those who had committed murder, were encouraged to consider surgical castration.
(...)
109. The CPT considers that medical interventions, and in particular medical interventions which have irreversible effects on persons deprived of their liberty, should as a rule only be carried out with their free and informed consent. Given the particularly vulnerable position of persons deprived of their liberty in this regard, it should be ensured that the patient’s consent is not directly or indirectly given under duress and that the patient receives all the necessary information when making his decision. Furthermore, the Committee considers that the concept of ‘free and informed’ consent is hardly reconcilable with a situation in which the options open to an individual are extremely limited: surgical castration or possible indefinite confinement in a psychiatric hospital.
In the Czech Republic there were no legal norms (such as ministerial regulations), professional guidelines, or ethical codes in place with respect to the application of surgical castration apart from the provisions of Sector 27a of the “Law on the care for the People’s Health”, whereas the administration of libidinal suppressant medication appeared not to be subject to any legal provisions. Important procedural safeguards with respect to the administration of libidinal suppressant medication to ensure free and informed consent, such as: the type of information that should be given to the patient (including minimum requirements concerning the quality of such information); inclusion and exclusion criteria for such an intervention or treatment; and access to outside consultation (including a second opinion), remain therefore insufficiently regulated.
The CPT recommends that the Czech authorities elaborate a comprehensive and detailed procedure (including proper safeguards) with respect to libidinal suppressant treatment, which should include provisions on:
- criteria for inclusion and exclusion for such treatment;
- information to be given to the patient;
- medical examinations before and after treatment;
- access to outside consultation, including an independent second opinion.
110. In the course of the visit, it was not possible to provide the delegation with statistics relating to sexual offenders, who had been either chemically or surgically castrated. In particular statistics on their rate of re-conviction (for a sexual offence which involves violence against persons) and the exact number of these two types of medical intervention carried out each year appeared to be unavailable.
(...)
b) Le rapport du CPT relatif à sa visite du 25 mars au 2 avril 2008, publié le 5 février 2009 (CPT/Inf (2009) 8)
(...)
A. Treatment of sex-offenders
(...)
Legal context
(...)
b. protective treatment
Surgical castration after a sexual offence usually takes place in the context of a measure of protective treatment. This penal measure has already been described in the CPT’s report on the 2002 visit to the Czech Republic. Nevertheless, it is helpful to recall its main features. Protective treatment constitutes mandatory hospitalisation in a psychiatric hospital for persons held to be partially or fully criminally irresponsible for their acts. As Czech law does not provide for a minimum severity threshold, protective treatment may be imposed for all types of offences, including those of a relatively minor or non-violent nature. Protective treatment often follows a prison sentence, but the measure may also be directly imposed by a court.
In the past, the CPT has criticised various aspects of the protective treatment measure: the absence of a regular review of involuntary admission for the purpose of protective treatment; and the understanding of many health-care professionals and lawyers that a placement in a psychiatric hospital under Article 72 implies an authorisation to treat patients without their consent.
In response to the concerns raised in the CPT’s 2006 visit report, the Czech authorities stated that the legal provisions regarding protective treatment would be amended. Indeed, in the course of the 2008 visit, the CPT’s delegation was informed that on 1 January 2009 a new Article 72 of the Penal Code would enter into force. The revised Article 72 will limit the duration of a protective treatment measure to a maximum of two years. After this period, the patient will be discharged automatically, unless the competent court decides to prolong the measure by another two years. If the court assesses that a released patient continues to pose a risk to society, a discharge from protective treatment may be accompanied by a court-imposed supervision for a maximum duration of five years.
The new legislation would appear to meet some of the issues raised by the CPT in the past. However, it does not address the concern of the CPT that involuntary placement in a psychiatric hospital under criminal law provisions should not include an authorisation for health care staff to impose treatment options on such patients. Patients involuntarily placed in a psychiatric hospital should, as a matter of principle, be placed in a position to give their free and informed consent to treatment options. Every competent patient should be fully informed about the treatment that is intended to be prescribed and given the opportunity to refuse treatment options or any other medical intervention. Any derogation from this fundamental principle should be based upon law and only relate to clearly and strictly defined exceptional circumstances. (...)
(...)
Main features of the treatment of sex-offenders
The treatment of sex-offenders sentenced to protective treatment is the responsibility of “sexologists” (i.e. qualified psychiatrists with a specialisation in the treatment of deviant sexual behaviour), in association with nurses and psychologists. Treatment of persons on protective treatment usually takes place in a psychiatric hospital and, with one exception, Czech prisons do not offer treatment to sex-offenders.
(...)
The treatment of deviant sexual behaviour was found to be well-structured in the establishments visited. In general, it followed a plan drawn up after an extensive diagnostic evaluation, based on interviews with the patient, the examination of written reports, such as police reports, a phallometric test, testimony from the victim and various psychological tests. However, the delegation also met with surgically castrated patients who had not undergone such an extensive diagnostic evaluation.
The treatment focuses on altering the offenders’ system of sexual motivation in order to address the underlying sexual deviation; in particular, patients must go through a process of learning about human sexuality and its disorders. In such an approach, the offence is an expression of the sexual deviation; consequently, the precise nature of the offence is of lesser importance.
The treatment included psychotherapy, group therapy and pharmacological interventions. In Bohnice and Havlíčkův Brod Psychiatric Hospitals, patients could benefit from a progressive regime with increasing privileges; patients who demonstrated clear motivation could benefit from a period of leave of up to 72 hours relatively shortly after their initial placement.
Anti-androgens were commonly administered in the psychiatric hospitals visited; at Kuřim Prison anti-androgens are only administered in the six months before transfer to a psychiatric hospital due to financial limitations.
The CPT’s delegation did not examine in detail the administration of anti-androgens in the establishments visited. However, in general, the CPT considers that anti-androgen treatment should always be based on a thorough individual psychiatric and medical assessment and that such medication should be given on a purely voluntary basis. As should be the case before starting any medical treatment, the patient should be fully informed of all the potential effects and side effects and should be able to withdraw his consent and have his treatment discontinued at any time. Further, the administration of anti-androgens should be combined with psychotherapy and other forms of counselling in order to further reduce the risk of re-offending. Also, anti-androgen treatment should not be a general condition for the release of sex-offenders, but administered to selected individuals based on an individual assessment. The CPT recommends that the administration of anti-androgen treatment to patients on protective treatment be reviewed, in the light of the above remarks.
(...)
Conclusion
In the Czech Republic, the treatment of sex-offenders under protective treatment is a system developed and carried out by dedicated professionals. The treatment follows treatment plans, which are based on an extensive diagnostic evaluation, and can include psychotherapy.
However, the CPT is firmly opposed to one aspect of the treatment of sex-offenders in the Czech Republic, namely the application of surgical castration.
(...)
c) Le rapport du CPT relatif à sa visite du 7 au 16 septembre 2010, publié le 18 février 2014 (CPT/Inf (2014) 3)
(...)
E. Psychiatric establishments
(...)
Safeguards
118. As was the case during previous visits to the Czech Republic, patients may be subjected to involuntary hospitalisation under either Section 191 a-g of the Civil Procedure Code or, in the case of mentally ill offenders, following the imposition of the penal law measure of protective treatment, in conformity with Section 99 of the Criminal Code.
As regards the latter measure, in its 2002 visit report, the CPT assessed the legal safeguards surrounding protective treatment, and recommended that the Czech authorities provide an automatic review of the measure at regular intervals. The CPT is pleased to find that this recommendation was implemented in the 2009 Criminal Code: Section 99 (6) of the Code indicates that a court may impose “protective treatment” for a maximum of two years. If the measure has not been brought to an end before the expiration of that period, the measure may be prolonged by periods lasting a maximum of two years each, in theory indefinitely.
119. Involuntary treatment continues to be regulated by Section 23 (4) of the 1966 Law on the Care for People’s Health. This provision has not changed since the 2006 visit.
At the time of the 2006 visit, the CPT observed that the legislation in place was frequently interpreted as if consent to treatment was not required in the event of involuntary hospitalisation. (...)
However, as has already been reported by the Czech Ombudsman, the relevant paper forms have not yet been adapted and patients continue to sign general consent forms. The CPT recommends that for all medical interventions that require patients’ consent, a specific form be introduced, which should stipulate that full information about the treatment has been received by the patient and that the patient has the right to withdraw consent previously given. These precepts should also be included in the future mental-health legislation.
Les rapports relatifs aux visites effectuées dans d’autres pays
a) Le rapport du CPT relatif à sa visite du 11 au 20 février 2008 au Danemark, publié le 25 septembre 2008 (CPT/Inf (2008) 26)
(...)
The Herstedvester Institution
The focused follow-up visit to the Herstedvester Institution concentrated on two issues which had provoked the CPT’s concern in the past: the treatment of sexual offenders undergoing anti-hormone therapy, and the situation of prisoners from Greenland. In its reports on the visits in 1990 and 1996, the Committee considered these issues in detail and made a number of comments and recommendations in respect of them.
a. treatment of sexual offenders undergoing anti-hormone therapy
In the 1996 visit report, the CPT stressed that ensuring that patients’ consent to medical treatment is genuinely free and informed was a particularly acute issue in establishments such as the Herstedvester Institution in which patients constituted a "captive" group. The consent given by patients of that category may be influenced by their penal situation, especially if they were facing a long - or even indeterminate - period of imprisonment. The Committee recommended that steps be taken to ensure that the signed consent of patients was obtained prior to the commencement of treatment with libido-suppressing drugs, and that such persons be given a detailed explanation (including in writing) of all recognised adverse effects of the drugs concerned. Further, the CPT stressed that additional safeguards (e.g. the support of a system of lay/legal "advocates") should exist to ensure that the consent given by such prisoners to medical treatment can be as free and informed as possible in the circumstances.
During the 2008 visit to the Herstedvester Institution, the delegation interviewed four sex offenders undergoing treatment with libido-suppressing drugs (including one who had been released on parole and who was attending the institution as an outpatient), as well as two others waiting to start treatment and six who had refused treatment.
As regards the first group, the signed consent of persons concerned had been obtained prior to the commencement of treatment. However, it appeared that they had accepted the treatment as a “ticket to freedom” (i.e. release on parole or transfer to an open prison) rather than as a treatment for something which was wrong with them, not to speak of an illness. They indicated that they met a psychologist at varying intervals (from once every two weeks to once every two months), but that they did not take part in group therapy. Consultations with a psychiatrist were reportedly rare. All of them had been informed of the possible adverse side-effects effects of the treatment (i.e. bone decalcification, dose-dependent liver damage, weight gain, breast enlargement and hot flushes), but some felt that the information was not complete and feared that the treatment was dangerous for them. Some of them were experiencing side-effects for which they were receiving medication.
From the group of prisoners waiting to start treatment, one prisoner stated that he had not received any information in writing about the treatment, but after a number of meetings with his case worker and a psychologist, he had decided to follow it because of having been told that he can be transferred to an open prison.
Some of the prisoners who had refused the treatment because they could not come to terms with its adverse side-effects indicated that they had felt pressured to accept it.
At the end of the visit, the CPT’s delegation stressed that awareness of the possible health benefits and risks of anti-hormone therapy is essential for consent to treatment to be truly informed.
In response to the delegation’s preliminary observations, the Danish authorities indicated that the conditions for offering libido-suppressing treatment to prisoners are very restrictive and only two to four inmates a year commence this treatment. Medical libido-suppressing treatment is only offered when all other options have been exhausted or are deemed insufficient to counter the risk of relapse into sexual offences. Combined with psychotherapy, the libido-suppressing treatment is intended to prevent the sexual offender from having compulsive and violent sexual fantasies while suppressing the sexual libidinal pressure, so as to avoid new sexual offences.
According to the authorities, treatment is only commenced when the inmate has given his written informed consent. During a consultation with an external endocrinologist, the inmate is briefed on the effects and side-effects of the medicine orally and in writing, whereupon the inmate is invited to sign a statement confirming that he has received such a briefing and that he is willing to receive the treatment. In Denmark, the person’s consent is a condition for the treatment of persons of unsound mind. This also applies to persons who undergo libido-suppressing treatment. Typically, however, the inmate is motivated by the fact that he cannot obtain permission for leave, release on parole or conditional discharge without commencing libido-suppressing treatment.
Since 1997, all cases concerning libido-suppressing treatment as a condition for release are submitted to the Medico-Legal Council for approval. The Medico-Legal Council, which is an independent body, considers whether psychotherapeutic treatment is sufficient to reduce the risk of relapse into similar dangerous crime. Medical libido-suppressing treatment can start only if the Council agrees that it is necessary.
In the opinion of the Herstedvester Institution, most of the inmates undergoing libido-suppressing treatment benefit from the psychotherapeutic element of the treatment. The therapeutic element of the treatment has several purposes, including assessing whether the inmate’s mental condition changes in connection with the medical element of the treatment. Libido-suppressing treatment is typically given over a long period, and some inmates may therefore feel that a long time passes before liberty privileges are granted. This may be perceived as highly frustrating by the inmate, who might get the impression of not benefiting from the treatment.
The CPT has taken note of the explanations provided by the Danish authorities. They would indicate that the medical libido-suppressing treatment of sex offenders is at present surrounded by appropriate safeguards. Nevertheless, in the light of the information obtained by the delegation during the visit to the Herstedvester Institution, the Committee considers that more attention should be paid to ensuring that these safeguards are being fully respected in practice. In particular, special care should be taken to make sure that prisoners’ consent to medical libido-suppressing treatment is genuinely free and informed. In this connection, the provision of full information (oral and written) on the known adverse effects – as well as the possible benefits – of the treatment, should be improved. Further, no prisoner should be put under undue pressure to accept medical libido-suppressing treatment.
Moreover, in addition to drug treatment, efforts should be made to step up psychotherapy and counselling with a view to reducing the risk of re-offending.
(...)
b) Le rapport du CPT relatif à sa visite du 15 au 22 septembre 2008 au Monténégro, publié le 9 mars 2010 (CPT/Inf (2010) 3)
103. As previously stressed by the CPT, psychiatric patients should, as a matter of principle, be placed in a position to give their free and informed consent to treatment. The admission of a person to a psychiatric establishment on an involuntary basis - be it in the context of civil or criminal proceedings - should not preclude seeking informed consent to treatment. Every competent patient, whether voluntary or involuntary, should be fully informed about the treatment which it is intended to prescribe and given the opportunity to refuse the treatment or any other medical intervention. Any derogation from this fundamental principle should be based upon law and only relate to clearly and strictly defined exceptional circumstances. (...) | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1963 et réside à Rheinau.
A. La procédure pénale contre le requérant
En 1989, le requérant fut diagnostiqué d’une schizophrénie paranoïde. En 1994, et une seconde fois en 1999, il blessa gravement sa mère avec un marteau et une hache. Dans une expertise psychiatrique, en date du 20 septembre 1999, deux médecins psychiatres constatèrent que le requérant nécessitait un traitement consistant en la prise de médicaments et des entretiens thérapeutiques. Dans son expertise complémentaire du 30 décembre 1999, l’un des deux psychiatres précisa que le risque de rechute dépendait essentiellement du contrôle thérapeutique des symptômes, en particulier hallucinatoires, considérés comme dangereux, et préconisa une prise de médicaments constante et contrôlée.
Après avoir également attaqué un agent de police en 2001, le requérant fut placé auprès de la clinique psychiatrique Königsfelden, dans le Canton d’Aargau, et ensuite transféré au Centre de psychiatrie légale de Rheinau (le « Centre de Rheinau »), dans le Canton de Zürich : un établissement spécialisé dans le traitement des délinquants souffrant de troubles psychiatriques.
Le 11 septembre 2001, le Tribunal d’arrondissement de Baden (canton d’Argovie) condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de cinq ans et à une amende de 600 francs suisses (CHF) pour tentative de meurtre, tentative de lésions corporelles graves, violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires ainsi que dommages mineurs à la propriété. La peine d’emprisonnement fut suspendue au profit d’une « mesure thérapeutique institutionnelle » sur la base de l’ancien article 43 du Code pénal (« CP »), remplacé par l’article 59 CP le 1er janvier 2007. Le Tribunal d’arrondissement de Baden fonda sa décision notamment sur l’expertise du 20 septembre 1999, sur une deuxième expertise du 30 décembre de la même année et sur les dépositions du médecin traitant du requérant.
Les recours du requérant et du parquet du canton d’Argovie furent rejetés par le Tribunal cantonal d’Argovie (le « Tribunal cantonal ») le
27 juin 2002.
B. La prolongation de la mesure thérapeutique institutionnelle
Le 15 mai 2007, à l’expiration de la durée initiale de la mesure, le Département de l’économie et de l’intérieur du Canton d’Argovie refusa la libération conditionnelle du requérant et exigea le renouvellement de la mesure thérapeutique institutionnelle pour cinq ans. Le requérant sollicita de son côté une prolongation de la mesure pour deux ans maximum.
Par arrêt du 21 octobre 2008, le Tribunal d’arrondissement de Baden prolongea la mesure thérapeutique institutionnelle mais seulement jusqu’au 31 décembre 2010, considérant qu’une prolongation de cinq ans ne serait pas proportionnée. Il se fonda sur les conclusions d’un rapport d’expertise établi par le Centre de Rheinau du 8 juillet 2008 et consigné par les Drs H., médecin chef, et S., ainsi que par le médecin assistant Z. Ces conclusions furent confirmées dans un nouveau rapport d’expertise, en date du 30 juillet 2009, co-signé par les Drs H. et S.
Le 20 août 2009, le Tribunal cantonal admit le recours du parquet du Canton d’Argovie tendant à ce que la mesure soit prolongée de cinq ans et la prolongea par conséquent jusqu’au 1er juin 2012.
Le 26 février 2010, sur recours du requérant, le Tribunal fédéral annula le jugement du Tribunal cantonal du 20 août 2009. Le Tribunal fédéral constata que l’instance inférieure avait violé le principe de la proportionnalité en ne prenant pas en considération la possibilité qu’une prolongation de moins de cinq ans puisse être suffisante pour atteindre le but visé. L’affaire fut renvoyée devant le Tribunal cantonal.
Le 11 mars 2010, le Tribunal cantonal décida de demander un rapport au Centre de Rheinau sur la question de la proportionnalité et de la nécessité d’une prolongation de la mesure pour une durée de cinq ans. Dans leur réponse, en date du 16 mars 2010, les Drs H. et S. confirmèrent les conclusions de l’expertise détaillée faite en 2008 et expliquèrent qu’à leurs yeux un nouveau rapport d’expertise complet n’était pas nécessaire en considération du fait que l’état du requérant ne s’était pas amélioré. Ils restaient de l’avis que le requérant devait faire l’objet d’une thérapie à long terme en milieu fermé et que, par conséquent, le prolongement pour cinq ans de la mesure institutionnelle s’imposait. Afin d’éviter tout soupçon de partialité, les Drs H. et S. suggérèrent au Tribunal cantonal d’ordonner, le cas échéant, une expertise externe. Au vu de l’avis exprimé par les Drs H. et S., le Tribunal cantonal estima qu’une nouvelle expertise n’était pas nécessaire et se fonda, dans son arrêt du 19 avril 2010, principalement sur les rapports médicaux de juillet 2008 et juillet 2009. Le tribunal confirma les conclusions auxquelles il était parvenu dans son arrêt du 20 août 2009 et maintint la décision de prolonger la mesure institutionnelle de cinq ans. Il argua que les rapports médicaux établis indiquaient qu’une hospitalisation de moins de cinq ans ne serait pas suffisante pour un développement positif de l’état de santé du requérant.
Le 4 juin 2010, le requérant interjeta un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre ce dernier arrêt. Selon lui, la prolongation de la mesure de cinq ans n’était pas proportionnée. En n’ordonnant pas une expertise externe et en se fondant sur les rapports médicaux de 2008 et 2009, le Tribunal cantonal aurait agi arbitrairement et violé le droit du requérant d’être entendu. La prolongation de la mesure en violation du principe de proportionnalité contrevenait à son droit à la liberté protégé par l’article 31 § 1 de la Constitution et par l’article 5 § 1 de la Convention.
Le 4 octobre 2010, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant. Il considéra que l’instance inférieure n’était pas obligée d’ordonner une expertise extérieure. Le requérant n’avait pas démontré qu’une telle expertise été nécessaire et le Tribunal cantonal avait suffisamment établi le risque que le requérant constituait pour l’ordre et la sécurité publics. La décision du Tribunal cantonal n’était pas arbitraire et ne violait pas le droit du requérant d’être entendu. En ce qui concerne la proportionnalité de la prolongation de la mesure, le Tribunal fédéral considéra que l’instance inférieure avait suffisamment justifié sa conclusion que seul le maintien hospitalier pendant cinq ans aurait permis d’atteindre un degré de guérison ou de stabilisation pouvant laisser envisager la libération conditionnelle du requérant. La maladie du requérant ne pouvait pas être distinguée de la question du risque qu’il représentait. La prolongation de la mesure n’était donc pas disproportionnée et ne violait ni l’article 31 § 1 de la Constitution, ni l’article 5 § 1 de la Convention.
C. Développements ultérieurs
Après l’introduction de sa requête, le requérant a informé la Cour qu’en juillet 2012, à l’expiration de la période de cinq ans, objet des décisions litigieuses, le Tribunal d’arrondissement de Baden avait prononcé une nouvelle extension de la mesure institutionnelle, cette fois-ci de trois ans. Dans sa décision, le tribunal n’avait suivi ni les conclusions du procureur, qui avait demandé une prolongation de cinq ans, ni celles du requérant, qui avait demandé une prolongation de deux ans. La décision s’appuyait sur un nouveau rapport d’expertise psychiatrique, établi le 25 juillet 2011 par le Dr K., une psychiatre externe. Le Dr K. avait confirmé pour l’essentiel les diagnostiques précédents et préconisé, une nouvelle fois, une thérapie en milieu fermé afin de garantir la prise régulière de médicaments et un encadrement étroit.
Le requérant décida de ne pas faire appel de cette décision pour ne pas compromettre ses chances de transfert vers un hôpital psychiatrique.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le Code pénal du 21 décembre 1937 (version en vigueur au moment de la décision litigieuse)
Chapitre 2 Mesures
Section 1 Mesures thérapeutiques et internement
Article 56 (principes)
« 1 Une mesure doit être ordonnée :
a. si une peine seule ne peut écarter le danger que l’auteur commette d’autres infractions ;
b. si l’auteur a besoin d’un traitement ou que la sécurité publique l’exige et
c. si les conditions prévues aux art[icles] 59 à 61, 63 ou 64 sont remplies.
2 Le prononcé d’une mesure suppose que l’atteinte aux droits de la personnalité qui en résulte pour l’auteur ne soit pas disproportionnée au regard de la vraisemblance qu’il commette de nouvelles infractions et de leur gravité.
3 Pour ordonner une des mesures prévues aux art[icles] 59 à 61, 63 et 64 ou en cas de changement de sanction au sens de l’art[icle] 65, le juge se fonde sur une expertise (...)
4 Si l’auteur a commis une infraction au sens de l’art[icle] 64, al[inéa] 1, l’expertise doit être réalisée par un expert qui n’a pas traité l’auteur ni ne s’en est occupé d’une quelconque manière.
4bisSi l’internement à vie au sens de l’art. 64, al. 1bis, est envisagé, le juge prend sa décision en se fondant sur les expertises réalisées par au moins deux experts indépendants l’un de l’autre et expérimentés qui n’ont pas traité l’auteur ni ne s’en sont occupés d’une quelconque manière. (...) »
Article 59 (Mesures thérapeutiques institutionnelles. Traitement des troubles mentaux)
« 1 Lorsque l’auteur souffre d’un grave trouble mental, le juge peut ordonner un traitement institutionnel aux conditions suivantes :
a. l’auteur a commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble ;
b. il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble. »
2 Le traitement institutionnel s’effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures.
3 Le traitement s’effectue dans un établissement fermé tant qu’il y a lieu de craindre que l’auteur ne s’enfuie ou ne commette de nouvelles infractions. Il peut aussi être effectué dans un établissement pénitentiaire au sens de l’art. 76, al. 2, dans la mesure où le traitement thérapeutique nécessaire est assuré par du personnel qualifié.
4 La privation de liberté entraînée par le traitement institutionnel ne peut en règle générale excéder cinq ans. Si les conditions d’une libération conditionnelle ne sont pas réunies après cinq ans et qu’il est à prévoir que le maintien de la mesure détournera l’auteur de nouveaux crimes ou de nouveaux délits en relation avec son trouble mental, le juge peut, à la requête de l’autorité d’exécution, ordonner la prolongation de la mesure de cinq ans au plus à chaque fois. »
Article 62d (examen de la libération et de la levée de la mesure)
« 1 L’autorité compétente examine, d’office ou sur demande, si l’auteur peut être libéré conditionnellement de l’exécution de la mesure ou si la mesure peut être levée et, si tel est le cas, quand elle peut l’être. Elle prend une décision à ce sujet au moins une fois par an. Au préalable, elle entend l’auteur et demande un rapport à la direction de l’établissement chargé de l’exécution de la mesure.
2 Si l’auteur a commis une infraction prévue à l’art[icle] 64, al[inéa] 1, l’autorité compétente prend une décision sur la base d’une expertise indépendante, après avoir entendu une commission composée de représentants des autorités de poursuite pénale, des autorités d’exécution et des milieux de la psychiatrie. L’expert et les représentants des milieux de la psychiatrie ne doivent ni avoir traité l’auteur ni s’être occupés de lui d’une quelconque manière. »
Article 64 (Internement. Conditions et exécution)
« 1 Le juge ordonne l’internement si l’auteur a commis un assassinat, un meurtre, une lésion corporelle grave, un viol, un brigandage, une prise d’otage, un incendie, une mise en danger de la vie d’autrui, ou une autre infraction passible d’une peine privative de liberté maximale de cinq ans au moins, par laquelle il a porté ou voulu porter gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui et si :
a. en raison des caractéristiques de la personnalité de l’auteur, des circonstances dans lesquelles il a commis l’infraction et de son vécu, il est sérieusement à craindre qu’il ne commette d’autres infractions du même genre, ou
b. en raison d’un grave trouble mental chronique ou récurrent en relation avec l’infraction, il est sérieusement à craindre que l’auteur ne commette d’autres infractions du même genre et que la mesure prévue à l’art[icle] 59 semble vouée à l’échec (...) »
B. Jurisprudence pertinente du Tribunal fédéral
Dans un arrêt du 8 janvier 2009 (ATF 135 IV 139), le Tribunal fédéral s’est notamment exprimé ainsi :
Consid. 2.1 :
« Contrairement à l’ancien droit, le traitement thérapeutique institutionnel ne saurait être maintenu sans examen au-delà de la durée de cinq ans. Plutôt, après l’écoulement de cette durée, cette mesure nécessite un examen judiciaire. Si elle s’avère encore nécessaire et apte, notamment au vu de l’état psychologique de la personne concernée et du risque de récidive, la mesure peut être prolongée chaque fois pour cinq ans au maximum. A ce propos, au-delà de l’examen ordinaire de l’indication de la mesure, le principe de la proportionnalité mérite une attention accrue puisque la prolongation de la mesure a un caractère exceptionnel qui doit être motivé spécialement. Pourtant, un examen par un expert n’est pas impérativement requis (...) »
Consid. 2.4:
« Si comme en l’occurrence les conditions légales sont réunies, le tribunal compétent peut prolonger la mesure selon la teneur de la loi chaque fois pour cinq ans au maximum. De cette formulation il découle d’abord que la prolongation de la mesure ne doit pas impérativement être ordonnée, même si les conditions de l’art. 59 al. 4 CP sont données (« Kann-Vorschrift »). Le tribunal devra peser si le danger émanant de la personne concernée peut justifier l’atteinte à ses droits fondamentaux liée à la prolongation de la mesure. A cet égard, seul le danger de délits relativement graves peut justifier une prolongation. (...). Le principe de la proportionnalité ne doit pas seulement être observé pour ordonner une prolongation de la mesure mais aussi concernant sa durée (art. 56 al. 2 CP). Selon la teneur de la loi, (...), la mesure ne peut être prolongée que pour cinq ans au plus. Il s’ensuit sans équivoque que dans un cas donné une prolongation d’une durée inférieure à cinq ans peut également entrer en ligne de compte. (art. 56 al. 2 CP). »
Consid. 2.2.1 :
« La possibilité prévue par la loi pour prolonger des mesures se rattache par conséquent à deux conditions. La prolongation requiert d’abord que les conditions pour une libération conditionnelle selon l’art. 62 CP ne soient pas encore remplies, c’est-à-dire qu’il ne peut encore, de façon prospective, être établi de pronostic favorable pour l’auteur ».
Consid. 2.3.1 :
« Afin de prolonger une mesure institutionnelle, il faut en plus, au sens de l’art. 59 al. 4 CP, qu’il puisse être prévu que le maintien de la mesure détournera l’auteur de nouveaux crimes ou de nouveaux délits en relation avec son trouble mental ». | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La situation du requérant, son emploi et le non-renouvellement de son contrat
Le requérant est né en 1937 et réside à Cieza. Il est marié et père de cinq enfants.
Il fut ordonné prêtre en 1961. En 1984, il sollicita auprès du Vatican une dispense de l’obligation de célibat. À cette époque, il ne reçut pas de réponse. L’année d’après, il contracta un mariage civil. Il a eu cinq enfants avec la femme qui est toujours son épouse. Les parties n’ont pas fourni de précisions sur sa situation de prêtre non bénéficiaire d’une dispense.
À partir d’octobre 1991, le requérant enseigna la religion et la morale catholiques dans un lycée public de la région de Murcie, sur la base d’un contrat de travail annuel renouvelable. Aux termes des dispositions de l’Accord conclu en 1979 entre l’Espagne et le Saint-Siège, « [l]’enseignement religieux est dispensé par les personnes qui, chaque année scolaire, sont désignées par l’autorité administrative parmi celles proposées par l’ordinaire du diocèse » (paragraphe 50 ci-dessous). Selon un arrêté ministériel de 1982, « [c]ette nomination a un caractère annuel et est renouvelée automatiquement, sauf avis contraire rendu par ledit ordinaire avant le début de l’année scolaire, et sauf si l’administration, pour des raisons académiques et disciplinaires graves, estime nécessaire d’annuler la nomination, auquel cas l’autorité ecclésiastique est entendue (...) » (paragraphe 51 ci-dessous). En outre, l’article VII de l’Accord énonce ce qui suit : « À tous les niveaux d’éducation, le traitement alloué aux professeurs de religion catholique qui n’appartiennent pas aux corps enseignants de l’État est déterminé par accord entre l’administration centrale et la Conférence épiscopale espagnole, afin qu’il soit applicable dès l’entrée en vigueur du présent Accord » (paragraphe 50 ci-dessous).
En novembre 1996, le journal La Verdad de Murcie consacra au « Mouvement pro-célibat optionnel » des prêtres (MOCEOP) un article qui se lisait ainsi :
« Le monastère de La Luz empêche les prêtres mariés d’utiliser ses bâtiments pour la messe
Un représentant du diocèse a expliqué que le caractère protestataire du rassemblement risquait de perturber la paix du monastère.
M. DE LA VIEJA – MURCIE
Le père Francisco Tomás, qui dirige la communauté des frères de La Luz, à Murcie, a refusé l’accès au monastère à une centaine de prêtres mariés qui souhaitaient y célébrer la messe et y passer la journée avec leurs épouses et leurs enfants. Francisco Tomás a déclaré que le monastère était un lieu de culte privé et que les prêtres n’avaient pas demandé l’autorisation requise. Il a ajouté que, compte tenu de l’âge avancé du frère Manuel (quatre-vingts ans), le seul moine résidant à La Luz, il estimait inopportune la tenue d’un rassemblement qui risquait de troubler la paix du monastère en raison de la publicité donnée à la manifestation et des visées protestataires du « Mouvement pro-célibat optionnel ».
Hier, Francisco Tomás, délégué épiscopal chargé du patrimoine culturel, a refusé d’autoriser les membres du « Mouvement pro-célibat optionnel » (Moceop) à célébrer la messe à l’intérieur du monastère de La Luz, à El Valle. Le père Tomás a expliqué que les prêtres mariés n’avaient pas sollicité l’autorisation d’utiliser l’église du monastère. De plus, le Mouvement avait l’intention de profiter au maximum de la journée pour tenir une réunion d’information sur le IVe Congrès international des prêtres mariés, tenu à Brasilia en juillet dernier et qui avait pour thème « Les prêtres du troisième millénaire ».
Francisco Tomás a également expliqué qu’un seul moine, âgé de quatre-vingts ans, vivait au monastère et qu’il n’était pas souhaitable de troubler la paix de celui-ci par des protestations qui attireraient l’attention des médias sur ce lieu de culte privé.
Pour sa part, le coordinateur régional du Moceop, Pedro Sánchez González a déclaré que l’autorisation requise avait bien sûr été demandée mais que le Mouvement n’avait pas reçu de réponse et qu’il n’estimait pas qu’une telle permission fût indispensable pour la célébration d’une messe dans un ermitage.
La publicité donnée à cette manifestation dans la presse avait dissuadé de nombreux membres du Mouvement de participer au rassemblement de La Luz. D’autres, voyant les portes du monastère fermées, ont simplement fait signe à leurs confrères sans sortir de leur voiture et ont fait demi-tour. Seule une dizaine de prêtres sécularisés sont restés sur place avec leurs familles pour expliquer leur situation aux médias et aux personnes présentes. Certains de leurs enfants arboraient même une banderole. Ils sont finalement partis déjeuner ensemble, avec l’intention de célébrer la messe entre eux.
Lorenzo Vicente, Pedro Hernández Cano, Crisanto Hernández et José Antonio Fernández – ancien directeur de séminaire – figurent parmi les prêtres mariés qui se sont rassemblés hier à La Luz pour plaider en faveur du célibat optionnel et d’une Église démocratique, plutôt que théocratique, au sein de laquelle les laïcs prendraient part à l’élection du prêtre de leur paroisse et à celle de leur évêque. À leurs yeux, la règle du célibat a été forgée par l’Église et n’est pas de nature divine. Les intéressés ont également exprimé leur désaccord sur certaines questions économiques : « Ceux d’entre nous qui ont payé des cotisations au fonds d’assurance mutuelle du clergé, lequel a par la suite été intégré au système de sécurité sociale, ont perdu tous leurs droits en revenant à la vie laïque. Par ailleurs, les religieuses sont dans une situation pire encore que les prêtres du fait qu’elles font don de leurs biens à la communauté et perdent tout » ont-ils déclaré. »
L’article contenait également l’encadré séparé suivant, sous un autre titre :
« Même le Pape ne pense pas que nous pourrirons en enfer à cause de la sexualité
Sur des questions telles que l’avortement, le contrôle des naissances, le divorce ou la sexualité, Pedro Hernández Cano et ses amis du Moceop se sont prononcés en faveur d’une paternité responsable.
Ils ont ajouté que l’avortement était « une affaire personnelle et ne [devait] pas être interdit par la loi, mais [qu’] une structure sociale [était] nécessaire pour soutenir les femmes confrontées à la maternité. Fustiger une femme comme une pécheresse parce qu’elle tombe enceinte en dehors des liens du mariage ne fait qu’encourager l’avortement ». Les prêtres mariés ont souligné que le contrôle des naissances était clairement nécessaire et qu’« en conséquence tout un chacun devrait pouvoir choisir librement les moyens qui lui conviennent le mieux ».
« La sexualité est un don de Dieu et non un fléau, et même le Pape ne pense pas qu’elle mène à la damnation. S’il le pensait, il n’aurait pas mis en attente les 6 000 demandes actuelles de sécularisation » ont-ils conclu. »
Par un rescrit du 20 août 1997, le Pape accueillit la demande de dispense de célibat que le requérant avait formée treize ans auparavant, précisant que l’intéressé était exempté de l’obligation de célibat et perdait l’« état » clérical. Les droits associés à cet « état », de même que les honneurs et fonctions ecclésiastiques (dignitates et officia ecclesiastica en latin) lui étaient retirés. Il n’était plus soumis aux obligations attachées à l’« état » clérical. Le rescrit indiquait par ailleurs que le requérant ne pourrait plus enseigner la religion catholique dans un établissement public, à moins que l’évêque du lieu n’en décidât autrement pour un établissement de niveau inférieur (in institutis autem studiorum gradus inferioris), « suivant sa prudente appréciation [prudenti iudicio] et sous réserve qu’il n’y [eût] pas de scandale [remoto scandalo] ». Le rescrit fut notifié au requérant le 15 septembre 1997.
Le 29 septembre 1997, une note de l’évêché de Carthagène informa le ministère de l’Éducation de la cessation des fonctions d’enseignant du requérant dans l’établissement scolaire où il travaillait.
Le 9 octobre 1997, le ministère avisa l’intéressé que la cessation de ses fonctions avait pris effet le 29 septembre 1997.
Ultérieurement, dans une note officielle du 11 novembre 1997, l’évêché rappela ce qui suit :
« [Le requérant], prêtre sécularisé, dispensait des cours de religion et de morale catholiques (...) en vertu des pouvoirs conférés aux évêques par les rescrits (...)
Ces pouvoirs (...) peuvent être mis en œuvre pour l’enseignement de disciplines liées à la religion catholique, à condition qu’il n’y ait pas de « risque de scandale ».
Lorsque la situation [du requérant] est devenue publique et notoire, il n’a plus été possible à l’évêque du diocèse d’exercer les pouvoirs conférés par le rescrit ; en conséquence, le document autorisant [le requérant] à enseigner la religion et la morale catholiques n’a pas été signé, ce qui entraîne des effets dès l’année scolaire en cours. La situation personnelle et professionnelle [du requérant] a aussi été prise en compte, puisque l’intéressé aura droit à des indemnités de chômage pendant au moins un an et demi.
L’évêché de Carthagène déplore cet état de choses mais souligne que la décision a été prise également par égard pour la sensibilité de nombreux parents qui pourraient être contrariés en prenant connaissance de la situation [du requérant], qui enseigne la religion et la morale catholiques dans un établissement scolaire.
Enfin, l’évêché espère que le peuple chrétien et la société en général comprendront que les circonstances entourant les faits en question ne peuvent pas être appréciées uniquement du point de vue professionnel. Pour l’Église catholique, le sacrement de l’ordre sacerdotal revêt un caractère qui dépasse le cadre strictement professionnel ».
Le directeur du lycée où le requérant avait enseigné adressa à l’évêque de Murcie une note dans laquelle le conseil des professeurs de l’établissement faisait part de son soutien à l’intéressé et déclarait que celuici avait assuré ses cours pendant l’année scolaire 1996/1997 à l’entière satisfaction des professeurs, des élèves et de leurs parents, ainsi que de la direction du lycée.
Dans un premier temps, le requérant vécut des indemnités de chômage. En 1999, il trouva un emploi dans un musée, où il travailla jusqu’à son départ à la retraite en 2003.
B. La procédure judiciaire
Ayant contesté sans succès, au niveau administratif, la décision ministérielle de mettre fin à ses fonctions, le requérant saisit une juridiction administrative d’un recours contre cette mesure. Il fut débouté le 30 juin 2000, au motif que la décision de formaliser la cessation de ses fonctions avait été « la seule option qui s’offrait aux autorités administratives » après la décision de l’évêché de ne pas proposer sa nomination.
Le requérant engagea ensuite une procédure pour licenciement abusif devant le juge du travail no 3 de Murcie. Celui-ci rendit son jugement le 28 septembre 2000.
Le juge commença par se pencher sur les faits tels qu’établis et releva que le requérant avait occupé plusieurs postes au sein de l’Église catholique, tels que celui de directeur du séminaire de Murcie et celui de vicaire épiscopal de la région de Cieza et Yecla. Il fit en outre remarquer que l’intéressé était membre du MOCEOP.
Le juge rappela ensuite les arguments avancés par l’évêché pour justifier le non-renouvellement du contrat du requérant, à savoir le fait que celui-ci avait rendu publique sa situation de « prêtre marié » (l’intéressé n’ayant reçu la dispense du Vatican qu’en 1997) et père de famille, associé à la nécessité d’éviter le scandale et de ménager la sensibilité des parents des élèves du lycée, laquelle risquait d’être heurtée si le requérant continuait à dispenser des cours de religion et de morale catholiques. À cet égard, le juge s’exprima ainsi :
« (...) [I]l ressort des faits exposés que M. Fernández Martínez a subi une discrimination en raison de son état civil et de son appartenance au Mouvement procélibat optionnel, son apparition dans la presse ayant été à l’origine de son licenciement. »
Le juge ajouta ce qui suit :
« Le principe de non-discrimination au travail englobe l’interdiction de la discrimination fondée sur l’affiliation et l’activité syndicales, ce qui vaut pour l’appartenance à toute autre association. »
Enfin, le juge releva que la situation de « prêtre marié » et père de famille du requérant était connue des élèves, de leurs parents et des directeurs des deux établissements scolaires où il avait travaillé.
En conséquence, le juge accueillit le recours du requérant, annula ce qu’il qualifiait de licenciement et ordonna à la région de Murcie de réintégrer l’intéressé dans ses anciennes fonctions et à l’État de lui verser les salaires arriérés. Il rejeta le grief du requérant pour autant qu’il était dirigé contre l’évêché de Carthagène.
Le ministère de l’Éducation, le département de l’Éducation de la région de Murcie et l’évêché de Carthagène firent appel (suplicación). Par un arrêt du 26 février 2001, le Tribunal supérieur de justice de Murcie accueillit le recours, précisant ce qui suit :
« (...) L’enseignement [de la religion et de la morale catholiques] s’inscrit dans la doctrine de la religion catholique (...) Dès lors, le lien créé [entre le professeur et l’évêque] repose sur la confiance. [De ce fait,] il ne s’agit pas d’une relation juridique neutre, comme celle qui existe entre les citoyens en général et les pouvoirs publics. Il convient de placer ce lien à la frontière entre la dimension purement ecclésiastique et le début d’une relation de travail. »
Par ailleurs, le tribunal se référa aux prérogatives de l’évêque en la matière et considéra qu’il n’y avait pas eu en l’espèce violation des articles 14 (interdiction de la discrimination), 18 (droit au respect de la vie privée et familiale) ou 20 (liberté d’expression) de la Constitution espagnole, dès lors que le requérant avait dispensé des cours de religion à partir de 1991, l’évêque l’ayant reconduit chaque année dans son poste alors que sa situation personnelle était identique. Le tribunal conclut que, lorsque le requérant avait décidé de révéler publiquement cette situation, l’évêque s’était borné à user de ses pouvoirs découlant du code de droit canonique, c’est-à-dire à veiller à ce que l’intéressé, comme toute personne dans la même situation, exerçât ses fonctions dans la discrétion, en évitant que son statut personnel ne donnât prise au scandale. Selon le tribunal, en cas de publicité l’évêque était tenu de ne plus proposer la personne concernée pour un poste de même nature, conformément aux exigences prévues dans le rescrit de dispense du célibat.
De plus, s’agissant en particulier de l’article 20 de la Constitution, le tribunal observa que, à la lumière de l’article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, les restrictions aux droits du requérant devaient être considérées comme légitimes et proportionnées au but recherché, à savoir éviter le scandale.
En outre, le tribunal analysa la question de la relation de confiance et conclut ainsi :
« (...) Lorsque cette relation de confiance est rompue – et en l’espèce certaines circonstances permettent raisonnablement de penser que tel a été le cas –, l’évêque n’est plus tenu de proposer [l’intéressé] pour le poste de professeur de religion catholique. »
Concernant enfin la nature du contrat, le tribunal estima que, dans la mesure où son renouvellement était soumis à l’approbation annuelle de l’évêque pour l’année scolaire suivante, il s’agissait d’un contrat temporaire, lequel en l’espèce avait simplement pris fin. Dès lors, il n’était pas possible de considérer que le requérant avait fait l’objet d’un licenciement.
Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination), 16 (liberté de religion et de pensée), 18 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 20 (liberté d’expression) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Il allégua en particulier que la décision de ne pas renouveler son contrat au motif qu’il avait rendu publiques son appartenance au MOCEOP et ses opinions dissidentes sur le célibat des prêtres catholiques constituait une ingérence injustifiée dans sa vie privée et était incompatible avec son droit à la liberté religieuse.
Par une décision du 30 janvier 2003, la chambre à laquelle l’affaire avait été attribuée déclara le recours d’amparo recevable et, conformément aux articles 50 à 52 de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel, notifia la décision aux parties et demanda une copie du dossier aux tribunaux a quo.
Lors de son intervention obligatoire devant le Tribunal constitutionnel, le ministère public (Ministerio Fiscal) se déclara favorable à une décision accueillant le recours d’amparo du requérant. À cet égard, il critiqua les motifs avancés par le Tribunal supérieur de justice, qui avait considéré que le non-renouvellement du contrat était justifié dès lors que l’intéressé avait agi de manière contraire au rescrit de dispense lorsqu’il avait accepté de rendre publique sa situation familiale. Le ministère public releva en effet que l’apparition publique du requérant au rassemblement avait eu lieu bien avant que la dispense de célibat ne lui fût accordée et, par conséquent, avant l’existence dudit rescrit. Il rappela en outre que l’appartenance de l’intéressé au mouvement litigieux était connue des autorités ecclésiastiques. Il estima que, dans la mesure où le comportement du requérant ayant motivé le non-renouvellement de ses fonctions – à savoir sa participation à une manifestation organisée par le mouvement – relevait de la liberté de pensée de l’intéressé, le licenciement s’analysait en une violation de son droit à l’égalité (article 14 de la Constitution), combiné avec son droit à la liberté de pensée (article 16 de la Constitution).
Par un arrêt rendu le 4 juin 2007 et notifié le 18 juin 2007, la haute juridiction rejeta le recours d’amparo.
Le Tribunal constitutionnel se pencha d’abord sur les violations alléguées des articles 14 (droit à l’égalité) et 18 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Constitution et rejeta ces griefs, le premier au motif que la décision de ne pas proposer la nomination du requérant comme enseignant ne reposait sur aucune intention de lui faire subir une discrimination fondée sur son état civil, et le deuxième au motif que c’était l’intéressé qui, de son plein gré, avait rendu publiques tant sa situation personnelle et familiale que son appartenance au MOCEOP.
La haute juridiction aborda ensuite ce qu’elle considérait comme la question centrale soulevée par le recours d’amparo, à savoir la violation alléguée des articles 16 et 20 de la Constitution. Elle rechercha donc si les faits litigieux pouvaient être justifiés par la liberté religieuse de l’Église catholique (article 16 § 1 de la Constitution) en combinaison avec le devoir de neutralité religieuse de l’État (article 16 § 3 de la Constitution) ou si, au contraire, ils constituaient une atteinte au droit du requérant à la liberté de pensée et de religion (article 16 § 1 de la Constitution) en combinaison avec son droit à la liberté d’expression (article 20 § 1 a) de la Constitution). Pour ce faire, le Tribunal se fonda sur les critères établis dans son arrêt no 38/2007 du 15 février 2007 portant sur la constitutionnalité du système de sélection et de recrutement des professeurs de religion catholique dans les établissements d’enseignement public. Il insista à cet égard sur le statut particulier des professeurs de religion en Espagne, statut qui selon lui justifiait que le choix de tels enseignants tînt compte de leurs convictions religieuses.
À cet égard, le Tribunal constitutionnel fournit les explications suivantes :
« (...) la tâche du Tribunal constitutionnel consiste en l’espèce, comme dans les autres affaires ayant trait à un conflit entre des droits fondamentaux à caractère matériel, à vérifier si les juridictions [a quo] ont mis en balance les droits concurrents en jeu d’une manière qui reflète la définition constitutionnelle desdits droits (...) Ce faisant, le Tribunal n’est pas lié par l’examen déjà réalisé par ces juridictions. En d’autres termes, il ne se limite pas à un examen externe du caractère suffisant et cohérent des motifs de la décision ou des décisions en question (...) ; en tant que garant suprême des droits fondamentaux, il doit résoudre tout conflit éventuel entre les droits concernés et déterminer s’il y a eu violation de ces droits, à la lumière de leur contenu constitutionnel. À cette fin, il y a lieu toutefois d’appliquer d’autres critères que ceux employés par les juridictions [a quo], car le raisonnement tenu par celles-ci ne lie pas ce Tribunal et ne limite pas sa compétence à un simple contrôle des motifs de leurs décisions (...) »
Se penchant sur les faits de l’espèce, la haute juridiction commença par relever que le non-renouvellement du contrat était motivé par l’article paru dans un journal régional, qui avait provoqué un scandale selon les arguments exposés par l’évêché de Carthagène dans sa note officielle du 11 novembre 1997. Cet article avait rendu publiques deux caractéristiques personnelles du requérant déjà connues de l’évêché, à savoir d’une part sa situation familiale de prêtre marié et père de famille et, d’autre part, son appartenance à un mouvement qui contestait certains préceptes de l’Église catholique. Cette publicité constituait la base factuelle de ce que l’évêque avait estimé dans sa note être constitutif d’un scandale.
Notant que le Tribunal supérieur de justice avait procédé à un contrôle effectif de la décision de l’évêque, notamment concernant l’impossibilité pour celui-ci de proposer des candidats dépourvus des qualifications professionnelles requises pour le poste et concernant l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les libertés civiles, le Tribunal constitutionnel déclara ce qui suit :
« Les longs extraits de la décision contestée démontrent que le Tribunal supérieur de justice n’a pas écarté la possibilité d’un contrôle juridictionnel de la décision rendue par l’autorité ecclésiastique et qu’il n’a pas non plus hésité à procéder à une mise en balance des droits fondamentaux en conflit dans cette affaire particulière et du droit à la liberté religieuse (article 16 § 1 de la Constitution), exercice qu’il a effectué de manière non équivoque. »
Le Tribunal constitutionnel se livra alors à sa propre mise en balance des droits fondamentaux concurrents :
« Ayant examiné la mise en balance des droits en jeu effectuée dans le jugement litigieux, le Tribunal doit à présent apprécier, au-delà du raisonnement tenu dans ce jugement, les conclusions formulées dans celui-ci après l’évaluation des droits fondamentaux concurrents. Ce faisant, le Tribunal doit se pencher non seulement sur les droits visés dans ce jugement, mais aussi sur le droit à la liberté de pensée et de religion, point qu’il a soumis d’office à l’attention des parties (...)
La décision de l’évêché de ne pas proposer l’intéressé comme professeur de religion et de morale catholiques était motivée par les actes et opinions de celui-ci, à savoir qu’il avait révélé publiquement, d’une part, sa situation de prêtre marié et père de cinq enfants et, d’autre part, son appartenance au Mouvement procélibat optionnel (comme l’indiquent les décisions des juridictions a quo et comme l’admet expressément l’auteur même du recours d’amparo). Il est clair que, du point de vue (laïc) de l’État, ces actes et opinions doivent être considérés sous l’angle d’une atteinte éventuelle au droit à la liberté de pensée et de religion (article 16 § 1 de la Constitution) combiné avec le droit à la liberté d’expression (article 20 § 1 a) de la Constitution), qui sont invoqués dans le recours d’amparo.
Pour résoudre ce problème, il faut garder à l’esprit qu’aucun droit, pas même un droit fondamental, n’est absolu ou illimité. Dans certains cas, la disposition constitutionnelle reconnaissant un droit limite celui-ci expressément ; dans d’autres cas, la limitation découle de la nécessité de préserver d’autres droits ou valeurs constitutionnels qui justifient une protection. À cet égard, le Tribunal constitutionnel a maintes fois déclaré que les droits fondamentaux reconnus par la Constitution ne peuvent céder que devant les limitations expressément prévues par la Constitution ellemême, ou devant celles dont on peut déduire indirectement de la Constitution qu’elles sont justifiées par la préservation d’autres droits ou valeurs protégés par la loi. Quoi qu’il en soit, les limitations imposées ne peuvent entraver de manière déraisonnable l’exercice du droit fondamental en question (voir les arrêts du Tribunal constitutionnel no 11/1981 du 8 avril 1981, motif juridique 7 ; no 2/1982 du 29 janvier 1982, motif juridique 5 ; no 53/1986 du 5 mai 1986, motif juridique 3 ; no 49/1995 du 19 juin 1995, motif juridique 4 ; no 154/2002 du 18 juillet 2002, motif juridique 8 ; no 14/2003 du 28 janvier 2003, motif juridique 5, et no 336/2005 du 20 décembre 2005, motif juridique 7).
En l’espèce, l’atteinte au droit du demandeur à la liberté religieuse, dans sa dimension individuelle, et à son droit à la liberté de pensée (article 16 § 1 de la Constitution), combinés avec le droit à la liberté d’expression (article 20 § 1 a) de la Constitution), atteinte découlant du fait que l’évêché n’a pas proposé la nomination de l’intéressé comme professeur de religion et d’éducation catholiques pour l’année scolaire 1997/1998 – alors même que le demandeur souhaitait continuer à enseigner le credo d’une confession religieuse particulière dans un établissement d’enseignement public – n’a été ni disproportionnée ni inconstitutionnelle, car elle était justifiée par le respect dû à l’exercice licite du droit fondamental de l’Église catholique à la liberté religieuse dans sa dimension collective ou communautaire (article 16 § 1 de la Constitution), combiné avec le droit des parents de choisir l’éducation religieuse de leurs enfants (article 27 § 3 de la Constitution). Les motifs de la décision de ne pas proposer le demandeur comme professeur de religion et de morale catholiques étaient de nature exclusivement religieuse et étaient liés aux règles de la confession à laquelle l’intéressé adhère librement et dont il entendait enseigner les préceptes dans un établissement d’enseignement public. »
Le Tribunal constitutionnel renvoya à son arrêt no 38/2007 du 15 février 2007 et observa ce qui suit :
« Comme ce Tribunal l’a déclaré dans l’arrêt no 38/2007 du 15 février 2007 et rappelé au point 5 des motifs juridiques du présent arrêt, « il serait tout simplement déraisonnable que, s’agissant de l’enseignement religieux dans les établissements scolaires, on ne prît pas en compte lors du processus de sélection, à titre de garantie du droit à la liberté religieuse dans sa dimension extérieure et collective, les convictions religieuses des personnes qui décident librement de postuler à ces emplois d’enseignant » (...)
Il faut bien sûr rappeler, en ce qui concerne la justification et la constitutionnalité de l’atteinte ou de la restriction au droit fondamental du requérant à la liberté de religion et de pensée (article 16 § 1 de la Constitution), combiné avec le droit à la liberté d’expression (article 20 § 1 a) de la Constitution), que, ainsi que ce Tribunal l’a dit dans l’arrêt no 38/2007 du 15 février 2007, « la relation entre les professeurs d’éducation religieuse et l’Église n’est pas tout à fait la même que celle qui existe dans les organisations poursuivant des buts idéologiques, examinée à plusieurs reprises par ce Tribunal ; la première représente une catégorie spécifique et distincte qui, malgré certaines similitudes avec la seconde, est également différente à certains égards ». À ce sujet, le Tribunal a déclaré dans le même arrêt – en se référant à l’un des facteurs qui distinguaient la relation entre les professeurs d’éducation religieuse et l’Église de la relation au sein d’une organisation poursuivant des buts idéologiques, et qui permettaient de modifier les droits des enseignants en fonction de l’éthique éducative des établissements d’enseignement privé – que l’obligation imposée par le certificat d’aptitude ecclésiastique « ne consiste pas simplement en un devoir de s’abstenir de tout acte contraire à l’éthique religieuse mais, plus profondément, s’étend à l’appréciation de la capacité de l’individu à enseigner la doctrine catholique, comprise comme un ensemble de convictions religieuses basées sur la foi. Le fait que l’instruction religieuse ait pour objet la transmission non seulement de connaissances spécifiques, mais aussi de la foi religieuse de celui qui enseigne, implique certainement un ensemble d’exigences qui dépassent les limites d’une organisation poursuivant des buts idéologiques, à commencer par l’obligation implicite pour la personne qui entend transmettre la foi religieuse de professer elle-même cette foi (...) »
Enfin, le Tribunal constitutionnel se pencha sur un argument soulevé par le requérant, à savoir qu’il avait prôné une réforme des règles de la religion catholique elle-même. Il conclut ainsi :
« En l’espèce, le résultat de la mise en balance des droits fondamentaux concurrents – d’un côté, le droit fondamental de l’Église catholique à la liberté religieuse dans sa dimension collective ou communautaire (article 16 § 1 de la Constitution), combiné avec le devoir de neutralité religieuse de l’État (article 16 § 3 de la Constitution), et, de l’autre, le droit fondamental du demandeur à la liberté de pensée et de religion (article 16 § 1 de la Constitution), combiné avec le droit à la liberté d’expression (article 20 § 1 a) de la Constitution) – ne se trouve en rien modifié par l’argument de l’intéressé selon lequel ses opinions réformatrices sur le célibat des prêtres catholiques tendent à prôner une évolution des règles de la religion catholique qu’il estime désuètes. Comme l’a souligné le conseiller juridique du gouvernement dans ses observations, le devoir de neutralité religieuse (article 16 § 3 de la Constitution) interdit à l’État de s’immiscer dans, ou de trancher, d’éventuels conflits au sein de l’Église, en l’espèce entre partisans et détracteurs du célibat sacerdotal. De façon plus générale, il n’appartient pas non plus à notre juridiction de se prononcer sur l’adéquation ou la compatibilité des actes, opinions et comportements des personnes désignées pour enseigner une religion particulière avec l’orthodoxie de la confession religieuse en question. Comme un organe de l’État exerçant l’autorité publique, le Tribunal doit se borner dans le cadre du présent recours d’amparo, conformément à son devoir de neutralité, à juger établi le caractère strictement religieux des motifs avancés par l’autorité religieuse à l’appui de sa décision de ne pas proposer l’intéressé comme professeur de religion et de morale catholiques. Le Tribunal estime en outre que les droits fondamentaux du demandeur à la liberté de pensée et de religion et à la liberté d’expression, dont les actes, opinions et choix de l’intéressé en la matière peuvent en principe relever, n’ont été atteints et restreints que dans la mesure strictement nécessaire pour assurer leur compatibilité avec la liberté religieuse de l’Église catholique. Dès lors, il y a lieu de rejeter le présent recours d’amparo. »
Deux magistrats formulèrent une opinion dissidente concernant l’arrêt rendu par la majorité. Ils estimèrent que la mise en balance des droits effectuée par le Tribunal constitutionnel s’était limitée à l’évocation des motifs religieux formulés dans la décision de ne plus employer le requérant. À leurs yeux, la publicité donnée à un comportement déjà connu auparavant ne pouvait justifier le non-renouvellement du contrat.
Par la suite, le requérant demanda l’annulation de l’arrêt du Tribunal constitutionnel, au motif que deux des magistrats de la chambre qui avaient rendu l’arrêt étaient connus pour leurs affinités avec l’Église catholique, l’un d’eux étant membre du Secrétariat international des juristes catholiques.
Par une décision du 23 juillet 2007, le Tribunal constitutionnel rejeta la demande d’annulation, au motif que l’article 93 § 1 de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel disposait que le seul recours possible contre un arrêt de la haute juridiction était une demande de clarification.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES, EUROPÉENS, INTERNATIONAUX ET COMPARÉS PERTINENTS EN L’ESPÈCE
A. La Constitution
Les dispositions pertinentes de la Constitution espagnole se lisent ainsi :
Article 14
« Les Espagnols sont égaux devant la loi ; ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur la naissance, la race, le sexe, la religion, les opinions, ou toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. »
Article 16
« 1. La liberté de pensée, de religion et de culte des individus et des communautés est garantie sans autres restrictions, quant à ses manifestations, que celles qui sont nécessaires au maintien de l’ordre public protégé par la loi.
Nul ne pourra être obligé de déclarer ses idées, sa religion ou ses croyances.
Aucune confession n’aura le caractère de religion d’État. Les pouvoirs publics tiendront compte de toutes les croyances religieuses au sein de la société espagnole et maintiendront de ce fait des relations de coopération avec l’Église catholique et les autres confessions. »
Article 18
« 1. Le droit à l’honneur, à la vie privée et familiale et à l’image est garanti.
(...). »
Article 20
« 1. Sont reconnus et protégés les droits suivants :
a) le droit d’exprimer et de diffuser librement les pensées, idées et opinions par la parole, l’écrit ou par tout autre moyen de reproduction ;
(...)
L’exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune forme de censure préalable.
(...)
Ces libertés trouvent leur limite dans le respect des droits reconnus au présent titre, dans les dispositions des lois d’application et, plus particulièrement, dans le droit à l’honneur, à la vie privée, à l’image et à la protection de la jeunesse et de l’enfance.
(...) »
B. L’Accord du 3 janvier 1979 entre l’Espagne et le Saint-Siège relatif à l’enseignement et aux affaires culturelles
Les dispositions pertinentes de cet instrument sont ainsi libellées :
Article III
« (...) [L’]enseignement religieux est dispensé par les personnes qui, chaque année scolaire, sont désignées par l’autorité administrative parmi celles proposées par l’ordinaire du diocèse. Celui-ci notifie suffisamment à l’avance les noms des personnes qui sont considérées comme compétentes (...)
Article VII
« À tous les niveaux d’éducation, le traitement alloué aux professeurs de religion catholique qui n’appartiennent pas aux corps enseignants de l’État est déterminé par accord entre l’administration centrale et la Conférence épiscopale espagnole, afin qu’il soit applicable dès l’entrée en vigueur du présent Accord ».
C. L’arrêté du 11 octobre 1982 sur les professeurs de religion et de morale catholiques dans les établissements d’enseignement secondaire
Cet arrêté, en vigueur à l’époque des faits, complétait l’Accord de 1979 entre l’Espagne et le Saint-Siège. Il disposait :
Troisième point
« (...) Les professeurs de « religion et de morale catholiques » sont nommés par l’autorité compétente, sur proposition de l’ordinaire du diocèse. Cette nomination a un caractère annuel et est renouvelée automatiquement, sauf avis contraire rendu par ledit ordinaire avant le début de l’année scolaire, et sauf si l’administration, pour des raisons académiques ou disciplinaires graves, estime nécessaire d’annuler la nomination, auquel cas l’autorité ecclésiastique est entendue (...) ».
D. La loi organique no 7/1980 du 5 juillet 1980 sur la liberté religieuse
Aux termes de l’article 6 § 1 de cette loi,
« Les églises, confessions et communautés religieuses enregistrées sont pleinement autonomes et peuvent établir leurs propres normes d’organisation, leurs règles internes et le statut de leur personnel. Dans ces normes (...), elles peuvent inclure des clauses de sauvegarde de leur identité religieuse (...) et de respect de leurs croyances, sans préjudice du respect des droits et libertés reconnus par la Constitution, en particulier [les droits à] la liberté, l’égalité et la non-discrimination (...) ».
E. La loi organique no 1/1990 du 3 octobre 1990 sur l’organisation générale du système éducatif, remplacée par la loi organique no 2/2006 du 3 mai 2006 sur l’éducation
Dans sa deuxième disposition additionnelle, la loi organique no 1/1990, en vigueur à l’époque des faits, énonçait :
« L’enseignement de la religion doit être adapté aux dispositions de l’Accord sur l’enseignement et les affaires culturelles qui lie le Saint-Siège et l’État espagnol (...). La religion est une matière obligatoirement proposée par les établissements [scolaires] et revêt un caractère facultatif pour les élèves. »
Les deuxième et troisième dispositions additionnelles de la loi organique no 2/2006 se lisent aujourd’hui comme suit :
Deuxième disposition additionnelle
« 1. L’enseignement de la religion catholique doit être adapté aux dispositions de l’Accord sur l’enseignement et les affaires culturelles qui lie le Saint-Siège et l’État espagnol (...). La religion figure parmi les matières enseignées aux niveaux concernés ; elle est obligatoirement proposée par les établissements [scolaires] et revêt un caractère facultatif pour les élèves ».
(...)
Troisième disposition additionnelle
« (...)
2. Les professeurs qui, sans avoir le statut de fonctionnaire, dispensent des cours de religion dans des établissements d’enseignement public exercent leurs fonctions dans un cadre contractuel, conformément au code du travail (...) Ils perçoivent la rémunération prévue pour les professeurs intérimaires.
Il appartient en tout cas aux entités religieuses de proposer un candidat pour cet enseignement religieux ; cette proposition est renouvelée automatiquement tous les ans (...) »
F. Le statut des professeurs de religion en Espagne
À l’époque des faits de l’espèce, l’enseignement de la religion catholique dans les établissements d’enseignement public était dispensé conformément à la loi organique no 1/1990 du 3 octobre 1990 sur l’organisation générale du système éducatif qui, dans sa deuxième disposition additionnelle, renvoyait à l’Accord du 3 janvier 1979 entre l’Espagne et le Saint-Siège relatif à l’enseignement et aux affaires culturelles.
La religion catholique en Espagne a le même statut que les autres confessions qui ont aussi conclu des accords de coopération avec l’État, à savoir les communautés évangélique, israélite et musulmane.
Les parents ont droit à ce que leurs enfants reçoivent un enseignement religieux à l’école et peuvent, le cas échéant, choisir la confession. Dans tous les cas, l’État assume les frais de cet enseignement, comme prévu dans les accords pertinents, qui disposent également que la nomination des professeurs se fait après délivrance d’un certificat d’aptitude par l’autorité ecclésiastique compétente. Ce principe a été développé dans l’arrêt no 38/2007 du Tribunal constitutionnel du 15 février 2007 (paragraphes 60 et 61 ci-dessous).
G. Le code de droit canonique
Les règles pertinentes du code de droit canonique, promulgué le 25 janvier 1983, sont ainsi libellées :
Canon 59
« § 1. Par rescrit, on entend l’acte administratif donné par écrit par l’autorité exécutive compétente, par lequel, à la demande de quelqu’un, est concédé selon sa nature propre un privilège, une dispense ou une autre grâce.
(...) »
Canon 290
« L’ordination sacrée, une fois validement reçue, n’est jamais annulée. Un clerc perd cependant l’état clérical :
par sentence judiciaire ou décret administratif qui déclare l’invalidité de l’ordination sacrée ;
par la peine de renvoi légitimement infligée ;
par rescrit du Siège Apostolique ; mais ce rescrit n’est concédé par le Siège Apostolique aux diacres que pour des raisons graves et aux prêtres pour des raisons très graves. »
Canon 291
« En dehors des cas du canon 290 § 1, la perte de l’état clérical ne comporte pas la dispense de l’obligation du célibat, qui n’est concédée que par le seul Pontife Romain. »
Canon 292
« Le clerc, qui perd l’état clérical selon les dispositions du droit, perd en même temps les droits propres à l’état clérical, et il n’est plus astreint à aucune des obligations de l’état clérical, restant sauves les dispositions du canon 291 ; il lui est interdit d’exercer le pouvoir d’ordre, restant sauves les dispositions du canon 976 ; il est de ce fait privé de tous les offices et charges, et de tout pouvoir délégué. »
Canon 804
« (...)
L’Ordinaire [du diocèse] veillera à ce que les maîtres affectés à l’enseignement de la religion dans les écoles, même non catholiques, se distinguent par la rectitude de la doctrine, le témoignage d’une vie chrétienne et leur compétence pédagogique. »
Canon 805
« L’Ordinaire [du diocèse] a le droit pour son diocèse de nommer ou d’approuver les maîtres qui enseignent la religion, et de même, si une raison de religion ou de mœurs le requiert, de les révoquer ou d’exiger leur révocation. »
Canon 1314
« Ordinairement la peine est ferendae sententiae, de telle sorte qu’elle n’atteint pas le coupable tant qu’elle n’a pas été infligée ; mais elle est latae sententiae, de telle sorte qu’elle est encourue par le fait même de la commission du délit, si la loi ou le précepte l’établit expressément. »
Canon 1394
« § 1. (...) [U]n clerc qui attente un mariage même seulement civil encourt la suspense latae sententiae ; si après avoir reçu une monition, il ne se repent pas et persiste à faire scandale, il peut être puni de privations de plus en plus graves et même du renvoi de l’état clérical.
Le religieux de vœux perpétuels qui n’est pas clerc, s’il attente un mariage même civil, encourt l’interdit latae sententiae, restant sauves les dispositions du canon 694. »
H. La jurisprudence des juridictions espagnoles
L’arrêt du Tribunal suprême du 19 juin 1996
Dans cet arrêt relatif à la nature des contrats des professeurs de religion, le Tribunal suprême se prononça comme suit :
« (...) L’espèce présente les caractéristiques prévues à l’article 1 § 1 du code du travail, qui permet de qualifier de « contractuelle » la relation juridique entre les parties : [activité] exercée de manière volontaire pour le compte d’autrui, rémunérée et relevant d’une forme de hiérarchie. Aucune règle n’attribue à ces professeurs [de religion] le statut de fonctionnaire. [En outre], la relation n’a pas un caractère administratif, ce qui est une condition impérative [pour que l’individu concerné soit considéré comme un fonctionnaire]. »
L’arrêt no 38/2007 du Tribunal constitutionnel du 15 février 2007
Cet arrêt porte sur une procédure de contrôle constitutionnel engagée par le Tribunal supérieur de justice des îles Canaries. Cette juridiction remettait en cause notamment la constitutionnalité du système espagnol d’emploi des professeurs de religion dans la mesure où ces derniers, sans être des fonctionnaires à proprement parler, étaient employés par l’administration publique et non par l’Église, et se trouvaient par là même intégrés dans la fonction publique. Dans son arrêt, le Tribunal constitutionnel confirma la compatibilité de ce système avec la Constitution.
La haute juridiction rappela en outre que de telles nominations pouvaient faire l’objet d’un contrôle par les organes judiciaires de l’État. Les passages pertinents de l’arrêt se lisent comme suit :
« (...) Le fait que les personnes nommées comme professeurs de religion doivent impérativement avoir été auparavant proposées par l’évêque et que cette proposition requiert un certificat d’aptitude préalable basé sur des considérations d’ordre moral et religieux ne signifie pas qu’il soit impossible pour les organes judiciaires de l’État de vérifier la légalité de cette nomination, de la même façon que [sont contrôlés] l’ensemble des actes discrétionnaires des autorités lorsqu’ils produisent des effets sur des tiers (...)
(...) En premier lieu, les organes judiciaires doivent vérifier si la décision administrative [de nomination] a été prise conformément aux dispositions légales, c’est-à-dire si la nomination a été effectuée parmi les personnes proposées par l’évêque pour dispenser cet enseignement (...), dans des conditions d’égalité et dans le respect des principes de mérite et de capacité. (...) Les motifs ayant conduit à ne pas nommer une personne déterminée doivent faire l’objet d’un examen [par les organes judiciaires], qui rechercheront notamment si [la non-nomination] découle du fait que l’intéressé n’était pas inscrit sur la liste proposée par l’autorité ecclésiastique ou d’autres motifs pouvant également faire l’objet d’un contrôle (...) Les organes judiciaires compétents doivent également rechercher si la décision de l’évêque de ne pas proposer l’intéressé résulte de l’application de critères à caractère religieux ou moral visant à établir si la personne en question est apte à dispenser les cours de religion. La définition de ces critères appartient aux autorités religieuses, compte tenu du droit à la liberté religieuse et du principe de neutralité religieuse de l’État. [Il incombe aussi aux organes judiciaires] de rechercher si la décision épiscopale repose sur des motifs étrangers au droit fondamental à la liberté religieuse et non couverts par celui-ci. Enfin, une fois que la motivation strictement « religieuse » de la décision est établie, l’organe judiciaire doit apprécier les droits fondamentaux en conflit afin de vérifier dans quelle mesure le droit à la liberté religieuse exercé dans l’enseignement religieux en établissement scolaire peut avoir une incidence sur les droits fondamentaux des employés dans leurs relations de travail.
(...)
La faculté reconnue aux autorités ecclésiastiques de déterminer quelles sont les personnes qualifiées pour enseigner leur credo religieux garantit aux Églises la liberté d’organiser l’enseignement de leur doctrine sans ingérence des pouvoirs publics. Ainsi, et avec la collaboration intervenant dans le cadre du recrutement des professeurs par l’administration publique (article 16 § 3 de la Constitution), force est de conclure que le certificat d’aptitude constitue l’une des conditions nécessaires au recrutement. Le fait de l’exiger est en accord avec le droit à l’égalité de traitement et le principe de non-discrimination (article 14 de la Constitution) (...) ».
L’arrêt no 51/2011 du Tribunal constitutionnel du 14 avril 2011
Dans cet arrêt, qui a trait au non-renouvellement du contrat d’une professeure de religion en raison de son mariage civil avec un homme divorcé, la haute juridiction déclara ce qui suit :
« (...) Les griefs [de l’intéressée] doivent être examinés à la lumière des principes établis dans l’arrêt no 38/2007 du 15 février 2007 (...)
(...) On ne saurait souscrire à l’argument présenté dans le jugement de la juridiction a quo, selon lequel (...) les propositions que l’évêque du lieu soumet aux services de l’éducation en vue de la nomination des professeurs de religion catholique pour chaque année scolaire échappent à tout contrôle de l’État espagnol (...)
Au contraire, (...) rien [dans les normes juridiques pertinentes] n’implique l’exclusion du pouvoir juridictionnel des juges et tribunaux espagnols (...) Le postulat sur lequel est fondé le jugement de la juridiction a quo, à savoir que les propositions de l’évêque aux services de l’éducation en vue de la nomination des professeurs de religion catholique échappent à tout contrôle de l’État espagnol, n’est donc pas compatible avec cette exigence de pleine juridiction concernant les effets civils d’une décision ecclésiastique (...)
(...) La décision de l’évêque d’Almería de ne pas proposer la demanderesse comme professeure de religion et de morale catholiques pour l’année 2001-2002 repose sur un motif dont on ne peut nier le caractère religieux et moral (...)
(...) Une fois établie la motivation strictement religieuse de la décision de ne pas proposer l’intéressée comme professeur de religion et de morale catholiques (...), il faut poursuivre (...) la mise en balance des droits fondamentaux en conflit (...)
(...) Le motif avancé par l’évêque d’Almería pour justifier sa décision de ne pas proposer la demanderesse pour un contrat de professeure de religion et de morale catholiques avec les services de l’éducation pour 2001-2002, c’est-à-dire le fait qu’elle ait contracté un mariage civil avec une personne divorcée, est étranger aux activités d’enseignement de l’intéressée (...)
(...) Il ne semble pas que l’intéressée (...), dans l’exercice de ses fonctions de professeure de religion, ait jamais remis en question la doctrine de l’Église catholique sur le mariage ou fait l’apologie du mariage civil ; de même, il ne semble aucunement qu’elle ait exposé publiquement sa situation de femme mariée à une personne divorcée (...)
La décision de la demanderesse de contracter un mariage civil, tel que prévu par la loi, avec la personne de son choix (...) relève en principe de la sphère de son intimité personnelle et familiale ; dès lors, la motivation religieuse de la décision de l’évêque d’Almería de ne pas proposer l’intéressée comme professeure de religion pour l’année scolaire suivante (à savoir le fait qu’elle ait contracté un mariage sans se conformer aux règles du droit canonique) ne saurait en soi justifier que la demanderesse ne soit plus apte à enseigner la religion et la morale catholiques (...)
(...)
Le recours d’amparo est donc accueilli, en raison de la violation du droit de l’intéressée à ne pas faire l’objet d’une discrimination fondée sur sa situation personnelle, du droit à la liberté de pensée concernant le droit au mariage sous sa forme légalement établie, et du droit à l’intimité personnelle et familiale ».
Le 3 mai 2011, le juge du travail no 3 d’Almería annula le licenciement et demanda la réintégration immédiate de l’intéressée à son poste de professeur, ainsi que le versement de ses salaires impayés. Cette décision fut confirmée par l’arrêt du Tribunal supérieur de justice d’Andalousie du 22 décembre 2011.
Enfin, le 16 novembre 2012, le Tribunal constitutionnel déclara irrecevable le recours d’amparo formé par l’Église contre cet arrêt, au motif qu’il n’y avait manifestement eu violation d’aucun droit fondamental de l’Église.
Le litige relatif à l’exécution de l’arrêt n’est pas résolu à ce jour, notamment pour ce qui concerne la réintégration de l’enseignante à son poste et le point de savoir si cette mesure doit avoir une durée limitée ou illimitée.
I. La directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail
Les dispositions pertinentes de cette directive de l’Union européenne sont les suivantes :
Considérant no 24 du préambule
« L’Union européenne a reconnu explicitement dans sa déclaration no 11 relative au statut des Églises et des organisations non confessionnelles, annexée à l’acte final du traité d’Amsterdam, qu’elle respecte et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres et qu’elle respecte également le statut des organisations philosophiques et non confessionnelles. Dans cette perspective, les États membres peuvent maintenir ou prévoir des dispositions spécifiques sur les exigences professionnelles essentielles, légitimes et justifiées, susceptibles d’être requises pour y exercer une activité professionnelle. »
Article 4
Exigences professionnelles
« 1. (...) [L]es États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur [notamment la religion ou les convictions] ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée.
Les États membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur (...) ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. (...)
Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente directive est donc sans préjudice du droit des églises et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, agissant en conformité avec les dispositions constitutionnelles et législatives nationales, de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation. »
J. Éléments de droit comparé
Selon les éléments dont dispose la Cour, une grande majorité d’États membres du Conseil de l’Europe proposent un enseignement confessionnel ou non confessionnel de la religion au sein de l’école publique. Dans de nombreux pays appartenant à cette grande majorité, les autorités religieuses compétentes ont un rôle soit codécisionnel soit exclusif dans la désignation et le licenciement des professeurs de religion. En règle générale, en plus des qualifications pédagogiques, les enseignants doivent avoir l’autorisation de la communauté religieuse en question (la missio canonica, la vocatio de l’Église protestante, le mandat canonique orthodoxe, le certificat d’aptitude à l’enseignement de la religion israélite, le certificat d’aptitude délivré par la communauté islamique, etc.). La révocation par l’autorité religieuse compétente de cette autorisation pour des raisons relevant du domaine religieux entraîne la perte du poste de professeur de religion. Dans une petite minorité de pays qui assurent un enseignement religieux dans le cadre du programme normal, c’est l’État qui joue un rôle exclusif dans la désignation et le licenciement des professeurs de religion, lesquels doivent être diplômés soit en sciences humaines soit en théologie. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Procédure sur le fond
Le 19 septembre 1997, le requérant, résidant à Séville, fut renversé par une voiture alors qu’il se promenait à vélo. Après l’accident, il engagea une action civile en dommages et intérêts à l’encontre du conducteur et de la compagnie d’assurances M. en raison des séquelles prétendument subies, à savoir une névrose post-traumatique qui entraînait pour lui, selon ses dires, une peur intense de conduire des véhicules.
Lors du procès devant le juge de première instance no 4 de Séville, la compagnie d’assurances M. fournit comme éléments de preuve des vidéos de scènes de la vie quotidienne du requérant dans des espaces publics, censées démentir l’existence de la peur invoquée. En particulier, les images montraient le requérant conduisant une moto. Les vidéos avaient été enregistrées par un cabinet de détectives privés engagés par l’assureur, à l’insu du requérant.
Par un jugement du 15 mars 1999, le juge de première instance no 4 de Séville, faisant partiellement droit aux prétentions du requérant, condamna les défendeurs à lui payer une indemnité, mais d’un montant inférieur à celui qu’il réclamait.
Tant les défendeurs que le requérant firent appel. Par un arrêt du 19 février 2001, l’Audiencia Provincial de Séville considéra que les prétentions du requérant étaient abusives dans la mesure où ses affirmations n’étaient appuyées par aucun élément de preuve. Elle se prononça en outre en faveur de la validité du rapport des détectives privés. En effet, les circonstances dans lesquelles avaient été prises les images ne constituaient pas une interférence dans le comportement du requérant ni un conditionnement de celui-ci.
Contre cet arrêt le requérant se pourvut en cassation. Par une décision du 27 juillet 2004, le Tribunal suprême déclara le pourvoi irrecevable.
Il ne ressort pas du dossier que le requérant ait formé un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel.
B. Procédure relative au droit à l’image du requérant
Parallèlement à la procédure sur le fond, le requérant entama une action civile en dommages et intérêts contre la compagnie d’assurances pour violation de son droit à la vie privée et à l’image (article 18 de la Constitution). Il exigeait non seulement une indemnisation, mais aussi que la compagnie lui remette tous les enregistrements originaux et les copies des vidéos visées. De son côté, la partie défenderesse allégua que l’enregistrement de ces vidéos était justifié au regard du but poursuivi, en l’occurrence la contestation de certaines allégations du requérant lors de la première procédure, et cela d’autant plus que l’enregistrement avait eu lieu dans des espaces publics et ne concernait que des activités de la vie quotidienne du requérant.
Par un jugement du 28 mai 2001, le juge de première instance no 22 de Séville rejeta les prétentions du requérant. Il releva à titre liminaire que le code de procédure civile espagnol admettait l’utilisation comme moyen de preuve des enregistrements de la voix, du son et de l’image, ainsi que des rapports effectués par des détectives privés. En outre, le juge rappela que le Tribunal suprême avait admis l’utilisation de moyens de preuve similaires dans le cadre de procédures liées au droit du travail. Tenant compte de cette jurisprudence, le juge considéra que la preuve contestée en l’espèce poursuivait un but légitime, la captation de l’image du requérant ayant été effectuée exclusivement dans des espaces publics et pendant qu’il accomplissait des activités du quotidien. En particulier, le juge releva que les images montraient le requérant conduisant lui-même une moto dans ses déplacements, seul ou accompagné par des tiers. Le juge observa également qu’aucune image n’avait été prise dans un espace privé ni ne pouvait être considérée comme intime. Enfin, le juge nota que les images captées ne présentaient pas le requérant dans un état qui aurait pu être considéré comme indigne et que les vidéos avaient été utilisées seulement à l’occasion de la procédure civile et n’avaient jamais été diffusées publiquement.
Le requérant fit appel auprès de l’Audiencia Provincial de Séville. Il soutenait que la procédure devant le juge de première instance devait être annulée, en raison de la méconnaissance de certaines règles procédurales ainsi que de son droit à pouvoir se défendre. Par ailleurs, le requérant se plaignait que la motivation du jugement était insuffisante et portait atteinte à son droit à l’image.
Par un arrêt du 16 janvier 2002, l’Audiencia Provincial rejeta l’appel. S’agissant de la violation alléguée du droit à l’image, elle estima que l’enregistrement de l’image du requérant était justifié dans le cas d’espèce, tant au regard du but poursuivi par la compagnie d’assurances, qui devait être considéré comme légitime, qu’au regard des personnes qui avaient effectué l’enregistrement, à savoir des détectives professionnels. L’Audiencia Provincial releva en outre que les images étaient uniquement destinées à être utilisées comme moyen de preuve et n’avaient pas vocation à être rendues publiques. Enfin, l’Audiencia Provincial rejeta le grief tiré du prétendu manque de motivation du jugement a quo.
Le requérant se pourvut en cassation auprès du Tribunal suprême, lequel déclara le pourvoi irrecevable par une décision du 4 avril 2006.
Le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par une décision notifiée le 20 juin 2008, la haute juridiction déclara le recours irrecevable au motif qu’il était dépourvu de contenu constitutionnel méritant une décision sur le fond de la part du Tribunal.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les dispositions pertinentes de la Constitution sont les suivantes :
Article 18 § 1
« Le droit [de chacun] à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à l’image est garanti. »
Article 24 § 1
« 1. Toute personne a droit à obtenir la protection effective des juges et tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans que la défense puisse être limitée en aucun cas ».
La loi organique no 1/1982 du 5 mai 1982 sur la protection civile du droit à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à l’image trouve à s’appliquer en l’espèce :
Article 7
« Seront considérées comme intromissions illégitimes (...)
L’utilisation d’appareils d’écoute, de dispositifs optiques ou de tout autre moyen pour prendre connaissance de la vie intime des personnes ou de manifestations ou lettres privées non adressées à celui qui utilise ces moyens, ainsi que l’enregistrement ou la reproduction [de celles-ci] ».
Le code de procédure civile (loi no 1/2000 du 7 janvier 2000) prévoit :
Article 265
« 1. [Dans le cadre d’un procès] il conviendra de joindre à toute demande ou contestation [d’une demande] :
(...)
Les rapports élaborés par des professionnels légalement habilités des enquêtes privées sur des faits considérés comme pertinents pour appuyer les prétentions. Dans le cas où ces faits ne seraient pas reconnus comme véridiques, il conviendra d’administrer la preuve par témoins ».
La loi no 23/1992 du 30 juillet 1992 sur la sécurité privée dispose dans ses parties pertinentes :
Article 1 § 3
« Les activités et services de sécurité privée sont assurés dans le strict respect de la Constitution et sont soumis aux dispositions de la présente loi et des autres textes en vigueur. Le personnel de sécurité privée respecte dans l’exercice de ses fonctions les principes d’intégrité et de dignité (...) en faisant une utilisation pertinente et proportionnée des facultés qui lui sont attribuées et des moyens dont il dispose ».
Article 10
« Préalablement à l’exercice de ses fonctions respectives, le personnel de sécurité privée devra obtenir l’autorisation du ministère de l’Intérieur (...) ».
Article 19 § 1
« Les détectives privés sont chargés, à la demande de personnes physiques ou morales :
a) de recueillir et de fournir des informations et des preuves sur des comportements ou faits privés ;
b) de mener des enquêtes sur des infractions poursuivies sur plainte, à la demande des personnes qualifiées pour agir dans le cadre d’une procédure pénale ;
(...)
Le règlement sur la sécurité privée approuvé par le décret royal no 2364/1994, pris pour l’application de la loi no 23/1992, précise ainsi le contenu, entre autres, de l’article 19 § 1 de ladite loi :
Article 101
Les détectives privés se chargeront, à la demande de personnes physiques ou morales :
a) d’obtenir et fournir des informations et preuves sur des comportements ou faits privés ;
(...)
« Au sens de cet article on entendra par comportements ou faits privés ceux affectant le domaine économique, professionnel, commercial ou financier et, en général, la vie personnelle, familiale ou sociale, à l’exception de celle qui se déroule dans les domiciles ou dans des lieux réservés ». | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le 17 avril 2003, le requérant fut arrêté sur suspicion de trouble de l’ordre public commis avec une arme. Il fut placé dans un centre de détention temporaire des services de police de la ville de Tchaïkovski, dans la région de Tchéliabinsk (« l’IVS »).
Le 27 avril 2003 vers midi, l’enquêtrice en charge de l’affaire pénale à l’encontre du requérant se rendit à l’IVS pour lui notifier les charges retenues contre lui et l’interroger en tant qu’inculpé. Un avocat commis d’office était présent dans la salle. Le requérant refusa de signer l’acte de notification en l’absence d’un avocat de son choix. Il fut alors reconduit dans sa cellule. Une dizaine de minutes après, l’enquêtrice demanda que le requérant fût à nouveau amené dans la salle d’interrogatoire. Le requérant refusa d’obtempérer aux ordres des policiers et de quitter sa cellule. Les policiers firent alors sortir les autres détenus de la cellule, et redemandèrent au requérant de passer à la salle d’interrogatoire. Devant ses refus répétés, le policier B. entra dans la cellule, saisit le bras gauche du requérant et le lui replia dans le dos puis sortit avec lui dans le couloir qui menait vers la salle d’interrogatoire. Selon ses dires, le requérant sentit à un certain moment un coup dans son bras gauche, suivi d’une forte douleur, et finit par tomber par terre. Il fut tout de suite emmené aux urgences, où on lui diagnostiqua une fracture de l’humérus.
Le même jour le requérant porta plainte. Le passage pertinent de sa plainte se lisait comme suit :
« [...] Après de longs pourparlers, j’ai accepté de sortir de la cellule accompagné des policiers K. et B. ; ce dernier me replia le bras gauche dans le dos ; ayant mal, je me suis penché vers l’avant et ensuite, j’ai ressenti un coup dans la région de [illisible] ; après le coup, j’ai ressenti une douleur dans le bras. Une ambulance a été appelée [...] ».
Dans un rapport établi le 30 avril 2003, un expert médicolégal, ayant examiné le requérant la veille et se basant, entre autres, sur la radiographie du bras, confirma que la fracture de l’humérus chez le requérant aurait pu se produire à la suite d’une fixation du bras gauche et de sa torsion autour de l’axe longitudinal. Il indiqua que la lésion avait entraîné une incapacité temporaire de travail de plus de trois semaines.
Le 7 mai 2003, le parquet de la ville de Tchaïkovski refusa d’ouvrir une enquête pénale sur la plainte du requérant. Dans ses motifs, l’enquêteur releva :
– que le policier B. avait en substance déposé comme suit :
– Il [B.] avait bien saisi le requérant par le bras gauche pour le faire sortir de la cellule dans le couloir. Cependant, en passant devant une grille qui séparait le bloc des cellules, le requérant s’était agrippé à celle-ci par le bras droit, refusant d’avancer. Un deuxième policier, R., était alors intervenu pour décrocher le bras droit du requérant de la grille. Le requérant avait alors perdu l’équilibre et entamé une chute alors que son bras gauche était toujours coincé en position pliée par B., ce qui expliquait la lésion.
– que les circonstances décrites par B. étaient confirmées par D., l’enquêtrice en charge de l’affaire pénale à l’encontre du requérant, par les policiers K., R., Bo., P. ainsi que par les détenus P. et Bor. (la décision ne contenait pas de description de leurs dépositions) ;
– que les conclusions du rapport médicolégal contredisaient la version du requérant, l’expert n’ayant aucunement attribué la cause de la lésion observée à un coup porté sur le bras gauche du requérant.
L’enquêteur considéra donc que le recours à la force par le policier B. était légal, au vu du refus du requérant d’obtempérer.
Selon ses dires, le requérant forma un recours hiérarchique contre la décision du 7 mai 2003. Ce recours aurait été rejeté à une date inconnue par le parquet de la région de Perm.
En septembre 2005, le requérant introduisit une action civile en réparation du dommage moral subi du fait de la fracture du bras causée lors de l’incident du 27 avril 2003. Les débats en audience se présentèrent ainsi :
– le requérant maintint initialement sa version des faits et, notamment, l’allégation d’avoir ressenti un coup avant de tomber ;
– le policier B. réitéra la version des faits qui figurait dans la décision du parquet du 7 mai 2003 ;
– les policiers K. et R. ainsi que l’enquêtrice D. ne comparurent pas. Interrogés par le juge sur l’éventuelle nécessité de leur audition, le requérant et son avocat déclarèrent que celle-ci n’était pas nécessaire mais demandèrent l’audition de la policière Bo., qui avait selon eux été témoin oculaire de l’incident ;
– Bo. confirma la version du policier B., mais déclara qu’elle n’avait pas vu lequel de ses collègues avait décroché la main droite du requérant de la grille ; et que personne n’avait donné de coup au requérant.
Le requérant demanda au juge d’ordonner une nouvelle expertise médicolégale en vue d’établir plus précisément le mécanisme de formation de la fracture, y compris pour savoir si elle « pouvait être le résultat d’un coup ». Le juge rejeta cette demande, n’ayant pas trouvé de motifs de douter de la véracité du rapport d’expert établi le 30 avril 2003.
Dans sa plaidoirie de fin d’audience, l’avocat du requérant déclara :
« Nous n’affirmons pas que [le préjudice au requérant] a été causé intentionnellement, ce qui n’exclut pas pour autant que la responsabilité puisse être engagée au titre d’une négligence ; c’est-à-dire que la personne qui a causé le préjudice n’ait pas pris toutes les mesures nécessaires afin de l’éviter ou afin d’en diminuer l’importance [...] Or, il ressort des déclarations de B. que celui-ci aurait pu éviter le préjudice s’il avait libéré le bras [du requérant] à temps [...] »
Par une décision du 27 octobre 2005, le tribunal de la ville de Tchaïkovski débouta le requérant de son action, concluant que les policiers avaient eu recours à la force en conformité avec la loi pour faire face au refus du requérant d’obtempérer aux ordres. Dans ses motifs, le tribunal écarta comme non étayées les allégations du requérant quant à l’éventuel coup porté contre lui. Quant au préjudice subi par le requérant, le tribunal s’exprima comme suit :
« Le tribunal considère que l’officier de service de l’IVS a agi en conformité avec [la réglementation] ; sa demande de quitter la cellule adressée au requérant était légitime, [le requérant] avait l’obligation d’obtempérer sans objections [...] Vu que le requérant n’a pas obtempéré malgré un ordre légitime de l’administration de l’IVS et que les mesures non violentes sous forme de pourparlers n’ont pas permis de mettre fin à son opposition, c’est à raison que B. a eu recours à la force en lui repliant le bras gauche derrière le dos pour le contraindre à sortir (...) de la cellule. La fracture du bras a eu lieu comme conséquence du fait que le requérant avait résisté [...] et s’était agrippé à une grille par sa main droite. Quand on a décroché son bras droit de la grille, il est resté suspendu par sa main gauche, qui était bloquée par B. [...] Le tribunal considère qu’en l’absence d’éléments tels qu’un caractère illégitime des actes ou une faute de l’agent de police dont le préjudice au requérant serait le résultat, il n’y a pas de fondements permettant d’accueillir son action en dédommagement [...] »
Le requérant interjeta appel. Il allégua, entre autres, qu’en vertu de l’alinéa 3 de l’article 13 de la loi sur la milice, le policier en question était tenu de s’efforcer de réduire à son minimum le risque de préjudice pour sa santé.
Le 27 décembre 2005, le tribunal de la région de Perm rejeta l’appel du requérant en faisant siennes les conclusions du tribunal de première instance.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La loi sur la détention provisoire des personnes suspectées ou accusées d’infractions (no 103-FZ du 15 juillet 1995), telle qu’en vigueur à l’époque des faits
L’article 44 de ladite loi autorisait l’utilisation de la force à l’égard d’une personne détenue dans ce cadre en cas de besoin d’empêcher la commission d’une infraction ou bien en cas de refus, de sa part, d’obtempérer à un ordre légitime d’un agent en service, pour autant que des moyens non violents n’y fussent pas suffisants.
B. La loi sur la police (no 1026-1 du 18 avril 1991), telle qu’en vigueur à l’époque des faits
Selon l’article 13, alinéa 3, lors de toute utilisation de la force, l’agent de police devait s’efforcer de minimiser le préjudice causé, en tenant compte à cette fin du caractère et de la dangerosité de l’infraction et de la personne l’ayant commise ainsi que de la force de résistance de cette dernière. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
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