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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. La condamnation du requérant pour insubordination
Le 9 décembre 1983, le tribunal militaire permanent (Diarkes Stratodikio) d'Athènes, composé d'un juge militaire de carrière et de quatre autres officiers, déclara le requérant, témoin de Jéhovah, coupable d'insubordination pour avoir refusé de porter l'uniforme à une époque de mobilisation générale. Le tribunal militaire estima cependant, en vertu de l'article 70 b) du code de justice militaire et de l'article 84 § 2 a) du code pénal, qu'il existait des circonstances atténuantes, et condamna le requérant à quatre ans d'emprisonnement. L'intéressé fut mis en liberté conditionnelle après deux ans et un jour de détention.
B. Le refus de nommer le requérant à un poste d'expert-comptable
En juin 1988, le requérant se présenta à un examen d'Etat pour la nomination de douze experts-comptables, profession libérale en Grèce. Il se classa deuxième sur soixante candidats. Toutefois, le 8 février 1989, le bureau directeur de la Chambre des experts-comptables de Grèce (« le bureau ») refusa de le nommer au motif qu'il avait été reconnu coupable d'un crime (kakuryima).
C. La procédure devant le Conseil d'Etat
Le 8 mai 1989, le requérant saisit le Conseil d'Etat (Simvulio Epikratias), invoquant notamment ses droits à la liberté de religion et à l'égalité devant la loi, tels que garantis par la Constitution et la Convention. Il affirma également qu'il n'avait pas été reconnu coupable d'un crime mais d'une infraction de moindre gravité.
Le 18 avril 1991, la troisième chambre du Conseil tint audience. Le 25 mai 1991, elle décida de déférer l'affaire à l'assemblée plénière en raison des questions importantes qu'elle soulevait. Son point de vue était le suivant. L'article 10 du décret-loi no 3329/1955 disposait que nul ne pouvait être nommé expert-comptable s'il ne remplissait pas les conditions d'accès à la fonction publique. Par ailleurs, aux termes de l'article 22 § 1 du code de la fonction publique, nul ne pouvait accéder à la fonction publique s'il avait été reconnu coupable d'un crime. Toutefois, cette disposition renvoyait aux condamnations prononcées par les tribunaux établis conformément à l'article 87 § 1 de la Constitution, ce qui n'était pas le cas des tribunaux militaires permanents ; en effet, la majorité de leurs membres n'étaient pas des juges professionnels bénéficiant des mêmes garanties d'indépendance que leurs homologues civils, prévues par l'article 96 § 5 de la Constitution. Dès lors, la condamnation du requérant par le tribunal militaire permanent d'Athènes ne pouvait pas être prise en considération et il convenait d'annuler la décision refusant de nommer l'intéressé expert-comptable.
L'assemblée plénière du Conseil d'Etat tint une audience le 21 janvier 1994. Le 11 novembre 1994, elle décida que le bureau avait respecté la loi lorsque, pour appliquer l'article 22 § 1 du code de la fonction publique, il avait tenu compte de la condamnation du requérant pour crime prononcée par le tribunal militaire permanent d'Athènes. L'article 96 § 5 de la Constitution prévoyait que les tribunaux militaires continueraient à fonctionner comme par le passé jusqu'à la promulgation d'une nouvelle loi qui en modifierait la composition ; or cette loi n'avait pas encore été adoptée. Le Conseil d'Etat décida en outre de renvoyer l'affaire devant la troisième chambre pour qu'elle en examinât les autres aspects.
La décision du 11 novembre 1994 fut prise à la majorité. La minorité estima que, dans la mesure où neuf ans s'étaient écoulés depuis l'entrée en vigueur de la Constitution sans qu'ait été promulguée la loi prévue à l'article 96 § 5, les tribunaux militaires existants devaient offrir les garanties d'indépendance requises des magistrats civils. Or tel n'était pas le cas du tribunal militaire permanent d'Athènes ; il fallait donc faire droit à la demande de contrôle juridictionnel présentée par le requérant.
Le 26 octobre 1995, la troisième chambre tint une nouvelle audience. Le 28 juin 1996, elle débouta le requérant, estimant notamment que le refus du bureau de procéder à la nomination de l'intéressé n'était pas lié à ses convictions religieuses mais au fait qu'il avait commis une infraction.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La nomination à un poste d'expert-comptable
Jusqu'au 30 avril 1993, seuls les membres de la Chambre des experts-comptables de Grèce pouvaient exercer des fonctions d'experts-comptables dans ce pays.
L'article 10 du décret-loi no 3329/1955, dans sa teneur modifiée par l'article 5 du décret présidentiel no 15/1989, dispose que nul ne peut être nommé expert-comptable s'il ne remplit pas les conditions d'accès à la fonction publique.
Selon l'article 22 § 1 du code de la fonction publique, nul ne peut accéder à la fonction publique s'il a été reconnu coupable d'un crime.
Le 30 avril 1993, le monopole de la Chambre des experts-comptables fut aboli. La plupart des experts-comptables s'affilièrent à l'ordre des experts-comptables.
B. L'infraction d'insubordination
L'article 70 du code de justice militaire en vigueur jusqu'en 1995 se lisait ainsi :
« Tout membre des forces armées qui refuse ou omet d'exécuter un ordre de son commandant est puni
a) de mort si l'acte est commis devant l'ennemi ou des insurgés armés ;
b) de mort en temps de guerre ou d'insurrection armée ou lors d'un état de siège ou d'une mobilisation générale, ou, s'il existe des circonstances atténuantes, d'une peine d'emprisonnement à vie ou de cinq ans au moins, et
c) dans tous les autres cas, d'une peine d'emprisonnement allant de six mois à deux ans. »
En vertu du décret présidentiel no 506/1974, la Grèce était réputée être en état de mobilisation générale à l'époque de l'arrestation du requérant. Ce décret est toujours en vigueur.
L'article 84 § 2 a) du code pénal prévoit qu'une peine plus légère est infligée aux personnes qui, avant de commettre l'infraction en cause, avaient mené une vie honnête.
Aux termes de l'article 1 du code de justice militaire en vigueur jusqu'en 1995, les infractions passibles d'une peine d'au moins cinq ans d'emprisonnement étaient considérées comme des crimes (kakuryimata). Celles punies d'une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement étaient classées dans les délits (plimmelimata).
Selon le nouveau code de justice militaire édicté en 1995, l'insubordination qui n'est pas commise en temps de guerre ni devant l'ennemi est tenue pour un délit.
C. Le droit à l'objection de conscience
En application de l'article 2 § 4 de la loi no 731/1977, quiconque refusait d'accomplir un service militaire non armé en invoquant ses convictions religieuses était condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée équivalente à celle dudit service, à savoir moins de cinq ans.
La loi no 2510/1997, entrée en vigueur le 27 juin 1997, donne aux objecteurs de conscience le droit d'accomplir un service civil en remplacement du service militaire. L'article 23 §§ 1 et 4 de cette loi donnait à toute personne ayant été condamnée dans le passé pour insubordination la possibilité de demander à ce qu'on lui reconnaisse la qualité d'objecteur de conscience. Cette reconnaissance avait notamment pour effet d'effacer la condamnation de l'intéressé du casier judiciaire.
Les demandes relevant de l'article 23 §§ 1 et 4 de la loi no 2510/1997 devaient être présentées dans un délai de trois mois à compter du 1er janvier 1998. Elles étaient examinées par la commission qui conseillait le ministère de la Défense nationale sur les questions de reconnaissance des objecteurs de conscience. La commission était tenue d'appliquer l'article 18 de la loi no 2510/1997, aux termes duquel :
« La qualité d'objecteur de conscience peut être reconnue à quiconque invoque ses convictions religieuses ou idéologiques en vue d'être dispensé de ses obligations militaires pour des raisons de conscience (...) » | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
En mars 1995, le requérant, un Asiatique, passa en jugement avec J.B. et G.C. devant la Crown Court de Birmingham, composée d'un juge et d'un jury, pour entente frauduleuse.
Après la plaidoirie de la défense, le juge commença son résumé, qu'il avait presque terminé le vendredi soir au moment de lever l'audience.
Le lundi matin, l'un des jurés remit à l'huissier à son arrivée au tribunal une enveloppe contenant la plainte suivante :
« J'ai décidé que je ne pouvais garder le silence plus longtemps. Au cours du procès, j'ai pendant un temps eu l'impression que les autres jurés ne prenaient pas leur tâche au sérieux. Deux d'entre eux au moins ont fait des remarques et plaisanteries ouvertement racistes et, je le crains, vont condamner les défendeurs non pas en se fondant sur les preuves mais parce que ces derniers sont asiatiques. Je redoute donc que le verdict rendu ne soit pas équitable. Pourriez-vous m'indiquer ce que je peux faire dans cette situation. »
Le juré ayant rédigé la plainte fut prié de ne pas se joindre aux autres jurés. Le juge parla de la plainte avec les avocats en chambre du conseil puis ajourna la discussion et écouta les arguments en audience publique. La défense demanda au juge de congédier le jury au motif qu'il y avait un réel danger de parti pris. Le juge décida toutefois de rappeler le jury dans le prétoire ; le juré auteur de la plainte rejoignit alors les autres. Le juge leur fit lecture du texte de la plainte et leur déclara :
« Mesdames et messieurs les jurés, j'ai reçu ce matin une note de l'un de vous dans laquelle cette personne se déclare extrêmement préoccupée par le fait que certains jurés ne prennent pas leur tâche au sérieux et font des remarques et plaisanteries ouvertement racistes au sujet des Asiatiques, et risquent de rendre leur verdict non pas sur la base des preuves mais en fonction de préjugés raciaux.
Je ne suis pas en mesure de mener une enquête au sujet de la validité de ces arguments et n'ai d'ailleurs pas l'intention de procéder ainsi. Cette affaire a coûté beaucoup d'argent et je ne tiens pas à l'interrompre en ce moment ; toutefois, je n'aurai aucun scrupule à prendre cette mesure si la situation l'exige.
En acceptant d'être juré, vous avez prêté le serment ou promis de rendre un verdict loyal fondé sur les preuves. Il s'agit d'un engagement solennel et contraignant qui dit bien ce qu'il veut dire.
Je vais maintenant lever l'audience et vous demande à chacun de réfléchir en conscience ; si vous estimez que vous n'êtes pas en mesure de vous prononcer en cette affaire sur la seule base des preuves et que vous ne pouvez laisser vos préjugés de côté, veuillez mettre cela par écrit dans une note personnelle que vous donnerez à l'huissier demain matin à votre arrivée au tribunal. Je reconsidérerai alors la situation. Je vous remercie. »
Le lendemain matin, le juge reçut deux lettres du jury. La première, signée par tous les jurés y compris celui qui avait émis la plainte, contenait la déclaration suivante :
« Nous, les jurés soussignés, souhaitons que le tribunal enregistre notre réponse à la note datant d'hier émanant d'un juré et faisant état d'un risque de préjugé racial.
Nous réfutons catégoriquement cette allégation.
Nous sommes profondément offensés par cette allégation.
Nous donnons au tribunal notre assurance que nous avons l'intention de rendre un verdict sur la seule base des preuves et sans préjugé racial. »
La seconde lettre, distinguée par le juge, était rédigée par un juré qui se considérait apparemment comme l'auteur des plaisanteries. Ce juré expliquait longuement qu'il se pouvait qu'il ait fait de telles plaisanteries, qu'il regrettait d'avoir été offensant et qu'il était quelqu'un qui avait de nombreuses connaissances parmi les minorités ethniques et ne nourrissait en aucune façon de préjugés raciaux.
Le juge décida de ne pas congédier le jury et déclara à celui-ci :
« Mesdames et messieurs les jurés, les événements d'hier après-midi vous ont à l'évidence plongés dans le désarroi, mais je suis certain que vous vous rendrez compte que, lorsqu'un juge reçoit d'un juré une note qui soulève ce genre de question, il est de son devoir de la porter à l'attention de l'ensemble des jurés.
Quant à savoir si les allégations étaient bien ou mal fondées, il ne m'appartient pas de trancher cette question, pas plus qu'à aucun autre juge, ni d'enquêter à ce sujet. Cela serait déplacé. J'ai agi comme je l'ai fait dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, et je regrette que vous vous soyiez sentis offensés et troublés.
Toutefois, ce matin, vous avez tous les douze fermement réfuté l'allégation en cause, déclaré qu'elle vous avait profondément offensés et assuré au tribunal que vous aviez l'intention de rendre votre verdict en vous fondant uniquement sur les éléments de preuve et sans préjudice racial. L'un d'entre vous a aussi écrit une lettre tout à fait convaincante et équilibrée ; il m'apparaît donc clairement que chacun d'entre vous est conscient du serment qu'il a prêté ou de la promesse qu'il a faite et que vous êtes prêts à en respecter scrupuleusement les termes. »
Le 8 mars 1995, le jury reconnut le requérant coupable mais acquitta G.C., lui aussi asiatique. Le 20 avril 1995, le juge prononça à l'égard du requérant une peine de cinq ans d'emprisonnement.
Le requérant reçut l'autorisation de faire appel de sa condamnation. Dans son recours, il souleva notamment le moyen suivant : le juge aurait dû congédier le jury après avoir reçu la plainte du juré. En tout état de cause, le juré auteur de la plainte n'aurait pas dû être séparé des autres membres du jury pour commencer et le juge n'aurait pas dû divulguer aux jurés la teneur de la plainte.
Le 1er mars 1996, la Cour d'appel débouta le requérant. Pour ce qui est du moyen précité, prenant en compte la lettre signée par tous les jurés ainsi que celle du juré qui était probablement l'auteur des remarques offensantes, elle conclut que le juge du fond n'avait pas commis d'erreur en estimant qu'il n'y avait pas de risque réel de parti pris. De plus, le juge avait eu raison de porter le problème devant le jury et de lui demander d'y réfléchir. Il était peut-être regrettable que le juré auteur de la plainte ait été un temps mis à l'écart des autres, car cela avait conduit à l'identifier. Toutefois, il ne serait pas réaliste de supposer que le jury n'ait pas voulu connaître l'identité de l'auteur de la plainte et, dans ses instructions au jury, le juge a traité de manière tout à fait sensée l'éventualité de tensions entre les jurés. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Les procès
Par un jugement du tribunal de Marsala rendu le 21 décembre 1992, le requérant fut condamné à sept ans de réclusion et au paiement d'une amende, notamment pour trafic illégal de stupéfiants et association de malfaiteurs et de type mafieux. Il fut extradé de Suisse le 23 novembre 1993 en vue de purger ladite peine. Il fut ensuite détenu à la prison de Côme. Par un arrêt du 6 mars 1995, déposé au greffe le 30 mai 1995, la cour d'appel de Palerme acquitta le requérant sur deux chefs d'accusation et ramena la peine à cinq ans d'emprisonnement. Le requérant se pourvut en cassation le 13 juillet 1995. Ce pourvoi fut rejeté par un arrêt daté du 26 janvier 1996.
Le 18 janvier 1995, le juge chargé des enquêtes préliminaires près le tribunal de Caltanissetta délivra à l'encontre du requérant un mandat d'amener pour l'assassinat d'un magistrat ; ce mandat fut notifié au requérant le 18 janvier 1995. Le requérant fut acquitté par la cour d'assises de Caltanissetta en juin 1998. La procédure serait toujours pendante.
Dans le cadre d'une autre procédure pour association de type mafieux et autres infractions liées au trafic de stupéfiants, la cour d'assises de Trapani, par un jugement du 30 janvier 1999, acquitta le requérant sur le premier chef d'accusation.
Dans le cadre d'une autre procédure devant le tribunal de Marsala, le 26 mai 1995, le requérant fut condamné à dix-sept ans d'emprisonnement, notamment pour association de malfaiteurs ayant pour but le trafic international de stupéfiants. Par un arrêt du 16 avril 1997, la cour d'appel de Palerme acquitta le requérant sur un chef d'accusation et ramena la peine pour les autres chefs à dix ans d'emprisonnement. Le pourvoi en cassation du requérant fut rejeté par un arrêt du 4 décembre 1998, déposé au greffe le 25 février 1999.
Le requérant purge une peine de quatorze ans d'emprisonnement, notamment pour séquestration de personne, qui lui a été infligée par la cour d'appel de Palerme.
B. Le régime spécial
Par un arrêté du 26 novembre 1993, le ministre de la Justice ordonna que le requérant fût soumis au régime spécial de détention pour une période d'un an. Cet arrêté était motivé par des raisons d'ordre public et de sécurité, compte tenu de la dangerosité du phénomène mafieux et de celle du requérant, dans la mesure où celui-ci, selon des rapports de police, était présumé maintenir un lien permanent avec le milieu mafieux. Par ailleurs, cet arrêté, dérogeant à la loi sur l'administration pénitentiaire, imposait les restrictions suivantes :
– interdiction d'utiliser le téléphone ;
– interdiction de tout entretien ou correspondance avec d'autres détenus ;
– interdiction d'entrevues avec des tiers ;
– limitation des entrevues avec des membres de la famille (au maximum une par mois pendant une heure) ;
– interdiction de recevoir ou d'envoyer des sommes d'argent au-delà d'un montant déterminé ;
– interdiction de recevoir de l'extérieur des paquets contenant autre chose que du linge ;
– interdiction d'organiser des activités culturelles, récréatives et sportives ;
– interdiction d'élire un représentant des détenus et d'être élu comme tel ;
– interdiction d'exercer des activités artisanales ;
– interdiction d'acheter des aliments demandant une cuisson ;
– interdiction de passer plus de deux heures en plein air.
Aux termes de l'article 2 de cet arrêté, la censure de la correspondance par le directeur de l'établissement pénitentiaire était subordonnée à l'autorisation préalable de la juridiction compétente.
Le 26 novembre 1993, le directeur du pénitencier de Côme transmit à la cour d'assises de Trapani une demande du requérant tendant à l'autorisation d'entretiens et appels téléphoniques supplémentaires et, si possible, permanents. Le président de la cour fit droit à cette demande le 20 décembre 1993.
Le 29 novembre 1993, le directeur du pénitencier de Côme demanda à la cour d'assises de Trapani d'autoriser la censure de la correspondance du requérant, lequel avait reçu, le 28 novembre 1993, notification d'un arrêté du ministre de la Justice lui imposant le régime spécial. Le 30 novembre 1993, le président de la cour d'assises de Trapani donna son autorisation.
A une date non précisée, le requérant attaqua l'arrêté du 28 novembre 1993 devant le tribunal d'application des peines d'Ancône. Il contesta l'application du régime spécial à son encontre et se plaignit de son caractère vexatoire. Le tribunal rejeta le recours à une date non précisée en 1995.
Par la suite, on transféra à plusieurs reprises le requérant dans les pénitenciers de Trapani, Ascoli Piceno, Termini Imerese, Pianosa, Palerme et Porto Azzurro, souvent à seule fin de lui permettre de participer aux audiences d'appel se déroulant à Palerme.
Le 7 décembre 1993, le directeur du pénitencier de Termini Imerese demanda à la cour d'assises de Trapani et au tribunal de Marsala d'autoriser le requérant à avoir des entrevues avec les membres de sa famille (le requérant est marié et a trois filles). Le président de la cour d'assises donna son autorisation le 9 décembre 1993.
A une date non précisée, une demande d'autorisation de censure de la correspondance du requérant fut adressée par le pénitencier au tribunal d'application des peines de Macerata. Le 22 août 1994, le tribunal de Macerata fit droit à cette demande pour une période de six mois.
Le 24 août 1994, le requérant contesta cette décision devant les tribunaux d'application des peines d'Ancône et de Trapani. L'issue de ces recours n'est pas connue.
Par un arrêté du 29 novembre 1994, le ministre de la Justice ordonna que le requérant fût une nouvelle fois soumis au régime spécial de détention, à savoir du 29 novembre 1994 au 28 mai 1995, étant donné que les conditions justifiant cette mesure persistaient. Les restrictions étaient identiques à celles imposées par l'arrêté antérieur.
Le 6 décembre 1994, le requérant introduisit un recours contre cet arrêté devant le tribunal d'application des peines d'Ancône. Il contesta l'application du régime spécial et se plaignit en particulier de la limitation des entrevues avec les membres de sa famille.
Par une ordonnance du 27 mars 1995, le tribunal d'application des peines d'Ancône rejeta partiellement le recours, estimant que l'application du régime spécial de détention du requérant était justifiée et que l'arrêté contesté était suffisamment motivé. S'agissant des restrictions imposées par cet arrêté, le tribunal considéra que la liste des conditions minimales de détention, fixée à l'article 14 quater de la loi sur l'administration pénitentiaire, devait s'appliquer aux entrevues avec les membres de la famille du requérant. Par conséquent, le tribunal annula l'interdiction de recevoir plus d'une seule visite familiale par mois et déclara que le requérant avait désormais droit à quatre visites.
Le requérant se pourvut en cassation contre cette ordonnance le 30 mars 1995. Il fit valoir que les conditions de détention auxquelles il était soumis étaient inhumaines et que le régime spécial de détention avait été prorogé par des arrêtés insuffisamment motivés. Le procureur de la République se pourvut aussi contre cette ordonnance. Par un arrêt du 10 octobre 1995, déposé au greffe le 31 octobre 1995, les pourvois furent déclarés irrecevables car les parties n'avaient plus d'intérêt à agir, l'arrêté du 29 novembre 1994 ayant expiré le 28 mai 1995, avant que la cour ne se prononçât.
Par un arrêté du 27 mai 1995, le ministre de la Justice ordonna la prorogation du régime spécial de détention jusqu'au 26 novembre 1995, au motif que les conditions justifiant cette mesure persistaient.
Le 5 juin 1995, le requérant adressa au ministère de la Justice un recours contre cet arrêté, en vue de sa transmission éventuelle au tribunal d'application des peines d'Ancône. Le requérant se plaignit notamment de l'absence de raisons concrètes justifiant la prorogation du régime spécial et fit valoir que les limitations des entrevues et des promenades en plein air ainsi que l'interdiction d'acheter des aliments demandant une cuisson étaient non seulement contraires à l'article 14 quater de la loi sur l'administration pénitentiaire et au but de rééducation, mais également vexatoires. Il demanda la levée du régime spécial ainsi que l'autorisation de rencontrer sa femme et ses filles sans séparation par des parois vitrées et d'utiliser le téléphone ; il souligna également qu'il était détenu loin de sa famille et du lieu où se déroula le procès. L'issue de ce recours n'est pas connue.
Par un arrêté du 24 novembre 1995, le ministre de la Justice, s'appuyant sur des motifs similaires, ordonna la prorogation du régime spécial de détention jusqu'au 23 mai 1996. Le 27 novembre 1995, le requérant attaqua cette décision devant le tribunal d'application des peines de Florence.
Par un arrêté du 21 mai 1996, le régime spécial de détention fut encore prorogé de six mois. Les motifs de la prorogation et les restrictions imposées furent les mêmes que précédemment. Le 30 mai 1996, le requérant attaqua cette décision devant le tribunal d'application des peines de Florence.
Le 2 octobre 1996, le requérant demanda au tribunal d'application des peines de Florence de fixer l'audience pour l'examen de ses recours des 27 novembre 1995 et 30 mai 1996.
Par un arrêté du 19 novembre 1996, le ministre de la Justice prorogea encore le régime spécial de six mois ; cette décision fut motivée de manière similaire aux précédentes. Le requérant l'attaqua devant le tribunal d'application des peines de Florence le 21 novembre 1996. Par une décision du 11 février 1997, le tribunal rejeta le recours du requérant. Se fondant sur l'arrêt de la Cour constitutionnelle no 351/1996, le tribunal observa que la prorogation de l'application du régime spécial au requérant se justifiait à la lumière des informations recueillies par la police et par les autorités judiciaires. Le tribunal annula cependant certaines limitations imposées antérieurement, notamment la suspension du programme de rééducation, la limitation des entrevues avec des membres de la famille, l'interdiction de recevoir des paquets contenant autre chose que du linge, l'interdiction d'acheter des aliments demandant une cuisson et l'interdiction de passer plus de deux heures en plein air. Le requérant se pourvut en cassation contre cette décision. L'audience en chambre du conseil fut fixée au 30 septembre 1997. A cette date, le pourvoi fut déclaré irrecevable pour manque d'intérêt, l'arrêté ayant entre-temps expiré.
Le 4 février 1997, le ministre de la Justice ordonna que le requérant fût autorisé à remplacer l'entrevue mensuelle avec sa famille par un appel téléphonique, à recevoir un colis supplémentaire par mois et deux colis extraordinaires par an et à utiliser des fourneaux.
Par un arrêté du 19 mai 1997, le ministre de la Justice prorogea une nouvelle fois le régime spécial de détention de six mois. Cette décision était motivée de manière similaire aux précédentes. Le requérant attaqua cet arrêté devant le tribunal d'application des peines de Florence, qui rejeta le recours par une décision du 7 août 1997, observant que la prorogation de l'application du régime spécial au requérant se justifiait à la lumière des informations recueillies par la police et par les autorités judiciaires. Le tribunal leva cependant certaines limitations imposées antérieurement, notamment la suspension du programme de rééducation, la limitation des entrevues avec des membres de la famille, l'interdiction de recevoir des paquets contenant autre chose que du linge, l'interdiction d'acheter des aliments demandant une cuisson et l'interdiction de passer plus de deux heures en plein air. Le requérant se pourvut en cassation, mais son pourvoi fut déclaré irrecevable pour manque d'intérêt par un arrêt du 19 janvier 1998, l'arrêté ayant entre-temps expiré.
Le 29 août 1997, le requérant se plaignit auprès du juge d'application des peines de Macerata du régime auquel il était soumis. Le juge, par une décision du 15 octobre 1997, déposée au greffe le lendemain, rejeta le recours. Il observa que les limitations dont le requérant s'était plaint lui avaient été imposées par l'administration pénitentiaire, au moyen d'ordres de service qui faisaient à chaque fois application de l'arrêté du ministre de la Justice et étaient donc légitimes ; il souligna de plus que les accusés – à la différence des condamnés – ne faisaient pas l'objet d'un programme de rééducation, ce eu égard aux principes de présomption d'innocence et de liberté de la défense.
Par un arrêté du 21 novembre 1997, le ministre de la Justice prorogea le régime spécial de six mois et ordonna au directeur du pénitencier de demander à l'autorité judiciaire compétente l'autorisation de censurer la totalité de la correspondance du requérant. Le 23 novembre 1997, le pénitencier de Trapani demanda ladite autorisation au juge d'application des peines de Livourne, qui en informa le juge d'application des peines compétent, à savoir celui de Trapani. Ce dernier ordonna la censure de la correspondance du requérant pour une période de six mois à compter du 21 novembre 1997.
Le 28 novembre 1997, le requérant attaqua l'arrêté du 21 novembre 1997 devant le tribunal d'application des peines d'Ancône. Celui-ci transmit le recours, le 1er décembre 1997, au tribunal de Palerme, lequel le lui retourna le 2 mai 1998, la compétence à en décider ayant entre-temps changé (paragraphe 46 ci-dessous, in fine). Par une décision du 7 mai 1998, déposée au greffe le 11 mai 1998, le tribunal rejeta le recours.
Par une décision du 4 février 1998, le ministre de la Justice annula la limitation des promenades en plein air.
Par une décision du ministre de la Justice du 21 mai 1998, le régime spécial cessa d'être appliqué au requérant.
C. La censure de la correspondance du requérant avec la Commission européenne des Droits de l'Homme et avec sa famille
Plusieurs lettres ainsi que les observations que le requérant a adressées au secrétariat de la Commission européenne des Droits de l'Homme par le biais de son épouse sont parvenues avec un visa de censure de l'administration des pénitenciers de Pianosa, Palerme, Porto Azzurro, Ascoli Piceno et Trapani, et cela jusqu'au mois de juin 1998.
Des lettres que le requérant avait adressées à sa femme, notamment les 19 et 21 octobre 1997, ont été censurées ; le requérant en a été informé les 21 et 28 octobre 1997.
Les recours adressés par le requérant aux tribunaux compétents d'application des peines ont été soumis à la censure par l'administration pénitentiaire.
II. LE DROIT et la pratique INTERNEs PERTINENTs
A. Le régime spécial
L'article 41 bis de la loi sur l'administration pénitentiaire (loi no 354 du 26 juillet 1975), dans sa teneur modifiée par la loi no 356 du 7 août 1992, attribue au ministre de la Justice le pouvoir de suspendre complètement ou partiellement l'application du régime pénitentiaire ordinaire, tel que prévu par la loi no 354 de 1975, par arrêté motivé et contrôlable par l'autorité judiciaire, pour des raisons d'ordre et de sûreté publics, lorsque le régime ordinaire de détention serait en conflit avec ces dernières exigences.
Pareille disposition peut être appliquée uniquement à l'égard des détenus poursuivis ou condamnés pour les délits visés à l'article 4 bis de la même loi, parmi lesquels figurent des délits liés aux activités de la mafia.
Aux termes de l'article 6 de la loi no 11 du 7 janvier 1998, l'applicabilité du régime prévu à l'article 41 bis est prorogée jusqu'au 31 décembre 2000.
Les mesures pouvant résulter de l'application de la disposition en question sont les suivantes :
– interdiction de participer à la gestion de la nourriture et à l'organisation des activités récréatives des détenus ;
– interdiction des entrevues avec des personnes autres que les membres de la famille, le concubin ou l'avocat ;
– limitation des entrevues à deux par mois et des conversations téléphoniques à une par mois ;
– visa de censure sur toute la correspondance du détenu, sauf celle avec son avocat ;
– interdiction de passer plus de deux heures par jour en plein air ;
– suspension des entrevues autorisées en cas de bonne conduite ;
– limitation des possibilités d'acquérir ou de recevoir de l'extérieur des biens personnels autorisés par le règlement intérieur de la prison ;
– interdiction de recevoir plus de deux paquets par mois ;
– interdiction de recevoir ou d'envoyer vers l'extérieur des sommes d'argent ;
– interdiction d'exercer des activités artisanales impliquant l'utilisation d'outils dangereux.
L'article 14 ter de la loi sur l'administration pénitentiaire prévoit la possibilité de former une réclamation (reclamo) devant le tribunal d'application des peines (tribunale di sorveglianza) contre l'arrêté du ministre de la Justice imposant le régime spécial dans un délai de dix jours à compter de la date de communication de l'arrêté à l'intéressé. La réclamation n'a aucun effet suspensif. Le tribunal doit statuer dans un délai de dix jours. L'article 4 de la loi no 11 du 7 janvier 1998 précise que la réclamation doit être formée devant le tribunal d'application des peines dans le ressort duquel se trouve l'établissement pénitentiaire où le détenu doit purger sa peine. Il est possible de se pourvoir en cassation contre la décision du tribunal d'application des peines.
La Cour constitutionnelle italienne, saisie de la question de savoir si un tel système respectait le domaine réservé du législateur, a estimé (dans ses arrêts nos 349 et 410 de 1993) que l'article 41 bis était compatible avec la Constitution. Elle a en effet considéré que s'il était vrai que le régime spécial de détention au sens de la disposition en question était concrètement établi par le ministre, l'arrêté de ce dernier pouvait néanmoins être attaqué devant les juges d'application des peines, qui exerçaient un contrôle tantôt sur sa nécessité, tantôt sur les mesures concrètes devant être appliquées au détenu concerné, lesquelles ne devaient en tout cas jamais entraîner un traitement inhumain.
Cependant, se fondant sur l'article 15 de la Constitution, qui prévoit notamment que les restrictions à la correspondance peuvent avoir lieu uniquement sur décision motivée de l'autorité judiciaire, la Cour constitutionnelle a précisé que le pouvoir de soumettre la correspondance d'un détenu à un visa de censure appartenait exclusivement à l'autorité judiciaire. Par conséquent, l'article 41 bis ne peut être interprété comme incluant le pouvoir, pour le ministre de la Justice, de prendre des mesures concernant la correspondance des détenus.
Toutefois, la Cour de cassation a pour sa part considéré que les tribunaux d'application des peines devaient se borner à contrôler la légitimité de l'arrêté du ministère en tant que tel et ne pouvaient se substituer à l'administration dans le choix des modalités concrètes d'application. En revanche, dans la pratique, les tribunaux d'application des peines sont allés jusqu'à contrôler la conformité de chaque mesure concrète au but poursuivi par l'administration. Il s'en est suivi que les décisions des tribunaux d'application des peines sont souvent restées inexécutées, ce qui a donné lieu à des conflits entre ces tribunaux et l'autorité administrative.
C'est par un arrêt no 351 des 14-18 octobre 1996 que la Cour constitutionnelle a enfin établi que le pouvoir de contrôle des tribunaux d'application des peines s'étendait aux modalités concrètes d'application de la mesure, eu égard au but poursuivi et aux droits fondamentaux garantis par la Constitution. La Cour de cassation a d'ailleurs changé d'orientation à cet égard avant même l'arrêt de la Cour constitutionnelle, en admettant la possibilité pour le juge d'application des peines de lever, en tout ou partie, les mesures illégitimes (voir les arrêts nos 6873 du 12 février 1996 et 684 du 1er mars 1996).
Le 7 février 1997, en application des principes énoncés par la Cour constitutionnelle dans l'arrêt précité, le département de l'administration pénitentiaire au ministère de la Justice a adressé une lettre circulaire aux directeurs des établissements pénitentiaires au sujet de l'organisation des quartiers regroupant les détenus soumis au régime spécial. Cette circulaire contenait entre autres les instructions suivantes : les prisonniers étaient désormais autorisés à utiliser des fourneaux ; ils avaient le droit d'accéder aux locaux équipés pour des activités sportives et à une bibliothèque ; les entretiens avec les membres de la famille pouvaient être remplacés par des appels téléphoniques ; les parois vitrées étaient maintenues mais, de ce fait, la fouille des visiteurs devenait moins stricte.
Par l'arrêt no 376 des 26 novembre-5 décembre 1997, la Cour constitutionnelle a réaffirmé que l'article 41 bis était compatible avec la Constitution, tout en modifiant et précisant l'interprétation à donner à cette disposition. La cour a notamment considéré que les arrêtés imposant le régime spécial devaient s'appuyer sur des raisons concrètes d'ordre et de sûreté publics et que les décisions de proroger un tel régime devaient également se fonder sur des motifs suffisants et indépendants de ceux qui en avaient justifié l'imposition. La cour a souligné que le régime spécial ne devait pas représenter un traitement inhumain ni empêcher la réinsertion du détenu au mépris de l'article 27 de la Constitution. Elle a précisé toutefois qu'à aucun moment ne cessait de s'appliquer l'article 13 de la loi sur l'administration pénitentiaire, aux termes duquel le traitement auquel est soumis le détenu doit respecter sa personnalité, et qu'un programme de rééducation doit être établi et adapté suivant l'observation scientifique de la personnalité du détenu et en collaboration avec lui.
Demeurait également applicable l'article 27 de la loi, aux termes duquel les activités culturelles, sportives et récréatives doivent être favorisées et organisées dans les établissements pénitentiaires ainsi que toute autre activité permettant l'expression de la personnalité des détenus dans le cadre du programme de rééducation. Lesdites activités devaient, certes, être organisées de manière à empêcher tout lien entre la personne concernée et son milieu mafieux ou criminel d'origine. En soulignant que le régime spécial se devait de respecter le but de réinsertion du détenu dans la société, la Cour constitutionnelle a considéré que le principe de la présomption d'innocence ne se trouvait pas violé du fait qu'un tel régime pouvait être imposé à des suspects sous le coup d'une condamnation définitive. En effet, l'application du régime spécial n'empêchait pas une libération anticipée (voir l'arrêt no 349 de 1993 de la Cour constitutionnelle) qui présupposait la participation préalable du détenu aux activités culturelles, sportives et récréatives prévues à l'article 27 de la loi sur l'administration pénitentiaire.
Le 6 février 1998, en application des principes énoncés par la Cour constitutionnelle dans l'arrêt précité, le département de l'administration pénitentiaire au ministère de la Justice a adressé une lettre circulaire aux directeurs des établissements pénitentiaires au sujet de l'organisation des quartiers regroupant les détenus soumis au régime spécial. Cette circulaire contenait, entre autres, les instructions suivantes :
– les modalités de la promenade en plein air ont été modifiées ; la durée a été portée à quatre heures par jour, avec la nécessité cependant de veiller à ce que la promenade ne devienne pas l'occasion de rencontres ou contacts avec d'autres associés présumés de la mafia ;
– les espaces de promenade en plein air dans les prisons de Secondigliano et Pise seront équipés pour permettre des exercices physiques et une activité sportive ;
– la création d'une ou plusieurs salles destinées aux activités sociales, culturelles et récréatives a été prévue dans chaque quartier destiné à l'affectation, à caractère définitif ou pour des raisons sanitaires, de détenus soumis au régime spécial ;
– pour ce qui est des activités de travail, la circulaire prévoit que, lorsqu'il n'est pas possible d'équiper un pénitencier, les détenus devront pouvoir avoir accès aux locaux prévus à cet effet dans d'autres établissements pénitentiaires, avec des modalités permettant d'exclure toute possibilité de rencontres ou contacts avec d'autres associés présumés de la mafia ;
– les entretiens avec les enfants mineurs de seize ans peuvent avoir lieu sans paroi vitrée ; si l'entretien se déroule en présence d'autres personnes, l'absence de paroi vitrée n'est autorisée que pour les visites d'enfants et ne peut excéder le sixième de la durée totale de l'entretien ;
– les détenus soumis au régime spécial peuvent recevoir des paquets contenant des denrées alimentaires à l'exception de celles qui exigent une cuisson, puisque l'usage de fourneaux est interdit sauf pour réchauffer des boissons ou aliments précuits.
B. Les dispositions pertinentes en matière de contrôle de la correspondance
Selon l'article 18 de la loi no 354 du 26 juillet 1975, tel que modifié par l'article 2 de la loi no 1 du 12 janvier 1977, l'autorité compétente pour décider de soumettre la correspondance des détenus à un contrôle est le juge saisi de l'affaire (qu'il s'agisse de la juridiction d'instruction ou de la juridiction de jugement) jusqu'à la décision de première instance, et le juge d'application des peines pendant le déroulement ultérieur de la procédure. Cette disposition prévoit également que le magistrat compétent peut ordonner le contrôle de la correspondance d'un détenu par décision motivée, mais ne précise pas les cas dans lesquels une telle décision peut être prise.
Le contrôle en question consiste concrètement en l'interception et la lecture par l'autorité judiciaire qui l'a ordonné, par le directeur de la prison ou par le personnel pénitentiaire désigné par ce dernier, de toute la correspondance du détenu concerné, ainsi qu'en l'apposition d'un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit contrôle (voir également l'article 36 du décret d'application de la loi no 354 ci-dessus – décret du président de la République no 431 du 29 avril 1976). Cette mesure de contrôle ne peut avoir pour résultat l'effacement de mots ou de phrases, mais l'autorité judiciaire peut ordonner qu'une ou plusieurs lettres ne soient pas remises. Dans ce cas, le détenu doit en être aussitôt informé. Cette dernière mesure peut également être ordonnée provisoirement par le directeur de la prison, qui doit toutefois en informer l'autorité judiciaire.
Enfin, quant aux recours disponibles contre le contrôle, la Cour de cassation a indiqué dans plusieurs décisions que cette mesure litigieuse constituait un acte de nature administrative. Elle a par ailleurs affirmé, dans une jurisprudence constante et bien établie, que la loi italienne ne prévoyait pas de voies de recours à cet égard, la mesure en question ne pouvant pas non plus faire l'objet d'un pourvoi en cassation, car elle ne concernait pas la liberté personnelle du détenu (Cour de cassation : arrêts no 3141 du 14 février 1990 et no 4687 du 4 février 1992).
L'article 35 de la loi sur l'administration pénitentiaire énonce que les détenus peuvent adresser des demandes ou réclamations sous pli scellé aux autorités suivantes :
– le directeur du pénitencier, les inspecteurs, le directeur général des établissements pénitentiaires et le ministre de la Justice ;
– le juge d'application des peines ;
– les autorités judiciaires et sanitaires qui inspectent le pénitencier ;
– le président du conseil régional ;
– le président de la République. | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Les faits ayant conduit à la désignation d'inspecteurs
Au début de 1986, Guinness se trouvait en concurrence avec une autre société, Argyll Group PLC (« Argyll »), pour la reprise d'une troisième société, la Distillers Company PLC (« Distillers »). Guinness emporta la bataille. Comme celle d'Argyll, l'offre de Guinness aux actionnaires de la Distillers comprenait un important échange de parts et le cours des actions de Guinness et d'Argyll à la Bourse de Londres constitua donc un élément déterminant pour les deux parties. Pendant le raid, le cours de l'action Guinness augmenta de façon spectaculaire, mais une fois qu'on déclara l'offre sans condition, il chuta sensiblement. Selon le troisième requérant, la hausse du cours de l'action s'inscrivit dans la tendance du secteur boursier de la société et sa chute fut une conséquence du mécanisme normal du marché.
Des allégations et des rumeurs circulèrent quant à des agissements répréhensibles au cours du raid. On prétendit que l'importante augmentation du prix des actions Guinness cotées en bourse pendant l'offre publique d'achat résultait d'une opération illégale de soutien des parts. Y étaient impliquées certaines personnes (« les supporters ») qui acquéraient des parts de Guinness pour maintenir ou gonfler le cours. Il était allégué que les supporters obtinrent des indemnités secrètes pour les pertes qu'ils pouvaient subir et, pour certains d'entre eux, d'énormes honoraires en cas de réussite de l'offre de Guinness. Ces incitations, si tant est qu'elles aient existé, étaient illégales pour deux raisons : 1) elles ne furent pas révélées sur le marché conformément au code de la City de Londres sur les reprises et les fusions, 2) elles furent acquittées sur les propres liquidités de Guinness, en contravention à l'article 151 de la loi de 1985 sur les sociétés (« la loi de 1985 »), qui interdit à une société de prêter un appui financier pour favoriser l'achat de ses propres actions.
Il était en outre allégué que les supporters qui avaient acquis des actions dans le cadre de l'opération illégale de soutien des parts furent indemnisés et récompensés, et que certaines personnes qui avaient aidé à trouver des supporters obtinrent en contrepartie d'importantes gratifications provenant elles aussi des fonds de Guinness. Selon les rumeurs, dans la plupart des cas, ces paiements furent effectués au moyen de fausses factures qui cachaient que le versement avait trait à la participation des supporters ou d'autres bénéficiaires à l'opération illégale de soutien des actions.
Ces allégations et rumeurs conduisirent le ministre du Commerce et de l'Industrie à désigner des inspecteurs le 28 novembre 1986, en vertu des articles 432 et 442 de la loi de 1985, pour mener des investigations sur l'acquisition de Distillers par Guinness et enquêter sur les affaires de cette dernière.
B. L'enquête des inspecteurs
L'enquête commença le 1er décembre 1986. Le 10 décembre 1986, les inspecteurs entamèrent l'audition des témoins. M. Seelig, un directeur de la banque d'affaires conseiller de Guinness, fut le premier d'entre eux.
Le 18 décembre 1986, les inspecteurs demandèrent au deuxième requérant de fournir des documents relatifs aux transactions sur les actions de Guinness effectuées par sa société au cours de l'offre publique d'achat. Le 24 décembre 1986, le solicitor de l'intéressé soumit les documents qui indiquaient que le troisième requérant avait pris contact avec la société du deuxième requérant en vue du soutien de l'offre publique d'achat faite par Guinness.
Le 12 janvier 1987, les inspecteurs informèrent le ministère du Commerce et de l'Industrie (« le DTI ») de certaines questions et, le 13 janvier 1987, une note du solicitor du DTI fit état de l'existence d'éléments de preuve matériels d'infractions pénales. Le même jour, le DTI prit contact avec M. John Wood au parquet (Director of Public Prosecutions' office – « le DPP »). Il fut décidé que la marche à suivre était d'autoriser les inspecteurs à poursuivre leur enquête et d'en communiquer les procès-verbaux au service des poursuites (Crown Prosecution Service – « le CPS »), créé en septembre 1986. Les trois requérants soutiennent n'avoir pas eu connaissance de ces dispositions lors de leurs interrogatoires par les inspecteurs.
Le 14 janvier 1987, M. Saunders, président-directeur général de Guinness, fut licencié.
Le 29 janvier 1987, le ministre exigea des inspecteurs qu'ils l'informent de tout élément qui viendrait à leur connaissance dans le cadre de leur enquête en vertu de l'article 437 (1A) de la loi de 1985. Après quoi les inspecteurs transmirent au ministre les procès-verbaux des auditions auxquelles ils procédaient et les autres pièces qu'ils recueillaient. Les requérants attirent l'attention sur la documentation officielle qui, à leur sens, confirme la collusion qui commençait à prendre forme.
Le 30 janvier 1987 eut lieu une réunion entre les inspecteurs, le solicitor et d'autres fonctionnaires du DTI, M. Wood et un représentant du CPS. Entre autres choses, on y identifia les accusés potentiels, les chefs d'accusation possibles furent envisagés et l'on estima qu'il fallait prendre une décision quant au moment où commencerait l'enquête pénale. Tous les intéressés convinrent de la nécessité de travailler en étroite collaboration pour ouvrir la voie à des inculpations dans les meilleurs délais. Les inspecteurs se dirent prêts à coopérer tout en se réservant le droit de mener leur enquête comme bon leur semblait. Les requérants affirment n'avoir jamais été avisés de ces accords au cours de leurs auditions respectives.
Le 5 février 1987, M. Wood, qui avait été nommé chef des services juridiques du CPS, chargea une équipe d'avocats d'examiner les aspects pénaux de l'enquête. Les procès-verbaux et pièces des inspecteurs furent communiqués à cette équipe après réception et examen par le DTI. Les requérants déclarent qu'en fait l'ensemble des procès-verbaux et pièces existant à cette date ont été transmis à l'équipe d'avocats du CPS, de même que tous les éléments obtenus après cette date.
Les auditions auxquelles procédèrent les inspecteurs furent en permanence entourées d'une large publicité médiatique.
Les inspecteurs interrogèrent le premier requérant à cinq reprises : les 29 janvier, 12 février, 11 mars, 16 mars et 10 avril 1987. Les entretiens portèrent sur sa participation aux conseils donnés à Guinness au cours de l'offre publique d'achat de Distillers et à l'identification d'investisseurs prêts à soutenir l'offre en acquérant des actions de Guinness.
Le deuxième requérant fut entendu par les inspecteurs à deux occasions : les 14 janvier et 2 septembre 1997. Les interrogatoires concernèrent essentiellement la manière dont il avait été impliqué dans l'opération de soutien de l'offre de Guinness et les dispositions prises pour le versement à sa société d'honoraires de succès.
Le troisième requérant fut interrogé par les inspecteurs les 22 et 27 janvier 1987. Il fut accompagné de son solicitor d'un bout à l'autre de ces entretiens, au cours desquels on le pressa de répondre à un certain nombre de questions précises. L'intéressé affirme qu'il a tenté par lui-même ou par le biais de son solicitor de ne pas répondre, mais qu'il a à chaque fois été avisé des conséquences de son refus. Les inspecteurs l'interrogèrent une nouvelle fois le 26 mai 1987. Le 17 juillet 1987, les solicitors du troisième requérant confirmèrent le contenu des procès-verbaux des entretiens, sous réserve d'une modification mineure.
Après avoir fourni aux inspecteurs des précisions sur ses projets de voyage et assuré qu'il resterait à leur disposition par le biais de ses solicitors ou personnellement en cas de besoin, le troisième requérant partit pour les Etats-Unis où il arriva le 30 septembre 1987. Il fut aussitôt arrêté et placé en détention, le Royaume-Uni ayant adressé une demande d'extradition aux Etats-Unis. Il revint de son plein gré au Royaume-Uni le 23 mars 1988.
C. La procédure pénale
Au cours de la première semaine de mai 1987, le DPP demanda officiellement à la police de procéder à l'enquête pénale. Les procès-verbaux et documents obtenus grâce aux entretiens des inspecteurs furent alors transmis à la police.
Le 7 mai 1987, M. Saunders fut inculpé de nombreuses infractions en rapport avec l'opération illégale de soutien des actions. Selon les requérants, il s'agissait d'accusations provisoires qui ne portaient pas sur ladite opération. Les accusations dirigées contre M. Saunders avaient trait à la destruction alléguée de livres et documents appartenant à Guinness, qui avaient été créés pendant que l'intéressé était président-directeur général de la société.
Environ un mois plus tard, le DPP chargea la police de procéder à des investigations plus vastes sur la reprise par Guinness. Les requérants prétendent que la police avait déjà commencé à enquêter de manière informelle à leur sujet dès le 12 janvier 1987, eu égard à la coopération incontestable établie entre les inspecteurs, le DTI et le DPP adjoint sur la base des procès-verbaux des entretiens conduits par les inspecteurs.
Le 8 octobre 1987, le premier requérant fut inculpé de neuf infractions relatives aux factures qu'il avait fait établir pour les conseils qu'il avait donnés au cours de l'offre de Guinness. Ces factures avaient été présentées après le succès de Guinness.
Le 13 octobre 1987, le deuxième requérant fut inculpé de huit infractions ayant trait à des factures que deux sociétés, des filiales appartenant entièrement à la société dont il était directeur, avaient émises pour les pertes sur la vente des actions Guinness et pour les honoraires de succès versés après que l'offre de Guinness l'eut emporté.
Après son retour des Etats-Unis, le troisième requérant fut inculpé de six infractions à propos de deux factures et des honoraires de succès qu'il avait demandés à Guinness après la reprise de Distillers par cette société.
Au total, sept personnes furent inculpées d'infractions en rapport avec la reprise. Les sept coaccusés furent renvoyés en jugement devant la Crown Court le 27 avril 1989.
Vu le grand nombre d'avocats et celui des accusés, le juge de la Crown Court décida le 21 septembre 1989 que se dérouleraient deux procès distincts. Les requérants et M. Saunders devaient être jugés ensemble dans un premier temps et les trois autres coaccusés dans le cadre d'une procédure distincte. Le troisième requérant demanda en vain à être jugé avec ces derniers.
Du 6 au 16 novembre 1989, le tribunal tint une audience préliminaire (voir dire – arguments sur un point de droit en l'absence de jury), le troisième requérant ayant demandé à ce que les procès-verbaux du DTI fussent déclarés irrecevables. L'intéressé faisait valoir à titre principal qu'il fallait exclure les déclarations obtenues au cours de trois interrogatoires devant les inspecteurs :
i. conformément à l'article 76 de la loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale (Police and Criminal Evidence Act 1984 – « la PACE »), car, selon lui, elles avaient été obtenues sous la pression ou dans des circonstances risquant d'en compromettre la fiabilité ;
ii. en vertu de l'article 78 de la PACE, car admettre ces preuves nuirait à l'équité du procès eu égard aux circonstances dans lesquelles elles avaient été obtenues.
Le 21 novembre 1989, le juge du fond (le juge Henry) estima les procès-verbaux recevables. Il déclara qu'on admettait d'une manière générale que les entretiens pouvaient passer pour des « aveux » tels que définis à l'article 82 § 1 de la PACE. Selon lui, l'interprétation de la loi de 1985 permettait aux inspecteurs de poser aux témoins des questions pouvant les incriminer, les témoins étaient tenus d'y répondre et les réponses étaient recevables dans la procédure pénale. Le juge écarta l'assertion du troisième requérant d'après laquelle les inspecteurs eussent dû mettre en garde contre l'auto-incrimination. Il avait la conviction que nulle pression n'avait été exercée en vue de l'obtention de la déposition et que les réponses n'avaient pas été recueillies par suite de propos ou d'actes risquant de les priver de crédibilité vu l'ensemble des circonstances du moment.
Du 22 au 24 janvier 1990, le tribunal procéda à une nouvelle audition en voir dire, M. Saunders ayant demandé que les procès-verbaux du DTI concernant ses huitième et neuvième entretiens fussent déclarés irrecevables au motif qu'ils devaient être exclus soit comme étant indignes de foi, en vertu de l'article 76 de la PACE, soit en application de l'article 78 de celle-ci, l'admission des dépositions risquant de compromettre le caractère équitable de la procédure, eu égard aux circonstances dans lesquelles elles avaient été obtenues. M. Saunders arguait de son mauvais état de santé à l'époque et de ce que les deux entretiens en question se fussent déroulés après son inculpation.
Le 29 janvier 1990, le juge Henry rejeta l'argument de la défense quant à la condition physique de M. Saunders. Il exerça toutefois le pouvoir d'appréciation que lui reconnaissait l'article 78 pour exclure les preuves que constituaient les deux entretiens susmentionnés ayant eu lieu après l'inculpation de M. Saunders au motif que celui-ci ne pouvait passer pour avoir comparu volontairement. Selon le juge, d'ailleurs, on ne pouvait tenir pour équitable l'utilisation d'éléments recueillis au moyen d'un interrogatoire obligatoire après le début du processus accusatoire.
D. Le procès des requérants
Les requérants passèrent en jugement avec M. Saunders. Le procès, qui s'ouvrit le 16 février 1990, comporta soixante-quinze jours de dépositions, dix jours de plaidoiries des avocats et cinq jours de résumé du juge au jury.
Au cours du procès, M. Saunders fut le seul accusé à déposer. Selon les requérants, la déposition de M. Saunders était en contradiction avec chacune de leurs déclarations aux inspecteurs et préjudiciable à leur thèse selon laquelle leur participation à l'opération de soutien des actions n'avait rien de malhonnête. Le troisième requérant affirme que sa participation à l'opération était conforme aux pratiques de reprise en vigueur à la City de Londres, mais qu'il n'a pas été en mesure de citer des personnes disposées à en témoigner en raison des craintes des répercussions engendrées par la procédure pénale. Il prétend qu'au moment de son procès, l'accusation avait en sa possession de nombreux éléments provenant d'autres enquêtes sur des offres publiques d'achat qui confirmaient que les opérations de soutien d'actions comportant l'octroi d'indemnités aux acheteurs étaient considérées comme une pratique acceptable dans la City.
Les éléments réunis par les inspecteurs du DTI constituèrent une grande partie des preuves à charge. Au cours de la procédure, on recueillit également la déposition de l'ancien directeur financier de Guinness, M. Roux, qui s'était vu reconnaître l'immunité de poursuite. L'accusation s'appuya aussi sur les déclarations faites par les requérants au cours de leurs entretiens avec les inspecteurs du DTI. Selon le troisième requérant, l'accusation avait reconnu au cours de l'audience préliminaire qu'il s'agissait des seules preuves à charge le concernant.
L'accusation donna lecture au jury pendant trois jours du procès (jours 45 à 47) des procès-verbaux des entretiens. Elle s'en servit pour établir quelle connaissance les requérants avaient des faits.
Dans son résumé à l'intention du jury, le juge renvoya notamment aux réponses données par les requérants aux inspecteurs du DTI.
Le 22 août 1990, le premier requérant fut reconnu coupable sur deux chefs d'entente délictueuse, trois de faux en écritures comptables et un de vol. Il se vit infliger une amende de trois millions de livres sterling (GBP), assortie d'une peine globale de cinq ans d'emprisonnement à défaut de paiement. Il fut également condamné à contribuer aux frais de l'accusation à hauteur de 440 000 GBP.
Le deuxième requérant fut reconnu coupable sur un chef d'entente délictueuse, deux de faux en écritures comptables et un de vol. Il se vit infliger une peine globale de douze mois d'emprisonnement et une amende de cinq millions GBP, assortie d'une peine cumulée de quatre ans d'emprisonnement à défaut de paiement. Il fut également condamné à contribuer aux frais de l'accusation à hauteur de 440 000 GBP.
Le troisième requérant fut reconnu coupable sur quatre chefs de faux en écritures comptables et sur deux de vol. Il se vit infliger une peine globale de deux ans et demi d'emprisonnement. Il fut également condamné à contribuer aux frais de l'accusation à hauteur de 440 000 GBP.
M. Saunders fut reconnu coupable sur douze chefs d'entente délictueuse, de faux en écritures comptables et de vol. Il se vit infliger une peine globale de cinq ans d'emprisonnement.
E. La décision sur les allégations d'« abus des voies de droit »
Dans le second volet de la procédure concernant les autres coaccusés, la recevabilité des procès-verbaux fut à nouveau contestée au motif notamment qu'il y avait eu abus des voies de droit en ce que les inspecteurs et/ou les autorités de poursuite avaient commis une faute de conduite en usant des pouvoirs réglementaires des inspecteurs dans le but d'échafauder une affaire pénale. En particulier, l'un des coaccusés, M. Seelig, allégua que l'on avait délibérément retardé l'inculpation afin que les inspecteurs pussent exercer leurs pouvoirs pour obtenir des aveux.
Par une décision du 10 décembre 1990, le juge Henry estima qu'il n'y avait pas de commencement de preuve (prima facie case) d'abus que ce soit de la part des inspecteurs ou des autorités de poursuite. Il avait entendu les inspecteurs comme le fonctionnaire de police chargé de l'enquête pénale. Le 14 décembre 1990, il écarta la demande de suspension de la procédure, estimant que l'interrogatoire des accusés ou la communication aux autorités de poursuite des dépositions de M. Seelig aux inspecteurs ou encore la conduite des poursuites n'avaient pas donné lieu à un abus de la procédure pénale. La décision de M. Wood de ne faire intervenir la police qu'au début de mai ne lui paraissait en rien irrégulière ou répréhensible. Il
conclut que les pouvoirs réglementaires avaient été convenablement exercés. Il repoussa aussi, en vertu de l'article 78 de la PACE, une requête tendant à l'exclusion des entretiens comme preuves et alléguant que c'étaient là des preuves compromettant le caractère équitable de la procédure au point que le tribunal ne devait pas les admettre.
Le 2 mai 1991 (arrêt R. v. Seelig), la Cour d'appel confirma la décision du juge du fond sur la recevabilité desdits entretiens. Le 24 juillet 1991, la Chambre des lords refusa l'autorisation de la saisir.
F. L'appel des requérants
Les trois requérants sollicitèrent l'autorisation de recourir contre le verdict de culpabilité et la peine. Toutefois, le 18 décembre 1990, le premier requérant se désista en raison de son état de santé précaire. Le 20 mars 1991, le premier requérant fut déchu de son titre de chevalier.
Les deuxième et troisième requérants, comme M. Saunders, obtinrent l'autorisation de recourir contre le verdict de culpabilité. Après une audience, la Cour d'appel prononça son arrêt le 16 mai 1991. Elle estima notamment que si le résumé du juge à l'intention du jury renfermait quelques imperfections et certains points malheureux, il s'agissait pour l'essentiel d'un exposé magistral. Quant à la recevabilité des procès-verbaux, elle déclara que la question avait été tranchée par la décision d'une autre division de la Cour d'appel dans l'affaire R. v. Seelig, qui avait tenu ces déclarations pour recevables.
La Cour d'appel débouta M. Saunders sur tous les points sauf un : elle estima que le juge avait fait erreur dans ses indications sur un chef d'accusation et annula le verdict de culpabilité sur ce point. Elle ramena la peine à deux ans et demi d'emprisonnement.
Le deuxième requérant bénéficia d'une réduction de peine en appel en ce que la période d'emprisonnement à purger à défaut de paiement de l'amende fut diminuée et le délai de paiement prolongé.
Quant au troisième requérant, sa peine fut ramenée à vingt et un mois d'emprisonnement.
S'agissant des frais auxquels les deuxième et troisième requérants avaient été condamnés, le montant fut abaissé à 300 000 GBP pour chacun d'eux. La Cour d'appel rendit une décision similaire concernant le premier requérant.
Le 13 décembre 1991, la commission disciplinaire du Conseil de la Bourse (Council of the Stock Exchange) ordonna le renvoi du troisième requérant de la Bourse.
Le 20 juillet 1991, M. Saunders saisit la Commission européenne des Droits de l'Homme (requête no 19187/91).
G. La saisine ultérieure de la Cour d'appel par le ministre de l'Intérieur
Le 3 août 1992, les requérants se rendirent compte pour la première fois de l'existence d'une partie des éléments obtenus et détenus par l'accusation avant leur procès mais qui ne leur avaient pas été communiqués précédemment. L'accusation avait divulgué ces éléments aux accusés dans le second procès Guinness le 20 décembre 1991. Les intéressés firent valoir que ces éléments montraient que des opérations de soutien d'actions avaient été entreprises à l'occasion d'un certain nombre d'autres reprises et que les conseillers professionnels qui étaient intervenus avaient considéré qu'il s'agissait d'une pratique acceptable. Ces éléments incluaient en outre les résultats d'une enquête menée à l'initiative du DTI, qui avait été clôturée le 8 décembre 1988 par la commission contentieuse des agents de change agréés (un ancien organe disciplinaire), laquelle avait estimé que les opérations de soutien d'actions étaient une pratique acceptable dans la City.
Les requérants invitèrent les autorités de poursuite à divulguer ces éléments. A la suite du refus de celles-ci, ils demandèrent au ministre de l'Intérieur de renvoyer l'affaire devant la Cour d'appel en vertu de l'article 17 § 1 a) de la loi de 1968 sur les appels en matière pénale (Criminal Appeal Act). Le 22 décembre 1994, le ministre saisit la Cour d'appel de la cause des requérants et de M. Saunders. La Commission européenne suspendit l'examen de la recevabilité de la requête de M. Saunders dans l'attente de l'issue de cette procédure. Après le renvoi de l'affaire, l'accusation divulgua le restant des éléments. L'audience devant la Cour d'appel se déroula du 16 au 26 octobre 1995.
Le 27 novembre 1995, la Cour d'appel débouta le premier requérant sur tous les chefs sauf un ; elle annula la condamnation de l'intéressé sur l'un des chefs d'entente délictueuse. Elle rejeta l'appel des deuxième et troisième requérants ainsi que celui de M. Saunders.
Dans l'arrêt qu'elle rendit à la même date, la Cour d'appel écarta l'argument selon lequel l'emploi au procès des réponses fournies aux inspecteurs du DTI privait automatiquement la procédure pénale de caractère équitable. Elle releva que, dans la loi de 1985, le parlement avait disposé expressément et sans équivoque que les réponses données aux inspecteurs du DTI pouvaient être admises comme preuves lors d'une procédure pénale, même si cette admission transgressait le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
Dans son arrêt, la Cour d'appel nota que les entretiens avec chacun des accusés « constituaient une partie importante du dossier de l'accusation ».
58. Quant à l'allégation d'après laquelle il n'était pas équitable que les personnes interrogées par des inspecteurs du DTI fussent traitées moins favorablement que celles interrogées par la police en vertu de la PACE, la Cour d'appel releva ce qui suit :
« (...) il est particulièrement difficile de décrypter des transactions complexes et tortueuses dans ces domaines, et ceux qui jouissent des immunités et privilèges accordés par les lois sur la faillite et celles sur les sociétés doivent admettre la nécessité d'un système d'examen rigoureux, notamment en cas de suspicion de fraude (...) »
En ce qui concerne l'argument selon lequel la divergence entre les systèmes ménagés par la loi sur les sociétés et la loi sur la justice pénale était anormale, l'accusation fit valoir :
« (...) l'explication réside dans le régime très différent des interrogatoires menés par les inspecteurs du DTI et ceux conduits soit par la police soit par le SFO (bureau de la répression des fraudes). Les inspecteurs du DTI sont des enquêteurs ; contrairement à la police ou au SFO, ce ne sont pas des procureurs ou des procureurs potentiels. Il est caractéristique qu'ici les deux inspecteurs aient été un Queen's Counsel et un expert-comptable agréé. Ils sont tenus d'agir en équité et de donner à quiconque ils se proposent de condamner ou de critiquer la possibilité équitable de répondre aux allégations portées contre lui (...). D'habitude, la personne interrogée est représentée par des avocats et elle peut être informée au préalable des questions qui seront soulevées. »
Sur ce point, la Cour d'appel déclara :
« Que ceci constitue ou non une explication suffisante et que la distinction s'analyse ou non en « une anomalie », le fait est que cette différence existe puisque le Parlement l'a créée. Lors de l'adoption de l'article 2 § 8 de la loi de 1987, le Parlement avait la faculté de modifier l'article 434 § 5 de la loi sur les sociétés et d'autres dispositions analogues pour les harmoniser avec l'article 2 § 8. Sa décision de ne pas le faire ne résulte pas d'une erreur. L'intervention de Lord Caithness lors du vote du projet de loi de 1987 le démontre (...) Il a déclaré que le gouvernement n'avait délibérément pas suivi dans ce projet de loi le précédent figurant dans la législation sur les sociétés sur ce point même (...) Le Parlement a très clairement indiqué ses intentions à l'article 434 § 5. Un juge ne saurait légitimement exercer son pouvoir discrétionnaire d'exclure des éléments provenant d'interrogatoires simplement parce que le Parlement n'aurait pas dû accepter la possibilité d'une auto-incrimination (...) Toutefois, (...) à notre sens, un juge peut garder à l'esprit que le régime [légal] fait obligation de répondre aux questions des inspecteurs sous peine de sanctions. »
La cour écarta aussi l'allégation d'abus de la procédure en ce que les inspecteurs du DTI serviraient à tort de « collecteurs de preuves » pour l'accusation ou qu'il y aurait « collusion » illégitime ou dépourvue de caractère équitable :
« Nous avons examiné avec soin l'effet des événements de novembre 1986 à octobre 1987 à la lumière de toutes les pièces. Nous estimons qu'il convenait d'autoriser les inspecteurs à poursuivre leur enquête et à n'impliquer la police qu'en mai 1987, sous réserve de deux conditions essentielles.
1) Les inspecteurs devaient pouvoir conduire leurs enquêtes et interrogatoires de manière indépendante, sans instructions, mandat ou exhortation de la part des autorités de poursuite. Nous avons la totale conviction que les inspecteurs eux-mêmes l'ont bien précisé et respecté. Les avocats ont eux aussi posé ces règles fondamentales, qui furent observées (...)
2) Les entretiens devaient être menés de manière équitable et non contestable. On n'a pas avancé devant le juge du fond ou devant nous que les inspecteurs pouvaient être critiqués sur ce chapitre. Les entretiens étaient structurés avec soin, d'une durée correcte et se sont déroulés dans des conditions convenables. Les appelants, hommes d'affaires expérimentés et d'une grande intelligence, furent tous représentés par des counsel (en général des Queen's Counsel) ou par un solicitor chevronné. Les questions furent posées avec une équité scrupuleuse et le code établi dans l'affaire Pergamon (...) fut respecté. »
La Cour d'appel repoussa aussi l'allégation selon laquelle aurait été une source d'iniquité pour les requérants le fait que les éléments dénotant prétendument un abus n'avaient pas été communiqués avant le procès. Elle rejeta également le grief du deuxième requérant selon lequel son inculpation avait été indûment retardée. Elle déclara :
« (...) la défense soutient que les pièces que nous avons vues, ou du moins certaines d'entre elles, auraient dû être divulguées au procès. Les [requérants] prétendent avoir soulevé, par l'intermédiaire de leurs conseils, une question quant à l'intervention tardive de la police dans l'enquête ; cela étant, les documents auraient dû être divulgués. Or un certificat d'immunité d'intérêt public (...) a été soumis au juge. Les accusés se plaignent à cet égard également du fait que le juge se soit contenté du certificat et qu'il n'ait pas examiné lui-même les documents. (...)
(...) Quant à la simple affirmation selon laquelle l'on aurait dû faire intervenir la police plus tôt, nous estimons que les [requérants] n'avaient pas droit au procès à l'abondance de documents couverts par le secret dont nous disposions. Le certificat d'immunité d'intérêt public résumait objectivement et fidèlement les principales pièces auxquelles il se rapportait et nous estimons qu'il a été convenablement établi. Aucune partie n'a invité le juge à l'approfondir et à examiner lui-même les documents. A l'époque, la Cour d'appel n'avait pas énoncé de directives obligeant le juge à le faire.
Quoi qu'il en soit, après avoir vu l'ensemble des documents, nous sommes (...) parvenus à la conclusion qu'il n'y a pas eu d'abus de procédure ou de collusion illégitime. »
La Cour d'appel rejeta le grief des requérants relatif à la non-divulgation de certains éléments par l'accusation. Sur ce point, elle conclut :
« Dans le cas des quatre appelants, si nous avons estimé que les éléments non divulgués auraient dû être communiqués, nous sommes convaincus que le vice de procédure engendré par la non-divulgation n'a en fait occasionné aucun préjudice aux intéressés. Le verdict du jury aurait inévitablement été le même en cas de divulgation. »
Par la suite, la Cour d'appel refusa d'attester l'existence d'un point d'importance publique et refusa l'autorisation de saisir la Chambre des lords. Cette décision a fermé toutes les voies de recours aux requérants.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Désignation des inspecteurs
En vertu de l'article 432 de la loi de 1985 sur les sociétés (« la loi de 1985 »), le ministre peut nommer un ou plusieurs inspecteurs compétents chargés d'enquêter sur les affaires d'une société et d'en rendre compte selon les modalités qu'il fixe. Il peut procéder à pareille nomination s'il apparaît que certaines circonstances indiquent :
« a) que les affaires de la société sont ou ont été menées dans l'intention d'escroquer ses créanciers ou les créanciers de toute autre personne, ou à des fins frauduleuses ou illégales, ou d'une manière portant un préjudice injustifié à une partie de ses associés, ou
b) qu'un acte ou une omission de la société, qu'il soit effectif ou envisagé (y compris un acte ou une omission pour le compte de la société) porte ou porterait pareil préjudice, ou que la société a été créée à des fins frauduleuses ou illégales, ou
c) que des personnes prenant part à la création ou à la gestion des affaires de la société se sont rendues coupables, à cet égard, de fraude, d'infraction à la loi, ou d'autres agissements répréhensibles envers la société ou ses associés, ou
d) que les associés n'ont pas obtenu quant à ses affaires toutes les informations qu'ils pouvaient raisonnablement escompter. » (article 432 § 2)
Le ministre est également habilité à désigner des inspecteurs pour :
« (...) enquêter sur l'ensemble des associés d'une société et sur tout autre aspect, ainsi que pour en rendre compte afin d'identifier les personnes qui ont ou avaient véritablement un intérêt financier à la réussite ou l'échec (réel ou apparent) de la société, ou qui sont ou ont été en mesure de diriger ou d'influer matériellement sur sa politique. » (article 442 § 1)
B. Fonction et pouvoirs des inspecteurs
Les inspecteurs n'ont pas une fonction judiciaire, mais un rôle inquisitoire qui a été résumé en ces termes dans l'affaire Pergamon Press Ltd (Chancery Reports 1971, Lord Justice Sachs, p. 401) :
« La fonction des inspecteurs est par essence de mener une enquête en vue d'établir si certains faits sont susceptibles d'amener d'autres personnes à intervenir ; leur fonction n'inclut pas la prise de décision quant à la question d'une intervention et, a fortiori, il ne leur appartient pas de se prononcer en dernier lieu sur les questions susceptibles d'être soulevées en cas d'intervention. »
L'article 434 de la loi de 1985 est ainsi libellé :
« 1. Lorsque des inspecteurs sont désignés en vertu de l'article 431 ou 432, tous les dirigeants et salariés de la société ont pour devoir (...)
a) de présenter aux inspecteurs tous les livres et documents de la société ou y relatifs (...) dont ils sont responsables ou qui relèvent de leurs compétences,
b) de se présenter devant les inspecteurs lorsqu'ils y sont invités et,
c) de fournir aux inspecteurs tout autre concours qu'ils sont raisonnablement en mesure de prêter dans le cadre de l'enquête (...)
(...)
Un inspecteur peut procéder à un interrogatoire sous serment des dirigeants et salariés de la société ou d'une autre personne morale, et de toute personne visée au paragraphe 2 ci-dessous, dans le cadre des affaires de la société ou d'un autre organe, et peut faire prêter serment à ce titre (...)
(...)
Toute réponse donnée par une personne à une question qui lui est soumise dans l'exercice des pouvoirs conférés par cet article (qu'ils s'exercent dans le cadre d'une enquête menée en vertu de l'un ou de l'autre des articles 431 à 433, ou en application de tout autre article de la présente partie) peut être retenue contre elle. »
L'article 436 de la loi dispose :
« 1) Lorsque des inspecteurs sont nommés en vertu de l'article 431 ou 432 afin d'enquêter sur les affaires d'une société, ce qui suit s'applique à –
a) tout dirigeant ou salarié de la société,
b) tout dirigeant ou salarié d'une autre personne morale dont les affaires font l'objet d'une enquête prévue à l'article 433 et
c) toute personne visée à l'article 434 § 2.
L'article 434 § 4 s'applique au regard des références faites dans cet alinéa à un dirigeant ou à un salarié.
2) Si cette personne –
a) refuse de présenter tout livre ou document que l'article 434 ou 435 lui fait obligation de remettre,
b) refuse de se présenter devant les inspecteurs lorsqu'elle y est invitée, ou
c) refuse de répondre à toute question qui lui est soumise par les inspecteurs quant aux affaires de la société ou de toute autre personne morale (selon le cas), les inspecteurs peuvent signaler le refus par écrit au tribunal.
3) Le tribunal peut alors instruire l'affaire et, après audition de tout témoin à charge ou à décharge de l'auteur présumé de l'infraction, et après avoir entendu toute déclaration faite par la défense, il peut infliger à l'auteur de l'infraction la même peine que pour une personne coupable de contempt of court (mépris du tribunal). »
Dans ce contexte, le contempt of court peut être puni par une amende ou un emprisonnement de deux ans au plus.
C. Dispositions de la loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale et de la loi de 1987 sur la justice pénale
Les passages pertinents de l'article 76 de la loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale (PACE) sont ainsi rédigés :
« 1. Tout aveu fait lors d'une procédure par une personne accusée peut être utilisé contre elle dans la mesure où il est pertinent pour tout point en litige dans la procédure et n'est pas exclu par le tribunal conformément à cet article.
Si, dans une procédure au cours de laquelle l'accusation envisage d'utiliser comme preuve un aveu fait par une personne accusée, il est signalé au tribunal que ledit aveu a ou a peut-être été obtenu –
a) par pression exercée sur son auteur ; ou
b) à la suite des propos ou des actes susceptibles, dans les circonstances du moment, de compromettre la crédibilité de tout aveu fait par cette personne en conséquence,
le tribunal n'accepte pas que l'aveu soit produit comme preuve à charge sauf si l'accusation établit au-delà de tout doute raisonnable que l'aveu (bien que sa substance puisse être exacte) n'a pas été obtenu de la manière susmentionnée (...) »
L'article 78 § 1 est ainsi libellé :
« Dans toute procédure, le tribunal peut refuser une preuve sur laquelle l'accusation désire se fonder s'il lui apparaît que, eu égard à l'ensemble des circonstances, y compris celles dans lesquelles la preuve a été obtenue, l'admettre porterait atteinte à l'équité du procès au point que le tribunal se doit de ne pas l'accepter. »
Selon l'article 82 § 1 de la PACE, un « aveu » inclut toute déclaration en tout ou partie défavorable à son auteur, qu'elle soit faite ou non à une personne occupant des fonctions officielles et qu'elle soit orale ou non.
74. La loi de 1987 sur la justice pénale confère au directeur du bureau de répression des fraudes des pouvoirs particuliers qui lui permettent d'instruire et de poursuivre les fraudes graves. L'article 2 § 2 fait obligation à une personne dont les affaires sont soumises à enquête de répondre aux questions, fût-ce au risque de s'incriminer. A défaut, elle s'expose à des sanctions pénales (article 2 § 13). Les réponses ainsi obtenues ne peuvent servir comme preuves contre un suspect que s'il est poursuivi pour n'avoir pas répondu aux questions sans excuse valable ou s'il fait une déposition qui vient contredire une réponse antérieure (article 2 § 8). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les trois premiers requérants et la mère du quatrième requérant, entre-temps décédée, étaient propriétaires d’un terrain agricole sis à Noicattaro. En 1963, la ville de Noicattaro entama la construction d’une école sur des terrains voisins. Pendant l’exécution des travaux, il s’avéra qu’une parcelle supplémentaire était nécessaire pour ériger la dernière partie de la construction.
Par un arrêté du 27 mai 1970, la préfecture de Bari autorisa la ville de Noicattaro à procéder à l’occupation d’urgence de 2 649 mètres carrés du terrain appartenant aux requérants, pour une période maximale de deux ans, en vue de son expropriation pour cause d’utilité publique. Ce terrain était classé au cadastre comme « partita » 10653, feuille 34, parcelle 590.
Le 30 juin 1970, la ville de Noicattaro procéda à l’occupation matérielle du terrain et entama les travaux de construction.
Il ressort du dossier que les travaux de construction de l’école se terminèrent le 28 octobre 1972, soit au-delà de la période d’occupation autorisée.
Les requérants exposent qu’ils restèrent, en vain, dans l’attente de l’expropriation formelle de leur terrain et d’une indemnité pendant des années.
Par un acte d’assignation notifié le 3 mai 1980, les requérants introduisirent une action en dommages-intérêts à l’encontre de la ville de Noicattaro devant le tribunal civil de Bari. Les requérants faisaient notamment valoir que l’occupation de leur terrain était illégale, étant donné qu’elle s’était poursuivie au-delà de la période autorisée et sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle et au paiement d’une indemnité.
L’administration défenderesse excipa notamment de ce que le droit au dédommagement était prescrit.
Par un jugement du 14 avril 1989, le tribunal civil de Bari rejeta l’exception soulevée par l’administration, portant sur la prescription du droit au dédommagement, au motif que l’administration n’avait pas indiqué la date à laquelle les travaux de construction s’étaient terminés. Se référant à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’expropriation indirecte (occupazione acquisitiva), le tribunal affirma qu’à la suite de l’achèvement de l’ouvrage public le droit de propriété des requérants avait été neutralisé. Cependant, étant donné que le transfert de propriété avait eu lieu dans le cadre d’une occupation de terrain illicite, les requérants avaient droit à des dommages-intérêts, à calculer sur la base de la valeur vénale du terrain, soit 26 490 000 lires italiennes (10 000 lires par mètre carré), indexée au jour du prononcé, soit 68 900 000 lires, plus intérêts.
Le 21 juillet 1989, la ville de Noicattaro interjeta appel de ce jugement. Elle faisait notamment valoir que le droit au dédommagement des requérants était prescrit.
Par un arrêt du 14 novembre 1990, la cour d’appel de Bari accueillit le recours introduit par la ville de Noicattaro et déclara prescrit le droit des requérants à des dommages-intérêts.
La cour d’appel considéra que les travaux de construction s’étaient terminés le 28 octobre 1972. Etant donné que cette date se situait au-delà du délai de deux ans imparti par la préfecture dans l’arrêté d’occupation d’urgence du terrain, il s’ensuivait que l’occupation du terrain était devenue illicite à ce moment-là. Cependant, par effet du principe de l’expropriation indirecte, tel qu’élaboré par la jurisprudence, la ville de Noicattaro était devenue propriétaire du terrain dès que la construction avait été terminée. Compte tenu de ce que l’administration avait acquis la propriété dans le cadre d’une situation illicite, les requérants avaient la possibilité de demander des dommages-intérêts ; toutefois, en l’espèce, le droit des requérants à des dommages-intérêts était prescrit, puisque le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir à la date d’achèvement des travaux.
Le 22 janvier 1992, les requérants se pourvurent en cassation. Ils arguaient que l’application rétroactive du principe de l’expropriation indirecte, tel que consacré par les sections réunies de la Cour de cassation en 1983, combinée avec l’application rétroactive d’un délai de prescription, portait atteinte à leur droit de propriété et au principe de non-discrimination, tels que garantis par la Constitution. En fait, avant 1983, le propriétaire du terrain gardait sa qualité de propriétaire tout au long de l’occupation illégale de son terrain ; dès lors, bien qu’un délai de prescription de cinq ans fût prévu pour agir en dommages-intérêts, les effets de l’occupation illégale étant permanents, l’intéressé pouvait demander des dommages-intérêts à tout moment, le terrain se trouvant dans une situation d’occupation illégale continue. Par contre, après 1983, le propriétaire d’un terrain occupé par l’administration perdait sa qualité de propriétaire à la date d’accomplissement des travaux et le délai de prescription commençait à courir dès cet instant. Par ailleurs, les requérants contestaient l’applicabilité d’un délai de prescription de cinq ans, faisant valoir que sur ce point la jurisprudence de la Cour de cassation était partagée.
Par un arrêt du 1er avril 1993, déposé au greffe le 26 novembre 1993, la Cour de cassation débouta les requérants de leur pourvoi. S’agissant du délai de prescription à appliquer, la Cour rappela qu’en date du 22 novembre 1992, la Cour de cassation en formation plénière avait définitivement tranché la question, déclarant que c’était le délai de cinq ans qui devait s’appliquer. En l’espèce, le droit des requérants à des dommages-intérêts était donc prescrit. Quant au grief tiré de l’inconstitutionnalité de l’application rétroactive du principe de l’expropriation indirecte et du délai de prescription de cinq ans, au mépris du droit au respect des biens des requérants et du principe de non-discrimination, la Cour estima qu’il était manifestement mal fondé.
II. le droit et la pratique internes pertinents
A. La loi no 85 du 22 octobre 1971
Cette loi régit la procédure accélérée d’expropriation, qui permet à l’administration de construire avant l’expropriation. Une fois déclarée d’utilité publique l’œuvre à réaliser et adopté le projet de construction, l’administration peut décréter l’occupation d’urgence des zones à exproprier pour une durée déterminée n’excédant pas cinq ans. Ce décret devient caduc si l’occupation matérielle du terrain n’a pas lieu dans les trois mois suivant sa promulgation. Après la période d’occupation doivent intervenir un décret d’expropriation formelle et le paiement d’une indemnité.
B. Le principe de l’expropriation indirecte (occupazione acquisitiva ou accessione invertita)
Dans les années 70, plusieurs administrations locales procédèrent à des occupations d’urgence de terrains, qui ne furent pas suivies de décrets d’expropriation. Les juridictions italiennes se trouvèrent confrontées à des cas où le propriétaire d’un terrain avait perdu de facto la disponibilité de celui-ci en raison de l’occupation et de l’accomplissement de travaux de construction d’une œuvre publique. Restait à savoir si, simplement par l’effet des travaux effectués, l’intéressé avait perdu également la propriété du terrain.
La jurisprudence avant l’arrêt no 1464 du 16 février 1983 de la Cour de cassation
La jurisprudence était très partagée sur le point de savoir quels étaient les effets de la construction d’un ouvrage public sur un terrain occupé illégalement. Par occupation illégale il faut entendre une occupation illégale ab initio, c’est-à-dire sans titre, ou bien une occupation initialement autorisée et devenue sans titre par la suite, le titre étant annulé ou bien l’occupation se poursuivant au-delà de l’échéance autorisée sans qu’un décret d’expropriation ne soit intervenu.
Selon une première jurisprudence, le propriétaire du terrain occupé par l’administration ne perdait pas la propriété du terrain après l’achèvement de l’ouvrage public ; toutefois, il ne pouvait pas demander une remise en l’état du terrain et pouvait uniquement engager une action en dommages-intérêts pour occupation abusive, non soumise à un délai de prescription puisque l’illégalité découlant de l’occupation était permanente. L’administration pouvait à tout moment adopter une décision formelle d’expropriation : dans ce cas, l’action en dommages-intérêts se transformait en litige portant sur l’indemnité d’expropriation et les dommages-intérêts n’étaient dus que pour la période antérieure au décret d’expropriation pour la non-jouissance du terrain (voir, entre autres, les arrêts de la Cour de cassation no 2341 de 1982, no 4741 de 1981, no 6452 et no 6308 de 1980).
Selon une deuxième jurisprudence, le propriétaire du terrain occupé par l’administration ne perdait pas la propriété du terrain et pouvait demander la remise en l’état de celui-ci lorsque l’administration avait agi sans qu’il y ait utilité publique (voir, par exemple, Cour de cassation, arrêt no 1578 de 1976, arrêt no 5679 de 1980).
Selon une troisième jurisprudence, le propriétaire du terrain occupé par l’administration perdait automatiquement la propriété du terrain au moment de la transformation irréversible du bien, à savoir au moment de l’achèvement de l’ouvrage public. L’intéressé avait le droit de demander des dommages-intérêts (voir, seul précédent de la Cour de cassation, l’arrêt no 3243 de 1979).
L’arrêt no 1464 du 16 février 1983 de la Cour de cassation
Par un arrêt du 16 février 1983, la Cour de cassation, statuant en chambres réunies, résolut le conflit de jurisprudence et adopta la troisième solution. Ainsi fut consacré le principe de l’expropriation indirecte (accessione invertita ou occupazione acquisitiva). En vertu de ce principe, la puissance publique acquiert ab origine la propriété d’un terrain sans procéder à une expropriation formelle lorsque, après l’occupation du terrain, et indépendamment de la légalité de l’occupation, l’ouvrage public a été réalisé. Lorsque l’occupation est ab initio sans titre, le transfert de propriété a lieu au moment de l’achèvement de l’ouvrage public. Lorsque l’occupation du terrain a initialement été autorisée, le transfert de propriété a lieu à l’échéance de la période d’occupation autorisée. Dans le même arrêt, la Cour de cassation précisa que, dans tous les cas d’expropriation indirecte, l’intéressé a droit à une réparation intégrale, l’acquisition du terrain ayant eu lieu sine titulo. Toutefois, cette réparation n’est pas versée automatiquement : il incombe à l’intéressé de réclamer des dommages-intérêts. En outre, le droit à réparation est assorti du délai de prescription prévu en cas de responsabilité délictuelle, à savoir cinq ans, commençant à courir au moment de la transformation irréversible du terrain.
La jurisprudence après l’arrêt no 1464 de 1983 de la Cour de cassation
a) La prescription
Dans un premier temps, la jurisprudence avait considéré qu’aucun délai de prescription ne trouvait à s’appliquer, puisque l’occupation sine titulo du terrain constituait un acte illégal continu (paragraphe 22 ci-dessus). La Cour de cassation, dans son arrêt no 1464 de 1983, avait affirmé que le droit à réparation était soumis à un délai de prescription de cinq ans (paragraphe 25 ci-dessus). Par la suite, la première section de la Cour de cassation a affirmé qu’un délai de prescription de dix ans devait s’appliquer (arrêts no 7952 de 1991 et no 10979 de 1992). Par un arrêt du 22 novembre 1992, la Cour de cassation statuant en chambres réunies a définitivement tranché la question, estimant que le délai de prescription est de cinq ans et qu’il commence à courir au moment de la transformation irréversible du terrain.
b) Cas de non-application du principe de l’expropriation indirecte
Les développements récents de la jurisprudence montrent que le mécanisme par lequel la construction d’un ouvrage public entraîne le transfert de propriété du terrain au bénéfice de l’administration connaît des exceptions.
Dans son arrêt no 874 de 1996, le Conseil d’Etat a affirmé qu’il n’y a pas d’expropriation indirecte lorsque les décisions de l’administration et le décret d’occupation d’urgence ont été annulés par les juridictions administratives, d’autant que, sinon, la décision judiciaire serait vidée de substance.
Dans son arrêt no 1907 de 1997, la Cour de cassation statuant en chambres réunies a affirmé que l’administration ne devient pas propriétaire d’un terrain lorsque les décisions qu’elle a adoptées et la déclaration d’utilité publique doivent être considérées comme nulles ab initio. Dans ce cas, l’intéressé garde la propriété du terrain et peut demander la restitutio in integrum. Il peut alternativement demander des dommages-intérêts. L’illégalité dans ces cas a un caractère permanent et aucun délai de prescription ne trouve application.
Dans l’arrêt no 6515 de 1997, la Cour de cassation statuant en chambres réunies a affirmé qu’il n’y a pas de transfert de propriété lorsque la déclaration d’utilité publique a été annulée par les juridictions administratives. Dans ce cas, le principe de l’expropriation indirecte ne trouve donc pas application. L’intéressé, qui garde la propriété du terrain, a la possibilité de demander la restitutio in integrum. L’introduction d’une demande en dommages-intérêts entraîne une renonciation à la restitutio in integrum. Le délai de prescription de cinq ans commence à courir au moment où la décision du juge administratif devient définitive.
Dans l’arrêt no 148 de 1998, la première section de la Cour de cassation a suivi la jurisprudence des sections réunies et affirmé que le transfert de propriété par effet de l’expropriation indirecte n’a pas lieu lorsque la déclaration d’utilité publique à laquelle le projet de construction était assorti a été considérée comme invalide ab initio.
c) L’arrêt no 188 de 1995 de la Cour constitutionnelle
Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle était appelée à se prononcer en premier lieu sur la question de la compatibilité avec la Constitution du principe de l’expropriation indirecte : la Cour a déclaré la question irrecevable au motif qu’elle-même n’était pas compétente pour examiner un principe jurisprudentiel mais pouvait uniquement connaître des dispositions législatives. En deuxième lieu, la Cour constitutionnelle a jugé compatible avec la Constitution l’application à l’action en réparation du délai de prescription de cinq ans, tel que prévu par l’article 2043 du code civil pour responsabilité délictuelle : la Cour a affirmé que le fait que l’administration devienne propriétaire d’un terrain en tirant bénéfice de son comportement illégal ne posait aucun problème sur le plan constitutionnel, puisque l’intérêt public, à savoir la conservation de l’ouvrage public, l’emportait sur l’intérêt du particulier, à savoir le droit de propriété.
d) Le montant de la réparation en cas d’expropriation indirecte
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’expropriation indirecte, une réparation intégrale, sous forme de dommages-intérêts pour la perte du terrain, est due à l’intéressé en contrepartie de la perte de propriété qu’entraîne l’occupation illégale.
La loi budgétaire de 1992 (article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992) modifia cette jurisprudence, dans le sens que le montant dû en cas d’expropriation indirecte ne pouvait dépasser le montant de l’indemnité prévue pour le cas d’une expropriation formelle. Par l’arrêt no 369 de 1996, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle cette disposition.
En vertu de la loi budgétaire no 662 de 1996, qui a modifié la disposition déclarée inconstitutionnelle, l’indemnisation intégrale ne peut être accordée pour une occupation de terrain ayant eu lieu avant le 30 septembre 1996. Dans l’hypothèse, l’indemnisation ne peut dépasser le montant de l’indemnité prévue pour le cas d’une expropriation formelle (somme divisée par deux de la valeur vénale et du revenu foncier, de laquelle on déduit 40 %), sans cet abattement de 40 % et moyennant une augmentation de 10 %. Par l’arrêt no 148 du 30 avril 1999, la Cour constitutionnelle a jugé une telle indemnité compatible avec la Constitution. Toutefois, dans le même arrêt, la Cour a précisé qu’une indemnité intégrale, à concurrence de la valeur vénale du terrain, peut être réclamée lorsque l’occupation et la privation du terrain n’ont pas eu lieu pour cause d’utilité publique. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
APEH Üldözötteinek Szövetsége (Union des persécutés de l'APEH) est une association non enregistrée ayant son siège à Budapest. APEH est l'acronyme communément utilisé de l'administration fiscale hongroise (Adó- és Pénzügyi Ellenőrzési Hivatal, ci-après « l'APEH »).
M. Iványi, né en 1950 et domicilié à Nyíregyháza, en Hongrie, est cadre et vice-président de l'association requérante. M. Róth, né en 1943 et domicilié à Budapest, est avocat et vice-président de l'association requérante. M. Szerdahelyi, né en 1943 et domicilié à Budapest, est écrivain indépendant et président de l'association requérante.
En mai 1993, plusieurs particuliers, dont MM. Iványi, Róth et Szerdahelyi, fondèrent l'association requérante. Les statuts, datés du 28 mai 1993, énoncent que l'association a notamment pour but de défendre les intérêts des contribuables hongrois.
Le 3 juin 1993, le directeur de l'APEH, qui avait eu connaissance de la création de l'association requérante par la presse, se plaignit au procureur de Budapest et au président du tribunal régional de cette ville du caractère diffamatoire pour l'APEH du nom de l'association. Il demanda à ce qu'une attention particulière fût accordée à la procédure d'enregistrement de l'association et à ce que son administration eût accès aux documents afférents à cette procédure. Ces lettres du directeur de l'APEH parvinrent à leurs destinataires le 7 juin 1993, mais ne furent pas communiquées aux requérants dans la procédure gracieuse ultérieure tendant à l'enregistrement de l'association requérante.
Le 18 juin 1993, M. Szerdahelyi sollicita l'enregistrement de l'association requérante au tribunal régional de Budapest.
Le 28 juin 1993, cette juridiction retourna la requête ; elle ordonna à la demanderesse de solliciter l'accord de l'APEH pour l'utilisation de son acronyme, de remplacer le mot « persécutés » figurant dans le nom de l'association requérante par un terme plus neutre et d'ajouter dans les statuts les dispositions régissant les modalités de vote au sein des organes de l'association.
L'APEH reçut copie de cette ordonnance du tribunal régional avant qu'elle ne fût notifiée aux requérants et, le 9 août 1993, son porte-parole la présenta dans une émission de télévision.
Par une lettre datée du 2 juillet 1993, le parquet intervint dans la procédure d'enregistrement, conformément à l'article 2/A § 1 de la loi no 3 de 1952 sur le code de procédure civile (« le code de procédure civile »).
Le tribunal régional reçut cette lettre le 8 juillet 1993. Les requérants ne furent pas informés de cette intervention.
L'ordonnance du 28 juin 1993 ayant été notifiée tardivement aux requérants, ceux-ci soumirent leur réponse au tribunal régional le 17 septembre 1993. Ils refusèrent de solliciter l'accord de l'APEH pour l'utilisation de son acronyme ou de modifier l'expression litigieuse. En outre, ils précisèrent que les renseignements sur les modalités de vote au sein des organes de l'association requérante figuraient dans leurs observations initiales concernant leur demande d'enregistrement.
En même temps, les requérants récusèrent le juge chargé de l'affaire, ainsi que l'ensemble du tribunal régional, pour cause de partialité, au motif notamment qu'ils n'avaient pas été avisés de l'intervention du parquet dans la procédure d'enregistrement.
Le 13 décembre 1993, la Cour suprême rejeta la requête en récusation présentée par les intéressés. Elle estima que la procédure devant le tribunal régional avait été conforme aux dispositions légales applicables et qu'aucun élément ne venait étayer les allégations des requérants quant à une quelconque partialité de la part du tribunal régional.
Le 24 janvier 1994, le parquet proposa au tribunal régional de rejeter la demande d'enregistrement de l'association requérante, celle-ci n'ayant pas satisfait aux exigences de l'ordonnance du 28 juin 1993. Le tribunal régional reçut ces observations le 25 janvier et ordonna de les transmettre aux requérants le 28 janvier 1994.
Dans leurs observations datées du 7 janvier, qui ne furent toutefois déposées au tribunal régional que le 8 février 1994, les requérants confirmèrent qu'ils avaient dans l'intervalle modifié les statuts de l'association pour tenir compte des demandes du tribunal régional relatives aux modalités de vote. Ils firent valoir en outre qu'il était « absurde » du point de vue juridique d'exiger qu'ils sollicitent l'accord de l'APEH pour l'utilisation de son acronyme.
Le 10 février 1994, le tribunal régional rejeta la demande d'enregistrement de l'association requérante. Il constata que les requérants n'avaient pas obtenu l'autorisation de l'APEH pour l'utilisation de son nom. A cet égard, il s'appuya sur l'article 7 § 1 de la loi no 2 de 1989 sur la liberté d'association (« la loi de 1989 sur les associations »), selon lequel le nom d'une association ne devait pas donner l'impression que l'association en question menait des activités liées à celles d'une autre personne morale, sauf consentement de cette dernière. En outre, le tribunal estima que le terme « persécutés » était diffamatoire pour l'APEH en tant qu'organe de l'Etat et contraire aux critères de dénomination des associations énoncés par la Cour suprême dans l'avis juridique no 1 du collège administratif. Enfin, il considéra que l'association requérante n'avait qu'en partie satisfait aux exigences concernant les modalités de vote de ses organes.
Les requérants saisirent la Cour suprême. En même temps, ils se plaignirent du rejet de leur requête en récusation pour cause de partialité.
Le 7 juillet 1994, le parquet général intervint dans la procédure d'appel et proposa à la Cour suprême de confirmer le refus de la demande d'enregistrement. Les requérants n'obtinrent pas copie de ces observations.
Le 2 octobre 1995, la Cour suprême débouta l'association requérante. Outre les motifs exposés par le tribunal régional, elle estima que le nom de l'association requérante ne correspondait pas aux objectifs de celle-ci, à savoir réformer le système fiscal hongrois, et que l'association ne pouvait donc pas être enregistrée sous ce nom. L'arrêt ne traitait pas du grief des requérants concernant le rejet de leur requête en récusation.
Les requérants saisirent la Cour suprême d'un recours en révision.
Le 21 février 1996, le parquet général invita la Cour suprême à confirmer la décision de deuxième instance.
Le 14 mai 1996, la Cour suprême rejeta le recours. L'arrêt fut notifié aux requérants le 20 juin 1996.
Pour la Cour suprême, le nom que l'association entendait prendre était contraire à l'article 77 § 1 du code civil garantissant le droit de porter un nom. Selon elle, cette disposition impliquait que le nom d'une personne morale ne devait pas donner la fausse impression que son activité était liée à celle d'une autre personne morale, c'est-à-dire à celle de l'APEH en l'occurrence. Elle considéra aussi que l'usage non autorisé du nom de l'APEH contrevenait à l'article 77 § 4 du code civil, selon lequel quiconque utilisait sans autorisation un nom identique ou analogue à celui d'une autre personne violait le droit de porter un nom. En outre, elle estima que le terme « persécutés », associé au nom de l'APEH, était contraire à l'article 78 § 1 du code civil protégeant le droit à une bonne réputation.
Par ailleurs, la Cour suprême déclara que les vices de procédure éventuellement commis par les juridictions inférieures, en particulier ceux concernant le traitement des observations de l'APEH et du parquet général, n'avaient eu aucune incidence sur les décisions des tribunaux sur le fond de l'affaire. De plus, tout au long de la procédure, les requérants avaient été en mesure d'exercer effectivement leurs droits et, en appel et au cours de la procédure de révision, ils auraient pu formuler toutes les observations qu'ils n'avaient pas pu soulever auparavant.
Enfin, la Cour suprême souligna que le grief des intéressés relatif au rejet de leur requête en récusation ne pouvait être examiné dans le cadre de la procédure de révision.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
L'article premier de la loi de 1989 sur les associations énonce que la liberté d'association est une liberté fondamentale de chacun. Il garantit à toute personne le droit de fonder avec d'autres des organisations et communautés et de participer aux activités de celles-ci.
Selon l'article 2 § 2, l'exercice du droit à la liberté d'association ne doit pas porter atteinte aux droits et libertés d'autrui.
L'article 2 § 3 interdit la création d'associations à buts principalement économiques ou commerciaux.
Conformément à l'article 4 § 1, tel qu'en vigueur au moment de l'examen de la demande d'enregistrement de l'association requérante, après la création d'une association, son enregistrement doit être sollicité auprès d'un tribunal. L'enregistrement ne doit pas être refusé, à moins que les membres fondateurs n'aient pas satisfait aux conditions posées par la loi ; l'association acquiert la personnalité juridique par l'enregistrement.
L'article 7 § 1 dispose que le nom et les buts d'une association ne doivent pas donner l'impression que son activité est liée à celle d'une autre personne morale, sauf consentement de cette dernière.
Conformément à l'article 15 § 3, les tribunaux statuent sur les demandes d'enregistrement dans le cadre d'une procédure gracieuse ; ils doivent traiter ces demandes prioritairement. Les décisions des tribunaux doivent également être signifiées au parquet.
L'article 13 § 3 du décret no 105/1952 (28 décembre) du gouvernement énonce que les dispositions du code civil s'appliquent mutatis mutandis aux procédures gracieuses, sauf si les textes régissant certaines procédures gracieuses en disposent autrement ou si le caractère gracieux de la procédure l'exclut.
En vertu de l'article 77 §§ 1 et 4 de la loi no 4 de 1959 sur le code civil, toute personne a le droit de porter un nom ; quiconque utilise illégalement un nom identique ou analogue à celui d'une autre personne porte atteinte à ce droit.
Selon l'article 78 §§ 1 et 2, la protection des droits de la personne inclut celle du droit à une bonne réputation ; la formulation ou la diffusion d'allégations fausses ou diffamatoires au sujet d'autrui ou la falsification de faits réels sont réputées porter atteinte au droit à une bonne réputation.
L'article 2/A § 1 du code de procédure civile, tel qu'en vigueur à l'époque des faits, énonçait que le procureur pouvait à tout moment intervenir dans une procédure civile pour assurer le respect de la loi.
D'après l'article 2/A § 3, lorsqu'il intervient dans une procédure civile, le procureur jouit des mêmes droits procéduraux que les parties, à l'exclusion de ceux de négocier des règlements, de renoncer à des droits ou de reconnaître des droits.
Dans son avis juridique no 1, la Cour suprême (collège administratif) a déclaré : « Avant de décider d'enregistrer une association, il y a lieu d'examiner si le choix du nom de celle-ci satisfait aux exigences d'exclusivité, d'exactitude et de bienséance des noms. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La procédure entre le requérant et une banque
Le 27 juin 1998, la CBank engagea contre le requérant une procédure d’injonction de payer portant sur 8 497 schillings autrichiens (ATS), au motif qu’au terme de leur relation contractuelle, le compte courant du requérant était débiteur de cette somme.
Le 18 juillet 1988, le tribunal de district (Bezirksgericht) de Hietzing, statuant en référé, émit une injonction de payer (Zahlungsbefehl) contre le requérant. Celui-ci, représenté par M. K., fit opposition (Einspruch), dont le tribunal de district reçut notification le 5 août 1988.
Le 15 novembre 1988, le juge D. du tribunal de district tint une audience.
Le 30 novembre 1988, le tribunal de district fut informé que M. K. ne représentait plus le requérant. Le 2 février 1989, l’audience qui avait été fixée au 9 février 1989 fut annulée. Selon le Gouvernement, cette annulation était due au fait que le représentant du requérant s’était retiré de l’affaire, alors que, selon le requérant, le tribunal fut empêché de tenir l’audience. Par la suite, la date du 22 décembre 1989 fut retenue pour l’audience suivante.
Le 13 décembre 1989, le requérant, représenté par Mme O., présenta une demande reconventionnelle (Widerklage) demandant le remboursement du montant total de 89 543 ATS pour perte d’intérêts, résultant prétendument de la négligence de la banque dans le cadre d’une opération de prêt contracté par un certain E., pour laquelle le requérant avait hypothéqué sa propriété. En outre, l’intéressé sollicita une décision déclarant nul et non avenu le cautionnement qu’il avait accordé à la CBank en relation avec la dette de E.
Le 21 décembre 1989, la banque présenta des observations préliminaires en réponse. Elle contesta en particulier l’existence d’un lien entre les deux plaintes en présence.
Le 22 décembre 1989, une audience se tint devant le juge G. du tribunal de district.
Les 30 mars, 24 avril et 25 juin 1990, le juge P. du tribunal de district tint des audiences. Les parties présentèrent des preuves écrites et le tribunal entendit en tant que témoins N. et W., deux employés de la CBank, ainsi que K., l’avocat impliqué dans l’affaire. Lors de la dernière de ces audiences, le tribunal décida de joindre les procédures concernant la demande de la banque et la demande reconventionnelle du requérant. Le juge constata également que la CBank avait complété sa demande en sollicitant un paiement complémentaire de 14 180 ATS dont le requérant était prétendument redevable en raison de son cautionnement de la dette de E.
Le 29 juin 1990, le tribunal de district décida d’ajourner la procédure jusqu’au prononcé du jugement dans une autre instance impliquant le requérant et E., qui était pendante devant le tribunal civil régional (Landesgericht) de Vienne.
Le 16 octobre 1990, le tribunal civil régional de Vienne, sur appel du requérant, annula la décision d’ajournement au motif que, selon les règles procédurales pertinentes, pareille décision devait être prise dans le cadre d’une audience contradictoire
Le 16 janvier 1991, Mme O. informa le tribunal de district qu’elle ne représentait plus le requérant. Celui-ci fut par la suite représenté par M. R.
Les 11 avril et 10 octobre 1991, le juge Ed. du tribunal de district tint d’autres audiences. Le requérant fut entendu en tant que partie et W. fut de nouveau entendu en qualité de témoin. A cette dernière audience, le tribunal décida de nouveau d’ajourner la procédure jusqu’à ce que le jugement rendu par le tribunal civil régional de Vienne dans la procédure entre le requérant et E. devînt définitif.
Le 4 février 1992, le tribunal civil régional de Vienne, sur appel du requérant, annula la décision et ordonna au tribunal de district de poursuivre la procédure. Il estima que la juridiction de première instance avait eu tort de présumer que la procédure entre le requérant et E. résoudrait une question incidente préliminaire. La décision du tribunal régional parvint au tribunal de district le 10 mars 1992.
Le 1er septembre 1992, le requérant étendit sa demande reconventionnelle à un montant total de 213 440 ATS.
Le 6 octobre 1992, à la demande du requérant, le juge Ed. du tribunal de district, ajourna au 26 janvier 1993 une audience qui avait été fixée au 15 octobre 1992.
Le 2 novembre 1992, le requérant informa le tribunal de district qu’il avait révoqué la procuration de M. R.
Le 18 janvier 1993, le juge Ed. demanda l’autorisation de se déporter car elle s’estimait partiale en raison de certaines accusations que le requérant avait formulées à son endroit. Le même jour, le président du tribunal de district accueillit sa demande et assigna l’affaire au juge A. L’audience prévue pour le 26 janvier 1993 fut annulée. Le requérant était alors représenté par Mme W.
Le 23 février 1993, le tribunal de district fut informé que Mme W. ne représentait plus le requérant.
L’audience suivante, prévue pour le 21 juin 1993, dut être reportée au 12 juillet 1993 à la demande de la banque plaignante.
Le 17 juin 1993, le requérant sollicita l’aide judiciaire. A la requête du tribunal de district, il compléta sa demande le 1er juillet 1993.
Le 5 juillet 1993, le tribunal de district rejeta la demande d’aide judiciaire présentée par le requérant.
Le 9 juillet 1993, M. H., qui avait été désigné comme représentant du requérant par l’ordre des avocats en vertu de l’article 10 § 3 de la loi sur les avocats (Rechtsanwaltsordnung) – applicable dans les cas où le justiciable, sans être indigent, n’est pas en mesure de trouver un avocat acceptant de le représenter – demanda un report de l’audience prévue pour le 12 juillet 1993. Le requérant soutient qu’il avait seulement demandé la désignation d’un représentant pour présenter cette demande spécifique, alors que l’ordre des avocats désigna M. H. pour le représenter dans la suite de la procédure.
Le 16 novembre 1993, le tribunal de district, à la demande de M. H., ajourna l’audience suivante, qui avait été fixée au 3 décembre 1993, au 21 janvier 1994.
Le 18 janvier 1994, M. H. demanda un nouveau report de l’audience car il n’avait pas été en mesure d’obtenir de son client les informations nécessaires. Le tribunal de district rejeta la demande. Le requérant prétend qu’il ne savait pas que M. H. le représentait et que celui-ci avait essayé de le contacter à une adresse inexacte. Il prétend en outre que l’assignation à comparaître à l’audience du 21 janvier 1994 ne lui fut pas signifiée en bonne et due forme.
Le 21 janvier 1994, le juge A. du tribunal de district tint une nouvelle audience et accepta d’étendre la demande reconventionnelle du requérant.
Le 25 février 1994, le tribunal de district fut informé que M. H. ne représentait plus le requérant.
Le 18 avril 1994, le tribunal de district annula la date de l’audience suivante qui avait été fixée au 22 avril 1994. Il releva que dans la procédure en cause, les parties devaient obligatoirement être représentées par un avocat (Anwaltszwang). Considérant que le requérant avait demandé l’aide judiciaire (paragraphe 35 ci-dessous) et n’était pas actuellement représenté, l’audience ne pouvait pas avoir lieu.
Le 11 octobre 1996, le juge Z. du tribunal de district fixa l’audience suivante au 30 octobre 1996. Dans l’assignation à comparaître, le requérant fut informé qu’il devait être représenté par un avocat à l’audience. S’il ne l’était pas, il serait jugé par défaut. A la demande de la banque plaignante, l’audience fut reportée au 2 décembre 1996.
Le 2 décembre 1996, aucune des parties ne comparut à l’audience. En conséquence, la procédure fut suspendue (Ruhen des Verfahrens). Jusqu’ici, aucune des parties n’a demandé à ce qu’elle fût reprise.
B. Procédure d’amende de fol appel
Le 8 avril 1994, le requérant sollicita l’aide judiciaire. Il présenta une déclaration de ressources, selon laquelle il n’avait pas de revenus, de biens, d’économies ou d’autres actifs. En outre, il déclara être endetté envers la SBank et la société commerciale Sch. Le formulaire type de cette déclaration contenait un avertissement selon lequel une amende de fol appel (Mutwillensstrafe) pouvait être infligée dans les cas où l’aide judiciaire était obtenue indûment par des déclarations fausses ou incomplètes.
Dans ses observations qui accompagnaient le formulaire, le requérant déclara notamment que jusqu’à septembre 1993, la société Sch. lui avait versé 15 000 ATS par mois. A compter du 1er octobre 1993, il s’était retrouvé sans revenus et obligé de surcroît de rembourser toutes les sommes qu’il avait perçues de cette société. Sa pension de retraite ne devait lui être versée qu’à compter du 1er septembre 1994. En outre, le requérant déclara qu’il n’avait pas de famille et qu’il était soutenu par quelques connaissances.
Le 11 avril 1994, le juge Er. du tribunal de district ordonna au requérant de fournir d’autres informations. L’intéressé fut invité à donner les noms et adresses des personnes qui lui apportaient un soutien financier, et de préciser les montants, fréquences et modalités de leurs versements. En outre, il lui fut demandé de présenter un certain nombre de documents à l’appui de ses allégations.
Le 15 avril 1994, le requérant déclara recevoir 200 ATS par semaine d’une certaine Mme F. Il présenta également un certain nombre de documents.
Le 5 mai 1994, le tribunal de district, statuant sans audience, rejeta la demande d’aide judiciaire présentée par le requérant et lui infligea une amende de 30 000 ATS pour fol appel. Invoquant la déclaration de ressources du requérant et ses autres observations, il estima que l’intéressé avait fait des déclarations incomplètes ou fausses. En particulier, il avait déclaré être sans revenus depuis le 1er octobre 1993 et ne recevoir que 200 ATS par semaine. Toutefois, les documents qu’il avait soumis montraient qu’il avait payé un loyer mensuel de 1 234 ATS d’octobre 1993 à janvier 1994. Etant donné que le revenu total qu’il prétendait recevoir par mois était inférieur à cette somme, ses observations ne permettaient pas de comprendre comment il avait pu payer son loyer. Enfin, le tribunal fit remarquer qu’il avait fixé une amende d’un montant relativement modeste, étant donné que le requérant avait seulement tenté d’être admis indûment au bénéfice de l’aide judiciaire.
Le 8 mai 1994, le requérant fit appel de cette décision.
Le 28 février 1995, le tribunal civil régional de Vienne, siégeant à huis clos, débouta le requérant. Il estima que c’était à bon droit que le tribunal de district avait rejeté la demande d’aide judiciaire présentée par le requérant. Les observations de celui-ci selon lesquelles il avait des économies qui lui avaient permis de payer son loyer à partir d’octobre 1993 constituaient des faits nouveaux qui étaient irrecevables en appel. Dans sa demande d’aide judiciaire, l’intéressé avait déclaré ne percevoir aucun revenu depuis le 1er octobre 1993 et dépendre du soutien financier de certaines connaissances. Lorsque le tribunal lui avait demandé de compléter ses observations, le requérant avait précisé qu’il bénéficiait d’un soutien financier de 200 ATS par semaine. Toutefois, il n’avait pas déclaré qu’il avait des économies pour assurer son entretien. Le tribunal de district était donc fondé à conclure que l’intéressé avait fait des déclarations fausses ou incomplètes et n’avait pas démontré que les frais de procédure mettraient en péril ses moyens d’existence. C’était également à bon droit que le tribunal lui avait infligé une amende de fol appel conformément à l’article 69 du code de procédure civile (Zivilprozessordnung).
Le 28 mars 1995, le tribunal de district émit une ordonnance de paiement de l’amende de fol appel.
Le 16 août 1995, le tribunal de district, en vertu de l’article 220 § 3 du code de procédure civile, constata qu’une tentative de recouvrer le montant de l’amende s’était soldée par un échec et convertit l’amende en dix jours d’emprisonnement. Le requérant fut informé qu’il pouvait faire appel de cette décision. Il semble qu’il n’en ait rien fait.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Code de procédure civile
L’article 69 du code de procédure civile (Zivilprozessordnung) prévoit qu’un tribunal peut infliger une amende de fol appel allant jusqu’à dix fois le montant fixé à l’article 220 § 1 du même code (c’est-à-dire 400 000 ATS) à un justiciable qui obtient indûment l’aide judiciaire par des déclarations fausses ou incomplètes.
L’article 220 dispose notamment qu’une amende de fol appel ne peut excéder 40 000 ATS (paragraphe 1). Dans le cas où l’intéressé n’est pas en mesure de payer, l’amende peut être convertie en une peine d’emprisonnement, dont la durée, déterminée par le tribunal, ne peut dépasser dix jours (paragraphe 3).
Selon l’article 514 du code de procédure civile, toute décision d’un tribunal est susceptible de recours (Rekurs), sauf exclusion explicite.
B. Code pénal
L’article 19 du code pénal (Strafgesetzbuch) traite des amendes (Geldstrafen). Il prévoit que les amendes sont exprimées en jours/amendes. Leur montant ne peut être inférieur à deux jours/amendes (paragraphe 1). Les jours/amendes sont fixés en fonction des ressources et de la situation personnelle du délinquant à l’époque du jugement de première instance. Toutefois, leur montant ne peut être inférieur à 30 ATS ou supérieur à 4 500 ATS (paragraphe 2). S’il s’avère qu’une amende ne peut être recouvrée, une peine d’emprisonnement par défaut est infligée. Un jour d’emprisonnement par défaut correspond à deux/jours amendes (paragraphe 3). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Le cas de M. Annoni di Gussola
Le 15 octobre 1990, la banque Diffusion industrielle nouvelle (DIN) accorda au requérant un prêt à la consommation, pour l'achat d'un véhicule automobile, pour un montant de 172 000 francs français (FRF) au taux de 14,5 %. Ce prêt était remboursable en cinquante-sept mensualités de 4 419,44 FRF (soit un total de 251 908,08 FRF).
En mars 1991, la banque notifia au requérant son intention de procéder à la saisie du véhicule car il n'avait pas réglé les échéances des mois de janvier et février 1991. Le requérant régularisa alors les incidents de paiement.
De juillet 1991 à octobre 1991, le requérant cessa de payer les échéances en raison de malfaçons ayant affecté le véhicule acquis.
En novembre 1991, le requérant effectua un versement.
Le 14 décembre 1991, la banque DIN résilia le contrat et fit procéder à la vente du véhicule pour un prix de 74 243,56 FRF. Elle poursuivit le requérant pour le paiement du solde de sa créance.
Par une ordonnance du 24 avril 1992, le président du tribunal d'instance de Nantua enjoignit au requérant de payer la somme de 98 032 FRF. Le requérant forma opposition à cette injonction en contestant le montant de la somme réclamée et la mise à prix du véhicule.
Par un jugement du 24 juin 1993, le tribunal d'instance de Nantua condamna le requérant à payer une somme de 95 156,26 FRF avec intérêts au taux contractuel de 14,5 % ainsi qu'une somme de 3 000 FRF. Le requérant interjeta appel de ce jugement en dénonçant la faute de la banque quant à la vente du véhicule à un prix dérisoire et demanda sa condamnation à lui payer des dommages et intérêts compensant le montant de sa dette. Il sollicita à titre subsidiaire un délai de deux ans pour apurer sa dette.
Le requérant, qui travaillait en qualité de consultant en Suisse, fut licencié en 1994. A partir du 1er janvier 1995, le requérant perçut au titre du revenu minimum d'insertion (RMI) une somme mensuelle de 3 569 FRF.
Par un arrêt du 31 mai 1995, la cour d'appel de Lyon, réformant partiellement le jugement, condamna le requérant à payer à la banque la somme de 90 371,26 FRF, avec intérêts au taux conventionnel depuis le 19 février 1992, ainsi que 3 000 FRF au titre d'indemnité légale. La cour d'appel considéra que le requérant n'avait prouvé aucune faute de la banque de nature à lui valoir une condamnation à des dommages et intérêts.
Le requérant forma un pourvoi en cassation le 18 septembre 1995. Il déposa un mémoire ampliatif en trois branches le 18 janvier 1996. Le requérant invoqua notamment l'attitude fautive de la société DIN qui, alors même qu'il avait acquitté en novembre 1991 une somme de 10 000 FRF et s'était engagé à payer le solde du prêt avant la fin de l'année, avait fait saisir le véhicule acquis grâce au prêt et l'avait fait vendre à un prix dérisoire. Le requérant demandait en conséquence à la Cour de cassation de constater le défaut de base légale de la décision de la cour d'appel, celle-ci n'ayant pas motivé le moyen tiré de la responsabilité de l'organisme financier dans l'aggravation de sa situation et ce dans la mesure où la vente de la voiture à sa valeur réelle aurait largement permis de couvrir le solde de l'emprunt.
Le 16 février 1996, le requérant n'ayant pas exécuté l'arrêt de la cour d'appel, la banque DIN déposa une requête en radiation du rôle sur le fondement de l'article 1009-1 du nouveau code de procédure civile.
Le requérant déposa un premier mémoire exposant qu'il était dans l'impossibilité de payer, même partiellement, la somme réclamée, étant chômeur et ne percevant, depuis le 1er janvier 1995, qu'une somme mensuelle de 3 569 FRF au titre du RMI, avec au surplus deux ans d'arriérés de loyers. Le requérant déposa un second mémoire informant le magistrat qu'il avait demandé à être admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle le 14 mars 1996.
Par une ordonnance du 16 avril 1996, après audience du 27 février 1996, le délégué du premier président de la Cour de cassation ordonna le retrait du rôle de l'affaire dans les termes suivants :
« (...) Attendu que la mesure de « retrait du rôle », prescrite par ce texte [article 1009-1] à l'encontre du débiteur condamné qui se pourvoit en cassation, ne constitue ni la sanction d'un défaut de diligences, ni celle d'une irrecevabilité quelconque ;
Qu'elle est la mesure d'administration et de régulation destinée à rappeler le caractère extraordinaire du recours en cassation et à faire assurer au bénéficiaire d'une décision de justice exécutoire la pleine effectivité des prérogatives qui lui ont été reconnues par les juges du fond, le tout conformément aux règles fondamentales de l'organisation judiciaire.
Attendu que cette mesure, simplement provisoire dans ses effets et conservatoire de tous droits, voies et moyens, peut être sollicitée dès que la déclaration de pourvoi, saisissant la Cour de cassation, a été déposée au greffe de la juridiction et sans avoir à attendre l'expiration des délais de production des mémoires en demande ou en défense.
Attendu qu'en l'espèce, Guido Annoni di Gussola ne justifie d'aucunes diligences propres à faire conclure à sa volonté de déférer à la décision des juges du fond et n'invoque aucune situation de fait personnelle propre à faire craindre ou présumer des conséquences manifestement excessives en cas d'exécution ;
Qu'en cet état, il y a lieu de retirer, du rôle de la Cour, le pourvoi (...) »
La somme due par le requérant s'élevait alors, compte tenu des intérêts contractuels, à plus de 150 000 FRF.
Le 15 mars 1998, le requérant et sa famille furent expulsés de leur logement pour défaut de paiement du loyer depuis deux ans.
Depuis le 1er avril 1998, le requérant perçoit une pension de retraite de 2 480,65 FRF par mois.
Par ordonnance du 25 novembre 1998, le magistrat délégué par le premier président de la Cour de cassation constata la péremption de l'instance, aucun acte n'étant intervenu pour interrompre le délai de péremption dans la période des deux ans depuis le retrait du pourvoi.
B. Le cas des époux Desbordes-Omer
Suivant offre préalable acceptée le 13 octobre 1990, la société de crédit SOVAC accorda à la requérante une ouverture de crédit d'un montant de 85 000 FRF, au taux de 20,90 %, qui servit à l'acquisition d'un véhicule automobile. Le requérant, son mari, se porta caution.
Les dix-neuf premières mensualités furent payées, pour un total de 45 760,36 FRF. Les requérants ne purent régler les mensualités suivantes à la suite de la perte d'emploi du requérant.
La société SOVAC saisit le véhicule, fit procéder à sa vente forcée et en obtint un prix de 41 658,43 FRF. Invoquant la déchéance du terme du contrat, elle assigna les requérants aux fins de paiement immédiat de la somme de 38 669,97 FRF, montant du capital restant dû, avec intérêts au taux contractuel de 20,90 % depuis le 1er novembre 1992.
Par jugement du 16 avril 1993, le tribunal d'instance d'Abbeville débouta la société SOVAC de sa demande. Le tribunal estima que le découvert autorisé de 85 000 FRF ayant été utilisé en une seule opération, l'opération devait s'analyser non pas en une ouverture de crédit utilisable par fractions, mais en un prêt classique. Or le tribunal rappela que, dans ce type de prêt, le coût total ventilé du crédit devait être mentionné conformément à l'article 5 de la loi du 10 janvier 1978 relative à l'information et à la protection des consommateurs dans le domaine des opérations de crédit. Le tribunal constata l'absence d'indication du coût total du crédit dans le contrat et conclut à la non-conformité de l'offre de prêt, sanctionnée en vertu de l'article 23 de la loi précitée, par la déchéance du droit aux intérêts de la société SOVAC. Cette dernière interjeta appel.
Par un arrêt du 11 octobre 1994, la cour d'appel d'Amiens infirma le jugement en considérant que la société SOVAC avait à juste titre fait remarquer que la mention exigée en vertu de l'article 5 de la loi du 10 janvier 1978 précitée était trop rigide, s'agissant d'une offre à taux d'intérêt variable, et que si le même taux avait été appliqué c'était en raison du versement intégral de la somme empruntée, et non par fractions, comme les requérants avaient la possibilité de le demander. La cour d'appel condamna les requérants à payer la somme réclamée et, en outre, les intérêts furent capitalisés à compter du 20 septembre 1993.
Les requérants demandèrent à être admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle en vue d'un pourvoi en cassation le 17 janvier 1995. Le bureau d'aide juridictionnelle fit droit à leur demande par décision en date du 15 juin 1995 au motif que leurs ressources étaient insuffisantes (montant des ressources retenu : moins 862 FRF).
Les requérants se pourvurent dès lors en cassation le 14 août 1995 par le ministère de l'avocat commis, ce dernier déposant un mémoire ampliatif le 11 janvier 1996. Ils firent valoir la méconnaissance, par la société de crédit, des dispositions législatives relatives à la protection des consommateurs et invoquèrent à l'appui de leur moyen la jurisprudence de la chambre civile de la Cour de cassation censurant des décisions octroyant au prêteur des intérêts, alors que l'omission dans le contrat souscrit du taux effectif global de l'intérêt, ou du coût total ventilé du crédit, est établie.
Le 27 mars 1996, la société SOVAC demanda au premier président de la Cour de cassation le retrait du rôle de l'affaire sur le fondement de l'article 1009-1 du nouveau code de procédure civile.
Par mémoire du 14 mai 1996, les requérants s'opposèrent à cette requête en faisant état de leur situation financière, attestée par l'obtention de l'aide juridictionnelle en 1995.
Par une ordonnance du 21 mai 1996, le délégué du premier président de la Cour de cassation estima notamment que les requérants ne justifiaient « d'aucunes diligences propres à faire conclure à leur volonté de déférer à la décision des juges du fond et [n'établissaient] aucune situation de fait personnelle propre à faire craindre ou présumer des conséquences manifestement excessives, en cas d'exécution ». Le délégué du premier président de la Cour de cassation ordonna le retrait du rôle de l'affaire.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Nouveau code de procédure civile
L'article 386 est ainsi libellé :
« L'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans. »
L'article 1009-1 du nouveau code de procédure civile, dans sa rédaction initiale issue du décret no 89-511 du 20 juillet 1989, disposait que :
« Hors les matières où le pourvoi empêche l'exécution de la décision attaquée, le premier président peut, à la demande du défendeur, et après avoir recueilli l'avis du procureur général et des parties, décider le retrait du rôle d'une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi, à moins qu'il ne lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives.
Il autorise la réinscription de l'affaire au rôle de la cour sur justification de l'exécution de la décision attaquée. »
L'article 1009-1 a été modifié par le décret no 99-131 du 26 février 1999, entré en vigueur le 1er mars. Il a été réécrit et complété par deux articles et se lit désormais ainsi :
« Hors les matières où le pourvoi empêche l'exécution de la décision attaquée, le premier président ou son délégué décide, à la demande du défendeur et après avoir recueilli l'avis du procureur général et les observations des parties, le retrait du rôle d'une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi, à moins qu'il ne lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives. La demande du défendeur doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, être présentée avant l'expiration des délais prescrits aux articles 982 et 991. La décision de retrait du rôle n'emporte pas suspension des délais impartis au demandeur au pourvoi par les articles 978 et 989. »
Article 1009-2
« Le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant le retrait du rôle. Il est interrompu par un acte manifestant sans équivoque la volonté d'exécuter. »
Article 1009-3
« Le premier président ou son délégué autorise, sauf s'il constate la péremption, la réinscription de l'affaire au rôle de la cour sur justification de l'exécution de la décision attaquée.
Les délais impartis au défendeur par les articles 982 et 991 courent à compter de la notification de la réinscription de l'affaire au rôle. »
Jurisprudence
– « Le demandeur au pourvoi ne peut invoquer l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme pour s'opposer à une demande de retrait du rôle, dès lors qu'il a pu exercer son droit au pourvoi en cassation, et qu'il ne saurait se dispenser d'observer ses propres obligations d'exécuter les causes de la décision de condamnation, privant de ce fait son adversaire d'une prérogative que lui reconnaissent les lois d'organisation judiciaire. » (Cass. ord. 1er prés., 22 février 1995 : Bull. civ. ord., no 6)
– « (...) Attendu que les époux (...) se sont pourvus en cassation contre l'arrêt (...) de la cour d'appel (...) qui les a condamnés à payer (...) 206 050,31 francs ; (...) Attendu que les époux (...) s'opposent à cette mesure, faisant valoir qu'ils ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Attendu qu'il apparaît que pour accorder cette aide, il a été retenu que les époux disposaient d'un revenu mensuel de 3 834 francs ; qu'en cet état et eu égard au montant de la condamnation, il apparaît que l'exécution de l'arrêt entraînerait pour eux des conséquences manifestement excessives. » (Cass. ord. 1er prés., no 91205 du 2 février 2000)
– « Attendu que, par arrêt (...), la cour d'appel (...) a condamné M. L. et la SCI A. à payer différentes sommes à M. D.B. ; (...)
Attendu que M. L. fait état de sa précarité (...) Attendu qu'il résulte en effet des documents produits par M. L. que celui-ci, bénéficiaire du RMI, se trouve dans une situation extrêmement précaire (...) que l'exécution de l'arrêt entraînerait pour lui des conséquences manifestement excessives (...) » (Cass. ord. 1er prés., no 90971 du 12 janvier 2000) | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant, né en 1930, est un homme d'affaires domicilié à Pfäffikon (Suisse).
A. Contexte
Le requérant est propriétaire de deux terrains situés dans la municipalité de Kloten, d'une superficie de 115 m2 et 51 m2 respectivement. La moitié du second terrain est rattachée à une copropriété s'exerçant sur une partie d'un chemin. Dans les années 50, un plan de zonage fut élaboré, sans toutefois qu'une solution d'ensemble ne fût trouvée pour les propriétés du requérant. Par ailleurs, celui-ci demanda à plusieurs reprises à la municipalité de Kloten, en vain, d'acquérir les deux terrains et de le dédommager en conséquence.
Le requérant était également impliqué dans une autre procédure relative à des propriétés immobilières situées dans la municipalité de Kloten, dans laquelle la partie adverse, une caisse cantonale d'assurance vieillesse, était représentée par un avocat, Me W.
De plus, le requérant était partie à une procédure immobilière à l'encontre de la municipalité de Küsnacht, dans laquelle cette municipalité était représentée par une avocate, Me R. Cette procédure se déroula devant le tribunal administratif du canton de Zurich puis, en dernier ressort, devant le Tribunal fédéral, qui rendit son arrêt le 24 octobre 1995.
Mme R. et M. W., avocats en exercice (Rechtsanwälte), partageaient à cette époque leurs bureaux avec Me L. Par ailleurs, Mme R. et M. L. siégeaient à temps partiel en tant que juges administratifs au tribunal administratif du canton de Zurich.
B. Procédure instituée par le requérant
Dans le cadre de la procédure concernant ses biens situés à Kloten (paragraphe 9 ci-dessus), le requérant saisit le 15 février 1995 le tribunal administratif du canton de Zurich, lui demandant d'ordonner à la municipalité de Kloten d'acquérir les deux terrains, y compris la partie en copropriété, pour la somme de 368 200 francs suisses.
Le tribunal administratif chargé d'examiner l'affaire du requérant se composait alors de cinq juges, à savoir le vice-président du tribunal, trois juges administratifs et un juge suppléant. Parmi les juges administratifs se trouvaient Mme R. et M. L., qui siégeaient à temps partiel.
Le 15 décembre 1995, le tribunal débouta le requérant. Il se déclara incompétent pour connaître de l'affaire, qui relevait de la commission d'estimation (Schätzungskommission). Toutefois, le tribunal refusa de transmettre l'affaire à cette commission, le requérant étant déchu de son droit à réparation. En effet, s'il contestait le plan de zonage, notamment l'apurement des comptes effectué en 1957, il aurait dû à cette époque demander l'institution d'une procédure d'estimation. Le tribunal considéra que la demande d'indemnisation aurait été dans tous les cas dénuée de fondement, car il aurait fallu l'adresser aux autres propriétaires concernés par le plan de zonage et non à la municipalité.
Le requérant saisit le Tribunal fédéral d'un recours de droit public, dans lequel il se plaignait, d'une part, du résultat de l'instance et, d'autre part, du fait que l'un des juges, Mme R., était intervenue peu de temps auparavant, dans le cadre d'un autre recours actionné par le requérant, en tant que représentante de la partie adverse, à savoir la municipalité de Küsnacht. En outre, Mme R. partageait les bureaux du juge L. et aussi de M. W. qui, dans une procédure séparée engagée par le requérant, avait représenté la partie adverse.
Le recours de droit public fut rejeté par le Tribunal fédéral le 29 avril 1996, l'arrêt étant signifié le 9 mai 1996. Dans son arrêt, le Tribunal répondit de la façon suivante aux allégations du requérant, qui reprochait à certains juges du tribunal administratif leur manque d'impartialité :
« Les corrélations invoquées peuvent soulever certains doutes au regard de l'article 58 § 1 de la Constitution fédérale, qui requiert l'impartialité des magistrats. Toutefois, le requérant ne prétend pas que Mme R. ou un autre membre du tribunal administratif ait fait preuve de partialité en rendant la décision contestée. Le Tribunal fédéral a déjà affirmé antérieurement que l'occupation à temps partiel de fonctions de juge par des avocats exerçant dans le canton de Zurich pouvait, dans certaines circonstances, entraîner un conflit d'intérêts. Toutefois, le tribunal administratif a estimé que l'on pouvait attendre d'un magistrat à temps partiel qu'il fasse la part des choses entre sa mission de service public et ses activités professionnelles privées. Dès lors, un juge à temps partiel n'était pas tenu de se déporter uniquement parce qu'il avait représenté dans une autre procédure des intérêts opposés à ceux du demandeur (...) Eu égard à ces principes, on ne saurait non plus présumer en l'espèce que le tribunal administratif se composait de magistrats dont on pouvait mettre l'impartialité en doute lorsqu'ils ont rendu la décision contestée. »
18. Par ailleurs, le Tribunal fédéral ne vit rien d'arbitraire dans la conclusion du tribunal administratif selon laquelle les griefs du requérant devaient être rejetés car l'intéressé ne les avait pas soulevés en bonne et due forme.
Le 20 août 1996, le Tribunal fédéral rejeta la demande de réouverture de la procédure soumise par le requérant.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le tribunal administratif du canton de Zurich
Le tribunal administratif du canton de Zurich se compose de juges à temps plein et de magistrats à temps partiel, ces derniers exerçant également à temps partiel leurs fonctions d'avocat.
L'article 34 de la loi de 1959 sur la justice administrative (Verwaltungsrechtspflegegesetz) du canton de Zurich s'intitule « Incompatibilités » (Unvereinbarkeit) et, dans sa version en vigueur à l'époque des faits, se lisait ainsi :
« 1. La fonction de juge à temps plein au tribunal administratif est incompatible avec toute autre activité professionnelle exercée à temps plein [hauptberufliche Tätigkeit]. Les juges à temps plein ne peuvent être ni membres de l'Assemblée fédérale ni membres ou secrétaires d'un conseil municipal ou cantonal. Ils ne sont pas autorisés à représenter légalement des tierces personnes devant des juridictions ou des administrations. Ils doivent obtenir l'autorisation du parlement cantonal s'ils souhaitent participer à la gestion ou à la direction d'une société commerciale ou d'une société coopérative à but lucratif.
Les juges siégeant à temps partiel ne peuvent pas travailler à temps plein dans une administration ou une juridiction, et ne peuvent pas être membres ou secrétaires d'un conseil municipal ou cantonal. »
La loi sur la justice administrative fut révisée en 1997 et l'article 34 est à présent ainsi libellé :
« 1. La fonction de membre à temps plein du tribunal administratif est incompatible avec toute autre activité professionnelle exercée à temps plein et avec la représentation à titre professionnel de tierces personnes devant des juridictions ou des administrations.
La fonction de membre à temps partiel du tribunal administratif est incompatible avec la représentation à titre professionnel de tierces personnes devant le tribunal administratif (...) »
B. La situation en Suisse
En Suisse, aucune formation particulière de magistrat n'est requise pour occuper des fonctions de juge, ce qui explique notamment le nombre relativement élevé d'avocats (représentants légaux) siégeant comme juges suppléants ou juges à temps partiel.
La situation au niveau fédéral
Le Tribunal fédéral se compose de trente juges permanents et de quinze juges à temps partiel, et le Tribunal fédéral des assurances comprend neuf juges permanents et neuf juges à temps partiel. Les juges à temps partiel peuvent exercer la profession d'avocat. Selon l'article 22 de la loi fédérale sur l'organisation judiciaire (Organisationsgesetz), les juges doivent se déporter si, dans une affaire particulière, ils sont intervenus dans le cadre d'une autre fonction, notamment en tant que représentant légal ou avocat. La première cour de droit public du Tribunal fédéral évite en outre de confier à des juges à temps partiel des affaires trouvant leur origine dans le canton où ils résident.
Diverses commissions de recours (Rekurskommissionen) au niveau fédéral comprennent des magistrats à temps plein et à temps partiel. Quelles que soient les autres fonctions qu'exercent ces derniers, elles ne doivent pas porter préjudice à l'accomplissement de leurs tâches ni à l'indépendance ou à la réputation de la commission de recours à laquelle ils appartiennent.
La situation au niveau cantonal
Dans divers cantons, il n'existe aucune règle particulière concernant les juges à temps partiel exerçant la profession d'avocat, ce qui est le cas, par exemple, pour certains magistrats des cantons d'Appenzell-Rhodes-Intérieures, des Grisons et du Valais. D'autres cantons ont adopté une législation spécifique sur le sujet.
Par exemple, certains tribunaux cantonaux sont composés exclusivement de juges à temps complet, qui ne peuvent exercer une autre profession juridique ; tel est le cas des juges des tribunaux cantonaux et administratifs des cantons de Berne et de Lucerne, du tribunal administratif des cantons de Fribourg et du Tessin, du tribunal cantonal du canton de Thurgovie, et du tribunal cantonal et de la cour d'appel du canton de Schaffhouse. A compter de 2001, huit des onze présidents des juridictions de première instance du canton des Grisons devront exercer leurs fonctions de magistrat à temps plein.
Dans certains cantons, il est interdit à des juges à temps partiel d'être en même temps avocats, par exemple dans les cantons de Bâle-Campagne (juges à temps partiel de la cour d'appel en matière pénale) et d'Argovie (juges à temps partiel du tribunal cantonal et des juridictions administratives spécialisées, ainsi que présidents des tribunaux de district). Dans le canton de Berne, un projet de loi prévoit d'interdire aux juges à temps partiel, à partir de 2001, d'exercer les fonctions d'avocat, alors que les juges suppléants auront toujours cette possibilité. Dans le canton de Saint-Gall, les juges à temps partiel des tribunaux de district ne peuvent intervenir en tant qu'avocats dans leur district respectif.
Dans divers cantons, les juges à temps partiel ne peuvent comparaître en tant qu'avocats devant la juridiction dans laquelle ils siègent. C'est le cas par exemple dans les cantons de Schwyz, d'Obwald, de Zoug, d'Argovie (pour ce qui est du tribunal administratif), de Bâle-Ville (s'agissant du juge habituel à la cour d'appel pour les affaires administratives), de Saint-Gall (quant aux juges à temps partiel à plus de 40 %), des Grisons (s'agissant des juges des tribunaux administratifs et de leurs sections respectives et, à compter de 2001, des présidents des tribunaux de district et des tribunaux régionaux et de leurs adjoints). Le canton de Bâle-Campagne est en train de réviser ses règles juridiques dans le même sens.
Certains tribunaux cantonaux prévoient que les juges suppléants peuvent exercer les fonctions d'avocat ; tel est le cas par exemple dans les cantons d'Argovie (tribunaux du travail), de Berne (tribunal cantonal et tribunal administratif), de Bâle-Ville, de Genève, de Fribourg (tribunal administratif), du Tessin, de Soleure et de Schaffhouse (cour d'appel et tribunal cantonal).
C. Jurisprudence du Tribunal fédéral
Le Tribunal fédéral s'est prononcé à plusieurs reprises sur la question de l'impartialité d'avocats exerçant des fonctions de magistrat, notamment sur le danger d'une relation de dépendance entre le juge et l'une des parties. Par exemple, un avocat ne peut intervenir comme magistrat dans une affaire où il représente l'une des parties à la procédure, ou lorsqu'il représente la partie adverse dans une autre procédure en cours. En revanche, aucune question ne se pose généralement lorsque l'avocat a dans le passé représenté l'une des parties mais que son mandat est terminé. Le simple fait qu'un avocat conseille régulièrement ses clients en matière immobilière n'autorise pas à présumer que, en tant que juge, il va nécessairement favoriser un plaignant qui est impliqué dans la construction d'une maison (arrêt du 15 mai 1992, Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Verwaltungsrecht 94, 1993, 87 ; arrêt du 20 décembre 1990, Arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF), vol. 116 Ia, p. 485). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 30 novembre 1991, les requérants assignèrent leurs quatre sœurs devant le tribunal de Bénévent afin de faire déclarer l’ouverture de la succession de leurs parents et de faire constater que la vente de certains immeubles opérée par les parents à une des sœurs simulait, en réalité, une donation en faveur de celle-ci.
La mise en état de l’affaire commença le 22 janvier 1992. Après une audience, le 10 décembre 1992 les requérants demandèrent une expertise et le juge ajourna l’affaire au 20 mai 1993. Cette audience fut reportée d’office au 9 décembre 1993. Par une ordonnance du 20 juin 1994, le juge fixa l’audience pour la présentation des conclusions relative à la simulation de la vente au 22 septembre 1994. Ce jour-là, le juge fixa la date de l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente au 28 mai 1996.
Par une ordonnance du 20 juillet 1996, le tribunal rouvrit la mise en état et ordonna une expertise. Le 21 novembre 1996, l’expert prêta serment. Le 5 juin 1997, les parties demandèrent un renvoi afin d’examiner le rapport d’expertise déposé entre-temps au greffe, puis le juge de la mise en état ajourna l’affaire au 22 janvier 1998. Le jour venu, le juge fixa la date de l’audience de présentation des conclusions au 18 juin 1998. Cette audience fut reportée d’office au 25 juin 1998. A cette date, à la demande des requérants, le juge admit l’audition de témoins et ajourna l’affaire au 21 janvier 1999. Cette audience fut reportée d'office au 25 juin 1999. A cette date, le juge ajourna l'affaire au 25 novembre 1999 pour l’audition de témoins. Le jour venu, ladite audition eut lieu. Le 24 février 2000, l’audience fut renvoyée au 24 novembre 2000, car les avocats faisaient grève. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE l'espèce
Les faits de la cause, notamment en ce qui concerne les événements survenus les 28 et 29 avril 1992, c'est-à-dire les circonstances de la garde à vue et du décès de l'époux de la requérante, Agit Salman, étaient en litige entre les parties. C'est pourquoi la Commission, conformément à l'ancien article 28 § 1 a) de la Convention, a mené une enquête avec l'assistance de celles-ci.
La Commission a procédé à l'audition de témoins du 1er au 3 juillet 1996 à Ankara et les 4 décembre 1996 et 4 juillet 1997 à Strasbourg. Les témoins entendus comprenaient la requérante ; son fils, Mehmet Salman ; son beau-frère, İbrahim Salman ; les policiers Ahmet Dinçer et Şevki Taşçı, qui ont arrêté Agit Salman ; les policiers chargés des gardes à vue, Ömer İnceyılmaz, Servet Ozyılmaz et Ahmet Bal, qui étaient de permanence pendant la détention d'Agit Salman ; les membres de la brigade des interrogatoires, İbrahim Yeşil, Erol Çelebi et Mustafa Kayma, qui ont emmené Agit Salman à l'hôpital ; Tevfik Aydın, le procureur d'Adana qui a assisté à l'autopsie ; le docteur Ali Tansı, médecin à l'hôpital public d'Adana, qui a constaté le décès d'Agit Salman ; le docteur Fatih Şen, qui a procédé à l'autopsie ; le docteur Derek Pounder, professeur à l'université d'Aberdeen, expert en médecine légale appelé par la requérante ; et le docteur Bilge Kirangil, membre de l'Institut de médecine légale d'Istanbul, qui a contrôlé l'autopsie à laquelle avait procédé le docteur Fatih Şen.
La Commission a également demandé au professeur Cordner, professeur de médecine légale à l'université de Monash, à Victoria (Australie), et directeur de l'Institut de médecine légale de Victoria, de lui soumettre une expertise sur les questions médicales soulevées par l'affaire.
Les constatations de la Commission, auxquelles souscrit la requérante, sont exposées dans son rapport du 1er mars 1999 et résumées ci-dessous (partie A). Les observations du Gouvernement concernant les faits et les expertises médicales sont également résumées ci-dessous (parties B et C).
A. Les constatations de la Commission
Agit Salman, l'époux de la requérante, était chauffeur de taxi à Adana. A l'époque des faits de la cause, il était âgé de quarante-cinq ans. Il n'avait aucun antécédent de maladie ou de problèmes cardiaques.
Le 26 février 1992, Agit Salman fut placé en garde à vue par des policiers de la section anti-terrorisme de la direction de la sûreté d'Adana. İbrahim Yeşil était le policier chargé de l'interroger. Agit Salman fut remis en liberté le 27 février 1992 à 17 h 30. Il déclara à la requérante et à leur fils Mehmet avoir été battu et immergé dans de l'eau froide pendant la nuit où il avait été détenu. Il resta deux jours sans travailler parce qu'il avait pris froid.
Au cours d'une opération visant à arrêter plusieurs personnes soupçonnées d'être impliquées dans les activités du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), des policiers se rendirent au domicile de la requérante très tôt le matin du 28 avril 1992, à la recherche d'Agit Salman. Celui-ci était recherché pour certaines activités, notamment pour avoir assisté à la fête de Newroz (le nouvel an kurde) le 23 mars 1992 et pour avoir participé à l'allumage d'un incendie et à une attaque contre les forces de l'ordre, au cours de laquelle une personne avait été tuée et quatre autres blessées. Toutefois, l'intéressé était parti travailler avec son taxi.
Les policiers trouvèrent Agit Salman vers une heure le 28 avril 1992, à une station de taxi à Yeşilova. Il fut appréhendé par le commissaire adjoint Ahmet Dinçer et les policiers Şevki Taşçı et Ali Şarı. Le procès-verbal d'arrestation établi par les policiers ne fait mention d'aucune lutte ou nécessité de recourir à la force pour faire monter Agit Salman dans la voiture de police. Il y eut par la suite des incohérences entre leurs dépositions écrites recueillies par le procureur le 22 mai 1992, dans lesquelles ils expliquèrent qu'il avait pu y avoir une certaine bousculade, et leurs déclarations à la Commission. Dans leurs dépositions orales devant les délégués de la Commission, Ahmet Dinçer et Şevki Taşçı affirmèrent qu'ils avaient dû conduire Agit Salman à la voiture en le prenant par les bras, mais sans qu'il fût nécessaire de recourir à la force et sans que l'intéressé ne se vît infliger ni coups ni blessures à cette occasion. Les chauffeurs de taxi à la station déclarèrent à Mehmet Salman que son père n'avait opposé aucune résistance lors de son arrestation, et deux chauffeurs de taxi que le procureur invita à faire une déposition n'avaient pas entendu dire non plus qu'Agit Salman eût résisté à l'arrestation.
Agit Salman ne fut pas examiné par un médecin avant d'être mis dans une cellule dans la zone de garde à vue. Pour la Commission, il n'a pas été établi qu'il eût subi des dommages corporels lors de l'arrestation ou montré des signes de mauvaise santé ou de difficultés respiratoires.
Le policier de permanence, Ömer İnceyılmaz, enregistra l'arrivée d'Agit Salman dans la zone de garde à vue à 3 heures le 28 avril 1992. Aucune mention sur le registre ni aucun élément de preuve n'explique l'intervalle de temps entre l'arrestation, qui eut lieu à 1 h 30 selon le procès-verbal des policiers concernés, et l'enregistrement de l'arrivée d'Agit Salman dans la zone de garde à vue à 3 heures.
Le commissaire adjoint İbrahim Yeşil était le chef de la brigade des interrogatoires chargée du dossier d'Agit Salman. Celle-ci comprenait les policiers Erol Çelebi, Mustafa Kayma et Hasan Arinç.
On sait que deux autres suspects furent arrêtés dans le cadre de la même opération : Behyettin El, placé en détention le 25 avril 1992, et Ferhan Tarlak, incarcéré également le 28 avril 1992. Un troisième suspect, Ahmet Gergin, fut également détenu dans la zone de garde à vue pour les infractions qui faisaient l'objet de l'enquête. İbrahim Yeşil recueillit la déposition de Behyettin El et d'Ahmet Gergin le 29 avril 1992. Behyettin El déclara qu'il avait été interrogé avant l'arrivée de Ferhan Tarlak, c'est-à-dire au plus tard le 28 avril 1992.
Les allées et venues des détenus n'étaient consignées dans aucun document indiquant, par exemple, l'heure des interrogatoires. Les policiers impliqués dans les événements en cause nièrent dans leurs dépositions, recueillies par le procureur entre le 18 et le 25 mai 1992, qu'Agit Salman eût été interrogé pendant sa détention, notamment en expliquant qu'aucun interrogatoire n'avait lieu avant la fin de l'opération. İbrahim Yeşil, Mustafa Kayma et Hasan Arinç déclarèrent oralement la même chose devant les délégués de la Commission. Celle-ci a estimé que l'affirmation qu'Agit Salman n'avait pas été interrogé pendant les vingt-quatre heures suivant son arrestation n'était ni plausible ni cohérente et manquait de crédibilité (voir l'analyse des preuves par la Commission, rapport de la Commission du 1er mars 1999, §§ 271-278). Compte tenu également des autres éléments de preuve, elle a conclu qu'Agit Salman avait été questionné par la brigade des interrogatoires pendant sa période de détention.
Dans les premières heures du 29 avril 1992, İbrahim Yeşil, Mustafa Kayma, Hasan Arinç et Erol Çelebi emmenèrent Agit Salman à l'hôpital public d'Adana. Le docteur Ali Tansı l'examina immédiatement. Le cœur, la respiration et les autres fonctions vitales s'étaient arrêtés, le visage et les oreilles commençaient à se cyanoser et les pupilles étaient dilatées. Le médecin déclara qu'Agit Salman était mort lorsqu'il arriva à l'hôpital et conclut que le décès avait eu lieu quinze à vingt minutes auparavant.
Une déclaration signée par les policiers qui ont dit avoir emmené Agit Salman à l'hôpital à 2 heures le 29 avril 1992 indiquait qu'à 1 h 15 le policier chargé des gardes à vue les avait informés qu'Agit Salman se sentait mal. Le suspect leur avait dit qu'il avait des problèmes cardiaques et ils l'avaient conduit immédiatement au service des urgences de l'hôpital public.
Le 29 avril 1992, le docteur Fatih Şen, médecin légiste à Adana, examina le corps en présence du procureur. D'après le procès-verbal de cet examen, il y avait deux égratignures séchées de 1 cm sur 3 cm sur la face antérieure de la région axillaire droite, une égratignure récente de 1 cm sur 1 cm sur le devant de la cheville gauche et une ancienne ecchymose d'origine traumatique mesurant 5 cm sur 10 cm sur la poitrine. Le corps ne présentait aucune blessure causée par un instrument pointu ou une arme à feu. Le médecin légiste conclut qu'une autopsie était nécessaire pour établir la cause du décès. Les documents indiquent que l'autopsie fut pratiquée le même jour. Des échantillons de certains organes furent envoyés pour analyse.
Le 29 avril 1992 vers 13 heures, la police emmena Mehmet Salman à la direction de la sûreté, où le procureur l'informa que son père était décédé d'une crise cardiaque. İbrahim Salman se rendit au service de médecine légale le 30 avril 1992 pour identifier le corps, qui fut remis à la famille. Celle-ci organisa l'enterrement la veille du 1er mai et lava le corps au cimetière. İbrahim Salman remarqua des ecchymoses et des marques visibles sur les aisselles. Le dos portait également des marques en forme de trous. Il y avait aussi des marques sur un pied, qui était tuméfié. Quatre photographies en couleur du corps furent prises pour le compte de la famille.
Le 21 mai 1992, le docteur Fatih Şen rendit le rapport d'autopsie. Il reprenait les constatations physiques du procès-verbal d'examen, décrivant cette fois l'ecchymose sur la poitrine comme étant de couleur violette. L'examen interne révélait que les poumons pesaient 300 g chacun et présentaient des œdèmes, et que le cœur, d'un poids de 550 g, avait un volume supérieur à la moyenne. Le cerveau était également œdémateux. On relevait une artériosclérose dans quelques vaisseaux et la couche pariétale était fortement collée au cœur. On observait dans les tissus mous adjacents au sternum, qui était fracturé, une hémorragie récente pouvant avoir été causée par une tentative de réanimation.
Le médecin renvoyait également au rapport histopathologique du 18 mai 1992, qui constatait des signes de bronchite chronique dans les poumons, des lésions artérioscléreuses obstruant les artères coronaires, et une péricardite chronique constrictive, une myocardite chronique, une hyperplasie du myocarde et une hypertrophie du cœur. Le rapport toxicologique du 14 mai 1992 n'indiquait rien d'anormal. Le rapport d'autopsie concluait que la cause réelle du décès ne pouvait pas être établie et conseillait de transmettre le dossier à l'Institut de médecine légale d'Istanbul.
Le 22 mai 1992, les photographies prises par la famille furent remises au procureur.
Le 18 mai 1992, le procureur recueillit les dépositions des membres de la brigade des interrogatoires (İbrahim Yeşil, Hasan Arinç, Mustafa Kayma et Erol Çelebi). Le 22 mai 1992, il entendit également les policiers qui avaient procédé à l'arrestation, Ahmet Dinçer, Ali Şarı et Şevki Taşçı, et les policiers chargés des gardes à vue, Ahmet Bal, Servet Ozyılmaz et Ömer İnceyılmaz. Le procureur recueillit aussi les dépositions de Behyettin El et Ferhan Tarlak le 8 mai 1992, de la requérante le 26 mai 1992, de Temir Salman (le père d'Agit Salman) le 29 mai 1992, de deux chauffeurs de taxi, Hasan Çetin et Abdurrahman Bozkurt, le 29 et le 30 juin 1992 respectivement et du docteur Ali Tansı le 30 juin 1992.
Le 15 juillet 1992, l'Institut de médecine légale d'Istanbul émit son avis, signé par sept membres de la première commission de spécialistes, dont le docteur Bilge Kirangil. Dans ce rapport, il était rappelé qu'Agit Salman avait été poussé et bousculé lors de son arrestation, qu'il avait été pris de malaise avant son interrogatoire ou, comme on l'alléguait, qu'il était décédé pendant l'interrogatoire. Le rapport déduisait des déclarations des témoins que l'intéressé était resté dans sa cellule jusqu'à ce qu'il se plaignît de problèmes cardiaques, et qu'il avait alors été immédiatement emmené à l'hôpital.
Le rapport reprenait les constatations des examens internes et externes conduits pendant l'autopsie. En conclusion, il indiquait que mis à part de petites lésions récentes d'origine traumatique à la cheville et l'ancienne ecchymose de couleur violette sur la poitrine, aucune autre lésion traumatique n'avait été constatée. L'hémorragie récente autour du sternum pouvait être attribuée à une tentative de réanimation. Rien ne portait à croire que le décès résultait d'un traumatisme direct. Les traumatismes superficiels observés sur le corps pouvaient être imputés à la résistance et à la lutte de l'intéressé lorsqu'on l'avait arrêté ou lorsqu'on l'avait forcé à monter dans la voiture de police ; ils pouvaient également avoir été infligés directement. Aucun de ces traumatismes n'était létal en soi. Certains éléments, tels que la relative hypertrophie du cœur, les lésions scléreuses présentes dans les artères coronaires et les signes d'une ancienne maladie infectieuse constatés sur la membrane et les muscles du cœur, révélaient une pathologie cardiaque ancienne. Le rapport concluait que bien que le défunt eût mené une vie personnelle et professionnelle active avant son arrestation, son décès dans les vingt-quatre heures après cette arrestation pouvait avoir été causé par un arrêt cardiaque dû à des altérations du système neurosympathique occasionnées par le choc de l'incident, combiné à la maladie cardiaque présente antérieurement chez la victime.
Le 19 octobre 1992, le procureur d'Adana décida de classer l'affaire. Il déclara que le 29 avril 1992, vers 1 h 15, Agit Salman avait informé les policiers qu'il avait des problèmes cardiaques et qu'il avait été emmené à l'hôpital public d'Adana où il était décédé. Selon le rapport médicolégal, Agit Salman présentait une pathologie cardiaque ancienne, des lésions superficielles pouvaient s'être produites lors de son arrestation et son décès résultait d'une crise cardiaque occasionnée par la conjonction du choc de l'incident et de son problème cardiaque. Aucun élément ne justifiait d'engager des poursuites.
Le 13 novembre 1992, la requérante forma un recours contre la décision de classement, prétendant qu'Agit Salman avait été interrogé et était mort sous la torture.
Le 25 novembre 1992, le président de la cour d'assises de Tarsus débouta la requérante.
Le 22 décembre 1992, le ministre de la Justice déféra l'affaire à la Cour de cassation en vertu de l'article 343 du code de procédure pénale. Le 16 février 1994, la Cour de cassation annula la décision de classement et renvoya l'affaire au procureur d'Adana pour qu'il dressât un acte d'accusation.
Par un acte du 2 mai 1994, dix policiers (Ömer İnceyılmaz, Ahmet Dinçer, Ali Şarı, Şevki Taşçı, Servet Ozyılmaz, Ahmet Bal, Mustafa Kayma, Erol Çelebi, İbrahim Yeşil et Hasan Arinç) furent inculpés d'homicide dans l'affaire no 1994/135. La cour d'assises d'Adana tint des audiences notamment les 27 juin, 26 septembre, 31 octobre et 1er décembre 1994. Les accusés plaidèrent non coupables. Six des dix policiers (Ahmet Dinçer, Şevki Taşçı, Mustafa Kayma, Erol Çelebi, İbrahim Yeşil et Hasan Arinç) firent des dépositions orales dans lesquelles ils maintinrent leurs déclarations écrites et nièrent avoir infligé des mauvais traitements à Agit Salman. La cour entendit également Temir Salman, le père d'Agit Salman, la requérante et le docteur Ali Tansı, le médecin de garde au service des urgences de l'hôpital public d'Adana. Une déclaration écrite de Behyettin El fut recueillie.
Dans son arrêt du 26 décembre 1994, la cour d'assises d'Adana jugea impossible d'établir que les accusés avaient employé la force ou la violence contre Agit Salman, ou l'avaient menacé ou torturé afin d'obtenir des aveux sous la contrainte. Les traumatismes superficiels relevés sur le corps pouvaient avoir d'autres causes, liées par exemple à l'arrestation de l'intéressé. Les rapports médicolégaux indiquaient qu'Agit Salman était décédé en raison de son état cardiaque antérieur associé à des traumatismes superficiels. Toutefois, rien ne prouvait que ces traumatismes eussent été le fait des accusés. La cour d'assises acquitta ceux-ci au bénéfice du doute.
La requérante, qui avait été partie civile à la procédure, ne contesta pas le verdict d'acquittement ; celui-ci passa en force de chose jugée le 3 janvier 1995.
A la lumière des preuves écrites et orales, des photographies et des avis médicaux des professeurs Pounder et Cordner, la Commission estima que le décès d'Agit Salman avait été rapide, sans être précédé d'une période d'essoufflement prolongée. La victime avait sur la cheville gauche des marques et des excoriations pour lesquelles aucune explication n'avait été donnée ; on observait en outre sur son pied gauche une ecchymose et une tuméfaction qui ne pouvaient avoir une cause accidentelle, et qui étaient compatibles avec l'application de la falaka (paragraphe 71 ci-dessous). L'ecchymose au milieu de la poitrine n'avait pas été datée de façon précise par une analyse histopathologique et il n'avait pas été démontré qu'elle pouvait être dissociée de la fracture du sternum. Ces deux blessures, considérées ensemble, ne pouvaient pas avoir été causées par un massage cardiaque. La Commission n'accorda également aucun crédit aux dépositions orales des policiers İbrahim Yeşil, Mustafa Kayma et Erol Çelebi, selon lesquelles un massage cardiaque avait été pratiqué, relevant que cette assertion avait été proférée pour la première fois devant les délégués de la Commission en juillet 1996, quatre ans après les faits. La Commission conclut qu'Agit Salman avait été soumis à la torture pendant son interrogatoire, ce qui avait provoqué un arrêt cardiaque et donc entraîné le décès.
Le 24 janvier 1996, la requérante fut convoquée à la section anti-terrorisme de la direction de la sûreté d'Adana. Des policiers recueillirent sa déposition, en bas de laquelle elle apposa l'empreinte de son pouce. Ce document était intitulé « déclaration relative à la demande d'assistance présentée aux organes européens des Droits de l'Homme » et commençait ainsi : « Question au témoin : Avez-vous présenté une requête à l'Association européenne des Droits de l'Homme ? Avez-vous demandé de l'aide ? Avez-vous rempli une formule de requête ? Qui a transmis votre requête ? » Ce document visait à expliquer comment elle en était venue à présenter sa requête à la Commission. L'intéressée confirma avoir rempli elle-même les documents d'assistance judiciaire. Dans sa déposition orale, que la Commission jugea crédible et étayée par des éléments de preuve, la requérante prétendit que, dans les locaux de la direction, on lui avait mis un bandeau sur les yeux, on lui avait donné des coups de pied et on l'avait frappée, et que les policiers lui avaient dit de laisser tomber l'affaire.
La requérante fut convoquée une deuxième fois. Un rapport du 9 février 1996, signé par des policiers, énumère certaines précisions sur ses revenus et dépenses et confirme sa déclaration de ressources. A cette date ou à une autre, elle fut mise en présence du procureur et de nouveau interrogée sur sa déclaration de ressources. Aucune menace ne lui fut adressée à cette occasion.
B. Les observations du Gouvernement sur les faits
Le Gouvernement invoque les témoignages des policiers, le rapport d'autopsie et le rapport de l'Institut de médecine légale d'Istanbul, ainsi que la déposition orale du docteur Bilge Kirangil devant les délégués de la Commission.
Agit Salman souffrait antérieurement d'une pathologie cardiaque. Lors de son arrestation, il subit des dommages corporels mineurs. L'ecchymose sur la poitrine, qui était de couleur violette et donc ancienne, datait d'avant son arrestation. Pendant sa détention dans la zone de garde à vue à la direction de la sûreté d'Adana, il ne fut pas interrogé car l'opération n'était pas encore terminée. Vers 1 heure, il appela le policier de permanence dans la zone de garde à vue et lui dit qu'il avait des problèmes cardiaques. Le policier demanda de l'aide aux membres de la brigade des interrogatoires, qui attendaient dans une pièce voisine la suite de l'opération. Ces policiers conduisirent Agit Salman, qui avait du mal à respirer, à l'hôpital dans un fourgon de la police. Sur le chemin, ils arrêtèrent le fourgon et Mustafa Kayma tenta brièvement de pratiquer le boucheàbouche et un massage cardiaque. Ils emmenèrent Agit Salman au service des urgences, où on leur annonça qu'il était décédé.
L'autopsie et le rapport de l'Institut de médecine légale d'Istanbul établirent qu'Agit Salman n'avait souffert d'aucun traumatisme majeur, que la fracture du sternum avait été causée par un massage cardiaque et que son décès résultait de causes naturelles, bien que toute l'aide possible lui eût été prodiguée.
Dans sa déposition orale devant les délégués de la Commission, le docteur Bilge Kirangil avait exprimé l'avis que l'ecchymose à la poitrine datait d'au moins deux à trois jours et n'était pas liée à la fracture du sternum, et que le caractère œdémateux du cerveau indiquait une période prolongée d'essoufflement avant le décès. Aucune conclusion ne pouvait être tirée des photographies, prises par un amateur et de mauvaise qualité. Selon ce médecin, l'absence de photographies médicolégales convenables ne constituait pas une lacune majeure. Le rapport de l'Institut ne concluait pas à de mauvais traitements car il n'y avait aucune preuve en ce sens. L'arrêt cardiaque, comme en l'espèce, pouvait être provoqué par des facteurs hormonaux ou environnementaux, tels que des températures extrêmes. Si un coup direct était à l'origine de l'ecchymose et de la fracture du sternum, elle se serait attendue à trouver une contusion et un hématome sur la face postérieure du sternum, ainsi que des contusions sur les parties antérieure et postérieure du ventricule droit du cœur. Si en général les poumons d'un individu qui avait été essoufflé pendant trente minutes augmentaient de volume pour peser jusqu'à 500 ou 600 g, tel n'était pas forcément le cas et cela dépendait de l'individu en question (voir le résumé du témoignage du docteur Kirangil, rapport de la Commission, paragraphes 233-241).
C. Les expertises médicales
Le rapport soumis le 26 novembre 1996 par le professeur Pounder pour le compte de la requérante
Le professeur Pounder enseignait à la faculté de médecine légale de l'université de Dundee, et était notamment professeur au Royal College of Pathologists, intervenant extérieur au Hong Kong College of Pathologists, et professeur à la faculté de pathologie du Royal College of Physicians of Ireland et au Royal College of Pathologists of Australasia. Son rapport se fondait notamment sur les documents internes relatifs à l'autopsie, ainsi que sur les déclarations et dépositions des témoins. Il peut se résumer comme suit.
Les conclusions de l'autopsie indiquaient qu'Agit Salman souffrait avant les faits d'une pathologie cardiaque naturelle, à savoir une inflammation chronique ancienne et inactive, entraînant une adhérence du péricarde. Dans un passé lointain, le défunt pouvait avoir souffert d'un rhumatisme cardiaque, qui s'était manifesté à l'époque par un violent accès de fièvre, sans entraîner nécessairement de symptômes d'une quelconque pathologie cardiaque. Le cœur était hypertrophié, d'un poids de 550 g, ce qui montrait que le muscle cardiaque avait augmenté de volume à titre de compensation.
Un cœur d'un poids supérieur à 500 g pouvait donner lieu à un décès soudain et inattendu à n'importe quel moment, résultant de l'irrégularité du rythme cardiaque. Pareil événement pouvait être précipité par une tension physique ou émotionnelle ou se produire apparemment spontanément, sans aucun facteur causal.
Outre la maladie cardiaque, quatre blessures étaient relevées :
Sur le devant de la région axillaire droite se trouvaient deux excoriations, mesurant chacune 3 cm sur 1 cm, qualifiées de sèches et parcheminées. On ne pouvait dire si l'on avait procédé à une dissection pour voir si elles s'accompagnaient d'ecchymoses mais vu la description, il était raisonnable d'admettre qu'elles correspondaient à des altérations post mortem.
La face antérieure de la cheville gauche présentait deux égratignures, de 1 cm sur 1 cm, qui étaient décrites comme récentes et sanguinolentes. Ces égratignures avaient apparemment été causées pendant la période de garde à vue, mais leur emplacement et leur taille n'indiquaient aucune cause précise.
On observait une ecchymose de 5 cm sur 10 cm au milieu de la poitrine, décrite comme ancienne et de couleur violette.
Il y avait une fracture du sternum s'accompagnant d'une hémorragie récente dans les tissus mous adjacents.
L'ecchymose sur la poitrine recouvrait directement la fracture du sternum. L'hémorragie autour de la fracture suggérait que celle-ci s'était produite avant le décès et non après. La survenance d'une telle fracture suffisait à induire une irrégularité dans le rythme du cœur, qui se trouvait juste en-dessous, provoquant ainsi un décès soudain. En conséquence, la fracture du sternum représentait une cause possible de décès. Si, en théorie, pareille fracture pouvait être le résultat d'une chute, tel était rarement le cas, puisqu'elle impliquerait un impact sur un objet érigé ou un angle et qu'il y aurait alors des blessures sur d'autres parties du corps. Un massage cardiaque pouvait également entraîner une fracture en cas d'application d'une force très importante. La fracture pouvait également avoir été causée par un coup. Dans cette hypothèse, on se serait attendu à voir une ecchymose sur la peau, même si le décès consécutif avait été rapide. Bien que le docteur Fatih Şen eût qualifié l'ecchymose à la poitrine d'ancienne et, par déduction, l'eût attribuée à un autre événement, lui-même était d'avis que puisque l'ecchymose recouvrait directement la fracture, il faudrait des preuves médicales incontestables pour conclure qu'il n'y avait aucun lien entre les deux. Le docteur Şen avait daté l'ecchymose en se fondant sur une appréciation subjective de la couleur, à l'œil nu. Toutefois, il indiquait que l'ecchymose était de couleur violette, ce qui était parfaitement compatible avec une ecchymose récente. Un hématome datant de deux ou trois jours aurait commencé à tirer sur le jaune. Un simple examen histopathologique aurait clairement établi s'il s'agissait d'une ecchymose récente ou ancienne. Pareille ecchymose ne pouvait résulter de la pression des mains appliquée pendant un massage cardiaque. Pour le professeur Pounder, eu égard à la contiguïté de l'ecchymose et de la fracture, et à l'absence de tout élément permettant de prouver clairement que l'hématome s'était produit à une autre occasion, les deux blessures avaient été causées en même temps par un coup, qui avait entraîné une irrégularité du rythme cardiaque.
Les conclusions de l'autopsie, notamment le poids des poumons (300 g chacun, ce qui était proche du poids minimum), indiquaient que le décès avait été très rapide et non consécutif à une agonie prolongée. Chez les personnes qui se meurent lentement d'une déficience cardiaque progressive, le poids des poumons atteint couramment 500 ou 600 g et peut monter jusqu'à 1000 g. Ce poids excessif est dû à l'accumulation de liquide dans les poumons en raison de la déficience de l'action de pompe du cœur, et les symptômes cliniques en sont l'essoufflement et les difficultés respiratoires. Les décès liés à un collapsus sont associés à un poids faible des poumons, comme en l'espèce. Une mort relativement lente s'accompagnerait également d'une congestion du foie. Ainsi, les conclusions de l'autopsie et de l'examen histopathologique allaient fortement à l'encontre de l'hypothèse d'une agonie prolongée avec des symptômes d'essoufflement, et indiquaient plutôt une mort rapide.
Quant aux procédures d'autopsie, elles présentaient de graves lacunes. Bien que les deux seules causes théoriques possibles de la fracture fussent un massage cardiaque externe ou un coup, aucune mesure n'avait été prise pour établir de façon irréfutable si un massage cardiaque avait ou non été pratiqué. L'affirmation dans le rapport d'autopsie selon laquelle la fracture pouvait avoir été causée par un massage n'avait rien de péremptoire et pouvait faussement suggérer que le docteur Şen savait qu'il y avait eu tentative de réanimation, alors qu'il n'en était rien. Le docteur Şen aurait dû établir une distinction entre les faits et la spéculation. Il aurait également fallu décrire aussi précisément que possible l'ecchymose, la fracture et la pathologie cardiaque et, à cet égard, les détails étaient manifestement insuffisants.
Le rapport additionnel présenté le 26 novembre 1996 par le professeur Pounder pour le compte de la requérante
L'addendum du 26 novembre 1996 comportait une analyse des quatre photographies, décrites comme étant de mauvaise qualité. Toutefois, la photographie de la plante des pieds montrait une nette décoloration de couleur pourpre sur la plante du pied gauche, qui était légèrement tuméfiée. Le petit orteil droit présentait à sa base une bande blanche brillante. La décoloration du coudepied et de la plante du pied gauche suggérait fortement une ecchymose associée à une légère tuméfaction, ce qui ne correspondait pas à l'afflux de sang post mortem dû à la gravité. Une ecchymose de cette étendue ne pouvait résulter d'une blessure infligée post mortem et il était improbable qu'une blessure située à cet endroit puisse avoir été causée par une chute alors que la victime était en vie. La blessure donnait donc fortement à croire qu'elle résultait d'un ou plusieurs coups assénés sur le pied. La marque sur le petit orteil droit faisait immédiatement penser à une marque de ligature, bien que l'on n'observât aucune congestion de l'orteil pouvant évoquer une ligature étroitement serrée, faite alors que la victime était en vie ; elle ne correspondait pas non plus à un point de passage électrique. Aucune de ces possibilités ne pouvait être exclue et la marque était inhabituelle.
Les blessures rougeâtres sur la face antérieure de la cheville gauche, mises en rapport avec les blessures à la plante du pied gauche, suggéraient que la cheville avait été bloquée par un mécanisme enserrant les deux chevilles, et que la victime, ainsi maintenue, avait été frappée sur la plante du pied gauche.
Les marques sur la région axillaire droite se voyaient mal. Leurs position, alignement et coloration ne ressemblaient pas à ce qu'on attendrait normalement d'une blessure causée post mortem et évoquaient la possibilité d'un contact électrique appliqué alors que la victime était en vie. Combinée avec la marque inhabituelle visible sur le petit orteil droit, elle laissait soupçonner l'utilisation d'un courant électrique, avec un point de passage autour du petit orteil et un autre point de passage sur l'aisselle droite. Un examen histopathologique aurait pu établir s'il s'agissait ou non de brûlures électriques.
La photographie du dos montrait des artefacts post mortem, avec des zones blanches de pression. On observait des marques distinctes, notamment une excoriation rouge vif sur la colonne vertébrale au niveau de la taille et, au-dessus, deux marques rouge sombre. Au-dessus de ces deux marques se trouvait une ecchymose ou une excoriation rosée formant une ligne horizontale. Ces blessures pouvaient avoir été causées post mortem, et résulter du frottement du corps sur une surface rugueuse ou tranchante. Elles pouvaient également dater d'avant le décès. Une dissection aurait été nécessaire pour résoudre la question.
Les photographies indiquaient que la dissection pratiquée lors de l'autopsie avait été insuffisante ; en effet, le dos n'avait pas été disséqué, non plus que la plante du pied gauche ou les blessures à la cheville. Le rapport d'autopsie n'indiquait pas clairement si la blessure à la région axillaire avait été disséquée. Ces photographies prouvaient également que la description du corps dans le rapport d'autopsie était incomplète.
Le rapport présenté le 12 mars 1998 par le professeur Cordner à la demande de la Commission
Ce rapport fut rédigé par le professeur Cordner, à la demande des délégués de la Commission (paragraphe 6 ci-dessus), sur la base des éléments médicaux produits au cours de l'enquête interne, des dépositions des témoins, des rapports du professeur Pounder et des photographies fournies par la requérante.
Quant aux photographies, les variations de couleur ou les marbrures sur le pied indiquaient la présence d'une ecchymose. Il estima que la photographie était trop floue pour autoriser à conclure que la bande blanche brillante sur le petit orteil droit était une marque de ligature ; il n'était pas davantage en mesure de conclure que les marques apparentes à l'aisselle droite résultaient de l'application d'électrodes. Sur les jambes, outre les marques qui pouvaient correspondre à des excoriations à la cheville gauche, il nota des petites zones rougeâtres sur le devant et à l'intérieur de la cheville droite. Il souscrivit aux conclusions du professeur Pounder concernant le dos et releva en outre d'autres rougeurs. Toutefois, en l'absence de dissection et/ou d'examen histologique, la nature des marques demeurait incertaine. Elles pouvaient avoir été causées avant le décès ou constituer un phénomène post mortem. Les ecchymoses sur la plante des pieds étaient relativement inhabituelles, et indiquaient l'application d'une force au moins modérée. Des coups assénés sur la plante des pieds pouvaient causer de telles ecchymoses. Une personne avec une telle blessure ne pourrait pas marcher sans pour le moins boiter de façon visible.
Quant à la datation de l'ecchymose sur la poitrine, la doctrine récente en médecine légale tendait à recommander la prudence en la matière. Il était impossible d'établir un calendrier précis des modifications de couleur comme on le faisait dans les anciens manuels, car il y avait trop de variables. Si l'on se fondait sur la couleur violette de l'ecchymose à la poitrine pour situer la lésion à une date différente de l'hémorragie « récente » autour de la fracture du sternum, cette déduction n'était pas valable. Les données ne permettaient pas de les situer à des dates différentes. Une étude récente visant à établir la portée des divergences entre les auteurs concluait que le seul point d'accord était qu'une ecchymose tirant nettement sur le jaune datait d'au moins dix-huit heures. A son avis, l'ecchymose de couleur violette pouvait être récente (c'est-à-dire avoir été produite moins de vingtquatre heures auparavant) mais pouvait aussi être plus ancienne.
Quant à la fracture du sternum, le défunt ne s'était pas plaint d'une douleur à la poitrine ; on pouvait donc en conclure que cette fracture s'était produite peu avant ou vers le moment de la mort. Pour le professeur Cordner, soit il s'agissait de deux blessures (l'ecchymose et la fracture) qui coïncidaient et ne pouvaient être situées à des dates différentes, soit il s'agissait d'une seule et même blessure. Si Agit Salman n'avait pas d'hématome sur la poitrine lorsqu'il avait été placé en garde à vue, la réponse à la question était relativement simple. La plupart des pathologistes tendraient à considérer de prime abord qu'il s'agissait d'une seule et même blessure ou concluraient à l'existence d'une présomption réfragable selon laquelle il y avait une seule blessure. En ce qui concerne la possibilité que l'ecchymose et la fracture du sternum aient été causées par une tentative de réanimation, un hématome étendu sur la poitrine était rare dans ce contexte. Les fractures du sternum dans les cas de réanimation cardiopulmonaire étaient généralement associées à des fractures des côtes et non à des hémorragies ou des ecchymoses. Si l'ecchymose à la poitrine et la fracture accompagnée d'une hémorragie résultaient d'un seul traumatisme, celuici n'était pas associé à une tentative de réanimation. Pareille fracture résultant d'une chute sur une surface plane serait inhabituelle. Une chute directe et brutale sur une protubérance large et relativement lisse pourrait avoir ce résultat mais il ne se souvenait pas d'avoir vu un accident entraînant une telle blessure isolée (c'est-à-dire sans autre dommage causé en même temps sur d'autres parties du corps). Pareille lésion pouvait également avoir été causée par un coup de poing, de genou ou de pied.
Les poumons présentant des œdèmes suffisants pour être considérés comme le signe d'une faiblesse cardiaque de nature à provoquer un essoufflement de vingt à trente minutes pèsent plus de 300 g. En l'espèce, le poids des poumons indiquait un décès beaucoup plus rapide. L'œdème du cerveau ne tirait pas à conséquence, le poids du cerveau de la victime étant légèrement inférieur à la moyenne pour un homme de cet âge.
La conclusion concernant la pathologie cardiaque existante n'était pas contestée. Selon le professeur Cordner, la meilleure explication du décès était la suivante. Alors qu'il était en vie, Agit Salman avait subi un traumatisme important au niveau de la plante du pied gauche et de la poitrine, ce qui avait occasionné des ecchymoses et provoqué, à première vue, la fracture du sternum accompagnée d'une hémorragie. La peur et la douleur liées à ces événements avaient induit une poussée d'adrénaline, et donc une accélération du rythme cardiaque et une élévation de la tension, ce qui avait mis à rude épreuve un cœur déjà endommagé, et provoqué un arrêt cardiaque et un décès rapide. Une autre explication serait que la pression appliquée sur la poitrine ayant occasionné la fracture du sternum avait entraîné un dérèglement fatal du rythme cardiaque sans autre dommage notable. La faiblesse de cet avis tenait à l'hypothèse que les blessures à la poitrine résultaient d'un seul traumatisme et non de deux, question qui dépendait partiellement de facteurs circonstanciels et ne pouvait pas être complètement résolue. Toutefois, même en supposant qu'il s'agissait de blessures séparées, l'ecchymose sur la poitrine pouvait toujours être considérée comme récente et avoir été causée pendant la garde à vue, auquel cas la cause formelle du décès serait la même – arrêt cardiaque d'un homme présentant une pathologie cardiaque, à la suite de blessures au pied gauche et à la poitrine. Si la fracture du sternum devait être considérée comme la conséquence d'une tentative de réanimation, la cause du décès ne changerait que si l'on concluait que l'ecchymose avait été produite avant l'incarcération de la victime.
L'objet déterminant d'une autopsie en l'espèce était d'apprécier les circonstances dans lesquelles on alléguait que cet homme était mort, notamment s'il s'agissait ou non d'un décès naturel en garde à vue. Dans cette appréciation, la datation de l'ecchymose sur la poitrine était décisive. Même en admettant la démarche du docteur Şen consistant à se fonder à cet égard sur la couleur, l'autopsie aurait dû être conduite de manière à permettre à un autre médecin légiste de se faire sa propre opinion à un autre moment. Des observations importantes devaient se justifier objectivement. En l'absence de photographies, l'examen histologique était la solution évidente qui se présentait au docteur Şen pour établir le bien-fondé de sa thèse. L'absence de photographies convenables avait en outre sérieusement entravé les investigations et l'appréciation en l'espèce. Les lacunes tenaient aussi à l'insuffisance de la dissection sous-cutanée afin de rechercher des hématomes non visibles extérieurement et au fait qu'il n'y avait pas eu d'examen histologique des lésions déterminantes pour une appréciation convenable des circonstances du décès.
Le professeur Cordner avait rencontré le professeur Pounder à titre professionnel. Il n'avait jamais rencontré le docteur Kirangil ni le docteur Şen.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les principes et procédures relatifs à la responsabilité pour des actes contraires à la loi peuvent se résumer comme suit.
A. Les poursuites pénales
Le code pénal turc réprime toutes formes d'homicide (articles 448 à 455) et de tentative d'homicide (articles 61 et 62). Il érige aussi en infraction le fait pour un agent public de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements). Les articles 151 à 153 du code de procédure pénale régissent les obligations incombant aux autorités quant à la conduite d'une enquête préliminaire au sujet des faits et omissions susceptibles de constituer pareilles infractions que l'on porte à leur connaissance. Les infractions peuvent être dénoncées non seulement aux parquets ou aux forces de l'ordre, mais également aux autorités administratives locales. Les plaintes peuvent être déposées par écrit ou oralement. Dans ce dernier cas, l'autorité est tenue d'en dresser procès-verbal (article 151).
S'il existe des indices qui mettent en doute le caractère naturel d'un décès, les agents des forces de l'ordre qui en ont été avisés sont tenus d'en faire part au procureur de la République ou au juge du tribunal correctionnel (article 152). En vertu de l'article 235 du code pénal, tout agent public qui omet de dénoncer à la police ou au parquet une infraction dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions est passible d'une peine d'emprisonnement.
Le procureur qui, de quelque manière que ce soit, est avisé d'une situation permettant de soupçonner qu'une infraction a été commise est obligé d'instruire les faits afin de décider s'il y a lieu ou non de lancer l'action publique (article 153 du code de procédure pénale).
Lorsque les allégations visent des infractions terroristes, le procureur est privé de sa compétence au profit d'un système distinct de procureurs et de cours de sûreté de l'Etat répartis sur tout le territoire de la Turquie.
Si l'auteur présumé d'une infraction est un agent de la fonction publique et si l'infraction a été commise dans l'exercice de ses fonctions, l'enquête préliminaire obéit à la loi de 1914 sur les poursuites contre les fonctionnaires, qui limite la compétence ratione personae du ministère public quant à cette phase de la procédure. En pareil cas, l'enquête préliminaire et, par conséquent, la décision de poursuivre ou non sont du ressort du comité administratif local compétent (celui du district ou du département, selon le statut du suspect). Une fois prise la décision de poursuivre, c'est au procureur qu'il incombe d'instruire l'affaire.
Les décisions des comités administratifs locaux sont susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat, dont la saisine est d'office en cas de classement sans suite.
En vertu de l'article 4, alinéa i), du décret no 285 du 10 juillet 1987 relatif à l'autorité du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence, la loi de 1914 (paragraphe 62 ci-dessus) s'applique également aux membres des forces de l'ordre qui relèvent de l'autorité dudit gouverneur.
Si l'auteur présumé d'un délit est un militaire, la loi applicable est déterminée par la nature de l'infraction. C'est ainsi que s'il s'agit d'une « infraction militaire », au sens du code pénal militaire (loi no 1632), la procédure pénale est en principe conduite conformément à la loi no 353 portant création des tribunaux militaires et réglementation de leur procédure. Si un militaire est accusé d'une infraction de droit commun, ce sont normalement les dispositions du code de procédure pénale qui s'appliquent (article 145 § 1 de la Constitution et articles 9 à 14 de la loi no 353).
Le code pénal militaire érige en infraction militaire le fait pour un membre des forces armées de mettre en danger la vie d'une personne en désobéissant à un ordre (article 89). En pareil cas, les plaignants civils peuvent saisir les autorités visées au code de procédure pénale (paragraphe 60 ci-dessus) ou le supérieur hiérarchique de la personne concernée.
B. Les responsabilités civile et administrative du fait des infractions pénales
En vertu de l'article 13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative, toute victime d'un dommage résultant d'un acte de l'administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d'un an à compter de la date de l'acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n'a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure administrative.
Aux termes des paragraphes 1 et 7 de l'article 125 de la Constitution,
« Tout acte ou décision de l'administration est susceptible d'un contrôle juridictionnel (...)
(...)
L'administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »
Ces dispositions consacrent une responsabilité objective de l'Etat, qui entre en jeu dès lors qu'il a été établi que dans les circonstances d'un cas donné l'Etat a manqué à son obligation de maintenir l'ordre et la sécurité publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et ce sans qu'il faille établir l'existence d'une faute délictuelle imputable à l'administration. Sous ce régime, l'administration peut donc se voir contrainte d'indemniser quiconque est victime d'un préjudice résultant d'un acte commis par des personnes non identifiées.
L'article 8 du décret no 430 du 16 décembre 1990, dont la dernière phrase s'inspire de la disposition susmentionnée (paragraphe 66 ci-dessus), est ainsi libellé :
« La responsabilité pénale, financière ou juridique, du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence ou d'un préfet d'un département où a été proclamé l'état d'urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l'exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens contre l'Etat devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l'Etat des dommages injustifiés subis par elle. »
En vertu du code des obligations, toute personne qui subit un dommage du fait d'un acte illicite ou délictuel peut introduire une action en réparation, tant pour préjudice matériel (articles 41 à 46) que pour dommage moral (article 47). En la matière, les tribunaux civils ne sont liés ni par les considérations ni par le verdict des juridictions répressives sur la question de la culpabilité de l'accusé (article 53).
Toutefois, en vertu de l'article 13 de la loi no 657 sur les agents de l'Etat, toute personne ayant subi un dommage du fait d'un acte relevant de l'accomplissement d'obligations régies par le droit public ne peut en principe intenter une action que contre l'autorité dont relève le fonctionnaire concerné, qui ne peut être attaqué directement (article 129 § 5 de la Constitution et articles 55 et 100 du code des obligations). Cette règle n'est toutefois pas absolue. Lorsqu'un acte est jugé illicite ou délictuel et qu'il perd en conséquence son caractère d'acte ou de fait « administratif », les juridictions civiles peuvent autoriser l'introduction d'une demande de dommages-intérêts dirigée contre l'auteur lui-même, sans préjudice du droit pour la victime d'intenter une action contre l'administration en invoquant la responsabilité solidaire de celle-ci en sa qualité d'employeur du fonctionnaire (article 50 du code des obligations).
III. Rapports internationaux pertinents
A. Enquêtes du Comité européen pour la prévention de la torture (le CPT)
Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (le CPT) a organisé sept visites en Turquie. Les deux premières, effectuées en 1990 et 1991, étaient des visites ad hoc, jugées nécessaires en raison du nombre considérable de rapports émanant de sources diverses et comportant des allégations de torture ou d'autres formes de mauvais traitements de personnes privées de liberté, en particulier celles qui étaient détenues par la police. Lors d'une troisième visite, qui s'est déroulée fin 1992, le CPT s'est rendu à la direction de la sûreté à Adana. D'autres ont été effectuées en octobre 1994, août et septembre 1996 et octobre 1997 (les deux dernières impliquant des visites d'établissements de police à Adana). Les rapports du CPT sur ces visites, hormis sur celle d'octobre 1997, n'ont pas été rendus publics, la publication étant subordonnée au consentement de l'Etat concerné, qui n'en a pas fait état.
Le CPT a émis deux déclarations publiques.
Dans sa déclaration publique adoptée le 15 décembre 1992, le CPT conclut à la suite de sa première visite en Turquie que la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves constituaient des caractéristiques importantes de la détention policière. A sa première visite en 1990, les formes suivantes de mauvais traitements ont notamment été à maintes et maintes reprises alléguées : suspension par les poignets attachés dans le dos de la victime (dite palestinian hanging) ; chocs électriques ; coups assenés sur la plante des pieds (falaka) ; arrosage à l'eau froide sous pression et détention dans des cellules très étroites, obscures et non aérées. Les données médicales rassemblées par le CPT montraient des signes médicaux évidents compatibles avec des actes très récents de torture ou d'autres mauvais traitements graves, tant de nature physique que psychologique. Les observations faites sur le terrain dans les établissements de police visités ont révélé des conditions matérielles de détention extrêmement médiocres.
Lors de sa deuxième visite en 1991, le CPT a constaté qu'aucun progrès n'avait été réalisé dans l'élimination de la torture et des mauvais traitements par la police. De nombreuses personnes alléguaient avoir subi de tels traitements – un nombre croissant d'allégations concernaient l'introduction par la force d'un bâton ou d'une matraque dans les orifices naturels. Une fois de plus, un certain nombre de personnes qui déclaraient avoir été maltraitées présentaient à l'examen médical des lésions ou d'autres signes médicaux compatibles avec leurs allégations. A sa troisième visite, qui s'est déroulée du 22 novembre au 3 décembre 1992, la délégation du CPT a été submergée d'allégations de torture et de mauvais traitements. De nombreuses personnes examinées par les médecins de la délégation présentaient des lésions ou des signes médicaux compatibles avec leurs allégations. Le CPT a dressé une liste de ces cas. A l'occasion de cette visite, le CPT s'est rendu à Adana ; un détenu examiné à la prison de cette ville avait des hématomes sur la plante des pieds et une série de stries violacées verticales (d'environ 10 cm de long par 2 cm de large) sur la partie supérieure du dos, compatibles avec son allégation selon laquelle il avait récemment subi la falaka et avait été frappé dans le dos avec une matraque pendant sa garde à vue. Dans les locaux de la direction de la sûreté d'Ankara et de Diyarbakır, le CPT a trouvé un équipement pouvant servir à des actes de torture, pour la présence duquel aucune explication crédible n'a été donnée. Le CPT conclut dans sa déclaration que « la pratique de la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves de personnes détenues par la police reste largement répandue en Turquie ».
Dans sa deuxième déclaration publique, émise le 6 décembre 1996, le CPT relève que quelques progrès ont été accomplis au cours des quatre années précédentes. Toutefois, les faits qu'il a constatés lors d'une visite effectuée en 1994 ont démontré que la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves constituaient toujours des caractéristiques importantes de la garde à vue dans ce pays. Au cours des visites effectuées en 1996, des délégations du CPT ont, une fois de plus, trouvé des preuves manifestes que la police turque pratiquait la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves. Le CPT fait ensuite référence à sa visite la plus récente, effectuée en septembre 1996 dans des établissements de police à Adana, Bursa et Istanbul, où la délégation s'est aussi rendue dans trois prisons, afin de s'entretenir avec certaines personnes qui avaient été très récemment placées en garde à vue à Adana et à Istanbul. Un nombre considérable de personnes examinées par les médecins légistes de la délégation présentaient des lésions ou d'autres signes médicaux compatibles avec leurs allégations de mauvais traitements récents infligés par la police, et en particulier de coups assenés sur la plante des pieds, de coups sur la paume des mains et de suspension par les bras. Le CPT souligne les cas de sept personnes – très récemment détenues dans les locaux de la section anti-terrorisme de la direction de la sûreté d'Istanbul – qui figurent parmi les exemples les plus flagrants de torture vus par des délégations du CPT en Turquie. Ces personnes présentaient des signes de suspension prolongée par les bras, avec des atteintes motrices et sensitives qui, chez deux des personnes examinées qui avaient perdu l'usage des deux bras, pourraient se révéler irréversibles. Le CPT conclut que le recours à la torture et à d'autres formes de mauvais traitements graves continue d'être chose fréquente dans des établissements de police en Turquie.
B. Le protocole type d'autopsie des Nations unies
Le « Manuel sur la prévention des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et les moyens d'enquête sur ces exécutions », adopté par les Nations unies en 1991, comprend un protocole type d'autopsie visant à fournir des directives contraignantes pour la conduite des autopsies par les procureurs et le personnel médical. Dans son introduction, il est relevé que dans les cas qui peuvent prêter à controverse, il n'est jamais bon d'abréger ni l'examen ni les conclusions ; au contraire, un examen et un rapport systématiques et complets sont nécessaires pour empêcher que des détails importants ne soient omis ou passent inaperçus :
« Il est extrêmement important que les autopsies effectuées après une mort controversée soient tout à fait complètes. De même, les documents s'y rapportant et les conclusions doivent être établis dans les moindres détails pour permettre une bonne exploitation des résultats. »
Dans la partie 2 c), il est précisé que des photographies adéquates sont indispensables pour étayer les conclusions de l'autopsie. Les photographies devraient donner des images complètes de la victime et confirmer la présence de toute marque de blessure ou de maladie qui peut être mise en évidence et dont il est question dans le rapport d'autopsie.
procédure devant la commission
Mme Behiye Salman a saisi la Commission le 20 mai 1993, prétendant que son époux, M. Agit Salman, était décédé à la suite de tortures subies pendant sa garde à vue. Elle invoquait les articles 2, 3, 6, 13, 14 et 18 de la Convention. Au cours de la procédure devant la Commission, la requérante a en outre allégué avoir été entravée dans l'exercice effectif de son droit de recours individuel, tel que garanti par l'ancien article 25 § 1.
La Commission a retenu la requête (no 21986/93) le 20 février 1995. Dans son rapport du 1er mars 1999 (ancien article 31), elle formule l'avis unanime qu'il y a eu violation de l'article 2 quant au décès en garde à vue de l'époux de la requérante ; qu'il y a eu violation de l'article 3 en ce que l'époux de la requérante a été torturé ; qu'il y a eu violation de l'article 13 ; qu'il n'y a pas eu violation des articles 14 et 18 de la Convention ; et que la Turquie a failli aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'ancien article 25.
conclusions présentées à la cour
Dans son mémoire, la requérante invite la Cour à constater que l'Etat défendeur a enfreint les articles 2, 3, 13 et l'ancien article 25 § 1 de la Convention. Elle prie la Cour de lui octroyer une satisfaction équitable au titre de l'article 41.
Le Gouvernement demande à la Cour de déclarer la requête irrecevable, la requérante n'ayant pas épuisé les voies de recours internes. A titre subsidiaire, il soutient que les griefs de la requérante sont dénués de fondement. | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Les infractions
Dans la nuit du 15 au 16 décembre 1988, une série d'infractions furent commises dans le Surrey, en Angleterre.
Dans le cadre de la première, qui peut avoir été perpétrée à un moment quelconque après 1 h 30 du matin, deux hommes furent attaqués alors qu'ils se trouvaient à bord d'un véhicule garé dans un champ jouxtant un pub, à Fickleshall. Juste après la conclusion de rapports sexuels entre les intéressés (M. Ely et M. Hurburgh), deux individus masqués surgirent. L'un portait un couteau, l'autre un revolver. Ely fut tiré hors de la voiture et ses agresseurs lui dérobèrent 10 livres sterling (GBP). Sommé de s'allonger face contre terre, il s'exécuta sous la surveillance de l'homme muni du couteau. Il s'aperçut alors de la présence d'un troisième individu masqué. Les agresseurs voulurent prendre la voiture, qui appartenait à Hurburgh. Ne l'entendant pas de cette oreille, celui-ci fut à son tour agressé. Ely reçut l'ordre de ramper jusqu'à l'endroit où Hurburgh, qui avait été ligoté, se trouvait allongé. Il fut lui aussi ligoté et bâillonné. De l'essence fut répandue autour d'eux. A la vue d'une cigarette allumée, Ely s'évanouit. Lorsqu'il reprit connnaissance, l'Austin Princess appartenant à Hurburgh avait disparu et ce dernier était mort. Les agresseurs avaient abandonné quelque 500 mètres plus loin, à l'entrée d'un champ, la Spitfire volée à bord de laquelle ils étaient arrivés sur les lieux.
Plus tard dans la nuit, vers 3 h 40 du matin, trois hommes masqués firent irruption dans le logement des Napier, à Oxted. Ils entrèrent par une fenêtre donnant sur l'arrière de l'immeuble. Deux d'entre eux pénétrèrent dans la chambre de Timothy Napier ; l'un avait un couteau, l'autre un revolver. Entre-temps, Richard Napier (le père) fut réveillé par le troisième agresseur, qui était armé d'un revolver. Il fut conduit dans la chambre de Timothy. L'un et l'autre s'entendirent déclarer que s'ils ne se montraient pas coopératifs, ils seraient abattus. Ils se jetèrent alors sur leurs agresseurs et les forcèrent à descendre les escaliers. Dans la lutte, Timothy Napier se fit taillader un bras, ce qui provoqua le sectionnement d'une artère. Richard Napier fut contraint par ses agresseurs de remonter les escaliers jusqu'à la chambre où sa femme attendait. Un couteau pointé sur elle, celle-ci fut invitée à se débarrasser de ses bagues et de ses autres bijoux, faute de quoi elle aurait les doigts tranchés. Les deux autres agresseurs mirent la pièce à sac avant que tous trois ne s'enfuissent à bord de la Toyota de Timothy. Ce dernier fut emmené à l'hôpital. Les médecins découvrirent qu'il avait reçu dans le dos un coup de couteau qui avait percé la cavité pleurale, rendant nécessaire l'insertion d'un drain dans la poitrine. La voiture de Hurburgh fut découverte abandonnée non loin de là.
A 5 heures du matin, Mme Spicer et son partenaire (M. Almond), qui dormaient au domicile de la première à Fetcham, se réveillèrent pour constater la présence de trois hommes masqués dans leur chambre. Ces derniers leur demandèrent de l'argent, des bijoux et les clefs de leurs voitures. Ils indiquèrent aux intrus où trouver ce qu'ils demandaient. Leurs agresseurs les ligotèrent et les bâillonnèrent, après quoi ils saccagèrent la maison. Il s'écoula presque une heure avant qu'ils ne partissent, emportant avec eux une grande quantité d'objets, ainsi que les deux voitures appartenant au couple, une Renault et une Cavalier. La Toyota de Timothy Napier fut découverte abandonnée à proximité.
B. La récompense, l'enquête et les arrestations
Les événements décrits ci-dessus défrayèrent la chronique. Ainsi fut notamment publiée dans les médias nationaux, entre le 17 et le 19 décembre 1988, l'offre d'une récompense de 25 000 GBP pour tout renseignement conduisant à la condamnation des auteurs des infractions. Le dimanche 18 décembre parvint au centre opérationnel de la police une information selon laquelle les personnes responsables du meurtre et des autres infractions résidaient au numéro 25 Lawrie Park Road, à Sydenham, dans le sud de Londres (« le no 25 »). En outre, l'auteur de l'appel déclara qu'une grande quantité des biens qui avaient été dérobés au cours des vols avaient été recueillis par d'autres personnes résidant au no 25, puis entreposés dans l'appartement d'un comparse de sexe féminin situé au 71 Queen Adelaide Court.
Le propriétaire du no 25 était M. Smith, qui occupait le rez-de-chaussée et le sous-sol. Le restant de la maison (les deux étages supérieurs) était divisé en appartements, occupés notamment par les requérants, Raphael Rowe et Michael Davis. Randolph Johnson venait à la maison de temps à autre, les derniers temps pour aider à réparer les conduites et diverses installations électriques, et il y serait venu dans la nuit du 15 décembre 1988. Rowe, Davis et Johnson étaient noirs.
Trois hommes blancs vivaient également au no 25 : Mark Jobbins, Norman Duncan et Shane Griffin (« le groupe Jobbins »). Ils étaient à l'époque âgés de vingt-neuf, vingt et un et dix-neuf ans respectivement. Duncan et Griffin sniffaient régulièrement de la colle. Tous trois avaient des antécédents judiciaires.
A la suite des informations reçues par la police, des mandats de perquisition furent obtenus pour chacune des adresses et furent exécutés simultanément le 19 décembre 1988 à 7 h 50 du matin. Lors de la perquisition effectuée au no 25, à un moment quelconque entre 14 h 15 de l'après-midi le 19 décembre et 5 heures du matin le 20 décembre, la police découvrit dans la corbeille à papier de Rowe une broche dérobée au couple Spicer/Almond. D'autres objets provenant du même vol furent trouvés dans une pièce servant de dépôt. Les policiers y découvrirent également des figurines de porcelaine (ne présentant aucun lien avec les infractions susdécrites), qui portaient les empreintes de Davis. Des taches de sang visibles sur une veste trouvée dans la chambre de Rowe furent analysées. Elles révélèrent que le sang était celui d'une personne appartenant à un groupe sanguin partagé par 8 % de la population, dont la victime du meurtre, Hurburgh. Rowe, Davis, Jobbins et Griffin furent arrêtés au motif qu'on les soupçonnait de vols avec effraction aggravés. Duncan fut appréhendé le 21 décembre.
Kate Williamson, une lycéenne de seize ans qui était la petite amie de Rowe, livra à la police un certain nombre d'objets provenant du vol Spicer/Almond, notamment deux bagues de fidélité, un bracelet de montre en métal jaune et une montre de dame. Elle déclara à la police qu'elle rendait fréquemment visite à Rowe et qu'elle se trouvait chez lui dans la nuit du 15 décembre 1988. Elle affirma ne connaître Jobbins, Duncan et Griffin que de vue.
Joanne Cassar informa la police qu'elle avait demeuré avec un autre résidant du no 25, Jason Cooper, pendant une certaine période en 1988. Elle connaissait Davis, Rowe, Jobbins, Duncan et Griffin. Elle s'était trouvée au no 25 pendant la nuit du 15 décembre 1988, où elle avait dormi dans la chambre de Cooper.
L'autre mandat de perquisition fut exécuté au no 71 Queen Adelaide Court. Il déboucha sur l'arrestation de la locataire, Bernadette Roberts, qui était la petite amie de Jobbins, et permit de récupérer une grande quantité de biens volés.
Johnson fut arrêté le 6 janvier 1989 par plusieurs policiers, après une longue course-poursuite. Il était en possession d'un revolver. Dans sa déposition, il admit qu'il s'était rendu au no 25 à diverses reprises et que la nuit en question il y était probablement resté jusqu'à une heure tardive. Il nia avoir participé aux infractions et déclara lors de ses interrogatoires par la police qu'il pouvait avoir passé la nuit avec une petite amie.
C. Le procès
Le procès des deux requérants et de Johnson se déroula devant la Central Criminal Court en février 1990.
La thèse de l'accusation consistait à dire que les trois hommes avaient participé à chacune des infractions. D'après l'accusation, il y avait des preuves établissant un lien entre les infractions : l'Austin Princess volée à Hurburgh avait été trouvée sur les lieux du vol Napier, la Toyota volée aux Napier avait été découverte abandonnée à côté de l'endroit où résidait le couple Spicer/Almond, et les véhicules dérobés à ce dernier se rattachaient aux occupants du no 25. En outre, les témoins de chacun des vols avaient décrit une équipe de trois voleurs dont au moins un était muni d'un revolver et un second d'un couteau, tous étant vêtus de noir et portant des cagoules.
L'accusation s'appuya en grande partie sur les témoignages livrés par les membres du groupe Jobbins. Ceux-ci reconnurent avoir volé ensemble la Spitfire qui avait été trouvée abandonnée à côté de l'endroit où avait eu lieu le premier vol à main armée et le meurtre, et avoir conduit la Renault et la Cavalier volées lors de la dernière infraction dans un champ à Sidcup où ils y avaient mis le feu. Ils déclarèrent notamment que la nuit du 15 au 16 décembre Rowe avait demandé s'il pouvait utiliser la Spitfire et que le même Rowe, Davis et un autre homme noir avaient demandé de l'aide sous d'autres formes, telles que le prêt d'une cagoule et un coup de main pour faire démarrer la Spitfire. Les membres du groupe Jobbins témoignèrent également au sujet des événements du matin suivant (16 décembre) où Rowe avait, d'après eux, fait un certain nombre de commentaires qui attestaient sa participation aux infractions et leur avait demandé de se débarrasser des voitures dérobées au ménage Spicer/Almond et de conserver ailleurs les objets volés.
En outre, l'accusation se fonda sur le témoignage de Kate Williamson. Au dire de celle-ci, Rowe l'avait quittée pendant la nuit du 15 au 16 décembre, pour revenir le lendemain matin à 6 h 30, il lui avait donné des bagues provenant du vol Napier afin qu'elle les fît estimer, il avait griffé la vitre de sa chambre avec une des bagues sertie d'un diamant et il lui avait parlé des voitures volées. L'accusation s'appuya également sur la déposition de Joanne Cassar, qui avait affirmé que Davis lui avait donné une plante qu'il disait avoir trouvée dans le coffre de la voiture volée à Almond. Enfin, Martin Todd, un détenu de la prison de Brixton, où Johnson avait séjourné en détention provisoire, déclara que ce dernier avait fait en sa présence des remarques qui démontraient qu'il avait pris part aux infractions.
Les trois accusés nièrent toute participation aux infractions. Ils excipèrent du fait que Kate Williamson et d'autres avaient déclaré que Rowe et Davis s'étaient trouvés en leur compagnie à des moments de la nuit du 15 au 16 décembre qui étaient incompatibles avec l'allégation selon laquelle la Spitfire avait été aperçue à peu près au même moment tout près du lieu où avait été perpétré le meurtre de Hurburgh, et que les victimes des infractions, notamment Ely, les Napier et Spicer, avaient déclaré que leurs agresseurs étaient blancs. Au nom de Johnson, il avait été soutenu que rien ne prouvait que l'intéressé eût participé aux actes préparatoires ou qu'il eût ensuite contribué à faire disparaître les objets volés.
La défense soutint que beaucoup des témoins à charge n'étaient pas crédibles. Ainsi, la déposition de Ely comportait un certain nombre d'incohérences, de même que celles des membres du groupe Jobbins. Les accusés affirmèrent que si des résidents du no 25 étaient responsables des infractions, c'étaient les membres du groupe Jobbins, et que Jobbins, Duncan et Griffin avaient livré à la police des explications délibérément travesties afin d'impliquer les accusés et d'ainsi s'exonérer eux-mêmes. Joanne Cassar pouvait avoir été complice car elle connaissait Duncan et Griffin, et le témoignage de Kate Williamson pouvait avoir été motivé par un sentiment de jalousie suscité par la relation de Rowe avec une autre petite amie, et il était de toute manière incompatible avec une lettre que l'intéressée avait envoyée à Rowe alors que celui-ci se trouvait en prison. La défense chercha à contester la validité du témoignage de Todd en arguant que celui-ci pouvait avoir menti afin d'obtenir une libération conditionnelle. Par ailleurs, évoquant la récompense substantielle qui avait été offerte, elle soutint qu'il s'agissait là d'un élément qui pouvait avoir incité des témoins à charge à déposer.
Lors de sa déposition devant le tribunal, Davis affirma – et cette déclaration concordait avec celle qu'il avait faite à la police – qu'il n'avait joué aucun rôle dans les infractions et qu'il n'avait rien eu à voir avec la Spitfire. Il dit avoir passé chez lui la nuit du 15 décembre et souscrivit à la déclaration de Kate Williamson selon laquelle il était sorti et n'était rentré que vers minuit trente. La déposition de Rowe se conciliait elle aussi avec la déclaration qu'il avait faite à la police. L'intéressé nia avoir participé en aucune façon aux infractions et déclara qu'après être retourné au no 25 à minuit trente, il avait dormi avec Kate Williamson le restant de la nuit. Johnson ne déposa pas.
Le 26 février 1990, la Central Criminal Court reconnut les requérants et leur coaccusé coupables de meurtre, de coups et blessures volontaires graves et de trois chefs de vol avec violences. Elle les condamna chacun à des peines d'emprisonnement – à vie, de quinze ans et de douze ans – qui furent confondues.
D. La procédure devant la Cour d'appel
Les requérants et Johnson interjetèrent appel, estimant notamment que leurs condamnations reposaient sur des bases peu solides et peu satisfaisantes, compte tenu des faiblesses et incohérences qui entachaient les déclarations des témoins qui avaient déposé contre eux.
La procédure de divulgation
Le 20 octobre 1992, lors de la première audience devant la Cour d'appel, le représentant de l'accusation remit à ladite juridiction un document qui ne fut pas montré à l'avocat de la défense. Il y invitait la Cour d'appel à se prononcer sur une demande de dispense de divulgation (paragraphes 34-35 ci-dessous) et l'informait que la question présentait un degré de sensibilité tel que la requête devait être examinée dans le cadre d'un débat non contradictoire ou, à admettre la tenue d'une audience contradictoire, à la seule condition que les avocats de la défense prissent l'engagement de ne révéler ni à leurs solicitors ni à leurs clients le contenu des informations en cause. Les deux avocats de la défense firent savoir qu'ils ne pouvaient en conscience prendre pareil engagement et ils quittèrent la salle d'audience. La requête fut alors examinée de manière non contradictoire.
Les 14 et 15 janvier 1993, la question de la divulgation fut réexaminée par une Cour d'appel siégeant dans une composition différente (même si Lord Taylor, le Lord Chief Justice, siégea les deux fois). La raison en était que les avocats de la défense avaient reconsidéré leur position, pour conclure qu'ils avaient eu tort de se retirer volontairement de la première audience. Ils soutenaient i. que les avocats de la défense auraient dû se voir donner l'autorisation d'assister sans devoir prendre d'engagement au débat sur la requête formée par la Couronne, et ii. que le représentant de l'accusation aurait dû à tout le moins être obligé de dire de quelle catégorie les éléments en question relevaient, ce qui eût permis aux avocats de la défense de formuler des observations sur la question de savoir si la non-divulgation d'éléments relevant de la catégorie en cause pouvait ou non être autorisée. Dans son arrêt, la Cour d'appel observa que la procédure à suivre lorsque l'accusation est en possession d'éléments dont elle estime qu'ils ne doivent pas être divulgués à la défense avait été modifiée par l'arrêt R. v. Ward (paragraphe 37 ci-dessous) : c'était désormais au tribunal et non à l'accusation de décider si la divulgation s'imposait ou non. Elle énonça par ailleurs une série de directives procédurales devant être suivies dans les affaires de ce type (paragraphes 39-40 ci-dessous). En définitive, toutefois, elle décida qu'il n'y avait pas lieu à divulgation.
26. Le 22 juin 1993, dès l'ouverture de l'audience consacrée à l'examen au fond du recours par une formation différente de la Cour d'appel, l'avocat de la défense invita celle-ci à ordonner à la Couronne de divulguer le ou les noms de toute personne ou toutes personnes auxquelles une somme d'argent avait été versée en guise de récompense pour des informations données à la police au sujet des requérants et demanda à pouvoir consulter le rapport établi par le Bureau des plaintes contre la police à la suite d'une plainte introduite par le premier requérant. La Cour d'appel se vit remettre des documents pertinents pour la requête en divulgation, qui ne furent pas montrés à l'avocat de la défense. Néanmoins, celui-ci formula des observations sur les éléments dont il estimait qu'ils rendaient nécessaire la divulgation des documents en question et sur l'exercice de mise en balance. Après avoir examiné ces observations et l'ensemble des documents pertinents, la Cour d'appel refusa d'ordonner la divulgation des éléments en question.
L'appel au principal
Le 29 juillet 1993, la Cour d'appel confirma les condamnations des requérants et celle de Johnson, estimant que rien ne permettait de dire qu'un doute planait sur leur légitimité.
E. Les événements subséquents
Les requérants sollicitèrent de la Cour d'appel l'autorisation de saisir la Chambre des lords, mais leur demande fut rejetée le 30 septembre 1993.
Par une lettre du 27 novembre 1994, le solicitor du premier requérant, s'appuyant sur l'arrêt R. v. Rasheed (paragraphe 42 ci-dessous), invita le Service des poursuites de la Couronne (Crown Prosecution Service) à révéler toute demande de récompense faite avant le procès par tout témoin, et en particulier par l'un des membres du groupe Jobbins, par Williamson ou par Cassar.
Le 22 novembre 1995, ledit service répondit ainsi :
« En ce qui concerne le point mentionné au paragraphe 1 de votre lettre du 27 octobre 1994, vous n'êtes pas sans savoir que la question des récompenses a été soulevée par [l'avocat de la défense] au début de l'audience consacrée à l'examen de l'appel interjeté contre la dispense de divulgation. Il en résulta une requête unilatérale, qui fut examinée en chambre du conseil. Cette requête fut accueillie, et le Lord Justice Watkins s'exprima ainsi à son sujet dans son jugement définitif : « Nous avons accueilli la demande et refusé d'ordonner la divulgation de quelques éléments que ce soit, pour les motifs que nous avons indiqués le 22 juin et qui ont été consignés au procès-verbal. »
En 1994, les requérants saisirent le ministère de l'Intérieur d'une demande de vérification des fondements de leur condamnation. En avril 1997 fut instituée par la loi de 1995 sur les recours en matière pénale la Commission de contrôle des procédures pénales (Criminal Cases Rewiew Commission – « la CCRC »), à laquelle la cause des requérants fut transférée. En août 1997, la CCRC désigna un officier de la police du Grand Manchester pour enquêter au sujet des circonstances ayant entouré les poursuites dirigées contre les requérants et Johnson. L'enquêteur remit son rapport en janvier 1999.
La CCRC rendit quant à elle son rapport le 7 avril 1999. Elle y constatait notamment que Duncan était de longue date un informateur de la police, que le 18 décembre 1988 il avait pris contact avec un policier du Sussex et lui avait déclaré que les requérants étaient les auteurs des infractions des 15-16 décembre 1988. Pour cette aide apportée à la police et pour le témoignage livré par lui lors du procès des requérants, Duncan avait reçu une récompense de 10 300 GBP et avait, en outre, bénéficié de la protection de la police entre le 18 et le 22 décembre 1988, ainsi que d'une immunité de poursuites en rapport avec sa participation reconnue, en qualité de comparse, aux infractions en question. Il ressortait des documents de la police où avaient été consignés les renseignements fournis par Duncan que ce dernier n'avait jamais déclaré que Johnson faisait partie des auteurs de l'infraction. Au nom de l'intérêt public, ces faits n'avaient pas été divulgués à la défense auparavant. La CCRC conclut également que « la police ne tenait pas tellement à ce que les membres du groupe Jobbins fussent poursuivis et [qu'] il y avait une inertie correspondante de la part des autorités de poursuite ». Elle observa également que « si le jury avait eu connaissance de ces éléments, il aurait pu évaluer d'une manière plus critique la crédibilité des membres du groupe Jobbins ». De surcroît, Todd était revenu sur sa déclaration concernant les prétendus commentaires de Johnson concernant sa participation aux infractions.
La CCRC concluait que, à la lumière de ces nouveaux éléments de preuve, il y avait une possibilité réelle que Johnson n'eût pas été impliqué dans les infractions des 15-16 décembre 1988. Il y avait certes des éléments rattachant les deux requérants aux infractions, mais si la thèse de l'accusation relative à l'un des trois auteurs présumés, Johnson, pouvait ne plus être défendable, la Cour d'appel devait se voir donner en même temps l'occasion de rechercher si les condamnations prononcées à l'encontre de Rowe et Davis tenaient toujours. Aussi la CCRC renvoya-t-elle les condamnations des requérants et de Johnson à la Cour d'appel, considérant qu'il y avait une possibilité réelle qu'elles ne seraient pas confirmées en cas de réexamen de la cause (article 13 de la loi de 1995 sur les recours en matière pénale).
Au moment de l'adoption du présent arrêt la cause des requérants se trouve toujours pendante devant la Cour d'appel.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. L'obligation de divulgation s'imposant à l'accusation
Selon la common law, l'accusation a l'obligation de divulguer toute déclaration écrite ou orale faite par un témoin à charge et se révélant incompatible avec une déposition faite par le même témoin au procès. L'obligation s'étend également aux déclarations de tous témoins potentiellement favorables à la défense.
B. Les exceptions d'intérêt public à l'obligation de divulgation
Les directives de l'Attorney-General (1981)
En décembre 1981, l'Attorney-General émit des directives, qui n'avaient pas force de loi, concernant les exceptions à l'obligation, prévue par la common law, de communiquer à la défense certains éléments de preuve pouvant se révéler utiles pour elle (Criminal Appeal Reports 1982, vol. 74, p. 302 ; « les directives »). Ces directives visaient à codifier les règles en matière de divulgation et à délimiter le pouvoir qu'avait l'accusation de garder par-devers elle des « éléments non exploités ». L'article 1 des directives définissait comme suit l'expression « éléments non exploités » :
« i. L'ensemble des témoignages et documents non inclus dans le dossier de mise en accusation communiqué à la défense ; ii. les déclarations de tous témoins devant être appelés à déposer à l'audience de mise en accusation et (s'ils ne figurent pas au dossier) tous documents auxquels il est fait référence dans ces déclarations ; iii. la version brute de toutes déclarations expurgées ou résumées incluses dans le dossier de mise en accusation. »
D'après l'article 2, tout élément relevant de cette définition devait être communiqué à la défense si « (...) il a[vait] une incidence sur l'infraction ou les infractions reprochées et sur les circonstances entourant l'affaire ».
D'après les directives, l'obligation de divulgation était assortie du pouvoir discrétionnaire pour le représentant de l'accusation de garder par-devers lui des éléments pertinents lorsque ces éléments relevaient de l'une des catégories définies à l'article 6. L'une de ces catégories (6 iv) englobait des éléments « sensibles » que, de ce fait, il valait mieux, dans l'intérêt public, ne pas divulguer. Ces éléments sensibles étaient ainsi définis :
« (...) a) ceux qui touchent à des questions intéressant la sécurité nationale, émanent d'un agent des services de sécurité ou divulguent l'identité d'un agent des services de sécurité qui ne pourrait plus être utilisé par lesdits services une fois son identité connue ; b) ceux qui émanent d'un informateur ou divulguent l'identité d'un informateur lorsqu'il y a des raisons de craindre que la divulgation de l'identité de l'intéressé compromettrait sa sécurité ou celle de sa famille ; c) ceux qui émanent d'un témoin ou divulguent l'identité d'un témoin qui courrait le risque d'être agressé ou de faire l'objet d'intimidations si son identité venait à être connue ; d) ceux qui comportent des précisions qui, si elles venaient à être connues, pourraient faciliter la commission d'autres infractions ou alerter une personne non détenue du fait que des soupçons pèsent sur elle, ou qui trahissent une forme inhabituelle de surveillance ou une méthode inhabituelle de découverte d'une infraction ; e) ceux qui ne sont fournis qu'à condition que le contenu n'en soit pas divulgué, du moins tant qu'une assignation n'a pas été signifiée au fournisseur, par exemple à un cadre bancaire ; f) ceux qui se rapportent à d'autres infractions ou allégations graves d'infractions commises par une personne non accusée ou qui révèlent des condamnations antérieures ou d'autres précisions de nature à nuire à cette personne ; g) ceux qui comportent des détails d'ordre privé concernant leur auteur et qui pourraient compromettre la paix de son ménage. »
Aux termes de l'article 8, « pour déterminer s'il y a lieu ou non de divulguer des déclarations contenant des éléments sensibles, il convient de ménager un équilibre entre le degré de sensibilité des éléments en question et la mesure dans laquelle les informations en cause pourraient aider la défense ». La décision de savoir si l'équilibre à ménager dans une affaire donnée nécessite ou non la divulgation d'éléments sensibles appartenait à l'accusation, qui devait cependant statuer en faveur de la divulgation en présence du moindre doute. S'il se révélait, avant ou pendant le procès, qu'une question touchant à l'obligation de divulguer était en jeu mais qu'une divulgation ne serait pas dans l'intérêt public, à cause du caractère sensible des éléments concernés, l'accusation devait être abandonnée.
R. v. Ward (1992)
Après le procès des requérants en 1990, mais avant la procédure d'appel en octobre 1992-juillet 1993, les directives ont été remplacées par la common law.
Dans sa décision R. v. Ward (Weekly Law Reports 1993, vol. 1, p. 619), la Cour d'appel se pencha sur les obligations de l'accusation en matière de divulgation des éléments de preuve à la défense et sur la procédure à suivre lorsque l'accusation soutient que certains éléments sont couverts par une immunité d'intérêt public. Elle souligna que c'était au tribunal et non à l'accusation qu'il appartenait de dire où se situait, dans une affaire donnée, le juste équilibre à ménager. A cet égard, elle déclara :
« (...) En agissant comme juge en sa propre cause sur la question de l'immunité d'intérêt public en l'espèce, l'accusation a commis un nombre important d'erreurs qui ont nui à l'équité de la procédure. Aussi des considérations de politique judiciaire renforcent-elles beaucoup l'idée qu'il ne serait pas bon d'autoriser l'accusation à garder par-devers elle des documents pertinents sans en informer la défense. Si, dans une espèce tout à fait exceptionnelle, l'accusation n'est pas disposée à faire trancher la question de l'immunité d'intérêt public par une juridiction, le résultat doit en être inévitablement l'abandon des poursuites. »
La Cour d'appel décrivit comme suit l'exercice de mise en balance devant être accompli par le juge :
« (...) le juge met en balance, d'une part, le caractère souhaitable d'une préservation de l'intérêt public à ne pas divulguer, et, de l'autre, l'intérêt de la justice. Lorsque ce dernier est en jeu dans une affaire pénale touchant et concernant la liberté, voire, à l'occasion, la vie, le poids qu'il convient de lui accorder est évidemment très important. »
R. v. Trevor Douglas K. (1993)
Dans sa décision R. v. Trevor Douglas K. (Criminal Appeal Reports 1993, vol. 97, p. 342), la Cour d'appel souligna que pour effectuer l'exercice de mise en balance visé dans l'arrêt Ward, le tribunal doit examiner lui-même de visu les éléments litigieux :
« La Cour d'appel estime que le fait d'exclure des preuves sans que la possibilité ait été donnée de vérifier leur pertinence et leur importance s'analyse en une irrégularité matérielle. Lorsque l'accusation invoque une immunité d'intérêt public pour un document, c'est au tribunal qu'il appartient de décider si l'argument peut être accueilli ou non. Pour ce faire, le tribunal doit se livrer à un exercice de mise en balance. Cet exercice ne peut être effectué que par le juge lui-même, qui doit examiner ou analyser de visu les preuves, de manière à pouvoir les mettre en rapport avec les faits. Ce n'est que de cette manière qu'il peut être en mesure de mettre en balance l'intérêt de reconnaître une immunité d'intérêt public et l'intérêt de garantir à la partie sollicitant la divulgation des éléments litigieux l'équité de la procédure. »
La Cour d'appel précisa également que lorsqu'un accusé la saisit au motif que l'accusation a, de manière illégitime, gardé certains éléments par- devers elle, il lui faut examiner ellemême les éléments en question dans le cadre d'une procédure non contradictoire.
R. v. Davis, Johnson and Rowe (1993)
Dans sa décision R. v. Davis, Johnson and Rowe (Weekly Law Reports 1993, vol. 1, p. 613), la Cour d'appel jugea qu'il n'était pas nécessaire dans chaque espèce que l'accusation informe la défense de son souhait d'invoquer une immunité d'intérêt public. Elle décrivit à cet égard trois procédures différentes.
La première, qu'il y a lieu de suivre en général, consiste pour l'accusation à informer la défense qu'elle sollicite du tribunal une décision et à indiquer au moins à la défense quelle catégorie d'éléments elle détient. La défense se voit alors donner l'occasion de formuler des observations au tribunal.
Dans le cadre de la deuxième procédure, en revanche, là où la divulgation de la catégorie dont relèvent les éléments en question aboutirait de fait à révéler ce que l'accusation affirme ne pouvoir l'être, l'accusation doit aussi informer la défense qu'une requête va être adressée au tribunal, mais elle n'est pas obligée de faire connaître la catégorie dont relèvent les éléments en question, et la requête est formulée dans le cadre d'une procédure non contradictoire.
La troisième procédure s'appliquerait dans un cas exceptionnel, où la divulgation du fait même qu'une requête unilatérale va être introduite équivaudrait de fait à révéler la nature des preuves en question. Dans ce cas, l'accusation pourrait saisir le tribunal d'une requête unilatérale sans en avertir la défense.
La Cour d'appel observa que, si les requêtes unilatérales limitaient les droits de la défense dans certains cas, la seule solution de rechange consisterait à obliger l'accusation à choisir entre suivre une procédure contradictoire ou abandonner les poursuites, et dans des cas rares mais graves, l'abandon des poursuites dans le but de protéger des éléments sensibles serait contraire à l'intérêt public. Elle évoqua le rôle important joué par le juge dans le contrôle de l'opinion de l'accusation quant au juste équilibre à ménager et fit observer que même dans les cas où le caractère sensible des informations requérait une procédure non contradictoire la défense bénéficiait d'une « protection aussi grande qu'il [était] possible de lui donner sans qu'il ne soit porté atteinte à l'intérêt public ». Enfin, elle souligna qu'il incombait au tribunal de continuer à surveiller la situation au fur et à mesure que le procès avançait. Il était possible que surgissent au cours du débat des questions de nature à affecter l'équilibre recherché et à exiger une divulgation de certaines données « afin de garantir à l'accusé l'équité de la procédure ». Aussi fallait-il veiller à ce que ce soit le même juge qui connaisse de la requête et qui assure la conduite du procès.
R. v. Keane (1994)
A la suite de l'appel interjeté par les requérants, les juridictions anglaises clarifièrent plus avant les principes et procédures applicables en matière de divulgation.
Dans sa décision R. v. Keane (Weekly Law Reports 1994, vol. 1, p. 747), la Cour d'appel souligna que dès lors que la procédure non contradictoire décrite dans R. v. Davis, Johnson and Rowe était « contraire au principe général d'une justice ouverte en matière pénale » il ne fallait y recourir que dans des cas exceptionnels. On assisterait à une abdication du devoir de l'accusation si, par excès de précaution, celle-ci se contentait de « déverser devant le tribunal tous ses éléments non exploités, s'en remettant à lui pour les trier, indépendamment de leur pertinence pour les questions actuelles ou potentielles ». Ainsi, l'accusation ne devait produire devant le tribunal que les documents qu'elle jugeait pertinents et souhaitait ne pas devoir divulguer. Les éléments « pertinents » étaient ceux que, de façon raisonnable, l'accusation pouvait considérer comme i. pertinents ou éventuellement pertinents pour un aspect de la cause, ii. soulevant ou susceptibles de soulever une nouvelle question dont l'existence ne transparaissait pas des preuves que l'accusation entendait utiliser, ou iii. recelant un risque réel (et non purement imaginaire) de fournir des indications quant à des preuves relevant des points i et ii. Exceptionnellement, en cas de doute quant à la pertinence des documents ou témoignages en cause, le tribunal pouvait être invité à statuer sur la question. Afin d'aider l'accusation à décider si des éléments en sa possession étaient « pertinents » et pour faciliter au juge l'accomplissement de son exercice de mise en balance, la défense avait la faculté d'indiquer tout moyen ou toute question qu'elle entendait soulever.
R. v. Rasheed (1994)
Dans sa décision R. v. Rasheed (The Times, 20 mai 1994), la Cour d'appel jugea que l'omission par l'accusation de divulguer le fait qu'un témoin à charge dont la déposition est contestée a sollicité ou obtenu une récompense pour les informations fournies par lui constitue une irrégularité de fond justifiant l'infirmation d'une condamnation.
R. v. Winston Brown (1994)
Dans sa décision R. v. Winston Brown (Criminal Appeal Reports 1995, vol. 1, p. 191), la Cour d'appel passa en revue le fonctionnement des directives. Elle déclara :
« L'objectif poursuivi par l'Attorney-General était indubitablement d'améliorer la pratique existante de divulgation des données par la Couronne. C'est là un objectif louable. Mais l'Attorney-General ne cherchait pas à créer des règles de droit, ce qui eût d'ailleurs certainement excédé ses pouvoirs (...). Les directives ne sont qu'un ensemble d'instructions à l'attention des juristes du service des poursuites de la Couronne et des représentants de celle-ci (...). Considérées simplement comme un ensemble d'instructions destinées aux procureurs, les directives seraient insusceptibles de critique si elles suivaient exactement les contours de l'obligation de divulgation que prévoit la common law (...). En revanche, si jugées à l'aune des critères actuels les directives réduisent les obligations que la common law fait peser sur la Couronne et réduisent ainsi les droits que la common law garantit aux accusés, elles doivent être réputées pro tanto illégales (...)
[A]ujourd'hui, les directives enfreignent les exigences du principe de divulgation sous un certain nombre d'aspects d'une importance capitale. Premièrement, la décision rendue dans l'affaire Ward a établi qu'il appartient au tribunal et non au représentant de l'accusation de trancher les questions litigieuses concernant les données susceptibles d'être divulguées, et de statuer sur les motifs juridiques avancés pour justifier la non-production d'éléments pertinents (...). Aux fins de la présente espèce, il y a un point qui revêt une importance cruciale : il ne ressort absolument pas des directives que c'est au tribunal qu'il appartient en définitive de se prononcer sur la nécessité ou non de divulguer (...). Deuxièmement, les directives ne présentent pas de manière exhaustive l'obligation de divulgation que fait peser la common law sur l'accusation (R. v. Ward, pp. 25 et 681D). Dans cette mesure également, elles sont dépassées. Troisièmement, les directives ont été rédigées avant que n'interviennent des changements très importants dans le domaine de l'immunité d'intérêt public. [A]insi, l'article 6 des directives est libellé d'une manière telle que le procureur jouit d'un pouvoir discrétionnaire en la matière (...). Beaucoup de ce qui relève de la catégorie des « éléments sensibles » est, à n'en pas douter, couvert par la notion d'immunité d'intérêt public. Mais ce n'est pas le cas de toutes les données (...) »
R. v. Turner (1994)
Dans sa décision R. v. Turner (Weekly Law Reports 1995, vol. 1, p. 264), la Cour d'appel, revenant sur l'exercice de mise en balance, déclara notamment :
« Depuis la décision R. v. Ward (...), on constate une tendance croissante, de la part des accusés, à solliciter la divulgation des noms et du rôle joué par les informateurs en soutenant que ces éléments revêtent une importance essentielle pour leur défense. On a vu se multiplier les défenses consistant à dire que l'accusé avait été victime d'un coup monté, ainsi que les allégations de recours à la contrainte par les autorités, choses qui étaient rares par le passé. Nous souhaitons attirer l'attention des juges sur la nécessité d'examiner avec un soin particulier les demandes de divulgation de précisions concernant des informateurs. Les juges doivent faire preuve de beaucoup de discernement pour déterminer si sont justifiées les allégations selon lesquelles l'accusé a besoin de connaître pareilles précisions au motif que celles-ci revêtent une importance essentielle pour sa défense. Si elles ne le sont pas, il faut alors que le juge adopte une attitude de fermeté pour refuser d'ordonner la divulgation des données litigieuses. Il est manifeste que l'on peut distinguer entre les affaires où les circonstances font apparaître qu'il n'y a aucune possibilité réaliste que les renseignements concernant l'informateur aient une incidence sur les questions à trancher et celles où les circonstances laissent entrevoir pareille possibilité. Là encore, il y a des affaires où l'informateur est un informateur et rien de plus, et il y en a d'autres où l'informateur peut avoir participé aux faits constitutifs de l'infraction ou à des faits l'ayant entourée ou suivie. Même là où l'informateur a participé à semblables faits, le juge doit se demander si le rôle joué par celui-ci a une incidence telle sur une question présentant un intérêt actuel ou potentiel pour la défense qu'il rend nécessaire la divulgation sollicitée (...)
Qu'il nous suffise de dire qu'en l'espèce nous sommes convaincus que les renseignements relatifs à l'informateur révélaient sa participation aux événements en rapport avec l'infraction, ce qui, combiné avec la manière dont la défense s'est articulée d'emblée, l'accusé affirmant être la victime d'un coup monté, faisait ressortir la nécessité pour la défense de connaître l'identité de l'informateur et le rôle joué par lui à cet égard. En conséquence, si l'on applique le principe énoncé dans la décision R. v. Keane (...) aux faits de la présente espèce, il ne peut y avoir qu'une réponse à la question de savoir si les données relatives à l'informateur étaient d'une importance telle pour les questions présentant un intérêt actuel ou potentiel pour la défense que l'équilibre que le juge avait à ménager plaidait nettement en faveur d'une divulgation. »
La loi de 1996 sur la procédure pénale et les enquêtes
En 1996 est entré en vigueur en Angleterre et au pays de Galles un nouveau régime légal précisant les devoirs de l'accusation en matière de divulgation. En vertu de ses dispositions, l'accusation doit opérer une « première divulgation » de l'ensemble des éléments non divulgués antérieurement qui, de l'avis du procureur, pourraient affaiblir la thèse de l'accusation. L'accusé doit alors soumettre à l'accusation et au tribunal une déclaration exposant dans ses grandes lignes la nature de sa défense et les questions sur lesquelles il n'est pas d'accord avec l'accusation. Celle-ci opère alors une « seconde divulgation » de l'ensemble des éléments précédemment non divulgués « dont on peut raisonnablement supposer qu'ils peuvent aider la défense de l'accusé telle que celle-ci se dégage de la déclaration de défense ». La manière dont l'accusation s'acquitte de ses obligations en matière de divulgation peut être contrôlée par le tribunal sur demande de l'accusé.
C. L'« avocat spécial »
A la suite des arrêts rendus par la Cour européenne des Droits de l'Homme dans les affaires Chahal c. Royaume-Uni (15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996V) et Tinnelly & Sons Ltd et autres et McElduff et autres c. Royaume-Uni (10 juillet 1998, Recueil 1998-IV), le Royaume-Uni a adopté un dispositif prévoyant la désignation d'un « avocat spécial » dans certaines affaires touchant à la sécurité nationale. Les dispositions en sont contenues dans la loi de 1997 sur la Commission spéciale de recours en matière d'immigration (Special Immigration Appeals Commission Act – « la loi de 1997 ») et dans la loi de 1998 sur l'Irlande du Nord (Northern Ireland Act – « la loi de 1998 »). En vertu de cette législation, lorsqu'il est nécessaire pour des motifs tenant à la sécurité nationale que le tribunal saisi siège à huis clos en l'absence de la personne concernée et de ses représentants, l'Attorney-General peut désigner un avocat spécial pour assumer dans la procédure les intérêts de la personne concernée. La législation prévoit que l'avocat spécial n'est toutefois pas « responsable envers la personne dont il est chargé d'assumer les intérêts », ce qui a pour effet d'autoriser et d'obliger l'avocat spécial à garder secrète toute information ne pouvant être divulguée.
Ainsi, par exemple, en matière d'immigration les règles pertinentes au regard de la loi de 1997 sont contenues dans le règlement de procédure de 1998, pris pour l'application de la loi sur la Commission spéciale de recours en matière d'immigration (Statutory Instrument no 1998/1881). L'article 3 de ce règlement de procédure prévoit que, dans l'exercice de ses fonctions, la Commission de recours veille à ce qu'aucune divulgation d'informations n'ait lieu qui soit contraire aux intérêts de la sécurité nationale, aux relations internationales du Royaume-Uni, à la découverte ou à la prévention des infractions, ou en toutes autres circonstances où pareille divulgation serait de nature à nuire à l'intérêt public. L'article 7 se rapporte à l'avocat spécial institué par l'article 6 de la loi de 1997. Il prévoit notamment ce qui suit :
« 7. (...)
4) La fonction de l'avocat spécial est de représenter les intérêts de l'appelant
a) en formulant des observations devant la Commission de recours dans toute procédure dont l'appelant ou son représentant sont exclus ;
b) en contre-interrogeant les témoins dans toute procédure de ce type ;
c) en présentant des observations écrites à la Commission de recours.
5) Sauf ce qui est dit aux paragraphes 6 à 9, l'avocat spécial ne peut communiquer directement ou indirectement avec l'appelant ou son représentant sur aucune question liée à la procédure devant la Commission de recours.
6) L'avocat spécial peut communiquer avec l'appelant et son représentant à tout moment avant que le ministre ne lui soumette les éléments en cause.
7) A tout moment après que le ministre a communiqué les éléments en cause conformément à l'article 10 § 3, l'avocat spécial peut demander à la Commission de recours des instructions l'autorisant à solliciter de l'appelant ou de son représentant des informations en rapport avec la procédure.
8) La Commission de recours informe le ministre de toute demande d'instructions formulée au titre du paragraphe 7, et le ministre doit, dans un délai précisé par la Commission de recours, informer celle-ci de toute objection qu'il peut avoir à la communication des informations sollicitées ou à la forme proposée pour cette communication.
9) Lorsque le ministre formule une objection au titre du paragraphe 8, l'article 11 s'applique en tant que de besoin. »
Les articles 10 et 11, auxquels se réfère l'article 7, prévoient :
« 10. 1) Si le ministre entend s'opposer au recours, il doit, au plus tard dans les quarante-deux jours de la réception par lui d'une copie de l'acte d'appel,
a) produire devant la Commission de recours un résumé des faits sousjacents à la décision attaquée, ainsi que les motifs de cette décision ;
b) informer la Commission de recours des raisons pour lesquelles il s'oppose au recours ; et
c) produire devant la Commission de recours une déclaration relative aux preuves invoquées par lui à l'appui.
2) Lorsque le ministre s'oppose à ce que des éléments mentionnés au paragraphe 1 soient divulgués à l'appelant ou à son représentant, il doit également
a) énoncer les raisons de son objection ;
b) produire une description des éléments litigieux revêtant une forme pouvant être montrée à l'appelant, si et dans la mesure où il lui est possible de le faire sans divulguer d'informations contraires à l'intérêt public.
3) Lorsqu'il formule une objection au titre du paragraphe 2, le ministre doit dès que possible mettre à la disposition de l'avocat spécial les éléments qu'il a produits devant la Commission de recours en vertu des paragraphes 1 et 2.
1) La procédure visée au présent article se déroule en l'absence de l'appelant et de son représentant.
2) La Commission de recours statue sur la question de savoir s'il convient ou non d'entériner l'objection du ministre.
3) Elle invite au préalable l'avocat spécial à soumettre des observations écrites.
4) Après avoir examiné les observations soumises au titre du paragraphe 3, elle peut
a) inviter l'avocat spécial à formuler des observations orales ; ou
b) entériner les objections du ministre sans inviter l'avocat spécial à soumettre de nouvelles observations.
5) Lorsque la Commission de recours entend passer outre l'objection du ministre ou inviter celui-ci à produire des éléments sous une forme différente de celle sous laquelle il les a produits au titre de l'article 10 § 2 b), elle doit inviter le ministre et l'avocat spécial à formuler des observations orales.
6) Lorsque
a) la Commission de recours passe outre l'objection du ministre ou lui demande de produire des éléments sous une forme différente de celle sous laquelle il les a produits au titre de l'article 10 § 2 b), et que
b) le ministre souhaite s'opposer au recours,
il ne doit être invité à divulguer aucun élément couvert par l'objection rejetée s'il choisit de ne pas s'en prévaloir en s'opposant au recours. »
Dans le contexte de la procédure relative à l'égalité en matière d'emploi en Irlande du Nord, le régime mis en place par les articles 90 à 92 de la loi de 1998 et par les articles pertinents du règlement de procédure est identique au mécanisme adopté en vertu de la loi de 1997 (ci-dessus).
De surcroît, le gouvernement a déposé il y a peu devant le parlement deux projets qui prévoient la désignation d'« avocats spéciaux » (intervenant dans les mêmes conditions) dans d'autres circonstances. Le projet de 1999 sur les communications électroniques prévoit la désignation d'un « représentant spécial » dans les procédures devant un tribunal des communications électroniques devant être établi pour examiner les plaintes relatives à l'interception et à l'interprétation des communications électroniques. Dans le contexte de la procédure pénale, le projet de 1999 sur la justice pour les jeunes et les preuves en matière pénale prévoit la désignation par le tribunal d'un avocat spécial dans tous les cas où un juge interdit à un accusé non représenté de contre-interroger personnellement le plaignant qui se dit victime d'une infraction sexuelle.
procédure devant la commission
M. Rowe et M. Davis ont saisi la Commission le 20 décembre 1993. Ils alléguaient que leur procès en première instance et la procédure devant la Cour d'appel avaient violé les droits à eux garantis par l'article 6 §§ 1 et 3 b) et d) de la Convention.
La Commission a déclaré la requête (no 28901/95) recevable le 15 septembre 1997. Dans son rapport du 20 octobre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l'avis unanime qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 combiné avec l'article 6 § 3 b) et d). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt1.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
Dans leur mémoire comme à l'audience, les requérants ont invité la Cour à juger que, considérées globalement, les procédures suivies devant la Crown Court et la Cour d'appel ont violé l'article 6 § 1 de la Convention combiné avec l'article 6 § 3 b) et d), et à leur accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 41.
Le Gouvernement demande pour sa part à la Cour de dire qu'il n'y a pas eu violation de la Convention en l'espèce. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Période de 1954 à 1978
Par un décret du 8 janvier 1954, le ministère de l'Education nationale (Ministero per la pubblica istruzione, qui à l'époque était compétent en matière de biens présentant un intérêt culturel ou artistique) déclara que le tableau du peintre Vincent van Gogh intitulé le Jardinier, réalisé à Saint-Rémy-de-Provence (France) en 1889, était un bien présentant un intérêt historique et artistique, au sens de l'article 3 de la loi n 1089 du 1er juin 1939. Le 20 janvier 1954, ce décret fut notifié au propriétaire de l'œuvre, M. Verusio, collectionneur d'art résidant à Rome.
Au début de l'année 1977, le requérant décida d'acquérir ce tableau par l'intermédiaire de M. Pierangeli, antiquaire romain.
Le 28 juillet 1977, M. Verusio vendit donc l'œuvre à M. Pierangeli pour le prix convenu de 600 millions de lires italiennes (ITL).
Le 29 juillet 1977, le requérant ordonna le transfert de cette somme à M. Pierangeli, augmentée de 5 millions ITL à titre de rémunération conforme aux usages, en échange du document confirmant l'acquisition de l'œuvre. Cette somme fut virée sur le compte de M. Pierangeli le 12 août 1977.
Entre-temps, le 1er août 1977, M. Verusio avait déclaré la vente du tableau au ministère du Patrimoine culturel (ci-après « le ministère »), conformément à l'article 30 de la loi n 1089 de 1939 susmentionnée. Cette déclaration avait été signée uniquement par M. Verusio mais elle mentionnait le nom de M. Pierangeli en tant qu'autre partie au contrat. Elle n'indiquait ni l'acheteur final, qui était le requérant, ni le lieu de livraison.
Le délai de deux mois prévu par l'article 32 de la loi n° 1089 de 1939 s'écoula sans que le ministère eût exercé son droit de préemption.
Le 21 novembre 1977, M. Pierangeli demanda au bureau d'exportation de Palerme l'autorisation d'expédier le tableau à Londres. Dans l'attente de la décision du ministère quant à l'exercice du droit de préemption qui était prévu par l'article 39 de la loi n 1089 de 1939 en cas d'exportation, l'œuvre fut temporairement confiée à la Galerie d'art régionale de Sicile.
Par une note du 3 décembre 1977, le ministère indiqua qu'il renonçait à acquérir l'œuvre, affirmant que celle-ci ne présentait pas d'intérêt suffisant pour justifier son acquisition par l'Etat. Cependant, le 5 janvier 1978, les autorités compétentes refusèrent à M. Pierangeli l'autorisation d'exporter le tableau, au motif que son exportation aurait porté un préjudice grave au patrimoine culturel national.
Les 22 mars et 8 avril 1978, le ministère autorisa la restitution de l'œuvre à M. Pierangeli.
B. Période de 1983 à 1986
Le 1er décembre 1983, M. Pierangeli déclara au ministère qu'il avait acheté le tableau pour le compte du requérant. Le 2 décembre 1983, le requérant et M. Pierangeli communiquèrent au ministère l'intention de la Peggy Guggenheim Collection de Venise d'acquérir le tableau au prix de 2 100 000 dollars américains (USD), en précisant à nouveau qu'en 1977 le deuxième avait acheté le tableau pour le compte du premier. Par cette même communication, ils invitèrent le ministère à se déterminer quant à l'exercice du droit de préemption prévu par la loi n 1089 de 1939.
Par une note du 9 janvier 1984, le ministère informa les parties qu'il n'était pas en mesure d'exercer valablement son droit de préemption car, en l'absence de contrat, une simple déclaration unilatérale de l'intention de vendre n'était pas suffisante. Dans cette note, qui était adressée à la fois au requérant et à M. Pierangeli, le ministère ne se référait ni à la qualité de propriétaire du requérant ni à la déclaration du 1er décembre 1983.
Le 28 février 1984, Me Petretti, agissant au nom et pour le compte du requérant et de M. Pierangeli, demanda à la direction des Beaux-Arts à Rome ainsi qu'au ministère l'autorisation de transférer le tableau à Venise, pour permettre à la Peggy Guggenheim Collection de l'examiner en vue de son acquisition. Le 7 mars 1984, le ministère refusa le transfert au motif que le tableau pourrait subir des dommages irréparables.
Au début de l'année 1985, M. Pierangeli, agissant en sa qualité de « détenteur du tableau au nom et pour le compte de M. Ernst Beyeler », sollicita à son tour l'autorisation de transférer le tableau à Venise, la Peggy Guggenheim Collection ayant demandé à examiner l'œuvre. Le 30 janvier 1985, le ministre du Patrimoine culturel demanda à Me Petretti, représentant du requérant, à certains services du ministère ainsi qu'à l'avocat général de l'Etat, à être informé de la décision du propriétaire du tableau quant à son transfert à Venise. Le 21 février 1985, Me Petretti, agissant au nom et pour le compte du seul requérant, confirma que son client consentait au transfert du tableau. A cette occasion, et à la suite d'une demande informelle du ministère, il produisit également une copie de la déclaration du 1er décembre 1983. Le 26 février 1985, le requérant écrivit au ministre à propos des modalités techniques du transfert. Le 9 avril 1985, le ministère communiqua à Me Petretti qu'il autorisait le transfert du tableau à Venise.
Par une note du 4 octobre 1985 adressée à M. Pierangeli, le ministère se référa à la communication du 2 décembre 1983 et demanda les documents attestant l'acquisition du tableau par M. Pierangeli pour le compte du requérant.
Par un décret du 23 avril 1986, le ministre ordonna que le tableau fût transféré à Rome pour être conservé provisoirement dans la Galerie d'art moderne et contemporain. Ce décret, qui se référait expressément à la communication du 2 décembre 1983, faisait suite à des notes des administrations compétentes qui avaient manifesté des craintes quant aux conditions dans lesquelles le tableau était conservé, compte tenu notamment de l'incertitude quant à l'identité du propriétaire réel et de l'inobservation des engagements pris par la Peggy Guggenheim Collection de Venise.
Le requérant introduisit alors un premier recours contre le décret du 23 avril 1986 auprès du tribunal administratif régional (ci-après « le TAR ») du Latium.
Par une lettre du 30 avril 1987, Me Peter, qui avait succédé à Me Petretti en tant qu'avocat du requérant, assura le directeur des Beaux-Arts à Rome que le requérant n'avait aucune intention d'enfreindre la loi italienne (l'avocat invoqua notamment la crainte des autorités que le tableau puisse être exporté illégalement).
Le 12 juin 1987, Me Peter demanda à la Galerie d'art moderne et contemporain à Rome l'autorisation de vérifier, sur place, l'état de conservation du tableau afin d'en informer son client (l'avocat qualifia ce dernier de « propriétaire du tableau »). Le 19 octobre 1987, avec l'agrément de l'avocat général de l'Etat, une réunion eut donc lieu à la Galerie d'art moderne et contemporain à Rome, à laquelle participèrent notamment le requérant et son nouvel avocat, la directrice de ce musée ainsi qu'un expert de la Peggy Guggenheim Collection (un procès-verbal en fait état). A cette occasion, la directrice évoqua l'incertitude liée, comme elle l'expliqua à l'avocat du requérant dans une lettre du 20 novembre 1987, à la présentation du recours susmentionné au TAR. Dans une missive du 23 décembre 1987, le requérant communiqua alors à la directrice son intention de renoncer à poursuivre ce recours, considérant notamment qu'entre-temps la direction du musée l'avait autorisé, en sa qualité de propriétaire, à accéder au tableau sur sa simple demande ; copie de cette dernière lettre fut envoyée également à la direction des Beaux-Arts à Rome.
C. Année 1988
En janvier 1988, le ministère demanda à Me Peter des éclaircissements sur le prétendu droit de propriété du requérant sur l'œuvre. Le requérant répondit à cette demande par l'envoi d'une copie des communications des 1er et 2 décembre 1983. Il fit valoir également qu'aucun transfert de propriété n'avait eu lieu ultérieurement entre M. Pierangeli et lui-même puisqu'il avait acquis directement la propriété du tableau.
Il ressort de deux lettres en date des 5 et 26 février 1988, qui furent envoyées par l'avocat du requérant au directeur général compétent du ministère et dont le contenu n'a pas été contesté par le Gouvernement, que le ministère déclara au seul requérant à deux occasions au moins (dont l'une est une réunion avec l'un des avocats de M. Beyeler tenue le 28 janvier 1988 dans le bureau du directeur général) que l'Etat italien était intéressé par l'acquisition du tableau, soulignant toutefois qu'il ne disposait à cette fin que d'un budget limité.
Selon une lettre du 22 février 1988 envoyée par Me Peter au directeur général du ministère, ce dernier téléphona le 19 février à Me Peter et lui demanda l'autorisation du requérant, en sa qualité de propriétaire du tableau, d'exposer celui-ci à la Galerie d'art moderne et contemporain à Rome. Le contenu de cette conversation téléphonique, pas plus que la teneur de la lettre qui s'y réfère, n'a été contesté par le Gouvernement, bien qu'aucune transcription intégrale de la conversation n'ait été portée à la connaissance de la Cour.
Dans un courrier du 26 février 1988, le requérant, invoquant les contacts qu'il avait précédemment eus avec le ministère à ce sujet, indiqua à celui-ci qu'il était prêt à vendre le tableau à l'Etat italien au prix de 11 millions USD. Il fit valoir que ce prix était nettement inférieur à celui qui était avancé dans le cadre des pourparlers en cours avec des particuliers intéressés par l'acquisition de l'œuvre. Le 14 avril 1988, le requérant attira l'attention du ministère sur le fait que ce dernier n'avait pas fait connaître sa réponse dans le délai indiqué par le requérant dans sa lettre du 26 février.
Le 2 mai 1988, le requérant vendit le tableau à la Peggy Guggenheim Collection, au prix de 8 500 000 USD.
Le lendemain, les parties notifièrent le contrat de vente au ministère, conformément à l'article 30 de la loi n 1089 de 1939 ainsi qu'à l'article 57 du décret royal n 363 du 30 janvier 1913.
Par une note du 1er juillet 1988, le ministère informa les parties qu'il ne pouvait pas reconnaître à cette déclaration les effets prévus par les dispositions légales, en raison du fait que le requérant n'avait pas de titre de propriété valable sur le tableau. En particulier, le ministère considéra que la déclaration de la vente intervenue en 1977 entre M. Verusio et M. Pierangeli, ainsi que la communication du 2 décembre 1983, étaient contraires au but de l'article 30 de la loi n 1089 de 1939 et ne satisfaisaient pas aux conditions de l'article 57 du décret royal n 363 de 1913.
Le 5 juillet 1988, le requérant présenta au ministère une demande de restitution du tableau, qui était toujours conservé dans la Galerie d'art moderne et contemporain à Rome. Cette demande se fondait sur l'article 37 du décret royal n° 363 de 1913, selon lequel une œuvre conservée conformément aux dispositions de ce décret royal peut être restituée au propriétaire si celui-ci démontre qu'il est en mesure de garantir sa conservation à l'avenir. Toutefois, le ministère ne répondit pas.
Le 4 août 1988, Me Peter réagit à la note du 1er juillet en affirmant notamment que, dès 1984, l'Etat italien avait traité le requérant comme le propriétaire légitime du tableau, en particulier lorsqu'il l'avait autorisé à le transférer de Rome à Venise et lui avait manifesté son intention de l'acheter.
Le 16 septembre 1988, sur demande informelle des autorités italiennes, le requérant leur fit parvenir les relevés bancaires attestant l'acquisition du tableau par M. Pierangeli pour son compte.
Par un décret du 24 novembre 1988, le ministère exerça son droit de préemption à l'égard du contrat de vente conclu en 1977. Il soutenait l'irrégularité de la notification du 28 juillet 1977 au motif que les communications des 3 août 1977 et 2 décembre 1983 ne contenaient pas les éléments requis, à peine de nullité, par l'article 57 du décret royal n 363 de 1913. En effet, le ministère considéra qu'à ces dates il n'avait pu avoir connaissance de l'identité réelle des parties contractantes, le requérant n'ayant pas signé la notification du contrat, ce qui l'avait empêché de se déterminer en toute connaissance de cause quant à l'exercice du droit de préemption. En outre, il estima que l'intérêt public à acquérir le tableau était justifié par le nombre restreint d'œuvres de Vincent van Gogh exposées dans les musées italiens et par la nécessité de rétablir le respect de la loi qui avait été enfreinte. Il observa de surcroît que la nationalité étrangère de l'acheteur réel du tableau, à savoir M. Beyeler, revêtait une importance particulière aux fins de la protection du tableau.
Par conséquent, le ministère conclut :
a) qu'à la lumière des documents relatifs au paiement du prix du tableau effectué par M. Beyeler en faveur de M. Verusio, par l'intermédiaire de M. Pierangeli, il était prouvé que le tableau avait été vendu directement par M. Verusio à M. Beyeler ;
b) qu'aux termes de l'article 61 de la loi n 1089 de 1939, le droit de préemption prévu par les articles 31 et 32 existait toujours ;
c) qu'il devait exercer son droit de préemption ;
d) qu'il y avait lieu de verser à l'ayant droit le montant du prix établi par le contrat conclu en 1977, soit 600 millions ITL.
Ce décret fut notifié le 30 novembre 1988 à M. Verusio et le 22 décembre 1988 au requérant.
D. Procédure relative aux différents recours introduits par le requérant auprès du TAR du Latium
Entre-temps, respectivement les 18, 19 et 20, 29 octobre 1988, le requérant et la société Solomon Guggenheim Corporation avaient saisi le TAR d'une demande en annulation de la note du 1er juillet 1988. En particulier, le requérant soutenait que le ministère s'était rendu responsable d'un abus de pouvoir, que les dispositions pertinentes de la loi n 1089 de 1939 avaient été enfreintes et qu'en l'espèce l'intérêt public n'avait pas été correctement apprécié. Le requérant excipait également de l'inconstitutionnalité de l'article 61 de cette loi.
Les 16 et 17 janvier 1989, le requérant forma un autre recours pour protester contre l'absence de réponse à sa demande de restitution du tableau du 5 juillet 1988.
Le 30 janvier 1989, le requérant présenta au même tribunal un dernier recours visant à faire annuler le décret ministériel du 24 novembre 1988. Il se plaignit notamment d'un abus de pouvoir, de la motivation insuffisante et contradictoire de la décision incriminée, de l'instruction insuffisante menée par le ministère, d'une violation des dispositions pertinentes de la loi n 1089 de 1939 et des articles 1705 et 1706 du code civil italien en matière de mandat, ainsi que de l'absence d'intérêt public, au motif qu'on ne pouvait comprendre la raison pour laquelle il existait un intérêt public en 1988 et pas en 1977. Il prétendit qu'entre-temps il avait de toute façon acquis la propriété du tableau par usucapion. Il se plaignit également de ce que le décret litigieux avait été pris en raison de sa nationalité étrangère. Il allégua, en outre, la violation de l'article 1224 du code civil italien qui régit les dommages en matière d'obligations patrimoniales, en ce que le prix payé n'avait pas été réévalué.
Enfin, le requérant demanda au TAR de soulever devant la Cour constitutionnelle la question de l'inconstitutionnalité des dispositions pertinentes de la loi n 1089 de 1939 au regard des articles 3, 24, 42 et 97 de la Constitution italienne.
Le TAR prononça la jonction des différents recours et les rejeta tous par jugement du 16 novembre 1989, notifié au requérant le 26 janvier 1990.
Le tribunal considéra que la déclaration du 3 août 1977 ne contenait pas tous les éléments essentiels requis par l'article 57 du décret royal n 363 de 1913 et devait dès lors être considérée comme « nulle et non avenue ». En effet, la signature de l'acheteur réel n'y avait pas été apposée et le lieu de livraison en Italie n'était pas indiqué. En outre, le TAR affirma que le délai de deux mois pour l'exercice du droit de préemption n'aurait pu courir à partir des communications des 1er et 2 décembre 1983, ces déclarations ne provenant pas du vendeur et ne remplissant pas les conditions prévues par l'article 57 ci-dessus. Le délai de deux mois ne pouvait donc commencer à courir, vu l'incertitude sur l'identité du propriétaire du tableau et compte tenu de la nécessité pour l'administration d'effectuer des recherches visant à l'identifier, et du fait qu'il incombait à celui qui déclare l'acte d'aliénation de prouver la propriété. Selon le TAR, les parties avaient l'obligation de procéder à la déclaration de l'acte d'aliénation, l'absence de cette formalité étant sanctionnée par l'inapplicabilité du délai de deux mois. Le droit de préemption de l'administration, n'étant alors plus soumis à délai, devenait « permanent ».
Le TAR estima également que l'administration concernée avait dûment motivé l'existence d'un intérêt public légitime à l'acquisition de l'œuvre (en particulier, l'absence d'œuvres importantes de Vincent van Gogh dans les collections de l'Etat et la nécessité de protéger les intérêts publics contre un comportement déloyal des parties). En outre, il considéra que le fait qu'en 1977 l'Etat s'était abstenu à deux reprises d'exercer son droit de préemption n'était pas pertinent, car l'existence d'un intérêt public devait être justifiée par rapport à la situation et aux exigences actuelles. A cet égard, il souligna que le ministère n'avait pu disposer de tous les éléments nécessaires pour identifier le propriétaire du tableau et se déterminer en toute connaissance de cause quant à l'exercice du droit de préemption qu'en septembre 1988.
Le TAR releva encore que la nationalité du requérant n'avait pas constitué le fondement principal de la décision du ministère, bien que ce fût l'un des facteurs dont ce dernier avait tenu compte au moment de la décision sur l'opportunité d'exercer son droit de préemption.
Quant à la demande du requérant visant à être indemnisé en raison de l'absence de réévaluation du tableau, le TAR considéra que l'article 31 de la loi n 1089 de 1939 ne laissait aucune marge d'appréciation à l'administration, puisqu'il disposait notamment que cette dernière était tenue de verser au propriétaire du bien seulement le prix convenu dans l'acte d'aliénation, et cela même en cas de préemption en application de l'article 61 (qui renvoie à l'article 31). Cependant, d'après le TAR, le requérant aurait pu demander pareille réévaluation dans le cadre d'une action en dommages-intérêts devant les juridictions civiles ordinaires.
En ce qui concerne les recours relatifs à la demande du requérant du 5 juillet 1988, le TAR estima qu'ils n'étaient plus pertinents compte tenu du décret de préemption du 24 novembre 1988.
Enfin, le TAR conclut que les exceptions d'inconstitutionnalité soulevées par le requérant étaient manifestement mal fondées, le caractère permanent du droit de préemption en l'espèce, qui venait limiter le droit de propriété, se justifiant non seulement par le caractère exceptionnel du bien, mais également par le comportement fautif des parties.
E. Procédure devant le Conseil d'Etat
Le requérant interjeta appel devant le Conseil d'Etat. Il fit valoir, entre autres, que la compétence du juge administratif ne saurait être retenue dans le cas d'espèce, considérant que l'administration publique s'était arrogé des pouvoirs qu'elle n'avait pas et n'avait pas exercé les prérogatives dont elle disposait.
Par un arrêt du 19 octobre 1990, le Conseil d'Etat rejeta le recours et confirma dans son intégralité le jugement du TAR. Il considéra qu'en l'espèce il s'agissait d'une déclaration irrégulière et non pas d'une absence de déclaration, et décida que l'affaire relevait de la compétence des juridictions administratives car il était question de l'exercice de pouvoirs existants. Il confirma ensuite, étant donné que la déclaration faite en 1977 ne contenait pas les éléments essentiels requis par le décret royal n 363 de 1913, en particulier l'identité de toutes les parties contractantes, que l'article 61 de la loi n° 1089 de 1939 donnait à l'administration la possibilité d'exercer son droit de préemption à tout moment, ce droit ne pouvant se prescrire qu'à partir d'une nouvelle déclaration conforme à la loi. Par ailleurs, le Conseil d'Etat exclut la possibilité que le requérant ait pu acquérir définitivement le bien par usucapion.
Le Conseil d'Etat estima que l'administration n'avait commis aucune erreur en considérant le requérant comme le destinataire de la mesure de préemption et qu'en l'espèce le droit de préemption de l'administration était différent du droit de préemption prévu en droit commun. En effet, la préemption litigieuse avait constitué une véritable mesure d'expropriation, l'aliénation du bien n'étant que la condition permettant à l'administration de procéder légalement à une telle expropriation. Le Conseil d'Etat s'exprima en ces termes :
« Partant, même si l'on admet que, comme l'affirment les auteurs du recours, M. Pierangeli a acheté le tableau à M. Verusio en qualité de mandataire, dans le cadre d'une représentation indirecte pour le compte de M. Beyeler, il reste que c'est la situation de ce dernier qui se trouve affectée en dernière analyse par l'accord conclu.
(...)
Les autorités administratives n'ont donc commis aucune erreur de fait sur l'identification de l'acquéreur effectif auquel le décret annonçant l'intention de préempter devait être signifié, comme à M. Verusio (...)
D'autre part, le fait que la préemption envisagée à l'article 30 de la loi n° 1089/1939 doive s'opérer à l'encontre du propriétaire effectif, et en tout cas de la personne qui est l'acquéreur final au terme de transactions que complique l'intervention d'un mandataire, est aussi étroitement lié au caractère particulier de la préemption (...)
La préemption, telle que la prévoient les articles 31 et suivants de la loi n° 1089 (...), ne fonctionne pas de la même manière que la transaction de droit civil du même nom (...), de sorte que la mesure concrète par laquelle s'exerce la préemption doit être considérée comme relevant de la catégorie plus générale des actes de dépossession (par rapport à laquelle l'aliénation du bien constitue une simple condition d'activation du pouvoir), ce qui entraîne que la validité de l'acte d'aliénation n'a pas une valeur décisive, puisque la substitution de l'administration au vendeur n'a pas lieu dans le cadre de la négociation entre particuliers par le biais de l'exercice de la préemption, dont il découle, au contraire, un effet d'annulation de l'aliénation en sus de l'effet constitutif d'une acquisition (...)
(...) il s'agit (...) plutôt d'un véritable acte d'expropriation, qui ne peut concerner que le propriétaire effectif du bien, la seule personne à l'égard de laquelle l'acte de dépossession peut être efficacement exercé (...) »
« Anche, quindi, a voler ritenere, come pretendono gli appellanti, che il Pierangeli abbia acquistato il dipinto dal Verusio quale mandatario senza rappresentanza del Beyeler, è pur sempre a quest'ultimo che devono ricondursi gli effetti finali del concluso contratto.
(...)
E' da escludere, pertanto, che vi sia stato errore di fatto da parte dell'Amministrazione relativamente alla individuazione del soggetto effettivo acquirente e nei cui confronti andava esercitata la prelazione ed al quale andava notificato il relativo decreto, oltre che al Verusio (...)
D'altra parte, che la prelazione di cui all'art. 30 della legge n. 1089/1939 debba esercitarsi nei confronti del proprietario effettivo e comunque del destinatario finale di una fattispecie acquisitiva complessa quale è il mandato, si ricollega anche alla (...) particolare natura dell'istituto.
La prelazione, di cui all'art. 31 e segg. della legge indicata (...) non opera alla stregua dell'omonimo istituto civilistico (...), sicché il provvedimento, con cui, in concreto, si esercita la prelazione deve essere ricondotto alla più generale categoria degli atti ablatori (rispetto al quale il negozio di alienazione costituisce mera condizione legittimante del potere), con la conseguenza che non assume valore determinante la validità dell'atto di alienazione presupposto, dal momento che nessuna sostituzione dell'amministrazione al soggetto alienante nel negozio posto in essere da privati avviene col provvedimento della prelazione dal quale, anzi, oltre che un effetto propriamente costitutivo (acquisitivo) discende un (ulteriore) effetto caducatorio del negozio di alienazione medesima (...)
(...) trattasi (...) piuttosto di un vero e proprio atto espropriativo, che non puó non riguardare se non il proprietario effettivo del bene stesso, unico a poter essere utilmente inciso dall'atto ablativo (...) »
Le Conseil d'Etat observa par ailleurs que le comportement de l'administration ne pouvait pas être considéré comme contradictoire : en effet, comme le TAR l'avait déjà souligné, celle-ci avait adopté une approche prudente et ne s'était finalement décidée à exercer le droit de préemption que lorsqu'elle avait eu la certitude, sur la base des documents dont elle disposait, que le tableau avait été acheté pour le compte de M. Beyeler et payé par ce dernier. Il releva également que la nationalité du requérant avait conforté le ministère dans sa détermination à exercer le droit de préemption.
Le Conseil d'Etat estima en outre que les exceptions d'inconstitutionnalité des articles 31, 32 et 61 de la loi n 1089 de 1939 soulevées par le requérant étaient manifestement mal fondées. Ces questions se référaient en particulier à l'article 3 de la Constitution italienne qui consacre notamment le principe de non-discrimination, à l'article 42 qui garantit le droit de propriété et, enfin, à l'article 97 qui prévoit le principe d'une bonne administration publique. Quant à la question relative à l'article 3, le Conseil d'Etat observa qu'en l'espèce la spécificité de la situation résultant d'une déclaration irrégulière d'aliénation de propriété justifiait un traitement différent ; quant à l'article 42, il considéra que s'agissant du transfert de la propriété de biens protégés il existait des obligations de loyauté et de transparence à la charge des particuliers ; enfin, quant à l'article 97, il estima que le retard dans l'exercice du droit de préemption de la part de l'Etat devait être imputé au comportement irrégulier des parties.
F. Pourvoi en cassation
Le requérant se pourvut alors en cassation, en soutenant que son affaire relevait de la compétence des juridictions civiles ordinaires et non pas administratives. Il excipa encore une fois de l'inconstitutionnalité des articles 31, 32 et 61 de la loi n 1089 de 1939 au regard des articles 3 et 42 de la Constitution italienne.
Par une ordonnance du 11 novembre 1993, la Cour de cassation jugea que ces exceptions d'inconstitutionnalité ne semblaient pas manifestement mal fondées.
La Cour de cassation motiva sa décision en considérant, tout d'abord, que le caractère permanent du droit de préemption de l'administration soumettait le droit du vendeur à une limitation constante et entraînait une incertitude permanente sur la situation juridique du bien. La Cour observa à cet égard que, même si la première déclaration avait été effectuée irrégulièrement, le droit de préemption aurait pu néanmoins être exercé à partir du moment où l'administration avait eu connaissance de tous les éléments prescrits par la loi. A cet égard, la Cour de cassation releva, comme l'avait déjà noté le Conseil d'Etat, que le ministère n'avait préempté que lorqu'il avait eu l'assurance que le tableau avait été acheté pour le compte de M. Beyeler et moyennant une somme d'argent versée par ce dernier. Cette certitude n'avait été acquise que lorsque les relevés bancaires concernant la vente intervenue en 1977 étaient parvenus au ministère. La Cour constata que le décret de préemption avait été adopté et notifié aux parties concernées plus de deux mois après.
Ensuite, la Cour de cassation fit valoir qu'à supposer que l'acte de préemption constituât une véritable mesure d'expropriation, comme le Conseil d'Etat l'avait affirmé, le requérant avait été traité différemment de toute autre personne expropriée. En effet, le propriétaire du bien sur lequel l'Etat exerce son droit de préemption a droit à une indemnisation qui est calculée de façon différente par rapport à celle versée à la personne expropriée dans d'autres cas et, en outre, sans possibilité de révision judiciaire. En effet, si le prix convenu par l'acte d'aliénation peut constituer une indemnisation adéquate au cas où la préemption est exercée dans le délai de deux mois prévu par la loi, il ne le serait plus lorsque le droit de préemption est exercé après plusieurs années, comme dans le cas d'espèce. En outre, le requérant avait été traité différemment d'un particulier qui se serait abstenu de déclarer l'acte d'aliénation. La Cour estima, eu égard au contenu de l'article 31 § 3 de la loi n° 1089 de 1939, que dans ce dernier cas, s'il était impossible de déterminer le prix convenu, l'Etat devait alors verser au propriétaire une indemnisation équivalente à la valeur marchande du bien.
Elle observa, enfin, qu'une éventuelle décision de la Cour constitutionnelle déclarant inconstitutionnelles les dispositions en cause entraînerait, entre autres, la compétence de l'autorité judiciaire ordinaire en la matière, devant laquelle le requérant pourrait en conséquence attaquer à nouveau la décision incriminée et faire valoir la tardiveté de l'exercice du droit de préemption par les autorités italiennes.
La Cour de cassation suspendit la procédure devant elle et ordonna le renvoi de l'affaire à la Cour constitutionnelle.
G. Procédure devant la Cour constitutionnelle
Par un arrêt du 14 juin 1995, la Cour constitutionnelle déclara non fondée l'exception d'inconstitutionnalité soulevée par la Cour de cassation. Elle souligna d'abord le caractère spécial des dispositions contenues dans la loi n 1089 de 1939, visant à « sauvegarder des biens liés aux intérêts essentiels de la vie culturelle du pays ». La spécificité de ces biens justifiait dès lors, selon la Cour constitutionnelle, l'attribution à l'administration de pouvoirs différents et plus contraignants par rapport à ceux dont celle-ci disposait à l'égard des autres biens. Par conséquent, aucune discrimination ne pouvait être constatée par rapport aux procédures d'expropriation ordinaires concernant des catégories de biens différentes. De même, il n'y avait aucune différence de traitement entre le cas d'une déclaration irrégulière et l'hypothèse d'une absence de déclaration de la vente, car même dans ce dernier cas le prix devant être versé serait celui convenu au moment de la vente. Si, dans cette dernière hypothèse, le prix n'était pas connu, il devait être déterminé en ayant recours à tout moyen de preuve utile.
Par ailleurs, quant à la question du caractère adéquat du prix payé par l'Etat lorsque la préemption était tardive, la Cour constitutionnelle fit valoir encore une fois que l'on ne pouvait, dans ce cas, procéder à une appréciation en se fondant sur les critères relatifs aux indemnités d'expropriation ordinaires, puisqu'il s'agissait de procédures ayant une nature différente, et que le montant versé dans des situations analogues au cas d'espèce était de toute manière lié à un élément contractuel librement décidé par les parties. Il découlait de cette dernière considération que normalement, lorsque le droit de préemption était exercé dans un délai limité, le prix payé, bien que réduit par rapport à la valeur du bien sur le marché, ne constituerait de toute façon pas un montant dérisoire ou symbolique. Enfin, la Cour nota que l'article 61 de la loi n 1089 de 1939 se trouvait dans la section de cette loi consacrée aux « sanctions ». Il fallait donc considérer comme un facteur crucial le fait que le préjudice économique pour le propriétaire était la conséquence d'une irrégularité ou d'une omission de sa part quant à la déclaration de la vente du bien, entraînant la nullité de celle-ci et le caractère permanent du droit de préemption de l'Etat. Il ne s'agissait cependant pas d'une véritable sanction pénale ou administrative, ce qui justifiait le pouvoir discrétionnaire de l'administration d'exercer le droit de préemption à tout moment. Au demeurant, le particulier pourrait remédier à tout moment à la situation d'irrégularité par la présentation d'une déclaration tardive.
H. Renvoi à la Cour de cassation
A la suite de l'arrêt de la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, par un arrêt du 16 novembre 1995 déposé au greffe le 11 mars 1996, rejeta le pourvoi du requérant, estimant que les juridictions administratives étaient compétentes en l'espèce puisque, quant à l'exercice par l'Etat du droit de préemption à tout moment et aux prétendues irrégularités des notifications du décret de préemption, les questions soulevées par l'affaire portaient sur les modalités d'exercice du pouvoir de l'administration et non sur l'exercice d'un pouvoir inexistant.
Entre autres, la Cour de cassation considéra qu'en l'absence de toute disposition légale à cet égard, il aurait été arbitraire de faire courir le délai de rigueur de deux mois à partir du moment où des organes (non précisés) de l'administration auraient eu connaissance de la vente par des éléments ou dans des circonstances indéterminés. En revanche, selon la Cour de cassation, il était correct de conclure que la préemption pouvait être exercée à tout moment et envers tout détenteur du bien. La Cour de cassation souligna de nouveau que l'administration n'avait exercé son droit de préemption que lorsqu'elle avait eu la certitude que le tableau avait été acheté pour le compte du requérant. Par ailleurs, elle souligna que l'argument fondé sur le renvoi de l'article 61 à l'article 32, qui prévoit notamment le délai de deux mois, n'était pas pertinent, puisque cette dernière disposition contenait des clauses procédurales s'appliquant également aux cas de préemption par l'Etat opérée sans limites dans le temps, telles que la règle selon laquelle l'Etat devient titulaire de la propriété du bien à la date du décret de préemption ou la règle disposant que les clauses du contrat de vente ne sont pas contraignantes pour l'Etat.
I. Le vol du tableau et sa récupération
Dans la nuit du 19 au 20 mai 1998, le tableau, qui se trouvait toujours dans la Galerie d'art moderne et contemporain à Rome, fut dérobé, en même temps que deux autres peintures, lors d'un vol à main armée. Il fut retrouvé par les carabiniers et la police italienne le 6 juillet 1998.
II. le droit interne pertinent
Selon l'article 1706 du code civil italien, la vente de biens meubles par le biais d'un mandataire agissant en son propre nom mais pour le compte du mandant (représentation indirecte) entraîne le transfert automatique de la propriété au bénéfice du mandant, lequel a ensuite la possibilité de revendiquer le bien auprès du mandataire.
Lorsqu'il s'agit d'œuvres d'art qui ont un intérêt pour le patrimoine artistique de la nation, les aliénations et autres actes juridiques sont soumis à certaines conditions. En effet, l'article 30 de la loi n 1089 du 1er juin 1939 prévoit l'obligation pour le propriétaire ou le détenteur, à quelque titre que ce soit, d'un bien considéré comme présentant un intérêt culturel ou artistique au sens de l'article 3, de déclarer au ministère compétent en matière de biens culturels (à savoir, à partir de 1974, le ministère du Patrimoine culturel – Ministero per i beni culturali e ambientali) tout acte, effectué à titre onéreux ou gratuit ayant pour but de transmettre, en tout ou en partie, la propriété ou la détention du bien (« Il proprietario e chiunque a qualsiasi titolo detenga una delle cose che abbiano formato oggetto di notifica a norma degli articoli precedenti è tenuto a denunziare al Ministro per l'educazione nazionale ogni atto, a titolo oneroso o gratuito, che ne trasmetta, in tutto o in parte, la proprietà o la detenzione »).
Les articles 31 § 1 et 32 § 1 de la loi n° 1089 de 1939 accordent ensuite au ministère un droit de préemption sur l'œuvre, qui peut être exercé dans un délai de deux mois à compter de la date de la déclaration susmentionnée, et cela au prix convenu dans l'acte d'aliénation lorsqu'il s'agit d'une aliénation à titre onéreux (article 31 § 1 : « Nel caso di alienazione a titolo oneroso, il Ministro per l'educazione nazionale ha facoltà di acquistare la cosa al medesimo prezzo stabilito nell'atto di alienazione » ; article 32 § 1 : « Il diritto di prelazione deve essere esercitato nel termine di mesi due dalla data della denuncia »). Au cas où l'œuvre serait vendue en même temps que d'autres biens pour un prix global, le prix est fixé d'office par le ministre ou, en cas de contestation du vendeur, par une commission composée de trois membres, dont l'un est désigné par le vendeur (article 31 § 3).
L'article 36 de la loi prévoit l'obligation, pour le propriétaire ou le détenteur, de déclarer son intention d'exporter l'œuvre. Dans ce dernier cas, le ministère peut exercer le droit de préemption sur l'œuvre dans un délai de quatre-vingt-dix jours à partir de la date de la déclaration. Le ministère indemnise alors le propriétaire ou le détenteur en lui versant un prix qu'il fixe lui-même s'il s'agit d'un pays de l'Union européenne, ou une somme égale à la valeur indiquée dans la déclaration dans les autres cas (article 39).
L'article 61 de la loi prévoit, en outre, la nullité de plein droit « des aliénations, conventions et autres actes juridiques effectués en violation des interdictions établies par la présente loi ou sans observer les conditions et les modalités qu'elle prescrit », et ajoute que le ministère conserve toujours la faculté d'exercer le droit de préemption en application des articles 31 et 32 (article 61 : « Le alienazioni, le convenzioni e gli atti giuridici in genere, compiuti contro i divieti stabiliti dalla presente legge o senza l'osservanza delle condizioni e modalità da esse prescritte, sono nulli di pieno diritto. Resta sempre salva la facoltà del Ministro per l'educazione nazionale di esercitare il diritto di prelazione a norma degli artt. 31 e 32 »).
La loi dispose également que jusqu'à l'adoption d'un décret d'application, qui à ce jour n'a pas eu lieu, les dispositions du décret royal n 363 du 30 janvier 1913 continuent de s'appliquer (article 73). L'article 57 de ce dernier décret royal prévoit notamment les conditions formelles que doivent respecter les déclarations susmentionnées. Celles-ci doivent contenir une description sommaire de l'objet du contrat et indiquer la nature et les conditions de l'aliénation, le nom et le domicile des parties contractantes, ainsi que leur signature, le lieu en Italie où le bien vendu sera remis à l'acheteur et la date de cette remise. Selon cette même disposition, une déclaration ne précisant pas l'ensemble de ces éléments est considérée comme nulle et non avenue.
L'article 63 de la loi n° 1089 de 1939 prévoit une peine d'emprisonnement d'un an et une amende de 75 millions ITL maximum, notamment en cas d'omission de la déclaration prescrite par l'article 30.
Enfin, les articles 66 et suivants du décret royal régissent les cas d'expropriation de biens meubles et immeubles, en renvoyant à plusieurs reprises à la loi n° 2359 du 25 juin 1865 relative aux expropriations pour cause d'utilité publique. Dans ce contexte, l'article 67 du décret royal prévoit que la déclaration d'utilité publique est effectuée par le ministre de l'Education, sur avis conforme du Conseil supérieur pour les antiquités et les beaux-arts (Consiglio superiore per l'antichità e le belle arti) et après avoir entendu le Conseil d'Etat.
III. LA CONVENTION DE L'UNESCO DU 14 NOVEMBRE 1970
La Convention de l'Unesco concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, qui a été signée à Paris le 14 novembre 1970 et est entrée en vigueur le 24 avril 1972 (pour l'Italie le 2 janvier 1979), prévoit, à son article 4, ce qui suit :
« Les Etats parties à la présente Convention reconnaissent qu'aux fins de ladite convention, les biens culturels appartenant aux catégories ci-après font partie du patrimoine culturel de chaque Etat :
a. biens culturels nés du génie individuel ou collectif de ressortissants de l'Etat considéré et biens culturels importants pour l'Etat considéré, créés sur le territoire de cet Etat par des ressortissants étrangers ou par des apatrides résidant sur ce territoire ;
b. biens culturels trouvés sur le territoire national ;
c. biens culturels acquis par des missions archéologiques, ethnologiques ou de sciences naturelles, avec le consentement des autorités compétentes du pays d'origine de ces biens ;
d. biens culturels ayant fait l'objet d'échanges librement consentis ;
e. biens culturels reçus à titre gratuit ou achetés légalement avec le consentement des autorités compétentes du pays d'origine de ces biens. »
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
M. Ernst Beyeler a saisi la Commission le 5 septembre 1996. Il alléguait une violation de l'article 1 du Protocole n° 1, ainsi que des articles 14 et 18 de la Convention, du fait de l'exercice, par le ministère italien du Patrimoine culturel, de son droit de préemption sur un tableau de Van Gogh qu'il affirmait avoir régulièrement acheté.
La Commission a retenu la requête (n° 33202/96) le 9 mars 1998. Dans son rapport du 10 septembre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut :
a) qu'il n'y a pas eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (par vingt voix contre dix) ;
b) qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention (par vingttrois voix contre sept) ;
c) qu'il n'y a pas eu violation de l'article 18 de la Convention (à l'unanimité).
Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt1.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
A l'audience du 8 septembre 1999, le Gouvernement a invité la Cour à juger qu'il n'y a pas eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 et qu'il ne s'impose pas d'examiner le grief du requérant tiré de l'article 14 de la Convention.
Le requérant a demandé à la Cour de constater une violation des articles 1 du Protocole n° 1 et 14 de la Convention, et de lui octroyer une satisfaction équitable au titre de l'article 41. Le requérant n'a en revanche pas réitéré son grief présenté sous l'angle de l'article 18 de la Convention. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. La détention du requérant et le déroulement de la procédure engagée à son encontre
Le 21 avril 1992, le requérant fut arrêté en exécution d'un mandat d'arrêt du tribunal de Trapani délivré le 18 avril 1992 dans le cadre d'une enquête concernant quarante-six personnes. Il était soupçonné d'appartenir à l'organisation mafieuse d'Alcamo et de diriger une société financière pour le compte de son beau-frère, chef présumé du principal groupe mafieux local (article 416 bis du code pénal (« CP »), prévoyant le délit d'association de type mafieux).
Les accusations portées à l'encontre du requérant se fondaient sur les déclarations indirectes d'un dénommé B.F., lui-même accusé d'association de type mafieux mais ayant décidé de collaborer avec la justice (pentito ou « repenti »). B.F. avait appris les faits concernant le requérant d'un dénommé G.D., qui avait été tué par la mafia le 25 octobre 1989. A son tour, G.D. avait appris ces faits d'un dénommé F.M., également tué par la mafia.
Le requérant fut incarcéré tout d'abord à la prison de Palerme, où il resta trente-cinq jours en isolement.
Une première demande de mise en liberté formulée par lui fut rejetée par le tribunal de Trapani le 6 mai 1992.
Le tribunal considéra en particulier que, malgré l'absence de tout renseignement ou élément de preuve objectif sur le rôle et l'activité exercés concrètement par le requérant, les déclarations faites par B.F. sur l'appartenance de celui-ci à la mafia pouvaient constituer un indice suffisant pour justifier sa détention, étant donné la crédibilité et la fiabilité des diverses déclarations de B.F. quant à d'autres personnes ou épisodes liés à l'organisation criminelle précitée (critère de la « crédibilité globale » – attendibilità complessiva).
En outre, B.F. avait reconnu le requérant sur une photo et avait fourni des indications sur le rôle précis de celui-ci au sein de l'organisation mafieuse : il avait précisé que le requérant, qui était le beau-frère du chef de l'une des familles mafieuses d'Alcamo, dirigeait une société financière et était copropriétaire d'une société gérant une discothèque en association avec une autre personne que B.F. avait, auparavant, indiquée comme appartenant à la mafia.
Par ailleurs, la détention du requérant se justifiait également, selon le tribunal, par la nécessité de sauvegarder les preuves recueillies, ces preuves étant surtout constituées de témoignages oraux et donc susceptibles d'être détruites par des pressions sur les témoins.
Le 20 juillet 1992, le requérant fut transféré avec cinquante-quatre autres mafiosi prétendus à la prison de l'île de Pianosa.
A une date non précisée, le requérant se pourvut en cassation contre la décision du 6 mai 1992. Il prétendait en particulier que sa détention reposait uniquement sur les déclarations de B.F., qui n'étaient corroborées par aucun élément de fait. En outre, il critiquait le refus du tribunal de tenir compte de ce qu'il n'était pas le gérant d'une société financière – ce qui selon les juges confirmait sa position de cadre dans la finance locale et donc renforçait l'accusation d'après laquelle il était le trésorier d'une branche de la mafia – mais n'en était que l'un des employés et dans le passé avait même été soumis à une procédure disciplinaire. Le pourvoi fut cependant rejeté le 2 octobre 1992.
Par une décision du 29 décembre 1992, le juge des investigations préliminaires (« le JIP ») écarta la demande de mise en liberté que le requérant, estimant insuffisants les motifs à l'appui de son maintien en détention, lui avait adressée.
Le requérant interjeta alors appel, mais fut débouté par le tribunal de Trapani qui, dans une décision datée du 8 février 1993, rappela que l'article 275 § 3 du code de procédure pénale (« CPP ») établit une présomption de nécessité du maintien en détention de toute personne accusée d'appartenance à la mafia et qu'il incombe par conséquent à l'intéressé d'apporter des éléments spécifiques et concrets pouvant renverser cette présomption. Or, en l'espèce, le tribunal estimait que les arguments du requérant d'une part étaient génériques – telle la période déjà écoulée – et d'autre part avaient déjà été rejetés dans les décisions précédentes.
Sur la demande du ministère public, le JIP près le tribunal de Trapani, par une ordonnance du 8 avril 1993, prorogea les délais maxima de détention provisoire en application de l'article 305 § 2 CPP.
Entre-temps, au cours de l'enquête, d'autres « repentis » avaient déclaré ne pas connaître le requérant.
Ce dernier interjeta appel de l'ordonnance du 8 avril 1993, en alléguant sa nullité, faute de signification préalable à son avocat de la demande de prorogation, et en contestant ses motivations génériques et abstraites.
Le tribunal de Trapani rejeta l'appel du requérant le 22 juin 1993, au motif que la loi se bornait à exiger que le tribunal entendît les parties contradictoirement, ce qui avait été le cas en l'espèce, et n'imposait pas une signification préalable et formelle de pareille demande.
Quant à la nécessité de la mesure incriminée, le tribunal fit valoir que, bien que la motivation de l'ordonnance attaquée fût plutôt succincte, elle avait mis en évidence le danger d'altération des preuves, résultant notamment des caractéristiques spécifiques du crime d'association de type mafieux, ainsi que la dangerosité de tous les prévenus, étant donné qu'ils étaient soupçonnés d'appartenir à une association criminelle se livrant à des délits graves tels que des homicides. En outre, le ministère public avait amplement expliqué les exigences de l'instruction ayant motivé sa demande, à savoir la nécessité de procéder à des enquêtes complexes de nature bancaire et fiscale, afin d'éclaircir l'étendue du contrôle exercé sur le territoire par les prévenus. Le tribunal souligna également qu'au demeurant la nature du crime en question exigeait des enquêtes visant l'association mafieuse dans son ensemble et donc, forcément, tous les prévenus.
Le 28 juin 1993, le requérant se pourvut en cassation, alléguant un manquement aux droits de la défense, mais il fut débouté par un arrêt du 18 octobre 1993.
Le 2 octobre 1993, le requérant fut renvoyé en jugement pour association de type mafieux. Le procureur de la République requit une peine de trois ans d'emprisonnement à son encontre.
Par un jugement du 12 novembre 1994, déposé au greffe le 9 février 1995, le tribunal de Trapani acquitta le requérant et ordonna sa libération à moins qu'il ne fût détenu également pour une autre cause.
Le tribunal souligna que les accusations portées contre le requérant reposaient uniquement sur les faits relatés par B.F. sur la base de ce que celui-ci avait appris de G.D., qui, lui, le tenait de F.M. Or, les deux personnes sources d'information étaient décédées, de sorte que les déclarations de B.F. n'avaient pu être confirmées par quelqu'un d'autre. La seule circonstance qui avait été prouvée était que le requérant avait travaillé au sein de la société financière en question ; ce qui n'avait aucunement été prouvé, en revanche, était qu'il l'avait gérée, ou qu'il en avait été le trésorier : cela, en effet, avait été contredit par d'autres témoignages et éléments de fait. Le tribunal en conclut que la culpabilité du requérant n'avait pas été établie.
Le jugement fut rendu dans la soirée, vers 22 heures. Le requérant, qui avait assisté au prononcé du jugement au tribunal de Trapani, fut ramené à la prison de Termini Imerese, sans qu'on lui enlève les menottes, et y parvint à minuit vingt-cinq.
En l'absence de l'employé du bureau de matricule, dont l'intervention était nécessaire dans le cas d'un détenu soumis à un régime spécial de détention, le requérant ne fut remis en liberté qu'à 8 h 30.
Le procureur de la République interjeta appel du jugement.
Par un arrêt du 14 décembre 1995, devenu définitif vis-à-vis du requérant le 25 juin 1996, la cour d'appel de Palerme confirma l'acquittement de celui-ci, au motif que les déclarations de B.F. n'avaient pas été corroborées par d'autres éléments spécifiques et avaient été contredites par le résultat des enquêtes.
B. Les mauvais traitements que le requérant prétend avoir subis à la prison de Pianosa
Les traitements incriminés
Le requérant fut détenu à la prison de Termini Imerese jusqu'au 20 juillet 1992, date à laquelle il fut transféré à la prison de Pianosa, en raison de l'adoption par le gouvernement italien de mesures urgentes contre la mafia après l'assassinat, commis par celle-ci, de deux hauts magistrats. Cette prison avait abrité jusque-là une centaine de détenus qui bénéficiaient d'un régime moins strict avec possibilité de travail à l'extérieur sur l'île. Les détenus soumis au régime de haute sécurité furent regroupés dans le quartier « Agrippa ». Quelques dizaines de gardiens provenant d'autres établissements pénitentiaires furent également envoyés à la prison de Pianosa.
Le requérant y demeura sans interruption jusqu'au 29 janvier 1993. Par la suite, il fit l'objet de fréquents transfèrements de courte durée afin de pouvoir participer aux différentes phases du procès le concernant.
Il ressort du registre médical de la prison de Pianosa que l'état de santé du requérant à son arrivée était bon.
Le requérant affirme avoir été soumis, à la prison de Pianosa, à divers mauvais traitements, en particulier entre juillet et septembre 1992, la situation s'étant par la suite améliorée ; ces traitements sont indiqués ci-dessous :
– Il aurait été souvent giflé et aurait été blessé au pouce droit. On lui aurait également pressé les testicules, pratique qui, selon le requérant, était systématiquement infligée à tous les détenus.
– A une occasion, alors que l'on rouait le requérant de coups, son tricot aurait été déchiré. Le requérant aurait protesté. Deux heures plus tard, un gardien lui aurait enjoint de se taire, l'aurait insulté et ensuite frappé, endommageant ainsi une prothèse dentaire et les lunettes de l'intéressé.
– Il aurait été malmené à d'autres occasions. En effet, les détenus avaient la permission de poser des produits d'hygiène dans les couloirs ; parfois, les gardiens de la prison provoquaient le déversement de ces produits sur le sol et y faisaient tomber en même temps de l'eau, ce qui rendait le sol glissant. Les détenus étaient ensuite contraints de courir dans les couloirs, entre deux files de gardiens, ce qui occasionnait des chutes, auxquelles les gardiens réagissaient en matraquant et en frappant les détenus qui étaient tombés.
– Il aurait également subi souvent des fouilles corporelles pendant qu'il prenait sa douche.
– Quand il demandait une visite médicale, il devait attendre très longtemps, et il restait menotté lors de la visite.
– Les gardiens enjoignaient aux détenus de ne pas parler des traitements qu'ils subissaient, ni entre eux ni à leurs avocats, sous peine de représailles.
– En présence des gardiens, les détenus devaient garder la tête et les yeux baissés, se montrer respectueux, s'abstenir de parler, se mettre au garde-à-vous.
Enfin, selon le requérant, les transfèrements de la prison aux tribunaux lors des audiences se déroulaient dans des conditions inhumaines, à savoir dans la cale des bateaux, sans air, ni lumière, ni nourriture, et dans de très mauvaises conditions d'hygiène.
Les certificats médicaux
Du registre médical de la prison de Pianosa il ressort que, le 9 septembre 1992, le requérant avait signalé un problème à une prothèse dentaire. Le médecin avait demandé en conséquence qu'il fût examiné par un dentiste. En avril 1993, une visite chez un dentiste en vue de fixer la prothèse instable fut à nouveau réclamée.
Le 10 août 1993, le service médical de la prison de Pianosa demanda des radiographies et une visite orthopédique, le requérant se plaignant de douleurs aux genoux. Après des examens, une consultation orthopédique du 22 septembre 1993 établit la présence de problèmes aux genoux, bien que l'état du dossier ne permît pas d'en déterminer la nature exacte.
Le 17 mars 1994, le dentiste constata que la prothèse s'était définitivement rompue et qu'il fallait la réparer.
Un rapport médical daté du 24 mars 1995 fait état de calcifications à l'articulation du genou. Une échographie en date du 3 avril 1996 a par ailleurs relevé deux petites lésions d'origine traumatique dans la partie antérieure externe du même genou.
Un certificat médical daté du 20 mars 1996 fait état de troubles psychologiques (asthénie, état confusionnel, dépression), ayant débuté trois ans auparavant.
Le recours exercé par le requérant
Le 2 octobre 1993, lors de l'audience préliminaire devant le JIP près le tribunal de Trapani, le requérant allégua, en même temps qu'un autre détenu, avoir subi des mauvais traitements, tels que des « tortures, humiliations et sévices », à la prison de Pianosa jusqu'en octobre 1992. Il déclara qu'on lui avait en particulier fracturé un doigt et cassé des dents. Même si cette situation s'était améliorée à partir du mois d'octobre 1992, le requérant se plaignit que le traitement global auquel il avait été soumis, traitement qui se fondait notamment sur l'article 41 bis de la loi n° 354 de 1975, était inhumain et très lourd d'un point de vue émotionnel.
Le 6 octobre 1993, le JIP informa de ce qui précède le parquet de Livourne ; celui-ci ouvrit une enquête (n° 629/93) et, le 12 novembre 1993, demanda aux carabiniers de Portoferraio d'interroger M. Labita, afin que celui-ci pût donner des précisions quant à la nature des mauvais traitements prétendument subis et à la période pendant laquelle ils avaient été infligés, et de fournir tout élément utile à l'identification des responsables. Il demanda en outre communication du dossier médical du requérant.
Le 5 janvier 1994, l'intéressé fut entendu par les carabiniers de Portoferraio. Il affirma avoir subi, sitôt détenu à Pianosa, des « raclées, tortures, sévices et tortures psychologiques » de la part des gardiens. En particulier, ceux-ci lui frappaient le dos avec la main. Lorsqu'il sortait de sa cellule pour l'heure de promenade, il était obligé d'emprunter en courant un couloir dont le sol avait été rendu glissant : les gardiens, disposés le long du couloir, lui assénaient alors des coups de pied, de poing et de matraque. Il relata qu'à une occasion il avait protesté, les gardiens ayant déchiré son tricot pendant qu'ils le battaient ; un gardien lui aurait enjoint de se taire, l'aurait insulté et ensuite frappé, endommageant ainsi une prothèse dentaire et ses lunettes. Les détenus étaient en effet violemment battus à chaque fois qu'ils quittaient leurs cellules. Il précisa cependant ne pas pouvoir reconnaître les gardiens responsables, puisque les détenus étaient obligés de garder la tête baissée lorsqu'ils étaient en présence des gardiens. Il déclara enfin que les raclées avaient cessé à partir du mois d'octobre 1992.
Le 7 janvier 1994, les carabiniers transmirent au parquet de Livourne le procès-verbal de l'interrogatoire ainsi que le dossier médical du requérant. Ils réservèrent l'envoi de la liste des gardiens qui avaient travaillé à Pianosa à l'époque des faits.
Le 9 mars 1995, le requérant fut convoqué par les carabiniers de Trapani, en vertu d'une commission rogatoire du parquet de Livourne. On lui montra les photocopies des photos de 262 gardiens de prison ayant travaillé à la prison de Pianosa. Le requérant déclara ne pas reconnaître le responsable des mauvais traitements, tout en observant que les photos remontaient à une époque antérieure aux faits et que, de plus, il ne s'agissait que de photocopies. Il ajouta également qu'il n'aurait eu aucune difficulté à reconnaître le gardien en question s'il avait pu le voir en personne.
Le 18 mars 1995, le parquet de Livourne demanda le classement sans suite de la plainte au motif que les auteurs des faits dénoncés n'avaient pas été identifiés (perché ignoti gli autori del reato), ce qui fut fait par décision du JIP près le tribunal de Livourne du 1er avril 1995.
Le rapport du juge d'application des peines de Livourne sur les conditions de détention à la prison de Pianosa
Le 5 septembre 1992, le juge d'application des peines de Livourne avait envoyé un rapport au ministre de la Justice ainsi qu'à d'autres autorités pénitentiaires et administratives compétentes, concernant les conditions de détention à la prison de Pianosa.
Ce rapport, résultant d'une première inspection sur les lieux en août 1992, faisait état notamment de violations répétées des droits des détenus et de plusieurs épisodes de mauvais traitements, aussi bien dans le quartier spécial « Agrippa » que dans les quartiers ordinaires. A titre d'exemple, on peut rappeler que ce rapport avait relevé :
– que les conditions d'hygiène étaient lamentables ;
– que la correspondance des détenus, bien qu'autorisée sous censure, était totalement bloquée, et que les télégrammes étaient remis aux intéressés avec des retards importants ;
– que les détenus étaient obligés de se rendre à la cour de promenade en courant, probablement en recevant des coups de matraque sur les jambes ;
– que les détenus faisaient parfois l'objet de matraquage et d'autres mauvais traitements (par exemple, un détenu aurait été contraint de se déshabiller complètement et d'effectuer des exercices au sol, suivis d'un contrôle rectal, qui selon le juge d'application des peines n'était pas du tout nécessaire, le détenu en question venant de terminer un travail accompli en présence d'autres gardiens ; ce détenu, qui pendant qu'il se rhabillait aurait été giflé, s'était ensuite adressé au médecin de la prison ; pendant la nuit, trois gardiens se seraient rendus dans sa cellule et l'auraient battu) ;
– que d'autres épisodes de ce genre semblaient s'être produits ultérieurement, bien que la situation parût s'être améliorée plus récemment, probablement à la suite d'interventions auprès des gardiens de la prison.
A la suite des informations faisant état de violences sur les détenus à la prison de Pianosa, reprises également dans la presse, le procureur de la République près le tribunal de Livourne, s'étant rendu sur l'île pendant une journée, déclara à la presse n'avoir trouvé aucun élément confirmant les informations susmentionnées.
Par ailleurs, le 30 juillet 1992 l'inspection de l'administration pénitentiaire pour la Toscane avait informé le département de l'administration pénitentiaire du ministère de la Justice que, selon certaines informations provenant de sources dignes de foi, de graves incidents de mauvais traitements envers les détenus avaient eu lieu à la prison de Pianosa. Ce rapport mentionnait en particulier le cas d'un détenu handicapé transporté à l'intérieur de la prison sur une brouette sous les quolibets des gardiens, ou encore celui d'un autre détenu contraint de s'agenouiller devant un cierge.
Dans une note datée du 12 octobre 1992 et adressée au chef de cabinet du ministre, le directeur général du département de l'administration pénitentiaire du ministère de la Justice expliquait que les conditions relevées par le juge d'application des peines de Livourne tenaient surtout au fait que cinquante-cinq détenus avaient été transférés à Pianosa d'urgence dans la nuit du 19 au 20 juillet 1992, ce qui avait posé des problèmes pratiques pouvant expliquer en grande partie les inconvénients relevés. En outre, des travaux de restructuration en cours dans la prison avaient engendré quelques difficultés supplémentaires.
Le 28 octobre 1992, le même directeur général remit au chef du cabinet du ministre, ainsi qu'au parquet, les conclusions d'un groupe d'experts nommés par le département. Après avoir interrogé les détenus, ces experts concluaient que les allégations de mauvais traitements étaient dénuées de tout fondement, à l'exception de l'épisode du transport d'un détenu handicapé en brouette, dû cependant à l'absence de fauteuil roulant à la prison.
A la suite du rapport du juge d'application des peines, une enquête fut néanmoins ouverte et les actes recueillis furent envoyés au parquet près le juge d'instance de Livourne. Seuls deux gardiens avaient pu être identifiés, et étaient soupçonnés de délits de lésions corporelles (article 582 CP) et d'abus d'autorité sur des personnes arrêtées ou détenues (article 608 CP).
Le parquet demanda le classement sans suite des deux chefs d'accusation, respectivement pour défaut de plainte et prescription. Cette demande fut accueillie quant au chef de lésions corporelles, mais fut rejetée quant à l'autre accusation et, le 20 décembre 1996, le JIP demanda des renseignements complémentaires. Cette enquête serait toujours en cours.
Dans une note datée du 12 décembre 1996, annexée aux observations du Gouvernement dans la procédure devant la Commission, le président du tribunal d'application des peines de Florence précise que les faits qui se sont produits à la prison de Pianosa avaient été voulus ou tolérés par le gouvernement de l'époque. Il estime en outre que les allégations du requérant concernant les modalités des transfèrements sont totalement vraisemblables, et que les transfèrements des détenus à la prison de Pianosa avaient été effectués suivant des méthodes discutables et injustifiées, visant en réalité à intimider les détenus. Il souligne en outre que le quartier de haute sécurité de la prison de Pianosa a été mis en place moyennant le renfort de gardiens provenant d'autres prisons, qui n'avaient pas été soumis à une sélection et qui avaient reçu « carte blanche » ; de ce fait, la gestion du quartier en question aurait été caractérisée dans un premier temps par des abus et des irrégularités.
C. Le contrôle de la correspondance du requérant
L'application de l'article 41 bis de la loi sur l'administration pénitentiaire
Le 20 juillet 1992, le ministre de la Justice prit un arrêté imposant au requérant, jusqu'au 20 juillet 1993, le régime spécial de détention prévu par l'article 41 bis de la loi n° 354 de 1975. Le ministre considéra que pareille mesure s'imposait notamment pour de graves raisons d'ordre et de sûreté publics, compte tenu de l'action de plus en plus agressive et impitoyable de la mafia, qui venait d'ailleurs d'assassiner trois magistrats et huit policiers et de commettre des attentats à la voiture piégée dans des grandes villes italiennes. La situation rendait dès lors nécessaire de couper les contacts de certains détenus avec leur milieu d'origine. Le requérant était visé par la mesure en question eu égard à sa personnalité et à sa dangerosité, qui laissaient présumer qu'il avait en fait gardé des contacts avec le milieu criminel dont il était issu et qu'il aurait pu les utiliser pour émettre des directives ou instaurer des liens avec le monde extérieur, pouvant porter atteinte à l'ordre public et à la sûreté des établissements pénitentiaires. En outre, il était raisonnable de penser que de tels détenus pouvaient recruter des adeptes chez les autres détenus ou établir avec ces derniers, dans la prison, des rapports de suprématie et d'humiliation semblables à ceux existant dans une organisation criminelle.
Cet arrêté, dérogeant à la loi sur l'administration pénitentiaire, imposait les restrictions suivantes :
– interdiction d'utiliser le téléphone ;
– interdiction de tout entretien ou correspondance avec d'autres détenus ;
– contrôle de toute la correspondance au départ ou à l'arrivée ;
– interdiction d'entrevues avec des tiers ;
– limitation des entrevues avec les membres de la famille (au maximum une par mois pendant une heure) ;
– interdiction de recevoir ou d'envoyer des sommes d'argent au-delà d'un montant déterminé ;
– interdiction de recevoir de l'extérieur des paquets contenant autre chose que du linge ;
– interdiction d'organiser des activités culturelles, récréatives et sportives ;
– interdiction d'élire un représentant des détenus ou d'être élu comme tel ;
– interdiction d'exercer des activités artisanales ;
– interdiction d'acheter des aliments demandant une cuisson ;
– interdiction de passer plus de deux heures en plein air.
Ces mesures furent par la suite prorogées de six mois en six mois jusqu'au 31 janvier 1995.
Le contrôle de la correspondance du requérant
Dès le 21 avril 1992, la correspondance du requérant fut soumise à un visa de censure sur décision du tribunal de Trapani, qui ne contenait pas de motivation spécifique. Cependant, la correspondance du requérant ne fut pas contrôlée pendant qu'il se trouvait à la prison de Termini Imerese.
Le contrôle de la correspondance du requérant fut par la suite ordonné par un arrêté du ministre de la Justice du 20 juillet 1992 (paragraphe 52 ci-dessus).
Les courriers suivants furent contrôlés :
– lettre du requérant à son épouse, datée du 21 octobre 1992 et dont la remise fut retardée, la prison de Pianosa ayant préalablement envoyé la missive à l'autorité judiciaire en raison de son contenu jugé suspect ;
– lettre envoyée au requérant par un premier avocat, datée du 7 mai 1993 (visa de censure de la prison de Pianosa) ;
– lettre envoyée par le requérant à sa famille, datée du 28 février 1993 (visa de censure de la prison de Termini Imerese) ;
– lettre envoyée par le requérant à son épouse le 2 mars 1993 et contenant un certificat (les autorités de la prison de Termini Imerese l'avaient interceptée et remise au département de l'administration pénitentiaire du ministère de la Justice en demandant l'autorisation de la restituer au requérant ; cette demande n'ayant pas eu de suite, cela ne fut jamais fait) ;
– lettre envoyée par le requérant à sa famille, postée le 7 mai 1993 (visa de censure de la prison de Pianosa).
Par un arrêté du 15 septembre 1993 qui faisait application de l'arrêt de la Cour constitutionnelle n° 349 du 28 juillet 1993 (paragraphe 102 ci-dessous), le ministre de la Justice révoqua la mesure de contrôle de la correspondance prévue par ses décrets d'application de l'article 41 bis.
La correspondance du requérant continua toutefois d'être contrôlée en vertu de la décision du tribunal de Trapani du 21 avril 1992.
Le 21 février 1994, le tribunal de Trapani ordonna la levée du contrôle de la correspondance du requérant, qui continua néanmoins d'être contrôlée.
Le 10 juin 1994, le requérant fut à nouveau soumis au régime ordinaire de détention, ce qui entraînait notamment la suppression du visa de censure. Au moins une lettre envoyée au requérant par son épouse et datée du 28 juillet 1994 fit pourtant l'objet d'un visa de censure de la prison de Pianosa.
Le 13 août 1994, sur la demande de la direction de la prison de Pianosa, le président de la section criminelle du tribunal de Trapani ordonna à nouveau le contrôle de la correspondance du requérant. Les lettres suivantes furent contrôlées :
– lettre envoyée au requérant par un deuxième avocat, datée du 24 août 1994 (visa de la prison de Pianosa) ;
– lettres envoyées au requérant par son épouse, datées respectivement des 18, 21, 29 et 30 août 1994 et contenant deux photos des enfants de l'intéressé, portant chacune le cachet du visa de censure (visa de la prison de Pianosa) ;
– lettre envoyée par le requérant à sa famille, datée du 31 août 1994 (visa de la prison de Pianosa) ;
– lettre envoyée au requérant par ses enfants, datée du 1er septembre 1994 (visa de la prison de Pianosa) ;
– lettre envoyée au requérant par sa petite-fille, datée du 16 octobre 1994 (visa de censure illisible) ;
– lettres envoyées au requérant par son épouse, datées respectivement du 18 et du 20 octobre 1994 (visa de la prison de Termini Imerese) ;
– lettre envoyée au requérant apparemment par des membres de sa famille, datée du 20 octobre 1994 (visa de la prison de Termini Imerese) ;
– lettre, non datée, envoyée au requérant par sa petite-fille (visa de la prison de Pianosa).
S'agissant des deux lettres envoyées au requérant par ses avocats les 7 mai 1993 et 24 août 1994, la direction de la prison de Pianosa a précisé qu'elles ne relevaient pas de la correspondance avec le défenseur au sens de l'article 35 des dispositions transitoires du nouveau code de procédure pénale italien (paragraphe 97 ci-dessous).
D. Les mesures de prévention appliquées au requérant
A la demande du procureur de la République près le tribunal de Trapani datée du 9 septembre 1992, ce tribunal imposa au requérant par une décision du 10 mai 1993 la mesure de prévention de la surveillance spéciale de la police ainsi que l'obligation de séjourner à Alcamo pendant une période de trois ans. Selon cette décision, la dangerosité de l'intéressé était démontrée par des indices concrets : en effet, il était poursuivi pour une infraction très grave et avait été placé en détention provisoire ; en outre, il avait une participation, avec d'autres mafiosi présumés, dans la société gérant une discothèque où se rencontraient des mafiosi.
En particulier, le requérant était tenu de :
– ne pas s'éloigner de sa résidence sans avoir prévenu l'autorité chargée de le surveiller ;
– vivre honnêtement, ne pas prêter à soupçon ;
– ne pas fréquenter des personnes ayant fait l'objet de condamnations ou soumises à des mesures de prévention ou de sûreté ;
– ne pas rentrer le soir après 20 heures et ne pas sortir le matin avant 6 heures, sauf en cas de nécessité dûment prouvée et non sans avoir averti les autorités en temps utile ;
– ne détenir ou porter aucune arme ;
– ne pas fréquenter les cafés et ne point participer à des réunions publiques ;
– porter toujours sur soi la carte indiquant les obligations spécifiques résultant des mesures de prévention appliquées à son encontre, ainsi qu'une copie de la décision du tribunal ;
– se présenter au bureau de police compétent chaque dimanche entre 9 heures et 12 heures.
En revanche, le tribunal estima qu'en l'état du dossier il n'était pas possible de conclure que ladite société servait à blanchir de l'argent sale provenant des activités illicites de la mafia. Il ordonna par conséquent de disjoindre la procédure concernant la saisie des parts du requérant dans la société en question ainsi que de certains de ses biens immobiliers.
Le requérant interjeta appel mais il fut débouté le 7 décembre 1993.
La cour d'appel rappela en premier lieu que la dangerosité d'un individu appartenant à la mafia est présumée, au sens de la loi n° 575 du 15 mai 1965, et que, aux fins de l'application de mesures de prévention, cette appartenance peut être démontrée sur la base d'indices, de véritables preuves n'étant requises que pour la condamnation. En l'espèce, il existait des indices à l'encontre du requérant, tels que les décisions de le placer en détention provisoire et de le renvoyer en jugement. De surcroît, B.F. avait clairement indiqué que le requérant appartenait à une association de type mafieux dont il était le trésorier. D'autres éléments s'y ajoutaient, tels que les rapports d'affaires entre le requérant et d'autres mafiosi. Les contacts entre le requérant et la mafia étaient par ailleurs confirmés par la circonstance que le requérant n'avait pas dédaigné d'épouser la sœur d'un chef mafieux et de devenir ainsi membre d'une telle famille, ce qui l'exposait sans doute à des demandes de collaboration avec l'association criminelle.
Le requérant se pourvut en cassation, mais son pourvoi fut également rejeté par un arrêt du 3 octobre 1994, au motif que l'évaluation du caractère dangereux d'un individu se fonde sur tout élément qui peut emporter la conviction du juge ; or le tribunal de Trapani et la cour d'appel de Palerme avaient démontré l'appartenance probable du requérant au clan mafieux d'Alcamo, sur la base des éléments qui avaient motivé le maintien de l'intéressé en détention. Aucune censure de légitimité ne pouvait frapper la « libre conviction » des juges du fond.
Entre-temps, le 22 mai 1993, le préfet de Trapani ordonna le retrait du passeport du requérant, ordre qui ne put jamais être exécuté, car l'intéressé déclara avoir perdu cette pièce. Le préfet ordonna également au requérant de remettre sa carte d'identité afin qu'y fût apposée la mention « non valable pour quitter le pays ».
Le 1er juin 1993, le préfet de Trapani ordonna le retrait du permis de conduire du requérant.
Les mesures de prévention, suspendues jusqu'à l'issue du procès, furent appliquées le 19 novembre 1994, après l'acquittement du requérant par le tribunal de Trapani.
Le 13 février 1996, l'intéressé se vit refuser l'autorisation de quitter Alcamo pour accompagner son épouse et l'un de ses fils à l'hôpital de Palerme, où ceux-ci devaient effectuer des examens médicaux, au motif que ces derniers ne se rapportaient pas à des maladies graves.
Dans l'intervalle, le 8 janvier 1996, le requérant avait demandé au tribunal de Trapani de révoquer les mesures de prévention prises à son encontre, faisant valoir notamment qu'il avait été définitivement acquitté (par un arrêt du 14 décembre 1995) et se plaignant de l'impossibilité de retrouver un emploi.
Le 11 juin 1996, le tribunal débouta le requérant de sa demande. Il rappela tout d'abord la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle les faits établis au cours d'un procès, bien qu'insuffisants pour fonder la condamnation du prévenu, pouvaient tout de même, combinés éventuellement avec d'autres éléments, constituer des indices significatifs de nature à prouver le caractère dangereux d'un acquitté. Selon le tribunal, tel était le cas en l'espèce, car il ressortait des déclarations de B.F. que le requérant était proche du clan mafieux d'Alcamo, comme l'attestait le fait que son beau-frère décédé avait été le chef du clan principal. Quant à l'impossibilité de retrouver un emploi, le tribunal estima qu'elle ne tenait aucunement aux mesures de prévention, étant donné qu'à tout moment le requérant aurait pu demander l'autorisation de travailler, à condition bien entendu que le travail fût compatible avec les prescriptions découlant des mesures de prévention.
Le 7 octobre 1996, la mention « non valable pour sortir du pays » fut apposée sur la carte d'identité du requérant.
A une date qui n'a pas été précisée, le requérant demanda à nouveau au tribunal de Trapani de révoquer les mesures de prévention prises à son encontre, faisant valoir encore une fois qu'il avait désormais été définitivement acquitté et soulignant qu'il n'avait jamais eu de comportement contraire aux prescriptions découlant des mesures de prévention appliquées à son encontre.
Le 21 octobre 1997, le tribunal de Trapani rejeta cette demande, rappelant tout d'abord que la procédure concernant les mesures de prévention est totalement distincte de la procédure pénale, de sorte que l'acquittement ne produit pas d'effet automatique sur les mesures de prévention déjà décidées. De toute manière, le requérant n'avait pas démontré avoir réellement changé de mode de vie, ni s'être réellement repenti.
L'application des mesures de prévention à l'encontre du requérant prit fin le 18 novembre 1997.
E. La radiation des listes électorales
Par suite de l'application au requérant de la mesure de surveillance spéciale, la commission électorale municipale d'Alcamo décida, le 10 janvier 1995, de rayer le requérant des listes électorales pour déchéance de ses droits civils, en application de l'article 32 du décret du président de la République (« DPR ») n° 223 du 20 mars 1967.
Le requérant forma un recours devant la commission électorale de circonscription, contestant l'absence de motivation de la décision du 10 janvier et faisant valoir que l'application de mesures de prévention à son encontre avait été décidée avant sa relaxe.
Ce recours fut rejeté par une décision datée du 27 février 1995, et notifiée au requérant le 7 mars 1995, au motif que la radiation des listes électorales est la conséquence automatique de la déchéance des droits civils pour cause d'application de la surveillance spéciale, non pas d'une décision de la commission électorale. Le requérant n'interjeta pas appel de cette décision.
Le 19 novembre 1997, l'application des mesures de prévention ayant pris fin, le requérant demanda sa réinscription sur les listes électorales.
Le 28 novembre 1997, la commission électorale de circonscription informa le maire d'Alcamo qu'elle avait admis le requérant à participer aux élections administratives imminentes, prévues pour le 30 novembre 1997.
Le 29 novembre 1997, le maire fit notifier au requérant la décision de la commission électorale.
Le 11 décembre 1997, la commission électorale municipale réinscrivit le requérant sur les listes électorales d'Alcamo.
F. La réparation pour détention « injuste »
Le 4 février 1997, le requérant introduisit devant la cour d'appel de Palerme une demande visant à obtenir, en application des articles 314 et 315 CPP, la réparation pour la détention subie du 21 avril 1992 au 12 novembre 1994, dont le caractère « injuste » découlait de l'acquittement de l'intéressé par l'arrêt du 14 décembre 1995.
La cour d'appel fit droit à cette demande par une décision du
20 janvier 1998, déposée au greffe le 23 janvier 1998. Elle accorda un montant de 64 000 000 lires italiennes (ITL), en tenant compte de la durée et des modalités particulièrement sévères de la détention, ainsi que des préjudices personnel – tort porté à l'image – et familial – nécessité de longs voyages pour rencontrer le requérant – soufferts par l'intéressé.
II. le droit et la pratique internes pertinentS
A. Dispositions pertinentes en matière de durée de la détention provisoire
Le premier paragraphe de l'article 273 CPP prévoit que « nul ne peut être soumis à des mesures de détention provisoire en l'absence de graves indices de culpabilité à son encontre ».
Aux termes de l'article 274 CPP, des mesures de détention provisoire peuvent être prises « a) en cas d'impératifs inéluctables imposés par l'enquête, en relation avec des situations de danger concret pour l'administration ou la véracité de la preuve (...) ; b) quand l'inculpé s'est enfui ou qu'il existe un danger concret de fuite, à condition que le juge estime qu'une peine supérieure à deux ans d'emprisonnement pourrait être infligée ; c) quand, s'agissant des modalités spécifiques et des circonstances de l'espèce, et compte tenu de la personnalité de l'inculpé, il y a un danger concret que celui-ci commette de graves délits en ayant recours à des armes ou d'autres moyens de violence contre les personnes, ou des délits contre l'ordre constitutionnel, ou des délits en rapport avec le crime organisé, ou encore des délits du même type que ceux reprochés à l'inculpé (...) ».
Pour certains délits tels que l'association de type mafieux,
l'article 275 § 3 CPP, modifié par le décret-loi n° 152 de 1991, devenu la loi n° 203 de 1991, ainsi que par le décret-loi n° 292 de 1991, devenu la loi n° 356 de 1991, présume – faute de preuve du contraire – l'existence des exigences ci-dessus.
L'article 303 CPP prévoit des délais maxima de détention provisoire en fonction de l'état de la procédure. S'agissant du délit prévu à l'article 416 bis du code pénal, ces délais sont d'un an du début de la détention jusqu'à la décision de renvoi en jugement et d'un an du début du procès jusqu'au jugement de condamnation en première instance. Si la décision de renvoi en jugement ou le jugement de condamnation de première instance ne sont pas rendus avant l'expiration de ces délais, la détention provisoire cesse d'être légale et l'inculpé doit être remis en liberté.
Cependant, le paragraphe 2 de l'article 304 CPP prévoit que les délais prescrits par l'article 303 peuvent être suspendus au cours du procès, s'agissant de certains délits parmi lesquels figure celui prévu par l'article 416 bis du code pénal, si les débats se révèlent particulièrement complexes, et cela pendant la tenue des audiences ou la mise en délibéré du jugement de première instance, ou encore pendant la procédure d'appel. L'article 304 dispose que la durée de la détention provisoire ne peut en tout cas dépasser les deux tiers du maximum de la peine prévue pour le délit reproché à l'inculpé ou infligée par le jugement de première instance.
Aux termes du paragraphe 2 de l'article 305 CPP, « au cours de l'enquête préliminaire, le ministère public peut demander la prorogation des délais de détention provisoire arrivant à expiration, si de graves impératifs, dans le cadre d'activités d'instruction particulièrement complexes, rendent indispensable à titre préventif le maintien de la détention provisoire (...) ». Pareille prorogation ne peut être renouvelée qu'une seule fois et, en tout cas, les délais prévus par l'article 303 CPP ne peuvent pas être dépassés de plus de la moitié.
S'agissant des formalités de mise en liberté, le 29 mars 1996 le ministère de la Justice a informé tous les établissements pénitentiaires de la nécessité d'assurer certains services administratifs même de nuit, en vue de permettre non seulement l'élargissement de détenus, mais aussi, entre autres, l'accueil de personnes arrêtées ou s'étant présentées spontanément, ou encore l'hospitalisation d'urgence de détenus.
B. Réparation pour détention « injuste »
Aux termes de l'article 314 § 1 CPP, quiconque a été acquitté par un arrêt irrévocable, au motif que les faits n'ont pas été établis, ou que l'intéressé n'a pas commis l'infraction, ou vu l'absence de faits délictueux, ou au motif que les faits ne sont pas érigés en infraction par la loi, a droit à une réparation équitable pour la détention provisoire subie, à condition de ne pas y avoir contribué par dol ou par faute.
La demande en réparation doit être présentée dans un délai de dix-huit mois à compter de la date à laquelle l'arrêt a acquis force de chose jugée. Le montant de la réparation ne peut excéder 100 000 000 ITL.
C. Les dispositions pertinentes en matière de contrôle de la correspondance
Selon l'article 18 de la loi n° 354 du 26 juillet 1975, tel que modifié par l'article 2 de la loi n° 1 du 12 janvier 1977, l'autorité compétente pour décider de soumettre la correspondance des détenus à contrôle est le juge saisi de l'affaire (qu'il s'agisse de la juridiction d'instruction ou de la juridiction de jugement) jusqu'à la décision de première instance, et le juge d'application des peines pendant le déroulement ultérieur de la procédure. Cette disposition prévoit également que le magistrat compétent peut ordonner le contrôle de la correspondance d'un détenu par décision motivée, mais ne précise pas les cas dans lesquels une telle décision peut être prise.
Le contrôle en question consiste concrètement en l'interception et la lecture par l'autorité judiciaire qui l'a ordonné, par le directeur de la prison ou par le personnel pénitentiaire désigné par ce dernier, de toute la correspondance du détenu concerné, ainsi qu'en l'apposition d'un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit contrôle (voir également l'article 36 du décret d'application de la loi n° 354 ci-dessus, DPR n° 431 du 29 avril 1976). Cette mesure de contrôle ne peut avoir pour résultat l'effacement de mots ou de phrases, mais l'autorité judiciaire peut ordonner qu'une ou plusieurs lettres ne soient pas remises. Dans ce cas, le détenu doit en être aussitôt informé. Cette dernière mesure peut également être ordonnée provisoirement par le directeur de la prison, qui doit toutefois en donner communication à l'autorité judiciaire.
Par ailleurs, l'article 103 CPP interdit la saisie et toute forme de contrôle de la correspondance entre un détenu et son défenseur, à condition qu'elle soit reconnaissable comme telle et sauf dans le cas où l'autorité judiciaire est fondée à croire que cette correspondance constitue le corps du délit.
L'article 35 des dispositions transitoires du nouveau code de procédure pénale énonce également que les dispositions relatives à la censure de la correspondance d'un détenu, prévues par la loi n° 354 et le DPR n° 431 précités, ne s'appliquent pas à la correspondance entre le détenu et son défenseur, à condition que l'enveloppe indique l'identité du prévenu, celle de l'avocat ainsi que la qualification professionnelle de ce dernier et la mention « correspondance pour des raisons de justice » (corrispondenza per ragioni di giustizia). En outre, cette dernière mention doit être signée par l'expéditeur, lequel doit également préciser à quelle procédure se réfère la lettre. Si l'expéditeur est l'avocat, sa signature doit être certifiée conforme par le président du barreau ou son délégué.
Le contrôle de la correspondance constituant un acte de nature administrative et ne concernant pas la liberté personnelle du détenu, il ne peut faire l'objet d'un recours en cassation (Cour de cassation : arrêts n° 3141 du 14 février 1990 et n° 4687 du 4 février 1992).
L'article 35 de la loi sur l'administration pénitentiaire (loi n° 354 du 26 juillet 1975) prévoit que les détenus peuvent adresser des demandes ou réclamations sous pli scellé aux autorités suivantes :
– le directeur du pénitencier, les inspecteurs, le directeur général des établissements pénitentiaires et le ministre de la Justice ;
– le juge d'application des peines ;
– les autorités judiciaires et sanitaires qui inspectent le pénitencier ;
– le président du conseil régional ;
– le président de la République.
D. L'incidence de l'article 41 bis de la loi n° 354 de 1975 sur le contrôle de la correspondance
100. L'article 41 bis de la loi sur l'administration pénitentiaire, dans sa version modifiée par la loi n° 356 du 7 août 1992, attribue au ministre de la Justice le pouvoir de suspendre complètement ou partiellement l'application du régime pénitentiaire ordinaire, tel que prévu par la loi n° 354 de 1975, par arrêté motivé et contrôlable par l'autorité judiciaire, pour des raisons d'ordre et de sûreté publics, lorsque le régime ordinaire de la détention serait en conflit avec ces dernières exigences. Pareille disposition peut être appliquée uniquement à l'égard des détenus poursuivis ou condamnés pour les délits indiqués à l'article 4 bis de la même loi, parmi lesquels figurent des délits liés aux activités de la mafia. La loi n° 446 du 28 novembre 1999 a prorogé l'application de la disposition en question jusqu'au 31 décembre 2000.
101. L'article 41 bis ne contient pas la liste des restrictions autorisées, laquelle doit être établie par arrêté du ministre de la Justice. Au début de son application, cette disposition a été interprétée comme attribuant également au ministre de la Justice le pouvoir d'ordonner le contrôle de la correspondance du détenu.
102. Dans ses arrêts nos 349 et 410 de 1993, la Cour constitutionnelle, saisie de la question de savoir si le principe du domaine réservé au législateur est respecté par un tel système, a estimé que l'article 41 bis est compatible avec la Constitution, mais a rappelé qu'aux termes de l'article 15 de celle-ci, les restrictions à la correspondance peuvent avoir lieu uniquement par acte motivé de l'autorité judiciaire. Le ministre de la Justice n'est dès lors pas compétent pour prendre des mesures concernant la correspondance des détenus.
E. Dispositions pertinentes en matière de mesures de prévention à caractère personnel
103. Les mesures de prévention, instituées par la loi n° 1423 du 27 décembre 1956, visent à empêcher la commission d'infractions pénales par des individus considérés comme « socialement dangereux ». Actuellement la loi prévoit trois catégories d'individus socialement dangereux : a) ceux qu'on doit considérer, sur la base d'éléments de fait, comme se livrant habituellement à des activités illicites ; b) ceux qui, en raison de leur conduite ou train de vie, doivent passer, sur la base d'éléments de fait, pour tirer leurs ressources habituelles de gains d'origine délictueuse, et c) ceux qui, en raison de leur conduite, doivent passer, sur la base d'éléments de fait, pour commettre des infractions mettant en danger l'intégrité physique ou morale des mineurs, la société, la sûreté ou la paix publique.
104. L'article 3 de la loi n° 1423/56 prévoit la possibilité de placer un individu socialement dangereux sous la surveillance spéciale de la police. Cette mesure peut être assortie au besoin soit de l'interdiction de séjourner dans telle(s) commune(s) ou province(s) soit, si ces personnes présentent un danger particulier, d'une assignation à résidence dans une commune déterminée (obbligo di soggiorno).
105. Les mesures de prévention relèvent de la compétence exclusive du tribunal du chef-lieu de la province, qui statue en chambre du conseil et par une décision motivée après avoir entendu le ministère public et l'intéressé ; ce dernier peut présenter des mémoires et se faire assister par un avocat. Le parquet et l'intéressé peuvent interjeter appel dans les dix jours, sans effet suspensif. La décision de la cour d'appel peut, à son tour, faire l'objet d'un pourvoi en cassation.
106. Le tribunal qui adopte une mesure de prévention doit en préciser la durée – de un an à cinq ans au maximum – et fixer les règles à observer par la personne en question.
107. La loi n° 575 du 31 mai 1965, modifiée en 1982, a introduit la possibilité d'appliquer les mesures que sont la surveillance spéciale et l'assignation à résidence ou l'interdiction de séjour aux individus sur qui pèsent des indices (indiziati) d'appartenance à des groupes mafieux.
108. Aux termes de la loi n° 327 du 3 août 1988, la mesure d'assignation à résidence doit désormais être exécutée dans la commune où la personne concernée a son domicile ou sa résidence.
109. La loi n° 55 du 19 mars 1990 habilite le juge à suspendre la procédure relative à l'application de mesures de prévention lorsqu'un procès pénal est en cours, et jusqu'à l'issue de ce dernier.
F. Dispositions pertinentes en matière de radiation des listes électorales
110. L'article 2 du DPR n° 223 du 20 mars 1967 dispose que ne peuvent exercer le droit de vote notamment les personnes faisant l'objet d'une décision de l'autorité judiciaire ou de police imposant des mesures de prévention à leur encontre.
111. Aux termes de l'article 32 § 1 (3) du même DPR, le préfet de police (questore) compétent notifie les décisions entraînant la perte des droits civils à la commune de résidence. La commission électorale compétente procède à la radiation de la personne concernée des listes électorales, même en dehors de la période normale de révision desdites listes. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 1 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est un ressortissant portugais né en 1952 et résidant à Coimbra. Aujourd’hui avocat, il était, à l’époque des faits, fonctionnaire à l’Institut de criminologie de Coimbra et ensuite à l’Institut national de criminologie ; il y relevait de la catégorie d’assesseur principal.
Le 8 février 1989, le requérant introduisit devant la section du contentieux administratif de la Cour suprême administrative (Supremo Tribunal Administrativo) un recours contentieux en annulation de la décision du ministre de la Justice qui lui avait refusé l'octroi d'une prime de risque. Il alléguait que la décision en cause avait été prise en violation des règles de compétence pertinentes.
Par un arrêt du 27 novembre 1990, la Cour suprême administrative rejeta le recours, considérant que la décision attaquée n’était pas entachée du vice indiqué.
Le 12 décembre 1990, le requérant attaqua cette décision devant la cour plénière de la section du contentieux administratif (pleno da secção) de la Cour suprême administrative. Par un arrêt du 11 décembre 1996, la haute juridiction rejeta le recours. Le requérant présenta encore une demande en nullité de cet arrêt, qui fut rejetée par un arrêt du 20 mars 1997.
Le 10 janvier 1997, le requérant avait introduit un recours constitutionnel visant certaines dispositions du décret en vertu duquel le ministre de la Justice avait pris la décision litigieuse. Toutefois, par une décision du 20 mai 1997, le juge rapporteur à la cour plénière, considérant que les dispositions en question n’avaient pas été appliquées par les décisions juridictionnelles attaquées, déclara le recours irrecevable. Par un arrêt du 24 juin 1997, la cour plénière confirma la décision du rapporteur.
Le 9 juillet 1997, le requérant déposa une réclamation contre cet arrêt devant le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional), qui fut rejetée par un arrêt du 4 février 1998.
II. LE DROIT PERTINENT
A. Les fonctions de l’Institut national de criminologie
L’Institut national de criminologie était, aux termes du décret-loi n° 96/95 du 10 mai 1995, un organe public doté d’autonomie administrative et financière et placé sous la tutelle du ministère de la Justice. Il a succédé à l’Institut de criminologie de Coimbra.
15. Selon l’article 3 du décret-loi n° 96/95, il incombait à l’Institut les tâches suivantes :
– la réalisation de travaux de recherche scientifique ;
– l’élaboration d’études et avis ainsi que la réalisation d’expériences pilotes en matière de prévention et répression de la criminalité ;
– la collaboration avec d’autres services en matière d’élaboration de critères de notation statistique criminelle ainsi que la publication périodique d’analyses de données ;
– l’organisation de cours, séminaires, colloques et conférences à l’intention du personnel exerçant des fonctions dans les services s’occupant de la prévention et de la répression de la criminalité ;
– le soutien à la recherche scientifique effectuée par d’autres entités ;
– la promotion de débats et de réunions d’information à l’intention de l’opinion publique concernant les questions criminelles ;
– les échanges et la coopération avec d’autres institutions, nationales, étrangères et internationales, s’occupant des problèmes criminels ;
– l’édition de publications afin de divulguer le travail scientifique de l’Institut ;
– la réalisation d’expertises sur la personnalité prévues par les règles de procédure.
B. Jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et Communication de la Commission européenne publiée au J.OC.E. N° C 72 du 18 mars 1988
Le traité instituant la Communauté économique européenne du
25 mars 1957 (« le traité CEE ») prévoit, en son article 48 § 4, une dérogation au principe de la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté pour les « emplois dans l’administration publique ». La Cour de justice des Communautés européennes a développé une interprétation restrictive de cette dérogation. Dans son arrêt Commission c/Belgique du 17 décembre 1980 (n° 149/79, Recueil p. 3881), elle a décidé que la dérogation ne concernait que les emplois comportant une participation, directe ou indirecte, à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques et supposent ainsi, de la part de leurs titulaires, l’existence d’un rapport particulier de solidarité avec l’Etat ainsi que la réciprocité de droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité.
La Commission européenne, à laquelle le traité CEE a confié la tâche d’assurer l’application correcte des règles communautaires, a relevé qu’un nombre important d’emplois susceptibles de tomber sous le coup de la dérogation sont, en réalité, sans rapport avec l’exercice de la puissance publique et la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat.
18. Dans une communication du 18 mars 1988, elle a entrepris d’énumérer, d’un côté, les activités couvertes par la dérogation et, de l’autre, les activités qui ne le sont pas. Elle a ainsi établi deux catégories d’activités distinctes selon qu’elles sont considérées comme relevant ou non d’« une participation directe ou indirecte à l’exercice de la fonction publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ».
Il s’agit des catégories suivantes :
« Activités spécifiques de la fonction publique nationale exclues [du bénéfice de la libre circulation des travailleurs]
En se fondant sur l’état actuel de la jurisprudence de la Cour et en tenant compte des conditions actuelles de la construction du marché unique, la Commission estime que la dérogation établie par l’article 48, paragraphe 4, vise les fonctions spécifiques de l’Etat et des collectivités assimilables telles que les forces armées, la police et les autres forces de l’ordre ; la magistrature ; l’administration fiscale et la diplomatie. En outre, sont considérées aussi couvertes par cette exception, les emplois relevant des ministères de l’Etat, des gouvernements régionaux, des collectivités territoriales et autres organismes assimilés, des banques centrales dans la mesure où il s’agit du personnel (fonctionnaires et autres agents) qui exerce les activités ordonnées autour d’un pouvoir juridique public de l’Etat ou d’une autre personne morale de droit public telles que l’élaboration des actes juridiques, la mise en exécution de ces actes, le contrôle de leur application et la tutelle des organismes indépendants (...).
Activités concernées par l’action dans le secteur des services publics
La Commission estime que les tâches et responsabilités caractérisant les emplois relevant de certaines structures nationales apparaissent manifestement comme étant en général suffisamment éloignées des activités spécifiques de l’administration publique telles que définies par la Cour de justice, pour qu’elles ne puissent que très exceptionnellement relever de l’exemption prévue à l’article 48 paragraphe 4 du traité CEE.
Dès lors, la Commission entend porter en priorité son action systématique sur les secteurs suivants :
- les organismes chargés de gérer un service commercial (par exemple : transports publics, distribution d’électricité ou de gaz, compagnies de navigation aérienne ou maritime, postes et télécommunications, organismes de radio-télédiffusion),
- les services opérationnels de santé publique,
- l’enseignement dans les établissements publics,
- la recherche à des fins civiles dans les établissements publics.
En effet, pour chacune de ces activités on constate soit qu’elle existe également dans le secteur privé, auquel cas l’article 48 paragraphe 4 ne s’applique pas, soit qu’elle peut être exercée dans le secteur public en dehors des conditions de nationalité (...) ». | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 27 mai 1993, la requérante notifia à la municipalité de Rome une injonction de payement de sommes dues suite à l'exécution de travaux pour la construction d’une école.
Le 15 juin 1993, la municipalité fit opposition à cette injonction et assigna la requérante devant le tribunal de Rome.
La mise en état commença le 1er octobre 1993. Le 15 avril 1994, la municipalité versa des documents au dossier et le 13 janvier 1995 le juge fixa la date de l’audience de présentation des conclusions au 16 juin 1995. Le jour venu, l'audience fut reportée à la demande de la requérante. Le 7 décembre 1995, le juge ajourna l’affaire au 20 juin 1996 pour permettre à la requérante d’examiner des documents. A cette date, les parties demandèrent un renvoi. Le 16 janvier 1997, les parties présentèrent leurs conclusions et le juge fixa la date de l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente au 21 janvier 2000.
Selon les informations fournies par la requérante le 30 juillet 1999, l'affaire fut confiée, à une date non précisée, au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio).
Selon les renseignements fournis par la requérante le 8 octobre 1999, à cette date l'affaire n'avait pas encore été confiée à un juge. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Par dix actes de citation distincts, le 10 juin 1988 la requérante assigna l’I.A.C.P. (l’office des habitations à loyers modérés) de la province de Reggio de Calabre devant le tribunal de la même ville afin d’obtenir le paiement de sommes dues au titre de travaux de construction.
La mise en état de l’affaire commença le 13 octobre 1988, par la demande de la défenderesse de jonction des procédures. La requérante s’opposa à cette demande. Le 6 avril 1989, la requérante demanda un renvoi et le juge ajourna l’affaire au 8 juin 1989, date à laquelle le juge ordonna la jonction. L’audience prévue pour le 12 octobre 1989 fut reportée d’office au 26 avril 1990. Ce jour-là, alors que la partie défenderesse était absente, la requérante présenta ses conclusions. Le même jour, le juge fixa l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente au 26 mai 1992. Cette audience fut reportée d’office à six reprises jusqu’au 12 juin 1998.
Par une ordonnance du 18 juin 1998, le tribunal ordonna que les procédures furent scindées en deux groupes. Eu égard à cinq des affaires, par un jugement du 19 juin 1998, dont le texte fut déposé au greffe le 14 juillet 1998, le tribunal déclara le défaut de capacité de la défenderesse au lieu et place de l'autorité compétente, à savoir le ministre des Travaux publics, et condamna la requérante à payer les frais de justice. Quant aux cinq autres affaires, le tribunal rouvrit la mise en état, ordonna une expertise et fixa la date de l’audience suivante au 16 novembre 1998.
Selon les informations fournies par la requérante le 30 juillet 1999, par une ordonnance du 9 juin 1999, le président du tribunal attribua l'affaire au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio) et fixa l'audience suivante au 6 décembre 1999. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 2 juin 1982, le requérant assigna devant le tribunal de Bologne M. R., afin de déterminer la responsabilité des parties dans un accident de la circulation, ainsi que sa compagnie d’assurances, afin d’obtenir réparation des dommages subis lors dudit accident.
La mise en état de l'affaire commença le 30 septembre 1982. Après deux audiences consacrées à la discussion de moyens des preuves, le 11 mai 1983 des témoins furent entendus. Des quatre audiences fixées entre le 4 octobre 1983 et le 25 octobre 1984, une concerna un rapport d’expertise, une le dépôt de documents, une l’audition de témoins et une fut renvoyée à la demandes des parties. Le 10 janvier 1985, les parties présentèrent leurs conclusions et l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente eut lieu le 10 juin 1986.
Par un jugement du 1er juillet 1986, dont le texte fut déposé au greffe le 15 octobre 1986, le tribunal rejeta la demande du requérant car ce dernier aurait dû demander réparation des dommages subis à M. R. et non pas à son assureur.
Le 4 février 1987, le requérant interjeta appel devant la cour d’appel de Bologne, sans reprendre la question du montant des dommages. L’instruction commença le 3 avril 1987. Le 15 mai 1987, l’audience fut consacrée au dépôt de documents. L’audience du 29 janvier 1988 fut reportée d’office au 5 février 1988. A cette date, les parties présentèrent leurs conclusions et l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente fut fixée au 23 juin 1989.
Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 28 octobre 1989, la cour d’appel fit en partie droit à l’appel du requérant en constatant les torts partagés.
Le 26 octobre 1990, le requérant se pourvu en cassation. Le défendeur forma un pourvoi incidant en cassation. L’audience eut lieu le 23 juin 1992. A cette date, les deux pourvois furent joints. Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 19 février 1993, la Cour rejeta les pourvois. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Les 9 et 23 mai 1991, le requérant assigna respectivement M. M. et la compagnie d’assurances F. devant le juge d’instance de Rome afin d’obtenir réparation des dommages subis lors d’un accident de la circulation.
La mise en état de l’affaire commença le 21 octobre 1991, date à laquelle se constitua la compagnie d’assurances F. et le requérant demanda de pouvoir renouveler la notification de l’acte de citation de M. M., car il avait changé de résidence, ce qui fut fait le 6 mai 1992.
Le 8 juin 1992, M. M. se constitua dans la procédure et le juge admit l’audition de témoins. Le 6 avril 1993, les parties demandèrent un renvoi. Le 29 janvier 1994 eu lieu l’audition d’un témoin. Le 19 juillet 1994, les parties demandèrent un renvoi afin de procéder à l’audition d’un autre témoin qui ne s’était pas présenté et le juge ajourna l’affaire au 21 février 1995 pour la présentation des conclusions. Le jour venu, le juge fixa la date de l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente au 7 avril 1997.
Par un jugement du 11 avril 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 6 mai 1997, le juge d’instance fit droit à la demande du requérant. Selon les informations fournies par le requérant, ledit jugement fut notifié le 26 mai 1997 et acquit l'autorité de la chose jugée le 26 juin 1997. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 3 novembre 1978, l’hôpital O. fit opposition devant le tribunal de Caltagirone à une injonction de paiement obtenue par le requérant le 29 septembre 1978 et notifiée à l’hôpital le 16 octobre 1978.
La mise en état de l’affaire commença le 11 janvier 1979. Après deux audiences consacrées au dépôt de documents, le 29 mars 1979 les parties présentèrent leurs conclusions. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente se tint le 5 juillet 1979. Par une ordonnance du 26 juillet 1979, le tribunal rouvrit l’instruction, nomma un expert et fixa l’audience suivante au 4 octobre 1979. Cette dernière fut toutefois renvoyée d’office au 6 décembre 1979, date à laquelle l’expert prêta serment. L’audience du 22 mai 1980 fut reportée au 4 décembre 1980 à la demande du requérant. Des quatre audiences fixées entre cette date et le 18 février 1982, trois concernèrent l’expertise et une fut ajournée d’office. Le 1er juillet 1982, les parties présentèrent leurs conclusions. L’audience de plaidoiries, fixée au 15 décembre 1983, fut ajournée d’office à trois reprises jusqu’au 13 juin 1985. A cette date, la procédure fut interrompue car l’hôpital s’était vu entre-temps retirer sa capacité juridique.
Le 24 juin 1985, le requérant reprit la procédure, à l’encontre de l’unité sanitaire locale, qui avait succédé à l’hôpital. Par une ordonnance du 4 juillet 1985, le président du tribunal fixa l’audience de plaidoiries au 16 janvier 1986. Le jour venu, l’audience de plaidoiries fut renvoyée d’office au 30 janvier 1986. A cette date, le tribunal rouvrit l’instruction pour déterminer quelle unité sanitaire était concernée par l’affaire, et fixa une audience au 5 juin 1986. Le 20 novembre 1986, les parties présentèrent leurs conclusions. L’audience de plaidoiries, fixée au 24 septembre 1987, fut renvoyée d’office au 14 avril 1988. Le tribunal rouvrit une troisième fois la procédure afin de permettre la mise en cause de la mairie de Vizzini (Catane) à l’audience du 20 octobre 1988.
Cette audience fut ajournée au 9 mars 1989 en raison de l’absence des parties. Le 11 avril 1991, un des avocats du requérant informa le tribunal que l’ordonnance du 14 avril 1988 ne lui avait pas été communiquée. Le président du tribunal constata que l’avocat n’avait pas encore reçu le mandat de la part du requérant et fixa une audience au 10 octobre 1991. Le jour venu, l’audience fut ajournée d’office au 21 janvier 1993. Après une audience, le 15 juillet 1993 les parties présentèrent leurs conclusions et l’audience de plaidoiries eut lieu le 10 novembre 1994. Par un jugement du 1er février 1995, dont le texte fut déposé au greffe le 14 février 1995, le tribunal rejeta la demande du requérant.
Le 6 juillet 1995, le requérant interjeta appel devant la cour d’appel de Catane. La première audience, fixée au 30 octobre 1995, fut ajournée au 8 novembre 1995. Les parties présentèrent leurs conclusions le 14 février 1996 et l’audience de plaidoiries eut lieu le 21 mars 1997. Par un arrêt du 9 avril 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 18 juin 1997, la cour fit en partie droit à la demande du requérant et condamna la municipalité de Vizzini à lui payer la somme de 9 371 423 lires italiennes majorée des intérêts à compter du 27 octobre 1977. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 8 juillet 1993, le requérant assigna la société anonyme S. et la banque C. devant le tribunal de Rome afin d’obtenir réparation des dommages subis pour l'inexécution d’un contrat relatif à la remise d’une carte de crédit.
La mise en état de l’affaire commença le 14 octobre 1993. Le 29 septembre 1994, le requérant versa des documents au dossier. Le 12 janvier 1995, le juge ajourna l’affaire au 5 avril 1995 pour la présentation des conclusions. Ce jour-là, l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente fut fixée au 31 mai 1996. Cette audience fut reportée d’office d’abord au 17 octobre 1997 en raison de la mutation du juge de la mise en état, puis au 19 février 1999 en raison de la surcharge du rôle et après au 29 septembre 1999. Selon les informations fournies par le requérant aucun jugement n’avait encore été déposé au 6 septembre 2000. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 17 juin 1992, le requérant déposa un recours à l’encontre de son ancien employeur, la société P., devant le juge d’instance de Taranto, faisant fonction de juge du travail afin d’obtenir le paiement de ses salaires impayés.
Le 9 septembre 1992, le juge d’instance fixa la première audience à une date non précisée. Le 10 mars 1993, la partie adverse présenta une demande reconventionnelle. Le 12 mars 1993, la première audience fut fixée au 24 juin 1993. Ladite audience, ainsi que celle du 7 octobre 1993 furent ajournées à la demande des parties, afin de tenter de parvenir à un règlement amiable. Le 13 janvier 1994, le juge d’instance renvoya l’audience au 24 mars 1994, pour permettre à la partie défenderesse de déposer certains documents. L’audience prévue pour le 16 juin 1994 fut renvoyée d’office au 25 octobre 1994. Le jour venu, le requérant sollicita une expertise. Le juge se réserva de décider et fixa une audience au 14 décembre 1994. Cette audience fut ajournée au 30 mars 1995 à la demande des parties, afin de parvenir à un règlement amiable. Cette audience fut reportée d’office au 28 décembre 1995. A cette date, le juge ajourna l’affaire au 18 avril 1996 à la demande du requérant.
Le 31 octobre 1996, les parties présentèrent leurs conclusions et la mise en délibéré se tint le 9 janvier 1997. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 23 octobre 1997, le juge d’instance fit droit à la demande du requérant et rejeta la demande reconventionnelle présentée par la partie adverse. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
En juillet 1972, le requérant fut recruté en tant qu'agent contractuel par le service de l'expansion économique du ministère de l'Economie et des Finances. Par contrat en date du 29 septembre 1977, il fut affecté à Athènes afin d'y exercer les fonctions d'expert technique.
Par avenant du 30 août 1984 au contrat du 29 septembre 1977, il fut affecté à New York à compter du 25 juin 1984 pour exercer les fonctions de chef de section autonome au sein du service de l'expansion économique. Placé sous l'autorité du conseiller commercial chef du poste de New York, lui-même soumis au conseiller commercial chef du poste à l'ambassade de Washington, dont dépendait aussi l'attaché agricole, il fut chargé du secteur des vins, bières et spiritueux, en relation avec les exportateurs et importateurs et, notamment, la SOPEXA (Société pour l'expansion des ventes des produits alimentaires et agricoles).
Conformément au décret no 69-697 du 18 juin 1969 portant fixation du statut des agents contractuels de l'Etat en service à l'étranger, le requérant exerçait ses fonctions en vertu de contrats d'une durée de trente mois, renouvelables par tacite reconduction mais pouvant être résiliés par l'administration avec un préavis de trois mois, notamment en cas d'insuffisance professionnelle.
Par une lettre du 10 décembre 1985, qui lui fut notifiée le 27 décembre 1985, le ministre de l'Economie et des Finances informa le requérant qu'il envisageait de ne pas renouveler son contrat, lorsqu'il arriverait à échéance le 13 avril 1986, pour insuffisance professionnelle. Par une lettre du 9 janvier 1986, notifiée au requérant le 21 janvier 1986, le ministre lui fit parvenir la décision définitive de non-renouvellement du contrat, motivée, notamment, par le reproche d'un manquement caractérisé d'initiative à l'égard des importateurs.
Par des courriers datés des 28 février, 3 mars et 13 juin 1986, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris de trois recours en excès de pouvoir. Le premier tendait à l'annulation de la première lettre envoyée par le ministre, en date du 10 décembre 1985, qui avait le caractère d'un acte préparatoire à une décision définitive. Le deuxième demandait l'annulation de la décision définitive de licenciement contenue dans la lettre du 9 janvier 1986. Le troisième visait à contester la légalité de l'acte de nomination d'une autre personne au poste antérieurement occupé par le requérant.
Par un jugement du 6 janvier 1989, le tribunal administratif de Paris rejeta les trois recours, après les avoir joints.
Le 24 octobre 1989, le requérant se pourvut devant le Conseil d'Etat. Il déposa un mémoire complémentaire le 23 février 1990. Par un arrêt du 10 mai 1995, notifié le 26 octobre 1995, le Conseil d'Etat rejeta le recours formé par le requérant en considérant notamment que le ministre en cause avait pu légalement licencier le requérant pour insuffisance professionnelle.
II. LE DROIT PERTINENT
A. Le statut des attachés et conseillers commerciaux et agricoles du service de l'expansion économique du ministère de l'Economie et des Finances.
Aux termes de l'article 1er du décret no 50-446 du 19 avril 1950 portant règlement d'administration publique relatif au statut particulier du personnel de l'expansion économique, « les fonctionnaires des services d'expansion économique à l'étranger constituent un corps relevant du ministre chargé des affaires économiques. Ils exercent leurs fonctions soit auprès d'une mission diplomatique, soit auprès d'un poste consulaire (...) ».
L'article 3 du décret dispose qu'ils sont les délégués du ministre chargé des affaires économiques pour toutes les questions se rapportant au commerce extérieur de la France. Ils sont notamment chargés d'étudier l'ensemble des problèmes qui intéressent l'économie de la France, de renseigner les différentes administrations françaises et de contribuer à la préparation, à la négociation et à l'exécution des traités ou accords commerciaux. Ils doivent également participer aux diverses enquêtes ou missions et à toutes les manifestations d'ordre économique organisées ou dirigées par les différents ministères ou groupements officiels, défendre les intérêts économiques généraux et seconder directement à ce titre l'activité, sur les marchés extérieurs, des commerçants, industriels et agriculteurs français.
Le corps de l'expansion économique à l'étranger comprend 128 agents. Les attachés commerciaux de deuxième classe sont recrutés à la sortie de l'ENA (Ecole nationale d'administration), les conseillers commerciaux des différentes classes pouvant en outre être choisis parmi les fonctionnaires de l'Etat. Tous les conseillers et attachés commerciaux sont affectés à l'étranger par arrêté du ministre chargé des affaires économiques, pris après accord du ministre des Affaires étrangères.
Par une loi no 50-340 du 27 mars 1950, ont en outre été créés cinq postes d'attachés agricoles, qui exercent leurs fonctions sous la direction du chef de poste de l'expansion économique. Leurs attributions sont décrites à l'article 3 du décret no 56-1242 du 3 décembre 1956 : ils étudient, du point de vue technique, les problèmes posés par l'expansion agricole française, notamment en recherchant les possibilités d'importation de produits agricoles français offertes par le marché local, et exercent un rôle d'expert à l'occasion de la préparation de négociations et de l'application d'accords commerciaux internationaux, en assistant le chef de poste dans ses rapports avec les administrations publiques chargées des questions relatives au commerce extérieur.
B. Le statut des agents contractuels de l'Etat en service à l'étranger
Le statut des agents contractuels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif, de nationalité française, en service à l'étranger est fixé par le décret no 69-697 du 18 juin 1969. Les dispositions de ce décret ne sont pas applicables aux personnels d'assistance ou de coopération technique mis à la disposition d'Etats étrangers. Les différents types d'emplois sont décidés par arrêtés selon les ministères concernés ; ils sont confiés soit à des agents non titulaires, soit à des agents titulaires.
Les dispositions pertinentes de ce décret prévoient :
Article 6
« Les agents visés à l'article 1er, souscrivent un contrat de service. Le contrat, qui se réfère obligatoirement aux dispositions du présent décret, précise la durée et la date d'effet du contrat, la catégorie indiciaire dans laquelle l'agent est classé, l'indice hiérarchique qui lui est attribué, les fonctions qui lui sont confiées et le groupe d'indemnité de résidence correspondant, le pays dans lequel il est affecté, et le cas échéant le groupe de majorations familiales. »
Article 8
« La durée minimale du contrat est de trois ans lorsque l'agent est recruté dans le pays où il est affecté. La durée minimale du contrat est de trente mois majorée de la durée du congé administratif lorsque l'agent est recruté en France ou lorsqu'il est recruté dans un pays étranger différent de celui où il est affecté.
(...)
Le contrat n'est définitif qu'à l'expiration du stage probatoire ou de formation que l'intéressé peut être appelé à effectuer dès la conclusion du contrat dans le pays où il se trouve au moment de son recrutement. Au cours et à l'expiration de cette période de stage l'engagement peut être résilié de part et d'autre sans condition ni préavis. »
Article 10
« Le contrat prend fin : 1) A la date prévue pour son expiration. Il est toutefois considéré comme étant renouvelé par tacite reconduction pour une période de temps égale à sa durée initiale s'il n'est pas dénoncé soit par l'administration, soit par l'intéressé au minimum trois mois avant la date de cette expiration. Le refus de renouveler le contrat ou de signer un nouveau contrat est considéré comme une démission. Le même refus émanant de l'administration est considéré comme un licenciement, sauf en cas de signature d'un nouveau contrat dans les six mois qui suivent l'expiration du précédent. 2) A tout moment, s'il est dénoncé par l'administration moyennant un préavis de trois mois en cas de licenciement par suite de suppression d'emploi ou d'insuffisance professionnelle ; en cas de licenciement par mesure disciplinaire. »
C. Jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et Communication de la Commission européenne publiée au JOCE no C 72 du 18 mars 1988
Le traité instituant la Communauté économique européenne du 25 mars 1957 (« le traité CEE ») prévoit, en son article 48 § 4, une dérogation au principe de la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté pour les « emplois dans l'administration publique ». La Cour de justice des Communautés européennes a développé une interprétation restrictive de cette dérogation. Dans son arrêt Commission c. Belgique du 17 décembre 1980 (no 149/79, Recueil p. 3881), elle a décidé que la dérogation ne concernait que les emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques, et qui supposent ainsi, de la part de leurs titulaires, l'existence d'un rapport particulier de solidarité avec l'Etat ainsi que la réciprocité de droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité.
La Commission européenne, à laquelle le traité CEE a confié la tâche d'assurer l'application correcte des règles communautaires, a relevé qu'un nombre important d'emplois susceptibles de tomber sous le coup de la dérogation sont, en réalité, sans rapport avec l'exercice de la puissance publique et la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat.
Dans une communication du 18 mars 1988, elle a entrepris d'énumérer, d'un côté, les activités couvertes par la dérogation et, d'un autre, les activités qui ne le sont pas. Elle a ainsi établi deux catégories d'activités distinctes selon qu'elles sont considérées comme relevant ou non d'« une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la fonction publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ».
Il s'agit des catégories suivantes :
« Activités spécifiques de la fonction publique nationale exclues [du bénéfice de la libre circulation des travailleurs]
En se fondant sur l'état actuel de la jurisprudence de la Cour et en tenant compte des conditions actuelles de la construction du marché unique, la Commission estime que la dérogation établie par l'article 48, paragraphe 4, vise les fonctions spécifiques de l'Etat et des collectivités assimilables telles que les forces armées, la police et les autres forces de l'ordre ; la magistrature ; l'administration fiscale et la diplomatie. En outre, sont considérés aussi couverts par cette exception, les emplois relevant des ministères de l'Etat, des gouvernements régionaux, des collectivités territoriales et autres organismes assimilés, des banques centrales dans la mesure où il s'agit du personnel (fonctionnaires et autres agents) qui exerce les activités ordonnées autour d'un pouvoir juridique public de l'Etat ou d'une autre personne morale de droit public telles que l'élaboration des actes juridiques, la mise en exécution de ces actes, le contrôle de leur application et la tutelle des organismes indépendants (...)
Activités concernées par l'action dans le secteur des services publics
La Commission estime que les tâches et responsabilités caractérisant les emplois relevant de certaines structures nationales apparaissent manifestement comme étant en général suffisamment éloignées des activités spécifiques de l'administration publique telles que définies par la Cour de justice, pour qu'elles ne puissent que très exceptionnellement relever de l'exemption prévue à l'article 48 paragraphe 4 du traité CEE.
Dès lors, la Commission entend porter en priorité son action systématique sur les secteurs suivants :
– les organismes chargés de gérer un service commercial (par exemple : transports publics, distribution d'électricité ou de gaz, compagnies de navigation aérienne ou maritime, postes et télécommunications, organismes de radio-télédiffusion),
– les services opérationnels de santé publique,
– l'enseignement dans les établissements publics,
– la recherche à des fins civiles dans les établissements publics.
En effet, pour chacune de ces activités on constate soit qu'elle existe également dans le secteur privé, auquel cas l'article 48 paragraphe 4 ne s'applique pas, soit qu'elle peut être exercée dans le secteur public en dehors des conditions de nationalité (...) » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 18 février 1985, le requérant fut engagé par la société anonyme EURELEC, en qualité d’animateur de formation, pour assurer un certain nombre de vacations. En été 1991, la société anonyme a cessé de fournir du travail au requérant, au motif que son contrat, qu’elle qualifiait de contrat à durée déterminée, avait expiré.
Première procédure
Estimant être lié à son employeur par un contrat à durée indéterminée, le requérant saisit le conseil de prud’hommes d’Avignon, le 17 août 1990, en sollicitant la requalification de son contrat de travail, ainsi que le versement des diverses sommes.
Le 10 septembre 1991, le conseil de prud’hommes fit droit aux demandes du requérant. Le 25 janvier 1994, la cour d’appel de Nîmes confirma ce jugement. La société anonyme se pourvut alors en cassation contre cet arrêt. Le 12 février 1997, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la société anonyme.
Seconde procédure faisant l’objet de la présente requête
Le 17 octobre 1991, le requérant saisit le conseil de prud’hommes d’Avignon pour rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse, en réclamant des dommages et intérêts.
Le 3 décembre 1991, eut lieu une audience de conciliation. L’affaire fut renvoyée au 4 février 1992, date à laquelle elle fut renvoyée au bureau de jugement. L’audience fut fixée au 23 février 1993.
Par courrier du 17 février 1993, le conseil de la société EURELEC adressait au greffe du conseil des prud’hommes une demande de renvoi libellée en ces termes :
« Maître T., conseil [du requérant] (...) me confirme que lors de votre audience du 23 février, il sollicitera le renvoi de ce dossier à une date ultérieure, car actuellement la cour d’appel de Nîmes est saisie d’une première procédure opposant la société EURELEC que je représente [au requérant] et il convient d’attendre la décision de la cour avant de pouvoir plaider ce deuxième dossier. »
Des demandes de renvoi identiques étaient adressées par les parties jusqu’à ce que le conseil de prud’hommes ait rendu sa décision de sursis à statuer, le 15 novembre 1994.
Par jugement du 16 décembre 1997, le conseil de prud’hommes d’Avignon dit que le licenciement du requérant était irrégulier en la forme et dépourvu de cause réelle et sérieuse, fixa la créance de celui-ci à diverses sommes, ordonna la rectification de son contrat de travail, et le débouta du surplus de ces demandes. Ce jugement fut notifié au requérant le 9 juin 1998. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
En 1987, le requérant, né en 1926, fut reconnu coupable d’homicide involontaire par la Central Criminal Court de Londres. Son casier judiciaire porte la mention suivante : « Homicide involontaire – alors qu’il s’enivrait au lit avec une femme, il l’agresse sexuellement – s’ensuit une lutte au cours de laquelle elle trouve la mort ». Le corps nu de la victime, une voisine de l’intéressé, fut retrouvé devant la porte de l’appartement de celle-ci, enroulé dans un dessus-de-lit. M. Caballero fut condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans, puis libéré en août 1988.
Le 2 janvier 1996, la police arrêta le requérant, le soupçonnant de tentative de viol sur la personne de sa voisine de palier. Il affirma qu’il avait eu des rapports sexuels avec cette femme alors qu’elle était consentante, tandis qu’elle soutint que l’incident avait eu lieu alors qu’elle s’était évanouie après avoir consommé de l’alcool. L’intéressé fut traduit devant la Magistrates’ Court le 4 janvier 1996. Il donna pour instruction à son solicitor de présenter en son nom une demande de libération sous caution, ce qui ne put se faire compte tenu de l’article 25 de la loi de 1994 sur la justice pénale et l’ordre public. Selon le compte rendu de l’audience du 4 janvier 1996, la libération sous caution a été refusée à cause de cette disposition. La Magistrates’ Court décida de placer le requérant en détention provisoire les 4 et 11 janvier 1996, la seconde comparution ayant été rendue nécessaire par la possibilité (abandonnée par la suite) que le ministère public modifie les chefs d’inculpation retenus contre le requérant.
M. Caballero fut condamné en octobre 1996 pour tentative de viol et coups et blessures. Le 17 janvier 1997, il fut condamné à quatre ans d’emprisonnement sur le chef de coups et blessures et à l’emprisonnement à perpétuité sur le chef de tentative de viol. Le tribunal déduisit la durée de sa détention provisoire de la peine infligée en vertu de l’article 67 de la loi de 1967 sur la justice pénale. Le 11 juillet 1997, la Cour d’appel débouta l’intéressé de son recours contre sa peine.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
L’article 4 de la loi de 1976 sur la liberté sous caution dans sa version amendée (« la loi de 1976 ») dispose qu’une personne accusée d’une infraction pénale doit être libérée sous caution sauf dans les cas indiqués à l’annexe 1 à ladite loi. Aux termes du paragraphe 2 de l’annexe 1, il n’y a pas lieu de libérer un accusé sous caution lorsque le tribunal est convaincu qu’il existe des motifs sérieux de croire que si tel était le cas, l’intéressé ne comparaîtrait pas devant le tribunal, commettrait une infraction pendant sa liberté, ferait pression sur les témoins ou entraverait de quelque autre manière le cours de la justice, que ce soit à l’égard de lui-même ou d’autrui.
Pour prendre sa décision, le tribunal doit, conformément au paragraphe 9 de l’annexe 1 à la loi de 1976, tenir notamment compte de telle ou telle des considérations suivantes ainsi que de toute autre considération qui lui paraît pertinente :
– nature et gravité de l’infraction ou du manquement (et méthode probable à suivre à l’égard de l’accusé) ;
– personnalité, antécédents, environnement social et fréquentations de l’accusé ;
– antécédents de l’accusé s’agissant du respect de ses obligations dans le cadre d’une liberté provisoire antérieurement accordée dans une procédure pénale ; et
– sauf dans le cas où il y a sursis à l’examen de l’affaire aux fins d’enquête ou de rapport, force des preuves quant à l’infraction ou au manquement.
Conformément au paragraphe 9A de ladite annexe, le tribunal doit motiver sa décision d’accorder la liberté sous caution et faire inscrire ses motifs au procès-verbal de l’audience pour les personnes (accusées d’assassinat, d’homicide involontaire, de viol, de tentative d’assassinat ou de tentative de viol) au sujet desquelles ont été avancés des arguments relatifs aux points mentionnés au paragraphe 2 de l’annexe 1 à la loi de 1976.
L’article 25 de la loi de 1994 sur la justice pénale et l’ordre public (« la loi de 1994 »), entrée en vigueur le 10 avril 1995, disposait :
« 1. Une personne qui, au cours d’une procédure, a été accusée ou reconnue coupable d’une des infractions relevant du présent article dans les circonstances qui y sont décrites, ne pourra se voir libérée sous caution dans le cadre de cette procédure.
Relèvent du présent article, sous réserve des dispositions du paragraphe 3 ci-dessous, les infractions suivantes (...)
a) assassinat,
b) tentative d’assassinat,
c) homicide involontaire,
d) viol, et
e) tentative de viol.
Le présent article s’applique à toute personne accusée ou reconnue coupable d’une des infractions précitées seulement lorsqu’elle a été précédemment condamnée par ou devant un tribunal du Royaume-Uni pour une telle infraction ou pour meurtre et, en cas de condamnation antérieure pour homicide involontaire ou meurtre, si elle a ensuite été condamnée à une peine d’emprisonnement ou, pour un enfant ou mineur, à une détention de longue durée en vertu de l’une quelconque des dispositions en vigueur.
(...) »
L’article 25 de la loi de 1994 a été amendé par l’article 56 de la loi de 1998 sur les infractions pénales et les troubles de l’ordre public, entrée en vigueur le 30 septembre 1998. Cet article est ainsi libellé :
« Au paragraphe 1 de l’article 25 de la loi de 1994 (pas de libération sous caution pour les personnes accusées ou reconnues coupables d’homicide ou de viol avec récidive), les termes « ne pourra se voir libérée sous caution dans le cadre de cette procédure » sont remplacés par « pourra se voir libérée sous caution dans le cadre de cette procédure seulement si le tribunal ou, le cas échéant, le policier examinant la demande de libération sous caution, est convaincu que des circonstances exceptionnelles l’exigent ». »
procÉdure devant la commissioN
M. Caballero a saisi la Commission le 28 juin 1996. Il alléguait que le refus automatique de le libérer sous caution avant son procès a emporté violation de l’article 5 §§ 3 et 5 de la Convention pris séparément et combiné avec l’article 13. Il se plaignait en outre d’une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 5 § 3.
La Commission a retenu la requête (n° 32819/96) le 1er décembre 1997. Dans son rapport du 30 juin 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 §§ 3 et 5 et qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 5 § 3 (dix-neuf voix contre douze) et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR
Dans son mémoire, le Gouvernement admet qu’il y a eu violation de l’article 5 §§ 3 et 5 de la Convention. Il affirme également que, pour les raisons exposées dans le rapport de la Commission, il n’y a selon lui pas eu violation de l’article 13 de la Convention et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 14.
Le requérant maintient les griefs qu’il tire de l’article 5 §§ 3 et 5 de la Convention et de l’article 14 combiné avec l’article 5 § 3, mais non sa plainte relative à l’article 13. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
Le 7 septembre 1990, la requérante assigna sept personnes faisant partie de sa famille devant le tribunal de S. Maria Capua Vetere afin d’obtenir la saisie des biens meubles et immeubles ayant appartenu au père de la requérante et le partage des biens entre les héritiers.
L’instruction commença le 25 octobre 1990. Le frère aîné de la requérante se constitua dans la procédure le 22 novembre 1990. Lors de l’audience du 11 janvier 1991, le juge de la mise en état déclara les six autres personnes défaillantes et nomma un expert. Ce dernier prêta serment le 18 avril 1991 et l’affaire fut remise au 26 septembre 1991. Le frère de la requérante obtint du juge la suspension de l’expertise car il souhaitait parvenir à un partage à l’amiable des biens. Toutefois lors de l’audience du 19 décembre 1991, aucun accord n’ayant pu être trouvé, le juge ordonna à l’expert de reprendre l’expertise. Les six audiences qui se déroulèrent du 16 avril 1992 au 14 octobre 1993 concernèrent ce rapport d’expertise, des remises pour examen du rapport ou de ses compléments ou l’absence de l’expert convoqué pour fournir des explications.
Après une audience, par une ordonnance du 24 février 1994, le juge de la mise en état constata qu’un des six défendeurs défaillants était décédé avant le début de la procédure et qu’il fallait assigner son héritière. Le 28 avril 1994, le juge se réserva de décider jusqu’au 1er septembre 1994, date à laquelle il déclara l’héritière citée défaillante, adopta le projet de partage proposé par l’expert et ajourna l’affaire au 23 décembre 1994 pour permettre aux parties de discuter ce projet de partage. Cette audience et celles des 10 février et 1er décembre 1995 eurent trait à des explications de l’expert et aux demandes de saisie des biens formulées par la requérante qui furent rejetées par le juge. Selon les informations fournies par le Gouvernement, l’audience prévue au 8 juin 1995 fut reportée en raison d’une grève des avocats.
La présentation des conclusions eut lieu le 21 mars 1996. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente se tint le 17 octobre 1996. Par une ordonnance du 7 novembre 1996, le tribunal nota que la question de l’opportunité d’une saisie relevait en l’espèce de la compétence du juge et ordonna que l’expertise fût refaite et fixa la reprise de l’instruction au 27 mars 1997. A cette audience et à celle du 26 juin 1997, le juge rejeta les nouvelles demandes tendant à obtenir la saisie des biens et, par une ordonnance hors audience du 29 juillet 1997, il fit droit à la demande de la requérante de confier les opérations de partage à un notaire. Le 23 avril 1998, le notaire remit les actes au juge de la mise en état et constata qu’il ne pouvait procéder à la division en raison de l’absence de certaines parties. Le juge convoqua les parties pour l’audience du 25 juin 1998. En l’absence des parties, l’affaire fut ajournée au 27 novembre 1998, date à laquelle le juge raya l’affaire du rôle, les parties étant absentes pour la seconde fois consécutive.
Le 14 avril 1999, la requérante changea d’avocat et recommença complètement une procédure de division devant la même juridiction. La mise en état commença le 15 juillet 1999. Les quatre audiences fixées entre le 17 septembre 1999 et le 31 mars 2000, concernèrent l’expertise. Une audience fut fixée au 22 septembre 2000. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 20 janvier 1983, le requérant introduisit devant le tribunal administratif régional de Calabre un recours visant à obtenir annulation d'une décision du ministère de la Défense de ne pas reconnaître au requérant le droit à une indemnité suite à une infirmité contractée dans l'exercice de ses fonctions.
Le même jour, le requérant demanda la fixation de la date de l'audience. Le 4 mars 1986, le requérant demanda la fixation urgente de la date de l'audience. Une audience eut lieu le 7 décembre 1990. Par un jugement interlocutoire du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 4 avril 1991, le tribunal ordonna à l'administration de fournir certaines informations. Une audience eut lieu le 17 avril 1992. L'administration fournit, le 28 décembre 1992, les renseignements demandés par le tribunal. Une audience eut lieu le 2 juillet 1993. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 30 novembre 1993, le tribunal fit droit à la demande du requérant.
Le 14 février 1994, l'administration interjeta appel devant le Conseil d'Etat et demanda aussi la suspension de l'exécution du jugement. Une audience eut lieu le 29 avril 1994. Par une ordonnance du même jour, le Conseil d'Etat rejeta la demande de suspension. Une audience eut lieu le 21 novembre 1995. Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 22 avril 1996, le Conseil d’Etat réforma le jugement du tribunal. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants étaient tous des salariés de la « F. - C.M.E. S.A. », une société anonyme ayant son siège à Aveiro (Portugal). Cette société subit, dès 1985, une série de difficultés économiques qui entraînèrent même la cessation du paiement des salaires de son personnel.
A. La procédure de redressement judiciaire
Le 13 octobre 1986, la « F. - C.M.E. S.A. » déposa devant le tribunal d’Aveiro une requête tendant à faire l’objet d’un redressement judiciaire. Le 17 octobre 1986, le juge ordonna la citation des créanciers de la
« F. - C.M.E. S.A. », y compris des requérants, afin qu’ils puissent intervenir dans la procédure.
Après une réunion entre les quinze plus grands créanciers, qui eut lieu le 26 mars 1987, le juge, par une ordonnance du 30 mars 1987, désigna l’administrateur judiciaire. Il décida également de fixer un délai de trente jours à ce dernier pour la présentation de son rapport sur la situation de la société. Le juge fixa enfin l’assemblée des créanciers (assembleia de credores) au 29 octobre 1987, laquelle n’eut toutefois pas lieu à cette date.
Le 18 décembre 1987, l’administrateur judiciaire déposa son rapport sur la situation de la « F. - C.M.E. S.A. ». S’agissant du passif, il reconnut, entre autres, les créances des 122 requérants, qui concernaient des salaires non payés.
L’assemblée des créanciers put avoir lieu le 5 février 1988. Les créances des requérants ayant obtenu l’approbation des autres créanciers, le juge déclara établie l’assemblée définitive des créanciers.
Le 1er mars 1988, un accord visant le redressement de la
« F. - C.M.E. S.A. » fut conclu. Cet accord fut homologué par un jugement du 11 avril 1988.
La « F. - C.M.E. S.A. » ayant rencontré des difficultés dans l’exécution de cet accord, plusieurs créanciers, dont quatre parmi les requérants (MM. Rafael P. Neves Ferreira Silva, José Ferreira da Rocha, António José Brites et António Pedro Nunes Carvalho), demandèrent au tribunal, le 15 juin 1990, la dénonciation de l’accord du 1er mars 1988. Ils alléguèrent que la société ne respectait pas les obligations qui lui avaient été imposées à ce titre. Par ailleurs, le 21 juin 1990, la requérante Maria Isabel Vizinho Freitas Brites demanda au tribunal de prononcer la faillite de la
« F. - C.M.E. S.A. » en se fondant sur les mêmes motifs. Par une décision du 28 juin 1990, le juge rejeta ces demandes.
B. La procédure de faillite
Le 30 janvier 1992, l’une des banques créancières demanda au tribunal de prononcer la faillite de la « F. - C.M.E. S.A. ». D’autres créanciers, dont certains des requérants, déposèrent ultérieurement des demandes similaires. Le 23 novembre 1993, le juge rejeta ces demandes. Sur appel de l’un des créanciers, la cour d’appel (Tribunal da Relação) de Coimbra annula cette décision et déclara, par un arrêt du 4 octobre 1994, la faillite de la « F. - C.M.E. S.A. ». Cette dernière se pourvut en cassation devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça), mais, par une décision du 20 février 1995, son pourvoi fut déclaré sans effet (deserto), faute pour elle d’avoir présenté un mémoire. Le 8 mai 1995, le dossier fut renvoyé au tribunal d’Aveiro.
Par une ordonnance du 25 mai 1995, le juge décida la saisie des biens de la « F. - C.M.E. S.A. ». Il ordonna par ailleurs la citation des créanciers souhaitant déclarer des créances (reclamação de créditos). Cette ordonnance fut rendue publique le 3 juillet 1995 et les biens en cause furent saisis le lendemain.
118 des 122 requérants présentèrent des déclarations de créances.
Par une ordonnance du 8 mars 1996, le juge invita l’administrateur judiciaire à présenter son rapport sur les déclarations de créances dans les dix jours, conformément à la loi. Après avoir demandé plusieurs prorogations de délai, qui lui furent accordées par le juge, l’administrateur judiciaire déposa son rapport le 6 novembre 1997.
Ayant constaté qu’ils ne figuraient pas sur la liste de créanciers établie par l’administrateur judiciaire, les quatre requérants (M. Joaquim António Teles Machado, M.Virgilio Ferreira Souto Ratola, Mme Maria Luísa Leal Bessa Frazão et M. Hilário Nunes da Silva) qui n’avaient pas encore fait de déclarations demandèrent à l'administrateur judiciaire, en janvier 1998, de prendre en considération leurs créances. L’administrateur judiciaire les ajouta ultérieurement à la liste de créanciers.
Le 24 mars 2000, le juge rendit une décision fixant le rang de plusieurs créanciers (sentença de graduação de créditos).
Le 3 mai 2000, le juge déclara recevables des appels interjetés par trois des créanciers contre cette décision devant la cour d’appel de Coimbra.
Une partie des biens de la « F. - C.M.E. S.A. » n’a pas encore été mise en vente, la procédure étant toujours pendante devant le tribunal d’Aveiro.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le décret-loi n° 177/86 du 2 juillet 1986 était applicable à la procédure de redressement judiciaire en cause. Il disposait, dans son article 14, qu’il appartenait à l’assemblée des créanciers d’approuver les créances déclarées. Conformément aux articles 16 à 18 du même décret-loi, le juge devait homologuer la décision de l’assemblée des créanciers.
Dans la procédure de faillite, les créances devaient être déclarées, au moment des faits, conformément à l’article 1218 du code de procédure civile. Dans son paragraphe 2, cet article disposait que le créancier devait demander le recouvrement de sa créance dans le cadre de la procédure de faillite, même au cas où une telle créance serait déjà reconnue par une autre décision définitive. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
La requérante est une société anonyme ayant son siège à Bayonne (France).
Le 26 mai 1987, la requérante introduisit devant le tribunal de Mangualde une action en bornage (acção especial de demarcação) visant à faire établir les limites de deux terrains contigus.
Par une ordonnance du 3 juin 1987, le juge invita la société requérante à produire un pouvoir en faveur de l’avocat qui avait signé la requête introductive d’instance, ce qu’elle fit le 9 juin 1987.
Le 11 juin 1987, le juge ordonna la citation à comparaître des défendeurs. Ceux-ci déposèrent leurs conclusions en réponse le 22 juillet 1987, formulant par la même occasion une demande reconventionnelle.
Le 20 septembre 1987, la requérante déposa sa réplique. Le 19 octobre 1987, les défendeurs déposèrent leur duplique.
Le 2 février 1988, la requérante demanda au juge de revoir à la hausse la valeur du litige. Le 16 mars 1988, le juge ordonna de notifier cette demande aux défendeurs. Par une ordonnance du 20 octobre 1988, le juge rejeta la demande.
Le 17 février 1989, les défendeurs produisirent un document qu’ils avaient mentionné dans leurs conclusions.
Le 19 juin 1989, l’avocat des défendeurs renonça au mandat que ces derniers lui avaient donné.
Le 26 mars 1990, la requérante demanda la poursuite de la procédure.
Le 17 décembre 1990, la requérante déposa un mémoire supplémentaire, se fondant sur des faits entre-temps survenus. Par une décision du 19 juin 1991, le juge ordonna de porter ce mémoire à la connaissance des défendeurs.
Par une ordonnance du 23 décembre 1993, le juge décida de procéder à une inspection des lieux, qu’il fixa au 7 avril 1994. Toutefois, le jour dit l’inspection n’eut pas lieu en raison de l’absence de l’avocat des défendeurs. Elle eut finalement lieu le 12 mai 1994.
Le 4 février 1998, le juge décida de tenir une tentative de conciliation entre les parties, laquelle eut lieu, sans succès, le 5 mars 1998.
Le 17 février 1999, le juge rendit une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits déjà établis et ceux restant à établir.
La procédure est toujours pendante devant le tribunal de Mangualde. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le requérant, de nationalité française, né en 1958, demeure à Primelles (Cher).
En 1993, le requérant versa à M. B. la somme de 42 000 FRF devant servir à la réfection de la toiture d’une maison dont il avait fait l’acquisition. Cet entrepreneur n’ayant pu mener les travaux à bien, il fit appel à M. S. afin qu’il prenne sa relève. Le requérant versa ensuite 61 000 FRF à ce dernier pour la réfection des combles, travaux qui ne furent jamais effectués.
En conséquence, le 21 mars 1994, le requérant déposa une plainte devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Bourges contre M. S.
Le 25 mai 1994, le juge d’instruction demanda au requérant de préciser s’il entendait se constituer partie civile et, dans l’affirmative, de qualifier les faits.
Par une ordonnance du 8 juin 1994, le juge d’instruction fixa le montant de la consignation à 3 000 FRF, à verser avant le 8 septembre 1994. Il ressort du texte de cette ordonnance que la plainte enregistrée était une plainte avec constitution de partie civile contre MM. S. et B., pour abus de confiance.
Le 21 octobre 1994, l’aide juridictionnelle partielle fut accordée au requérant.
Le 14 novembre 1994, le magistrat instructeur déclara la constitution de partie civile du requérant irrecevable au motif que celui-ci n’avait pas versé la consignation demandée.
Il semble que, le 6 janvier 1995, entendu par un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, le requérant réitéra sa plainte et que celle-ci fut enregistrée le 13 janvier 1995. Par une ordonnance du 27 janvier 1995, il fut dispensé de consignation.
Le requérant fut entendu par le juge d’instruction le 12 avril 1995 et, au courant du même mois, MM. S. et B. furent mis en examen.
Le juge d’instruction entendit M. S. en première comparution le 16 janvier 1996, et M. B. le 26 avril 1996.
Une confrontation eut lieu le 21 mars 1997 et, le même jour, le juge d’instruction rendit un avis de fin d’information. L’ordonnance de soit communiqué fut prise le 10 avril 1997 et le réquisitoire définitif le 23 juillet 1997.
Par une ordonnance du 1er septembre 1997, le juge d’instruction ordonna le renvoi des deux entrepreneurs devant le tribunal correctionnel de Bourges.
9. Par un jugement du 23 décembre 1997, le tribunal correctionnel déclara M. S. coupable d’abus de confiance et le condamna à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans ainsi que l’obligation de réparer les dommages causés par l'infraction (article 13245 du code pénal) ; le tribunal le condamna également à verser au requérant 61 000 FRF ainsi que 50 000 FRF de dommages et intérêts. M. B. fut quant à lui condamné par défaut du même chef à quatre mois d’emprisonnement ferme et au paiement au requérant de 42 000 FRF et 50 000 FRF de dommages et intérêts.
Le 31 décembre 1997, M. S. interjeta appel de ce jugement. Par un arrêt du 11 juin 1998, la cour d’appel de Bourges requalifia les faits en délit d’escroquerie et confirma le jugement déféré tant sur la culpabilité que sur la peine et les intérêts civils.
Le 30 mai 1998, M. B. avait formé opposition du jugement du 23 décembre 1997 devant le tribunal correctionnel de Bourges lequel, le 11 septembre 1998, confirma son jugement précédent sur l’action civile du requérant ; sur l’action publique, il accorda le sursis avec mise à l’épreuve à M. B. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le 15 mars 1984, en exécution de la loi no 833/78 qui instituait le Service sanitaire national et demandait aux régions, entre autres, d'adopter des mesures appropriées pour la prévention, le dépistage et le soin des handicaps, la Région de Campanie adopta la loi régionale no 11 (« la loi régionale »). L'article 26 de la loi régionale autorisait les services locaux de santé publique (Unità Sanitarie Locali, « les USL ») à octroyer, pour les trois premières années suivant l'entrée en vigueur de la loi, une allocation aux familles qui s'occupaient directement à domicile d'handicapés membres de leurs foyers.
Le 5 décembre 1989, le Comité de gestion (Comitato di gestione) de l'USL no 5 de Bénévent, en application de l'article 26 de la loi régionale, décida que 134 personnes, parmi lesquelles le fils du requérant, répondaient aux critères permettant le versement de l'allocation aux familles concernées. La décision se limita à distribuer aux ayants droit, en fonction de la date à laquelle ils avaient été reconnus invalides à 100 %, la somme de 35 328 240 lires italiennes (ITL) pour l'année 1985 ; le requérant reçut 84 720 ITL correspondant aux mois de novembre et décembre 1985.
Par une mise en demeure notifiée le 12 juin 1993, le requérant invita l'USL no 5 de Bénévent à lui octroyer l'allocation. Il faisait valoir que l'inscription de son fils sur la liste des personnes réunissant les conditions exigées par la loi régionale pour pouvoir bénéficier de ladite allocation n'avait pas été suivie du versement prévu par l'article 26 de la loi.
L'USL n'ayant donné aucune suite à cette demande, le requérant l'assigna le 2 août 1993 devant le tribunal administratif régional (« TAR ») de Campanie. Invoquant l'article 26 de la loi régionale, il visait à obtenir la reconnaissance de l'illégalité du silence opposé par l'administration de la sécurité sociale, et valant refus, ainsi que de son droit à l'octroi de l'allocation en question pour les années 1985, 1986 et 1987.
Le 13 août 1993, le requérant présenta une demande de fixation d'audience. Le 27 juillet 1995, il déposa une demande de fixation urgente de la date d'audience. Il observa notamment que la structure juridique des USL serait modifiée le 31 décembre 1995 et que la loi italienne ne prévoyait aucune continuité patrimoniale entre les anciennes et les nouvelles structures. Il sollicitait par conséquent l'examen de sa cause, car après la fin de l'année 1995, il ne pourrait plus obtenir l'allocation réclamée.
Dans un mémoire déposé à une date non précisée, l'USL no 5 fit valoir, entre autres, qu'elle n'avait pas qualité pour être citée comme défenderesse (legittimazione passiva) au motif que seule la région était tenue de prévoir les moyens financiers nécessaires au paiement de l'allocation. Selon elle, le requérant, qui avait perçu l'allocation pour l'année 1985 en fonction de la disponibilité budgétaire, aurait dû attaquer la décision du 5 décembre 1989, faute de quoi celle-ci était devenue définitive et le montant versé ne pouvait plus être remis en cause.
L'audience eut lieu le 14 janvier 1997. Par un jugement des 14 janvier et 4 février 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 3 mars 1997, le TAR observa tout d'abord que le requérant n'était pas tenu d'attaquer la décision litigieuse car celle-ci ne renfermait pas un refus partiel d'octroyer l'allocation. Le comportement de l'USL permettait au contraire deux autres interprétations : par exemple, la liquidation d'un acompte sous réserve d'une évaluation postérieure et définitive de la somme à verser ; ou la reconnaissance d'une somme plus importante avec un premier versement devant être suivi par d'autres. Sur le fond, le TAR releva qu'après vérification de l'existence des conditions prévues par la loi pour l'octroi de l'allocation, celle-ci doit être reconnue dans la mesure fixée par l'article 26. L'administration n'aurait donc aucun pouvoir discrétionnaire et devrait se limiter à effectuer un simple calcul. Le requérant avait dûment démontré sa qualité de père d'un invalide civil à 100 % habitant avec sa famille, le nom de son fils figurait d'ailleurs au no 95 de la décision du 5 décembre 1989 ; de ce fait, l'USL aurait dû se prononcer sur sa demande. Toutefois, comme la Cour de cassation l'a indiqué en matière de règlement de juridiction et de compétence (arrêt no 8297 du 11 octobre 1994), le requérant ne pouvait pas se prétendre titulaire d'un « droit subjectif » (diritto soggettivo perfetto), mais d'un simple « intérêt légitime » (interesse legittimo), c'est-à-dire une position individuelle protégée de façon indirecte et subordonnée au respect de l'intérêt public. Et ce jusqu'à l'adoption par l'administration d'un acte octroyant l'indemnité et indiquant le montant total de celle-ci. Partant, le tribunal rejeta le recours du requérant dans la mesure où il portait sur la reconnaissance du droit à l'octroi de l'allocation en question.
Le 20 juin et le 5 juillet 1997 respectivement, l'USL no 5 et l'administration régionale de Campanie interjetèrent appel devant le Conseil d'Etat. Par une ordonnance du 30 août 1997, celui-ci prononça la suspension de l'exécution du jugement de première instance.
Le 14 novembre 1997, le directeur général de l'ASL (Azienda Sanitaria Locale), structure qui avait succédé à l'USL, approuva le texte de la transaction intervenue le 7 novembre entre l'administration et le requérant parmi d'autres personnes. Relevant que dans un très grand nombre d'affaires analogues les juridictions saisies avaient reconnu presque constamment aux demandeurs l'allocation pour les années 1985-1987, notant que la transaction avait été signée après vérification de l'existence des conditions requises par la loi régionale et compte tenu de ce que ladite transaction mettait fin à un important contentieux à l'issue probablement défavorable pour l'administration, eu égard à la jurisprudence en la matière, ce qui se traduirait par des économies se chiffrant par milliards, le directeur général ordonnait le paiement de l'allocation. Par un arrêt du 25 novembre 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 27 décembre 1997, le Conseil d'Etat prit acte du règlement amiable auquel les parties étaient parvenues et raya l'affaire du rôle.
II. LE DROIT et la pratique INTERNEs PERTINENTs
L'indemnité aux familles des invalides civils est réglementée par l'article 26 de la loi régionale no 11 du 15 mars 1984, dont les parties pertinentes sont rédigées comme suit :
« Pour une période de trois ans à partir de l'entrée en vigueur de la présente loi, les services locaux de santé publique sont autorisés à octroyer une allocation aux familles qui se chargent directement d'assister les personnes ayant des handicaps psychophysiques, étant incapables d'assumer leurs besoins primordiaux et nécessitant une assistance intense et continuelle.
L'allocation en question est octroyée aux fins des objectifs suivants :
a) le retour dans leur famille des personnes handicapées hospitalisées à plein temps ;
b) le développement de la garde familiale pour les mineurs handicapés (...) ;
c) la socialisation de la personne handicapée et l'amélioration de ses rapports avec son entourage ;
d) l'amélioration des conditions de vie de la famille de la personne handicapée ;
e) la création d'un milieu favorable à la vie de la personne handicapée ;
(...)
Le montant de l'allocation aux familles est de 25 % de la charge quotidienne que représente l'assistance aux personnes hospitalisées à plein temps. »
La Cour de cassation s'est prononcée à plusieurs reprises sur l'allocation en question, dans le cadre de pourvois portant sur des conflits de juridiction et de compétence.
Ainsi, dans son arrêt no 5386 du 12 mai 1993, elle a affirmé que, si la compétence du juge ordinaire a été reconnue par une décision devenue définitive, les différends relatifs à l'article 26 de la loi en question entrent dans la catégorie des litiges en matière d'assistance obligatoire, confiés au juge d'instance faisant fonction de juge du travail.
Dans son arrêt no 8297 du 11 octobre 1994, elle reconnaît la compétence des juridictions administratives pour le contentieux portant sur l'octroi de l'allocation litigieuse. Selon la Cour suprême, le bénéficiaire de l'allocation ne peut se prétendre titulaire d'un droit subjectif, mais d'un simple intérêt légitime, c'est-à-dire une position individuelle protégée de façon indirecte et subordonnée au respect de l'intérêt public. Et ce, jusqu'à l'adoption par l'administration d'un acte octroyant l'indemnité et indiquant le montant total de celle-ci.
Les personnes à l'origine de ces deux procédures en cassation se trouvaient dans des situations semblables à celle de M. Mennitto, mais avaient saisi les juridictions ordinaires.
Le TAR de Campanie a, quant à lui, maintes fois reconnu le bien-fondé des prétentions d'autres parents de personnes handicapées.
Dans son jugement no 251, déposé au greffe le 16 mai 1995, la juridiction :
« reconnaît le droit pour la demanderesse de percevoir l'allocation prévue à l'article 26 de la loi [régionale] (...) ;
ordonne à l'administration défenderesse de procéder à la liquidation de la somme en question (...) »
Dans cette décision, ainsi que dans d'autres (par exemple, les jugements no 310 du 4 juillet 1995, nos 323 et 324 des 6 février et 11 juin 1996), le TAR fonde sa conclusion sur les motifs suivants :
« [L'article 26 de la loi régionale] subordonne l'adoption de la décision d'octroyer l'allocation, entre autres, au contrôle de l'existence des qualités nécessaires pour obtenir le bénéfice en question. A l'issue de ce contrôle, la détermination du quantum aurait dû se limiter à un simple calcul arithmétique (...)
A la lumière de ces principes (...), l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont excipe l'USL n'est pas pertinent car autrement on remplacerait, par voie administrative, une évaluation déjà effectuée par le législateur (...) »
Après avoir constaté que G.C., membre de la famille de la demanderesse, était handicapé à 100 % et avait donc besoin d'une assistance continuelle, raison pour laquelle, à la suite de contrôles effectués par l'administration défenderesse, son nom avait été inscrit sur la liste des ayants droit, le TAR reconnaît l'existence de l'obligation de verser l'allocation.
Statuant sur la détermination du montant de l'allocation, le Conseil d'Etat a affirmé que la région ne saurait se dispenser de l'obligation de prévoir pour chaque USL une somme destinée aux familles s'occupant directement de personnes handicapées et dont le montant permette d'assurer à chacune de ces familles l'allocation dans la mesure établie par la loi (arrêt no 766 du 3 octobre 1994).
Dans son arrêt no 172 du 17 février 1999, la juridiction a précisé que le montant de l'allocation pour les familles qui s'occupent directement d'handicapés, dans la mesure où il est fixé par la loi, n'est susceptible d'aucune réduction de la part de l'administration, laquelle ne jouit en la matière d'aucun pouvoir discrétionnaire quant au quantum, et que cette conclusion n'est pas en contradiction avec la nature de l'intérêt légitime dont est titulaire la famille de la personne handicapée. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. La condamnation du requérant en 1948
Le requérant, né en 1921, était juriste de son état. Il est à présent retraité et réside à Bârlad.
En 1946, après l'instauration du régime communiste en Roumanie, le requérant alors étudiant se vit refuser par le préfet du département de Vaslui la publication de deux brochures, « Ame d'étudiant » (Suflet de student) et « Protestations » (Proteste), au motif qu'elles avaient un caractère antigouvernemental.
Mécontent de ce refus, le requérant adressa au préfet deux lettres dans lesquelles il protestait contre la suppression de la liberté d'expression par le nouveau régime populaire. A la suite de ces lettres, le requérant fut arrêté le 7 juillet 1948. Le 20 septembre 1948, le tribunal populaire de Vaslui le condamna pour outrage à une peine d'emprisonnement d'un an.
B. La procédure engagée en vertu du décret-loi no 118/1990
En 1989, après le renversement du régime communiste, le nouveau pouvoir fit voter le décret-loi no 118/1990, qui accordait certains droits aux personnes ayant été persécutées par le régime communiste qui n'avaient pas eu d'activité fasciste (paragraphe 30 ci-dessous).
Sur la base de ce décret, le 30 juillet 1990, le requérant assigna devant le tribunal de première instance de Bârlad les ministères de l'Intérieur et de la Défense, ainsi que la direction départementale du travail de Vaslui, demandant que sa détention ordonnée par le jugement de 1948 soit prise en compte dans le calcul de ses années d'ancienneté au travail. Il demanda également le paiement des droits de retraite correspondants.
Le tribunal rendit son jugement le 11 janvier 1993. S'appuyant, entre autres, sur les déclarations de P.P. et G.D., témoins cités par le requérant, sur le jugement de condamnation de 1948 et sur des attestations de l'université de Iaşi, le tribunal releva qu'entre 1946 et 1949, le requérant avait été persécuté pour des raisons politiques. Par conséquent, il fit droit à la demande de l'intéressé et lui accorda les indemnités prévues par le décret-loi n 118/1990.
13. Au cours de cette procédure, pour sa défense, le ministère de l'Intérieur présenta au tribunal une lettre du 19 décembre 1990 que lui avait adressée le service roumain de renseignements (Serviciul Român de Informaţii – « le SRI »). Cette lettre était rédigée dans les termes suivants :
« En réponse à votre lettre du 11 décembre 1990, voici les résultats de nos vérifications au sujet de Rotaru Aurel, domicilié à Bârlad :
– pendant ses études à la faculté des sciences de Iaşi, la personne susmentionnée a été membre d'un mouvement de type « légionnaire » [legionar][], l'Association des étudiants chrétiens ;
– en 1946, il présenta au bureau de la censure de la ville de Vaslui une demande de publication de deux brochures, intitulées Ame d'étudiant et Protestations, mais sa demande fut rejetée en raison du caractère antigouvernemental des écrits ;
– il appartint à la section jeunesse du Parti national paysan, ainsi qu'il ressort d'une déclaration qu'il a faite en 1948 ;
– il n'a pas de casier judiciaire et n'a pas été détenu, comme il le prétend, pendant la période qu'il mentionne ;
– pendant 1946-1948, en raison de ses idées, il a été convoqué à plusieurs reprises par les services de la sûreté et interrogé sur son attitude (...) »
C. La procédure en responsabilité civile délictuelle à l'encontre du SRI
Le requérant assigna le SRI en justice, affirmant qu'il n'avait jamais été membre du mouvement légionnaire roumain, qu'il n'avait pas non plus été étudiant à la faculté des sciences, mais à la faculté de droit de Iaşi, et que certains autres renseignements fournis par le SRI dans sa lettre du 19 décembre 1990 étaient faux et diffamatoires. En application des dispositions du code civil sur la responsabilité délictuelle, il sollicita une indemnisation par le SRI pour le préjudice moral qu'il avait subi. Sans invoquer de disposition légale particulière, il demanda également que le SRI fût contraint de modifier ou détruire le fichier contenant les informations sur son prétendu passé légionnaire.
15. Par un jugement du 6 janvier 1993, le tribunal de première instance de Bucarest rejeta la demande du requérant au motif que les dispositions légales concernant la responsabilité délictuelle ne permettaient pas de l'accueillir.
Le requérant forma un recours.
Le 18 janvier 1994, le tribunal départemental de Bucarest constata que l'information concernant le passé légionnaire du requérant était fausse. Il débouta toutefois l'intéressé au motif qu'il n'y avait pas lieu d'établir une faute à la charge du SRI, car ce dernier était seulement le dépositaire des données contestées, et qu'en l'absence de faute les règles de la responsabilité délictuelle n'étaient pas applicables. En effet, le tribunal releva que l'information avait été recueillie par les services de la sûreté de l'Etat, qui, au moment de leur dissolution en 1949, l'avait transmise à la Securitate (le Département de la sécurité de l'Etat), qui, à son tour, l'avait communiquée au SRI en 1990.
Le 15 décembre 1994, la cour d'appel de Bucarest rejeta l'appel du requérant contre la décision du 18 janvier 1994 dans les termes suivants :
« (...) la cour constate que l'appel du requérant est mal fondé. Se fondant sur sa compétence légale de dépositaire des archives des anciens services de la sûreté de l'Etat, le SRI a communiqué au ministère de l'Intérieur, dans sa lettre n 705567/1990, des renseignements concernant l'activité du requérant pendant ses études universitaires, tels qu'ils ont été exposés par les services de la sûreté de l'Etat. Il ressort donc que les instances judiciaires n'ont pas la compétence de détruire ou de modifier le renseignement contenu dans la lettre rédigée par le SRI, qui est seulement le dépositaire des archives des anciens services de la sûreté de l'Etat. En rejetant sa demande, les instances judiciaires n'ont violé ni l'article 21 de la Constitution ni l'article 3 du code civil, mais ont classé l'action selon les règles de compétence prévues par le code de procédure civile. »
D. La procédure en responsabilité civile délictuelle à l'encontre des juges
Le 13 juin 1995, le requérant introduisit une action en responsabilité civile à l'encontre de tous les juges ayant rejeté sa demande de modification ou de destruction du fichier. Il invoqua les dispositions de l'article 3 du code civil, relatif au déni de justice, et de l'article 6 de la Convention. Le requérant affirme que tant le tribunal départemental que la cour d'appel de Vaslui refusèrent d'enregistrer sa demande.
A ce sujet, le requérant introduisit le 5 août 1998 une nouvelle requête devant la Commission, enregistrée sous le numéro de dossier 46597/98 et actuellement pendante devant la Cour.
E. L'action en révision
En juin 1997, le ministre de la Justice informa le directeur du SRI que la Commission avait déclaré recevable la présente requête du requérant. Le ministre demanda par conséquent au directeur du SRI de vérifier une nouvelle fois si le requérant avait appartenu au mouvement légionnaire, et, si ce renseignement se révélait faux, d'aviser l'intéressé de ce fait, afin qu'il puisse l'utiliser ensuite dans une éventuelle action en révision.
Le 6 juillet 1997, le directeur du SRI informa le ministre de la Justice que le renseignement concernant le passé légionnaire du requérant, contenu dans la lettre du 19 décembre 1990, avait été trouvé en consultant les archives, où l'on avait découvert un tableau dressé par le bureau de la sûreté de Iaşi mentionnant, à l'entrée 165, un certain Aurel Rotaru, « étudiant en sciences, membre de l'Association des étudiants chrétiens, légionnaire, militant de base ». Le directeur du SRI indiqua que le tableau portait la date du 15 février 1937 et poursuivit : « (...) puisqu'à cette date M. Rotaru n'avait que seize ans, il ne pouvait pas être étudiant à la faculté des sciences. [Dès lors] nous pensons être en présence d'une regrettable erreur qui nous a laissé penser que M. Rotaru Aurel de Bârlad était la même personne que celle qui figure dans ledit tableau, comme membre d'une organisation de type légionnaire. D'ailleurs, les vérifications détaillées effectuées par notre institution dans les départements de Iaşi et Vaslui n'ont pas fourni d'autres renseignements confirmant l'identité des deux noms. »
Copie de cette lettre fut envoyée au requérant, qui, le 25 juillet 1997, demanda, devant la cour d'appel de Bucarest, la révision de l'arrêt rendu le 15 décembre 1994. Dans sa demande en révision, il sollicita l'annulation des écrits diffamatoires, un leu au titre du dommage moral et le remboursement, au taux actualisé, de l'ensemble des frais et dépens encourus depuis le début de la procédure.
Pour sa part, le SRI demanda le rejet de la demande en révision, estimant que, eu égard à la lettre du directeur du SRI du 6 juillet 1997, la demande n'avait plus d'objet.
Par une décision définitive du 25 novembre 1997, la cour d'appel de Bucarest cassa la décision du 15 décembre 1994, et fit droit à l'action du requérant dans les termes suivants :
« Il ressort de la lettre no 4173 du 5 juillet 1997 émanant du service roumain de renseignements (...) que, dans les archives (cote 53172, vol. 796, p. 243), il existe un tableau énumérant les noms des membres des organisations légionnaires n'ayant pas leur domicile à Iaşi, dans lequel il est inscrit, à l'entrée 165 : « Rotaru Aurel – étudiant en sciences, membre de l'Association des étudiants chrétiens, légionnaire, militant de base. » Puisqu'à la date de la création de ce tableau, le 15 février 1937, le requérant était âgé d'à peine 16 ans, et qu'il n'a pas suivi les cours de la faculté des sciences de Iaşi, et puisqu'il ressort de vérifications ultérieures dans les documents énumérant les noms des membres des organisations légionnaires que la mention « Aurel Rotaru » ne semble pas être associée à un individu domicilié à Bârlad et présentant les données personnelles du requérant, le service roumain des renseignements considère qu'il se trouve devant une regrettable méprise, et que la personne mentionnée dans le tableau n'est pas le requérant.
Eu égard à cette dernière lettre, le tribunal constate que ce document remplit les conditions requises par l'article 322-5 du code de procédure civile puisqu'il est de nature à changer totalement la situation de fait retenue précédemment. Cet écrit contient des mentions qui n'ont pas pu être présentées aux stades antérieurs de la procédure pour une raison indépendante de la volonté du requérant.
Dès lors, la date à laquelle ont été créées la Securitate et l'organisation des anciens services de la sûreté ne constitue pas un élément pertinent. De même, le fait, d'ailleurs exact, que le service roumain de renseignements n'est que le dépositaire des archives des anciens services de la sûreté est hors de propos. Ce qui compte, c'est le fait que la lettre no 705567 du 19 décembre 1990 du service roumain de renseignements (unité militaire no 05007) contient des mentions qui ne concernent pas le requérant, de sorte que les données contenues dans cette lettre sont fausses en ce qui le concerne et, si elles étaient maintenues, porteraient gravement atteinte à sa dignité et à son honneur.
A la lumière de ce qui précède, et conformément au texte de loi susmentionné, la demande de révision soumise par le requérant est fondée et doit être accueillie. Il s'ensuit que les décisions rendues antérieurement concernant cette affaire sont annulées et qu'il est fait droit à l'action du requérant telle qu'elle a été formulée. »
La cour ne se prononça ni sur l'octroi des dommages-intérêts ni sur les dépens.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La Constitution
Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent ainsi :
Article 20
« (1) Les dispositions constitutionnelles concernant les droits et libertés des citoyens seront interprétées et appliquées conformément à la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux pactes et autres traités auxquels la Roumanie est partie.
(2) En cas de contradiction entre les pactes et les traités concernant les droits fondamentaux de l'homme auxquels la Roumanie est partie et les lois internes, les instruments internationaux prévaudront. »
Article 21
« (1) Toute personne peut s'adresser à la justice pour la défense de ses droits, de ses libertés et de ses intérêts légitimes.
(2) Aucune loi ne peut restreindre l'exercice de ce droit. »
B. Le code civil
Les dispositions pertinentes du code civil sont ainsi libellées :
Article 3
« Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi pour déni de justice. »
Article 998
« Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Article 999
« Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
C. Le code de procédure civile
La disposition pertinente du code de procédure civile se lit ainsi :
Article 322-5
« La révision d'une décision passée en force de chose jugée (...) peut être demandée si des preuves écrites, qui ont été retenues par la partie adverse ou qui n'ont pas pu être présentées pour une raison indépendante de la volonté des parties, sont découvertes après le prononcé de la décision (...) »
D. Le décret no 31 de 1954 sur les personnes physiques et morales
Les dispositions pertinentes du décret no 31 de 1954 sur les personnes physiques et morales sont ainsi libellées :
Article 54
« 1) Celui qui a subi une atteinte à son droit (...) à l'honneur, à la réputation (...) ou à tout autre droit extrapatrimonial pourra demander à l'instance judiciaire de faire cesser l'acte qui porte atteinte aux droits mentionnés.
2) De même, celui qui a subi une telle atteinte pourra demander au tribunal de contraindre l'auteur de l'acte illégal à prendre toute mesure que le juge estimera nécessaire pour qu'il soit rétabli dans son droit. »
Article 55
« Si l'auteur des actes illégaux n'exécute pas dans le délai imparti par le tribunal ce à quoi il a été contraint afin de rétablir le droit violé, le tribunal peut le condamner au paiement d'une astreinte au profit de l'Etat (...) »
E. Le décret-loi no 118 du 30 mars 1990 sur l'octroi de certains droits aux personnes ayant été persécutées pour des motifs politiques par le régime dictatorial instauré le 6 mars 1945
A l'époque des faits, les dispositions pertinentes du décret-loi no 118/1990 prévoyaient :
Article premier
« Est comptée dans la détermination de l'ancienneté et est prise en considération en tant que telle pour le calcul de la pension de retraite et de tous les autres droits dérivant de l'ancienneté la période pendant laquelle une personne, après le 6 mars 1945, pour des raisons politiques :
a) a purgé une peine privative de liberté prononcée par une décision de justice définitive ou a été mise en détention provisoire pour des infractions politiques ;
(...) »
Article 5
« Une commission composée d'un président et de six membres au maximum, est créée dans chaque département (...) pour vérifier si les conditions prévues à l'article premier sont remplies.
Le président doit avoir des compétences juridiques. Font partie de cette commission deux représentants des directions du travail et de la protection sociale et quatre représentants au plus de l'association des anciens détenus politiques et victimes de la dictature.
(...) »
Article 6
« Les intéressés peuvent prouver qu'ils remplissent les conditions prévues à l'article premier au moyen de documents officiels délivrés par les autorités compétentes ou (...) de tout élément ayant valeur de preuve.
(...) »
Article 11
« Les dispositions du présent décret ne sont pas applicables aux personnes ayant été condamnées pour des crimes contre l'humanité ou à celles au sujet desquelles il a été établi, selon la procédure indiquée aux articles 5 et 6, qu'elles ont eu une activité fasciste au sein d'une organisation de type fasciste. »
F. La loi n 14 du 24 février 1992 sur l'organisation et le fonctionnement du service roumain de renseignements
Les dispositions pertinentes de la loi n 14 du 24 février 1992, publiée dans le Journal officiel le 3 mars 1992, sur l'organisation et le fonctionnement du service roumain de renseignements se lisent ainsi :
Article 2
« Le service roumain de renseignements organise et déploie toute activité visant à recueillir, vérifier et utiliser les renseignements nécessaires pour connaître, prévenir et contrecarrer les actions qui, au regard de la loi, menacent la sécurité nationale de la Roumanie. »
Article 8
« Le service roumain de renseignements est autorisé à détenir et à utiliser tout moyen adéquat pour obtenir, vérifier, classer et mémoriser des informations touchant à la sécurité nationale, dans les conditions prévues par la loi. »
Article 45
« Tous les documents internes du service roumain de renseignements sont couverts par le secret d'Etat, sont conservés dans ses propres archives et ne peuvent être consultés qu'avec l'approbation du directeur, dans les conditions prévues par la loi.
Les documents, données et renseignements du service roumain de renseignements ne peuvent tomber dans le domaine public que quarante ans après leur archivage.
L'ensemble des archives concernant la sécurité nationale des anciens organes de renseignements compétents sur le territoire de la Roumanie sont transmises au service roumain de renseignements, à toutes fins de conservation et d'utilisation.
Les archives de l'ancienne Securitate concernant la sécurité nationale ne peuvent tomber dans le domaine public que quarante ans après la date d'adoption de la présente loi. »
G. La loi no 187 du 20 octobre 1999 relative à l'accès des citoyens à leur dossier personnel tenu par la Securitate et visant à démasquer le caractère de police politique de cette organisation
Les dispositions pertinentes de la loi no 187 du 20 octobre 1999, entrée en vigueur le 9 décembre 1999, s'énoncent ainsi :
Article premier
« 1) Tout citoyen roumain, ou tout étranger ayant obtenu la nationalité roumaine après 1945, a le droit de prendre connaissance du dossier établi à son sujet par les organes de la Securitate (...). Ce droit s'exerce sur demande et permet l'examen direct du dossier et l'obtention de copies de tout document versé au dossier ou relatif à son contenu.
2) En outre, la personne qui fait l'objet d'un dossier dont il ressort qu'elle a été mise sous surveillance par la Securitate a le droit, sur demande, de connaître l'identité des agents de la Securitate et des collaborateurs qui ont versé des pièces au dossier.
3) Bénéficient des droits prévus aux paragraphes 1 et 2 l'époux survivant et les parents jusqu'au deuxième degré inclus de la personne décédée, sauf disposition contraire à la loi. »
Article 2
« 1) Pour assurer un droit d'accès aux informations d'intérêt général, tous les citoyens roumains (...), les médias, les partis politiques (...) ont le droit d'être informés (...) de la qualité d'agent ou de collaborateur de la Securitate des personnes qui occupent les fonctions suivantes ou qui y postulent :
a) la présidence de la Roumanie ;
b) les fonctions parlementaires ;
(...) »
Article 7
« Pour l'application des dispositions de la présente loi est créé le Conseil national pour l'étude des archives de la Securitate (...) (ci-après « le Conseil »), dont le siège est à Bucarest.
Le Conseil est un organisme autonome à personnalité juridique, soumis au contrôle du Parlement. (...) »
Article 8
« Le Conseil est composé d'un collège de onze membres.
Les membres du collège du Conseil sont nommés par le Parlement, sur proposition des groupes parlementaires, en fonction de la configuration politique des deux chambres (...) pour un mandat de six ans, renouvelable une seule fois. »
Article 13
« (1) Les bénéficiaires de la présente loi peuvent, conformément à l'article 1 § 1, solliciter du Conseil :
a) la consultation des dossiers (...) établis jusqu'au 22 décembre 1989 par la Securitate ;
b) la délivrance de copies de (...) ces dossiers (...) ;
c) la délivrance d'attestations d'appartenance ou de non-appartenance à la Securitate, ou de collaboration ou de non-collaboration avec celle-ci ;
(...) »
Article 14
« (1) Le contenu des attestations délivrées en application de l'article 13, alinéa 1, litt. c), peut être contesté auprès du collège du Conseil (...) »
Article 15
« (1) Le droit d'accès aux informations d'intérêt public s'exerce par le biais d'une demande adressée au Conseil. (...)
(...)
(4) En réponse aux demandes faites selon l'article 1, le Conseil vérifie les preuves à sa disposition, quelle que soit leur forme, et délivre aussitôt une attestation (...) »
Article 16
« 1) Le bénéficiaire ou la personne à l'encontre de laquelle une vérification a été demandée peut contester auprès du collège du Conseil l'attestation délivrée selon l'article 15. (...)
La décision du collège peut être attaquée (...) devant la cour d'appel (...)
(...) » | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 |
Le 23 novembre 1988, le requérant assigna la municipalité de Reggio de Calabre devant le tribunal de la même ville afin d’obtenir réparation des dommages causés à sa propriété à la suite de la rupture d’une canalisation d’eau.
La mise en état de l’affaire commença le 18 janvier 1989. Le 29 mars 1989, le juge de la mise en état nomma un expert, qui prêta serment le 14 juin 1989. Le 8 novembre 1989, l’audience fut reportée au 22 novembre 1989 car le rapport d’expertise n’avait pas été déposé au greffe. Le jour venu, l’audience fut renvoyée à la demande des parties afin de leur permettre d’examiner le rapport d’expertise. Le 10 janvier 1990, le juge de la mise en état renvoya l’affaire au 11 avril 1990 afin de permettre aux parties de présenter leurs conclusions.
L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente fut fixée au 23 octobre 1990. Cette audience fut renvoyée d’office à quatre reprises, jusqu’au 14 décembre 1993, pour cause de mutation des magistrats. Le 15 février 1994, le requérant sollicita la fixation de la date de l’audience de plaidoiries. Le 9 mars 1994, le président du tribunal fixa la date de cette audience au 4 mai 1994. Le jour venu, l’audience fut reportée d’office au 15 mars 1995. A cette date, l’audience fut par erreur inscrite au rôle des audiences d’instruction. Finalement, l’audience de plaidoiries se tint le 14 novembre 1995. Par un jugement du 27 décembre 1995, dont le texte fut déposé au greffe le 15 avril 1996, le tribunal fit en partie droit à la demande du requérant. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Les requérants et sept autres personnes ont fait l’objet d’une procédure pénale pour fraude et faux en écritures privées. En particulier, il leur fut reproché d’avoir mis en circulation un grand nombre de fausses actions. Le 1er juin 1991, les requérants furent placés en détention provisoire, au cours de laquelle ils déposèrent deux demandes de mise en liberté. Le 5 septembre 1991, ils furent libérés conditionnellement.
Le 23 novembre 1992, les requérants furent renvoyés devant la cour d’assises d’Athènes. A deux reprises, le second requérant demanda l’ajournement de l’affaire, son avocat devant participer à un autre procès. Au total, l’affaire fut ajournée huit fois à la demande des accusés.
Le 22 février 1996, la cour d’assises condamna les requérants à une peine d’emprisonnement de trois ans avec sursis. Le même jour, ils interjetèrent appel de ce jugement.
Le 1er avril 1998, la cour d’appel d’Athènes prononça l’acquittement des requérants. Cet arrêt est devenu définitif. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 9 octobre 1989, la requérante assigna M. C. devant le tribunal de L’Aquila, afin de déterminer les limites entre leurs propriétés, faire constater sa qualité de propriétaire d’une partie d’un terrain et obtenir la réparation des dommages subis.
La mise en état de l’affaire commença le 14 décembre 1989. A cette date, le juge de la mise en état nomma un expert, qui prêta serment le jour même. Le 12 avril 1990, l’audience fut reportée au 18 octobre 1990 afin de permettre aux parties d’examiner le rapport d’expertise, qui avait été déposé à cette audience. Le 21 février 1991, l’audience concerna le dépôt de documents. Le défendeur sollicita l’audition de témoins. Ce moyen de preuve fut admis à l’audience du 4 avril 1991. Les trois audiences qui suivirent entre le 11 juillet 1991 et le 30 avril 1992, concernèrent l’audition des témoins. Le 29 octobre 1992, le défendeur déposa des nouveaux documents. Le 18 février 1993, la requérante déposa des nouveau documents. Le 13 mai 1993, l’audience fut reportée au 4 octobre 1993, pour permettre aux parties de présenter leurs conclusions. Le jour venu, l’audience fut renvoyée car l’avocat de la requérante avait renoncé à son mandat.
L’audience de présentation des conclusions eut lieu le 8 novembre 1993 et celle de plaidoiries devant la chambre compétente tint le 18 octobre 1995. Par un jugement du 17 janvier 1996, dont le texte fut déposé au greffe le 18 avril 1996, le tribunal rejeta la demande de la requérante, constatant que la partie du terrain objet du litige avait été acquise par le défendeur par usucapion.
Le 4 novembre 1996, la requérante interjeta appel devant la cour d’appel de L’Aquila. L’instruction commença le 5 février 1997. Le 19 novembre 1997, l’audience fut remise d’office au 2 décembre 1997, date à laquelle eut lieu l’audience de présentation des conclusions. L’audience de plaidoiries fut fixée au 4 mai 1999. Le jour venu, le procès fut interrompu en raison du décès du conseil de la requérante.
Le 7 mai 1999, le défendeur déposa au greffe de la cour d’appel une demande visant à obtenir l’annulation de l’ordonnance d’interruption du procès. Par une ordonnance hors audience du 18 mai 1999, le juge de la mise en état fixa l’audience du 15 juin 1999. A cette date, le nouveau conseil de la requérante se constitua devant la cour et cette dernière réserva sa décision quant à l’annulation de l’ordonnance du 4 mai 1999. Par une ordonnance hors audience du 16 juin 1999, dont le texte fut déposé au greffe le 22 juin 1999, la cour annula ladite ordonnance et fixa une nouvelle audience de plaidoiries au 19 octobre 1999. Le jour venu l’audience fut renvoyée au 19 décembre 2000, car les parties étaient absentes. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont membres de trois familles, chacune d'entre elles étant propriétaire d’un château situé en France, à savoir : les châteaux de Thoreau (Eure-et-Loir) appartenant à mesdames de Moucheron, de Saint-Seine sur Vingeanne (Côte-d’Or) appartenant aux consorts Le Gouz de Saint- Seine et du Plessis-Bourre (Maine-et-Loire) appartenant aux consorts Reille- Soult de Dalmatie.
Dans la nuit du 7 au 8 mai 1981, le château de Saint-Seine sur Vingeanne fut cambriolé. Le butin fut alors estimé à 50 000 francs. Une plainte fut déposée le jour même et la plainte avec constitution de partie civile intervint le 3 juin 1985. Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1983, le château du Plessis-Bourre fut également cambriolé. Le butin fut évalué à 700 000 francs. Les requérants déposèrent plainte par l’intermédiaire de leur régisseur le 1er octobre 1983 et se constituèrent partie civile le 20 janvier 1986. Dans la nuit du 13 au 14 janvier 1984, le château de Thoreau fut cambriolé. Le préjudice fut estimé à un million de francs. Les propriétaires déposèrent plainte le 15 janvier 1984 et se constituèrent partie civile durant l’instruction le 30 avril 1992.
D’autres pillages de châteaux en France eurent lieu à la même époque et plusieurs informations judiciaires furent ouvertes dans plusieurs tribunaux. Elles furent par la suite, soit en 1985, regroupées entre les mains d’un seul juge d’instruction de Dijon, qui se trouvait lui-même saisi du cambriolage d’un château en Côte-d’Or.
En 1984 et 1985, huit personnes furent placées sous mandat de dépôt, puis mises en détention provisoire et interrogées par le juge d’instruction. En octobre 1984, l’un des principaux coaccusés se suicida en détention. L’action publique fut éteinte à son égard.
Entre juin 1985 et octobre 1987, le juge d’instruction prit vingt-six ordonnances relatives à la détention des inculpés ; la chambre d’accusation rendit pour sa part quatorze arrêts. Le 17 septembre 1985, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire à la police judiciaire de Dijon.
Le 23 décembre 1988, le juge d’instruction ordonna une expertise psychiatrique et une enquête de personnalité pour tous les inculpés. Les rapports furent déposés au cours de l’année 1989, le dernier le 30 mai 1989. Entre mai, juin et octobre 1989, le juge d’instruction commit les autorités compétentes afin qu’il soit procédé à l’établissement du curriculum vitae des inculpés. L’exécution de ces commissions rogatoires fut terminée en novembre 1989.
Le 4 octobre 1990 fut rendue une ordonnance de soit-communiqué.
Le 3 décembre 1990, le procureur prit un réquisitoire supplétif concernant un des inculpés et de nouvelles mesures d’instruction furent ordonnées et exécutées en avril 1991.
Le 24 juin 1991, après réquisitoire définitif de renvoi du ministère public en date du 7 juin 1991, le juge d’instruction ordonna le renvoi du dossier au procureur général près la cour d’appel de Dijon.
Par arrêt du 8 avril 1992, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon ordonna un supplément d’information. Par arrêt du 17 mars 1993, la chambre d’accusation ordonna le dépôt de la procédure au greffe de la cour d’appel.
Un coaccusé fut retrouvé mort en avril 1993 alors qu’il était placé sous contrôle judiciaire depuis 1987.
En janvier 1994, les inculpés et les parties civiles déposèrent tous des mémoires devant la chambre d’accusation qui tint par la suite une audience en date du 26 janvier 1994.
Par arrêt du 23 février 1994, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon ordonna un nouveau supplément d’information. Par arrêt du 25 mai 1994, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon ordonna le dépôt de la procédure au greffe de la cour d’appel. Le 14 novembre 1994, le procureur général déposa ses réquisitions écrites.
Au cours d’une audience tenue le 25 janvier 1995, la chambre d’accusation renvoya l’examen de l’affaire concernant l’accusé A.C. et mit l’affaire en délibéré pour les autres coaccusés.
Le 17 février 1995, les consorts de Moucheron interjetèrent appel de l’ordonnance du 24 juin 1991.
Le 21 février 1995, le procureur général déposa ses réquisitions écrites tendant à la jonction de la procédure concernant A.C. à celle concernant les autres coaccusés et à leur renvoi devant la cour d’assises.
A l’audience du 22 mars 1995, l’affaire fut à nouveau mise en délibéré sans précision de date.
Par arrêt du 21 juin 1995, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon rejeta l’appel du 17 février 1995 des consorts de Moucheron et renvoya A.B., J.C., R.D., A.C., P.M., J.-C.A. et W.H. devant la cour d’assises pour y être jugés notamment des crimes de vols en bande organisée, tentative de vol en bande organisée et recels de vols commis en bande organisée.
Le 8 novembre 1995, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des consorts de Moucheron contre l’arrêt du 21 juin 1995.
Par arrêt du 1er février 1997, après arrêt de condamnation de tous les accusés, sauf W.H., en date du 31 janvier 1997, la cour d’assises du département de la Côte-d’Or, statuant sans le concours du jury, rendit un arrêt civil aux termes duquel elle condamna : A.B. à payer aux consorts Le Gouz de Saint-Seine 80 000 francs au titre du préjudice matériel et 10 000 francs au titre du préjudice moral, en sus de 20 000 francs au titre de l’article 375 du code de procédure pénale ; A.B., J.C., R.D., A.C., P.M. à payer aux consorts Reille-Soult de Dalmatie la somme de 300 000 francs au titre du préjudice matériel et 10 000 francs au titre du préjudice moral, en sus de 20 000 francs au titre de l’article 375 du code de procédure pénale ; R. D. à payer à Laure de Moucheron la somme de 400 000 francs au titre du préjudice matériel et 10 000 francs au titre du préjudice moral, ainsi que la somme de 15 000 francs à Jacqueline de Moucheron au titre du préjudice matériel, en sus de 20 000 francs au titre de l’article 375 du code de procédure pénale pour Laure et Jacqueline de Moucheron prises ensemble. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le requérant fut arrêté le 14 mai 1982 pour avoir franchi les services d'ordre du Parc des Princes lors de la finale de la coupe de France de football et voulu offrir une rose au Président de la République. Il fut transféré le 15 mai 1982 à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, dont le médecin chef délivra une attestation médicale sur la base de laquelle le préfet établit un arrêté de placement d’office en date du 17 mai 1982.
En application de cet arrêté, le requérant fut admis à l’hôpital de Villejuif et son internement fut maintenu jusqu'au 26 mai 1987, avec permissions de sortie occasionnelles puis régulières à compter d'octobre 1985.
Le père du requérant demanda l'abrogation de l'arrêté de placement à deux reprises, mais ses demandes furent rejetées par la préfecture de police par décisions des 24 novembre 1983 et 5 décembre 1986.
Le 10 avril 1987, se fondant sur l'article L. 351 du code de la santé publique, le requérant demanda sa sortie immédiate au président du tribunal de grande instance de Créteil, qui y fit droit le 26 mai 1987.
Le 28 juin 1988, le requérant introduisit devant le tribunal administratif de Paris plusieurs demandes tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté de placement du 17 mai 1982, de la décision d'admission du 17 mai 1982 du directeur de l'hôpital de Villejuif et des refus d'abrogation de la préfecture des 24 novembre 1983 et 5 décembre 1986, qui constituaient, d'après lui, des décisions implicites de maintien en placement d'office.
Par jugement du 18 février 1991, le tribunal administratif de Paris fit partiellement droit aux demandes du requérant, en considérant que les deux décisions des 24 novembre 1983 et 5 décembre 1986 du préfet de police devaient s'analyser en des décisions de maintien en placement d'office et qu'ayant été prises par des personnes incompétentes, elles devaient être annulées.
Le 22 mai 1991, le requérant se pourvut devant le Conseil d'Etat qui rejeta son recours par arrêt du 11 juin 1997.
Procédure en remboursement du forfait hospitalier
Le 5 juillet 1988, le requérant saisit l'hôpital de Villejuif d'une demande préalable afin d'obtenir le remboursement du forfait hospitalier qu'il avait dû payer pour la durée totale de son séjour, du 17 mai 1982 au 26 mai 1987.
Le 6 septembre 1988, il saisit le tribunal administratif de Paris d'un recours de plein contentieux pour demander l'annulation du refus de remboursement qui lui avait été opposé.
Par jugement du 12 février 1991, notifié le 12 avril 1991, le tribunal administratif de Paris rejeta sa demande. Le requérant interjeta appel par pli posté le 11 juin 1991, enregistré au greffe de la cour le 14 juin 1991. La cour administrative d'appel envisagea au cours de l'instruction de soulever d'office un moyen tiré de la tardiveté de l'appel et demanda sur ce point les observations des parties.
Par arrêt du 31 mars 1992, sans mentionner un quelconque problème de recevabilité, la cour administrative d'appel donna partiellement gain de cause au requérant. Elle estima, en effet, qu'il ressortait du jugement du tribunal administratif de Paris du 18 février 1991, définitif sur ce point, qu'à compter du 24 novembre 1983, le requérant n'était plus « admis » à Villejuif et que, par conséquent il ne devait plus le forfait hospitalier à compter de cette date. Les sommes indûment versées pour la période postérieure devaient donc lui être remboursées. L'hôpital de Villejuif se pourvut en cassation de cet arrêt devant le Conseil d'Etat.
Le 9 novembre 1993, le requérant sollicita l'aide juridictionnelle qui lui fut accordée le 25 mai 1994.
Le 26 juillet 1996, le Conseil d'Etat annula l'arrêt de la cour administrative d'appel au motif que l'appel formé par le requérant devant cette instance avait dépassé de 24 heures le délai de deux mois prévu à l'article R. 229 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
En effet, selon le Conseil d'Etat, il ne ressortait d'aucune des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Ballestra ait fait son envoi à la date retenue par la cour. L'arrêt attaqué, qui reposait sur une dénaturation des pièces du dossier, devait donc être annulé.
Procédure en indemnisation à l’encontre du ministère de l’Intérieur
Le 25 juillet 1988, le requérant saisit le ministère de l'Intérieur d'une demande préalable en indemnisation du préjudice causé par son internement, qui fut rejetée le 6 décembre 1988.
Le 4 février 1989, il saisit alors le tribunal administratif de Paris d'un recours de plein contentieux, mais fut débouté par jugement N 8901112/4 du 4 décembre 1991, notifié le 20 février 1992.
Le 21 avril 1992 le requérant interjeta appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Paris. Celle-ci transmit l'affaire au Conseil d'Etat le 23 mars 1993, lequel la lui retourna le 30 juin 1993.
Le 29 septembre 1994, la cour administrative d'appel informa le requérant qu'elle décidait de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt du Conseil d'Etat relatif à son recours en excès de pouvoir (voir §§ 13 à 15 ci-dessus), lequel fut rendu le 11 juin 1997.
Le 10 février 1998, la cour administrative d'appel audiença l'affaire et, par arrêt du 26 février 1998, elle conclut à l’incompétence de la juridiction administrative.
Procédure en indemnisation à l’encontre de l’hôpital de Villejuif
Le 25 juillet 1988, le requérant présenta à l'hôpital de Villejuif les mêmes demandes préalables en indemnisation qu'il avait présentées au ministère de l'Intérieur le même jour, mais en demandant des dommages et intérêts supérieurs.
Le 4 février 1989, l’hôpital lui ayant opposé un refus, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris d'un recours de plein contentieux.
Par jugement N 8901113/4 du 4 décembre 1991, le tribunal administratif rejeta son recours, au motif que la légalité de la décision d'admission prise par le directeur de l'hôpital le 17 mai 1982 avait déjà été admise par le jugement du tribunal administratif de Paris du 18 février 1991 et que le directeur n'avait commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'administration et à lui ouvrir droit à indemnité.
Sur appel du requérant, la cour administrative d’appel décida, par arrêt du 21 décembre 1992, de renvoyer l'examen de l'affaire au Conseil d'Etat, parce que l'appel du requérant contre le jugement du 18 février 1991, concernant la légalité de la décision d'admission de l'hôpital de Villejuif prise le 17 mai 1982, était encore pendant devant cette juridiction et que, par conséquent, il y avait connexité de la demande d'indemnisation avec l'appel formé devant le Conseil d'Etat.
Par arrêt du 11 juin 1997 (voir également § 15), le Conseil d'Etat débouta le requérant.
En revanche, le requérant fait état d’une indemnisation de 280 000 francs qu’il aurait obtenu par un jugement, non produit, rendu le 16 octobre 2000 par le tribunal de grande instance de Paris. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 6 septembre 1984, Mme M.S. assigna la requérante et deux autres personnes devant le tribunal de Lagonegro (Potenza) afin d’obtenir le partage d’un héritage.
La première audience fut fixée au 4 décembre 1984 ; toutefois, elle ne se tint que le 18 mars 1986 en raison d’une grève des avocats et un renvoi d’office. A cette date, la requérante et l’autre défenderesse furent déclarées défaillantes. Des six audiences fixées entre le 29 avril 1986 et le 19 mai 1987, trois concernèrent une expertise, deux le dépôt de documents et une fut reportée à la demande de Mme M.S.
Le 20 octobre 1987, la requérante se constitua devant le juge et pour sa part demanda la reconnaissance de son droit de propriété sur le terrain faisant l’objet du partage. A l’audience du 1er décembre 1987, le procès fut interrompu suite au décès de la demanderesse.
Le 9 décembre 1987, la requérante reprit la procédure ; par une ordonnance hors audience du 23 décembre 1987, le juge fixa l’audience suivante au 19 avril 1988. Des trois audiences fixées entre le 27 septembre 1988 et le 14 mars 1989, une concerna la constitution devant le juge des héritiers de la demanderesse, une le dépôt de mémoires et une fut reportée d’office suite à la mutation du juge. A l’audience du 19 décembre 1989, le juge réserva sa décision quant à la mise en cause d’autres personnes ; par une ordonnance hors audience du 4 janvier 1990, dont le texte fut déposé au greffe le 10 janvier 1990, le juge ordonna le dépôt de certains documents et reporta l’affaire au 20 mars 1990. A cette date, le juge réserva à nouveau sa décision quant à la même question ; par une ordonnance du 25 juillet 1990, dont le texte fut déposé au greffe le 27 juillet 1990, le juge ordonna une deuxième fois aux parties de déposer les susdits documents et reporta l’affaire au 9 octobre 1990.
Au cours des trois audiences qui eurent lieu entre le 4 décembre 1990 et le 23 avril 1991, les parties déposèrent les documents demandés par le juge. Le 9 juillet 1991, le juge reporta l’affaire au 19 novembre 1991 afin de permettre aux parties d’indiquer les noms des personnes devant être mises en cause. Le 14 janvier 1992, le juge décida la mise en cause de six autres personnes et reporta l’affaire au 16 juin 1992. Après trois audiences, le 28 septembre 1993, le juge admit des témoins, qui furent entendus les 12 octobre 1993, 11 janvier 1994 et 17 octobre 1995. Quatre audiences plus tard, le 3 décembre 1996 les parties présentèrent leurs conclusions et l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente eut lieu le 18 mai 1999, après deux renvois d’office. En raison du décès du juge, le 22 juin 1999, le président du tribunal fixa une autre audience de plaidoiries au 26 octobre 1999. Cette dernière eut lieu le 2 novembre 1999 à la suite d’un renvoi d’office. Selon les informations fournies par la requérante, aucun jugement n’avait encore été déposé au 2 septembre 2000. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 7 octobre 1993, la requérante sollicita du président du tribunal de Latina une injonction de payer 100 000 000 lires italiennes, à l’encontre de M. C. Le président fit droit à sa demande par une ordonnance du 21 octobre 1993, déposée au greffe le même jour et notifiée à M. C. à une date non précisée.
Le 26 novembre 1993, celui-ci fit opposition devant la même juridiction. La mise en état de l’affaire commença le 22 février 1994. A cette date, les parties demandèrent l’audition de témoins. Le 27 juillet 1994, l’audience fut renvoyée d’office au 27 octobre 1994, date à laquelle eut lieu l’audition de certains témoins. L’audience fixée au 20 avril 1995 fut reportée d’office au 20 avril 1996. Le jour venu, l’audition de témoins continua. Les audiences des 25 mars 1997, 7 octobre 1997 et 9 juin 1998 furent reportées à cause de l’absence des témoins. Une audience fut fixée au 14 janvier 1999. La loi concernant les sezioni stralcio étant entrée en vigueur, le président du tribunal attribua l'affaire au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio) et le juge chargé de l’affaire fixa une audience au 29 juin 1999. Selon les informations fournies par la requérante le 24 août 1999, la procédure était encore pendante à cette date. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 17 février 1994, la requérante sollicita du président du tribunal de Latina une injonction de payer 6 150 000 lires italiennes, plus les intérêts, à l’encontre de M. L. et Mme R. Le président fit droit à sa demande par une ordonnance du 1er mars 1994, déposée au greffe le même jour et notifiée à la partie adverse le 26 mars 1994.
Le 15 avril 1994, M. L. fit opposition devant la même juridiction. La mise en état de l’affaire commença le 19 juillet 1994. Le 5 mars 1995, l’audience fut reportée d’office au 7 mars 1996. Le jour venu, les parties ne s’étant pas présentées, l’affaire fut reportée au 24 octobre 1996. A cette date, le conseil de M. L. constata l’absence de la requérante et le fait qu’un document n’avait pas été déposé au greffe et le juge fixa la présentation des conclusions au 30 janvier 1997. Cette audience fut reportée d’office au 26 juin 1997. A cette date eut lieu la présentation des conclusions de M. L. L’audience de plaidoiries fut fixée au 26 octobre 1999. Selon les informations fournies par la requérante le 25 janvier 2000, la procédure était à cette date encore pendante, suite à une grève des avocats il n’y avait pas encore eu d’autres audiences. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 28 mai 1992, M. I. – mari de la requérante – déposa un recours devant le tribunal de Turin afin d’obtenir leur séparation de corps.
La première audience eut lieu le 2 juillet 1992. La tentative de conciliation ayant échouée, une audience d’instruction fut fixée au 21 octobre 1992. Après trois audiences, dont une fut renvoyée à la demande des parties, une le fut d’office et une concerna le dépôt de documents, le 7 juin 1993 le juge de la mise en état fixa les modalités d’exercice du droit de visite aux enfants et nomma un expert. Ce dernier prêta serment le 29 juin 1993. L’audience du 24 novembre 1993 fut renvoyée d’office au 2 février 1994, date à laquelle le demandeur déposa de mémoires. Le 2 mars 1994, M. I. demanda l’audition de la requérante et de témoins et le juge réserva sa décision ; par une ordonnance hors audience du 29 mars 1994, le juge rejeta cette demande.
Des onze audiences fixées entre le 1er juin 1994 et le 19 juin 1996, cinq concernèrent la modification des mesures provisoires en matière de droit de visite de M. I., deux concernèrent un rapport d’expertise, deux furent renvoyées à la demande des parties et une fut reportée d’office. L’audience de présentation des conclusions se tint le 18 septembre 1996 et celle de plaidoiries le 17 mars 1997. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 17 juillet 1997, le tribunal prononça la séparation de corps. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 10 février 1971, M. M. introduisit un recours à la Cour des comptes afin d’obtenir la reconnaissance de son droit à une pension en raison d’une infirmité contractée pendant la guerre.
M. M. décéda le 6 décembre 1991.
Suite à la loi n° 19/94, introduisant les chambres régionales de la Cour des comptes, l’affaire fut transmise à la chambre régionale pour l’Ombrie. Le 10 octobre 1997, le président de la chambre fixa la date de l’audience au 20 novembre 1997 et constata que l’intéressé n’avait pas présenté une demande tendant à la continuation de la procédure.
Le 24 janvier 1998 et le 22 mai 1998, les requérants, en tant qu’héritiers, présentèrent respectivement une demande tendant à ce que la procédure fût continué. L'audience de plaidoiries fut fixée au 15 juillet 1999.
Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 13 février 1999 et notifié aux requérants le 22 septembre 1999, la chambre régionale pour l'Ombrie fit en partie droit au recours des requérants. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 15 juin 1983, le requérant, en sa qualité de père de P. O., mineure à l’époque des faits, assigna M. C. et sa compagnie d’assurances devant le tribunal de Syracuse afin d’obtenir réparation des dommages subis par sa fille lors d’un accident de la circulation.
L’instruction de l’affaire commença le 17 novembre 1983, date à laquelle l’avocat du requérant était absent. L’audience prévue pour le 26 janvier 1984 fut reportée d’office au 7 juillet 1984 en raison de la mutation du juge de la mise en état. Le 16 février 1984, le requérant demanda au président du tribunal de nommer un nouveau juge. Le jour venu, le requérant versa des documents au dossier. Le 14 janvier 1985, le juge de la mise en état ordonna une expertise et admit l’audition de M. C. Le 27 février 1985, l’expert prêta serment et le juge ajourna l’affaire au 3 juillet 1985. Cette audience n’eut pas lieu en raison de la mutation du juge de la mise en état. Le 10 février 1987, le requérant demanda que l’audition de sa fille eût lieu. L’audience prévue à cette fin se tint le 28 avril 1987. Le 22 décembre 1987, le requérant demanda un renvoi. Le 17 mai 1988, l’avocat de M. C. demanda un renvoi afin de communiquer à son client la date de son audition, étant donné que celui-ci avait entre-temps changé d’adresse. Le 6 décembre 1988, M. C. étant absent pour des raisons de santé, le juge ajourna l’affaire au 16 mai 1989. Cette audience fut reportée d’office au 29 octobre 1991 en raison de la mutation du juge de la mise en état. Ce jour-là, le juge fixa la date pour l’audition de M. C. au 3 novembre 1992. Le jour venu, ce dernier ne s’étant pas présenté, le juge fixa la date pour la présentation des conclusions au 9 novembre 1993. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente se tint le 24 janvier 1995.
Par un jugement du 27 janvier 1995, dont le texte fut déposé au greffe le 20 avril 1995, le tribunal fit droit à la demande du requérant. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 24 juillet 1992, le requérant, ancien employé en tant que conseiller fiscal auprès de la Banque d’Italie, déposa un recours au greffe du tribunal administratif régional du Latium afin d’obtenir l’annulation de la décision lui refusant le paiement des jours d’astreinte pour lesquels il n’avait pas bénéficié de jours de congé en échange.
Le même jour, le requérant présenta une demande tendant à ce que la date de l’audience fût fixée.
Les 23 octobre 1996 et 28 mai 1997, le requérant présenta une demande tendant à la fixation urgente de la date de l’audience. Celle-ci fut fixée au 26 novembre 1997.
Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 2 février 1998, le tribunal administratif régional rejeta le recours du requérant, en alléguant que selon le règlement du personnel en vigueur concernant la matière, celui-ci n’avait droit à aucune astreinte et qu’il aurait dû attaquer en temps utile ledit règlement. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 6 février 1992, le requérant, employé auprès de la Caisse des Dépôts et Prêts, assigna cette dernière devant le tribunal administratif régional de Latium afin d’obtenir la condamnation au paiement de primes d’encouragement et de production pendant la période où il était en disponibilité pour infirmité survenue pendant son service (aspettativa).
Par un jugement du 28 janvier 1993, dont le texte fut déposé au greffe le 3 mai 1993, le tribunal administratif rejeta le recours du requérant sur la base de la réglementation en la matière.
Le 1er juillet 1993, le requérant interjeta appel devant le Conseil d’Etat.
Les 18 juin et 18 octobre 1996, le requérant présenta deux demandes tendant à la fixation urgente de la date de l’audience. Celle-ci, prévue pour le 27 mai 1997, fut reportée à une date non précisée car le président de la chambre s’était abstenu pour des raisons d’opportunité, étant donné qu’il était le président de la commission de contrôle de la Caisse des Dépôts et Prêts.
Par un arrêt du 4 novembre 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 17 avril 1998, le Conseil d’Etat fit en partie droit à l’appel du requérant. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 22 décembre 1970, le tribunal de commerce de Manosque ouvrit une procédure de règlement judiciaire à l’encontre de la société exploitée par le requérant et ses deux frères. Le 10 février 1986, les administrateurs provisoires de l’étude de Me G.M., le syndic nommé par le tribunal de commerce, déposèrent les états de reddition des comptes.
Le 26 septembre 1985, une procédure pénale fut ouverte à l’encontre de Me G.M. L’information fut ouverte des chefs de faux et usage, abus de confiance, malversations et complicité.
Le 11 octobre 1985, le dossier d’information fut transmis, conformément aux articles 704 à 706 du Code de procédure pénale, à une juridiction spécialisée en matière économique et financière, en l’occurrence le tribunal de grande instance de Nice.
G.M. étant, au moment des faits, adjoint au maire d’Aix-en-Provence, la chambre criminelle de la Cour de cassation, par arrêt du 11 mai 1989, désigna le tribunal de grande instance de Marseille afin de poursuivre l’information, conformément aux dispositions de l’article 687 du Code de procédure pénale.
Le 19 février 1991, le requérant se constitua partie civile dans la procédure en cours d'instruction devant le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Marseille.
Le 13 juin 1991, le juge d'instruction communiqua au requérant les conclusions du rapport d'expertise comptable établi le 30 mai 1991 sur les faits dénoncés contre G.M. Le 16 juillet 1991, le requérant présenta des observations sur le rapport.
Par ailleurs, le 23 mai 1991, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence déclara irrecevable la requête du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille visant à faire statuer sur la validité d’actes critiqués par G.M. dans la procédure instruite à son encontre. Le 14 novembre 1991, la chambre criminelle de la Cour de cassation cassa l’arrêt précité et renvoya le dossier devant la cour d’appel de Nîmes.
Par arrêt du 19 octobre 1992, la cour d’appel de Nîmes déclara qu’il n’y avait pas lieu à annulation des actes critiqués et renvoya la cause devant le juge d’instruction de Marseille. Le 16 février 1993, la chambre criminelle de la cour de Cassation rejeta le pourvoi formé par G.M. contre l’arrêt précité de la cour d’appel de Nîmes.
En outre, le 8 juillet 1991, G.M. présenta une requête aux fins de faire constater l’irrecevabilité des constitutions de partie civile, parmi lesquelles figurait celle du requérant. Le juge d’instruction rendit une ordonnance de recevabilité de constitution de partie civile le 26 septembre 1991. G.M. et ses coïnculpés interjetèrent appel de cette ordonnance qui fut confirmée par la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 11 mars 1993.
Le 8 janvier 1993, un nouveau juge d’instruction fut désigné, en remplacement du précédent, appelé à d’autres fonctions.
Le 28 mars 1994, l'avocat du requérant demanda au juge d'instruction de l'informer des suites données à l'instruction. Le 25 mars 1995, le requérant demanda au juge d'instruction de « relancer la procédure en cours ». Le 3 juillet 1996, il réitéra sa demande. Le 13 novembre 1996, l'avocat du requérant répéta la demande auprès du juge d'instruction, et le 14 janvier 1997 auprès du juge d'instruction nouvellement désigné.
Le 3 juillet 1997, le juge d'instruction répondit qu'il envisageait de « poursuivre l'instruction dans les meilleurs délais ».
Par lettre du 24 novembre 1998, le requérant sollicita des investigations complémentaires.
Le même jour, G.M. déposa une nouvelle requête devant la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix en Provence, tendant à l’annulation de la procédure. Le juge d’instruction décida alors de surseoir à statuer sur la demande du requérant jusqu’à la décision de la chambre d’accusation.
Par arrêt du 25 novembre 1999, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix en Provence rejeta les exceptions de nullité invoquées par G.M., soulignant que certaines d’entre elles avaient déjà fait l’objet de décisions judiciaires définitives.
A ce jour, l'instruction de cette affaire est toujours en cours. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant, né en 1950 à Geldrop, est néerlandais et réside à Eindhoven.
Dans le cadre de l’enquête sur un trafic international de stupéfiants, un mandat d’arrêt fut délivré à l’encontre du requérant le 12 décembre 1986 et exécuté en Espagne le 30 janvier 1987, d’où le requérant fut extradé vers la France le 6 novembre 1987. Le 8 novembre 1987, il fut inculpé d’infraction à la législation sur les stupéfiants, de contrebande et d’intérêt à la fraude.
L’instruction concernait un groupe de personnes de nationalités et de pays de résidence différents, ayant des comptes en banque également dans plusieurs Etats, ainsi que des sociétés fictives situées pour la plupart en Espagne, mais également aux Etats-Unis, en Allemagne et à Jersey.
Ainsi, le juge d’instruction fut-il amené à délivrer treize commissions rogatoires internationales et quatre commissions rogatoires générales ou spéciales au plan national et à opérer deux transports sur les lieux, dont un en Espagne.
La traduction des documents recueillis grâce à ces commissions rogatoires ainsi que des courriers écrits en langues étrangères par le requérant et ses coïnculpés nécessita la délivrance de près de quarante ordonnances de commission d’experts traducteurs.
Au cours de l’instruction, le juge procéda à vingt-cinq interrogatoires au fond des différents inculpés. Il entendit le requérant les 17 décembre 1987, 27 juillet 1988, 28 juin, 28 juillet, 26 octobre et 27 novembre 1989. Il géra par ailleurs tout le contentieux relatif à la détention de six prévenus, y inclus le requérant.
Par ailleurs, trois personnes, dont le requérant, furent extradées vers la France suite à des procédures diligentées par le juge d’instruction.
Renvoyé devant le tribunal avec sept autres personnes le 11 janvier 1990, le requérant fut condamné le 22 février 1990 par le tribunal de grande instance de Bobigny à dix-huit ans d’emprisonnement et à l’interdiction définitive du territoire français pour entente en vue du trafic de stupéfiants par importation, exportation, fabrication ou production, contrebande de marchandise prohibée, trafic de stupéfiants par importation, exportation, fabrication ou production.
Le tribunal se fonda notamment sur le témoignage de D.S. qui, détenu aux Etats-Unis, avait été entendu sur commission rogatoire internationale le 24 octobre 1989 au centre pénitentiaire de Lafayette (Floride). Le tribunal estima que « le témoignage de M.E. et celui de M.S. établissent les faits reprochés à M. Van Pelt. » Il se référa également aux lettres écrites par le requérant à sa compagne lors de son incarcération en Espagne, aux objets trouvés lors de la perquisition de sa villa à Marbella, au fait qu’il avait été soupçonné d’être impliqué aux Pays-Bas en 1974 dans une vente d’opium, en 1983 dans une affaire de contrebande d’héroïne et en 1985 dans un trafic de cannabis.
De même, le tribunal releva que le requérant était mis en cause en Angleterre pour avoir été l’organisateur et le financier d’une importation de 200 kg de résine de cannabis.
Le tribunal se référa encore aux déclarations d’un autre témoin, au fait que le requérant avait toujours refusé de s’expliquer sur l’origine des ressources que supposait son train de vie et, qu’alors qu’il avait toujours soutenu n’être titulaire que d’un seul compte en banque, il s’était révélé en fin d’instruction qu’il avait ouvert un compte au Luxembourg à part égale avec son frère.
Il conclut que l’ensemble de ces éléments confortait les témoignages de M.E. et de M.S.
Par arrêt du 31 janvier 1991, la cour d’appel de Paris considéra que « s’il existe à l’encontre de Van Pelt les charges très lourdes de culpabilité relevées par le tribunal, il subsiste néanmoins un très léger doute, mais qui doit lui profiter et entraîner sa relaxe. »
Sur pourvoi du procureur général, la Cour de cassation cassa le 3 février 1992 l’arrêt de la cour d’appel en estimant que « si les juges apprécient librement la valeur des éléments de preuve qui leur sont soumis et se décident d’après leur intime conviction, ils ne sauraient sans se contredire ou mieux s’en expliquer, après avoir reconnu la réunion de charges lourdes de culpabilité, se borner, pour prononcer la relaxe, à affirmer l’existence d’un doute ».
L’affaire fut renvoyée devant la cour d’appel d’Amiens. Une première audience eut lieu le 25 mars 1993, qui fut renvoyée au 7 octobre 1993 aux fins notamment de citation du requérant et de signification à son profit de l’arrêt de la Cour de cassation.
A l’audience du 7 octobre 1993, le requérant comparut assisté de ses conseils et déposa des conclusions aux fins de l’audition de deux témoins et d’un complément d’information. En raison de problèmes nécessitant le remplacement de l’interprète, l’audience fut renvoyée au 16 décembre 1993.
Les 3 et 7 décembre 1993 respectivement, les deux avocats néerlandais du requérant demandèrent le report de l’audience pour préserver les droits de la défense.
A l’audience du 16 décembre 1993, les deux avocats français du requérant produisirent deux certificats médicaux datés du 15 décembre 1993 et indiquant que le requérant avait été hospitalisé la veille, et demandèrent le renvoi de l’audience. Après traduction de ces certificats, le substitut du procureur général et l’un des avocats du requérant plaidèrent sur la demande de renvoi puis la cour se retira pour délibérer.
A la reprise de l’audience après délibéré, furent entendus le président en son rapport et le substitut du procureur en ses réquisitions. Le président indiqua ensuite que l’arrêt serait rendu le 14 janvier 1994 et la cour se retira pour délibérer.
Il ne ressort pas de l’arrêt que les conseils du requérant aient pu plaider sur le fond de l’affaire.
Dans son arrêt contradictoire du 11 janvier 1994, la cour d’appel se prononça comme suit concernant la demande de renvoi :
« Attendu que les conseils du prévenu ont sollicité le renvoi de l’affaire au motif que Leonardus Van Pelt était hospitalisé à la suite d’un accident ;
Attendu qu’ils ont remis à la cour deux documents en langue néerlandaise que la cour a demandé aux deux interprètes, présents à l’audience, (...) de traduire ;
Attendu que le premier document est un certificat médical délivré le 15 décembre 1993 par le médecin traitant du prévenu qui certifie qu’à la suite d’une chute sur la tête, l’hospitalisation de son patient au service EHBO (lit) premier secours lors de l’accident, est absolument nécessaire ;
Attendu que le second document précise que M. Van Pelt a été hospitalisé le 15 décembre 1993 à 18 h par l’intermédiaire du EHBO, qu’il lui est impossible de se rendre à l’audience et que de plus amples renseignements peuvent être obtenus auprès de son neurologue traitant, le docteur Van Lieshout ;
Mais attendu que le certificat médical du médecin traitant ne donne aucune précision sur la nature exacte de l’affection qu’aurait provoquée la chute dont aurait été victime Leonardus Van Pelt ;
Attendu que le second document manuscrit, non signé, non délivré sur papier à entête, simplement revêtu de deux cachets, ne donne non plus aucune indication précise sur le motif exact de l’hospitalisation ;
Attendu qu’il ne résulte pas de ces documents que Van Pelt est dans l’impossibilité de se présenter à l’audience ; qu’aussi bien, il échet de rejeter la demande de renvoi et d’examiner l’affaire ; (...) »
Sur le fond, la cour d’appel rejeta la demande d’audition du témoin D.S. au motif que la mesure sollicitée s’avérait impossible, qu’en effet D.S. étant incarcéré aux Etats-Unis, cette situation mettait obstacle à sa comparution en France.
Elle reprit par ailleurs les motifs des premiers juges et ajouta que les accusations et témoignages étaient corroborés par des éléments objectifs du dossier : faux passeport utilisé par le requérant, possession d’une carte bancaire identique à celle de H., convoyeur de la drogue, numéro de téléphone du requérant possédé par M., organisateur de l’importation de la drogue, présence du requérant à Marbella jusqu’au 26 août 1986, époque où l’arrivée de la drogue dans cette ville était prévue, lettres écrites par le requérant à sa concubine alors qu’il était incarcéré en Espagne et desquelles il ressortait qu’il cherchait à savoir si un traître avait parlé, renseignements défavorables sur le requérant connu comme un trafiquant de drogue et ressources insuffisamment justifiées alors que le requérant se déclarait homme d’affaires opérant dans l’immobilier.
La cour d’appel confirma le jugement de première instance et délivra mandat d’arrêt à l’encontre du requérant.
Le pourvoi formé le 14 janvier 1994 contre cet arrêt par le requérant fut déclaré irrecevable le 19 octobre 1995. La Cour de cassation considéra en effet que le requérant, qui n’avait pas déféré au mandat d’arrêt décerné à son encontre, ne justifiait d’aucune circonstance l’ayant mis dans l’impossibilité absolue de se soumettre en temps utile à l’action de la justice.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Code de procédure pénale
Article 410
(Ordonnance n° 60-529 du 4 juin 1960, Journal officiel du 8 juin 1960)
« Le prévenu régulièrement cité à personne doit comparaître, à moins qu’il ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle il est appelé. Le prévenu a la même obligation lorsqu’il est établi que, bien que n’ayant pas été cité à personne, il a eu connaissance de la citation régulière le concernant dans les cas prévus par les articles 557, 558 et 560.
Si ces conditions sont remplies, le prévenu non comparant et non excusé est jugé contradictoirement. »
Article 411
« Le prévenu cité pour une infraction passible d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement inférieure à deux années peut, par lettre adressée au président et qui sera jointe au dossier de la procédure, demander à être jugé en son absence.
Dans ce cas, son défenseur est entendu.
Toutefois, si le tribunal estime nécessaire la comparution du prévenu en personne, il est procédé à la réassignation du prévenu, à la diligence du ministère public, pour une audience dont la date est fixée par le tribunal.
Le prévenu qui ne répondrait pas à cette invitation est jugé contradictoirement.
Il est également jugé contradictoirement dans le cas prévu par le premier alinéa du présent article. »
Article 416
(Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 article 224, Journal officiel du 5 janvier 1993, en vigueur le 1er mars 1993)
Si le prévenu ne peut, en raison de son état de santé, comparaître devant le tribunal et s’il existe des raisons graves de ne point différer le jugement de l’affaire, le tribunal ordonne, par décision spéciale et motivée, que le prévenu, éventuellement assisté de son avocat, sera entendu à son domicile ou à la maison d’arrêt dans laquelle il se trouve détenu, par un magistrat commis à cet effet, accompagné d’un greffier. Procès-verbal est dressé de cet interrogatoire. Le débat est repris après citation nouvelle du prévenu, et les dispositions de l’article 411, alinéas 1 et 2, sont applicables, quel que soit le taux de la peine encourue. Dans tous les cas, le prévenu est jugé contradictoirement. »
Article 417
« Le prévenu qui comparaît a la faculté de se faire assister par un défenseur.
S’il n’a pas fait choix d’un défenseur avant l’audience et s’il demande cependant à être assisté, le président en commet un d’office.
Le défenseur ne peut être choisi ou désigné que parmi les avocats inscrits à un barreau, ou parmi les avoués admis à plaider devant le tribunal.
L’assistance d’un défenseur est obligatoire quand le prévenu est atteint d’une infirmité de nature à compromettre sa défense, ou quand il encourt la peine de la tutelle pénale (la tutelle pénale a été supprimée par l’article 70 de la loi 8182 du 2 février 1981, publiée au Journal officiel du 3 février 1981). » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est un ressortissant espagnol né en 1940 et résidant à Madrid. Il est réalisateur d’émissions de télévision et scénariste.
Le requérant était employé par la Télévision espagnole (TVE) depuis 1971 en tant que réalisateur. Jusqu’en décembre 1992, il y a travaillé en qualité de responsable d’une émission matinale intitulée « Club de femmes », date à laquelle l’émission fut supprimée. A compter de cette date, il ne se vit plus confier aucune tâche, nonobstant le fait qu’il devait accomplir ses heures de travail quotidiennes. Le 31 mars 1993, il reçut un blâme, par écrit, en raison d’anomalies dans le respect de ses horaires de travail.
Le 23 octobre 1993, plusieurs milliers de salariés de la TVE manifestèrent contre un plan de réduction d’emplois de la télévision publique. De nombreuses pancartes arborées par les manifestants exigeaient notamment plus de programmes culturels, des mesures contre la mauvaise gestion de la télévision publique et contre le chaos et la corruption. Ces manifestations eurent un large écho dans les médias, et un vaste débat s’instaura dans la presse au sujet de la mauvaise gestion de la TVE et de sa dette, estimée par le ministre de l’économie à 123 milliards de pesetas.
Le 30 octobre 1993, le requérant cosigna avec un collègue, L. C. M., un article dans le journal Diario 16 intitulé « Spoliation d’un bien public », dans lequel ils critiquaient la gestion de divers directeurs de la TVE désignés depuis 1982 par le parti au pouvoir, à savoir le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol). Ils précisaient que les dirigeants de la TVE avaient converti les édifices et autres installations de la télévision publique appartenant à tous les Espagnols en un camp de concentration dans lequel ces dirigeants, nommément cités, pratiquaient en toute impunité un terrorisme professionnel. Ils dénonçaient notamment le processus de démantèlement et de privatisation de la télévision publique au moyen d’actes très probablement délictueux puisque non seulement ils décapitalisaient professionnellement et économiquement la TVE mais, de surcroît, transféraient un patrimoine appartenant à tous les Espagnols à des entreprises privées concurrentes. A cet égard, ils attiraient l’attention sur la fuite de cadres supérieurs de la TVE vers des chaînes privées et la production de programmes par des sociétés extérieures, et faisaient valoir que, de plus en plus, des salariés de la TVE se retrouvaient sans travail et parfois même sans lieu de travail, quand bien même on les obligeait à pointer. Ils dénonçaient le fait que les dirigeants de la TVE utilisaient un patrimoine public au bénéfice d’intérêts privés et particuliers, qu’il y avait du gaspillage et qu’on volait l’argent du peuple espagnol.
Le 4 novembre 1993, le sous-directeur de la planification et de la production de la TVE adressa un courrier au requérant en lui indiquant qu’à partir du 5 novembre 1993, et jusqu’à ce qu’une tâche concrète lui soit assignée, il devait enregistrer ses entrées et sorties de l’édifice sis à Somosaguas, et passer ses heures de travail dans des bureaux aménagés.
Par un courrier du 10 novembre 1993, le requérant informa le sous-directeur en cause que, conformément à la décision prise par celui-ci le 4 novembre 1993, il s’était rendu dans l’édifice de Somosaguas mais que ses démarches avaient révélé qu’aucun responsable de ce centre n’était au courant de cette décision ni ne pouvait lui indiquer un bureau où s’installer. Le requérant ajouta un épigramme à l’adresse du sous-directeur.
Un nouvel échange de correspondance eut alors lieu entre le requérant et le sous-directeur.
Le 18 novembre 1993, le requérant fit diffuser au centre de la TVE de Somosaguas un texte dans lequel il se plaignait du traitement dont il était victime et dénonçait la corruption, le non-respect de promesses, la spoliation d’un bien public, des mensonges et abus de biens sociaux ainsi que le mépris des droits d’autrui et le non-respect des devoirs envers d’autres personnes. Il précisait que si, avant le 30 novembre 1993, la direction n’avait pas résolu le problème qu’elle avait elle-même engendré, il organiserait, à proximité des bureaux et résidences privées des directeurs, des concerts-sérénades avec guitares, chanteurs, violons, bombardons, orgues électroniques, accordéons, etc., qu’ils ne seraient pas près d’oublier. Le requérant lança finalement un appel de soutien à ses collègues.
En raison de ces faits, le 19 novembre 1993, la TVE engagea une procédure disciplinaire à l’encontre du requérant et de L.C.M. Au terme de cette procédure, par une décision du 25 janvier 1994, le requérant fut considéré comme auteur de deux fautes très graves et se vit imposer une sanction de 16 et 60 jours de suspension d’emploi et de salaire. L.C.M. fit l’objet d’une sanction identique.
Contre cette sanction, le requérant présenta un recours contentieux, que le tribunal social n° 10 de Madrid rejeta par un jugement du 7 mai 1994. En revanche, le tribunal social n° 34 de Madrid annula la sanction infligée à L.C.M.
Le requérant interjeta appel auprès du tribunal supérieur de justice de Madrid qui, par un arrêt du 31 janvier 1996, infirma le jugement entrepris et annula la sanction prise à l’encontre du requérant pour violation du droit à la liberté d’expression et d’opinion garanti par l’article 20 de la Constitution. Le tribunal nota également que l’annulation de la sanction s’imposait pour éviter une divergence de décisions judiciaires dans la mesure où L.C.M. avait vu sa sanction annulée par le tribunal social n° 34 de Madrid, et eu égard au fait que l’article de L.C.M. et du requérant avait obtenu l’appui de 276 collègues de la TVE qui, eux, n’avaient fait l’objet d’aucune sanction.
Par ailleurs, dans le cadre de la première émission d’une radio privée (Radio COPE) diffusée le 29 novembre 1993, le requérant, commentant les sanctions prises à son encontre, s’exprima comme suit sur une question de l’animateur :
« (...) On a considéré que j’avais commis une faute très grave parce que j’avais adressé une note à un directeur et à un sous-directeur incompétent (...). Les journaux télévisés sont clairement utilisés comme outil de propagande du pouvoir en place (...) ; les dirigeants ne respectent pas la Constitution, ni le statut de la radio et de la télévision (...). Question de l’animateur : « A la TVE, il n’y a plus de gens qui sont mis au placard ? ». Le requérant : « Bien sûr, à présent on les envoie dans des salles-ghetto. (...) ce qui est devenu un cancer, professionnel et économique, pour la TVE, ce sont les affaires privées réalisées ou permises par certains dirigeants. L’animateur : « Bernardo, l’impression que nous avons de l’extérieur, mais aussi grâce aux explications que vous nous donnez, c’est que la TVE est devenue une véritable « foire d’empoigne » (...) Dans ce contexte, les personnels de l’institution et les organes de direction importants ou subalternes sont devenus de véritables sangsues (...) ». Le requérant : « D’authentiques sangsues mais, attention, avec le consentement, lorsque ce n’est pas la participation, de certains dirigeants. Il y a une énorme quantité d’irrégularités graves et d’occultation de données de la part des dirigeants (...). »
Lors d’une deuxième émission de la même radio, qui eut lieu le 3 février 1994, l’animatrice, faisant allusion à des dirigeants de la TVE, sans plus de détails, s’exprima comme suit :
« Ils croient qu’ils sont dans leur jardin personnel, qu’ils peuvent semer ou bien (...) s’y soulager à leur gré (...) Qu’est-ce que cela veut dire ? »
Le requérant répondit alors ce qui suit :
« (...) Certains dirigeants pensent que la radio-télévision publique leur appartient (...). (...) le comportement de la personne responsable des programmes d’information (...) est, parfois, un étalage de superbe et de despotisme. Certains dirigeants se foutent du personnel, des travailleurs (se cagan en el personal, en los trabajadores). »
Suite à ces déclarations, le requérant fit l’objet d’une procédure disciplinaire, qui s’acheva par son licenciement le 15 avril 1994.
Le requérant présenta un recours contentieux auprès du tribunal social n° 4 de Madrid. Par un jugement du 18 juin 1994, ce tribunal déclara nul le licenciement pour vice de procédure. Le tribunal censura le fait, dénoncé par le requérant, que la personne chargée d’instruire la procédure disciplinaire engagée contre lui par la TVE, et dont l’avis avait été déterminant pour la décision de licenciement, faisait partie des dirigeants de l’entreprise critiqués par le requérant durant les émissions de radio.
La TVE interjeta appel auprès du tribunal supérieur de justice de Madrid. Par un arrêt du 5 octobre 1995, ce tribunal infirma le jugement entrepris, jugea que les propos tenus par le requérant étaient offensants pour son employeur et déclara le licenciement conforme aux articles 54.2.c) et 55.5 du Statut des Travailleurs. Un pourvoi en cassation en vue d’assurer l’unification de la jurisprudence fut déclaré irrecevable par une décision (auto) du Tribunal suprême du 12 juillet 1996.
Invoquant notamment les articles 14 (principe d’égalité), 18 (droit à l’honneur), 20 (droit à la liberté d’expression et d’opinion) et 24 (droit à la protection judiciaire) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo contre l’arrêt du tribunal supérieur de justice de Madrid.
Par un arrêt du 25 novembre 1997, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours d’amparo. Après avoir écarté in limine les griefs tirés de l’article 14 combiné avec l’article 24 de la Constitution, il déclara que la question soulevée se limitait au point de savoir si l’arrêt attaqué violait le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 20 de la Constitution et ce, dans le cadre d’un conflit du travail mettant en cause, d’une part, la liberté d’expression et, d’autre part, le droit à l’honneur garanti par l’article 18 § 1 de la Constitution.
Dans son arrêt, le Tribunal constitutionnel souligna l’importance du droit à la liberté d’expression dans une société démocratique. Il rappela par ailleurs que, lorsque le droit à la liberté d’expression entrait en conflit avec un autre droit fondamental reconnu par la Constitution, il importait de rendre un jugement pondéré fondé sur les circonstances concrètes du cas afin de déterminer si la conduite du plaignant trouvait sa justification dans le cadre de la disposition constitutionnelle. Le tribunal rappela que l’exercice de la liberté d’expression et d’opinion ne pouvait justifier sans plus l’utilisation de propos ou d’expressions insultants, injurieux ou vexatoires, excédant le droit de critique et, partant, attentatoires à l’honorabilité de la personne critiquée et ce, même dans le cas d’une personne publique. Par ailleurs, s’agissant de l’exercice du droit à la liberté d’expression dans le cadre de relations de travail, le tribunal rappela que, même si la signature d’un contrat de travail ne privait pas le travailleur des droits reconnus par la Constitution, parmi lesquels figurait le droit de diffuser librement des pensées, idées et opinions, cela ne signifiait pas que l’exercice de la liberté d’expression n’était pas soumis aux limites découlant de la relation de travail. Cela étant, des propos qui, dans un autre contexte, seraient légitimes ne le sont pas nécessairement dans le cadre d’une telle relation.
Examinant les circonstances de l’espèce, le tribunal estima que le requérant avait été licencié, non pour avoir divulgué une information inexacte, mais pour avoir tenu des propos offensants à l’encontre des dirigeants de l’entreprise. Le tribunal ajouta qu’il était vrai que le requérant avait émis des critiques et plaintes publiques concernant le fonctionnement d’un service public. Or, la télévision étant un service public de l’Etat, au sens de l’article 128 § 2 de la Constitution, et géré par l’Etat, les dénonciations publiques faites par le requérant revêtaient indubitablement un intérêt général, et la relation contractuelle entre le requérant et la télévision ne lui interdisait en aucun cas de dénoncer les irrégularités ou anomalies qui, à son avis, se produisaient dans le fonctionnement de l’entité publique. Le tribunal ajouta toutefois qu’il était également indiscutable que, dans ses déclarations, le requérant ne s’était pas limité à informer et exposer des faits et à expliquer ses critiques, mais avait aussi prononcé des jugements de valeur clairement offensants et inutiles pour appuyer des faits reprochés aux dirigeants et responsables de l’entreprise. Tout en admettant que les propos litigieux, à savoir le qualificatif « sangsues », et les propos selon lesquels certains dirigeants « se foutaient du personnel, des travailleurs », semblaient presque provoqués par les commentaires et jugements de valeur des animateurs des émissions de radio, ce fait ne pouvait les justifier ni effacer leur contenu vexatoire et insultant. En conséquence, ces propos étaient exclus du champ de protection du droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 20 de la Constitution, car cette dernière ne protégeait pas le droit à l’insulte.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
La loi du 10 janvier 1980 (n° 4/80) sur le statut de la radiodiffusion et télévision comporte les dispositions pertinentes suivantes :
Chapitre II : Organisation
Section 1 : De l’entité publique RTVE
« Article 5. 1. Les fonctions qui incombent à l’Etat en tant que responsable des services publics de radiodiffusion et télévision sont réalisées par l’entité publique RTVE.
RTVE, en tant qu’entité de droit public, dotée d’une personnalité juridique propre, est soumise exclusivement au présent Statut et à ses dispositions complémentaires. Dans ses relations juridiques extérieures, dans les acquisitions patrimoniales et relations contractuelles, elle est assujettie, sans exceptions, au droit privé.
(...) »
Section 2 : Des organes de l’entité publique RTVE
« Article 6. : L’entité publique RTVE se compose, pour son fonctionnement, son administration générale et sa haute direction, des organes suivants :
a) Conseil d’administration.
(...)
c) Directeur général. »
Section 3 : Du conseil d’administration
« Article 7.1. : Le conseil d’administration se compose de douze membres, élus pour chaque législature, pour moitié par le Congrès et pour moitié par le Sénat, moyennant majorité des deux tiers de la Chambre, parmi des personnes possédant des mérites professionnels notoires. »
Section 5 : Du directeur général de l’entité publique
« Article 10.1. : Le directeur général sera nommé par le Gouvernement après audition du conseil d’administration.
(...) »
Les dispositions pertinentes du Statut des Travailleurs sont libellées comme suit :
Article 54
« L’employeur peut décider de mettre fin au contrat de travail, par un licenciement du travailleur pour non-respect grave et coupable de ses obligations.
(...)
Seront considérées comme inexécutions contractuelles :
(...)
c) Les offenses orales ou physiques envers l’employeur ou les personnes travaillant dans l’entreprise ou les membres de leurs familles vivant avec eux. »
Article 55
« Forme et effets du licenciement disciplinaire.
(...)
Le licenciement justifié entraînera l’extinction du contrat sans droit à indemnisation (...). »
En outre, deux dispositions de la Constitution entrent en ligne de compte dans la présente affaire :
Article 14
« Tous les Espagnols sont égaux devant la loi. Aucune discrimination fondée sur la naissance, la race, le sexe, la religion, l’opinion ou toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale n’est admissible. »
Article 20
« 1. Sont reconnus et protégés les droits suivants :
a) droit d’exprimer et diffuser librement des pensées, idées et opinions oralement, par écrit ou par tout autre moyen de reproduction ;
(...)
d) droit de communiquer et recevoir librement des informations vraies par tous les moyens de diffusion. (...).
L’exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune censure préalable.
(...)
Ces libertés ont leur limite dans le respect des droits reconnus dans ce Titre, dans les dispositions des lois d’application et particulièrement dans le droit à l’honneur, à la vie privée, à son image et à la protection de la jeunesse et de l’enfance. » | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Le 15 juillet 1975, le requérant introduisit un recours à la Cour des comptes afin d’obtenir la reconnaissance de son droit à une pension privilégiée en raison d’une infirmité contractée pendant le service militaire.
Suite à la loi n° 19/94, instituant les chambres régionales de la Cour des comptes, le recours fut transmis à la chambre régionale pour la Campanie. Par une décision du 9 mai 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 13 octobre 1997, la chambre régionale rejeta le recours du requérant.
Le 15 décembre 1997, le requérant interjeta appel devant la chambre juridictionnelle centrale de la Cour des comptes. Le 24 février 1999, le président de la chambre fixa l'audience au 25 mai 1999. Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 22 juin 1999, la Cour des comptes constata que le requérant n’avait pas présenté dans le délai d’un an la demande tendant à ce que l’audience fût fixée et que partant il y avait renonciation à l’appel. Elle constata, en outre, que l’avocat du requérant n’était pas habilité à plaider devant ladite cour. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 14 décembre 1988, la requérante assigna le syndic de la copropriété V.M. devant le tribunal de Milan, afin d’obtenir l’annulation d’une délibération de l’assemblée des copropriétaires et la réparation des dommages subis suite à des infiltrations d’eau dans son appartement.
La mise en état de l’affaire, fixée au 15 février 1989, fut remise d’office au 21 février 1989. Le 4 avril 1989, le juge de la mise en état rejeta la demande concernant des moyens de preuve formulée par la requérante car trop générique et fixa l’audience de présentation des conclusions au 16 mai 1989. L’audience de plaidoiries eut lieu le 11 janvier 1990. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 14 mai 1990, le tribunal rejeta la demande de la requérante.
Le 13 juillet 1990, la requérante interjeta appel devant la cour d’appel de Milan. A son tour, la partie adverse interjeta un appel incident relatif aux frais de la procédure. La mise en état de l’affaire commença le 21 novembre 1990. L’audience du 20 mars 1991 fut renvoyée au 13 novembre 1991, à la demande de la partie défenderesse. Le jour venu eut lieu l’audience de présentation des conclusions. L’audience de plaidoiries se tint le 26 octobre 1993. Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 24 mai 1994, la cour rejeta les appels des parties.
Le 4 octobre 1994, la requérante se pourvut en cassation. L’audience eut lieu le 13 décembre 1996. Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 20 mai 1997, la Cour rejeta le pourvoi de la requérante. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 19 septembre 1985, la société A. assigna le requérant devant le tribunal de Cagliari afin d’obtenir le paiement d’une somme en exécution de certains travaux.
La mise en état de l’affaire commença le 4 novembre 1985. Le 26 mai 1986, la société A. demanda l’audition du requérant. Les audiences des 13 mars 1987 et 27 novembre 1987 furent reportées en raison de l’absence du requérant et celle du 30 septembre 1988 le fut car le conseil de la société A. avait renoncé à son mandat. Après deux audiences reportées afin de permettre aux parties de présenter leurs conclusions, le 19 mars 1990 le requérant demanda l’audition de témoins. La partie demanderesse s’opposa à cette demande à l’audience du 1er octobre 1990. Après une audience consacrée au dépôt de documents et une autre renvoyée pour permettre aux parties d’essayer de parvenir à un règlement amiable, le 18 novembre 1991 le juge de la mise en état admit l’audition de témoins. Le 9 octobre 1992, des témoins furent entendus. Les audiences des 21 mai 1993, 1er mars 1994 et 15 novembre 1994 furent reportées en raison de l’absence d’un témoin.
Le 2 mai 1995, l’audience ne se tint pas en raison d’une grève des avocats et elle fut renvoyée au 15 décembre 1995. Le jour venu, l’audience fut renvoyée à deux reprises à la demande des parties, jusqu’au 7 novembre 1997, date à laquelle eut lieu l’audition d’un témoin. L’audience du 30 octobre 1998 fut reportée au 9 juillet 1999 en raison de l’absence d’un témoin. Toutefois, le jour venu elle fut renvoyée d’office au 5 mai 2000. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 19 avril 1986, la requérante introduisit un recours à la Cour des comptes afin d’obtenir la reconnaissance du droit à la réversibilité de la pension de guerre de sa mère.
Suite à la loi n° 19/94, instituant les chambres régionales de la Cour des comptes, l’affaire fut transmise à la chambre régionale pour la Calabre. Le 31 octobre 1995 la requérante présenta une demande tendant à ce que la procédure fût continuée. L'audience de plaidoiries fut fixée au 16 mars 1997 et, selon les informations fournies par le Gouvernement, fut renvoyée à la demande de la requérante. Le 14 septembre 1998, la requérante présenta une demande tendant à la fixation urgente de la date de l’audience de plaidoiries fût fixée. Cette audience eut lieu le 20 novembre 1998.
Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 13 septembre 1999, la chambre régionale rejeta le recours de la requérante en raison du fait que ledit recours avait été introduit au-delà du délai prévu par la loi. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 19 octobre 1992, le requérant, infirmier auprès d’une unité sanitaire locale, notifia à son employeur un recours afin d’obtenir le paiement de la rétribution pour les heures de travail supplémentaire. Ce recours fut par la suite déposé au greffe du tribunal administratif régional de Campanie.
Le même jour, le requérant présenta une demande tendant à ce que la date de l’audience fût fixée. Le 23 septembre 1997, le requérant présenta une demande tendant à la fixation urgente de la date de l’audience. Le 9 mars 1998, le tribunal administratif fixa la date de l'audience au 27 mai 1998. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 9 juillet 1998, le tribunal rejeta le recours du requérant. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 23 juillet 1968, le requérant introduisit un recours à la Cour des comptes afin d’obtenir la reconnaissance de son droit à une pension privilégiée en raison d’une infirmité contractée pendant son service militaire. Par une ordonnance du 3 avril 1989, dont le texte fut déposé au greffe le 27 avril 1989, la Cour des comptes ordonna la suspension de la procédure dans l’attente d’un jugement de l’assemblée plénière concernant une affaire ayant le même objet. Le 15 novembre 1989, suite à l’émission dudit jugement, le requérant présenta une demande tendant à ce que la date de l’audience fût fixée.
Suite à la loi n° 19/94, introduisant les chambres régionales de la Cour des comptes, le 13 juin 1994, la chambre régionale pour le Latium informa le requérant que le recours lui avait été transmis. Entre-temps, le 8 avril 1994, le requérant avait déjà présenté à ladite chambre une demande tendant à ce que la procédure fût continuée et à ce que la date de l’audience fût fixée. Par une ordonnance du 26 octobre 1995, dont le texte fut déposé au greffe le 13 décembre 1995, la chambre régionale pour les Marches, à laquelle l’affaire avait été transmise à une date non précisée, ordonna de verser au dossier la décision de l’assemblée plénière. Une copie incomplète de cette décision fut versée au dossier le 12 janvier 1996.
L'audience suivante fut fixée au 11 juillet 1996 et, selon les informations fournies par le Gouvernement, fut renvoyée à la demande du requérant. Le 24 avril 1998, le requérant présenta une demande tendant à ce que la date de l'audience fût fixée. Cette audience fut fixée au 25 septembre 1998. Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 4 février 1999 et notifié au requérant le 22 février 1999, la chambre régionale pour les Marches rejeta le recours du requérant. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 12 juin 1971, le requérant présenta au ministère du Trésor une demande tendant à obtenir une pension de guerre.
Le 21 mai 1986, le requérant introduisit un recours à la Cour des comptes afin d’obtenir la reconnaissance de son droit à la pension de guerre.
Le 22 mai 1987, le requérant présenta une demande tendant à la fixation urgente de la date de l’audience.
Suite à la loi n° 19/94, instituant les chambres régionales de la Cour des comptes, le 27 mai 1994 l’affaire fut transmise à la chambre régionale pour la Campanie. L'audience de plaidoiries fut fixée au 5 novembre 1999.
Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 22 novembre 1999, la chambre régionale rejeta le recours du requérant. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 31 octobre 1979, le requérant introduisit un recours à la Cour des comptes afin d’obtenir la reconnaissance de son droit à une pension privilégiée en raison d’une infirmité contractée pendant son service militaire.
A une date non précisée de 1980, le 5 août 1981 et, par la suite, à une autre date non précisée, le requérant présenta une demande tendant à ce que la date de l’audience fût fixée.
Suite à la loi n° 19/94, instituant les chambres régionales de la Cour des comptes, l’affaire fut transmise à la chambre pour la Campanie. Le 9 mars 1995, le président de la chambre régionale fixa la date de l’audience au 9 juin 1995.
Par une ordonnance de ce jour-là, dont le texte fut déposé au greffe le 12 février 1997, la chambre régionale ordonna au greffe de demander au ministère de la défense un avis concernant l’infirmité du requérant.
Le 27 juin 1997, la chambre régionale demanda au ministère de fournir avec urgence l’avis concernant l’infirmité du requérant. L'avis fut déposé au greffe en juin 1999.
Une audience fut fixée au 16 juin 2000. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
En 1994, sous le même toit, vivaient le requérant, son épouse J., leurs trois enfants, Ju., P. et S., nés respectivement en 1981, 1985, et 1991, ainsi que D., née en 1977, fille du requérant et d’une femme restée au Zaïre, K., née en 1977, nièce du requérant, et G., née en 1973, fille d’un cousin du requérant.
Le 15 décembre 1993, le service de l’aide sociale à l’enfance des Yvelines signala au parquet des mineurs de Versailles des actes d’inceste et de maltraitance susceptibles d’avoir été commis par le requérant sur sa fille mineure D. L’enquête préliminaire effectuée par le service départemental des mineurs des Yvelines – clôturée le 16 février 1994 – ne mit pas en évidence des faits de cette nature. Toutefois, le 15 mai 1994, le même service rendit compte audit parquet de deux nouvelles plaintes émanant de D. – elle alléguait que son père avait procédé à plusieurs examens de sa virginité – et de K., la nièce mineure du requérant, qui affirmait avoir été violée par ce dernier, à plusieurs reprises depuis 1991. Le requérant n’ayant pas déféré à une convocation de la police, un mandat d’amener fut décerné contre lui le 17 juin 1994 par le juge d’instruction de Versailles.
Le 23 juin 1994, entendu en première comparution par le juge d’instruction, le requérant fut mis en examen des chefs de viols sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité, de viols par personne ayant autorité et d’agressions sexuelles sur mineure de plus de 15 ans ; il fut en outre placé en détention provisoire.
Un certain nombre de mesures d’instruction furent prises entre la date d’ouverture de l’information et la fin de l’année 1996. Diverses expertises médicales portant sur l’état de santé (physique et psychologique) des deux mineures concernées et du requérant furent ainsi ordonnées, et le juge d’instruction délivra plusieurs commissions rogatoires aux fins d’investigations dont, en juillet 1996, une commission rogatoire internationale à l’adresse de « toutes les autorités judiciaires compétentes du Zaïre » qui resta sans réponse (le juge d’instruction entendait ainsi obtenir les actes de naissance de D., G., K., Ju. et du requérant, ainsi que les témoignages de plusieurs personnes qui avaient connu ce dernier et étaient susceptibles d’apporter des renseignements sur lui et sur D., K. et G. ; il demandait en outre qu’il soit vérifié si le requérant était connu au Zaïre pour des faits similaires, que la mère de D. soit interrogée sur sa fille et le requérant, qu’il soit précisé si les recherches de virginité sont des pratiques usuelles au Zaïre et, dans l’affirmative, par qui elles sont pratiquées et « plus généralement, [que soit effectué] tout autre acte qui s’avérerait nécessaire à la manifestation de la vérité y compris toutes auditions, confrontations, saisies et confection de scellés ».
Par un arrêt du 15 novembre 1996, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Versailles ordonna la mise en liberté du requérant sous contrôle judiciaire.
Convoqué par le juge d’instruction le 30 septembre 1997, le requérant ne comparut pas.
Le 6 novembre 1997, le requérant adressa au magistrat instructeur une demande aux fins de clôture de l’information et de rendez-vous. Le 12 décembre 1997, ledit magistrat rendit une ordonnance de refus de clôturer ainsi libellée :
« Attendu qu’il est reproché à l’intéressé plusieurs viols ou agressions sexuelles sur des mineures dont il avait la charge ; que malgré les lourdes charges pesant à son encontre dont les accusations des intéressées et d’une troisième qui prétend également avoir été violée par lui, il persiste dans ses dénégations ;
Attendu qu’il a demandé de manière réitérée tant à nous même que devant la chambre d’accusation une série d’actes d’instruction dont certains au Zaïre ; qu’une commission rogatoire internationale a été ainsi délivrée le 3 juillet 1996 ; que s’il a selon ses dires pu avoir connaissance des résultats de cette mesure d’instruction, cela n’est pas notre cas puisqu’à ce jour elle ne nous a pas été renvoyée ;
Attendu que par ailleurs, il n’a pas déféré à notre convocation en date du 30 septembre 1997 ; que par fax adressé la veille à 19 h 08, [le conseil du requérant] nous a fait savoir que l’intéressé ne pouvait pas venir puisqu’il était incarcéré, ce que nous ne savions pas ; qu’il était demandé par ailleurs un report d’instruction ; que l’intéressé sollicite à nouveau un rendez-vous d’une manière d’ailleurs non conforme à l’article 81 du code de procédure pénale ; qu’il apparaît en conséquence que l’information ne peut être clôturée en l’état. »
Selon le Gouvernement, cette ordonnance fut confirmée le 2 janvier 1998 par la chambre d’accusation.
Le juge d’instruction entendit le requérant le 20 janvier 1998 ; ce dernier protesta une nouvelle fois de son innocence et ledit juge l’informa qu’il n’avait « pas de nouvelles » de la commission rogatoire internationale délivrée le 3 juillet 1996.
Le lendemain, le magistrat instructeur ordonna une expertise aux fins notamment d’examiner trois dossiers médicaux (dont deux avaient été scellés en septembre 1996), de déterminer les personnes concernées par ces documents et de « fournir toutes indications sur les caractéristiques physiques et leur identité de façon à pouvoir les identifier et savoir s’il y a eu usurpation d’identité », et de dire si elles étaient en état de grossesse et si elles ont avorté. L’expert clôtura son rapport le 28 février 1998.
Dans des lettres datées des 8 février 1999 et 5 juin 2000, le requérant signale à la Cour que l’information n’est pas close et qu’il se trouve toujours sous contrôle judiciaire. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant a été président-directeur général de la société C., ayant son siège social à Bordeaux, jusqu'à sa démission en octobre 1986. Il dirigeait également la société E. Le 6 juillet 1987, les commissaires aux comptes de la société C. signalèrent au procureur de la République de Bordeaux un certain nombre de faits relatifs aux relations commerciales entre les sociétés C. et E.
Le 21 août 1987, le procureur de la République ordonna une enquête préliminaire, confiée au service régional de police judiciaire (SRPJ) de Bordeaux.
Le 3 mars 1988, le requérant fut placé en garde à vue et interrogé par l’inspecteur divisionnaire du SRPJ.
Par réquisitoire introductif du 4 mars 1988, le procureur requit l'ouverture d'une information judiciaire. Le même jour, le requérant fut inculpé par le juge d'instruction du chef d'abus de biens sociaux au préjudice de la société C.
Il fut entendu de nouveau par le juge le 6 juin 1988.
Le 29 décembre 1988, la société C. se constitua partie civile.
Le 4 septembre 1989, le juge d’instruction fut remplacé. Le nouveau juge demanda le 27 février 1990 au président du tribunal de commerce la communication d’un rapport d’expertise dans le cadre d’une procédure commerciale opposant les sociétés E. et C. Le rapport lui fut adressé le 13 août 1990.
Le juge entendit le représentant légal de la société C. le 11 octobre 1990. Ce dernier lui indiqua qu’une contre-expertise comptable avait été ordonnée.
Par lettres des 21 février 1991 et 10 février 1992, le juge demanda à la partie civile de lui communiquer le rapport de la contre-expertise.
Le 4 septembre 1992, un nouveau juge d’instruction fut désigné.
Le 19 septembre 1993, il sollicita de nouveau de la partie civile le rapport de la contre-expertise. Il s’adressa également, le 22 novembre 1993, au greffe du tribunal de commerce, qui lui transmit le rapport le 25 novembre suivant.
Le 17 janvier 1994, le juge demanda au requérant et à la partie civile leurs observations sur le rapport, qui lui furent transmises respectivement les 1er et 28 février 1994.
Le 30 juin 1994, le juge notifia aux parties un avis de fin d’information (article 175 du Code de procédure pénale).
Le 20 juillet 1994, la partie civile demanda une confrontation avec le requérant. Le 25 octobre suivant, elle renonça à cette demande.
Le 7 décembre 1994, le dossier fut communiqué au procureur de la République qui, le 29 juin 1995, requit un non-lieu partiel au profit du requérant, et son renvoi devant le tribunal correctionnel du chef d'abus de biens sociaux, en s'appuyant notamment sur le second rapport d'expertise déposé dans la procédure commerciale.
Par ordonnance du 30 juin 1995, le juge d'instruction prononça un non-lieu partiel et renvoya pour le surplus le requérant devant le tribunal correctionnel de Bordeaux.
L’audience devant le tribunal correctionnel eut lieu le 18 janvier 1996. Par jugement du 15 février 1996, le tribunal reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à trois mois d'emprisonnement avec sursis.
Le requérant et le ministère public ayant fait appel, l'audience devant la cour d'appel de Bordeaux fut fixée successivement au 11 février, puis au 6 mai 1997.
Par arrêt du 24 juin 1997, la cour d'appel constata l'extinction de l'action publique à l'encontre du requérant en raison de la prescription, après avoir relevé qu'aucun acte interruptif de prescription n'avait été effectué pendant les trois ans qui avaient suivi l'audition de la partie civile. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 18 novembre 1992, la requérante déposa un recours devant le juge d'instance de Bénévent, faisant fonction de juge du travail, afin d'obtenir la reconnaissance de son droit à une pension ordinaire d'invalidité.
Le 5 janvier 1993, le juge d'instance fixa la première audience au 9 février 1994. Le jour venu, le juge nomma un expert et fixa la mise en délibéré de l'affaire au 6 mars 1995. Par décision du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 2 juin 1995, le juge rejeta la demande de la requérante.
Le 30 juin 1995, cette dernière interjeta appel devant le tribunal de Bénévent. Le 19 juillet 1995, le président chargea un juge rapporteur du dossier et fixa l'audience de plaidoiries au 17 janvier 1996. Cette audience fut reportée d’office à quatre reprises jusqu’au 25 février 1998. Le jour venu, le tribunal nomma un expert et ajourna l’affaire au 23 septembre 1998. A cette date, la requérante versa des documents au dossier et le tribunal convoqua l’expert pour le 9 décembre 1998. L’expert ne s’étant pas présenté, le tribunal fixa l’audience suivante au 27 janvier 1999, date à laquelle le tribunal renouvela l’expertise et ajourna l’affaire au 26 mai 1999. A cette date, l'affaire fut ajournée au 27 octobre 1999 car l'expert n'avait pas encore déposé au greffe l'expertise. Le jour venu, l'audience fut reportée d'office au 19 avril 2000. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 27 février 1993, la requérante déposa un recours à l’encontre de M. C. devant le juge d’instance de Sala Consilina (Salerne) en dénonciation de nouvel œuvre et afin d’obtenir la démolition de certaines constructions.
La mise en état de l’affaire commença le 26 mars 1993, date à laquelle le défendeur déposa une demande reconventionnelle. Le 7 mai 1993, l’audience fut renvoyée à la demande de la requérante. Le 4 juin 1993, le juge d’instance nomma un expert. L’audience du 9 juillet 1993 fut reportée d’office, celle du 17 janvier 1994 le fut en raison de l’absence de l’expert. Le 28 janvier 1994, le juge d’instance nomma un autre expert, le premier ayant refusé sa mission. L’audience du 8 mars 1994 fut reportée à la demande de la requérante, M. C. étant absent. Le 15 avril 1994, l’expert prêta serment. Les deux audiences qui eurent lieu les 10 juin et 21 octobre 1994 furent renvoyées à la demande des parties, afin que celles-ci puissent examiner le rapport d’expertise. Le 2 décembre 1994, le juge fixa l’audience de présentation des conclusions au 3 mars 1995 ; toutefois, cette audience fut d’abord renvoyée au 16 juin 1995 à la demande de la requérante, ensuite d’office au 15 décembre 1995, puis jusqu’au 8 novembre 1996, à la demande de la requérante ou des parties. L’audience du 8 novembre 1996 fut reportée à la demande de M. C. et celle du 18 avril 1997 le fut à la demande de la requérante. L’audience fixée au 4 juillet 1997 fut renvoyée d’office au 11 juillet 1997. Le 10 avril 1998, le requérant signala que le procès-verbal de l’audience précédente n’était pas signé par le juge d’instance. Par conséquent, l’audience fut ajournée au 5 juin 1998. Cette audience fut reportée à deux reprises en raison d’une grève des avocats. L’audience fixée le 5 février 1999 fut renvoyée d’office. Les 26 mars et 7 mai 1999, les audiences concernèrent un complément d’expertise.
Le 24 juin 1999, l’audience de présentation des conclusions fut renvoyée d’office en raison de la réforme concernant les juges d’instance. A une date non précisée, l’affaire fut attribuée au juge de paix. Sur les trois audiences fixées entre le 2 mai 2000 et le 26 mai 2000, deux furent renvoyées à la demande des parties et une concerna la discussion sur la compétence du juge de paix.
Par un jugement du 26 mai 2000, dont le texte fut déposé au greffe le même jour, le juge de paix déclara son incompétence ratione materiae et fixa un délai de quatre-vingt-dix jours pour reprendre l’affaire devant le tribunal de Sala Consilina (Salerne). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 14 avril 1992, le requérant assigna la province de Bergame devant le tribunal de la même ville afin d’obtenir réparation des dommages subis lors d’un accident sur une route ayant une signalisation insuffisante.
La mise en état de l’affaire commença le 28 mai 1992. Le 8 octobre 1992, le juge de la mise en état admit l’audition du requérant et de témoins et nomma un expert qui prêta serment le 30 juin 1993. Lors de la même audience il fut procédé à l’audition du requérant et de certains témoins. L’audition des témoins continua aux audiences des 3 novembre 1993 et 12 janvier 1994. Les parties présentèrent leurs conclusions le 10 mars 1994 et l’audience de plaidoiries fut fixée au 16 octobre 1997. A cette date, les parties étaient absentes et l’audience fut ajournée au 27 novembre 1997. Celles-ci ne se présentèrent plus à l‘audience car entre-temps, le 13 novembre 1997, elles étaient parvenues à un règlement à l’amiable du différend. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 25 mars 1987, la requérante et son mari assignèrent M. C. et la copropriété G. devant le tribunal de Catane afin de demander le constat de l’existence de vices de construction dans l’immeuble où ils occupaient un appartement et d’obtenir la réparation de celui-ci pour cause d’infiltrations.
La mise en état de l’affaire commença le 5 mai 1987, date à laquelle l’audience fut renvoyée pour permettre à la copropriété de nommer un syndic. Des dix audiences fixées entre le 14 juillet 1987 et le 6 février 1990, deux furent reportées pour la même raison que la première audience, une concerna le dépôt de documents, deux furent reportées à la demande de M. C. et cinq concernèrent l’expertise. Le 30 mars 1990, la requérante déposa des documents et une demande en référé visant la réalisation de travaux pour la réparation de l’appartement. Par une ordonnance du 17 avril 1990, le juge de la mise en état fit droit à cette demande et fixa l’audience suivante au 12 juin 1990. Après une audience, le 2 octobre 1990 les parties étaient absentes et l’audience fut renvoyée au 15 mars 1991. Le 10 mai 1991, l’avocat de M. C. renonça à son mandat et l’audience fut renvoyée au 17 mai 1991, pour permettre à M.C. d’en nommer un autre.
Le 7 février 1992, la requérante déposa des documents et le juge de la mise en état ordonna à l’expert de se présenter afin de fournir des éclaircissements. Des huit audiences fixées entre le 21 février 1992 et le 19 avril 1994, cinq concernèrent un complément d’expertise, deux la discussion relative à l’état des travaux et une audience fut renvoyée d’office. Le 5 juillet 1994, l’audience fut reportée au 10 janvier 1995 car les parties étaient absentes. Le jour venu, l’avocat des demandeurs renonça à son mandat. Une audience fut fixée au 23 mai 1996, puis renvoyée d’office au 31 octobre 1996. Les audiences du 31 octobre 1996 et du 7 mai 1996 furent reportées à la demande de l’un des défendeurs et celle du 14 janvier 1997 d’office au 7 octobre 1997. A cette date, l’audience suivante fut fixée au 25 février 1998. Le 25 mai 1998, les parties étant absentes, une nouvelle audience fut fixée au 24 novembre 1998.
Le 8 mars 1999, le conseil de la requérante informa le juge du décès du mari de la requérante et le conseil de M. C. du décès de son client. Le juge déclara l’interruption du procès.
Le 4 septembre 1999, la requérante reprit la procédure. Par une ordonnance hors audience du 27 septembre 1999, le juge fixa une audience au 24 janvier 2000. Le jour venu, en raison d’une erreur du greffe, eurent lieu deux audiences devant deux juges différents ; l’une fut renvoyée au 9 octobre 2000, car les parties étaient absentes, l’autre fut renvoyée au jour suivant. Le 25 janvier 2000, le juge renvoya l’affaire au 27 juin 2000, afin de permettre un complètent d’expertise.
Toutefois, le 28 mars 2000, la requérante et son fils déposèrent un recours en référé et la date de l’audience fut avance au 9 mai 2000. Le jour venu, le juge renvoya au 4 juillet 2000, car la notification aux autres copropriétaires n’avait pas été faite correctement. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 19 février 1969, M. G., mari de la requérante, introduisit un recours à la Cour des comptes afin d’obtenir la reconnaissance de son droit au paiement d’une pension de guerre, suite au rejet de sa demande de la part du ministère du Trésor.
Le 4 août 1972, le dossier fut transmis au ministère du Trésor pour la révision administrative de la décision de rejet.
Le 20 mars 1976, M.G. décéda.
Le 11 mars 1981, le ministère rendit le dossier à la Cour des comptes sans avoir procédé à la révision de la décision.
Le 18 décembre 1984, le ministère demanda le dossier afin de procéder à l’examen de l’affaire concernant la requérante et, le 19 janvier 1985 la Cour des comptes transmit à nouveau le dossier.
En vertu de la loi n° 19/94, instituant les chambres régionales de la Cour des comptes, le 31 juillet 1995 l’affaire fut transmise à la chambre régionale pour le Molise. Le 1er février 1997, la requérante reprit la procédure.
Le 4 février 1997, le chambre régionale demanda au ministère du Trésor de lui transmettre le dossier administratif, celui-ci étant nécessaire pour la fixation de la date de l’audience. Les 9 juillet 1998 et 25 février 1999, la chambre régionale renouvela ladite demande. Par une communication du 25 mars 1999, la chambre régionale informa la requérante que la date de l’audience avait été fixée au 23 septembre 1999.
Par un jugement du 23 septembre 1999, dont le texte fut déposé au greffe le 27 octobre 1999, la chambre régionale rejeta le recours de la requérante. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Pendant une certaine période, la requérante travailla, en tant que bénévole et salariée, dans le milieu de la culture physique et du culturisme : elle anima ainsi une salle de musculation, du 1er mars 1985 au 30 mai 1986, puis celle de l’Office municipal des sports de Rilleux-La-Pape, du 1er juin 1986 au 31 juillet 1987, avant d’être licenciée pour des raisons économiques.
De septembre 1988 à septembre 1989, Mme Motière suivit un stage de formation au Centre régional d’éducation populaire et du sport (CREPS) Alpes Vivarais à Voiron (Isère) afin d’obtenir le brevet d’État d’aptitude à l’enseignement de la culture physique et du culturisme. Ayant assidûment suivi la formation, elle se présenta aux épreuves finales, ce qui lui permettait d’espérer obtenir ledit brevet et de démarrer une nouvelle activité professionnelle. Toutefois, à la fin de sa formation, et contrairement à l’ensemble de ses collègues, elle ne reçut aucune notification officielle du résultat de son stage. Par une lettre du 6 novembre 1989, elle sollicita du directeur du CREPS Alpes Vivarais le résultat des notes obtenues lors de l’épreuve finale du stage. Le 10 novembre 1989, le directeur l’informa qu’il n’était pas possible de donner suite à cette demande ; il indiquait que l’évaluation finale ne donnait pas lieu à l’attribution de notes et que lorsque le jury estimait que certaines capacités n’étaient pas atteintes par les candidats, ceux-ci étaient déclarés « différés » ou « refusés », puis recevaient des conseils ou des directives pour poursuivre leur cursus de formation.
Le 6 août 1990, Mme Motière saisit le tribunal administratif de Grenoble d’un recours en annulation de la décision du directeur du CREPS, du 3 janvier 1990, lui refusant l’octroi dudit brevet, ainsi que d’une décision du directeur régional de la jeunesse et des sports, du 26 avril 1990, rejetant le recours gracieux formé auprès de lui le 1er mars 1990. A l’appui de son recours, elle soutenait que le refus qui lui était opposé était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ; de plus, elle faisait valoir l’incompétence du directeur du CREPS de prendre une telle décision, l’irrégularité de la composition du jury, l’absence du livret de formation exigé par les articles 12 et 13 de l’arrêté du 13 août 1985 et la méconnaissance de la loi du 11 juillet 1979 imposant pour toute décision administrative défavorable de faire état des motifs la justifiant.
Par un jugement avant dire droit du 29 juillet 1994, le tribunal administratif invita le ministère concerné à produire le procès-verbal de la délibération du jury de l’unité finale de synthèse de la session d’octobre 1989 et la note du 12 décembre 1989 du secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports approuvant les décisions du jury.
Par un jugement du 22 novembre 1995, le tribunal administratif de Grenoble annula la décision du 7 octobre 1989 par laquelle le jury, qui avait fixé la liste des candidats admis au concours, avait prononcé l’élimination de la requérante. Il relevait que le livret de formation de Mme Motière établi pour l’année scolaire 1988-1989 ne mentionnait pas (en méconnaissance de l’article 7 de l’arrêté du 13 août 1985) les évaluations de toutes les étapes de sa formation et ne lui avait été délivré que postérieurement à la décision du jury la déclarant éliminée. Il concluait que les irrégularités ainsi commises avaient été de nature à entacher d’irrégularité le déroulement de l’ensemble de la formation dispensée et la décision du jury prise au vu des notes sanctionnant les différentes étapes de la formation de l’intéressée. Ce jugement fut notifié aux parties le 10 janvier 1996.
Mme Motière s’adressa alors à l’administration qui lui répondit qu’il était impossible de reconstituer le livret de formation manquant, en raison de l’ancienneté de la période de formation de l’intéressée (1988-1989) et faute d’avoir conservé l’évaluation de celle-ci par l’administration. Cette dernière suggéra à la requérante de s’inscrire aux épreuves d’un diplôme nouvellement créé, le brevet d’État d’éducateur sportif.
Le 5 février 1997, la requérante saisit à nouveau le tribunal administratif de Grenoble d’une requête tendant à l’ouverture d’une procédure juridictionnelle aux fins d’exécution du jugement du 22 novembre 1995. Elle visait à obliger l’Etat à organiser, dans les conditions fixées par la réglementation en vigueur à l’époque, une nouvelle réunion du jury en vue de le faire délibérer sur sa candidature à l’examen litigieux. Le 24 mars 1997, le tribunal rejeta le recours au motif que « l’exécution du jugement (...) selon les modalités réclamées par la requérante se heurte à l’impossibilité de remplir une formalité indispensable à un second passage du même examen par l’intéressé ». Ce jugement fut notifié à la requérante par lettre du 28 mars 1997 qu’elle reçut le 4 avril.
La requérante en appela contre ce jugement devant la cour administrative d’appel de Lyon, le 4 juin 1997. Toutefois, le 30 juin 1997, elle se désista de son recours. Par une ordonnance du 2 septembre 1997, le président de la troisième chambre de la cour administrative d’appel donna acte à la requérante de son désistement. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
A. Déroulement de l’instruction
Entre les mois de décembre 1992 et de mars 1993, cinq vols à main armée ont été commis à Marseille dans différents établissements bancaires. Lors du dernier vol à main armée du 4 mars 1993, les malfaiteurs ont pris la fuite à bord d’un véhicule dont le numéro d’immatriculation fut relevé par un témoin. Le 24 mars 1993, la police identifia les empreintes digitales relevées sur le véhicule comme étant celles du requérant et d’une autre personne. A l’époque, le requérant avait déjà été condamné pour plus de onze vols à main armée commis dans des établissements bancaires, ainsi que pour trafic de stupéfiants, et bénéficiait d’une mesure de libération conditionnelle par arrêté ministériel du 4 décembre 1991.
Le 14 avril 1993, le requérant fut arrêté et mis en examen des chefs de vols aggravés criminels, association de malfaiteurs et détention d'arme de première catégorie (grenade). Lors de son interpellation par les services de police, le requérant portait un sac contenant une cagoule noire à trois trous et un revolver à grenaille approvisionné. Le 16 avril 1993, il fut placé en détention provisoire.
Le 13 mai 1993, le juge d’instruction ordonna un examen psychiatrique, ainsi qu’un examen médico-psychologique de la personnalité du requérant. Les experts déposèrent leurs rapports les 24 mai et 6 juillet 1993 respectivement. Ils soulignaient notamment le risque de récidive du requérant, dû à des difficultés d’adaptation.
Le 29 septembre 1993, le juge d’instruction procéda au premier interrogatoire du requérant qui, tout au long de l’information, nia sa participation aux faits qui lui étaient reprochés et contesta les éléments à charge recueillis contre lui. Au cours de l’instruction, le juge d’instruction délivra au total huit commissions rogatoires et procéda à dix-neuf interrogatoires.
Le 9 octobre 1995, le requérant déposa une demande auprès du juge d’instruction en vue d’entendre deux témoins à décharge. Le second témoin n’ayant pas déféré aux multiples convocations que lui adressa le juge d’instruction, le requérant renonça à son audition, le 7 novembre 1996.
Le 10 avril 1997, la chambre d’accusation renvoya le requérant devant la cour d’assises du département des Bouches-du-Rhône.
B. Demandes de mises en liberté
Le 29 octobre 1996, la chambre d’accusation de la cour d'appel d’Aix-en-Provence confirma l’ordonnance de rejet d’une demande de mise en liberté présentée par le requérant, aux motifs suivants :
« Au regard de la complexité de ce dossier, de la multiplicité des faits criminels reprochés [au requérant], de ses dénégations systématiques nécessitant de nombreuses investigations, la détention provisoire ne peut être considérée comme excédant le délai raisonnable prévu par la Convention (...) »
Le 10 décembre 1996, la chambre confirma l’ordonnance de rejet d’une autre demande de mise en liberté présentée par le requérant, aux motifs suivants :
« Les présomptions qui pèsent sur [le requérant] (...) sont lourdes et se rapportent à des faits graves qui, s’agissant de plusieurs attaques à main armée d’établissements bancaires, troublent gravement l’ordre public. Par ailleurs, [le requérant] ayant déjà été condamné à neuf ans de réclusion criminelle du chef de vols avec arme, il importe tout à la fois de prévenir le renouvellement de ses agissements criminels et de s’assurer, au regard de la rigueur des peines qu’il encourt en état de récidive, de sa représentation en justice. »
Le 26 août 1997, la chambre d’accusation rejeta une nouvelle demande de mise en liberté présentée par le requérant, en soulignant notamment:
« (...) Cependant, les investigations menées ont été longues et fastidieuses et justifient la durée de l’information, l’intéressé lui-même ayant attendu deux années pour faire état de témoignages censés l’innocenter. »
Contre cet arrêt, le requérant se pourvut en cassation en invoquant l’article 5 § 3 de la Convention. Par un arrêt du 2 décembre 1997, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.
Pendant sa détention provisoire, le requérant déposa au total dix-sept demandes de mise en liberté, dont deux après son renvoi devant la cour d’assises.
C. Jugement
L’audience devant la cour d’assises eut lieu les 18 et 19 décembre 1997. Le 19 décembre 1997, le requérant fut déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à huit ans d’emprisonnement. Le requérant ne se pourvut pas en cassation contre cet arrêt. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Par procuration en date du 15 octobre 1991, la requérante donna pouvoir à B.N., marchand de biens, de vendre deux immeubles lui appartenant, pour un « prix minimum de l’ensemble de vingt millions de francs ». Il était précisé par la requérante que « les honoraires de [B.N.] sont à ma charge d’environ dix pour cent hors taxe du prix de vente ».
Le 5 novembre 1991, B.N. négocia la vente de ces immeubles avec la société S. Par deux procurations en date du 25 novembre 1991, la requérante donna mandat à B.N. de vendre lesdits immeubles, le premier moyennant un prix de vingt millions de francs et le second moyennant un prix de deux millions de francs, honoraires compris. Par lettre du 27 novembre 1991, la société S. accepta l’offre concernant la vente du premier immeuble.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 janvier 1992, la requérante, qui avait trouvé acquéreur à meilleur prix, révoqua les deux mandats de vente conférés le 25 novembre 1991.
Le jour même, B.N. lui répondit qu’il avait déjà, les 7 et 8 janvier 1992, contracté deux promesses de vente en son nom, l’une au profit de la société S. pour le premier immeuble, l’autre au profit de J. pour le second.
Le 16 janvier 1992, la requérante conclut avec B.N. une transaction par laquelle elle s’engageait à lui verser une indemnité forfaitaire de 500 000 francs avec intérêts de retard au taux de 12% l’an, payable au plus tard le 15 mai 1992. Par ailleurs, par deux chèques en date du 17 janvier 1992, la requérante paya aux deux acquéreurs contactés par B.N. des indemnités de dédit de 900 000 et 350 000 francs respectivement.
Malgré une mise en demeure du 14 mai 1992, la requérante refusa de verser à B.N. la somme convenue. Le 9 juillet 1992, ce dernier assigna la requérante en paiement de la somme de 500 000 francs, avec le bénéfice de l’exécution provisoire.
Par écritures signifiées le 7 janvier 1993, la requérante conclut principalement à la nullité des contrats de mandat du 25 novembre 1991, notamment pour dol et non-respect des dispositions de la loi du 2 janvier 1970, réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce (voir ci-après « Droit interne pertinent »). Argumentant sur l’application de cette loi, la requérante soutint notamment « qu’il est incontestable que B.N. était soumis aux dispositions de la loi du 25 janvier 1970 (...) ; l’activité de B.N. (...) est celle de marchand de biens (...) ; c’est ce que confirme la jurisprudence civile (...), en exigeant simplement que le marchand de biens ait effectué deux opérations énumérées à l’article 1 de la loi de 1970 pour que les dispositions de cette loi lui soient applicables (...) ». La requérante réitéra cette thèse dans ses conclusions en réplique, en notant « qu’en la matière, la jurisprudence exige simplement que le marchand de biens ait effectué deux opérations énumérées à l’article 1 de la loi de 1970 pour que les dispositions de cette loi lui soient applicables. En l’espèce, B.N. a au moins effectué deux opérations en fraude des dispositions de la loi de 1970 en ce qui concerne [la requérante], nonobstant toutes les autres opérations que ce professionnel a pu réaliser et que la concluante ignore ». Sur le fond du litige, la requérante se plaignit que les actes du 25 novembre 1991 ne précisaient pas le montant de la commission due et ne comportaient aucune limitation de leur effet dans le temps.
Le 6 avril 1993, le tribunal de grande instance de Nanterre condamna la requérante à payer à B.N. la somme de 500 000 francs avec intérêts au taux contractuel de 12% l’an à compter du 15 mai 1992, en exécution de la transaction du 16 janvier 1992. Le tribunal considéra en particulier que la requérante « prétend sans établir que cette transaction serait dépourvue d’effet juridique au motif que son consentement aurait été usurpé par le dol ou la violence ; elle ne justifie pas d’aucun élément de preuve quelconque de ces allégations ; il apparaît au contraire qu’elle a agi en qualité de femme d’affaires avisée parfaitement au courant du marché immobilier ; le protocole d’accord du 16 janvier 1992 répond par conséquent à l’ensemble des conditions de validité prévues par les articles 2044 et suivants du code (...) ».
Le tribunal ne répondit pas aux griefs soulevés par la requérante au titre des dispositions de la loi du 2 janvier 1970.
Le 6 mai 1993, la requérante versa à son adversaire la somme de 568 566 francs en exécution de la transaction du 16 janvier 1992.
Par ailleurs, elle interjeta appel de la décision du tribunal de grande instance de Nanterre, en sollicitant notamment la constatation de la nullité des mandats de vente du 25 novembre 1991, qui auraient été établis, selon elle, en violation des dispositions de la loi du 2 janvier 1970. En particulier, dans ses conclusions du 6 septembre 1993, elle soutint que « (...) il n’est pas contestable que B.N. se trouve soumis aux dispositions de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce (...) ».
En outre, dans ses conclusions du 7 mars 1994 en réponse à celles du défendeur, la requérante soutint que « (...) B.N., contestant sa qualité de professionnel de l’immobilier et le fait de se livrer d’une manière habituelle aux opérations immobilières visées à l’article 1er de la loi du 2 janvier 1970, soutient que ces dispositions ne trouvent pas application. Cette argumentation est inopérante. En effet, ainsi que B.N. le rappelle lui-même dans ses écritures, il était déjà intervenu auprès de [la requérante] pour l’acquisition des divers biens immobiliers pour un montant total de 5 000 000 francs, opération concrétisée par un acte du 14 octobre 1991 (...) ; [B.N.] s’est bien gardé d’attirer l’attention de la concluante sur l’application de la loi du 2 janvier 1970, en sorte qu’il ne saurait soutenir l’existence d’un accord concernant l’exclusion de ces dispositions légales d’ordre public (...) ».
Le 26 mai 1994, la cour d’appel de Versailles confirma le jugement attaqué, en considérant notamment « qu’en sa qualité de marchand de biens ne se livrant pas d’une manière habituelle aux opérations visées à l’article 1er de la loi du 2 janvier 1970, [B.N.] ne tombe pas sous le coup de cette loi ».
La requérante se pourvut alors en cassation. Dans son mémoire ampliatif du 7 décembre 1994, elle soutint que « (...) la loi du 2 janvier 1970 s’applique même aux personnes qui n’accomplissent qu’à titre accessoire les opérations qu’elle vise (...) ; qu’ainsi, il importait peu que [B.N.] eût exercé, fût-ce à titre principal, une autre activité de marchand de biens dès lors que la constatation de la pluralité de mandats relatifs à des opérations bien distinctes caractérisait l’accomplissement d’une manière habituelle d’opérations portant sur les biens d’autrui (...) ».
Dans son mémoire en défense, déposé devant la Cour de cassation le 9 mars 1995, B.N. souleva une exception d’irrecevabilité tirée de la nouveauté du moyen présenté par la requérante à l’appui de son pourvoi en cassation. En particulier, B.N. nota que « la critique pourra d’abord être écartée comme nouvelle et mélangée de fait et de droit. En effet, dans ses conclusions d’appel, [la requérante], sans doute moins inspirée à l’époque, n’avait pas songé à soutenir que le caractère habituel de l’activité pourrait résulter de la seule acceptation de deux mandats le même jour ».
Le 2 juillet 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante au motif que cette dernière « qui, initialement le 15 octobre 1991, avait consenti un pouvoir pour vendre les deux immeubles, n’a pas soutenu dans ses conclusions que [B.N.], d’une manière habituelle, se livrait ou prêtait son concours aux opérations prévues par la loi du 2 janvier 1970 [et] qu’elle n’est pas recevable à le faire pour la première fois devant la Cour de cassation ». Jugeant en outre le pourvoi de la requérante abusif, la Cour de cassation condamna celle-ci à une amende civile de 10 000 francs. En outre, la requérante a dû verser à son adversaire la somme de 12 000 francs au titre des frais non compris dans les dépens en sa qualité de partie perdante.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970
Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes de la loi du 2 janvier 1970 :
Article 1er
« Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux personnes physiques ou morales qui, d’une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux opérations portant sur les biens d’autrui et relatives à : i) L’achat, la vente, l’échange, la location ou sous-location en nu ou en meublé d’immeubles bâtis ou non bâtis (...). »
Article 6
« Les conventions conclues avec les personnes visées à l'article 1er ci-dessus et relatives aux opérations qu'il mentionne doivent être rédigées par écrit et préciser (...) les conditions de détermination de la rémunération, ainsi que l’indication de la partie qui en aura la charge (...). »
Article 7
« Sont nulles les promesses et les conventions de toute nature relatives aux opérations visées à l’article 1er qui ne comportent pas une limitation de leurs effets dans le temps. »
B. Code de procédure civile
Les dispositions pertinentes du code de procédure civile se lisent ainsi :
Article 563
« Pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves. »
Article 619
« Les moyens nouveaux ne sont pas recevables devant la Cour de cassation.
Peuvent néanmoins être invoqués pour la première fois, sauf disposition contraire :
1° Les moyens de pur droit ;
2° Les moyens nés de la décision attaquée. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 14 octobre 1990, les requérants assignèrent la municipalité de Livourne devant la cour d’appel de Florence afin d’obtenir une augmentation du montant de l’indemnité d’expropriation de leur terrain, ainsi que le paiement de l’indemnité pour la période pendant laquelle le terrain avait été occupé sans titre.
La mise en état de l’affaire commença le 30 octobre 1990, par la nomination d’un expert. Celui-ci prêta serment le 19 décembre 1990. Les trois audiences qui suivirent entre le 15 mai 1991 et le 19 février 1992 furent remises car le rapport d’expertise n’avait pas été déposé au greffe. Le 3 juin 1992, l’audience fut reportée au 4 novembre 1992 pour permettre aux parties d’examiner ledit rapport, déposé à une date non précisée. Le 4 novembre 1992, l’audience fut ajournée au 7 avril 1993, pour inviter l’expert à se présenter. Le jour venu, le conseiller de la mise en état ordonna un complément d’expertise qui fut déposé le 7 juillet 1993. Les parties présentèrent leurs conclusions le 6 avril 1994 et l’audience de plaidoiries se tint le 7 octobre 1994.
A cette date, la cour rouvrit l’instruction pour un complément d’expertise et fixa une audience au 21 décembre 1994. Le 15 février 1995, l’audience fut ajournée au 3 mai 1995 pour permettre aux parties de présenter leurs conclusions. L’audience de plaidoiries eut lieu le 15 mars 1996.
La cour rouvrit pour la deuxième fois l’instruction, ordonna une nouvelle expertise et fixa une audience au 17 avril 1996, date à laquelle l’expert prêta serment. L’audience du 20 novembre 1996 fut renvoyée au 2 avril 1997, pour permettre aux parties d’examiner le rapport d’expertise. Le jour venu, les parties présentèrent leurs conclusions et l’audience de plaidoiries se tint le 17 octobre 1997. Par un arrêt du 17 octobre 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 18 novembre 1997, la cour fit en partie droit à la demande des requérants.
Selon les informations fournies par les requérants, l’indemnité fut payée le 4 novembre 1998. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 9 décembre 1993, la requérante sollicita du président du tribunal de Latina une injonction de payer 9 520 000 lires italiennes, plus les intérêts, à l’encontre de M. M. Le président fit droit à sa demande par une ordonnance du 15 décembre 1993, déposée au greffe le même jour et notifiée à M. M. le 7 janvier 1994.
Le 27 janvier 1994, ce dernier fit opposition devant la même juridiction. La mise en état de l’affaire commença le 19 avril 1994. Le 11 octobre 1994, le juge de la mise en état rejeta la demande de la requérante tendant à l’exécution provisoire de l’injonction. L’audience du 23 mai 1995 fut reportée au 12 décembre 1995 car ce jour-là les avocats faisaient grève. Le jour venu et le 26 septembre 1996 eut lieu la discussion de moyens de preuves. Le 18 mars 1997, l’audience fut reportée à cause de l’absence de témoins. Le 4 novembre 1997, l’audience fut reportée à la demande des parties. L’audience du 28 avril 1998 fut renvoyée d’office au 23 juin 1998. A cette date, des témoins étant à nouveau absents, une audience fut fixée au 15 décembre 1998 pour leur audition. La loi concernant les sezioni stralcio étant entrée en vigueur, le président du tribunal attribua l'affaire au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio) et une audience fut fixée au 4 mai 1999. Selon les informations fournies par la requérante le 24 août 1999, la procédure était encore pendante à cette date. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 15 avril 1985, les requérants assignèrent la municipalité de Barcellona devant le tribunal de Messine afin d’obtenir réparation des dommages subis du fait de l’occupation illégale de leur terrain transformé en route.
La mise en état de l’affaire commença le 13 juin 1985 par la nomination d’un expert qui prêta serment, après une audience, le 11 mars 1986. Des six audiences fixées à des dates comprises entre le 10 juillet 1986 et le 13 octobre 1988, deux furent ajournées d’office, une à la demande des requérants, deux concernèrent l’audition de témoins et une l’examen du rapport d’expertise. L’audience du 14 mars 1989 ne put avoir lieu en raison de la mutation du juge.
Le 7 novembre 1995, les parties n’ayant pas été prévenues de la date de l’audience, l’affaire fut reportée au 26 avril 1996. Le jour venu, le juge de la mise en état constata son incompétence ratione loci du fait de la création d’un nouveau tribunal et raya l’affaire du rôle.
Le 8 juin 1996, les requérants reprirent la procédure devant le tribunal de Barcellona nouvellement créé. Lors de la première audience, le 9 octobre 1996, le juge de la mise en état ordonna au greffe de se procurer le dossier auprès du tribunal de Messine. L’audience du 16 juillet 1997 fut reportée au 27 mai 1998 car ce jour-là les avocats faisaient grève, puis d’office au 10 mars 1999. A la demande des requérants, la date de l’audience fut avancée au 21 octobre 1998. Le jour venu, l’audition de témoins fut fixée au 10 février 1999. Après l’audition, l’affaire fut reportée au 12 avril 1999 pour permettre aux parties d’examiner les témoignages. A cette date, le juge fixa l’audience de présentation des conclusions au 29 septembre 1999. Cette audience fut reportée au 8 mai 2000 en raison d’une grève des avocats. Le 27 juillet 2000 un nouvel expert fut nommé et la prestation de serment fut fixée au 22 mai 2001. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 31 juillet 1987, le requérant fut assigné par la société M., dont il avait été l’administrateur, devant le tribunal de Cagliari afin d’obtenir réparation des dommages subis suite à des irrégularités commises lors de l’exercice de ses fonctions.
L’instruction commença le 23 octobre 1987. Des dix audiences prévues entre le 8 avril 1988 et le 13 novembre 1992, une fut reportée d’office, trois le furent à la demande des parties et quatre furent consacrées à l’admission d’autres moyens de preuves tels que l’audition du requérant, de témoins et à une saisie, demandes rejetées par le juge de la mise en état. La présentation des conclusions eut lieu le 14 mai 1993. L’audience de plaidoiries se tint le 15 juillet 1993. Par une ordonnance du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 29 septembre 1993, le tribunal admit l’audition du requérant et de témoins et fixa à cette fin l’audience au 15 mars 1994 devant le juge de la mise en état.
Le jour venu, le requérant fut entendu et l’affaire fut reportée au 8 novembre 1994. Cette audience et celles des 11 avril 1995, 23 janvier et 26 novembre 1996 furent renvoyées à la demande des parties. Le 30 septembre 1997, un témoin était absent et le juge ajourna la présentation des conclusions des parties au 6 mars 1998. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente fut fixée au 3 mai 2001. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le 18 mai 1981, le préfet de Thessalonique, constatant que l’étroitesse d’une partie du bord de mer (αιγιαλός) à Kalamaria ne permettait pas son développement dans l’intérêt public comme prévu par la loi n° 2344/40, décida, conformément à l’article 5 de la même loi, son élargissement. Par conséquent, une parcelle d’une superficie de 172,3 m² et d’une profondeur de 9.7 mètres d’un immeuble appartenant à la requérante fut désignée comme partie de la zone littorale (παραλιακή ζώνη) pour l’aménagement de laquelle sont appliquées les dispositions de l’article 6 de la loi n° 5269/31 relatives à l’expropriation des terrains pour la construction des rues.
Le 10 octobre 1991, la requérante demanda la fixation de son indemnisation pour l’expropriation susmentionnée. Le 1er décembre 1992, la municipalité de Kalamaria décida que la requérante devait participer aux frais de l’aménagement de la côte littorale, sa contribution équivalant à la portion de terrain dont elle était expropriée. Par conséquent, elle était considérée comme « auto-indemnisée ».
La requérante fit appel auprès du préfet de Thessalonique. Le 28 janvier 1993, ce dernier approuva la décision de la municipalité en rappelant que l’article 6 de la loi n° 5269/31, auquel la loi n° 2344/40 se référait, obligeait les propriétaires riverains, dont les terrains donnaient sur le côté de la rue à élargir, à céder une portion de leur terrain allant jusqu’à 15 mètres de profondeur et ce, sans recevoir d’indemnisation.
Le 28 mai 1993, la requérante introduisit un recours en annulation de la décision du préfet alléguant qu’elle devait obtenir une compensation pour la moitié de la partie du terrain exproprié puisque l’État, qui était le propriétaire du bord de la mer, devait aussi participer aux frais d’aménagement de la zone littorale. Elle soutenait que, conformément à l’article 6 de la loi n° 5269/31, auquel la loi n° 2344/40 se référait et qui s’appliquait par analogie, les propriétaires dont les terrains donnaient sur le côté de la rue à élargir ne devaient pas être les seuls à contribuer aux frais de l’élargissement. Les propriétaires dont les terrains étaient situés de l’autre côté étaient requis également de contribuer à la moitié des frais. La requérante affirmait en outre que, selon la Constitution grecque et l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention, aucun particulier ne pouvait être obligé de subir à lui seul les conséquences d’une expropriation décidée dans l’intérêt public. La requérante exposa également que la présomption légale irréfragable selon laquelle le propriétaire dont l’immeuble avait une façade sur un espace public tirait profit de l’élargissement de cet espace était contraire à l’article 1 du Protocole n° 1.
L’audience devant le Conseil d’État fut fixée au 3 mai 1995. Les délibérations eurent lieu les 20 juin 1995 et 19 mars 1997.
Par un arrêt du 3 juin 1997, le Conseil d’État considéra que la loi créait une présomption légale irréfragable selon laquelle le propriétaire dont l’immeuble avait une façade sur un espace public tirait profit de l’élargissement de cet espace et devait céder en contrepartie une portion de son terrain allant jusqu’à 15 mètres de profondeur. Selon le Conseil d’État, le préfet avait correctement interprété la loi n° 2344/40 et l’article 6 de la loi n° 5269/31 quand il avait considéré la requérante comme « autoindemnisée » pour la perte de la partie de son terrain. Le Conseil d’État conclut que ces dispositions étaient conformes à la Constitution grecque et à l’article 1 du Protocole n° 1. Par conséquent, il rejeta le recours de la requérante.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
L’article pertinent de la Constitution de 1975 se lit ainsi :
Article 17
« 1. La propriété est placée sous la protection de l’État. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s'exercer au détriment de l'intérêt général.
Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est que pour cause d’utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l’audience sur l’affaire concernant la fixation provisoire de l’indemnité par le tribunal. Dans le cas d’une demande visant à la fixation immédiate de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède le jour de l’audience du tribunal sur cette demande. (...)
L’indemnité est toujours fixée par les tribunaux civils ; elle peut même être fixée provisoirement par voie judiciaire, après audition ou convocation de l’ayant droit, que le tribunal peut, à sa discrétion, obliger à fournir une caution analogue avant l’encaissement de l’indemnité, selon les dispositions de la loi.
Jusqu’au versement de l’indemnité définitive ou provisoire, tous les droits du propriétaire restent intacts, l’occupation de sa propriété n’étant pas permise.
L’indemnité fixée doit être versée au plus tard dans un délai d’un an et demi après la publication de la décision fixant l’indemnité provisoire ; dans le cas d’une demande de fixation immédiate de l’indemnité définitive, celle-ci doit être versée au plus tard dans un délai d’un an et demi après la publication de la décision du tribunal fixant l’indemnité définitive, faute de quoi l’expropriation est levée de plein droit. (...) » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Les faits antérieurs au 1er août 1973
La requérante était propriétaire d'une maison sise à Turin. En 1964, la ville de Turin autorisa la construction d'un immeuble d'habitation de plusieurs étages sur un terrain voisin de la propriété de la requérante (permis de construire n° 541 du 5 mars 1964 et variation n° 226 du 9 septembre 1964). La construction de cet immeuble fut terminée courant 1967.
Estimant que le permis de construire qui avait été accordé était illégal, la requérante l'attaqua devant le Conseil d'Etat par recours du 4 septembre 1966. Par un arrêt du 17 octobre 1967, déposé au greffe le 12 décembre 1967, le Conseil d'Etat annula le permis de construire en se fondant sur trois motifs : la distance légale de 6 mètres entre les voies publiques et l'immeuble n'était pas respectée, l'immeuble dépassait la hauteur maximum prévue par le plan d'occupation des sols de la ville (la construction était de 15,70 mètres au lieu de 15 mètres), l'immeuble dépassait le volume de construction maximum autorisé dans la zone considérée.
L'arrêt du Conseil d'Etat fut notifié aux parties défenderesses, c'est-à-dire les titulaires du permis de construire et la ville de Turin, et passa en force de chose jugée. La requérante en demanda alors l'exécution, c'est-à-dire la destruction des parties de l'immeuble construites contrairement à la loi, ce qui impliquait, au cas où il ne serait pas possible de détruire une partie seulement de l'immeuble concerné, la destruction de l'immeuble tout entier. La municipalité de Turin ne s'exécuta pas.
Par conséquent, le 13 mai 1969 la requérante l'assigna devant le Conseil d'Etat en exécution de l'arrêt du 12 décembre 1967 (giudizio di ottemperanza). Par un arrêt du 17 février 1970, le Conseil d'Etat déclara que la municipalité était tenue d'exécuter le jugement, bien que le maire fût libre de choisir le moyen (démolition partielle ou totale) de s'y conformer ; le Conseil d'Etat ordonna en outre, pour le cas de non-exécution de l'arrêt dans un délai de 90 jours, la nomination d'un commissaire ad acta.
La commune de Turin ne s'exécuta pas, en raison d'une prétendue réduction de la hauteur de l'immeuble en question et d'une nouvelle délibération, adoptée par le Conseil municipal le 20 avril 1970, et excluant la nécessité, en l'espèce, de respecter la distance légale de 6 mètres entre les voies publiques et l'immeuble.
Le 7 octobre 1970, la requérante saisit à nouveau le Conseil d'Etat, demandant que la commune de Turin fût obligée d'exécuter l'arrêt du 12 décembre 1967. Par un arrêt partiel du 4 juillet 1972, le Conseil d'Etat annula la délibération du Conseil municipal du 20 avril 1970, et déclara que le seul moyen de remettre l'immeuble en conformité avec le droit de l'urbanisme était la démolition des parties excédentaires et, dans le cas où cela aurait compromis la stabilité de l'édifice, de l'immeuble tout entier ; il estima toutefois nécessaire l'acquisition de documents ultérieurs, et ordonna à la municipalité de les fournir dans un délai de 40 jours. Par un arrêt du 20 mars 1973, le Conseil d'Etat ordonna enfin à la Commune de Turin la démolition de l'immeuble.
B. Les faits postérieurs au 1er août 1973
La ville de Turin ne s'étant pas exécutée, la requérante l'assigna alors à nouveau le 14 décembre 1973 devant le Conseil d'Etat ; ce dernier, par un arrêt du 11 avril 1975, ordonna la démolition de l'immeuble dans un délai de 60 jours et à défaut la nomination d'un commissaire ad acta.
Le 14 août 1975, la ville de Turin mit en demeure les copropriétaires de l'immeuble litigieux (qui avaient acquis leurs appartements après la date à laquelle le Conseil d'Etat avait rendu son arrêt) de procéder à la démolition des parties de l'immeuble qui n'étaient pas conformes aux règles d'urbanisme. En date du 30 avril 1976, la ville de Turin rendit une ordonnance de démolition de l'immeuble. Cette ordonnance fit l'objet d'un recours des propriétaires de l'immeuble devant le tribunal administratif régional (TAR), puis devant le Conseil d'Etat, qui le rejetèrent par un jugement du 11 avril 1978 et par un arrêt du 24 octobre 1980 respectivement.
La municipalité de Turin chargea alors ses organes techniques d'accomplir les travaux nécessaires ; le 29 décembre 1981, elle annonça une adjudication pour les travaux de démolition partielle de l'immeuble. Aucune entreprise n'ayant participé à l'adjudication, par un acte du 12 mars 1984, le maire infligea aux titulaires du permis de construire une simple amende.
En mai 1984, la requérante s'adressa alors une nouvelle fois au Conseil d'Etat qui, par l’arrêt n° 6 du 11 janvier 1985, confirma que la ville de Turin était tenue de se conformer à l'arrêt du 12 décembre 1967, et que cette obligation consistait à rétablir - par le biais de la démolition de l'immeuble - l'ordre juridique violé par la construction litigieuse. Il souligna à cet égard que l'imposition d'une amende par la ville de Turin ne pouvait valoir exécution.
Ni la municipalité, ni le commissaire ad acta, nommé à l'échéance du délai imparti à la municipalité, ne s'exécutèrent.
Le 28 juillet 1985, la requérante s'adressa alors, une nouvelle fois, au Conseil d'Etat, qui par arrêt n° 233 du 24 avril 1986 confirma que la ville était tenue de faire exécuter la démolition de l'immeuble. Il souligna à cet égard que les dispositions de l'article 43 de la loi n° 47 de 1985 - qui permettaient de régulariser les constructions abusives même en présence de sanctions administratives non exécutées - ne pouvaient trouver application en l'espèce, l'exécution de l'arrêt ne constituant pas une sanction administrative au sens de la loi précitée.
Le refus de procéder à cette régularisation fit l'objet d'un recours devant le TAR de la part des propriétaires de l'immeuble concerné. Par un jugement du 9 avril 1987, le TAR rejeta ledit recours.
Par la suite, à la demande d'exécution formulée par la requérante, la ville et le commissaire ad acta entre-temps nommé firent valoir l'article 12 bis de la loi n° 68 du 13 mars 1988, qui étendait la possibilité de régularisation des abus en matière de construction au cas où l'irrégularité était constatée par une décision judiciaire.
La requérante saisit à nouveau le Conseil d'Etat. Par un arrêt du 1er mars 1989, le Conseil d'Etat rejeta le recours de la requérante, estimant que la situation litigieuse était couverte désormais par l'article 12 bis de la loi du 13 mars 1988 n°68.
En application de la loi du 13 mars 1988, le 26 mai 1988 la municipalité de Turin accorda aux propriétaires de l'immeuble un permis de construire permettant d'en régulariser la situation. En octobre 1988, la requérante introduisit une instance devant le TAR, visant l'annulation dudit permis de construire. Cette instance fut rejetée par le TAR dans un jugement du 16 avril 1993 et un appel contre ce jugement est toujours pendant devant le Conseil d'Etat. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Les décisions judiciaires concernant le requérant
Le requérant a purgé une peine totale de dix-sept ans et cinq mois d'emprisonnement qui lui fut infligée, respectivement les 18 novembre 1985 et 1er juillet 1987, par la cour d'assises d'appel de Milan et par la cour d'appel de Palerme pour tentative d'homicide et connivence personnelle. Par une ordonnance du 13 juin 1991, le procureur de la République de Gela (Caltanissetta) disposa le cumul des peines et fixa la date finale de la détention du requérant au 25 septembre 1997.
Cependant, le 12 décembre 1993, le tribunal de Florence condamna le requérant à la peine de trente ans d’emprisonnement pour trafic de stupéfiants. A une date non précisée, le requérant interjeta appel contre cette décision.
D’autre part, par un arrêt du 6 avril 1994, passé en force de chose jugée le 16 juin 1994, la cour d'appel de Rome condamna le requérant à la peine de quatre mois d'emprisonnement pour faux en écritures.
Entre octobre 1992 et novembre 1994, les juges des investigations préliminaires de Gela (Caltanissetta), Caltanissetta, Catane et Milan avaient à cinq reprises ordonné la détention provisoire du requérant, accusé d'association des malfaiteurs de type mafieux, trafic de stupéfiants, tentative d'homicide avec préméditation et détention d'armes. Enfin, par deux ordonnances rendues respectivement les 19 novembre 1996 et 15 octobre 1997, les juges des investigations préliminaires de Caltanissetta et Busto Arsizio (Varese) ordonnèrent que le requérant, accusé d’homicide volontaire et détention d’armes, fût placé en détention provisoire.
B. La soumission du requérant au régime spécial
Le décretloi n° 306 du 8 juin 1992, converti en la loi n° 356 du 7 août 1992, introduisit un régime spécial pour les détenus ayant été condamnés pour des infractions graves, qui dérogeait aux conditions normales de traitement pénitentiaire.
Le 1er août 1994, le ministre de la Justice prit un décret imposant au requérant, pour une période de six mois, le régime spécial de détention. Ce décret, motivé par des raisons d'ordre public et de sécurité à la lumière de la dangerosité du phénomène mafieux, imposait des nombreuses restrictions aux contacts du requérant avec l’extérieur.
Le régime spécial du requérant fut prorogé à huit reprises pour des périodes successives de six mois.
C. Les décisions concernant la correspondance
Compte tenu de la gravité des crimes dont le requérant était accusé, par deux ordonnances motivées rendues respectivement le 1er juillet 1994 et le 13 janvier 1995, les juges d'application des peines de Macerata et Spoleto (Pérouse) ordonnèrent que toute correspondance du requérant fût soumise au visa de censure. Ces décisions furent confirmées et renouvelées à plusieurs reprises par de nombreuses autres autorités nationales. La dernière décision à ce sujet fut adoptée le 3 septembre 1998 par la cour d’assises de Busto Arsizio.
En effet, toute correspondance adressée par le requérant aux organes de la Convention est décachetée et lue, et parvient avec un cachet de censure sur chaque page.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. L’article 41bis de la loi n° 354 de 1975
L'article 41bis de la loi sur l'administration pénitentiaire (loi n 354 du 26 juillet 1975), tel qu'il a été modifié par la loi n 356 du 7 août 1992, attribue au ministre de la Justice le pouvoir de suspendre complètement ou partiellement l'application du traitement normal des détenus, pour des raisons d'ordre et de sécurité publique. Pareille disposition peut être appliquée uniquement à l'égard des détenus poursuivis ou condamnés pour les délits indiqués à l'article 41bis de la même loi, parmi lesquels figurent des délits liés aux activités de la mafia. Il est prévu que la disposition en question demeure en vigueur jusqu'en 2000.
En pratique, l'article 41bis impose un régime de détention particulièrement sévère et poursuit notamment le but de couper tout lien entre la personne concernée et son milieu mafieux ou criminel d'origine. En effet, il est arrivé à plusieurs reprises que des chefs mafieux aient continué à communiquer avec l'extérieur et à transmettre des ordres même en étant détenus. Cette disposition constitue actuellement l'un des instruments principaux dans la lutte contre la mafia à la disposition des autorités italiennes.
B. Dispositions pertinentes en matière de contrôle de la correspondance
Au début de son application, la disposition de l’article 41bis a été interprétée comme attribuant également, au ministre de la Justice, le pouvoir d’appliquer un visa de censure sur la correspondance d’un détenu. Toutefois, se fondant sur l'article 15 de la Constitution - qui prévoit notamment que les restrictions à la correspondance peuvent avoir lieu uniquement par acte motivé de l'autorité judiciaire - la Cour constitutionnelle a précisé que le pouvoir de soumettre la correspondance d'un détenu à un visa de censure appartient exclusivement à l'autorité judiciaire (voir les arrêts nos 349 et 410 de 1993). Par conséquent, l'article 41bis ne peut être interprété comme incluant le pouvoir, pour le ministre de la Justice, de prendre des mesures à l'égard de la correspondance des détenus. Il s’ensuit qu’à partir de fin 1993 la censure de la correspondance s’est basée uniquement sur l'article 18 de la loi n 354 de 1975, tel que modifié par l’article 2 de la loi n° 1 du 12 janvier 1977.
Aux termes de cette disposition, l’autorité habilitée à décider de soumettre la correspondance des détenus à un visa de censure et le juge saisi de l’affaire (qu’il s’agisse de la juridiction d’instruction ou de la juridiction de jugement) jusqu’à la décision de première instance, et le juge d’application des peines pendant le déroulement ultérieur de la procédure. Cette disposition prévoit également que le magistrat compétent peut ordonner le contrôle de la correspondance d’un détenu par décision motivée, mais ne précise pas les cas dans lesquels une telle décision peut être prise.
Le visa de censure en question consiste concrètement en l’interception et la lecture par l’autorité judiciaire qui l’a ordonnée, par le directeur de la prison ou par le personnel pénitentiaire désigné par ce dernier, de toute la correspondance du détenu qui fait l’objet d’une telle mesure, ainsi qu’en l’apposition d’un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit contrôle. Cette mesure de contrôle ne peut pas résulter en l’effacement de mots ou de phrases mais, après le contrôle, l’autorité judiciaire peut ordonner qu’une ou plusieurs lettres ne soient pas remises. Dans ce cas, le détenu doit en être aussitôt informé. Cette dernière mesure peut également être ordonnée provisoirement par le directeur de la prison, qui doit toutefois en informer l’autorité judiciaire.
Enfin, quant aux recours disponibles contre la mesure incriminée, la Cour de cassation a indiqué dans plusieurs décisions que la mesure litigieuse constitue un acte de nature administrative. Elle a par ailleurs affirmé, dans une jurisprudence constante et bien établie, que la loi italienne ne prévoit pas de voies de recours à cet égard, la mesure en question ne pouvant pas non plus faire l’objet d’un pourvoi en cassation, car elle ne concerne pas la liberté personnelle du détenu (Cour de cassation : arrêts n° 3141 du 14 février 1990 et n° 4687 du 4 février 1992).
L’article 35 de la loi sur l’administration pénitentiaire prévoit que les détenus peuvent adresser des demandes ou réclamations sous pli scellé aux autorités suivantes :
– le directeur du pénitencier, les inspecteurs, le directeur général des établissements pénitentiaires et le ministre de la Justice ;
– le juge d’application des peines ;
– les autorités judiciaires et sanitaires qui inspectent le pénitencier ;
– le président du conseil régional ;
– le président de la République.
Dans le souci de rendre la législation italienne conforme aux principes développés par la Cour dans les affaires Diana et Domenichini (arrêts Calogero Diana c. Italie du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1765-1779, et Domenichini c. Italie du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1789-1803), le 23 juillet 1999, le ministre de la Justice a présenté au Sénat un projet de loi visant la modification de l’article 35 de la loi sur l’administration pénitentiaire et incluant la Cour parmi les autorités auxquelles les détenus peuvent adresser des plis scellés. Ce projet proposait en outre l’insertion d’un article (18ter) prévoyant que, exception faite pour les actes prévus à l’article 35, la correspondance de toute personne détenue pouvait être soumise, pour des périodes non supérieures à six mois, à un visa de censure pour éviter la commission de crimes ou protéger la sûreté des établissements pénitenciers et le secret des investigations judiciaires.
Selon les informations dont la Cour dispose, au jour de l’adoption du présent arrêt, le projet du ministre de la Justice n’a pas encore été approuvé par le Parlement italien.
Cependant, par un décret entré en vigueur le 6 septembre 2000, le Président de la République a adopté un nouveau règlement des établissement pénitenciers. L’article 38 de ce dernier prévoit notamment que la correspondance adressée par un détenu à des organisations internationales visant la protection des droits de l’homme ne peut être soumise à aucun visa de censure. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. L’arrestation du requérant et la procédure à l’encontre de M. A.
Le 10 juin 1987, le juge d'instruction de Milan décerna un mandat d'arrêt à l'encontre du requérant, accusé de faire partie d'une association de malfaiteurs ayant pour but le trafic international de stupéfiants entre l'Amérique latine et l'Italie. Toutefois, ce mandat ne put être exécuté car le requérant avait quitté l'Italie pour l'Argentine. A une date non précisée, l'Italie demanda aux autorités argentines l'extradition du requérant.
Entre-temps, le 25 mars 1987, le requérant avait été arrêté à Buenos Aires (République d’Argentine) car il avait été trouvé en possession de six kilogrammes de cocaïne. Il avait ensuite été placé en détention provisoire.
Le 1er décembre 1987, le requérant fut interrogé en Argentine par le juge d'instruction de Milan.
Le 8 octobre 1990, le requérant et plusieurs autres personnes furent renvoyés en jugement devant le tribunal de Milan. Toutefois, compte tenu du fait que les autorités argentines n'avaient pas encore fait droit à la demande d'extradition et que le requérant était détenu en dehors du territoire italien, la procédure le concernant fut séparée de celles relatives à ses coïnculpés.
Par un jugement du 6 juillet 1993, le tribunal de Milan - présidé par Mme M., et dont faisait partie Mme B. - condamna l'un des coïnculpés du requérant - M. A. - à une peine de sept ans d’emprisonnement et 30 000 000 lires d’amende. Certains passages de cette décision concernent le requérant et se lisent comme suit : « La base commune de ces décisions [concernant d’autres coïnculpés] est le constat de l’existence d’une association de malfaiteurs ayant pour but un trafic de stupéfiants entre l’Amérique du Sud et l’Italie, à laquelle participaient de nombreux ressortissants latino-américains, dont certains (A., P., M., Rojas et G.) faisaient fonctions d’organisateurs (page 2) » ; « (...) Les investigations préliminaires ont permis d’éclaircir les différents rôles des accusés. L’on a notamment établi que le rôle de promoteur et d’organisateur revenait à M. Rojas Morales (...) (page 4) » ; « L’organisation des importations [de cocaïne] fut préparée par Rojas Morales Carlos (...), qui, cependant, fit un usage très limité de la ligne téléphonique dont il disposait à l’auberge R. où il résidait, soupçonnant, peut-être, que ladite ligne était sous écoute (page 7) » ; « L’examen des nombreuses conversations téléphoniques (...) sur la ligne de M. Rojas permet de conclure que les quatre voyages de M. P. à Milan avaient pour but l’importation de stupéfiants (page 8) » ; « (...) il échet d’observer que les deux kilogrammes de cocaïne retrouvés chez M. R. à Buenos Aires étaient probablement destinés à M. Rojas, en Italie (page 9) » ; « Les écoutes téléphoniques démontrent que M. Rojas Morales (...) jouait un rôle tout à fait prédominant à l’intérieur de l’organisation criminelle. En effet, M. Rojas gardait tout contact avec les fournisseurs boliviens (...) et se chargeait, ensuite, de vendre la drogue à M. M., qui s’occupait de la distribuer dans la région de Milan (...) M. A. gardait des relations étroites avec tous les participants à l’associations de malfaiteurs. En particulier avec M. M., M. Rojas, M. P. (page 10) ».
B. La condamnation du requérant et son recours en récusation
Les autorités argentines ayant fait droit à la demande d'extradition, le 3 octobre 1992 le requérant fut extradé en Italie, où il fut placé en détention provisoire.
Par un jugement du 16 février 1993, le tribunal de Milan, suivant la procédure abrégée (« giudizio abbreviato ») prévue par les articles 438 et suivants du code de procédure pénale (ci-après indiqué comme le « CPP »), condamna le requérant à une peine de quatorze ans d'emprisonnement et 140 000 000 lires d'amende.
Le 24 mars 1993, le requérant interjeta appel devant la cour d'appel de Milan.
Par un arrêt du 18 novembre 1994, dont le texte fut déposé au greffe le 24 novembre 1994, la cour d'appel annula le jugement de première instance au motif que le requérant n'avait pas lui-même demandé l'adoption de la procédure abrégée, comme le veut l'article 438 § 3 du CPP. Cette décision acquit l'autorité de la chose jugée le 4 janvier 1995. Le procès de première instance devant être par conséquent renouvelé, à une date non précisée le requérant fut à nouveau renvoyé en jugement devant le tribunal de Milan.
Le 30 mai 1995, le requérant introduisit devant la cour d'appel de Milan un recours en récusation à l'encontre de Mmes M. et B., respectivement président et juge du tribunal de Milan. Il alléguait notamment que ces deux magistrats s’étaient exprimées sur sa culpabilité dans le jugement du 6 juillet 1993 rendu à l'encontre de M. A. et estimait qu'elles avaient indûment manifesté leur opinion quant aux faits objet de l'accusation (article 37 § 1 b) du CPP).
Par une ordonnance du 5 juin 1995, la cour d'appel déclara le recours en récusation irrecevable. Elle rappela que le jugement du 6 juillet 1993 concernait une autre personne et que les différents comportements des coïnculpés devaient être jugés séparément. Le fait que M. A. et le requérant étaient accusés de la même infraction pénale ne comportait pas « identité de l’objet du jugement ». Dès lors, les appréciations contenues dans la décision rendue à l’encontre de M. A. ne pouvaient être considérées comme des manifestations indues de l’opinion des juges quant à la culpabilité du requérant.
Le 23 juin 1995, le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 28 février 1996, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Elle fit observer que l’accusation d’association de malfaiteurs impliquait, de par sa nature même, que le jugement à l’encontre de l’un des coïnculpés pouvait contenir des références au rôle des autres accusés ; cependant seules les appréciations indues, c’est-à-dire non nécessaires aux fins de la décision de la cause, pouvaient être censurées comme étant des opinions personnelles du juge, tombant sous le coup de l’article 37 § 1 b) du CPP.
Entre-temps, à l'audience du 13 juin 1995 devant le tribunal de Milan, le requérant avait demandé à Mmes M. et B. de s'abstenir de toute décision le concernant, pour les raisons exposées dans son recours en récusation. Toutefois, le tribunal n'avait pas fait droit à cette demande.
Par un jugement du 4 juillet 1995, dont le texte fut déposé au greffe le 26 juillet 1995, le tribunal de Milan, présidé par Mme M. et dont faisait partie Mme B., condamna le requérant à une peine de vingt et un ans d'emprisonnement et 210 000 000 lires d'amende. Le tribunal indiqua que la responsabilité du requérant ressortait principalement des écoutes téléphoniques, dont le contenu permettait d’établir la répartition des tâches au sein de l’association de malfaiteurs et de reconstruire certains épisodes d’importation de stupéfiants. Ces éléments étaient corroborés par les déclarations de certains autres membres de l’association et par le fait que le requérant, qui avait longtemps résidé en Italie sans y exercer aucune activité lucrative légale, avait un niveau de vie très élevé.
C. L’appel et le pourvoi en cassation du requérant
Le 6 juillet 1995, le requérant interjeta appel devant la cour d'appel de Milan. Dans un mémoire daté du 2 mai 1996, le conseil du requérant, se référant aux arguments développés dans le recours en récusation, demanda l'annulation du jugement de première instance pour manque d'impartialité du tribunal.
Par un arrêt du 28 mai 1996, dont le texte fut déposé au greffe le 2 juin 1996, la cour d'appel réduisit la peine infligée au requérant à vingt ans d'emprisonnement et 200 000 000 lires d'amende. En ce qui concerne notamment le mémoire du 2 mai 1996, la cour observa que l'incompatibilité des juges de première instance n'entraînait pas la nullité de la décision attaquée, les raisons d'incompatibilité pouvant être invoquées seulement dans le cadre d'un recours en récusation. Or, le requérant avait déjà introduit un tel recours, qui avait été rejeté par la Cour de cassation le 28 février 1996. D'autre part, les doléances du requérant étaient manifestement dépourvues de fondement, étant donné qu'aux termes de la loi italienne et de la jurisprudence de la Cour de cassation, seule la participation d'un juge à plusieurs instances de la même procédure aurait pu poser un problème d'incompatibilité.
Le 13 juin 1996, le requérant se pourvut en cassation.
Par un arrêt du 29 novembre 1996, dont le texte fut déposé au greffe le 30 janvier 1997, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi, considérant que la cour d'appel avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
De 1984 à 1992, le requérant fut le seul directeur général de la société London Clubs Limited (« LCL »), qui possédait et contrôlait six des vingt casinos détenteurs d’une licence les autorisant à fonctionner à Londres. LCL était une filiale de la société London Clubs International plc (« LCI »), dont le requérant était aussi directeur général. Ces deux sociétés sont désignées ci-après par l’appellation collective London Clubs.
En juin 1991, la police fit une descente dans les différents locaux de LCL en présence de membres du Conseil britannique des jeux de hasard (« le Conseil des jeux »), organe établi par la loi pour contrôler et surveiller l’industrie des jeux. La police saisit de très nombreux documents. En mars 1992, le Conseil des jeux soumit des objections auprès du clerc des juges chargés de la délivrance des licences à l’encontre de la demande annuelle déposée par LCL en vue du renouvellement des licences de chacun de ses casinos. Le Conseil des jeux introduisit également des demandes d’annulation des licences en cours détenues par LCL.
Une réunion eut lieu entre le Conseil des jeux et les administrateurs de LCL et leurs conseillers juridiques le 26 mars 1992, en conséquence de quoi le requérant et les autres directeurs généraux (à l’exception du directeur des finances) donnèrent leur démission. Celle-ci devait prendre effet le 30 avril 1992, étant entendu qu’elle n’était pas volontaire mais équivalait à un licenciement de la part de London Clubs.
Par la suite, un accord intervint entre le Conseil des jeux et London Clubs aux termes duquel LCL devait solliciter de nouvelles licences pour ses casinos par l’intermédiaire de sociétés de gestion reconstituées, demandes auxquelles le Conseil des jeux ne devait pas s’opposer. Au cas où les demandes aboutiraient et où les juges accorderaient de nouvelles licences, LCL s’engageait à rendre ses licences en cours, ce qui éviterait de statuer sur les demandes tendant à leur annulation ou à leur renouvellement.
Le Conseil des jeux délivra à LCL des certificats de consentement, que cette société était légalement tenue d’obtenir avant de pouvoir demander de nouvelles licences aux juges. Le propriétaire d’un casino concurrent s’opposa à la délivrance de nouvelles licences. Ces objections furent toutefois rejetées et de nouvelles licences furent accordées en octobre 1992, après trois jours d’audience devant les juges. Le Conseil des jeux, représenté à l’audience, déclara aux juges qu’il était favorable à la demande de LCL, expliquant en ces termes les raisons pour lesquelles il avait lui-même accordé à LCL des certificats de consentement :
« Pour se prononcer en faveur de l’octroi de certificats de consentement, le Conseil des jeux a, entre autres facteurs pertinents, pris en considération la mesure dans laquelle LCI a tenu compte des graves préoccupations qu’il avait lui-même exprimées au sujet des motifs de plainte précités, et notamment ce qui suit :
Les directeurs généraux de LCI et de [LCL] qui, de l’avis du Conseil, étaient les principaux responsables des motifs de plainte (...) [suivent le nom du requérant et ceux de neuf autres personnes] ont quitté la société et renoncé à leurs actions ;
(...)
Le Conseil et la police ont considéré les questions soulevées dans les demandes d’annulation avec le plus grand sérieux. Toutefois, ils sont convaincus que les pratiques jugées inacceptables n’ont plus cours désormais et que les individus qui les encourageaient ou les toléraient ont été écartés. »
En novembre 1992, Lady Littler, présidente du Conseil des jeux, prononça un discours devant l’association britannique des casinos lors de son déjeuner annuel. Faisant référence à la société London Clubs, elle déclara :
« Nous [le Conseil des jeux] sommes convaincus que les pratiques que nous-mêmes et la police avions jugées inacceptables n’ont plus cours et que les personnes que le Conseil et la police ne jugeaient pas convenables ont été écartées (...). »
A la suite de ce discours, les conseillers juridiques du requérant échangèrent des lettres avec les solicitors du Conseil des jeux, au motif que les termes en étaient diffamatoires. Le Conseil des jeux argua que les « personnes » auxquelles il était fait référence étaient des actionnaires minoritaires et en aucun cas le requérant. Ce dernier ne trouva pas cette explication satisfaisante, mais n’engagea cependant pas d’action en diffamation.
Par une lettre du 22 décembre 1992, le Conseil des jeux signala par écrit aux conseillers juridiques du requérant qu’il étudiait la question de savoir si leur client était une personne convenable pouvant se voir délivrer un certificat d’agrément, comme l’exigeait l’article 19 de la loi de 1968 sur les jeux (Gaming Act 1968 – « la loi de 1968 »), afin d’occuper un poste de direction dans l’industrie des jeux. Par une lettre du 23 avril 1993, le Conseil des jeux informa officiellement le requérant qu’il avait « l’intention de lui retirer » les certificats visés à l’article 19 et que celui-ci aurait l’occasion de faire valoir ses arguments contre pareil retrait par écrit ou oralement lors d’un entretien devant lui-même (« audience aux fins de l’article 19 »).
Le Conseil précisait dans sa lettre les questions qu’il souhaitait aborder avec le requérant et donnait des détails sur les griefs qu’il avait exposés dans sa demande de suppression des licences de LCL (laquelle n’avait au demeurant jamais été examinée). Dans ces griefs, numérotés de B1 à B9, il faisait notamment état des infractions suivantes à l’article 16 de la loi de 1968 : acceptation de chèques alors que rien ne permettait de penser qu’ils pourraient être rapidement honorés (B1) ; implication du requérant dans l’octroi de facilités d’encaissement de chèques à certains membres sans enquête adéquate sur leur solvabilité (B2) ; acceptation de chèques dépassant les facilités accordées à leur émetteur (B3) ; acceptation de chèques émanant de tiers de manière permettant de tourner les directives de 1984 de l’association britannique des casinos (B4) ; aide apportée à des joueurs japonais en vue d’enfreindre la réglementation japonaise sur le contrôle des changes (B5) ; cadeaux ou hospitalité offerts à des joueurs importants au mépris d’autres directives de 1984 (B7) ; méthode utilisée pour calculer la « somme détenue en caisse » dans les casinos conduisant à des inexactitudes, ce qui permettait des abus (B9). Des exemples étaient cités à l’appui.
Les conseillers juridiques du requérant s’opposèrent à ce que l’audience aux fins de l’article 19 se tînt devant le Conseil des jeux et suggérèrent de mettre plutôt en place une juridiction indépendante. En effet, le requérant faisait principalement valoir que le Conseil des jeux avait déjà exprimé publiquement (lors de l’audience devant les juges chargés de la délivrance des licences) l’avis qu’il n’était pas une personne convenable pouvant occuper le poste de directeur général de London Clubs. Dès lors, il estimait que le Conseil des jeux ne pouvait passer pour un tribunal impartial à même d’examiner la question de savoir s’il fallait lui retirer ses certificats visés à l’article 19.
Le Conseil des jeux refusa de réunir une juridiction indépendante et l’audience aux fins de l’article 19 s’ouvrit le 11 avril 1994 devant un collège de trois personnes, toutes membres du Conseil (« le collège »). L’audience se tint à huis clos et dura sept jours et demi. Le requérant était représenté par un avocat principal. Les solicitors du Conseil des jeux, un de ses hauts responsables et un représentant de ses comptables participèrent également à l’audience.
Par une lettre du 28 mai 1994, le Conseil des jeux informa le requérant qu’il ne le considérait pas comme une personne convenable pouvant détenir des certificats d’agrément de sa part et que, en conséquence, il annulerait les certificats visés à l’article 19 vingt et un jours après la réception de la lettre. Celle-ci exposait en détail les questions qui préoccupaient le Conseil des jeux et les griefs qu’il jugeait établis contre le requérant.
15. Par suite du retrait de ses certificats, le requérant ne put trouver d’emploi dans aucun des secteurs de l’industrie des jeux au Royaume-Uni ni dans aucun ordre juridique en relation avec les autorités britanniques responsables de cette industrie.
Le 23 août 1994, le requérant sollicita l’autorisation de demander le contrôle juridictionnel de la décision du Conseil des jeux de lui retirer ses certificats visés à l’article 19. Il contestait cette décision au motif que le collège aurait fait preuve de parti pris, réellement ou en apparence, et que les conclusions de ce dernier étaient entachées d’erreurs de droit et irrationnelles.
Au cours de la procédure de contrôle juridictionnel fut distribué un document annexé à une déclaration sous serment émanant du président du Conseil des jeux. Il s’intitulait « annexe confidentielle au compte rendu de la 281e réunion du Conseil britannique des jeux de hasard » et portait la date du 21 janvier 1993. Ce document faisait état de la décision prise par le Conseil des jeux lors de sa réunion du 21 janvier 1993 et selon laquelle il avait
« suffisamment de preuves pour conclure que [le requérant] (...) n’était pas convenable pour diriger une société de casinos. »
Tous les membres du collège devant lequel se déroula l’audience aux fins de l’article 19 étaient présents à la réunion du Conseil et participèrent à la prise de décision, intervenue avant l’audience.
Le juge Jowitt rejeta la demande de contrôle juridictionnel le 11 janvier 1996 après plus de seize jours d’audience. Il rendit trois jugements distincts au sujet de l’appel formé par le requérant. Le premier traitait de la portée de l’expression « personne convenable » (« fit and proper person ») figurant à l’annexe 5 de la loi de 1968, le second portait sur le grief du requérant selon lequel l’intéressé avait un « espoir légitime » (« a legitimate expectation ») que le Conseil des jeux ne pourrait prendre en compte que des manquements à ses directives qui seraient illégaux. Le troisième jugement, qui étudiait les contestations « Wednesbury » et les allégations de parti pris, atteignait 165 pages. Le juge Jowitt déclarait qu’en raison de la portée du contrôle juridictionnel, il ne s’était pas préoccupé de revoir les constats relatifs aux faits comme pour un appel, mais plutôt de rechercher si les conclusions du collège étaient entachées d’illégalité, d’irrationalité (« caractère déraisonnable au sens des principes Wednesbury ») ou d’irrégularités de procédure.
Aux pages 28 à 93 du troisième jugement, le juge Jowitt traitait des objections élevées par le requérant en vertu des principes « Wednesbury » à l’égard des divers reproches qu’on lui adressait.
21. Par exemple, il était admis que les chèques tirés par un joueur, M. S., sur une banque espagnole et une banque suisse, n’étaient pas payés vingt et un jours après la remise à une banque britannique, comme cela devait normalement être le cas. Au lieu de cela, le délai nécessaire pour créditer le compte était en moyenne de 179 jours. Le Conseil estima que cette pratique était contraire à l’article 16 de la loi de 1968, qui interdit les paris à crédit sauf lorsqu’un chèque est échangé contre des jetons. Le requérant fit valoir que les chèques qu’il avait acceptés n’étaient pas sans provision, puisque tous les chèques espagnols furent honorés. Le juge estima que le Conseil était fondé à tirer la conclusion qu’il avait émise, à savoir que ces faits équivalaient à un accord entre M. S. et LCL, en sorte qu’il y avait violation de l’article 16.
Cinquante-sept pages du troisième jugement étaient consacrées à la question du parti pris. Le juge Jowitt décrivait comme suit le critère prévu en droit anglais pour apprécier s’il y a eu parti pris (pp. 93-96 du jugement) :
« [Le conseil du requérant] argue que la décision de retirer au requérant ses certificats d’agrément au titre de l’article 19 devrait être cassée au motif que le collège était de parti pris. L’autorisation de demander un contrôle juridictionnel a été accordée aux motifs, invoqués par le requérant, que, premièrement, le Conseil n’avait pas pris sa décision avec objectivité et impartialité, et ne pouvait pas le faire et, deuxièmement, qu’il y ait réellement ou non eu parti pris, le requérant avait la conviction raisonnable qu’il y en avait eu, en conséquence de quoi le Conseil aurait dû tenir compte du fait que ses actions créaient une apparence de parti pris. (...)
Il n’y avait pas de désaccord entre les parties quant à la méthode que doit suivre le tribunal en cas d’allégation de parti pris. Il s’agit d’un test en deux étapes. Le demandeur doit tout d’abord prouver qu’il y a apparence de parti pris (R. v. Inner West London Coroner ex parte Dallaglio [1994] 4 All ER 139). [L’avocat du Conseil des jeux] admet avec réalisme, à la lumière des preuves disponibles, que le requérant a franchi cette étape. Il lui faut donc ensuite montrer que, si le tribunal examine le dossier comme il se doit, il apparaît que le parti pris a occasionné un réel risque d’injustice (...) [L’analyse faite en cette affaire] de la décision prise par la Chambre des lords dans R. v. Gough [1993] AC 646 (...) me guide de manière lumineuse pour étudier la deuxième étape.
« 1) Tout tribunal saisi d’une contestation fondée sur une apparence de parti pris doit apprécier les circonstances et analyser par lui-même toutes les preuves afin de tirer ses propres conclusions quant aux faits. (...)
3) Lorsqu’il rend ses conclusions, le tribunal « représente le point de vue raisonnable » ;
4) La question factuelle que le tribunal doit trancher par lui-même est la suivante : existe-t-il un risque réel que le parti pris ait causé une injustice ? Par « réel », il faut entendre qui ne soit pas dénué de fondement. Un risque réel est plus qu’un risque minimal mais moins qu’une probabilité. Je crois qu’on pourrait parler aussi bien de risque réel que de possibilité réelle.
5) Le parti pris aura provoqué une injustice si « le décideur s’est montré inéquitable en considérant défavorablement la thèse de l’une des parties relativement à la question qu’il examine ». Je considère que l’expression « s’est montré inéquitable en considérant défavorablement » signifie « était prévenu ou de parti pris contre une partie pour des raisons étrangères au fond de l’affaire ».
6) Un décideur a pu se montrer inéquitable en considérant défavorablement la thèse d’une partie de manière consciente ou inconsciente. Dans un cas, comme en l’espèce, où les demandeurs nient qu’il y ait réellement eu parti pris, il me semble que le tribunal doit obligatoirement se demander s’il y a un réel risque que le décideur ait été inconsciemment de parti pris.
7) (...) le tribunal [ne] s’occupe [pas] directement de l’apparence de parti pris mais plutôt d’établir s’il est possible qu’il y ait eu parti pris réel quoique inconscient. (...)
9) Il n’est pas nécessaire que le requérant démontre qu’il y a une possibilité réelle que la (...) décision eût été différente en l’absence de parti pris ; ce qu’il faut établir, c’est que le risque réel de parti pris a influé sur la décision en ce sens que le décideur, même inconsciemment, aurait pesé les arguments concurrents, et donc décidé du fond, de manière inéquitable ». »
Le juge Jowitt appliqua ensuite aux faits de la cause le critère qu’il venait d’énoncer et constata que, vu les preuves dont il disposait, il ne pouvait pas dire que le requérant avait établi l’existence d’un risque réel que le parti pris eût provoqué une injustice. Il conclut qu’aucun membre du collège ne pouvait être taxé de parti pris inconscient.
Le juge Jowitt déclara de plus que si, au contraire de ce qu’il avait dit, il y avait eu parti pris inconscient de la part du collège, il fallait prendre en compte la « théorie de la nécessité ». Il dit ceci :
« Lorsque la loi confère à un organe, sans délégation possible, le pouvoir ou l’obligation de prendre une décision dans des circonstances où se pose la question du parti pris parce que :
i) dans le cadre de ce pouvoir ou de cette obligation, un avis initial s’est formé sur une question touchant les intérêts d’une personne à l’égard de laquelle l’organe en cause doit ensuite, dans l’exercice de son pouvoir ou de son obligation, prendre une décision, définitive ou non, après avoir reçu et examiné les arguments qu’elle est en droit de faire valoir, ou
ii) dans l’exercice de ce pouvoir ou de cette obligation de prendre une décision, apparaît un conflit entre les intérêts d’une ou plusieurs autres personnes qui doivent être pris en compte et ceux de l’organe lui-même :
alors cette décision ne peut être attaquée pour parti pris à condition que
i) si certaines seulement des personnes investies du pouvoir ou de l’obligation de décider sont susceptibles d’être de parti pris, celles qui peuvent légalement se retirer du processus décisionnel doivent le faire, et
ii) les décideurs susceptibles d’être de parti pris mais ne pouvant légalement se retirer font de leur mieux pour éviter les conséquences du parti pris et, en accord avec le but dans lequel la décision doit être prise, l’organe prend les mesures qui s’offrent raisonnablement à lui pour réduire au minimum le risque d’un parti pris de la part des décideurs (...) »
Le juge Jowitt déclara que si, contrairement à ce qu’il avait constaté, il y avait eu parti pris inconscient de la part du collège, la théorie de la nécessité s’appliquerait et la décision du collège serait maintenue. L’avocat du requérant fit valoir que le Conseil n’avait pas désigné un organe indépendant pour entendre les parties et faire rapport au collège, ce qui aurait constitué une mesure raisonnable. Le juge Jowitt rejeta cet argument au motif qu’il aurait été impossible de faire utilement un renvoi à un tribunal indépendant sans se heurter à une interdiction de déléguer.
Quant à toutes les autres allégations du requérant, le juge Jowitt conclut que celui-ci n’avait pas établi que la décision du collège était irrationnelle ou déraisonnable ni qu’il existât des motifs suffisants d’effectuer un contrôle juridictionnel. Le juge nota qu’en tentant d’inscrire ses allégations dans le cadre du critère Wednesbury relatif à l’absence de caractère raisonnable, le requérant s’efforçait, alors que cela n’était pas permis, de replaider l’affaire comme en appel afin d’obtenir un réexamen des faits de la cause.
Après une audience tenue le 4 juillet 1996, la Cour d’appel rejeta une demande d’autorisation de former un recours contre la décision du juge Jowitt. Lord Justice Morritt (avec l’approbation de Lord Justice Hobhouse) déclara ce qui suit à propos de la « théorie de la nécessité » :
« Je suis prêt à supposer, au bénéfice [du requérant], qu’il aurait une cause suffisamment défendable pour autoriser l’appel et qu’il y avait un risque réel que le tribunal ait pris une décision partiale même s’il n’a pas en réalité fait preuve de parti pris contre lui. Il reste à déterminer comment appliquer la théorie de la nécessité aux faits de la cause.
[L’avocat du requérant] n’a pas cherché à laisser entendre que les arguments de droit énoncés par le juge Jowitt, que j’ai cités, n’avaient pas été formulés avec exactitude par celui-ci, mais il s’est efforcé de contester la conclusion finale, que je viens de rappeler, selon laquelle il était [im]possible de faire utilement renvoi à un tribunal indépendant sans se heurter à une interdiction de déléguer. La question du parti pris est donc fonction du point très limité de savoir s’il est défendable de considérer que le juge Jowitt s’est à cet égard trompé. Je dois dire que, sur ce point très précis, je pense qu’il avait manifestement raison. En fin de compte, le Conseil devait décider si M. Kingsley était ou non une personne convenable. Or il était impossible de déléguer la décision à ce sujet à un collège indépendant. Même si le Conseil était de parti pris, apparent ou réel, il lui revenait quand même de prendre la décision. Si donc on s’appuie sur la théorie de la nécessité, qui n’est pas contestée, cela n’aurait servi de rien de saisir un collège indépendant et la décision prise devrait être maintenue parce qu’elle doit être prise par le Conseil et qu’elle ne peut être déléguée à un tribunal indépendant. Il me semble qu’il n’existe en cette affaire aucun argument défendable justifiant d’autoriser l’appel. »
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le Conseil britannique des jeux de hasard (« le Conseil des jeux ») est un organisme institué en vertu de l’article 10 de la loi de 1968 sur les jeux de hasard (« la loi de 1968 ») afin de contrôler et surveiller l’industrie des jeux. Pour obtenir la licence nécessaire en vue d’organiser des jeux dans ses locaux, toute société doit se voir délivrer par le Conseil des jeux un certificat par lequel ce dernier l’autorise au préalable à solliciter pareille licence (annexe 2, paragraphe 3 al. 1 de la loi de 1968).
Conformément à l’article 19 de la loi de 1968, le Conseil des jeux délivre des certificats habilitant les personnes qui en sont titulaires à occuper certains postes dans l’industrie des jeux. Une fois émis, un certificat reste valable tant qu’il n’est pas retiré. Le Conseil des jeux peut retirer à tout moment un certificat s’il lui apparaît que son détenteur n’est pas une personne convenable pouvant exécuter la fonction indiquée ou agir en la qualité indiquée (annexe 5, paragraphe 6 de la loi de 1968). Le retrait du certificat doit être notifié vingt et un jours à l’avance et par écrit à l’intéressé. Le Conseil des jeux a élaboré une procédure par laquelle il envoie à l’intéressé une lettre où il lui fait part de son intention de lui retirer son certificat. Viennent ensuite des observations écrites et/ou une audience. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante et sa mère étaient propriétaires de terres agricoles sises sur le territoire de la commune de Pillemoine, tant au titre de biens propres qu'au titre de biens indivis entre elles. Le remembrement de la commune, ainsi que de la commune voisine du Vaudioux, fut décidé en 1958. L'enquête eut lieu du 14 au 28 mars 1962 et, le 29 juillet 1965, la requérante et sa mère, de même que les autres propriétaires, furent informés de ce que la commission intercommunale de réorganisation foncière et de remembrement avait statué sur les réclamations des intéressés. Un arrêté préfectoral du 22 septembre 1965 ordonna l’envoi en possession des nouveaux lots.
Le 23 octobre 1965, la requérante et sa mère formèrent un recours devant la commission départementale de réorganisation foncière et de remembrement (ci-après la commission départementale). Par décision du 13 mai 1966, notifiée le 7 mars 1967, la commission départementale modifia certaines attributions qui leur avaient été faites et rejeta leurs réclamations pour le surplus.
Le 5 mai 1967, la requérante saisit le tribunal administratif de Besançon d'un recours en annulation de cette décision. Par jugement du 23 octobre 1970, le tribunal administratif annula la décision, en raison de ce que l'insuffisance d'attributions entraînait un bouleversement des conditions de l'exploitation et constituait une violation des dispositions de l'article 21 du Code rural. Par un autre jugement de même date, le tribunal rejeta le recours de la mère de la requérante.
Le 15 janvier 1971, la commission départementale entendit la requérante, assistée d'un expert agricole. Par décision du même jour, elle admit partiellement les réclamations de la requérante. Le 18 mai 1971, le plan définitif de remembrement fut déposé à la mairie.
La requérante et sa mère introduisirent deux recours contre la décision de la commission devant le tribunal administratif qui, par jugements avant dire droit du 5 juillet 1972, ordonna des expertises. Les rapports furent déposés le 26 février 1974.
L'expert conclut dans les termes suivants :
« (...) Il ne fait aucun doute que le remembrement des parcelles appartenant (à la requérante et à sa mère) n'a pas eu l'effet escompté.
Les propriétaires ne retrouvent pas leur situation antérieure, en qualité des sols, facilité d'exploitation et productivité, ni la possibilité d'utilisation de terrain à bâtir.
Nous estimons qu'il conviendra de revoir les calculs de classement des parcelles litigieuses, tant pour ce qui est des apports que des attributions.
Des rectifications pourront être effectuées dans certaines parcelles sans trop de difficultés (...)
La solution idéale serait de refaire le remembrement complet de Pillemoine, compte tenu de l'usage qui s'est créé depuis l'exploitation des nouvelles parcelles, mais nous pensons pour bien de paix qu'il est préférable de faire les rectifications qui s'imposent pour compenser les insuffisances relevées, en augmentant substantiellement la superficie du patrimoine foncier des propriétaires. »
Les deux affaires furent appelées à l'audience du tribunal administratif du 25 juin 1975. Par jugement du 2 juillet 1975, le tribunal décida de les joindre et considéra, tant en ce qui concernait les biens propres de la requérante et de sa mère que leurs biens indivis, qu'elles étaient fondées à soutenir que la règle de l'équivalence (article 21 du Code rural) n'avait pas été respectée. Le tribunal annula en conséquence la décision de la commission départementale.
Cette dernière se réunit le 16 décembre 1982. Elle retint que de graves erreurs de classement avaient été commises au détriment de la requérante et de sa mère, mais considéra qu'il n'était « pas possible de mettre sur pied une modification du parcellaire qui permette de réaliser l'équivalence en valeur de productivité réelle dans chacune des quatre natures de cultures retenues au remembrement (...) pour les requérantes tout en ne créant pas de situation préjudiciable pour les autres propriétaires touchés (...) ». En conséquence, la commission départementale ordonna, en application de l'article 21 du Code rural, le versement d'une soulte en espèces, qu'elle fixa à 17 468 F pour la requérante et à 2 252 F pour sa mère. Elle rejeta le surplus de leurs réclamations.
Le 11 mars 1983, la requérante et sa mère formèrent un nouveau recours devant le tribunal administratif qui, par jugement du 10 avril 1985, annula la décision de la commission départementale, dans les termes suivants :
« (...) en opposant à la réclamation (de la requérante) des considérations d'ordre général sur les opérations de remembrement et en lui octroyant une soulte sans rechercher si l'équivalence entre ses apports et ses attributions pouvait être réalisée, alors qu'il ressort des pièces versées au dossier, et en particulier des conclusions de l'expert (...), qu'il n'était pas impossible de modifier le parcellaire pour rétablir, au moins partiellement, l'équilibre des conditions de l'exploitation, la commission départementale a méconnu tout à la fois l'étendue des obligations que comportait pour elle l'exécution du jugement (du 2 juillet 1975) et les dispositions de l'article 21 du Code rural (...) »
Le tribunal indiqua en outre qu'il appartiendrait aux parties de saisir la commission nationale d'aménagement foncier (ci-après la commission nationale) prévue par l'article 1er du décret du 10 mars 1981. Le 24 juin 1986, la requérante et sa mère saisirent la commission nationale, qui se réunit le 16 novembre 1990.
Par décision du même jour, notifiée le 19 décembre 1990, elle considéra :
« (...) les propriétaires des communes de Pillemoine et du Vaudioux ont pris possession des parcelles qui leur étaient attribuées par le remembrement en 1965 ; (...) il ressort de l'instruction et de l'examen des lieux par le rapporteur que la modification du parcellaire qui serait nécessaire pour assurer intégralement par des attributions en nature, vingt-cinq années après la prise de possession des parcelles remembrées, le rétablissement dans leurs droits (de la requérante et de sa mère), serait de nature à remettre gravement en cause la situation d'autres exploitations concernées par le remembrement susmentionné et, par suite, à compromettre la finalité de ces opérations d'aménagement foncier (...) »
En conséquence, la commission nationale attribua, à titre d'indemnité, 112 135 F à la requérante, 1 792 F à sa mère et 31 045 F à l'indivision.
Le Conseil d'Etat, saisi le 19 février 1991, annula cette décision par arrêt du 3 mars 1995, dans les termes suivants :
« (...) en se bornant à une telle motivation et en s'abstenant de préciser les éléments de fait qui constituent le fondement de sa décision, en particulier en quoi et dans quelle mesure la situation des autres exploitations concernées par le remembrement rendait impossibles les modifications parcellaires nécessaires au rétablissement des droits des requérantes et compromettrait les finalités du remembrement, la commission nationale (...) n'a pas satisfait à l'obligation de motivation qui lui incombe en application des dispositions (...) de l'article 2-9 du Code rural (...) »
La requérante fut convoquée par la commission nationale le 6 décembre 1996. Par lettre du 10 janvier 1997, le président de la commission l'informa que cette dernière avait décidé d'ordonner un supplément d'instruction et de mettre l'affaire en délibéré prolongé jusqu'à sa prochaine séance, dont la date serait précisée ultérieurement.
La commission nationale statua par décision du 10 juin 1998, notifiée à la requérante le 25 septembre 1998. Elle indiqua qu’elle avait décidé, dans sa séance du 6 décembre 1996, d’ordonner un nouveau remembrement des communes de Pillemoine et du Vaudioux, mais que, par lettre du 21 janvier 1998, le préfet du Jura avait répondu ne pas estimer devoir prendre d’arrêté ordonnant un nouveau remembrement, qui serait de nature à causer de graves troubles à l’ordre public, sans que le concours de la force publique puisse être accordé.
Dès lors la commission nationale, estimant être dans la situation prévue par l’article L. 121-11 du Code rural, décida de confirmer les indemnités précédemment fixées, qui avaient tenu compte « notamment du délai anormal écoulé entre la date de la première décision de justice concernant le litige (...) et celle de la commission nationale (...) », indemnités dont, selon la commission, le bien-fondé n’avait pas été critiqué par l’arrêt du Conseil d’Etat.
Le 7 décembre 1998, la requérante saisit le Conseil d’Etat d’un nouveau recours. Le 17 décembre 1999, ce dernier annula la décision de la commission nationale, en motivant ainsi son arrêt :
« Considérant qu’il résulte [de l’article L. 121-11 du Code rural] que le versement d’une indemnité au propriétaire intéressé, faute de pouvoir le rétablir dans ses droits par des attributions en nature, ne peut découler que de la constatation qu’une telle réparation en nature aurait ‘des conséquences excessives sur la situation d’autres exploitations et compromettrait la finalité du remembrement’; qu’il suit de là qu’en énonçant, par la décision attaquée du 10 juin 1998, que l’attribution d’une indemnité aux consorts Piron-Perret provenait du refus du préfet du Jura d’organiser le nouveau remembrement dont elle sollicitait de lui l’organisation, à supposer une telle démarche pertinente, la commission nationale d’aménagement foncier a méconnu l’étendue de sa compétence et commis une erreur de droit alors que, statuant ‘à la place de la commission départementale’ comme le spécifie l’article L. 121-11 du Code rural, il lui appartenait, au seul vu du parcellaire jugé irrégulier, de décider si sa modification était possible et, dans la négative, d’y substituer, aux termes d’une décision motivée par les faits de l’espèce, le versement d’une indemnité tenant compte, à la date où elle se prononçait, de l’ancienneté du litige ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, (la requérante) est fondée à demander l’annulation de la décision du 10 juin 1998 (...) »
Parallèlement, conformément à l’article L. 121-11 du Code rural, la requérante a également saisi le juge de l’expropriation pour contester le montant des indemnités fixées par la commission nationale.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Durant la période couverte par la présente affaire, le Code rural a été modifié par plusieurs lois. Les principales dispositions appliquées en l’espèce par les juridictions sont mentionnées ci-dessous.
Article 21 de l’ancien Code rural (ancienne rédaction)
« La nouvelle distribution se fait par nature de culture. Elle a pour objet d’attribuer à chaque propriétaire dans chacune des catégories une superficie de terre équivalente en valeur de productivité réelle à celle des terres possédées par lui dans le périmètre embrassé par le remembrement en tenant compte des conditions locales, et déduction faite de la surface nécessaire aux ouvrages collectifs (...)
Exceptionnellement, le paiement d’une soulte en espèces est autorisé pour les cas suivants :
1° lorsqu’il n’est pas possible d’établir entre les immeubles l’équivalence prévue sans un appoint en espèces (...) »
Rédaction issue de la loi du 11 juillet 1975
« Chaque propriétaire doit recevoir, par la nouvelle distribution, une superficie globale équivalente, en valeur de productivité réelle, à celle des terrains qu’il a apportés (...) L’attribution d’une soulte en espèces, fixée le cas échéant comme en matière d’expropriation, peut être accordée. »
Article 2-9 du Code rural (rédaction issue de la loi du 23 janvier 1990) devenu article L. 121-11 du nouveau Code rural
« Lorsque la commission nationale d’aménagement foncier est saisie (...) d’un litige en matière de remembrement rural et qu’elle constate que la modification du parcellaire qui serait nécessaire pour assurer intégralement par des attributions en nature le rétablissement dans ses droits du propriétaire intéressé aurait des conséquences excessives sur la situation d’autres exploitations et compromettrait la finalité du remembrement, elle peut, à titre exceptionnel et par décision motivée, prévoir que le rétablissement sera assuré par le versement d’une indemnité à la charge de l’Etat dont elle détermine le montant. Les contestations relatives aux indemnités sont jugées comme en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A une date non précisée, le requérant demanda à être inscrit à l’ordre des géomètres.
Par une décision du 18 juin 1980, le Conseil national de l’ordre des géomètres (« Consiglio nazionale dei geometri ») rejeta la demande du requérant qui, par la suite, se pourvut en cassation. Par un arrêt du 28 mai 1987, dont le texte fut déposé au greffe le 16 décembre 1987, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi.
Le 27 avril 1995, le requérant introduisit un recours devant le tribunal de Rome. Il visait à obtenir la réparation des dommages subis suite à une faute professionnelle prétendument commise par les conseillers de la Cour de cassation dans leur arrêt du 28 mai 1987.
Par un jugement du 20 juillet 1995, le tribunal de Rome déclara le recours du requérant irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il observa notamment que l’arrêt litigieux avait été rendu avant l’entrée en vigueur de la loi n° 117 du 13 avril 1988, qui étendait la responsabilité des magistrats aux cas de faute lourde. Cette loi ne trouvait donc pas à s’appliquer, tandis qu’aux termes de la législation antérieure la responsabilité d’un magistrat ne pouvait être établie que s’il avait agi intentionnellement au désavantage de l’une des parties, ce qui ne s’était pas produit en l’espèce.
Le 7 octobre 1995, le requérant interjeta appel devant la cour d’appel de Rome. Par une ordonnance du 24 octobre 1995, dont le texte fut déposé au greffe le 16 novembre 1995, la cour d'appel rejeta l'appel du requérant. Elle reprit, pour l’essentiel, les raisons avancées dans le jugement du 20 juillet 1995.
Par la suite, le requérant se pourvut en cassation.
Par un arrêt du 31 octobre 1996, dont le texte fut déposé au greffe le 17 janvier 1997, la Cour de cassation déclara ce pourvoi irrecevable pour tardiveté. Elle observa notamment que celui-ci avait été déposé au greffe de la Cour de cassation et non à celui de la cour d’appel, comme prévu par la loi italienne. En outre, le dépôt avait eu lieu le 25 janvier 1996, soit après l’expiration du délai de vingt jours à compter de la date de la dernière notification (29 décembre 1995) prévu à l’article 369 du code de procédure civile.
Le requérant a produit un certificat de la cour d’appel de Rome, daté du 29 décembre 1995, dont il ressort que son pourvoi en cassation, notifié le 21 décembre 1995, avait été déposé au greffe de la cour d’appel le 29 décembre 1995.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Aux termes de l’article 5 § 4 de la loi n° 117 de 1988, dans le cadre d’une action pour faute professionnelle à l’encontre d’un magistrat, un requérant peut se pourvoir en cassation contre une décision négative de la cour d’appel. Le pourvoi doit être notifié à l’autre partie dans un délai de trente jours et déposé au greffe de la cour d’appel dans les dix jours qui suivent. La cour d’appel doit transmettre tous les documents pertinents à la Cour de cassation « dès que possible (« senza indugio ») et en tout cas dans un délai de dix jours ». Au sens de l’article 369 du code de procédure civile, le pourvoi doit parvenir au greffe de la Cour de cassation dans un délai de vingt jours à compter de la date de la dernière notification. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. La procédure disciplinaire
La requérante est une ex-enseignante et ex-dirigeante de la section de Diyarbakır du syndicat du personnel de l'enseignement et de la recherche (Eğit-Sen). Le 31 octobre 1992, elle fit une déclaration au journal Diyarbakır Söz, rendant compte d'une réunion qui avait eu lieu le 27 octobre 1992 entre elle-même, une délégation du syndicat et le directeur de l'éducation nationale. Elle affirma que les enseignants avaient été insultés et harcelés et, certains, agressés par la police. Ces propos furent publiés dans un article intitulé « Onze enseignants détenus à Diyarbakır ».
Le 14 mai 1993, s'appuyant sur l'article 125/D-g de la loi no 657 qui interdit aux agents de l'Etat de fournir des informations ou de faire des déclarations à la presse, aux agences de presse ou aux organismes de radiotélévision sans autorisation, la commission disciplinaire de l'éducation nationale du département de Diyarbakır décida de geler la promotion de la requérante pendant un an, à titre de sanction pour la déclaration qu'elle avait faite au journal sans y être autorisée.
Le tribunal administratif de Diyarbakır confirma cette décision le 4 octobre 1994. Il releva que l'article 15 de la loi no 657 interdisait aux agents de l'Etat de faire à la presse des communications ou des déclarations relatives à leurs fonctions publiques et que seuls les agents autorisés par le ministre y étaient habilités. Tous les citoyens avaient certes le droit d'exprimer leurs pensée et opinion dans les limites des droits garantis par la Constitution, mais tous ne pouvaient l'exercer également. Comme le stipulait la décision du 14 décembre 1993 de la 8e chambre du Conseil d'Etat (1993/4214), les agents de l'Etat étaient tenus d'exercer leur liberté d'expression de manière plus mesurée et avec plus de discernement dans leurs propos relatifs à leurs supérieurs et à des agents de l'Etat. En l'espèce, en exprimant ses pensées et les aspects négatifs qu'elle avait observés au cours des altercations continues entre les enseignants et la police, la requérante avait critiqué et accusé l'administration. Par conséquent, la décision de lui infliger une sanction disciplinaire pour des actes contraires aux exigences particulières de ses fonctions n'enfreignait pas la loi. La requête de l'intéressée tendant à l'annulation de la décision fut écartée à l'unanimité.
La requérante saisit le Conseil d'Etat, lequel, le 5 décembre 1995, renvoya l'affaire au tribunal administratif en vue d'une modération de la sanction seulement. Le Conseil d'Etat reconnut que les fonctionnaires devaient exercer leur liberté d'expression avec plus de prudence et de tact lorsqu'ils faisaient des déclarations relatives à leurs supérieurs et à des fonctions publiques. L'intéressée ayant critiqué l'administration, ce qui était contraire au code de conduite, il y avait lieu de lui infliger une sanction disciplinaire, mais afin de ménager un juste équilibre entre l'infraction et la sanction, il convenait de l'atténuer.
Le 3 avril 1996, le tribunal administratif maintint sa décision et la sanction. La requérante saisit à nouveau le Conseil d'Etat.
Le 16 octobre 1998, cette juridiction constata que l'interdiction prévue par l'article 15 de la loi no 657 visait des agents de l'Etat non autorisés à faire à la presse des déclarations relatives à leurs pouvoirs, fonctions et responsabilités. La requérante avait exposé son avis personnel sur des questions d'actualité n'ayant pas trait à ses fonctions, et avait ainsi exercé son droit de s'exprimer et de communiquer, dans le cadre de la liberté de pensée et d'opinion garantie par la Constitution. Les propos en question ne relevant pas du champ d'application de la disposition susmentionnée, il n'était nullement question d'infliger une sanction disciplinaire. Dès lors, la procédure par laquelle la promotion de l'intéressée avait été gelée pendant un an à titre de sanction en application de l'article 125/D-g de la loi no 657 était illégale et la décision du tribunal administratif erronée. La décision de la juridiction inférieure fut par conséquent annulée.
Le 17 février 1999, le tribunal administratif adopta le raisonnement du Conseil d'Etat et annula la sanction disciplinaire infligée à la requérante.
B. Le décès de l'époux de la requérante
L'époux de la requérante, Zübeyir Akkoç, était d'origine kurde. Enseignant, il était actif au sein du syndicat Eğit-Sen. Le 13 janvier 1993, vers 7 heures, il fut tué par balles alors qu'il se rendait à l'école primaire où il enseignait. Ramazan Aydın Bilge qui l'accompagnait fut également tué. Il ne fut pas procédé à une autopsie classique. Deux gendarmes, qui auraient été avertis par radio, arrivèrent sur les lieux. Ils ne firent aucune tentative pour découvrir dans quelle direction les tireurs s'étaient enfuis. Malgré la foule qui s'était rassemblée sur le lieu de l'incident d'après les dires d'Abdullah Elgören, les gendarmes ne recueillirent que la déclaration de ce dernier, qui avait aidé à transporter Zübeyir Akkoç dans un taxi pour l'emmener à l'hôpital.
Avant le meurtre de son époux, et après l'incident à la direction de l'éducation nationale, la requérante avait à plusieurs reprises reçu des menaces par téléphone et avait subi des tracasseries de la part des forces de l'ordre. Elle avait reçu des appels téléphoniques dans les termes suivants : « C'est votre tour, nous allons également vous tuer. » Elle signala les menaces au procureur, mais ses plaintes furent ignorées. L'époux de la requérante avait été placé en garde à vue à plusieurs occasions avant son décès. L'intéressée prétendit qu'au cours de sa détention en février 1994, des agents des forces de l'ordre lui avaient affirmé qu'ils avaient tué son mari.
Le procureur ouvrit le dossier no 1993/339 sur le meurtre, le classant comme meurtre par un inconnu. Le 27 mars 1997, il inculpa Seyithan Araz, un étudiant, pour participation à six meurtres et à un certain nombre d'attaques, dont le meurtre de Zübeyir Akkoç mais non celui de Ramazan Aydın Bilge. Il était allégué que Seyithan Araz avait mené des activités pour le Hezbollah. Dans sa déclaration au procureur le 17 mars 1997, l'intéressé affirma qu'il n'était pas membre du Hezbollah et qu'il réfutait le contenu de la déposition de vingt-six pages qu'il avait signée à la section anti-terrorisme de la direction de la sûreté de Diyarbakır, car elle avait été obtenue sous la torture.
Le 4 juin 1997, devant la 4e cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır, Seyithan Araz continua de nier les faits. Le 14 août 1997, trois des victimes des attaques énumérées dans l'acte d'inculpation déclarèrent qu'elles ne reconnaissaient aucun des accusés. Le 10 décembre 1997, la cour ordonna la libération de Seyithan Araz, faute de preuves justifiant son maintien en détention.
Le 23 septembre 1999, elle acquitta l'intéressé, faute de preuves suffisantes à l'appui des chefs d'inculpation.
C. La détention de la requérante et son interrogatoire par les autorités
Les faits de cette partie de l'affaire, en particulier les événements survenus au cours de la détention de la requérante, sont en litige entre les parties.
La Commission a procédé à l'audition de témoins sur les allégations de la requérante selon lesquelles elle aurait été torturée durant sa garde à vue du 13 au 22 février 1994 et aurait été entravée dans l'exercice de son droit de recours individuel en raison de trois périodes de détention – du 13 au 22 février 1994, du 26 au 27 septembre 1995 et le 14 octobre 1995. Les délégués de la Commission ont entendu la requérante, sa mère, Ramazan Sücürü, chef de la section anti-terrorisme à Diyarbakır, Taner Şenturk et Hasan Pişkin, les policiers de la section anti-terrorisme qui ont interrogé la requérante entre le 13 et le 22 février 1994, le docteur Buldağ qui a signé le rapport médical établi lorsque la requérante a été libérée de sa garde à vue, et Enver Atlı, un ex-directeur d'école, qui avait été arrêté avec la requérante le 26 septembre 1995. Le procureur qui avait vu la requérante avant sa libération le 22 février 1994 avait été cité à comparaître, mais il est décédé avant l'audition.
Les constatations de la Commission
a) Concernant la détention du 13 au 22 février 1994
Le 13 février 1994, peu après minuit, des policiers effectuèrent une perquisition au domicile de la requérante. Ils emmenèrent l'intéressée, en lui couvrant la tête avec son anorak. Après une visite à un médecin, elle fut conduite à la direction de la sûreté de Diyarbakır, où elle fut maintenue en garde à vue à la section anti-terrorisme jusqu'à sa libération, le 22 février 1994.
Durant les dix jours que dura sa détention, la requérante fut soumise à diverses formes de mauvais traitements, notamment à des violences sexuelles et à des pressions psychologiques. Des policiers qui l'accusèrent d'être liée au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) l'interrogèrent, entre autres, sur les élections imminentes et sur le point de savoir si elle était candidate. Ils lui posèrent aussi des questions au sujet de la requête dont elle avait saisi la Commission et lui dirent que cela équivalait à rejoindre le PKK dans les montagnes. La requérante crut avoir vu une feuille qui était la procuration qu'elle avait envoyée avec sa requête à Kevin Boyle, avocat au Royaume-Uni qui était intervenu dans de nombreuses affaires dirigées contre la Turquie.
Pendant sa détention, la requérante subit le traitement suivant. On lui bandait généralement les yeux lorsqu'on la sortait de sa cellule ; elle fut dévêtue à plusieurs reprises et, à une occasion, fut contrainte de marcher, nue, devant des policiers qui la touchèrent et l'insultèrent ; des photographies furent prises d'elle nue ; à plusieurs reprises, on l'emmena dans une pièce où elle fut plongée dans l'eau chaude puis dans l'eau froide et on l'arrosa avec des jets d'eau froide si puissants qu'elle avait du mal à rester debout ; on lui administra des décharges électriques à plusieurs reprises, une pince fixée à un orteil et l'autre à un téton ; on tenta de la suspendre par les bras au plafond, mais il fut mis fin à ce traitement lorsqu'on releva une cicatrice sur son estomac ; on lui porta un coup au menton qui la fit tomber à terre ; dans sa cellule, elle était exposée à de violentes lumières et une très forte musique ; elle fut attachée par des menottes à une porte pendant deux jours et deux nuits et contrainte d'écouter les cris d'autres personnes subissant des mauvais traitements ; on la tira par les cheveux et on la frappa, notamment aux pieds avec un bâton. On lui dit que ses enfants avaient été placés en détention et qu'ils subissaient des tortures.
Le 18 février 1994, la requérante signa une déclaration rédigée par la police, d'après laquelle elle était membre du PKK et impliquée dans diverses activités de propagande menées par cette organisation. La déclaration précisait qu'elle avait saisi la Commission d'une requête au sujet du meurtre de son mari.
Le 22 février 1994, la requérante et seize autres détenus furent conduits par des policiers au service des urgences de l'hôpital public de Diyarbakır où le docteur Buldağ signa un rapport selon lequel ces personnes n'avaient reçu aucun coup. D'après la description de l'examen faite par l'intéressée, le médecin leur demanda collectivement, en présence de la police, si l'un d'entre eux avait une plainte à formuler ou souhaitait subir un examen médical. La requérante demanda à être examinée et montra ses blessures à la tête et à l'orteil. Elle fut ensuite conduite devant un procureur. Elle lui précisa avoir subi des mauvais traitements, lui faisant voir certaines de ses blessures, et affirma avoir signé une déposition sous la pression. Le procureur ordonna son élargissement.
Quelques jours après sa libération, la requérante se fit soigner. Elle avait de vives douleurs à la mâchoire. Un oto-rhino-laryngologiste lui fit une radiographie, mais refusa de signer un rapport lorsque l'intéressée lui indiqua qu'elle avait été détenue. Une autre radiographie fut effectuée et la requérante reçut des soins à la clinique universitaire. La requérante pensa avoir la mâchoire fracturée et soumit les radiographies à la cour d'assises de Mardin lors de son procès concernant des accusations relatives au PKK. Ces radiographies furent ultérieurement communiquées à la Commission. Les parties convinrent qu'elles ne révélaient aucune fracture.
A la suite de sa détention, la requérante eut des problèmes de santé ; elle fournit à la Commission des informations et des ordonnances relatives notamment à un eczéma à l'oreille, une infection respiratoire et des douleurs à la jambe. Le 30 octobre 1995, elle se rendit en consultation au centre de traitement de la fondation des droits de l'homme d'Ankara en raison de troubles psychiques dont elle souffrait depuis sa détention. Elle présentait notamment les symptômes suivants : pertes de mémoire, tremblement des mains, incapacité de prendre des décisions, douleurs et engourdissements dans certaines parties du corps, et insomnies. L'examen psychologique révéla des signes manifestes d'anxiété et de pessimisme, une incapacité de se tenir debout, une légère déficience de l'attention et de la concentration et un manque de confiance. On diagnostiqua des troubles psychiques post-traumatiques chroniques et prescrivit des médicaments (un antidépresseur (fluoxétine) et un anxiolytique). La requérante retourna en consultation le 12 décembre 1995 et les 12 janvier et 14 avril 1996. A cette dernière occasion, les symptômes avaient nettement diminué et on lui recommanda de continuer à prendre les médicaments pendant deux mois.
Pour aboutir à ses conclusions, la Commission a accepté la déposition de la requérante, la considérant comme un témoin lucide et convaincant, qui avait l'air honnête et crédible. La déclaration de la requérante fut corroborée, d'une part, par sa mère, qui témoigna du mauvais état de santé de sa fille après sa libération et, d'autre part, par le rapport établi par le centre de traitement de la fondation des droits de l'homme d'Ankara au sujet des symptômes psychologiques de l'intéressée. La Commission a jugé les témoignages des policiers évasifs, incohérents et peu fiables. Elle a aussi estimé peu crédible le témoignage du docteur Buldağ, constatant que les examens de détenus effectués dans le service des urgences surchargé semblaient être entrepris avec des réticences et à la hâte, sans aucune préoccupation pour les plaintes de mauvais traitements.
b) Concernant la détention du 26 au 27 septembre 1995
Le 26 septembre 1995, la requérante fut appréhendée par la police avec un ami et collègue, Enver Atlı. On les emmena chez un médecin puis à la direction de la sûreté, où la requérante fut dévêtue et fouillée. On lui banda les yeux et on l'interrogea sur les mauvais traitements qu'elle avait subis en 1994. On mentionna qu'elle s'était plainte au niveau européen. On la laissa dans une cellule où il faisait extrêmement froid. Enver Atlı eut également les yeux bandés durant son interrogatoire par des policiers sur ses relations avec la requérante et sur le point de savoir si celle-ci était membre du PKK. Ils furent tous deux libérés vers 18 h 30 le 27 septembre 1995. Le procès-verbal établi à cette occasion indique que tous deux avaient été détenus aux fins d'une enquête relative à leur appartenance au PKK et leurs activités pour le compte de cette organisation, mais que l'interrogatoire avait permis d'établir qu'ils n'étaient pas impliqués.
Le Gouvernement allègue que la requérante a été détenue pour avoir falsifié un document. Toutefois, la Commission a jugé cette affirmation non fondée. Par ailleurs, elle a estimé ne pas disposer d'éléments suffisants pour conclure que la requérante avait été arrêtée en raison de la requête dont celle-ci l'avait saisie. Cependant, la Commission a constaté l'absence d'éléments concrets justifiant la détention de l'intéressée en raison d'allégations selon lesquelles elle participait aux activités du PKK, ce qui donne à l'incident une apparence de « pêche aux informations ».
c) Concernant la détention du 14 octobre 1995
La requérante fut convoquée par le procureur. Bien que celui-ci ne souhaitât pas la voir avant le lundi 16 octobre 1995, la police la conduisit à la direction de la sûreté le samedi 14 octobre 1995 au matin. Elle y resta, dormant sur un canapé, jusqu'à ce qu'un officier supérieur l'autorisât à rentrer chez elle dans l'après-midi. Elle revint avec sa mère le 16 octobre 1995 à 9 heures. On les fit attendre dans une pièce fermée à clé jusque dans l'après-midi, et la requérante fut alors interrogée par le procureur au sujet d'une publication de l'Association des droits de l'homme.
d) Concernant la procédure interne
Le 3 mai 1995, le procureur de Diyarbakır rendit un non-lieu concernant les deux policiers, Mustafa Tarhan Şenturk et Hasan Pişkin, quant à l'allégation de la requérante selon laquelle on l'avait torturée en garde à vue et on lui avait fracturé la mâchoire. La décision s'appuyait sur le fait que les défendeurs niaient les accusations et sur le rapport du médecin indiquant que l'intéressée ne présentait aucun signe de coups à sa libération. Faute de preuves, il fut décidé de ne pas poursuivre l'enquête.
Le Gouvernement a depuis fourni d'autres informations. Le 25 mai 1999, dans une décision d'incompétence, le procureur de Diyarbakır mentionna les allégations de la requérante selon lesquelles elle avait été torturée durant son interrogatoire. N'étant pas compétent, il transmit le dossier au comité administratif du département de Diyarbakır.
II. DOCUMENTS PRÉSENTÉS AUX ORGANES DE LA CONVENTION
A. Documents relatifs à l'enquête interne
Les pièces du dossier d'enquête concernant le décès de l'époux de la requérante ont été remises à la Commission. D'autres documents relatifs à la procédure diligentée contre Seyithan Araz ont été fournis à la Cour.
B. Le rapport de Susurluk
La requérante a fait parvenir à la Commission une copie du « rapport de Susurluk », établi à la demande du premier ministre par M. Kutlu Savaş, vice-président du Comité de coordination et d'inspection près le cabinet du premier ministre. Après sa communication en janvier 1998, le premier ministre l'a porté à la connaissance du public, à l'exception de onze pages du corps du document ainsi que de certaines de ses annexes.
D'après son préambule, ledit document n'est ni le fruit d'une instruction judiciaire ni un rapport d'enquête. Préparé dans un but d'information, il se limite à exposer certains faits concentrés dans le Sud-Est de la Turquie et susceptibles de confirmer l'existence d'une relation tripartite d'intérêts illicites entre des personnages politiques, des institutions gouvernementales et des coteries clandestines.
Le rapport fait l'analyse d'un enchaînement d'incidents, tels que des meurtres commandés, des assassinats de personnages connus ou prokurdes, ou encore des agissements délibérés d'un groupe de repentis censés servir l'Etat, pour conclure à l'existence d'un lien entre la lutte contre le terrorisme menée dans ladite région et les relations occultes qui en sont dérivées, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Le rapport cite un certain Mahmut Yıldırım, également dénommé Ahmet Demir ou « Yeşil » en décrivant en détail sa participation à des actes illégaux dans le Sud-Est ainsi que ses liens avec le MİT (service de renseignements) :
« (...) Alors qu'étaient connus le personnage de Yeşil, comme le fait qu'il avait commis, avec le groupe de repentis[] qu'il avait rassemblés autour de lui, des infractions telles que chantage, saisies, agressions contre des domiciles, viols, vols, meurtres, tortures, enlèvements, etc., il est plus difficile d'expliquer la collaboration des autorités publiques avec cet individu. Il se peut qu'une organisation respectée telle que le MİT ait recours à un individu de bas étage (...) il n'est pas acceptable que le MİT ait utilisé Yeşil à plusieurs reprises (...) Yeşil, qui a exercé ses activités à Antalya sous le nom de Metin Güneş, à Ankara sous celui de Metin Atmaca et également utilisé le nom d'Ahmet Demir, est un individu dont la police et le MİT connaissaient les agissements et la présence (...) Par suite du silence de l'Etat, les gangs ont le champ libre [p. 26].
(...) Yeşil a également collaboré avec le JİTEM, une organisation interne à la gendarmerie, qui utilisait de nombreux protecteurs et repentis [p. 27].
Dans ses aveux à la direction du bureau criminel de Diyarbakır, (...) M. G. (...) avait déclaré, quant à Ahmet Demir[] [p. 35], que celui-ci (...) racontait de temps en temps (...) qu'il avait planifié et fait exécuter le meurtre de Behçet Cantürk[] ainsi que d'autres partisans de la mafia et du PKK tués de la même façon (...) ; que le meurtre de (...) Musa Anter avait également été planifié et réalisé par A. Demir [p. 37].
Toutes les autorités concernées de l'Etat sont au courant de ces activités et opérations. (...) L'analyse des particularités des personnages tués dans lesdites opérations permet de déduire que la différence entre les personnes prokurdes tuées dans la région soumise à l'état d'urgence et les autres réside en leur pouvoir de financement du point de vue économique. Ces facteurs ont aussi joué un rôle dans le meurtre de Savaş Buldan, trafiquant et activiste pro-PKK, comme dans ceux de Medet Serhat Yos, Metin Can et Vedat Aydın. Notre seul désaccord avec ce qui a été fait concerne les modalités d'exécution et leurs conséquences. En effet, il a été constaté que même ceux approuvant tout ce qui s'était passé regrettaient le meurtre de Musa Anter. D'aucuns disent que Musa Anter n'était pas impliqué dans une action armée, qu'il était plutôt préoccupé par la philosophie de la chose, que les effets de son assassinat ont dépassé son influence propre et que sa mort avait été décidée à tort. (Les renseignements sur ces personnes se trouvent à l'annexe 9[]). D'autres journalistes ont également été tués [p. 74][]. »
Le rapport se conclut par de nombreuses recommandations, préconisant notamment l'amélioration de la coordination et de la communication entre les différentes branches des services de la sûreté, de police et de renseignements, l'identification et le renvoi des membres des forces de l'ordre impliqués dans des activités illégales, la limitation du recours aux repentis, la réduction du nombre de gardes de village, la cessation des activités du bureau des opérations spéciales et son incorporation dans les services de police en dehors de la région du Sud-Est, l'ouverture d'enquêtes sur divers incidents et la prise de mesures visant à supprimer les associations de malfaiteurs et les trafics de stupéfiants, ainsi que la communication des résultats de l'enquête parlementaire sur les événements de Susurluk aux autorités compétentes pour qu'elles engagent les procédures qui s'imposent.
C. Le rapport de 1993 de la commission d'enquête parlementaire (10/90 no A.01.1.GEC)
La requérante a fourni ce rapport sur les exécutions extrajudiciaires et les homicides perpétrés par des inconnus, élaboré en 1993 par une commission d'enquête parlementaire. Ce document mentionne 908 meurtres non élucidés, dont neuf de journalistes. Il expose le manque de confiance du public dans les autorités du Sud-Est de la Turquie et fait état d'informations selon lesquelles le Hezbollah aurait un camp dans la région de Batman, où ses membres bénéficieraient d'une formation et d'un soutien politiques et militaires de la part des forces de l'ordre. Il conclut que l'impunité règne dans la région et que certains groupes ayant un lien avec l'Etat pourraient être impliqués dans les meurtres.
III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les principes et les procédures relatifs à la responsabilité pour des actes contraires à la loi peuvent se résumer comme suit.
A. La poursuite pénale des infractions
Le code pénal réprime toute forme d'homicide (articles 448 à 455) ainsi que ses tentatives (articles 61 et 62). Les articles 151 à 153 du code de procédure pénale régissent les devoirs incombant aux autorités quant à l'enquête préliminaire au sujet des faits susceptibles de constituer pareils crimes et portés à la connaissance des autorités. Ainsi, toute infraction peut être dénoncée aussi bien aux autorités ou agents des forces de l'ordre qu'aux parquets. La déposition de pareille plainte peut être écrite ou orale, et dans ce dernier cas, l'autorité est tenue d'en dresser procès-verbal (article 151).
S'il existe des indices qui mettent en doute le caractère naturel d'un décès, les agents des forces de l'ordre qui en ont été avisés sont tenus d'en faire part au procureur de la République ou au juge du tribunal correctionnel (article 152). En application de l'article 235 du code pénal, tout membre de la fonction publique qui omet de déclarer à la police ou aux parquets une infraction dont il a eu connaissance pendant l'exercice de ses fonctions est passible d'une peine d'emprisonnement.
Le procureur de la République qui – de quelque manière que ce soit – est informé d'une situation permettant de soupçonner qu'une infraction a été commise, est obligé d'instruire les faits aux fins de décider s'il y a lieu ou non d'entamer une action publique (article 153 du code de procédure pénale).
Dans le cas d'actes de terrorisme présumés, le procureur est privé de sa compétence au profit d'un système distinct de procureurs et de cours de sûreté de l'Etat répartis dans toute la Turquie.
Si l'auteur présumé d'une infraction est un agent de la fonction publique et si l'acte a été commis pendant l'exercice des fonctions, l'instruction préliminaire de l'affaire dépend de la loi de 1914 sur les poursuites contre les fonctionnaires, laquelle limite la compétence ratione personae du ministère public dans cette phase de la procédure. En pareil cas, l'enquête préliminaire et, par conséquent, l'autorisation d'ouvrir des poursuites pénales seront du ressort du comité administratif local concerné (celui du district ou du département selon le statut de l'intéressé). Une fois pareille autorisation délivrée, il incombe au procureur de la République d'instruire l'affaire.
Les décisions desdits comités sont susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat ; la saisine est d'office si l'affaire est classée sans suite.
En vertu de l'article 4, alinéa i), du décret no 285 du 10 juillet 1987 relatif à l'autorité du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence, la loi de 1914 (paragraphe 45 ci-dessus) s'applique également aux membres des forces de l'ordre dépendant dudit gouverneur.
Lorsque l'auteur présumé d'un délit est un militaire, la qualification de l'acte incriminé détermine la loi applicable. Ainsi, s'il s'agit d'un « crime militaire » prévu au code pénal militaire no 1632, les poursuites pénales sont, en principe, régies par la loi no 353 portant institution des tribunaux militaires et réglementation de leur procédure ; en ce qui concerne les militaires accusés d'une infraction de droit commun, ce sont, en principe, les dispositions du code de procédure pénale qui trouveront application (articles 145 § 1 de la Constitution et 9 à 14 de la loi no 353).
Le code pénal militaire érige en « infraction militaire » le fait, pour un militaire agissant en désobéissance, de mettre en danger la vie d'une personne (article 89). Dans ce cas, les plaignants civils peuvent saisir les autorités visées au code de procédure pénale (paragraphe 43 ci-dessus) ou le supérieur hiérarchique de la personne mise en cause.
B. La responsabilité civile et administrative du fait d'actes criminels et délictuels
En vertu de l'article 13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative, toute victime d'un dommage résultant d'un acte de l'administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d'un an à compter de la date de l'acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n'a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure administrative.
L'article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution énonce :
« Tout acte ou décision de l'administration est susceptible d'un contrôle juridictionnel (...)
L'administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »
Cette disposition consacre une responsabilité objective de l'Etat, laquelle entre en jeu quand il a été établi que dans les circonstances d'un cas donné, l'Etat a manqué à son obligation de maintenir l'ordre et la sûreté publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et cela sans qu'il faille établir l'existence d'une faute délictuelle imputable à l'administration. Sous ce régime, l'administration peut donc se voir tenue d'indemniser quiconque est victime d'un préjudice résultant d'actes commis par des personnes non identifiées.
L'article 8 du décret no 430 du 16 décembre 1990, dont la dernière phrase s'inspire de la disposition susmentionnée (paragraphe 49 ci-dessus), est ainsi libellé :
« La responsabilité pénale, financière ou juridique, du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence ou d'un préfet d'une région où a été proclamé l'état d'urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l'exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens contre l'Etat devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l'Etat des dommages injustifiés subis par elle. »
Sur le terrain du code des obligations, les personnes lésées du fait d'un acte illicite ou délictuel peuvent introduire une action en réparation pour le préjudice tant matériel (articles 41 à 46) que moral (article 47). En la matière, les tribunaux civils ne sont liés ni par les considérations ni par le jugement des juridictions répressives sur la culpabilité de l'intéressé (article 53).
Toutefois, en vertu de l'article 13 de la loi no 657 sur les employés de l'Etat, les personnes ayant subi un dommage du fait de l'exercice d'une fonction relevant du droit public peuvent, en principe, ester en justice uniquement contre l'autorité publique dont relève le fonctionnaire en cause et pas directement contre celui-ci (articles 129 § 5 de la Constitution, et 55 et 100 du code des obligations). Cette règle n'est toutefois pas absolue. Lorsque l'acte en question est qualifié d'illicite ou de délictuel et, par conséquent, perd son caractère d'acte ou de fait « administratif », les juridictions civiles peuvent accueillir une demande de dommages-intérêts dirigée contre l'auteur lui-même, sans préjudice de la possibilité d'engager la responsabilité conjointe de l'administration en sa qualité d'employeur de l'auteur de l'acte (article 50 du code des obligations).
IV. RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
Enquêtes du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (le CPT)
Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (le CPT) a organisé sept visites en Turquie. Les deux premières visites, effectuées en 1990 et 1991, étaient des visites ad hoc, jugées nécessaires en raison du nombre considérable de rapports émanant de sources diverses et comportant des allégations de torture ou d'autres formes de mauvais traitements de personnes privées de liberté, en particulier celles qui étaient détenues par la police. Une troisième visite s'est déroulée fin 1992. D'autres visites ont été effectuées en octobre 1994, août et septembre 1996 et octobre 1997. Les rapports du CPT sur ces visites, hormis sur celle d'octobre 1997, n'ont pas été rendus publics, la publication étant subordonnée au consentement de l'Etat concerné, qui n'en a pas fait état. Le CPT a émis deux déclarations publiques concernant ses visites en Turquie.
La première déclaration publique
Dans sa déclaration publique adoptée le 15 décembre 1992, le CPT conclut à la suite de sa première visite en Turquie que la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves constituaient des caractéristiques importantes de la détention policière. A sa première visite en 1990, les formes suivantes de mauvais traitements ont notamment été à maintes et maintes reprises alléguées : suspension par les poignets attachés dans le dos de la victime (dite palestinian hanging) ; chocs électriques ; coups assénés sur la plante des pieds (falaka) ; arrosage à l'eau froide sous pression et détention dans des cellules très étroites, obscures et non aérées. Les données médicales rassemblées par le CPT montraient des signes médicaux évidents compatibles avec des actes très récents de torture ou d'autres mauvais traitements graves, tant de nature physique que psychologique. En particulier, le CPT concluait que dans les sections anti-terrorisme de la police de Diyarbakır, les fonctionnaires de police avaient fréquemment recours à la torture et/ou à d'autres formes de mauvais traitements graves, tant de nature physique que psychologique.
Lors de sa deuxième visite en 1991, le CPT a constaté qu'aucun progrès n'avait été réalisé dans l'élimination de la torture et des mauvais traitements infligés par la police. De nombreuses personnes alléguaient avoir subi de tels traitements – un nombre croissant d'allégations concernaient l'introduction par la force d'un bâton ou d'une matraque dans les orifices naturels. Une fois de plus, un certain nombre de personnes qui déclaraient avoir été maltraitées présentaient à l'examen médical des lésions ou d'autres signes médicaux compatibles avec leurs allégations. La torture et d'autres formes de mauvais traitements graves continuaient à être infligées, au même rythme, à la section anti-terrorisme de la police de Diyarbakır. A sa troisième visite, qui s'est déroulée du 22 novembre au 3 décembre 1992, la délégation du CPT a été submergée d'allégations de torture et de mauvais traitements. De nombreuses personnes examinées par les médecins de la délégation présentaient des lésions ou des signes médicaux compatibles avec leurs allégations. Le CPT a dressé une liste de ces cas. A l'occasion de cette visite, le CPT s'est rendu à Adana ; un détenu examiné à la prison de cette ville avait des hématomes sur la plante des pieds et une série de stries violacées verticales (d'environ 10 cm de long par 2 cm de large) sur la partie supérieure du dos, compatibles avec son allégation selon laquelle il avait récemment subi la falaka et avait été frappé dans le dos avec une matraque pendant sa garde à vue. Dans les locaux de la direction de la sûreté d'Ankara et de Diyarbakır, le CPT a trouvé un équipement pouvant servir à des actes de torture, pour la présence duquel aucune explication crédible n'a été donnée. Le CPT conclut dans sa déclaration que « la pratique de la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves de personnes détenues par la police restent largement répandues en Turquie ».
La deuxième déclaration publique
Dans sa deuxième déclaration publique, émise le 6 décembre 1996, le CPT relève que quelques progrès ont été accomplis au cours des quatre années précédentes. Toutefois, les faits qu'il a constatés lors d'une visite effectuée en 1994 ont démontré que la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves constituaient toujours des caractéristiques importantes de la garde à vue dans ce pays. Au cours des visites effectuées en 1996, des délégations du CPT ont, une fois de plus, trouvé des preuves manifestes que la police turque pratiquait la torture et d'autres formes de mauvais traitements graves. Le CPT fait ensuite référence à sa visite la plus récente, effectuée en septembre 1996 dans des établissements de police à Adana, Bursa et Istanbul, où la délégation s'est aussi rendue dans trois prisons, afin de s'entretenir avec certaines personnes qui avaient été très récemment placées en garde à vue à Adana et à Istanbul. Un nombre considérable de personnes examinées par les médecins légistes de la délégation présentaient des lésions ou d'autres signes médicaux compatibles avec leurs allégations de mauvais traitements récents infligés par la police, et en particulier de coups assenés sur la plante des pieds, de coups sur la paume des mains et de suspension par les bras. Le CPT souligne les cas de sept personnes – très récemment détenues dans les locaux de la section anti-terrorisme de la direction de la sûreté d'Istanbul – qui figurent parmi les exemples les plus flagrants de torture vus par des délégations du CPT en Turquie. Ces personnes présentaient des signes de suspension prolongée par les bras, avec des atteintes motrices et sensitives qui, chez deux des personnes examinées qui avaient perdu l'usage des deux bras, pourraient se révéler irréversibles. Le CPT conclut que le recours à la torture et à d'autres formes de mauvais traitements graves continue d'être chose fréquente dans des établissements de police en Turquie.
Le CPT a souligné l'importance du rôle préventif des médecins :
« Il convient de mentionner en particulier le travail des médecins chargés par l'Etat de tâches médicolégales, question à laquelle le CPT a accordé une attention considérable au cours de son dialogue avec les autorités turques. Le système actuel de l'examen systématique des personnes détenues par un médecin légiste à l'issue de leur période de garde à vue est, en principe, une garantie importante contre les mauvais traitements. Toutefois, certaines conditions doivent être remplies : le médecin légiste doit jouir d'une indépendance de droit et de fait, doit avoir bénéficié d'une formation spécialisée et s'être vu confier un mandat qui soit d'une portée suffisamment large. Si ces conditions ne sont pas réunies – ce qui est souvent le cas – le système actuel pourrait engendrer l'effet pervers de rendre encore plus difficile le combat contre la torture et les mauvais traitements.
Une série de circulaires ont été adoptées par le ministère de la Santé en ce domaine ; en particulier, une circulaire du ministère de la Santé du 22 décembre 1993
– ultérieurement reprise dans les instructions du ministre de l'Intérieur du 16 février 1995 – énumère les mentions qui doivent obligatoirement figurer dans les certificats médicolégaux établis suite aux examens médicaux de personnes détenues par les forces de l'ordre. En dépit de cela, la grande majorité des certificats médicolégaux vus par le CPT, au cours de ces trois dernières années, n'étaient pas conformes aux termes de cette circulaire.
Il est nécessaire de prendre des mesures pour assurer que toutes les circulaires précitées soient entièrement respectées et, plus généralement, que les médecins appelés à assumer des tâches médicolégales puissent effectuer leur travail sans ingérence aucune. En outre, il convient de mettre à disposition les ressources nécessaires afin que le programme de formation à l'intention des médecins appelés à effectuer des tâches médicolégales – programme récemment élaboré par le ministère de la Santé – soit mis en œuvre sans délai dans toute la Turquie. »
Le CPT a souligné une fois de plus que le ministère public devait agir avec célérité et de manière efficace en présence de plaintes de torture et de mauvais traitements et qu'il fallait réduire les périodes maximales de garde à vue.
Rapport du CPT sur sa visite en Turquie du 5 au 17 octobre 1997
Dans ce rapport, le CPT a réitéré notamment ses préoccupations au sujet des examens médicolégaux des personnes placées en garde à vue, soulignant que l'examen de ces personnes par un médecin pouvait constituer une garantie très importante contre les mauvais traitements, à condition que les médecins concernés jouissent d'une indépendance formelle et de facto, qu'ils aient un mandat suffisamment large et qu'ils aient bénéficié d'une formation spécialisée. Il a constaté toutefois que de nombreux services médico-légaux n'utilisaient pas le formulaire médicolégal type contenu dans la circulaire du ministère de la Santé du 25 janvier 1995 ; les médecins inscrivaient leurs constatations sur une feuille sans rubrique aucune, les allégations faites par la personne détenue n'étaient pas consignées et aucune conclusion n'était tirée. Le CPT a rappelé avoir précédemment souligné qu'il était essentiel que les certificats établis à la suite de l'examen médico-légal d'une personne détenue comportent un exposé des déclarations pertinentes faites par la personne détenue, un exposé des constatations médicales objectives fondées sur un examen approfondi et les conclusions du médecin à la lumière de ces deux éléments, qui doivent inclure une appréciation du degré de compatibilité entre toute allégation formulée et les constatations médicales objectives.
Le CPT a exprimé l'espoir que l'utilisation généralisée du formulaire médicolégal type mettrait fin aux examens médicolégaux collectifs de groupes de personnes détenues, quelques indications du recours à cette pratique indésirable ayant été observées lors de la visite. Le CPT a également constaté que des examens médicolégaux étaient effectués en présence des policiers qui avaient amené la personne détenue et que le médecin remettait à ces policiers une copie du rapport sans la mettre sous enveloppe. Il a souligné que les examens devaient toujours être effectués hors de l'écoute et de la vue des membres des forces de l'ordre, sauf demande contraire du médecin concerné dans un cas particulier. Le CPT s'est félicité des mesures prises pour transmettre les rapports médicolégaux dans des enveloppes cachetées au parquet compétent et au chef du département de police concerné. | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Le 29 septembre 1992, le requérant assigna plusieurs personnes ainsi que leurs compagnies d’assurances devant le tribunal de Pise afin d’obtenir réparation des dommages subis lors d'un accident de la circulation.
L’instruction commença le 17 décembre 1992. Des onze audiences prévues entre le 11 mars 1993 et le 20 février 1997, deux furent renvoyées d’office, une à la demande des parties, trois concernèrent une expertise, trois furent consacrées à l’admission et à l’audition de témoins et une à la constitution devant le juge du nouveau conseil du requérant. La présentation des conclusions eut lieu le 30 juin 1997. A cette date, l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente fut fixée au 5 avril 1999.
Par lettre du 9 septembre 1999, le requérant a informé le greffe qu’à une date non précisée de janvier 1998 un règlement amiable était intervenu entre les parties. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 1er février 1992, Mme B. fut assignée par M. Z. devant le juge d'instance d’Oderzo (Trévise) afin d'obtenir le transfert de la propriété d'un immeuble.
La mise en état de l'affaire commença le 13 mars 1992. Des trois audiences prévues entre le 10 juillet 1992 et le 2 avril 1993, deux furent consacrées au dépôt de mémoires et une fut renvoyée d’office. Le 22 octobre 1993, le procès fut interrompu suite au décès de Mme B. Le 16 juin 1994, M. Z. reprit la procédure en mettant en cause le requérant, en tant qu’héritier de Mme B., et le juge fixa l’audience suivante au 1er juillet 1994. Suite à l’absence du requérant, cette audience fut toutefois reportée au 30 septembre 1994, date à laquelle le requérant se constitua devant le juge. Sept audiences plus tard, dont deux furent consacrées à l’admission et à l’audition de témoins, trois à la demande de nomination d’un expert, une à une tentative de règlement amiable de l’affaire et une fut renvoyée de plus de cinq mois car ce jour-là les avocats faisaient grève, le 24 mai 1996 les parties présentèrent leurs conclusions et les débats furent fixés au 19 juillet 1996. Par une ordonnance hors audience du 24 septembre 1996, le juge rouvrit l'instruction et nomma un expert.
Après trois audiences, le 16 mai 1997 les parties présentèrent leurs conclusions et les débats eurent lieu le 4 juillet 1997. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 24 décembre 1997, le juge fit droit à la demande de M. Z.
Le 8 février 1999, M. Z. interjeta appel devant le tribunal de Trévise. Le 29 avril 1999, le juge déclara le requérant défaillant et fixa l’audience de présentation des conclusions au 15 janvier 2000. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 13 novembre 1991, la requérante déposa un recours devant la Cour des comptes afin d’obtenir l’annulation d’une décision du ministère de l’Éducation nationale refusant de recalculer sa pension.
Le 22 mars 1994, le dossier fut transmis à la chambre régionale de Lombardie de la Cour des comptes, suite à l’intervention de la loi 19/1994 instituant des chambres régionales de la Cour des comptes. L’audience eut lieu le 26 septembre 1997. Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 30 janvier 1998, la chambre régionale fit droit au recours de la requérante. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant est un ressortissant portugais, né en 1945 et résidant à Lisbonne. Il est journaliste et était, à l'époque des faits, directeur du quotidien à gros tirage Público.
Un article paru dans l'édition du 10 juin 1993 du Público, dans lequel il était affirmé que le Parti populaire (Partido Popular – CDS/PP) avait invité M. Silva Resende, avocat et journaliste, à se présenter aux élections municipales à Lisbonne. Cette information avait également été donnée par l'agence de presse portugaise LUSA.
Sur la même page, le requérant publia un éditorial dont les passages litigieux se lisent ainsi :
« (...) [le président du CDS/PP] a montré qu'il pouvait aller au-delà de la plus grossière des caricatures (...) J'en veux pour preuve, l'impensable choix de la direction du CDS quant à la personne qui sera la tête de liste du parti à la mairie de Lisbonne. Il suffit de lire les extraits des articles récents de M. Silva Resende dans le Jornal do Dia, que nous publions dans ces pages, pour se faire une idée du personnage que le nouveau Parti populaire veut présenter à la mairie de la principale municipalité du pays. Cela semblera invraisemblable et grotesque – mais c'est vrai. Même dans les ruines [arcas] les plus antiques et les plus délabrées du salazarisme, on ne saurait dénicher un candidat idéologiquement plus grotesque et plus rustre [boçal], un mélange aussi incroyable de grossièreté réactionnaire [reaccionarismo alarve], de bigoterie fasciste et d'antisémitisme vulgaire. N'importe quelle personnalité importante de l'Etat nouveau [Estado Novo] ou n'importe quel maire de Lisbonne de l'ancien régime passerait pour un remarquable progressiste par rapport à cette brillante trouvaille (...). Tout cela ne serait qu'une anecdote sans conséquence ou un acte manqué de surréalisme politique si ce n'était révélateur d'une face cachée que le CDS veut essayer de masquer derrière le voile diaphane de la droite moderne. Incapable de trouver un candidat crédible à la mairie de Lisbonne, ce qui est déjà symptomatique de la fragilité d'un parti qui veut se présenter comme un possible parti de gouvernement, la direction du CDS a fait appel à un personnage qui représente ce qu'il y a de plus béat, ranci et ridicule dans la droite portugaise. Un personnage qui semble n'avoir jamais réellement existé et qu'aucun humoriste de mauvais goût n'aurait pu imaginer comme le dernier Abencérage salazarien [salazarenta] dans les années 90. On présume que le jeune dirigeant [du CDS/PP] aura pensé trouver, en désespoir de cause, quelqu'un qui soit capable de ramener à tout le moins la clientèle du football, qui est l'univers dans lequel M. Silva Resende a fait une carrière remarquée. On pense que la majorité des jeunes Turcs de la direction du CDS s'est contentée de lire les chroniques footballistiques de M. Silva Resende, ignorant les merveilleuses perles de sa pensée politique (...) »
Dans la même édition du Público, de nombreux extraits d'articles récents de M. Resende étaient publiés à la même page que celle de l'éditorial du requérant. Certains de ces extraits se lisent ainsi :
« Le juif chauve [M. L. Fabius] qui passe sa vie, lors de ses interventions en public, à militer en faveur de la laïcité et de la République (ces deux piliers de l'impiété religieuse et patriotique permettent à eux seuls à un lecteur moyen de décrypter ses intentions), a jugé après les élections qu'ils [les socialistes] ont été vaincus à cause de leur pratique politique et non à cause de leurs idéaux. » (Jornal do Dia, 6 avril 1993)
« Le passé des Clinton, et surtout le style de leur campagne afin d'arriver à la Maison Blanche, étaient très révélateurs d'une nouvelle conspiration de la gauche en ce que celle-ci a de plus aberrant : la guerre à la propriété d'autrui, le culte de l'agnosticisme, le relativisme moral, l'hypocrisie sociale, la laïcité inhumaine de la vie. Pour apprécier la mobilisation des forces qui ont mis les Clinton sur orbite, il suffit de mentionner que le lobby juif a payé 60 % des dépenses de la campagne alors qu'il ne représente que 5 % du corps électoral. » (Jornal do Dia, 16 avril 1993)
[sur la révolution du 25 avril 1974]
« (...) Américains et Russes se sont mis d'accord pour infliger au Portugal un coup à Lisbonne. Nous avons été trahis par les Etats-Unis, nous avons été trahis par l'OTAN, qui a placé aux portes de Lisbonne une flotte de service au cas où ce coup bas n'aurait pas de succès. » (Jornal do Dia, 21 mai 1993)
« Ce n'est pas une coïncidence si les hommes politiques sont partout impliqués dans de graves affaires de corruption. Ce chaos moral, qui menace d'étouffer le monde et qui entraîne une perversité généralisée, qui attire le châtiment divin, a commencé il y a plusieurs années lorsque les centrales d'intoxication idéologique et les agents de la propagation de l'erreur se sont installés confortablement partout, lorsqu'ils ont perverti la jeunesse convertie aux idoles, lorsqu'ils ont arraché les femmes au sanctuaire du foyer, lorsqu'ils ont submergé le monde sous l'exhibition du vice et enfin lorsqu'ils ont infiltré les partis politiques, les plaçant au service de l'impiété. » (Jornal do Dia, 25 mai 1993)
« La loge maçonnique et la synagogue juive, même lorsqu'elles n'imposent pas leurs rites et pratiques initiatiques, flirtent toujours avec les dépositaires du pouvoir. Quelquefois, elles arrivent même à obtenir l'investiture pour des postes publics. Il n'y a que le Front National de Le Pen qui fait exception à cette pénétration plus ou moins subtile. Le « lepénisme » est qualifié de mouvement raciste et persécuté au moyen des procédés les plus inimaginables, qui vont des agressions en plein jour au sabotage de ses meetings, en passant par la calomnie organisée et l'adoption de lois iniques afin de l'empêcher de progresser dans le tissu social et surtout sur les marches qui mènent au pouvoir. Ce n'est certainement pas que le Front ne soit pas exempt de quelques péchés politiques, mais il est la seule force politique qui lutte ouvertement pour la restauration d'une France portant haut les valeurs de la civilisation chrétienne et opposée au gauchisme qui, depuis 1789, mine les énergies nationales et fait du drapeau national le symbole de l'hérésie. » (Jornal do Dia, 27 mai 1993)
« Cela me fait de la peine de devoir aborder des sujets qui respirent l'haleine de Satan. Mais il y a de tout dans la cité des hommes et il est indéniable que le Malin utilise dans toute sa dimension ce monde dévasté par le péché. (...) Il y a dix ans, on a fait en France une enquête sur le péché. La grande majorité des gens ont répondu en substance que le péché n'existait pas, qu'il était un tabou inventé par l'obscurantisme médiéval. L'énorme recul que constitue cette réponse nous donne l'idée de la décadence des mœurs ainsi que de l'abîme dans lequel la société contemporaine est en train de tomber. » (Jornal do Dia, 5 juin 1993)
« La plupart des personnes ignorent que Hitler et Mussolini étaient des socialistes et que c'est en cette qualité qu'ils ont conquis le pouvoir dans leurs pays respectifs, faisant appel à toutes les ruses et violences que les canons de la gauche leur ont fournies. » (Jornal do Dia, 8 juin 1993)
A la suite de la publication de l'éditorial en question, M. Resende déposa devant le parquet de Lisbonne une plainte pénale avec constitution d'assistente (auxiliaire du ministère public) à l'encontre du requérant. Celui-ci fut ultérieurement accusé de diffamation par voie de presse (abuso de liberdade de imprensa).
Par un jugement du 15 mai 1995, le tribunal criminel de Lisbonne acquitta le requérant. Il considéra que les expressions utilisées par le requérant pouvaient certes passer pour des insultes mais qu'il n'y avait pas eu animus diffamandi vel injuriandi. Pour le tribunal, les expressions en cause devaient être interprétées comme une critique de la pensée politique de M. Resende et non pas de sa réputation ou de son comportement. Le tribunal ajouta qu'il fallait prendre également en considération les extraits des articles de M. Resende et la manière incisive dont ce dernier faisait référence à plusieurs personnalités, s'attaquant même à des particularités physiques.
Sur appel de M. Resende et du ministère public, la cour d'appel (Tribunal da Relação) de Lisbonne annula la décision attaquée par un arrêt du 29 novembre 1995. Elle procéda à une évaluation des intérêts en présence et considéra que certaines des expressions utilisées par le requérant telles que « grotesque », « rustre » et « grossier » étaient de simples insultes, qui dépassaient les limites de la liberté d'expression. Pour la cour d'appel, le requérant avait commis, en agissant par dol éventuel (dolo eventual), l'infraction dont il était accusé. Le requérant fut ainsi condamné au paiement d'une amende de 150 000 escudos portugais (PTE), au versement de 250 000 PTE à M. Resende à titre de dommages-intérêts et, enfin, au paiement des frais de justice s'élevant à 80 000 PTE.
Se fondant notamment sur l'article 10 de la Convention, le requérant introduisit un recours constitutionnel devant le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional). Il soutint que l'interprétation donnée par la cour d'appel aux dispositions pertinentes du code pénal et de la loi sur la presse portaient atteinte à la Constitution.
Par un arrêt du 5 février 1997, porté à la connaissance du requérant le 10 février 1997, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours. Après avoir souligné que tant la Constitution que l'article 10 de la Convention prévoyaient certaines limites à l'exercice de la liberté d'expression, il considéra que les dispositions mentionnées par le requérant, telles qu'elles avaient été interprétées et appliquées par la cour d'appel, n'étaient pas contraires à la Constitution.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
La Constitution portugaise, en ses articles 38 et 26 (tels qu'en vigueur au moment des faits), protège la liberté de la presse et le droit au respect de l'honneur et de la réputation.
L'article 164 du code pénal, au moment des faits, était ainsi libellé :
« 1. Celui qui, s'adressant à des tiers, accuse une autre personne d'un fait, même sous la forme d'un simple soupçon, ou qui formule, à l'égard de cette personne, une opinion portant atteinte à son honneur et à sa réputation, ou qui reproduit une telle accusation ou opinion, est passible de six mois d'emprisonnement et d'une peine pouvant aller jusqu'à 50 jours-amendes.
L'auteur ne sera pas puni :
a) lorsque l'accusation est formulée en vue d'un intérêt public légitime ou pour une autre raison valable ; et
b) s'il prouve la véracité d'une telle accusation ou s'il a des raisons sérieuses de la croire vraie de bonne foi.
La bonne foi est exclue lorsque l'auteur n'a pas respecté son obligation imposée par les circonstances de l'espèce, de s'informer sur la véracité de l'accusation.
(...) »
L'article 167 § 2 du code pénal aggravait les peines encourues jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 240 jours-amendes maximum pour les infractions commises par voie de presse.
L'article 25 § 1 de la loi sur la presse, dans la version applicable au moment des faits (le décret-loi no 85-C/78 du 26 février 1978), se lisait ainsi :
« Sont considérés comme des infractions commises par voie de presse les actes ou comportements susceptibles de porter atteinte, au moyen de la publication de textes ou d'images dans la presse, à un intérêt juridique protégé par le droit pénal. »
Le paragraphe 2 de ce même article précisait que ces infractions relevaient du droit pénal. Il prévoyait également que tout accusé n'ayant jamais été condamné auparavant pour la même infraction pourrait se voir infliger une simple amende pécuniaire à la place d'une peine privative de liberté. | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Le 27 mars 1972, le requérant déposa un premier recours devant la Cour des comptes et le 1er août 1975 un deuxième, les deux visant à obtenir l’annulation de deux décisions du ministère de la Défense lui refusant la majoration du montant de sa pension.
Le 14 janvier 1977, les dossiers furent transmis au ministère public. Le 5 septembre 1994, les dossiers furent transmis à la chambre régionale de Latium de la Cour des comptes, suite à la loi n° 19/94 instituant des chambres régionales de la Cour des comptes. Le 23 octobre 1995, le requérant sollicita la fixation d’une audience. Dans le premier recours, une audience fut fixée au 15 mai 1996. A cette date, l’audience fut reportée au 11 décembre 1996, afin de permettre la jonction des affaires. Le jour venu, les affaires furent jointes et mises en délibéré.
Par un arrêt du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 20 août 1997, la chambre régionale de la Cour des comptes rejeta les recours du requérant | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. les circonstances de l'ESPÈCE
En 1993, à une date non précisée, s'ouvrit une enquête sur des adoptions illicites à l'étranger auxquelles le requérant était soupçonné d'avoir participé.
Le 19 septembre 1994, le procureur régional de Cracovie accusa le requérant de trafic d'enfants et de subornation de témoins. Le 20 septembre 1994, il ordonna le placement du requérant en détention provisoire.
Le 29 septembre 1994, le requérant reçut notification écrite des motifs de la décision du 19 septembre. Le procureur y mentionnait principalement les nombreux dossiers relatifs à des procédures d'adoption dans lesquelles le requérant avait représenté des étrangers désireux d'adopter des enfants. Il s'appuyait aussi sur les dépositions de nombreux témoins. Il était établi dans un grand nombre de cas que les futurs parents adoptifs avaient remis au requérant une procuration longtemps avant le début de la procédure d'adoption, voire avant la naissance d'un enfant. Les parents biologiques exerçaient l'autorité parentale et avaient consenti à une adoption par des étrangers exclusivement. Le requérant, au fait de leur situation financière, généralement difficile, les incitait à donner leurs enfants à adopter contre paiement. Par la suite, le requérant ou d'autres personnes travaillant avec lui allaient chercher les nouveau-nés à l'hôpital et les plaçaient chez des tiers. Les parents biologiques ne voyaient plus du tout les enfants et ne s'occupaient pas d'eux. Toutefois, ils restaient en contact permanent avec le requérant. Ultérieurement, lors d'audiences dans le cadre de la procédure d'adoption, ils renonçaient à l'autorité parentale et consentaient à l'adoption. Le procureur considérait en outre que le requérant était fortement soupçonné, preuves réunies lors de l'enquête à l'appui, d'avoir incité les parents biologiques à donner de faux témoignages au cours de la procédure, notamment quant aux circonstances dans lesquelles ils avaient rencontré les parents adoptifs. Dans la plupart des cas, ils avaient déclaré avoir rencontré les candidats à l'adoption par l'intermédiaire d'amis communs. En outre, le requérant avait exercé des pressions indues sur les policiers qui prenaient certaines mesures au cours de la procédure dirigée contre lui. Le procureur relevait de plus que le requérant avait perçu pour ses services des rémunérations qui, dans certains cas, étaient anormalement élevées. Le procureur conclut que, dans l'ensemble, les circonstances de l'affaire justifiaient de soupçonner le requérant d'être impliqué dans un trafic d'enfants au sens de l'article IX des dispositions transitoires du code pénal et de s'être rendu coupable de subornation de témoins.
Le requérant interjeta appel de cette décision, faisant notamment valoir que les actes dont il était accusé ne pouvaient en aucun cas être constitutifs de l'infraction de trafic d'enfants. En outre, étant donné qu'un nombre important de témoins avaient déjà été interrogés par les autorités de poursuite, il n'y avait aucun risque que sa remise en liberté entrave le bon déroulement de la procédure.
Le 4 octobre 1994, le tribunal régional de Cracovie examina les recours contre la mise en détention que le requérant et ses avocats, MM. W.P. et M.G., lui avaient soumis. En présence du procureur,
Mme I.K.-B., mais non du requérant, le tribunal autorisa les avocats à plaider puis leur ordonna de quitter le prétoire. Le procureur requit ensuite le maintien en détention, arguant que la qualification juridique de l'infraction était correcte en s'appuyant sur l'article 35 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant.
Par une décision rendue le même jour, le tribunal rejeta l'appel formé par le requérant contre la décision de le placer en détention provisoire. Le tribunal reconnut tout d'abord qu'il n'y avait pas de précédent en la matière et que l'affaire soulevait des questions complexes de fait et de droit. Il déclara que, dans son examen de la décision attaquée, il s'était borné à apprécier, sous l'angle des dispositions régissant le placement et le maintien en détention provisoire, notamment l'article 209 du code de procédure pénale, le caractère pertinent et suffisant des preuves à charge recueillies en vue de le placer en détention provisoire. Toutefois, il souligna qu'il s'était abstenu d'examiner de près les questions de droit matériel soulevées par l'affaire. Le tribunal observa en outre de manière catégorique que les preuves rassemblées jusqu'alors ne portaient pas à soupçonner le requérant d'avoir tenté d'exercer des pressions indues sur les policiers participant à la procédure. Cependant, les preuves figurant au dossier conduisaient à soupçonner le requérant d'avoir commis une infraction sanctionnée par l'article IX § 2 des dispositions transitoires du code pénal, lequel portait sur les enlèvements et le trafic d'enfants à quelque fin et de quelque manière que ce soit, et notamment, de l'avis du tribunal, les cas où les auteurs des infractions étaient uniquement motivés par le profit. De plus, le tribunal estima que cette disposition devait s'interpréter à la lumière de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, que la Pologne avait ratifiée en 1991. Le tribunal était en désaccord avec le requérant lorsque celui-ci affirmait n'avoir agi qu'en qualité d'avocat, puisqu'il ressortait des preuves qu'il s'était comporté dans le cadre des affaires d'adoption de manière outrepassant largement les limites de ce que l'on attend généralement d'un avocat en pareil cas. En particulier, le requérant avait non seulement agi comme représentant devant les tribunaux, mais en outre activement recherché des enfants à adopter. Il avait également pris des mesures concrètes et juridiques afin de créer des situations artificielles satisfaisant aux exigences des lois régissant l'adoption. Le tribunal partageait enfin l'avis du procureur quant au fait que la rémunération du requérant était dans bien des cas anormalement élevée, ce qui semblait enfreindre l'article 21 de la Convention relative aux droits de l'enfant. Pour le tribunal, cela indiquait que la seule motivation du requérant était le profit.
Le tribunal estima de plus que les preuves prises dans leur ensemble portaient à conclure que les exigences légales en matière de détention provisoire avaient été respectées. Premièrement, les nombreuses preuves montraient que les soupçons pesant sur le requérant étaient fondés. Deuxièmement, la complexité de l'affaire et la nécessité d'adopter d'autres mesures prenant beaucoup de temps, comme interroger d'autres témoins et examiner de multiples documents, plaidaient en faveur du maintien du requérant en détention afin d'assurer le bon déroulement de la procédure. Le tribunal considéra enfin qu'il y avait un risque que la libération du requérant compromette la procédure, eu égard en particulier à la nature des charges retenues contre lui, dont l'incitation à livrer de faux témoignages dans les procédures d'adoption aux fins de corrompre le cours de la justice.
Le 28 octobre 1994, le procureur régional examina la demande de libération adressée par le requérant au ministre de la Justice le 22 septembre 1994 et la rejeta.
Le 2 novembre 1994, le requérant demanda à être libéré ou à voir sa détention remplacée par une mesure préventive moins sévère.
Le 14 novembre 1994, le procureur régional de Cracovie refusa de statuer sur la demande de libération émanant du requérant, considérant qu'à la lumière de son dossier médical et de celui de sa femme, il n'y avait pas suffisamment de motifs d'accueillir sa demande de libération car rien ne montrait que son maintien en détention entraînait des risques pour sa vie ou des difficultés particulières pour lui ou sa famille.
Le 23 novembre 1994, le procureur ordonna de demander une expertise à deux psychiatres et un psychologue afin d'établir si l'état de santé du requérant était compatible avec sa détention et s'il pouvait être considéré comme responsable pénalement.
Le 2 décembre 1994, le procureur près la cour d'appel de Cracovie rejeta le recours formé par le requérant contre la décision du procureur régional du 14 novembre 1994, considérant que ce dernier avait correctement apprécié le dossier médical du requérant et de sa femme. Il soulignait de plus que la question de savoir si les faits invoqués par le parquet pour justifier la détention du requérant pouvaient passer pour relever de l'article IX des dispositions transitoires du code pénal avait déjà été traitée par le procureur régional dans sa décision du 29 septembre 1994 et par le tribunal régional dans sa décision du 4 octobre 1994. S'il est vrai que ce tribunal avait jugé cette qualification juridique « sujette à controverse », il n'en avait pas moins admis les arguments du procureur selon lesquels la détention du requérant était justifiée.
Le 5 décembre 1994, le procureur régional de Cracovie désigna un autre expert, un neuropsychologue, afin qu'il examine le requérant pour compléter les renseignements médicaux déjà recueillis en vue de préparer l'expertise ordonnée le 23 novembre 1994.
A cette même date, le requérant demanda à être interrogé par le procureur régional.
Le 12 décembre 1994, ce dernier pria le tribunal régional de Cracovie de prolonger la détention du requérant jusqu'au 28 février 1995.
En réponse à la lettre du requérant du 5 décembre 1994, le procureur régional l'informa le 16 décembre 1994 que, étant donné qu'il fallait préparer l'expertise, il n'avait pas été possible de l'interroger avant que le procureur ne soumette le 12 décembre 1994 au tribunal sa demande de prolongation de la détention. Il indiqua de plus que les dispositions légales pertinentes ne prévoyaient pas la notification à l'accusé de la demande du procureur tendant à la prolongation de la détention et que, comme les preuves recueillies pendant l'enquête poussaient à prévoir que d'autres personnes allaient être accusées dans cette affaire, l'avocat du requérant s'était vu refuser l'accès au dossier dans l'intérêt d'une bonne conduite de la procédure.
Par une lettre du 16 décembre 1994, le requérant se plaignit de nouveau de n'avoir pas été interrogé dans le cadre de l'enquête depuis son arrestation.
Le 19 décembre 1994, à la demande du procureur régional, le tribunal régional de Cracovie prolongea la détention du requérant de trois mois.
Par une lettre du 21 décembre 1994 adressée au procureur régional, le requérant se plaignit de ce que la procédure relative à la prolongation de sa détention provisoire n'était pas contradictoire, au mépris des exigences de l'article 5 de la Convention, parce que ni lui ni son avocat ne pouvaient avoir accès au dossier. Il dénonçait aussi le fait qu'on ne lui permettait pas de participer aux services religieux en prison et demandait l'autorisation pour sa famille de lui apporter de nouveaux livres et journaux.
Dans une réponse du 10 janvier 1995, le procureur régional déclara que le requérant n'avait pas été interrogé parce qu'il fallait recueillir plus de preuves avant de pouvoir le faire de manière effective.
Le 11 janvier 1995, la cour d'appel de Cracovie statua sur l'appel formé par le requérant contre la décision du 19 décembre 1994. Elle déclara que les actes dont le requérant était accusé ne pouvaient raisonnablement être qualifiés de trafic d'enfants au sens de l'article IX des dispositions transitoires du code pénal puisqu'il fallait obligatoirement tenir compte du fait que l'adoption était dans l'intérêt supérieur de l'enfant, alors que la notion de trafic d'êtres humains impliquait nécessairement des actes nuisibles aux victimes. S'il est vrai, à son avis, que l'adoption limite dans une certaine mesure la liberté de l'enfant à adopter, elle vise à améliorer les conditions de vie de celui-ci et ses perspectives de bien-être. L'adoption est donc en soi bénéfique pour l'enfant. Dans l'affaire à l'étude, l'enquête n'a pas permis d'établir que les actes dont le requérant était accusé aient causé un préjudice à un enfant ou à quiconque. La cour a accordé une importance particulière au fait que l'article IX des dispositions transitoires du code pénal, qui sanctionne le trafic d'êtres humains, devait être remplacé, sur une proposition émanant du comité chargé de la rédaction du nouveau code pénal, par une infraction distincte, à savoir l'organisation d'adoptions à des fins commerciales. La cour souligna qu'à son avis cela signifiait qu'il était impossible de retenir contre le requérant l'infraction prévue à l'article IX car les éminents juristes qui composaient le comité de rédaction considéraient unanimement que le trafic d'êtres humains constituait une infraction distincte de celle d'organisation d'adoptions à des fins commerciales. La cour conclut que le fait que le requérant ait agi comme avocat dans de nombreuses procédures d'adoption, et ait reçu des honoraires pour ce travail, ne suffisait pas en soi à fonder des soupçons raisonnables de commission de l'infraction sanctionnée par l'article IX. Le requérant fut libéré le jour même.
Le 30 janvier 1995, le procureur régional de Cracovie décida de disjoindre la procédure concernant un autre avocat, B.S., accusé avec le requérant de trafic d'enfants, de l'affaire du requérant.
Le 23 mars 1995, le requérant fut interrogé par le procureur régional de Cracovie. Il maintint sa ligne de défense antérieure et refusa de témoigner au motif que ses conseils étaient absents. Il refusa également de se prononcer sur les documents saisis comme preuves lors d'une perquisition effectuée à son domicile le 20 septembre 1994.
Le 12 avril 1995, alors qu'il devait être interrogé en présence d'un de ses défenseurs, M. M.G., le requérant refusa de témoigner en se retranchant derrière l'obligation professionnelle de ne pas révéler de renseignements collectés alors qu'il représentait des clients.
Le 8 mai 1995, sur commission rogatoire du procureur régional de Cracovie, le tribunal du district occidental de Pennsylvanie, aux Etats-Unis, ordonna d'interroger certains témoins dans le cadre de la procédure dirigée contre le requérant. Le tribunal tint compte des informations soumises par le procureur, à savoir que le code pénal polonais interdisait aux citoyens polonais d'intervenir dans des procédures d'adoption pour des raisons commerciales et dans un but lucratif. Les témoins devaient être interrogés afin d'obtenir des renseignements quant à la manière dont les parents adoptifs avaient appris qu'il était possible d'adopter des enfants polonais, quant à la méthode suivie pour obtenir la décision de justice définitive relative à l'adoption et quant au rôle du requérant.
Par lettres des 2 juin, 25 juillet et 14 septembre 1995, le procureur régional de Cracovie pria le département de l'entraide judiciaire internationale du ministère de la Justice de prendre des mesures pour accélérer l'exécution des commissions rogatoires adressées aux autorités judiciaires de New York, de l'Illinois et du New Jersey.
Le 17 juin 1995, le requérant se plaignit auprès du ministre de la Justice de la façon dont la procédure était menée et notamment de ce que, en dépit des motifs de la décision de la cour d'appel du 11 janvier 1995 tendant à sa libération, la procédure pénale se poursuivait. Il faisait en outre valoir que son téléphone privé était mis sur écoute. Il dénonçait la campagne de presse dont il faisait l'objet et qui était selon lui inspirée par M. A.S., président de la Cour suprême et candidat à l'élection présidentielle. Enfin, les commissions rogatoires délivrées aux autorités américaines auraient indiqué à tort que l'organisation d'adoptions à des fins commerciales constituait une infraction pénale punie par la loi polonaise.
Par une lettre du 4 juillet 1995, le procureur près la cour d'appel de Cracovie répondit au requérant que l'examen de son dossier, qui se composait de quarante-six volumes, montrait que ses griefs étaient mal fondés. La décision de la cour d'appel de le libérer était sans rapport avec la question de sa responsabilité pénale. S'agissant du grief relatif à la mise sur écoute de son téléphone, le parquet n'avait émis aucune autorisation à cet effet. Si le requérant disposait de la moindre information indiquant que son téléphone était placé illégalement sur écoute, il lui était possible de demander l'ouverture d'une enquête pénale à ce sujet. Quant au grief selon lequel la procédure pénale était dirigée contre lui pour des raisons politiques, il n'appelait aucun commentaire, notamment du fait des preuves rassemblées lors des enquêtes et des déclarations publiques de A.S. S'agissant des commissions rogatoires, elles se fondaient sur le chapitre XII du code de procédure pénale. Le requérant n'était donc à son avis pas fondé à affirmer qu'elles constituaient une « interprétation abusive de la loi ».
Par une lettre du 12 août 1995 au ministre de la Justice, le requérant allégua que la réponse du 4 juillet 1995 ne traitait pas correctement de ses griefs. Il souligna que la qualification juridique de l'infraction retenue contre lui n'était pas tenable à la lumière de la décision de la cour d'appel de Cracovie du 11 janvier 1995. Il réaffirma que le procureur savait pertinemment que son téléphone était sur écoute et que ses allégations étaient fondées. Il indiqua de plus qu'il avait en fait demandé que soit analysé, à la lumière des éléments rassemblés de manière informelle par la police, dans quelle mesure la manière dont son affaire était menée avait réellement été influencée par A.S., le président de la Cour suprême qui avait fait de la « protection de la famille polonaise » l'un des slogans clés de sa campagne présidentielle. Enfin, le requérant rappela que, dans les commissions rogatoires, les autorités polonaises avaient induit les juridictions américaines en erreur au sujet de la qualification juridique de l'accusation en présentant l'organisation d'adoptions comme une infraction pénale.
Par une lettre du 22 septembre 1995, le département de l'entraide judiciaire internationale informa les autorités de poursuite que sa demande avait été transmise à l'ambassade de Pologne à Washington le 7 septembre 1995. Le 17 octobre, le procureur régional reçut les preuves recueillies sur commissions rogatoires par les autorités judiciaires de Pennsylvanie.
Le 13 novembre 1995, le procureur régional demanda une nouvelle fois au ministère de la Justice d'intervenir afin d'accélérer l'exécution des commissions rogatoires. Le 23 novembre 1995, le ministère de la Justice transmit cette requête à l'ambassade de Pologne à Washington. Le 8 janvier 1996, le ministère de la Justice envoya certaines preuves recueillies dans le New Jersey au procureur régional de Cracovie.
Par des lettres des 23 février, 21 mars et 5 juillet 1996, le procureur régional pria de nouveau le ministère de la Justice d'intervenir afin d'obtenir l'exécution des commissions rogatoires. Le procureur soulignait que l'enquête ne pourrait se clore qu'une fois reçus les renseignements sollicités à l'étranger, et demanda qu'on lui indique à quelle date les commissions rogatoires pourraient être exécutées. Par des lettres des 4 mars et 19 juillet 1996, le ministère de la Justice pria encore l'ambassade de Pologne à Washington de faire le nécessaire pour accélérer l'exécution desdites commissions.
Dans une lettre du 9 avril 1996, le requérant pria le ministre de la Justice de superviser la conduite de l'affaire. Il se plaignait de ce que son passeport lui avait été retiré et de ce que la procédure pertinente était pendante devant la Cour suprême administrative. Selon lui, il n'avait pu avoir accès au dossier de l'enquête. La procédure, ouverte depuis début 1993 au moins sans qu'aucune décision ait été prise sur le fond, aurait eu un effet désastreux sur sa réputation.
Le 27 mai 1996, le procureur régional pria les juridictions new-yorkaises d'entendre de nouveau trois témoins.
Par une lettre du 16 septembre 1996, notifiée au procureur régional de Cracovie le 15 octobre 1996, le département américain de la Justice demanda aux autorités polonaises s'il fallait interroger le dernier témoin du district de New York. On l'informa en réponse le 31 octobre 1996 que le procureur régional attendait toujours les dépositions des témoins des districts de New York et du New Jersey.
Le 7 mars 1997, le procureur régional demanda au consulat américain à Cracovie d'intervenir pour faire accélérer le recueil des témoignages conformément à sa commission rogatoire du 26 mai 1994.
Le 7 avril 1997, le procureur régional demanda de nouveau au ministère de la Justice d'intervenir. Les autorités de poursuite soulignèrent qu'elles n'avaient pas encore reçu les dépositions des neuf témoins de New York et des deux témoins du New Jersey. D'après elles, l'enquête se prolongeait uniquement en raison du retard dans l'exécution des commissions rogatoires.
Le 15 avril 1997, le procureur régional reçut la déposition d'un témoin supplémentaire. Dans la lettre d'accompagnement, le département américain de la Justice demandait un complément d'informations concernant les coordonnées des témoins à interroger. Par une lettre du
28 mai 1997, le procureur régional transmit une fois de plus les renseignements demandés.
Le 20 novembre 1997, le procureur régional pria encore le ministère de la Justice de prendre les mesures appropriées pour que les autorités américaines recueillent les preuves demandées. Le 10 décembre 1997, le ministère polonais de la Justice informa le procureur régional que les autorités américaines n'avaient fourni aucune preuve supplémentaire dans l'affaire.
Par une lettre du 3 février 1998 notifiée au procureur le 23 février 1998, le département américain de la Justice informa les autorités polonaises que de nouvelles mesures avaient été prises afin de réunir les preuves demandées.
Par une lettre du 9 juin 1998, le ministère de la Justice demanda une nouvelle fois au département américain de la Justice l'exécution à bref délai des commissions rogatoires. En réponse, le procureur régional reçut la déposition d'un témoin, D.L., le 8 octobre 1998.
Le 25 août 1998, l'enquête fut prolongée jusqu'au 31 décembre 1998. Par une décision du 30 décembre 1998, le ministre de la Justice prolongea encore l'enquête jusqu'au 30 juin 1999. Il souligna que la collecte de preuves auprès des autorités judiciaires américaines sur commissions rogatoires n'était pas terminée. Il avança de nouveau cette raison dans sa décision de prolonger l'enquête jusqu'au 30 juin 2000.
Le 8 décembre 1998, le témoin B.B. fut interrogé par le procureur régional de Cracovie.
Le 4 février 1999, le procureur régional refusa au requérant l'accès au dossier, considérant que cela entraverait le cours de la procédure, toutes les preuves n'ayant pas encore été recueillies.
Par une lettre du 22 mars 1999, le ministère de la Justice demanda de nouveau au département américain de la Justice d'exécuter sans délai les commissions rogatoires en suspens.
Par une lettre du 23 mars 1999, le procureur régional pria une fois encore le ministère de la Justice de prendre les mesures nécessaires à l'exécution des commissions rogatoires. Les 19 avril et 9 juin 1999, le ministère de la Justice transmit cette requête au département américain de la Justice.
Le 23 juillet 1999, le procureur régional reçut une lettre de ce dernier l'informant que les autorités judiciaires américaines avaient entrepris en collaboration avec le FBI les démarches nécessaires pour trouver le lieu de résidence de trois autres témoins, et qu'il obtiendrait d'autres renseignements sous peu.
Par une lettre du 22 juillet 1999 notifiée au procureur régional le 24 août 1999, le département américain de la Justice donna aux autorités polonaises l'assurance que de nouvelles preuves allaient prochainement être recueillies.
Par une lettre du 5 janvier 2000, le ministère de la Justice pria une nouvelle fois le département américain de la Justice d'accélérer l'exécution des commissions rogatoires.
Le 25 janvier 2000, le requérant sollicita du procureur régional l'autorisation d'avoir accès au dossier. Cette demande fut rejetée le 4 février 2000.
Le 28 avril 2000, le requérant reçut une convocation en vue de se présenter devant le procureur régional de Cracovie le 12 mai 2000. Ce dernier l'informa que seraient alors portées contre lui d'autres accusations au titre du nouveau code pénal et qu'il aurait ensuite accès au dossier.
Par une lettre du même jour, le requérant pria le procureur régional de repousser la date de son audition et l'informa qu'en raison de ses obligations professionnelles, il ne pourrait pas prendre connaissance du dossier avant le 29 mai 2000.
Par la suite, le procureur régional fixa la date d'audition du requérant au 18 mai 2000. A cette date, le requérant fut accusé de vingt-six chefs de trafic d'enfants et onze chefs de subornation de témoins et de faux. Se fondant sur les preuves recueillies à l'étranger sur commissions rogatoires, le procureur estima que le trafic d'enfants de 1988 à 1993 avait rapporté au requérant au moins 260 517 dollars américains et 25 000 francs français. Pendant cette période, le requérant avait versé aux parents biologiques au moins 23 146 zlotys.
La procédure est toujours pendante.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Evolution de la législation pénale polonaise durant la période considérée
La législation pénale polonaise a connu plusieurs amendements au cours de la période considérée. Le code de procédure pénale promulgué en 1969 (l'« ancien » code) a été remplacé par un nouveau adopté par le Parlement (Sejm) le 6 juin 1997 et entré en vigueur le 1er septembre 1998. De même, le code pénal de 1969 a été remplacé par un nouveau code adopté et entré en vigueur aux dates précitées.
L'ancien code de procédure pénale a été profondément remanié par la loi du 29 juin 1995 portant amendement du code de procédure pénale et autres dispositions pénales, entrée en vigueur le 1er janvier 1996. Toutefois, l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la mise en détention provisoire a été repoussée au 4 août 1996. Selon celles-ci, la détention provisoire est décidée par un juge alors qu'elle l'était auparavant par un procureur.
La seconde modification, découlant de la loi du 1er décembre 1995 portant amendement de la loi du 29 juin 1995 (communément appelée « loi intérimaire du 1er décembre 1995 ») est entrée en vigueur le 1er janvier 1996.
B. Mesures préventives
Aux termes du code polonais de procédure pénale de 1969, applicable à l'époque des faits, figuraient notamment parmi les mesures préventives la détention provisoire, la caution et le contrôle judiciaire.
Les articles 210 et 212 du code de procédure pénale disposent qu'avant la transmission de l'acte d'accusation au tribunal, la détention provisoire est décidée par le procureur. La décision de mise en détention provisoire peut faire l'objet d'un appel dans un délai de sept jours auprès du tribunal compétent pour connaître de la cause. Conformément à l'article 222 du code, le procureur peut ordonner la mise en détention provisoire pour une durée ne dépassant pas trois mois. Lorsque, compte tenu des circonstances particulières à une affaire, l'enquête ne peut se conclure dans ce délai, la détention provisoire peut si nécessaire, sur demande du procureur, être prolongée par le tribunal compétent pour statuer au fond, pour une durée ne dépassant pas un an. Cette décision peut faire l'objet d'un appel devant une juridiction supérieure.
C. Motifs de mise en détention provisoire
Les alinéas 2 et 4 de l'article 217 § 1 du code de procédure pénale, dans la version en vigueur à l'époque des faits, disposent que la détention provisoire peut être ordonnée notamment s'il existe un risque raisonnable de voir l'accusé tenter de s'enfuir, suborner des témoins ou entraver le bon déroulement de la procédure par tous autres moyens illégaux, ou si l'accusé a été inculpé d'une infraction créant un danger grave pour la société.
D. Procédure d'examen de la régularité de la détention provisoire
Il existait à l'époque des faits trois types de procédures permettant à un détenu de contester la légalité de sa détention et donc d'espérer obtenir une libération. En vertu de l'article 221 § 2 du code de procédure pénale de 1969, le détenu pouvait attaquer en justice une décision de mise en détention émanant d'un procureur. Aux termes de l'article 222 §§ 2, alinéa 1, et 3, il pouvait faire appel d'une nouvelle décision du tribunal saisi prolongeant sa détention à la demande d'un procureur. Enfin, aux termes de l'article 214, un accusé pouvait à tout moment solliciter auprès de l'autorité compétente la levée ou la modification d'une mesure préventive prise à son égard. Il devait être statué sur pareille demande par le procureur ou, si l'acte d'accusation avait déjà été déposé, par le tribunal compétent pour connaître de la cause, et ce dans un délai n'excédant pas trois jours.
En vertu de toutes les dispositions pertinentes du code de procédure pénale de 1969 combinées, un détenu était autorisé à faire appel de toute décision prolongeant sa détention provisoire, que celle-ci eût été décidée lors de l'instruction ou de la procédure en justice.
Les tribunaux examinaient à huis clos les décisions de prendre ou de prolonger des mesures préventives, dont la détention provisoire. La présence des parties à des séances du tribunal autres que les audiences, dont celles tenues dans le cadre de procédures de contrôle de la détention provisoire, était régie par les articles 87 et 88 du code de procédure pénale, qui disposent notamment :
Article 87
« Le tribunal rend ses décisions au cours d'une audience si la loi le prévoit et, en cas contraire, lors d'une séance à huis clos. (...) »
Article 88
« Le procureur peut assister à une séance à huis clos (...) ; d'autres parties peuvent également y assister si la loi le prévoit. »
Conformément à l'article 249 du code de procédure pénale de 1997, avant de décider d'appliquer des mesures préventives, le tribunal doit entendre l'accusé. L'avocat du détenu, s'il est présent, doit être autorisé à assister à la séance du tribunal. Il n'est pas obligatoire d'informer l'avocat de la date et de l'heure de la séance du tribunal, sauf si le suspect le demande et si cela n'entrave pas la procédure.
En vertu du nouveau code, le tribunal doit informer l'avocat du détenu de la date et de l'heure des séances du tribunal au cours desquelles doit être prise une décision concernant la prolongation de la détention provisoire, ou examiné l'appel d'une décision d'imposer ou prolonger la détention provisoire.
E. Dispositions régissant la responsabilité pénale pour l'infraction de trafic d'enfants
L'article IX des dispositions transitoires du code pénal de 1969 prévoit qu'un individu ayant fourni, attiré ou enlevé des personnes à des fins de prostitution, même avec leur consentement, se rend coupable d'une infraction punie d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans. En vertu du paragraphe 2 de cette disposition, la même peine peut être infligée pour trafic de femmes ou trafic d'enfants.
Le 25 juin 1990, le ministre adjoint de la Justice de l'époque, A.S., écrivit aux présidents des tribunaux régionaux pour les informer qu'il y avait eu en 1989 une nette augmentation du nombre d'affaires où les tribunaux avaient statué sur l'adoption d'enfants polonais par des étrangers. En conséquence, un millier d'enfants environ avaient définitivement quitté le pays. Ces informations étaient inquiétantes, d'autant que la plupart des enfants adoptés étaient très jeunes. L'opinion publique s'alarmait de l'augmentation des adoptions à l'étranger. Le ministre reconnaissait que la loi polonaise prévoyait les mêmes exigences en matière d'adoption, sans tenir compte de la nationalité des futurs parents adoptifs, et que le bien-être de l'enfant était d'une importance primordiale en ce domaine. Toutefois, la notion de bien-être de l'enfant devait aussi englober la protection de l'identité nationale. C'est pourquoi il fallait n'envisager d'adoption à l'étranger que dans des cas exceptionnels et les tribunaux devaient tout d'abord rechercher si l'enfant ne pouvait pas trouver des parents adoptifs en Pologne. Les présidents des tribunaux étaient invités à rechercher si, dans des affaires où les mêmes personnes servaient régulièrement d'intermédiaires dans le cadre de procédures d'adoption, il ne convenait pas d'en informer les autorités de poursuite. Les présidents étaient enfin priés de surveiller de près ce type d'affaire et de prendre des mesures afin de dissiper ce climat favorable à l'adoption d'enfants à l'étranger.
Les dispositions transitoires du code de 1969 furent supprimées en vertu de l'article 2 des dispositions transitoires du nouveau code pénal.
Conformément à l'article 253 § 1 du nouveau code, une personne qui se livre au trafic d'êtres humains, même avec leur consentement, commet une infraction punie d'une peine d'emprisonnement de trois ans au moins. Aux termes du paragraphe 2 de cet article, une personne qui organise des adoptions d'enfants, en vue d'en tirer du profit, d'une manière contraire à la loi, se rend coupable d'une infraction punie d'une peine d'emprisonnement comprise entre trois mois et cinq ans.
F. Jurisprudence des tribunaux polonais et écrits juridiques relatifs à des affaires où l'accusé était inculpé de trafic d'enfants
Le 30 septembre 1994, le journal Rzeczpospolita publia l'article d'un éminent spécialiste de droit pénal intitulé « S'agit-il bien de trafic d'enfants ? ». L'auteur y doutait sérieusement de ce que l'infraction sanctionnée à l'article IX des dispositions transitoires du code pénal de 1969 puisse s'appliquer à d'autres cas que ceux de trafic d'êtres humains à des fins de prostitution. Il soulignait que, compte tenu de l'historique de cette disposition, qui remontait aux traités internationaux conclus en 1910 pour lutter contre les réseaux internationaux qui exploitaient la prostitution à leur profit, elle ne pouvait être appliquée à des cas d'adoption d'enfants où il n'était nullement allégué qu'il existait des faits ou des intentions liés à l'organisation de la prostitution.
Le 29 novembre 1995, la Cour suprême répondit par la négative à une question de droit que lui avait posée la cour d'appel de Varsovie dans le cadre d'une procédure pénale concernant des accusations portées au titre de l'article IX des dispositions transitoires du code pénal de 1969 : l'intention de contraindre une victime de l'infraction de trafic d'enfants à se prostituer est-elle un élément constitutif de cette infraction ?
Le 3 novembre 1999, le tribunal régional de Varsovie, dans le cadre de cette même procédure pénale, prononça un non-lieu à l'égard des cinq personnes accusées de l'infraction sanctionnée par l'article IX des dispositions transitoires du code pénal de 1969. Il rappela que, cet article n'étant plus en vigueur, les autorités de poursuite avaient requalifié les actes que ces personnes étaient accusées d'avoir commis, considérant qu'ils étaient constitutifs de l'infraction punie par l'article 253 § 2 du nouveau code. Or le tribunal jugea qu'il ne pouvait retenir cette qualification car il n'y avait aucun motif de considérer que la notion de « trafic d'enfants » englobait également les actes en question, qui se limitaient à l'organisation d'adoptions illicites. Ce n'était qu'en vertu du nouveau code pénal, en vigueur depuis le 1er septembre 1998, que l'organisation d'adoptions illicites était devenue une infraction pénale. En conséquence, le tribunal dut rendre un non-lieu conformément à l'article 17 § 1, alinéa 1, du nouveau code, selon lequel il y a lieu de procéder ainsi lorsque les charges relevées contre l'accusé ne sont pas suffisantes.
Sur un appel du procureur, la cour d'appel de Varsovie réforma en partie cette décision le 4 février 2000, considérant que la procédure dirigée contre les accusés pour trafic d'enfants aurait dû se conclure par un non-lieu au motif que les actes qui leur étaient reprochés ne constituaient pas une infraction pénale punie par la loi au moment où ils avaient été commis. La cour rappela que les intéressés avaient été inculpés de trafic d'enfants au motif que, par recherche de profit, ils avaient visité des hôpitaux, orphelinats et foyers pour mères seules en tentant de convaincre les parents biologiques de donner leurs enfants à adopter, dans certains cas contre paiement. Ils avaient en outre éloigné les enfants de leurs parents biologiques en les plaçant avant de prendre des mesures pour entamer des procédures d'adoption. Les accusés avaient également organisé des transferts d'enfants au profit d'étrangers et versé de l'argent aux parents biologiques. La cour considéra que ces actes ne pouvaient être qualifiés ni de trafic d'enfants au sens de l'article IX des dispositions transitoires de l'ancien code, qui avait été abrogé, ni de trafic d'êtres humains au sens de l'article 253 § 1 du nouveau code pénal. De par leur nature, ces actes ne pouvaient qu'être considérés comme l'organisation d'adoptions à l'étranger, à des fins commerciales dans certains cas. En conséquence, à l'époque où ils avaient été commis, soit entre 1990 et 1993, ces actes ne constituaient pas une infraction pénale puisque ce n'est qu'avec le code pénal de 1997, entré en vigueur le 1er septembre 1998, qu'ils pouvaient tomber sous le coup de l'article 253 § 2 de ce code, qui sanctionne l'organisation d'adoptions à des fins commerciales. En conséquence, la procédure aurait dû se clore par un non-lieu au motif que les actes en question ne comprenaient pas les éléments constitutifs de l'infraction de trafic d'enfants telle qu'elle était définie par la loi polonaise à l'époque des faits, et non parce que les charges retenues contre l'accusé étaient insuffisantes.
G. Dispositions pertinentes de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant
Le 30 avril 1991, la Pologne a ratifié la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, qui dispose en ses passages pertinents :
Article 8
« 1. Les Etats parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale. (...) »
Article 21
« Les Etats parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière, et
a. veillent à ce que l'adoption d'un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l'adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l'enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l'adoption en connaissance de cause, après s'être entourées des avis nécessaires ;
b. reconnaissent que l'adoption à l'étranger peut être envisagée comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ;
c. veillent, en cas d'adoption à l'étranger, à ce que l'enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d'adoption nationale ;
d. prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d'adoption à l'étranger, le placement de l'enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ;
e. poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s'efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d'enfants à l'étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétents. »
H. Procédure de réparation en cas de détention injustifiée
Le chapitre 50 du code de procédure pénale de 1969, dans sa version en vigueur à l'époque des faits, prévoyait en son article 487 § 4 l'indemnisation du préjudice résultant d'une détention provisoire manifestement injustifiée et une arrestation et une détention de quarante-huit heures au maximum. Le tribunal régional dans le ressort duquel le détenu a été libéré était compétent pour examiner si les conditions requises pour l'octroi d'une indemnité étaient réunies. La décision de ce tribunal pouvait être attaquée devant la cour d'appel.
Aux termes de l'article 489 du code, la demande d'indemnisation d'une détention provisoire manifestement injustifiée devait être soumise dans un délai d'un an à compter de la date où la décision clôturant la procédure pénale en cause devenait définitive. Dès lors, en pratique, une demande en indemnisation d'une détention injustifiée au titre de l'article 487 du code de procédure pénale ne pouvait être déposée tant que la procédure pénale contre la personne concernée n'était pas terminée (voir aussi la décision de la Cour suprême no WRN 106/96, 9.1.96, publiée in Prok. i Pr. 1996/6/13). Le tribunal compétent pour statuer sur pareille demande était tenu d'établir si la détention se justifiait à la lumière de toutes les circonstances de l'affaire, notamment le point de savoir si les autorités avaient pris en compte tous les éléments militant pour ou contre la détention (voir notamment la décision de la Cour suprême no II KRN 124/95, 13.10.95, publiée in OSNKW 1996/1-2/7).
Le chapitre 58 du code de procédure pénale de 1997 prévoit de demander une indemnisation, notamment en cas de détention injustifiée. L'article 552 § 4 du code actuel est l'équivalent de l'article 487 § 4 du code de 1969. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
Le 25 janvier 1988, le requérant se constitua partie civile dans une procédure pénale pendante devant le juge d’instance pénal de Rome afin d’obtenir réparation des dommages subis suite à un accident de la circulation. Par une décision du 25 septembre 1990, dont le texte fut déposé au greffe le jour suivant, le juge constata que les faits constitutifs de l’infractions avaient été amnistiés et classa l’affaire.
Le 7 mars 1991, le requérant assigna M. M. devant le tribunal de Rome. L’instruction commença le 17 avril 1991. Des six audiences prévues entre le 28 novembre 1991 et le 14 avril 1994, une fut reportée d’office et trois furent consacrées à l’audition des parties et de témoins. La présentation des conclusions eut lieu le 13 octobre 1994. A cette date, le juge fixa l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente au 19 juin 1996 ; toutefois, elle ne se tint que le 2 juillet 1997, suite à un renvoi d’office.
Par un jugement du 3 juillet 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 1er octobre 1997, le tribunal fit droit à la demande du requérant.
Le 20 décembre 1997, M. M. interjeta appel devant la cour d’appel de Rome. L’instruction commença le 30 mars 1998, date à laquelle le juge fixa l’audience de présentation des conclusions au 5 octobre 1998. A cette date, le juge fixa l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente au 12 janvier 2000. Le jour venu, l’audience fut renvoyée au 11 juillet 2001 en raison de l’absence des parties. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 11 mai 1989, la requérante, société anonyme de financement à l’époque nommée F.S.I., notifia à M. B. et à Mme F. une injonction de payer afin d’obtenir la restitution d’une somme qu’elle avait allouée aux défendeurs à titre de prêt.
Le 27 juin 1989, la requérante obtint la saisie d’un immeuble des défendeurs, le prêt étant garanti par une hypothèque en premier rang en faveur de celle-ci.
Le 13 juillet 1989, la requérante demanda la fixation de la date de vente de l’immeuble en cause et de l’audience.
Entre-temps, le 28 février 1989 la Caisse d’épargne d’Asti avait entamé une procédure à l’encontre des mêmes défendeurs. L’exécution immobilière commencée par la requérante fut jointe à celle-ci. Au cours de cette procédure, le 21 mars 1990 l’avocat de la demanderesse versa au dossier l’avis notifié à la requérante aux termes de l’article 498 du Code de procédure civile (selon cet article, les créanciers qui ont un droit de préemption sur certains biens saisis doivent être informés de l’expropriation). Après deux audiences, le 25 mai 1991, le juge de l’exécution ordonna la vente de l’immeuble en question.
Le 4 mars 1992, la requérante déposa un recours au greffe du tribunal de Casale Monferrato visant à participer à la distribution de la somme obtenue dans la procédure d’exécution. Le 13 mai 1992, le juge de l’exécution fixa une nouvelle vente au 20 septembre 1992. Après un renvoi d’office, le 11 novembre 1992 le juge fixa à nouveau la date de la vente au 23 avril 1993. Le jour venu, la vente eut lieu. L'audience suivante fut fixée au 8 février 1995. Cette audience fut reportée, d'abord, d'office au 26 avril 1995 et, par la suite, au 17 mai 1995 car les avocats faisaient grève. Le 15 novembre 1995, les parties précisèrent le montant de leurs créances et le juge ajourna l'affaire au 28 février 1996. Cette audience fut reportée au 26 juin 1996 en raison de la mutation du juge.
Le jour venu, la requérante précisa le montant de ses créances à la lumière des intérêts entre-temps échus. Après un renvoi, le 11 mars 1997 le juge de l’exécution déposa au greffe un projet de répartition des biens et ajourna l’affaire au 14 mai 1997. Le jour venu, la requérante demanda que le produit de la vente lui fût attribué, en tant que créancière hypothécaire privilégiée. Après une audience, par une ordonnance du 7 janvier 1998, le juge de l’exécution approuva le projet de répartition du 11 mars 1997 et attribua la somme prévue dans ledit projet à la requérante. Entre-temps, le 16 décembre 1996, la société requérante, changea de dénomination en F. S.p.A.
Selon les informations fournies par la requérante, celle-ci reçut ladite somme le 2 février 1998. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 9 mai 1990, le requérant, infirmier dans une unité sanitaire locale, assigna cinq médecins devant le tribunal d’Ascoli Piceno afin d’obtenir réparation des dommages subis du fait de sa mutation dans un autre service, suite à une diffamation de la part des défendeurs.
La mise en état de l’affaire commença le 28 juin 1990. Après un renvoi d’office, les audiences du 14 février 1991 et du 4 juillet 1991 concernèrent le dépôt de documents. L’audience du 4 juillet 1991 fut reportée au 13 juillet 1991 à la demande des défendeurs. Le 5 décembre 1991 l’audition des parties eut lieu. Celles-ci présentèrent leurs conclusions le 29 janvier 1992 et l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente se tint le 21 décembre 1995.
Par un jugement du 8 janvier 1996, dont le texte fut déposé au greffe le 13 janvier 1996, le tribunal rejeta la demande du requérant.
Le 13 juin 1996, ce dernier interjeta appel devant la cour d’appel d’Ancône. L’instruction commença le 17 octobre 1996. Une audience plus tard, le 20 mars 1997 les parties présentèrent leurs conclusions. L’audience de plaidoiries fut fixée au 17 février 1999.
Par un arrêt du 25 février 1999, dont le texte fut déposé au greffe le 8 mai 1999, la cour rejeta l’appel.
Le 21 septembre 1999, le requérant se pourvu en cassation. Aucune audience n’avait été fixée au 27 juillet 2000.
Entre-temps, le 17 septembre 1999, la partie défenderesse déposa une injonction à payer. Le 23 septembre 1999, le requérant déposa opposition devant la Cour d’appel d’Ancône, conformément à l’article 373 du code de procédure civile. Par une ordonnance du 29 octobre 1999, la cour rejeta l’opposition présentée par le requérant. Le 27 novembre 1999, une saisine lui fut notifiée. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 3 janvier 1996, le requérant déposa un recours devant le juge d’instance de Lecce, faisant fonction de juge du travail, afin d’obtenir la reconnaissance de son droit à une rente d’invalidité suite à un accident du travail.
Le 16 janvier 1996, le juge d’instance fixa la première audience au 21 mai 1996. Le jour venu, à la demande du requérant le juge nomma un expert qui prêta serment le 25 juin 1996. Les trois audiences fixées à des dates comprises entre le 11 mars 1997 et le 12 mai 1998 furent reportées car l’expert n’avait pas déposé au greffe son rapport d’expertise. Une audience fut fixée au 2 février 1999.
Par un jugement du même jour, le juge fit droit à la demande du requérant. La date à laquelle le texte de la décision fut une première fois déposé au greffe est illisible. Le premier texte de la décision étant introuvable au greffe du tribunal, un second texte du jugement, remplaçant le premier, fut déposé au greffe le 7 avril 1999. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 1er septembre 1988, le requérant assigna M. A. et la compagnie d’assurances M. devant le tribunal de L’Aquila afin d’obtenir réparation des dommages subis lors d’un accident de la route.
La mise en état de l’affaire commença le 21 novembre 1988 par la nomination d’un expert. L’audience du 13 mars 1989 n’ayant pu avoir lieu car le juge de la mise en état avait été muté, l’expert prêta serment le 4 décembre 1989. Des dix audiences qui se tinrent entre le 21 mai 1990 et le 4 novembre 1993, deux concernèrent l’expertise et huit l’audition de témoins. Les parties présentèrent leurs conclusions le 10 février 1994 et l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente fut fixée au 6 novembre 1996. Cette audience fut reportée au 19 février 1997 car le juge de la mise en état avait un empêchement.
Par une ordonnance du 28 mai 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 15 octobre 1997, le tribunal, estimant qu’un complément d’expertise était nécessaire, rouvrit l’instruction et fixa l’audience du 4 décembre 1997 pour la comparution des parties et de l’expert. L’audience du 16 avril 1998 fut reportée au 29 octobre 1998 car l’expert n’avait pas encore déposé au greffe son rapport d’expertise.
La loi concernant les sezioni stralcio étant entrée en vigueur, le 28 janvier 1999, le président du tribunal attribua l'affaire au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio) et fixa une audience au 16 avril 1999. Le jour venu, l’expert n’ayant pas encore déposé son rapport d’expertise, l’affaire fut reportée au 25 juin 1999, puis pour la même raison au 1er octobre 1999. A cette date, l’affaire fut reportée au 21 janvier 2000 pour permettre aux parties d’examiner le rapport d’expertise et éventuellement de présenter leurs conclusions. Le jour venu, le juge mit l’affaire en délibéré et accorda aux parties un délai de 80 jours pour déposer au greffe leurs conclusions, soit le 10 avril 2000. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 14 février 1991, les requérants assignèrent deux sociétés devant le tribunal de L’Aquila afin d’obtenir la restitution de certaines sommes.
La mise en état de l’affaire commença le 3 avril 1991. Des onze audiences fixées entre le 31 octobre 1991 et le 28 février 1994, deux furent renvoyées d’office, sept concernèrent une expertise - dont deux furent reportées car l’expert n’avait pas déposé au greffe son rapport - et une concerna l’audition des parties. Le 23 mai 1994, le juge fixa l’audience de présentation des conclusions au 3 octobre 1994 ; toutefois, elle ne se tint que le 14 novembre 1994, suite à un renvoi d’office. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente eut lieu le 20 mars 1996. Par un jugement du 5 juin 1996, dont le texte fut déposé au greffe le 20 juin 1996, le tribunal fit droit à la demande des requérants.
Le 21 novembre 1996, l’une des sociétés défenderesse interjeta appel devant la cour d’appel de L’Aquila. Le 19 février 1997, le juge fixa l’audience de présentation des conclusions au 3 décembre 1997 ; toutefois, elle ne se tint que le 16 février 1997, suite à un renvoi d’office. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente, fixée au 21 mars 2000, fut renvoyée d’office au 2 octobre 2001. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Les 22 novembre 1991 et 21 janvier 1992, le requérant assigna respectivement sa copropriété et Mme D. devant le tribunal de Pescara afin d’obtenir réparation des dommages subis suite à des travaux dans l’appartement du requérant.
La mise en état de la première affaire commença le 19 février 1992. Le 17 juin 1992, les parties demandèrent la jonction des deux affaires. En ce qui concerne la deuxième affaire, deux audiences eurent lieu les 29 avril 1992 et 9 décembre 1992. Le 18 mai 1994, lesdites affaires furent jointes et un expert fut nommé.
Les quatre audiences qui se tinrent entre le 21 décembre 1994 et le 17 avril 1996, concernèrent une expertise et son complément. L’audience suivante fut fixée au 22 janvier 1997 ; toutefois, elle ne se tint pas car elle fut d’abord reportée d’office au 14 octobre 1998 et ensuite l’affaire fut attribuée au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio). Selon les informations fournies par le requérant, le 2 septembre 2000, à cette date aucune audience n’avait encore été fixée. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 19 janvier 1987, M. G. assigna Mme L.P. devant le tribunal d’Agrigente, afin d’obtenir la restitution d’un terrain, la démolition d’une partie d’un immeuble et la réparation des dommages subis.
La mise en état de l’affaire commença le 27 février 1987. A l’audience du 30 octobre 1987, le juge décida la mise en cause du requérant, puisqu’il avait vendu à Mme L.P. l’immeuble faisant l’objet de la procédure. Le 17 juin 1988, le requérant se constitua devant le juge.
Des onze audiences fixées entre le 10 février 1989 et le 8 avril 1994, trois furent reportées d’office, une le fut à la demande de M. G. - le requérant étant absent -, quatre concernèrent la mise en cause d’autres personnes, une la nomination d’un expert et une la jonction de la présente affaire à une autre pendante entre les mêmes parties. Le 3 mars 1995, le juge fixa l’audience de présentation des conclusions au 27 octobre 1995. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente se tint le 27 mars 1997. Par un jugement du 10 avril 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 19 avril 1997, le tribunal rejeta la demande de M. G. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 28 octobre 1994, le requérant demanda au président du tribunal de Bologne d'enjoindre à la société T. de lui payer une certaine somme en vertu d'un contrat de service. Le président du tribunal fit droit à la demande du requérant par une décision du même jour, notifiée à la société T. le 14 novembre 1994.
La société T. fit opposition le 2 décembre 1994. La mise en état de l'affaire commença le 16 février 1995. Par ordonnance hors audience du 20 février 1995, le juge de la mise en état rejeta la demande du requérant tendant à obtenir l'exécution provisoire de l'injonction de payer. L'audience fixée au 7 décembre 1995 fut consacrée au dépôt de documents. Le 9 octobre 1996, les parties présentèrent leurs conclusions et l'audience de plaidoirie fut fixée au 11 mai 1999.
Le 20 décembre 1996, le requérant demanda au président du tribunal de Bologne que la date de l'audience de plaidoirie fût avancée. Cette demande fut rejetée le 7 janvier 1997. La société T. fut mise en faillite le 20 février 1997.
Entre-temps, la loi concernant les sezioni stralcio étant entrée en vigueur, le président du tribunal attribua l'affaire au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio). Les sezioni stralcio, composées d'un juge titulaire, en qualité de président, et de deux juges honoraires, ont été créés en vertu de l'article 90 de la loi n° 353/1990 (tel que modifié par la loi n° 534/1995) afin d'absorber l'arriéré d'affaires pendantes devant les juridictions civiles. Le 31 mars 1999, le juge de la mise en état indiqua aux parties qu’au lieu de l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente fixée au 11 mai 1999, elles devaient se présenter devant lui pour une tentative de conciliation le 5 juillet 1999. Le jour venu, le requérant informa le juge que la défenderesse avait été mise en faillite et qu’il ne restait aucune somme disponible pour les créanciers non privilégiés, comme le requérant, qu’il ne voyait par conséquent plus d’intérêt à la poursuite de la procédure. En l’absence de la défenderesse, le juge prit acte de la déclaration et ajourna l’affaire au 9 mai 2000. Le 27 juillet 1999, le requérant demanda au juge de prononcer l’interruption de la procédure étant donné la faillite de la défenderesse. Le juge fit droit à sa demande le 29 juillet 1999. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Le 10 octobre 1991, le requérant assigna la coopérative F. devant le tribunal de Bologne afin d’obtenir l’annulation d’une décision prononçant l’exclusion du requérant de cette coopérative, la réparation des dommages subis et la jonction de la présente affaire avec une autre pendante devant la même juridiction, concernant les mêmes parties et ayant pour objet une première décision d’exclusion.
La mise en état de l’affaire commença le 28 novembre 1991. Des dix-sept audiences fixées à des dates comprises entre le 6 décembre 1991 et le 26 juin 1997, une fut renvoyée d’office, une fut reportée car les avocats faisaient grève, une car une ordonnance fixant la date d’audience avait été notifiée trop tard au requérant, deux concernèrent la suspension de l’exclusion, deux le changement d’avocat du requérant, deux le dépôt de documents par l’une des parties, une fut remise en raison de l’absence des parties, cinq eurent trait à l’admission ou à la discussion de moyens de preuves et deux furent consacrées à l’audition de témoins.
Le 14 janvier 1998, l’audience de présentation des conclusions eut lieu le 22 avril 1998 et l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente se tint le 10 novembre 1998. D’après les informations fournies par le requérant, la procédure s’est terminée par un jugement du 22 décembre 1998. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le requérant, İsmail Ertak, ressortissant turc né en 1930, réside à Şırnak, dans le Sud-Est de la Turquie. Il a saisi la Commission en son nom propre et en celui de son fils, Mehmet Ertak, qui, selon lui, a disparu dans des circonstances engageant la responsabilité de l'Etat.
A. Les faits
Les faits qui entourent la disparition du fils du requérant sont controversés.
La version qui en a été fournie par le requérant se trouve exposée au point 1 ci-après. Dans son mémoire à la Cour, M. Ertak s'est appuyé sur les faits tels que la Commission les a établis dans son rapport, ainsi que sur les observations qu'il avait adressées à la Commission.
Les faits tels que le Gouvernement les a décrits figurent au point 2 ci-après.
La partie B détaille les éléments communiqués à la Commission.
Eu égard au litige entre les parties quant aux circonstances entourant la disparition du fils du requérant, la Commission a mené sa propre enquête en vue d'établir les faits, conformément à l'ancien article 28 § 1 a) de la Convention. A cette fin, elle a examiné plusieurs documents que le requérant et le Gouvernement avaient produits à l'appui de leurs assertions respectives et désigné trois délégués pour procéder à une audition de témoins à Ankara les 5, 6 et 7 février 1997. L'appréciation des preuves par la Commission et ses constatations y relatives se trouvent résumées dans la partie C.
Les faits tels qu'ils ont été exposés par le requérant
a) Quant à la disparition du fils du requérant
A la suite des incidents survenus à Şırnak (ville du Sud-Est de la Turquie) du 18 au 20 août 1992, plusieurs personnes furent placées en garde à vue le 21 août dans les locaux du commandement de la gendarmerie et de la direction de la sûreté de Şırnak. Lors de ces événements, le fils du requérant, Mehmet Ertak, travaillait dans les mines de charbon.
Au point de contrôle de Bakımevi, des policiers en uniforme bleu arrêtèrent le taxi que Mehmet Ertak avait pris pour rentrer chez lui après son travail en compagnie de trois autres personnes, à savoir Abdulmenaf Kabul, Süleyman Ertak et Yusuf Ertak. Les policiers prirent leurs pièces d'identité et l'un d'entre eux vint demander qui était Mehmet Ertak. Celui-ci se présenta et ils l'emmenèrent avec eux.
Le 24 août 1992, Abdullah Ertur, une connaissance, qui fut placé en garde à vue le 21 août 1992 et mis en liberté le 23 août 1992, affirma au requérant qu'il avait partagé une cellule avec Mehmet Ertak toute une journée et une nuit.
Abdurrahim Demir, un avocat placé en garde à vue le 22 août 1992 et libéré le 15 septembre 1992, indiqua au requérant qu'il avait passé cinq ou six jours dans la même pièce que Mehmet Ertak. Il déclara en outre que Mehmet Ertak avait été sévèrement torturé ; la dernière fois, notamment, il était resté dans la « salle de torture » une quinzaine d'heures et lorsqu'on l'avait ramené dans sa cellule, il était inconscient et ne donnait aucun signe de vie. Quelques minutes plus tard, on l'avait sorti de la cellule en le tirant par les jambes. Une autre personne, Ahmet Kaplan, également relâché le 15 septembre 1992, affirma au requérant qu'il avait vu son fils au cours de sa détention. Trois autres personnes placées en garde à vue à la même période que Mehmet Ertak dans les locaux de la sûreté indiquèrent elles aussi, lors d'un entretien à la prison de Şırnak avec le requérant qui était venu leur rendre visite, qu'elles avaient vu Mehmet Ertak pendant leur incarcération.
Le requérant demanda au préfet de Şırnak de lui exposer les raisons pour lesquelles son fils n'avait pas été libéré et de lui indiquer l'endroit où celui-ci se trouvait. Il était accompagné des élus du quartier, Abdullah Sakın et Ömer Yardımcı, ainsi que d'un de ses autres fils, Hamit Ertak. Le préfet, Mustafa Malay, entendit comme témoin oculaire Abdullah Ertur qui confirma avoir vu Mehmet Ertak dans les locaux de la direction de la sûreté. Le préfet effectua des recherches auprès de militaires et de policiers. Ces derniers indiquèrent que Mehmet Ertak n'avait jamais été placé en garde à vue. Par une lettre du 4 novembre 1992, le préfet demanda à la direction générale de la sûreté de charger un enquêteur d'effectuer des recherches sur les allégations du requérant.
Le 2 octobre 1992, le requérant porta plainte auprès du parquet de Şırnak. Il demanda à être informé du sort de son fils. Il précisa qu'alors que plusieurs témoins affirmaient avoir vu son fils au cours de leur incarcération, la préfecture, la police et les militaires indiquaient, quant à eux, que Mehmet Ertak n'avait jamais été placé en garde à vue.
Le 8 avril 1993, l'enquêteur présenta son rapport au conseil administratif de Şırnak en proposant de ne pas saisir les juridictions.
Le 21 juin 1993, le procureur de la République de Şırnak se déclara incompétent et transmit le dossier au conseil administratif du département de Şırnak afin que celui-ci menât l'instruction.
Le 11 novembre 1993, le conseil administratif de Şırnak rendit une ordonnance signée par le préfet adjoint et les directeurs ou directeurs adjoints des différents services publics du département (le poste de directeur des affaires juridiques était vacant à l'époque). Selon cette ordonnance, il n'y avait pas lieu de saisir les juridictions pénales contre les fonctionnaires de police de la direction de la sûreté de Şırnak. Le conseil administratif estima en effet que les faits allégués n'avaient pas été établis.
Le 22 novembre 1993, conformément aux dispositions légales en vigueur, le dossier fut transmis au Conseil d'Etat. Par un arrêt du 22 décembre 1993, le Conseil d'Etat confirma en ces termes l'ordonnance de non-lieu rendue par le conseil administratif :
« (...) Les délits commis par des fonctionnaires agissant dans l'exercice ou au titre de leurs fonctions sont soumis aux procédures régissant les poursuites à l'encontre des fonctionnaires (...), un enquêteur administratif chargé de mener l'instruction est nommé par ordonnance (...)
(...) Pour mener une enquête contre un fonctionnaire, il faut tout d'abord que celui-ci soit précisément identifié. Faute d'identification précise, aucune enquête ne peut être menée, aucun résumé d'enquête ne peut être rédigé et aucune juridiction compétente en la matière ne peut rendre de jugement.
Les pièces versées au dossier d'instruction n'ont pas permis de déterminer qui a commis les actes allégués ; en conséquence, cette enquête n'aurait pas dû être ouverte. Toutefois, un dossier d'instruction a été constitué par l'enquêteur désigné et, sur la base de ce dossier, le conseil administratif du département a rendu une ordonnance de non-lieu, en raison de l'impossibilité d'enquêter sur cette affaire, l'identité des responsables n'ayant pas été établie. Le Conseil d'Etat décide à l'unanimité, pour les raisons susmentionnées, de confirmer la décision du conseil administratif et de clore le dossier. »
b) Quant aux allégations d'entrave à l'exercice du droit de recours individuel
Mesures prises contre Me Tahir Elçi, avocat du requérant lors de l'introduction de la requête
Selon le requérant, les autorités engagèrent des poursuites contre Me Tahir Elçi en raison du rôle qu'il avait joué dans l'introduction de certaines requêtes, dont la sienne, devant la Commission. Il affirme que le 23 novembre 1993 tous les documents relatifs à l'affaire furent saisis par les forces de l'ordre lors de l'arrestation de Me Tahir Elçi.
Les faits tels qu'ils ont été exposés par le Gouvernement
a) Quant à la disparition du fils du requérant
Il est exact qu'à la suite des affrontements survenus dans la ville de Şırnak du 18 au 20 août 1992, une opération fut menée et près d'une centaine de personnes furent placées en garde à vue. Toutefois, Mehmet Ertak ne fut pas arrêté par les forces de l'ordre. Comme le déclarait la direction générale de la sûreté dans une lettre du 21 décembre 1994, l'intéressé, selon les registres de la garde à vue, n'avait jamais été appréhendé ni incarcéré.
b) Quant aux allégations d'entrave à l'exercice du droit de recours individuel
Le 23 février 1995, le Gouvernement fit parvenir à la Commission le procès-verbal des documents saisis chez Me Tahir Elçi ainsi que la décision de la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır, datée du 10 janvier 1994, faisant état des documents remis à celui-ci.
B. Les éléments de preuve recueillis par la Commission
Les éléments de preuve écrits
Les comparants ont présenté divers documents relatifs à l'enquête consécutive à la plainte pénale du requérant.
a) Plainte déposée le 2 octobre 1992 par le requérant auprès du parquet de Şırnak
Le requérant allégua qu'à la suite des événements survenus à Şırnak son fils avait été arrêté le 20 août 1992 lors d'un contrôle d'identité alors qu'il rentrait de son travail en compagnie de trois membres de sa famille. Il donna les noms de témoins oculaires ayant affirmé avoir vu son fils pendant sa garde à vue. Il demanda à être informé du sort de celui-ci.
b) Ordonnance d'incompétence ratione materiae rendue le 21 juillet 1993 par le procureur de la République de Şırnak
Par cette ordonnance, le parquet de Şırnak se déclara incompétent pour examiner la plainte pénale du requérant contre les fonctionnaires de police de la direction de la sûreté de Şırnak. Il rappela que les actes des forces de l'ordre placées sous les ordres du préfet de la région soumise à l'état d'urgence relevaient des règles régissant les poursuites contre les fonctionnaires. Il transmit le dossier au conseil administratif du département de Şırnak.
c) Documents relatifs à l'enquête menée par l'enquêteur, Yahya Bal
Par une lettre du 4 novembre 1992, le préfet de Şırnak, Mustafa Malay, se référant à la pétition déposée le 10 septembre 1992 par le requérant à la préfecture de Şırnak, demanda à la direction générale de la sûreté de charger un enquêteur d'effectuer des recherches sur les allégations du requérant.
Par une lettre du 3 décembre 1992, le conseil d'inspection de la direction générale de la sûreté désigna Yahya Bal, inspecteur de police, comme enquêteur. Les 12 et 13 janvier 1993, celui-ci entendit comme témoins Abdulmenaf Kabul, Süleyman Ertak, Yusuf Ertak et Abdullah Ertur. On fit appel à un interprète pour recueillir la déposition de Süleyman Ertak. Les déclarations des témoins furent transcrites dans les termes suivants :
a) Abdulmenaf Kabul : « J'habitais le même hameau que Mehmet Ertak et je le connaissais personnellement. Toutefois le nom de son père n'est pas Mehmet, comme vous l'avez dit, mais İsmail. Lors des incidents, j'étais chez moi et je n'ai pas été placé en garde à vue (par la direction de la sûreté) comme il a été allégué, ni ce jour-là ni les jours suivants. J'ai appris sa disparition lors de ma déposition auprès du parquet de Şırnak, où j'ai dit la même chose que ce que je dis devant vous. Moi et mes proches, nous avons travaillé comme gardes de village en 1987. Le frère de Mehmet Ertak, Salih, est actuellement militant du PKK et est parti dans les montagnes. Comme nous sommes pour le gouvernement, ces personnes ont attaqué ma maison et celle de mes proches ; lors de cet incident, certains membres de ma famille et moi-même avons été blessés et mon cousin, Hasan Ertak, a été tué ; et depuis, nous sommes en litige avec eux. Ils auraient ainsi voulu mêler notre nom à cette affaire pour nous causer du tort ; je n'ai aucune information sur la prétendue disparition de Mehmet Ertak et, contrairement à ce qui a été allégué, je n'ai pas été placé en garde à vue avec lui par la police. »
b) Süleyman Ertak : « Je connais Mehmet Ertak. Nous habitions le même hameau et nous travaillions de temps en temps ensemble dans les mines de charbon. Toutefois le nom de son père n'est pas Mehmet, comme vous l'avez dit, mais İsmail. Le jour de l'incident, moi et mon neveu Yusuf travaillions dans les mines de charbon. Nous avons entendu des coups de feu venant de la ville et nous sommes allés sur la route principale pour y retourner en ville. Nous avons fait arrêter, en levant la main, un taxi venant de la direction de Cizre. Mehmet Ertak se trouvait dans ce taxi avec lequel nous nous sommes rendus en ville. A l'entrée de celle-ci, les policiers effectuaient un contrôle d'identité. Ils ont contrôlé nos cartes d'identité à tous les trois, puis nous les ont rendues. Avec mon neveu, nous sommes allés chez nous ; quant à Mehmet Ertak, il nous a dit qu'il avait des courses à faire, et s'est dirigé vers les épiceries qui se trouvaient de l'autre côté de la route. Je ne l'ai plus revu. Je ne sais pas où il est. Je n'ai pas été placé en garde à vue le jour de l'incident, soit le 18 août 1992 ou après cette date, ni seul ni avec Mehmet Ertak comme il a été allégué par son père. Je ne sais pas pourquoi ce dernier a fait cette déclaration. »
c) Yusuf Ertak : « Je connais Mehmet Ertak. Nous habitions le même hameau. Bien que nous ayons le même nom de famille, nous n'avons pas de lien de parenté. Toutefois le nom de son père n'est pas Mehmet, comme vous l'avez dit, mais İsmail. Je n'ai pas été placé en garde à vue le 18 août 1992, à la station d'entretien de l'administration des routes nationales [Bakımevi], comme l'a allégué le père de cette personne. Lors des incidents, je travaillais dans une mine de charbon se trouvant à 5-6 km de la ville. Nous avons entendu des coups de feu venant de la ville et, avec les autres ouvriers nous avons voulu y retourner, mais la route était barrée par des soldats qui empêchaient tout le monde d'y entrer ou d'en sortir. Pour cette raison, nous n'avons pas pu retourner à Şırnak et en conséquence je n'ai pas été placé en garde à vue. Je ne sais pas si Mehmet Ertak avait été placé en garde à vue par la police. J'ai oublié de vous dire qu'à la fin des incidents, je ne me rappelle pas l'heure, un taxi dans lequel se trouvait Mehmet Ertak est venu de la direction de Cizre. Je ne sais pas à qui appartenait ce taxi. Le soldat qui se trouvait sur les lieux nous a fait monter, moi et Süleyman Ertak, dans le taxi et nous a envoyés à Şırnak. A l'entrée de la ville se trouvaient des agents de police. Ils ont contrôlé nos pièces d'identité et puis Mehmet Ertak nous a quittés pour se diriger vers les épiceries qui se trouvaient en face. Nous sommes allés chez nous. Toutefois, ni nous ni Mehmet Ertak n'avons été placés en garde à vue par les policiers. Je ne sais pas pourquoi son père a dit cela. »
d) Abdullah Ertur (Ertuğrul) : « Le 18 août 1992, à la suite des incidents survenus à Şırnak, dans la journée, les policiers m'ont arrêté chez moi ; je rectifie : les soldats m'ont arrêté et m'ont remis aux mains des policiers. Après une enquête menée par la direction de la sûreté, j'ai été remis en liberté le lendemain. Quand je suis revenu chez moi, le père de Mehmet Ertak, que je connaissais personnellement parce que nous travaillions ensemble dans les mines de charbon, est venu me voir. Il m'a demandé si j'avais été placé en garde à vue et si son fils aussi était dans les locaux de la direction de la sûreté. Je lui ai répondu que nous étions quarante ou cinquante mais que je n'avais pas vu son fils parmi les détenus. Toutefois, dans sa plainte pénale, il a menti en disant le contraire. Je ne sais pas pour quel motif il a agi ainsi mais nous ne parlons pas avec la famille Ertak. Leur fils, Salih Ertak, qui est avec le PKK, et les amis de celui-ci ont tué mon oncle Hasan Ertak. Il a dit cela pour susciter un différend entre nous et les forces de l'ordre. Je répète qu'il ment. Je n'ai pas été détenu dans la même cellule que Mehmet Ertak et je ne sais pas où il se trouve actuellement. »
d) Le rapport d'enquête présenté le 8 avril 1993 par l'enquêteur, Yahya Bal
L'enquêteur déclara que, dans le cadre de ses investigations, il s'était rendu sur les lieux et avait examiné les registres de garde à vue dont les copies sont annexées à son rapport. Il indiqua que, malgré des lettres envoyées à la direction de la sûreté demandant l'audition d'İsmail Ertak (qui aurait déménagé à Silopi), les autorités n'avaient pas pu trouver son adresse. Il observa qu'il ressortait des dépositions d'Abdulmenaf Kabul, de Süleyman Ertak et de Yusuf Ertak que ceux-ci n'avaient pas été placés en garde à vue par la police ni avant ni après les incidents, et que ce fait était corroboré par l'examen des registres de garde à vue. L'enquêteur se référa en outre à la lettre envoyée par la direction de la sûreté de Şırnak confirmant que Mehmet Ertak n'avait pas été placé en garde à vue pendant ou après les incidents, et constata que selon les déclarations d'Abdullah Ertur, celui-ci, à la suite des incidents survenus à Şırnak le 18 août 1992, avait été arrêté par les gendarmes et remis aux mains de la police, puis avait été libéré le lendemain ; son nom figurait au 602e rang du registre de garde à vue. Il releva qu'au dire d'Abdullah Ertur, celui-ci n'avait pas vu Mehmet Ertak dans les locaux de la sûreté et n'était donc pas resté avec lui dans la même cellule. L'enquêteur émit la conclusion suivante :
« Je propose de ne pas saisir les juridictions, étant donné que les allégations d'İsmail Ertak et du député Orhan Doğan concernant le placement en garde à vue et la disparition de Mehmet Ertak pendant sa détention sont dénuées de tout fondement. »
Les dépositions orales
Les 5, 6 et 7 février 1997, trois délégués de la Commission recueillirent à Ankara les dépositions orales suivantes.
a) İsmail Ertak
Le témoin est le requérant et le père de Mehmet Ertak. En août 1992, il entendit des coups de feu qui durèrent trois jours. La nuit des incidents, son fils Mehmet Ertak travaillait dans la mine de charbon.
Il réitéra les faits tels qu'il les a exposés dans sa formule de requête.
Le témoin affirma qu'il s'était rendu au poste de commandement de la brigade de gendarmerie où un major, après vérification de la liste des personnes en garde à vue, lui avait précisé que son fils n'avait pas été détenu à la caserne. Il avait en outre assisté à une réunion tenue dans la caserne et demandé à nouveau à cette occasion à être informé du sort de son fils. Il s'était rendu, accompagné des élus du quartier (muhtars), Abdullah Sakın (muhtar du quartier de Yeşilyurt) et Ömer Yardımcı (muhtar du quartier de Gazipaşa), devant le préfet de Şırnak et lui avait présenté Abdullah Ertur. Ce dernier avait dit au préfet que, lors de sa garde à vue, il avait passé une nuit dans la même cellule que Mehmet Ertak. Le préfet avait remis une lettre aux muhtars et leur avait dit de s'adresser à la direction de la sûreté. Le fils du témoin, Hamit Ertak, s'était rendu avec Abdullah Sakın et Abdullah Ertur à la direction de la sûreté.
Le témoin prétendit avoir porté plainte auprès du parquet de Şırnak ; il ne se rappelait pas si le parquet avait interrogé Abdullah Ertur et les autres personnes qu'il avait mentionnées dans sa plainte. Il précisa que le procureur lui avait fait remarquer qu'il était fort probable que son fils était parti dans les montagnes. Il avait contesté cette allégation en expliquant que Mehmet avait quatre enfants et que sa femme était encore très jeune.
Il affirma qu'au courant de l'année, son fils Mehmet Ertak avait été interrogé par des policiers. Il ne savait pas pour quel motif il avait été convoqué par la police. Il ajouta qu'un de ses fils, Mehmet Salih Ertak, avait disparu depuis 1989 et qu'il avait entendu dire qu'il avait rejoint les camps du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Il ne savait pas s'il était vivant ou mort. Un autre de ses fils, Mesut Ertak, impliqué dans un incident d'explosion, avait été jugé et condamné à douze ans d'emprisonnement. Le témoin répéta que son fils Mehmet Ertak, père de quatre enfants en bas âge, ne faisait que « travailler à droite et à gauche pour leur apporter du pain ». Il s'exprima ainsi : « Cet enfant [Mehmet] est innocent. Son frère est parti dans les montagnes depuis neuf ans. C'est peut-être ça qu'on lui reproche. »
b) Mustafa Malay
Le témoin était préfet de Şırnak en août 1992. Il expliqua que le 18 août 1992 des affrontements avaient eu lieu entre les forces de l'ordre et des terroristes, qui avaient déclenché une attaque. Plusieurs personnes avaient été tuées par balles. Les attaques venaient de la région où se trouvaient les mines de charbon. A la suite de ces incidents, les forces de l'ordre, composées de policiers et de gendarmes, avaient effectué des perquisitions et plus d'une centaine de personnes avaient été arrêtées et traduites devant les instances judiciaires. Une partie de ces personnes avaient été placées en garde à vue dans les locaux de la direction de la sûreté et d'autres au centre de détention de la brigade de gendarmerie. Il indiqua que deux registres séparés étaient tenus.
Le témoin affirma avoir rencontré dans son bureau une personne qui lui avait affirmé avoir passé toute une nuit dans la même cellule que Mehmet Ertak. Il ne se rappelait pas si ce témoin s'appelait Abdullah Ertuğrul. Il avait conseillé à İsmail Ertak d'emmener ledit témoin oculaire devant le procureur de la République. Il avait en outre entendu d'autres personnes qui lui avaient indiqué avoir vu Mehmet Ertak lors de leur garde à vue dans les locaux de la direction de la sûreté. Il affirma qu'İsmail Ertak n'avait pas abandonné et était revenu le voir dans son bureau à cinq ou six reprises, en réitérant ses allégations. Le témoin avait écrit une lettre confidentielle à la direction générale de la sûreté à Ankara et au ministère de l'Intérieur en demandant la nomination d'un enquêteur pour mener des investigations. Il indiqua que, par la suite, il avait examiné les registres de garde à vue de la direction de la sûreté et constaté que le nom de Mehmet Ertak ne figurait pas sur la liste des personnes détenues. La gendarmerie l'avait informé oralement que Mehmet Ertak n'était pas détenu dans ses locaux. Il ajouta qu'un enquêteur avait été chargé de l'enquête. Le témoin avait été muté en février 1993 et n'avait ainsi plus reçu aucune information sur le déroulement de l'enquête.
c) Süleyman Ertak
Le témoin travaillait dans les mines de charbon à l'époque des faits. Mehmet Ertak était son cousin. Lors des incidents survenus à Şırnak, il travaillait dans les mines de charbon. Mehmet Ertak, Abdulmenaf Kabul et Yusuf Ertak se trouvaient aussi dans les mines et travaillaient dans des endroits différents. En raison des incidents ils n'avaient pas pu retourner à Şırnak entre le 18 et le 22 août. Ils avaient été avertis par le bureau de la gendarmerie situé près de la mine de ne pas quitter les lieux.
Il affirma que des affrontements avaient eu lieu en ville mais pas du côté des mines. Le témoin indiqua qu'après quatre jours passés dans les mines, lui et Mehmet Ertak, Abdulmenaf Kabul et Yusuf Ertak avaient suivi la route principale et que, pour rentrer à Şırnak, ils avaient pris un taxi qui venait de Cizre. Il faisait presque nuit. Près de Şırnak, dans la ville même, au point de contrôle, des policiers en uniforme bleu avaient arrêté le taxi qui les transportait et avaient demandé leurs cartes d'identité. Après avoir examiné les pièces d'identité dans une cabane, ils avaient demandé : « Lequel d'entre vous est Mehmet ? » Mehmet Ertak avait répondu « C'est moi. » Ils l'avaient emmené avec eux et leur avaient ordonné de quitter immédiatement les lieux. Ils étaient montés dans le taxi et étaient retournés chez eux.
Le témoin indiqua qu'İsmail Ertak lui avait demandé où était son fils et il l'avait informé de l'incident. Il n'avait pas été entendu par les autorités à cet égard.
d) Ahmet Ertak
Le témoin est le frère de Mehmet Ertak. A l'époque des faits, il résidait à Diyarbakır. Il précisa que, lors des incidents, il était à Şırnak pour une visite à sa famille. Le 22 août 1992, il avait quitté la ville avec celle-ci.
Le témoin relata les incidents survenus à Şırnak. Son père et lui-même avaient été informés de l'arrestation de son frère dans la matinée du 22 août. Abdullah Ertuğrul leur avait affirmé avoir partagé une cellule avec Mehmet Ertak lors de sa garde à vue. Abdullah Ertuğrul leur avait expliqué que plusieurs personnes étaient détenues au même endroit et que tout le monde avait les yeux bandés. Il avait précisé qu'il avait soulevé son bandeau et avait ainsi pu voir Mehmet Ertak et parler avec lui. Le lendemain matin, de bonne heure, Abdullah avait été remis en liberté. Le même jour, dans l'après-midi, Abdulmenaf Kabul, Süleyman Ertak et Yusuf Ertak les avaient informés qu'à l'issue d'un contrôle d'identité au point de contrôle de Bakımevi à Şırnak, alors qu'ils revenaient des mines pour rentrer chez eux, les policiers avaient emmené Mehmet Ertak.
Le témoin expliqua qu'il avait rencontré l'avocat Abdurrahim Demir et lui avait demandé dans quelles circonstances il avait vu Mehmet Ertak. Son interlocuteur lui avait fait la réponse suivante : « Quand Mehmet Ertak a été amené dans la cellule, nous étions une douzaine ; de temps à autre, certains détenus quittaient la cellule pour un interrogatoire et revenaient plus tard et cela se répétait. Mehmet Ertak aussi a été emmené et ramené à plusieurs reprises. Nous avons subi des tortures. » Le témoin ajouta à cet égard qu'Abdurrahim avait affirmé avoir passé sept ou huit jours dans la même cellule que Mehmet Ertak. Le dernier jour, roué de coups, Mehmet Ertak avait été jeté dans la cellule. Il gisait par terre comme s'il était mort. Peu de temps après, il avait été emmené et il ne l'avait plus revu. Le témoin affirma que son père avait obtenu les mêmes informations d'Abdurrahim Demir. Celui-ci lui avait dit : « Ton fils était presque mort quand il a été ramené la dernière fois. Son état était si grave qu'il n'avait aucune chance de survivre. »
Le témoin indiqua avoir aidé son père à rédiger la plainte déposée auprès du procureur de la République et s'être rendu avec lui à l'association des droits de l'homme de Diyarbakır. Il avait distribué des requêtes aux délégations parlementaires qui étaient venues visiter Şırnak.
e) Abdurrahim Demir
Le témoin déclara exercer la profession d'avocat à Diyarbakır. Le 18 août 1992 (premier jour des incidents survenus à Şırnak), il avait été arrêté par les forces de l'ordre et était resté en garde à vue durant vingt-neuf jours. Le témoin raconta qu'à la suite de son arrestation, il avait été emmené à la gendarmerie et y était resté deux jours. Environ 1 200 personnes y étaient détenues. Le 21 août, des repentis et des agents de la section spéciale de la police étaient venus choisir 128 personnes et les avaient conduites à la direction de la sûreté de Şırnak. Le témoin affirma être resté dans les locaux de la direction de la sûreté jusqu'à la date de sa libération, vers le 20 septembre.
Le deuxième ou le troisième jour de sa détention dans les locaux de la direction de la sûreté, le 24 ou le 25 août, Mehmet Ertak avait été amené dans la salle où le témoin était détenu. Comme il avait été soumis à des tortures, il ne se rappelait plus exactement combien de jours il avait passés avec Mehmet Ertak ; peut-être quatre, cinq ou six jours. Le témoin indiqua que dans une salle se trouvaient plus de douze détenus ; il se souvenait des noms de certains d'entre eux : Nezir Olcan, Kıyas Sakın, Şeyhmus Sakın, Celal Demir, İbrahim Satan.
Le témoin expliqua que, pendant leur incarcération dans les locaux de la police, les détenus furent systématiquement soumis à des tortures. Durant plusieurs jours, on venait les chercher deux ou trois fois dans la journée, pour les soumettre à des tortures. Ils avaient été traités comme des « animaux » et avaient souvent été obligés de faire leurs besoins sous eux. Il déclara que Mehmet Ertak avait aussi subi ce type de traitement. Il avait été emmené une fois par jour pendant une quinzaine de minutes. Une fois, le témoin et Mehmet Ertak avaient été emmenés ensemble, avec deux ou trois autres personnes dans la « salle de torture ». Abdurrahim Demir expliqua qu'il avait pu voir à travers le bandeau qui cachait ses yeux comment on les torturait. Ils étaient dévêtus et soumis à la pendaison ; certains d'entre eux avaient été électrocutés. Ils étaient sévèrement battus et arrosés de jets d'eau froide. Ce jour-là, le témoin était resté suspendu environ une heure ; quand il avait quitté la salle, Mehmet Ertak était toujours suspendu. Il avait été ramené dans la cellule environ dix heures plus tard. Le témoin déclara : « Quand Mehmet Ertak a été ramené dans la cellule il ne pouvait pas parler, il était mort, c'est-à-dire qu'il était devenu rigide. Je suis sûr à 99 % qu'il était mort. Deux, trois minutes plus tard, ils l'ont traîné dehors en le tenant par les jambes. Une de ses chaussures est restée dans la cellule. Nous ne l'avons plus revu. » Il précisa que Mehmet Ertak mettait cette chaussure sous sa tête quand il dormait sur le béton.
İsmail Ertak était venu voir le témoin en prison mais celui-ci lui avait dit qu'il parlerait après sa libération. Lorsqu'İsmail Ertak était revenu le voir à son retour chez lui, il l'avait informé que son fils était mort lors de la garde à vue. İsmail Ertak l'avait traité de menteur.
Le témoin indiqua que le procureur de la République de Diyarbakır avait recueilli sa déposition sur l'incident. Dans sa déposition il avait relaté les faits exposés devant les délégués de la Commission et avait signé le procès-verbal contenant sa déposition. Il n'avait été entendu par aucune autre autorité.
Durant toute sa détention, il était resté dans la même cellule, qui portait le numéro 8, avec un bandeau sur les yeux. Il affirma que Mehmet Ertak avait été torturé plus que les autres. Il n'avait pas assez de forces pour parler et n'avait pu discuter avec le témoin qu'à l'arrivée de celui-ci dans la cellule. Il lui avait dit qu'après son arrestation, il avait été conduit directement à la direction de la sûreté. Le témoin expliqua qu'après les coups qui leur étaient infligés, quelqu'un mettait une pommade sur les ecchymoses, sur leur visage. Une de ses dents avait été cassée et son visage était enflé. C'était dans cet état que le procureur l'avait entendu. Celui-ci lui avait demandé s'il avait été torturé et il avait répondu par l'affirmative. Le procureur avait répliqué « que cela ne reflétait pas la vérité, que c'était lui-même qui s'était causé cette enflure ».
Le témoin expliqua que par peur des représailles il n'avait pas porté plainte à l'encontre des policiers qui lui avaient infligé des tortures. Il affirma avoir dit la vérité et avoir raconté le minimum de tout ce que lui-même et ses codétenus avaient subi. Selon lui, les incidents survenus à Şırnak avaient été provoqués par les agents de l'Etat aux fins de réprimer la population qui, antérieurement, avait assisté aux funérailles de deux militants du PKK et avait voté pour un parti politique prokurde, le HADEP.
f) Tahir Elçi
Avocat de son état, le témoin représentait le requérant lors de l'introduction de la requête devant la Commission. Il expliqua qu'il n'avait pas assisté le requérant devant les autorités internes. Il lui avait seulement donné des conseils et rédigé des lettres.
Le témoin déclara qu'en novembre 1993, à la suite de son arrestation, les forces de l'ordre avaient effectué des descentes à son cabinet et saisi tous les documents relatifs à ses activités professionnelles, y compris ceux qui concernaient l'affaire de la disparition de Mehmet Ertak. Il était resté en garde à vue durant vingt et un jours dans les locaux du commandement de la gendarmerie de Diyarbakır, au service des renseignements de la gendarmerie (JİTEM).
Le témoin indiqua qu'il n'avait pas pris les dépositions des témoins oculaires mentionnés dans la plainte d'İsmail Ertak. Certains d'entre eux se trouvaient en prison et ne se sentaient pas en sécurité, et lui-même avait eu peur d'aller recueillir leurs dépositions en prison. Plus tard, il avait rencontré Abdurrahim Demir qui lui avait affirmé avoir vu Mehmet Ertak lors de sa garde à vue. Il déclara qu'İsmail Ertak avait relaté très brièvement son entrevue avec Abdurrahim Demir. Il ne voulait pas admettre que son fils pouvait être mort même s'il le savait au fond de lui-même. Le témoin affirma à cet égard que si une personne est détenue depuis une semaine et qu'aucune demande visant à prolonger la garde à vue n'est présentée au procureur, on peut être sûr que sa vie est en danger ou qu'elle est morte.
Selon Tahir Elçi, Mehmet Ertak est mort lors de sa garde à vue ; lui-même avait été témoin de plusieurs cas similaires.
g) Levent Oflaz
Le témoin était commissaire du bureau de police de la direction de la sûreté de Şırnak. La nuit du 18 août, il était au bureau de police. Soudain, lui et ses collègues avaient entendu des coups de feu provenant du centre-ville. Ils avaient été informés par radio que des terroristes avaient attaqué Şırnak. Ils avaient pris leurs précautions pour se protéger. Le témoin expliqua qu'il ne faisait pas partie de l'équipe qui avait procédé aux arrestations. Son travail consistait à protéger les bâtiments publics. Lors des incidents, durant quatre ou cinq jours, il n'avait pas quitté le bureau de police.
Le témoin examina le procès-verbal établi le 23 août 1992 selon lequel, à la suite des affrontements survenus entre le 18 et le 21 août, des perquisitions avaient été effectuées dans les maisons du centre-ville et aucune douille n'avait été trouvée. Il reconnut que ce document portait sa signature. Contrairement à ses affirmations antérieures, il admit qu'il faisait partie de l'équipe qui avait perquisitionné les maisons.
h) Kemal Eryaman
A l'époque des faits, le témoin était directeur de la maison d'arrêt d'Elazığ. Il indiqua qu'il existait un registre des détenus et aussi des visiteurs. Les noms de Şeyhmus Sakın, Kıyas Sakın et Emin Kabul lui semblaient familiers mais il fut incapable de donner une réponse précise.
Le témoin décrivit la manière dont étaient tenus les registres, sur lesquels toute information était notée : le motif de la détention, la personne ou l'autorité qui adressait le détenu ou le condamné à la maison d'arrêt. Il affirma qu'il n'y avait dans les registres aucune indication sur la garde à vue.
Le témoin affirma qu'à la suite des incidents survenus à Şırnak entre le 18 et le 20 août, plusieurs détenus avaient été conduits à la maison d'arrêt d'Elazığ.
i) Serdar Çevirme
Le témoin était, à l'époque des faits, le chef de la brigade des interrogatoires et des renseignements de la section antiterroriste de la direction de la sûreté de Şırnak. Il décrivit ses fonctions ainsi : il était dans l'équipe qui procédait à l'arrestation et à l'interrogatoire des personnes soupçonnées d'activités terroristes.
Le témoin déclara que les « incidents d'août » avaient débuté la nuit du 15 août. Des tirs provenant d'armes lourdes venaient de toutes parts. Deux policiers, dont un membre des « forces d'intervention rapide », et deux ou trois soldats de la gendarmerie du district avaient été tués.
Quant à l'explication, selon les registres, du placement en garde à vue de 80 personnes, fin août, au centre de détention de la direction de la sûreté, le témoin expliqua que les incidents du mois d'août étaient des circonstances extraordinaires ; à son avis, leur garde à vue avait duré quarante-huit heures.
Le témoin ne se rappelait pas si toutes les personnes appréhendées avaient été emmenées à la brigade de gendarmerie ou directement à la direction de la sûreté. Selon les instructions, elles devaient être placées en garde à vue dans les locaux de la brigade de gendarmerie mais quand il s'agissait de deux ou trois personnes, elles étaient incarcérées dans les locaux de la direction de la sûreté. La direction de la sûreté avait accueilli dans lesdits locaux, au sous-sol, des médecins, des infirmières et quelques familles en vue de les protéger. Il reconnut que, le 21 août, 57 personnes impliquées dans les incidents avaient été emmenées de la brigade de gendarmerie. Quant à un autre groupe de 22 personnes emmenées le lendemain et 12 autres le 24 août, il ne fut pas en mesure de dire précisément d'où elles étaient venues. Il déclara qu'à cette époque c'était le chaos.
Malgré ses constatations antérieures, il admit que dans des cas où 23 personnes restaient en garde à vue pendant plus de vingt jours pour être interrogées, la direction de la sûreté les plaçait dans la grande salle. Il précisa qu'il avait dû faire face à ce genre de situation à deux reprises lorsqu'il était en fonction : au mois d'août et le 21 mars. Il indiqua que les cellules, la grande salle, la salle des interrogatoires et la chaufferie, ainsi que les toilettes et une petite pièce pour faire du thé, se trouvaient au sous-sol.
Le témoin admit avoir participé aux interrogatoires dans le cadre de l'enquête sur les incidents du 18 août. Il indiqua que sa brigade ne tenait pas de registres décrivant quand et par qui était interrogé tel détenu. Les registres internes de la brigade contenaient des notes signées par l'agent qui les avaient établies ; ces notes n'étaient pas versées aux registres officiels.
L'enquête ouverte au sein de sa brigade s'était déroulée ainsi : lui et ses collègues avaient examiné les registres ; le nom de Mehmet Ertak ne s'y trouvait pas. Ils avaient contrôlé ses antécédents. Ils avaient mené des investigations pour trouver quelle équipe l'avait arrêté et aussi comment il avait été appréhendé. Mais ces recherches n'avaient abouti à rien.
Le témoin indiqua qu'il n'était pas présent en permanence dans les locaux de la direction de la sûreté. Durant son absence, l'agent de permanence tenait les registres. Selon lui, il était impossible que ne soit pas inscrit sur le registre le nom d'une personne placée en garde à vue et, à cet égard, les policiers suivaient des instructions, verbales et écrites, assez rigoureuses. Il affirma qu'un rapport de garde à vue était envoyé quotidiennement au chef de section. Le témoin ne put donner de réponse précise quant au fait que le nom d'Emin Kabul, qui avait été transféré à la prison d'Elazığ, ne figurait pas sur les registres de garde à vue. Toutefois, ce nom lui paraissait familier.
Le témoin indiqua ne pas pouvoir apporter d'explication logique au fait que six personnes avaient déclaré avoir vu Mehmet Ertak lors de sa garde à vue et que le nom de ce dernier ne figurait sur aucun registre.
Le témoin admit que le point de contrôle de la direction des mines se trouvait à l'entrée de la ville. C'étaient les agents des « forces d'intervention rapide » et des services de renseignements et de prévention de la contrebande qui y effectuaient des contrôles et, lorsqu'ils procédaient à une arrestation, ils emmenaient les suspects à la section concernée de la direction de la sûreté. Il indiqua que ces agents tenaient aussi des registres de garde à vue mais qu'il n'y avait pas de cellules prévues pour les personnes en garde à vue dans leur section. Quant à la couleur de leurs uniformes, le témoin déclara qu'à l'époque des faits ils portaient des uniformes verts qui avaient été ultérieurement remplacés par des uniformes bleus ; cependant, il lui fut impossible de préciser la date du changement de couleur des uniformes. Le témoin affirma que les agents des « forces d'intervention rapide » emmenaient les personnes soupçonnées d'activités terroristes à la direction de la sûreté.
j) Osman Günaydın
Le témoin était préfet adjoint à Şırnak à l'époque des faits. Il présidait, au nom du préfet, le conseil administratif de Şırnak qui avait rendu le 11 novembre 1993 une décision d'abandon des poursuites à l'égard des fonctionnaires de police de la direction de la sûreté.
Le témoin ne se souvenait pas des circonstances particulières de l'affaire et fut incapable d'expliquer pour quel motif le délit figurant sur le document contenu dans le rapport d'enquête avait été situé à la date du 16 septembre 1992 alors que les incidents avaient eu lieu le 18 août 1992. Il déclara que l'enquêteur chargé des investigations était un inspecteur de police compétent en la matière, et indiqua que celui-ci avait entendu quatre témoins qui avaient tous contredit les allégations d'İsmail Ertak. Il expliqua que le conseil administratif n'avait pas jugé opportun de demander des investigations complémentaires. Il précisa que la décision, confirmée par le Conseil d'Etat, avait été rendue à l'unanimité.
k) Yahya Bal
Le témoin était inspecteur de police au conseil d'inspection de la police et enquêteur dans le cadre de la présente affaire. Il admit que la lettre du préfet, en date du 4 novembre 1992, faisant état des allégations d'İsmail Ertak et d'un député, constituait le document principal de l'enquête. Pendant l'investigation qu'il avait menée, il n'avait pas eu connaissance de la plainte adressée par İsmail Ertak au parquet le 2 octobre 1992, dans laquelle il mentionnait les noms des personnes qui indiquaient avoir vu Mehmet Ertak lors de la garde à vue. Il affirma ne pas avoir été informé qu'un des témoins, Abdullah Ertur, avait indiqué antérieurement au préfet de Şırnak qu'il avait vu Mehmet Ertak lors de sa garde à vue dans les locaux de la direction de la sûreté. Il reconnut que si on lui avait communiqué cette information, au vu des contradictions entre les dépositions, il aurait procédé à une autre audition pour clarifier les faits.
Le témoin déclara avoir sollicité, par lettres adressées les 13 et 18 janvier et 3 mars 1993 à la direction de la sûreté de Şırnak, une commission rogatoire lui permettant d'entendre İsmail Ertak. Selon un procès-verbal établi par les agents de police de la sûreté de Şırnak le 25 mars 1993 et portant les signatures de quatre policiers, dont Serdar Çevirme et l'élu de quartier Ömer Yardımcı, İsmail Ertak avait déménagé à Silopi et les autorités n'avaient pas pu trouver son adresse. Il ne demanda pas aux autres témoins portant le même nom de famille s'ils savaient où vivait İsmail Ertak. Le témoin affirma que le fait d'entendre le plaignant au début de l'enquête pouvait aider l'enquêteur à orienter ses investigations.
Le témoin affirma s'être rendu sur les lieux et avoir entendu les témoins dans une pièce de la direction de la sûreté de Şırnak. C'était la police locale qui était allée les chercher à leur domicile et les avait amenés devant lui, et ils avaient déposé sous serment. Il précisa que lors de son enquête il n'avait pas pris contact avec le procureur de la République et avait mené ses investigations uniquement en se basant sur le dossier qui lui avait été transmis.
l) Autres témoins
La Commission convoqua en outre les témoins suivants, qui ne comparurent pas :
– Ahmet Berke, procureur de la République de Şırnak, qui avait rendu l'ordonnance d'incompétence ratione materiae le 21 juillet 1993,
– Şeyhmus Sakın, Kıyas Sakın et Emin Kabul, qui habitaient le même quartier que le requérant et lui avaient indiqué qu'ils avaient vu Mehmet Ertak lors de leur garde à vue.
C. Appréciation des preuves et constatations effectuées par la Commission
La Commission a abordé sa tâche en l'absence d'examen judiciaire ou d'enquête indépendante approfondie au plan interne sur les faits en question. Ce faisant, elle s'est livrée à l'appréciation des éléments écrits et oraux dont elle disposait compte tenu notamment du comportement des témoins entendus par les délégués à Ankara et de la nécessité de fonder ses conclusions sur un faisceau d'indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Ses constatations peuvent se résumer comme suit.
Les opérations menées dans Şırnak à la suite des incidents survenus du 18 au 20 août 1992
La Commission note qu'il n'est pas contesté que des affrontements ont eu lieu dans Şırnak du 18 au 20 août 1992. Elle relève à cet égard que Serdar Çevirme, le chef de la section des interrogatoires et des renseignements de la section antiterroriste de la sûreté, a déclaré que les incidents avaient débuté le 15 août. Les éléments de preuve produits à partir des documents et des dépositions orales des témoins sont pour l'essentiel cohérents quant au déroulement général des opérations menées à la suite des incidents survenus à cette période. Après ces incidents, les forces de l'ordre, composées de policiers et de gendarmes, conduisirent une perquisition dans la ville au cours de laquelle plus d'une centaine de personnes, entre autres Abdullah Ertur, Abdurrahim Demir, Ahmet Kaplan, Kıyas Sakın, Şeyhmus Sakın, Nezir Olcan, Celal Demir, İbrahim Satan et Emin Kabul, furent arrêtées. Plusieurs personnes appréhendées furent emmenées à la brigade de gendarmerie, d'autres furent détenues à la direction de la sûreté. Des contrôles d'identité furent effectués à l'entrée de la ville et les personnes soupçonnées d'activités terroristes furent emmenées par les agents des « forces d'intervention rapide » (çevik kuvvet) directement à la direction de la sûreté.
L'arrestation alléguée de Mehmet Ertak, fils du requérant
La Commission estime, que pour ce qui concerne l'arrestation de Mehmet Ertak, la déposition orale de Süleyman Ertak devant les délégués est conforme aux allégations du requérant. Elle note à cet égard que Süleyman Ertak confirme qu'au point de contrôle, des policiers en uniforme bleu ont arrêté le taxi dans lequel il se trouvait, accompagné de Mehmet Ertak, Abdulmenaf Kabul, Yusuf Ertak et, après avoir contrôlé leurs pièces d'identité, ont emmené Mehmet Ertak avec eux. Après examen du dossier d'enquête et de la déposition orale de l'enquêteur Yahya Bal devant les délégués, la Commission constate que Süleyman Ertak, dans sa déposition du 13 janvier 1993 recueillie par l'enquêteur, indique que les policiers leur ont rendu leurs pièces d'identité après les avoir contrôlées et que Mehmet Ertak les a quittés pour faire des courses. Une déposition dans le même sens a été faite le 12 janvier 1993 par Yusuf Ertak.
La Commission relève qu'il ressort des documents versés au dossier établi par l'enquêteur que Süleyman Ertak, Abdulmenaf Kabul, Yusuf Ertak et Abdullah Ertur ont été convoqués par la police à la direction de la sûreté de Şırnak et ont déposé devant l'enquêteur en présence d'un agent de police qui mettait par écrit leurs dépositions. A cet égard, la Commission est frappée par la forme stéréotypée et le contenu globalement similaire des dépositions de Süleyman Ertak et Yusuf Ertak. Elle constate que les fonctionnaires de police entendus par les délégués ont affirmé que des contrôles étaient effectués par les forces de l'ordre au point de contrôle, comme l'a décrit Süleyman Ertak. Quant à la couleur des uniformes des policiers, Serdar Çevirme a indiqué que les agents des « forces d'intervention rapide » se trouvaient au point de contrôle et a mis l'accent sur le fait qu'à l'époque des faits ils portaient des uniformes verts. Sans préciser de date, il a ajouté que ces derniers ont actuellement des uniformes bleus.
La Commission relève que les fonctionnaires de police qui ont témoigné devant les délégués reconnaissent qu'à la suite des incidents ayant causé la mort de deux policiers et de deux soldats, plusieurs équipes des forces de l'ordre avaient procédé à des arrestations dans la ville. Plus d'une centaine de personnes avaient été placées en garde à vue et il y avait une ambiance chaotique. Serdar Çevirme déclare que les « forces d'intervention rapide » effectuaient des contrôles à l'entrée de la ville et n'emmenaient pas les suspects directement à la direction de la sûreté. Il affirme que des registres séparés étaient tenus à la direction de la sûreté. Toutefois, la Commission relève qu'à un stade ultérieur de sa déposition, Serdar Çevirme reconnaît que les personnes arrêtées lors des contrôles d'identité par lesdits agents sont emmenées directement à la sûreté.
Quant à la tenue des registres de garde à vue, le nom d'Emin Kabul ne figure pas sur les registres et Serdar Çevirme n'apporte à cet égard aucune explication. La Commission note que sur ce point, les déclarations de ce témoin manquent de précision et de clarté. Elle constate en outre que le Gouvernement n'a pas produit les copies des registres de garde à vue de la brigade et de la gendarmerie régionale, malgré des demandes explicites.
Abdurrahim Demir indique que le 24 ou le 25 août, Mehmet Ertak a été amené dans la salle de détention où lui-même se trouvait et qu'il a passé cinq ou six jours avec lui. Il relate de façon détaillée les circonstances dans lesquelles ils ont été détenus à la direction de la sûreté et la conversation qu'il a eue avec Mehmet Ertak. Les précisions données par Abdurrahim Demir, notamment quant au fait que les détenus avaient les yeux bandés lors de la garde à vue, ainsi qu'à la description et à l'emplacement de la salle de détention, concordent avec la version des faits exposée par Serdar Çevirme. La déposition d'Abdurrahim Demir corrobore les récits faits par le requérant et son fils Ahmet Ertak aux délégués. La Commission relève en outre qu'Abdurrahim Demir a souligné qu'il avait déposé devant le procureur, à qui il avait donné la même version des faits qu'aux délégués, et qu'il avait signé sa déposition. Elle regrette que celle-ci ne figure pas dans les documents du dossier constitué par l'enquêteur.
Le préfet de Şırnak à l'époque des faits, Mustafa Malay, a reconnu dans sa déposition orale que le requérant était venu le voir plusieurs fois en alléguant que son fils Mehmet Ertak avait disparu après sa garde à vue, et qu'il avait entendu un témoin oculaire qui avait confirmé avoir vu Mehmet Ertak dans les locaux de la sûreté. La Commission relève que la déposition d'Abdullah Ertur, recueillie par l'enquêteur, contredit le récit du requérant ainsi que son témoignage devant le préfet. Soulignant que le préfet, jugeant la déposition du témoin oculaire suffisamment crédible, a demandé que des investigations soient menées sur l'affaire, elle privilégie la version donnée par le requérant et Mustafa Malay aux délégués concernant les affirmations d'Abdullah Ertur ; elle conclut que l'absence du nom de Mehmet Ertak sur les registres de garde à vue de la direction de la sûreté ne prouve pas en soi que celui-ci n'a pas été placé en garde à vue et admet les témoignages de Süleyman Ertak, du requérant, d'Ahmet Ertak, d'Abdurrahim Demir et de Mustafa Malay, que les délégués ont jugés crédibles et convaincants.
La détention et le sort de Mehmet Ertak
La Commission constate qu'un avocat, Abdurrahim Demir, cité comme témoin oculaire par le requérant dans sa plainte déposée au parquet de Şırnak le 2 octobre 1992, déclare dans sa déposition orale devant les délégués que, le 24 ou le 25 août 1992, Mehmet Ertak a été amené dans la salle où lui-même était détenu. Il nomme certaines personnes qui se trouvaient à cet endroit. Les noms de ces personnes figurent sur les registres de garde à vue de la section antiterroriste de la direction de la sûreté. Abdurrahim Demir précise d'une manière détaillée les circonstances dans lesquelles lui-même et d'autres détenus ont été arrêtés et les conditions de leur garde à vue. Abdurrahim Demir souligne qu'à la suite de la plainte pénale d'İsmail Ertak, lui-même a été entendu par le procureur de la République de Diyarbakır et a mentionné dans sa déposition les noms de certaines personnes qui étaient détenues au même endroit que lui. S'agissant des conditions de leur garde à vue, Abdurrahim Demir fait une description détaillée des traitements qu'ils auraient subis lors de l'interrogatoire : ils étaient dévêtus et soumis à la pendaison, sévèrement battus et arrosés de jets d'eau froide. Il affirme qu'à une occasion, lui-même et deux ou trois détenus ont été emmenés ensemble à la « salle de torture ». Mehmet Ertak était parmi eux. Il a été dévêtu et suspendu comme lui. Pour autant qu'il ait pu en juger, lui-même avait subi des sévices pendant une heure, et c'est seulement dix heures après que Mehmet Ertak avait été ramené. Il fait la déclaration suivante : « Quand Mehmet Ertak a été ramené dans la cellule, il ne pouvait pas parler, il était mort, c'est-à-dire qu'il était devenu rigide. Je suis sûr à 99 % qu'il était mort. Deux, trois minutes plus tard, ils l'ont traîné dehors en le tenant par les jambes. Une de ses chaussures est restée dans la cellule. Nous ne l'avons plus revu. »
La Commission regrette que le Gouvernement n'ait pas fourni le dossier de l'enquête ouverte par le parquet de Şırnak à la suite de la plainte pénale du requérant en date du 2 novembre 1992 et que le procureur Ahmet Berke n'ait pas comparu devant les délégués. Il ressort des éléments du dossier constitué par l'enquêteur Yahya Bal que celui-ci n'a pas entendu Abdurrahim Demir en tant que témoin oculaire.
La Commission relève que toutes les descriptions faites par Abdurrahim Demir concernant les lieux de détention et d'interrogatoire corroborent la version donnée à cet égard par Serdar Çevirme. Ce dernier reconnaît en outre qu'il y avait une ambiance chaotique lors des incidents survenus entre les 15 et 18 août et que des centaines de personnes avaient été placées en garde à vue. Par ailleurs, la Commission note que le préfet de Şırnak, lors de son audition devant les délégués, reconnaît avoir rencontré dans son bureau des personnes affirmant avoir vu Mehmet Ertak lors de la garde à vue ; il admet notamment avoir entendu un témoin oculaire.
La Commission relève qu'à toutes les questions posées par les délégués et les représentants des parties, Abdurrahim Demir a donné des réponses précises et détaillées, en particulier sur les sévices subis lors des interrogatoires, et qu'il a affirmé avec insistance et à plusieurs reprises que Mehmet Ertak était mort quand il avait été « jeté » dans la cellule. En conséquence, elle considère comme plausible son témoignage selon lequel il a vu Mehmet Ertak « mort » dans les locaux de la direction de la sûreté.
L'enquête sur la disparition alléguée de Mehmet Ertak
La Commission a constaté que le requérant avait adressé des demandes et posé des questions au procureur de la République de Şırnak ainsi qu'au préfet de Şırnak concernant la disparition de Mehmet Ertak. Quant à l'indépendance des organes d'enquête qui, à la suite de la demande écrite adressée le 4 novembre 1992 par le préfet de Şırnak à la direction générale de la sûreté, ont mené les investigations préliminaires ayant abouti à une décision de classement, la Commission observe qu'ils étaient composés d'un enquêteur et des membres du conseil administratif du département de Şırnak. L'enquêteur était un inspecteur de police. Il dépendait de la même hiérarchie administrative que les membres des forces de l'ordre contre lesquels il conduisait son enquête. Le conseil administratif qui, sur proposition de l'enquêteur, a décidé d'abandonner les poursuites, était présidé par le préfet adjoint et composé de hauts fonctionnaires du département, à savoir des directeurs, ou de leurs adjoints, des différents services de l'administration centrale. Ces hauts fonctionnaires étaient placés sous l'autorité du préfet qui était en même temps responsable, sur le plan juridique, des actes des forces de l'ordre en cause dans la présente affaire. L'inspecteur de police désigné comme enquêteur et les membres du conseil administratif ne présentaient donc pas les signes extérieurs d'indépendance, les garanties d'inamovibilité et les garanties légales susceptibles de les prémunir contre les pressions de leurs supérieurs hiérarchiques.
La Commission constate que l'enquêteur a interrogé quatre témoins dans une pièce de la direction de la sûreté de Şırnak. Elle note à cet égard que c'était la police locale qui était allée les chercher à leur domicile et qui les avait amenés à la direction de la sûreté. Or, dans les dépositions qui ont été recueillies, lesdits témoins nient complètement les faits allégués par le requérant. Par ailleurs, la Commission constate la forme stéréotypée et le contenu globalement similaire de ces dépositions. Elle note que l'enquêteur n'a pas interrogé le requérant et relève à cet égard qu'un procès-verbal, selon lequel İsmail Ertak avait quitté son domicile et était probablement parti pour Silopi, a été établi par la direction de la sûreté. Il ressort des faits que les témoins oculaires qui auraient pu apporter des éléments utiles au déroulement de l'enquête étaient cités par le requérant dans la plainte qu'il a déposée le 2 novembre 1992 auprès du parquet. Or les organes administratifs d'enquête n'ont formulé aucune demande d'audition de ces personnes, alors que la déposition de l'une d'entre elles, à savoir Abdullah Ertur, était en totale contradiction avec les propos qu'il avait tenus devant le préfet, Mustafa Malay.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Dans son mémoire, le Gouvernement n'a fourni aucune précision sur les dispositions légales internes pouvant avoir une incidence en l'espèce. Aussi la Cour se réfère-t-elle à l'aperçu du droit interne livré dans d'autres arrêts, et notamment Kurt c. Turquie du 25 mai 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998-III, pp. 1169-1170, §§ 56-62) ; Tekin c. Turquie du 9 juin 1998 (Recueil 1998-IV, pp. 1512-1513, §§ 25-29), et Çakıcı c. Turquie ([GC], n° 23657/94, §§ 56-67, CEDH 1999-IV).
A. Etat d'urgence
Depuis 1985 environ, de graves troubles font rage dans le Sud-Est de la Turquie entre les forces de l'ordre et les membres du PKK. D'après le Gouvernement, ce conflit a coûté la vie à des milliers de civils et de membres des forces de l'ordre.
Deux grands décrets concernant la région du Sud-Est ont été adoptés en application de la loi sur l'état d'urgence (loi n° 2935 du 25 octobre 1983). Le premier – le décret n° 285 (du 10 juillet 1987) – institue un gouvernorat de la région soumise à l'état d'urgence dans dix des onze départements du Sud-Est de la Turquie. Aux termes de son article 4 b) et d), l'ensemble des forces de l'ordre ainsi que le commandement de la force de paix de la gendarmerie sont à la disposition du gouverneur de région.
Le second – le décret n° 430 (du 16 décembre 1990) – renforce les pouvoirs du gouverneur de région, qu'il habilite par exemple à ordonner des transferts hors de la région de fonctionnaires et d'agents des services publics, notamment des juges et procureurs. Il prévoit en son article 8 :
« La responsabilité pénale, financière ou juridique, du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence ou d'un préfet d'une région où a été proclamé l'état d'urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l'exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens contre l'Etat devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l'Etat des dommages injustifiés subis par elle. »
B. Dispositions constitutionnelles sur la responsabilité administrative
L'article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution turque énonce :
« Tout acte ou décision de l'administration est susceptible d'un contrôle juridictionnel (...)
L'administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »
La disposition précitée ne souffre aucune restriction, même en cas d'état d'urgence ou de guerre. Le second alinéa ne requiert pas forcément d'apporter la preuve de l'existence d'une faute de l'administration, dont la responsabilité revêt un caractère absolu et objectif fondé sur la théorie du « risque social ». L'administration peut donc indemniser quiconque est victime d'un préjudice résultant d'actes commis par des personnes non identifiées ou des terroristes lorsque l'on peut dire que l'Etat a manqué à son devoir de maintenir l'ordre et la sûreté publics ou à son obligation de sauvegarder la vie et la propriété individuelles.
100. Des poursuites peuvent être engagées contre l'administration devant les juridictions administratives, dont la procédure est écrite.
C. Droit pénal et procédure pénale
101. Le code pénal turc érige en infraction le fait :
– de priver arbitrairement un individu de sa liberté (article 179 en général et article 181 pour les fonctionnaires) ;
– de proférer des menaces (article 191) ;
– de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 et 245) ;
– de commettre un homicide involontaire (articles 452 et 459), un homicide volontaire (article 448) ou un assassinat (article 450).
102. Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur qui est informé de quelque manière que ce soit d'une situation permettant de soupçonner qu'une infraction a été commise est tenu d'enquêter sur les faits pour décider s'il y a lieu d'engager des poursuites (article 153). Les plaintes peuvent être écrites ou orales. Le plaignant peut faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites.
D. Dispositions de droit civil
103. Tout acte illégal commis par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'une infraction pénale ou d'un délit civil, provoquant un dommage matériel ou moral, peut faire l'objet d'une action en réparation devant les juridictions civiles de droit commun. Aux termes de l'article 41 du code des obligations, toute personne victime d'un dommage résultant d'un acte illégal peut demander réparation à l'auteur présumé de celui-ci, qu'il ait agi délibérément, par négligence ou par imprudence. Les juridictions civiles peuvent accorder réparation au titre des dommages patrimoniaux (article 46 du code des obligations) ou extrapatrimoniaux (article 47 du même code).
E. Impact du décret n° 285
104. Dans le cas d'actes de terrorisme présumés, le procureur est privé de sa compétence au profit d'un système distinct de procureurs et de cours de sûreté de l'Etat répartis dans toute la Turquie.
105. Le procureur est également privé de sa compétence s'agissant d'infractions imputées à des membres des forces de l'ordre dans la région soumise à l'état d'urgence. Le décret n° 285 prévoit en son article 4 § 1 que toutes les forces de l'ordre placées sous le commandement du gouverneur de région sont assujetties à la loi de 1914 sur les poursuites dont les fonctionnaires peuvent faire l'objet pour les actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions. Dès lors, le procureur qui reçoit une plainte dénonçant un acte délictueux commis par un membre des forces de l'ordre a l'obligation de décliner sa compétence et de transférer le dossier au conseil administratif. Ce dernier se compose de fonctionnaires et est présidé par le gouverneur. S'il décide de ne pas poursuivre, sa décision fait automatiquement l'objet d'un recours au Conseil d'Etat. Une fois prise la décision de poursuivre, c'est au procureur qu'il incombe d'instruire l'affaire.
III. documents internationaux pertinents
106. Dans ses observations écrites à la Cour, le requérant attire l'attention sur des documents internationaux concernant la question des disparitions forcées, tels que :
– la Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (A.G. Res. 47/133, 18 décembre 1992),
– la jurisprudence du Comité des droits de l'homme des Nations unies (CDH),
– la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, notamment les arrêts Velásquez Rodríguez c. Honduras du 29 juillet 1988 (Inter-Am. Ct. H. R. (Ser. C) n° 4) (1988)), Godínez Cruz c. Honduras du 20 janvier 1989 (Inter-Am. Ct. H. R. (Ser. C) n° 5) (1989)), et Cabellero-Delgado et Santana c. Colombie du 8 décembre 1995 (Inter-Am. Ct. H. R.).
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
107. İsmail Ertak a saisi la Commission le 1er octobre 1992. Il alléguait que son fils, Mehmet Ertak, avait été placé en garde à vue, qu'il avait disparu et qu'il avait très probablement été tué par les forces de l'ordre lors de son interrogatoire. Il invoquait l'article 2 de la Convention.
108. La Commission a retenu la requête (n° 20764/92) le 4 décembre 1995. Dans son rapport du 4 décembre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l'avis unanime qu'il y a eu violation de l'article 2 de la Convention en raison de la mort de Mehmet Ertak causée par les agents de l'Etat et de l'absence d'une enquête adéquate et efficace sur les circonstances de la disparition de celui-ci (unanimité), et qu'il n'y a pas eu violation de l'ancien article 25 de la Convention (vingt-huit voix contre deux).
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
109. Dans son mémoire, le requérant invite la Cour à constater que l'Etat défendeur a enfreint l'article 2 de la Convention. Il prie la Cour d'octroyer, à lui-même ainsi qu'à la veuve et aux quatre enfants de son fils, une satisfaction équitable en vertu de l'article 41 de la Convention.
110. Dans son mémoire, le Gouvernement demande, quant à lui, à la Cour de dire que l'affaire est irrecevable faute d'épuisement des voies de recours internes. A titre subsidiaire, il fait valoir que les griefs du requérant ne sont étayés par aucun élément de preuve. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Le contexte
Quotidien publié à Bergen, le premier requérant, Bergens Tidende, est le plus grand journal régional de la côte ouest norvégienne. Le deuxième requérant, M. Einar Eriksen, est son ancien rédacteur en chef, et la troisième requérante, Mme Berit Kvalheim, est une journaliste employée par le quotidien. M. Eriksen et Mme Kvalheim sont nés en 1933 et 1945 respectivement et ils résident tous deux à Bergen.
Le Dr R. est chirurgien plasticien ; il reçut sa formation à l'hôpital Haukeland de Bergen dans les années 70. A partir de 1975, il a pratiqué la chirurgie esthétique dans son cabinet privé de Bergen.
Le 5 mars 1986, à l'occasion de l'ouverture d'une nouvelle clinique par lui, Bergens Tidende publia un article rédigé par la troisième requérante qui décrivait le travail du Dr R. et les avantages de la chirurgie esthétique.
Par la suite, toute une série de femmes qui avaient subi des opérations de chirurgie esthétique chez le Dr R. et qui se disaient mécontentes des soins reçus prirent contact avec le journal.
B. Les publications à l'origine de la procédure en diffamation intentée contre les requérants
Le 2 mai 1986, Bergens Tidende publia en page de couverture un texte intitulé « L'embellissement a tourné à la défiguration », qui comportait le passage suivant :
« “Nous avons payé des milliers de couronnes [norvégiennes] [NOK], avec pour seul résultat que nous sommes maintenant défigurées et brisées à vie.” Bergens Tidende s'est entretenu avec trois femmes qui ont une histoire à peu près identique à raconter au sujet de leur passage dans une clinique de chirurgie esthétique à Bergen. Toutes trois voulaient se faire remodeler la poitrine, et les opérations ont donné des résultats désastreux. Elles avertissent les autres femmes. »
L'article s'accompagnait également d'une photo d'une femme en buste dont la légende était la suivante :
« Cette femme était tourmentée par son abondante poitrine. La chirurgie l'a laissée avec des cicatrices horribles et des seins disproportionnés. »
A l'intérieur du journal on trouvait, accompagné d'une grande photographie en couleur montrant la poitrine d'une femme abîmée par de vilaines cicatrices, l'article suivant :
« Des femmes brisées à vie à la suite d'une opération de “chirurgie esthétique”
“J'ai payé 6 000 NOK, et tout ce à quoi j'ai abouti c'est à me faire défigurer.”
“C'est peu dire que je regrette amèrement. Je suis brisée à vie et je ne serai plus jamais celle que j'étais.”
“La douleur était insupportable. En l'espace de quelques jours, j'ai été transformée en une épave anxieuse et tremblante de nervosité, et j'ai pensé que j'allais mourir.”
Les propos ci-dessus émanent de trois femmes différentes interviewées par Bergens Tidende. Les intéressées, qui ont entre 25 et 40 ans et résident à Bergen, ont toutes subi une mammoplastie pratiquée par le Dr R., l'un des deux spécialistes de chirurgie plastique exerçant en privé à Bergen.
Les trois femmes – qui souhaitent demeurer anonymes – disent avoir subi des épreuves cauchemardesques. Toutes ont des cicatrices, tant internes qu'externes, avec lesquelles elles devront vivre le restant de leur vie.
“J'ai été opérée en mai 1984 à la suite d'une longue période au cours de laquelle j'ai souffert de graves problèmes psychologiques dus au fait qu'après avoir eu plusieurs enfants j'avais des seins petits et tombants”, déclare l'une des femmes, âgée de 29 ans.
Poitrine tuméfiée
“Immédiatement après l'opération, j'ai remarqué que quelque chose n'allait pas. L'un de mes seins avait enflé et était devenu dur et douloureux. Lorsque je consultai le Dr R., il dédramatisa la chose, disant qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter. Tout cela allait passer. Il me dit également qu'en aucun cas je ne devais consulter un autre médecin.
Pendant une semaine, je suis demeurée à la maison, hébétée de douleur et avalant des comprimés de Paralgin Forte comme s'il s'agissait de bonbons. Avant cela, le médicament le plus fort qu'il m'arrivait de prendre était le Dispril, et encore, cela arrivait rarement. Ma poitrine enfla pour atteindre des proportions grotesques, et elle devint sensible au point de rendre insupportable le contact le plus léger.
Il était impossible de joindre le Dr R., qui était parti à Paris, et je n'osais pas prendre contact avec un autre médecin. C'est seulement maintenant que je me rends compte à quel point j'ai été bête.”
Des prothèses qui giclent
La secrétaire du médecin réussit finalement à joindre le Dr R. par téléphone à Paris, lui expliqua la gravité de la situation et lui recommanda de gagner immédiatement son bureau une fois arrivé à l'aéroport la nuit de son retour.
“La douleur était devenue insupportable, et tant alors qu'ultérieurement je réagis violemment au traitement brutal qui me fut administré”, déclare la femme. “Une fois que je fus allongée sur la table d'opération, le Dr R. arracha les points de suture et sorti la prothèse sans m'avoir administré le moindre anesthésique. Le contenu de la prothèse gicla alors sur lui, éclaboussant son assistant et se répandant sur moi-même.”
Assis dans la salle d'attente, le mari entendit les cris de douleur de sa femme. L'intervention dura au total treize minutes et il ne fut pas question ensuite pour la patiente de se reposer : il lui fallut se lever de la table d'opération et sortir.
Trois mois de congé de maladie
“Tout le temps, le Dr R. nous donna l'impression que nous l'importunions et que nous prenions son précieux temps.”
La femme mit beaucoup de temps à se remettre de cette expérience traumatisante. Elle dut se faire porter malade et resta absente de son travail pendant trois mois. Son mari fut lui aussi obligé de demander à pouvoir s'absenter de son travail afin de rester auprès de sa femme pendant quelque temps.
Pendant toute cette période, l'intéressée n'eut plus de prothèse que dans un sein et, malgré les épreuves qu'elle avait subies, elle prit à nouveau contact avec le Dr R. afin de se faire poser un nouvel implant de silicone dans le sein vide. Après plusieurs reports de l'opération, elle décida finalement qu'elle n'avait plus rien à faire avec le Dr R. et prit contact avec un autre chirurgien plasticien. Elle demanda à être remboursée de l'opération manquée et, après quelques discussions, le Dr R. accepta de rembourser la moitié des frais.
Pas de reçu
Il le fit en ajoutant le commentaire suivant : “J'espère maintenant que nous en avons fini pour de bon l'un avec l'autre. Vous n'avez jamais été ma patiente et je ne vous ai jamais vue.”
Depuis lors, l'intéressée a également réagi au côté financier des activités du Dr R. On l'avait préalablement informée qu'elle devrait apporter l'argent – 6 000 NOK – en liquide le jour de l'opération. Même un chèque ne serait pas accepté, et on ne lui délivra pas de reçu.
Infection douloureuse
Une femme de 37 ans fait un récit analogue.
“Je voulais subir une opération parce que mes seins volumineux et lourds me causent de graves problèmes, tels que des douleurs dans les épaules et dans le dos. J'ai tout d'abord cherché à savoir s'il était possible de subir ce genre d'opération à l'hôpital, mais on me déclara qu'il y avait au moins un an d'attente. J'ai donc décidé de m'adresser au Dr R.
Résultat : pendant quatre à cinq mois, j'ai souffert en permanence d'une infection douloureuse et ma poitrine était bien plus laide qu'auparavant.”
“J'ai payé 6 000 NOK et j'ai juste réussi à me faire du tort”, déclare l'intéressée.
Vilaines cicatrices
L'infection qui survint immédiatement après l'opération entraîna l'ouverture des points de suture et l'apparition de poches séreuses. Une fois cellesci résorbées, la patiente conserva de vilaines cicatrices, d'une taille anormalement importante, qui l'amenèrent à reprendre contact avec le Dr R. et à lui demander de réparer les dégâts.
Le Dr R. accepta, et une nouvelle opération fut programmée. La patiente, qui avait demandé trois jours de congé à son employeur pour l'opération se présenta à la clinique à la date prévue mais trouva porte close. Elle rentra chez elle avec son problème. Elle réussit à joindre le Dr R. lui-même plus tard dans la journée, mais il se montra désagréable et la menaça directement, puis il mit fin à la conversation en raccrochant violemment, déclare l'intéressée.
Après cela elle laissa tomber et n'a plus eu de contacts avec le Dr R. depuis.
Gaspillage
“J'ai été très amère lorsque je me suis rendu compte que j'avais investi beaucoup de temps, d'argent et d'énergie mentale dans quelque chose qui non seulement s'avéra être un gaspillage complet, mais qui de surcroît me fit plus de mal que de bien.”
Cette femme déclare, elle aussi, qu'elle fut invitée à payer cash et qu'on ne lui délivra aucune forme de reçu.
Déformée
La troisième femme interviewée par Bergens Tidende a vécu une expérience analogue. Agée de 31 ans, elle raconte : “Je me suis fait gonfler la poitrine et, le premier jour après l'opération, je me suis rendu compte que quelque chose n'allait pas avec un de mes seins. Il était irrégulier, pointait vers la droite et, était tout dur et infecté. Presque deux ans se sont écoulés depuis et il est toujours dur et irrégulier. Je me sens complètement déformée et je n'oserais même pas songer à me montrer sur une plage, par exemple.”
Complications
Cette femme, eut, elle aussi, des complications après l'opération, essentiellement sous la forme de « capsules » toujours récurrentes, c'est-à-dire qu'une partie de la prothèse durcissait et devait être à nouveau rompue.
“Après quelques semaines, je ne pouvais tout simplement plus supporter mon état. Je n'avais plus confiance dans le Dr R. ni dans ses méthodes de traitement”, déclare l'intéressée, qui, comme les deux autres patientes interrogées par Bergens Tidende, tiqua lorsqu'on lui demanda de payer cash sans reçu.
Elle est également profondément choquée par ce qu'elle ressent comme de la désinvolture et de la nonchalance dans la manière dont elle fut traitée lors de sa première visite chez le médecin.
“J'avais un rendez-vous à midi trente, mais on me déclara que le médecin n'avait pas le temps de me voir. Je fus invitée à revenir un autre jour. Mais je m'étais tellement préparée à l'idée que ce serait fait ce jour-là que je refusai simplement de partir. C'était maintenant ou jamais.”
Regrets amers
“Après trois ou quatre heures d'attente, je me retrouvai finalement sur la table d'opération, et s'il y a quelque chose que je regrette à présent c'est bien cela.
L'opération ne fut pas une réussite, je le compris immédiatement. Après deux ou trois semaines de « traitements » répétés et de molles tentatives entreprises par le médecin pour réparer sa gaffe, j'en eus assez et je renonçai.”
Insupportable
L'intéressée n'entreprit aucune démarche pour récupérer l'argent qu'elle avait payé. “Je ne supportais pas l'idée de me battre – car je savais qu'il faudrait que je me batte.”
Pratiquement deux ans ont passé depuis l'opération calamiteuse, mais l'infortunée n'a toujours pas réussi à se remettre suffisamment de son expérience effrayante pour prendre contact avec un autre médecin afin de se faire réopérer.
“Il faut que je le fasse, parce que je ne peux pas vivre avec cela. Toutefois, ces mauvaises expériences sont encore tellement présentes dans mon esprit que je n'ai toujours pas pu me ressaisir suffisamment pour entreprendre quelque démarche que ce soit à cet égard”, déclare-t-elle. »
Des articles analogues à celui du 2 mai 1986 cité ci-dessus et agrémentés de grandes photographies en couleur parurent les 3, 5, 7 et 9 mai 1986, décrivant en détail la manière dont des femmes avaient vécu leur situation après des opérations qu'elles estimaient ratées et un manque de soins et de suivi de la part du Dr R. Certains des articles invitaient les femmes concernées à se plaindre aux autorités de la santé et à engager des procédures contre le médecin. Un article indiquait que la direction de la santé (Helsedirektoratet) allait entamer des investigations, que le Dr R. pourrait perdre son droit d'exercer et que la question d'une enquête policière avait été soulevée. De brefs résumés du contenu des articles figurent dans l'arrêt rendu par la Cour suprême (Høyesterett) norvégienne le 23 mars 1994, qui se trouve cité au paragraphe 24 ci-dessous.
Dans un éditorial du 12 mai 1986, paru sous le titre « Le pouvoir médical », Bergens Tidende écrivit :
« C'est évidemment avec satisfaction que nous voyons à présent les autorités de la santé mener une enquête approfondie au sujet des activités que le mammoplasticien de Bergen exerce maintenant depuis de nombreuses années. C'est bien le moins qu'on pouvait attendre. Il doit être dans l'intérêt de tous – patients, autorités et médecins – que l'on tire au clair la question de savoir si les méthodes de traitement appliquées correspondaient aux normes de la profession. Le fait que l'affaire a aussi des implications graves, dès lors qu'elle a des conséquences esthétiques, morales, mais aussi bassement terre à terre [trivielle] et financières, fait mieux apparaître encore la nécessité d'une enquête approfondie.
On n'arrive toutefois pas à comprendre pourquoi il a fallu toute une série d'articles de journaux, d'annonces brutales et de propos sans détour de journalistes pour amener les bureaucrates du service de la santé à réagir. Les plaintes adressées à l'ordre des médecins n'ont produit aucun résultat, et ni les autorités régionales ni les autorités municipales de la santé n'ont pris la moindre initiative avant que, en désespoir de cause, les patientes n'adressent le récit de leurs souffrances à Bergens Tidende. Une fois de plus, on se demande ce qu'il faut pour rompre les liens professionnels puissants qui existent au sein de la profession médicale et pour préserver l'intérêt des patients. Quoi qu'il en soit, cela justifie la réflexion que les patients, pendant de nombreuses années, se sentent menacés par crainte de « représailles ». Que cette crainte soit imaginaire ou réelle, elle est révélatrice du rapport de pouvoir qui existe toujours entre les médecins et leurs patients.
Faire tomber les mythes et recréer la confiance sont des conditions essentielles au processus de guérison. Aussi est-il important d'obtenir une parfaite clarification de l'affaire dans toutes ses dimensions.
Malheureusement, l'initiative de cette enquête ne vient pas du milieu médical mais de la partie la plus faible : le patient. »
C. Autres articles
Le 2 mai 1986, Bergens Tidende fit également paraître, au bas de la page où figurait l'article litigieux mentionné au paragraphe 12 ci-dessus, un article contenant un entretien avec le Dr Gunnar Johnsen, chirurgien plasticien à l'hôpital de Bergen, qui était intitulé « Forme exigeante de chirurgie – Peu de marge entre le succès et l'échec ». Le spécialiste y déclarait :
« “Il y a des cas limites mais, d'une manière générale, la chirurgie esthétique/psychologique (...) ne relève pas de la responsabilité des autorités de la santé publique. (...)”
– “Beaucoup de personnes n'ont-elles pas des attentes peu réalistes et ne croient-elles pas que tous leurs problèmes seront résolus si l'on aplanit leurs imperfections ?”
“Cela arrive, et dans ce cas les problèmes des patients se situent plus sur le plan psychologique que sur le plan physique.”
L'information est importante
“C'est une des raisons essentielles pour lesquelles il importe que les patients – ou plutôt les clients (...) – soient dûment informés à l'avance. Il arrive fréquemment que des informations doivent être fournies afin de tempérer les attentes, de façon à ce que la personne concernée ne soit pas déçue du résultat. Cela dit, la plupart des gens sont satisfaits de leur nouvelle apparence (...)
Vous avez les mêmes problèmes – risques d'hémorragie et d'infection, pour l'essentiel – dans ce domaine que dans tout autre domaine de la chirurgie, et les conditions générales relatives aux mesures de précaution et à la sécurité médicale sont tout aussi strictes.”
Spécialité exigeante sur le plan technique
“La chirurgie esthétique peut être exigeante sur le plan technique, et il y a souvent peu de marge entre le succès et l'échec. Pour cette raison notamment, il importe de posséder une vaste expérience de la chirurgie classique acquise dans des hôpitaux ordinaires avant de commencer à exercer la profession dans le cadre d'un cabinet privé. Mais le transfert d'expérience peut se faire dans les deux sens.” (...) »
Le numéro de Bergens Tidende du 2 mai 1986 contenait également un entretien avec le Dr R. intitulé « Il y aura toujours des patients mécontents », dans lequel on pouvait lire :
« “Je ne puis m'exprimer au sujet de ces cas particuliers, en partie parce que je suis lié par l'obligation générale de confidentialité, en partie parce que je ne connais pas les détails des affaires. Tout ce que je puis dire est que, dans le domaine de la chirurgie plastique comme dans tout autre domaine chirurgical, il existe une certaine marge d'erreur et il y aura toujours des patients mécontents.”
Tels sont les commentaires livrés à Bergens Tidende par le Dr [R.] au sujet des plaintes formulées par les trois femmes.
“Des complications prenant la forme d'un durcissement des seins (...) se produisent dans quelque 15 à 20 % de l'ensemble des opérations des seins, et les risques d'hémorragie et d'infection sont les mêmes dans le domaine de la chirurgie plastique que pour toute autre forme d'opération. Mais je tiens à souligner que l'ensemble des patientes sont informées à l'avance des dangers possibles et du fait que le résultat de l'opération n'est pas toujours aussi satisfaisant qu'on pouvait l'espérer”, déclare le Dr R., qui souligne de surcroît que trois patientes mécontentes, cela représente un nombre relativement minime, rapporté au volume de son activité au cours des quelques dernières années. (...) »
D'après la déposition faite par elle devant la cour d'appel dans la procédure mentionnée ci-dessous, la troisième requérante s'était adressée au Dr R. en rapport avec l'interview précitée, l'avait invité à s'exprimer au sujet des allégations des trois femmes et l'avait informé qu'elles avaient consenti à le libérer de son obligation de confidentialité. Il avait répondu qu'il se trouvait lié par son obligation générale de confidentialité médicale, qui s'appliquait indépendamment de la question de savoir si le patient avait ou non donné pareil consentement. Dans ladite procédure, le Dr R. contesta la version des faits donnée par la troisième requérante, affirmant qu'il était absolument certain que l'intéressée ne l'avait pas informé que les patientes avaient levé son obligation de respecter le secret médical.
Le 14 mai 1986, Bergens Tidende publia deux articles livrant des commentaires sur les articles critiques publiés plus tôt dans le mois.
Dans le premier, intitulé « La presse – pilori d'aujourd'hui », Mme K. Thue rappelait l'histoire des chasses aux sorcières qui avaient eu lieu pendant le Moyen Age et qualifiait de forme moderne de chasse aux sorcières menée par la presse la manière dont Bergens Tidende avait rendu compte des récits des patientes mécontentes du Dr R. Elle soulignait que, tenu au secret professionnel, le médecin n'était pas en mesure de répondre, ne pouvait se référer au nombre important de patientes satisfaites et ne pouvait étayer son assertion selon laquelle celles-ci constituaient la grande majorité de ses patientes.
Le second article, écrit par M. R. Steinsvik, était intitulé « Il y a toujours deux versants à une affaire ». On pouvait y lire :
« Nous sommes préoccupées par le fait que les projecteurs ont récemment été braqués sur l'activité du Dr [R.]. Nous sommes un groupe de trente personnes qui ont en commun d'avoir été des patientes du Dr R. Nous sommes satisfaites des traitements reçus, et notamment du service et des soins fournis dans le cadre du traitement et du suivi postopératoires.
Une affaire présente toujours deux versants, et par ces mots nous espérons avoir fait connaître notre avis sur le médecin mis en cause et sur notre expérience de patientes chez lui. »
D. Recours administratif formé par d'anciennes patientes du Dr R.
A la suite de la publication des articles par Bergens Tidende, dix-sept anciennes patientes adressèrent aux autorités de la santé des plaintes dirigées contre le Dr R. Le 8 octobre 1986, M. Eskeland, l'expert médical désigné pour évaluer la situation, conclut qu'il n'y avait aucune raison de critiquer les soins chirurgicaux administrés à ses patientes par le Dr R. Il précisa que les complications incriminées étaient courantes en chirurgie, qu'il était inévitable qu'elles survinssent de temps à autre et qu'elles n'étaient pas dues à des fautes imputables au Dr R. Dans un cas, il critiqua le fait que le Dr R. s'était rendu à l'étranger sans en avoir informé une patiente opérée relativement peu de temps auparavant. Il observa que, rapporté au grand nombre de patientes traitées par le Dr R. – environ 8 000 entre 1975 et 1986 –, le nombre de plaintes était modéré. Eu égard au fait que les articles publiés par Bergens Tidende avaient invité les anciennes patientes du médecin à se plaindre, il était surprenant que l'on n'eût pas enregistré plus de plaintes.
Le 3 novembre 1986, la direction de la santé décida d'en rester là, estimant que le Dr R. n'avait pas méconnu les normes de la profession.
E. Procédure en diffamation intentée par le Dr R.
Après la publication des articles de presse, le Dr R. reçut moins de patientes et eut à affronter des difficultés financières. Il dut fermer son cabinet en avril 1989.
Dans l'intervalle, le 22 juin 1987, il avait engagé une procédure en diffamation contre les requérants, leur réclamant des dommages-intérêts. Par un jugement du 12 avril 1989, le tribunal municipal de Bergen enjoignit aux requérants de verser au Dr R. un total de 1 359 500 NOK pour ses dommages matériel et moral et pour ses frais. Il considéra que la perte financière subie par le Dr R. s'élevait à plusieurs millions de couronnes et qu'il y avait lieu d'effectuer à ce sujet une appréciation en équité. Il observa que si les critiques dirigées contre le Dr R. avaient été proférées d'une manière injustifiée, qui avait détruit la confiance du public dans ses capacités de chirurgien, pour l'essentiel elles trouvaient leur origine dans le comportement de l'intéressé lui-même. Il jugea approprié d'allouer au plaignant une indemnité de 75 % inférieure aux montants réclamés.
Tant les requérants que le Dr R. attaquèrent ce jugement devant la cour d'appel (lagmannsrett) de Gulating, qui statua en faveur des premiers, considérant notamment :
« Après avoir examiné les preuves, la cour d'appel estime que les articles rendent correctement compte, pour l'essentiel, des expériences des femmes telles que celles-ci les ont vécues. Entendues comme témoins, les intéressées ont donné l'impression que, dans une certaine mesure, les journaux avaient édulcoré leur récit. La cour d'appel les juge crédibles et ne décèle aucune raison de croire que leurs expériences subjectives ne correspondent pas à ce qui s'est objectivement produit ; en d'autres termes, elles avaient des motifs raisonnables d'éprouver les sentiments qui ont été les leurs et qui ont été décrits par le journal. La cour d'appel ne se fonde pas exclusivement sur les déclarations fournies par les trois femmes concernées. Elle juge également établi que le journal a été contacté par une série d'autres femmes qui avaient des récits analogues à faire. Par la suite, après que l'article du 3 mai [1986] eut été publié, avec un appel à se joindre à une action en justice lancé aux femmes par N.H., de nombreuses autres femmes se manifestèrent. La cour d'appel juge établi que le nombre de femmes [qui accomplirent cette démarche] dépasse la centaine. A cet égard, elle fonde son jugement essentiellement sur les déclarations recueillies auprès des [deuxième et troisième requérants] et de N.H., et plusieurs des femmes en question ont également comparu en qualité de témoins devant la cour d'appel et ont fait des dépositions. Elles ne représentent qu'une faible portion de l'ensemble des femmes qui se sont mises en rapport avec Bergens Tidende et N.H. Au total, quatorze femmes mécontentes ont déposé, auxquelles est venu s'ajouter le mari d'une patiente. Toutefois, c'est en grande partie la même histoire que l'on retrouve dans les dépositions : des complications sont intervenues, ou le résultat était mauvais et le traitement postopératoire fourni par le Dr R. a été ressenti comme peu satisfaisant et administré avec peu d'intérêt, quelque irritation et de la mauvaise volonté. Plusieurs femmes dénoncèrent le peu de compassion dont le Dr R. avait fait preuve face à leur douleur et à leur inconfort, mental autant que physique. Certaines avaient l'impression que le Dr R. aurait préféré en avoir terminé avec elles après l'opération et n'avait pas organisé comme il fallait le traitement postopératoire. Certaines femmes craignaient que le Dr R. ne leur eût pas dispensé les soins postopératoires adéquats. Ce que beaucoup de femmes soulignent également, c'est qu'elles ont été frappées par le fait que le Dr R. se montrait très intéressé par le côté financier des opérations ; il voulait être payé à l'avance, n'était pas disposé à accepter des chèques et ne fournissait pas de reçu, sauf sur demande expresse. (...)
Sur la base de ce qui précède, la cour d'appel juge établi que le Dr R. gérait son cabinet d'une manière telle que beaucoup des femmes ayant souffert de complications ont vécu des expériences qui leur ont donné des motifs raisonnables de croire qu'elles n'avaient pas bénéficié de soins suffisants, de ressentir de l'angoisse concernant le traitement reçu et, dans plusieurs cas, de se sentir offensées par le comportement du Dr R. Par ailleurs, elle considère que les expériences décrites dans l'article du 2 mai [1986] sont représentatives de celles vécues par beaucoup d'autres femmes.
Ainsi, la cour d'appel estime que les trois femmes mentionnées dans l'article du 2 mai [1986] n'étaient pas spécialement sensibles et n'avaient pas des attentes exagérées, et elle juge que leurs récits sont sobres et constituent des comptes rendus non excessivement subjectifs de ce qui s'est produit. Eu égard aux informations disponibles concernant des plaintes formulées par d'autres femmes, elle est également convaincue qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une ou deux exceptions isolées. En ce qui concerne le Dr R., on peut raisonnablement considérer qu'il lui est arrivé, dans un nombre relativement important de cas où les suites opératoires nécessitaient un effort supplémentaire, d'adopter un comportement critiquable. Cela ne veut pas dire qu'il ait agi de cette manière dans la plupart des cas ou dans un nombre particulièrement élevé de cas. Il s'agit tout au plus d'une minorité de cas. Et il convient de souligner que rien n'a été dit qui prouve que la compétence chirurgicale du Dr R. laissait à désirer.
Toutefois, le fait que ledit comportement se soit produit dans une série de cas fournit une base devant permettre à des critiques dirigées contre le Dr R. de venir sous les feux de l'actualité dans les journaux. La cour d'appel renvoie à ce qui a été dit ci-dessus au sujet du droit pour le public et les consommateurs en général d'être tenus informés et de réagir en s'abstenant, par mesure de précaution. Il convient de faire observer que les personnes qui ont pris contact avec le journal au début l'ont fait en réaction à l'article paru dans Bergens Tidende le 5 mars [1986], qui brossait un tableau de l'activité du Dr R. sans en mentionner les inconvénients. Bergens Tidende soutient qu'au vu de l'article du 5 mars il s'est senti obligé de se faire l'écho des critiques des femmes, ce que la cour d'appel peut tout à fait comprendre.
Le 3 mai [1986], Bergens Tidende publia un article dans lequel N.H. décrivait le traitement reçu par elle à la clinique du Dr R. et invitait les femmes se trouvant dans une situation analogue à s'allier pour poursuivre le médecin en justice. La cour d'appel estime prouvé, de la même manière que pour les trois femmes dont parlait l'article du 2 mai, que les expériences de N.H. ont été décrites de manière correcte et que les sentiments subjectifs éprouvés par elle peuvent raisonnablement passer pour être en relation directe avec ce qui s'était produit. La même observation vaut pour ce qui parut le 5 mai au sujet de l'expérience vécue par une dame de Bergen âgée de 26 ans. La cour d'appel considère également que ce qui fut dit le même jour au sujet des appels téléphoniques adressés à N.H. (« Une avalanche d'appels téléphoniques ») est correct. (...)
En ce qui concerne le compte rendu des expériences vécues par les femmes, ce qui est paru dans Bergens Tidende est donc, pour l'essentiel, exact. Par ailleurs, ces expériences subjectives étaient de nature à donner une idée de ce à quoi pouvait aboutir un traitement dispensé par le Dr R., et pas seulement dans de rares cas exceptionnels. (...)
Ce qui frappe dans les déclarations que le Dr R. a attaquées, c'est que celles-ci commentent en des termes virulents les résultats des traitements dispensés par le Dr R. : « défigurées », « brisées à vie », « mutilées », etc. Il apparaît à suffisance que les déclarations décrivent ici les résultats des traitements administrés par le Dr R. En revanche, rien n'y suggère un manque de compétences professionnelles de la part du Dr R. Il faut supposer que les lecteurs du journal savaient que lorsqu'une opération ne donne pas un bon résultat, cela n'est pas nécessairement dû à un manque d'habileté du chirurgien. Le Dr R. soutient que des termes tels que « brisée », « défigurée », etc., évoquent des actions visant à briser et à défigurer, et que le lecteur est donc immédiatement porté à croire qu'une personne – le Dr R. – s'est rendue coupable de pareil comportement. La cour d'appel considère que, d'un point de vue linguistique, les déclarations s'appliquent uniquement au résultat purement objectif des opérations.
Une autre question est de savoir si les déclarations sont trompeuses au motif qu'elles donnent l'impression que les conséquences ont été plus graves que cela n'a été le cas en réalité. La cour d'appel juge qu'il n'en est pas ainsi, surtout si l'on tient compte du fait que c'est la manière dont les opinions subjectives des femmes ont été rapportées qui est en cause. Etre « défigurée » signifie avoir une vilaine marque d'une certaine importance sur son corps, et la cour d'appel estime que les femmes qui, d'après Bergens Tidende, ont utilisé cette expression avaient de bonnes raisons de le faire. La même observation peut être faite au sujet du terme « mutilée ». Quant au terme « brisée », il doit sans doute être compris comme véhiculant un sens plus fort, mais il doit passer pour justifié dans le cas de femmes dont les seins portent de grandes cicatrices ou sont devenus gauches, durs, asymétriques ou sensibles au toucher, eu égard à l'effet que ces problèmes doivent avoir eu, non seulement sur la relation des femmes avec leur mari, mais également à d'autres égards : on peut imaginer ce que signifie ne pouvoir faire un câlin à son enfant ou à son petit-enfant à cause d'une sensibilité ou dureté excessives des seins. D'après ce que la cour d'appel juge établi sur la foi des témoignages, c'est notamment eu égard à ces résultats que le journal a utilisé les expressions incriminées.
Si en conséquence les déclarations litigieuses ne peuvent passer pour une allégation directe selon laquelle le Dr R. manquait de savoir-faire chirurgical, Bergens Tidende n'a pas non plus affirmé que le chirurgien ne manquait pas de compétence. Tant les déclarations individuelles que les articles dans leur ensemble donnent l'impression que la question est posée de savoir si le Dr R. a toujours dispensé des traitements correspondant aux normes de la profession médicale. Au vu des informations fournies par les femmes, toutefois, il était normal de soulever cette question ; plusieurs des femmes l'ont mentionnée et toute personne lisant uniquement les comptes rendus aurait tendance à se la poser. Il ne pouvait donc être illégitime pour Bergens Tidende de la formuler.
Le Dr R. se plaint également de ce que Bergens Tidende ait véritablement mené une campagne de persécution contre lui. La cour d'appel considère que tel n'est pas le cas. En particulier, le journal doit avoir le droit de croire que les femmes devraient y songer à deux fois avant de consulter le Dr R., et le droit de publier des articles en ayant cela à l'esprit. (...)
L'avis de la cour d'appel peut se résumer comme suit :
Dans le cabinet du Dr R., un nombre non négligeable de cas de mauvais suivi, de comportement critiquable et d'autres incidents se sont produits, fournissant à de nombreuses femmes des motifs raisonnables d'être déçues et d'estimer ne pas avoir été bien traitées. La cour d'appel fonde cette appréciation des preuves essentiellement sur les déclarations des femmes et sur leur comportement devant la justice. Bergens Tidende avait le droit d'écrire à ce sujet et de se faire l'écho de la façon dont les femmes, dans leur subjectivité, avaient vécu l'expérience du traitement. Le journal l'a fait d'une manière qui, pour l'essentiel, était correcte. Dans la mesure où ses articles auraient pu donner l'impression qu'il y avait matière à mettre en cause les compétences professionnelles du Dr R., il s'agissait là tout au plus d'un soupçon, auquel le comportement de l'intéressé pouvait raisonnablement donner prise, et, en conséquence, il y a lieu de considérer que le journal était fondé à s'exprimer sur le sujet. Si cela a entraîné des pertes financières pour le Dr R., cela s'explique par la nature extrêmement sensible de l'activité exercée par lui.
[Les requérants] sont donc libérés de l'obligation de verser des dommages-intérêts, et la cour d'appel n'examinera pas la question de l'étendue des pertes financières subies par le Dr R.
De surcroît, la cour d'appel juge ne pas pouvoir accueillir la demande d'indemnité pour dommage moral et, se référant à ce qui a été dit ci-dessus, estime que la manière dont Bergens Tidende a couvert l'affaire n'est pas illicite. »
Le Dr R. attaqua l'arrêt précité devant la Cour suprême. D'après lui, le jugement rendu initialement par le tribunal municipal était correct en principe, sauf que la somme allouée n'aurait pas dû être réduite pour cause de manquements de sa part. Il estimait que, même si l'appréciation des preuves faite par la cour d'appel au sujet de l'allégation de manque de précaution et de suivi devait être acceptée, cela ne pouvait avoir qu'un effet marginal sur le montant du dédommagement. Il soutenait notamment que les articles du journal s'analysaient en une exécution publique du Dr R. en sa qualité de chirurgien plasticien, eu égard au fort accent mis par eux sur des opérations non couronnées de succès et au fait qu'ils donnaient aux lecteurs l'impression qu'il était incompétent. Il n'avait pas eu véritablement l'occasion de répondre aux critiques avant la parution des publications. D'après lui, le comportement des défendeurs relevait de la négligence grossière.
Les requérants soulignèrent que les articles incriminés concernaient surtout la situation d'un nombre relativement important de femmes avec lesquelles le journal avait été en contact, directement ou indirectement, et qui s'étaient plaintes d'un manque de soins et de suivi après des opérations ratées. Les intéressées avaient aussi dénoncé un manque d'information préopératoire. Les articles décrivaient les sentiments et frustrations des femmes tels que celles-ci les avaient exprimés. La question de savoir si le Dr R. était ou non un bon chirurgien n'avait pas été décisive.
Le 22 décembre 1992, le comité de filtrage des recours (kjæremålsutvalget) de la Cour suprême écarta le recours dans la mesure où il concernait l'appréciation faite par la cour d'appel des preuves relatives à la question de savoir si le Dr R. s'était rendu coupable d'un manque de soins et de suivi de ses patientes, et autorisa la saisine de la Cour suprême pour le surplus.
Par un arrêt du 23 mars 1994, la Cour suprême statua en faveur du Dr R. et lui alloua des montants s'élevant au total à 4 709 861 NOK pour son préjudice et ses frais. Le juge Backer déclara notamment, au nom de la Cour unanime :
« En guise d'introduction, je relève que les journaux ont bien sûr le droit de mettre en exergue les aspects discutables de la chirurgie esthétique et d'illustrer leurs propos par des informations relatives à des incidents malheureux. Ils doivent également pouvoir pointer du doigt les aspects critiques de l'activité de tel ou tel chirurgien, et là le journaliste responsable doit se voir accorder une ample marge de manœuvre pour livrer des considérations d'ordre subjectif. En revanche, des informations factuelles de caractère négatif qui sont entièrement contraires à la vérité doivent être jugées diffamatoires. Le fait que le journal se borne à reproduire des accusations formulées par d'autres ne peut, en principe et d'après une jurisprudence bien établie, constituer une défense.
En conséquence, il est nécessaire d'examiner les articles un par un afin d'établir leur contenu et de mettre celui-ci en rapport avec les règles régissant la diffamation. Pour interpréter les articles, il y a lieu de prendre comme point de départ l'impression globale qu'ils produisent sur le lecteur ordinaire, tout en attachant plus de poids aux titres et aux chapeaux qu'au texte présenté en caractères normaux. La cour d'appel a considéré que le lecteur particulièrement intéressé lirait l'intégralité des articles de manière méticuleuse et pourrait ainsi se faire une opinion plus équilibrée que le lecteur parcourant les articles en diagonale. J'estime difficile d'attribuer une importance particulière à cette considération. Même ceux qui lisent les articles dans leur ensemble peuvent facilement être influencés par les jugements de valeur contenus dans les titres, etc. De surcroît, le reportage s'adressait au public en général et était donc de nature à affecter la réputation du médecin en tant que tel. A la différence de la cour d'appel, je ne crois pas que l'on puisse supposer d'une manière générale que les lecteurs savent que si une opération ne produit pas le résultat escompté, ce n'est pas nécessairement dû à un manque d'habileté du chirurgien. (...)
Le reportage du 2 mai 1986 était fondé sur les articles positifs du 5 mars et sur les commentaires que [le journal] avait reçus de patientes mécontentes. Il décrit la situation de trois femmes ayant subi une mammoplastie avec insertion d'implants de silicone et ayant eu des problèmes par la suite. Sur la première page on trouve, s'étalant sur deux colonnes, le titre « L'embellissement a tourné à la défiguration », suivi d'une photo montrant une poitrine de femme défigurée par des cicatrices. Entre guillemets, on trouve ensuite la phrase suivante : « Nous avons payé des milliers de couronnes, avec pour seul résultat que nous sommes maintenant défigurées et brisées à vie ». A l'intérieur du journal, une page entière est consacrée au reportage. On y trouve, étalé sur sept colonnes, le titre suivant : « Des femmes brisées à vie à la suite d'une opération de chirurgie esthétique ». On y trouve également, imprimée sur cinq colonnes, la même photo que sur la première page. Sous la photo figure la légende suivante : « Des cicatrices énormes, des seins ratatinés et une longue et douloureuse inflammation : voilà ce qu'a apporté la chirurgie esthétique à cette femme ». L'article commence par trois alinéas en caractère gras ainsi libellés :
“J'ai payé 6 000 NOK et tout ce à quoi j'ai abouti, c'est à me faire défigurer.”
“C'est peu dire que je regrette amèrement. Je suis brisée à vie et je ne serai plus jamais celle que j'étais.”
“La douleur était insupportable. En l'espace de quelques jours, j'ai été transformée en une épave anxieuse et tremblante de nervosité, et j'ai pensé que j'allais mourir.”
Lorsqu'on lit l'article, il ressort des déclarations des femmes qu'elles ont pris contact avec le Dr R. à la suite d'une inflammation ou d'autres complications et qu'elles étaient mécontentes des soins reçus. Je comprends leurs récriminations comme visant à la fois la prestation du chirurgien et le résultat du traitement.
Au bas de la page figure une interview du Dr R. sous le titre « Il y aura toujours des patients mécontents ». Au cours de la procédure, il a été soutenu que [la troisième requérante] s'était mise en rapport avec le Dr R. le 30 avril et l'avait invité à livrer ses commentaires, en précisant que les trois femmes lui avaient dit qu'elles libéraient le Dr R. de son obligation de respecter le secret professionnel. Invoquant cette obligation, le Dr R. avait toutefois refusé de commenter des cas précis.
Au bas de la page, on trouve encore une interview, d'un autre spécialiste de la chirurgie esthétique (...), sous le titre « Une forme exigeante de chirurgie – Peu de marge entre le succès et l'échec ».
Le jour suivant, soit le 3 mai [1986], un nouvel article parut. Sur la page de couverture, étalé sur deux colonnes, le titre suivant : « Une action intentée contre un mammoplasticien ». A l'intérieur du journal, couvrant cinq colonnes, un autre titre : « Poursuivez le médecin ». Suit alors une description par une ancienne patiente du Dr R. [N.H.] d'expériences analogues à celles des trois femmes dont parlaient les articles parus le jour précédent. [N.H.] invite toutes les personnes se trouvant dans la même situation à s'allier pour attaquer le Dr R. en justice. On découvre également une interview du médecin-chef [Fylkeslegen] du comté, qui déclare que les patientes mécontentes peuvent s'adresser à lui. On trouve enfin un article couvrant cinq colonnes sous le titre « Le médecin doit fournir des reçus ». Ce qui est reproché ici est que le Dr R. aurait réclamé des paiements sans fournir les reçus correspondants. L'article précise que cela pourrait intéresser à la fois les autorités fiscales et les autorités sociales.
Dans l'article du 5 mai [1986], la page de couverture contient, sur une colonne, le titre « 12 000 NOK – les seins ravagés ». Le titre est répété, sur sept colonnes, à l'intérieur du journal, avec une petite modification sans importance de son contenu. Là, une femme explique qu'elle a subi chez le Dr R. deux opérations de remodelage de sa poitrine qui ont donné de mauvais résultats. On trouve ensuite, sur quatre colonnes, le titre « Contrôle pratiquement impossible », suivi d'un article dans lequel l'inspecteur en chef des impôts [Fylkesskattesjefen] du comté est interviewé. Sur deux colonnes apparaît alors un article encadré intitulé « Une avalanche d'appels téléphoniques : au point que je ne pouvais pas dormir ». C'est N.H. qui rappelle qu'elle a reçu des appels téléphoniques d'un certain nombre de femmes qui lui ont raconté des histoires « fortes » à propos de leur expérience chez le Dr R.
Les articles du 7 mai [1986] font suite à l'article précité. Sur la page de couverture, étalé sur quatre colonnes, un titre : « Une avalanche d'appels téléphoniques émanant des personnes opérées ». On trouve ensuite, sur deux colonnes, une photo montrant l'un des seins d'une ancienne patiente, G.S., dont les fils n'ont jamais été enlevés, et qui présente de vilaines cicatrices. A l'intérieur du journal s'étale, sur cinq colonnes, le titre « Une avalanche d'appels téléphoniques à la suite des critiques contre le chirurgien plasticien. Je n'imaginais pas que nous étions si nombreuses ». N.H. rappelle dans une interview qu'elle a parlé à au moins cinquante personnes qui toutes ont des expériences effrayantes à faire connaître. Trois de ces cas sont exposés. On trouve ensuite, sur trois colonnes, une photo des seins de G.S. Juste à côté s'étale, sur quatre colonnes, le titre « G.S. (28 ans) a été opérée en 1984. Les fils sont toujours là ». L'article explique qu'ayant pris contact avec le cabinet du Dr R. après l'opération afin de faire enlever les fils, l'intéressée s'entendit répondre qu'elle n'avait qu'à le faire elle-même, le cabinet ne disposant pas des pinces appropriées. On trouve ensuite, sous le titre « Probablement pas d'enquête », couvrant trois colonnes, un article dans lequel le procureur général est interviewé.
Quant aux derniers articles, du 9 mai, la page de couverture contient, sur quatre colonnes, le titre « Un mammoplasticien fait l'objet d'une enquête ». Il y est dit que, d'après le directeur intérimaire de la santé, la direction de la santé va prendre incessamment contact avec le médecin-chef du comté afin qu'une enquête approfondie soit menée au sujet du Dr R. et de ses activités, et le journal attire l'attention sur la question de savoir si le médecin peut perdre son droit d'exercer. A l'intérieur du journal figure, sur quatre colonnes, un titre se rapportant à la même opération. On trouve également un titre analogue : « Impossible de faire quoi que ce soit » : Me Å.H., avocat de l'ordre des médecins norvégiens, dit au journal que l'ordre des médecins ne peut connaître de plaintes concernant le cabinet médical mais uniquement de plaintes se rapportant à la manière dont le médecin traite ses patients sur le plan du comportement et sur le plan humain.
La première question qui se pose lorsque l'on cherche à évaluer la série d'articles est de savoir si les critiques dirigées contre le Dr R. peuvent être qualifiées d'accusations, et dans l'affirmative, quel est le contenu de celles-ci. D'une part, le Dr R. soutient qu'il est accusé d'incurie professionnelle et que les insuffisances dont aurait à souffrir son travail de chirurgien doivent revêtir une importance capitale. Les défendeurs affirment de leur côté que les critiques ne portent pas sur cet aspect des choses mais sur un manque d'information, de soins et de suivi, tous ces éléments faisant partie du traitement médical. La cour d'appel a estimé que les preuves qui lui avaient été soumises établissaient que des manquements s'étaient produits au niveau des soins et du suivi. Le recours relatif à l'appréciation des preuves sur ce point n'ayant pas été admis, la Cour suprême est liée par l'appréciation faite par la cour d'appel.
Les articles concernent la situation de femmes qui ont dû affronter des complications après une opération, voire l'échec de l'opération proprement dite. Elles sont désespérées à cause du résultat du traitement et se plaignent de la réticence du Dr R. à rectifier ce qui n'a pas marché, ainsi que de son indifférence. D'après moi, les articles parus dans [le journal] apparaissent être une attaque sévère mettant en cause l'aptitude du Dr R. à exercer la chirurgie esthétique et ne prenant pas suffisamment en compte le risque habituel d'échec des opérations. Les déclarations selon lesquelles les femmes concernées ont été défigurées et brisées à vie, et les nombreuses autres déclarations virulentes, en particulier celles figurant dans les articles du 2 mai 1986, qui ont donné le ton aux autres articles, ne peuvent guère se comprendre autrement que comme faisant largement référence au résultat du traitement, où l'élément chirurgical est essentiel. C'est également de cette manière que le médecin-chef du comté, la direction de la santé et le professeur E. ont compris les articles. Il apparaît qu'à l'origine [le journal] partageait la même opinion. Dans un éditorial du 12 mai 1986, il exprimait ainsi sa satisfaction devant le fait que les autorités de la santé étaient résolues à mener une enquête approfondie au sujet d'un « mammoplasticien de Bergen » afin de « vérifier si les méthodes de traitement utilisées correspondent aux normes professionnelles ». Dès lors qu'il doit avoir été clair que les articles allaient ruiner l'activité de l'intéressé, on peut également se poser la question de savoir si la série d'articles publiés par [le journal] au sujet du Dr R. peut s'expliquer d'une manière autre que celle consistant à considérer que ces articles reflétaient l'avis [du journal] d'après lequel les circonstances révélaient une activité chirurgicale pratiquée avec légèreté et méritant d'être portée à l'attention du public.
Dans ces conditions – et contrairement à ce que la cour d'appel a constaté – je suis parvenu à la conclusion que les articles comportent une accusation aux termes de laquelle le Dr R. exerçait son activité chirurgicale avec légèreté, accusation que je suis obligé de juger incorrecte.
Il s'agit ensuite de rechercher s'il n'y a pas des raisons spéciales enlevant à la diffamation son caractère répréhensible. Entre autres choses, le journal a évoqué son obligation particulière de veiller aux intérêts des consommateurs et le fait que, dans l'ensemble, l'accusation de traitement inadéquat dirigée contre le Dr R. était de toute manière en grande partie exacte. Or le Dr R. a critiqué la façon dont le journal a traité l'affaire, invoquant de surcroît l'article 249 § 2 du code pénal.
Vu la sévérité des critiques formulées dans le journal, j'estime que le Dr R. aurait dû avoir la possibilité de véritablement se défendre. Le facteur temps ne constituait pas un obstacle à cet égard. Lorsqu'il fut contacté le 30 avril, le Dr R. ne pouvait faire aucune déclaration au sujet des cas concernés sans être libéré par les patientes elles-mêmes de son obligation de respecter le secret professionnel, et il n'avait pas l'obligation de prendre lui-même contact avec les patientes à cet effet. J'estime également que [la troisième requérante] – de même que le journal – doit être critiquée pour le manque d'équité dont elle a fait preuve dans les articles et pour avoir utilisé des termes inutilement virulents et, dans une certaine mesure, trompeurs. Le fait qu'elle se soit bornée à rapporter les propos des personnes interviewées ne constitue pas une excuse pour l'oblitération totale du droit du Dr R. à la protection de sa vie privée. Que les femmes eussent un point de vue subjectif et fortement teinté d'émotion concernant ce qu'elles avaient vécu se comprend. Mais autre chose est de publier leurs déclarations à l'intention d'un groupe important de lecteurs pouvant croire que ces déclarations correspondaient, du moins pour l'essentiel, à la vérité objective. Même s'il y a des motifs d'accorder aux journaux une ample marge d'appréciation pour remplir leur fonction dans la société, force m'est de conclure qu'en l'espèce la limite a été dépassée. (...) Je n'aperçois aucun motif d'examiner la question sous l'angle de l'article 249 § 2 du code pénal.
L'assertion selon laquelle le contenu principal de l'accusation est prouvé se fonde sur l'appréciation des preuves faite par la cour d'appel relativement au manque de soins et de suivi.
L'appréciation des preuves faite par la cour d'appel à cet égard se dégage d'observations figurant à diverses pages de son arrêt, et spécialement aux pages 11 à 14. On peut notamment lire à la page 12 :
“Sur la base de ce qui précède, la cour d'appel juge établi que le Dr R. gérait son cabinet d'une manière telle que beaucoup des femmes ayant souffert de complications ont vécu des expériences qui leur ont donné des motifs raisonnables de croire qu'elles n'avaient pas bénéficié de soins suffisants, de ressentir de l'angoisse concernant le traitement reçu et, dans plusieurs cas, de se sentir offensées par le comportement du Dr R.”
A la page 13, on trouve le passage suivant :
“En ce qui concerne le Dr R., on peut raisonnablement considérer qu'il lui est arrivé, dans un nombre relativement important de cas où les suites opératoires nécessitaient un effort supplémentaire, d'adopter un comportement critiquable. Cela ne veut pas dire qu'il ait agi de cette manière dans la plupart des cas ou dans un nombre particulièrement élevé de cas. Il s'agit tout au plus d'une minorité de cas. Et il convient de souligner que rien n'a été dit qui prouve que la compétence chirurgicale du Dr R. laissait à désirer.”
Dans ces conditions, force m'est de conclure que les éléments essentiels des accusations figurant dans les articles au sujet du Dr R. n'ont pas été prouvés, dès lors que, telles qu'elles se trouvent décrites dans les articles, les déficiences alléguées concernant ses activités chirurgicales éclipsent manifestement les déficiences concernant les soins et le suivi. De surcroît, les accusations sont illicites.
D'après moi, il ne peut faire aucun doute que les articles ont causé au Dr R. des pertes financières considérables, sans compter le préjudice moral. Il eût été étrange que [sa clinique] survécût aux commentaires très négatifs formulés dans les articles du [journal]. D'un point de vue commercial, la chirurgie esthétique est très sensible à tout ce qui est de nature à ébranler la foi des patients potentiels dans le praticien. Cela, les défendeurs ne peuvent l'avoir ignoré.
Le calcul de la perte subie par le Dr R. comporte de nombreux éléments d'incertitude. En aucune façon, l'intéressé ne peut se fonder automatiquement sur l'hypothèse selon laquelle son activité de chirurgien plasticien libéral aurait continué à être florissante et profitable jusqu'au moment où il aurait atteint l'âge de la retraite. Même une critique neutre, objective et en tout point équitable lui aurait été très préjudiciable. (...)
Le Dr R. obtiendra du [premier requérant], sur le fondement de l'article 3-6 de la loi de 1969 sur la réparation des dommages [Skadeserstatningsloven – loi n° 26 du 13 juin 1969], une indemnité pour le préjudice, le manque à gagner et le tort moral subis par lui. En ce qui concerne ces deux derniers points, [la législation applicable] confère à la Cour une ample marge d'appréciation. Quant au premier point, le comportement du Dr R. peut, là aussi, être pris en considération. (...)
(...) Je suis arrivé à la conclusion que l'indemnité pour le préjudice causé, à savoir la perte de revenus plus les intérêts à compter de 1986 et jusqu'au présent arrêt, doit être fixée à 2 000 000 NOK. En ce qui concerne les autres demandes pour préjudice subi soumises par le Dr R. (...), j'estime en équité que celui-ci doit se voir allouer 200 000 NOK.
L'indemnité réparatrice du manque à gagner est fixée à 500 000 NOK. De surcroît, [le premier requérant] devra verser au Dr R. 1 000 000 NOK pour dommage moral. Pour chiffrer cette indemnité, j'ai tenu compte de la pression exceptionnelle à laquelle le Dr R. a été exposé pendant une longue période, à la suite de la série d'articles.
La somme à verser pour dommage moral par chacun des [deuxième et troisième requérants] est fixée à 25 000 NOK. »
Enfin, la Cour suprême enjoignit au premier requérant de verser 929 861 NOK au Dr R., et aux second et troisième requérants de verser chacun 15 000 NOK à l'intéressé, pour les frais engagés par lui dans le cadre de la procédure interne, plus certains intérêts concernant les frais exposés devant le tribunal municipal. A ce dernier titre, le premier requérant versa 218 728 NOK et les deuxième et troisième requérants 4 383 NOK chacun.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
En matière de diffamation, le droit norvégien prévoit trois types de réaction à une diffamation illicite : une sanction infligée au titre des dispositions du code pénal, une décision annulant (mortifikasjon) l'allégation diffamatoire, rendue en application de l'article 253 du même code, et une condamnation à verser à la partie lésée une réparation, prononcée en vertu de la loi de 1969 sur la réparation des dommages (Skadeserstatningsloven – loi n° 26 du 13 juin 1969). Seule la dernière solution entra en jeu en l'espèce.
L'article 3-6 de la loi de 1969 sur la réparation des dommages est ainsi libellé :
« Quiconque a porté atteinte à l'honneur ou s'est immiscé dans la sphère privée d'autrui sera condamné, s'il a fait preuve de négligence ou si les conditions d'imposition d'une sanction sont réunies, à verser une réparation pour le dommage causé ainsi qu'une indemnité pour manque à gagner, que le tribunal chiffrera en fonction de ce qui lui paraîtra raisonnable eu égard à la gravité de la négligence commise et aux autres circonstances. Il sera également condamné à verser, au titre du dommage moral, la somme que le tribunal jugera raisonnable.
Si l'infraction a été commise par la voie de textes imprimés et que la personne ayant agi au service du propriétaire ou de l'éditeur du média est responsable au titre du premier paragraphe, le propriétaire et l'éditeur seront solidairement responsables du versement de l'indemnité. Il en va de même de toute réparation ordonnée au titre du premier paragraphe, sauf si le tribunal estime qu'il y a de bonnes raisons d'exonérer les intéressés de cette obligation. (...) »
Une personne accusée de diffamation peut voir engager sa responsabilité si se trouvent réunies les conditions énoncées au chapitre 23 du code pénal, dont les articles 246 et 247 sont ainsi libellés :
« Article 246. Quiconque, d'une manière illicite, par des paroles ou par des actes, porte atteinte à l'honneur d'autrui ou y contribue, est passible d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement pouvant atteindre six mois. »
« Article 247. Quiconque, par des paroles ou par des actes, se comporte d'une manière susceptible de nuire à la bonne renommée ou à la réputation d'autrui ou d'exposer autrui à la haine, au mépris ou à la perte de la confiance nécessaire à l'exercice de sa charge ou de sa profession, ou qui y contribue, est passible d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement d'un an au maximum. Si la diffamation a lieu par voie de publication ou de radiodiffusion, ou dans d'autres circonstances particulièrement aggravantes, une peine d'emprisonnement n'excédant pas deux ans peut être prononcée. »
L'applicabilité de l'article 247 se trouve limitée par la condition que la déclaration litigieuse soit illicite (rettstridig). L'article 246 pose expressément cette condition et la Cour suprême a interprété l'article 247 dans le même sens.
Dans une affaire civile concernant un reportage fait par un journal avant un procès, la Cour suprême statua en faveur du journal en mettant en avant l'exception de l'égalité (rettsstridsreservasjonen), alors même que les termes litigieux avaient été jugés diffamatoires. Elle estima que pour déterminer la portée de cette restriction, un point particulier devait être attaché à la question de savoir si l'affaire revêtait un intérêt public, eu égard à la nature des questions et au type de parties concernées. Elle considéra également qu'il y avait lieu de tenir compte du contexte et des circonstances dans lesquelles les déclarations avaient été faites. Elle jugea, de surcroît, qu'il importait grandement de savoir si les articles de presse avaient présenté l'affaire d'une manière sobre et équilibrée, et avaient cherché à mettre en lumière l'objet essentiel de l'affaire (Norsk Retstidende 1990, p. 640).
D'autres limites à l'application de l'article 247 sont contenues à l'article 249, dont la partie pertinente en l'espèce est ainsi libellée :
« Aucune sanction ne peut être infligée par application des articles 246 et 247 si la preuve de la véracité des accusations est rapportée. (...) »
CONCLUSIONS PRÉSENTÉES à LA COUR
A l'audience du 9 novembre 1999, le Gouvernement, comme il l'avait fait dans ses observations écrites, a prié la Cour de conclure à l'absence de violation de l'article 10 de la Convention.
Les requérants y ont pour leur part réitéré leur souhait de voir la Cour constater une violation de l'article 10 et leur allouer une satisfaction équitable au titre de l'article 41. | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Evénements ayant précédé la disparition de Hasan Kaya et Metin Can
Le Dr Hasan Kaya, frère du requérant, était médecin dans le Sud-Est de la Turquie. Il a exercé à Şırnak de novembre 1990 à mai 1992. Il a soigné des manifestants qui avaient été blessés à l'occasion des célébrations de la fête de Nevroz (le nouvel an kurde) au cours d'affrontements avec les forces de l'ordre, à la suite de quoi il fut muté de Şırnak à Elazığ. Il avait déclaré à Fatma Can, la femme de son ami Metin Can, qu'à Şırnak, il avait été menacé et avait fait l'objet de très fortes pressions.
A Elazığ, Hasan Kaya travaillait dans un centre de santé. Il rencontrait souvent son ami Metin Can, avocat et président de l'Association des droits de l'homme (ADH) d'Elazığ. Metin Can représentait des personnes soupçonnées d'appartenir au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Il avait déclaré à sa femme avoir reçu des menaces et qu'un fonctionnaire l'avait averti qu'on avait prévu de prendre des mesures contre lui. D'après Şerafettin Özcan, qui travaillait à l'ADH, Metin Can était aussi l'objet de menaces parce qu'il s'était occupé d'améliorer les conditions de détention à la prison d'Elazığ. La police avait effectué une perquisition dans les locaux de l'ADH d'Elazığ, comme elle l'avait fait dans d'autres bureaux de cette association dans le Sud-Est.
En décembre 1992, Bira Zordağ, qui avait vécu à Elazığ jusqu'en octobre 1992, fut arrêté par des policiers à Adana et transféré à Elazığ, où on l'interrogea pour découvrir ce qu'il savait sur le PKK. On lui demanda si deux médecins d'Elazığ, dont l'un était Hasan Kaya, avaient soigné des membres du PKK blessés. On menaça devant lui de punir Hasan Kaya. On lui posa aussi des questions au sujet d'avocats, notamment Metin Can. A sa libération, Bira Zordağ se rendit à l'ADH d'Elazığ et raconta à Şerafettin Özcan et Metin Can ce qui s'était passé.
A la Noël 1992, Hasan Kaya déclara au requérant qu'il sentait que sa vie était en danger. Il pensait que la police le surveillait et faisait des rapports à son sujet. A la même époque, Metin Can dit au requérant que son appartement avait été fouillé en son absence et qu'il pensait être surveillé.
Aux alentours du 20 février 1993, deux hommes se rendirent dans l'immeuble où habitait Metin Can. Ils sonnèrent chez Süleyman Tursum et Ahmet Oygen pour demander où se trouvait Metin Can. Lorsque Metin et Fatma Can rentrèrent chez eux tard dans la soirée, ils reçurent un appel téléphonique. Les personnes qui se trouvaient au bout du fil déclarèrent qu'elles s'étaient rendues à l'appartement et voulaient venir voir Metin Can sur-le-champ. Celui-ci leur donna rendez-vous à son bureau pour le lendemain.
Le 21 février 1993, après avoir reçu un appel téléphonique à son bureau, Metin Can rencontra deux hommes dans un café, en présence de Şerafettin Özcan. Les hommes déclarèrent qu'un blessé, membre du PKK, était caché à l'extérieur de la ville. Metin Can emmena les hommes chez lui et appela au téléphone Hasan Kaya, qui les rejoignit. Il fut convenu que les deux hommes conduiraient le blessé à Yazıkonak, un village à l'extérieur d'Elazığ, et qu'ils appelleraient une fois cela fait. Les deux hommes se retirèrent. Le téléphone sonna vers 19 heures. Metin Can et Hasan Kaya, muni de sa sacoche de médecin, s'en allèrent. Metin Can déclara à sa femme qu'ils n'en auraient pas pour longtemps. Ils partirent avec la voiture du frère de Hasan Kaya.
Metin Can et Hasan Kaya ne rentrèrent pas chez eux ce soir-là. Le 22 février, vers 12 ou 13 heures, Fatma Can reçut un coup de fil. L'homme avait la même voix que l'un de ceux qui étaient venus chez elle. Il déclara que Metin et son ami avaient été tués. Fatma Can et Şerafettin Özcan se rendirent à la direction de la sûreté pour déclarer la disparition de Metin Can et Hasan Kaya. Ni l'un ni l'autre ne parla à la police de l'entrevue que Metin Can avait eue avec les deux hommes ni des événements qui avaient précédé la disparition. Fatma Can ne mentionna pas non plus ces éléments dans la déclaration qu'elle fit au procureur le même jour.
B. Enquête sur la disparition
Par une notification du 22 février 1993, le préfet d'Elazığ informa tous les autres préfets de la région soumise à l'état d'urgence de la disparition de Metin Can et Hasan Kaya et demanda qu'ils soient retrouvés ainsi que leur voiture.
Le 22 février 1993 vers 18 heures, Hakkı Ozdemir remarqua une voiture suspecte garée en face de son bureau à Yazıkonak et le signala à la police. Il s'agissait de la voiture du frère de Hasan Kaya. La police fouilla la voiture, releva les empreintes digitales et la photographia.
Dans la soirée, des policiers enregistrèrent les déclarations des personnes habitant dans les appartements voisins de celui de Metin Can.
Il y eut d'autres coups de fil étranges chez Metin Can. Le 23 février 1993, le neveu de ce dernier décrocha le téléphone. Quelqu'un affirma que Metin Can et Hasan Kaya étaient toujours en vie et que Metin allait être libéré, et ajouta que Metin n'irait pas en Europe mais poursuivrait la lutte.
Le 23 février 1993 vers 22 heures, on retrouva un sac contenant deux paires de vieilles chaussures devant les locaux du Parti populaire social-démocrate (SHP), à Elazığ. Le 24 février 1993, Tekin Can reconnut une des paires : elle appartenait à son frère Metin Can. Hüseyin Kaya déclara que l'autre paire n'appartenait pas à Hasan Kaya, son frère.
Le même jour, le procureur obtint du tribunal d'Elazığ une ordonnance de mise sous surveillance du téléphone de Metin Can afin d'identifier les personnes proférant des menaces téléphoniques.
Ce jour-là également, Ahmet Kaya, père de Hasan Kaya, déposa une requête auprès du préfet d'Elazığ tendant à ce que des mesures soient prises pour retrouver son fils.
Les 22 et 23 février 1993, Fatma Can et Şerafettin Özcan se rendirent à Ankara, où ils eurent un entretien avec le ministre de l'Intérieur pour demander qu'on retrouve Metin Can. Fatma Can rentra à Elazığ le 27 février 1993.
Le 27 février 1993, vers 11 h 45, on annonça que deux corps avaient été retrouvés sous le pont de Dinar, à douze kilomètres environ de Tunceli. On identifia les corps comme étant ceux de Hasan Kaya et de Metin Can. On retrouva deux cartouches sur les lieux. Les corps n'avaient pas de chaussures et il n'y avait pas beaucoup de sang au sol. Le requérant et d'autres membres de la famille arrivèrent sur les lieux pour voir les corps.
C. Enquête sur les décès
Une autopsie fut pratiquée le 27 février 1993 vers 16 h 25 à la morgue de l'hôpital public de Tunceli. Le rapport d'autopsie indiquait que les deux hommes avaient été tués d'une balle dans la tête et qu'ils avaient les mains liées. Le corps de Hasan Kaya ne présentait aucune trace de violence ou de coup. Quant à celui de Metin Can, il présentait des traces d'hémorragie nasale et une blessure à la lèvre ; il manquait des dents, et le cou, les genoux, le torse ainsi que l'abdomen étaient contusionnés. Les pieds présentaient des traces de macération. Etait consignée une absence de traces de violence ou de coup. Les médecins ayant effectué l'examen ajoutèrent un addendum pour indiquer qu'un bleu sur l'arcade sourcilière droite pouvait avoir été provoqué par un coup. Il était estimé que la mort était survenue quatorze à seize heures auparavant.
Une autre autopsie fut effectuée le 28 février 1993 vers 1 h 5.
Le requérant reconnut l'un des corps comme étant celui de son frère, Hasan Kaya. Le rapport décrivait les plaies à la tête causées par l'entrée et la sortie de la balle. Il indiquait que l'oreille droite et la zone adjacente présentaient des ecchymoses qui pouvaient avoir été provoquées par des pressions exercées sur le corps. Les ongles de la main gauche présentaient des ecchymoses à la base, les deux poignets des entailles circulaires, probablement dues au fait qu'ils auraient été attachés avec du fil de fer, le genou droit une ecchymose de 1 x 0,5 cm, la partie interne du genou droit une ecchymose jaune clair de 2 x 1 cm, la cheville gauche une ecchymose de 0,7 cm de large ainsi qu'une zone excoriée de 0,5 cm de large, les deux pieds une cyanose des orteils et un pied d'athlète, notamment sur la plante et la partie gauche, résultat probable d'un séjour prolongé dans l'eau et la neige. Le torse ne présentait aucune trace de coup, blessure, brûlure ou lésion par balle à l'exception de ce qui vient d'être indiqué. La mort a résulté d'une hémorragie cérébrale consécutive aux blessures par balle. Il n'a pas été nécessaire de pratiquer une autopsie classique.
Hüseyin Can a reconnu le corps de Metin Can, son neveu. Le rapport d'autopsie fait état de nombreuses marques et blessures sur le corps. Ont notamment été relevées des contusions et excoriations au visage et à la tête, une déchirure à la lèvre, des contusions autour du cou, des fractures de la mâchoire, des dents manquantes, des marques aux poignets indiquant qu'ils avaient été attachés, des contusions aux genoux et une cyanose des pieds et des orteils. Les contusions et écorchures au front, au nez et sous l'œil droit auraient été provoquées par des instruments contondants (comme une pierre ou un bâton) et les lésions au cou par une ficelle, une corde ou un câble. Tout cela aurait pu survenir juste avant la mort et être le résultat d'un recours à la force intervenant sur de brèves périodes. Ces blessures n'auraient pas provoqué la mort, celle-ci étant due aux blessures et à l'hémorragie cérébrales.
On a estimé que la mort s'était produite au cours des vingt-quatre heures précédentes.
Le 1er mars 1993, le commandant de la gendarmerie centrale de la province de Tunceli adressa au procureur de Tunceli un rapport sur l'incident daté du 27 février 1993 ainsi qu'un schéma indiquant l'emplacement des corps.
Le 2 mars 1993, le procureur de Tunceli envoya les deux cartouches trouvées sur les lieux à un laboratoire d'analyse balistique.
Le 8 mars 1993, le procureur d'Elazığ enregistra une nouvelle déclaration de Fatma Can concernant la disparition de son mari. Elle rapportait que, d'après ce qu'il lui avait indiqué, il pensait que la police le suivait, et signalait que leur appartement avait été fouillé pendant leur absence. Elle déclara que son mari avait été invité en Allemagne. Elle lui avait demandé à maintes reprises de démissionner de la présidence de l'ADH et il avait indiqué qu'il le ferait.
Le 11 mars 1993, le procureur d'Elazığ décida de décliner sa compétence et de transférer le dossier à Tunceli, où les corps avaient été retrouvés.
Le 18 mars 1993, Ahmet Kaya adressa au procureur une requête dans laquelle il communiquait des informations qu'il avait entendues au sujet des événements en cause : son fils aurait été vu alors que des policiers en civil équipés de talkies-walkies l'emmenaient en garde à vue à Yazıkonak. Leur voiture se serait arrêtée à un poste d'essence, où les policiers auraient indiqué qu'ils emmenaient l'avocat et le médecin à un interrogatoire. De plus, à Hozat, au cours d'une conversation à laquelle prirent part un juge et un avocat du nom d'Ismail, un policier aurait dit que Can et Kaya avaient été conduits à la direction de la sûreté de Tunceli.
Dans une requête du 19 mars 1993 adressée au procureur de Pertek, Ahmet Kaya relata un incident dont il avait entendu dire qu'il s'était produit au café de Pertek le 15 mars. Vers 20 heures, pendant que la télévision diffusait une émission consacrée à la contre-guérilla, un certain Yusuf Geyik, surnommé Bozo, aurait déclaré « (...) Nous avons tué Hasan Kaya et l'avocat Metin Can. » Les consommateurs s'en seraient pris à lui, sur quoi il aurait sorti un pistolet. Il aurait appelé à l'aide avec son talkie-walkie et des gendarmes seraient venus le chercher.
Le 31 mars 1993, le procureur de Tunceli émit une décision déclinatoire de compétence concernant le meurtre de Hasan Kaya et Metin Can par des inconnus. Ce crime entrant selon lui dans le cadre de la législation sur l'état d'urgence, il transmit le dossier au procureur près la cour de sûreté de l'Etat de Kayseri.
Le 6 avril 1993, le procureur de Pertek ayant convoqué Yusuf Geyik, le chef de la police de Pertek l'informa qu'aucune personne répondant à ce nom ne se trouvait dans le district.
Le 12 avril 1993, le procureur d'Hozat enregistra la déclaration d'İsmail Keleş, avocat, qui nia avoir entendu un policier parler du meurtre de Kaya et Can.
Le 13 avril 1993, Ahmet Kaya déposa une nouvelle requête auprès du procureur de Tunceli, déclarant qu'on avait vu Can et Kaya alors que des policiers les arrêtaient à Yazıkonak et que la voiture avait stoppé à un poste d'essence dont l'employé avait reconnu Can et lui avait parlé. Celui-ci aurait dit que les policiers les conduisaient quelque part. Ahmet Kaya précisait dans sa requête que la voiture à bord de laquelle se trouvaient les deux hommes avait parcouru 138 km et franchi huit points de contrôle officiels, ce qui laissait entendre que l'Etat était impliqué. Il indiquait en outre qu'une plainte avait été déposée contre le préfet, le chef de la police et le ministre de l'Intérieur.
Par un rapport du 14 avril 1993, la police d'Hozat informa le procureur de cette ville que l'allégation d'Ahmet Kaya avait donné lieu à une enquête, qui avait permis de découvrir qu'aucun policier d'Hozat n'avait prétendu que Can et Kaya avaient été détenus à la direction de la sûreté de Tunceli.
Le 29 avril 1993, le procureur de Pertek ordonna au chef de la police de Pertek de convoquer les tenanciers du café et somma le commandement de la gendarmerie du district de Pertek de lui donner des explications au sujet de l'allégation selon laquelle un sous-officier était venu chercher Yusuf Geyik au café.
Le 4 mai 1993, le chef de la police de Pertek informa le procureur que, tout en ayant entendu dire que Yusuf Geyik avait été vu dans la région et avait séjourné à la gendarmerie de district, on ne connaissait pas ses coordonnées.
Dans une déclaration prononcée devant le procureur le 4 mai 1993, Hüseyin Kaykaç, qui tenait le café de Pertek, affirma que, le 15 mars, un homme qu'il connaissait sous le nom de Bozo avait prétendu que lui et d'autres avaient tué Can et Kaya. Il avait utilisé sa radio, et un sous-officier était venu le chercher. Il n'avait pas vu les autres consommateurs attaquer Bozo ni celui-ci dégainer un pistolet. Dans une déclaration du 4 mai 1993 également, Ali Kurt, serveur au café, souscrit à celle de Hüseyin Kaykaç.
Dans une lettre du 5 mai 1993, le commandant de la gendarmerie du district de Pertek informa le procureur qu'il n'était pas au courant de l'incident du café et qu'aucun établissement de ce genre n'avait sollicité son aide. Aucun sous-officier n'avait participé à quelque action que ce soit.
Le 22 juillet 1993, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat de Kayseri émit une décision déclinatoire de compétence et transmit le dossier à son homologue d'Erzincan.
Le 3 septembre 1993, Mehmet Gülmez, président de l'ADH de Tunceli, et Ali Demir, avocat, adressèrent au procureur d'Elazığ copie d'un article paru dans le numéro du 26 août du journal Aydınlık, selon lequel un militaire des services spéciaux avait identifié les meurtriers, entre autres de Hasan Kaya et Metin Can, à savoir Ahmet Demir, surnommé « Sakallı » (« le barbu ») et Mehmet Yazıcıoğulları. Il s'agissait de contre-guérilleros payés par l'Etat et ayant exécuté la plupart des meurtres recensés dans la région.
Convoqué pour s'expliquer, Ali Demir déclara le 12 octobre 1993 devant le procureur qu'il ne connaissait pas personnellement « Ahmet Demir » mais que de 1988 à 1992, alors qu'il était président du SHP à Tunceli, des gens s'étaient plaints auprès de lui de ce que « le barbu » commettait des agressions et travaillait avec les forces de l'ordre.
Le 14 octobre 1993, le procureur de Tunceli ordonna notamment à la police de retrouver et convoquer Mehmet Yazıcıoğulları. La police répondit le 18 octobre 1993 qu'elle n'avait pas pu le retrouver.
Sur une instruction du 8 novembre 1993 du procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Erzincan, le procureur de Pertek enregistra le 17 novembre une nouvelle déclaration d'Ali Kurt, qui confirma avoir entendu un homme se faisant appeler Bozo dire qu'il avait tué Can et Kaya. Bozo avait demandé par radio à parler au commandant du régiment et trois hommes étaient venus le chercher. Il expliqua que Hüseyin Kaykaç avait déménagé à Tunceli.
Le 6 avril 1994, le procureur d'Elazığ enregistra une déclaration de Hüseyin Kaykaç, qui confirma sa précédente déclaration. Il indiqua que Bozo avait tenté de joindre le commandant du régiment par radio mais, n'y parvenant pas, avait appelé la gendarmerie de Pertek pour demander qu'on vienne le chercher. Il déclara que deux sous-officiers, Mehmet et Ali, étaient arrivés avec un autre sous-officier en civil dont il ne connaissait pas le nom.
Le 11 novembre 1993, le procureur de Tunceli ordonna à la police de Tunceli d'amener dans son bureau Yazıcıoğulları et Ahmet Demir. Le 6 décembre 1993, la police l'informa qu'elle n'avait pas trouvé leur adresse et qu'ils n'étaient pas connus dans la région de son ressort.
Le 31 janvier 1994, Hale Soysu, rédacteur en chef du journal Aydınlık, déposa auprès du procureur d'Istanbul une requête qui fut transmise au procureur de Tunceli. Il y indiquait que Mahmut Yıldırım était l'un des auteurs du meurtre de Hasan Kaya et Metin Can et d'autres personnes encore. Il tenait ces informations d'un certain commandant Cem Ersever, informations qui avaient donné lieu à une série d'articles dans son journal du 19 au 30 janvier 1994.
Le 2 février 1994, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Erzincan informa le procureur de Pertek que les renseignements fournis par la police de Pertek et la gendarmerie de Pertek étaient contradictoires et que, les gendarmes ayant peut-être trempé dans l'affaire, le procureur devait enquêter lui-même sur ces contradictions.
Le même jour, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Erzincan demanda qu'on lui fournisse la bande et la transcription d'une émission de télévision au cours de laquelle un correspondant d'Aydınlık avait parlé du commandant Cem Ersever.
Par une requête du 14 février 1994 auprès du procureur d'Elazığ, Ahmet Kaya déclara que le journal Aydınlık, l'émission de télévision et le livre de Soner Yalçın intitulé « Les révélations du commandant Cem Ersever » désignaient Mahmut Yıldırım comme la personne ayant organisé et exécuté le meurtre de Can et Kaya. Il déclarait que Yıldırım avait été fonctionnaire pendant trente ans et venait d'Elazığ. Dans une déclaration faite ce jour-là devant le procureur, il indiqua qu'il ne connaissait pas Yıldırım personnellement mais que dans le district, on disait qu'il avait participé à des incidents de ce genre.
Le 14 février 1994, le procureur d'Elazığ demanda à la police d'Elazığ d'enquêter sur les allégations relatives à Mahmut Yıldırım.
Par une lettre du 17 février 1994, le procureur de Pertek informa son confrère d'Erzincan que Yusuf Gerik était connu pour avoir appartenu à une organisation marxiste-léniniste et avait été identifié comme l'un des auteurs d'une attaque à main armée sur un camion et d'un vol qualifié. La cour de sûreté de l'Etat d'Erzincan avait émis contre lui un mandat d'arrêt le 28 mars 1990, mais l'avait retiré le 4 novembre 1991.
Par une requête du 21 février 1994 adressée au procureur d'Elazığ, Anik Can, père de Metin Can, porta plainte contre Mahmut Yıldırım, dont la presse et des livres indiquaient qu'il avait tué son fils. Il déclarait que Yıldırım habitait au 13 Pancarlı Sokak et travaillait pour la société Ferrakrom d'Elazığ.
Le 25 février 1994, la police fit son rapport : Mahmut Yıldırım avait quitté son domicile quinze à vingt jours auparavant et elle ne connaissait pas sa nouvelle adresse. Dans un nouveau rapport du 11 avril 1994, la police indiqua que l'intéressé n'avait pas réapparu à son domicile et en informa le procureur.
Le 11 mai 1994, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Erzincan reçut la bande et la transcription de l'émission de télévision qui comportait les entretiens de Soner Yalçın avec le commandant Cem Ersever ainsi que l'affirmation de ce journaliste selon laquelle Ahmet Demir, dit « Yeşil », bien connu de la police et de la gendarmerie, avait tué Metin Can et Hasan Kaya.
Le 25 mai 1994, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Erzincan déclina sa compétence et transmit le dossier à la cour de sûreté de l'Etat de Malatya, à la suite d'un nouveau découpage des régions d'Elazığ et Tunceli.
Le 13 mars 1995, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat de Malatya adressa des instructions aux procureurs de Bingöl, Diyarbakır, Elazığ et Tunceli : retrouver et arrêter Mahmut Yıldırım, retrouver Orhan Öztürk, İdris Ahmet et Mesut Mehmetoğlu, dont des journaux avaient dit qu'ils avaient participé avec « Yeşil » à des meurtres de la contre-guérilla, y compris ceux de Can et Kaya, et retrouver Mehmet Yazıcıoğulları et Yuzuf Geyik.
Le 17 mars 1995, le directeur de la prison de type E de Diyarbakır fournit des informations au sujet de Orhan Öztürk, İdris Ahmet et Mesut Mehmetoğlu : ils avaient appartenu au PKK, étaient devenus des « repentis » et avaient séjourné à plusieurs reprises dans la prison. Orhan Öztürk avait été libéré le 18 février 1993 et İdris Ahmet le 16 décembre 1992. Mesut Mehmetoğlu était pour sa part sorti de prison le 8 janvier 1993, mais avait été réincarcéré le 26 septembre 1994 sous l'inculpation d'homicide dans le cadre d'un incident au cours duquel Mehmet Şerif Avşar aurait été enlevé à sa boutique par un groupe d'hommes prétendant l'emmener en garde à vue, puis retrouvé mort, tué par balle.
Le 28 mars 1993, Mehmet Yazıcıoğulları fit une déclaration dans laquelle il affirmait ne pas avoir participé au meurtre de Metin Can et Hasan Kaya et ne pas connaître Mahmut Yıldırım, Orhan Öztürk, İdris Ahmet ou Mesut Mehmetoğlu.
Le 6 avril 1995, Mesut Mehmetoğlu fit en prison une déclaration devant un procureur. Il se plaignait de ce que la presse favorable au PKK le prenait pour cible et publiait des articles tendancieux à son sujet. Il se trouvait à Antalya aux alentours du 21 février 1993 et s'était rendu à Hazro pendant deux mois à l'annonce de la mort de son grand-père.
Le 3 avril 1995, les gendarmes firent un rapport indiquant que Yusuf Geyik ne se trouvait pas dans son village natal de Geyiksu, qu'il avait quitté huit à dix ans plus tôt.
Dans un rapport du 7 avril 1995, la police informa le procureur d'Elazığ, en réponse à l'ordre qui lui avait été donné d'arrêter Mahmut Yıldırım, que l'adresse indiquée pour celui-ci, 13 Pancarlı Sokak, n'existait pas et que la société pour laquelle il travaillait n'était pas située dans son ressort. Dans un rapport du 28 avril 1995, les gendarmes indiquèrent qu'ils avaient fait des recherches à l'adresse qui se trouvait dans leur ressort mais sans réussir à le retrouver.
II. Documents présentés AUX ORGANES DE LA CONVENTION
A. Documents relatifs à l'enquête interne
Les pièces du dossier d'enquête ont été fournies à la Commission.
B. Le rapport de Susurluk
Le requérant a fait parvenir à la Commission une copie du « rapport de Susurluk », établi à la demande du premier ministre par M. Kutlu Savaş, vice-président du Comité de coordination et d'inspection près le cabinet du premier ministre. Après sa communication en janvier 1998, le premier ministre l'a porté à la connaissance du public, à l'exception de onze pages du corps du document ainsi que de certaines de ses annexes.
D'après son préambule, ledit document n'est ni le fruit d'une instruction judiciaire ni un rapport d'enquête. Préparé dans un but d'information, il se limite à exposer certains faits concentrés dans le Sud-Est de la Turquie et susceptibles de confirmer l'existence d'une relation tripartite d'intérêts illicites entre des personnages politiques, des institutions gouvernementales et des coteries clandestines.
Le rapport fait l'analyse d'un enchaînement d'incidents, tels que des meurtres commandés, des assassinats de personnages connus ou prokurdes, ou encore des agissements délibérés d'un groupe de repentis censés servir l'Etat, pour conclure à l'existence d'un lien entre la lutte contre le terrorisme menée dans ladite région et les relations occultes qui en sont dérivées, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Le rapport cite un certain Mahmut Yıldırım, également dénommé Ahmet Demir ou « Yeşil », en décrivant en détail sa participation à des actes illégaux dans le Sud-Est ainsi que ses liens avec le MİT (service de renseignements) :
« (...) Alors qu'étaient connus le caractère de Yeşil, comme le fait qu'il avait commis, avec le groupe de repentis qu'il avait rassemblés autour de lui, des infractions telles que chantage, saisies, agressions contre des domiciles, viols, vols, meurtres, tortures, enlèvements, etc., il est plus difficile d'expliquer la collaboration des autorités publiques avec cet individu. Il se peut qu'une organisation respectée telle que le MİT ait recours à un individu de bas étage (...) il n'est pas acceptable que le MİT ait utilisé Yeşil à plusieurs reprises (...) Yeşil, qui a exercé ses activités à Antalya sous le nom de Metin Güneş, à Ankara sous celui de Metin Atmaca et également utilisé le nom d'Ahmet Demir, est un individu dont la police et le MİT connaissaient les agissements et la présence (...) Par suite du silence de l'Etat, les gangs ont le champ libre [p. 26].
(...) Yeşil a également collaboré avec le JİTEM, une organisation interne à la gendarmerie, qui utilisait de nombreux protecteurs et repentis [p. 27].
Dans ses aveux à la Direction du bureau criminel de Diyarbakır (...) M. G. (...) avait déclaré, quant à Ahmet Demir [p. 35], que celuici (...) racontait de temps en temps (...) qu'il avait planifié et fait exécuter le meurtre de Behçet Cantürk[] ainsi que d'autres partisans de la mafia et du PKK tués de la même façon (...) ; que le meurtre de (...) Musa Anter[] avait également été planifié et réalisé par A. Demir [p. 37].
(...)
Toutes les autorités concernées de l'Etat sont au courant de ces activités et opérations. (...) L'analyse des particularités des personnages tués dans lesdites opérations permet de déduire que la différence entre les personnes prokurdes tuées dans la région soumise à l'état d'urgence et les autres réside en leur pouvoir de financement du point de vue économique. Ces facteurs ont aussi joué un rôle dans le meurtre de Savaş Buldan, trafiquant et activiste pro-PKK, comme dans ceux de Medet Serhat Yos, Metin Can et Vedat Aydın. Notre seul désaccord avec ce qui a été fait concerne les modalités d'exécution et leurs conséquences. En effet, il a été constaté que même ceux approuvant tout ce qui s'était passé regrettaient le meurtre de Musa Anter. D'aucuns disent que Musa Anter n'était pas impliqué dans une action armée, qu'il était plutôt préoccupé par la philosophie de la chose, que les effets de son assassinat ont dépassé son influence propre et que sa mort avait été décidée à tort. (Les renseignements sur ces personnes se trouvent à l'annexe 9[]). D'autres journalistes ont également été tués [p. 74][]. »
Le rapport se conclut par de nombreuses recommandations, préconisant notamment l'amélioration de la coordination et de la communication entre les différentes branches des services de la sûreté, de police et de renseignements, l'identification et le renvoi des membres des forces de l'ordre impliqués dans des activités illégales, la limitation du recours aux repentis, la réduction du nombre de gardes de village, la cessation des activités du bureau des opérations spéciales et son incorporation dans les services de police en dehors de la région du SudEst, l'ouverture d'enquêtes sur divers incidents et la prise de mesures visant à supprimer les associations de malfaiteurs et les trafics de stupéfiants, ainsi que la communication des résultats de l'enquête parlementaire sur les événements de Susurluk aux autorités compétentes pour qu'elles engagent les procédures qui s'imposent.
C. Le rapport de 1993 de la commission d'enquête parlementaire (10/90 n° A.01.1.GEC)
Le requérant a fourni ce rapport sur les exécutions extrajudiciaires et les homicides perpétrés par des inconnus, élaboré en 1993 par une commission d'enquête parlementaire. Ce document mentionne 908 meurtres non élucidés, dont neuf de journalistes. Il expose le manque de confiance du public dans les autorités du Sud-Est de la Turquie et fait état d'informations selon lesquelles le Hezbollah aurait un camp dans la région de Batman, où ses membres bénéficieraient d'une formation et d'un soutien politiques et militaires de la part des forces de l'ordre. Il conclut que l'impunité règne dans la région et que certains groupes ayant un lien avec l'Etat pourraient être impliqués dans les meurtres.
D. Comptes rendus dans les médias
Le requérant a fourni à la Commission un exemplaire du livre de Soner Yalçın, Les révélations du commandant Cem Ersever (dont un résumé figure à l'annexe III du rapport de la Commission), ainsi que des articles parus dans Aydınlık et d'autres journaux au sujet de contre-guérilleros (rapport de la Commission, §§ 154-163).
E. Témoignages recueillis par les délégués de la Commission
Les délégués de la Commission ont procédé à deux auditions, à Strasbourg et Ankara, au cours desquelles ils ont entendu onze témoins, dont le requérant, Fatma Can, femme de Metin Can, Şerafettin Özcan, Bira Zordağ, Hüseyin Soner Yalçın, journaliste, Süleyman Tutal, procureur d'Elazığ, Hayati Eraslan, procureur de Tunceli, Ahmet Bulut, procureur militaire près la cour de sûreté de l'Etat de Malatya, Mustafa Özkan, chef de la police de Pertek, Bülent Ekren, commandant de la gendarmerie de Pertek, et Mesut Mehmetoğlu, ancien membre du PKK repenti.
III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les principes et les procédures relatifs à la responsabilité pour des actes contraires à la loi peuvent se résumer comme suit.
A. La poursuite pénale des infractions
Le code pénal réprime toute forme d'homicide (articles 448 à 455) ainsi que ses tentatives (articles 61 et 62). Les articles 151 à 153 du code de procédure pénale régissent les devoirs incombant aux autorités quant à l'enquête préliminaire au sujet des faits susceptibles de constituer pareils crimes et portés à la connaissance des autorités. Ainsi, toute infraction peut être dénoncée aussi bien aux autorités ou agents des forces de l'ordre qu'aux parquets. La déposition de pareille plainte peut être écrite ou orale, et, dans ce dernier cas, l'autorité est tenue d'en dresser procès-verbal (article 151).
S'il existe des indices qui mettent en doute le caractère naturel d'un décès, les agents des forces de l'ordre qui en ont été avisés sont tenus d'en faire part au procureur de la République ou au juge du tribunal correctionnel (article 152). En application de l'article 235 du code pénal, tout membre de la fonction publique qui omet de déclarer à la police ou aux parquets une infraction dont il a eu connaissance pendant l'exercice de ses fonctions est passible d'une peine d'emprisonnement.
Le procureur de la République qui – de quelque manière que ce soit – est informé d'une situation permettant de soupçonner qu'une infraction a été commise, est obligé d'instruire les faits aux fins de décider s'il y a lieu ou non d'entamer une action publique (article 153 du code de procédure pénale).
Dans le cas d'actes de terrorisme présumés, le procureur est privé de sa compétence au profit d'un système distinct de procureurs et de cours de sûreté de l'Etat répartis dans toute la Turquie.
Si l'auteur présumé d'une infraction est un agent de la fonction publique et si l'acte a été commis pendant l'exercice des fonctions, l'instruction préliminaire de l'affaire dépend de la loi de 1914 sur les poursuites contre les fonctionnaires, laquelle limite la compétence ratione personae du ministère public dans cette phase de la procédure. En pareil cas, l'enquête préliminaire et, par conséquent, l'autorisation d'ouvrir des poursuites pénales, seront du ressort du comité administratif local concerné (celui du district ou du département selon le statut de l'intéressé). Une fois pareille autorisation délivrée, il incombe au procureur de la République d'instruire l'affaire.
Les décisions desdits comités sont susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat ; la saisine est d'office si l'affaire est classée sans suite.
En vertu de l'article 4, alinéa i), du décret n° 285 du 10 juillet 1987 relatif à l'autorité du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence, la loi de 1914 (paragraphe 65 ci-dessus) s'applique également aux membres des forces de l'ordre dépendant dudit gouverneur.
Lorsque l'auteur présumé d'un délit est un militaire, la qualification de l'acte incriminé détermine la loi applicable. Ainsi, s'il s'agit d'un « crime militaire » prévu au code pénal militaire n° 1632, les poursuites pénales sont, en principe, régies par la loi n° 353 portant institution des tribunaux militaires et réglementation de leur procédure ; en ce qui concerne les militaires accusés d'une infraction de droit commun, ce sont, en principe, les dispositions du code de procédure pénale qui trouveront application (articles 145 § 1 de la Constitution et 9 à 14 de la loi n° 353).
Le code pénal militaire érige en « infraction militaire » le fait, pour un militaire agissant en désobéissance, de mettre en danger la vie d'une personne (article 89). Dans ce cas, les plaignants civils peuvent saisir les autorités visées au code de procédure pénale (paragraphe 63 ci-dessus) ou le supérieur hiérarchique de la personne mise en cause.
B. La responsabilité civile et administrative du fait d'actes criminels et délictuels
En vertu de l'article 13 de la loi n° 2577 sur la procédure administrative, toute victime d'un dommage résultant d'un acte de l'administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d'un an à compter de la date de l'acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n'a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure administrative.
L'article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution énonce :
« Tout acte ou décision de l'administration est susceptible d'un contrôle juridictionnel (...)
(...)
L'administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »
Cette disposition consacre une responsabilité objective de l'Etat, laquelle entre en jeu quand il a été établi que dans les circonstances d'un cas donné, l'Etat a manqué à son obligation de maintenir l'ordre et la sûreté publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et cela sans qu'il faille établir l'existence d'une faute délictuelle imputable à l'administration. Sous ce régime, l'administration peut donc se voir tenue d'indemniser quiconque est victime d'un préjudice résultant d'actes commis par des personnes non identifiées.
L'article 8 du décret n° 430 du 16 décembre 1990, dont la dernière phrase s'inspire de la disposition susmentionnée (paragraphe 69 ci-dessus), est ainsi libellé :
« La responsabilité pénale, financière ou juridique, du gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence ou d'un préfet d'une région où a été proclamé l'état d'urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l'exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens contre l'Etat devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l'Etat des dommages injustifiés subis par elle. »
Sur le terrain du code des obligations, les personnes lésées du fait d'un acte illicite ou délictuel peuvent introduire une action en réparation pour le préjudice tant matériel (articles 41 à 46) que moral (article 47). En la matière, les tribunaux civils ne sont liés ni par les considérations ni par le jugement des juridictions répressives sur la culpabilité de l'intéressé (article 53).
Toutefois, en vertu de l'article 13 de la loi n° 657 sur les employés de l'Etat, les personnes ayant subi un dommage du fait de l'exercice d'une fonction relevant du droit public peuvent, en principe, ester en justice uniquement contre l'autorité publique dont relève le fonctionnaire en cause et pas directement contre celui-ci (articles 129 § 5 de la Constitution, et 55 et 100 du code des obligations). Cette règle n'est toutefois pas absolue. Lorsque l'acte en question est qualifié d'illicite ou de délictuel et, par conséquent, perd son caractère d'acte ou de fait « administratif », les juridictions civiles peuvent accueillir une demande de dommages-intérêts dirigée contre l'auteur lui-même, sans préjudice de la possibilité d'engager la responsabilité conjointe de l'administration en sa qualité d'employeur de l'auteur de l'acte (article 50 du code des obligations). | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Le 18 février 1996, un procureur de la division du crime organisé du parquet général engagea des poursuites pénales contre le requérant, qui était soupçonné de complicité dans l'extorsion d'une rançon de 7 000 dollars américains contre la restitution de la voiture volée à un certain J.M.
Le 1er avril 1996, l'intéressé fut inculpé de quatre chefs, notamment de chantage (turto prievartavimas) et de subornation (poveikis nukentėjusiajam) de la victime.
L'instruction préparatoire fut conduite par des procureurs de la division du crime organisé du parquet général. Elle fut close le 26 septembre 1996. Entre cette date et le 1er octobre 1996, le requérant et son conseil eurent accès au dossier.
Après avoir consulté le dossier, le requérant et son conseil demandèrent au procureur de classer l'affaire sans suite au motif que les accusations portées contre l'intéressé étaient mal fondées et que le dossier « ne renfermait aucune preuve [de sa] culpabilité ».
Le 1er octobre 1996, un procureur de la division du crime organisé rejeta les demandes du requérant. Dans sa décision, il déclara notamment :
« Après avoir consulté le dossier, [le requérant] (...) a demandé le classement sans suite de l'affaire au motif qu'il n'avait pas commis les infractions qui lui étaient reprochées (...) et que sa culpabilité (...) n'était pas démontrée [kaltė (...) neįrodyta]. [Ces] allégations doivent être rejetées pour défaut de fondement puisque la culpabilité de l'intéressé est établie [kaltė (...) įrodyta] par les preuves rassemblées au cours de l'instruction préparatoire.
Bien que Henrikas Daktaras ne reconnaisse pas avoir commis les infractions qui lui sont reprochées, sa culpabilité est établie par les témoignages, (...) les enregistrements vidéo et sonores (...) et d'autres éléments recueillis au cours de l'instruction préparatoire. Les témoignages [de S.Č., V.V. et A.L.] (...) prouvent que H. Daktaras cache avoir perpétré une infraction (...). Les déclarations [de S.Č. et les éléments pertinents] démontrent que H. Daktaras a obtenu des biens [de la victime J.M.] par la menace (...). Les propres déclarations de H. Daktaras établissent qu'il était complice des personnes qui ont volé [la voiture] (...). Le fait que H. Daktaras (...) a intimidé la victime est pleinement prouvé par les témoignages [de J.M., S.Č., et les éléments pertinents] (...). Pour le parquet, [les éléments susmentionnés] sont constitutifs de subornation de [J.M.] (...)
Eu égard à ce qui précède et conformément à l'article 229 du code de procédure pénale, il est décidé :
de rejeter en tout les demandes [du requérant] ;
d'informer les intéressés de la décision. »
Le 2 octobre 1996, le procureur général de la division du crime organisé confirma l'acte d'inculpation et adressa l'affaire à la Cour suprême.
A la même date, le président de la chambre criminelle de la Cour suprême transmit le dossier au tribunal régional de Vilnius.
Le 18 novembre 1996, un juge de cette juridiction renvoya le requérant en jugement.
Le 13 février 1997, le juge reconnut le requérant coupable de chantage et de subornation de la victime. L'intéressé fut condamné en tant qu'auteur principal quant à l'accusation de chantage et fut relaxé quant aux deux autres chefs. Il fut condamné à sept ans et six mois d'emprisonnement, à une amende de 15 000 litai et ses biens furent confisqués.
Le requérant interjeta appel, invoquant diverses erreurs quant au fond et à la forme. Il allégua notamment avoir été présumé coupable et privé d'un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial.
Le 27 mai 1997, la cour d'appel tint une audience contradictoire. Elle réforma le jugement du 13 février 1997 pour autant qu'il concernait la condamnation du requérant pour chantage. Elle considéra que le requérant était complice de l'infraction, et non l'auteur principal, mais ne modifia pas la peine.
Le requérant saisit la Cour suprême d'un pourvoi en cassation, faisant valoir que les deux juridictions inférieures avaient commis des erreurs de fait et de droit et qu'il n'avait pas perpétré les infractions qui lui étaient reprochées.
Le 3 juillet 1997, le juge du tribunal régional de Vilnius qui avait rendu le jugement de première instance adressa au président de la chambre criminelle de la Cour suprême une lettre dans laquelle il contesta les conclusions de la cour d'appel quant à la part prise par le requérant dans la commission de l'infraction de chantage. Il soutint que l'intéressé aurait dû être condamné en tant qu'auteur principal. Il demanda au président de soumettre une requête en cassation (kasacinis teikimas) en vue de faire casser le jugement d'appel.
Le 27 août 1997, le président de la chambre criminelle de la Cour suprême saisit cette chambre d'une requête en cassation ; il affirma notamment :
« L'arrêt de la cour d'appel devrait être cassé (...). [La juridiction d'appel] (...) a mal interprété et appliqué le droit (...). Au vu des éléments du dossier, il est établi que H. Daktaras (...) a exécuté la volonté du groupe de personnes (...) et qu'il est l'auteur principal de l'infraction de chantage (...)
Conformément à l'article 417 du code de procédure pénale, je demande :
Que soit cassé l'arrêt de la cour d'appel du 27 mai 1997 (...) et confirmé le jugement du tribunal régional de Vilnius du 13 février 1997. »
Le 8 septembre 1997, le même président de la chambre criminelle de la Cour suprême désigna le juge rapporteur en l'affaire. Le 23 septembre 1997, il constitua également la chambre de trois juges appelée à statuer sur l'affaire.
Une audience eut lieu le 2 décembre 1997. A cette occasion, le procureur général de la division du crime organisé demanda à la Cour suprême de retenir la requête en cassation au nom de l'accusation, qui ne s'était pas pourvue elle-même en l'espèce. Le requérant invita la Cour suprême à retenir son pourvoi et à rejeter la requête en cassation.
A la date susmentionnée, la Cour suprême cassa l'arrêt de la cour d'appel et confirma le jugement du tribunal régional de Vilnius, rejetant le pourvoi du requérant et retenant la requête en cassation. Elle estima que l'intéressé était l'auteur principal de l'infraction de chantage.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les dispositions pertinentes sont les suivantes :
A. Impartialité et indépendance des juges
Article 14 du code de procédure pénale (« le CPP »)
« Lorsqu'ils administrent la justice en matière pénale, les juges sont indépendants et n'obéissent qu'à la loi. Ils statuent sur les affaires pénales conformément à la loi et en leur âme et conscience, dans des conditions qui excluent toute influence extérieure. Toute ingérence dans l'administration de la justice par les juges ou les tribunaux est interdite et passible de poursuites. »
Article 76 du CPP
« Le tribunal (...) apprécie les éléments de preuve selon [son] intime conviction, après avoir procédé, conformément à la loi et en conscience, à un examen approfondi, complet et objectif de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
Le tribunal ne doit se laisser indûment influencer par aucun élément de preuve (...) »
En vertu de l'article 31, tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d'impartialité doit se déporter. Un juge peut être récusé par la partie défenderesse ou une autre partie à l'affaire pour le même motif.
B. Statut des juges et du président de la chambre criminelle de la Cour suprême
Conformément à l'article 13 de la loi sur l'organisation judiciaire et à l'article 2 du Statut de la Cour suprême, celle-ci se compose du président, des présidents des chambres civile et criminelle et des autres juges.
Selon les articles 24 et 35 de la loi sur l'organisation judiciaire et les articles 16 à 18 du Statut de la Cour suprême, cette juridiction se compose de juges professionnels et permanents désignés par le parlement.
L'article 39 de la loi sur l'organisation judiciaire énonce que les présidents des chambres sont compétents « en matière d'organisation » du travail des tribunaux. D'après le troisième paragraphe de cette disposition, les présidents des chambres peuvent également siéger en tant que juges ; en pareil cas, ils exercent les mêmes fonctions judiciaires que les juges ordinaires.
L'article 12 du Statut de la Cour suprême dispose que le président de la chambre criminelle
« 1) lorsqu'il statue, a les mêmes droits et obligations que les autres juges. [Il] peut soumettre des requêtes en cassation concernant certains jugements (...) ;
2) constitue les chambres et désigne leurs présidents (...) répartit les affaires entre les juges (...) [et] supervise leur examen ;
3) soumet au président de la Cour des propositions sur les primes et gratifications à attribuer aux juges et autres fonctionnaires ;
4) dirige le greffe ;
5) organise les travaux de recherche jurisprudentielle (...) ;
6) confirme les statistiques des activités (...) ;
7) exécute d'autres fonctions conformément à la loi et aux directives relatives à l'organisation émises par le président de la Cour suprême. »
L'article 14 du statut énonce que le président de la chambre criminelle est chargé de l'organisation des audiences de cassation.
Le quatrième paragraphe de l'article 39 de la loi sur l'organisation judiciaire interdit expressément aux présidents des tribunaux ou des chambres d'exercer une quelconque influence sur les juges ou de porter atteinte d'une autre façon à leur indépendance dans l'administration de la justice.
C. Requête en cassation
Conformément à l'article 417 § 4 du CPP, le président de la Cour suprême, le président de la cour d'appel, les présidents des tribunaux régionaux et les présidents des chambres criminelles des juridictions susmentionnées ont la faculté de soumettre une requête en cassation concernant une décision d'une juridiction inférieure. En vertu de l'article 417 § 5, la juridiction de cassation suit la même procédure que pour un pourvoi en cassation ordinaire formé par les parties à la procédure.
L'article 418 § 2 énonce les conditions d'introduction d'un pourvoi ou d'une requête en cassation : il faut mentionner la juridiction de cassation, l'affaire ou la décision litigieuse, la substance de la décision et les moyens de cassation.
D. Présomption d'innocence
L'article 31 § 1 de la Constitution dispose :
« Toute personne est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie par un jugement définitif d'un tribunal. »
L'article 11 § 2 du CPP se lit ainsi :
« Une personne ne peut être reconnue coupable d'une infraction ou punie d'une peine que par une décision rendue par un tribunal conformément à la loi. »
E. Rôle du procureur dans la procédure pénale
L'article 118 de la Constitution stipule que le procureur dirige notamment les poursuites pénales et supervise les responsables de l'instruction préparatoire.
Conformément aux articles 45 et 46 du CPP, le procureur est chargé de veiller à la légalité de l'ouverture de la procédure pénale et au respect du droit interne au cours de l'instruction préparatoire, d'exposer les chefs d'accusation au procès, de recourir contre tout acte de procédure et de surveiller l'exécution des jugements.
Dans son arrêt du 5 février 1999, la Cour constitutionnelle a notamment décrit comme suit le rôle général du procureur dans le cadre de la procédure pénale en Lituanie :
« En vertu de la Constitution, les procureurs font partie du pouvoir judiciaire et sont investis de fonctions particulières. Le procureur est un magistrat chargé de superviser l'instruction préparatoire (...)
Le procureur peut participer à la procédure pénale dès son ouverture. (...) Conformément à la procédure prévue par la loi, il engage les poursuites pénales et les mène en enquêtant sur le crime. Il a notamment pour fonction de surveiller les autorités conduisant l'instruction préparatoire. (...) Le procureur peut instruire lui-même toute infraction. (...)
Il est donc chargé de la phase préliminaire de la procédure pénale. (...)
La loi confère non pas aux tribunaux (...) [mais] aux procureurs les moyens procéduraux de veiller au bon déroulement de l'instruction préparatoire. »
En vertu des articles 3, 125 à 128 et 130 du CPP, les enquêteurs, les procureurs et les tribunaux sont habilités à engager des poursuites pénales ou à classer l'affaire sans suite et à recueillir les éléments de preuve (articles 18 et 74 à 76). L'exercice de ces fonctions varie selon le stade de la procédure.
L'instruction préparatoire peut être conduite par des procureurs relevant du parquet général, ou par des enquêteurs faisant partie du ministère de l'Intérieur (article 142).
Conformément aux articles 24 et 133 du CPP, les procureurs veillent au respect du droit interne par les enquêteurs au stade de l'instruction préparatoire. Ils ont pour mission de redresser toute violation de la loi. Ce faisant, ils « sont indépendants de toute autre autorité et n'obéissent qu'à la loi » (article 24 §§ 2 et 3). Aux termes de l'article 24 § 4, les décisions des procureurs « s'imposent à toute autorité et personne ».
Lorsque l'instruction préparatoire est conduite par le parquet, l'accusé, lorsqu'il a accès au dossier (articles 225 à 229 du CPP), peut demander un « complément d'instruction » au procureur. Celui-ci doit rendre une décision motivée en cas de rejet de la demande (article 229 § 2). Après une telle décision, l'acte d'inculpation peut être établi (article 230).
Lorsqu'un accusé met en cause une mesure prise par un procureur au stade de l'instruction préparatoire, sa plainte doit être soumise à un procureur de rang supérieur qui l'examinera (articles 242 à 244 du CPP).
Après confirmation de l'acte d'inculpation, l'affaire est renvoyée au tribunal (article 241 du CPP). A partir de ce moment « toute demande ou grief relatif à l'affaire doit être soumis directement au tribunal » (article 241 § 2). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
Özgür Gündem, quotidien de langue turque qui avait son siège à Istanbul, était diffusé, selon les estimations, à 45 000 exemplaires à l'échelon national et à un nombre indéterminé d'exemplaires à l'étranger. Il intégrait la revue hebdomadaire qui l'avait précédé, Yeni Ülke, éditée entre 1990 et 1992. Özgür Gündem parut du 30 mai 1992 au mois d'avril 1994. Un autre quotidien, Özgür Ülke, lui succéda.
L'affaire porte sur les allégations des requérants selon lesquelles Özgür Gündem fit l'objet de graves mesures d'agression et de harcèlement, qui le contraignirent finalement à cesser de paraître et dont les autorités turques seraient directement ou indirectement responsables.
A. Incidents violents et menaces visant Özgür Gündem et les personnes liées au journal
Les requérants ont présenté des observations détaillées à la Commission, énumérant les incidents dont des journalistes, des distributeurs et d'autres personnes liées au journal furent victimes (rapport de la Commission, paragraphes 32-34). Dans ses observations à la Commission, le Gouvernement a nié l'existence de certaines de ces agressions (rapport de la Commission, paragraphes 43-62). Aucune des deux parties n'a commenté dans ses observations à la Cour les constatations de la Commission à cet égard (rapport de la Commission, paragraphes 141-142).
Les incidents suivants ne font l'objet d'aucune contestation.
Sept personnes en rapport avec Özgür Gündem furent tuées dans des circonstances qualifiées à l'origine de meurtres commis par des « auteurs inconnus » : 1. Yahya Orhan, journaliste tué par balle le 31 juillet 1992 ; 2. Hüseyin Deniz, employé d'Özgür Gündem, tué par balle le 8 août 1992 ; 3. Musa Anter, chroniqueur régulier d'Özgür Gündem, tué par balle le 20 septembre 1992 ; 4. Hafız Akdemir, employé d'Özgür Gündem, tué par balle le 8 juin 1992 ; 5. Kemal Kılıç, représentant d'Özgür Gündem à Şanlıurfa, tué par balle le 18 février 1993 (la requête n° 22492/93, introduite par Cemil Kılıç quant à la responsabilité alléguée de l'Etat pour ce meurtre, est pendante devant la Cour ; voir le rapport de la Commission du 23 octobre 1998) ; 6. Cengiz Altun, reporter à Yeni Ülke, tué par balle le 24 février 1992 ; 7. Ferhat Tepe, correspondant d'Özgür Gündem à Bitlis, enlevé le 28 juillet 1993 et retrouvé mort le 4 août 1993.
Les agressions suivantes furent commises : 1. incendie criminel du kiosque à journaux de Kadir Saka le 16 novembre 1992 à Diyarbakır ; 2. agression armée d'Eşref Yaşa, également dépositaire de journaux, le 15 janvier 1993 à Diyarbakır ; 3. agression armée du marchand de journaux Haşim Yaşa le 15 juin 1993 à Diyarbakır (cet incident et l'agression d'Eşref Yaşa ont fait l'objet d'une requête fondée sur la Convention ; voir l'arrêt Yaşa c. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI) ; 4. agression le 26 septembre 1993 à Diyarbakır de Mehmet Balamir, vendeur de journaux, alors qu'il distribuait Özgür Gündem, par un individu armé d'un couteau ; 5. agression en 1993 à Ergani de garçons qui vendaient le journal par une personne armée d'un couteau ; 6. incendie criminel d'un kiosque à journaux à Mazidagı ; 7. destruction par le feu de la voiture d'un marchand de journaux le 17 novembre 1992 à Bingöl ; 8. explosion d'une bombe, qui endommagea un kiosque à journaux, en octobre 1993 à Yüksekova ; 9. explosion d'une bombe le 2 décembre 1994 au siège d'Istanbul d'Özgür Ülke, successeur du journal ; un employé fut tué et dix-huit autres furent blessés.
Les requérants ont énuméré un grand nombre d'autres incidents (incendies criminels, agressions et menaces dirigées contre des marchands, distributeurs et vendeurs de journaux) que le Gouvernement réfute ou pour lesquels il déclare n'avoir reçu ni information ni plainte (rapport de la Commission, paragraphes 32-34 et 43-62). Les requérants font également état de la disparition le 7 août 1993 du journaliste Aysel Malkaç et de la détention et des mauvais traitements subis par nombre de ses confrères ; l'un d'entre eux, Salih Tekin, a présenté une requête aux organes de Strasbourg, qui ont constaté qu'il avait été soumis à des traitements inhumains et dégradants pendant sa garde à vue (rapport de la Commission, paragraphe 37 ; arrêt Tekin c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, pp. 1517-1518, §§ 53-54).
Les requérants et d'autres personnes agissant au nom du journal et de son personnel adressèrent de nombreuses demandes aux autorités concernant les menaces et les agressions dont ils alléguaient l'existence. Ces documents sont énumérés dans le rapport de la Commission (paragraphe 35) et comprennent des lettres du requérant Yaşar Kaya au gouverneur de la région soumise à l'état d'urgence, au ministre de l'Intérieur, au premier ministre et au vice-premier ministre, par lesquelles il les informait de ces agressions et sollicitait l'ouverture d'une enquête et des mesures de protection. La très grande majorité de ces lettres n'ont fait l'objet d'aucune réponse.
Des plaintes écrites furent déposées par des personnes travaillant pour le journal au sujet d'agressions, d'incidents et de menaces spécifiques pour lesquels le Gouvernement a prétendu n'avoir reçu aucune information ou doléance ; ces incidents comprenaient les agressions d'enfants qui distribuaient le journal en 1993 à Diyarbakır, la mort du marchand de journaux Zülküf Akkaya le 27 septembre 1993 à Diyarbakır et des attentats commis en septembre 1993, également à Diyarbakır, sur des vendeurs de journaux par des personnes armées de hachoirs à viande (rapport de la Commission, paragraphe 35 s)). Une demande écrite de mesures de protection fut présentée le 24 décembre 1992 au préfet de Şanlıurfa au nom des personnes travaillant pour le journal à Şanlıurfa, et fut écartée peu de temps avant le décès du journaliste Kemal Kılıç, tué par balle le 18 février 1993 (rapport de la Commission, paragraphe 35 1)).
A la suite d'une demande de mesures de sécurité reçue par la police de Diyarbakır le 2 décembre 1993, la police escorta les employés des deux sociétés assurant la diffusion de journaux des frontières de la province de Şanlıurfa aux entrepôts. Des mesures furent également prises quant à la livraison des journaux des entrepôts aux points de vente. Le Gouvernement a déclaré à la Commission qu'aucune autre demande de protection n'avait été reçue. A la suite de l'explosion au siège d'Özgür Ülke le 2 décembre 1994 et d'une demande de son propriétaire, les autorités prirent des mesures de sécurité, dont la mise en place de patrouilles.
B. Opération de perquisition et d'arrestation menée dans les locaux d'Özgür Gündem à Istanbul
Le 10 décembre 1993, la police procéda à une perquisition au siège d'Özgür Gündem à Istanbul. Pendant cette opération, elle appréhenda toutes les personnes présentes dans le bâtiment (cent sept personnes, dont les requérants Gurbetelli Ersöz et Fahri Ferda Çetin) et saisit l'ensemble des documents et archives.
Selon deux procès-verbaux de perquisition et de saisie datés du 10 décembre 1993, la police découvrit deux armes, des munitions, deux sacs de couchage et vingt-cinq masques à gaz. Un autre procès-verbal de perquisition et de saisie du 10 décembre 1993 indique que les articles suivants furent trouvés : des photographies (qui, d'après la description, se trouvaient dans une enveloppe étiquetée « organisation terroriste PKK »), un reçu fiscal tamponné du sigle ERNK (une aile du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)) pour un montant de 400 millions de livres turques (TRL), découvert dans le bureau du requérant Yaşar Kaya, ainsi que de nombreux documents imprimés et manuscrits, dont un article sur Abdullah Öcalan. Un document du 24 décembre 1993, signé du procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul, indique que les articles suivants ont été saisis : dans une enveloppe scellée, la carte militaire de Muzaffer Ulutaş, tué à Şırnak en mars 1993 ; dans une boîte scellée, 1 350 kits d'injection, une machine à écrire, une cassette vidéo et une cassette audio, ainsi que quarante livres découverts dans la maison du requérant Fahri Ferda Çetin. A la suite de ces mesures, la parution du journal fut perturbée pendant deux jours.
Par un acte d'accusation du 5 avril 1994, la rédactrice Gurbetelli Ersöz, Fahri Ferda Çetin, Yaşar Kaya, le directeur Ali Rıza Halis et six autres personnes furent inculpés d'appartenance, d'aide et d'assistance au PKK, et de propagande en faveur de cette organisation. Le Gouvernement déclare que, par une décision du 12 décembre 1996, la cinquième cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul reconnut Gurbetelli Ersöz et Ali Rıza Halis coupables d'aide et assistance au PKK. Gurbetelli Ersöz avait précédemment été condamnée pour participation aux activités du PKK vers la fin du mois de décembre 1990 et avait été libérée de prison en 1992.
C. Poursuites concernant certaines éditions d'Özgür Gündem
De nombreuses poursuites furent engagées contre le journal (notamment contre le rédacteur concerné, contre le requérant Yaşar Kaya en ses qualités de propriétaire et éditeur, ainsi que contre les auteurs des articles incriminés), au motif que la parution de divers articles était constitutive d'infractions. Les poursuites aboutirent à de nombreuses condamnations, assorties de peines d'amende et d'emprisonnement, d'ordonnances de saisie de certaines éditions du journal et d'ordonnances de fermeture du quotidien pour des périodes allant de trois jours à un mois.
Les poursuites furent engagées en vertu de dispositions érigeant en infraction le fait notamment de publier des documents insultant ou vilipendant la nation turque, la République ou certains agents ou autorités de l'Etat, ainsi que des documents incitant à la haine et à l'hostilité sur la base de l'appartenance à une race, une région ou une classe sociale, qui constituaient de la propagande séparatiste, divulguaient l'identité de fonctionnaires participant à des missions de lutte contre le terrorisme ou rapportaient les déclarations d'organisations terroristes (voir « Le droit interne pertinent » ci-après).
Le 3 juillet 1993, Özgür Gündem publia un communiqué de presse annonçant que le journal était inculpé d'infractions passibles de peines d'amende atteignant cumulativement un montant total de 8 617 441 000 TRL, et de peines d'emprisonnement pouvant aller de 155 ans et 9 mois à 493 ans et 4 mois.
En 1993, la saisie de quarante et une éditions du journal fut ordonnée sur une période de soixante-huit jours. Dans vingt cas, des ordonnances de fermeture furent émises, trois pour une période d'un mois, quinze pour une période de quinze jours et deux pour une période de dix jours.
Les requérants déclarent en outre – et le Gouvernement n'en disconvient pas – que 486 éditions du journal sur 580 ont donné lieu à des poursuites, et qu'en vertu de condamnations par les tribunaux internes, le requérant Yaşar Kaya s'est vu infliger des amendes d'un montant total de 35 milliards TRL, alors que l'ensemble des journalistes et rédacteurs ont été condamnés à des peines d'emprisonnement atteignant 147 ans et à des peines d'amende s'élevant à 21 milliards TRL.
D. Documents présentés à la Commission
Procédures devant les juridictions nationales
Les deux parties ont fourni à la Commission des copies de jugements et décisions des tribunaux relatifs aux procédures engagées contre le journal. Ces documents portent sur cent douze séries de poursuites intentées entre 1992 et 1994. Des précisions sur les articles litigieux et les jugements rendus dans vingt et un cas sont résumées dans le rapport de la Commission (paragraphes 161-237).
Le rapport de Susurluk
Les requérants ont fait parvenir à la Commission une copie du « rapport de Susurluk », établi à la demande du premier ministre par M. Kutlu Savaş, vice-président du Comité d'inspection près le cabinet du premier ministre. Après sa communication en janvier 1998, le premier ministre l'a porté à la connaissance du public, à l'exception de onze pages du corps du document ainsi que de certaines de ses annexes.
D'après son préambule, ledit document n'est ni le fruit d'une instruction judiciaire ni un rapport d'enquête. Préparé dans un but d'information, il se limite à exposer certains faits concentrés dans le Sud-Est de la Turquie et susceptibles de confirmer l'existence d'une relation tripartite d'intérêts illicites entre des personnages politiques, des institutions gouvernementales et des coteries clandestines.
Le rapport fait l'analyse d'un enchaînement d'incidents, tels que des meurtres commandés, des assassinats de personnages connus ou prokurdes, ou encore des agissements délibérés d'un groupe de repentis censés servir l'Etat, pour conclure à l'existence d'un lien entre la lutte contre le terrorisme menée dans ladite région et les relations occultes qui en sont dérivées, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Les passages du rapport ayant trait à certains aspects touchant aux périodiques radicaux distribués dans ladite région sont reproduits ci-dessous :
« (...) Dans ses aveux à la Direction du bureau criminel de Diyarbakır (...) M. G. (...) avait déclaré, quant à Ahmet Demir[] [p. 35], que celuici (...) racontait de temps en temps (...) qu'il avait planifié et fait exécuter le meurtre de Behçet Cantürk[] ainsi que d'autres partisans de la mafia et du PKK tués de la même façon (...) ; que le meurtre de (...) Musa Anter[] avait également été planifié et réalisé par A. Demir [p. 37].
(...)
Des renseignements sommaires sur les antécédents de Behçet Cantürk, d'origine arménienne, se trouvent ci-dessous [p. 72].
(...)
L'intéressé (...) était, depuis 1992, l'un des financiers du quotidien Özgür Gündem. (...) Malgré l'évidence de son identité et de ce qu'il faisait, l'Etat n'avait pas pu venir à bout de Cantürk. Les voies légales s'étant avérées insuffisantes, finalement, on a fait exploser le quotidien Özgür Gündem au plastic, et vu que Cantürk s'était mis à fonder une nouvelle entreprise, alors qu'on attendait qu'il s'inclinât devant l'Etat, l'Organisation de la Sûreté turque a décidé sa mort et celle-ci a été exécutée [p. 73].
(...)
Toutes les autorités concernées de l'Etat sont au courant de ces activités et opérations. (...) L'analyse des particularités des personnages tués dans lesdites opérations permet de déduire que la différence entre les personnes prokurdes tuées dans la région soumise à l'état d'urgence et les autres réside en leur pouvoir de financement du point de vue économique. (...) Notre seul désaccord avec ce qui a été fait concerne les modalités d'exécution et leurs conséquences. En effet, il a été constaté que même ceux approuvant tout ce qui s'était passé regrettaient le meurtre de Musa Anter. D'aucuns disent que Musa Anter n'était pas impliqué dans une action armée, qu'il était plutôt préoccupé par la philosophie de la chose, que les effets de son assassinat ont dépassé son influence propre et que sa mort avait été décidée à tort. (Les renseignements sur ces personnes se trouvent à l'annexe 9[]). D'autres journalistes ont également été tués [p. 74][]. »
28. Le rapport se conclut par de nombreuses recommandations, préconisant notamment l'amélioration de la coordination et de la communication entre les différentes branches des services de la sûreté, de police et de renseignements, l'identification et le renvoi des membres des forces de l'ordre impliqués dans des activités illégales, la limitation du recours aux « repentis », la réduction du nombre de gardes de village, la cessation des activités du bureau des opérations spéciales et son incorporation dans les services de police en dehors de la région du Sud-Est, l'ouverture d'enquêtes sur divers incidents et la prise de mesures visant à supprimer les associations de malfaiteurs et les trafics de stupéfiants, ainsi que la communication des résultats de l'enquête parlementaire sur les événements de Susurluk aux autorités compétentes pour qu'elles engagent les procédures qui s'imposent.
II. le DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code pénal
Les dispositions pertinentes du code pénal sont ainsi libellées :
Article 36 § 1
« En cas de condamnation, le tribunal saisit et confisque l'objet ayant servi à commettre ou à préparer le crime ou le délit (...) »
Article 79
« Quiconque commet un acte enfreignant plusieurs dispositions de la loi sera puni en application de l'article pertinent prévoyant la peine la plus lourde. »
Article 159 § 1
« Quiconque insulte ou vilipende publiquement la nation, la République, la Grande Assemblée nationale, l'autorité morale du Gouvernement, les ministères, les forces de défense et de sûreté de l'Etat, ou l'autorité morale du pouvoir judiciaire, sera puni d'un à six ans d'emprisonnement. »
Article 311 § 2
« Si l'incitation au crime est pratiquée par des moyens de communication de masse quels qu'ils soient – bandes sonores, disques, journaux, publications ou autres instruments de presse – par la diffusion ou la distribution de manuscrits imprimés ou par la pose de panneaux ou affiches dans des lieux publics, les peines d'emprisonnement à infliger au coupable sont doublées (...) »
Article 312
« Est passible de six mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende (...) de six mille à trente mille livres turques quiconque, expressément, loue ou fait l'apologie d'un acte qualifié de crime par la loi, ou incite la population à désobéir à la loi
Est passible d'un à trois ans d'emprisonnement ainsi que d'une amende de neuf mille à trente-six mille livres quiconque, sur la base d'une distinction fondée sur l'appartenance à une classe sociale, à une race, à une religion, à une secte ou à une région, incite le peuple à la haine et à l'hostilité. Si pareille incitation compromet la sécurité publique, la peine est majorée d'une portion pouvant aller d'un tiers à la moitié de la peine de base.
Les peines qui s'attachent aux infractions définies au paragraphe précédent sont doublées lorsque celles-ci ont été commises par les moyens énumérés au paragraphe 2 de l'article 311. »
La condamnation d'une personne en application de l'article 312 § 2 entraîne d'autres conséquences, notamment quant à l'exercice de certaines activités régies par des lois spéciales. Ainsi, par exemple, les personnes condamnées de la sorte ne peuvent fonder des associations (loi n° 2908, article 4 § 2 b)) ou des syndicats, ni être membres des bureaux de ces derniers (loi n° 2929, article 5). Il leur est également interdit de créer des partis politiques ou d'y adhérer (loi n° 2820, article 11 § 5) ou d'être élues au parlement (loi n° 2839, article 11, alinéa f 3)).
B. La loi sur la presse (loi n° 5680 du 15 juillet 1950)
La clause pertinente de la loi de 1950 est libellée comme suit :
Article 3
« Sont des « périodiques », aux fins de la présente loi, les journaux, les dépêches des agences de presse et tous autres imprimés publiés à intervalles réguliers.
Constitue une « publication », l'exposition, l'affichage, la diffusion, l'émission, la vente ou la mise en vente d'imprimés dans des locaux accessibles au public où chacun peut les voir.
Le délit de presse n'est constitué que s'il y a publication, sauf lorsque le discours est en soi constitutif d'une infraction. »
C. La loi relative à la lutte contre le terrorisme (loi n° 3713 du 12 avril 1991)
Cette loi, promulguée en vue de la prévention des actes de terrorisme, se réfère à une série d'infractions visées au code pénal qu'elle qualifie d'« actes de terrorisme » ou d'« actes perpétrés à des fins terroristes » (articles 3-4) et auxquelles elle s'applique. Ses dispositions pertinentes se lisent ainsi :
Article 6
« Est puni d'une amende de cinq à dix millions de livres turques quiconque déclare, oralement ou dans une publication, que des organisations terroristes commettront une infraction contre une personne, en divulguant ou non son (...) identité mais de manière qu'on puisse l'identifier, ou dévoile l'identité de fonctionnaires ayant participé à des missions de lutte contre le terrorisme ou, pareillement, désigne une personne comme cible.
Est puni d'une amende de cinq à dix millions de livres turques quiconque imprime ou publie des déclarations et tracts d'organisations terroristes.
(...)
Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l'article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l'éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l'intervalle de parution du périodique est de moins d'un mois, ou des ventes réalisées par le dernier numéro du périodique si celui-ci est mensuel ou paraît moins fréquemment, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s'il s'agit d'imprimés n'ayant pas la qualité de périodique ou si le périodique vient d'être lancé[]. Toutefois, l'amende ne peut être inférieure à cinquante millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée à l'éditeur. »
Article 8
(avant modification par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995)
« La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat de la République de Turquie et à l'unité indivisible de la nation sont prohibées, quels que soient le procédé utilisé et le but poursuivi. Quiconque se livre à pareille activité est condamné à une peine de deux à cinq ans d'emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques.
Lorsque le crime de propagande visé au paragraphe ci-dessus est commis par la voie des périodiques visés à l'article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l'éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l'intervalle de parution du périodique est de moins d'un mois, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s'il s'agit d'imprimés n'ayant pas la qualité de périodique ou si le périodique vient d'être lancé[]. Toutefois, l'amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l'amende infligée à l'éditeur ainsi qu'à une peine de six mois à deux ans d'emprisonnement. »
Article 8
(tel que modifié par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995)
« La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat de la République de Turquie ou à l'unité indivisible de la nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité est condamné à une peine d'un à trois ans d'emprisonnement et à une amende de cent à trois cents millions de livres turques. En cas de récidive, les peines infligées ne sont pas converties en amende.
Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie des périodiques visés à l'article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l'éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l'intervalle de parution du périodique est de moins d'un mois. Toutefois, l'amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l'amende infligée à l'éditeur ainsi qu'à une peine de six mois à deux ans d'emprisonnement.
Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie d'imprimés ou par des moyens de communication de masse autres que les périodiques mentionnés au second paragraphe, les auteurs responsables et les propriétaires des moyens de communication de masse sont condamnés à une peine de six mois à deux ans d'emprisonnement ainsi qu'à une amende de cent à trois cents millions de livres turques (...)
(...) »
D. La loi n° 4126 du 27 octobre 1995 portant modification des articles 8 et 13 de la loi n° 3713
Les amendements ci-dessous ont été apportés à la loi de 1991 à la suite de l'adoption de la loi n° 4126 du 27 octobre 1995 :
Disposition provisoire relative à l'article 2
« Dans le mois suivant l'entrée en vigueur de la présente loi, le tribunal ayant prononcé le jugement réexamine le dossier de la personne condamnée en vertu de l'article 8 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et, conformément à la modification apportée (...) à l'article 8 de la loi n° 3713, reconsidère la durée de la peine infligée à cette personne et décide s'il y a lieu de la faire bénéficier des articles 4[] et 6[] de la loi n° 647 du 13 juillet 1965. » | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le 8 juin 1992, l’assemblée générale du syndicat des enseignants de l’enseignement primaire et secondaire du deuxième arrondissement de la ville de Bucarest (« le syndicat ») procéda à l’élection d’une nouvelle direction. Le requérant en fut élu président.
Le 29 juin 1992, le syndicat porta plainte contre A.P. et R.V., anciennes gestionnaires, et M.M., ancienne secrétaire du syndicat, toutes enseignantes, pour vol, abus de confiance et détournement de biens. Le syndicat se plaignait que les intéressées, à la prise de fonctions de la nouvelle direction, avaient refusé de restituer les biens et les documents comptables du syndicat et les avaient utilisés pour la constitution d’une nouvelle organisation syndicale.
Par une lettre du 2 octobre 1992, le requérant, au nom du syndicat, demanda des informations sur le déroulement de l’enquête au parquet de la ville de Bucarest, mais ne reçut aucune réponse. Par une lettre du 9 décembre 1992, il renouvela sa démarche auprès du même parquet, en se plaignant également de la lenteur de l’enquête pénale. Sa lettre resta sans réponse.
Le 8 février 1993, le procureur rendit une décision de non-lieu concernant la plainte du syndicat contre A.P., R.V. et M.M. Cette décision fut communiquée le 18 janvier 1994 uniquement à ces dernières.
En 1993, le requérant, en qualité de représentant du syndicat, assigna R.V. devant le tribunal de première instance du deuxième arrondissement de Bucarest, demandant à ce qu’il lui fût ordonné, en application des articles 998 et 999 du code civil régissant la responsabilité civile, de restituer au syndicat la somme de 170 000 lei roumains (ROL), correspondant à des cotisations syndicales.
A une date non précisée, le requérant eut une conversation avec un journaliste, au cours de laquelle il exprima son mécontentement quant à la lenteur de l’enquête pénale. Le 23 mars 1993, l’article suivant fut publié dans le journal Tineretul Liber :
« Le syndicat des enseignants de l’enseignement primaire et secondaire du deuxième arrondissement de la ville de Bucarest (...) est le syndicat le plus militant, car il lutte contre tout le monde pour le respect de la loi et des droits des enseignants. C’est ce qu’affirme le professeur Mihail Constantinescu du lycée M.S., qui nous explique : « J’ai déposé une plainte contre le rectorat [Inspectoratul] de la ville de Bucarest pour non-respect de la convention collective ; l’audience a été fixée au 29 avril. Nous préparons une plainte contre la police et le parquet, qui sont impliqués dans des actions antisyndicales de ralentissement de l’enquête pénale concernant certaines delapidatori [personnes reconnues coupables de détournement de biens] – R.V., A.P., M.M., enseignantes dans le deuxième arrondissement ; nous disposons contre celles-ci de témoignages écrits et des aveux de deux d’entre elles selon lesquels elles sont en possession d’une somme d’argent appartenant au syndicat, qu’elles n’ont pas restituée. Les actions antisyndicales sont préméditées (...) »
Le 22 avril 1993, le requérant fut assigné par A.P., R.V. et M.M. devant le tribunal de première instance (judecatoria) du troisième arrondissement de la ville de Bucarest pour diffamation.
L’audience eut lieu le 25 février 1994. Le tribunal, statuant à juge unique, rendit son jugement le 18 mars 1994.
Après avoir entendu six témoins à charge et trois à décharge, le requérant et les trois enseignantes, le juge acquitta le requérant. Il constata qu’à la date de la parution de l’article en question les trois enseignantes faisaient l’objet d’une enquête pénale au sujet d’une accusation de détournement et qu’elles n’avaient été informées de la décision de non-lieu que postérieurement à la parution de l’article, soit le 18 janvier 1994. En outre, le juge releva qu’il n’était pas contesté que les enseignantes n’avaient pas restitué certaines sommes d’argent appartenant au syndicat. Dès lors, il jugea que le requérant n’avait nullement eu l’intention de diffamer les enseignantes, mais uniquement d’informer le public que son syndicat s’apprêtait à déposer une plainte à l’encontre de la police et du parquet, accusés de ralentir l’enquête pénale concernant les trois enseignantes.
A.P., R.V. et M.M. formèrent un recours, qui fut accueilli par le tribunal départemental de Bucarest. Ce dernier annula la décision du 18 mars 1994 et décida de rejuger l’affaire sur le fond.
Les débats eurent lieu le 26 septembre 1994. Les documents dont dispose la Cour ne permettent pas d’établir si l’avocat du requérant put plaider. Cependant, celui-ci fit valoir, dans ses conclusions écrites en défense, d’une part, que son client s’était exprimé au nom du syndicat, que le but poursuivi était celui de reconstituer le patrimoine du syndicat et que la nouvelle organisation syndicale créée par les trois enseignantes avait été déclarée illégale par la justice. Il invoqua les dépositions des témoins devant le tribunal de première instance, qui faisaient ressortir la négligence des trois enseignantes dans l’administration du patrimoine du syndicat, ainsi que leur refus de restituer certaines sommes d’argent et les documents. Il ajouta, d’autre part, que l’article ne rapportait pas fidèlement les déclarations faites par le requérant au journaliste, mais que le requérant ne voulait pas s’engager dans un procès contre la presse.
Le requérant, bien que présent à l’audience, ne fut pas entendu par les juges. Aucun moyen de preuve ne fut administré. Le procès-verbal d’audience ne mentionnait pas la participation aux débats du procureur, qui aurait demandé l’acquittement du requérant, mais signalait seulement que les avocats des parties avaient pu prendre la parole.
La décision fut mise en délibéré au 3 octobre 1994, puis au 10 octobre 1994. Le prononcé eut lieu à cette dernière date, en l’absence du requérant et de son avocat. Le tribunal jugea que le requérant avait voulu porter atteinte à l’honneur et à la réputation des trois enseignantes, en violation de l’article 206 du code pénal, car ses propos avaient été publiés dans le journal après la décision de non-lieu du 8 février 1993. Le tribunal retint également qu’après cette date le requérant s’était rendu dans les établissements où enseignaient A.P., R.V. et M.M., et les avaient accusées de s’être enfuies avec l’argent du syndicat.
Le requérant fut condamné pour diffamation à une amende de 50 000 ROL et au paiement de 500 000 ROL à chacune des trois enseignantes au titre du dommage moral.
Le requérant interjeta appel le 19 octobre 1994. Le 18 novembre 1994, la cour d’appel de Bucarest le déclara irrecevable, indiquant que la décision attaquée n’était pas susceptible d’appel et qu’elle était définitive.
A une date non précisée, le requérant paya aux trois enseignantes les sommes qu’il avait été condamné à leur verser. Le 28 mars 1995, il acquitta la somme de 50 000 ROL correspondant à l’amende qui lui avait été infligée.
A une date non précisée, le requérant demanda au procureur général près la Cour suprême de justice de former un recours en annulation contre l’arrêt du 10 octobre 1994.
Le 26 mai 1995, le requérant fut informé du refus du procureur général de former un recours en annulation.
Par un arrêt du 28 janvier 1997, le tribunal départemental de Bucarest, examinant l’affaire d’office et siégeant à huis clos, prononça un arrêt de rectification des erreurs matérielles du procès-verbal d’audience du 26 septembre 1994 et de l’arrêt du 10 octobre 1994.
Quant au procès-verbal d’audience du 26 septembre 1994, le tribunal fit mentionner dans celui-ci la présence du procureur L.S., qui aurait demandé dans ses conclusions écrites que les recours des enseignantes soient accueillis et que le requérant soit condamné à une peine d’amende pour diffamation et au paiement d’une indemnité au titre du dommage moral. En outre, selon le tribunal, le requérant aurait pris la parole en dernier le 26 septembre 1994.
Le tribunal décida aussi de rectifier l’arrêt du 10 octobre 1994 en y faisant mentionner l’ajournement du prononcé du 3 au 10 octobre 1994, ainsi que la présence, lors du prononcé, du procureur L.S.
Les parties ne furent pas citées à comparaître et n’étaient pas présentes lors du prononcé de l’arrêt du 28 janvier 1997.
Par un jugement du 12 mars 1997, le tribunal de première instance de Bucarest admit l’action en responsabilité civile introduite en 1993 par le syndicat à l’encontre de R.V., et ordonna à cette dernière de restituer la somme de 170 000 ROL, plus des intérêts. Le tribunal releva que R.V. avait été trésorière du syndicat de 1990 à 1992, et qu’en cette qualité elle avait reçu la somme de 170 000 ROL correspondant aux cotisations versées par les membres du syndicat pendant cette période. Le tribunal releva également qu’après avoir quitté ses fonctions, R.V. avait refusé de restituer au syndicat les documents de dépôt en banque de ladite somme, de sorte que le syndicat n’avait jamais pu la récupérer.
Le 6 janvier 1998, sur demande de la Commission, le Gouvernement lui soumit une copie du registre des audiences du tribunal départemental de Bucarest des 3 et 10 octobre 1994. Ce document mentionne uniquement l’ajournement du prononcé du 3 au 10 octobre 1994, et le verdict de condamnation du requérant.
Par une lettre du 14 décembre 1998, le Gouvernement informa la Commission qu’il ne lui était pas possible de soumettre une copie des notes prises par le greffier (caietul grefierului) pendant l’audience du 26 septembre 1994, car, en application de la circulaire no 991/C/1993 du ministre de la Justice (Ordinul ministrului), les registres enfermant les notes du greffier sont scellés et archivés pendant trois ans.
Le 11 décembre 1998, le procureur général près la Cour suprême de justice forma un recours en annulation contre l’arrêt du 10 octobre 1994. Il demanda l’acquittement du requérant au motif que les éléments constitutifs de l’infraction de diffamation n’étaient pas réunis en l’espèce.
A l’audience du 21 mars 2000, le Gouvernement a soumis à la Cour une décision du 4 février 2000 de la Cour suprême de justice, accueillant le recours en annulation formé par le procureur général contre la décision du 10 octobre 1994 et acquittant le requérant, au motif que l’intention de diffamer, élément constitutif de l’infraction de diffamation, n’avait pas été prouvée.
Le Gouvernement a aussi soumis à la Cour copie d’une lettre du 6 mars 2000 par laquelle le tribunal de première instance de Bucarest demandait au bureau des impôts du troisième arrondissement de Bucarest de restituer au requérant la somme de 50 000 ROL correspondant à l’amende acquittée par le requérant à la suite de sa condamnation du 10 octobre 1994.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le code pénal
Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi :
Article 206
« L’affirmation ou l’imputation en public d’un certain fait concernant une personne, fait qui, s’il était vrai, exposerait cette personne à une sanction pénale, administrative ou disciplinaire, ou au mépris public, sera punie d’emprisonnement de trois mois à un an ou d’une amende. »
Article 207
« La preuve de la véracité d’une affirmation ou imputation peut être accueillie si l’affirmation ou l’imputation a été commise pour la défense d’un intérêt légitime. Les agissements au sujet desquels la preuve de la vérité a été faite ne constituent pas l’infraction d’insulte ou de diffamation. »
Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont ainsi libellées :
Article 385-6 paragraphe 2
« Une juridiction saisie d’un recours contre une décision insusceptible d’appel doit examiner l’affaire sous tous ses aspects, quels que soient les moyens et les demandes des parties (...) »
Article 385-9
« Le recours peut être formé dans les cas suivants :
(...)
(10). lorsque le tribunal ne s’est pas prononcé soit sur un fait retenu à la charge de l’inculpé dans l’ordonnance de renvoi, soit sur certaines preuves administrées, soit sur certaines demandes essentielles pour les parties, qui pourraient garantir leurs droits ou influer sur l’issue du procès ;
(...) »
Article 385-15
« Lorsqu’il statue sur le recours, le tribunal peut soit (...)
accueillir le recours, infirmer la décision attaquée et (...) d) retenir l’affaire pour la juger à nouveau (...) »
Article 385-16
« Lorsque le tribunal ayant statué sur le recours retient l’affaire pour la juger à nouveau conformément à l’article 385-15 par. 2 d), il se prononce également sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour les débats (...) »
Article 385-19
« Après infirmation du premier jugement, le deuxième procès se déroule conformément aux dispositions des chapitres I (Le procès – Dispositions générales) et II (Le procès en première instance) du titre II, qui s’appliquent mutatis mutandis. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
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